L'Histoire en citations - Siècle des Lumières - Extrait

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L’Histoire en citations Michèle Ressi

Siècle des Lumières


L’Histoire en citations est une collection de livres numériques. La Chronique, divisée en 10 volumes, raconte l’histoire de France des origines à nos jours, en 3 500 citations numérotées, replacées dans leur contexte, avec sources et commentaires. Le Dictionnaire recense toutes les citations (et leurs auteurs), regroupées par mots clés, mots thèmes et expressions, classés par ordre alphabétique en quelque 6 500 entrées.

Michèle Ressi, auteur et chercheur au CNRS, a publié une vingtaine de titres – dont L’Histoire de France en 1000 citations (Eyrolles, 2011). L’écriture théâtrale lui a donné le goût des dialogues, et la passion des citations. CV complet sur Wikipédia.


Sommaire

Siècle des Lumières Prologue

Le roi, le gouvernement et la cour Anciens ordres et nouvelles classes Économie, fiscalité, colonies Mœurs et société La force des idées nouvelles

Les philosophes des Lumières

Charles-Louis de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu François-Marie Arouet dit Voltaire Jean-Jacques Rousseau Denis Diderot et l’Encyclopédie

Avant le règne personnel de Louis XV Chronique (1715-1743)

Règne personnel de Louis XV Personnage de Louis XV

Chronique (1743-1774)

Règne de Louis XVI Personnage de Louis XVI

Chronique (1774-1789)

∑ Index par noms


Siècle des Lumières 1er septembre 1715 : Mort de Louis XIV 5 mai 1789 : Ouverture des États généraux

950. « Notre siècle, j’en conviens encore avec Votre Majesté,

ne vaut pas le siècle de Louis XIV pour le génie et pour le goût ; mais il me semble qu’il l’emporte pour les lumières, pour l’horreur de la superstition et du fanatisme. » D’ALEMBERT D’ALEMBERT (1717-1783), Lettre au roi de Prusse, 14 février 1774 Correspondance avec Frédéric le Grand (1854) Jean Le Rond d’Alembert, l’un des principaux encyclopédistes, correspond avec l’un des « despotes éclairés » du siècle, Frédéric le Grand. Taine écrit, dans Les Origines de la France contemporaine : « Aux approches de 1789, il est admis que l’on vit “dans le siècle des lumières”, dans “l’âge de raison”, qu’auparavant le genre humain était dans l’enfance, qu’aujourd’hui il est devenu “majeur”. »


Siècle des Lumières • Prologue

Prologue Le roi, le gouvernement et la cour 951. « L’ordre public tout entier émane de moi

et les droits et les intérêts de la nation [. . .] sont nécessairement unis avec les miens et ne reposent qu’entre mes mains. » LOUIS XV LOUIS XV (1710-1774), Déclaration solennelle au Parlement de Paris, 3 mars 1766 Histoire des Français (1821-1844), Simonde de Sismondi Séance dite de la flagellation : c’est encore le temps de la monarchie absolue et de droit divin. Louis XV se montre très jaloux de son autorité, mais par saccades, face à la révolte parlementaire chronique sous son règne. Louis XVI à son tour réaffirmera son pouvoir, face au jeune duc d’Orléans osant qualifier d’illégal l’enregistrement d’un édit royal : « C’est légal parce que je le veux ! » Mais l’un de ses ministres, Turgot, plus perspicace, écrira : « Un des plus grands malheurs pour les princes est de conserver des prétentions anciennes qu’ils ne peuvent plus faire valoir. »

952. « Les rois sont avec leurs ministres comme les cocus

avec leurs femmes : ils ne savent jamais ce qui se passe. » VOLTAIRE VOLTAIRE (1694-1778), Le Sottisier (posthume, 1880) Louis XV s’intéressa sans doute tardivement à son métier de roi – les historiens sont partagés sur ce point. Louis XVI, très consciencieux, fut vite dépassé par la situation, et la complexité des problèmes. Mais les ministres eux-mêmes sont fort peu au courant de l’état du royaume, faute de bonnes enquêtes et statistiques pour éclairer leur politique.


Siècle des Lumières • Prologue

953. « Il fallait tenir le pot de chambre aux ministres

tant qu’ils étaient en puissance, et le leur renverser sur la tête sitôt qu’on s’apercevait que le pied commençait à leur glisser. » Maréchal de VILLEROI Maréchal de VILLEROI (1644-1730) Mémoires de Saint-Simon (posthume, 1879) « Grand routier de cour », ami d’enfance de Louis XIV, médiocre militaire sous son règne quoique maréchal de France, et gouverneur fort critiqué de Louis XV enfant. Les ministres se succèdent au rythme de réformes abandonnées presque aussitôt qu’entreprises et de disgrâces succédant aux faveurs royales.

954. « Amitié de cour, foi de renards, société de loups. »

CHAMFORT Nicolas de CHAMFORT (1740-1794), Pensées, maximes et anecdotes (posthume, 1803) La cour reste un microcosme où les places sont chères et les appelés toujours en plus grand nombre que les élus. Mais elle cesse d’être l’appareil d’État comme sous Louis XIV, pour devenir l’instrument des intérêts particuliers de la haute noblesse, lieu de toutes les intrigues, cabales et corruptions sous Louis XV. Pire encore sous Louis XVI : les coteries se font plus insolentes autour de la reine et des frères du roi, cependant que les scandales éclaboussent le trône.

955. « Quand dans un royaume il y a plus d’avantage à faire sa cour

qu’à faire son devoir, tout est perdu. » MONTESQUIEU MONTESQUIEU (1689-1755), Pensées diverses (posthume)

Faveurs, pensions, dérogations, exceptions, exemptions et autres privilèges sont distribués pour soi-disant désarmer les oppositions. Ils ne servent qu’à paralyser l’administration et à exaspérer les ambitions et les jalousies. Napoléon Ier dira de cette époque, en l’opposant à celles qui suivront : « On ne va pas chercher une épaulette sur un champ de bataille, quand on peut l’avoir dans une antichambre. »

956. « Un État chancelle quand on en ménage les mécontents.

Il touche à sa ruine quand on les élève aux premières dignités. » DIDEROT Denis DIDEROT (1713-1784), Principes de politique des souverains (1774) Paradoxe majeur de ce siècle de tous les paradoxes : les privilégiés luttent contre le régime, s’opposant à toute réforme, et c’est sur eux que le pouvoir s’appuie.


Siècle des Lumières • Prologue

Anciens ordres et nouvelles classes 957. « Un grand seigneur est un homme qui voit le roi, qui parle

aux ministres, qui a des ancêtres, des dettes et des pensions. » MONTESQUIEU MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres persanes (1721)

Les Grands, dès la Régence, veulent prendre leur revanche sur le siècle de Louis XIV, ce « règne de vile bourgeoisie » qui les tint écartés des postes de pouvoir.

958. « Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez

un grand génie ! Noblesse, fortune, un rang, des places ; tout cela rend si fier ! Qu’avez-vous fait pour tant de biens ! Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus ! » BEAUMARCHAIS BEAUMARCHAIS (1732-1799), Le Mariage de Figaro (1784)

L’apostrophe, signée Pierre Augustin Caron de Beaumarchais, apparaît déjà révolutionnaire avant la Révolution, et l’œuvre longtemps censurée connaîtra un immense succès, pour ses vertus polémiques autant que dramatiques.

959. « M. de Brissac, ivre de gentilhommerie, désignait souvent Dieu

par cette phrase : “le Gentilhomme d’en haut”. » CHAMFORT

Nicolas de CHAMFORT (1740-1794), Pensées, maximes et anecdotes (posthume, 1803) La noblesse voit ses fondements contestés par les philosophes, et ses privilèges menacés par les réformes. Elle n’en demeure pas moins la condition indispensable pour accéder aux échelons supérieurs de la société : parlements, bénéfices ecclésiastiques, grades dans l’armée et la marine, monde très fermé de la cour.


Siècle des Lumières • Prologue

960. « Qu’est-ce qu’un cardinal ?

C’est un prêtre habillé de rouge qui a cent mille écus du roi, pour se moquer de lui au nom du pape. » CHAMFORT Nicolas de CHAMFORT (1740-1794), Pensées, maximes et anecdotes (posthume, 1803) En fait, le clergé reste l’un des fondements de l’Ancien Régime, et sans doute le plus profondément loyaliste. Mais la religion est contestée dans son ensemble, ébranlée par la philosophie nouvelle et souvent déconsidérée par diverses pratiques et querelles, cependant que le haut clergé (tous les évêques sont nobles après 1760) a des préoccupations plus laïques que religieuses.

961. « En France est marquis qui veut ; et quiconque arrive à Paris

du fond d’une province avec de l’argent à dépenser, et un nom en ac ou en ille, peut dire : “Un homme comme moi, un homme de ma qualité”, et mépriser souverainement un négociant. » VOLTAIRE VOLTAIRE (1694-1778), Lettres philosophiques, Sur le commerce (1734) La noblesse reste ce cercle magique où l’on tente d’accéder, et qui fascine encore la bourgeoisie. Voltaire le déplore : « Le négociant entend lui-même parler si souvent avec mépris de sa profession, qu’il est assez sot pour en rougir », alors que ce « tiers état » est bien plus utile à l’État.

962. « Les bourgeois, par une vanité ridicule, font de leur fille

un fumier pour les terres des gens de qualité. » CHAMFORT

Nicolas de CHAMFORT (1740-1794), Pensées, maximes et anecdotes (posthume, 1803) Alliances d’intérêts ou mésalliances contre nature, selon le point de vue, cette pratique est courante depuis la fin du siècle de Louis XIV : la bourgeoisie est avide de gentilhommerie et la noblesse à court d’argent.

963. « Je vois tant d’illustres fainéants se déshonorer sur les lauriers

de leurs ancêtres, que je fais un peu plus de cas du bourgeois ou du roturier ignoré qui ne se gonfle point du mérite d’autrui. » DIDEROT Denis DIDEROT (1713-1784), Pages contre un tyran (posthume)

La bourgeoisie du temps est réputée laborieuse, économe et sévère autant que la noblesse est gaspilleuse, jouisseuse et corrompue. Cette nouvelle classe qui s’enrichit se montre aussi avide de confort matériel que de « Lumières » philosophiques. C’est une nouvelle clientèle pour les artistes et les artisans, un nouveau public pour les théâtres et les concerts. Diderot la donne en exemple, Chardin la peint, Marivaux la met en scène.


Siècle des Lumières • Prologue

Économie, fiscalité, colonies 964. « Il a fallu des siècles pour rendre justice à l’humanité,

pour sentir qu’il était horrible que le grand nombre semât, et le petit recueillît. » VOLTAIRE VOLTAIRE (1694-1778), Lettres philosophiques (1734) Le philosophe parle au nom de la justice sociale pour l’ensemble du peuple qui travaille, et surtout pour les « laboureurs qui exercent la plus noble et la plus méprisée des professions ». Il donne en exemple l’Angleterre : absence de privilèges terriens et égalité devant l’impôt. Mais la réalité économique est tout autre en France.

965. « Impositions indirectes ; pauvres paysans. Pauvres paysans ;

pauvre royaume. Pauvre royaume ; pauvre souverain. » DUPONT de NEMOURS

Pierre Samuel DUPONT de NEMOURS (1739-1817), De l’origine et des progrès d’une science nouvelle (1768) Parole d’économiste, et voici tracé le cercle vicieux de l’économie. La fiscalité frappe la masse des paysans pauvres, alors que les privilégiés aux grandes fortunes (fermiers généraux, financiers, courtisans) sont intouchables et que l’essentiel des revenus industriels et commerciaux y échappe. Le trop faible pouvoir d’achat de la paysannerie – 90 % de la population – ne permet pas la consommation accrue de produits manufacturés et ne peut donc stimuler le développement de l’industrie courante, comme en Angleterre. Enfin, le rendement d’impôts perçus sur des contribuables trop pauvres ne peut alimenter suffisamment les caisses de l’État. L’Ancien Régime mourra de cette crise financière sans solution, hormis une réforme fondamentale de l’État : il faudra une révolution pour y arriver.

966. « Le peuple est taillable et corvéable à merci. »

JOLY de FLEURY Jean-François JOLY de FLEURY (1718-1802) Dictionnaire de français Littré, au mot « taillable » C’est une réalité qui date du Moyen Âge, mais le mot est prononcé quand Turgot tente l’abolition de la corvée, en 1775-1776. La taille est pratiquement le seul impôt direct de l’Ancien Régime : représentant (en principe) le rachat du service militaire, il n’est payé ni par les nobles qui se battent en personne, ni par le clergé qui ne se bat pas. C’est donc un impôt roturier. Très injustement réparti, il retombe lourdement sur les plus pauvres, ceux qui n’ont pas les moyens (argent, relations) pour s’en faire exempter. Même injustice pour la corvée royale – impôt en nature sous forme de journées de travail.


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