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Cent ans de vertige
patrimoine
Cent ans
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de vertige
Plus de cent ans que le pont suspendu de Niouc fait l’objet de discussions, de réunions, de débats, de visions locales, de projets, d’abandon et de résurrection ! Au plat de Niouc, au bord des falaises, certains ont imaginé construire un pont suspendu, au début du XXème siècle. De la folie pourrait-on penser… mais non, juste une exigence pour pouvoir enfin arroser correctement le plateau de Briey sur l’autre rive de la Navizence. Briey, si joliment situé mais si sec. Et comme l’usine Alusuisse a engendré des nuisances dans le sol, l’air et l’eau dès le début de sa mise en service à Chippis en 1908, les habitants ont cherché des solutions pour pouvoir cultiver, élever du bétail et arroser hors de la pollution industrielle. Les nombreux chamois présents dans la région du pont suspendu ont eu de quoi se distraire au cours du temps !
Malsain en bas, pur un peu plus haut
C’est ainsi qu’a germé le projet du pont suspendu de Niouc. Puisqu’en bas, on constatait des maladies sur les gens, le bétail et les cultures, il fallait trouver une astuce pour s’en sortir. Les habitants de Chippis possédaient des biens sur le plateau de Briey (prononcer « brie »). Ils ont cherché à améliorer leur qualité de vie sur ces jolis replats situés un peu plus haut que le village. Mais l’eau ? Voilà le nœud du problème, l’eau ne venait pas naturellement jusqu’à Briey, puisque le bisse dit des Sarrasins n’avait plus été mis en service. Il a fallu mettre en œuvre des réflexions approfondies pour pouvoir arroser les cultures et obtenir une récolte suffisante. Effectivement, la population de Chippis a eu raison : grâce à l’eau amenée par le pont suspendu, les jardins ont été généreux, les prés fertiles, l’air bien meilleur à respirer là-haut à Briey.
De l’eau du bisse des Sarrasins
Il semble que vers 1415, les habitants d’alors (les Sarrasins ?) ont construit le bisse du même nom, qui prenait l’eau au torrent de Pinsec et l’amenait jusqu’à Briey. Or, vers l’an 1720, (ou était-ce en 1832 ? selon d’autres documents), lors de la journée printanière de corvée pour remettre le bisse en état après les intempéries de l’hiver, plusieurs travailleurs, dans un épouvantable fracas, ont été précipités dans le vide aux falaises de Croujà. Ce jour est resté marqué dans les mémoires comme celui du « grand malheur » car l’accident a
causé plusieurs victimes. Dès lors, ce bisse a été abandonné, le plateau de Briey s’est asséché et en a souffert.
Au pont suspendu de Niouc
Puis l’industrialisation s’est installée à Chippis, en 1908. La centrale hydroélectrique du lieu a utilisé les eaux de la Navizence pour le bon fonctionnement de l’usine Alusuisse. Malheureusement, des dommages collatéraux importants sont apparus, les émanations de l’usine ont causé maladies et mauvaises récoltes. L’idée de la construction d’un pont suspendu entre les deux falaises du plat de Niouc a pris naissance. On pouvait ainsi capter une partie de l’eau utilisée par l’usine et provenant des canalisations de la Navizence passant un peu plus haut, au « château d’eau », à la fenêtre dix-huit. L’eau traverserait l’à-pic par le pont suspendu et coulerait ensuite sur l’autre versant jusqu’à Briey.
Cet important projet, rendu difficile par les contraintes techniques, a pu être mené à terme. Il est entré en activité en 1922, après quelques années de tergiversations, puisque la première mouture proposée par le Consortage du Bisse-siphon de Briey date de 1913. En plus de l’eau, le pont permettait le passage des chèvres et de leurs gardiens, à l’affût d’une herbe plus verte de l’autre côté. Cent ans que le pont suspendu tient en l’air et résiste aux vicissitudes de toutes sortes. Il donne la mesure de l’importance capitale de cet élément qui nous est vital à tous : l’eau.
Entrée en scène des Compagnons de la Navizence
Il fallait bien marquer le centenaire de cette entreprise extraordinaire ! La troupe théâtrale va nous faire vivre cette aventure, à sa façon. Surprise et inattendu tiendront le public en haleine, sur les lieux même de cette histoire, au couvert de Niouc. Passer une soirée en plein air, se laisser bercer par le bruissement du vent et le spectacle des Compagnons écrit et mis en scène par Cédric Jossen, entrer dans une ambiance hors du temps, boire et manger sur place, qui dit mieux ?
«Faut-il parler kalmuk au pont de Niouc»? C’est le message qui nous sera transmis par les acteurs lors des douze représentations prévues du 21.07 au 13.08 les jeudis, vendredis et samedis en soirée.
L’Association des amis du pont suspendu
Des documents d’époque très intéressants peuvent être consultés sur le site de l’Association des amis du pont suspendu. L’historique de la construction, du projet à sa réalisation, donne une véritable idée de l’importance de ce site et de l’ampleur du projet pour l’époque. Le Consortage du bisse de Briey, gérant de l’installation, a passé le relais à Claude Forclaz en 1981, pour le prix symbolique d’un franc et l’Association des amis du pont suspendu l’a racheté en 1988 pour le montant tout aussi symbolique de deux francs ! Cette Association très dynamique se donne beaucoup de peine pour rendre la zone accueillante et chaleureuse.
Le fun d’aujourd’hui
Le temps a passé, les cultures de Briey sont bien irriguées. Alors que faire de ce pont? Il a presque été abandonné, est demeuré visible, à distance, car plus du tout sécurisé. Pendant cette longue traversée du désert, des vieilles planches du pont rongées par le temps ont subi leur premier saut sans élastique… Dans ces années-là, on a même aperçu des personnes bravant l’interdit et jetant des pierres depuis le milieu du pont, pour le seul plaisir d’entendre leur violent atterrissage quelques secondes plus tard dans la Navizence tout en bas. Des risques interdits pris sans élastique de rattrapage…
Et puis l’ère des jeux de plein air a sonné, la mode a pris son envol, un passionné, Manfred Wenger, l’a retapé et a mis en place la première installation de saut à l’élastique. Les gérants d’aujourd’hui, deux membres de la société Eurobungy, continuent à l’animer avec plusieurs propositions aussi fun les unes que les autres. Les panneaux didactiques sont bien faits, le site demeure très attractif avec une place de jeux pour enfants et une buvette entre autres. Les plus sportifs trouveront leur compte en grimpant la via ferrata. Le pont rencontre un beau succès, il est connu loin à la ronde et pas seulement par les amoureux de sensations fortes, mais aussi par les admirateurs de ce site exceptionnel.
Cent ans de vertige n’ont découragé ni les téméraires, qui ont fait œuvre utile pour amener l’eau là où la survie en dépendait, ni leurs successeurs, qui leur rendent hommage en se faisant peur et en s’amusant. Allons fêter tout ça cet été au pont suspendu de Niouc, parfois appelé aussi pont de l’Araignée. Le spectacle est attrayant et le vertige pourra se vivre en vrai ou à distance. Heureusement ! Et les chamois en ont vu d’autres…
Simone Salamin
www.pontsuspendu.ch
Association des Amis du pont suspendu de Niouc, Rue des Longs Prés 40, 3960 Sierre
www.bungyniouc.com

