HORS-SÉRIE N° 14
Festival Via 2017
7 → 22.11
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Entretien avec Géraud Didier directeur du Manège Maubeuge et programmateur de VIA
La programmation
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— 3D Water Matrix
Installation numérique ST\LL de Shiro Takatani The Sorcerer’s Apprentice de Christian Partos Ghost d’Ulf Langheinrich
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— Smart Factory
Exposition interactive Niklas Roy | SoKANNO & Yang 02 Karina Smigla Bobinski | Chris Verdonck
09 — Goya
Spectacle déambulatoire Christophe Greilsammer
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— De la démocratie en Amérique Théâtre Romeo Castellucci
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— Words to animals
Théâtre - Musique - Danse Valéry Warnotte
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— Perhaps All The Dragons Théâtre - Numérique Collectif Berlin
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— La Face cachée de la lune Théâtre Ex Machina / Robert Lepage
30 — Vader
Théâtre – Musique - Danse Peeping Tom
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Focus partenaire
Interview avec Anne Vergara directrice de l’École supérieure d’art de Valenciennes
— L’Origine du monde Performance musique-numérique Pascal Contet & Miguel Chevalier
Directeur de la publication Bruno Chibane Rédactrice en chef Sylvia Dubost Design graphique Clémence Viardot Rédaction Emmanuel Abela, Marie Bohner, Cécile Becker, Caroline Châtelet, Sylvia Dubost, Antoine Ponza Relectures Cécile Becker Couverture 3D Water Matrix de Shiro Takatani ©Patrick Alac
Imprimeur Imprimerie Rochelaise Dépôt légal septembre 2017 ISSN 2105-6331 Tirage 3000 exemplaires Ce hors série du magazine NOVO est édité par Chicmedias et Médiapop
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Chicmedias 12, rue des Poules 67000 Strasbourg 03 67 08 20 87 Médiapop 12, quai d'Isly 68100 Mulhouse
Connexions Arrivé à la tête du Manège en 2016, Géraud Didier signe ici son premier festival VIA, dont c’est la XXe édition. Avec l’intention de poursuivre la construction de l’édifice sur ses fondations-mêmes, et de déplacer les regards…
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Le festival VIA a-t-il changé ? Est-il toujours consacré au rapport entre scènes et nouvelles technologies, comme l’indiquait le sous-titre ? En fait, la problématique était surtout celle des nouvelles écritures. Et c’est tant mieux, car si chaque spectacle doit répondre à une question de manière orthodoxe, le festival devient un exercice de style. La question est plutôt : qu’est-ce qui fait modernité ? Quelles sont les nouvelles formes ? Le numérique en fait partie. Je suis très attaché à ce festival, qui est une composante majeure de l’ADN du Manège, et cultiver cet ADN fait partie du projet qui vient. Il s’agit plutôt de renouveler VIA, de le muscler, avec des éléments de nouveauté et de continuité, et de conserver la tradition de l’innovation, de la curiosité et de la modernité engagée à l'époque par Didier Fusillier avec ce festival. Faire de cet héritage nouvelle fortune, c’est mon boulot. Comment se situe le festival par rapport à la saison du Manège ? C’est un point de concentration, et presque un moment paradigme, où l’on accentue ces trois éléments [innovation, curiosité et modernité, ndlr]. Ce festival doit avoir la capacité de les densifier, de les surexposer. On traque des œuvres au positionnement esthétique fort, des objets modernes et cosmopolites, qui ont leur propre langage, pour montrer comment, dans des écritures contemporaines, la nouveauté est toujours réinventée. Elle intervient par les nouvelles technologies, et parfois par d’autres biais. On ne s’interdit rien avec VIA. On est peut-être ici ou là moins numérique, mais ce n’est pas un problème : le numérique est une expression spécifique mais pas une valeur absolue. La valeur exploratoire du festival, c’est ce qui compte. Aller chercher des terrains nouveaux, inconnus, les offrir au public et leur donner un mode d’emploi pour qu’ils puissent bien les traverser.
On a le sentiment que cette édition cherche à s’ouvrir à un public plus large… VIA est déjà une manifestation connue et reconnue, et un moment rassembleur. Il s’agit de le doper, de l’ouvrir encore à un plus grand nombre de gens, sans rien lâcher sur l’exigence. VIA doit aussi être la preuve que le spectacle vivant contemporain peut être un art populaire. Quel est pour vous le rôle du festival ? On est dans un endroit pas facile, pas immédiatement métropolitain, dans un territoire en souffrance économique. Il s’agit de rester connecté, en contact avec la création dans ce qu’elle peut apporter de réouverture, de renouvellement, de réinitialisation. Dans des territoires où se pose la question du réemploi, être en lien avec quelque chose qui a valeur de laboratoire est une opportunité. Ce territoire se redonne ainsi les moyens d’un futur, et pour faire cela, il faut rester en prise avec la temporalité présente, avec les objets du monde, pour ne pas se retrouver décroché ou ringardisé. Une manifestation comme celle-là peut faire voyager les corps et les esprits vers une modernité heureuse et ludique, qui se réinvente sans cesse : ça fait leçon. Aujourd’hui, on a le devoir de se réinventer, dans nos fantasmes, dans nos vies professionnelles, dans la façon de concevoir une famille. C’est ce à quoi nos vies nous obligent. Ce festival témoigne de la manière par laquelle les artistes imaginent, proposent ou redéfinissent de nouvelles formes. Il y a un double aspect physique et métaphysique, explorer des formes qui stimulent et aident un territoire en plein renouvellement. Ce n’est pas un gadget, ce n’est pas stylistique, même si c’est un bel événement. On ignore toujours les effets d’entraînements que cela peut avoir chez les gens, mais on sait que les habitants ont une vraie tendresse pour ce festival car il a été l’occasion de vraies découvertes, et que des expériences ont pu faire leur chemin, individu par individu.
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“Aujourd’hui, on a le devoir de se réinventer.” Y a-t-il une ligne directrice dans la programmation de cette année ? Quelque chose s’est révélé une fois la programmation terminée : une attention portée à un certain nombre d’artistes qui sont des imagiers de l’insolite. Romeo Castellucci, Robert Lepage, Peeping Tom sont des artisans en iconographies sublimes, avec cette dimension d’œuvre d’art total qui nous fait basculer dans des territoires de visions et d'émotions. La 3D Water Matrix conçue par Shiro Takatani et Christian Partos engage le même processus. Les artistes qui développent leur programme sur les possibles de cette machine ultra-technologique nous emmènent vers un moment hypnotique, une sorte d’opéra contemporain qui aurait comme élément conducteur unique l’eau qui tombe. Offrir au regard c’est donner matière à rêver et à penser. Toutes les images ne sont pas ça, certaines abrutissent, mais d’autres construisent. L’exotisme, c’est autre chose que les paillettes et les plumes dans le cul, c’est être embarqué pour une destination inconnue. Ce n’est pas de l’exotisme de façade, cela devient la possibilité de voyager dans son corps, dans ses sensations. On essaye de cultiver cela, dans la saison du Manège et dans le festival. Je crois beaucoup à la vertu du déplacement. Fabriquer de bons transports, c’est un peu ça, notre travail. Propos recueillis par Sylvia Dubost
07.11 → 19.11 TARIF — 3€ (billet commun exposition Smart Factory + 3D Water Matrix)
Manège Maubeuge
Installation numérique
3D Water Matrix
ST\LL de Shiro Takatani - The Sorcerer’s Apprentice de Christian Partos - Ghost d’Ulf Langheinrich
07.11
18h → 23h
08.11
9h → 12h | 14h → 22h
09.11 | 10.11 | 13.11 14.11 | 15.11 9h → 12h | 14h → 18h
16.11 | 17.11
9h → 12h | 14h → 23h Sam.
11.11 | 18.11
10h → 12h | 14h → 18h Dim.
12.11 | 19.11
14h → 18h
Vernissage le 10.11 18h
IDÉE ORIGINALE Shiro Takatani, Richard Castelli CONCEPT Richard Castelli DIRECTEUR DE PROJET Juan Carretero (Lumiartecnia) CHEF DE PROJET Francisco Carretero (Lumiartecnia) DÉVELOPPEURS DE LOGICIELS Joan Chaumont et Pierre Laborde (3D Water Matrix), Ken Furudate (ST\LL et Ghost) TOURNAGE KINECT (GHOST) Matthias Härtig PERFORMANCE (GHOST) Luo Yuebing CONSULTANT LUMIÈRES Ulf Langheinrich PRODUCTION Epidemic Co-commande de la Cité des sciences et de l’industrie, Paris Installation présentée en partenariat avec les Halles Schaerbeek - Bruxelles
Photo : Patrick Alac
Ce n’est pas tous les jours qu’on voit apparaître un nouveau média. La 3D Water Matrix est un écran où les gouttes d’eau délivrées par 900 valves contrôlées par ordinateur permettent de créer des images en très basse résolution (30x30 pixels), que la gravité fait chuter pour leur donner une 3e dimension. L’artiste japonais Shiro Takatani, co-fondateur du collectif Dumbtype en 1984, avait eu l’idée de cette interface en 2001, mais elle était encore impossible à réaliser techniquement. Aujourd’hui, il n’existe de cette Water Matrix qu’un seul exemplaire, avec lesquels les artistes créent des œuvres par conséquent uniques. Ces pièces sont des programmes informatiques qui se matérialisent en des
sculptures d’eau mouvantes et sonores, auxquelles la lumière réfléchie par les gouttes et le rythme de leur chute confère un caractère hypnotique. Trois pièces ont pour l’heure été composées pour la matrice, et sont présentées en boucle. ST\LL de Shiro Takatani, qui intègre l’eau depuis longtemps dans ses installations, est une œuvre graphique et très mathématique, un peu brutale et âpre, à l’effet stroboscopique. Le Suédois Christian Partos a beaucoup travaillé avec la lumière et proposé de nombreuses installations dans l’espace public. Il présente ici The Sorcerer’s Apprentice, un rideau de pluie où se dessinent des formes, explorant au maximum les possibilités sculpturales de l’interface. Dernier artiste
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invité en date : Ulf Langheinrich, co-fondateur de Granular Synthesis, duo d’artiste qui malaxe la vidéo et le son depuis le début des années 90. Il a régulièrement travaillé sur le corps et a composé pour la matrice la pièce Ghost. Contrairement à l’exposition Smart Factory, la technologie ne fait pas ici disparaître l’artiste, elle lui permet au contraire d’explorer de nouvelles formes, de nouvelles sensations. Avec cet instrument d’un genre nouveau, il compose et sculpte à la fois, avec une dimension magique et poétique : à travers la 3D Water Matrix, l’artiste fait tomber la pluie et modèle la lumière. Comme une réinvention pertinente et percutante des jeux d’eau. (S.D.)
Exposition
Smart Factory
Ada de Karina Smigla Bobinski - Photo : droits réservés
10.11 → 19.11 TARIF — 3€ (billet commun exposition Smart Factory + 3D Water Matrix)
Espace Sculfort Maubeuge
Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? Lamartine déjà s’interrogeait, la mécanisation puis l’informatisation croissante de la société n’ont cessé de réactiver la question, nourrie par la littérature, la bande dessinée et le cinéma, de Philip K Dick (Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques) à Stanley Kubrick (2001, Odyssée de l’espace) en passant par Masamune Shirow (Ghost in the Shell). Aujourd’hui, le sujet n’est plus de la science fiction, les intelligences artificielles toujours plus malléables et moins coûteuses le rendent
13.11 | 14.11 | 15.11 9h → 12h | 14h → 18h
16.11 | 17.11
9h → 12h | 14h → 23h Sam.
11.11 | 18.11
10h → 12h | 14h → 18h Dim.
12.11 | 19.11
14h → 18h
Vernissage le 10.11 19h
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pertinent comme jamais. De technique et métaphysique, il devient social, en s’associant à une nécessaire réflexion sur la valeur et la notion de travail. Si celui-ci peut être effectué par des robots, pourrait-on voir des œuvres sans artistes ? Smart Factory propose quel-ques pistes à travers quatre modes de production autonomes. Instant Art Career de Niklas Roy est une machine actionnée par des cordes et des poulies qui permet à chaque spectateur de peindre une toile, ensuite vendue aux enchères, transformant tout un chacun en artiste
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Semi-senseless drawing modules de SoKANNO & Yang 02 - Photo : droits réservés
accédant à ses 15 minutes de gloire. Avec beaucoup de légèreté Niklas Roy remet en question le statut de l’artiste et de l’œuvre. Dans Semisenseless drawing modules de SoKANNO & Yang 02, des stylos activés par des robots griffonnent un mur ; leurs mouvements sont fonction du flux du public, du volume de l’espace, de la température et de l’humidité. Le titre de l’œuvre laisse entendre que ces robots ne sont pas totalement dénués de conscience et d’émotion, reprenant ainsi ici une réflexion fondamentale de la culture pop. Une sphère gonflable et rebondissante hérissée de fusains noirs, aux mouvements erratiques à peine guidées par les spectateurs, rature le sol et le plafond. Ada de Karina Smigla Bobinski est un hommage à Ada Lovelace, mathématicienne britannique et héroïne de la culture geek, auteur en 1843 du premier programme infor-
Brass de Chris Verdonck - Photo : Jasmijn Krol
Smart Factory est produite par le Tetris avec le soutien du Groupement d’Intérêt Public Le Havre 2017, le Fort !, l’association Marc et les entreprises havraises Publimage, HNP, STEG Elec, GNC Menuiserie. En partenariat avec Le Manège / Maubeuge et la Biennale Internationale des Arts Numériques (NEMO).
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matique, qui avait déjà l’intuition que la machine pourrait produire autre chose que des calculs. Qu’elle pourrait donc être dotée d’une âme, comme cette sphère qui tente sans cesse de s’échapper… Dans Brass de Chris Verdonck, un orchestre fantôme de sousaphones joue sans musiciens (notamment la BO de Ghost in the Shell, boucle bouclée…). Là encore, l’œuvre n’a plus besoin d’humains, en tout cas pour être jouée. Et pour être composée ? Resterat-il quelqu’un pour l’entendre ? À qui est-elle dès lors destinée ? Que les œuvres suggèrent un monde qui vient avec ou sans humains, elles laissent entendre que dans tous les cas, celui-ci ne sera pas sans art. Elles réactivent ainsi avec une vigueur toute actuelle les questions de la création, du spectateur et de la valeur de l’œuvre. (S.D.)
Spectacle déambulatoire
Goya
Christophe Greilsammer / Cie L'Astrolabe Texte de Rodrigo Garcia
07.11 + 08.11 19H | 22H
09.11 18H | 20H
DURÉE — 1H TARIFS — 9/12€
Spectacle déambulatoire Départ bus : —Le Manège Maubeuge 07.11 & 08.11 à 19H 09.11 à 18H et 20H — La Luna Maubeuge 07.11 & 08.11 à 22H
U
n père de 50 ans décide de dépenser les maigres économies d’une vie pour offrir à ses jeunes fils une expérience qu’il juge inoubliable. De la coke, de la philosophie, un casse au musée du Prado pour admirer les Noirs de Goya en tête à tête. Et Disneyworld, alors ? Goya est une invitation punk à l’aventure et à la piraterie, une lecture de ce que peut être un acte de transmission d’une génération à une autre. D’un monde vide de femmes et franchement désespéré, le texte de Rodrigo Garcia propose une fuite en avant, en forme de doigt d’honneur à une société médiocre et perdue, mais dans laquelle on peut, au bout de la folie, trouver une lumière inédite. Elle arrivera – peut-être - sous la forme d’un rapport intime à l’œuvre d’art. Christophe Greilsammer nous embarque dans un spectacle déambulatoire, voyage initiatique à travers l’espace urbain, où le spectateurpromeneur retrouvera des lignes d’horizon à la fois familières et étrangères. Une invitation à faire fi des codes établis pour renverser les regards, avec un peu d’autorité, beaucoup de clownerie, le meilleur de la fête et une volonté farouche d’être différent. (M.B.)
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CHRISTOPHE GREILSAMMER Christophe Greilsammer aimerait rencontrer Rodrigo Garcia. Il y a dans ses textes la force et la mélancolie qu’il se plaît à explorer en tant que metteur en scène. Et puis, c’est l’avantage de travailler sur des auteurs vivants : il y a la perspective de l’échange. Si Goya lui parle plus particulièrement, tout comme Agamemnon d’ailleurs, c’est parce qu’il y est aussi question de transmission. La recherche pédagogique est au cœur des enjeux de sa compagnie, L’Astrolabe, basée à Strasbourg. Christophe Greilsammer enseigne depuis 2004 l’Art dramatique au Conservatoire de Mulhouse et à l’Université Marc Boch à Strasbourg. S’il a fait un tour comme assistant de direction au Maillon à Strasbourg en 1991, il le quittera dès 1995 pour se consacrer à sa compagnie. Sa recherche artistique se concentre sur les points de croisements de formes esthétiques d’origines multiples. Cela lui donne l’occasion de multiplier les projets hybrides, avec certains complices réguliers comme le DJ T-Killa ou la plateforme culturelle et artistique des Nuits électroniques de L’Ososphère. (M.B.)
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Photo : Bertrand Gondouin
Il est interdit d’interdire TEXTE Rodrigo Garcia MISE EN SCÈNE Christophe Greilsammer MUSIQUE Samuel Colard IMAGES Bertrand Gondouin AVEC Xavier Brossard et DJ T-Killa PRODUCTION Festival Ososphère et festival Trans(e) / La Filature – Scène Nationale de Mulhouse. Avec le soutien de la Ville de Strasbourg et de la Région Grand Est. Avec l’aide de Flecher Voyages (Ohnenheim).
— Entretien avec Christophe Greilsammer Christophe Greilsammer et sa compagnie L’Astrolabe tournent autour du Goya de Rodrigo Garcia depuis 2009, date de la création du spectacle lors du festival de L’Ososphère à Strasbourg. Au-delà de la noirceur, le metteur en scène y puise de l’espoir. Comme le bleu du ciel surgi en fond du terrifiant Combat de gourdins de Goya, le tableau qui a inspiré Rodrigo Garcia pour l’écriture de ce texte. C’est la mise en route d’une action qui guide la trajectoire de Goya, la décision de lutter éperdument contre l’immobilité et la consommation. L’arrivée inopinée de Peter Sloterdijk, « philosophe à la mode » et volontiers provocateur qui vit et travaille à Karlsruhe, fait sortir le texte du huis clos familial pour l’inscrire dans une révolte sociétale.
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On va agir, on en parle – agir, oui, mais pour faire quoi ? Au bout de la course, il y a l’art. Comme un rempart contre une société viciée. On retrouve toute la puissance que Rodrigo Garcia confère au déplacement volontaire vers l’art : « Je vivais dans un quartier périphérique de Buenos Aires, où les gens n’avaient pas de livre à la maison, et n’avaient donc aucun rapport à la culture dite noble. Pour moi, du coup, lire un livre, aller au théâtre, ou aller à la cinémathèque voir un film de Fassbinder, c’était comme une solution, et même comme une manière de me sauver. » (Extrait de Rodrigo Garcia, Écrivains de plateau de Bruno Tackels, Les Solitaires Intempestifs) Conversation à battons rompus avec Christophe Greilsammer, qui fait de cette course folle une expérience fondatrice de l’art de jouir… de l’art.
Le regard du programmateur « Ce qui m’a intéressé, c’est d’abord l’originalité d’un voyage, car ici le transport n’est pas métaphorique, mais celui de nos corps dans un bus, avec lequel on traverse pour de vrai un paysage. Et puis il y a un 2e voyage au sein du premier, avec tout l’iconoclasme de Rodrigo Garcia. Il y a cette obsession chez lui de parler de la peinture de Goya ; il le fait ici par effraction, d’une certaine manière, puisque dans cette virée avec alcool et substance, on finit par parler philo et foot et on termine au Prado. Il y a quelque chose de délirant et d’amusant. On sent que ce n’est qu’une provocation, mais elle est libératoire. Rodrigo Garcia nous dit qu’on n’a pas besoin de tout casser pour se libérer, qu’on peut déjà se libérer dans sa tête. »
Le caractère déambulatoire du spectacle permet aux spectateurs de vivre une expérience sensible… J’avais envie que le spectateur se retrouve touriste de sa propre ville. Par cette expérience, le spectateur vit à la fois la contrainte d’être baladé sans savoir où il va, et la liberté de porter son attention au-delà de l’acteur. Pourquoi est-ce important d’être dans la ville ? Parce que c’est là que la société de consommation, même si ce mot est presque usé aujourd’hui, s’exprime avec le plus d’arrogance, de vulgarité. C’est là qu’elle met le paquet, qu’il faut essayer de venir nous tirer notre pognon – nos dérisoires 5000 euros d’économies. Cette volonté du père de transmettre à ses enfants, de façon aussi autoritaire, n’est-elle pas une façon d’imposer ses propres expériences ? Rodrigo Garcia en joue, s’en amuse. Son père était boucher. D’où le nom de sa compagnie, Carniceria Teatro. Son père n’avait qu’une seule envie, c’était que son fils reprenne la boucherie. Lui, par contre, voulait faire de la philosophie. Le compromis, c’était qu’il rentre dans une école de commerce. Il a commencé à travailler dans la pub, et cet argent lui a permis de se payer des cours de théâtre. Le rapport au père se fait donc dans la lutte. Le père de la pièce impose les choses d’autant plus fort qu’il fait face à Disneyworld. Ce texte date de 2006, il fait encore partie de la période où Rodrigo Garcia cogne sur la malbouffe et le libéralisme. Ces éléments s’imposent avec une telle puissance que tout ce que l’on peut y opposer c’est ce père, cocaïnomane, surchauffé, probablement violent… Que ce soit Goya, Borges (un autre monologue de l’auteur) ou Rodrigo Garcia, ils ont tous des regards sombres et violents sur leur société. Est-ce une fatalité ? J’ai essayé d’en tirer quelque chose de ludique. C’est encore possible de le faire avec les textes de cette période. Je ne sais pas comment je monterai le Rodrigo Garcia qui s’écrit aujourd’hui. Avec Goya, je peux proposer quelque chose à mon équipe autour de cette idée du clown. On retrouve cela aussi dans le texte Agamemnon, que j’adore. C’est une folie furieuse, terrifiante,
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mais qui me fait mourir de rire. C’est aussi le monologue d’un père, qui pète un plomb en faisant de la géopolitique avec des déchets de poulet sur les tables du Kentucky Fried Chicken ! C’est la façon de Rodrigo Garcia de répondre – avec une certaine violence – à ce que lui a ressenti lorsqu’il a débarqué en Espagne. Il arrivait d’un pays ravagé par la crise financière : la surconsommation et la malbouffe en Espagne l’ont scotché. Ses premières performances se sont déroulées dans des centres commerciaux où il mettait le bordel. Vous parlez de Rodrigo Garcia comme d’un plasticien. Votre manière d’aborder Goya est aussi proche d’une forme d’art total, avec des images et de la musique. Pourquoi un DJ ? Pour le petit côté festif ! Et puis cela donne une distance : le duo DJ / acteur permet de sortir du monologue halluciné du père. Cela crée un dialogue. T-Killa, c’est mon DJ, quoi… J’avais envie qu’il soit là – d’autant que je ne voulais pas être seul face à l’acteur. Je n’ai plus envie de ces face-à-face qui m’assèchent : j’ai besoin d’un tiers. Le casse du Prado proposé dans Goya est justement une façon de retrouver un rapport intime à l’œuvre, direct. La distribution à chacun d’une carte représentant l’un de ces Noirs permet d’effleurer cette intimité… C’est de la part de Rodrigo Garcia une sensibilité très fine au travail de Goya. L’art, même quand il représente les pires monstruosités, permet de s’élever, de prendre de la distance. L’art, c’est l’espoir ? Oui. Même si c’est dans un rapport anti-institutionnel où on casse les vitres. Et puis ça donne un petit côté « sale gosse » qui est rigolo. Le père est encore plus gamin que ses gamins. Il leur dit : « Allez-y ! Je vous montre. Permettez-vous de faire des trucs, c’est de votre âge. Surtout si c’est pour aller voir Goya ! Gardez cette fraicheur, cette capacité à s’emparer du monde et des belles choses. » Propos recueillis par Marie Bohner
Théâtre
De la démocratie en Amérique
Romeo Castellucci Librement inspiré du livre d’Alexis de Tocqueville
07.11 20H
08.11 20H
DURÉE — 1H30 TARIFS — 9/12€
Spectacle en italien surtitré La Luna Maubeuge
E
n 1835, Alexis de Toqueville se rend en Amérique et livre une description détaillée et une analyse percutante d’une démocratie naissante, dont il perçoit déjà, en visionnaire, les travers et les écueils. De ce texte inépuisable et toujours pertinent, Romeo Castellucci tire une adaptation à la fois très libre et très fidèle. Une famille de pionniers puritains et novices tente de faire fructifier un terrain hostile. Acculée par la misère, la mère finit par commettre l’irréparable. Ce récit, étonnamment narratif pour un Castellucci qu’on a connu plus avare de mots, est la pierre angulaire d’un spectacle qui articule de somptueux tableaux chorégraphiés examinant la construction de la société, la démocratie, ses cérémoniels et ses modes de communication. Le metteur en scène s’interroge (comme toujours, sans donner de réponse) sur cette démocratie qui ne s’appuie pas sur le modèle athénien, et plus largement sur notre démocratie aujourd’hui. De la démocratie en Amérique est tout sauf un spectacle pédagogique. Il demande au contraire au spectateur un engagement intellectuel, pour saisir toute la vision de l’artiste qui se déroule comme un livre d’images à la beauté saisissante. (S.D.)
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ROMEO CASTELLUCCI En 1981, Romeo Castellucci fonde sa compagnie à Cesena en Italie avec Claudia Castellucci et Chiara Guidi. Ils la nomment Societas Raffaello Sanzio, en référence au peintre Raphaël, revendiquant ainsi un théâtre fortement influencé par les arts plastiques. Leurs productions se détachent du texte, le sens jaillit d’abord de l’impact visuel et sonore. Adaptant volontiers des textes fondateurs de la culture occidentale, ces œuvres d’art total sont des tableaux fascinants et énigmatiques qu’il appartient au spectateur de décrypter, pour reconstituer l’essence du matériau, malaxé, essoré, gratté jusqu’à l’os par Castellucci. Celui-ci poursuit sa route seul depuis 2006, et continue de construire une œuvre immense – plus de 70 spectacles et de nombreux chef-d’œuvres, parmi lesquels Orestea d’après Eschyle, Genesi : From the Museum of Sleep, Giulio Cesare d’après Shakespeare, le cycle Tragedia endogonidia, La Divine Comédie de Dante, Sul concetto di volto nel Figlio di Dio ou tout récemment le Tannhäuser de Wagner – qui a influencé toute une génération d’artistes et fait de lui l’un des metteurs en scène les plus importants d’aujourd’hui. (S.D.)
Photo : Marie Clauzade
MISE EN SCÈNE, DÉCORS, COSTUMES, LUMIÈRES Romeo Castellucci
SCULPTURES ET MACHINES DE SCÈNE Istvan Zimmermann et Giovanna Amoroso
ADMINISTRATION Michela Medri, Elisa Bruno et Simona Barducci
TEXTES Claudia Castellucci et Romeo Castellucci
RESPONSABLE DE PRODUCTION Benedetta Briglia
CONSULTATION ADMINISTRATIVE Massimiliano Coli
MUSIQUE Scott Gibbons
ASSISTANTE À LA PRODUCTION Giulia Colla
PRODUCTION DÉLÉGUÉE Societas
AVEC Evelin Facchini, Olivia Corsini, Gloria Dorliguzzo, Giulia Perelli, Stefania Tansini, Sofia Danai Vorvila ASSISTANTE À LA MISE EN SCÈNE Maria Vittoria Bellingeri
PROMOTION ET DISTRIBUTION Valentina Bertolino et Gilda Biasini DIRECTION TECHNIQUE Eugenio Resta avec Gionni Gardini et Daniele Magnani ACCESSOIRES ET RECHERCHE Carmen Castellucci
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EN COPRODUCTION AVEC deSingel International Artcampus - Anvers, Wiener Festwochen, Festival Printemps des Comédiens Montpellier, National Taichung Theatre - Taiwan, Holland Festival Amsterdam, Schaubühne - Berlin, Festival d’Automne - Paris avec MC93,
Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis - Bobigny, Le Manège Scène nationale de Maubeuge, Teatro Arriaga Antzokia - Bilbao, São Luiz Teatro Municipal - Lisbonne, Peak Performances Montclar State University (NJ) Avec la participation du Théâtre de VidyLausanne L’activité de Societas est soutenue par : le ministère de la culture italien, la région d'Émilie-Romagne et la ville de Cesena
Photo : Guido Mencari
Les dieux sont morts — Entretien avec Romeo Castellucci
Qu’est-ce qui vous a mené vers Tocqueville ? D’abord mon intérêt pour la littérature américaine, je suis naturellement attiré par les écrivains américains, Poe, Melville, Faulkner, etc., jusqu’à David Foster Wallace. À partir de là, il y a quelques années, j’ai rencontré Tocqueville, et j’ai découvert un livre très beau, par l’écriture, la langue, les thèmes, l’analyse politique, l’aventure humaine qu’il raconte. Mais je le considère d’abord comme un roman, et j’avais envie d’en faire un spectacle depuis au moins 5-6 ans. Le rapport à l’actualité ne vous intéresse pas, mais c’est tout de même une coïncidence incroyable… Ça me dérange, cette coïncidence ! Mais la chose intéressante, au-delà du portrait de la nouvelle démocratie américaine, c’est l’analyse de Tocqueville de la démocratie en elle-même. Il montre aussi le paradoxe de la naissance de cette démocratie parfaite, où il y a beaucoup de signaux troublants et obscurs. Aujourd’hui, on parle de la tyrannie de la majorité. À l’époque il y avait déjà des gens qui avaient formé les consciences et l’opinion publique, et Tocqueville
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Le regard du programmateur « Ce spectacle est l’occasion d’appréhender une Amérique inédite, différente de celle qu’on connaît, des images qui nous viennent. Pour moi, Castellucci est l’un des plus grands peintres et plasticiens de la scène, qui utilise les moyens du théâtre comme un peintre aurait utilisé ses couleurs. Un artisan en imagerie et en visions tout à fait magnifique. Ses images sont souvent magnétiques, quelquefois dérangeantes, jamais offensantes. Castellucci pose des énigmes, qui sont autant de questions posées au public, un peu comme David Lynch, qui entraîne notre imaginaire dans des zones nouvelles et inconnues. »
avait compris le rôle fondamental de la communication. Alors la démocratie devient un problème, elle n’est pas totalement rayonnante de lumière. Platon aussi était contre la démocratie, plus ou moins pour les mêmes raisons. Mais ce n’est pas mon devoir de donner une analyse politique ; disons que c’est un spectacle sur la crise politique. Qu’en avez-vous gardé ? Ce que j’en ai pris, c’est le début où il parle des trois races, de la nature, de la naissance de l’Amérique à travers ce qu’il nomme les fondements puritains. C’est-à-dire la conception puritaine de la vie, de l’égalité, de la terre, les conditions de la communauté humaine, de la loi, de l’être. Ils jettent la semence dans ce désert, et comme un virus, se répandent sur tous les premiers états de l’Amérique. Jusqu’à la guerre de Sécession. Ces fondements sont toujours très présents aujourd’hui. Dans le spectacle, j’ai utilisé le portrait des pèlerins fait dans le livre, et j’en ai gardé le noyau le plus petit, une famille. Quelque chose arrive qui fait tomber les illusions, l’American Dream s’effondre, avant d’inaugurer le reste. La femme a compris qu’il n’y a rien, qu’il n’y a que le vide. Et le rapport avec le vide, le désert, l’espace, est très important dans la culture américaine. Aux fondements de la démocratie en Amérique, en tout cas dans votre spectacle, il y a un sacrifice… et une tragédie. Cette femme refuse d’entrer dans la nouvelle société comme l’imaginent les puritains, avec la loi, le rôle de l’argent, le rapport individuel avec Dieu. L’individualisme américain vient de cela. Dans leur code de comportement, il y avait les 10 commandements pris à la lettre. Il n’y avait pas l’amour, le pardon, mais la loi. J’avais aussi fait un travail sur Hawthorne, dans The Minister’s Black Veil. C’est un Père fondateur de la littérature américaine, qui a toujours écrit des romans et des nouvelles à partir des communautés puritaines de Nouvelle-Angleterre. J’étais intéressé par ce monde sévère, iconoclaste. Tout cela était une matière dramaturgique extraordinaire. Avant Tocqueville, le modèle démocratique était la démocratie athénienne… On s’est formé avec la démocratie athénienne. En Grèce, le moment où naît la démocratie est aussi celui de la
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naissance de la tragédie, et ce n’est pas une coïncidence. La tragédie peut être considérée comme la naissance de la théorie de l’homme. C’est un produit de la ville, l’expression de la ville, et tous les chefs, les politiciens, tout le monde était au théâtre. C’était le moment le plus important, où l’on formait les esprits en montrant la dysfonction de l’Homme, le mal, la part d’ombre, pour pouvoir l’améliorer. C’est un outil politique. Tout cela n’existe pas en Amérique : les puritains excluent tout rapport avec le mal, et c’est le problème selon Tocqueville. Il est fasciné par la force immense de ces hommes qui inventent une nouvelle société, avec une certaine naïveté dans leur conception de la vie. Par ailleurs, en Grèce, la démocratie arrive lorsque les hommes sortent de leur rapport avec les dieux ; en Amérique, le président jure sur la Bible. La religion et la tragédie sont deux éléments qui traversent toute votre œuvre… Je ne suis pas un spécialiste des religions, je n’ai aucun intérêt pour la salvation, je ne suis pas croyant, mais la religion est un thème qui traverse toute notre histoire occidentale, même à notre époque. C’est une dimension indépassable. Il s’agit de traiter cela. Le théâtre est une forme religieuse, cela a toujours été comme ça. Tout est religieux. La religion se cache partout, au supermarché, dans la politique par exemple, partout, dans la communication… L’église est peut-être le lieu le moins religieux aujourd’hui. Le rapport avec Dieu, c’est le rapport avec celui qui manque par définition. Dieu représente le vide. Le théâtre aussi est l’histoire du manque ; la tragédie traite du vide, elle est née quand les dieux sont morts, quand on s’est rendu compte du vide, du manque de sens. Qu’est-ce que ça donne, alors, la démocratie sans tragédie ? Les dieux sont revenus dans une forme névrotique. Propos recueillis par Sylvia Dubost
Performance musique - numérique
SPECTACLE INTÉGRAL
10.11 17.11 19H
L’Origine du monde Miguel Chevalier et Pascal Contet
19H
DURÉE — 1H TARIF — 3€
(GRATUIT LE 10 LORS DU VERNISSAGE DE L’EXPOSITION)
Espace Sculfort Maubeuge
PERFORMANCE
11.11 12.11 18.11 19.11 16H
DURÉE — 15MIN TARIF — COMPRIS DANS LE BILLET EXPOSITION VIA 17
Espace Sculfort Maubeuge
C
ette performance musico-visuelle signe la rencontre entre l’accordéon, instrument de souffle trop souvent associé à un folklore suranné, et un univers visuel et virtuel, bien ancré dans notre époque. C’est surtout la rencontre de deux personnalités : Pascal Contet, musicien qui renouvelle sans cesse le répertoire de l’accordéon, et l’artiste Miguel Chevalier dont le travail explore le lien entre les flux, les formes et la nature. Dans L’Origine du Monde – en référence aux cellules premières –, Pascal Contet est placé au centre d’un dispositif vidéo qui l’immerge et inonde la scène : il improvise, actionnant les touches de ses deux claviers et par là-même les mouvements, couleurs et formes diffusés autour de lui. Les images – une suite de tableaux composés par Miguel Chevalier et régulièrement mis à jour – sont donc modifiées, troublées, excitées, calmées ou mêlées en temps réel. Miguel Chevalier utilise un logiciel, précédemment mis au point par Cyrille Henry et Antoine Villeret, qui permet de traduire les gestes du musicien en images et en mouvements. Une performance interactive qui invite le spectateur à pénétrer dans un univers étrange et fascinant, empreint de psychédélisme. (C.B.)
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MIGUEL CHEVALIER ET PASCAL CONTET Né en 1959 au Mexique, Miguel Chevalier s’installe à l’âge de 24 ans à Paris où il intègre les BeauxArts et l’école des Arts décoratifs. Son intérêt pour les explorations électroniques de Nam June Paik, Yves Klein ou le pointillisme de Georges Seurat – avant-goût du pixel ? – le mènera à explorer les possibilités des tablettes graphiques et de l’informatique qui lui permettent de travailler l’image en mouvement et un catalogue infini de formes et de couleurs. Souvent qualifié de « jardinier numérique », il associe sa fascination de la nature à un travail numérique de haut-vol auquel il associe volontiers informaticiens et électroniciens. Depuis 1993, Pascal Contet s’attache quant à lui à transposer sa pratique décomplexée et ouverte de l’accordéon à tous les univers : de la musique contemporaine à la musique de chambre en passant par la danse et le théâtre pour lesquels il crée régulièrement. Aux côtés de compositeurs (Bruno Mantovani, Philippe Hurel, Bernard Cavanna…), d’ensembles (quatuor Diotima, Accentus…), de musiciens (la chanteuse Camille, la contrebassiste Joëlle Léandre…) ou de réalisateurs (notamment François Mathouret), il improvise, compose, enregistre des disques, accompagne ciné-concerts et, surtout, élabore un langage musical d’une grande modernité. (C.B.)
Photo : droits réservés
Le regard du programmateur
CONCEPTION Pascal Contet & Miguel Chevalier
« Pascal Contet nous surprend dans l’usage de l’accordéon, l’instrument de musique le plus populaire. Accompagné par Miguel Chevalier, plasticien vidéaste qui travaille des algorithmes, il crée un monde nouveau. Ici, deux nappes, l’une visuelle et l’autre sonore, l’une par le biais d’un talent à l’endroit de l’art numérique, l’autre par l’art de l’accordéon dans une dimension qui n’est pas celle qu’on lui connaît, se conjuguent pour fabriquer une installation qu’on peut
MUSIQUE ET ACCORDÉON Miguel Chevalier LOGICIELS Cyrille Henry, Antoine Villeret PRODUCTION TECHNIQUE Voxels Productions OPÉRATEUR VIDÉO Antoine Villeret Production AIE (Association Accordéon Instrument Européen) Avec le soutien de la Sacem et de la Spedidam
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voir et une performance qu’on peut entendre. On retrouve ici encore la dimension insolite, quelque chose qui nous déroute, qui nous emmène ailleurs. »
En complicités — Entretien avec Miguel Chevalier et Pascal Contet
Comment vous êtes-vous rencontrés ? Connaissiez-vous le travail de l’autre ? Pascal Contet : Notre rencontre est arrivée par l’intermédiaire d’un compositeur, Jacopo Baboni-Schilingi, qui travaillait avec Miguel. Il pensait que nous avions quelque chose à faire ensemble. Très vite, Miguel m’a montré ce qu’il faisait et j’ai été emballé. Il y a rapidement eu l’idée d’une composition qui modifie l’image. Avec Cyrille Henry, il a mis en place un système de reconnaissance sonore des deux claviers de l’accordéon, à partir de là j’ai pu faire ce que je voulais. Quelques mois plus tard, Miguel m’a demandé si je voulais bien participer au vernissage d’une exposition à Enghien-les-Bains, ça a été le déclencheur. Les débuts ont été prometteurs, on a donc continué. Miguel Chevalier : Je connaissais Pascal pour sa virtuosité en tant qu’accordéoniste mais je ne l’avais jamais rencontré personnellement. J’ai trouvé que c’était très intéressant de créer – comme d’autres artistes ont pu le faire – une passerelle entre sa musique et les logiciels que je développe. Pascal Contet, vous improvisez sur scène, était-ce une volonté dès le départ ? P.C. : C’était hors de question de travailler autrement. J’ai donné assez de spectacles dans lesquels la vidéo vient se planter, où tout est millimétré, autant la musique que le visuel. J’ai voulu faire absolument le contraire. Là, j’ai la sensation d’être à l’intérieur de la créativité de Miguel et j’en joue, une idée qui est en plus renforcée par la mise en scène. C’est rare et c’est important de le souligner : dans le milieu des arts visuels, il est rare de pouvoir modifier une œuvre. Ici, je bouleverse les grandes lignes visuelles de Miguel. J’ai l’impression d’être voyeur d’un travail intime. C’est intéressant et même touchant.
Miguel Chevalier, vous travaillez d’ordinaire sur la notion de flux et l’observation du monde. Cette performance est titrée L’Origine du monde, pourquoi ce titre ? Quelle place prend-elle dans votre travail ? M.C. : L’Origine du monde n’a rien à voir avec le tableau de Courbet. On s’est inspiré des automates cellulaires : des cellules qui se développent, qui se modifient, qui prolifèrent. C’est lié à l’origine des cellules qui se divisent avec des couleurs très vives, ça rejoint aussi les paradis artificiels des années 70 avec tout ce que les artistes ont développé autour du psychédélisme. Techniquement, comment ça marche ? M.C. : Ce qui est intéressant, c’est que l’accordéon est comme un clavier d’ordinateur. Nous avons créé un logiciel pour d’autres installations que nous avons affiné, adapté pour que Pascal vienne se coller à cette technologie-là. Pascal joue et je propose des tableaux qui viennent enrichir sa palette musicale, au même titre que son jeu vient enrichir ma palette visuelle. Dans le logiciel, on inclut régulièrement d’autres textures, d’autres gammes de couleurs ; on fait en sorte que ces nouveaux tableaux viennent apporter plus d’étonnement au spectacle. Ce n’est pas une œuvre figée, c’est un work-in-progress. C’est un peu comme le vin qui se bonifie avec le temps. Pascal Contet, comment avez-vous laissé l’univers de Miguel Chevalier transpirer dans votre pratique ? P.C. : En fonction de ce que je vois, je vais jouer et en fonction de ce qu’on m’offre je vais nourrir mon jeu. Je donne et je reçois. C’est le même aller-retour que celui que je peux avoir avec des comédiens. En tant que musicien, on est à l’écoute et là je suis aussi à vue. Cet imbroglio donne une chose qui est difficilement copiable.
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C’est ça qui est absolument fantastique. Je me laisse aller. Parfois, je me perds et j’entraîne le public avec moi. Chaque tableau va raconter quelque chose : il y a des tableaux que j’appelle de nuit, peut-être plus poétiques, la musique est plus calme, parfois il y a une profusion de couleurs… Je joue, je vois ce que ça donne et en fonction des paramétrages je m’en amuse. C’est vraiment un jeu de pistes. M.C. : Ce qui m’intéresse là, c’est qu’il y a une complémentarité avec Pascal. L’accordéon porte une image désuète, et lui, il l’utilise avec virtuosité. Quand on l’écoute et qu’on voit cette performance, on a une autre approche de l’instrument. Il ressort de ce décalage une nouvelle modernité. C’est ça qui donne une véritable richesse. Qu’est-ce qui, selon vous, fait contemporanéité ? P.C. : Ma définition de la contemporanéité, c’est l’instant présent, avec des créateurs qui sont dans la créativité immédiate. Le contemporain n’est pas encore dans l’histoire, parfois on prend des chemins de traverse. Il m’est arrivé de travailler avec des compositeurs et de constater que 15-20 ans plus tard ils sont encore sur la place, et là je me dis que c’est super. Le contemporain pour le contemporain, ça ne m’intéresse pas plus que ça. Être contemporain, c’est faire les choses. Propos recueillis par Cécile Becker
Théâtre - Musique - Danse
Words to animals
Valéry Warnotte D’après Discours aux animaux de Valère Novarina
16.11 18H
17.11 18H
DURÉE — 1H30 TARIFS — 9/12€ (15€ BILLET SOIRÉE VIA EXPO + 2 SPECTACLES)
Spectacle en américain et arabe surtitrés Gare numérique Jeumont
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n homme parle à des animaux, autrement dit à des êtres sans réponse : nous. Il prononce Le Discours aux animaux, une promenade à l’intérieur de la langue, dans des mots dont Valéry Warnotte s’attache à la formation, à la construction et aux résonances bien au-delà du sens. Pour cela, le metteur en scène belge assemble sous la forme d’un diptyque deux textes issus de la version écrite pour la scène du Discours aux Animaux de Valère Novarina : L’Animal du temps et L’Inquiétude. Puis, il les traduit, l’un en anglais, l’autre en arabe littéraire. Du monologue original naît des dialogues, entre les deux textes, entre les deux langues, entre les deux comédiens, mais aussi entre textes et musiques, dans ce qui s’apparente à un concert, un happening, un oratorio avec sa part de sacré ou à une tragédie musicale. Le tout à la croisée des genres, dans un théâtre qui « crée les conditions de la parole. Cette parole de l’acteur ». « Cette folie », aimet-il ajouter, en défenseur du théâtre comme l’un des « rares endroits où peuvent encore se dire des choses. » (E.A.)
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VALÉRY WARNOTTE Après une formation en Histoire de l’art à l’Université de Louvain en Belgique et à l’École Florent à Paris, Valéry Warnotte met en scène au sein de sa compagnie, L’Intervention, des œuvres de Paul Claudel, Jean Genet, Georges Feydeau, Alfred Jarry, puis travaille avec l’auteur Olivier Coyette, dont il monte deux pièces en 2004 et 2006, avant de créer en français Voir un ami pleurer aux États-Unis avec des acteurs américains. Après avoir adapté Régis Jauffret en France et aux États-Unis, il entame en 2009 un projet avec Valère Novarina, The Sacrificing Actor, adaptation et mise en scène de l’auteur en anglais. De 2010 à 2012, il est artiste associé à La Filature à Mulhouse où il mène un travail d’immersion dans la ville avec 150 artistes amateurs. Après une nouvelle résidence au Volcan-Scène Nationale au Havre, il crée la première américaine de Valère Novarina en France, The Animal of Time, extrait du Discours aux animaux. (E.A.)
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Photo : Dan Ramaen
Le regard du programmateur « Novarina c’est d’abord une langue, et ici on n’a plus la langue dans laquelle il s’exprime. On a plutôt une situation, une performance musicale et visuelle, avec des fragments de textes donnés à entendre et à lire. Il y a une musicalité très forte chez Novarina, et en faisant passer le texte en anglais et arabe, il n’en reste que cette musicalité. Avec les fragments de textes qui s’affichent dans un
dispositif de surtitrages, on a aussi une immersion dans la langue écrite. On a l’impression que Novarina, on ne peut que le lire, mais ici on découvre que sa poésie peut aussi nous revenir de manière rétinienne. Je pense que la compréhension du monde passe par l’œil, et c’est ce qu’on voit ici aussi. Dans le festival, on questionne beaucoup les manières dont la musique, le texte, les images, le sens, peuvent s’organiser, comment on peut distribuer les cartes autrement. »
ADAPTATION & MISE EN SCÈNE Valéry Warnotte TEXTE Valère Novarina INTERPRÉTATION Farid Bouzenad, Chris Kayser MUSIQUE SUR SCÈNE Camel Zekri, Frédéric Lamarre, Pablo Roquefort RÉGIE GÉNÉRALE Rafaël Georges TRADUCTION L’Inquiétude / Al Qalaq : Georgine Ayoub L’Animal du Temps / The Animal of Time : Amin Erfani
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PRODUCTION, ADMINISTRATION ET DIFFUSION La Magnanerie COPRODUCTION Fondation Royaumont, Le Manège – Scène nationale de Maubeuge, avec le soutien de L’Institut Français de Beyrouth, Liban et du Volcan – Scène nationale du Havre, avec le Phare – CCN du Havre & l’Institut du Monde Arabe à Paris Création de la première partie du projet, The Animal of Time, à DSN Scène nationale de Dieppe & Maison de la Poésie à Paris, avec le soutien de l’University of Chicago USA, et les Services Culturels de l’ambassade de France à Chicago
Avec l’autre
Tout jeune, Valère Novarina possédait un élevage de vingt-deux animaux qu’il nourrissait tous les matins. Il se souvient de ces quarantequatre yeux qui se tournaient vers lui en quête d’aliments. On ne sait en revanche si c’est là qu’il a engagé ce monologue extravagant qui donnera naissance quelques années plus tard, en 1987 précisément, à son fameux Discours aux animaux. Quoi qu’il en soit, il reste dans la version finale quelque chose de ce promeneur solitaire, Saint-François d’Assise des temps modernes, voyageur des mots qui cherche des « passages par où voir ». De cette déclaration-fleuve construite comme douze flâneries textuelles – loin de toute insouciance cependant –, deux extraits ont fait l’objet d’une adaptation pour la scène, L’Animal du Temps et L’Inquiétude. Ces versions réécrites pour l’occasion dans des formats plus courts n’en contiennent pas moins l’essence-même d’une langue, à la limite de la démesure, qui n’a jamais cessé de fasciner le metteur en scène belge Valéry Warnotte. Au point que ce dernier a non seulement voulu réunir les deux pièces en une, sous la forme d’un diptyque, mais qu’il fait traduire, la première en anglais, The Animal of Time, et la seconde en arabe littéraire, Al Qalaq.
“Le langage est une onde.” Une pulsation continue Ça n’est pas la première fois qu’il adapte des auteurs francophones en langue anglaise. À la liste qui comprend entre autres Albert Camus et Régis Jauffret, il a souhaité rajouter le nom de Novarina, « un auteur important à traduire » selon lui. Il s’avère que l’auteur suisse compte des traductions dans une vingtaine de langues, mais curieusement très peu en anglais. Et surtout jamais en langue arabe. Pourquoi ce choix de Novarina ? « Valère Novarina est un auteur qui m’accompagne depuis longtemps, nous relate Valéry Warnotte, dont j’ai vu la plupart des spectacles et des créations, et que j’ai eu la chance de rencontrer. Le point de départ de ma relation avec lui, c’est une série de travaux que j’ai menée aux États-Unis en tant que metteur en scène. » Assez rapidement, il constate que l’univers de Valère Novarina, ou du moins ses écrits sur l’acteur, se situent à l’opposé de la culture américaine de l’actor’s studio. « Par esprit de contradiction, j’avais entamé un chantier de réflexion d’adaptations de textes de Novarina avec des acteurs américains. » Après une première distribution bilingue, Warnotte décide en 2014 de « pousser le geste
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de façon un peu plus radicale », en montant The Animal of Time en version américaine pour l’acteur Chris Kayser, « un performer fantastique ». Il y cherche « l’énergie de Kerouac, cette pulsation continue ». Dans un second temps, il juge qu’un dialogue s’impose avec « quelque chose de radicalement opposé » à l’anglais et décide de faire traduire L’Inquiétude en arabe littéraire, avec la volonté de « faire une place éloquente à une langue absolument magnifique, méconnue, peu parlée ». Au-delà des mots Sa démarche qu’il qualifie de « métapoétique » tient à ce que nous sommes d’après lui « un peu colonisés par l’Amérique, alors que personne ne maitrise vraiment l’anglais en France ». Et nos concitoyens concernés de près ou de loin par la culture arabe parlent-ils l’arabe littéraire ? « Je ne crois pas », admet-il bien conscient de sa volonté de « pousser la langue et l’individu dans leurs retranchements respectifs et de confronter les cultures afin de poser la question de la compréhension ». Non sans une pointe de malice, il nous rappelle que « quand la culture américaine et la culture arabe se rencontrent, ce n’est pas toujours pour s’échanger des mots doux ». À ce titre, la création des deux versions à Beyrouth en novembre revêt une dimension hautement politique. « Oui, confirme-t-il non sans fierté, puisque nous allons y jouer à la fois en américain et en arabe. » Dans ces langues-là, le metteur en scène veut « provoquer la même énergie que ce que Novarina provoque pour nous en français ». D’après l’auteur suisse, rappelle-t-il, « le langage est une onde ». Pour lui, la musique, « espace vivant », constitue une autre onde, donc une autre entrée possible ; de les confronter toutes deux avec ce dispositif qui associe comédiens et musiciens favorise les sensations « au-delà des mots ». « Ce qui m’intéresse, poursuit-il, c’est de capter cette espèce d’énergie immatérielle qui passe dans les mots lorsqu’ils se forment, et le pouvoir de conviction de la parole. » De par ce pouvoir révélateur d’une sorte de vérité intérieure, il tente d’élucider le « mystère du langage et de la parole ». Valéry Warnotte renoue ainsi avec le pouvoir chamanique contenu dans le texte original, cette « expérience spirituelle » que Valère Novarina associe immanquablement à la présence de l’acteur sur scène. Une présence irradiante qu’il renforce par la capacité d’énonciation de son texte. Le metteur en scène admet cette vision : « Oui, il y a quelque chose de mystique dans le texte de Valère. C’est une façon de se réconcilier avec l’inconnu. Et avec l’autre. » Texte : Emmanuel Abela et Antoine Ponza
Théâtre - Numérique
Perhaps All The Dragons Collectif Berlin
15.11 18H
16.11
10H | 14H | 16H | 18H
17.11
10H | 14H | 16H | 18H DURÉE — 1H TARIF — 3€
Espace Sculfort Maubeuge
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ne grande table, d’un diamètre de treize mètres, et dont la forme reprend celle d’une ellipse. Autour d’elle, mais à l’intérieur, comme contenu précieusement en son sein, trente chaises et autant d’écrans accueillent le public. Dans ce dispositif atypique pour une représentation théâtrale, chaque spectateur découvre cinq des trente histoires glanées par le collectif Berlin. Racontés par de parfaits inconnus ou par des personnalités célèbres dans leur domaine d’activités, ces récits personnels viennent du Japon, de l’Inde, d’Ouganda ou encore de Russie. L’enchevêtrement, la superposition et le croisement de ces souvenirs – du fait divers anecdotique au moment décisif d’une vie – composent un récit plus vaste. Où, paradoxalement, le monde dessiné est plus petit qu’on ne le croit. Car dans sa polyphonie de langues, de trajectoires, de territoires et d’histoires articulées autour de la nécessité de faire des choix, Perhaps All The Dragons lie, par un jeu de hasards et de coïncidences désarmants, des existences aux antipodes les unes des autres. (C.C.)
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COLLECTIF BERLIN Présenter l’équipe artistique de Perhaps All The Dragons s’apparente à une énumération de paradoxes… Le collectif Berlin, fondé en 2003 et emmené par Yves Degryse et Bart Baele (tous deux associés jusqu’en 2009 à Caroline Rochlitz), s’est installé à Anvers. Une ville où passé et futur sont très présents : ce choix signale une attention aux temps de l’histoire, de nos histoires, vigilance irrigant tous leurs projets : le cycle Holocène avec les spectacles Jerusalem, Iqaluit, Moscow et Zvizdal, et le cycle Horror Vacui [l’horreur du vide] dont Tagfish, Land’s End et Perhaps All The Dragons sont les trois premiers épisodes. Si les œuvres du duo sont « classées » dans le champ du théâtre, elles en déjouent allègrement les formes conventionnelles ; Berlin travaille volontiers à la lisière du documentaire et du cinéma et conçoit des dispositifs spécifiques à chaque spectacle. Enfin, là où l’essentiel de leurs créations travaillent sur un espace géographique circonscrit (ville ou territoire), Perhaps All The Dragons glane des témoignages à travers le monde pour composer une nouvelle géographie. (C.C.)
Photo : Sigrid Spinnox
CONCEPT Collectif Berlin [Bart Baele et Yves Degryse] COMPOSITION MUSICALE Peter Van Laerhoven TEXTE Kirsten Roosendaal, Yves Degryse et Bart Baele CAMÉRA Geert De Vleesschauwer MONTAGE Bart Baele, Geert De Vleesschauwer, Yves Degryse SCÉNOGRAPHIE Berlin, Manu Siebens
CONSTRUCTION DES DÉCORS Manu Siebens, Robrecht Ghesquière, Bregt Janssens, Koen Ghesquière DÉCORS ET ACCESSOIRES Jessica Ridderhof, Natalie Schrauwen SITE WEB Stijn Bonjean PRODUCTION ET COMMUNICATION Laura Fierens BUSINESS MANAGEMENT Kurt Lannoye AVEC Derek Blyth, Sergey Glushkov, Francois Pierron, Juan Albeiro
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Serrato Torres, Rinat Shaham, Shizuka Hariu, Shlomi Kirchely, Jonas Jonsson, Nirman Arora, Suneet Chhabra, Luci Comincioli, Roger Christmann, Regina Vilaça, Pat Butler, Walter Müller, Adela Efendieva, Andrew Mugisha, Ramesh Parekh, Nico Mäkel, Wim Mäkel, Tamas Sandor, Philippe Cappelle, Romik Rai, Brecht Ghijselinck, Vladimir Bondarev, Andrei Tarasov, Matsumoto Kazushi, Bob Turner, Geert-Jan Jansen, Kurt Lannoye, Robrecht Ghesquière, Laura Fierens, Patryk Wezowski, Hilde Verhelst, Christina Davidsen.
PRODUCTION Collectif Berlin COPRODUCTION Deutsches Schauspielhaus Hamburg, KunstenfestivaldesArts - Bruxelles, le CENTQUATRE - Paris, Dublin Theatre Festival, Centrale Fies - Dro, Noorderzon Performing Arts Festival - Groningen, La Bâtie - Festival de Genève, Zomer van Antwerpen Avec le soutien du Gouvernement flamand, de NXTSTP, du programme Culture de l’Union Européenne, et de l’ONDA - Office national de diffusion artistique. Berlin est artiste associé au CENTQUATRE-PARIS.
Photo : Marc Domage
Berlin refait le monde — Entretien avec Bart Baele, co-fondateur du collectif Berlin
Comment est né Perhaps All The Dragons ? Pour nous, ce projet est assez atypique. Nous l’avons créé en 2014, année des dix ans de la compagnie, et il en constitue un peu l’œuvre anniversaire. Là où nos autres créations partent d’une recherche sur un lieu précis, un territoire que nous investissons, le commentaire et l’histoire étant ensuite composé, écrit, Perhaps All The Dragons a été conçu différemment. Le spectacle repose sur un assemblage d’histoires racontées par des personnes que nous avons interviewées au fil des ans, ou lors de la création des spectacles précédents. Ce sont les récits collectés, qui n’avaient pas été utilisés dans les autres projets, qui constituent le point de départ du projet. Pourquoi avoir choisi d’installer les spectateurs autour d’une grande table ? L’idée initiale était celle d’un dispositif scénographique évoquant ce que l’on peut éprouver dans un restaurant. Admettons que vous êtes attablé avec quelqu’un : tout en l’écoutant vous raconter une histoire, vous entendez, malgré vous, en raison de la proximité, les conversations des tables
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Le regard du programmateur « Quand on est assis dans un fauteuil de cinéma, on peut avoir une relation solitaire à ce qui se passe à l’écran. Au théâtre, la communauté qui s’assemble est essentielle, elle est nécessaire pour que quelque chose vibre. Avec cette installation, on est dans quelque chose qui nous prend dans nos individualités pour nous reconnecter. Pour le reste, le voyage se situe dans ce qui se passe avec les objets, les écrans et les histoires que l’on traverse. »
voisines. Les récits s’enchevêtrent et parfois des correspondances apparaissent. Si assez vite nous avons abandonné l’idée du restaurant comme lieu, trop illustratif, pour privilégier une scénographie plus abstraite, le souhait d’avoir plusieurs histoires qui s’entremêlent est demeuré. L’aspect atypique de ce projet se retrouvet-il dans sa conception ? Le processus d’écriture est inhabituel. Notre première idée était de rassembler les récits non utilisés pour nos précédents projets. En travaillant dessus, et en les répertoriant, nous avons trouvé d’autres histoires qui nous semblaient intéressantes. Sur les cinquante collectées, nous en avons finalement conservé trente. À partir de là, nous avons interviewé les trente personnes. Puis, nous avons écrit une histoire, qui repose sur leurs récits et inclut des interactions avec d’autres écrans. Ensuite nous avons filmé séparément chacun de ces trente personnages racontant sa propre histoire, avec les interactions. Ce procédé d’écriture fait que avant la première minute de tournage, tout était précisément constitué, pensé, minuté, scénarisé, avec un timing très rigoureux – indispensable pour que le jeu des regards fonctionne. La durée du spectacle, le parcours du spectateur, les trente places autour de la table, tous ces éléments étaient dans le scénario. Cela était indispensable pour créer cette sensation d’écoute partagée. Qu’est-ce qui pourrait relier tous ces récits ? En travaillant, nous avons réalisé que plusieurs des histoires sélectionnées abordaient, de façon directe ou indirecte, la question du choix. À un certain moment de leur vie, les personnes dont il est question se sont retrouvées confrontées à la nécessité de prendre une décision essentielle : vivre ou ne pas vivre, travailler ou ne pas travailler, etc. À partir de cette découverte, nous avons décidé de nous intéresser à cette question et nous avons opéré la sélection là-dessus. Le titre renvoie à une citation de l’écrivain autrichien Rainer Maria Rilke, pourquoi ? Le titre est la seule chose que nous ne connaissions pas à l’avance. Nous l’avons trouvé un peu par hasard et le fait qu’il évoque le sujet du spectacle nous a intéressé. Il renvoie, comme la citation de
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Rilke, à cette obligation de faire un choix : « Peut-être tous les dragons de notre vie sont-ils des princesses qui n’attendent que le moment de nous voir un jour beaux et courageux. Peut-être que toutes les choses qui font peur sont au fond des choses laissées sans secours qui attendent de nous le secours. » Si cette citation évoque les enjeux directs du spectacle, les six degrés de séparation en est le sujet indirect. Cette théorie [établie par un auteur hongrois et développée par le psychologue américain Stanley Milgram, ndlr] pose comme hypothèse que n’importe qui sur cette terre peut être relié à n’importe quelle autre personne avec, au maximum, six intermédiaires. Les six degrés de séparation est une question intéressante pour nous, pour le travail de Berlin, puisque cette idée d’avoir des intermédiaires, de rencontrer une chose qui va en amener une autre, se retrouve dans tous nos projets. Cela correspond à nos situations de vie à tous, et de travail, également. En se basant sur des histoires réelles, mais en les scénarisant, Perhaps All The Dragons invite, également, à être vigilant sur la frontière entre réel et fiction ? Dans notre travail de recherche, nous explorons depuis le début les rapports entre réalité / réel / fiction. Mais nous ne sommes pas des documentaristes et les spectacles ne relèvent pas du documentaire. Ainsi, nous avons découvert pendant la conception du projet que l’une des trente histoires était fausse : elle a été relayée dans les grands médias alors qu’il s’agissait d’un canular. Cela interroge chacun : est-ce que ce que nous entendons est vrai ? Après, même dans un documentaire, le réalisateur opère des choix, monte et construit ce qu’il va raconter. Propos recueillis par Caroline Châtelet
Théâtre
La Face cachée de la lune Ex Machina Robert Lepage
16.11 20H
17.11 20H
DURÉE — 2H15 TARIFS — 9/12€ (15€ BILLET SOIRÉE VIA EXPO + 2 SPECTACLES)
La Luna Maubeuge
L
a Face cachée de la lune, c’est d’abord le récit de la confrontation de deux frères qui viennent de perdre leur mère. C’est aussi, en parallèle, celui de la conquête spatiale par les Russes et de leur rivalité avec les Américains. C’est surtout le récit le plus universel qui soit, un récit initiatique dont le point de départ est une perte. Un homme tente de trouver un sens à l’univers, et à sa place dans celui-ci. Le metteur en scène québécois Robert Lepage signe ici une merveille d’astuce formelle et d’inventivité narrative, qui utilise vidéo, son, lumière, objets pour faire jaillir le merveilleux de la banalité confondante et parfois triste du quotidien. Le hublot de la machine à laver devient celui de la capsule spatiale, la planche à repasser sert de scanner, de solex, d’appareil de gymnastique… On suit dès lors avec un éblouissement enfantin ce voyage intime qui rejoint la grande Histoire et qui, porté par la musique hypnotique de Laurie Anderson, pose depuis sa création en 2000 aux spectateurs du monde entier cette question abyssale : sommes-nous seuls ? (S.D.)
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ROBERT LEPAGE Auteur, metteur en scène, acteur, réalisateur, le Québécois construit depuis le mitan des années 80 une œuvre prolifique, qui traite avec légèreté et poésie de sujets graves et universels. Pour cela, il s’est penché depuis longtemps sur les nouvelles écritures scéniques et l’utilisation de nouvelles technologies, tout en réactivant d’anciens artifices théâtraux. Il revendique aussi l’influence de son travail cinématographique dans son théâtre. C’est la pièce La Trilogie des dragons en 1985 qui l’a fait connaître du public mondial, suivi des pièces Vinci (1986), Le Polygraphe (1987) et Les Plaques tectoniques (1988). Il fonde la compagnie Ex Machina en 1994 et se lance à la fin des années 2000 dans d’imposantes productions épiques. Il est aujourd’hui devenu une star de la scène, et a influencé toute une génération de metteurs en scène, comme le québécolibanais Wajdi Mouawad, aujourd’hui directeur du Théâtre National de l’Odéon. (S.D.)
Photo : Sophie Grenier
CONCEPTION & MISE EN SCÈNE Robert Lepage
ASSISTANCE À LA SCÉNOGRAPHIE Marie-Claude Pelletier
INTERPRÉTATION Yves Jacques
ASSISTANCE À LA CONCEPTION DES ÉCLAIRAGES Bernard White
CONSULTANT À L’ÉCRITURE Adam Nashman COLLABORATION ARTISTIQUE ET IDÉE ORIGINALE Peder Bjurman ASSISTANCE À LA MISE EN SCÈNE Pierre-Philippe Guay COMPOSITION ET ENREGISTREMENT DE LA MUSIQUE Laurie Anderson © 2000 Difficult Music (BMI)
CONCEPTION DES COSTUMES Marie-Chantale Vaillancourt CONCEPTION DES MARIONNETTES Pierre Robitaille, Sylvie Courbron MANIPULATIONS Éric Leblanc CONSULTANT SCÉNOGRAPHIQUE Carl Fillion
RÉALISATION DES IMAGES Jacques Collin, Véronique Couturier MONTAGE SONORE Jean-Sébastien Côté DIRECTION DE PRODUCTION Marie-Pierre Gagné COORDINATION TECHNIQUE Michel Gosselin DIRECTION TECHNIQUE Dany Beaudoin DIRECTION DE PRODUCTION (TOURNÉE) ET DIRECTION DE TOURNÉE Vanessa Landry-Claverie
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DIRECTION TECHNIQUE (TOURNÉE) Patrick Durnin RÉGIE GÉNÉRALE Francis Beaulieu RÉGIE DES ÉCLAIRAGES Catherine Guay RÉGIE SON Stanislas Elie RÉGIE VIDÉO Steve Montambault RÉGIE DES COSTUMES ET ACCESSOIRES Eveline Tanguay CHEF MACHINISTE Michel Loiselle MACHINISTE Anne Marie Bureau
CONSTRUCTION DU DÉCOR Jean-Marc Cyr / Les Conceptions Visuelles VOIX DES ANIMATEURS Bertrand Alain, Lorraine Côté MUSIQUES ADDITIONNELLES Sonate au clair de lune de Ludwig van Beethoven Naima de John Coltrane CHANSONS ADDITIONNELLES Michael White
Photo : Sophie Grenier
Tout le monde
Initialement interprétée par Robert Lepage, La Face cachée de la lune a été reprise en 2001 par le comédien Yves Jacques. Jusqu’en 2005 puis à nouveau à partir de 2011, il reprend régulièrement ce spectacle-culte qu’il porte seul en scène. Il revient sur son parcours avec cette histoire universelle, voire banale, dans laquelle le quotidien devient merveilleux et qui a touché des spectateurs dans le monde entier.
— Interview avec Yves Jacques, comédien
Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire le spectacle, lorsque vous avez repris le rôle en 2001 ? J’ai suivi Robert [Lepage, ndlr] depuis les tout débuts, son spectacle Vinci m’avait beaucoup séduit. Quand il m’a proposé de reprendre le rôle, j’ai dit oui avant de l’avoir vu, tellement je voulais travailler avec lui. Quand j’ai ensuite vu La Face cachée, j’étais ébloui par sa performance, mais je ne pensais pas y arriver… C’était un vrai tour de force. Il m’a demandé de revoir le spectacle depuis les coulisses. Là j’ai vu que c’était très simple, fait avec des bouts de ficelle, je me suis dit c’est bon, je peux y aller. La première
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Le regard du programmateur « On a affaire ici à l’un des noms les plus marquants du théâtre contemporain. Avec Romeo Castellucci, le festival a programmé deux stars incontournables. Tous les deux ont, chacun à des endroits différents, su fabriquer un théâtre qui fait la part belle aux images, et à leur pouvoir de nous bouleverser. On sait que le théâtre est longtemps resté dans la religion du texte et des auteurs, et tous deux ont été des dynamiteurs de cette conception, et ont montré que les images ont aussi une puissance de donner à penser. La Face cachée de la lune est une œuvre emblématique, un peu entrée dans la légende, qui nous raconte aussi le travail soigné de Lepage, la délicatesse de son travail d’artisan, qui sait gérer des grands récits et des récits intimes, avec une construction plus narrative, et le fait comme un cinéaste. Chez lui, les images sont plus que ce qu’elles nous donnent à voir ; elles sont le début d’un dialogue entre visible et invisible. »
fois qu’on avait travaillé ensemble, c’était sur La Vie de Galilée de Brecht, où il avait créé un personnage qui n’existe pas dans la pièce et que j’interprétais : un coryphée qui annonce les scènes. Je me suis rendu compte que je jouais ce qu’il aurait voulu jouer. Je n’étais pas surpris qu’il veuille que je le remplace, sur La Face cachée car j’avais déjà vécu ce moment, en quelque sorte. Et puis quand Robert Lepage t’appelle, si t’es un acteur un peu intelligent, tu ne peux pas refuser. Je voulais aussi voir ce que c’était que d’être seul en scène : j’ai vraiment été comblé ! Et puis j’avais vécu un peu ce genre d’échange avec mon frère, ma mère est importante pour moi, donc ce spectacle me parlait complètement. Pour moi c’était naturel. Qu’est-ce qui vous avait plu, en tant que spectateur ? La simplicité, ce qu’on arrive à faire avec presque rien. La planche à repasser qui devient scanner, solex, appareil de gym… Et ce merveilleux final avec la scène où le personnage est en apesanteur. Ça a été une révélation, c’est un vieux truc qui existe depuis que le miroir existe, et qu’il a retrouvé, en quelque sorte. L’acteur fait tout apparaître, il est un peu magicien. Je dis souvent que mon partenaire c’est la technique, j’attends que les choses se placent et j’y vais, comme on le fait avec un partenaire. Et au niveau de l’écriture, il y a cette scène de bar magnifique, où Philippe, saoul et agressif, parle contre son frère au barman, qui reçoit tout. C’est une scène tellement juste, j’ai trouvé ça brillant. Comment avez-vous travaillé avec Robert Lepage ? Robert est quelqu’un de très intelligent, il s’imaginait que j’avais tout compris, mais il y a beaucoup de choses que j’ai comprises en jouant. Du coup, pendant les répétitions, il s’assurait surtout que je sois au bon endroit. Il était aussi attaché à la façon de jouer, il cherche presque un non-jeu alors que j’étais plus exubérant, comme on nous l’apprend dans les écoles en nous expliquant qu’il faut que les derniers rangs entendent aussi. Pour moi, une scène de théâtre était forcément théâtrale. Robert m’a permis de ramener mon jeu à quelque chose de plus cinématographique. Le fait d’avoir
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un micro permet de ne pas être dans la projection, mais dans le réel. C’était pour moi le plus gros choc, une révélation. Cela m’a aussi aidé dans mon jeu au cinéma, m’a permis de simplifier les choses. Comment le temps a-t-il impacté votre interprétation ? Avec le temps, on découvre d’autres façons de l’attraper, les projets qu’on mène entre-temps nous ouvrent d’autres pans de possibilités. Mon travail avec Luc Bondy, Isabelle Huppert et Louis Garrel au Théâtre de l’Odéon [Les Fausses confidences de Marivaux en 2014, ndlr] m’a permis une autre approche. Cela a fait du bien à La Face cachée aussi, que je sois allé ailleurs. Néanmoins, ce spectacle est pour moi comme dans une seconde nature : je suis chez moi. Et le plaisir que le gens éprouvent en le voyant est très rafraîchissant. À votre avis, pourquoi ce spectacle a-t-il autant de succès ? Je pense que c’est parce qu’on touche l’âme des personnages, et donc l’âme des humains. C’est hallucinant d’avoir réussi à émouvoir des spectateurs de la terre entière. Le public est différent, il change tous les soirs, mais les gens ont les mêmes réactions au même moment dans tous les pays du monde. Pourtant, Robert n’a pas voulu faire un spectacle universel, il a seulement voulu parler de lui, de sa relation à son frère, à sa mère. Cette course à la mère et en parallèle cette course à la lune, qui symbolise un peu la mère en astrologie, entre l’infiniment grand et l’infiniment petit, tout le monde peut s’y projeter. Propos recueillis par Sylvia Dubost
Théâtre - Musique - Danse
Vader Peeping Tom
21.11 20H
22.11 20H
DURÉE — 1H30 TARIFS — 9/12€
Spectacle en anglais surtitré La Luna Maubeuge
C
e que l’on sait de Leo, c’est qu’il est un père, qu’il fait partie de ceux que l’on appelle « les vieux » et qu’il est en maison de retraite. Quelques points de références qui permettent à la compagnie Peeping Tom de tracer des perspectives immenses qui touchent à l’universel avec une précision chirurgicale. Un univers quasi carcéral, sorte de purgatoire où l’on semble éternellement arrivé, où le temps se distend autant que les perceptions. De mélancolies en explosions extatiques, Leo et ses congénères y libèrent fantaisies et regrets comme autant de créatures stupéfiantes. Vader mélange des corps et des âges, des professionnels et des amateurs. Chacun explore ses capacités physiques, sa morphologie, parfois jusqu’à la contorsion la plus virtuose. Il en résulte une danse extrêmement créative, qui émane de chacun des danseurs comme un trésor inattendu. Ces pépites sont autant d’irruptions émotionnelles, insolites et touchantes, entraînant avec elles quantité de pensées sur la vieillesse : l’énergie vitale, la proximité de la mort, la liberté de vouloir jouir encore. Voilà un spectacle qui parle au moins autant à la tête qu’au cœur, dont on ne ressort pas tout à fait indemne. (M.B.)
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PEEPING TOM Depuis sa création en 2000 par Gabriela Carrizo et Franck Chartier, la compagnie Peeping Tom tourne autour de l’intime et de l’humain. D’où le nom de la compagnie, selon Franck Chartier : « Peeping Tom, c’est un curieux, un voyeur. En tant que spectateurs, on voulait voir des choses qui n’hésitent pas à livrer une certaine fragilité. Dans la danse, il y a toujours des beaux danseurs, avec des beaux muscles : pour nous c’était important justement de montrer les choses qu’on s’évertue à cacher. On voulait travailler autour de l’intime, des complexes, des tabous, des peurs. » Pour aller au plus près de ces indicibles, Gabriela Carrizo et Franck Chartier travaillent avec des scénographies hyperréalistes et des danseurs singuliers, forces de proposition. Le théâtre, le mouvement, le texte, le son, la musique sont exploités de façon systémique pour hypnotiser le spectateur et le marquer profondément. Vader, créé en 2014, est le premier volet d’une trilogie autour de la famille : Vader, Moeder (2016) et Kinderen (2019). (M.B.)
Photo : Herman Sorgeloos
MISE EN SCÈNE Franck Chartier AIDE À LA MISE EN SCÈNE ET DRAMATURGIE Gabriela Carrizo CRÉATION ET INTERPRÉTATION Leo De Beul / Jef Stevens, Marie Gyselbrecht / Tamara Gvozdenovic, Hun-Mok Jung, Simon Versnel, Maria Carolina Vieira, Yi-Chun Liu, Brandon Lagaert, avec l’aide d’Eurudike De Beul ASSISTANCE ARTISTIQUE Seoljin Kim, Camille De Bonhome
COMPOSITION SONORE ET ARRANGEMENTS Raphaëlle Latini, Ismaël Colombani, Eurudike De Beul, Renaud Crols
DIRECTEUR TECHNIQUE Filip Timmerman
MIXAGE AUDIO Yannick Willox
CHARGÉE DE PRODUCTION Anastasia Tchernokondratenko
CONCEPTION LUMIÈRES Giacomo Gorini, Peeping Tom COSTUMES Peeping Tom, Camille De Bonhome CONCEPTION DÉCORS Peeping Tom, Amber Vandenhoeck CONSTRUCTION DÉCORS KVS, Filip Timmerman, Amber Vandenhoeck
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TECHNICIENS Hjorvar Rognvaldsson, Amber Vandenhoeck
ADMINISTRATEUR Quentin Legrand COPRODUCTION Theater im Pfalzbau Ludwigshafen, KVS - Koninklijke Vlaamse Schouwburg Bruxelles, Festival Grec de Barcelona, HELLERAU - European Center for the Arts Dresden, Les Théâtres de la Ville de Luxembourg,
Théâtre de la Ville - Paris, Maison de la Culture - Bourges, La Rose des Vents - Villeneuve d’Ascq, Printemps des Comédiens - Montpellier Avec l’aide du Sommerszene, Szene Salzburg (Salzburg). Avec le soutien des Autorités flamandes. DIFFUSION Frans Brood Productions
Photo : Herman Sorgeloos
Papa danse
Certains sentiments sont considérés comme les attributs incontournables de l’âge : les regrets et la solitude sont de ceuxlà. Si la proximité de la fin de la vie amène avec elle des transformations physiques, elle n’empêche pas la force vitale de réclamer sa part de plus belle, avec peut-être plus d’audace que chez les plus jeunes. Les vieux n’ont-ils pas le privilège de reboucler avec l’innocence de l’enfance ? Vader, premierné de la trilogie de Peeping Tom autour de la famille, raconte tout cela, et bien plus. Concentré sur la figure du père, ce premier opus interroge la force et le déclin, avec une charge émotionnelle qui en dit plus long que bien des discours. L’âge à la source La pièce naît lors d’un workshop mené à Paris avec des personnes âgées, où l’idée est de travailler autour des regrets et de la solitude. Franck Chartier s’appuie sur une étude démontrant que si on atteint péniblement 15 minutes de dialogue par jour dans la vie active, l’échange se résume à 3 minutes dans une maison de retraite. Le corps se resserre autour de son noyau
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Le regard du programmateur « J’ai programmé ce spectacle pour sa virtuosité et sa dimension “art total”. Car le festival doit aussi être un moment de fête. Ce n’est pas parce qu’on s’intéresse aux arts numériques qu’on doit être dans une vie parallèle. Des corps purs, vrais, des jeunes et des vieux, dans un moment de délire, contribuent à un surréalisme charnel dans une œuvre d’art total. Ce montage-là, même s’il n’est pas numérique, démontre aussi une forme de technologie de la composition, avec cette superposition des genres et des disciplines qui nous intéresse. Cela nous plaisait bien de terminer le festival avec ça. »
dur comme un étau, la sphère sociale rétrécit. Travaillant à partir de ce constat, le workshop donne des résultats libérateurs et explosifs. Comment travaille-t-on les perceptions et les mouvements en partant de pathologies trop courantes de la vieillesse, comme Parkinson ou Alzheimer ? Autant d’indications motrices à travailler avec les corps super-aiguisés des danseurs de Peeping Tom, mais aussi avec les danseurs amateurs. Tremblements, corps qui se recroquevillent, ambiance floue, regards perdus dans un passé aussi net que le futur est obscur. Qu’attendre de la jouissance lorsque l’on est entravé ? Quelle liberté trouver pour sortir de l’attente ? Franck Chartier propose à chaque personne âgée, sur scène, de « recréer sa vie ». Ce spectacle mérite d’être vu ne serait-ce que pour les réponses, intensément salvatrices, qu’il donne à ces questions universelles. Télépathie Un décor semi-enterré, une scène sur la scène, une seule fenêtre ouverte sur le monde extérieur, hors d’atteinte, à 8 mètres en hauteur, des murs sales, des tables et des chaises. Dès le début du spectacle, le public est aspiré dans ce décor à mi-chemin entre Lynch et la maison de retraite de sa propre mamie. Tout y est familier, mais déformé. Les décors hyperréalistes permettent à Peeping Tom d’embarquer les spectateurs avec eux, tout de suite. Le travail du son, du texte, de la théâtralité et du mouvement fait le reste, et l’on décolle, comme au cinéma. Comme chez Lynch aussi, la recherche du réel permet de dériver tranquillement vers le fantasque et l’absurde. On est déjà loin lorsqu’on se rend compte qu’on a quitté le point d’accroche du réel – qui est pourtant toujours là. Le but n’est pas de perdre le spectateur, bien au contraire. Il s’agit de capter son attention brute, pensée et émotion comprises. « On part d’une chose hyperréaliste pour se laisser dériver, explique Franck Chartier. Et puis le public peut s’y identifier très clairement, c’est du solide. […] On aime bien avoir une sorte de théâtralité marquée, plus forte qu’une danse abstraite. Il faut sentir l’homme et la
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femme dans leurs fragilités. C’est pareil dans la danse Butô : quand une pensée traverse la personne sur scène, il faut que cette pensée soit aussitôt ressentie par le public, comme par une espèce de télépathie. » Chez Peeping Tom, on recherche « la pensée en mouvement ». Le père « À quoi ça sert, un papa, Papa ? » C’est la question que la fille de Franck Chartier lui a posée lorsqu’elle avait 3 ans. Y-a-t-il un rôle, une responsabilité, une posture spécifique qui appartienne au paternel ? Premier ausculté de la famille Vader – Moeder – Kinderen, le père est examiné à la loupe. « Il appartient au père, après tout, d’être vieux, et d’osciller entre une présence opprimante et une absence égoïste », comme l’affirme la compagnie Peeping Tom. Le père, c’est donc Leo, pas loin de 80 ans maintenant, qui lui offre un corps, une voix, un regard. Leo est présence, Leo est absence. Leo danse, et partage son mouvement avec ceux qui sont autour de lui. Sa danse est inspiration. Il attire la lumière, même lorsqu’il la renvoie dans le vide. La musique le porte, avec les autres, dans une fête étrange teintée d’ivresse et de mélancolie. Cette fête, on ne peut s’empêcher de penser qu’on y sera tous invités, un jour ou l’autre. Vader nous propose de nous accompagner sur la pente douce qui nous y conduit. Et l’on ne peut que souhaiter qu’elle nous donne les mêmes élans de liberté et de folie. Texte : Marie Bohner
Focus partenaire — L’ESAD de Valenciennes
L’art en face C’est désormais une habitude : les étudiants de l’ESAD (École supérieure d’art et de design) de Valenciennes assurent la médiation de l’exposition VIA. Questions à Alice Vergara, la directrice, sur ces instants de rencontre avec le public.
Pourquoi l’ESAD de Valenciennes est-elle partenaire de VIA ? Pour la qualité des expositions et du programme. C’est un ensemble relativement peu courant car il y a à la fois une proposition artistique pointue, très contemporaine, et une programmation de spectacles travaillée en synergie. Dans cette époque de création où nous sommes dans la transversalité médiatique, des moyens, des disciplines, il est important de mettre les étudiants au contact de toutes ces formes d’élaborations. Ce qui nous intéresse aussi à Maubeuge, c’est de voir ce type de programmation dans des villes plus éloignées de la culture. Cela veut dire que vous n’avez pas affaire au même public que dans d’autres expositions ? C’est intéressant de présenter des œuvres à un public pas forcément très préparé. Nos étudiants y sont très sensibles. La moitié de l’effectif de l’école vient des Hauts-de-France ou des régions limitrophes ; ceux qui sont nés ici ont conscience du parcours qu’ils ont dû faire eux-mêmes pour être au contact de l’art. Cela n’a rien à voir avec les publics d’une grande métropole française, où dès l’âge scolaire on va dans les musées, où l’on invite des artistes à l’école. Comment cette participation s’intègre-t-elle dans le cursus des étudiants ? Je tiens à ce que les étudiants fassent des stages dans des lieux très spécialisés. Ils doivent y acquérir des savoir-faire mais aussi un comportement. J’ai la prétention de former des gens qui vont intégrer ce milieu, quel que soit le métier qu’ils y exerceront ; comprendre toutes les nuances de ce champ, être au contact très concret des problématiques sur le terrain, c’est très important. Maubeuge est pour moi un lieu de la réalité de la création. L’énergie qu’il faut pour réaliser cet événement dans un temps contracté relève d’actions culturelles très fortes, très mobilisatrices. Qu’y apprennent-ils ? Aussi des choses très basiques : quand on assiste un artiste, même s’il est taiseux, on est là ; on ne déplace jamais sans porter un outil… La plupart du
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temps, cela les débrouille, comme ont dit. Les 2e-3e années adorent y aller, ils sont ravis, fiers de l’expérience vécue. On voit la modification de leur comportement. La formation c’est l’émancipation, au sens de Jacques Rancière : c’est difficile à faire passer théoriquement, et quelquefois des expériences de terrain peuvent faire toucher du doigt ce qu’on veut dire. Comment se prépare-t-on à une exposition ? D’abord, on fait une recherche documentaire, on regarde les œuvres, les dimensions, les poids, les matériaux. On doit maîtriser la question matérielle car c’est la condition pour que l’œuvre puisse prendre sens. Du technologique peut naître une grande poésie. L’étudiant a la possibilité de ressentir cette tension avec beaucoup d’acuité car il a eu les mains dans les objets. En quoi l’échange entre médiateur et public est-il important, pour les deux parties ? D’abord, quelque chose me gêne : l’idée que le public ait forcément besoin d’un médiateur. Le regard de quelqu’un qui n’a pas le savoir n’est pas un mauvais regard pour l’art, donc pourquoi lui dire une pseudo-vérité sur l’art ? En même temps, le public le réclame… Il a très vite envie d’être sur des bases acceptables. Si on est vraiment à l’écoute du spectateur, il risque de nous emmener dans une dérive qui est la sienne, et les deux parties vont faire un voyage. Une œuvre va évoquer, stimuler un récit, une narration. On est vraiment là dans un espace culturel. L’art contemporain produit beaucoup de narration de la part des gens qui ne maîtrisent pas le savoir, et c’est aussi une façon d’être dans l’œuvre. Qu’est-ce qui fait un bon médiateur ? L’écoute. Dans les deux sens. Le médiateur est le contributeur d’un moment. Et si la médiation est bien menée, ce moment n’est jamais le même, car les regardeurs ne sont jamais les mêmes. Il faut éviter les péroraisons : ce n’est pas un guide, qui transmet un savoir issu de lectures. Ce qui s’échange est de l’ordre du ressenti. (S.D.)
ESAT Ateliers du Val de Sambre
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15/09/2017
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A . P. E . I .
CALENDRIER VIA 2017 7 NOV
EXPO VIA
3D Water Matrix
18H → 23H
LE MANÈGE MAUBEUGE
CIE L’ASTROLABE
Goya
19H → 20H
DÉPART LE MANÈGE MAUBEUGE
ROMEO CASTELLUCCI
De la démocratie en Amérique
20H → 21H30
LA LUNA MAUBEUGE
CIE L’ASTROLABE
Goya
22H → 23H
DÉPART LA LUNA MAUBEUGE
EXPO VIA
3D Water Matrix
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LE MANÈGE MAUBEUGE
CIE L’ASTROLABE
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DÉPART LE MANÈGE MAUBEUGE
ROMEO CASTELLUCCI
De la démocratie en Amérique
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LA LUNA MAUBEUGE
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3D Water Matrix
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LE MANÈGE MAUBEUGE
CIE L’ASTROLABE
Goya
18H → 19H / 20H → 21H
DÉPART LE MANÈGE MAUBEUGE
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3D Water Matrix
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LE MANÈGE MAUBEUGE
VERNISSAGE EXPO VIA
3D Water Matrix
18H
LE MANÈGE MAUBEUGE
VERNISSAGE EXPO VIA
Smart Factory
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ESPACE SCULFORT MAUBEUGE
P. CONTET & M. CHEVALIER
L’Origine du monde
19H → 20H
ESPACE SCULFORT MAUBEUGE
EXPO VIA
3D Water Matrix / Smart Factory
10H → 12H / 14H → 18H
LE MANÈGE MAUBEUGE & ESPACE SCULFORT MAUBEUGE
P. CONTET & M. CHEVALIER
L’Origine du monde
16H → 16H15
ESPACE SCULFORT MAUBEUGE
EXPO VIA
3D Water Matrix / Smart Factory
14H → 18H
LE MANÈGE MAUBEUGE & ESPACE SCULFORT MAUBEUGE
P. CONTET & M. CHEVALIER
L’Origine du monde
16H → 16H15
ESPACE SCULFORT MAUBEUGE
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EXPO VIA
3D Water Matrix / Smart Factory
09H → 12H / 14H → 18H
LE MANÈGE MAUBEUGE & ESPACE SCULFORT MAUBEUGE
15 NOV
EXPO VIA
3D Water Matrix / Smart Factory
09H → 12H /14H → 18H
LE MANÈGE MAUBEUGE & ESPACE SCULFORT MAUBEUGE
COLLECTIF BERLIN
Perhaps All The Dragons
18H → 19H
ESPACE SCULFORT MAUBEUGE
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3D Water Matrix / Smart Factory
09H → 12H / 14H → 23H
LE MANÈGE MAUBEUGE & ESPACE SCULFORT MAUBEUGE
COLLECTIF BERLIN
Perhaps All The Dragons
10H, 14H, 16H, 18H
ESPACE SCULFORT MAUBEUGE
VALERY WARNOTTE
Words to animals
18H → 19H30
GARE NUMÉRIQUE / JEUMONT
EX MACHINA / ROBERT LEPAGE
La Face cachée de la lune
20H → 22H15
LA LUNA MAUBEUGE
EXPO VIA
3D Water Matrix / Smart Factory
09H → 12H / 14H → 23H
LE MANÈGE MAUBEUGE & ESPACE SCULFORT MAUBEUGE
COLLECTIF BERLIN
Perhaps All The Dragons
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ESPACE SCULFORT MAUBEUGE
VALERY WARNOTTE
Words to animals
18H → 19H30
GARE NUMÉRIQUE / JEUMONT
P. CONTET & M. CHEVALIER
L’Origine du monde
19H → 20H
ESPACE SCULFORT MAUBEUGE
EX MACHINA / ROBERT LEPAGE
La Face cachée de la lune
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LE MANÈGE MAUBEUGE & ESPACE SCULFORT MAUBEUGE
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L’Origine du monde
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LE MANÈGE MAUBEUGE & ESPACE SCULFORT MAUBEUGE
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PEEPING TOM
Vader
20H → 21H30
LA LUNA MAUBEUGE
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Manège Maubeuge / Théâtre du Manège CS 10105 - Rue de la Croix — 59600 Maubeuge (F) T. +33 (0)3 27 65 65 40 billetterie@lemanege.com — www.lemanege.com
Tarifs spectacles 3 → 12€ Tarif exposition VIA 3 € Billet soirée 15€ (2 spectacles + expo VIA)