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Numéro anniversaire 5 ans
City magazine Gratuit
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Édition florilège 2012—2017
I
Retour sur cinq années d’édition et vingt numéros Images, portraits et reportages
I
CULTURE TENDANCES LIFESTYLE
Lorraine Luxembourg Automne–hiver 2017
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Cité musicale-Metz Orchestre national de Lorraine
Arsenal
trinitaires
Bam
NOVEMBRE — DÉCEMBRE 2017
NOVEMBRE jeu 2 AMADOU & MARIAM
Bam
ven 10 St-Pierre-aux-Nonnains ACCORDS CROISÉS INDE-IRAN Hooshang Farahani & le Samvad Trio musiques du monde
sam 4 THE ARRS SMASH HIT COMBO DOWNFALL
jazz
Trinitaires
Festival Musiques Volantes #22 ven 10 Bam RUINES F. Vigroux / Cie d’autres cordes
sam 18 Arsenal MADRID-PARIS Liat Cohen & Charles Castronovo
musique d’aujourd’hui
lyrique
métal
mer 8 BAX L’IRLANDAIS Cie DingDangDong
Arsenal
jeu 16 RONE
Bam
électro
dim 26 Arsenal ARANJUEZ… Orchestre national de Lorraine
Bam
symphonique Dans le cadre d’Orchestres en Fête !
+ Ateliers, rencontres, blind test…
funk klezmer
jeu 9 FURY Sarah Baltzinger
Arsenal
danse
ven 10 Arsenal CANTATES ET CONCERTOS DE BACH ET VIVALDI Damien Guillon & Le Concert Lorrain baroque
Arsenal
jazz
jeune public
mer 8 ABRAHAM INC. Featuring D. KRAKAUER, F. WESLEY & SOCALLED La Fanfare Couche-Tard
sam 25 GYPSIE PLANET
ven 17-sam 18 Trinitaires LA MVERTE, ESSAIE PAS, JAMES HOLDEN & THE ANIMAL SPIRITS, DELACAVE, KOKOKO!, TG GONDARD, UP-TIGHT, SPOEK MATHAMBO, NIID, LA TERRE TREMBLE !!! … jeu 23 THE RESIDENTS LPLPO pop expé
Bam
jeu 23 Arsenal FACE À LA MER, POUR QUE LES LARMES DEVIENNENT DES ÉCLATS DE RIRE Radhouane El Meddeb danse
ven 24 ALIOSE
Trinitaires
pop
jeu 30 ANNE QUEFFÉLEC Danses en Miroir piano
Arsenal
N° de licences d’entrepreneur de spectacles : 1-1097300 - 1-1097302 - 1-1097303 - 2-1097304 - 2-1097266 - 3-1097305 - 3-1097267 – Conception : fredetmorgan.com
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Il pleut des cordes… Festival autour de la guitare jeu 16 Arsenal DHAFER YOUSSEF
DÉCEMBRE Il pleut des cordes… Festival autour de la guitare ven 1er RODOLPHE BURGER
Bam
ven 8 TINARIWEN Tinariwen © Marie Planeille
mer 20 FABERGOSSE (Re)Tour de chants
jeune public
jeune public
Bam
blues rock touareg
sam 2 MEDINE, SCYLLA Taleb
Bam
Trinitaires
ven 22 Arsenal L’ORATORIO DE NOËL DE BACH Le Concert Lorrain
blues rock
baroque
ven 15 Arsenal ROMANCES INCIERTOS, UN AUTRE ORLANDO François Chaignaud & Nino Laisné
jeu 28, ven 29, sam 30 Arsenal CONCERT DU NOUVEL AN Vienne, Cœur de la Mitteleuropa Orchestre national de Lorraine
danse
symphonique
rap
dim 3 Arsenal CONCERT SAINT-NICOLAS Orchestre national de Lorraine dim 3 ORCHESTRE DÉMOS METZ MOSELLE
Et bien d'autres dates à découvrir sur... citemusicale-metz.fr
Arsenal
En partenariat avec la Philharmonie de Paris.
mer 6 QUATUOR AROD Mendelssohn Attahir
Arsenal arsenal-metz.fr
Arsenal
Bam & Trinitaires trinitaires-bam.fr
musique de chambre
Rone © Olivier Donnet
Trinitaires
+ 16h, Les p’tites oreilles atelier 3-6 ans
sam 9 CHARLES PASI
rock
Romances Inciertos © Thibault Solinhac-Chambre
sam 9 Arsenal LE GRAND MÉCHANT LOUP Orchestre national de Lorraine
mer 6 Bam SYMPHONIE DE L’HORREUR NOSFERATU LE VAMPIRE Ensemble 2e2m ciné-concert
ven 15 Trinitaires FRONT DE L’EST #4 Dirty Work of Soul Brothers Dewendel’s Dämbe Hoboken Division
Orchestre national de Lorraine orchestrenational-lorraine.fr
Zut ! team
Contri— buteurs
contact@chicmedias.com ou prenom.nom@chicmedias.com
Rédacteurs
Directeur de la publication & de la rédaction Bruno Chibane Administration et gestion Gwenaëlle Lecointe Rédaction en chef Emmanuel Abela Directeur artistique Hugues François Design graphique Hugues François Clémence Viardot Directrice artistique mode et tendances Myriam Commot-Delon Chargé de projets, développement Léonor Anstett Responsable promotion et partenariats Caroline Lévy Céline Loriotti
Commercialisation & développement Bruno Chibane +33 (0)6 08 07 99 45 Magali Murano +33 (0)6 70 70 55 74 Caroline Lévy +33 (0)6 24 70 62 94 Céline Loriotti +33 (0)6 64 22 49 57 Philippe Schweyer +33 (0)6 22 44 68 67 Alexandre Zebdi +33 (0)6 48 14 30 86
Emmanuel Abela Cécile Becker Benjamin Bottemer Myriam Commot-Delon Sylvia Dubost Virginie Joalland Caroline Lévy Magali Murano Philippe Schweyer Romain Sublon Aurélie Vautrin Styliste Myriam Commot-Delon Photographes
Ce magazine trimestriel est édité par chicmedias 12, rue des Poules 67000 Strasbourg 03 67 08 20 87 S.à.R.L. au capital de 37 024 euros Tirage : 7500 exemplaires Dépôt légal : octobre 2017 SIRET : 50916928000013 ISSN : 1969-0789
Impression Ott imprimeurs Parc d’activités « Les Pins » 67319 Wasselonne Cedex
Julian Benini Sébastien Bozon Alexis Delon / Preview Thibaut Dupin Hugues François Arno Paul Olivier Roller Christophe Urbain
Diffusion LD Diffusion 32, rue d’Oelleville 88500 Totainville
Relectures et corrections
Veste à revers en pointe, chemise et chapeau. Paul Smith Main Line.
Léonor Anstett Cécile Becker Sylvia Dubost
Abonnements abonnement@chicmedias.com
Crédits couverture
Photographe Alexis Delon / Preview Réalisation Myriam Commot-Delon Studio Photo / Preview 28, rue du Général de Gaulle 67205 Oberhausbergen www.preview.fr
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23 JUIN 17 28 JAN 18 !! PROLONGATION
RESSOURCES HUMAINES
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COMMISSAIRE : VIRGINIE JOURDAIN ARTISTES : G. AMER, B. CUSSOL, DÉCIDER ENTRE HOMMES, K. HOLMQVIST, O. KISSELEVA, K. KIWANGA, C. LESCARBEAU, N. MCCOMBER, A-M. PROULX, J. SCHWEBEL, J. SPENCE, P. TAKALA, M. UKELES, M. VIALE RESSOURCES HUMAINES S’INSCRIT DANS LE CADRE DU PROJET COLLECTIF « LE TRAVAIL À L’ŒUVRE » INITIÉ PAR LES TROIS FRAC DU GRAND EST.
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ENTRÉE LIBRE becdf OUVERTURE : MARDI AU VENDREDI 14H-18H SAMEDI & DIMANCHE 11H-19H VISITES GUIDÉES GRATUITES WEEK-END À 11H & 17H
14 É DITORIAL
… Avant de reparaître au printemps.
17 S ÉLECTIONS ZUT
Un florilège automne-hiver, culture, tendances et lifestyle.
36 Litttérature
LEÏLA SLIMANI
Quand l’écriture dénonce, libère et élève. Sexe et mensonges et bien plus encore…
40 I NTERLUDE MODE 80 I nstant Flash
43 Culture
DENIS ROBERT
Un journaliste total : parcours, écritures et engagements.
SÉBASTIEN TELLIER 82 M usique
CHARLÉLIE COUTURE
45 Culture
LOULOU ET NINA ROBERT
Liberté chérie : un héritage familial tourné vers la créativité.
47 Culture
PIERRE SIANKOWSKI
Le journaliste, originaire de Lorraine, raconte sa vision de la presse.
50 I NTERLUDE MODE 52 Dossier
ILLUSTRATIONS
Tour d’horizon en mots et en images des illustrateurs lorrains : Rémi Malingrëy, Yan Lindingre, LefredThouron, Vincent Vanoli et Jochen Gerner.
68 I NTERLUDE MODE 70 Dossier
MUSIQUE
Nancy, territoire d’avant-garde rock ? Preuves avec Dominique Répécaud (Musique Action), le groupe Kas Product, le disquaire Punk Records, le journaliste Gérard Nguyen et le label Ici D’ailleurs.
10
Il vient de Nancy, il revient à Nancy à l’occasion d’une rétrospective… Allers-retours territoire/parcours.
84 M usique
GRAND BLANC
Sensation de l’électro-pop hexagonale, le groupe revient sur les terres messines et évoque l’inspiration de la région sur leur musique noire et romantique.
85 M usique
FRANCESCO TRISTANO
Inspirations géographiques et musicales d’un pianiste (Luxembourgeois) hors-pair !
88 M ode
COURRÈGES
Jacques Bungert et Frédéric Torloting ont repris la marque Courrèges en 2011 : pourquoi ? Comment ? Vers où ?
91 M ode
BLOTTER ATELIER
La griffe messine aussi arty qu’épurée.
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92 Architecture
JEAN PROUVÉ
L’œuvre simple, radicale, intemporelle et universelle de l’architecte nancéien.
96 I NTERLUDE MODE 97 Architecture
L’USINE CLAUDE ET DUVAL
Le seul ouvrage industriel imaginé par Le Corbusier.
102 Artisanat
CENTRE INTERNATIONAL D’ART VERRIER
À Meisenthal, le site verrier participe de la réécriture d’une relation fusionnelle entre la région et le verre.
105 Design
KALÉIDOSCO
Cinq jeunes femmes se sont réunies en collectif et explorent les possibilités infinies de cette matière, le verre, qui les fascine.
108 Design
SAPINBRUT
Des meubles en sapin des Vosges, un design fonctionnel et épuré, what else?
110 Design
STUDIO DELLE ALPI
Des meubles pour les enfants, ultra-élégants, qui séduisent aussi les grands !
112 Success-story
BLEUFORÊT
Des chaussettes, bas et collants haut de gamme fabriqués dans les Vosges, à retrouver de New York à Tokyo.
116 Instant Flash
LONDON GRAMMAR 118 Sport
OLIVIER ROUYER
On s’en souvient notamment pour son but contre l’Allemagne en 1977, il ne s’est pas arrêté là.
120 Instant Flash
SELAH SUE 122 Gastronomie
ALEXANDRE POLMARD
Éleveur et boucher, amoureux et sensible, séduit les grandes tables internationales.
124 Instant Flash
JULIE GAYET 125 Instant Flash
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Z UT Édito
Vivement le printemps ! Par Philippe Schweyer
J’étais en panne quelque part entre Nancy et Metz. Un camion s’est arrêté pour me prendre en stop. Une femme était au volant. Elle était en mini short, mais j’ai soigneusement évité de regarder ses jambes. Comme j’hésitais, elle m’a fait signe de monter à bord : — Vous auriez préféré que je sois un homme ? — Pas du tout. — Où allez-vous ? — Au Luxembourg. Elle a jeté un coup d’œil à ma valise avant de démarrer. La cabine était bien chauffée. J’ai enlevé ma veste et commencé à me détendre. — Moi aussi je vais au Luxembourg. J’ai un chargement de sauce tomate. Les Luxembourgeois adorent le cinéma italien et la sauce tomate. — Tout le monde adore Mastroianni et la sauce tomate. — Je vais la chercher dans le sud de l’Italie. Et vous, qu’est-ce qu’il y a dans votre valise ? — Des montagnes de souvenirs. — Je croyais que c’était des billets de banque. — C’est pour ça que vous vous êtes arrêtée ? 14
— Non, mais je ne prends pas d’autostoppeurs d’habitude. — Alors, pourquoi cette fois ? — Vous m’avez fait de la peine avec votre grosse valise. On aurait dit un pauvre migrant. — Vous n’avez pas peur des migrants ? — Quelle idée ! Dommage qu’il n’y ait pas d’argent dans votre valise… — Vous ne me croyez toujours pas ? — À quoi bon planquer vos souvenirs au Luxembourg ? — Je ne gagne pas un rond vu que je travaille dans la presse… Mes souvenirs sont ce que j’ai de plus précieux. — La presse, c’est tout de même nettement mieux payé que le transport. — N’empêche que votre cabine est plus cosy que mon bureau. — Je m’ennuie à mort dans ma cabine. — Au moins vous voyagez… — C’est vrai, mais mes souvenirs rentreraient dans une boîte d’allumettes. Alors, qu’est-ce qu’il y a dans cette valise ? De la drogue ? — Non. — Des armes ? — N’importe quoi ! Vous voulez vraiment savoir ? — Je ne suis pas curieuse, mais on approche de la douane. — Tout ce qu’il y a dans cette valise, c’est ma collection complète de Zut. Vingt numéros qui me rappellent des tas de rencontres. — C’est quoi Zut ? — Mon magazine ! Le plus beau des magazines ! — Pourquoi prendre cet air triste en disant ça ? — Parce qu’il va falloir attendre six mois avant le prochain numéro. — Êtes-vous en grève ? — C’est pas le genre de la maison. — Avez-vous fait faillite ? — Pas du tout ! Le patron a décidé de donner du temps au temps… avant de reparaître au printemps. — Partir pour mieux revenir ? — Exactement. Qu’en pensez-vous ? — Vivement le printemps !
SCÈNE
DE MUSIQUES ACTUELLES À NANCY
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Girls in Hawaii
Julien Gasc
Le Party De Noël
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Ibeyi © Amber Mahoney
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Illustration : Laurence Bentz
à Nancy et au Luxembourg
Sélections
Visuel : Kokoko!
FESTIVAL
Monstrueuse parade
Vingt-deux ans que le festival Musiques volantes fait planer ses mutants à travers tout l’Hexagone, notamment à Metz qui aura accueilli moult moments d’anthologie et de découverte de musiques résolument hybrides. Pour cette édition, la BAM de Metz-Borny accueillera les têtes d’affiche que sont le producteur électro Rone, qui présentera en avant17
première son nouvel album Mirapolis, et The Residents, ovni pop emblématique de la scène britannique depuis quarante ans, entre collages sonores et visuels lysergiques. Le caveau et la chapelle des Trinitaires verront défiler une douzaine de groupes sur deux soirées, et défendront un éclectisme farouche : James Holden, La Terre tremble !!!,
Kokoko !, NIID, La Mverte, Love Theme… L’inauguration à la BAM verra la compagnie d’Autres cordes présenter Ruines, entre théâtre, danse, arts numériques et musique électroacoustique. (B.B.) Musiques volantes 10.11 → 23.11 Metz www.musiquesvolantes.org
Sélections
MODE
NOUVELLE DONNE Depuis la fin du mois de septembre, Le Repère, concept store cosytendance de la rue de la Visitation propose, en exclusivité sur Nancy, la marque de prêt-à-porter Loreak Mendian… Des vêtements très graphiques, à la fois street et branchés, pour habiller l’homme et la femme, imaginés sous le soleil du pays basque espagnol par deux amis fans de street art. Laine, coton, lin – de belles matières made in Europe pour une jolie boutique où l’on sait que chaque produit est toujours choisi avec soin. (A.V.) Le Repère 27, rue de la Visitation | Nancy www.lerepere.eu
Photo : Julian Benini
HOT SPOT
Visuel : collection Loreak Mendian
Tartines et déhanchements Chez Les Vedettes, on mange, on boit, on danse dans une ambiance cosy et conviviale qui s’anime à la nuit tombée. À l’approche de l’hiver, la carte de tartines joliment élaborées accueille des fromagères et de nouveaux cocktails : Dr Funk, Birdy Nam Nam ou Adios Motherfucker seront vos meilleurs amis pour les soirées à venir 18
(du 23 au 25 novembre dans le cadre du festival Culture Bar-bars, et un 25 décembre saveur électro). Plus reposant, un vide-dressing s’y tiendra le 2 décembre. (B.B.) Les Vedettes 24, place du Quarteau | Metz Facebook : chezlesvedettes
BIJOUX
PAMPILLES Baccarat 2, rue des Dominicains Nancy 03 83 30 55 11
Pour une seconde édition, la collaboration entre la créatrice Marie-Hélène de Taillac et la Maison Baccarat crée la surprise en sublimant l’octogone – célèbre pampille des lustres Baccarat – à travers une palette infinie de couleurs lumineuses montée en bijoux de cristal. C’est à fleur de peau que 19
l’ornement révèle tout son éclat. Cette fin d’année, la directrice de la boutique nancéienne Catherine Venturini vous invite à découvrir cet univers précieux dans un accueil 5 étoiles. Jingle Belles ! (C.L.)
Sélections KIDS
…CACAHUÈTE Il y a 5 mois est née à Metz la jolie boutique Pirouette : un univers tout doux pour les enfants de 0 à 14 ans. Des idées cadeaux pour les filles et les garçons, à piocher dans un dressing « trop chou », parmi les jouets en bois, les livres originaux et autres facéties. Mode, accessoires, livres, jouets, déco : comme pour
sa grande-sœur Le Dressing – située juste en face –, AnneSolène Silesi sélectionne avec goût des marques de créateurs français, exclusives à Metz. (M.M.) Pirouette 24, avenue Leclerc de Hauteclocque | Metz Facebook : Pirouette
OPÉRA
Goûtez l’opérette À la fin des années 20, le réalisateur et metteur en scène Erik Charell fait appel à Hans Müller et Robert Gilbert pour réaliser un livret d’opérette autour de la comédie allemande du XIXe siècle L’Auberge du Cheval Blanc, qui prend pour cadre l’auberge d’une petite ville autrichienne de charme. Paul-Émile Fourny et Pénélope Bergeret ressuscitent cette œuvre en livrant une version modernisée des intrigues amoureuses qui secouent l’établissement, alors que celui-ci s’apprête à être visité par l’empereur François-Joseph. Une friandise qui n’a rien perdu de sa saveur. (B.B.) Visuel : Maquettes des costumes par Brice Lourenço et Valérian Antoine
Visuel : DR
L’Auberge du Cheval Blanc 21.12.17 → 01.01.18 Opéra-théâtre de Metz www.opera.metzmetropole.fr 20
Photo : Julian Benini
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Sélections
EXPO
Fragments d’aventure
Le Muséum-aquarium de Nancy expose les trouvailles de l’explorateur Jules Crevaux, qui a parcouru au XIXe siècle le Venezuela, la Colombie, la Guyane ou encore le Brésil. Différents objets, animaux empaillés, parures, ossements permettront de retracer les périples, souvent à pied ou en pirogue, entamés par ce Lorrain qui a traversé les Andes et remonté le fleuve Amazone. Au fil de ses quatre expéditions, la dernière lui étant fatale, Jules Crevaux a apporté au Vieux Continent de précieuses contributions en matière d’ethnologie et de cartographie, livrant également de remarquables gravures. (B.B.) → 28.01.18 Muséum-aquarium de Nancy www.museumaquarium denancy.eu
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Festival de musiques nouvelles Philharmonie Luxembourg 06.–19.11.2017 rainydays.lu
How does it feel?
www.fernkopie.de
Official partner
Exclusive automobile partner
Media partner
Sélections
FESTIVAL
Des émotions Récemment, le jazzman Peter Brötzmann, au sujet de son rapport à la musique, nous confiait : « Aller chercher les limites, dépasser certaines barrières. C’est une sensation très agréable de finir un set le corps vidé et bousillé. J’adore ça. » Qu’il soit invité, avec Heather Leigh, au festival de musiques nouvelles Rainy Days consacré aux émotions que procurent la musique, nous semble ainsi tout naturel. Sous-titrée « How does it feel? » cette nouvelle édition verra ainsi se côtoyer l’Orchestre philharmonique du Luxembourg, Roland Kluttig, Jennifer Walshe ou encore le JACK Quartet. Des formes variées, pour des expériences aussi sensorielles qu’étonnantes. Car la musique contemporaine est sans doute avant tout une expérience… (C.B.)
Photo : Julian Benini
FOOD
ÇA PÉTILLE
Rainy Days 06.11 → 19.11 Luxembourg www.philharmonie.lu
Chez Monsieur Saint-Louis, on pratique avec audace la mixologie dans une ambiance Amérique des années 30, façon boudoirbistro chic en pleine prohibition. À la fois bar aux propositions ébouriffantes, food créative et minutieuse où les plats sont servis avec des cocktails aux saveurs savamment étudiées, et espace de découverte de produits haut de gamme (dans une mystérieuse salle secrète !), l’établissement vient d’être choisi par la très tendance Villa Schweppes
Visuel : Peter Brötzmann – Photo : Sébastien Bozon
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pour tester les nouveautés tonics de la gamme Schweppes Heritage… Un privilège réservé aux bars les plus pointus, ce dont le très chic Monsieur Saint-Louis peut s’enorgueillir, d’autant qu’il accueillera également toute une série de Master Class avec des barmans de renom. Voilà qui mériterait bien une dégustation. (A.V.) Monsieur Saint-Louis 59, place Saint-Louis | Metz Facebook : monsieursaintlouis
CONCERT
Visuel : Wolf Parade
Entre chat et loup
En sortant d’un silence de six ans avec un solide quatrième album baptisé Cry cry cry, Wolf Parade nous rappelle qu’à Montréal, il n’y a pas qu’Arcade Fire qui fait du bruit. Au programme, onze pistes efficaces d’un indie-rock oscillant continuellement entre pop et post-punk, dans un registre plus épuré que les disques précédents, notamment Apologies to the Queen Mary, acte de naissance datant d’il y a quinze ans déjà. C’est une force tourmentée qui est ici à l’œuvre : Spencer Krug, Dan Boeckner et leurs acolytes nous entraînent tantôt vers le fond ou vers les sommets, mais nous font toujours vibrer.
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Les chansons de Julien Gasc ont quant à elles du charme : poésie absurde, pulsations tranquilles, love stories oniriques… Avec Kiss me you fool, il continue de musarder dans les sous-bois de la chanson française. Un second opus langoureux où on se laisse gentiment bercer en ronronnant comme des chats. (B.B.) Wolf Parade + Julien Gasc 25.11 L'Autre Canal | Nancy www.lautrecanalnancy.fr
Visuel : Mierle Ukeles, Touch Sanitation Performance, 1979-80 - Collection 49 Nord 6 Est - Frac Lorraine. Photo : Vincent Russo © R. Feldman Fine Arts, New York
L’exposition Ressources humaines ambitionne de réhabiliter le travail des « invisibles », du personnel d’entretien au stagiaire en passant par l’acteur culturel. Une initiative partagée par les trois FRAC de la région Grand Est qui consacreront tous, cette saison, une exposition au thème « Le Travail à l’œuvre ». À Metz, les œuvres s’appréhendent à travers une grille de lecture militante, engagée et féministe, rassemblant des créations issues de diverses pratiques collaboratives et solidaires. À travers photos, vidéos, performances, dessins et documents divers, le
EXPO
L’ESPRIT À LA TÂCHE
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parcours de l’exposition se construit entre les thématiques des Dynamiques de pouvoir, des Écosystèmes dans les lieux de travail, la partie Le Travail invisible mettant en perspective le statut des catégories discriminées, tandis que Le Travail de l’art interroge la notion d’utilitarisme au cœur de nos sociétés productivistes. (B.B.) Ressources humaines → 28.01.18 FRAC Lorraine | Metz www.fraclorraine.org
BI LL ET TE RI E ET AB O N N EM EN TS À PA R TI R D U 5 SE PT EM BR E 20 17
OPÉRA - GIACOMO PUCCINI 29 / SEPT. / 1 ER / 3 / OCT. 2017
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L’OISEAU DE FEU
BALLET - IGOR STRAVINSKY PRÉCÉDÉ DE EXODE ANTHONY ROUCHIER / GEORG FRIEDRICH HAENDEL CRÉATION
14 / 15 / 17 / OCT. 2017
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L’AUBERGE DU CHEVAL BLANC
LES AMOURS D’ALEXANDRE ET DE ROXANE
COMME UNE CHANSON POPULAIRE
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ANDROMAQUE
THÉÂTRE - JEAN RACINE 19 / 20 / OCT. 2017
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EUGÈNE ONÉGUINE
DON PASQUALE
OPÉRA - PIOTR ILITCH TCHAÏKOVSKI 2 / 4 / 6 / FÉV. 2018
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KIRANA
SPECTACLE MUSICAL JEUNE PUBLIC RUBEN ZAHRA 2 / DÉC. 2017
PRÉCÉDÉ DE
OPÉRETTE - RALPH BENATZKY 21 / 22 / 23 / 26 / 31 / DÉC. 2017 1 ER / JAN. 2018
THÉÂTRE MUSICAL - BERTRAND SINAPI 11 / 12 / JAN. 2018
OPÉRA - GAETANO DONIZETTI 17 / 19 / 21 / NOV. 2017
DON JUAN
BALLET - CHRISTOPH WILLIBALD VON GLUCK 16 / 17 / 18 / MARS 2018
LES EAUX ET FORÊTS THÉÂTRE - MARGUERITE DURAS 23 / 24 / MARS 2018
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LE BARBIER DE SÉVILLE OPÉRA - GIOACCHINO ROSSINI 15 / 17 / 19 / AVRIL 2018
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LA TRAGIQUE ET MYSTIQUE HISTOIRE D’HAMLET THÉÂTRE - WILLIAM SHAKESPEARE 15 / 16 / FÉV. 2018
EN DESSOUS DE VOS CORPS... THÉÂTRE - STEVE GAGNON 17 / 18 / MAI 2018
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ON PURGE BÉBÉ
MOUTON
SAMSON ET DALILA
OPÉRA JEUNE PUBLIC - SOPHIE KASSIES 21 / 22 / FÉV. 2018
OPÉRA - CAMILLE SAINT-SAËNS 1 ER / 3 / 5 / JUIN 2018
THÉÂTRE - GEORGES FEYDEAU 8 / 9 / DÉC. 2017
Réservations 03 87 15 60 60
opera.metzmetropole.fr
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OperaTheatreMetzMetropole
OperaMetz
GRAPHISME : CHRISTOPHE FERRY / PÔLE COMMUNICATION / METZ MÉTROPOLE. LICENCE D’ENTREPRENEUR DE SPECTACLES DE 1 ER, 2 E ET 3 E CATÉGORIES / 1-1078078 / 2-1078079 / 3-1078080
LA BOHÈME
Sélections
DANSE
À Taïwan, l’expression Floating Flowers désigne une fête religieuse où sont célébrés les morts : des lampions sont lâchés dans les eaux des rivières entamant leur voyage vers l’infini. Le chorégraphe Po-Cheng Tsaï s’inspire de cette cérémonie et convoque quatre danseuses et quatre danseurs en une danse mêlant brutalité et sensibilité, gestes tribaux et délicats, le tout accompagné de projections. Un spectacle tout en remous. (C.B.)
Photo : Élisabeth Carecchio
Corps flottants
THÉÂTRE
ACTES DE SAINTETÉ
Floating Flowers 20 + 21.11 Carreau | Forbach www.carreau-forbach.com
Avec La Passion de Félicité Barette, le metteur en scène Guillaume Delaveau livre sa vision de Trois contes de Gustave Flaubert. Il débute avec Un cœur simple, la vie d’une servante modeste et dévouée jusqu’à l’extrême, puis poursuit par les récits de Saint Julien l’Hospitalier et de Saint Jean-Baptiste, comme pour mieux mettre en évidence cette figure de sainte qui aurait échappé aux hagiographes. Au fil de cette existence ingrate mêlant dévotion, amours successives et transports mystiques, la figure de Flaubert dialoguera avec elle, la plupart du temps à distance, chacun venant parfois habiter l’autre. (B.B.) La Passion de Félicité Barette 29.11 → 02.12 Nest | Thionville www.nest-theatre.fr
Photo : Yi-Wen Chou
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FESTIVAL
Cordes sensibles
Visuel : Tinariwen, le 08.12 à la BAM
Avec le festival Il pleut des cordes, l’Arsenal et la BAM de Metz mettent à l’honneur la guitare sous toutes ses formes. À l’Arsenal, ça commence très fort par un concert du oudiste Dhafer Youssef, qui a scotché son monde l’an dernier avec son album Diwan of Beauty and Odd, entre jazz et sonorités orientales. La guitariste Liat Cohen et le ténor Charles Castronovo nous emmènent entre Madrid et Paris en reprenant Fauré, Ravel ou De Falla, tandis que Caroline Delume élargit encore les horizons avec un répertoire des XXe et XXIe siècles.
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L’ensemble Gypsie Planet, sextet mené par Christian Escoudé, lauréat du prestigieux prix Django Reinhardt, se met en orbite au sein de la galaxie tsigane, mêlant guitare manouche et swing. Le blues rock touareg de Tinariwen et l’envoûtant Rodolphe Burger secoueront quant à eux la BAM de leurs vibrations irrésistibles. Conférences et master classes sont également au programme. (B.B.) Il pleut des cordes 16.11 → 08.12 Arsenal + BAM | Metz www.arsenal-metz.fr www.trinitaires-bam.fr
Sélections MODE HOMME
DANDY COOL
Faut-il encore présenter Boulet Store ? Un shop qui fait à la fois du prêt-à-porter masculin, des chaussures, des bags, des montres, des ceintures, du thé, du chocolat, des bougies et des chaussettes… et dans lequel on peut boire un café à côté d’une Fiat 500 et
trouver des marques aussi fashion qu’originales et engagées – Zespa Aix-enProvence, A.P.C., Bleu de Paname, LA Panoplie, Le Slip Français, La Pantoufle à Pépère… Sans aucun doute le concept store le plus étonnant de la ville, où le boss Michaël Ribeiro se fera un plaisir de vous
présenter sa marque chouchou du moment : Y.M.C. (You Must Create), des vêtements british très classes avec une petite pointe de punk-rock. Ça décoiffe ! (A.V.) Boulet Store 51, Grande Rue | Nancy www.boulet-store.com
BIJOUX
Love is All On craque pour l’esprit délicieusement bohème de Sally & Jane, le joli shop aux merveilles de Morgane et Mimi, deux amies qui n’ont qu’un seul crédo : vendre les bijoux qu’elles aiment. Là-bas, les créations de Marie-Laure Chamorel flirtent avec les fantaisies de chez Zag, les bracelets en cuir d’Hanna Wallmark avec les boucles d’oreilles design de By Boe… Depuis peu, on y trouve aussi les beautés de la marque 5 octobre, qui mêlent matériaux bruts et pierres précieuses dans des créations gipsy-chic aux allures de talismans. (A.V.) Sally & Jane 14, rue Taison | Metz 03 57 28 84 73
Visuel : collection Y.M.C
Visuel : collection 5 octobre
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C
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Strasbourg - 113, Grand rue - 03.90.24.95.31 Mulhouse - 16, rue des Boulangers - 03.89.46.68.48 Nancy - 2, rue des Dominicains - 03.83.40.59.26
18, rue de Guise - 54000 Nancy - +33 (0)3 83 322 468 www.hoteldeguise.com
ArtCom
www.lepetitsouk.fr
50 chambres dont 3 Junior Suites 9 Supérieures et 25 Conforts Canal + | Canal Sat | TNT | Wifi gratuit
Photo Yves Trotzier
Des créations joaillières pour souligner l’Art d’être soi !
Pour célébrer son deuxième anniversaire Aimée•K a créé sa propre collection joaillière "l’Art d’être soi". Des créations uniques et intemporelles, qui exaltent les perles & pierres fines, soulignées par des inserts ciselés à la feuille d’or. Une collection exclusive pour magnifier votre Art d’être femme au quotidien !
28 rue des Tonneliers Strasbourg Aimée.k Gallery
Sélections BEAUTÉ
ZEN SOYONS ZEN Aloha 13a, allée des Tilleuls Jouy-aux-Arches www.alohabeautespa.fr
Que diriez-vous d’un massage à la bougie, aux coquillages ou à quatre mains ? Direction le SPA Aloha, à dix minutes de Metz, où Lise et son équipe s’inspirent de techniques ancestrales de soins et autres rituels beauté venus des quatre continents. Un lieu hors du temps, à l’esprit cosy et cocooning, avec déco épurée et naturelle, huiles essentielles et musique douce, où tout est pensé pour oublier le tumulte de
la vie quotidienne. Un hammam, un sauna et un bassin avec jets hydros massant complètent le voyage… On craque pour la Cérémonie délicieuse corps et visage – deux heures de gommage à l’huile d’abricot et à la poudre de bambou, un massage du dos et du cuir chevelu et un soin du visage Stratégie Hydratation pour un bien-être absolu. On est zen rien que d’en parler. (A.V.)
BIJOUX
Temporel Incontournable et iconique, la Sky-Dweller, première Rolex munie de deux fuseaux horaires et d’un calendrier annuel, est d’une sophistication mécanique et d’une simplicité d’utilisation désarmante. Ce bijou de technologie au design révolutionnaire mais reconnaissable entre tous, protégé par onze ou quatorze brevets en fonction du modèle, est le plus fiable des talismans pour défier le temps. (M.C.D.) Montre Sky-Dweller, Rolex En vente chez Nora 14, rue Saint-Georges | Nancy www.rolex.com
Photo : Julian Benini
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RESTAUR ATION — BAR À COCKTAILS Restauration jusqu’à 22h30
0h30
semaine
weekend
59, place Saint-Louis - Metz - 09 83 24 41 34 33
Sélections CONCERT
SEMAINE BLEUE L’Opderschmelz de Dudelange fête ses dix ans, et célèbre par une série de concerts un travail entamé dès les années 80 pour accompagner l’émergence de la scène musicale luxembourgeoise actuelle, jazz notamment. On retrouve dans cette semaine anniversaire les habitués des lieux : Jeff Herr, Michel Reis et Marc Demuth, les jeunots de Pol Belardi’s force, le Pit Dahm trio et Pascal Schumacher, ainsi que le Ernie Hammes group ou encore le projet free jazz de Benoît Martiny, Michel Pilz et leurs invités. Quant à
United instruments of Lucilin, ils nous offriront une parenthèse musique nouvelle en revisitant la musique de Bach. (B.B.) 10th Anniversary Week 29.11 → 09.12 Opderschmelz | Dudelange (LU) www.opderschmelz.lu
FESTIVAL
Fabrique à rêves Le cinéma, art du réel et de l’imaginaire. Une contradiction qu’explore l’association Adrien et les Muses en organisant pour la première fois un festival dédié à l’onirisme. S’y croiseront expérimentations, performances (notamment de Stéphane Privat), rencontres et projections, mais aussi réalisateurs reconnus et nouveaux talents. Organisée au TCRM Blida et au Caméo, la première édition du Dream Factory Vidéo Festival évoque l’audace d’un Sundance ! (C.B.) Dream Factory Video Festival 17 + 18.11 TCRM Blida + Cinéma Caméo | Metz Facebook : Dream Factory Video Festival
Visuel : Warm Springs de Sean Wang, le 18.11 au Caméo
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Sally & Jane Bijoux Argent & Trésors en tous genres
Hôtel DE LA
CATHÉDRALE
25, place de Chambre 57000 METZ Tél. : 03 87 75 00 02 Fax : 03 87 75 40 75
Caroline Najman · BY BOE · Hanka ïn · HARPO Macon & Lesquoy · Marie Laure Chamorel · Hannah Wallmark 5 octobre · Delphine Lamarque · Corita Rose 14, rue Taison - Metz - 03 57 28 84 73
ZUT 1 Automne-Hiver
RÉALISATION—Myriam Commot-Delon PHOTOS—Alexis Delon / Preview MANNEQUIN—Alina V / Up Models
2012
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La Villa 1901, maison d’hôtes et concept store
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PAR—Aurélie Vautrin PHOTO—Arno Paul
L’écriture, territoire de liberté
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Après son Prix Goncourt pour Chanson Douce, Leïla Slimani dénonce dans Sexe et Mensonges les mœurs conservatrices de son pays d’origine, le Maroc. De plus en plus, elle s’impose comme une voix pour la liberté.
Il n’aura fallu que quelques mois à Leïla Slimani pour mettre son nom sur toutes les lèvres, ses écrits dans les bibliothèques et ses mots dans les mémoires. Un peu plus de quatre cent pages pour s’imposer comme l’une des voix désormais incontournables de la littérature contemporaine. À présent, elle est celle dont il faut avoir lu les livres pour pouvoir (sur)vivre avec. Deux romans dans lesquels la jeune franco-marocaine s’interroge sur les tréfonds de l’âme humaine… En 2014, avec Dans le jardin de l’ogre, elle nous glissait dans l’esprit d’une nymphomane accro au sexe comme d’autres à l’héroïne, espérant son rapport suivant comme un drogué son prochain fix. Deux ans plus tard, dans Chanson Douce, elle inspectait à la loupe notre modèle d’éducation et taillait au scalpel nos priorités de vie, dans une société dominée par l’argent et les préjugés, où une nounou modèle de dévouement devient tueuse d’enfants. L’écriture est ciselée, résolument moderne, parfois sulfureuse, toujours impertinente. Pas d’attendrissement, jamais d’empathie, le style est âpre et sans détour, façon écorché vif et papier de verre. Dans ses bouquins, le lecteur devient voyeur et la lecture une expérience (limite) éprouvante. Aujourd’hui, un Goncourt dans son salon, du charisme à revendre et un talent fou, Leïla Slimani ouvre une nouvelle fois le débat avec Sexe et Mensonges, un livre coup de poing sur la vie sexuelle dans son pays d’origine, le Maroc. Un essai dans lequel elle donne la parole aux femmes qui ont levé le voile sur leurs secrets d’alcôves… Sur cette vie où elles n’ont le choix qu’entre être vierge ou épouse, où toute liberté sexuelle au grand jour est prohibée, où l’on répare les hymen en secret pour préserver l’honneur soit disant bafoué. Une lettre ouverte sortie en France comme au Maroc, version livre classique en lice pour le prochain Prix Renaudot, mais aussi en roman graphique, alors titré Paroles d’honneur et illustré par Laetitia Coryn. De quoi faire voler une nouvelle fois en éclat les tabous d’une société corsetée dans l’hypocrisie
généralisée, et interroger la place de la femme dans le monde arabo-musulman du moment. En ne sacrifiant jamais ni sa liberté de ton, ni d’expression. Rencontre avec une jeune femme belle comme le jour qui écrit ce qu’elle pense et pense ce qu’elle écrit. Vous travaillez sur Sexe et Mensonges depuis six ans, pourquoi le sortir maintenant ? Question de calendrier, finalement. Depuis les Révolutions Arabes, le sujet me taraudait. Et puis lorsque j’ai publié mon premier roman, Dans le jardin de l’ogre, des femmes sont venues spontanément vers moi pour me raconter leurs vies, leurs expériences, leur intimité… À ce moment-là, j’ai commencé à comprendre que pour moi, le plus important, c’était moins de développer une théorie, ou de réaliser une enquête journalistique stricto sensu, mais plus d’écrire quelque chose d’assez libre en terme de forme. Et qui, surtout, donnerait la parole aux femmes. Je ne voulais pas me limiter, m’enfermer dans quelque chose. Au contraire. Ma priorité, c’était vraiment de délivrer leurs mots tels qu’ils étaient, à la fois très crus, bruts, authentiques… Je voulais faire entendre une parole que l’on n’a justement pas l’habitude d’entendre dans le débat public. Et puis, durant ce travail d’écriture, il y a eu une accumulation de faits divers au Maroc, qui à la fois nourrissait mon travail et me confirmait la nécessité d’engager un débat sur cette question de la sexualité. Parce que je sentais que, d’une certaine façon, la société marocaine était mûre pour ce débat. Autour de moi des journalistes, des intellectuels, des éditorialistes, mais également des militants, des gens de la société civile avaient tous le même discours : il y a un problème de ce côté, et ce nœud-là, il faut commencer à le dénouer. Au final, j’ai terminé ce travail juste avant la sortie de Chanson Douce, mais on a dû reporter la sortie car après le Goncourt j’ai été très occupée… C’est pour cela que le livre est publié maintenant, finalement.
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À travers ce livre, vous sentezvous porte-parole de ces femmes ? Je ne me sens pas porte-parole, parce que pour moi « porte-parole », cela veut dire que l’on va sur le terrain pour débattre, et que l’on s’engage de manière quasi militante, quasi politique… Ce n’est pas ça mon rôle. Moi, je veux vraiment rester dans mon rôle d’écrivain – parce que c’est aussi ce métier-là qui a donné envie à ces femmes de se confier à moi. Elles avaient confiance en moi parce que j’écrivais, parce que dans mon travail littéraire, je m’intéresse à l’âme humaine aussi d’une certaine façon. Donc non, je ne me sens pas porte-parole. Mais plutôt comme quelqu’un qui accorde une importance à la parole… Et même plus que ça, en fait. Quelqu’un qui considère que donner la parole, cela permet aux gens de devenir des sujets, de reprendre un certain pouvoir sur leur vie, sur leur destin. L’écrire sous forme d’essai, était-ce aussi pour retrouver ce qui vous plaisait dans le journalisme ? Oui et non, parce qu’en vérité, je n’ai pas utilisé de méthode journalistique rigoureuse. Ce n’est pas un livre où j’ai interviewé tous les intervenants sur la question, point par point, l’un après l’autre… Je me suis accordée vraiment beaucoup de liberté, et j’ai adopté une forme assez impressionniste dans l’écriture au final. Mais il est vrai que j’y ai retrouvé effectivement le plaisir que j’avais quand j’étais reporter, c’est-à-dire d’aller sur le terrain, de discuter avec des gens, d’observer ce qui se passait autour de moi, de lire la presse, d’être à l’écoute des choses et des gens. Mais après, encore une fois, sur la forme, c’est beaucoup plus libre qu’une enquête journalistique à proprement parler. Est-ce que cela demande du courage d’écrire un essai comme celui-ci ? Non, je ne crois pas. Cela demande du travail, de l’écoute… Pour moi, le courage ce sont ces femmes qui l’ont eu, le courage de venir me voir, de se confier, de me parler. Moi au final, je ne fais que mon travail. … Rapporter la parole, donc. Voilà. Exactement. Rapporter la parole. Lui donner un écho qu’elle n’avait pas jusqu’à présent. Et parler à voix haute de cette société où tout se fait en cachette et dans le secret, entre désir d’émancipation et poids de la tradition.
Cependant, ce livre permet de participer, d’une certaine manière et de façon concrète, à faire évoluer les mœurs de la société marocaine. Difficile de ne pas y voir un engagement direct… Oui, il y a quand même un engagement évidemment, je suis consciente des enjeux. Et je vois le débat que cela provoque au Maroc aujourd’hui – débat d’ailleurs très positif – donc, oui, j’avais tout de même envie d’apporter ma petite pierre à l’édifice. De dire d’une certaine façon qu’il était important aujourd’hui de briser la loi du silence, d’engager une discussion sur ces questions. Mettre fin à l’isolement, aux secrets, aux mensonges. À l’insécurité des gens face à tout ça. D’ailleurs j’encourage tout le monde à s’exprimer, même ceux qui ne sont pas d’accord avec moi. Je pense qu’il est important aujourd’hui de s’interroger, au Maroc, sur ce qu’est le « vivre-ensemble », et d’être capable de vivre ensemble en ayant des idées et des avis différents. Votre livre est distribué au Maroc, j’imagine que c’est quelque chose dont vous êtes fière ? C’était essentiel. Pour ce livre-là comme pour les autres finalement. J’ai toujours tenu à ce qu’ils sortent le même jour, à des prix abordables… Et Sexe et Mensonges est d’ailleurs vendu dans une édition à 25 dirhams, c’est-à-dire 2,50 euros, donc à un prix vraiment très très modéré… L’idée est réellement de permettre à tous de pouvoir y accéder, pour libérer la parole et la pensée. Et puis, avec ce livre, on n’est pas dans quelque chose pour l’argent. C’est vraiment un engagement beaucoup plus profond au départ. D’où l’envie de l’adapter en roman graphique ? Exactement. L’idée est venue très vite, dès le début de l’écriture, dès la mise en place du projet. Parce qu’un essai, c’est quelque chose vers lequel les plus jeunes ne vont pas beaucoup malheureusement… La lecture en paraît un peu ardue, et puis ils n’ont pas forcément envie de se plonger dans cet aspect « documentaire ». Or la jeunesse est justement une des cibles principales de cet écrit… Alors le roman graphique, c’était une bonne manière de leur permettre de découvrir ces histoires. D’appréhender le sujet et de se poser des questions. Et puis, cette bande dessinée c’était aussi une manière de rendre
hommage à mon pays, à ses couleurs, à la beauté de ses paysages – et à celle de ces femmes anonymes, qui m’ont confié leur vie la plus intime… Montrer, non pas un Maroc de carte postale, mais bien le Maroc tel qu’il est, et qu’on ne voit pas toujours – voire pas souvent – en France. Et se retrouver personnage de bande dessinée ça fait quoi ? … C’est rigolo, et puis ça fait beaucoup rire mon fils, je crois que pour moi c’est cela le plus amusant ! Est-ce que vous êtes quelqu’un d’optimiste ? Parce qu’il y a peu de place laissée à l’espoir dans vos livres… Oui, je suis très optimiste en réalité ! Dans un roman, on raconte une tranche de vie, on décortique l’âme de quelqu’un, enfin en ce qui me concerne… Pour moi, il n’est pas question d’être ni pessimiste, ni optimiste. Il n’y a pas de jugement de valeur, dans un roman. Juste une histoire, un parcours individuel, plein de contradictions, plein de complexités. Après, c’est le lecteur qui choisit d’être optimiste ou pessimiste, l’écrivain ce n’est pas vraiment son propos je pense. Comment écrivez-vous ? Est-ce que vous avez déjà la fin de votre histoire quand vous commencez l’écriture d’un roman ? En général, j’ai le début et la fin… Bon, après, il faut que je trouve le milieu ! Mais j’ai toujours plein d’idées en même temps, dans ma tête, des sujets, des personnages… Au Livre sur la Place à Nancy, Daniel Picouly a dit cette jolie phrase, « jamais on n’écrira aussi beau que dans sa tête » : vous en pensez quoi ? Ah, ça c’est complètement vrai… L’écriture c’est une école de l’insatisfaction. Parfois c’est extrêmement frustrant, et en même temps c’est ce qui fait que l’on continue à écrire… Chaque livre est une tentative à la fois de correction, d’amélioration, de sublimation de ce que l’on a fait avant, et des erreurs que l’on a perçues… Donc oui… Je suis complètement d’accord. Et c’est à la fois mélancolique et extraordinaire.
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Comment fait-on pour ne pas s’auto-censurer lorsque l’on se frotte à des sujets comme ceux de vos livres ? Ah, ça… Pour moi, c’est tout simplement primordial. Tout à l’heure quand vous me demandiez s’il m’avait fallu du courage pour écrire Sexe et Mensonges, en fait je crois que le seul courage que j’ai eu, c’est le tout premier jour, quand je me suis mise devant une table de travail et que j’ai décidé de devenir écrivain. À partir de ce moment-là, j’ai toujours su que j’écrirai exactement ce que je voulais écrire, ce que j’avais réellement envie d’écrire… Je trouve que si l’on décide de devenir écrivain, il faut l’être de manière absolue, totale, sans penser à être aimé, ou à plaire, ou à séduire, ou à dire ce qu’il faut dire. Pour moi, l’écriture est par essence un espace et un territoire d’absolue liberté. En trois ans, votre vie a basculé de manière complètement extraordinaire. Vous vouliez faire quoi comme métier quand vous étiez petite ? Écrivain ! Je crois que ça a toujours été là… À sept ou huit ans, je disais que je voulais être payée pour rêver et penser. Et voilà, aujourd’hui, c’est à peu près ça… Et vos deux romans seront bientôt adaptés au cinéma… Chanson Douce par Maïwenn, c’est bien ça ? Oui, tout à fait. Le casting est en cours, et le tournage est pour l’année prochaine je crois. Mais je lui laisse complètement la liberté d’en faire ce qu’elle veut… Pourquoi ? Parce que c’est une artiste et qu’elle est là pour exercer son art… Je ne suis pas là pour la surveiller… Moi j’ai fait ce que j’avais à faire. À elle, maintenant.
Sexe et mensonges, La vie sexuelle au Maroc, Leïla Slimani, Arènes éditions. Paroles d’honneur, Leïla Slimani et Laetitia Coryn, Arènes éditions.
Je me suis accordée vraiment beaucoup de liberté, et j’ai adopté une forme assez impressionniste dans l’écriture. Leïla Slimani
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Trouver les mots pour résister
ZUT 0 Été 2012
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PAR—Benjamin Bottemer PHOTO—Olivier Roller
Denis Robert a été propulsé héraut dénonciateur d’un monde de la finance cannibale au fonctionnement opaque avec son enquête sur l’affaire Clearstream. Journaliste, il est aussi écrivain, artiste et réalisateur. Un homme aux écritures multiples, qui aborde ici son parcours, sa conception du journalisme et son rapport à l’écriture.
Son amour pour la littérature est indéniable, et l’œuvre personnelle de Denis Robert compte une dizaine de romans. Celui que l’on réduit bien souvent à son travail sur l’affaire Clearstream est aujourd’hui pleinement investi dans l’art contemporain, la création de fictions, d’essais et de documentaires. Enfin il essaye. Pas évident, lorsque sa parole est sans cesse sollicitée, de s’isoler pour travailler. « Mon métier, c’est d’écrire, de faire des films, des toiles... je suis dans une période de travail où je préfère éviter d’être distrait. » Pas de chance, votre serviteur lui est tombé sur le dos : c’est parti pour une heure trente de retours en arrière, de digressions diverses autour de la politique, du sport, de l’art, de notre bonne vieille Lorraine... et de l’écriture. « Depuis deux ans, je travaille sur un livre qui m’échappe. Je lui cours après, mais impossible de le rattraper. Alors je patiente en bricolant. Écrire, c’est une musique, un rythme. Quand tu le perds, c’est souvent très dur de le retrouver. » Origines et conception Principalement connu pour ses travaux journalistiques, il éprouvera très tôt sa conception de la profession, mais pas sur les bancs d’une école de journalisme. En matière d’études supérieures, il décroche un DEA de psycholinguistique... pas vraiment la voie académique. « Apprendre à décrypter les discours médiatiques et politiques, apprendre des théories telles que “quand on parle, on cache toujours ce que l’on dit”, ça m’a bien aidé pour mes interviews, ça m’a apporté une sorte de sixième sens, d’instinct journalistique ! » Dès 1982, il se lance dans la création de son propre magazine : Santiag. Iconoclaste et impliqué, il préfigure la suite de la carrière de Denis Robert, aux côtés d’une « équipe de copains », parmi lesquels comptent les dessinateurs Lefred Thouron et Rémi Malingrëy, Francis Kuntz, aujourd’hui grolandais, Philippe Enselme alias Brigitte Boreal, l’animatrice vedette de Pink TV, ou
encore Pierre Roeder, devenu journaliste au Républicain Lorrain. « J’avais envie de faire un mensuel dans l’esprit d’Actuel et de Charlie ancienne formule. On le vendait dans le Grand Est. On n’était pas des gestionnaires, mais on a quand même fait vivre une petite rédaction pendant un an. C’est une belle histoire. » L’autodidacte, alors éducateur spécialisé, – il a beaucoup travaillé dans les quartiers réputés chauds – est embauché à Libération en 1984, après deux années de piges en tant que correspondant où il couvre l’affaire Grégory Villemin, beaucoup de procès d’assises, et quelques articles sportifs. « C’était une période heureuse, un moment d’équilibre, de bonheur professionnel et de grande liberté. » Il s’épanouit dans un environnement qui lui permet d’exprimer sa vision du journalisme : « J’ai toujours eu une conception un peu particulière de ce que devait être le journalisme. Il s’agit d’abord de dénicher une bonne information, c’est-à-dire une information unique, originale. Mais il s’agit aussi et surtout de l’écrire bien, de la présenter de manière forte pour toucher le plus large public possible. À l’époque, il y avait la culture, j’allais dire le culte du bienécrit à Libé : de longs papiers avec des angles originaux, des lecteurs exigeants... Il n’y avait pas encore Internet ; aujourd’hui c’est un tout autre rapport au temps et à l’information. Mais ce qui fait toujours l’honneur de cette profession, c’est l’enquête, pas le journalisme de commentaire. On ne peut pas se contenter de capter le réel : il faut l’interroger, le bousculer. » Parallèlement, il collabore à Rolling Stone France, s’éclate en livrant des papiers de quarante feuillets. Il quitte la rédaction de Libération un peu avant sa reprise par l’homme d’affaires Jérôme Seydoux du groupe Chargeurs, « pour des questions de survie neurologique : j’avais besoin d’air, par rapport à la vie à Paris mais surtout à cause de la prison que devenait un certain type d’écriture au quotidien ». Puis vient le temps du premier roman et le retour en Lorraine. 43
Terre natale Désormais, Denis Robert, qui a grandi à Fameck, vit dans un petit village près de Metz. Il trouve une certaine sérénité dans cette région à laquelle il voue un véritable attachement. « J’aime sa qualité de vie, j’y ai mes amis, mes racines, mes enfants y sont nés. » Il y écrira ses essais, ses romans, et s’attellera à la grande affaire de sa carrière, l’enquête autour de la chambre de compensation financière luxembourgeoise Clearstream. Il publiera sur le sujet trois ouvrages et deux documentaires, ce qui lui vaudra de nombreux procès éprouvants (62 procédures dans cinq pays), desquels il sortira, après 10 ans de bataille juridique, non seulement blanchi mais surtout réhabilité. La cour de cassation a rappelé en février 2011 que son enquête, accablante pour Clearstream, était « sérieuse, de bonne foi et servait l’intérêt général. Je suis entré dans une affaire politico-médiatique. C’était une période un peu folle. On se retrouve entraîné par un courant stupide. Rien de ce qu’on dit ne peut enrayer le mouvement. C’est la force du pouvoir, le côté mouton de Panurge des journalistes mais aussi des magistrats. Je me suis tu. J’ai serré les dents. C’est passé. » En résistant, en ne jouant pas le rôle que l’on attendait de lui, Denis Robert est devenu la mauvaise conscience de nombreux journalistes. Le contact avec la province est loin de lui faire perdre son acuité du réel et sa détermination ; à l’époque de l’affaire Clearstream, il est sur sa terre natale « seul contre tous » : la presse locale, le maire, la Région... La réalisation en 2001 du documentaire Histoire clandestine de ma région, où il expose la comédie du pouvoir, les restructurations économiques, la servilité de la presse, ne ménage pas les susceptibilités locales. « Le mensonge était permanent. Mon propos n’était pas politique, je me suis juste confronté au sujet avec insouciance,
Avant tout, je parle d’écriture.
en restant conscient, mais avec légèreté. Ce n’était pas une obsession. C’est mon film préféré, je lui trouve de la grâce. Il y a ce mélange entre politique et histoire personnelle. Je ne pourrais pas faire mieux aujourd’hui. » Le film a beaucoup déplu à Jean-Marie Rausch, maire de Metz de 1971 à 2008, qui y était présenté comme un petit dictateur. Denis Robert poursuit aujourd’hui l’exploration du réel via sa propre société de diffusion, Citizen, qui produit plusieurs documentaires et web-documentaires, dont ses propres projets. « Un film sur le bassin houiller est en cours de montage. On voit qu’il y a une vraie difficulté dans cette région : rien n’assure l’avenir, surtout pas les investissements, les seuls étant inoculés par les collectivités locales ou l’État. C’est assez désespérant. En Lorraine, tu te ballades dans des coins comme Freyming-Merlebach ou Hayange, qui grouillaient d’activité à une époque, et aujourd’hui il n’y a plus grandchose à quoi s’accrocher. » L’arrivée des politiques libérales de la fin des années 80, d’une corruption à grande échelle, du chômage, autant de sujets qui ont favorisé selon lui la montée de l’extrême droite. « Il y a ici un problème de fond : comment la gauche et la droite ont-elles pu vendre ainsi l’industrie aux multinationales, qui ont pris de l’argent public puis ont fini par s’en aller en laissant un désastre. C’est du vol lentement organisé. Pour Daewoo, les mines de charbon ou Arcelor, c’est déjà râpé. Maintenant l’État doit reprendre la main face à des gens comme Mittal et retrouver des marques. » Recyclage & renaissance L’homme est bien difficile à cataloguer au vu des multiples registres et supports au travers desquels il s’exprime. Mais il ne se reconnaît pas vraiment dans cette notion de multiplicité, préférant mettre en avant la cohérence de son travail. « Avant tout, je parle d’écriture, même dans mes tableaux. » En 2006, Denis Robert entre dans le champ de l’art contemporain : tout commence avec la publication sur Internet d’un listing utilisé dans son enquête sur Clearstream, sur lequel il a griffonné, taggé. C’est la galerie parisienne W qui le contacte pour l’encourager à développer des œuvres dans cette direction. « C’était à l’époque où l’un de mes livres [Clearstream, l’enquête, ndlr] a été interdit à la vente, et dans ce que je vivais à ce moment-là, il y avait une électricité, une confrontation au pouvoir, je ne savais pas comment en témoigner. Les gens 44
de la galerie W ont compris que j’étais porteur de quelque chose d’artistique. Mon histoire, en sortant du champ médiatique, devenait artistique. L’art devient média. C’est très intéressant comme phénomène. Mais jamais je n’aurais imaginé exposer et vendre des toiles. » Divers documents de travail seront ainsi transformés, annotés, enrichis d’instantanés représentant des moments de vie de l’auteur devenu artiste : l’exposition Junk était née. Une « libération » pour Denis Robert, qui a toujours été sensible à l’art, à la beauté et à la force de Picasso, « le maître absolu », de Francis Bacon, de Basquiat... Ce nouveau moyen d’expression, il l’exploite toujours aujourd’hui, avec la préparation d’une nouvelle exposition, Global village : « Je sors d’une période d’immersion totale, lorsque je m’enferme pendant une semaine... là j’ai trois séries qui sont prêtes pour juin, dont Global village et aussi une série de toiles, des pages d’agenda où il y a un travail à base d’écriture, de couleurs, de croquis et de dessins. » « Dix ans et toutes mes dents ». Cette référence au texte qu’il a envoyé à ses amis après avoir été blanchi des accusations mettant en doute son travail de journaliste sur l’affaire Clearstream prend tout son sens lorsqu’on le rencontre aujourd’hui, lui qui n’a rien perdu de sa détermination et de sa créativité. Beaucoup auraient perdu pied ou éprouvé les pires difficultés à poursuivre leur vie personnelle et professionnelle. Lui continue à porter « la plume dans la plaie » et poursuit sa route avec une démarche courageuse et salutaire, que l’on pourrait rapprocher de celle énoncée en son temps par Hunter S.Thompson, l’un de ses écrivains fétiches : « Marche fièrement, botte des culs, (…) aime la musique et n’oublie pas que tu descends d’une longue lignée de chercheurs de vérité, d’amants et de guerriers. » Bonne marche, Denis.
PAR—Caroline Lévy PHOTOS—Hugues François
ZUT 14 Printemps 2016
Les belles sœurs
Loulou Robert est mannequin et écrivain alors que son aînée Nina est réalisatrice. Leur père Denis Robert, le journaliste tumultueux – qui a notamment révélé l’affaire Clearstream – leur a ouvert la voie de la créativité et d’une liberté sans faille, qu’elles expérimentent avec succès. Interview croisée et sans filtre avec ces sœurs originaires de Metz, d’une fraîcheur déconcertante.
À gauche : Loulou Robert / à droite : Nina Robert
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Vous êtes très proches et complices toutes les deux. Quel regard portez-vous sur vos activités respectives ? Arrivez-vous à conserver une part d’objectivité ? N.R. — Oui ! Loulou m’envoie souvent ses chapitres. Je n’hésite pas à lui donner mon avis : une tournure de phrase trop gnan-gnan ou un passage vraiment beau. L.R. — Surtout qu’il n’y a pas de rivalité entre nous. On a chacune notre univers, on se tient au courant chaque jour de ce qu’on fait.
Grâce à notre père, on a toujours su que tout était possible.
Votre famille est très présente dans vos propos. À quoi ressemblait votre enfance à Metz ? L.R. — Je crois qu’on n’a pas le même point de vue là-dessus ! Je n’étais pas très gaie enfant alors que Nina a toujours été joyeuse. Et puis l’affaire Clearstream nous a marquées. J’avais 7 ans quand tout a commencé, je ne comprenais pas tout. Pour autant, tu enregistres et ça rentre dans ta peau. Ça a fait partie de notre vie au quotidien, sans que cela nous empêche de vivre. Il y a donc eu un avant et après Clearstream ? L.R. — Je ne me souviens pas de l’avant ! N.R. — On était plus sereins, plus légers. Et je crois que mon père ne travaillait pas autant. Aujourd’hui son boulot l’habite en permanence, il m’envoie souvent des mails à 4h du matin !
Je ne peux commencer l’interview sans évoquer votre père Denis Robert… Nina Robert — En même temps, c’est un peu ce qui nous rapproche toutes les deux !
Avec la ferme volonté de rester en Lorraine ? N.R. — Aucune volonté… de ma mère ! C’est mon père qui a toujours voulu rester, oui.
Journaliste, écrivain, plasticien, c’est un boulimique de travail. Quel héritage artistique vous a-t-il transmis ? Loulou Robert : Grâce à lui, on a toujours su que tout était possible ! N.R. — Exactement. Faire des photos, des vidéos ou écrire. Au final, on n’a jamais eu peur de ne pas y arriver…
Aujourd’hui, l’une habite Paris et l’autre Metz. Quel lien entretenezvous avec cette ville ? L.R. — J’ai très vite voulu la quitter, c’était presque physique. Mon adolescence n’a pas été simple et avec mes lectures, j’idéalisais Paris. Aujourd’hui, j’ai plaisir à revenir. Metz, c’est ma famille !
Il a forcément stimulé votre sensibilité artistique. L.R. — Pas tant que ça ! On n’a pas été élevées dans un milieu trop intello non plus. Il ne m’a jamais forcée à lire par exemple, même s’il savait très tôt que j’écrirai.
Cette période adolescente, qui a d’ailleurs inspiré le personnage de Bianca, est marqué par ton passage à Auschwitz en classe de terminale. Qu’as-tu ressenti à cette époque ? L.R. — Je suis de nature très sensible. Làbas, il y une atmosphère tellement lourde que je n’arrive toujours pas à la décrire aujourd’hui. Je suis rentrée cassée et ma réaction fut très violente. Du jour au lendemain, j’ai décidé de ne plus aller à l’école, à quelques semaines du bac. Et mes parents l’ont respecté.
C’est sur les bancs de la fac qu’est née Bianca, ton premier roman ? L.R. — J’étais à Paris à la Sorbonne en double licence philo / science-po et je m’ennuyais cruellement ! Pour gagner un peu d’argent, j’ai commencé le mannequinat puis je suis partie à New York. Les choses se sont enchaînées, avec le soutien inconditionnel de ma famille.
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Toi Nina, tu es toujours installée à Metz ? N.R. — J’ai toujours rêvé d’ailleurs, de partir loin ! Mais j’ai trouvé un équilibre à Metz. Je vis en coloc’ avec ma meilleure amie et j’ai un chien ! Je ne sais pas si je finirais mes vieux jours ici même si j’aime cette ville. Je me dis que la terre est grande et que j’ai envie de vivre d’autres choses… Tu as été nommée aux César au côté de ton père pour Cavanna, jusqu’à l’ultime seconde j’écrirai, dans la catégorie meilleur documentaire [finalement décerné à Mélanie Laurent et Cyril Dion pour Demain, ndlr]… N.R. — Tu ne peux pas savoir à quel point j’étais émue en recevant ma nomination officielle. J’ai tellement galéré à faire ce film, que ce que j’ai ressenti était très fort. Quelles ont été les difficultés ? N.R. — Notre chic, c’est de nous lancer avant même d’avoir les financements parce qu’on est trop impatients ! Ce n’est surtout pas évident d’être producteur et réalisateur en même temps, d’où la mise en place d’un KissKissBankBank. Le sujet n’intéressait pas. Pour l’anecdote, dans le cadre des César, nous avons donné une seule interview à un journaliste qui a cru qu’il s’agissait d’un docu-fiction sur Anthony Kavanagh ! Vous avez commencé le film en 2010. Entre temps, Cavanna est décédé, il y a eu l’attentat de Charlie Hebdo [dont Cavanna était le fondateur, ndlr]. Comment as-tu vécu ces événements ? N.R. — Entre 2010 et 2014, on a juste tourné les entretiens avec lui en espérant trouver une chaîne pour la version télé. Et c’est seulement quand il est mort qu’on en a trouvé une. Les gens deviennent formidables une fois morts… Et après les attentats ? N.R. — Après le choc, ce fut un vrai questionnement. Comment l’aborder ? On a fait le choix de ne rien changer. Certes, ce n’est pas ma famille, mais j’ai tellement travaillé sur eux, regardé d’archives… Ils sont morts le mardi et nous avions rendezvous avec Wolinski le vendredi. En 2010, qui pouvait prédire l’histoire ? À la base, c’est un film sur Cavanna, mais vu que c’est lui qui a fondé ce journal et amené ces talents, à travers le film, on rend aussi hommage à ces victimes… Et dans l’avenir, imaginez-vous un projet ensemble ? L.R. — Oui pourquoi pas ! Soit un film adapté d’un de mes romans, soit jouer dans un de ses films… N.R. — On trouvera un truc pour bosser ensemble c’est sûr !
ZUT 15
L’acrobate
PAR—Cécile Becker PHOTOS—Christophe Urbain
Été 2016
Directeur général adjoint des Nouvelles éditions indépendantes au côté de Matthieu Pigasse et directeur de la rédaction des Inrocks depuis janvier 2016, Pierre Siankowski revient au magazine qui l’a vu grandir. Trublion du Web, il n’en reste pas moins un homme de presse convaincu de l’intérêt d’une démarche éditoriale transversale. Entretien avec ce Lorrain, supporter du FC Metz, qui vote toujours chez lui. 47
Qu’est-ce qui t’avait amené à quitter les Inrocks pour prendre la rédaction en chef de la partie culture du Grand Journal, pour revenir au bercail un an plus tard ? J’avais envie de découvrir autre chose. C’était aussi l’occasion de travailler avec Antoine de Caunes que je regardais à la télé quand j’étais petit (Rapido ou Nulle Part Ailleurs). C’était mon héros. Quand j’ai pu travailler avec lui, je me suis dit « banco » ! Je travaillais pour la boîte de production KM Prod et Canal+ a décidé de ne plus faire LGJ avec eux : toute l’équipe est partie. Je me suis retrouvé sans emploi et je suis donc revenu aux Inrocks. Au départ via Les nouvelles éditions indépendantes [holding de Matthieu Pigasse détenant Radio Nova, Les Inrockuptibles, des parts du groupe Le Monde, et Vice News], et plus tard, en tant que directeur de la rédaction. LNEI ?
Pourquoi cette première étape
Je suis revenu travailler sur Nova et Les Inrocks, pour envisager des synergies communes. Tout n’a bien sûr pas encore abouti, nous travaillons sur des projets de city guides, de chaînes Internet, des projets télé… Je connais bien le magazine, suis passé par tous les postes, suis calé en web, et ai fait de la télé et de la radio [il a été producteur de Magasin Central sur Mouv’, ndlr], tout ça a dû jouer dans la décision de m’embaucher à LNEI. Il fallait penser à ce que deviendront Les Inrocks de demain, travailler sur d’autres formats, développer des contenus avec Nova… Dans ces deux boîtes, il y a deux savoir-faire dont on peut profiter pour, pourquoi pas, faire des émissions de radio avec Les Inrocks, sur le site par exemple. Comment gères-tu le fait d’être détenu par l’homme d’affaires Matthieu Pigasse ? Très bien. Il m’a embauché 14 minutes après que j’ai perdu mon travail au Grand Journal, donc il doit me faire confiance. Depuis que je travaille aux Inrocks, il n’est jamais intervenu sur le fond du magazine. C’est quelqu’un qui nous soutient financièrement dans une période qui n’est pas facile pour la presse, donc nous n’avons aucun reproche à lui faire. C’est même un plaisir de travailler avec lui. J’ai testé Bolloré, j’ai testé Pigasse, et mon choix est vite fait !
En 2010, Les Inrockuptibles ont changé de formule en accordant une place plus conséquente aux sujets politique et société, un choix éditorial qui vous a été reproché par certains abonnés. Comment faire pour satisfaire tout le monde ? Tout le monde peut trouver son compte dans le magazine : il y a de la musique, du cinéma, du théâtre, de la littérature aussi. Notre volonté, c’est de traiter de culture et de politique, et de culture dans la politique. Il n’y a pas de volonté de séparer les deux. J’aimerais que les artistes eux-mêmes aient un propos politique. Nous allons essayer de faire moins d’interviews promo et plus d’interviews où on les questionne sur leur vision de la société. Tous nos choix sont politiques, mais pas au sens doctrinaire. Les lecteurs sont assez intelligents pour faire eux-mêmes le tri. Le site est-il amené à changer ? Oui, il y aura beaucoup plus de vidéos, et beaucoup plus de son. J’ai demandé à ce que tous les shootings photo soient filmés. Aux Inrocks, il y a une réunion le mardi pour le web, une le mercredi pour le papier, une réunion d’ajustement le jeudi pour les deux, donc le web est au même niveau que le papier, ce qui n’arrive quasiment jamais dans les rédactions. L’idée est de créer des ponts entre le papier et le web. Par rapport au site du Guardian par exemple, nous avons cinq ans de retard. Les sites anglais sont géniaux, alors qu’en France on a une culture du papier, du livre, une culture d’intello. Il y a une défiance envers tout ce qui se passe sur le web, mais aujourd’hui c’est obligatoire d’aller s’y battre. Et mieux encore, sur le téléphone. Le format est ce qu’il est, certes c’est petit, mais on peut faire de la vidéo, des portfolios, de la vidéo interactive, de la création numérique… Ça veut dire nouvelles applications, nouveaux formats pour le téléphone… Les annonceurs ont tendance à mettre beaucoup moins d’argent dans le web que dans le papier. Comment invente-t-on une nouvelle économie ? Tout simplement en développant le brand-content. Nous avons commencé à faire ça il y a pas mal de temps, le site dédié Les Frères James [sponsorisé par la marque Jameson, ndlr] par exemple, est une belle réussite éditoriale, nous 48
allons multiplier ces formats. Il s’agit aussi de montrer que ce n’est pas parce que nous travaillons avec une marque que le contenu est moindre. On peut faire des choses plutôt cool, notamment en vidéo. Aujourd’hui c’est nécessaire, car tout ce qu’on appelle le display [publicité classique en ligne : bannière, pop-up, etc., ndlr] perd du terrain, il faut donc développer du contenu intelligent. Ces contenus sont bien sûr signalés par des balises qui permettent de savoir si c’est du brand-content ou non. La frontière entre journalisme et communication a tendance à être plus fine… Il faut faire attention. C’est à nous, journalistes, de fixer la limite. Plus il y a de dialogue avec les annonceurs, plus la limite est claire et définie. Venons-en aux choses sérieuses : tu viens de Moyeuve-Grande, non loin d’Amnéville, et tu reviens régulièrement en Lorraine. À quel point es-tu attaché à cette région ? Mon attachement est très fort, notamment pour le foot ! Je regarde tous les matchs du FC Metz, je suis d’autant plus supporter quand ils sont en Ligue 2 [depuis l’entretien, l’équipe est repassée en Ligue 1, ndlr]. Dès que je peux, je vais voir des matchs. Le jour de mon anniversaire, le club m’a followé sur Twitter, un beau cadeau [rires] ! Je reviens souvent voir mes parents en Lorraine, c’est une région où les gens ne font pas les malins. Qu’est-ce qui t’a donné envie d’être journaliste ? À la base, j’avais plutôt envie de devenir journaliste sportif, suivre le FC Metz. J’ai fait un stage au Républicain Lorrain aussi, c’est là que j’ai fait mon premier article, je devais avoir 12 ans ! C’était sur un centre de loisirs, c’était un petit article de 15 lignes, mais c’était cool ! Pourquoi avoir fait Sciences-Po si tu voulais être journaliste sportif ? J’avais bêtement lu le Guide de L’Étudiant qui disait que pour être journaliste il fallait faire des écoles, et pour entrer dans les écoles il fallait faire Sciences-Po, donc j’ai bêtement appliqué la procédure. Ça rassurait mes parents qui me disaient que journaliste était un métier de saltimbanque ! Et la région Grand Est, ça t’évoque quoi ? Ça ne me dérange pas. Je suis copain avec des mecs de Metz, des mecs de Strasbourg… Nous avons quand même les mêmes problèmes d’alcool !
Il y a une défiance envers tout ce qui se passe sur le web, mais aujourd’hui c’est obligatoire d’aller s’y battre. Pierre Siankowski
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Réalisation—Myriam Commot-Delon Photos—Alexis Delon /Preview
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ZUT 1 Automne-Hiver 2012
RÉALISATION—Myriam Commot-Delon PHOTO—Alexis Delon / Preview MANNEQUIN—Alina V / Up Models
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La Villa 1901, maison d’hôtes et concept store
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Parler politique, penser rock, s’intéresser au bourdonnement de l’actualité hexagonale, sans oublier de joyeusement divaguer de temps à autre : un tour d’horizon des illustrateurs lorrains, trublions du quotidien dans toute leur diversité, Rémi Malingrëy, Yan Lindingre, Jochen Gerner, Lefred-Thouron, Vincent Vanoli.
PRÉCIS D’HUMOUR 53
Rémi Malingrëy ZUT 5
PAR—Benjamin Bottemer PORTRAIT—Arno Paul
Hiver 2013
Intimiste, mignon, caustique, subversif, le vaste registre de Malingrëy .
Depuis ses plus jeunes années, Rémi Malingrëy dévisage. Il scrute aussi les corps, des planches pédagogiques des salles de classe aux pages du Petit Larousse illustré, en passant par les ouvrages sur les grands maîtres hollandais et les magazines Pilote ou Bazooka. Son héritage visuel est fait de bribes d’images entre classicisme et esthétique punk, qu’il saisit à la volée, sans distinction. « Je m’intéressais à tout, de Reiser à Van Gogh ou Mondrian. J’ai été très influencé par Bazooka, avec ce graphisme détérioré, cette esthétique de la laideur, de la beauté qui fait mal… quelque chose que l’on voit tous les jours dans la rue. » Il étudie aux Beaux-Arts de Nancy, exposé aussi bien à l’enthousiasme des étudiants et au partage des cultures qu’au dénigrement des professeurs, pas particulièrement désireux d’accompagner l’évolution d’un jeune dessinateur. « À l’époque, c’était un lieu pas très ouvert sur l’extérieur, où les professeurs m’ont peu apporté… c’était dommage qu’ils se servent de leur savoir comme d’un petit pouvoir pour juger, plutôt que d’essayer de comprendre et d’orienter. Mais ça peut être formateur ; les barrières sont faites pour être franchies. » Sous presse Lui qui se voyait plutôt en artistepeintre aborde le dessin de presse un peu par hasard : une amie au fait des mécanismes du monde de l’édition lui met le pied à l’étrier avec quelques commandes. Par la suite, il apprendra à démarcher seul. En trente ans, il travaille avec des rédactions 54
et pour des lectorats très diversifiés ; une gymnastique intellectuelle qu’il apprécie. « J’avais des idées, je travaillais vite. Dès 1986 avec mes dessins pour Libération, j’ai été à l’aise dans ce milieu. C’est devenu naturel de multiplier les collaborations avec des publications très différentes, je sais à qui je m’adresse et j’arrive à m’y retrouver, mon trait reste toujours reconnaissable. Et mon vocabulaire graphique s’est ainsi étendu avec le temps. » L’Express, Sciences et Vie Junior, Siné hebdo, L’Équipe magazine, 60 millions de consommateurs… les personnages stupéfaits ou hilares d’un Malingrëy au regard affûté et irrévérencieux s’impriment comme un coup de tampon sur leurs pages. Il traverse l’ère des allers-retours en train vers la capitale, celle du fax puis d’Internet, cet outil merveilleux qui permet aux dessinateurs de profiter au maximum de la quiétude de leur foyer. Suivre l’actualité et respecter les délais serrés imposés par le dessin de presse ne l’empêchent pas d’expérimenter : « J’ai été gâté car j’ai pu travailler en continu pour la presse, mais tout m’intéresse. Certains dessinateurs de presse ne font que ça, ont une formation de journaliste, sont totalement pris par l’actualité. Moi, j’adore aussi la liberté qu’offrent d’autres projets, d’autres modes d’expression. » Des images en pleine tête Ses travaux d’illustration aux côtés de Nicolas Rey sur le magazine Zurban ou pour la revue L’Amateur de cigares par exemple, ainsi que ses Portraits, permettent de découvrir un Malingrëy qui laisse libre cours à sa fascination pour la foule, ses attitudes, ses regards, et les faciès proéminents voire difformes. Pour son projet Monsieur
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et Madame, ce sont les corps tout entiers qui sont triturés, le couple exhibant rictus, faces et appendices multiples tout au long de cette série cubiste faite de fragments d’intimité, tantôt banals, tantôt empreints d’un érotisme dérangeant. « C’est vrai qu’il y a cette sorte de cubisme à la portée de tous dans cette série, où je mets à plat toutes les perceptions, en une seule image. Le dessin, c’est vraiment ça : montrer aux autres les images que tu as dans la tête, sans se poser la question de savoir si c’est beau ou réaliste. » Rémi Malingrëy s’est peu attelé à l’exercice de la bande dessinée, qu’il trouve trop contraignant, mais a publié chez Verticales deux romans graphiques, dont Le Chagrin : mode d’emploi, réalisé suite à la mort de son frère en 1994, où l’on peut lire « Chagrin, mode d’emploi : laisser déborder de temps en temps. » On y découvre encore un autre Malingrëy, d’autres visages, et un véritable talent pour l’écriture, mêlant l’émotion à une poésie sèche. Un projet personnel publié avec difficulté. « Concernant l’écriture, c’est quelque chose de spontané, que je ne travaille pas beaucoup. Le Chagrin… a finalement été publié en 1997, après avoir fait le tour des éditeurs. Aujourd’hui c’est peut-être plus facile pour trouver de petits éditeurs intéressés par des ouvrages comme celui-ci. » Poil de carotte, son adaptation du roman de Jules Renard, issu d’un projet de comédie musicale avec Reinhardt Wagner et Frank Thomas, n’a jamais été publié. « Je n’en attends plus rien. J’ai compris que les éditeurs aiment mettre les auteurs dans des cases, qu’ils doivent se dire que je suis un peu incontrôlable, avec un dessin difficile. De toute façon, je ne suis pas très véhément, je ne suis pas du genre à faire le siège des maisons d’édition. »
Éclater la galerie Si les portes des maisons d’édition ne se sont jamais ouvertes facilement, les galeries et autres lieux d’exposition lui réussissent plutôt bien : Malingrëy y semble à l’aise, tandis que peu de ses condisciples suivent le même chemin. C’est presque une revanche pour l’étudiant des Beaux-Arts qui y travaillait son dessin au milieu de professeurs indifférents. Une pratique tout à fait naturelle pour l’intéressé : « J’ai toujours baigné dans le milieu de l’art et des expositions. J’aime penser à mon travail en tant qu’installation globale, scénographiée, au lieu de juste poser mon dessin. » Cet été, une multitude de ses personnages investissait la succursale de la BNP Paribas dans le cadre de Renaissances Nancy 2013. « C’était facile à consommer, pas intello... ça colle bien à mon approche. » En 2008, lors d’une exposition au Musée de l’Informatique à la Grande Arche de la Défense, il réalise, à l’occasion des 20 ans du magazine SVM Mac en 2008, un rideau où l’un de ses fameux portraits est fragmenté en carreaux mobiles. « C’est l’idée du pixel qui m’a inspiré. J’aurais bien aimé aller au bout de mon idée, en fixant des petits moteurs sur les pièces... mais c’était déjà un très gros travail. » La maîtresse en maillot de bain, où règnent l’absurde et un léger malaise, ou son exposition intitulée La foule sont peut-être les plus emblématiques de l’univers graphique et humain de Malingrëy : au cœur de la multitude, superposition de plusieurs couches de réalité, avec plusieurs grilles de lecture. Un artiste qui rêvait d’un grand A et a finalement créé tout un alphabet.
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Yan Lindingre
PAR—Benjamin Bottemer
ZUT 1
Automne-Hiver 2012
Yan Lindingre, la dĂŠmarche de dialoguiste discourtois.
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de son travail : « Je fais de moins en moins de dessin de presse. Mon créneau reste le dessin d’humour, mais l’exercice satirique est différent : il faut entretenir un rapport étroit avec l’actualité. Surtout, je préfère maintenant travailler sur des scénarios BD. Je pense que mon dessin reste un peu raide, dur à encaisser, et me demande beaucoup de travail. Écrire, j’en viens plus vite à bout. » Son monde à lui, qu’il décline au format album, c’est d’abord celui du zinc, avec Chez Francisque aux côtés de Manu Larcenet (il vient d’en achever le 5e tome avec Jeff Pourquié, Larcenet étant pris par sa série Blast), ainsi que les multiples aventures porcines de Titine, une habituée des comptoirs elle aussi. « Ce sont des largués qui se réapproprient l’actualité, qui disent souvent des conneries, mais c’est à l’avenant du discours politique. Je m’inspire des kékés, ceux de chez nous, les fenschois, les messins ; les « minchs » en somme. » Et sous l’humour souvent bien gras, il y a toujours cette couche d’irrévérence, ces piques, que dis-je, ces harpons suintant de curare contre l’ultra-libéralisme (Capitaine Capital, Business is business) ou encore l’avenir promis à notre beau pays (il n’y a qu’à voir comment il dépeint ses héritiers dans Jeunesse de France).
Le cas Lindingre est typiquement lorrain : discret, sympathique et ouvert avec ceux qu’il apprécie, « casse-couilles » avec les autres (lui affectionne plutôt le terme « gratte-cul ») et attaché à son terroir. Né en 1969 à Jarny, il ne s’est jamais éloigné de la région messine, étudiant aux Beaux-arts de Metz, graphiste, il a même travaillé dans l’économie solidaire au Luxembourg, période qu’il qualifie de « vie avant la BD. Ça [lui] a permis de rencontrer les vraies gens, comme on dit. » Après notre première rencontre avec Yan Lindingre il y a de cela deux ans [en 2010, ndlr], celui-ci n’a pas abandonné ses premières amours ni sa verve concernant les dérives politiciennes. Le message peut être direct ou prendre des chemins détournés, au gré de sa créativité et de ses collaborations, mais il est toujours aussi affûté. Un crayon comme une lame de rasoir qui ne dort jamais bien longtemps au fond de la poche de cet auteur à l’identité résolument rock’n’roll. Petits fours et grosses légumes La vie d’après, celle où les gens (les vraies et les autres) l’appelleront moins Yan et plus volontiers Lindingre, commence avec des contributions pour l’Écho des Savanes et Fluide Glacial, en même temps qu’une sorte de retour aux sources au début des années 2000 : une première période d’enseignement dans ces mêmes Beaux-arts de Metz. Première période, car quand on démarre une carrière de « casse-couilles » professionnel, il arrive de se heurter à la concurrence : en 2006, une bataille juridique l’opposera à Jean-Marie Rausch, le maire français
recordman de longévité avec 37 ans de règne sur les vieilles pierres (de Jaumont) de la cité. À l’époque, Lindingre croque les vieilles élites locales se goinfrant autour d’un buffet. « J’évoquais les profiteurs des milieux culturels, qui cumulent postes et avantages... » Il faut croire que certains ont cru se reconnaître. « C’est drôle que les gens s’interrogent sur leur attitude de pourceaux dès lors qu’ils sont caricaturés », remarque l’incriminé. Il sera viré avec pertes et fracas quelques jours avant sa titularisation pour une histoire un peu malsaine : dans une BD de Lindingre, on a remarqué une croix gammée dans une bulle au-dessus d’un prussien en colère (un classique s’il en est du phylactère injurieux de la BD franco-belge). Il est donc forcément antisémite, et prend la porte. Rappelons que Jean-Marie Rausch, une des cibles favorites de l’auteur, était à l’époque également président de Metz Métropole, dont dépend l’école d’art messine. Mais dans cette affaire, il jouera l’innocent. « Il aimait bien jouer au con. Comme moi en fait ! Et je lui rends hommage pour ça », déclare Lindingre avec l’air le plus sérieux du monde. L’affaire est derrière lui : depuis, il a été réintégré. Coups de bulles Une parenthèse éloquente mais qui reste anecdotique pour Lindingre, qui se fait déjà connaître depuis quelques années par des dessins de presse estampillés de ses désormais fameux groins. L’auteur a aujourd’hui tendance à s’éloigner quelque peu de ce qui a constitué la majeure partie 58
Chroniques judiciaires Lindingre s’attachera aussi à soutenir ceux qui sont à la marge dans la vie réelle, les gens virés de toutes part, abandonnés de tous sauf des tribunaux. Entre 2008 et 2009, le dessinateur Siné connaît une mésaventure presque similaire à la sienne : remercié par le Charlie Hebdo d’un Philippe Val qui ne le portait pas dans son cœur, il est accusé par la Licra d’antisémitisme pour une chronique sur Jean Sarkozy. « Dans cette affaire, Siné s’est retrouvé isolé, et je l’ai suivi avec la création de Siné hebdo, raconte Lindingre. C’est chouette de se dire qu’à 80 ans, on peut faire un magazine qui marche. À côté de ça, Charlie Hebdo s’est souvent couché, alors que dessiner est une arme dont il faut se servir. » Il évoque le ras-le-bol des lecteurs et de certains collaborateurs de
Le dessin, c’est vraiment ça : montrer aux autres les images que tu as dans la tête, sans se poser la question de savoir si c’est beau ou réaliste.
l’hebdomadaire : une réserve sur laquelle Maurice Sinet a pu compter à la création de son propre canard. « Beaucoup en avaient marre que Charlie s’écrase, et Val ne s’était pas rendu compte que la coupe était pleine. Je crois que ce qui l’a surtout rendu dingue, c’est le soutien de Siné à Denis Robert, qui avait fait remarquer que Val avait le même avocat que DSK et Clearstream, Richard Malka. » Poursuivons donc dans la rubrique judiciaire avec un autre camarade plongé dans la tourmente : Denis Robert. En 2009, en plein dans l’affaire Clearstream, qui mêle trillions, faux listings d’hommes politiques impliqués, et qui met notamment en doute le travail et la bonne foi du journaliste Denis Robert, celui-ci ne trouve rien de mieux à faire que des BDs avec son pote Lindingre et Laurent Astier ! « L’Affaire des affaires » ça s’appelle, une série qui compte quatre tomes et qui explore les tréfonds d’un système financier tentaculaire et ses effets sur la vie professionnelle et privée de son héros. « Je me suis immergé dans un univers très lointain du mien, explique Lindingre. En fait, à cette époque, Denis Robert était surtout soutenu par des humoristes... et fui par les journalistes. » La Lorraine et ses jolis clochers Yan Lindingre a autre chose en commun avec Denis Robert : un attachement à sa région, un certain recul par rapport à la vie parisienne. « Metz est un peu comme un village, j’aime bien ça ; Paris je n’y reste pas, et puis le Net permet ce luxe de travailler chez soi. J’ai un peu le complexe du provincial. Quand j’étais étudiant, je voulais monter à Paris faire de la BD, mais c’était compliqué, car pour ça, il fallait prendre de l’assurance, et il n’y avait pas grand chose qui m’y poussait à Metz, il n’y avait rien qui résonnait, même si aujourd’hui ça va un peu mieux. » Mis à part la sociologie pointue de
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Baru, il nous recommande tout de même chaudement le messin Nicolas Moog... Prenez note, je confirme que ce garçon a un réel talent. Au risque de vexer les aspirants dessinateurs de la capitale mosellane, Lindingre ajoute : « Il y a plutôt une tradition nancéienne du dessin par contre, avec Malingrey, Lefred Thouron, Aranega... tous des gens qui étaient méprisés par les écoles d’art. On évolue dans un art mineur, et ça, on nous le renvoie systématiquement à la tronche. En gros, on reste que des rigolos, des ploucs. Au fond, cette marginalisation de la BD ça n’est pas plus mal, ça permet d’être un peu comme le rock : maudit ! Et ça donne de l’énergie. » Quand on vous disait que le Yan Lindingre avait un cœur de rocker. Sa dernière création confirme d’ailleurs cette tendance, en plus de son talent de scénariste : The Zumbies, avec Ju/CDM, ou les mésaventures d’un groupe de rock zombifié qui décalamine les arcanes de la série Z, combattant l’Église dans le premier tome, puis frôlant l’apothéose dans le second face à des clones motorisés, des trappistes pervers, des agents foireux, sur fond de rock’n’roll décadent. « Avec Ju/CDM, on a mélangé l’« inmélangeable », et on n’a pas lésiné, après tout on est pas au cinéma donc on en a les moyens ! Au dessin, il s’est vraiment lâché, c’est un mec qui s’immerge totalement. The Zumbies, c’est un road-movie sur trois pattes : humour, zombies et rock. Un travail autour de la notion de plaisir, où chaque album est comme une saison de série télé US, qui tient debout tout seul... Dans le prochain, les Zumbies partent à l’assaut des États-Unis. » Dans le second tome figure un clin d’œil qu’apprécieront les musicos messins : le personnage du luthier Carlos Pavicich n’est autre que le célèbre Carlos de l’échoppe Le Burin, rue du Pont Saint-Marcel à Metz.
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Jochen Gerner
PAR—Benjamin Bottemer PORTRAIT—Arno Paul
ZUT 8 Hiver 2014
Jochen Gerner décortique la géographie de l’image imprimée. C’est dans la multiplication des projets et des territoires à parcourir que Jochen Gerner puise son inspiration. En attente sur son plan de travail, une série de ces cartes de géographie qui tapissaient les salles de classe, une matière à créer qui symbolise idéalement son processus de création : l’auteur-dessinateur est fasciné par les codes et les symboles qui se nichent dans les images de toutes sortes. Dans le domaine de l’édition, il les inventorie d’abord, dans des ouvrages où elles s’étalent à profusion, morcelées : visages, fragments de paysage, symboles, mots et citations aussi. Les pages se remplissent de visions fugitives aperçues lors d’un voyage en train (dans Grande vitesse) ou défilant dans son esprit vagabond (dans En Ligne(s), issu de « carnets téléphoniques »). Il applique également un procédé de recouvrement, noircissant, barrant, occultant les pages d’œuvres préexistantes, notamment de bandes dessinées (avec Abstraction 1941-1968 ou TNT en Amérique), créant pour chaque album un propos nouveau et détourné. « Il s’agit de deux démarches différentes mais qui se croisent, explique Jochen Gerner. Le processus de recouvrement est lié au fait de s’opposer à la prolifération, d’aller à l’essentiel. Je cherche à être plus synthétique aujourd’hui. » Son incursion il y a quelques années dans le champ de l’art contemporain est liée à ce souci de proposer des lectures différentes d’images qu’il fait siennes, capturant les « fantômes » cachés sous le dessin. Premières expériences Jochen Gerner a entamé très tôt cette exploration débridée du texte et de l’image : sur les étagères d’un père professeur de dessin et d’Histoire de l’art et d’une mère lexicographe, il découvre une foule d’images, parcoure également les expositions. Il créera son propre vocabulaire sans
établir de hiérarchie entre ces informations visuelles. « Je me suis forgé une bibliographie où tout est sur la même ligne : Claire Brétécher et les numéros d’Art press, la découverte de Queneau et Perec lorsque j’étais ado, les dessins de botanistes, d’architectes… J’étais toujours attentif au rapport entre écrit et image, et c’est ce que j’ai retrouvé lorsque j’ai découvert la bande dessinée. » Il navigue déjà entre les disciplines lors de ses études aux Beaux-arts, découvrant la littérature sous un angle inédit en effectuant un travail de recherches sur l’ATILF, base de données informatisée où il tisse des liens entre auteurs, mots, citations… « C’était comme un puzzle, ça m’a donné des idées. » Il compare cette expérience à celles menées par l’OuLiPo, l’Ouvroir de Littérature Potentielle, dont il rejoindra le pendant BD, l’OuBaPo, au milieu des années 90. Cette gymnastique artistique impulsée par la contrainte l’inspire, et il l’intégrera à nombre de ses travaux. « Lorsque je suis totalement libre, je me bloque ! Alors que par exemple, lorsque je travaille pour un journal qui me donne un format précis, l’idée 61
vient tout de suite. » Dans Courts-circuits géographiques ou (Un Temps), qui font partie de ses premières publications, il s’impose de dessiner directement, sans crayonné. « Mais j’ai fini par devenir trop précis et minutieux, alors j’ai décidé d’arrêter, de casser ma pratique pour mieux me renouveler. » Voyages dans les matières imprimées À Angoulême, sa rencontre avec Lewis Trondheim lui ouvrira les portes de L’Association, maison d’édition singulière dans le paysage français, où l’on met en valeur les idées les plus aventureuses. Il y publiera de nombreux albums. Après un séjour à Paris pour travailler au plus près des rédactions, il s’envole pour New York, collaborant occasionnellement à quelques quotidiens locaux, dont le New York Times. Mais Jochen Gerner préfère parcourir les rues afin de recueillir la matière de Courts-circuits géographiques, pour lequel il bénéficie d’une bourse. Autre rencontre décisive : celle avec Olivier Douzou des éditions du Rouergue, qui publie pour la jeunesse. L’occasion pour Jochen Gerner d’ajouter une nouvelle corde à son
arc dans un genre où le livre-objet, notion qui lui est chère, est à l’honneur. « Il y a des possibilités dans la forme mais pas dans le fond, tempère-t-il. Il faut toujours penser au public, et certains éditeurs sont très pointilleux sur les couleurs utilisées par exemple. J’apprécie la contrainte, mais il n’en faut pas trop non plus, car à la fin, l’œuvre peut se diluer. » La réactivité, le lien avec l’actualité inhérents au dessin de presse l’intéressent également : la caricature n’est pas son domaine et il est souvent sollicité par Le Monde ou Libération pour illustrer des faits de société, des sujets financiers ou scientifiques. « Les directeurs artistiques ont tendance à mettre les dessinateurs dans des catégories. Pour ma part, c’est souvent lié à des trucs abstraits, avec des pictogrammes, ce genre de choses : je pense que mon style est une solution graphique pour eux. » Pendant la campagne présidentielle de 2007, il réalise pour Libération la série Cellule de campagne, avec Yan Lindingre, où il retrace l’activité des conseillers en communication d’un certain candidat plutôt nerveux et hyperactif. « Les micro-événements arrivaient trop vite, on était dépassés ! raconte-t-il. Des gags tout faits apparaissaient et annulaient ce qu’on avait déjà trouvé. Cette compression de l’actualité politique que constitue une campagne présidentielle était une expérience à la fois intéressante et épuisante. » Entre quatre murs La rencontre en 2003 avec la galeriste Anne Barrault, par l’intermédiaire d’une exposition collective de l’OuBaPo, permettra à Jochen Gerner d’entrer de plainpied dans le monde de l’art contemporain. Dès lors, ses projets d’édition voyagent vers les galeries, et vice-versa. « J’essaye de circuler librement entre tout cela, rien n’est calculé, il faut simplement que cela soit pertinent. » Son TNT en Amérique ou encore Relectures se prêtent à merveille, de par leur esthétique, leurs formats et leurs messages cachés, à un séjour sur les murs. Relectures utilise le format de la planche et les cases de la BD pour représenter des correspondances, réelles ou imaginées, entre le dessin et des détails évoquant le cinéma, l’art, la littérature, la bande dessinée. « Dans une exposition, mon travail a une visibilité différente : on peut y lire les planches noircies de TNT dans deux grands cadres, c’est comme le panorama d’une ville la nuit » décrit l’auteur.
Parmi les dizaines d’expositions collectives (et plus une vingtaine à son nom) auxquelles il a participé, La Ville dessinée en 2010 à la Cité Chaillot à Paris, tisse des liens entre architecture et bande dessinée. Une passerelle qu’il se plaît toujours à emprunter ; il a d’ailleurs collaboré avec un architecte pour dessiner les plans de son nouvel atelier. « La démarche est proche entre les deux pratiques : le fait de concevoir un univers, l’architecture d’une page… lorsque j’ai effectué des recherches pour Contre la Bande dessinée (où il rassemble et illustre des propos entendus à propos du 9e Art), les remarques les plus positives venaient souvent d’architectes. » Vers l’inconnu et au-delà Passant sans cesse d’un univers à l’autre, menant un travail de recherches constant pour des projets futurs ou imaginés, Jochen Gerner semble avant tout stimulé par cette phase d’exploration qui va lui permettre de détourner, pirater la matière première que constitue l’image. « Je suis dans la documentation et l’analyse, je préfère créer des accidents sur des terrains inconnus plutôt que de faire de la fiction, dont la création me paraît un peu faussée : ça ressemblera forcément à quelque chose. Ce sont avant tout les découvertes 62
qui m’attirent, et les liens que l’on tisse dans notre esprit lorsque l’on observe deux mots ou deux images côte à côte ». Ses expériences à venir s’articulent autour d’albums de Tintin, sujet récurrent dans son travail, et d’un album de bande dessinée… presque classique. Jochen Gerner serait-il prêt à revenir vers un genre dont il n’a cessé de jouer avec les codes et les références, mais qu’il n’a que peu abordé au sens strict du point de vue narratif. Bref, faire un album « normal » ? « Il le sera au premier abord, mais en fait il y aura tout un code qui démontrera que ce n’est pas vraiment le cas, sourit-il. Ce sera un travail sur la notion de temporalité dans la bande dessinée. » Jochen Gerner continue à rassembler dans ses classeurs des matériaux divers, apprend l’art complexe de la scénographie pour mettre en espace ses créations, travaille sur la couleur, s’essaye aux œuvres plastiques, avec le souhait de jongler avec les disciplines. « Mes projets se superposent, avec des rythmes de travail différents ; en ne faisant que de la BD, j’aurais pu m’enfermer dans une logique où je serais tributaire des droits d’auteurs, ce qui m’aurait poussé à reproduire ce qui a du succès, idem pour les expositions. La diversité m’apporte la liberté. » www.jochengerner.com
ZUT 7 Été 2014
Lefred— Thouron 63
PAR—Benjamin Bottemer PORTRAIT—Arno Paul
La poilade avant toute chose pour le dessinateur nancéien LefredThouron.
Chapeau de paille et Ray-Ban pour lui, enregistreur chargé à bloc pour moi, bouteille bien remplie (de Vittel) et terrasse envahie par les gazouillis des piafs et des marteaux d’un chantier tout proche… C’est parti pour retracer 35 ans de carrière avec un dessinateur discret qui, mine de rien, est l’un des plus prolifiques de sa génération. Lors des chaudes journées de juin dernier, Lefred-Thouron n’a pas beaucoup vu le soleil : entre les numéros d’été, le trimestriel du Canard en plus de l’hebdomadaire habituel et les numéros spéciaux de L’Équipe magazine à l’occasion du Mondial, le dessinateur n’a pas beaucoup l’occasion de débrancher en attendant « la grande léthargie estivale ». Pourtant, il est pour lui essentiel de ne pas trop en faire, de savoir déconnecter un minimum de l’actualité. « Quand tu es surinformé, tu n’es plus à la portée du lecteur, explique-t-il. Mon point de vue, c’est de ne pas trop en faire : ton dessin peut devenir obsolète la veille d’un bouclage, et tout ce que tu as fait part à la corbeille. » C’est sa gymnastique à lui, qui ne se considère ni comme un artiste, ni comme un journaliste, remarquable par sa capacité à s’intégrer dans des publications aux lectorats et aux lignes éditoriales aussi différents que L’Équipe magazine, Le Canard enchaîné ou Fluide Glacial. Lui conserve ce même esprit : jamais vulgaire, plutôt subtil, il aime à tourner autour de son sujet tel un habile bretteur dont le fleuret serait « une grosse connerie qui fait bien marrer. Ensuite, on peut apporter un éclairage, susciter un rictus qui fait réfléchir… même si c’est pas un dessin qui va changer un régime politique ». Santiags et gros sabots Au tournant des années 80, l’étudiant Thouron, sans Bac en poche, passe quelques années aux Beaux-arts de Nancy pour prendre le temps de la réflexion. Avec un « radicalisme pas justifié par mon talent » et ses « trucs un peu dégueu », il ne décroche aucun diplôme au sein d’une institution qui n’accorde pas grand crédit à l’objet impri-
mé. Son objectif : la presse, la chose dite plutôt que le dessin, qui a toujours constitué pour lui « avant tout un moyen, un vecteur ». Il entre ensuite à la radio de France 3 Lorraine, anime une émission loufoque avec Kafka alias Francis Kuntz (mondialement connu grâce à ses directs sur Groland) ; en parallèle il rejoint Santiag, le magazine fondé par Denis Robert, aux côtés de Malingrëy et Kafka notamment. « Il y avait un petit vivier en Lorraine de mecs qui sont pour la plupart devenus professionnels dans la presse ou la communication. Notre point de chute, c’était la librairie La Parenthèse à Nancy : un forum où Luce, la fondatrice, faisait le lien avec les lecteurs, parlait à tout le monde des “garçons” de Santiag. » Jamais d’amertume pour Lefred-Thouron, car à la fin de chaque aventure, de chaque collaboration, il rebondit : lui qui piquait les Hara-Kiri de son grand frère se présente, à 23 ans et un brin tremblant, devant le Professeur Choron. « Ça m’intéresse », lâche le maître. « Hara-Kiri a donné un coup de jeune, un grand coup de balai dans le milieu de la presse dans les années 50 et 60. Avec le vécu français, ça commençait à faire marrer de dessiner des plumes de journalistes et des colombes de la paix. » L’appel des canards Après des collaborations avec les plus confidentiels L’Événement du Jeudi de Jean-François Kahn, Zéro et 7àParis, fondé par Daniel Filipacchi, jusqu’au début des années 90, il fait un bon bout de chemin avec Libération : dix ans, tout de même. La disparition de ses dessins des pages du journal n’a rien à voir avec la perte d’indépendance financière du quotidien, qui aura suscité le départ de plusieurs journalistes ; le téléphone a simplement arrêté de sonner. « Il faut dire que je cumule trois handicaps : dessinateur, pigiste et provincial », note le dessinateur, attaché au quartier de son enfance, le faubourg des Trois-Maisons. « J’y ai habité gamin et suis revenu après un exil en banlieue parisienne. C’est mon village, ici lorsque l’on se rend dans le centre-ville, on dit toujours “Je vais à Nancy”. » Pendant la période Libé, Lefred-Thouron rejoint trois publications avec lesquelles il entamera une collaboration qui dure encore aujourd’hui, vingt ans après : L’Équipe magazine tout d’abord, puis Le Canard enchaîné et Fluide Glacial (voir par ailleurs). Après un passage à l’hebdomadaire satirique La Grosse Bertha, où dessinent Cabu, Willem, Wolinski, Gébé ou Siné, il suivra l’un des membres de l’équipe rédactionnelle, un certain Philippe Val, lorsque celui-ci refonde Charlie Hebdo en 1992. « À Charlie, personne ne pouvait encadrer Val, mais tout le monde s’écrasait devant lui. Au bout de quelques années, la ligne éditoriale devenait intenable ; il a refusé l’un de mes dessins, je suis parti. » Lefred-Thouron n’aime pas la satire facile. Et lorsque l’on évoque l’attitude volontiers provocatrice de Charlie Hebdo, notamment 64
dans l’affaire du numéro « Charia Hebdo » qui présentait en première page une caricature de Mahomet proclamé rédacteur en chef, et qui a valu au journal d’être victime d’un attentat, il explique « ne pas pouvoir être de bonne foi quand [il] parle de Charlie ». « J’aurai toujours un soupçon d’opportunisme à leur endroit. Même si je n’admets pas que l’on incendie une rédaction, je pense que lorsque tu es dans le bus face à un gros qui pue, tu lui dis pas, sinon tu te fais casser la gueule. Ensuite, tu peux te faire passer pour une victime... C’est peut-être poltron de ma part, mais ça, ce n’est pas du courage, c’est de l’inconscience. » Schizophrénie, provocation, radicalisme : l’enfer de la mine On n’a rien vu venir, mais LefredThouron fait désormais figure d’ancien dans le milieu du dessin d’humour et de la satire politique, bien que loin de l’âge d’un Cabu ou d’un Willem. Même si les publications laissant une grande place au dessin se comptent aujourd’hui sur les doigts d’une main, le dessinateur satirique reste un personnage exposé aux yeux du lecteur, qui instinctivement posera ses yeux en premier lieu sur le dessin. Le dessinateur, avec moins d’espace que le journaliste pour faire passer une idée, doit être précis, concis, vif en plus d’être réactif face à l’actualité (et drôle, accessoirement). Et peut-être qu’en tant que trublion, il bénéficierait aussi de davantage de liberté... Ne lui est-il pas plus facile d’aller plus loin que les autres ? « Il faut surtout être pertinent sans chercher à aller toujours dans l’outrance, recadre Lefred-Thouron. Vendre de la provoc, juste pour choquer, bof... ou alors dessiner Le Pen avec des mouches et une merde à côté. C’est facile et superficiel ». Traditionnellement, on peut dire sans trop prendre de risques que le milieu de la satire, notamment politique, est plutôt orienté à gauche ; cela vaut tout aussi bien pour Le Canard Enchaîné, qui n’hésite pas à tirer à boulets rouges dans toutes les directions. « Il n’y a plus de presse satirique et d’humour de droite. Il y avait bien le Minute des années 60, avant qu’il ne devienne une serpillière ; le dernier dessinateur, c’était Faizant dans Le Figaro, avant qu’il ne devienne gâteux. Le dessin de droite est radical et militant : en étant obsédés par des thèmes aussi clivants que l’occident catholique blanc, le respect des frontières, la propriété, c’est quand même difficile de faire de l’humour. » Au fait, comment se porte Lefred-Thouron, l’homme, le français respectable, lorsque
vient le temps de cultiver ses convictions personnelles et/ou politiques alors qu’il passe des heures, depuis 35 années, à porter un regard critique, moqueur, ironique sur la vie politique et la société ? « C’est une existence totalement schizophrénique : le citoyen est désespéré, le professionnel se dit : “J’ai du boulot !” Le métier exige de s’extraire de ses considérations personnelles, car si tu dessines sous un angle militant, il y a toutes les chances pour que tu te vautres. » Dessinateur de garde De sauts de puce en chassés-croisés, Lefred-Thouron participe et a participé, un peu à distance, à quelques-unes des aventures éditoriales les plus fameuses de la presse hexagonale, même s’il fait aujourd’hui « un métier de ringard ». Soumis à la pression des deadlines atténuée par la quiétude d’un ancrage provincial qu’affectionne nombre de dessinateurs, surtout depuis l’avènement du Net, il regrette tout de même l’époque des rédactions parisiennes à l’ambiance plus conviviale, lorsque les cendriers bien remplis et les piles de documents jonchaient des bureaux toujours garnis de quelques bières
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ou d’une bonne bouteille à dégainer. Si les fêtes de bouclage chez les potes Yan Lindingre et Diego Aranega à Fluide Glacial sont toujours de mise, il précise que « ça fait aussi partie du folklore. À Hara-Kiri déjà, c’était jamais pendant le boulot ! Mais la dernière fois que je suis passé à L’Équipe, je me serais cru à la banque ». Fuyant le consensus et l’esprit « Moutons de Panurge », trop présent selon lui dans le milieu de la satire, Lefred-Thouron traque toujours la vanne bien sentie du fond de son antre nancéienne. Comme un bon Bourgogne coupé au vitriol, il distille ses attaques acides dans tout l’Hexagone, mettant les pieds dans des pages où il fait bon mettre les mains. « J’aime avant tout l’idée qu’en voyant l’un de mes dessins, le lecteur se marre et se dise : “Y’a pas que moi qui le pense !” »
Vincent Vanoli Vincent Vanoli met en scène des personnages déracinés, aventuriers malgré eux, au sein de mondes inhospitaliers.
Dans son dernier album Rocco et la toison, Vincent Vanoli s’inspire de la légende de Saint-Roch pour imaginer le récit initiatique d’un jeune conteur rapidement en proie au doute et confronté à la dureté du monde, symbolisée par la peste qui envahit alors cette France moyenâgeuse. « Je voulais montrer que celui qui raconte n’est pas isolé du monde, ni à l’abri de celui-ci », expliquet-il. Comme dans cet hommage picaresque aux conteurs et à la peinture du Haut Moyen Âge, les héros de Vanoli basculent souvent dans des mondes aux aspects fantastiques pas franchement accueillants. Des parcours qui entrent en résonance avec celui de leur auteur, dont la pratique prend la forme d’un chemin en solitaire semé d’incertitudes et traversés par des fantômes personnels. Histoires de passages « Devenir artiste, quelle idée ! », commentait Vincent Vanoli, évoquant un environnement social et familial peu propice à susciter les vocations artistiques. Né à MontSaint-Martin, petite commune adossée à Longwy, au cœur d’un bassin sidérurgique dont l’âge d’or touchait à sa fin, Vincent Vanoli entame après le baccalauréat des
ZUT 15
PAR—Benjamin Bottemer
Été 2016
études d’art à Strasbourg sans l’ambition de gagner sa vie en tant qu’artiste. Enseigner lui semblait la voie la plus à même de lui faire gagner son indépendance, un choix réaliste pour ce fils d’ouvrier. « L’enseignement m’a longtemps paru être la seule voie possible, puis ma vision a évolué : je pouvais continuer à faire mes bande-dessinées dans mon coin, comme lorsque j’étais adolescent, tout en conservant ce contact avec le réel qui a un effet sur mon travail, un peu comme lorsque je suis devenu père. » Au fil des albums, qu’il publie au sein de maisons d’édition indépendantes comme Ego comme X, Futuropolis, Les Requins Marteaux et surtout L’Association, il prend conscience de l’influence de son milieu d’origine sur ses histoires. On pense au recueil Le Passage aux escaliers, où l’on trouve un parcours en vue subjective dans un Mont-Saint-Martin traversé par les fantômes du passé, et aussi ceux du rock’n’roll des déclassés ; voilà qui achève de faire le lien avec les albums de Baru, qui décline les mêmes thématiques dans le cadre social particulier de la Vallée de la Fensch, sœur jumelle du bassin longovicien. « Cet album évoque des choses formatrices et très personnelles, comme c’est souvent le cas dans l’espace mental intime que je me forge pour y installer mes récits, explique Vincent Vanoli. Les thèmes de la famille, de la nostalgie, du déracinement y sont récurrents. Je suis fier de mes origines d’enfant d’ouvrier et d’immigrés. Quand j’ai quitté ce cadre, mes repères ont changé. » Conscience et imaginaires Si Le Passage aux escaliers fait directement référence à cette réalité personnelle, la plupart des albums de Vincent Vanoli prennent des chemins détournés pour l’évoquer, souvent sous des aspects fantasmagoriques. Les références les plus directes sont à trouver dans L’Usine électrique, qui s’inspire de la fermeture d’une usine vosgienne, et Max et Charly, fuite en avant de deux personnages après l’annonce de leur mort, métaphore du chômage, confrontés à leurs infortunés congénères reproduisant le modèle social dominateur qui les a exclus. 66
« Pour Max et Charly, c’était inconscient, précise l’auteur. En tout cas, j’ai toujours besoin de l’imaginaire, de mythes liés à ces destins, ces luttes, ces abandons... C’est un matériau riche. Dans L’Usine électrique, j’ai pensé à Poe, Kafka, Buzzati, et les Contes de la désolation se déroulent, sans le dire, avec les rues de Longwy en arrière-plan. La région m’influence toujours implicitement : les usines, les rues, les bâtiments, le climat... même mon trait est plutôt charbonneux : peut-être un rapport direct à “l’air”, au propre comme au figuré. » La Clinique, où le personnage principal est en route pour cet établissement de plus en plus hypothétique, ou encore l’aventure de L’Œil de la nuit, où un père et son fils défient l’inconnu... les héros de Vincent Vanoli sont souvent lancés dans une quête qui prend la forme d’une errance, habités par le doute et la peur du vide. Mais la nécessité, ou la volonté de toujours avancer ne les quittent jamais : un cheminement qui est le fil conducteur graphique et narratif de nombre des albums de l’auteur. « Il y a souvent cette notion du départ, qui peut naître de motivations diverses, relève Vincent Vanoli. La Lorraine est une région abandonnée, mais il peut y avoir une vraie nécessité de partir, pour s’accomplir. La question est : doit-on appartenir à un endroit ? Je crois que l’on appartient aussi à des mondes imaginaires, que l’on parcoure avec un bagage réaliste. »
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ZUT 10 Printemps 2015
RÉALISATION— Myriam Commot-Delon PHOTOS— Alexis Delon / Preview MANNEQUIN— Hélène M / Up Models La Villa 1901, maison d’hôtes et concept store
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Au début des années 80, en marge de Nancy Jazz Pulsations, le programmateur du festival Musique Action Dominique Répécaud, le groupe Kas Product, le disquaire Punk Records, le journaliste Gérard Nguyen et le label Ici d’Ailleurs ont inscrit Nancy sur la carte des villes françaises dans le domaine des musiques d’avantgarde. Retour sur des parcours d’exception.
NANCY, PSYCHIC CITY 70
Dominique Répécaud
ZUT 3 Été 2013
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PAR—Emmanuel Abela PHOTO—Arno Paul
Dominique Répécaud nous a quittés l’an passé : un entretien comme témoignage vivant de celui qui a porté le festival Musique Action à Vandœuvre-lès-Nancy.
La musique a toujours occupé une place à part dans votre vie. Peut-on revenir à l’instant déclencheur ? Oh la, ça n’est pas simple [rires]. J’ai vécu des expériences de différents types, chorale, instrumentale, et j’ai toujours témoigné d’un goût particulier pour la musique. Elle est présente pour moi depuis tout petit. La radio était un objet de fascination, à une époque où la télévision n’était pas encore là. J’ai été marqué par des chansons, je me souviens de mon premier coup de cœur poético-musical : Georges Brassens. La puissance évocatrice d’une chanson comme L’Auvergnat par exemple, son positionnement politique, son apparente simplicité et son adresse très directe étaient des choses qui m’interpellaient. Parallèlement, je m’intéressais beaucoup à la musique symphonique et lyrique. Même si mes parents n’avaient rien à voir avec le milieu artistique, ils écoutaient de la musique. Ça peut faire sourire mais dans les pièces qui m’ont marqué très jeune, il y a La Moldau de Bedřich Smetana – pour moi, c’est l’une des premières pièces de musique progressive de l’histoire dans le sens où ce fleuve n’arrête pas d’avancer –, et puis La Symphonie des Jouets de Leopold Mozart, Pierre et le Loup de Prokofiev, Le Carnaval des Animaux de Saint-Saëns, des pièces pour enfants qui ont éveillé d’une certaine manière ce goût pour les différents niveaux de sens, direct ou un peu plus caché. Ma première relation avec le jazz, c’est Gershwin, Rhapsody in Blue et Un Améri-
cain à Paris. La découverte de ses œuvres a constitué un éveil au son des clarinettes et autres instruments à vent, qui m’ont amené à aimer par la suite Sidney Bechet, avant de glisser vers les saxophonistes à l’adolescence. Je restais très ouvert aux nouvelles sonorités, les Beatles et les Rolling Stones dès 1963. J’avais 10 ans au moment de la déflagration Satisfaction en 1965. C’était la première fois que l’on entendait dans le poste un son de disto, ça peut paraître ridicule de nos jours, mais ce son-là nous a vrillé la tête. Là, pour moi, les choses commencent à changer : je quitte la culture classique et je découvre ces jeunes gens à cheveux longs qui avaient l’air très méchants [rires], mais qui nous emmenaient ailleurs. Vous avez vous-même été rapidement tenté par l’aventure de la guitare. À l’âge de 13 ans, en 1967, j’ai monté mon premier groupe avec mes jeunes voisins. Nous bricolions nous-mêmes nos instruments avec une approche très Do it yourself, sans même savoir ce que ça signifiait. J’ai toujours pratiqué dans des registres différents, mais à aucun moment je n’ai exprimé le désir de devenir un musicien professionnel ; j’ai toujours considéré que d’autres faisaient cela beaucoup mieux que moi. J’avais conscience de mes limites – les vrais génies, c’étaient des musiciens comme Jimi Hendrix et Robert Wyatt –, par contre, j’ai très tôt exprimé le désir de participer à l’organisation d’actions dans la région où j’habitais à l’époque, le Jura, à Lons-le-Saunier. Plus tard, quand je suis arrivé à Nancy, tout en poursuivant une activité professionnelle de nature très différente, j’ai participé comme bénévole dès 1982 aux actions encore balbutiantes du Centre Culturel André Malraux. Les choses se sont professionnalisées dès la mise en place de la première édition du festival Musique Action International, en 1984. Vous en prenez la direction artistique dès 1987, tout en maintenant une activité musicale parallèle avec bon nombre de collaborations. Je ne sais plus exactement, mais j’apparais dans 45 enregistrements. Comme je suis passionné par l’improvisation je me suis retrouvé impliqué dans des projets rétrospectivement ambitieux, voire prestigieux, avec des artistes comme Pascal Comelade, Daunik Lazro, Lê Quan Ninh, Tenko, Frédéric Le Junter ou Jérôme Noetinger. Ces musiciens amis m’invitent en fonction de mes disponibilités, en sachant que j’ai très peu de temps pour la préparation, ce qui ne veut pas dire que ce sont des projets pris à la légère, loin de là ! En revanche, ce sont souvent des collaborations de très longue durée qui se construisent sur une relation fidèle…
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Votre parcours explique en partie l’ouverture d’esprit qu’on rencontre dans votre manière d’assurer la direction artistique du festival Musique Action. Oui, quand on a 14 ans et qu’on tombe sur Hendrix ou Soft Machine en 1969, ce sont des chocs qui restent présents plus de 40 ans plus tard. Et puis, j’ai eu cette chance à la fin du lycée et au début des mes études supérieures de me retrouver dans des villes comme Besançon ou Dijon, où tournait l’avant-garde du rock de l’époque : à l’âge de 17 ans, j’ai pu voir mon premier concert de Can, et je peux dire que ça secoue ! C’est pareil pour Gong, Magma, Catherine Ribeiro et toute la scène française et européenne qui était extrêmement bouillonnante de 1968 à 1975. J’ai vu l’un des premiers concerts du groupe Etron Fou Leloublan, ça faisait partie des OVNI ! Ce sont souvent des artistes hybrides, à mi-chemin entre la pop, le jazz et les avant-gardes. Pour moi, il n’y a pas de domaine que je place au-dessus des autres. J’ai toujours eu l’intuition que d’autres langages que le langage écrit, la littérature voire la philosophie, nous permettaient une compréhension du monde, et c’est le cas du langage sonore. Au CCAM, on affirme une chose : l’intention artistique compte à peu près autant que la réalisation. Peu de lieux affichent un tel positionnement… Je pense que ça n’est pas à la mode, non [rires, ndlr]. Le souci d’efficacité et de perfection engendre beaucoup de formatages. Dès les années 70, j’ai fréquenté les scènes de danse contemporaine, de même pour le théâtre musical. Par ailleurs, dans le projet de cette maison, l’idée d’exposer des photos est venue très tôt. À titre personnel, je suis un amateur de photos depuis fort longtemps. Je m’attache à l’image dans ce qu’elle peut nous faire avancer dans la compréhension du monde contemporain.
Ces formats, vous les éprouvez avec une approche pluridisciplinaire. Nous sommes là pour permettre aux publics – donc pas seulement le public spécialisé – d’accéder à des formes d’expression assumées, qui ne sont pas là uniquement pour l’occupation du temps ou la distraction. Nous cherchons à faire passer des formes d’expression contemporaines à des personnes contemporaines de ces formes d’expression. Le principe est aussi simple que cela ! Nous créons le contexte le plus favorable possible à ces rencontres entre les citoyens et ces formes-là. Ça se traduit par une qualité d’accueil technique ; il est important d’avoir des techniciens compétents, sensibles à ce qui est programmé, investis dans le projet et au service du public. Ça se traduit également par une politique de prix abordables. À une époque où l’on vante les mérites de la gratuité, la notion de participation à l’effort collectif me semble importante, mais nous avons bien conscience que des jeunes gens n’ont pas toujours l’argent. Et parallèlement, pour compléter cet effort que nous plaçons dans l’aide à la création et à la diffusion, un travail d’accompagnement est mené dans différentes directions et sur différents territoires aussi bien dans l’éducation nationale que dans les écoles de musique, les conservatoires ou les grandes écoles : il s’agit d’une mise en contact des générations en devenir avec des artistes dans le cadre d’ateliers, de concerts décentralisés et de conférences. D’où l’importance de la programmation de spectacles pluridisciplinaires à destination des jeunes publics, de la maternelle jusqu’au collège. Nous mettons en place un dispositif multiple, permanent et très exigeant, qui nous permet de rappeler aux générations qui se suivent les grandes étapes d’une histoire de l’art, tous domaines confondus, avec un esprit décloisonné : loin des spécialistes, parfois trop spécialisés, nous essayons d’expliquer que les pratiques se croisent, se rencontrent et s’influencent les unes les autres.
PAR—Emmanuel Abela PHOTO—Eric Antoine
ZUT 1 Automne-Hiver 2012
Kas Product Kas Product n’est pas un groupe d’hier, il s’affirme comme le groupe d’aujourd’hui avec le son du moment.
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Il fut un temps où les scènes rock étaient clairement identifiées, entre Paris, Rouen, Lyon et bien sûr Rennes. Mais dans l’Est de la France, au début des années 80, notre fierté venait d’un duo constitué par la très belle Américaine d’origine argentine, Mona Soyoc, et de l’élégant Spatz, immédiatement identifiable à la longue mèche qui recouvrait son visage. Tous deux basés à Nancy, ils bâtissaient alors un son minimaliste, sur la base d’un clavier et d’une boîte à rythmes, et rivalisait avec les productions post-punk les plus en vue outre-Manche. Beaucoup d’entre nous ne faisaient pas la distinction entre le charisme d’une Siouxsie Sioux, par exemple, et celui de Mona Soyoc, que nous situions alors clairement comme l’une des icônes de son temps. C’est d’ailleurs avec une vraie pointe d’excitation, celle d’une adolescence qui rejaillit spontanément, qu’on croise Mona et Spatz, avant un concert à La Laiterie, à Strasbourg. Visiblement ravis qu’on situe leur aventure comme un jalon essentiel du rock made in France, ils nous rappellent les diverses tentatives de reformations, un concert aux Eurockéennes en 2005, les premières rééditions de leurs albums, le remix de leur morceau Miracle sur la compilation EchoLocation chez Optical Sound. Autant de signes annonciateurs de leurs chaleureuses retrouvailles. « Depuis leur réédition chez les Disques du Soleil et de l’Acier [label nancéien fondé par Gérard N’Guyen, ndlr], nous explique Spatz, les albums étaient redevenus introuvables. Nous cherchions à répondre à une certaine demande. » Aujourd’hui, le public peut renouer avec les enregistrements originaux de Try Out et By Pass, publiés respectivement en 1981 et 1983. Malgré la difficulté à se procurer les sons, l’existence de ce groupe était transmise auprès des jeunes générations. « À l’époque, nous avions beaucoup tourné, y compris en Angleterre, nous étions distribués à l’international et nous avons enregistré à New York, poursuit
Spatz. Les gens nous ont écoutés, certains nous ont vus sur scène, tout cela se transmet. » En effet, les souvenirs circulent, ils font parfois l’objet de récits enflammés : le concert à NJP en 1983 par exemple, dont on trouve des traces filmées sur Internet ou celui, en 1987, en seconde partie de programme, après un set de Stephan Eicher seul avec ses machines et avant les prestigieux Residents. « Il y a un mouvement de retour au son des années 80 », précise Mona. Elle sourit avec fierté en nous relatant que sa propre nièce s’est vue notifier l’existence d’un groupe culte à Nancy par l’une de ses amies, avant de s’exclamer : « Ah oui, c’est ma tante ! » Depuis leur décision de se séparer en 1988, Mona et Spatz ne se sont pas perdus de vue pour autant, les choses ont simplement été rendues un peu plus compliquées quand cette native du Connecticut est retournée vivre aux États-Unis, du côté de Seattle. L’idée de ces retrouvailles officielles a finalement germé et aujourd’hui leur plaisir est manifeste, même si ce retour ne sonne pas un comeback – Never come back, disait la chanson –, mais bien comme le prolongement logique
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de ce qu’ils ont produit ensemble il y a plus de trente ans. « Ce qui est absolument génial, c’est également de retrouver des gens de notre âge. » Il est vrai que la ferveur semble palpable, tout comme le grand respect que tous deux suscitent également auprès du jeune public. Nulle nostalgie ni démarche rétrospective cependant, mais l’émotion de l’instant autour d’un propos qui a conservé sa part de radicalité. « De toute façon, plus on avance dans les révolutions solaires, meilleurs on est ! », lance Mona avec un grand sourire pour nous signifier que l’aventure n’est plus prête de s’arrêter.
Punk Records
Reportage dans l’antre de Punk Records, entre vieilleries géniales et témoins d’une époque révolue.
PAR—Cécile Becker
ZUT 1 Automne-Hiver 2012
Il fait un peu sombre par ici, comme si une pile de vinyles cachait les trop rares rayons du soleil d’automne. Il y en a partout, dans tous les coins, dans des cartons, des cabas, des caisses, sur les murs, sur le comptoir : Neu!, Madonna, Beatles, Radiohead, Pink Floyd, Kaleidoscope… Rester indifférent paraît impossible pour n’importe quel fan de musique, même néophyte. À Nancy, Francis Kremer est la preuve de la vitalité musicale de la région dans les années 80. Il a vu passer CharlÉlie Couture, son frère Tom Novembre, Gérard Nguyen, un vieil ami, créateur de la revue Atem et du label Les Disques du soleil et de l’acier, producteur du duo Kas Product. Il fouille un peu pour justement dénicher leur 45T Shoo Shoo/Ain’t It So Good et raconte : « On a fait deux 45T ensemble, c’était vraiment du DIY [do it yourself, ndlr] qui allait bien avec l’explosion de la new wave à l’époque. Je les ai rencontrés et le courant est passé. J’ai fait ça parce qu’ils étaient de bons amis d’un client, pour leur filer un coup de main. Ça me faisait de la pub et eux, une carte de visite. Ils ont été signés chez RCA juste après. » Avoir une activité de label à proprement parler ? Hors de question. Francis laisse ça aux autres. Il préfère rester la tête dans ses disques, écouter de la musique du matin et soir. « Je suis tombé dedans tout petit. Mes premiers disques, je les ai acheté en 66. Le Rubber Soul des Beatles et Aftermath des Stones, deux albums qui me suivent toujours. Je ne pouvais pas faire autre chose que travailler dans la
musique. » Son magasin ouvre fin 1974 et il pense évidemment à nom qui interpelle. Ce sera Punk Records, alors que de l’autre côté de l’Atlantique la rumeur commence à enfler. « Ce mot entendu sur We’re Only in it for the Money [Flower punk, ndlr] de Frank Zappa a tout de suite trouvé écho chez moi. Il y a eu la scène new-yorkaise : Patti Smith, Suicide, les Ramones... La suite, on la connaît. Rock&Folk l’utilise, on commence à parler de punk rock à Londres avec les Clash et les Sex Pistols. En 1977, du coup, le nom a fait un peu de pub au magasin. » Quand on lui parle d’être punk avant les punks, il sourit : « De toute façon, Johnny Rotten des Sex Pistols disait que le premier punk c’était Neil Young. » Incollable, il parle, explique, raconte et pourrait continuer des heures. Pousser la porte, c’est être certain de trouver ce que l’on cherche même si ce n’était pas exactement l’idée qu’on en avait : « J’aime parler aux gens. Je ne veux vraiment pas me vanter, mais j’ai de grandes connaissances en musique. Je lis beaucoup, je fais des recherches, je me renseigne, je suis tout le temps dedans et j’en découvre tout le temps. Ça m’a permis de faire la différence et de tenir, jusqu’à maintenant. » Alors que les fermetures de disquaires s’enchaînent, que les ventes de supports physiques ne cessent de diminuer, Francis lui, continue d’y croire et parle même, à demi-mots de futur. « Ce qui me fait plaisir, c’est qu’il y a toujours des curieux, de nouvelles tendances. La musique noire revient en force, les gens se passionnent à nouveau pour la soul et le rhythm’n’blues. Ce genre de choses me fait croire en l’avenir du disque », dit-il en exhibant le vinyle I Can’t Stand Myself When you Touch me de James Brown. Et s’il fait part de son désir de transmission en évoquant un passage de relais à la nouvelle génération, il ajoute : « On me parle d’un livre. J’aurai des choses à raconter, beaucoup. Pourquoi pas ? Mais ça prendra du temps. » Et du temps, qu’on se le dise, on en aura toujours pour la musique. Punk Records 27, rue des Maréchaux à Nancy
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Gérard Nguyen
PAR—Emmanuel Abela
ZUT 1 Automne-Hiver 2012
Atem, les Disques du Soleil et de l’Acier, le magasin Wave à Nancy, autant de noms pour autant d’activités : Gérard Nguyen, journaliste, label manager et disquaire. L’histoire tient parfois à peu de choses : un groupe de passionnés, l’organisation de quelques concerts à Nancy au milieu des années 70 – Can, Henry Cow, Kevin Coyne, Keith Tippett avec d’anciens membres de Soft Machine, etc. – et la publication d’un fanzine. Gérard Nguyen nous livre quelques uns de ses instants de vie qui marquent l’histoire d’un homme : des rendez-vous à Londres avec Kevin Ayers, des échanges téléphoniques et épistolaires avec Robert Wyatt et même un rendez-vous bien étrange avec l’un des membres des Residents, après un coup de téléphone mystérieux à 6h du matin. Atem, le fanzine qu’il a initié à Nancy, a connu son heure de gloire entre 1975 et 1979, avec une rédaction augmentée de fines plumes parisiennes, parmi lesquelles Pascal Bussy. Ce fanzine tiré à 2000 exemplaires et distribué via le réseau des disquaires indépendants, « à la librairie Parallèles, à Paris, qui existe toujours », a vu son tirage augmenter en quatre ans pour atteindre les 7000 exemplaires distribués en national par les NMPP, avec une mise en page réalisée à Libération. « Nous pouvions compter sur nos abonnés, et certains de nos soutiens, parmi lesquels Gilles Verlant, qui alimentait une chronique musicale dans Le Soir en Belgique, ou Jackie Berroyer. » À l’égal d’Actuel et des meilleures feuilles du Rock&Folk de la grande époque, le fanzine offrait un large panorama des musiques dites de traverse, entre folk, pop progressive, jazz et avant-garde. Après le numéro 16, la revue cesse malheureusement de paraître. « Nous n’avions pas perdu d’argent, nous aurions pu continuer, mais faute de combattants, nous avons pris la décision d’arrêter. »
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À parcourir la sélection qu’en propose Gérard Nguyen dans son volume rétrospectif aux éditions du Camion Blanc, on reste impressionné par la masse d’articles proposés sur les artistes majeurs de cette époque, Peter Hammill, Brian Eno, Tim Buckley, Nick Drake, Steve Reich, Nico ou Heldon, parmi tant d’autres. Après la disparition du fanzine, Gérard Nguyen a participé à l’aventure Kas Product en tant que manager et producteur du groupe entre 1981 et 1984, la période la plus riche d’un point de vue artistique, avant de créer son propre label : Les Disques du Soleil et de l’Acier. On doit à son travail de défricheur la révélation de l’artiste minimaliste Pascal Comelade, qui a publié une quinzaine d’albums sur le label, mais aussi d’Ulan Bator ou de Sylvain Chauveau. Au final, pas moins d’une centaine d’albums sont publiés sur la période de 1984 à 2009, des disques qui reflétaient les goûts personnels de Gérard Nguyen et positionnaient le label comme une référence dans le domaine. Gérard Nguyen a toujours gardé un lien direct avec la vente du disque. Quand vous le croisiez dans son magasin spécialisé, Wave, rue des Sœurs Macarons, il n’hésitait pas à vous interroger sur vos achats, notamment quand il s’agissait d’un Soft Machine, ni à vous aiguiller spontanément. Son expérience et son expertise dans le domaine en font le coordinateur légitime de la FLIPPE, la Fédération des Labels Indépendants et Producteurs Phonographiques de l’Est. Constituée en 2010 à l’initiative de labels lorrains, Ici d’Ailleurs, Patch Work Production, Hilbesound, Chez Kito Kat, la fédération a pour but la structuration de la filière disque dans l’Est de la France. S’il ne se montre pas très optimiste sur l’avenir du disque, Gérard Nguyen n’a rien perdu de sa pugnacité et continue d’œuvrer dans le sens de la promotion des artistes et des initiatives musicales, y compris les plus aventureuses.
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Peter Hammill à l’époque de l’album The Future Now (1978)
Au-delà des frontières
ZUT 0 Été 2012
Le label nancéien Ici d’Ailleurs fête ses vingt ans. Son fondateur Stéphane Grégoire revient sur une ligne éditoriale éclectique.
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PAR—Emmanuel Abela PHOTO—Arno Paul
En 2017, vous fêtez les vingt ans du label. On constate que l’album Le Phare de Yann Tiersen est justement sorti en 1997. Un artiste et un disque qui ont sans doute favorisé les choses… Oui, mais ça va plus loin que cela : grâce à sa musique, nous avons rencontré un réel succès ; Yann Tiersen a permis et permet aujourd’hui encore au label d’exister. faite ?
Comment la rencontre s’est-elle
Je travaillais chez un distributeur indépendant, basé à Nancy, qui s’appelait Semantic et en même temps comme vendeur chez Wave, le magasin spécialisé de Gérard Nguyen. Comme il savait que j’exprimais l’envie de sortir des disques, notamment dans un créneau entre musique minimaliste ou contemporaine à la manière de Steve Reich ou Phil Glass, il m’a glissé une K7 qu’il venait de recevoir, d’un certain Yann Tiersen. D’emblée, j’ai trouvé cela brillant et mature. J’ai appelé ce Yann Tiersen que je ne connaissais pas. Il s’avère que j’étais le premier label à prendre contact et nous nous sommes fixés rendezvous : nous étions surpris de constater que nous étions tous les deux jeunes. Surtout, nous tenions le même langage, et j’ai donc publié La Valse des monstres et Rue des cascades sur mon premier label, Sine Terra Firma, avant de poursuivre sur Ici d’Ailleurs. C’est d’ailleurs une constante : toutes les signatures peuvent se faire parce qu’avec les artistes nous regardons dans la même direction, et même au-delà de la musique, d’un point de vue politique par exemple. Nous nous découvrons au fur et à mesure des aspirations similaires et des croisements possibles.
Au-delà de la présence de Yann Tiersen au sein du label, ce qui lui permet de durer c’est la grande cohérence du catalogue : une ligne qui n’empêche pas la diversité. Au départ, je ne voulais pas enfermer le label dans un genre musical. Le nom du label l’indique : je voulais affirmer cette cohérence et en même temps jouer sur les oppositions. Il ne s’agissait pas de délimiter des frontières musicales. Moi même, je n’en ai pas. La musique m’a toujours permis de mieux comprendre les différences. Avec Ici d’Ailleurs, j’ai décidé de placer très loin derrière la notion de label et de privilégier l’artistique. Vingt ans après, je constate que c’était aussi une erreur. Il aurait fallu travailler les deux ! Ici d’Ailleurs commence à être connu parce que les gens font des liens entre plusieurs artistes, Yann Tiersen et Chapelier Fou pour un public plus large, ou Yann Tiersen et Matt Elliott pour un public plus pointu, mais on s’est fait un peu trop discrets en termes d’image. Vous êtes nés à Nancy, vous auriez pu vous rendre ailleurs, mais vous restez ici. Ça n’est pas par calcul, je suis né ici, je vis ici. De toute façon, le caractère indépendant d’une ville ne se crée qu’à partir d’une réaction à l’existence d’un désert culturel. Des personnalités créent quelque chose, et de cette réaction naissent des enfants. Je ne suis pas à l’origine de cette histoire-là, mais je suis un enfant de ces personnalités-là. Nous pourrions remonter aux Kas Product, Gérard Nguyen, Dick Tracy, Punk Records, etc. À Nancy, nous avons toujours connu ce côté underground plaqué sur un grand rien, avec un petit noyau qui créait une identité par envie, sans se mettre de limites, et générait une scène. La contre-culture s’alimente ainsi, ce qui ne veut pas dire qu’on est dans le vrai. Cette contre-culture est la culture de demain, il faut juste qu’elle soit filtrée pour qu’un public plus large puisse se sentir concerné à un moment donné.
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En cette période de mutation de la relation qu’on entretient à l’objet-disque, une autre piste de développement reste le bel objet. La contrepartie de la dématérialisation est l’explosion du vinyle, un objet plus cher, mais plus beau, qu’on peut tenir entre les mains pour le regarder et y lire des informations. Aujourd’hui, on rencontre même des gens qui achètent l’édition vinyle alors qu’ils n’ont plus de platine ; ils s’emparent du coupon de téléchargement, chargent le disque et rangent le vinyle comme s’il s’agissait d’un livre ou d’un objet d’art. Pour ces vinyles, vous tablez sur les ventes par correspondance. Si nous fonctionnons beaucoup par correspondance, de manière générale nous essayons de guider les gens pour qu’ils aillent principalement acheter chez les disquaires. Je ne parle pas des chaines de magasins de disques, mais des vrais disquaires. C’est pour cela que nous avons participé au Record Store Day avec des éditions spéciales que nous n’avons pas mis en vente sur notre site. On nous fait croire que tout se passe plus facilement grâce à l’Internet, mais ça n’est pas vrai. Selon moi, la découverte passe souvent par l’échange avec un disquaire : s’il est vraiment professionnel, il va évaluer votre champ de possibilité d’écoute, et va vous faire dériver vers de nouvelles écoutes et des choses inattendues. Naturellement, des suggestions peuvent vous être faites par des moteurs de recherche qui vont s’appuyer sur des données statistiques et vous livrer des solutions mathématiques – ce côté aléatoire est intéressant –, mais la révélation au travers d’un autre, un être vivant qui vous parle et échange avec vous n’est pas comparable. Le magasin de disque, c’est un peu mon bar, j’y viens avec des bières, j’y passe du temps à écouter des disques et discuter… www.icidailleurs.com
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PAR—Benjamin Bottemer PHOTO—Arno Paul
Hiver 2014
Renaissance man À l’occasion d’une exposition rétrospective à la Galerie Poirel à Nancy, sa ville natale, rencontre avec CharlÉlie Couture de retour sur ses terres. L’homme est souriant et volubile ; CharlÉlie Couture est visiblement heureux. Lui qui a toujours eu l’ambition – ce qui en France a des allures de gageure – de conjuguer musique et arts plastiques en obtenant un même niveau de reconnaissance, a connu ses heures de gloire entre les années 80 et 90, sur la vague pop de ses albums et de quelques tubes. Avant de partir se reconstruire, au début des années 2000, dans une ville elle-même en reconstruction, devenant à New York un « Renaissance man » quasi anonyme. Rebâtir, rassembler les morceaux, CharlÉlie s’y attelle en musique, sur la toile, dans ses installations, homme « en mouvement et en déséquilibre perpétuel ». Premières bases À sept ans, dans le grenier de la maison familiale située rue de la Source, en plein cœur du vieux Nancy, Bertrand, qui associera plus tard les prénoms de ses grands-pères comme nom d’artiste, prend des photos vaguement surréalistes. D’un père professeur aux Beaux-Arts puis antiquaire et décorateur, d’une mère professeur de français aux États-Unis avant de rejoindre la boutique familiale, il reçoit un soutien immédiat, constant. Surtout de la part de son père, Jean-Pierre Couture, figure essen-
tielle dont la disparition précipitera, bien plus tard, son départ pour New York. En intégrant les Beaux-Arts, il esquisse ce qui sera sa voie d’artiste pour les décennies à venir. En parallèle, il forme à Nancy le collectif Local à louer, qui réunit des peintres, des photographes, des dessinateurs et des poètes, qu’il voyait comme « un moyen d’attirer le regard sur la province, de se détacher de Paris » secouée depuis la fin des années 70 par des mouvements underground tels que Bazooka ou les Musulmans fumants. Il imagine aujourd’hui que l’on a pu « le lui reprocher ». Il évoque Nancy comme « un cocon de compression, d’insatisfaction ». Le rôle de la cité lorraine dans sa carrière aurait-il été de lui donner envie d’en partir ? « C’est peut-être ça, concède-t-il après quelques secondes de réflexion. On vit sa vie par séquences, aujourd’hui je suis là, demain je serai ailleurs… » L’enregistrement de Poèmes rock en 1981 à Big Apple sur le mythique label indépendant Island records marque le début du succès, des plateaux télé et des tournées. Compositeur prolifique, CharlÉlie a plus d’une vingtaine d’albums et dix-sept bandes originales au compteur. Pour son exposition nancéienne, il crée 24 pistes inspirées des Tableaux d’une exposition de Moussorgski. Tout comme la peinture, la musique est pour lui le moyen de « rendre visuel des choses abstraites ». Cette carrière au sein de l’industrie musicale a-t-elle constitué une voie « par défaut » pour CharlÉlie Couture, qui a toujours affiché la volonté de ne pas choisir ? « Ça constitue une partie de ma vie, commente-t-il simplement. Comme un pilote, j’ai gagné des courses, et puis un jour ça ne marche plus. Tu trouves que ce n’est pas normal, tu te poses des questions. Je crois que je n’ai pas utilisé de “tricks”, d’artifices pour séduire le public. Ma relation au monde a alors changé, je me suis retrouvé dans ce combat avec moi-même par le biais de la peinture. » 81
Nouveaux départs Étiqueté chanteur en voie de hasbeenisation, il se cogne à l’incompréhension du monde de l’art hexagonal, qui aime ses artistes en boîtes. Et il s’est toujours senti chez lui à New York. Le décès de son père en 2003 le décide à mettre les voiles pour se refaire une vie de l’autre côté de l’Atlantique. « Quand tu te fixes un challenge, New York est idéale, c’est une ville de compétition dans tous les sens du terme, explique-t-il. Elle comporte plus de risques mais permet d’aller plus loin. » Il ouvre une galerie en plein Manhattan, The RE Gallery, RE comme renaissance, dans une ville elle-même en pleine reconstruction. Il y redevient un anonyme, ce qui sera à la fois une source de frustration, une leçon d’humilité et une bouffée d’oxygène. « J’apprécie la sincérité des gens là-bas, qui n’ont pas d’idées préconçues à mon égard. Ça implique un rapport à soi qui est différent. J’ai deux vies : en France, très entouré, et à New York, assez seul. » La solitude, justement, celle de la création, comme thématique de son travail. Il interroge régulièrement la place de l’artiste dans la société, et par-là son propre rapport au monde et aux autres. « On peut se sentir “enfin seul”, sorti de la pression de la collectivité, soit “encore seul”, isolé. » L’heure est plus que jamais au questionnement et au regard en arrière pour CharlÉlie, elle est porteuse de promesses nouvelles. « Attention, je suis encore vivant ! J’ai le sentiment que cette exposition marque un tournant. Enfin, je l’espère. » Amoureux des jeux de mots, des images et des métaphores, il voit l’artiste comme « un éclaireur » qui ne sait pas où il va, lui-même étant « un triathlète » qui consacre la même énergie à toutes les disciplines, prônant plus que jamais le « multisme », même s’il s’est un peu résigné du fait qu’on le considère avant tout comme le chanteur qui fait des peintures. « C’est de bonne guerre, c’est comme ça pour tous les artistes dans ma situation, lâche-t-il. La peinture, la musique, la photo, sont pour moi des moyens de formaliser des sentiments différents, qui s’influencent mutuellement. C’est une alternative moderne à la notion de spécialisation, une attitude. » www.charlelie-officiel.com
East coast blues
Les Messins de Grand Blanc, installés à Paris, sont revenus sur leur terre natale à l’occasion d’un concert attendu à la BAM de Metz. L’occasion d’évoquer la place qu’occupe la cité mosellane dans leur parcours et dans leur cœur. La capacité de fascination de Grand Blanc est indéniable. La nouvelle sensation de l’électro-pop hexagonale, distillant poésie sombre et son puissant, suscite l’enthousiasme de la presse branchée. On retrouve les visages de Camille et Benoît, les voix du groupe, shootés par Hedi Slimane pour Saint Laurent Paris… Derrière le buzz, l’identité et l’inspiration sont intéressantes et durables : elles prennent leur source à Metz et en Moselle, où ont grandi Luc, Camille et Benoît. À Paris, ils rencontreront Vincent pour donner naissance à Grand Blanc.
ZUT 14
PAR—Benjamin Bottemer PHOTO—Julian Benini
Printemps 2016
Un EP apparaît en 2014 : sur la pochette, fumées d’usines et coulée de métal en fusion côtoient une cathédrale surmontée d’une croix de Lorraine, sous le regard d’une lune blafarde. Quelques chansons marquées par une mélancolie urbaine évoquent les soirées de jeunes loups désœuvrés et l’ennui ambiant. Il n’en fallait pas plus pour que la presse parisienne s’empresse de comparer Metz à une « Manchester du nord ». « Manchester, c’est très différent de Metz… Pour nous, c’était un petit théâtre dans lequel nous avons placé notre EP. Une Metz rêvée, sublimée », souffle Camille, aux claviers et au chant au sein de Grand Blanc, passée du Conservatoire où elle a joué de la harpe. « On avait choisi en guise de bio un texte poétique, qui évoquait Bashung, Joy Division, Kraftwerk et Albert Camus… Je crois que ça a bien plu aux médias, avance Benoît, guitariste et chanteur. Les retours nous ont fait halluciner ! » Images changeantes Les trois Messins se rencontrent à Paris, au sein de la diaspora qui écume la capitale. Ils s’amusent de s’être retrouvés là-bas autour de cette identité commune. « On a deux histoires avec Metz, explique Benoît. On en est parti assez tôt, puis on y est revenu avec notre petit guide touristique en vinyle, pour y revivre beaucoup de choses. » Aujourd’hui, ils conviennent qu’avec Mémoires vives, ils ont pris une autre dimension et dépassé le statut de curiosité. Au sein d’un album dense et homogène, romantisme noir et musique percutante et/ou planante forment une vibration primaire, beaucoup plus nuancée et moins austère que sur leur EP. Le tout littéralement habité par la voix de Benoît qui semble toujours couver une colère sourde, et le timbre plus apaisé et hypnotique de Camille. « Quelques beats, des phrases martelées : on a essayé de créer des images qui se fracassent, décrit Benoît. L’enjeu de l’album, c’était de réussir à y mettre notre énergie, à rester libres tout en étant cohérents. » Dans le clip de Surprise Party, on retrouve la bagnole pourrie, les mauvais garçons, les canettes et la baston du clip de Degré Zéro, issu de l’EP. Mais l’ensemble est plus stylisé, traversé de lumières, de couleurs, de contrastes ; comme la musique de Mémoires vives. « Ce clip est une façon de dire : les choses n’ont pas changé, mais on les présente différemment. Les gens ont pris notre EP trop au premier degré. À Metz, organiser un concert sous le pont de l’A31, tout le monde trouve ça marrant ; à Paris, ça les fait juste flipper », rigole Benoît. 82
Inspiration et retour aux sources À Paris, les membres de Grand Blanc vivent regroupés, en colocation. « C’est une ville difficile pour nous qui ne sommes ni mondains ni très sociables, raconte Benoît. À Metz, on a été beaucoup soutenus, par les Trinitaires, l’asso Zikamine... À Paris, ça a été plus dur de trouver la porte d’entrée. » Comme une grande partie de la scène indépendante locale et de son public, Grand Blanc affiche son attachement à un territoire à la fois ingrat et précieux en termes d’identité. Dans leur musique surgissent des villes en négatif, des lieux, des souvenirs. Mais seulement en filigrane. « Cet ancrage régional sera toujours présent chez nous, glisse Luc. C’est un sujet, mais pas un propos. » « La Lorraine est un laboratoire génial pour questionner son identité, et c’est cool pour nous d’avoir Grand Blanc pour répondre à ces questions, lâche Benoît. La guerre, les mines, la sidérurgie... Il y a un lien entre cet héritage et notre futur : on cherche notre place, notre légitimité, avec angoisse et inquiétude mais aussi beaucoup de jubilation. » Après le concert, la bande se retrouvera le dimanche pour « une sorte de brunch de mariage » avec la famille et les proches. « Nos familles sont très importantes pour nous, elles nous ont toujours soutenu, note Benoît. On fait pas semblant d’être des rockers sans attaches ! » Grand Blanc navigue donc entre les eaux troubles d’atmosphères urbaines délétères et les rendez-vous dominicaux entre charcuterie et petits gâteaux. Tant pis si ça casse le mythe : il suffit de glisser Mémoires vives dans la platine, et la réalité explose à nouveau. grandblanc.bandcamp.com
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Nuances de noires et blanches Habitué aux salles prestigieuses comme aux clubs d’Ibiza, le pianiste luxembourgeois Francesco Tristano est accro à Bach, à la techno de Détroit ou à la Neue Musik, de Messiaen à John Cage. Voici quelques clés pour régler sa mesure sur celle d’un jeune musicien, qui voit toujours plus loin que le bout de ses claviers.
ZUT 12
PAR—Benjamin Bottemer PHOTO—Julian Benini
Automne 2015
Jean-Sébastien Bach « Quand j’avais cinq ou six ans, j’expliquais à ma professeure de piano que plus tard, je ne jouerai que Bach et ma musique. On écoutait beaucoup de baroque à la maison. » Presque 30 ans plus tard, Francesco Tristano est resté fidèle à sa conviction : « Je joue essentiellement les compositions de Bach et de ses héritiers. » À son actif, entres autres, l’enregistrement des Variations Goldberg, des Suites françaises, et des Concertos pour clavecin avec son ensemble les New Bach Players.
Aufgang Ce projet de Francesco Tristano, Rami Khalifé et Aymeric Westrich sur le label InFiné réunit, pour son deuxième album Istiklaliya, tout ce que la musique du XVIIe au XXIe siècle a de plus accrocheur : épiques, étranges, technoïdes ou cinématographiques, les neuf morceaux sont parcourus d’accidents et de ruptures. « C’est un projet dans lequel je me suis investi corps et âme. Les disquaires ne savaient pas où nous ranger, ce qui n’est pas très grave puisqu’il n’y a presque plus de disquaires... »
Carl Craig La rencontre a lieu à la fin de l’un des live du monstre de Détroit. Les deux musiciens se promettent de monter un projet ensemble : ce sera Versus, au côté de Moritz Von Oswald, où se côtoient piano, synthés et ordinateurs. « Ça a été une rencontre capitale, avec une vraie relation de transmission mutuelle, la découverte d’une autre génération, d’un autre milieu. »
New York Ancien élève de la fameuse Juilliard School, Francesco Tristano avoue avoir davantage profité de la bouillonnante vie artistique de la ville que des cours du conservatoire : « C’est dans cette ville, qui fonctionne à l’inverse de tout conservatisme justement, que je suis devenu adulte. »
Saburo Teshigawara Le chorégraphe et danseur japonais s’est associé à Francesco Tristano pour un dialogue entre les corps et le piano, Francesco n’hésitant pas à y plonger pour pincer les cordes à la main. « Sur scène, il y a un échange permanent entre nous deux ; j’adore le fait qu’il ait besoin de ma musique pour évoluer, et qu’elle prenne une nouvelle dimension à travers sa danse. » 85
www.francescotristano.com
ZUT 4
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RÉALISATION— Myriam Commot-Delon
Automne
PHOTOS— Alexis Delon / Preview
2013
MANNEQUIN— Ksenia / Studio KLRP
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RENAIS— SANCE COURRÈGES ZUT 1
Automne-Hiver
2012
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PAR—Emmanuel Abela PHOTOS—Olivier Roller
Jacques Bungert et Frédéric Torloting ont repris Courrèges en 2011. Pour eux, la renaissance de la marque Courrèges s’appuie sur un patrimoine et des valeurs. Interview avec Frédéric Torloting.
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La marque Courrèges était en sommeil, mais elle bénéficie d’un capital de notoriété. Au-delà de ce capital, il y a un esprit Courrèges. Est-ce cet esprit qui vous a séduit ? Je ne sais pas si on peut parler d’esprit ou même de style, c’est sans doute la synthèse des deux. L’une des tentations à laquelle on a beaucoup résisté – les gens nous l’ont beaucoup demandé –, c’est de changer. Notre priorité aujourd’hui, c’est de conserver cet esprit et ce style. Les autres grandes marques de luxe sont devenues très puissantes, ça ne fait aucun doute, mais elles ont perdu en lisibilité. Jacques et moi-même, nous venons de la publicité ; nous restons donc attachés à la qualité intrinsèque et à la force des marques. Pour nous, la marque Courrèges est extrêmement forte, avec un univers particulier qui n’appartient qu’à elle et avec lequel on se sentait en affinité. Courrèges est l’une des rares marques à avoir conservé un vrai style. Nous avons été séduits par le fait que cette maison imprime une image claire. Il y avait par ailleurs une autre espèce d’évidence, c’est que la marque était redevenue toute petite, volontairement. Du fait de cette évidence, le potentiel était là.
Vous ne privilégiez pas les effets d’annonce concernant le recrutement d’éventuels stylistes… Nous pouvons compter sur une dizaine de personnes à la création, des stylistes qui savent dessiner du Courrèges, c’est ce que nous cherchons à faire. Inutile d’entrer dans des histoires d’ego, on sait les problèmes rencontrés par d’autres maisons. Les créateurs que nous avons recrutés depuis le rachat de la maison, nous leur demandons de se fondre dans le cadre sans chercher à révéler autre chose que ce que la marque cherche à raconter. Dans la boutique demain, vous pourrez vous procurer des modèles dessinés par le passé qui cohabiteront avec les nouveaux modèles, tout simplement parce que ça reste la même histoire. L’idée de réduire l’importance de la marque peut paraître surprenante. Comment explique-t-on cette démarche ? Il faut savoir que cette aventure Courrèges a été menée à deux : André et Coqueline étaient les propriétaires de l’entreprise, de manière très complémentaire d’un point de vue créatif. André est tombé malade dans les années 80, ils ont décidé de vendre à leur licencié japonais à l’époque. À la suite d’un conflit, Coqueline a racheté son entreprise, et en parallèle elle a racheté ses parfums à un groupe suisse qui en était devenu propriétaire. À partir de ce moment-là, elle n’a eu de cesse de purifier la marque en évitant de la galvauder dans le commerce – le commerce c’est génial, mais ça abîme toujours un petit peu. Elle s’est dit : « Le commerce, ça n’est pas mon sujet. Mon sujet, c’est la transmission, la mémoire et le fait que cet esprit et ce style soient pérennes. » Elle a fait ce travail incroyable de nettoyage autour d’une maison qui continuait d’alimenter sa boutique parisienne avec ses talents, mais sans visibilité ni volonté de communication. À propos de la vente, Coqueline Courrèges affirme : « Nous leur léguons l’intransmissible : notre pensée, notre raisonnement, notre imagination ! » Comment vous appuyez-vous sur le patrimoine qui vous est légué ? Ce patrimoine est essentiel. Pour situer ce qui restait de l’ordre de l’intemporel en 50 ans de création, la première chose que nous avons faite c’est de faire poser les mannequins avec les modèles. Nous avons pu constater que nous pourrions ressortir des modèles qui ont existé en les adaptant – le corps des femmes a changé ! C’était un point de départ intéressant. De toute manière, ce qui nous importe c’est le style. Ce style est le futur de la marque, il est le cadre dans lequel nous évoluons. Et c’est bien parce que la maison a développé un style que ce futur est possible. 90
Vous rompez avec les pratiques usuelles dans le domaine de la mode, une manière de confirmer la singularité de la marque ? Oui, bien sûr, et en même temps, ça n’est pas une posture rebelle ; cette singularité est une forme de naïveté. En chefs d’entreprise raisonnables, responsables et avec la volonté de réussir, nous cherchons constamment à nous poser la question de savoir pourquoi nous faisons les choses, mais aussi comment nous pouvons améliorer celles-ci ou faire différemment. Cette démarche peut effectivement sembler singulière dans un monde où il se passe tellement de choses aberrantes. La maison véhiculait un certain nombre de valeurs, l’empathie et la générosité. Aujourd’hui, est-il encore possible de véhiculer de telles idées ? Non seulement l’empathie existe, et même si ça peut sembler prétentieux, j’ai le sentiment que cela nous ressemble assez à Jacques et moi. Je vois les marques de luxe qui nous entourent, et je n’ai pas envie de leur ressembler. Il me semble trop facile de se construire sur une forme de distance qui crée une arrogance artificielle avec les gens, ce qui du coup permet de vendre des produits chers. Il n’y a rien de plus noble que d’évaluer le vrai prix du produit qu’on cherche à vendre et d’essayer de rentrer en relation avec le plus de gens possibles. Je n’ai pas envie de constituer une marque niche qui exclut. Je pense que Courrèges est une marque populaire : il y aura des produits chers, avec des prix en rapport avec leur fabrication, mais il y aura aussi des produits accessibles. En ce sens, nous cherchons à développer une marque généreuse. www.courreges.com
They had a dream Duo au bureau comme à la ville, Mathilde et Benjamin ont lancé Blotter Atelier en 2012, à Metz. Une marque intemporelle, qui favorise les collaborations avec les artistes, distribuée dans une trentaine de points de vente en France.
ZUT 19
PAR—Cécile Becker
Été 2017
La genèse ? Benjamin travaille pour une petite marque streetwear qui détonne, il est chargé de la création, de la distribution, de la communication et de la commercialisation. Mathilde est directrice d’un magasin Levi’s à Rouen. La marque streetwear disparaît, Mathilde pousse Benjamin à continuer. Grâce aux nombreux contacts du premier et à des créateurs coups de cœur croisés, ils créent une société de distribution en 2007. Au fil du temps, leur vaste réseau de distributeurs réclame des produits réalisés avec des matières plus nobles : c’est le déclic. En 2012, première collection P/E avec une styliste lyonnaise. Un an plus tard, ils sont suivis par une quinzaine de distributeurs fidèles !
Leur patte ? Lier leur amour de l’art et leur passion de la mode. Associer des artistes à leurs collections. « Blotter devient la toile sur laquelle les artistes peuvent s’exprimer », explique Benjamin. De ces collaborations naissent des motifs qui terminent en imprimés, broderies ou patchs. « Une collection, on la pense comme une œuvre d’art : il n’y a pas d’abattage, on passe du temps sur chaque produit. » Le style Blotter Atelier ? Épuré et intemporel, qui privilégie le confort. Des matières en trompe-l’œil, « raides à première vue mais extrêmement fluides : de la crêpe, de l’acétate de cellulose, de la viscose ou du lycra ». Mathilde et Benjamin ont toujours aimé les chemises longues – pour femmes et hommes – qu’on retrouve comme un leitmotiv dans leurs différentes collections. Leur volonté ? « Détyper l’homme et détyper la femme. » Comment ? Avec notamment une ligne unisexe qui fait un carton. www.blotteratelier.com
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ZUT 0
PAR—Sylvia Dubost
Jean Prouvé (1901-1984), ferronnier de formation, ingénieur, constructeur et créateur de meubles autodidacte. Le Nancéien fit entrer le mobilier et l’architecture dans l’ère industrielle. En 2012, quand la ville de Nancy lui rendait hommage, nous nous interrogions sur les raisons pour lesquelles son œuvre était toujours pertinente. Simple et radicale, donc intemporelle et universelle, elle résonne hier comme aujourd’hui avec son époque.
PAR—Sylvia Dubost
Été 2012
MAN AT WORK 92
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Maison tropicale, dessin, vers 1949 - Henri Prouvé — fonds Jean Prouvé - musée national d’art moderne © Centre Pompidou MNAM/CCI, bibliothèque Kandinsky — © ADAGP, Paris 2012
Jean Prouvé enseignant au CNAM — Photo : E. Remondino - fonds Jean Prouvé, musée national d’Art moderne © Centre Pompidou MNAM/CCI, bibliothèque Kandinsky © ADAGP, Paris 2012
Jean Prouvé enseignant au CNAM Photo : E. Remondino fonds Jean Prouvé, musée national d’Art moderne © Centre Pompidou MNAM/CCI, bibliothèque Kandinsky © ADAGP, Paris 2012
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Ne jamais copier, travailler en équipe, expérimenter avec les matériaux, s’adresser au plus large public possible… Ces principes hérités de l’école de Nancy irriguent toute l’œuvre de Jean Prouvé. C’est d’abord un artisan : contraint d’abandonner ses études d’ingénieur, il entre comme apprenti chez un ferronnier, et ouvre son premier atelier à Nancy dès 1924. Il y produit grilles, lampadaires et rampes pour des architectes, notamment pour Mallet-Stevens. Rapidement, il expérimente avec matériaux nouveaux de l’époque : l’acier et la tôle. En 1931, il ouvre les Ateliers Jean Prouvé et réalise aussi du mobilier pour les entreprises et les écoles (sa célèbre chaise Standard). Sa première grande commande sera pour la cité universitaire de Nancy. Il invente la maison métallique démontable, qu’il met à disposition des réfugiés pendant la 2e Guerre mondiale. En 1947, il installe ses ateliers à Maxéville, où naissent des pièces de mobilier emblématiques, comme les tables Compas ou EM. Le carnet de commande ne désemplit pas, et Prouvé doit ouvrir le capital. L’Aluminium français, nouvel actionnaire principal, l’évince en 1952… Malgré le choc, il mène plusieurs projets marquants : la construction de sa maison sur les hauteurs de Nancy, le mobilier de la Cité universitaire d’Antony avec Charlotte Perriand, la Maison des jours meilleurs suite à l’appel lancé par l’abbé Pierre et dont Le Corbusier dira : « C’est la plus belle maison que je connaisse. » En 1966, il ouvre un bureau d’études grâce auquel il participe à la réalisation du CNIT Paris-La Défense, de l’aile V du bâtiment de l’Unesco, du siège du PCF et au palais omnisport de Paris Bercy. Lui qui n’a jamais été architecte préside le jury du concours pour le Centre Pompidou, et parraine la grande construction métallique de Richard Rogers et Renzo Piano, qui n’ont alors aucune expérience. Ses réalisations et les cours qu’il a donné pendant 12 ans au Conservatoire des arts et métiers ont profondément transformé marqué l’architecture et le design de XXe siècle.
Expérimentation des matériaux « J’avais la volonté de construire avec les moyens les plus modernes que je pouvais découvrir à l’époque où j’ai fait les choses, c’est ça qui m’intéressait. » Les éléments qu’il fabrique à destination de l’industrie, Jean Prouvé les réutilise pour du mobilier ou des constructions. Il expérimente en permanence, opérant des allers-retours incessants entre la réflexion et la pratique, préférant le terme d’atelier à celui d’usine. Au début des années 50, les ateliers de Maxéville fabriquent ainsi de grandes coques pour la couverture de bâtiments industriels. En observant des ouvriers déjeuner dessous alors qu’elles sont entreposées à l’extérieur, Prouvé a l’idée d’en relever un côté par une façade pour en faire une maison très simple, qui pourrait être montée par son propriétaire. À partir de ce principe, il développe tout un vocabulaire de formes différentes. « C’est le type même du constructeur », disait de lui Le Corbusier, avec qui Prouvé a collaboré à plusieurs reprises, pour des constructions métalliques sur pilotis ou des éléments de façade destinés à la Cité radieuse. Simplicité des formes S’il est le premier à utiliser ces éléments industriels, c’est parce qu’ils lui semblent répondre aux modes de vie contemporains. Dans sa maison à Nancy, construite en 1954, il utilise ainsi ces fameux panneaux à hublots recouverts d’aluminium qui sont sans doute la forme la plus célèbre parmi toutes celles qu’il a inventées. Un élément innovant, une structure de bois remplie d’isolant, recouverte d’une peau d’aluminium crénelé qui se patine mais ne se corrode pas. La forme, toujours d’une grande simplicité, découle de l’usage et du matériau. « Je n’ai jamais eu une vision ou une forme à l’esprit. Je n’ai pas de style, je n’ai jamais dessiné de forme. J’ai fait des constructions qui avaient une forme. » Il revendique l’héritage de l’école de Nancy : « C’étaient des constructeurs, pas de décorateurs. » Dans l’un de ses derniers entretiens, il fustige vertement ceux qui dérogent à ses principes. « On fait tout avec n’importe quoi, pourvu que ça ressemble à quelque chose de connu. C’est en somme l’apologie du formalisme. Et pour moi, le formalisme, c’est la négation de l’architecture. »
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Valeur sociale Fabriqués en série dans ses usines, ces modules industriels permettent aussi de réduire les coûts de construction. L’œuvre de Jean Prouvé est marquée par un souci permanent d’économie, d’espace, de matériaux, de travail, qui doivent la rendre accessibles au plus grand nombre. Comme de nombreux architectes et créateurs de son temps, membres comme lui de l’Union des artistes modernes fondée en 1929 par Charlotte Perriand, Jean Prouvé donne à son travail une valeur sociale. L’architecte nancéien Laurent Beaudouin le décrit ainsi dans un article de la revue AMC, paru l’année de sa disparition : « Un homme moderne, celui qui pensait que progrès techniques et sociaux sont liés, celui pour qui la recherche est un mode de vie. » Ses ouvriers sont des compagnons, qui connaissent les congés payés bien avant le Front Populaire. Parfaitement dans son époque (un peu trop peut-être), Prouvé pense la mobilité avant l’heure, mais ses maisons démontables ne seront jamais réellement commercialisées. Celles construites à partir des coques en tôle, il les a bien proposées à Citroën, mais l’industriel, pourtant en pointe dans le domaine automobile, les jugera « trop modernes ». Aujourd’hui, on le considère comme l’un des créateurs les plus influents du XXe siècle. Lui, pourtant, se voyait comme « un ouvrier qui a fait son métier, tout simplement ».
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Corbusine
ZUT 4
PAR—Sylvia Dubost PHOTOS—Olivier Martin-Gambier
Automne 2013
Achevée en 1951, l’usine Claude et Duval à Saint-Dié est doublement singulière dans l’œuvre de Le Corbusier : c’est le seul bâtiment industriel qu’il ait jamais construit, et le seul édifice encore totalement dans son jus…
En novembre 1944, lorsque les Allemands incendient Saint-Dié, la bonneterie Claude et Duval est détruite au deux tiers. Malgré l’échec de son projet d’urbanisme pour la ville, Le Corbusier accepte la demande de son ami Jean-Claude Duval de reconstruire l’usine textile de l’entreprise familiale. Son père, alors directeur, grand lecteur dont la bibliothèque avait initié son fils aux textes de l’architecte suisse, accepte cette idée. La manufacture fait l’objet de plus de 500 plans, où tout est dessiné dans les moindres détails, et le chantier démarre en 1948, parallèlement à celui la Cité radieuse de Marseille, achevé plus tard… On retrouve ici toute la grammaire Le Corbusier : le toit-terrasse, les pilotis, le plan libre… Comme dans les unités d’habitation, le rythme des ouvertures est réglé sur les espaces intérieurs, eux-mêmes déterminés par le travail qui s’y déroule. Toutes les dimensions de la façade sont réglées sur le Modulor et les couleurs caractéristiques de Le Corbusier sont reportées sur les plafonds de l’atelier et au-dessus des pilotis du rez-de-chaussée. À l’intérieur, c’est la circulation du tissu qui dicte la disposition des espaces. Il arrive par un monte-charge au 3e étage où il est découpé, puis descend au 2e où il est travaillé. Cet atelier accueillant le plus grand nombre d’ouvrières, il bénéficie d’une hauteur de plafond double, pour plus d’espace et d’éclairage. Les pièces et/ou tissus sont ensuite stockés et emballés au 1er étage avant d’être redescendus et expédiés depuis le rezde-chaussée. Le 4e accueille les bureaux et le rez-de-chaussée les vestiaires (entre autres). Ces fonctions nécessitant moins d’espace, les volumes intérieurs sont rétrécis et laissent place à un toit-terrasse et à 200 emplacements pour vélos. Le bâtiment révèle le sens du détail cher à Le Corbusier, que laissaient présager les 500 plans. Les brise-soleils des façades ont fait l’objet de plusieurs croquis, et l’ensemble des lames verticales et horizontales est orienté en fonction des diffé97
rentes trajectoires du soleil suivant les saisons. Toute la « tuyauterie » et ses systèmes d’accroche ont été dessinés, de même que les fixations des fenêtres… Voilà qui rend plus simple mais aussi plus exigeante la préservation du bâtiment. Pour Rémi Duval, PDG actuel de l’entreprise, il s’agit d’articuler le maintien de son activité et le respect du travail de l’architecte. C’est parfois plus compliqué de changer une machine – on a déjà dû démonter un morceau de façade à rénover pour faire entrer un nouveau modèle – ou de réparer le système de chauffage. Un peu plus cher aussi, mais l’image de l’usine en vaut le coût. La manufacture Claude & Duval [désormais une entreprise textile pointue qui travaille pour les plus grandes maisons de couture] est aujourd’hui unique car, contrairement à d’autres bâtiments de Le Corbusier, elle ressemble encore à ce qu’elle était à l’époque de sa construction. « Le bâtiment est dans son jus car il n’a pas changé de main, explique Rémi Duval. Il est toujours en activité et dans la même famille. » Le propriétaire n’a pas non plus cédé à la pression de faire des travaux, car selon lui, « il doit vieillir d’une certaine manière ». Et de préciser : « comme le mobilier Prouvé, c’est un objet industriel. Il faut trouver un juste milieu. » Ce qui rend ce bâtiment unique est peut-être aussi ce qui l’a soustrait longtemps à la notoriété. L’usine Claude & Duval ne fait pas (encore) partie des bâtiments les plus célèbres de Le Corbusier, sans doute parce que du fait de son activité, elle peut difficilement se visiter, et parce que les différents propriétaires étaient plus occupés à leur tâche qu’à sa promotion… Usine Claude et Duval | Saint-Dié 1, avenue de Robache
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Dans votre bonneterie, votre père faisait des chaussettes pour la campagne et des sous-vêtements pour sexagénaires. En 1961, vous êtes l’élégance même de la bonneterie pour zazous ! Vous faites des chaussettes qui sont des poèmes (…) Lettre de Le Corbusier à Jean-Jacques Duval, 1961
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Exposition Decorum à la Halle Verrière Photo : Guy Rebmeister
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Éléments en fusion
ZUT 3
PAR—Benjamin Bottemer
Été 2013
Au cœur d’un site verrier où se côtoient muséographie, diffusion et création de spectacles vivants, le Centre International d’Art Verrier de Meisenthal participe à la réécriture d’une histoire : à l’image du travail d’Émile Gallé il y a plus d’un siècle sur le site encore en activité, il réunit souffleurs, designers et artistes pour des collaborations qui donnent naissance à des créations contemporaines.
En s’enfonçant dans le Parc Naturel régional des Vosges du Nord, on traverse le pays du verre et du cristal. Végétation, bois, eau et sable ; chacun de ces éléments entre dans leur composition, faisant du territoire un haut lieu de l’industrie verrière. Les fours des sites de Meisenthal, Montbronn, Lemberg ou Hartzviller ont fait vivre toute une communauté ; la deuxième moitié du XXe siècle verra l’extinction d’une économie devenue patrimoine. Jusqu’à la découverte en 1992 d’une nouvelle voie, aujourd’hui défrichée jour après jour par les quinze salariés d’un site de Meisenthal ressuscité. Trouvant là « son second souffle », il accueille aujourd’hui les artistes et designers qui viennent y trouver un savoir-faire unique en constante évolution. Yann Grienenberger, directeur du CIAV depuis 2001, précise : « Ce n’est pas automatique pour nous de se dire qu’étant petits et rares, nous devions faire dans le luxe. Nous sommes accessibles pour les artistes, et aussi pour le public : tout le monde peut repartir du CIAV avec un objet... mais pour ça, il faut venir jusqu’à Meisenthal. C’est comme un pèlerinage : tu achètes le voyage, le lieu, l’atmosphère... Le vrai luxe, il est là. » Une identité affirmée au sein du réseau Étoiles Terrestres, aux côtés des sites préservés de Lalique et Saint-Louis, tout proches. 101
On débute donc son pèlerinage en passant devant l’administration, devenue Musée du Verre et du Cristal, première entité du site verrier de Meisenthal à avoir rouvert ses portes, en 1983, quatorze années après l’arrêt de la production. « Nous sommes un lieu de conservation des objets produits par les ateliers, des outils, mais l’histoire continue avec le CIAV et la Halle Verrière, qui accueille des spectacles vivants, explique Sophie Wesbecker, conservatrice. Il est prévu que nous présentions bientôt des objets produits au CIAV. » Point de départ chronologique de la visite, le musée permet également de marquer le début d’une démarche contemporaine initiée par Émile Gallé en 1867. À l’étage, on découvre plus de 150 pièces Art nouveau, un style initié par le Nancéien. Ce dernier a ouvert à Meisenthal un atelier de recherches qui a inspiré le fonctionnement actuel du CIAV. « Sans le musée, nous serions un OVNI, déclare Yann. Nous prenons appui sur ce socle, chaque objet prenant racine dans une histoire. L’unité des lieux rassemble les trois entités du site dans une démarche de créativité, de savoir-faire, et de leur relecture. » Le site verrier accueille aussi concerts, expositions et spectacles d’arts de la rue au sein de l’immense Halle verrière, lieu de résidence privilégié de la compagnie Luc Amoros. « Notre projet est interdisciplinaire, participe à une dynamique commune qui vise à donner une nouvelle vie à tout le site » explique Pascal Klein, directeur de la Halle Verrière. Yann Grienenberger évoque volontiers les fantômes cachés dans l’humus de la vallée des Mésanges, le feu sacré qui a couvé pendant des années avant de reprendre vie, l’esprit des lieux, le frisson... Dans l’atelier, cœur palpitant du CIAV, des fours tournent à plus de 1000°, souffleurs et apprentis s’af fairent. Yann est dans son élément : « On voit à l’œuvre des interprètes avec leurs instruments, l’artiste étant le compositeur. C’est une rencontre, chacun se forme à l’univers de l’autre. » On pourrait parler du CIAV comme d’un carrefour où échangent des esprits qui n’étaient pas destinés à se rencontrer. Aujourd’hui, les souffleurs de verre réalisent des démonstrations commentées dans un espace auparavant totalement fermé au public, et Yann Grienenberger reçoit environ trois demandes par jour d’artistes et de designers qui souhaitent collaborer avec les artisans du CIAV. Artisan, artiste, des termes de toute façon interchangeables entre deux
UNE ODEUR D’ESSENCE... Dans la galerie d’exposition du CIAV, qui regroupe les créations contemporaines, nous invitons Yann Grienenberger à choisir un objet emblématique ; ce sera le vase Douglas de François Azambour, élu designer de l’année au Salon du meuble de Paris en 2009. Il frappe par sa simplicité, en comparaison des complexes enchevêtrements du Lustre méduse de Christelle Familiari ou de l’extrême modernité du concept de la baladeuse des designers Pierre Bindreiff et Sébastien Geissert. Le choix de Yann n’est pas innocent : il veut encore nous raconter une histoire. « Chaque vase est différent. François Azambourg a choisi ici de procéder au sacrilège ultime dans le métier de verrier : brûler un moule. Il a fabriqué un moule en bois, en recherchant une essence particulière qui marquerait le verre de façon unique : le pin Douglas. C’est le processus qui constitue le discours de l’objet. » Visuel : Vase Douglas de François Azambourg Photo : Guy Rebmeister
mondes proches, qui ici fusionnent à chaque fois qu’un projet est validé. « On sélectionne les projets qui se donnent du temps, qui ont une approche innovante du matériau verre ; nous recherchons un défi, explique Yann. On a un désir d’accompagner de jeunes pousses que l’on connaît bien, qui ont une énergie, comme de travailler avec des sommités avec une véritable vision. » Le temps, la maturation : une donnée centrale pour les créateurs, qu’ils soient designers arpentant les expositions internationales ou verriers enracinés à Meisenthal usant d’une pratique du verre soufflé qui a peu changé depuis plus de 2000 ans. « Maîtriser le travail du verre demande au moins dix ans de pratique ; il y a peu d’artistes qui peuvent se le permettre, remarque Yann. Au CIAV, nous avons créé une interface entre des gestes traditionnels et une capacité de création contemporaine. » site-verrier-meisenthal.fr
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Attraper la lumière
PAR—Benjamin Bottemer PHOTO—Thibaut Dupin
Escapade sur les terres du verre et du cristal à la rencontre de cinq jeunes femmes artisans verriers réunies au sein du collectif Kaléidosco. Elles lancent leur première collection autour des arts de la table.
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ÉCLATS SUR TABLE BentoKaléidosco, première collection commune réalisée par Kaléidosco, tire son nom des fameuses boîtes à repas japonaises, où l’art du raffinement, le plaisir visuel et la couleur rejoignent la gourmandise. C’est un service de vaisselle « contemporaine, combinable et empilable de diverses façons » regroupant assiettes, bols et cuillères colorés qui a mobilisé tous les savoir-faire du collectif : soufflage, peinture, sablage et thermoformage. « Comme l’évoque le nom de notre collectif, toutes les particularités réunies par BentoKaléidosco symbolisent idéalement notre identité faite de croisements, nous explique-t-on. La réalisation de cette première collection est le fruit de l’assemblage de fragments d’idées plutôt que d’une image figée, établie à l’avance. » Une mixité qui ouvre des perspectives aux cinq jeunes femmes, qui imaginent déjà des déclinaisons possibles. En vente à la boutique Engrenages, 107, rue des Dames à Paris, à l’atelier Kaléidosco et au marché de Noël du MUDAM à Luxembourg les 9 et 10 décembre.
C’est au sein d’une sorte de Ceinture du verre que s’est inséré le collectif Kaléidosco en posant ses valises à Favières, petite commune de 600 habitants à la frontière de la Meurthe-et-Moselle et des Vosges. En suivant les frontières départementales, d’est en ouest on traverse Meisenthal et son Centre International d’Art verrier, tout proche du musée Lalique et de la cristallerie de Saint-Louis-lès-Bitche, puis Baccarat jusqu’à Vannes-le-châtel où se trouvent la cristallerie nancéienne Daum et le Cerfav, Centre européen de recherches et de formation aux arts verriers. C’est là que se sont rencontrées Lucie, Claire, Charlotte, Joanne et Angèle, qui se sont installées il y a un an à quelques kilomètres seulement sous l’impulsion du Cerfav et des collectivités locales, soucieux de conserver sur leur territoire les talents maison. « Entretenir cette culture de l’artisanat dans la région, cela crée un contexte attrayant pour les artistes, explique le collectif. On nous a proposé un local vaste, abordable et situé en milieu rural, où l’on souhaitait vraiment s’implanter. Travailler au cœur d’un réseau de pairs nous a aidé, mais ça a nécessité aussi beaucoup d’implication de notre part. » De la théorie à la pratique On le constate en visitant l’atelier de Kaléidosco : le travail du verre nécessite de l’espace et beaucoup d’équipement. Perceuses, platines, sableuse, fours, l’année passée a été largement consacrée à aménager les lieux et à retaper les machines. « Il a fallu mettre en application toute la théorie en matière de gestion apprise à l’école et s’approprier l’équipement, tout en continuant à être créatives... on peut dire que ça a été une année riche en enseignements ! » souligne Joanne. La vision commune d’un atelier organisé en collectif a germé pendant leurs études. En pratique, chacune paye sa consommation grâce aux bénéfices retirés des ventes de sa collection personnelle, tandis que les créations communes doivent servir à financer le fonctionnement du collectif. Leurs toutes premières réalisations à dix mains sont sorties il y a quelques mois du four de thermoformage acquis grâce à une campagne de financement participatif : autour des arts de la table, BentoKaléidosco opère la synthèse entre les différentes compétences et sensibilités des cinq jeunes femmes (voir encadré). 104
Identités multiples En 2013, après l’obtention de leur diplôme de Compagnons artisans verriers, elles partent en stage aux quatre coins de l’Europe, en Angleterre, en Italie ou en Espagne, s’immergent au sein des ateliers et affirment leur identité : Claire se définit comme une décoratrice, Charlotte s’intéresse surtout aux mélanges de matières, Joanne se penche sur le rapport au design, Angèle développe un univers poétique et narratif autour de la forêt. Dans le showroom en façade sont exposées leurs créations personnelles : la séparation d’espace Perce-neige de Lucie, en pétales de pâte de verre et de porcelaine au cœur d’un cadre en acier laqué, se situe dans la lignée d’une « poésie du passage et du rapport à la lumière » du matériau verre. Une idée que s’est appropriée différemment Joanne, qui se penche sur le rapport au design avec ses Boitenlien, rangements en verre soufflé assemblés par des écrins de feutre. Le collectif répond également à des commandes : assiettes pour la mairie de Montigny-lès-Metz, flacons pour la création d’un parfum, trophées... « Voir en trois dimensions » En plus de la magie inhérente à ce matériau séduisant et évocateur, ce sont les nombreuses possibilités qu’il offre qui ont souvent séduit les membres de Kaléidosco et stimulé leur créativité. « Aucune journée ne se ressemble pour un artisan verrier » note Claire tandis que l’on parcourt les étagères de ballottes et de poudres d’émail de différentes couleurs, l’atelier de découpe, de cuisson, de moulage, de gravure... les applications sont nombreuses, la précision est de mise, mais la place laissée à l’aléatoire fait partie du jeu, et lui donne même tout son charme. « On peut aussi le combiner avec d’autres matériaux, le mettre en valeur par opposition : le verre permet une grande liberté » explique Lucie, qui s’est intéressée tout comme Joanne au vitrail avant de choisir de s’ouvrir au-delà d’une pratique marquée par une rigueur un peu pesante. « Le geste, l’utilisation des limitations en plomb ne nous plaisaient pas ; comme la pratique de la peinture sur verre, une méthode qui reste un peu figée. On a voulu aller plus loin, voir en trois dimensions ! »
Photo : François Golfier
On peut aussi le combiner avec d’autres matériaux, le mettre en valeur par opposition : le verre permet une grande liberté.
Prolonger la vision Les cinq filles de Kaléidosco, qui ont toutes entre 25 et 30 ans, comptabilisent déjà sept à dix ans d’expérience sur le travail du verre. « La vision est bien là, maintenant il nous faut le rythme » résument-elles pour illustrer leurs débuts. Elles ont déjà participé à de nombreux marchés d’artisans qui les mobilisent souvent hors de leur atelier, décoré la Maison Alsacienne à Nancy, collaboré en tant qu’invitées d’honneur au festival international du verre de Palau del Vidre, dans les Pyrénées-Orientales, dont la thématique était consacrée aux femmes. S’installer entre filles n’avait rien de militant : « Au Cerfav, pendant deux promotions il n’y avait que des filles ! Mais on nous dit que notre travail est différent, féminin... » S’attachant à tout maîtriser par elles-mêmes, les membres de Kaléidosco expérimentent loin des regards mais leurs premières créations, aériennes et colorées, prennent toute la lumière. 10 → 13 novembre Salon Résonances à Strasbourg Atelier-boutique ouvert tous les premiers samedis du mois de 10h à 18h. 1, rue des Potiers à Favières www.kaleidosco.fr
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ZUT 13 Hiver 2015
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PAR—Benjamin Bottemer PHOTO—Julian Benini
Envoyer du bois Dans sa boutique messine, Sapinbrut expose ses meubles en sapin des Vosges, au design fonctionnel et épuré. Simplicité et respect de la nature sont au cœur de la philosophie d’Hervé Foucher, le créateur : du mobilier sans chichis pour un monde apaisé.
Il parcourt depuis quatre ans les sentiers de randonnée entre le Hohneck, la Bresse et Bussang, se baladant au milieu des conifères, admirant la brume du matin, profitant d’un air champêtre galvanisant pour le corps, et pour l’imagination aussi. Hervé Foucher a décidé, au sortir du bois, de se lancer dans la réalisation de meubles en sapin. Brut. Si le bois peut être peint ou habillé d’un peu de carrelage, c’est la sobriété qui prime. « Je m’inspire beaucoup du design scandinave, fonctionnel et minimaliste, explique-t-il. Cela fait partie d’un véritable état d’esprit là-bas. » Do It Yourself Au départ, il s’agissait de bricoler quelques meubles pour sa galerie d’Art contemporain, Octave Cowbell, présente depuis 2002 rue des Parmentiers à Metz. Puis sont arrivées les commandes de quelques curieux, notamment la DRAC Lorraine, qui l’ont convaincu de lancer un projet à part entière, lui trouvant un espace de travail au sein de TCRM-Blida. Les meubles sont visibles dans une boutique reproduisant un petit studio, située non loin de la galerie. Hervé a réalisé plusieurs dizaines de modèles différents, sans vraiment les compter, et raisonne encore moins en termes de collections. Fauteuils, tables, porte-manteaux, bancs, rangements divers et variés, et quelques meubles un peu particuliers comme un studio desk pour les 107
musiciens de Club Bizarre, une mini-galerie d’exposition, ou même une niche pour chihuahua : les créations sur mesure et la réalisation de quelques standards s’enchaînent. À l’image du badge qu’il arbore sur son sac, qui proclame « Don’t talk, built », Hervé Foucher n’entoure pas son travail d’un discours excessif. Il s’est lancé dans Sapinbrut avec une bonne dose d’improvisation, mais aussi d’enthousiasme. Beauté sauvage S’il cite également Prouvé et Le Corbusier comme sources d’inspiration, il se garde bien de se définir comme un designer ou un ébéniste. « Je ne revendique pas d’approche artistique, ou alors celle d’un design un peu nonchalant !, sourit-t-il. Les meubles Sapinbrut sont contemporains tout en restant simples, avec des assemblages faits de vis et de colle ; cela permet aussi de rester accessibles. » Comptez 25€ pour une assise ou 130€ pour un grand meuble de rangement aux portes coulissantes. « En moyenne 20% plus cher que chez Ikea », résume-t-il malicieusement. On retrouve, dans certaines expositions au sein de sa galerie Octave Cowbell, cet attachement à la nature et au monde qu’il affectionne et met en pratique avec Sapinbrut. Un certain sens du dépouillement, aussi. La gestion responsable de la forêt, la valorisation de l’industrie locale, le respect de l’environnement en général sont des préoccupations centrales pour Sapinbrut, dont le bois provient exclusivement de la scierie de Saulxures-sur-Moselotte, dans les Vosges. Hervé élargit son propos : « Je veux avant tout mettre en avant le matériau, valoriser ce qu’est une forêt et tout le travail qui est fait autour ». En attendant, à TCRM-Blida, au milieu de la sciure et des copeaux, trône le nouveau projet d’Hervé Foucher : un canoë-kayak. À l’image de la menuiserie il y a encore quelques temps, il n’a jamais pratiqué, mais compte bien s’y mettre. Ce ne doit pas être si compliqué. Sapinbrut 13, rue du Neufbourg | Metz www.sapinbrut.fr
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In wood they trust
PAR—Benjamin Bottemer OBJETS—Studio Delle Alpi
ZUT 19
Été 2017
Le Studio Delle Alpi, duo de designers travaillant au Luxembourg et en Italie, conçoit des jouets et des meubles destinés aux enfants, dont les lignes élégantes et les couleurs épurées séduisent aussi les plus grands. Anne Kieffer et Arnaud Mouriamé sont retombés en enfance un peu par hasard. Lorsqu’ils prennent leur indépendance en 2012 et fondent le Studio Delle Alpi, ils se cherchent encore et souhaitent avant tout lier leurs compétences et celles d’artisans dont ils admirent le travail. « On voulait travailler le bois, allier graphisme et design, et mixer cela avec la sérigraphie que pratiquaient des amis bruxellois. Les motifs, les couleurs de nos premières créations collaient assez bien au monde de l’enfance… et puis c’est un univers sympa, qui permet d’exprimer sa créativité avec un peu de folie ! » Anne, Luxembourgeoise qui a étudié le design en Suisse et aux États-Unis, et Arnaud, Bruxellois issu du monde de la communication et graphiste, skient dans les Alpes lorsque leur vient leur première idée de concept : ils baptiseront donc leur studio en référence à la chaîne montagneuse, à l’Italie où ils
souhaitent travailler, et à Turin où Anne a longtemps résidé et qui abritait à l’époque le mythique stade de football Stadio Delle Alpi. Dès leurs débuts, le duo désire s’affranchir des canaux traditionnels et travailler en fonction de ses propres critères… tout en se facilitant la vie. « Concevoir un objet puis chercher une grande marque pour le produire et le distribuer, c’est très difficile, il faut des contacts et arriver au bon moment. On ne voulait pas attendre. » Après les tables et tabourets sont venus les jouets, notamment leurs emblématiques silhouettes animales à roulettes. Le Studio Delle Alpi, qui travaille entre Milan et Luxembourg, fait produire une partie de sa collection en Italie, utilise du bois issu de forêts gérées durablement et fait appel à de petits producteurs et à des artisans spécialisés comme des sérigraphes ou des céramistes : un autre attrait du travail à petite échelle. « On redécouvre des artisans “cachés”, très compétents mais qui n’ont pas leur place dans le monde de la production de masse. On peut les rencontrer, échanger directement, aller voir, toucher... un contact que l’on perd en travaillant pour une industrie. » Né en pleine période où le jouet en bois fait un retour en force, le studio applique les codes du design pour adultes à des objets pour enfants, pensant toujours aux parents craignant de voir leur salon envahi de plastique aux couleurs criardes, adeptes du vintage et soucieux du développement durable. Leurs meubles ne dépareilleraient pas dans un foyer aménagé selon les dernières tendances, et leurs jouets font aussi des objets de décoration attrayants. Ce n’est pas par hasard : cela fait partie de la stratégie d’Anne et Arnaud. « Il nous tient à cœur de concevoir des objets qui mixent les deux mondes, qui plaisent autant aux adultes qu’aux enfants tout en étant atypiques. On pense aussi à la durabilité : lorsque l’enfant grandit et délaisse ses jouets, ou que les meubles ne sont plus adaptés, ils peuvent continuer à vivre dans la maison sans finir au grenier. » 109
Le Studio Delle Alpi élargit sa gamme au rythme d’une ou deux créations par an. Un duo de chaises et un bureau, présentés à la Semaine du design à Milan en avril dernier, seront ainsi commercialisés à la rentrée. On peut trouver leurs objets sur le site du studio et chez environ 70 revendeurs, boutiques et sites web majoritairement basés en Europe du nord (dont la France et le Luxembourg) mais aussi en Corée du Sud, au Japon et aux États-Unis. Anne et Arnaud poursuivent ainsi un parcours éloigné des modèles classiques avec un langage bien à eux alimenté par des valeurs de proximité, de responsabilité et une créativité exprimée en toute liberté. www.studiodellealpi.com
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Le succès de Bleuforêt est né d’un pari : créer une marque de chaussettes, bas et collants compétitive sur le marché du haut de gamme, dans les grandes surfaces, jusqu’à New York et Tokyo. Histoire d’une success-story familiale 100% Made in Vosges.
À pied d’œuvre
ZUT 12 Automne 2015
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PAR—Benjamin Bottemer PHOTOS—Julian Benini
Nos machines ne sont pas les plus productives, mais les plus qualitatives. Alain Leidelinger
Vincent Marie, directeur général de Bleuforêt, devant l’antique turbine à vapeur de l’usine de Vagney, conservée comme une pièce de musée.
En remontant la rue du Jumelage, à Vagney, on aperçoit, au-dessus des toitures des pavillons, une grande cheminée en brique, vestige préservé de l’usine bâtie à la fin du XIXe siècle d’où sort l’intégralité de la production de Bleuforêt. Derrière ses murs, eux-aussi conservés à l’identique, des métiers à tisser dernier cri : une quinzaine de nouvelles machines ont été installées au printemps, et une quinzaine d’autres devraient suivre. Investir et innover sont des conditions indispensables à Bleuforêt pour exister, aujourd’hui comme à ses débuts. En 1994, le site de Vagney, rattaché à Dim, est déficitaire. Les propriétaires américains de Sara Lee veulent fermer : Jacques Marie, alors PDG de la marque, propose de racheter l’usine pour un euro symbolique et crée l’entreprise Tricotage des Vosges, qui assurera la production de sa propre griffe, Bleuforêt, tout en continuant à assurer la production sous licence Dim, qui représente 60% de son chiffre d’affaires. Mais en 2007, de nouvelles conditions lui sont imposées et la rupture est consommée : il fera désormais cavalier seul. « J’avais la conviction qu’il y avait une place pour le haut de gamme sur notre marché, explique Jacques Marie. Il a fallu assurer l’avenir de la marque, sa reconnaissance, entrer sur le marché de la grande distribution... L’avantage étant que nous étions désormais maîtres de notre destin. » Technologie de pointe L’entreprise n’aura engendré aucun exercice déficitaire depuis, tout en préservant 170 emplois. Aujourd’hui, ce sont 200 modèles par collection, créés par les équipes parisiennes de Bleuforêt, qui sortent du site de Vagney. La marque fait valoir la qualité de sa production. Dans les ateliers, la température et le taux d’humidité sont maintenus à des niveaux précis afin de préserver les différentes matières (entièrement naturelles et produites en Italie, en France ou encore en Allemagne), les métiers à tisser italiens et japonais électroniques côtoient des machines des années 80 dont la technologie spécifique permet de 112
préserver la variété des produits Bleuforêt. « Nos machines ne sont pas les plus productives, mais les plus qualitatives », note Alain Leidelinger, directeur de production. L’investissement à hauteur de 800 000 € consenti chaque année permet d’offrir à la marque une technologie conforme à ses exigences et à son souci de créativité. « Techniquement, nos métiers nous permettent de proposer des choses qui ne se font pas ailleurs, comme l’utilisation de fil fin pour les modèles féminins, note Valérie Cornevin, responsable Recherche et Développement de Bleuforêt. Nous avons aussi imaginé un modèle en laine à l’extérieur et en coton à l’intérieur. Il y a beaucoup de facteurs à prendre en compte : la souplesse, le confort... » Le souci du détail est partout : la technique de la pointe remaillée – le procédé de fermeture de la chaussette à la pointe –, permet aux chaussettes Bleuforêt de ne laisser apparaître aucune couture, aucune sur-épaisseur à leur extrémité. Le packaging lui-même est soigné, fabriqué à quelques kilomètres de là, à Saint-Dié-des-Vosges. Le monde en bleu L’usine assure également la fabrication de 20% de la marque Olympia, rachetée en 2010 par Tricotage des Vosges. La diversification a été immédiatement vue comme une nécessité dès la reprise de l’usine : il fallait aussi proposer des produits de moyenne et entrée de gamme afin d’investir le marché de la grande distribution. Car même lorsque l’on est un précurseur d’une tendance « Made in France » affichée aujourd’hui partout, cela ne suffit pas, comme le précise Vincent Marie, fils de Jacques Marie et directeur général de Tricotage des Vosges : « Après la rupture avec Dim, on jouait notre avenir : il a fallu trouver notre place dans de beaux hypermarchés, comme Carrefour. Le label Made in France ne fait pas tout : on se doit de proposer une qualité, mais aussi une capacité de réactivité ». Ce jeune homme de 35 ans, au costume impeccablement taillé, est le successeur désigné à la tête de l’entreprise dont 90% du capital appartient à la famille Marie, et 10% aux cadres. Il a pour mission de poursuivre le développement à l’international, un autre des objectifs affichés de Bleuforêt depuis ses débuts. « L’exportation est une solution, mais il faut être en bonne santé pour cela, précise-t-il. À l’étranger, on bénéficie tout de même d’une bonne aura, au Japon, au Canada et au Mexique, et actuellement nous travaillons sur la Corée du sud. Chaque année, nous nous ouvrons à de nouveaux pays. » Bleuforêt poursuit sa marche en avant, surveillant les tendances et jouant la carte de la proximité et de la qualité. Entre des produits haut de gamme pouvant atteindre 35 € mais aussi des pièces entrée de gamme autour de 4 €, la petite usine de Vagney est sur tous les fronts : à l’image de ses produits, Bleuforêt se doit de conserver toute sa souplesse. www.bleuforet.fr
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ZUT 3
PAR—Romain Sublon PHOTO—Arno Paul
Été 2013
De Rouille et d’os
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Il a marqué un but d’anthologie contre l’Allemagne de Franz Beckenbauer en 1977, on l’associe souvent à son ami et co-équipier de l’ASNL, Michel Platini, mais Olivier Rouyer a sa vie à lui : joueur, consultant pour Canal+ et homme de la nuit. On le rencontre chez lui, dans son bar, au Pinocchio.
Parfois, on est davantage connu sous son surnom que sous son nom. Là, il s’agit de La Rouille, autrement dit Olivier Rouyer. Ex-joueur de football (Nancy, Strasbourg, Lyon), 17 fois international, mais pas seulement ; l’homme se nourrit de tout, partout, tout le temps. Un temps propriétaire d’un bar de nuit (Le Carré blanc, à Strasbourg), toujours à la tête d’un bar de jour (le Pinocchio, à Nancy), consultant pour Canal+ [jusqu’en 2016, ndlr], un œil sur la vie associative de sa ville (Nancy, donc), La Rouille ne tourne pas en rond et il lui faut plus d’un os à ronger. On monte « là-haut », propose La Rouille. Là-haut, c’est au-dessus du Pinocchio. Là-haut, c’est son duplex, chic mais pas rococo, simple et vivant, comme le bonhomme. « J’ai toujours pensé à l’après, depuis le début », dit Olivier Rouyer assez tôt dans l’entretien. Parce qu’à l’époque, et on parle là des années 70-80, être footballeur n’avait finalement pas grand-chose à voir avec être footballeur aujourd’hui. « Je ne savais pas, quand j’avais 12-13 ans, qu’on pouvait gagner sa vie en jouant au football. Mon premier salaire c’était en 1972, j’avais 17 ans. Je touchais 150 francs, ce qui correspondrait aujourd’hui à 300 euros. Aujourd’hui c’est simple, un gamin à 16 ans dans un centre de formation peut se retrouver avec 5 ou 10 000 euros par mois. » Il peut y avoir chez Olivier Rouyer un côté “c’était mieux avant”, mais même s’il critique le monde du football d’aujourd’hui, il n’a de cesse de lui renouveler son amour. Oui, Olivier Rouyer est un passionné. Et déjà sur les terrains, quand il dévalait son couloir avec l’insouciance de ceux qui ne trinquent
pas qu’au Fruité, ou qu’il imposait à ses adversaires des crochets courts piqués à Garrincha, Olivier Rouyer faisait de la passion son seul moteur. Le pont avec son autre grande activité est là ; il y a dans le fait d’ouvrir et de gérer des bars quelque chose de l’amour du jeu et de la volonté de faire du spectacle. En 1979, profitant de sa prime de Coupe du monde, disputée sous le maillot tricolore en 1978 en Argentine, Olivier Rouyer rachète le Pinocchio, un ancien magasin de jouets. Puis, quelques années plus tard, il ouvre le mythique Carré blanc, à Strasbourg. « C’était un truc monstrueux ! On a fait connaître la house music à Strasbourg et il y a eu des moments dingues. Le monde de la nuit c’est dur à tenir et puis il faut toujours être un peu au-dessus de la mêlée. Heureusement que je jouais encore au foot et que j’entrainais [au FCO Neudorf puis au FCSK06 dans la banlieue de Strasbourg, ndlr] parce que sinon tu peux plonger tranquille. » Ça n’a pas empêché Olivier Rouyer de s’en j’ter l’un ou l’autre derrière la cravate. « Ah ouais j’ai picolé, c’est sûr. J’ai fait mes conneries, comme les autres. » Après sa carrière de joueur, Olivier Rouyer, prévenant on le sait, avait passé ses diplômes d’entraîneur très tôt. Et il s’est essayé au banc de touche : trois ans à Nancy (entre 1991 et 1994 et une pige de 6 mois à Sion). « Je pense aussi qu’en 1994, quand je me suis fait lourder de Nancy, mon homosexualité n’y était pas pour rien. C’est dû en grande partie à ça. J’espère qu’aujourd’hui ce n’est plus une barrière… » Olivier Rouyer a toujours été un pas à côté, c’est maintenant entendu. Et quand il annonça son homosexualité en 2006 (parce que oui, au XXIe siècle on en est encore à devoir annoncer son homosexualité), Olivier Rouyer occupa un nouveau siège au cœur de la famille du foot. Peu l’ont fait avant, aucun ne l’a fait depuis.
Quand j’avais 12-13 ans, je ne savais pas qu’on pouvait gagner sa vie en jouant au football. 115
Pour Olivier Rouyer, dire son homosexualité dans un entretien n’était pas un geste politique. « Non pas du tout. Ça s’est passé avec une journaliste avec qui je me sentais bien dans la discussion. Voilà je lui dis : vous le savez sans le savoir, je suis homo. Mais ce n’est pas le moment pour en parler, ce n’est pas pour cela qu’on fait l’entretien. Et la journaliste me dit que si et que ça ne serait pourtant pas si mal. Je lui ai demandé un peu de temps pour y réfléchir puis j’ai décidé que oui, ça serait bien de faire mon coming out. J’en ai parlé à mon entourage proche et tout le monde me disait qu’il fallait que je le fasse si je me sentais bien avec cela. Dans le milieu assez macho du foot je me suis dit que ça serait un peu chaud et puis finalement non, ça s’est bien passé. Mais c’est dur pour les joueurs de le dire tant qu’ils sont en activité. Et même après. » Et justement à l’époque de La Rouille joueur, ça se passait comment ? « Mes coéquipiers n’étaient pas dupes. Même si je sortais avec des filles pour faire semblant, mes potes voyaient bien que de temps en temps... À l’époque je n’avais pas besoin d’en parler, Je vivais mes trucs. Je ne sais pas si mon histoire sexuelle, si le fait d’avoir des bars ont fait de moi un joueur différent. J’étais déjà un joueur différent parce que je n’étais pas marié. Et ça a toujours été une vraie formule stéréotypée du footballeur, marié très tôt pour se cadrer. » Tout est souvent comme cela avec La Rouille ; assez simple. Il avance, fait son bonhomme de chemin, trace sa route et s’autorise des sorties de pistes. Un peu à l’image d’une autre de ses facettes ; celle de consultant pour Canal+. Commentaires de match, interventions en plateau, Les Spécialistes et tutti quanti ! Olivier Rouyer y a tout fait et il a imposé son style ; enthousiasme, analyse et confusion dans les prénoms. À l’image d’un homme qui maîtrise sa parole mais s’autorise à ce qu’elle lui échappe, un homme qui rit de tout volontiers et qui semble dépourvu de toute forme de méchanceté – oui, ça surprend. Olivier Rouyer est de ces mecs dont on dit ; il est comme il est.
PAR—Benjamin Bottemer PHOTO—Julian Benini
ZUT 18 Printemps 2017
Retour à la chair 116
À 27 ans, Alexandre Polmard est l’héritier d’une famille d’éleveurs et de bouchers dont le savoir-faire entre haute technologie et tradition, cultivé à Saint-Mihiel en Meuse, est désormais reconnu à l’international et plébiscité par de grands chefs.
Sur la place centrale de Saint-Mihiel trône la boucherie Polmard, fief historique d’une famille qui entretient depuis quatre générations l’amour de la viande de bœuf. Nous y rencontrons Alexandre, qui a repris les rênes en 2013 pour développer ce qui est devenu une marque connue dans le monde entier. Il a créé un site de vente en ligne et ouvert des boutiques mettant en valeur ses pièces de viande comme des bijoux ; à Paris, au cœur du VIe arrondissement, l’établissement fait fureur. « Je n’ai fait que prolonger le travail de mon père en lien avec mon époque et ses moyens, explique Alexandre. Papa est toujours un avantgardiste, à fond derrière tous ces projets. » François Polmard est à l’origine du procédé d’hibernation de la viande permettant de la conserver dans son état optimal des années durant ; une technique qui a mis le nom des Polmard à la Une de la presse internationale, lorsque l’une de leurs côtes de bœuf, conservée pendant dix-sept ans et acquise par Fabrice Vulin, chef étoilé du Caprice à HongKong, s’est envolée à 3 000 € à la carte. Mais le cœur de cette aventure se situe loin des projecteurs et des lumières des grandes villes : à Saint-Mihiel, autour des bêtes dans la ferme toute proche, et dans le laboratoire de la boucherie familiale.
à la ferme... François Polmard est à l’origine de ce qui fait le succès de l’entreprise familiale. « Polmard est devenu une marque grâce à notre produit, au fait que l’on a toujours privilégié la qualité à la rentabilité d’une bête », précise Alexandre. Cette viande-là est aujourd’hui à la carte de grands chefs étoilés : Arnaud Lallement de L’Assiette Champenoise près de Reims, Gérald Passedat du Petit Nice à Marseille ou encore Frédéric Sandrini au Quai des saveurs à Hagondange. « Chez Frédéric, c’est ma cantine. Avec son adjoint Geoffrey Buquet, ils se sont beaucoup consacrés à la recherche dans leur cuisine : on parle d’un tartare où on va réinjecter le bouillon de bœuf par impulsion magnétique. C’est fascinant. » Mais ne mettons pas la charrue avant les bœufs : avant de nous intéresser à l’assiette, il convient d’aller voir ces fameuses bêtes de près. On fait tout de même le trajet à rebours, avec un détour par le labo, où Alexandre prend en charge une livraison de truffes et nous tend une assiette de carpaccio de bœuf fraîchement tranché : « Goûte ça ! » La viande crue à 9h du matin, aussi soyeuse soit-elle, reste une expérience. « Lui, il est tombé dedans quand il était petit ! », rigole l’un des bouchers.
De New York à Saint-Mihiel Parti aux Etats-Unis dans l’optique de suivre des études de commerce, Alexandre a renoncé à la trépidante vie new-yorkaise pour revenir en Meuse. En précisant que ce séjour lui a appris « à voir en grand, et différemment », il raconte comment il a délaissé son projet d’études et réappris le métier depuis la base, passant des heures à la table de désossage, persuadé que sa place était là, au côté d’un père qui constitue pour lui un modèle. L’hibernation, les plats cuisinés pasteurisés, les premières recherches sur l’alimentation des animaux et l’adoption de ces belles blondes d’Aquitaine qui s’ébattent
Parlons bœufs On passe devant les grandes chambres froides où se déroule l’hibernation, après le désossage, la transformation et l’operculage, tous effectués sur place. De la viande fraîche est aussi proposée à la boucherie, mais il est vrai que ce processus où la viande est traitée à -120°C et ventilée à 120 km/h, intrigue. « L’eau se cristallise à l’intérieur de la viande, sans modifier son goût, sa tendreté et son jus, explique le jeune éleveur. Et comme il n’y a plus d’oxygène, on peut la conserver de nombreuses années, tant qu’il n’y a pas de rupture de la chaîne du froid. » 117
On embarque ensuite dans le 4x4 du maître des lieux, direction la ferme. On est accueillis par ces blondes d’Aquitaine dont le mode de vie fait toute la qualité de la viande Polmard. Elles sont donc chouchoutées, avec une alimentation équilibrée et naturelle, vivant en plein air toute l’année, avec des parcs d’été et d’hiver et des chalets pour dormir au sec. « Lorsque j’ai repris, on avait 80 bêtes, là elles sont 240, avec l’objectif d’en avoir entre 500 et 600 dans deux ans. En respectant une certaine limite, on peut se développer sans toucher à la qualité. » Ce n’est pas la place qui manque sur les 120 hectares de terrain à disposition, où il faut parfois chercher longtemps un animal parti en vadrouille. Alexandre nous explique que le grand problème qui reste à régler est l’abattage, ou plutôt le trajet jusqu’à l’abattoir. Car aujourd’hui les bêtes sont encore emmenées jusqu’à Metz pour cela, et le stress du voyage « fait perdre 50% de la qualité de la viande. Je vais donc faire construire un abattoir et un laboratoire ici, pour un abattage ultra-rapide : moins de vingt minutes à partir de la première manipulation. Il faut refaire des abattoirs de proximité, c’est mieux pour les animaux et au final, pour le consommateur. » Grands crus Amoureux et connaisseur, sensible au développement par les nouvelles technologies et l’ouverture de boucheries dont l’une installée à Nancy, accompagnée d’un restaurant rue Stanislas, Alexandre Polmard symbolise un métier en évolution, en parallèle à « une prise de conscience » de consommateurs souhaitant à nouveau manger bon et juste, conformément à l’image cultivée par Polmard : celle d’une viande d’exception. « La différence entre un vin et une viande, c’est que tous les éléments qui entrent dans la création d’un vin sont compris et maîtrisés : on peut reconnaître un millésime, un domaine, un cépage... en tant qu’éleveur et boucher, en maîtrisant tous ces éléments on fait que la viande Polmard soit reconnaissable et reconnue. » Alexandre a aussi le regard tourné vers l’international, avec une ambition : revenir à New York avec sa viande meusienne et s’installer parmi les steakhouses qu’il fréquentait encore il y a quelques années. www.polmard.com
Beaucoup de choses ont changé, la musique est devenue mon métier, j’ai mûri, je me suis structurée, je suis plus raisonnable et rationnelle.
Selah Sue Nancy Jazz Pulsations
ZUT 10 Printemps 2015 PAR—Benjamin Bottemer PHOTO—Arno Paul
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C’est l’instinct, l’envie, l’épanouissement qui me font faire des choix.
Julie Gayet Caméo Saint Sébastien
ZUT 2 Printemps 2013 PAR—Virginie Joalland PHOTO—Arno Paul
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LE MACHAND DE VENISE
15 › 16 nov. Théâtre de Thionville texte William Shakespeare texte français et adaptation Vanasay Khamphommala mise en scène Jacques Vincey
OMAR PORRAS
AMOUR ET PSYCHÉE 21 + 22 FÉVRIER
MON TRAÎTRE
cie bloc opératoire
FLOATING FLOWERS b.dance
14 — 11 20 +21 — 11
ÇA VA, MAMAN ?
22 — 11
L‘ÉVEIL DU PRINTEMPS
05 — 12
gloria mina
cie la mandarine blanche
ESQUIF surnatural orchestra /
inextremiste / basinga
12 +13 — 12
TANDEM TERRA PATRUM
11 — 01
LE DERNIER DES HOMMES
16 — 01
LES MISÉRABLES
01 — 02
CLASSICAL & JAZZ MADNESS!
03 — 02
À VIF
kery james / jean-pierre baro
08 — 02
JE DANSE PARCE QUE JE ME MÉFIE DES MOTS kaori ito
13 — 02
DEVOTED + IN THE UPPER ROOM ccn – ballet de lorraine
15 — 03
LES BORDS DU MONDE
20 — 03
cie tgnm
cartoun sardines théâtre cie les karyatides
geneva camerata & yaron herman
cie ophélia théâtre
réservations + 33 (0)3 87 84 64 34 www.carreau-forbach.com
LA PASSION DE FÉLICITÉ BARETTE
29 nov. › 2 déc. Théâtre en Bois Thionville texte Gustave Flaubert adaptation et mise en scène Guillaume Delaveau
L’EFFET DE SERGE
31 jan. › 2 fév. Théâtre en Bois Thionville mise en scène et scénographie Philippe Quesne
nest-theatre.fr
+33(0)3 82 82 14 92
NEST - 15 route de Manom, Thionville, France
Le Nord ESt Théâtre, CDN transfrontalier de Thionville-Grand Est, est subventionné par le Ministère de la Culture et de la Communication – DRAC Lorraine, la Ville de Thionville et la Région Lorraine.
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London Grammar L'Autre Canal
ZUT 5 Hiver 2013 PAR—Benjamin Bottemer PHOTO—Arno Paul
Trouver sa voie parmi les influences est une partie du processus créatif, mais on n’essaye de ne pas y penser. Notre musique est simplement la combinaison de nos trois personnalités, née en faisant de la musique ensemble. 123
Musicalement et visuellement, Jain est un joyeux bordel. J’absorbe ce que j’écoute et ce que je vois de manière très spontanée. Ça représente ce que je suis. PAR—Benjamin Bottemer PHOTO—Arno Paul
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Jain L’Autre Canal, Nancy
ZUT 14 Printemps 2016
TRinitaires & BAM
nov. déc. 20 17
Festival Musiques Volantes #22
Amadou & Mariam Abraham Inc. feat David Krakauer, Fred Wesley & Socalled Epica Aliose Médine Symphonie de l’horreur Nosferatu le vampire Ensemble 2e2m Il pleut des cordes Festival autour de la guitare
Rodolphe Burger Tinariwen
Ruines Franck Vigroux Cie d’autres cordes Rone La Mverte Essaie Pas James Holden & The Animal Spirits Delacave Kokoko! Tg Gondard Up-Tight Spoek Mathambo NIID La Terre Tremble !!! The Residents LpLpo …
Et plus encore à découvrir sur www.trinitaires-bam.fr
Licences 1-1097303 1-1097302 2-1097304 3-1097305 Conception : www.fredetmorgan.com
Avec Sexuality, j’ai compris que toute ma musique était sexuelle. Même si je peux reconnaître qu’une musique est bien faite, elle ne me plaît que si elle est sexuelle. C’est pour cela que j’aime tant les Doors, Serge Gainsbourg ou Stevie Wonder !
Sébastien Tellier L'Autre Canal
PAR—Benjamin Bottemer PHOTO—Arno Paul
ZUT 1 Automne-Hiver 2012 126
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On continuera à croire en nos imaginaires, car c’est à travers eux que l’on façonne le monde.
Didier Manuel Totem, Nancy
PAR—Benjamin Bottemer PHOTO—Arno Paul
ZUT 6 Pintemps 2014 128
VE 01.12.17
20H00
THE ODS RESIDENTS CONCERT EXCEPTIONNEL ! Siggi Flosason (de) Lux Project Pit Dahm Trio Pol Belardi’s Force Jazz 17H00
DI 03.12.17
UNITED INSTRUMENTS OF LUCILIN BACH AND PRESENT Classic - Nouvelle musique JE 07.12.17 20H00 RE:SONGS BY
PASCAL SCHUMACHER Création
20H00
SA 09.12.17
BENOÎT MARTINY MICHEL PILZ DUO
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