Milieu, art, génie du lieu / Augustin Berque

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La Paperie / AURA Agence d’urbanisme de la région angevine FUTUR, conférence-action sur les nouvelles dynamiques de la fabrique urbaine : ce que l’art peut faire à la ville ?

Conférence-action II, 13 octobre 2016

Milieu, art et génie du lieu

- une interprétation mésologique - par Augustin BERQUE berque@ehess.fr

Sommaire : § 1. Le sens d’une relation aussi vieille que le monde ; § 2. Assomption de monde et Ursprung de l’œuvre d’art ; § 3. La décosmisation des villes ; § 4. Ressusciter le génie des lieux ?

§ 1. Le sens d’une relation aussi vieille que le monde Comme l’écrivait récemment Luc Gwiazdzinski, « Il existe aujourd’hui de nouvelles formes d’intervention, de nouvelles collaborations, de nouveaux espaces, de nouveaux moments et situations, où l’artiste et le géographe, la création et la géographie se croisent, se mélangent et s’hybrident pour inventer autre chose in vivo : les géo-artistes »1.

Voilà qui est manifeste ; mais il n’est pas moins sûr que ces nouvelles formes de la relation entre les sociétés humaines et leurs territoires s’enracinent dans cette relation même, qui en tant que telle est aussi ancienne que l’humanité, voire que la vie sur Terre. Dans cette seconde conférence-action, c’est plutôt cet aspect-là que je voudrais éclairer ; en somme, mettre en lumière le sens profond de ces manifestations nouvelles. Ce sens profond est d’ordre ontologique ; il concerne notre être, notre existence sur la Terre. Une affaire de philosophes au premier chef, sans doute, mais pas seulement de philosophes ; cela nous concerne tous. Et si pour nous, ici aujourd’hui, la question est bien « que peut faire l’art à la ville ? », plus fondamentalement et plus généralement, elle est « qu’est-ce que l’art pour l’existence humaine, sur la Terre ? ». C’est cette question que pose un texte célèbre de Heidegger, L’Origine de l’œuvre d’art (Der Ursprung des Kunstwerkes)2. Heidegger la pose en termes non seulement ontologiques, mais à la fois ontogénétiques et cosmogénétiques, c’est-à-dire faisant le lien entre l’origine (Ursprung) de l’existence et celle du monde. Contrairement à ce que laisse entendre le titre français L’Origine de l’œuvre d’art, la question en effet n’est pas : d’où vient l’œuvre d’art ? mais bien : qu’est-ce que fait advenir l’œuvre d’art, qu’est-ce que fait jaillir (springen, -sprung-) l’œuvre d’art ? Le préfixe ur signifiant « originel, primitif », je préférerais donc traduire Der Ursprung des Kunstwerkes par « Le prime jaillissement de l’œuvre d’art ». C’est ce qui, avec l’œuvre d’art, advient à l’existence. Der Ursprung des Kunstwerkes est certainement l’écrit sur l’art le plus connu de Martin Heidegger (1889-1976), un texte que tout esthéticien se doit d’avoir médité. Cependant, comme Heidegger, j’entendrai ici le mot « art » dans un sens plus large que celui qu’on lui donne habituellement – l’art des artistes, les beaux-arts. Ce sens large comprend bien entendu l’art des artistes, mais il correspond plutôt à la définition que la première édition du Petit Larousse (1906) donnait d’abord du mot art : « Application 1 Luc GWIAZDZINSKI, L’Observatoire, revue des politiques culturelles, n° 48, été 2016. 2 Texte

initialement écrit en 1935, et légèrement remanié plus tard. Je me réfère ici à la traduction française par Wolfgang Brokmeier, parue dans l’édition française de Chemins qui ne mènent nulle part (Holzwege, 1949), Paris, Gallimard, 1962, p. 13-98, qui traduit Streit par « combat » et non par « litige » comme je vais le faire. Pour le texte original, je me réfère à la Gesamtausgabe, V : Holzwege, Francfort-surle-Main, Vittorio Klostermann, 1977.


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