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Culture – Portrait
from Zut Lorraine #26
by Zut Magazine
Julia Vidit, une artiste-directrice à La Manufacture
Réfléchir collectivement pour faire les choses autrement. Tel pourrait être le mantra de Julia Vidit, nouvelle directrice du CDN Nancy depuis le 1er janvier de cette étrange année. Rencontre avec une comédienne-metteuse-en-scène-fondatrice-de-la-compagnie-JavaVérité, qui déborde d’énergie et de projets pour « dédramatiser le centre dramatique ».
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Depuis vos débuts sur les planches, vous mettez en avant les productions publiques. Pourquoi un tel rapport avec le théâtre ?
Parce que c’est primordial pour moi. Adolescente, j’ai découvert le théâtre grâce à un partenariat entre mon collège et le Centre Dramatique National de Thionville, et si cet échange n’avait pas été mis en place, je ne ferai peut-être pas ce métier-là ! Je suis fondamentalement persuadée que le théâtre est un outil universel, nécessaire, qu’il faut démocratiser – le mot est galvaudé, mais il a toujours un sens. Et ce notamment parce que le théâtre propose une utopie réalisable. Qu’il permet de trouver sa place : voir des acteurs jouer des rôles pose forcément à celui qui regarde la question de son propre rôle. Suis-je ou non acteur du monde ? De nos jours on parle tout le temps de dystopies… Rappeler qu’il existe des utopies, c’est important aussi.
Votre compagnie s’appelle Java
Vérité. Est-ce parce que le théâtre est pour vous un exercice de vérité ?
Complètement. Pour moi, c’est un lieu d’émancipation essentiel pour que l’on puisse se regarder nous-mêmes, individuellement et collectivement. Comme si l’espace de la scène permettait – alors que c’est une illusion– de toucher quelque chose de vrai en ce qui concerne l’humanité et le rapport entre les humains. Alors que dans la vie réelle, tout peut sembler faux. Cette capacité à créer des communautés originales, singulières, éphémères, toujours redistribuées, à rassembler autour d’une œuvre vivante, c’est une vraie force pour le vivre ensemble. Le théâtre m’a fait également prendre la mesure de l’importance de la parole : c’était une vraie libération de pouvoir parler dans un espace fictif où l’on pouvait tout dire. Encore aujourd’hui, je pense que le dialogue peut beaucoup de choses entre les Hommes.
Vous aimeriez « dédramatiser le centre dramatique ». Qu’entendez-vous par là ?
Disons que le travail a commencé avant moi, et qu’il continuera après moi. Car même si le théâtre continue aujourd’hui d’être un bastion, un endroit où il y a du silence, du vivant, un endroit rare où les uns écoutent les autres, si vous arrêtez quelqu’un dans la rue, il écoute forcément de la musique mais la plupart du temps ne va pas au théâtre. Dédramatiser le centre dramatique, c’est surtout aller vers les publics. C’est pour cette raison que j’ai mis en place pour La Manufacture une itinérance artistique, afin d’amener le théâtre dans les zones rurales, loin des centres culturels. Pas simplement pour présenter un spectacle et puis on s’en va, non, l’idée c’est vraiment de partir à la rencontre des habitants, de créer avec eux, autour d’eux, de les inclure dans l’aventure. Il est également primordial selon moi de faire des propositions aux familles, pour alimenter le plaisir d’être ensemble, d’où la programmation de cinq pièces jeune public – par ailleurs aussi passionnantes pour les adultes. On retombe sur l’idée de partage.Parce qu’aller au théâtre, ça reste un acte fort dans les contraintes du monde dans lequel on vit, ça demande un effort de sortir de chez soi – c’est beaucoup plus simple d’aller sur Deezer ou de lancer Netflix. Faire la démarche, c’est déjà un acte en soi. Comme faire un gâteau. Ou faire pousser quelque chose dans son jardin. C’est participer à l’idée que l’on ne se sédentarise pas et comment tout ne vient pas à nous, comment on fait quelque chose vers l’autre. Et puis cet art a le mérite et le devoir de faire avancer les représentations que l’on a du monde, des hommes, des femmes, des rapports humains. Quand vous ne représentez pas les communautés qui existent, il n’y a aucune raison qu’elles viennent. Je parle du fait de faire exclusivement du théâtre blanc, de ne représenter que des catégories sociales élevées, d’être dans des histoires bourgeoises. Pourquoi les séries ont autant de succès ? C’est justement parce qu’elles représentent bien la totalité de la population, et parfois elles le font très très bien, du coup c’est normal que les gens suivent, puisqu’ils se sentent représentés. C’est donc aussi comme cela que l’on popularisera encore plus le théâtre : en représentant tous les gens.
theatre-manufacture.fr
Une saison 2021-2022 haute en couleurs
Avec une vingtaine de pièces programmées en deux actes distincts entre septembre et juin 2022, Julia Vidit nous offre une première saison en tant que directrice de la Manufacture résolument à son image: moderne et engagée. Audacieuse également – d’ailleurs on a déjà très envie de voir (de manière totalement subjective) Carte noire nommée désir, création in situ de Rébecca Chaillon où se mêleront féminisme et mixité à travers la parole de neuf performeuses afro-descendantes, Pinocchio (live) #2 par Alice Laloy, adaptation hallucinante du célèbre conte par ailleurs présentée à Avignon IN, ou encore C’est comme ça si vous voulez, mise en scène par Julia Vidit d’après Luigi Pirandello, où la recherche de la vérité pousse à l’impudeur totale de façon drôle, tragique et violente à la fois. Sans oublier Uneo uplusi eurstragé dies d’après Sophocle, un marathon de cinq heures de théâtre qui sera joué au lever du jour dans le jardin du Goethe-Institut, ou encore Dark Circus, performance illuminée autour de la mort destinée au jeune public. En bref, une programmation qui n’a pas fini de susciter notre curiosité !