Postface à Religions et écologie. Archives de sciences sociales des religions. Numéro spécial dirigé par Ludovic Bertina, Mathieu Gervais et Anahita Grisoni. Corrigé le 11/12/16.
Postface Le mythe et l’hypostase par Augustin Berque Sur le chemin d’Alexandrie, on traversait Damanhour. Pas Damanhur près d’Alessandria dans le Piémont, mais ( دمنهورdɑmɑnˈhuːɾ), l’ancienne Petite Hermopolis (Ἑρμοῦ πόλις μικρά) du temps des Ptolémées. Comme vous le savez presque, maintenant que vous avez lu ci-devant l’article d’Enzo Pace, ce toponyme, prononcé Dmỉ-n-Ḥr.w en ancien égyptien, voulait dire « la ville de Hor » (dieu dont le nom fut plus tard latinisé en Horus). En passant par là au début des années cinquante, j’ignorais toutefois ces choses, et ignorais même le mot « écologie », mais en revanche, la religion m’occupait assez – en l’occurrence un rite de passage entre enfance et adolescence popularisé par saint Vincent-de-Paul (1576-1660), que les catholiques appellent aujourd’hui « la communion solennelle ». C’est dire que, sur ces routes poussiéreuses du Delta, voici une bonne dose de révolutions de la Terre autour du Soleil, je ne problématisais pas le rapport entre écologie et religion ; aussi remercié-je les trois organisateurs du présent ouvrage de me donner l’occasion d’aborder cette question sinon de face – ils l’ont déjà excellemment fait dans leur prologue –, du moins en postface, autrement dit par derrière. Eux l’ayant fait à partir de l’Occident, versant du monde où domina longtemps le christianisme, je le ferai donc plutôt à partir de l’Orient, où ce ne fut pas le cas. Juste pour comparer. Je lis, dans le prologue, que nous vivrions à une « époque marquée par la fin de la nature ». À Dieu ne plaise ! Car sans la nature, que deviendrions-nous ? Bien sûr, il faut s’entendre sur ce terme, « la nature ». Il s’agit là d’un sens particulier, propre à un certain courant des sciences sociales, et déconnecté du sens ordinaire où « la nature », c’est le cours de l’Univers, lequel n’est pas près de s’arrêter. Je professe pour ma part que la nature sera toujours à naître, ce qui du reste n’a rien de particulièrement oriental : c’est du latin, natura natura semper. Dans les deux cas toutefois – la nature touchant à sa fin, et la nature toujours à naître –, il s’agit de manières de dire. Parole, parole, parole, comme on le chante en transalpin (soit, outre-Manche, words, words, words), ce qui en principe n’affecte pas la nature des choses. On est en effet moins performativiste, dans les sciences sociales de notre temps, qu’on ne l’était quand fut écrite la Genèse, époque où l’on pensait que Dieu avait créé la nature en la disant : « Dieu dit : ‘Que la lumière soit’, et la lumière fut. (…) Dieu dit ‘Qu’il y ait un firmament au milieu des eaux et qu’il sépare les eaux d’avec les eaux’ et il en fut ainsi », etc. (j’abrège, la chose est encore assez connue). C’est là un principe éminemment religieux, qu’on retrouve du reste à peu près tel quel dans de fort nombreux mythes cosmogoniques, par exemple – aux antipodes de ce qui est pour nous la Terre Sainte – au Centre Rouge de l’Australie, à propos de la création du monde par les ancêtres sortis de la terre au Temps du Rêve, le Tjukurrpa : « La boue tomba de leurs cuisses, comme le placenta d’un bébé. Puis, tel le nouveau-né qui pousse son premier vagissement, chaque ancêtre ouvrit la bouche et cria : ‘JE SUIS !’ ‘Je suis … Serpent… Cacatoès… Fourmi à miel… Chèvrefeuille…’. Et ce premier ‘Je suis’, cet acte primordial de nomination, fut considéré, alors et pour toujours, comme la strophe la plus secrète