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Eternel vin du Glacier

patrimoine

Une légende raconte qu’à une époque très lointaine, deux vieilles filles sœurs de sang, avaient jalousement caché un fût plein de vin blanc dans une cave abandonnée de leur village du val d’Anniviers, de peur d’en manquer dans l’année. Le tonneau fut retrouvé par hasard quelque 20 ans après leur décès. Le résidu du breuvage qui stagnait au fond du vieux tonneau a été goûté et apprécié. On dit que c’est ainsi que naquit la recette magique du vin du Glacier.

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Le vin du Glacier est rare et mythique. Il est né de la rèze, un cépage ancien et merveilleux, de la senteur résinée du mélèze, d’un mélange de millésimes et grâce aux remuages des Anniviards entre vallée et plaine. Le vin du Glacier c’est comme une passerelle des sens, il relie le passé, le présent et le futur.

Afin d’être authentifié comme vin du Glacier, ce dernier doit avoir au minimum 15 ans d’âge. Comme il imprègne le palais plus fortement qu’un vin classique, son vieillissement est essentiel. Il doit aussi mûrir et vieillir à une altitude de plus de 1200 mètres. La rèze est le cépage alpin par excellence.

Le vin du Glacier ne laisse pas indifférent, soit on l’adore soit on le déteste. Il évoque d’autres vins comme le retsina, inventé par les Grecs il y a près de 4000 ans, dans lequel est rajouté au cours de la fermentation de la résine de pin. Le Glacier fait aussi penser à du tokay de Hongrie, à du vin jaune du Jura ou à du xérès d’Andalousie. Il est oxydatif avec des notes naturelles de résine ou de fleurs de sureau. En 1313, le nom Régy (Rèze) est inscrit dans le Registre d’Anniviers avec les cépages de l’humagne et du neyrun. C’est le document initial qui fait état des premiers cépages cultivés en Valais. C’est aussi l’époque pendant laquelle les montagnards d’Anniviers ont acquis des vignobles et des terres dans la région de Sierre pour compléter leur agriculture de montagne.

Suite à la propagation du phylloxéra au début du XXe siècle, le cépage avait pratiquement disparu des vignobles valaisans. Par bonheur, il a pu être replanté grâce à José Vouillamoz et à Michel Grisard qui découvrent en 2008 quelques vieilles treilles de rèze en Savoie. A la même époque, Gaël Delorme déniche quelques plants dans le Jura français. Depuis, les Bourgeoisies et certains vignerons cultivent à nouveau la rèze pour assurer l’immortalité du cépage et faire perdurer ce vin traditionnel. Dernier témoin de la viticulture valaisanne ancestrale, l’appellation anniviarde de vin du Glacier est protégée depuis 2005.

La rèze est un cépage au goût prononcé et âpre si bien que certains vignerons mélangent parfois leur vin du Glacier avec de l’Ermitage, de la Malvoisie ou un autre cépage afin de l’adoucir. Il est aussi possible d’alléger son acidité en compensant le liquide évaporé ou bu, au fur et à mesure que le niveau du tonneau baisse. Pour cela il faut ajouter du vin nouveau, issu du même cépage. Pour éviter un rajeunissement important du vin, il est essentiel de ne pas tirer trop de vin du tonneau dans l’année.

Les raisins de la rèze mûrissent sur les coteaux ensoleillés de Sierre. Lors des vendanges, les fruits sont vinifiés par cuvage de grains entiers. Dès que le contenu des bassines de raisins a fermenté, le liquide est entonné dans des fûts en mélèze pour

Sculpture de Bacchus Maurice Viaccoz de Grimentz 1995

reposer tout l’hiver dans les caves de Sierre. Le printemps suivant la vendange, le vin récent s’ajoute à l’ancien pour combler l’évaporation, imbiber le vin nouveau de saveur ancienne et maintenir le tonneau plein. Grâce au processus de vieillissement en altitude, au transvasage et au mélange de millésimes, la tradition se perpétue.

Après la fin des travaux agricoles en plaine et avant de remonter s’installer pendant de longs mois dans les villages d’Anniviers, les familles constituent des réserves de nourriture et de vin. Les chemins entre la plaine du Rhône et les villages sont souvent bloqués par des chutes de neige ou par des éboulements. Les villageois-vignerons circulent à pied avec leurs chars chargés de marchandises tirés par des mulets. Parmi tout leur barda, ils transportent aussi des barrâ en bois de mélèze débordant de vin doré. A peine arrivé dans les villages, le précieux liquide est mis à vieillir dans les caves d’altitude, tout là-haut au pied des glaciers, d’où son joli nom, le vin du Glacier. Le mode de vie du remuage prend fin dans les années 1950 après la construction de la route carrossable. Les Anniviards et leur vin continuent à circuler entre plaine et montagne grâce à l’apparition des premiers véhicules à moteur.

Conservé avec fierté et grand soin dans les cave familiales et bourgeoisiales, le vin du Glacier est consommé avec parcimonie et respect, directement dans la fraîcheur d’une cave traditionnelle. La recette de nos ancêtres montre que ce vin ambré devient excellent s’il est mûri et conservé dans des tonneaux en bois de mélèze, parfumés qu’ils sont par la résine de cet arbre. Ce vin est destiné à la consommation familiale, il ne se vend pas. On l’offre à titre amical à des visiteurs, à ses amis. Il est aussi servi de manière rituelle lors d’événements festifs comme les baptêmes, les mariages ou les enterrements. Depuis 1799, les Bourgeoisies le distribuent à ceux qui participent aux assemblées annuelles lors des Rogations. Ce vin d’honneur est alors transvasé depuis les tonneaux de la cave bourgeoisiale dans des channes en étain avant d’être versé dans des coupes en bois pour être servi aux bourgeois.

Le 12 avril 1970, du vin du Glacier est gracieusement offert à la population lorsque plus de 70 % du Valais accepte le suffrage féminin, un an exactement avant la votation fédérale de février 1971. Avec cette votation historique, le vieux pays devient avant-gardiste et un futur progressiste se profile au cœur d’un territoire à l’origine conservateur et catholique.

Ce vin est heureusement toujours à l’honneur dans la vallée. Bu en apéritif, il s’accorde très bien avec du vieux fromage. De nos jours, des familles anniviardes perpétuent avec attachement une ancienne tradition, celle d’offrir des rebibes de vieux fromage avec un verre de vin du Glacier lors de la cérémonie de son propre enterrement.

Le goûter et l’apprécier, c’est honorer la vie courageuse de nos ancêtres qui le transportaient sur de longues distances par des chemins pentus, caillouteux et dangereux. Fortement lié à l’identité et à l’histoire du val d’Anniviers depuis la nuit des temps, son caractère est unique et authentique. Un tel nectar mérite d’être cultivé, protégé et mis en valeur car il est la fierté et le témoin exceptionnel du patrimoine anniviard. Sa durée de vie est légendaire. Au fond des caves des villages et de certains mayens d’Anniviers, des tonneaux sommeillent et veillent depuis des centaines d’années sur ce breuvage divin.

Le vin du Glacier est mentionné dans un livre qui traite de vins rares ou disparus. D’autre part, entre 2019 et 2021, un relevé des caves avec un contrôle de qualité est effectué par des spécialistes. 148 tonneaux de vin du Glacier sont recensés dans les villages du val d’Anniviers. Un petit livre, fruit de ce travail est édité : Vin du Glacier de D. Fornage, A. Zuber & C. Zufferey Editions Monographic, Sierre 2021. De nos jours il est rare de trouver des tonneliers en Valais. J’ai commandé mes fûts en mélèze à la Tonnellerie Hüsler à Saint-Légier dans le canton de Vaud. Leur qualité est excellente et leurs douelles sont épaisses.

Vigne familiale à La Combettaz - Petit Lac de Géronde à Sierre

images & texte : Dominique©Epiney Regolatti

SOURCES • https://bib.rero.ch/vs & https:// www.e-newspaperarchives.ch/ 2022 • Vignes et vins du Valais - La Route du Vignoble - brochure éditée par l’OPAV non datée • Valais du Vin - brochure éditée par l’OPAV non datée • Cépages suisses - José Vouillamoz - Lausanne - Editions Favre 2017 • Vin du Glacier - Fornage & Zuber & Zufferey - Editions Monographic - Sierre 2021 • Guide du Valais - Morand MarieClaude - Musées Cantonaux du Valais 2009 • Histoire de la Vigne et du Vin en Valais - Zufferey Anne-Dominique • Musée Valaisan Vigne & Vin - Infolio Vaud 2010

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