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Stamtish : un réseau d'entraide, de partage et de cuisine
from Zut Strasbourg n°46
by Zut Magazine
La Table—Le reportage En Alsace, le réseau solidaire Stamtish accompagne des personnes issues de l’immigration via la restauration. Prestation de traiteur, ateliers cuisine, « pop-ups » ou plus récemment escape-game culinaire… l’assiette se fait vecteur d’inclusion socio-professionnelle et de lutte contre les discriminations. Par Martin Lelièvre
Cuisines d’un même monde
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Quoi de mieux que de préparer et de manger un bon repas pour s’ouvrir à l’autre ? Dans les locaux de La Cuisine de Demain, quartier Gare, le chef Hussam Khodary prépare des bocaux de falafels et de houmous. Cet ancien cadre hospitalier syrien est arrivé en France il y a sept ans. Sa reconversion dans la restauration a été notamment facilitée par l’association Stamtish. Ce « réseau solidaire de l’assiette » l’accompagne aujourd’hui : « Ça m’a surpris, parce qu’ils m’aident vraiment pour tout ! Même pour certains sujets familiaux. » Après une première tentative de création d’un restaurant, fermé suite à la pandémie, Hussam réitère l’expérience. Avec Stamtish, ils vont lancer un crowdfunding pour son prochain local. Laura Suffissais, la coordinatrice de l’association depuis mai 2020, est devenue une de ses proches amies. « Quand j’ai arrêté le premier restaurant, Laura est venue me voir pour que je ne reste pas sans activité et sans argent, se rappelle Hussam. Elle l’a dit et elle l’a fait. » Depuis, le chef travaille avec Stamtish sur différentes prestations. Par exemple, sur le Refugee Food Festival (RFF), dont l’édition strasbourgeoise est co-portée par Stamtish depuis 2019. Cet événement met en avant des cuisiniers et cuisinières ayant le statut de réfugié, et les plats de leurs pays d’origine.
À l’époque des premières éditions du RFF, Hélène Berrier, une des co-fondatrices de Stamtish, cherchait à ouvrir une antenne du festival à Strasbourg. Après deux ans de coordination et de mise en place de l’événement en Alsace, elle monte une équipe de huit femmes pour créer une structure « pérennisant les actions du RFF en local » tout au long de l’année. Stammtisch veut dire «tablée conviviale» en alsacien. « Au départ, on n’avait pas de moyens ni de cuisine, on cherchait juste à aider et à accompagner. L’évolution a été incroyable ! » se rappelle Julia Wencker, une autre des co-fondatrices. Amalgamée par l’engouement du public, des soutiens institutionnels et des restaurateurs, la sauce Stamtish prend très vite et la structure se retrouve débordée de demandes. « La cuisine du monde, ça attire. » Strasbourg était peut-être aussi le lieu parfait pour une telle structure, par son caractère de carrefour international, de capitale européenne et de lieu d’expérimentation culinaire.
La cuisine, ce patrimoine immatériel
Après une première participation au RFF en 2019, Hossein, réfugié iranien, anime ce jour-là un atelier cuisine aux Petites Cantines dans le cadre du festival. Il initie curieux et curieuses aux joies du kashk bademjan (caviar d’aubergine) ou du zereshk polo (riz au poulet iranien). Pour briser la glace et la barrière de la langue, un tour de table des participants est lancé. Chacun doit raconter « sa météo interne et une madeleine de Proust ». La cuisine comme déclencheur de discussions.
Déborah Denny, la maîtresse de maison des Petites Cantines, est ravie de pouvoir travailler avec Hossein et Stamtish. Pour elle, il s’agit de réunir autour d’un même plan de travail « des
Stamtish au restaurant La cuisine de demain avec le chef Husssam Khodary Photo Martin Lelièvre
Fatima prépare un déjeuner yéménite au Botaniste lors du dernier Refugee Food Festival Photo Lucile Ali
Les atayef de Rami préparés au restaurant L’acoustic lors du dernier festival Photo Lucile Ali
Laura Suffissais, coordinatrice de Stamtish
Aller plus loin
Nos adresses solidaires
Les 7 Pains Alsace
Ce double restaurant social et solidaire (sous l’égide de l’association Caritas) emploie essentiellement des personnes en réinsertion professionnelle. L’établissement fonctionne sur deux étages : un selfservice pour les personnes en situation de précarité et un restaurant traditionnel finançant la structure.
8, rue de l’Arc-en-Ciel
Wagon Souk
Cet espace interculturel alternatif et autogéré propose une diversité de services, le plus souvent à prix libre. Le plus central étant la cuisine de Mama Souk, une cheffe sénégalaise.
91, route des Romains
Les Petites Cantines
Ce réseau national de cantines de quartier propose des plats « durables, participatifs et à prix libre » avec pour objectif de créer des liens de proximité grâce à la cuisine.
5, rue Kuhn
personnes issues de pays différents, de cultures différentes, de parcours de vie différents… qui œuvrent ensemble à un plat qui va permettre de se nourrir et de partager un bon moment ». Elle y voit un lien direct avec le principe de son restaurant associatif et participatif du quartier Gare, qui œuvre au décloisonnement de personnes isolées. « Quand on partage un petit peu de ce qu’on cuisine, on partage un bout de sa culture, de son histoire personnelle. On a tous des souvenirs liés à la cuisine… »
Question de confiance
« La cuisine permet d’ouvrir une fenêtre quand on a des préjugés », estime Laura Suffissais, actuelle coordinatrice de l’association. C’est un premier pas vers l’autre et un bon médium pour poser des questions sur la culture ou l’histoire des gens. » La confiance s’installe d’autant plus facilement que les gens aiment partager leur art. « La cuisine permet de partager quelque chose de leur vie d’avant, de se raccrocher à ce qu’ils ont laissé en partant, rappelle-t-elle. C’est vraiment important pour eux de pouvoir se raconter et d’échanger avec les restaurateurs locaux. Beaucoup de restaurateurs nous disent qu’ils se fichent de la barrière de la langue parce qu’en cuisine, on parle avec les mains. »
Dans les deux sens
Pour Laura, la table est le moyen parfait pour éviter le rapport vertical qu’implique souvent l’action sociale: tout le monde prépare un repas ensemble. « Ça va dans les deux sens, renchérit-elle, insistant sur la nécessité de lutter contre les discriminations à plusieurs échelles. Il n’y a pas d’insertion professionnelle sans inclusion sociale. » Stamtish cherche à éviter une relation « aidant-aidé », et plutôt à « mettre en place des mécanismes d’entraide ». Les cuisiniers et cuisinières désormais indépendants participent parfois activement à la vie de l’association. Hussam par exemple aide de temps en temps Stamtish sur des questions de traduction ou d’accompagnement de nouveaux cuisiniers.
Sur des dizaines de chefs passés par la structure, plusieurs ont aujourd’hui un travail, voire ont ouvert leur restaurant. Poussé par ces symboles d’espoir, Stamtish a trouvé deux partenaires: Les Cuisines de Demain (plats bio, locaux et de saison) et la coopérative de livreurs Kooglof. « Maintenant, c’est beaucoup mieux parce qu’on a la cuisine, de la place, du matériel, un lieu paisible… Avant, on louait des locaux pour chaque événement. Les petites prestations n’étaient même pas possibles financièrement, se souvient Laura Suffissais. On était sur une magnifique pente ascendante avec des sollicitations de partout pour des prestations de traiteurs (festival, food court…). L’avantage pour nous avec le culinaire c’est qu’on peut débloquer des sous autrement que via les fonds publics. » Mais depuis le Covid, Stamtish doit encore fonctionner sur subvention à environ 80%. « Notre partie marchande a été mise en suspens. » Depuis juin, les affaires reprennent. Laura et son équipe espèrent que Stamtish pourra ouvrir son propre restaurant à l’horizon 2022.