c arnet de bains
REGARDS SUR
Les Bains municipaux de Strasbourg n° 1
2024 et chicmedias / Rédaction en chef Sylvia Dubost, Louis Lauliac Direction artistique Olivier Bron, Sarah Lapalu / Design graphique brokism / Photographies Christophe Urbain (p.2-13-18-21-22), Luc Boegly (p.14-16) / Illustrateurs Samuel Bas, Émilie Clarke, Violaine Leroy / Couverture Matthias Picard
02—03 Une publication réalisée par
La SPL Deux-Rives remercie Chantal Seguin et Jean-Robert Guirao pour leur aide précieuse, toutes les personnes interviewées pour le temps accordé et tous les contributeurs pour la qualité de leur travail.
Le chantier des Bains municipaux de Strasbourg en novembre 2020 Cette publication est éditée par La SPL Deux-Rives 1, rue de la Coopérative 67016 Strasbourg strasbourgdeuxrives.eu
Tirage : 2500 ex Dépôt légal : février 2021 Impression : Modern Graphic Diffusion : Novéa
Les Bains municipaux de Strasbourg Lieu de vie, de bien-être, de sport et de santé, ouvert à toutes et tous, les Bains municipaux de Strasbourg nécessitaient une rénovation respectueuse et ambitieuse à la hauteur des enjeux patrimoniaux. Cette rénovation est maintenant une réalité. Pour autant, ce projet a, à juste titre, touché et questionné les Strasbourgeois-es. Fortement attachés à leurs Bains, ils ont manifesté leurs inquiétudes quant à leur devenir. Je remercie tous les passionnés qui ont participé à la concertation et ont permis par leurs propositions d’enrichir le projet initial. Le bâtiment de Fritz Beblo, inauguré en 1908, joyau de la Neustadt et classé au titre des Monuments historiques en 2017, a en effet la particularité d’être un lieu patrimonial fréquenté régulièrement par des publics variés. Il n’est pas rare que plusieurs générations d’une même famille y aient appris à nager. J’y ai moi-même, ainsi que mes enfants, découvert les joies des activités natatoires. Pour accompagner la rénovation jusqu’à la fin de l’année 2021, la SPL Deux-Rives, qui pilote le projet, a voulu éditer trois Carnets de Bains. Ils permettront de préciser l’objet des travaux : adapter l’établissement
aux normes et usages contemporains, en améliorer l’accès pour les différents publics (familles, scolaires, personnes âgées, à mobilité réduite et malades chroniques...) ; favoriser une exploitation plus écologique ; proposer une nouvelle offre de bien-être. Ils valoriseront également le projet de restauration, au plus proche de ce qu’étaient les Bains de 1908. Sur cet aspect, la Ville, qui demeure propriétaire de l’établissement, est notamment conseillée par le Comité franco-allemand Fritz Beblo et par un comité de liaison patrimonial et de proximité. Ces Carnets souligneront la singularité de ce lieu et de ce chantier, à travers les regards d’experts, d’usagers et d’hommes et femmes à l’œuvre sur le terrain. Ils doivent situer les Bains dans leur histoire, mais aussi dans leur futur. Car tout l’enjeu de cette renaissance est de donner un visage contemporain à l’idée première du Stadtbaumeister Fritz Beblo : un lieu dédié à la santé et au bien-être, accessible à tous les habitants du territoire. Docteur Alexandre Feltz Adjoint à la maire en charge de la santé et de la rénovation des Bains municipaux
Un lieu dédié à la santé et au soin
où vas-tu ?
VIENS ICI ! popy !
il était une fois...
par Samuel bas
le XIXe siècle vient tout juste de se refermer, et l’europe, elle, s’ouvre pleinement à l’hygiène…
« lavons les gens, ils tomberont moins malades ! »»réclament les médecins !
À Strasbourg, la population passe de 85 000 à 179 000 habitants entre 1871 et 1910... L’accès à l’eau devient un enjeu de salubrité publique ! le maire de Strasbourg, Rudolf Schwander, inaugure donc, En 1908, le fleuron de sa politique sanitaire et sociale...
les bains municipaux !
regardez, d’ailleurs, c’esT bondé ! il faut dire que presque personne n’a encore de douche chez soi, hein !
wow ! cabines privées !)
(avec baignoire !)
(1e classe !)
mais les plus modestes viennent aussi s’y laver...
...apprendre à nager ou simplement piquer une tête !
( entre hommes, dans le grand bassin )
bains chauds, bains froids, bains tièdes...
bains de vapeur et de boue...
en ces années 1910, le futur, c’est de l’eau...
...du sport...
...et des soins !
( eh oui, il y a même des dentistes et un gymnase par ici ! )
( dans L’aile médicale attenante ! ))
Et le futur...
( bonjour mesdames, dans le petit bassin ! )
...tout le monde veut en être...
(*l’espace (*l’espacedes des soins soins des des chiens chiens a a pourtant pourtant fermé dans les années années 1960, 1960, quelle quelle tristesse. tristesse.
...même nous !*
Gilles Kocher à la piscine du Wacken, où il travaille désormais et retrouve d'anciens habitués des Bains municipaux.
Regards d’usagers et d’experts sur les Bains d’hier, d’aujourd’hui et de demain.
Vous faites quoi dans vos Bains ?
Gilles Kocher Maître-nageur sauveteur
Les habitués se souviennent sans doute de lui aussi bien que lui se souvient d’eux : de ses 16 années aux Bains, l’éducateur sportif garde des souvenirs heureux et émus.
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Comme tous ceux qui ont fréquenté les Bains, Gilles Kocher en est tombé amoureux. Et s’il pouvait, confie-t-il, il y serait encore. « Tous les jours quand j’arrivais, je regardais le bassin avec le même plaisir. Je ne m’en suis jamais lassé. » Il se souvient très précisément de l'émotion qu’il a ressenti lorsque, adolescent, il entre aux Bains pour la première fois. « C’était comme un coup de foudre, je ne sais pas comment le dire autrement. » Il se découvre ici une passion pour le patrimoine. Quelques années plus tard, ce décor est devenu son quotidien. Dans ses moments de pause, il s’installe parfois dans l’entrée, savoure le regard émerveillé des touristes qui découvrent le lieu. Parfois, il s’amuse même à nettoyer les douches en cuivre pour qu’elles brillent encore plus. « Mes collègues me disaient : « Mais Gilou, tu en fais trop ! » En vérité, on adorait faire en sorte que ce soit propre et beau. On avait tous la même dynamique. » Un geste pour le lieu, mais aussi pour les usagers. Avec eux, enfants, adultes, séniors, qui viennent nager ou participer aux 30 à 35 animations par semaine, Gilles Kocher et toute l’équipe ont noué une relation unique. « Les vrais habitués, c’est l’âme des Bains. Grâce à eux, j’aimais encore plus cette piscine. Quand on a le sens du service public, on discute avec tout le monde. Les grands-mères me racontaient les années 60, quand elles venaient avec leurs parents, qui ont aussi appris à nager ici. Moi qui adore l’histoire, j’étais le bon client pour ça ! » Une relation unique avec le public D’après lui, ces relations privilégiées tiennent aussi à la configuration si singulière de la piscine, où tout prend place dans un même espace, du bassin aux cabines, des douches aux sèche-cheveux. « On est avec les gens tout le temps, on leur règle la température de la douche, on leur conseille celle qui a le plus de pression ou qui coule le plus longtemps. Je me souviens d’une dame qui, pendant plus de 10 ans, prenait toujours la douche froide et me disait systématiquement : « Ah, ça fait du bien ! » Elle ne m’a jamais dit autre chose ! » Il se rappelle aussi les habitués du matin, déjà en ordre à l’extérieur. Certains accrochaient leur sac à la poignée de la porte pour montrer qui était le premier. D’autres occupaient la même cabine depuis des décennies, et « même à 80 ans, ils marchaient vite, car cela faisait 40 ans qu’ils étaient les premiers dans l’eau ! » S’il prend plaisir à se replonger dans ses souvenirs et qu’il est toujours très attaché au lieu, il ne sait pas s’il reviendra y travailler. Mais en tant qu’usager, il ira, « ah oui c’est sûr ! »
L’aile médicale des Bains municipaux de Strasbourg fera elle aussi l’objet d’importants travaux : ses équipements « ne correspondent plus aux protocoles de soins actuels », comme le précise Peter Ardjoun, chef de projets à la direction de la construction et du patrimoine de la Ville de Strasbourg. Construite en 1910 par le même architecte (Fritz Beblo), elle se place perpendiculairement au bâtiment principal (à gauche lorsqu'on est face à l'entrée) et lui restera reliée. Les 1500m2 deviendront en 2023 l’un des 500 établissements bénéficiant à cet horizon du label national Maison Sport Santé. Gérée par un Groupement d'Intérêt Public porté par seize partenaires, « elle regroupera toutes les missions médicales d’activités physiques pour les personnes en affection longue durée, ce qu’on appelle le Sport Santé sur ordonnance, explique François Jouan, son directeur. Les enfants en surpoids ou souffrant d’obésité y bénéficieront aussi d’un accompagnement global. Elle doit également remplir une mission de sensibilisation », à destination des associations et des professionnels de santé. Le public pourra s’informer sur les dispositifs, et un laboratoire d’innovation développera et testera du matériel sportif ou des outils numériques liés à la pratique de l’activité physique. Les travaux devraient démarrer à l’été 2021, et auront à cœur de préserver les parties classées. Il s’agit, rappelle Peter Ardjoun, de « donner une deuxième vie à cet équipement, qui conserve sa finalité d’origine ».
La salle d’hydrothérapie au rez-de-chaussée de l'aile médicale des Bains est le seul espace intérieur classé. Le bâtiment comprenait également des salles de luminothérapie ou d’électrothérapie.
La Maison Sport Santé (MSS)
Pierre Tryleski Médecin généraliste
Pierre Tryleski a fait partie du comité de pilotage destiné à mettre en place le Sport Santé sur ordonnance à Strasbourg. Il nous éclaire sur le fonctionnement et les bénéfices de ce dispositif, que la MSS installée dans l’aile médicale des Bains va promouvoir. Qu’est-ce que le Sport Santé ? Ce dispositif concerne des pathologies chroniques – maladies métaboliques, cardio-vasculaires, obésité, troubles respiratoires… – qui bénéficient de traitements par le mouvement. À Strasbourg, ce dispositif est pris en charge par la municipalité et ne coûte rien au patient : c’est ce qu’on appelle le Sport Santé sur ordonnance. Le dispositif se déploie sur trois années à partir de la prescription par le médecin traitant, ensuite les gens sont autonomes. Aujourd’hui, on compte plus de 300 médecins prescripteurs à Strasbourg. Quelles sont les activités physiques concernées ? Celles qui visent à un développement du rythme cardiaque et au renforcement musculaire progressifs. Les activités qui recherchent la performance ne sont pas recommandables. Pour le reste, le type de sport est variable : gymnastique, basket, ping-pong, yoga… Je m’appuie sur un éducateur sportif qui évalue les compétences et propose des activités. Quelqu’un qui ne peut pas bien marcher sera plutôt orienté vers une acti vité en piscine ou à vélo. Chaque club peut développer des activités.
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Comment vos patients reçoivent-il ce dispositif ? Avec le développement des mobilités douces et actives, le climat est favorable au fait de bouger. Et les retours des patients sont tellement bons qu’ils font une sacrée pub ! Beaucoup me le demandent et la Ville communique bien sur le sujet : un cercle vertueux se met en place. Quels effets avez-vous mesuré ? On sait depuis longtemps que la pratique sportive est favorable à la santé. Sur la durée, cela réduit la morbidité des pathologies, la consommation de médicaments, les inégalités sociales de santé. Mais un c ertain public n’y accède pas. Plus les situations de vie sont complexes et précaires, plus les gens renoncent à ce qui est bon pour leur santé. Ils se pensent trop malades, trop moches, trop vieux, ou n’ont pas le temps. La prescription est un vrai outil car, en tant que médecin, on n’est plus juste en train de donner un bon conseil. Elle a permis à des gens éloignés des pratiques sportives d’y revenir. Car la vraie santé dépasse le seul aspect sanitaire !
William Gasparini Sociologue
Natation ou pratiques natatoires ? Qui fréquente les piscines et pour quoi faire ? Professeur à l’université de Strasbourg, spécialiste des politiques et des pratiques sportives, William Gasparini fait le point sur les usages d’une piscine contemporaine.
Le Petit bassin des Bains municipaux en 2013.
Que représente la natation dans l’ensemble des pratiques sportives des Français ? 12 millions de Français déclarent pratiquer la natation de loisirs, et 6% nager au moins une fois par semaine, ce qui en fait la 2e activité après la marche et avant le vélo. Mais il convient de nuancer. Je parlerais plutôt de pratiques natatoires, qui englobent le fait de s’amuser dans l’eau, de se détendre, et de pratiquer plusieurs activités qui ne sont pas de la natation. Fréquenter une piscine ne signifie pas forcément y nager.
Pour quelles raisons est-elle aussi populaire ? C’est une activité estivale, associée à la détente, qui ne coûte pas cher et ne nécessite pas de longs apprentissages. Même si on ne sait pas nager, on peut se baigner. De plus, la France est à la croisée de plusieurs cultures. Dans la culture latine, aller aux bains est une habitude depuis l’Antiquité et se baigner (sans forcément nager) est très populaire dans le sud. Dans la culture germanique et nordique, alterner bain chauffé puis froid est une tradition. Nous sommes aussi influencés par la culture anglo-saxonne, qui a inventé la natation sportive chronométrée. Tout ceci explique la diversité des pratiques dans les piscines. Comment cet engouement a-t-il évolué dans le temps ? Il s’est construit à partir du début du 20e, surtout dans l’entre-deuxguerres. Au lieu de rester en bord de mer ou de lac, les gens entrent désormais dans l’eau. À partir des années 1920 [plus tôt dans les pays germaniques, NDLR], on commence à construire des établissements de soins et de bain où l’on va pour se laver et se baigner. Dans les années 60, on construit les piscines couvertes avec des bassins aux normes de la natation sportive, que l'on enseigne désormais à l'école.
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Sociologiquement, qui fréquente les piscines ? Majoritairement des jeunes en groupe, dans les piscines en plein air l’été, et pas forcément pour nager. Les adultes viennent soit seuls pour faire des longueurs, soit en famille mais pour se détendre. Les seniors viennent pour nager ou bouger dans l’eau. 55% des usagers sont des femmes, qui participent à des activités comme l’aquagym. Concernant les catégories socio-professionnelles, il y a peu d’enquêtes. C’est plutôt une activité de classe moyenne, les classes populaires fréquentent davantage les bords de mer, les lacs, les rivières ou à Strasbourg les gravières. Quant aux Bains municipaux, on y vient pour se détendre, car ce n’est pas une piscine pour nageurs. Quels sont les publics difficiles à atteindre ? Pour quelles raisons ? Les personnes en situation de handicap, car toutes les piscines ne sont pas adaptées. En Seine Saint-Denis, un élève sur deux ne sait pas nager lorsqu’il entre au collège. Les piscines sont en nombre insuffisant mais il y a aussi un problème de compétences : les professeurs des écoles ne se sentent pas à l’aise, ils confient le groupe aux maîtres-nageurs qui ne sont pas assez nombreux. Et puis les adolescents ne veulent pas se montrer en maillot de bain. C’est assez classique mais c’est aussi lié à des questions culturelles. Certaines villes ont ouvert des créneaux réservés aux femmes mais cela pose un problème de cloisonnement des genres et d'apprentissage de la mixité.
Portraits des femmes et des hommes à pied d’œuvre sur le chantier des Bains municipaux de Strasbourg.
Jean-Robert Guirao sur le chantier des Bains romains, au 2e étage.
Attention travaux !
Jean-Robert Guirao Directeur de projet
Le chantier est mené par Eiffage Construction Alsace associé à l’agence Chatillon Architectes (architecte mandataire) et à l’agence TNA, spécialisée dans les équipements aquatiques.
Il en a pris pour trois ans, de la conception du projet à la remise des clés au maître d’ouvrage, la SPL Deux-Rives. Jean-Robert Guirao est le fier directeur de projet des Bains municipaux pour Eiffage : parfois un casse-tête, souvent passionnant.
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Alors, ce serait lui le grand chef. L’interlocuteur à la fois du maître d’ouvrage, des équipes « qui font tourner le chantier » au quotidien, de François Chatillon, architecte en chef des Monuments Historiques, de la Direction Régionale des Affaires Culturelles – qui tous deux s’assurent que la restauration des parties classées du bâtiment respecte l'œuvre originelle –, de l’architecte responsable des zones neuves (les nouvelles constructions comme le bassin nordique) Thierry Nabères et du pompier référent sécurité. Ce serait lui, le grand manitou. Que nenni. « Ici, tout le monde est chef. » Une plaisanterie qui dit bien l’ampleur de sa mission : en plus de coordonner tout ce petit monde, de s’assurer que les travaux correspondent au projet rendu et validé, un directeur de projet est aussi un manager. « Parce que le bâtiment, c’est surtout de l’humain », précise-t-il. Il faut trouver des réponses aux questions des ouvriers et techniciens, aux problématiques qui volent en escadrille et entrent souvent en collision. Ici, le défi est triple : préserver l’ouvrage, le mettre aux normes et surtout, livrer dans les délais un équipement qui fonctionne. « Respecter tout ce qui peut l’être » Et on a beau être préparé, des surprises ne manquent jamais d'apparaître en cours de chantier. Le cas de ces portes, par exemple, qui au premier étage doivent fermer deux espaces d’attente « sécurisés » et donc être coupe-feu pour respecter les normes. Pour assurer la sécurité du public, il faut un dégagement suffisamment grand. Conclusion : soit les portes sont conservées mais l’espace ne pourra pas être utilisé, soit elles devront être remplacées. La décision appartient à la DRAC. Pour Jean-Robert Guirao, c’est une nouveauté. Certes, il a déjà travaillé sur le gros œuvre de la BNU, mais jamais il n’avait été confronté à l’aménagement et à la décoration d’un bâtiment classé. « Quand on travaille sur du classé, tous les métiers sont adaptés. » Ici, on croise même des menuisiers chargés de greffer du bois sur les portes pour les conserver… Un chantier « enrichissant » qui l’accapare 20 heures par jour. Alors après tout ça, Jean-Robert Guirao compte bien, pour la première fois, profiter des Bains devant lesquels il passait lorsqu’il était sur les bancs de l’INSA voisine. « Quand je serai obligé de payer ma place pour entrer ici, ça va être quelque chose ! »
Pierre Kieffer et Jonathan Schnee Électriciens
Installée à Geispolsheim, l’entité Nord Alsace de Vincentz a en charge tous les travaux électriques du site.
À 35 ans, le chef de chantier Jonathan Schnee est le plus vieux de son équipe de six ouvriers, « tous motivés ». Une équipe fixe, car chacun doit connaître les contraintes du projet. Et des contraintes, il y en a ! Justement, c’est ce qui les passionne, « car ce n’est pas du copier- coller ». Leur boulot, c’est de trouver des solutions pour tout refaire sans rien abîmer. Ça a commencé par une phase de repérage. Comme il est hors de question de percer le moindre trou dans les murs, et que de toute évidence il n’y a pas de plan du réseau électrique, il a fallu retrouver les anciens cheminements. Une phase un peu tendue : Pierre Kieffer, le chargé d’affaires qui nous accompagne aussi sur le chantier, l’appelait tous les soirs, un peu stressé… À la place des fils anciens, il faut faire passer les câbles modernes, beaucoup plus larges. « Les éclairages actuels sont moins énergivores, précise Jonathan Schnee, on peut mettre plus de lampes sur moins de circuits. » Tout est mesuré au centimètre près. « On a une réunion sur site avec toutes les entreprises les lundis et mardis, explique Pierre Kieffer, on fait une maquette des réseaux en 3D et on regarde les conflits. » Conclusion : « Ça rentre au chausse-pied ! » Désormais, il s’agit de remplacer les luminaires classés, une centaine en tout. La plupart seront restaurés par Concept Light (groupe Vincentz), et équipés de sources LED aux normes actuelles. Certains, trop abîmés, seront reproduits à l’identique. Le premier modèle est prêt, ne manque plus que la validation par l’architecte et la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles), comme pour tout bâtiment classé. Ils ont déjà donné le go pour la ventilation et l’éclairage (désormais aux normes), qui intègrent les cheminées au plafond du Grand bassin, dans une grille en nid d’abeille fabriquée sur mesure dont on jurerait qu’elle a toujours été là. Pour ce travail en hauteur, pas question non plus de s’accrocher aux parois, comme on peut le faire pour une construction neuve. Un échafaudage avec plateforme permet à toutes les entreprises de travailler au plus près de la voûte. En résumé, il s’agit ici de livrer une installation qui préserve et valorise le lieu tout en respectant les normes actuelles, y compris énergétiques. Parfois, cela équivaut à rentrer des ronds dans des carrés. Mais « il faut qu’on fasse aussi bien qu’à l’époque », dit Pierre Kieffer. Et Jonathan Schnee conclut : « D’ailleurs on se le dit souvent : à l’époque, ils travaillaient vraiment bien ! »
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Quand on restaure la partie classée des Bains municipaux, « on ne peut pas se louper ! » Sur les travaux électriques comme pour le reste, mettre l’ancien aux normes est un vrai challenge.
En haut : sous la voûte du Grand bassin, Pierre Kieffer et Jonathan Schnee déballent l’une des nouvelles boules lumineuses. Ces éclairages, plus tardifs, ne sont pas classés et ont été remplacés. En bas : remise en place d’un luminaire classé et restauré sous la Rotonde, qui accueillera toujours l’entrée du public.
En haut : les études stratigraphiques sur les portes des cabines de change révèlent les différentes couches de peinture posées au fil des années. Dans le carré du haut, apparait le bois de la porte. En bas : Katia La Grasta travaille sur la coupole de la Rotonde, où le solvant révèle un gris très clair et une corniche « sans doute jaune ».
Katia La Grasta Restauratrice du patrimoine
Formée en Italie, Katia La Grasta a travaillé notamment au Château de Chambord et à la Droguerie du serpent à Strasbourg. Elle oeuvre ici pour Fischer Peintures.
De quelles couleurs étaient donc les Bains à l’origine ? Pas tout à fait les mêmes qu’aujourd’hui, mais pas tout à fait d’autres non plus, comme le révèlent les études stratigraphiques en cours.
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Des petits carrés de couleurs qui émaillent les murs, les maçonneries, le bois des cabines de change… Katia La Grasta est passée par là. À tous ces endroits stratégiques, avec son bâtonnet coiffé de coton ou son scalpel, elle dégage les couches de peinture superposées jusqu’à atteindre la première, puis d’arriver au support dont on peut ainsi mieux identifier la matière. Avec beaucoup de minutie, dans une démarche proche de l’archéologie, elle révèle les couleurs d’origine, celles que l’architecte Fritz Beblo avait choisies pour son bâtiment. « La couche la plus récente est souvent une peinture à l’acrylique, précise Katia La Grasta. En grattant, on tombe sur des couches minérales, des peintures à base de chaux, de silicate, de quartz. » Le nombre de couches est variable : les deux niveaux de l’entrée, sous la Rotonde, ont été repeints à plusieurs reprises, la coupole moins souvent, sans doute pour des questions d’accessibilité, et les cabines aussi : deux fois seulement depuis l’origine. Sous le scalpel, pas de surprises spectaculaires : la palette d’origine est assez subtile, avec très peu de couleurs. On a laissé les différentes surfaces et matières se révéler elles-mêmes. « L’effet géologique des murs est très beau, très Renaissance, constate Katia La Grasta. Mais à force de repeindre, la peinture remplit les creux du mur et cet effet disparaît. » Parfois, elle met à jour des incohérences étonnantes : la maçonnerie de la porte d’accès aux Bains romains, au premier étage, a un jour été repeinte d'une couleur à gauche, d'une autre à droite. Il y a aussi des découvertes. Les cartouches au-dessus des accès aux Petit et Grand bassins ainsi qu’aux Bains romains ne ressemblaient pas à ceux qu’on a gardés en mémoire. « L’écriture d’origine est dorée sur une base rose pâle [et non bleu sur blanc, NDLR]. Et elle est en allemand ! On retrouve ici le parcours historique du bâtiment. » Qu’adviendra-t-il des couleurs et de la langue ? Pour l'heure, la décision reste à prendre. « On n'a pas non plus encore validé les teintes. On doit d’abord faire une simulation des espaces avec les couleurs. Ensuite, on fera des échantillons sur place, pour voir comment elles fonctionnent ensemble. » Katia se chargera alors des parties polychromes ou des restaurations (on peut décider de restaurer ou de refaire à l’identique), quand les peintres travaillent les plus grandes surfaces. Le travail minutieux, c’est décidément son rayon !
Le journal de chantier
Promenade onirique dans un bâtiment en pleine transformation par Violaine Leroy
Les Bains municipaux en un clin d’œil Ouverture prévue Hiver 2021
Un lieu public etit et Grand bassins P historiques seront accessibles selon la tarification en vigueur dans les piscines publiques de l’Eurométropole de Strasbourg. es douches publiques L restent accessibles. a cour arrière des Bains L pourra s’ouvrir sur le quartier et accueillir des événements culturels.
Une nouvelle offre bien-être Elle se développe en complément des Bains romains historiques n espace entièrement neuf U est créé au rez-de-chaussée avec un sauna, une grotte à sel, une douche de rhassoul ainsi qu’un jacuzzi. et espace bien-être est C prolongé en extérieur par un bassin nordique (balnéo), un sauna extérieur et un jardin de fraîcheur pour se détendre. es ailes est et ouest des L Bains seront dédiées aux soins du corps et notamment aux massages.
De nombreuses activités Elles s’adressent à tous les âges et tous les niveaux Apprentissage de la natation, des plus petits aux plus grands. Séances de sport dans l’eau (gymnastique, fitness, aquabike et plus encore…). L’ancienne Chaufferie se transforme en salle de sport (musculation, cardio, remise en forme...) et proposera un espace dédié à des ateliers de nutrition (bilans diététiques et coachings nutritionnels). Des créneaux seront alloués au Sport-santé sur ordonnance pour les malades chroniques. Qui fait quoi sur le chantier ? La SPL Deux-Rives est en charge de la maîtrise d’ouvrage pour le compte de la Ville de Strasbourg. Le chantier est mené par Eiffage Construction Alsace associé à l’agence Chatillon Architectes (architecte mandataire) et à l’agence TNA, spécialisée dans les équipements aquatiques. Le bâtiment est et demeurera une propriété de la Ville de Strasbourg. À terme, Equalia en assurera l’exploitation.
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