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Paysans de montagne
Comment offrir et demander du soutien ?
Être paysan de montagne ? Un rêve pour certains, un cauchemar pour d’autres… Ceux qui en rêvent imaginent une ferme de taille humaine, familiale, avec son petit lot de vaches rustiques, d’ânes à l’épaisse fourrure, de chevaux agiles, d’antiques chèvres, d’abeilles butinant les fleurs sauvages, de moutons d’anciennes variétés presque disparues, de poules endurcies au froid ou même de curieux alpagas, dans un décor de carte postale, de sommets scintillants et d’air pur, avec en prime la liberté des grands espaces et la convivialité des fêtes de village. Ceux qui en cauchemardent voient les durs terrains en pente à faucher, la neige qui surprend au milieu des récoltes, le bétail qui s’abime dans les escarpements du terrain, le gel qui décime les pousses, le renard qui gobe les poules et le loup qui croque les moutons. Quel que soit notre imaginaire, la difficulté d’être cultivateur ou éleveur en altitude est bien une réalité.
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Le programme d’entraide de CaritasMontagnards est né de cette prise de conscience : il faut soutenir ces agriculteurs en leur apportant des bras supplémentaires, ceux de bénévoles solidaires curieux de découvrir ce qui se cache derrière la viande qu’ils achètent au supermarché. Ce programme existe en Suisse depuis plus de quarante ans. Il a été créé suite à de violentes intempéries qui ont eu lieu en Suisse allemande. L’ampleur des dégâts avait alors déclenché un véritable élan de solidarité envers les populations paysannes de montagne. Cette météo destructrice avait mis en évidence le fait que les agriculteurs montagnards ont souvent besoin d’aide et qu’ils doivent composer avec les sécheresses, les coups de froid, tous les aléas climatiques qui engendrent d’importants dégâts, des coûts additionnels difficiles à supporter et un surplus de besogne pour des exploitants déjà saturés. Le travail agricole est plus difficile en montagne, car on peut moins utiliser de machines sur les terrains en pente, et on a donc plus besoin de main d’œuvre. Comme l’explique Jessica Pillet, chargée de projets Caritas-Montagnards, la population paysanne de montagne est vieillissante, souvent isolée, et elle a moins de revenu que celle des plaines.
Caritas, qui a comme mission de lutter contre la pauvreté et de favoriser le lien social, a mis en évidence les besoins de cette population-là et a réalisé des actions très concrètes pour l’aider. L’idée simple et efficace du programme Caritas-Montagnards est de mettre en contact des fermiers débordés avec des bénévoles désireux de les soulager. Pour pouvoir s’inscrire, les fermiers doivent travailler en montagne et avoir leur revenu principal dans l’agriculture, même s’ils ont une activité annexe. Certains s’occupent de vaches sur l’alpage, d’autres cultivent des fruits et légumes bio, d’autres encore élèvent des moutons. Seules les familles qui n’ont pas les moyens d’engager un ouvrier agricole sont aidées, car les finances de Caritas, qui ne fonctionne qu’avec des dons privés ou institutionnels, sont limitées. Le soutien est aussi accordé pour des périodes ponctuelles de surcharge de travail, comme par exemple en été lorsque se cumulent la montée à l’alpage, les foins et le travail à la ferme, ou lorsque des travaux de rénovation ou de construction doivent être réalisés. Mais l’aide peut aussi être nécessaire lorsque la famille paysanne vit une situation de crise, comme une maladie, un accident ou même une grossesse, qui peuvent apporter des difficultés supplémentaires même
Durs travaux sur les chemins - photo Caritas Suisse
lorsqu’il s’agit d’événements heureux. Les journées de labeur sont déjà si longues en temps normal ! Les heures ne sont pas extensibles et les corvées paraissent quelquefois sans fin ; la situation est souvent déjà saturée, sans aucune marge de manœuvre. Il suffit parfois qu’une seule tâche se rajoute pour que cela devienne trop lourd à gérer sans aide extérieure et que la famille se retrouve en difficulté, épuisée, avec les risques d’accidents et de burn-out que cela comporte. Avoir des bras supplémentaires, ça aide vraiment ! De plus en plus d’exploitants font appel à ce système d’échange : travail contre gîte et couvert. Le Valais est le canton qui compte le plus de demandes pour la Suisse romande. En 2021, le maximum de 123 familles bénéficiaires a été atteint pour toute la Suisse : un grand succès, qui prouve que l’idée répond à un réel besoin. Alors si vous êtes paysan de montagne, que vous vous sentez surchargé et que vous avez envie de partager une belle rencontre, n’hésitez pas à vous inscrire sur le site de Caritas www. montagnards.ch ou à téléphoner au 021 311 11 25, pour vous inscrire comme lieu pouvant accueillir des bénévoles.
Qui sont les bénévoles ?
Chaque année, des centaines de personnes se mettent au vert pour aider gratuitement au travail de la ferme. La plupart d’entre eux sont des citadins qui viennent de grandes villes comme Genève, Lausanne ou Neuchâtel : ils veulent découvrir une autre réalité ou se libérer l’esprit par le travail de la terre et l’effort physique. Certains souhaitent comprendre ce qu’il y a derrière un litre de lait ou un kilo de farine, savoir d’où viennent les produits qu’ils consomment, connaitre l’histoire de ce qu’ils mangent. Leur motivation peut aussi être de s’immerger complètement dans un milieu très différent du leur en vivant avec une famille paysanne, de se dépayser au milieu de la beauté des cimes et des collines, ou encore de rendre service en donnant de leur temps, de créer quelque chose de leurs mains lassées d’effleurer toute la journée les touches des claviers d’ordinateur. Les raisons qui poussent à offrir des heures et de la sueur sont ainsi variées et multiples. Un tiers des personnes sont des actifs qui prennent une semaine de vacances pour s’engager : ce sont souvent des employés de bureau dont le but, outre le dépaysement, est de faire acte de solidarité. C’est généreux, car le travail à la ferme n’est pas de tout repos ! Un autre tiers sont des étudiants de 18 à 30 ans, parfois en fin d’étude ou en reconversion professionnelle. Le dernier tiers, enfin, est composé de préretraités, ou de retraités encore en forme, qui ont envie de se rendre utiles et de rester actifs. Il arrive que des agriculteurs à la retraite s’engagent, pour la plus grande joie des familles qui les accueillent, car leurs compétences sont précieuses ! Les bénévoles doivent en principe être âgés de 18 à 70 ans, mais quel que soit leur âge, il faut qu’ils disposent d’une bonne condition physique car les tâches sont ardues, exigeantes, et les terrains sont pentus et difficiles. Il arrive que l’engagé volontaire réalise, un peu tard, qu’il avait sous-estimé la difficulté du travail et que son physique ne suit malheureusement pas. Mais pas d’inquiétude ! Le dialogue sur place est constant pour ajuster les besoins de la famille aux compétences de l’invité, et pour établir quelles tâches et combien d’heures de travail par jour sont possibles. L’échange est permanent sur les capacités réelles de celui qui est venu aider. En principe, il travaille avec l’exploitant toute la journée, pour une période minimale d’une semaine. Il n’y a pas de maximum, et certaines collaborations durent plusieurs mois… Il y a eu énormément d’engagements de bénévoles auprès des montagnards pendant la période covid, car cette démarche répondait au besoin de retour aux sources que beaucoup de gens ont ressenti lorsqu’ils ont été stoppés net dans leurs activités habituelles à cause de l’épidémie. L’entraide avec les paysans de montagne est dans l’air du temps, car l’envie se développe de consommer local, de connaitre la provenance de ce qu’on achète, de partager, de créer des ponts et d’établir des liens, ou de rassembler ce qui était séparé.
90% de satisfaction des deux côtés
Un questionnaire est envoyé à chaque participant à la fin de sa période de travail, et à chaque famille bénéficiaire à la fin de l’année : ce qui en ressort des deux côtés,
À l’alpage - photo Caritas Suisse

c’est le plaisir d’avoir découvert et partagé la réalité de l’autre. Certains paysans, seuls sur l’alpage depuis quatre mois, ont été heureux de sortir un peu de leur isolement grâce à ces rencontres. Des agriculteurs accablés ont vu leur fardeau s’alléger: ils ont pu libérer un peu de temps pour d’autres projets ou simplement pour se détendre un peu plus le soir. Les bénévoles se sont sentis utiles et ont beaucoup appris. Souvent, de belles amitiés se sont créées, car tous ont vécu ensemble quelque chose d’intense sur un temps assez court, en partageant les joies comme les obstacles, de l’aurore au crépuscule, et en participant à un effort commun dont les fruits sont visibles. Les liens ainsi tissés par le travail en commun et la vie du foyer partagée sont parfois durables et profonds. Il n’est pas rare que quelqu’un revienne dans la même ferme l’année suivante pour aider aux foins ou aux clôtures, même en dehors de tout engagement auprès de Caritas.
Comment devenir bénévole ?
Le site de Caritas-Montagnards est facile à utiliser. En quelques clics, vous trouverez une ferme qui proposera des tâches adaptées à vos souhaits et à vos capacités, dans la région qui vous convient. Actuellement, 57 offres sont disponibles pour cet été. Pour trouver l’exploitation agricole de vos rêves, commencez par sélectionner les dates et le canton souhaités, ainsi que la langue parlée par vos hôtes, puis choisissez parmi la liste des travaux proposés : travaux en forêt, garde d’enfants, construction, jardinage, entretien des pâturages ou des clôtures, soin aux animaux, défrichage, ménage… ou encore faire les foins. Le travail dépend bien sûr de la saison et de la météo. Certains SOS sont mis en avant sur le site, lorsqu’il s’agit d’une demande urgente. Une carte très pratique vous permet de visualiser d’un seul coup d’œil les besoins des agriculteurs inscrits dans toute la Suisse. En sélectionnant le Valais, on découvre huit fermes qui demandent de l’aide, dont un SOS. Il suffit de cliquer sur le lieu choisi pour trouver le descriptif de l’engagement montagnard de la ferme, des photos, une présentation de la famille et une explication des tâches pour lesquelles l’aide est demandée. Par exemple, à Mollens près de Sierre, un jeune couple de trentenaires s’occupe d’une petite exploitation biologique de montagne : ils élèvent des moutons, des chèvres et des alpagas, fabriquent du miel, proposent de la viande d’agneau, du poulet et des œufs, font de la vente directe de leurs produits fermiers et pratiquent avec passion la fabrication de couteaux à la forge. Surchargés par un fâcheux concours de circonstances, ces jeunes agriculteurs demandent du soutien cet été pour défricher, faire les foins, couper du bois, aider aux écuries et à l’agriculture, entretenir les parcs des animaux … Ils offriront au bénévole une chambre individuelle, et les repas seront pris en commun. Alors n’attendez pas, de nombreuses familles ont besoin de vous ! Si vous êtes curieux de découvrir de l’intérieur la vie d’un paysan de montagne, que vous avez un peu de temps à offrir et que vous n’avez pas peur du labeur, venez participer au programme de Caritas-Montagnards ! La prise de contact est simple grâce au site, et chacun pourra définir plus précisément ses attentes avant l’engagement. Vous pouvez vous inscrire dans plusieurs lieux différents si vous disposez de plusieurs semaines, et il est même possible de s’inscrire à plusieurs dans un même lieu, pour autant que cela réponde aux besoins sur place.
Et en Anniviers ?
Pour le moment, aucune ferme n’a demandé de soutien en Anniviers. Mais il n’en a pas toujours été ainsi : Sophie et Stéphane Jaccard, qui produisent du fromage de brebis en biodynamie ainsi que des légumes et des œufs aux Barmes, ont fait appel à Caritas-Montagnards par le passé. Dans l’émission de la RTS Passe-moi les jumelles du 6 novembre 2020, Stéphane explique ce qui les a poussés à demander du soutien : « On avait pris un alpage. On avait à l’époque 23 brebis. Je venais d’arrêter de travailler, je n’avais pas encore un rythme d’indépendant. J’avais peur de manquer d’argent, alors je me disais : il faut du lait, il faut de la viande pour avoir des rentrées d’argent. J’avais vu trop grand et je suis arrivé à l’épuisement. C’est comme ça qu’on a fait appel aux premiers bénévoles. […] L’année passée, on n’a pas pris de bénévole, mais cette année c’était impossible que je fasse tout seul. Il y avait Thomas qui était disponible cinq mois: un cadeau ! Il sait tout faire, il m’a déjà réparé une remorque… » Un deuxième aide est venu s’ajouter, comme Sophie s’en réjouit: « Andréas était censé venir pour deux semaines. La première chose qu’il a dit en arrivant c’est : « Dommage, je serais bien resté, mais on ne pouvait pas s’inscrire plus longtemps. » Alors on lui a dit : « Mais si tu veux, tu peux rester plus longtemps ! » Il a prolongé son séjour jusqu’à la fin du mois de juin. Il est resté six semaines en tout. C’était vraiment deux cadeaux du ciel. Ils sont arrivés au moment opportun.» De son côté, Andréas, qui est consultant en immobilier à Zürich, décrit ce qui l’a motivé à participer comme bénévole au programme : « Je suis revenu d’un voyage et j’étais dans un appartement en Argovie près de l’autoroute. J’étais en confinement depuis quatorze jours. J’ai alors entendu que des fermiers avaient besoin de personnes et j’ai pensé que c’était une bonne idée de voir comment fonctionnaient les fermiers en Suisse. »
Des bras supplémentaires pour les foins - photo Caritas Suisse Pauline Archambault
Agriculteurs et bénévoles d’Anniviers, osez l’aventure ! www.montagnards.ch 021 311 11 25
