Pierre-Yves
Zwahlen
PANIQUE ANGÉLIQUE La Guerre des Sept Mondes
ROMAN
Pierre-Yves Zwahlen
Panique Angélique La Guerre des Sept Mondes
Roman
Éditions LLB
A Raphaël, pas l’archange, l’autre !
Collection Anaïs Éditions Ligue pour la Lecture de la Bible Chemin de Bérée 70 – 1010 Lausannne – Suisse info@ligue.ch – www.ligue.ch © Ligue pour la lecture de la Bible, Lausanne, Suisse Tous droits réservés 1ère édition 2013 ISBN : 978-2-9700826-2-0 Couverture : Pierre-Yves Zwahlen Photo de couverture : Thinkstock 1e impression 2013 (3000 exemplaires) Imprimerie SEPEC, Peronnas, France
Dieu n’a pas laissé sans punition les anges qui ont péché, mais il les a plongés dans le lieu de souffrance. Il les a attachés avec des chaînes dans la nuit et là, il les garde jusqu’au jour du jugement. 2 Pierre 2.4
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Chapitre 1
Tarshish, le scribe C’est moi, Tarshish, scribe royal des Sept Mondes, humble serviteur du Roi des rois, qui ai consigné ces mots dans les registres royaux. J’ai recueilli les paroles des Maîtres comme des joyaux précieux et, avec respect et délicatesse, je les ai traduites en courbes élégantes pour former les lettres et les mots de la langue des Sept Mondes. Je confesse avec humilité mon incompétence à transcrire toute la richesse des paroles du Roi. Je ne suis qu’un serviteur, limité et maladroit, mais ce que j’ai fait, je l’ai accompli avec toute la science que mon maître, le noble Hekamiah scribe royal, m’a transmise dans les temps anciens. Si une erreur avait dû se glisser dans ces lignes, j’en serais le seul et unique responsable. C’est également moi qui ai recueilli les paroles des très estimés Archanges, princes des mondes et serviteurs du Roi des rois. Eux seuls
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sont responsables des propos qu’ils ont tenus en ce jour dans cette salle du Conseil. Si des comptes devaient être demandés, des jugements prononcés, suite aux paroles inscrites par ma main dans ce registre, je demande à en être reconnu innocent. Je ne suis que le scribe, la main qui écrit les paroles des Puissants. Je ne pense pas par moi-même, je ne suis que l’instrument docile qui fait se mouvoir le calame sur le parchemin. Je suis celui qui recueille les paroles des autres pour les transmettre aux générations futures. Que ces paroles soient bénédictions ou malédictions ne m’appartient pas. Mais, pour donner toute leur ampleur aux paroles sacrées de ce Conseil et pour permettre aux lecteurs des temps à venir qui ne connaîtraient pas les splendeurs des Sept Mondes, la beauté des Archanges et la majesté du Maître, de son Fils et de l’Esprit, je prends la liberté de décrire en mes termes ces lieux et ces êtres. Je me permets également de laisser transparaître, ça et là, quelques pensées personnelles, qui sont la marque de mon indépendance d’esprit et la signature discrète de ma présence en ces lieux de pouvoir et de gloire. Selon mon habitude, je suis arrivé le premier dans la salle du Conseil. J’aime être seul pour installer mes affaires, tailler mes plumes, disposer mes encriers, ordonner mes parchemins. J’avoue aussi que j’aime profiter en solitaire de la beauté majestueuse de cette salle. J’aime ces
instants, aussi fugitifs soient-ils, où je peux respirer en toute sérénité un peu de l’esprit des Maîtres, des Puissants de ce Royaume. Tout ici parle de splendeur, de richesse et de force. Certes, la beauté de cette salle est moins spectaculaire que la salle du Trône, moins tapageuse que celle des Banquets ; mais il y a ici, dans l’intimité de ce lieu, un condensé de pouvoir qui tient peut-être davantage aux innombrables paroles qui flottent encore dans l’air, qu’à l’ordonnance même des lieux ou aux subtilités de son décor. La salle du Conseil est ovale, comme la table immense qui trône en son centre. Cette table focalise toutes les attentions. Elle est faite d’une matière très rare, inconnue dans les Sept Mondes, une matière poreuse, souple et solide à la fois. Quand on y pose la main, elle n’est pas froide comme la pierre, ou mouvante comme l’eau, mais agréable, douce et tiède comme une peau. Le Maître nomme cette matière : « bois ». Nul ne sait, lui mis à part, d’où elle vient. On chuchote dans les couloirs du Palais que c’est l’Esprit qui l’a ramenée d’un de ses innombrables voyages. D’autres disent que le Fils l’a conçue tout exprès pour le confort des mains de son Père. Il y a sept places autour de la table, une pour chaque Archange. Toutes sont marquées par l’incrustation d’une pierre précieuse. Ainsi, chacun sait avec précision où il doit s’asseoir. Cela évite toute discussion, confusion, perte
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de temps. À la tête de la table qui est opposée à la porte d’entrée, trois trônes sont placés. Un pour le Maître, un pour le Fils et un autre pour l’Esprit. Ce dernier est rarement utilisé car l’Esprit est mouvement. Il aime se déplacer dans la salle, aller et venir, comme si le balancement de ses pas, le rythme de son être était nécessaire au fonctionnement de sa pensée. En cela, il est très différent du Fils qui quitte rarement la droite de son Père. Les murs de la Salle sont formés d’écrans translucides qui changent de couleur en fonction des humeurs ou des propos des membres du Conseil. Ils servent également de support à la pensée du Maître qui peut y afficher les idées, les visions qui le traversent. Mieux que des mots, ces écrans animés transmettent aux Archanges les désirs royaux. Ces écrans se muent ainsi en colonnes de chiffres quand il évoque l’état du trésor royal ; ou en tableaux stratégiques quand il s’agit d’organiser la défense des frontières du Royaume ; ou encore en plans d’architecture ou d’urbanisme quand la construction d’une nouvelle ville ou d’un nouveau palais est à l’ordre du jour. Et c’est à moi, Tarshish, qu’il revient de transcrire en lettres et en mots, ces visions parfois fantastiques et toujours éphémères, qui défilent sans discontinuer sur les murs ovales de la salle du Conseil. Derrière le trône, une autre merveille. Jadis, il y avait en ce lieu, une gemme géante, opalescente et parfaitement translucide qui avait
été extraite des mines des montagnes de Sharbiatar, tout au nord du Royaume du Premier Monde. Une région tellement reculée et inaccessible que ceux qui y vont n’en reviennent jamais, dit-on. Seules les gemmes extraites de ces mines, réputées pour leurs richesses, sont acheminées vers la capitale où elles sont taillées et polies. Ensuite, elles sont envoyées dans les meilleurs ateliers de joaillerie pour en faire des merveilles destinées à éblouir les yeux des Puissants. On murmure parfois que c’est la beauté de ces pierres qui rend scintillant le regard des Princes. Certains affirment même que si les humbles pouvaient, ne serait-ce qu’une seule fois dans leur vie, contempler pareille beauté, leur regard à eux aussi serait changé. J’avoue en douter. J’ai, pour ma part, souvent contemplé la gemme magnifique de la salle du Conseil, mais dans mes yeux, la lumière ne s’est jamais allumée comme dans le regard des Princes. Mais le Maître a fait enlever la gemme merveilleuse. Je ne sais ce qu’elle est devenue. Peut-être en a-t-il fait cadeau à l’un de ses Archanges, ou l’a-t-il placée dans l’un de ses Palais, ou encore offerte à un général particulièrement méritant. Personnellement, je ne la regrette pas. La merveille qui l’a remplacée est tellement plus belle, plus miraculeuse, arachnéenne et mystérieuse ! Jamais un regard d’ange n’avait contemplé pareille beauté. Je ne saurais la décrire, les mots me manquent. Ils sont inappropriés pour évoquer tout à la fois,
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sa matière, sa texture, ses couleurs chatoyantes, changeantes et totalement inhabituelles à nos mondes. J’ai osé une fois approcher ma main de cette merveille. Elle s’est révélée d’abord extraordinairement douce au toucher, confortable, rassurante. Cela a éveillé en moi un besoin inconnu, une émotion très forte, troublante et délicieuse. J’ai senti monter dans mes yeux le liquide qui les humecte, avec une abondance telle que des gouttes ont glissé sur mon visage. C’était très étrange, très doux et un peu humiliant à la fois. Et puis, la merveille a piqué ma main. Comme un éclat de verre, une brindille d’acier. Je l’ai retirée aussitôt et je n’ai plus jamais osé m’en approcher. Peut-être en la touchant, l’avais-je offensée ! Les Archanges bien sûr ont demandé au Maître le nom et la provenance de cette merveille sans pareille. Il a répondu avec un sourire énigmatique que son nom était « rose » et que sa provenance leur serait dévoilée bientôt. En attendant, quand j’en ai le loisir, je laisse mon regard se poser délicatement sur « rose », et j’ai alors l’impression de m’évader vers un autre monde, un nouvel univers différent, envoûtant, troublant et dangereux, mais tellement attirant…
Chapitre 2
Vous prendrez bien un café ! Michael poussa un profond soupir alors que l’ascenseur vitré l’emmenait toujours plus haut vers le silence ouaté de son bureau. Sur le tableau lumineux qui lui faisait face, les chiffres défilaient à une vitesse folle. Un léger chatouillement au niveau de l’estomac lui signala l’arrêt prochain de la cabine. Les portes s’ouvrirent dans un chuintement discret. Il pénétra dans le long couloir familier. Un collaborateur chargé de dossiers le salua d’une brusque inclinaison de tête. Il le regarda sans le voir. Ce matin, il était étranger à tout. Que faisait-il dans ce bâtiment, dans ce bureau ? Pourquoi passait-il son temps à gérer des dossiers qui ne le passionnaient pas ? Il n’était pas fait pour cela ! Son truc à lui, c’était le terrain, l’action, l’aventure. Pas la paperasse ! Comment en était-il arrivé là ? Cette question, il se la posait de plus en plus fréquemment. Comment s’était-il laissé
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inonder, dépasser, submerger par les dossiers ? Cela restait un mystère pour lui. Il n’y a pas si longtemps, il était encore sur le terrain, acteur enthousiaste de l’immense projet auquel il avait consacré sa vie. Et puis, peu à peu, insidieusement comme un cancer, les dossiers avaient envahi son existence. Et maintenant, il était là, bloqué dans ce bureau immense, ultramoderne, lumineux et superbement décoré, mais tellement éloigné de l’action. Tout en réfléchissant aux tâches ennuyeuses qui l’attendaient dans la journée, il était arrivé à la porte de son bureau. Il allait y pénétrer quand soudain son geste se figea. A travers la porte vitrée, un étrange spectacle s’offrait à lui : un homme, assis dans son fauteuil, tenait entre ses mains un parchemin ancien qu’il était occupé à lire. Ce parchemin aurait dû se trouver, avec tous les autres, dans l’armoire métallique qui couvrait tout un mur de la pièce. Michael recula précipitamment dans le couloir tout en réfléchissant à toute vitesse à la manière dont il allait gérer ce problème. Il actionna le contacteur de son interphone personnel, approcha son poignet de sa bouche et murmura : – Ginette ! Seuls des parasites répondirent à son appel. Il reprit, plus fort cette fois : – Ginette ! – Oui, chef ? – Ginette, rejoins-moi dans mon bureau, immédiatement !
À l’autre extrémité du corridor, la poignée d’une porte s’abaissa silencieusement. L’huis s’ouvrit de quelques centimètres, juste suffisamment pour laisser le passage à l’être le plus étrange qui soit. Bien qu’il le côtoie quasi quotidiennement depuis des temps immémoriaux, Michael n’avait jamais vraiment réussi à s’habituer à la vision de son étrange collaborateur. Il ne devait pas mesurer davantage qu’un mètre trente. Tout était blanc chez lui : cheveux blancs, vêtements blancs, peau diaphane, regard translucide. Il aurait parfaitement pu passer inaperçu s’il ne se dégageait pas de sa personne une telle vitalité. Il était constamment en mouvement, sautillant, souriant et surtout… parlant sans cesse. – Tu m’as demandé chef ? Je n’ai pas répondu tout de suite parce que j’étais occupé à contrôler l’arrivée du… enfin bref, c’est sans importance. L’important est que j’aie eu ton message et que je sois là ! Un problème, chef ? Michael désigna la porte vitrée d’un geste vague, l’invitant à regarder ce qui se passait à l’intérieur. – Tu peux m’expliquer ça ? Ginette s’approcha, se hissa sur la pointe des pieds pour regarder par la fenêtre. Il aurait été difficile d’affirmer que ce qu’il vit le fit blêmir tant son teint naturel était blafard. Mais c’est d’une voix mal assurée qu’il répondit : – Merde ! – C’est un peu court et je doute que ce soit
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une réponse suffisante ! Tu peux développer ? Tu le connais ? – Non, enfin, oui ! C’est-à-dire… – Je t’ai connu plus convaincant ! – C’est un nouveau ! C’est possible que je l’ai un peu coaché à son arrivée. Enfin, disons que je me suis occupé à le préparer pour son jugement… Et peut-être bien que je l’ai un peu suivi après… J’ai pu lui rendre quelques visites, histoire de ne pas perdre le contact. Il se pourrait bien qu’on ait fait un peu la fête ensemble une fois ou deux… D’après mon souvenir, il est assez sympathique. – Donc, tu le connais ! – Oui, on peut dire ça comme ça ! Mais ça fait un moment que je ne l’ai pas vu. En fait, je ne pensais pas qu’il était encore dans le coin ! – Dans le coin ? Tu ne veux pas dire… – Non chef, pas ici ! Évidemment ! Il n’a rien à faire ici ! Je voulais dire, dans son coin à lui ! – J’aime mieux ça ! Mais ça ne nous dit toujours pas ce qu’il fait ici ! – Là chef, j’avoue que je suis autant largué que toi. À ma connaissance, nous n’avons jamais été confrontés à ce genre de problème. Est-ce qu’il y a une procédure ? – Non, je ne crois pas ! La chose est tellement incroyable qu’aucun rond-de-cuir n’a jamais eu l’idée d’inventer une procédure pour ça. – Ben alors, il suffit de le renvoyer chez lui vite fait ! Avec un peu de chance, il ne s’est
même pas rendu compte de l’endroit où il est ! – Et si ce n’est pas le cas ? S’il a compris ? S’il sait ? Un long silence les enveloppa. Chacun semblait perdu dans ses pensées. Ce fut Ginette qui, sans surprise, le brisa le premier. – Même s’il sait, qu’est-ce que ça peut changer ? – On ne peut pas courir ce risque. On ne peut pas le laisser raconter n’importe quoi, ni surtout inventer n’importe quoi. Tu sais comment ils sont ! Ginette émit un gloussement significatif. – C’est vrai que question imagination, ils sont assez performants. – C’est un point qui avait été longtemps débattu… – Tu étais contre ? – On peut dire ça ! Je pensais en tout cas que c’était prendre un risque énorme que de les doter d’un tel pouvoir. Mais, tu connais les Maîtres… Nouveau silence. Plus profond et plus durable que le précédent. Une fois encore, ce fut Ginette qui reprit la parole le premier. – Donc, tu penses qu’il pourrait imaginer des choses… – Je pense que oui ! – Et les raconter aux autres… – Ça, c’est une certitude ! – Qui pourraient, à leur tour, imaginer des choses…
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– Je te laisse imaginer le résultat ! – Je ne suis pas certain d’avoir été programmé pour… – Moi si, et je peux te dire que ça fait peur. Va me le chercher ! – Tu es sûr chef ? Parce que… peut-être qu’il y a une autre solution, une reprogrammation générale, une petite piqûre… – Cesse de discuter et va le chercher ! Tu l’amèneras dans la salle 57b. On y sera au calme pour avoir une petite discussion en têteà-tête. Et, sois discret !
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Discret ! Comment demander à Ginette d’être discret alors que sa simple vision ébranlait déjà le bon sens. Idéalement, il aurait dû demander à des gardes d’intervenir, mais c’était mettre beaucoup de monde dans la confidence. Malgré la personnalité pour le moins fantasque de son secrétaire, cela minimisait au moins le nombre de personnes au courant de cet événement inimaginable. Il devait bien avouer que quelque part, tout au fond de lui, il n’était pas mécontent de ce qui arrivait. Outre le fait que cela le distrayait heureusement de ses dossiers, cela lui offrait également un défi inédit à relever et de quoi pimenter agréablement les prochaines heures. Finalement, cette journée serait peut-être plus passionnante qu’il n’avait osé l’espérer. La salle 57b était austère. Elle tranchait avec le luxe ostentatoire des salles de récep-
tion. Mais elle avait un atout de taille que son bureau ne pouvait lui offrir : le calme et la discrétion. Les murs d’un blanc laiteux étaient nus, dénués de fenêtres. Au centre de la pièce, une table métallique et quatre chaises constituaient l’essentiel de l’ameublement. Michael prit place sur l’une d’elle, en face de la porte. Il était à peine installé qu’un bruit de pas venant du couloir l’informa de l’arrivée imminente de Ginette et du mystérieux inconnu. Alors que son collaborateur refermait soigneusement la porte, Michael examina avec curiosité le nouvel arrivant. Il était de taille moyenne, légèrement bedonnant, un peu dégarni. Un physique quelconque. Son regard, en revanche, brillait de vivacité, dénotant un esprit vif et ouvert. Quand il prit la parole, sa voix était pleine et agréable. – Bonjour ! Ginette m’a dit que vous souhaitiez me voir ? – Qui êtes-vous et que faites-vous ici ? Interloqué par cet accueil abrupt, l’homme répondit en bredouillant : – Je m’appelle Arthur, Arthur Lambelet1. Je ne voulais pas déranger. Je cherchais du café. Vous comprenez on n’en a plus, et Georges n’est toujours pas arrivé. Ginette m’avait dit qu’il devait venir bientôt et qu’il en amènerait certainement avec lui, alors j’ai un peu économisé pour le faire durer. Mais là, je n’en ai plus Cf. 2 ou 3 choses à faire en arrivant au ciel, Pierre-Yves Zwahlen, Éditions LLB, 2011 1
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du tout et Georges, d’après ce qu’on m’a dit, n’est pas annoncé avant quelque temps. Alors je me suis dit qu’il y en avait peut-être dans un placard quelque part. Du café hein, pas Georges ! Il fut le seul à rire de sa pauvre plaisanterie, mais il avait l’habitude. Les autres le regardaient avec un air incrédule. Michael intervint : – C’est quoi cette histoire de café ? C’est qui ce Georges ? – Je vais t’expliquer, fit Ginette précipitamment. Tu as remarqué le nouveau café ? – Mmmh… – Pas la cafetière italienne, celui en petites dosettes de toutes les couleurs. Je t’en sers tous les matins, tu n’as pas remarqué ? – Possible. Désolé Ginette, mais j’ai des sujets de préoccupation plus importants que l’évolution du café dans ma tasse matinale ! – Bon, peut-être ! N’empêche qu’il est bon, et qu’Arthur, ici présent, est un inconditionnel de ce café. Un accro… – Et Georges ? – Georges, c’est… – C’est le fournisseur ! répondit Arthur. Sans lui, pas de café et c’est bien là le problème, parce que Georges n’est pas arrivé et qu’on est en rupture de stock. – Ça ne fait pas beaucoup de déchets ces petites dosettes ? demanda Michael curieux. – Ah, mais on recycle maintenant ! On est
très respectueux de l’environnement ! répondit Ginette. – Donc, conclut Michael, on est confronté à un problème de café ! On ne peut pas faire venir ce Georges un peu plus tôt ? Ginette regarda son chef avec des yeux écarquillés. – Un peu plus tôt ? Tu veux dire… Non, je ne crois pas que ce soit possible, je ne pense pas que les Maîtres seraient d’accord qu’on fasse une chose pareille ! – OK ! OK ! Oublions ça. On ne va pas bouleverser le Royaume pour une tasse de café ! Ginette, il doit bien y avoir une solution. Si j’en bois tous les matins, il ne tombe pas du ciel tout de même. Allez, dis-le, tu le sors d’où ? – On en ramène un peu à chaque voyage… – Ben voilà, tu en donnes à… comment déjà ? – Arthur. – Tu en donnes à Arthur, et le problème est réglé. Mais il y avait encore un point qui devait être éclairci avant qu’Arthur puisse s’en aller. Michael, d’une voix aussi neutre que possible questionna : – Au fait, que lisiez-vous dans mon bureau ? – Oh, pas grand-chose ! Un vieux manuscrit qui traînait. J’ai toujours aimé les antiquités. Je pensais que c’était peut-être un récit intéressant, mais j’ai été assez déçu. Ce ne sont
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que les souvenirs d’un scribe et, de plus, c’est difficile à lire. J’ai vite abandonné. – Un manuscrit, dites-vous ? Je serais curieux de le voir. Allons dans mon bureau et montrez-moi ça. Quelques instants plus tard, ils étaient dans la vaste pièce qui servait de lieu de travail à Michael. Les larges baies vitrées, le confort moelleux des fauteuils, l’ordonnance harmonieuse du décor tranchaient de manière significative avec la petite salle 57b. Au centre de la pièce trônait un magnifique pupitre surchargé de dossiers. Sans aucune gêne, Arthur s’en approcha, saisit un dossier maladroitement dissimulé sous une pile de classeurs et le tendit à Michael. – Voilà, c’est ça. Michael saisit le premier feuillet qui dépassait légèrement et il lut : Procès-verbal de la séance du Conseil Interstellaire des Anges (CIA) Numéro : ZFQ124826 Lieu : Salle du Conseil, Palais royal, Cité des Maîtres, Septième Monde À l’évidence, d’après le numéro de code, il s’agissait fort heureusement d’un document très ancien et antérieur aux événements susceptibles d’intéresser son visiteur. Satisfait de la tournure que prenaient les événements, Michael ordonna au petit ange : – C’est bon, Ginette, raccompagne monsieur, j’ai du travail !
Les choses auraient pu s’arrêter là. Arthur serait retourné chez lui, avec quelques cartouches de café en prime. Ginette aurait continué à s’agiter dans son bureau et son chef serait retourné à ses dossiers. Mais c’est alors qu’Arthur se tourna vers son interlocuteur, tendit la main vers lui et lui dit : – Merci pour le café ! Merci infiniment, Monsieur… Arthur la main tendue attendait… Un silence gênant s’établit entre les deux protagonistes. – Michael ! Moi, c’est Michael. – Oui, c’est Michael, fit Ginette sans réfléchir. Avant, c’était Michel. Mais Michel ça faisait un peu petit bourge franchouillard des années soixante. Après mai soixante-huit, tout ça, s’appeler Michel ça le faisait pas vraiment, alors il a décidé que désormais ce serait Michael. – Comme Michael Jackson ! fit Arthur. – Exactement, comme Michael Jackson ! D’ailleurs, le fameux moonwalk c’est… – Ginette ! L’avertissement avait sonné bref, incisif, sans équivoque. Ginette rectifia immédiatement. – Je disais donc que le moonwalk c’était vraiment la marque de fabrique de Michael. Michael Jackson évidemment, pas le nôtre ! Ça se saurait si notre Michael dansait dans son bureau ! – Et avant, vous vous appeliez Michel…
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Arthur avait l’air songeur de celui qui cherche désespérément à établir un lien entre deux éléments qui lui échappent. – Michel… Michel, comme l’Archange ? Michael et Ginette poussèrent en même temps un profond soupir. Ils étaient passés si près du but. S’ils avaient réussi à faire sortir Arthur du bureau avec son café, les choses en seraient restées là. Mais maintenant, tout était remis en question. Michael se tourna vers son secrétaire et lui dit : – Merci Ginette ! Tu m’as beaucoup aidé, tu as été très efficace sur ce coup-là ! – Désolé chef, je ne voulais pas, mes paroles ont dépassé ma pensée… Arthur était aux anges ! – Alors, c’est vrai, vous êtes l’Archange Michel ! Le fameux Archange ! Waouh ! Ça alors ! – Je suis effectivement l’Archange Michel. Un des sept Archanges qui dirige le Royaume des Sept Mondes. Et tu n’aurais jamais dû te trouver en ma présence, Arthur. – Mais pourquoi ? Il m’arrive de rencontrer Dieu, assez souvent même, alors pourquoi pas vous ? – Parce que l’univers n’a pas été conçu ainsi ! Tu as été créé pour rencontrer les Maîtres, pas pour rencontrer leurs serviteurs. – Mais ! Et Ginette ? – Ginette est un ange de liaison. Il est programmé pour établir des liens entre les Mondes.
C’est grâce à lui et à ses semblables, que les différents Mondes fonctionnent et interagissent harmonieusement. Mais dis-moi, comment astu fait pour arriver jusqu’ici ? Tous les accès sont sécurisés, équipés de détecteurs, de lecteurs biométriques, sans compter les gardes. – Je vous l’ai dit, je cherchais du café. Je suis allé dans le réduit au bout du couloir. J’ai ouvert un placard, il n’y avait rien. J’en ai ouvert un autre, il y avait plein de nourriture. J’ai fouillé un peu en espérant, sans trop y croire, que quelques cartouches de café seraient restées en rade. Mais rien, bernique, que dalle ! J’allais abandonner quand j’ai vu une petite trappe sous le second rayonnage. – Une petite trappe ? firent Ginette et Michael en chœur. Arthur leur lança un regard un peu inquiet. – Oui, une petite trappe. Alors je l’ai ouverte et là, d’un coup, je me suis retrouvé dans ce grand bureau. Mais je vous jure que je ne l’ai pas fait exprès ! – Une faille ! gémit Ginette. Michael hocha doucement la tête en signe d’assentiment et ajouta : – Elle doit dater de la construction. On l’utilisait certainement pour acheminer les matériaux. J’aurais pourtant juré qu’on les avait toutes condamnées. – Elle nous aura échappé ! – Et tu l’as trouvée ! Tout ça, à cause d’une misérable tasse de café ! J’ai toujours dit qu’on
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aurait dû se limiter aux Anglais. Eux au moins ne boivent que du thé ! – En parlant d’Anglais ! Arthur était soudain rayonnant, comme transfiguré. En parlant d’Anglais, reprit-il, vous connaissez l’Irlande ? Interloqué, Michael le regarda sans comprendre. – L’Irlande ? – Non Arthur, ce n’est pas le moment ! intervint Ginette. – C’est quoi cette histoire d’Irlande ? fit Michael. – Laisse tomber, c’est une idée fixe chez lui. Il aime la pluie, les parapluies, les tourbières improbables, les cheminées qui fument, le ragoût de mouton, la musique folklorique, la bière noire et amère, les filles rousses, l’herbe verte, les moutons, la conduite à gauche… c’est un poète, quoi ! – Ginette, tu n’as rien compris à l’Irlande si tu crois pouvoir enfermer une telle culture et un tel pays dans un portrait aussi réducteur, un ramassis de clichés éculés et… – Arthur, stop ! Ça suffit ! J’ai dit stop ! Pas d’Irlande aujourd’hui ! Ginette, malgré sa petite taille, pouvait se montrer très menaçant quand l’envie lui en prenait. Arthur parut comprendre le message cinq sur cinq. – OK ! OK ! Pas de problèmes ! Mais je réfute totalement l’idée selon laquelle je serais obsédé par l’Irlande. C’est vrai qu’il m’arrive
parfois d’en parler quand l’occasion se présente, mais j’ai plein d’autres sujets de conversation. Michael choisit ce moment pour intervenir. – Vous êtes graves tous les deux ! Je ne comprends rien à votre discussion, mais si vous pouviez la poursuivre en dehors de cette pièce, ça m’arrangerait. Désignant la pile de dossiers qui s’accumulaient sur son bureau, il ajouta avec un soupir : Comme vous pouvez le constater, j’ai à faire ! Arthur jeta un regard sur le pupitre surchargé. Prenant soudain conscience de l’endroit où il se trouvait et qu’il avait, bien involontairement, interrompu le labeur d’un personnage important, il tendit à nouveau la main vers Michael pour prendre congé. – Désolé de vous avoir dérangé, Michael. Ce fut un plaisir de vous avoir rencontré. À une prochaine fois, j’espère. – Ça m’étonnerait. Comme je te l’ai déjà dit, les choses ne sont pas censées se passer ainsi. Se ravisant soudain, Arthur retira brutalement sa main tendue. – Alors, juste une dernière question pour ne pas mourir idiot ! Bon c’est vrai que c’est un peu stupide ce genre de phrase quand on est au ciel ! Mais, vous avez parlé de voyage tout à l’heure… – De voyage ? fit Michael prudemment.
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– Oui, au sujet du café. Ginette a dit qu’il en ramenait à chaque voyage… Qu’est-ce que ça signifie ? Vous allez régulièrement sur la Terre, c’est ça ? Parce que si c’est le cas, j’aimerais qu’on m’explique. Il fut interrompu par le double long soupir de Ginette et Michael. Ce dernier désigna ses dossiers d’un air las et conclut : – J’imagine que ce n’est pas aujourd’hui que je vais traiter tout ça ! – Ça me paraît mal parti en effet ! approuva Ginette. – Bon, que veux-tu savoir exactement ? – Tout d’abord, où sommes-nous ? Je ne reconnais rien du lieu où j’étais avant ! Michael jeta un long regard circulaire par les baies vitrées du bureau. Comment expliquer à Arthur le lieu où il se trouvait ? Le mieux n’était-il pas de le lui montrer ? – Viens avec moi ! Toi aussi Ginette, montons au dôme ! Ils reprirent l’ascenseur qui grimpa en ronronnant jusqu’au dernier étage. La porte s’ouvrit sur un spectacle magnifique. Ils venaient de pénétrer sous un vaste dôme qui coiffait le sommet du bâtiment. Tout autour d’eux, un paysage grandiose s’offrait à leur vue. Arthur, ébahi, regardait autour de lui, tentant de comprendre le spectacle étonnant qui s’offrait à lui. Le bâtiment au sommet duquel ils se trouvaient semblait être au cœur d’une
ville, mais une ville étrange. Les bâtiments aux façades d’une blancheur éblouissante reflétaient une lumière chaude et puissante, calme et forte à la fois. Il semblait émaner d’elle une vitalité surprenante et difficile à décrire. Les constructions étaient immenses, plus hautes que tout ce qu’il avait jamais vu : aériennes, tout en courbes et en audace. Les dômes côtoyaient les flèches, les arcs puissants des façades dessinaient des mosaïques étranges auxquelles répondaient les traits de lumières orangés jaillis des innombrables transporteurs qui sillonnaient le ciel. Mais le spectacle était changeant, mouvant. Les bâtiments semblaient mus par une vie qui leur était propre. Ils se déplaçaient sans cesse les uns par rapport aux autres. Arthur abaissa son regard, cherchant à distinguer le sol, mais il s’aperçut avec effroi qu’ils ne reposaient sur rien. Toute la ville semblait flotter dans l’espace. Au-dessus de lui, un bâtiment aussi grand qu’une ville dériva lentement. Des jets de vapeur s’échappaient de ses fondations, longues écharpes blanchâtres qui masquaient d’un voile pudique ses étages inférieurs. Le ciel était parsemé de telles îles-cités qui flottaient ainsi dans l’espace. Certaines étaient basses comme des îlots du Pacifique. D’autres prenaient la forme audacieuse de roues immenses tournant lentement sur ellesmêmes, d’autres encore s’élevaient en pyramides inversées à des hauteurs vertigineuses.
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Michael interrompit sa rêverie. – Bienvenue au Royaume des Sept Mondes, Arthur. Comme tu le vois, ce monde est très différent de tout ce que tu connais. Nous sommes ici à Garthomine, capitale du Cinquième Monde. – Mais, l’interrompit Arthur, vous voulez dire qu’il existe réellement sept mondes différents ? – Oui, c’est effectivement le cas. Mais ces sept mondes forment un tout, un ensemble cohérent et uni, même si nos réalités physiques et géographiques sont très dissemblables. Le Premier Monde, par exemple, est un pays de mines. C’est là que l’on extrait tout le minerai dont le Royaume a besoin pour se développer. La plus grande des mines s’appelle Sharbiatar. Ses habitants, les Shargors, sont des anges minuscules, encore plus petits que Ginette. Ils ont été conçus ainsi à l’origine pour pouvoir travailler avec aisance dans les galeries étroites des puits de mines. Mais il y a longtemps que les machines ont remplacé les anges dans ce travail ingrat. Seule la taille des Shargors est restée inchangée. – C’est très impressionnant quand un Shargor rencontre un Chérubin, fit remarquer Ginette. – Les Chérubins ? Ce ne sont pas des petits anges joufflus avec un arc ridicule ? s’étonna Arthur. – Non, détrompe-toi. Même si c’est la ma-
nière dont vous les représentez souvent sur Terre, les Chérubins ne ressemblent pas du tout à cette description. Ce sont les grands guerriers du Ciel. Ces géants forment le corps d’élite de l’armée des Maîtres. Ils sont des myriades regroupés derrière leur chef, l’Archange Gabriel. Armés de leurs épées de feu, ils sillonnent sans cesse les Mondes pour assurer la paix et la tranquillité du Royaume. Leur demeure est le Sixième Monde. C’est un endroit d’une dramatique beauté, où le feu du ciel rejoint celui de la terre en arcs puissants et spectaculaires. Les Chérubins viennent aiguiser leurs épées dans les grandes vasques de lave qui s’étendent au cœur des montagnes impénétrables de Chirmognar. Le Deuxième Monde est certainement le moins spectaculaire, mais il est très important pour notre économie. C’est lui qui abrite tous les ateliers de production, d’assemblage des machines et des anges. – Un Monde d’usines ! Ça ne doit pas être folichon ! fit remarquer Arthur. – Non, effectivement, ce n’est pas le plus beau des Mondes, mais comme je le disais, il est vital pour notre économie. – Et la nourriture, d’où provient-elle ? – J’y arrive Arthur, sois patient ! La nourriture est produite dans les vastes plaines du Troisième Monde. Les champs bleus de cynemores sont réputés dans tout le Royaume et
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certaines récoltes peuvent atteindre des prix astronomiques tant ses fruits sont recherchés. – C’est quoi du cynemore ? demanda Arthur. – Le cynemore est une plante minérale qui s’épanouit dans les univers soufrés des grandes plaines alluviales du Troisième Monde. On ne la trouve que là. Elle produit un fruit que l’on réduit en poudre et que l’on ingère généralement avec un cocktail d’autres matières énergétiques comme l’aloram ou le sphyntox. – Mais, c’est de la poudre de pierre ! Et vous mangez ça ? – Notre nourriture est très différente de la vôtre, Arthur. Nous ne mangeons pas au sens où les humains l’entendent. Nous ingérons les quantités d’énergie nécessaires à l’accomplissement de nos tâches. – Et pourtant tu bois du café ! objecta Arthur. – Oui, c’est vrai ! Nous buvons du café et mangeons parfois des fruits qui poussent sur la Terre. Nous en tirons un plaisir gustatif, mais ces aliments n’ont aucun effet sur notre organisme, c’est juste un plaisir. – Vous êtes des êtres étranges, vous les anges ! – Nous sommes très différents de vous, c’est vrai, admit Michael, même si nous servons les mêmes Maîtres. – Et vous vivez dans des Mondes bizarres, surenchérit Arthur. – Détrompe-toi, Arthur, nos Mondes sont
souvent magnifiques. Jusqu’à présent, je t’ai surtout parlé de ceux qui produisent nos denrées de base ou qui abritent nos usines. Mais si tu pouvais un jour arpenter les vastes plaines du Quatrième Monde, te perdre dans les brumes de son Océan primordial, écouter le vent chanter entre les pics acérés de ses montagnes du nord ou admirer le coucher majestueux de ses lunes jumelles sur les lacs de brume des collines des Sharmathan, tu en serais bouleversé ! Le Quatrième Monde est un éblouissement, un endroit fait pour les artistes, les écrivains, les poètes, les musiciens. Son Archange, Saraqiel, est également le chef de notre chorale angélique. – Toi qui aimes l’Irlande, fit remarquer Ginette, tu ne serais pas dépaysé dans le Quatrième Monde. Il y a beaucoup de ressemblances entre ces deux endroits. – On peut y aller ? C’est loin d’ici ? demanda Arthur soudain très intéressé. – La distance n’est pas le problème ici, tu le sais bien, Arthur ! Le problème c’est que ces Mondes ne te sont pas accessibles. Pas plus que celui où tu te trouves maintenant. Tu es là par accident, Arthur. Tu ne fais pas du tourisme ! – J’avais cru comprendre, merci Michael ! répondit Arthur d’un ton pincé. Et votre Monde, qu’est ce qu’on y trouve à part ces étranges îles-cités ? – Le Cinquième Monde, mon Monde, répondit Michael avec orgueil, est un atout très
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important dans la stratégie du Royaume. C’est là que sont groupées toute la logistique, la gestion des ressources, la science des communications. Tous les anges qui le peuplent ont été conçus pour être des agents de liaison. Mais nous faisons également partie de l’Armée céleste, au même titre que les Chérubins de Gabriel, mais avec des rôles différents. – Vous êtes un militaire, quoi ! conclut Arthur d’un air distant. – On peut dire ça ainsi, mais le sens que l’on donne à l’armée est très différent ici de celui que vous connaissez sur Terre ! – Pour moi, une armée reste une armée ! – D’accord, je n’essaierai pas de te convaincre sur ce point-là, mais laisse-moi encore te présenter le Septième Monde. C’est dans ce Monde que les Maîtres ont leur capitale et leur palais. La Cité des Maîtres est d’une splendeur incomparable. On y trouve tout ce que le Royaume compte comme richesses, diversités, originalité. Les êtres les plus étranges s’y croisent. Sur ses marchés on peut acheter les denrées les plus fines. Les penseurs et les poètes y trouvent des manuscrits oubliés depuis longtemps mais qui sont riches d’une sagesse d’éternité. À chaque lever d’Orionchaïte, la lune du Septième Monde, les myriades de myriades se réunissent sur la grande plaine occidentale pour adorer les Maîtres. C’est un moment de très grande communion et de paix infinie.
– Et où se situe mon Ciel par rapport à tout ça ? demanda Arthur. – Pas très loin j’imagine, puisque tu as pu arriver jusqu’ici en franchissant une simple trappe ! répondit Michael. Mais je te propose de poursuivre maintenant cette conversation à l’intérieur, nous y serons plus à l’aise. Une fois revenu dans son bureau, Michael désigna un fauteuil à Arthur. – Prends un siège et installe-toi ! Ginette, fais-nous du café, du vrai pas tes échantillons ! Je sens qu’on va en avoir besoin ! Puis, se tournant vers Arthur, il lui demanda : Maintenant que tu as vu un peu à quoi ressemble le Royaume des Sept Mondes, que voudrais-tu encore savoir ? – Tout ! répondit Arthur. Dites-moi tout ! Dites-moi comment ça fonctionne, le ciel, les anges, vos fameuses visites sur la Terre… – Tu es prêt à tout entendre ? demanda Michael. – Bien sûr ! J’ai l’esprit ouvert ! – Ça risque d’être un peu décoiffant, tu sais ! l’avertit Ginette tout en disposant des tasses sur la desserte devant laquelle ils étaient assis. Tu prends du sucre, du lait ? – Non merci, rien du tout ! Michael s’était assis confortablement dans le fauteuil profond. Il posait un regard calme sur l’homme qui lui faisait face comme pour le
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sonder. Peut-être cherchait-il à savoir jusqu’où il pouvait aller avec lui. Ce qu’il pouvait dire pour assouvir sa curiosité insatiable, sans pour autant divulguer des éléments qu’il aurait préféré garder pour lui. – Les voyages t’intéressent ?
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Arthur n’était pas le genre d’interlocuteur qu’il fallait supplier longtemps pour entrer dans la conversation. Il saisit au bond la perche que Michael lui tendait. – Oui, je trouve ça passionnant ! Comment faites-vous pour voyager ? À cause de la distance je veux dire. Car j’imagine que la Terre est très éloignée d’ici. Vous utilisez quelle technique ? La télétransportation ? Les voyages à vitesse supraluminique ? Vous avez un vaisseau mère et des navettes ? Et sur Terre ? Vous avez des zones d’atterrissage ? Ah mais bien sûr… La fameuse zone 51 dans le désert du Nevada, c’est ça ? C’est comme ça que vous faites ? C’était vous les fameux extraterrestres ? Michael restait silencieux écoutant le déluge verbal de ce drôle de bonhomme. Il entrevit alors une solution possible. – Tu connais le Mont-Saint-Michel ? – Le Mont-Saint-Michel, en Bretagne ? Oui, bien sûr ! – Tu n’as jamais rien remarqué d’étrange ? – D’étrange ? Au Mont-Saint-Michel ? Je ne sais pas, les kouign-amann peut-être !
– Non, je parle de la situation, de la forme de l’île, de l’abbaye… reprit Michael. Ginette lui jeta un drôle de regard chargé de perplexité. Michael lui répondit par un clin d’œil discret qui semblait vouloir dire « laissemoi faire, je contrôle la situation ». Ginette posa délicatement le café sur la desserte et s’assit du bout des fesses sur son fauteuil, attentif à ce qui allait se passer. – La forme du Mont-Saint-Michel ? Non, je ne vois pas… Mais… Oh ! Mon Dieu, bien sûr ! Ça crève les yeux pourtant ! – Alors, tes déductions ? l’encouragea Michael. – C’est comme une flèche dressée vers le ciel. Une antenne géante pour communiquer. Elle vous sert de relais, c’est ça ? – C’est bien raisonné, mais je suis certain que tu peux faire mieux, Arthur. Réfléchis encore. Une flèche dressée vers le ciel, une antenne et… Arthur se plongea dans une profonde réflexion. Les mains sur la tête, penché en avant, tout son corps trahissait la tension intense de son esprit. Soudain, il s’exclama : – Un point d’amarrage, comme les zeppelins ! Vous utilisez le Mont comme point d’amarrage pour vos vaisseaux intersidéraux. Mais comment ça se fait que personne n’ait jamais rien remarqué ? – Les brumes, Arthur ! Les brumes.
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– Bien sûr ! Et vous venez la nuit, j’imagine. – À la nouvelle lune et seulement si le temps est couvert. – Vous attendez que la marée soit haute, l’île isolée du continent. C’est génial ! Ginette avait l’air très mal à l’aise sur sa chaise. Il s’agitait de plus en plus, sa lèvre inférieure était agitée d’un tic spasmodique et il semblait faire des efforts démesurés pour ne pas intervenir dans la conversation. – Et le nom ? reprit Arthur. C’est à cause de vous ? C’est votre port privé ? Après une courte hésitation, Michael sembla se jeter à l’eau. – Je t’en ai déjà trop dit. Je ne suis pas vraiment autorisé à te donner ce genre de détails. – Je comprends, c’est top secret ! – C’est top secret, en effet ! – Et il y a longtemps que vous utilisez le Mont-Saint-Michel ? – Depuis des temps immémoriaux. Il y a toujours eu un lieu d’ancrage à cet endroit. Mais avec le développement des activités humaines, les vols se sont considérablement intensifiés et il a fallu développer les infrastructures. – D’où l’abbaye ! – Le site chrétien du Mont-Saint-Michel est récent au regard de notre présence sur Terre. Avant, nous étions en contact avec les druides celtes. Nous leur avions demandé de construire un sanctuaire sur le site pour dissimuler nos activités. L’île à cette époque, était beaucoup
plus isolée qu’aujourd’hui. Mais c’était important car les hommes, en ces temps reculés, étaient beaucoup plus sensibles qu’aujourd’hui aux phénomènes que l’on pourrait qualifier d’extraterrestres. Ce genre de perception s’est considérablement émoussé chez l’homme moderne. – Mais alors, si je comprends bien, ça veut dire que les moines de l’abbaye étaient dans le coup ? Tout le clergé si ça se trouve ! Comment est-ce possible que rien n’ait jamais filtré ? – Non pas tout à fait, répondit Ginette précipitamment. Michael l’interrompit brutalement en lui jetant un regard sévère. – Ginette veut dire que tout le clergé n’était pas au courant. Seul un mouvement à l’intérieur de l’Église était dans la confidence. – Un ordre secret ! Le regard d’Arthur s’était illuminé. Il semblait entrevoir des possibilités quasi illimitées au cheminement de ses pensées. – Les templiers, l’ordre de Saint-Jean, les rosicruciens, même les bénédictins si ça se trouve… – Nous avons toujours eu besoin d’un contact sur Terre pour finaliser l’approche de nos vaisseaux. Nous ne pouvions pas courir le risque de laisser des gens à nous sur Terre. Dès lors, une collaboration avec les hommes était indispensable d’autant plus qu’il pouvait se passer des dizaines d’années, voire parfois des
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siècles entre deux visites. Il fallait que le site demeure opérationnel, qu’il soit prêt à accueillir nos vaisseaux à chacun de nos voyages. – Des années d’absence ! Des siècles parfois ! Mais comment faisiez-vous pour maintenir le contact ? Pour être certain que tout soit opérationnel à votre arrivée ? – Comme je le disais nous faisions, et nous faisons toujours, confiance à des groupes d’initiés. – Mais s’ils étaient découverts, s’ils venaient à disparaître suite à une persécution, une guerre, une épidémie de peste… Michael réprima un sourire involontaire et se redressa imperceptiblement dans son fauteuil sous l’œil ouvertement réprobateur de Ginette. Arthur ne semblait pas s’être aperçu du malaise pourtant flagrant du petit ange. Michael reprit : – Nous avions laissé des indices… – Des indices ? fit Arthur, au comble de l’excitation. Vous voulez dire un parchemin secret codé, que les initiés se transmettaient de génération en génération. – Oui, mais pas seulement. Il y a des indices partout. Il faut juste posséder les clés pour les décrypter. – Partout, vous voulez dire… dans les bâtiments ? – La construction de la plupart des sanctuaires répond à un code architectural précis où les nombres jouent un rôle très important.
– Le fameux nombre d’or… fit Arthur rêveur. – Par exemple, oui, répondit Michael. Mais il ya aussi d’autres messages dissimulés dans d’autres supports. La peinture… – Léonard de Vinci ! J’en étais sûr ! C’était donc vrai ! Ses peintures sont bourrées de codes. Dan Brown avait raison2, il avait vu juste. Je le savais, purée, je le savais ! Quand je suis allé voir le film, j’ai dit à mon épouse : il y a du vrai là-dedans ! Bon sang ! C’est incroyable ! Ils sont tous dans le coup : le Vatican, les templiers, les francs-maçons, la CIA… – Les esséniens, risqua Ginette. – Les esséniens ? Je ne connais pas ! répondit Arthur surpris par son intervention. – C’étaient des sortes de moines mystiques qui vivaient dans le désert plus ou moins un siècle avant la naissance de Jésus, expliqua Michael. – Ah ! fit Arthur qui ne semblait pas passionné par les esséniens. Il passa ses mains sur son visage comme s’il s’éveillait d’un rêve profond. – Le Mont-Saint-Michel, les templiers, le Vatican, vos esséniens… même les druides celtes, tous dans le coup ! Et les messages secrets cachés au plus profond des monastères du désert. Les meurtres, les assassinats inexpliqués mais qui deviennent soudain clairs comme de l’eau de roche quand on regarde au Dan Brown, Da Vinci Code, Editions JC Lattès 2004.
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bon endroit. Même l’exécution, par l’Inquisition de Jacques de Molay, maître de l’ordre des Templiers, tout s’explique ! Prenant soudain conscience que quelque chose lui avait échappé jusqu’alors, il posa sur Michael un regard sévère. – Mais alors, si je comprends bien, les troubles religieux qui ont ensanglanté notre planète, c’est de votre faute ? C’est à cause de vos voyages que tout ça s’est passé ? Ginette jeta un regard lourd à l’Archange comme pour lui dire : Tu vois où tu nous as mené avec tes histoires ? Michael sembla comprendre que la plaisanterie avait suffisamment duré. Il décida donc d’intervenir. – C’est du pipeau, Arthur ! – Quoi ? – Tout ça, le Mont-Saint-Michel, les zones d’amarrage pour vaisseaux spatiaux de la flotte angélique, le Vatican, les moines, les ordres religieux, les indices, les secrets… Ce gigantesque complot n’a jamais existé que dans ton imagination débridée. C’est une des raisons pour laquelle je n’avais pas tellement envie de te parler de tout ça. Je savais que tu allais démarrer au quart de tour et partir, à la première occasion, dans des délires hautement improbables. – Vous m’avez menti ! – Disons que je t’ai encouragé à glisser sur une pente que tes lectures antérieures avaient largement savonnée. – Quand même…
– Ne sois pas fâché, Arthur ! Il fallait qu’on ait cette petite mise au point avant de pouvoir aborder l’histoire dans toute sa vérité. Il fallait que je m’assure que ton esprit était vraiment ouvert et que tu n’allais pas interpréter mes propos avec, en arrière-plan, tes délires de complots, de secrets, de groupes occultes et… d’extraterrestres ! Car tout ça, Arthur, n’existe pas. La vérité est tout à la fois beaucoup plus simple et beaucoup plus compliquée. – Plus simple et plus compliqué ! reprit Arthur sarcastique. J’ai entendu ça bien des fois. En général, c’est ce qu’on dit quand on aborde quelque chose de vraiment délicat et d’extrêmement complexe. Je me trompe ? – Oui et non ! Le monde dans lequel tu vis est loin d’être simple. Et il n’est qu’un composant d’un ensemble de mondes encore plus vaste. Alors oui, tu as raison les choses sont plus compliquées qu’elles en ont l’air. Mais, d’un autre côté, les Maîtres qui sont à l’origine de tout ce qui existe sont des êtres de vérité, de simplicité, de rigueur et de droiture. Ce qui fait que ce qu’ils créent est fondamentalement simple. Ginette posa un regard compatissant sur Arthur qui semblait un peu largué. – Ça va, Arthur ? Tu suis ? – Pas vraiment ! Ça me paraissait plus simple quand il était question de templiers, de francs-maçons, de secrets et de complots. Là, je ne vois pas très bien de quoi vous parlez.
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– On peut s’arrêter là si tu veux ! proposa Michael sans trop y croire. Tu prends ton café, Ginette te raccompagne chez toi. Je reprends mes dossiers… – Non, non, fit Arthur précipitamment, je veux savoir ! Vous en avez trop dit et pas assez en même temps. Je veux savoir, je veux connaître la suite, je veux comprendre dans quel monde je vis vraiment et… – Et ? questionna Michael. – Et m’assurer, reprit Arthur après un temps de silence, que vous me dites vraiment la vérité. Que vous ne me cachez rien, qu’il n’y a pas un pan de l’histoire qui demeure obscur, seulement accessible à quelques initiés. – Indécrottable, hein ! fit Ginette amusé. – Prudent ! répondit Arthur. Prudent et pas totalement convaincu. Il reste un point mystérieux. J’ai la très nette impression que vous avez essayé depuis le début, depuis que j’ai pénétré dans ce bureau, de me dissimuler quelque chose. Tout en étant très sympa, très accueillant, j’ai malgré tout eu le sentiment que vous cherchiez à vous débarrasser de moi le plus vite possible avant que je ne voie ou que je n’apprenne des choses que je n’étais pas censé connaître. – Il y a des médecins pour ça, tu sais ! répondit Ginette doucement. – Non, il a raison, intervint Michael, et tu le sais bien Ginette. On a effectivement tenté de te dissimuler l’existence de notre monde.
Comme je te l’ai dit tout à l’heure, il y a des choses que tu n’es pas censé connaître, non pas parce que ce serait dangereux pour toi, ou parce que ces choses sont mauvaises, mais estil toujours nécessaire de savoir ce qui se passe de l’autre côté du miroir ? – Je ne comprends pas ! dit Arthur. Sois plus clair ! – Je vais essayer. Imagine que tu vis au XIXe siècle. Tu es invité à passer le week-end dans le superbe manoir de ton ami le baron de Darcy. Pendant deux jours, tu vas profiter du confort, de l’excellente cuisine, des loisirs. Tu vas monter les chevaux de la propriété, visiter le domaine. Mais tu ne vas pas chercher à savoir comment les mets succulents arrivent dans ton assiette; ni qui s’occupe du confort de ta chambre, du nettoyage de la salle de bains, de l’entretien de l’écurie. Tu ne vas pas contrôler si les chevaux sont nourris ou les pelouses tondues. Tu sais, sans le savoir et surtout, sans t’y intéresser, qu’une petite armée de domestiques œuvre dans l’ombre pour ton confort et celui des propriétaires. Ces gens, tu ne les vois presque jamais. Ils ont dans la maison, leurs propres locaux. Des cages d’escaliers indépendantes leur permettent de passer d’un étage à l’autre sans jamais te croiser. À l’arrière de la demeure, l’entrée de service permet aux serviteurs non seulement d’entrer et de sortir, mais de veiller à l’approvisionnement du manoir. Et cela presque à ton insu, en tout cas, sans te déranger.
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– Je ne vois pas le rapport avec notre discussion. – Sois patient, j’y arrive. Ton monde a été conçu de la même manière qu’une demeure du XIXe siècle. Il a été construit de façon à pouvoir héberger deux univers parallèles, celui des maîtres et celui des serviteurs. Il y a ce que tu vois, ce que tu connais et puis, il existe une autre réalité. – Celle des domestiques ? – On peut dire cela comme ça, même si ce n’est pas le terme que j’utiliserais. – Mais qui sont les domestiques dans ton histoire ? – Pas les domestiques, Arthur. Les serviteurs, les gardiens, les veilleurs… – Bon, si tu veux, mais ça ne me dit toujours pas qui sont ces serviteurs ! – C’est nous, Arthur ! – Vous ! Tu veux dire, vous les anges ? – Oui, nous les anges ! Nous sommes les serviteurs. Tout d’abord les serviteurs des Maîtres, mais aussi, dans une certaine mesure, les serviteurs des hommes. – Mais vous êtes tellement plus puissants, plus compétents que nous ! – Nous avons, c’est vrai, des talents que vous ne possédez pas et que vous ne posséderez jamais ! répondit Michael avec fierté. Mais nous avons aussi des limites qui font que nous ne serons jamais vos semblables. Nous avons été créés serviteurs et nous sommes appelés à le rester.
– Des serviteurs… fit Arthur songeur. – Eh oui, ça t’étonne hein ? On ne dirait pas quand on me voit ! fit Ginette avec humour. – C’est pour ça que tous les deux, vous n’aviez pas trop envie de me parler de votre monde ? Vous aviez peur de ma réaction ! Peur que je me moque de vous ou que je vous méprise ? – Peur, pas vraiment ! Nous n’avons pas peur de toi, Arthur ! Mais, disons que nous avons notre fierté… – Je comprends. En fait, je crois que j’ai toujours pressenti que le monde était ainsi conçu. C’est pourquoi j’avais, alors que je n’étais encore qu’un simple humain sur la Terre, beaucoup d’affection et d’estime pour les anges. J’ai toujours pensé que je leur devais beaucoup. C’est ce qui explique que je suis si impatient d’en savoir davantage. J’ai envie de connaître la réalité de votre vie, de votre engagement auprès de ceux que vous appelez les Maîtres et que j’appelle Dieu. J’ai vraiment envie de connaître l’envers du décor. – Tu n’as pas peur d’être déçu ? – Déçu ? Non ! Sachant ce que je sais de vous et connaissant Dieu comme je le connais, je ne crois pas que je risque d’être déçu ! Michael s’était levé et arpentait nerveusement le bureau. Ginette sirotait son café sans mot dire. Arthur les observait tous les deux, conscient d’être à un moment crucial de sa nouvelle vie dans le ciel.
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– Alors, fit-il après un temps qui lui parut infini, comment procède-t-on ? Vous vous installez dans un fauteuil et vous me racontez toute l’histoire ? Ou on fait des sauts dans le temps comme dans un gigantesque diaporama et vous faites défiler les millénaires devant moi… – Je crois qu’on va faire plus simple, Arthur. Déjà, tu vas cesser de me dire « vous ». Depuis le temps que tu es au ciel tu devrais savoir que ce terme n’a pas cours ici. Ensuite, dans un souci d’objectivité et de précision, je vais te faire voir ceci…
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Il se dirigea vers une grande armoire murale dont il ouvrit en grand les deux battants. À l’intérieur, des dossiers soigneusement étiquetés étaient rangés sur les rayonnages. Il hésita un instant puis en saisit un qu’il ouvrit et étudia quelques instants avant de le poser sur le bureau. – Ceci, dit-il en s’adressant à Arthur, est la collection des procès-verbaux du Conseil des Anges. – Des procès-verbaux ? Vous n’allez pas… pardon, tu ne vas pas m’obliger à lire des pages et des pages de procès-verbaux tout de même ! Je te rappelle que j’en ai déjà commencé un qui ne m’a pas passionné ! – J’en ai bien peur, Arthur ! C’est la meilleure façon d’être vraiment impartial. Tu vois, ma mémoire est forcément faillible et sélective.
Je ne pourrais que te raconter l’histoire telle que je l’ai vécue avec mon regard, mon ressenti. Je te transmettrais mes enthousiasmes, mais également mes réserves, mes inquiétudes, mes terreurs. – Tes terreurs ? – Eh oui, Arthur ! Notre histoire est terrifiante à certains égards ! En tout cas, elle m’a terrifié. Mais d’autres acteurs en feraient certainement une lecture différente. C’est pourquoi il me paraît plus sage de nous référer à ces procès-verbaux de séances qui, dans leur sécheresse, relatent avec précision les échanges qui ont eu lieu dans le Conseil suprême. Ginette se leva discrètement de son siège et s’apprêta à quitter la pièce. – Bon, je vous laisse… Bonne lecture ! Mais Michael l’en dissuada. – Non, Ginette, reste. Nous aurons besoin de ton regard, de tes souvenirs aussi. Tu as été plus souvent sur le terrain que moi. Tu connais mieux certains aspects de nos missions. Ton expérience viendra très utilement enrichir ces dossiers. Et en plus, on aura certainement besoin d’un peu de café ! Arthur intervint. – Vous avez toujours été comme ça ? – Comment ça, comme ça ? demanda Ginette. – Ben je ne sais pas. Michael tu as toujours été Archange et Ginette…
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– Pas Archange ? souffla Ginette en souriant. – Tu aimerais savoir si les anges évoluent, s’ils progressent ou s’ils ont été créés comme ils sont ? C’est ça ta question, Arthur ? – Oui, c’est ça ! – Nous sommes créés par classes, répondit Michael. Par sortes d’anges en fonction de notre mission. Tu en apprendras plus dans quelques instants. Comme je te l’ai déjà dit, Ginette est agent de liaison. Il peut progresser dans sa classe, mais pas en sortir. Il ne peut pas devenir un combattant ou un musicien. Il a été créé agent de liaison, il le restera. Mais il peut devenir chef de section, d’unité, ou plus encore. – Archange ? demanda Arthur. Un malaise évident s’empara de Michael et de Ginette. – Non, pas Archange ! Ce n’est pas possible ! répondit Ginette. Ou alors, il faudrait que quelque chose de terrible se produise. – Comme ? – Il faudrait que mon Archange disparaisse ! – Qu’il meure ? – On ne peut pas mourir, Arthur, nous sommes éternels ! répondit doucement Michael. – Mais alors, comment pourrait-il disparaître ? J’imagine que vous n’avez pas de retraite ! – Non, nous n’avons pas de retraite ! répon-
dit Michael en souriant. Pour que Ginette devienne Archange, il faudrait que son Archange se révolte contre le Maître. Ainsi, il perdrait son titre, son rang, son honneur, tout ! – Et qui est l’Archange de Ginette ? – C’est moi ! répondit Michael. – Tu vois donc à quel point ta question est saugrenue, ajouta Ginette. Jamais je ne serai Archange et c’est très bien comme ça. Nous n’avons pas en nous, dans notre patrimoine génétique, cette ambition qui joue un rôle si important dans votre fonctionnement humain. Nous sommes fondamentalement heureux dans notre condition. Nous sommes performants dans ce que nous faisons et nous n’avons pas envie d’être différents. – Mais c’est déjà arrivé ? – Arrivé ? – Qu’un Archange se révolte ? Michael repoussa le lourd dossier, se leva et se remit à arpenter le bureau. Finalement, il regarda longuement Ginette comme pour puiser dans son collaborateur l’énergie dont il avait besoin. Après quelques instants d’un pesant silence, il revint vers Arthur. – La réponse est oui ! – Et… c’est tout ? – Non, tu as raison, ce n’est pas tout ! Si nous voulons être honnêtes et vrais avec toi, nous devons te raconter l’histoire dans sa totalité. J’ai été tenté de prendre le train en
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marche, de faire l’économie de certains événements douloureux – très douloureux – et dont les conséquences ne cessent de nous tourmenter aujourd’hui encore. Mais tes questions me poussent à revoir ma position. Michael tendit la main vers son pupitre et saisit le dossier qu’Arthur avait commencé à lire. – Finalement, nous allons continuer ta lecture, Arthur. D’après ce que j’ai compris, tu t’es arrêté avant que les choses importantes n’arrivent, d’où le peu d’intérêt que tu as manifesté pour ce document. Il est bien antérieur à celui que je t’avais proposé. Mais c’est mieux ainsi. Tu es d’accord Ginette ? Le petit ange fit un signe d’assentiment de la tête. Il semblait bouleversé. – Tu dois comprendre, Arthur, que les événements que nous allons évoquer avec toi nous touchent de très près. Pour toi, tu n’y verras que des noms, des récits de vie. Mais ce sont nos collaborateurs, nos proches, nos amis qui sont dans ce dossier et ce qui leur est arrivé a bouleversé notre vie à un point que tu ne saurais imaginer.
Table des matières Chapitre 1
Tarshish, le scribe
9
Chapitre 2
Vous prendrez bien un café !
15
Chapitre 3
La révolte des anges
55
Chapitre 4
La Guerre des Sept Mondes
93
Chapitre 5
Six jours pour un Univers
105
Chapitre 6
Le Jardin des Pères
147
Chapitre 7
Le Paradis perdu
187
Chapitre 8
La longue marche
203
Chapitre 9
Un fils d’homme
217
Chapitre 10
La grande peur
229
Chapitre 11
Jours de colère
261
Chapitre 12
La victoire de Lucifer
289
301
Du même auteur Pierre-Yves Zwahlen dans la collection Anaïs
PANIQUE ANGÉLIQUE 2 ou 3 choses à faire
Au commencement,en arrivant au ciel Editions LLB, 2011 même le Diable était un ange... 216 pages,
ISBN 978-2-9700538-8-0
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Tout ne va pas pour le mieux dans le Nous connaissons ce petitUn frisson désa-des Royaume des Sept tous Mondes. projet gréable quand soudain, sans crier gare, l’idée Maîtres vient perturber le savant équilibre de notre propre mort nous surprend. Qu’y a-tangélique. La guerre menace. Les anges il après ? S’il y a quelque chose ! noirs parviendront-ils à empêcher le projet Ce livre nous emmène dans une aventure des Maîtres de voir le jour ? Et quel est ce qui n’a rien de morbide, ni de funeste, même dessein mystérieux qui risque de bouleverla mort en est le point de départ. A en croire sersila paix millénaire des Ciels ? l’auteur, il n’est pas impossible que notre avenir éternel réserve quelques belles sur- cet Entre dramenous et humour, pénétrez dans prises et se révèle même franchement joyeux.
univers fantastique. Découvrez un Royaume étrange et laissez-vous envahiràpar ce doute Ces pages ne sont pas réservées des initiés, étonnant : « Et ce monde le mien ? » mais il n’est passiinutile d’oser était se distancer de certaines idées préconçues et de savoir manier l’humour, pour en goûter tout le sel. Ce livre pourrait bien bouleverser votre conception de la vie et de la mort !
Collection Anaïs
Editions LLB