Évaluation du lymphœdeme

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Article publié à l’origine dans Pathways Été 2022. Tous droits réservés 2022. Partenariat canadien du lymphœdème. Diffusé avec la permission de l’éditeur.

POINT DE VUE CLINIQUE

ÉVALUATION DU LYMPHŒDÈME DE LA TÊTE ET DU COU

L’Organisation mondiale de la santé évalue que l’incidence mondiale des cancers de la tête et du cou (CTC) surpasse les 550 000 cas par an.1 Au Canada, on estime que 7 400 Canadiens recevront un diagnostic de cancer de la tête et du cou (CTC) chaque année.2 Environ 90 % des cancers cervicaux-faciaux sont des carcinomes spino-cellulaires, ce qui en fait le sixième cancer en matière d’incidence dans le monde.1 Une étroite corrélation existe entre le CTC et certains facteurs de risque liés à l’environnement et au mode de vie, notamment le tabagisme et la consommation d’alcool, ainsi que l’exposition au virus du papillome humain.3 Les traitements multimodaux du CTC peuvent inclure la chirurgie, la radiothérapie et la chimiothérapie. Ces traitements peuvent avoir des effets secondaires significatifs à court et/ou à long terme qui peuvent être invalidants aux plans physique, fonctionnel et psychologique.4-6 Il est nécessaire d’étudier et de traiter ces effets secondaires le plus tôt possible afin d’en limiter les séquelles à long terme.4

Le lymphœdème de la tête et du cou (LTC) est un effet secondaire majeur et souvent négligé qui demeure malheureusement sous-diagnostiqué et sous-étudié.7 Le LTC se définit par une accumulation de liquide et de substances inflammatoires dans l’espace interstitiel. Cette accumulation est causée par une perturbation du flux lymphatique, résultant d’une intervention chirurgicale et/ ou d’une radiothérapie.8 Le LTC peut avoir des manifestations externes (par exemple peau, visage, cou, tête), internes (par exemple cavité buccale, langue, pharynx) ou combinées.8 Cela peut avoir un impact majeur sur les

fonctions physiques essentielles (par exemple, la parole, la respiration, la déglutition et l’alimentation), entraîner une détérioration de la qualité de vie (QV), un risque accru d’infection ainsi que des séquelles psychologiques et liées à l’image corporelle (p. ex. anxiété, dépression).4,6,8,9

La prévalence du LTC chez les patients traités pour un CTC est significative, mais doit être définie plus précisément. La littérature a relevé une prévalence située entre 12 % et 90 % 4,9 pour le LTC externe, et jusqu’à 97 % 6 pour le LTC interne. Le LTC externe étant visible, il fait l’objet de plus d’attention, car il peut facilement être évalué au fil du temps par le biais d’une évaluation spécialisée du lymphœdème comprenant des mesures de la circonférence et des photographies.8 De plus en plus de rapports soulignent l’importance d’évaluer le LTC interne, notamment par l’utilisation d’une laryngoscopie transnasale, qui est considérée comme le meilleur moyen d’évaluer le LTC interne.4,7-9 Comme cette évaluation nécessite l’intervention de techniciens qualifiés ou de médecins, les thérapeutes en lymphœdème doivent encore se fonder sur une évaluation physique pour déterminer l’étendue du LTC.

ÉTÉ 2022
Le lymphœdème de la tête et du cou est un effet secondaire majeur et souvent négligé qui demeure malheureusement sous-diagnostiqué et sous-étudié.

Il n’existe pas à ce jour de référence absolue pour l’évaluation du LTC. Le manque d’outils d’évaluation communs a entraîné une grande disparité dans les méthodes d’évaluation entre les institutions qui prennent en charge les LTC.

Un protocole d’évaluation du LTC a été mis en œuvre dans le cadre d’une approche multidisciplinaire au Centre universitaire de santé McGill - Clinique du lymphœdème, centre d’excellence reconnu par le réseau d’éducation et de recherche lymphatiques LE&RN. Voici un aperçu de l’évaluation pratiquée.

1. Antécédents médicaux : Une anamnèse complète est effectuée, comportant l’intervention chirurgicale, l’étendue de la dissection des ganglions lymphatiques, la chimiothérapie et/ou la radiothérapie. S’ils sont disponibles, les rapports chirurgicaux et pathologiques sont analysés pour faciliter cette étape. L’imagerie médicale et les notes concernant toute récidive du cancer sont examinées pour comprendre l’étendue du LTC.

2. Informations sur les œdèmes internes et externes : Ces informations sont consignées, y compris le déclenchement du lymphœdème, la localisation, la fréquence des infections (cellulite) et la gestion du traitement (dont la compression) jusqu’à présent, que celle-ci soit efficace ou non.

3. Évaluation fonctionnelle : Elle est réalisée à l’aide d’un outil d’évaluation de la fonction et des symptômes pour la tête et du cou. Six catégories sont évaluées par le patient et le thérapeute quant à l’impact de la maladie sur la fonction et la qualité de vie, notamment : (a) l’amplitude des mouvements

(mobilité/rigidité du cou, ouverture de la bouche/ mobilité de l’articulation temporo-mandibulaire, mobilité de la langue, restrictions du tissu cicatriciel, fibrose radio-induite)  ; (b) Difficulté à avaler/mâcher (c.-à-d. dysphagie  ; difficulté à avaler des solides mous, des solides, des aliments écrasés ou en purée, des liquides épais  ; difficulté à mâcher  ; dents/ prothèses dentaires présentes/absentes/en suspens, etc.)  ; (c) Troubles de la parole, de l’audition et de la vue (c.-à-d. enrouement, dysphasie, difficulté à parler et/ou à se faire comprendre, modification de la voix, acouphènes, vision floue, maux de tête)  ; (d) Appétit (c.-à-d. augmentation/diminution, diminution de la production de salive et/ou sécheresse buccale, salive épaisse/augmentation des sécrétions) ; nausées/vomissements, hydratation fréquente, modification du goût, altération des sens, y compris de l’odorat, et perte de poids  ; (e) Localisation du lymphœdème (tête, visage, cou, gorge, menton, joues, langue) et (f) Impact psychologique (douleur, anxiété, tristesse, fatigue, manque d’énergie, dépression, difficultés à dormir).

L’évaluation objective comprend quatre volets :

1. Observation générale et évaluation de la posture : utilisation et type d’appareil de mobilité, troubles de la marche, posture (c.-à-d. propension au torticolis, contractions du cou et de la cicatrice, cyphose de la colonne cervicale et thoracique, déformation de l’omoplate, dépression/traction de l’épaule, présence d’une stomie et/ou d’une sonde gastrique, mobilité de la cicatrice, etc.) De plus, une observation visuelle est effectuée quant à la localisation et la gravité de l’enflure.

Photos de quatre patients de la Clinique du lymphœdème du CUSM présentant un lymphœdème de la tête et du cou à différents stades Avec l’autorisation des patients.

2. Évaluation des modifications tissulaires : sécheresse, dermatite radio-induite, œdème de la nuque, infection fongique (muguet), induration, fibrose radio-induite (légère/modérée/sévère), trismus, et présence éventuelle de plaies ou d’ulcères.

3. Amplitude de mouvement : mobilité des épaules, mobilité de la colonne cervicale et du cou (flexion, extension, rotation, flexion latérale combinée), mobilité de la langue (frein de la langue, élévation, protrusion, latéralisation bilatérale) et de l’articulation temporomandibulaire (dépression, élévation, protrusion, rétraction et mouvements latéraux). L’ouverture buccale de l’ATM est mesurée à l’aide d’un «  test à trois doigts  » utilisé dans le cadre d’une évaluation clinique documentant le trismus.7

4. Les mesures de la circonférence du lymphœdème sont basées sur les résultats du lymphœdème chez les patients atteints d’un cancer de la tête et du cou par Smith et coll.10 Les mesures circonférentielles composites du cou sont prises (c.-à-d. cou supérieur, moyen et inférieur) ainsi que les mesures composites du visage droit et gauche (c.-à-d. du tragus au menton, au coin de la bouche  ; de la mandibule à l’aile nasale, à l’œil interne et externe et au menton  ; de l’œil interne au menton). Les mesures d’un tragus à l’autre sont également prises. Bien que l’œdème interne de la joue puisse être palpé par le thérapeute, le lymphœdème interne du cou n’est pas généralement évalué par le thérapeute en lymphœdème. Comme cette évaluation fait appel à des techniciens ou des médecins qualifiés, les thérapeutes en lymphœdème doivent s’appuyer sur une évaluation physique pour déterminer l’étendue du LTC. L’échelle révisée de l’œdème de Patterson est indiquée pour les professionnels formés qui utilisent régulièrement l’endoscopie pour évaluer les patients atteints de LTC afin de déterminer le degré d’œdème laryngé et pharyngé.11

Une fois l’évaluation réalisée, le thérapeute en lymphœdème peut déterminer le stade de la maladie à l’aide de l’échelle d’évaluation du lymphœdème de la tête et du cou du M.D. Anderson Cancer Center (MDACC), qui a été adaptée de l’échelle d’évaluation du lymphœdème de Foldi.12 L’échelle se divise en 5 niveaux : a) 0 = pas d’œdème visible, mais le patient signale une lourdeur  ;

b) 1a = présence d’un œdème visible mou sans godet (réversible)  ; c) 1b = présence d’un œdème mou avec godet (réversible)  ; d) 2 = présence d’un œdème ferme avec godet, sans œdème réversible et sans altération des tissus  ; e) 3 = présence d’un œdème irréversible et d’une altération des tissus.

En plus de déterminer le stade du lymphœdème, le thérapeute dresse une liste des besoins de réadaptation identifiés, afin d’établir un plan de traitement personnalisé. De plus amples informations sur la prise en charge du lymphœdème de la tête et du cou seront abordées dans un prochain article.

En conclusion, le traitement du LTC entraîne des séquelles post-traitement, notamment un lymphœdème, qui peut s’aggraver et dont la prise en charge constitue un défi de taille pour les patients et les cliniciens. Malheureusement, le LTC est encore peu étudié et documenté. Cet article résume le protocole d’évaluation appliqué à la Clinique du lymphœdème du CUSM pour les patients atteints du LTC. Notre première expérience du recours à une évaluation objective et à un protocole de traitement est prometteuse pour mieux comprendre le LTC chez les patients traités pour un CTC.

Remerciements : Je tiens à exprimer toute ma reconnaissance à Marie-Eve Letellier et Angela Yung pour leur contribution à cet article et pour leur fidèle soutien. Je remercie tout particulièrement nos patients atteints de lymphœdème tête et cou que nous accompagnons dans leurs efforts pour améliorer leur qualité de vie dans la prise en charge du LTC.

Marize Ibrahim Msc, PT, CLT-LANA est une thérapeute en lymphœdème exerçant à la Clinique de lymphœdème du Centre universitaire de santé McGill avec Dre Towers et son équipe multidisciplinaire. Elle est une spécialiste clinique certifiée en oncologie par le Conseil canadien de certification des spécialités en physiothérapie.

TABLEAU 1

Échelle d’évaluation du lymphœdème de la tête et du cou du MDACC

NIVEAU DESCRIPTION

0 Pas d’œdème visible, mais le patient signale une lourdeur.

1a Présence d’un œdème visible mou ; sans godet, réversible.

1b Présence d’un œdème mou avec godet, réversible.

2 Présence d’un œdème ferme avec godet ; non réversible ; sans altération des tissus.

3 Présence d’un œdème irréversible ; altération des tissus.

Référence : Smith, B. G. (2019). Lymphedema in Head and Neck Cancer. In Clinical Care and Rehabilitation in Head and Neck Cancer (pp. 377-396). Springer, Cham.

Références

1 WHO Expert Committee on the Selection, Use of Essential Medicines, & World Health Organization. (2014). The Selection and Use of Essential Medicines: Report of the WHO Expert Committee, 2013 (including the 18th WHO Model List of Essential Medicines and the 4th WHO Model List of Essential Medicines for Children) (Vol. 985). World Health Organization.

2. Canadian Cancer Statistics Advisory Committee in collaboration with the Canadian Cancer Society, S.C.a.t.P.H.A.o.C. Canadian Cancer Statistics 2021. Toronto, ON: Canadian Cancer Society (2021).

3. Kreimer, A, Clifford G, Boyle P, Franceschi S. Human papillomavirus types in head and neck squamous cell carcinomas worldwide: A systematic review. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev 2005, 14:467-475

4. Jeans, C., Brown, B., Ward, E. C., Vertigan, A. E., Pigott, A. E., Nixon, J. L., & Wratten, C. (2020). Comparing the prevalence, location, and severity of head and neck lymphedema after postoperative radiotherapy for oral cavity cancers and definitive chemoradiotherapy for oropharyngeal, laryngeal, and hypopharyngeal cancers. Head & neck, 42(11), 3364-3374.

5. Pfister, D. G., Spencer, S., Adelstein, D., Adkins, D., Anzai, Y., Brizel, D. M., ... & Darlow, S. D. (2020). Head and neck cancers, version 2.2020, NCCN clinical practice guidelines in oncology. Journal of the National Comprehensive Cancer Network, 18(7), 873-898.

6. Jeans, C., Brown, B., Ward, E.C. & Vertigan, A.E. Lymphoedema after head and neck cancer treatment: an overview for clinical practice. British journal of community nursing 26, S24-S29 (2021).

7. Cohen, E. E., LaMonte, S. J., Erb, N. L., Beckman, K. L., Sadeghi, N., Hutcheson, K. A., ... & Pratt Chapman, M. L. (2016). American Cancer Society head and neck cancer survivorship care guideline. CA: a cancer journal for clinicians, 66(3), 203-239.

8. Anand, A., et coll. Secondary lymphedema after head and neck cancer therapy: a review. Lymphology 51, 109-118 (2018).

9. Deng, J., et coll. Prevalence of secondary lymphedema in patients with head and neck cancer. Journal of pain and symptom management 43, 244-252 (2012).

10. Smith, B. G., Hutcheson, K. A., Little, L. G., Skoracki, R. J., Rosenthal, D. I., Lai, S. Y., & Lewin, J. S. (2015). Lymphedema outcomes in patients with head and neck cancer. Otolaryngology–Head and Neck Surgery, 152(2), 284-291.

11. Starmer, H. M., Drinnan, M., Bhabra, M., Watson, L. J., & Patterson, J. (2021). Development and reliability of the revised Patterson Edema Scale. Clinical Otolaryngology, 46(4), 752-757.

12. Smith, B. G., & Lewin, J. S. (2010). The role of lymphedema management in head and neck cancer. Current opinion in otolaryngology & head and neck surgery, 18(3), 153.

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