École des hautes études en sciences sociales
La mésologie et les sciences : interactions critiques – Journée d’étude, jeudi 24 novembre 2016 –
Mésologie et sciences de la matière, de la vie, de l'esprit par Augustin Berque berque@ehess.fr
Résumé – Dans un premier temps, marqué par les physiologistes Robin et Bertillon, la mésologie fut conçue comme une science positive étudiant les milieux et couvrant ce qui est aujourd’hui d’une part le domaine de sciences humaines comme la sociologie, de l’autre celui de sciences de la nature comme l’écologie. En ce sens, elle a périclité. Dans un second temps, marqué en biologie par Uexküll et en philosophie par Watsuji, elle a établi, sous l’influence de la phénoménologie, une distinction capitale entre milieu (Umwelt, fûdo) et environnement (Umgebung, kankyô), ce qui, en tant que science des milieux, a fait d’elle une phénoménologie de la nature et une bioherméneutique, chevauchant comme telle la distinction traditionnelle entre sciences de la nature et sciences humaines. On sonde ici la validité de ses principaux concepts et de ses méthodes au regard des unes et des autres. Abstract – In its first period, initiated by physiologists Robin and Bertillon, mesology was conceived as a positive science, studying milieux (environments) and covering what today has become the respective domains of natural sciences like ecology and human sciences like sociology. In this sense, it has become obsolete. In a second phase, marked by Uexküll in biology and by Watsuji in philosophy, it has established, under the influence of phenomenology, a capital distinction between milieu (Umwelt, fûdo) and environment (Umgebung, kankyô), which, as a science of milieux, made it a phenomenology of nature and a biohermeneutics, as such encompassing the traditional distinction between the natural and the social sciences. One sounds out here the validity of its main concepts and its methods as regards both domains. Plan – § 1. L’ébauche de la mésologie ; § 2. L’établissement de la mésologie ; § 3. Médiance et trajection ; § 4. Mésologie et sciences humaines ; § 5. Mésologie et sciences de la nature ; § 6. Mésologie, logique et ontologie ; § 7. Mésologie et dépassement de la modernité.
§ 1. L’ébauche de la mésologie Dans le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle de Pierre Larousse1, où personnellement j’ai découvert ce terme en 1984, la mésologie, se définissant comme l’étude des milieux, renvoyait à ce dernier terme, lequel avait droit à plusieurs colonnes ; c’est dire que la notion de mésologie avait pignon sur rue à cette époque, dans les années 1870. Le Larousse en attribuait la paternité au médecin, statisticien et démographe Louis-Adolphe Bertillon (18211883) ; mais c’est là une erreur, que j’ai colportée pendant plus de vingt ans avant de découvrir ces lignes de Georges Canguilhem : Dans le Système de Politique positive (1851) Comte nomme deux jeunes médecins qu’il donne pour ses disciples, les docteurs Segond et Robin. Ce sont là les deux fondateurs, en 1848, de la Société de Biologie (…). L’esprit qui animait les fondateurs de la Société était celui de la philosophie positive [d’Auguste Comte]. Le 7 juin 1848, Robin lisait un mémoire Sur la direction que se sont proposée en se réunissant les membres fondateurs de la Société de biologie pour répondre au titre qu’ils ont choisi. Robin y exposait la classification comtienne des sciences, y traitait dans l’esprit du Cours [de philosophie positive, 1830-1842] des tâches de
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J’adapte ici un passage de mon La Mésologie, pourquoi et pour quoi faire ?, Nanterre-La Défense, Presses universitaires de Paris Ouest, 2014, p. 49 sqq.