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Valentin Pierrot, l'art par le feu

La Cité—Arts Durant huit mois, l’artiste Valentin Pierrot a consciencieusement nettoyé, trié, classé et mis en scène les décombres de la menuiserie des Jardins de la Montagne Verte à Koenigshoffen, emportée par les flammes en novembre 2019. En creux, il s’agit pour le Strasbourgeois d’interroger la déconstruction et la reconstruction du monde.

Par Cécile Becker / Photo Christophe Urbain

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Reconstruire le monde

Un nouvel atelier à l’équilibre précaire et à ciel ouvert trône à la place de la menuiserie des Jardins de la Montagne Verte, structure d’insertion spécialisée dans la production de fruits, légumes et plantes bio. Plus d’un an après l’incendie qui l’a ravagée, on sent ici l’air du renouvellement. Le végétal reprend peu à peu ses droits. Retrouver la beauté au milieu des décombres, revenir à l’origine des choses, revitaliser et engendrer un nouveau cycle : le travail de Valentin Pierrot se situe à cette croisée, avec en plus cette fascination du feu qui le poursuit depuis les Beaux-Arts de Metz, dont il a été diplômé en 2019. Une fascination et, plus précisément, une pratique : « la sculpture du bois par le feu », qui l’entraîne à la poursuite des incendies pour récupérer les charpentes usées. C’est ainsi qu’il est arrivé à la porte des Jardins de la Montagne Verte. L’équipe, dans l’attente des expertises et du déblaiement, et contrainte par la crise sanitaire, l’invite à s’installer et lui donne carte blanche. Un long travail commence. « Lorsqu’on arrive sur ce genre de lieu, chargé en histoire, un certain respect s’impose, raconte Valentin Pierrot. Il fallait avancer vers ce moment où les débris allaient disparaître, tout en prenant en compte la portée traumatique d’un tel événement. Il ne s’agissait pas de faire n’importe quoi. J’ai cherché à revaloriser les décombres : nettoyer, trier, classer. Être dans une dynamique de recyclage quand on parle de débris, c’est aller au bout d’une démarche. » Son premier regard se porte naturellement vers les charpentes de bois brûlées : « Le bois qui a besoin de temps pour croître se retrouve en un instant brûlé par la vivacité du feu. » En les rabotant, il retrouve le végétal : sous les cicatrices, les cernes du bois réapparaissent.

Faire émerger la vie

Le début de son travail ressemble à une fouille archéologique : des débris, il a sorti des outils brûlés qu’il a remis en place au-dessus d’un établi, des chaussures de sécurité ont été entreposées dans une armoire ravagée par les flammes. Ici il a improvisé un grand balancier, là une échelle, sur les murs édentés, il a tendu une grande bâche peinturlurée par les objets rouillés posés sur le tissu. Un tri et une mise en scène éphémère avant le grand débarras. Sans le conscientiser vraiment, il a facilité le travail des entreprises qui viendront après son départ, récupérer les débris. Par sa mise en scène, les lieux reprennent vie, et cet atelier à ciel ouvert semble revenu d’outre-tombe. Des poutres sculptées par le feu et ses mains, il en a dressé certaines au milieu du chantier pour insister sur cette nouvelle vitalité. Et il a toujours opéré seul. « Il y a un côté performatif dans ce travail, à sentir son corps dans l’effort et les limites qu’on ne peut pas dépasser, ça pose des contraintes avec lesquelles je joue. L’épuisement face à la matière est inévitable. Ça a peu à voir avec une démonstration de force : c’est la relation entre le corps et la matière qui m’intéresse. »

En parallèle, Valentin Pierrot a quitté son atelier, et la pandémie a été l’occasion d’approfondir sa pratique : « Ce chantier est tombé au moment où tout s’arrêtait. Moi qui travaille avec le temps ai pu, là, prendre le temps de pousser ma démarche et d’éprouver mes gestes. » Toutes ses réflexions ont convergé sur les ruines de la menuiserie, qui racontent aussi quelque chose de l’acte de création, aujourd’hui. « Être artiste aujourd’hui, c’est essayer de survivre en étant le plus malin possible, avec une logistique légère et la capacité de s’adapter. C’est faire preuve de souplesse. On se rend bien compte que tout est éphémère, et j’aime cette idée de reconstruction. Ce moment qu’on traverse nous pousse à l’honnêteté. Si tout explose, d’autres choses peuvent naître, il faut travailler à son échelle à sauvegarder les trésors qui restent et à transformer, essayer de transcender son environnement proche. Percuter et amener d’autres réflexions. » En somme, redonner à l’art son pouvoir de transformation.

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