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LES MOUSQUETAIRES DU RAIL
Dans le cadre de son ambitieux projet de rénovation de 1000 trains TER qui doit s’étendre jusqu’en 2030, la SNCF a retenu quatre entreprises pour l’adhésivage des rames : des partenaires historiques du transporteur, tels que GSDI, DécoAder et Megamark, ainsi qu’un nouveau venu sur ce type de prestation, Oxy Signalétique. Revue des forces en présence, entre appel d’offre exigeant et contraintes techniques. Par Bertrand Genevi
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© SNCF
© Oxy Signalétique
Pour quadriller les régions françaises sous leurs plus beaux atours, les trains TER de la SNCF ont régulièrement besoin de nouveaux habillages. Deux raisons essentielles à cela : répondre au poids des ans et communiquer. « Les transports publics sont des voies de communication privilégiées pour les Régions, notamment quand elles changent d’étiquette politique », précise Marc Grancher, responsable Pôle Transports chez GSDI, leader européen du traitement des surfaces. Et un chantier massif de covering s’est présenté il y a quelques mois : la rénovation de quelque 1000 trains TER, d’ici 2030 ! L’enjeu est de taille pour la SNCF et les Régions, qui ont à cœur de prolonger la durée de vie des trains d’une dizaine d’années. Pour insuffler un coup de jeune aux véhicules, le pelliculage adhésif est privilégié. « La peinture a certaines limites. Pour un logo par exemple, cela oblige de passer par des pochoirs. Il est souvent plus simple et plus rapide de poser un film », abonde Pauline Louvion, chargée d’étude peinture et films adhésifs à la SNCF. Le projet titanesque de rénovation des TER, chiffré à des dizaines de millions d’euros et déployé sur l’ensemble du territoire français, va mobiliser l’intervention experte de plusieurs prestataires de pose d’adhésifs. Pour répondre à ce type de projet, l’improvisation n’a pas sa place. UN APPEL D’OFFRE EXIGEANT Un préalable existe avant d’être en mesure de répondre aux appels d’offre de la SNCF : l’obtention d’une qualification technique. Oxy Signalétique est passé par cette épreuve fin 2020. « Il s’agissait de désticker un train, réaliser des réparations de carrosserie et des reprises de peinture, puis resticker », dévoile Sébastien Trautmann, directeur général de l’entreprise d’Aubagne. Oxy fait figure de petit nouveau parmi les prestataires de pose retenus par la SNCF. Si l’imprimeur travaille pour le transporteur depuis une trentaine d’années, il fournissait, jusque-là, des stickers signalétiques. « C’est une forme de diversification pour nous. Quand on mobilise 30 personnes en 2x8 pour une pose sur des TER, c’est un projet très différent des petites étiquettes imprimées », admet le dirigeant. Au-delà d’Oxy Signalétique, trois autres prestataires sont en première ligne pour la mission de rénovation des TER. Des entreprises avec lesquelles la SNCF a pour habitude de travailler sur des projets de covering. Comme DécoAder. « Nous nous sommes orientés vers le ferroviaire dès 1988, avec la pose de films anti-graffiti pour la RATP. Ces films étaient initialement destinés à un autre usage, mais nous avons découvert leurs propriétés protectrices.
Cela a vite intéressé la SNCF », rappelle Cyril Chomcheff, responsable Transports Public au sein de l’entreprise francilienne. L’avènement de l’impression numérique, dans les années 1990, a marqué une grande étape dans la prise de pouvoir des films adhésifs. « Le numérique a permis d’imprimer des visuels en quadrichromie sur du Vinyle, explique Nicolas Napoli, Pdg de Megamark, quatrième mousquetaire de l’appel d’offre. La Coupe du monde de football 1998 constituait un test grandeur nature et notre aventure avec le rail a commencé à cette occasion, avec un covering du TGV Sony Playstation ». Quel que soit leur historique avec la SNCF, tous les prestataires de pose d’adhésifs ont passé des tests techniques similaires à ceux d’Oxy Signalétique pour être autorisés à répondre à l’appel d’offre TER. Marc Grancher, dont la société GSDI collabore avec la SNCF depuis une douzaine d’années, précise : « Quand les Régions auront déterminé leurs besoins dans le catalogue proposé par la SNCF, elles lanceront des consultations directement auprès des opérateurs ». Ces derniers n’ont, à date, pas encore été informés de la teneur précise
© DécoAder
des marchés subséquents - ce sera le cas dans les mois qui viennent. En attendant, les préparatifs commencent déjà du côté des fabricants de films adhésifs.
DES ADHÉSIFS SOUS CONTRAINTES Dans le covering ferroviaire, la question technique tourne essentiellement autour de deux sujets : la protection des véhicules et l’aérodynamisme. Il s’agit, d’une part, de préserver les trains des agressions répétées au fil des kilomètres (aléas climatiques, graffitis, rayures...) et, d’autre part, d’éviter toute vibration source d’insécurité pour les voyageurs. Les films adhésifs font donc l’objet d’importants investissements de R&D par les fabricants et sont soumis à l’approbation de la commission Films et Peintures de la SNCF. Le référencement auprès de l’institution passe par le respect de la norme NF F19-481, qui régit la fourniture des marques adhésives destinées aux trains. Parmi les critères étudiés : l’aspect, la capacité de dégraffitage ou la facilité de dépose des films. Cette norme historique du ferroviaire est en cours de réécriture et les échanges avec les four-
nisseurs de films sont réguliers à ce sujet. « Nous participons activement à la définition des normes du ferroviaire, actuelles comme futures. C’est un échange de savoir-faire et cela nous permet de répondre aux attentes des donneurs d’ordres », confirme Alain Carcat, technical sales support South Europe chez le fabricant Avery Dennison. Avery Dennison fait ainsi partie des marques d’adhésifs validées par la SNCF, au même titre qu’Hexis et 3M. La marque américaine accompagne la SNCF depuis plus de 30 ans. « Le marché ferroviaire français a démarré par une collaboration entre la SNCF et 3M à la fin des années 1980, rappelle Patrick Hiffler, key account manager Rail chez 3M. Avant cela, les adhésifs étaient surtout utilisés pour la décoration des vitrines. Nous nous sommes rendus compte que cela représentait aussi une alternative intéressante à la peinture sur les trains ». Le film 180 est, depuis toujours, le produit phare de 3M pour le covering ferroviaire. Il est complété par une lamination anti-graffiti sur surfaces planes (le film 8993) et une solution 3D pour les surfaces convexes et concaves, depuis l’année dernière (8588G). « NOUS PARTICIPONS ACTIVEMENT À LA DÉFINITION DES NORMES DU FERROVIAIRE, ACTUELLES COMME FUTURES »
Alain CARCAT, Avery Dennison
© Megamark
Référencé, quant à lui, depuis 2009 chez la SNCF, le fabricant français Hexis dispose de plusieurs films destinés aux trains. « Avec la gamme AG6000, nous proposons deux types de produits pour l’habillage des rames : des films teintés masse anti-graffiti et des films imprimables avec un pelliculage anti-graffiti », explique Franck Legay, business development manager chez Hexis. Pour la partie motrice des trains, plus sujette aux dégâts, Hexis a lancé, en 2015, un produit de protection additionnel : le BodyFence. Beau joueur, Alain Carcat reconnaît que, par la force des choses, le niveau d’exigence est comparable chez les trois marques d’adhésifs : « Nous répondons tous au même cahier des charges de la SNCF pour référencer nos produits. Alors, pour se différencier dans un appel d’offre, les films doivent apporter un bénéfice clair ».
LE CHOIX CORNÉLIEN DU FILM Une fabrication responsable peut constituer un avantage dans les appels d’offre. Hexis, qui conçoit tous ses films en France, dans ses usines de Frontignan (34) et Hagetmau (40), a obtenu la certification ISO 14001 en 2020. Et si la marque développe aujourd’hui des films sans PVC, Franck Legay s’interroge néanmoins sur la cohérence du marché en matière de films verts : « Un film PVC fabriqué à Frontignan a peut-être une meilleure empreinte environnementale qu’un film sans PVC fabriqué en Inde ». Chez Avery Dennison, les films, dont certaines références sans PVC, sont élaborés aux Pays-Bas et leur adhésivage réalisé en Belgique. Tandis que chez 3M, on note un récent changement de paradigme sur le marché ferroviaire français. « Cela fait quelques années que nous vendons des produits sans PVC, en Scandinavie notamment. Nous avions peu de demandes de ce genre sur le marché ferroviaire français jusqu’à récemment, mais les mentalités évoluent », explique Patrick Hiffler. Si une partie subjective intervient aussi dans le choix des films - certains poseurs pouvant avoir une marque favorite - les considérations économiques guident souvent les décisions. « La SNCF spécifie parfois explicitement la référence du film attendu. La différence va donc se faire sur le prix. La SNCF est un client très sensible sur les aspects économiques », indique Nicolas Napoli. « Quand les choses sont imposées par le client, nous respectons le cahier des charges. Si ce n’est pas le cas, nous conseillons le meilleur rapport qualité-prix », confirme Marc Grancher. « Il est souvent demandé, dans les appels d’offre, de répondre avec plusieurs sources d’approvisionnement. Nous nous adaptons suivant les dossiers, selon les capacités d’approvisionnement et les tarifs des uns et des autres », appuie Cyril Chomcheff. Une chose est sûre : qu’il s’agisse de films 3M, Avery Dennison ou Hexis, l’étape de la pose s’avère déterminante.
LA POSE, NERF DE LA GUERRE « Le management de la pose sur des volumes élevés et sur un temps restreint nécessite un gros effort », admet Franck Legay. En effet, la charge qui repose sur les épaules des poseurs est lourde. « Les transformateurs endossent parfois toutes les responsabilités : le pelliculage, mais aussi les réparations de carrosserie et les reprises de peinture. Enchaîner les différentes étapes jusqu’au rendu, dans un minimum de temps d’immobilisation, cela exige une organisation très bien rôdée », reconnaît Alain Carcat. Historiquement, certains technicentres de la SNCF procèdent eux-mêmes à la pose des films adhésifs. La tendance actuelle à la rénovation, plutôt qu’à la construction de trains, amplifie ce mouvement. Mais si les compétences de pose existent en interne à la SNCF, l’externalisation s’impose pour le marché des 1000 TER, car les volumes à traiter sont trop conséquents.
© Megamark
© Megamark
Sur des contrats imposants, la facilité de pose des films est donc un critère qui compte. « Sur les très gros marchés, comme celui des TER, tous les poseurs ne sont pas au même niveau de savoirfaire. Un film malléable et conformable permet de limiter l’impact des erreurs, le gâchis de matière et la perte de temps », précise Patrick Hiffler. Les trois marques d’adhésifs ont développé des systèmes d’aide à la pose, qui chassent les bulles et facilitent le repositionnement des films à l’application. Controltac (3M), Easy Apply (Avery Dennison) ou HEX’Press (Hexis) : la philosophie est sensiblement la même pour chaque technologie propriétaire. Pour faciliter la pose, les fabricants de films s’impliquent aussi dans la formation des techniciens. Hexis instruit 400 poseurs par an au sein de ses deux centres de Frontignan et de Lille. 3M et Avery Dennison possèdent eux aussi des lieux de formation sur le territoire français.
LA QUESTION DE LA SOUS-TRAITANCE Avant de procéder à la pose, les films doivent être transformés. Oxy Signalétique, avec une cinquantaine d’employés dédiés à la production, prend en charge l’impression des films en interne. Et si la sérigraphie se taillait jusqu’ici la part du lion, le travail réalisé pour la SNCF se fait depuis peu en impression numérique. Une technologie qui a convaincu DécoAder dès le début les années 1990. « Nous avons été parmi les premiers en France à s’équiper en matériel pour imprimer des adhésifs longue durée », confirme Cyril Chomcheff. La prise en charge de l’impression en interne est plus récente chez GSDI. L’entreprise, qui comptait sur des partenaires historiques dans le domaine, s’est équipée en solutions 100 % numériques il y a quatre ans. Une décision justifiée par une recherche de souplesse, sans sacrifice sur la qualité d’impression. Megamark s’inscrit dans un tout autre modèle que ses concurrents. L’entreprise de Montreuil ne possède pas d’unité de fabrication et sous-traite tous les travaux d’impression qui lui sont confiés depuis trois ans. « Nous avons eu une usine pendant 25 ans. Avoir une unité de production donne de la flexibilité, mais demande aussi de gros investissements pour ne pas devenir obsolète. Nous préférons investir dans le service client et dans le digital », précise Nicolas Napoli. Pour la pose, Megamark sous-traite également. L’entreprise monte des équipes ad hoc, formées aux besoins spécifiques de chaque projet par du personnel encadrant de Megamark. À l’inverse, DécoAder limite autant que possible le nombre de poseurs en sous-traitance. « Notre longue expérience du secteur ferroviaire nous permet de maîtriser tous les aspects opérationnels en interne, via 25 techniciens et des pilotes de projets. Les marchés SNCF sont tellement exigeants que nous préférons avoir la main », souligne Cyril Chomcheff. Oxy Signalétique, pour sa part, intègre quelques poseurs dans ses équipes, complétées par des sous-traitants, et réalise une préparation minutieuse. « Nous avons de nombreux ingénieurs intégrés pour réaliser des études, sélectionner les adhésifs, établir une méthode et préparer au mieux la pose », précise Sébastien Trautmann. Et si Megamark, DécoAder et Oxy Signalétique viennent du monde de l’imprimerie, GSDI se distingue par une activité orientée sur la pose depuis la création de l’entreprise. « Nous avons 140 techniciens en CDI, formés en interne et complètement intégrés. C’est un atout non négligeable dans la gestion des gros projets », estime Marc Grancher. Sous-traitance ou pas, pour les opérateurs chevronnés comme pour les nouveaux venus, la mission de rénovation des 1000 TER promet un train d’enfer.