L’Histoire en citations Michèle Ressi
Siècle de Louis XIV
L’Histoire en citations est une collection de livres numériques. La Chronique, divisée en 10 volumes, raconte l’histoire de France des origines à nos jours, en 3 500 citations numérotées, replacées dans leur contexte, avec sources et commentaires. Le Dictionnaire recense toutes les citations (et leurs auteurs), regroupées par mots clés, mots thèmes et expressions, classés par ordre alphabétique en quelque 6 500 entrées.
Michèle Ressi, auteur et chercheur au CNRS, a publié une vingtaine de titres – dont L’Histoire de France en 1000 citations (Eyrolles, 2011). L’écriture théâtrale lui a donné le goût des dialogues, et la passion des citations. CV complet sur Wikipédia.
Sommaire
Siècle de Louis XIV Avant le règne personnel de Louis XIV Prologue
Quelques repères Personnage de Mazarin Personnage d’Anne d’Autriche
Chronique (1643-1661)
Règne personnel de Louis XIV Prologue
La fonction royale La grandeur du règne La cour, les courtisans et les Grands Finances, économie et société Personnage de Louis XIV
Chronique (1661-1715)
∑ Index par noms
Siècle de Louis XIV 14 mai 1643 : Mort de Louis XIII 1er septembre 1715 : Mort de Louis XIV
743. « Et l’on peut comparer, sans crainte d’être injuste,
Le siècle de Louis au beau siècle d’Auguste. » Charles PERRAULT Charles PERRAULT (1628-1703), Le Siècle de Louis le Grand (1687)
Louis XIV mérite le qualificatif de « Grand ». Il marque son temps de sa forte personnalité, par sa politique de prestige et de rayonnement culturel. Incarnant et dirigeant pendant plus de cinquante ans la France du Grand Siècle, il en fait une puissance européenne dont l’hégémonie dépasse celle de l’Italie sous la Renaissance, de l’Espagne d’hier et de l’Angleterre à venir. Mais ce règne personnel ne commence qu’en 1661. À la mort de son père, Louis XIV n’a que 5 ans et Mazarin, pendant dix-huit ans, gouvernera la France.
Siècle de Louis XIV • Avant le règne personnel de Louis XIV
Avant le règne personnel de Louis XIV 14 mai 1643 : Mort de Louis XIII 9 mars 1661 : Mort de Mazarin
Louis XIV est un enfant de 5 ans à la mort de son père (1943). Succédant à Richelieu, un autre grand ministre va gouverner. Mazarin est confirmé comme « principal ministre » par la reine régente Anne d’Autriche. Quelque 6 500 pamphlets (mazarinades) diront assez l’impopularité du nouveau maître de la France, qui éclaboussera aussi sa « pute de reine ». Ils doivent faire face à une série de Frondes, dernier épisode du siècle portant au paroxysme la rébellion des Grands et des parlementaires contre l’absolutisme royal (1648-1653). Après avoir triomphé de cette guerre civile plus souvent grotesque que tragique, Mazarin rétablit l’ordre et prépare le règne de Louis XIV. Il initie le jeune homme à son métier de roi en l’associant à son travail, et lui laisse à sa mort une France aux frontières assurées, un État restauré, des collaborateurs dévoués (1661).
Siècle de Louis XIV • Avant le règne personnel de Louis XIV • Prologue
Prologue Quelques repères 744. « Un vent de Fronde
S’est levé ce matin Je crois qu’il gronde Contre le Mazarin. » SCARRON
Paul SCARRON (1610-1660), mazarinade Poésies diverses : la mazarinade, Virgile travesti, roman comique Tout-puissant ministre, Mazarin est l’homme d’État le plus durement chansonné de l’histoire de France, durant la Fronde. Et Paul Scarron, le principal auteur osant signer ses mazarinades. Celle-ci, selon d’autres sources, est également attribuée à Barillon l’aîné. Le coup de force du Parlement de Paris, exploitant la crise financière et le mécontentement général, a mis le feu aux poudres. Car les causes du mouvement sont profondes, à la fois politiques, économiques, sociales. Sous la régence d’Anne d’Autriche et sur fond de guerre étrangère avec l’Espagne, la France fragilisée, Paris en tête, se déchaîne dans un tourbillon révolutionnaire où les parlements, le peuple et les Grands se relaient. La cible numéro un est le cardinal au pouvoir, l’amant (supposé) de la Reine, l’Italien (naturalisé), le parvenu (enrichi), l’homme à abattre : Mazarin.
745. « Ils font comme leurs enfants, ils jouent “à la fronde”. »
Louis MADELIN Louis MADELIN (1871-1956), La Fronde L’historien cite le mot à la mode : « Lorsqu’en 1649 on verra la population de Paris tenir en échec le gouvernement royal et le mettre en fuite sans d’ailleurs penser à le mettre bas, on dira : Ils font comme leurs enfants, ils jouent “à la fronde”. » Et le mot est adopté. Le « jeu » sera quand même assez sérieux pour faire fuir hors de Paris, à plusieurs reprises, non seulement le gouvernement mais aussi la famille royale, la Fronde parlementaire étant relayée par celle des princes, à partir de 1650, et les émeutes populaires éclatant un peu partout en province.
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746. « Roy ne puis, prince ne daigne, Rohan suis. »
Duc de ROHAN Fière devise d’Henri II, duc de ROHAN (1579-1638) - et de toute la célèbre « maison » des Rohan C’est la dernière période de l’histoire où les Grands ont ce pouvoir de soulever la France et de traiter avec l’ennemi presque en toute impunité – Condé, Turenne entre autres. Grande famille princière du duché de Bretagne, la maison de Rohan est en cela « exemplaire » : Henri, duc de Rohan, chef du parti protestant, a soutenu trois guerres contre Louis XIII, avant de se rallier et de combattre dans l’armée royale. Le jeune Tancrède participe à la Fronde comme tant de Grands du royaume, et y trouvera la mort. Louis, dit le chevalier de Rohan, célèbre par ses aventures amoureuses (ravisseur d’Hortense Mancini et amoureux de la marquise de Montespan), conspire contre Louis XIV avec les Hollandais et sera exécuté. On comprend que Louis XIV se méfie de la noblesse : sous son « règne de vile bourgeoisie » (SaintSimon), les grands seigneurs n’ont plus accès aux hautes fonctions gouvernementales.
747. « Nos guerres civiles, sous Charles VI, avaient été cruelles,
celles de la Ligue furent abominables, celle de la Fronde fut ridicule. » VOLTAIRE VOLTAIRE (1694-1778), Lettres philosophiques (1734)
Les attendus de ce jugement datés du siècle suivant sont très circonstanciés : « Pour la dernière guerre de Paris, elle ne mérite que des sifflets ; le cardinal de Retz, avec beaucoup d’esprit et de courage mal employés, rebelle sans aucun sujet, factieux sans dessein, chef de parti sans armée, cabalait pour cabaler et semblait faire la guerre civile pour son plaisir. Le Parlement ne savait ni ce qu’il voulait, ni ce qu’il ne voulait pas ; il levait des troupes par arrêt, il les cassait ; il menaçait, il demandait pardon ; il mettait à prix la tête du cardinal Mazarin et ensuite venait le complimenter en cérémonie. »
748. « La Fronde est réputée, non sans cause, pour une des périodes
les plus amusantes de l’histoire de France, les plus divertissantes, celle où brille d’un inexprimable comique la vivacité légère et spirituelle du caractère national. » Jules MICHELET Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France au dix-septième siècle, Richelieu et la Fronde (1858)
L’historien du XIXe siècle confirme le jugement de Voltaire. Les intrigues princières, les aventures amoureuses et le rôle joué par des femmes souvent extravagantes accentuent le caractère passionnel, brouillon et tourbillonnant de cette guerre. Mais les diverses frondes qui se succèdent de 1648 à 1653 vont quand même laisser la France en état de choc et de misère.
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749. « Le gouvernement populaire est le pire fléau
dont Dieu afflige un État quand il veut le châtier. » CYRANO de BERGERAC Savinien de CYRANO de BERGERAC (1619-1655), Lettres diverses. Contre les frondeurs (1654) Le « vrai » Cyrano a existé avant d’être immortalisé par la comédie héroïque d’Edmond Rostand. Parisien, et non pas gascon, c’est un savant, sceptique et libertin, mais pas révolutionnaire pour autant. La monarchie absolue se trouve à plusieurs reprises menacée par les insurrections populaires, notamment à Paris qui subit deux « terreurs » de plusieurs mois, et à Bordeaux qui vit sa révolution provisoire.
750. « Ces malheureux [les paysans]
ne possèdent d’autres propriétés que leurs âmes parce qu’elles n’ont pu être vendues à l’encan ! » Omer TALON Omer TALON (1595-1652) s’adressant à Anne d’Autriche, en plein lit de justice tenu en 1649 Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache Cet avocat général au Parlement de Paris en appelle avec courage et dignité à la régente. Bien des voix autorisées feront le même constat, tout au long de ce siècle. Le peuple – et d’abord les paysans, dans une France agricole à 90 % – est toujours la première victime de l’histoire. C’est lui qui paie le prix des guerres civiles comme étrangères. Et le siècle de Louis XIV est particulièrement belliqueux. Là sera le passif le plus grave au bilan du Grand Siècle, dans ces guerres sanglantes et ruineuses.
751. « Notre France est ruinée,
Faut de ce Cardinal Abréger les années, Il est auteur du mal. »
La Chasse donnée à Mazarin, chanson populaire anonyme Bulletin de la Société de l’histoire de France (1835), Renouard éd Le cardinal Mazarin succédant au cardinal de Richelieu est également détesté, en raison de la crise des subsistances et de la lourdeur des impôts nécessaires pour financer la guerre. Le peuple taillable et corvéable à merci chante : « Pour payer les subsides / J’ai vendu mon godet / Ma poêle, ma marmite / Jusques à mon soufflet / Moi, pour payer les tailles / J’ai vendu mes moutons / Je couche sur la paille / Je n’ai pas le teston [monnaie royale] / Moi, j’ai chose certaine / Vendu un gros pourceau / Mes chèvres et mes gélines / Pour payer les impôts. »
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Personnage de Mazarin 752. « Il se fit de la honte de tout ce que l’autre [Richelieu]
s’était fait de l’honneur. Il se moqua de la religion. Il promit tout, parce qu’il ne voulut rien tenir. Il ne fut ni doux ni cruel, parce qu’il ne se ressouvenait ni des bienfaits ni des injures. Il s’aimait trop, ce qui est le naturel des âmes lâches. » Cardinal de RETZ Cardinal de RETZ (1613-1679), Mémoires (1671-1675) Paul de Gondi, prélat sans vocation ecclésiastique, mais chef de parti aux grandes ambitions politiques sous la Fronde, est l’un des vaincus de Mazarin. Même si son témoignage sur cet autre cardinal à la réussite politique exemplaire est partial, ses Mémoires n’en sont pas moins une précieuse évocation de ces temps de trouble. Il écrit aussi : « L’un des plus grands défauts du cardinal Mazarin est qu’il n’a jamais pu croire que personne lui parlât avec une bonne intention. »
753. « Son esprit, qui lui a rendu de si bons services en sa vie,
était assurément de premier ordre, fin, délié, pénétrant, sage, judicieux, grave, modeste, grand et élevé. » LOMÉNIE de BRIENNE Louis-Henri de LOMÉNIE de BRIENNE (1635-1698), Mémoires de Louis-Henri de Loménie, comte de Brienne (posthume, 1720) Conseiller d’État à 16 ans, et secrétaire d’État aux Affaires étrangères à 23, surnommé le Jeune pour le distinguer de son père (Henri-Auguste de Loménie de Brienne), il juge en connaisseur. Michelet appréciera en historien : « Mazarin, le rusé [. . .] cette glissante couleuvre ».
754. « L’autorité du Roi, c’est le repos de l’État. »
MAZARIN MAZARIN (1602-1661) Encyclopædia Universalis, article « Jules Mazarin, l’homme d’État » Mazarin pense et parle ici comme Richelieu dont il fut le principal collaborateur, avant de lui succéder au Conseil du roi et au pouvoir. Il reflète aussi l’opinion universellement admise à l’époque. Les désordres de la Fronde et les désastreuses conséquences de ces cinq années d’anarchie lui donnent a contrario raison. Le jeune roi, dont Mazarin fait l’éducation politique en l’initiant aux affaires, va se révéler l’élève surdoué de ce maître en politique. Mazarin dit encore – autre leçon de l’histoire de France et de la Fronde : « Une souveraineté pleine et entière peut seule faire prévaloir l’intérêt général et juguler les féodalités renaissantes. L’obéissance au roi est gage de la paix publique. »