7 minute read

Le marché du vélo est-il entre les mains des spéculateurs?

Qu’il s’agisse de cryptomonnaies ou des parts dans la prochaine start-up à succès, les investisseurs sont en permanence à la recherche de nouvelles opportunités sur le marché. De plus en plus souvent aussi, ils entrevoient des opportunités sur le marché du vélo. Avec quelles conséquences?

Mika Tuyaerts mika.tuyaerts@effectivemedia.be

Avec la pandémie de coronavirus, les problèmes de circulation dans le monde entier, la tendance vers une mobilité plus durable et l’émergence de nouvelles technologies (vélos électriques) et de nouveaux services (vélos partagés), le vélo est aujourd’hui plus populaire que jamais. Que ce soit un vélo de course ou un VTT pour le cycliste sportif, un vélo électrique pour le citadin ou un speed pédélec pour le navetteur, la demande en deux-roues se développe dans tous les segments de marché. Et tout cela alors que l’offre est en baisse, conséquence notamment de la crise sanitaire et des problèmes sur le marché des semi-conducteurs. Une demande importante et une offre limitée, cela provoque non seulement des délais d’attente allongés, mais aussi une hausse des prix. Ce qui, avec l’explosion du marché, suscite naturellement l’intérêt des investisseurs. Le dernier baromètre de la mobilité réalisé par le VAB nous permet de chiffrer la croissance du marché dans notre pays. Sur les 2.000 Flamands interrogés, 51% affirment utiliser aujourd’hui davantage le vélo qu’avant la crise sanitaire. Cela concerne de courtes distances, jusqu’à 2 kilomètres du domicile. Ces courts déplacements se font souvent pour des raisons pratiques, comme aller faire quelques courses ou déposer les enfants à l’école. On constate aussi cependant une forte hausse des trajets plus longs. Pour les trajets de 2 à 10 kilomètres, 48% des personnes interrogées affirment prendre plus facilement le vélo. Notamment pour les déplacements domicile-lieu de travail. Cette augmentation concerne toutes les catégories d’âge, mais elle est encore plus marquée chez les jeunes. 57% expliquent prendre davantage un vélo pour les trajets de moins de 2 km et 56% pour les trajets de moins de 10 km.

Tendance mondiale

Énormément d’argent circule dans le secteur du vélo. La chaîne américaine Rad Power a ainsi collecté l’an dernier en deux phases plus de 300 millions de dollars d’investissements, ce qui lui a notamment permis de tripler le nombre de ses magasins physiques en Amérique du Nord. Hallucinant! Le bureau d’études américain Facts and Factors prévoit déjà une croissance annuelle de quelque 14% jusqu’en 2028. Le marché du vélo connaît un essor inédit. KKR, l’un des plus grands fonds d’investissement au monde, a déposé 1,6 milliard d’euros en cash pour le fabricant de vélos néerlandais Accell, qui

Sur les 2.000 Flamands interrogés pour le baromètre de la mobilité du VAB, 51% affirment utiliser aujourd’hui davantage le vélo qu’avant la crise sanitaire.

Le bureau d’études américain Facts and Factors prévoit déjà une croissance annuelle de quelque 14% jusqu’en 2028. Le marché du vélo connaît un essor inédit.

Nous avons avec Cowboy une marque belge qui entend proposer des vélos électriques abordables. Une voie qui s’est avérée parsemée d’embûches l’an dernier.

Surtout connu pour ses activités d’importation automobile, D’Ieteren réunit ses activités liées aux deux-roues sous l’enseigne Lucien et a pour ambition de devenir la chaîne de magasins préférée des cyclistes en Belgique.

est coté en bourse. Cela équivaut à 58 euros par action, soit 26% de plus que le cours à la clôture le vendredi précédant la reprise. Un peu plus près de chez nous, le groupe néerlandais Pon, qui est notamment l’importateur des voitures du groupe Volkswagen chez nos voisins du nord, est en train de mettre en place un empire du vélo. Pon.Bike, propriétaire de la marque de vélos Gazelle, a ainsi racheté le fabricant américain Dorel Sports, qui produit notamment les vélos Cannondale et les emblématiques Schwinn. Avec cette reprise, la division vélos du groupe de mobilité Pon devient le plus grand fabricant de vélos au monde. Cette transaction s’élève à un peu plus de 700 millions d’euros. Pon développe cet empire du vélo depuis dix ans déjà. En 2012, l’entreprise familiale reprenait le fabricant néerlandais Gazelle. Plus tard, c’était au tour de Kalkhoff et Focus en Allemagne, Cervélo et Santa Cruz aux États-Unis, et puis Urban Arrow et BBB Cycling encore aux Pays-Bas. Le chiffre d’affaires de Pon.Bike s’élevait à 1,5 milliard d’euros. Auxquels il faut rajouter aujourd’hui 1 milliard d’euros avec la reprise de Dorel.

Le marché belge

En Belgique, l’évolution semble suivre la même voie. Nous avons par exemple avec Cowboy une marque belge qui entend proposer des vélos électriques abordables. Une voie qui s’est avérée parsemée d’embûches l’an dernier. En 2021, les pertes opérationnelles du fabricant de vélos ont doublé par rapport à l’année précédente, passant de 9,8 millions à 20,1 millions d’euros. Les pertes nettes s’élevaient à 23,4 millions d’euros, soit autant que les pertes de Cowboy au cours des cinq années précédentes. Par rapport à l’année antérieure, le chiffre d’affaires est resté stable à 16,1 millions d’euros. La cause de ces chiffres, ce sont les problèmes de production du nouveau modèle, le Cowboy C4, provoqués par la crise sanitaire. Celle-ci a entraîné une pénurie des pièces détachées et des difficultés logistiques. Cowboy prévoit que le retard de production pourra être rattrapé cette année. Les investisseurs continuent aussi de croire dans le produit: une campagne de financement participatif a permis de réunir plus de 3 millions d’euros et en 2021, les investisseurs privés ont libéré plus de 80 millions d’euros pour l’entreprise. Et donc, la crise ne mate pas le marché du vélo. Les grandes entreprises du pays l’ont aussi compris. La chaîne de magasins Colruyt a repris en 2019 la chaîne de magasins de vélos Fiets! et a rebaptisé la marque Bike Republic en 2021. Aujourd’hui, Bike Republic compte plus de 20 établissements en Belgique. Avec ce nouveau nom, Colruyt veut surtout s’étendre au sud de la frontière linguistique. Surtout connu pour ses activités d’importation automobile, D’Ieteren

Après les premiers gains, une nouvelle question émerge: le marché du vélo va-t-il pouvoir devenir une valeur établie avec différents sous-secteurs, comme c’est le cas aujourd’hui déjà de l’industrie automobile avec les sociétés de leasing, les entreprises de carrosserie et la nouvelle économie partagée?

réunit ses activités liées aux deuxroues sous l’enseigne Lucien et a pour ambition de devenir la chaîne de magasins préférée des cyclistes en Belgique. “Lucien est un prénom qui apparaît familier. Tout le monde connaît Lucien et tout le monde lui fait confiance. C’est précisément ce sentiment que nous voulons offrir aux clients en apprenant à les connaître mieux et en leur proposant un service fiable et de qualité. L’ancrage local et la proximité sont des principes fondamentaux de la marque”, a expliqué Karl Lechat lors du lancement de la marque.

“Notre activité vélos pourra compter sur des magasins dédiés, essentiellement en ville car c’est là que se situe la demande, avec des spécialistes connaissant le domaine. Nous voulons conseiller le client au niveau des solutions de financement, d’assurance, de maintenance et de reprises. Lucien sera toujours au service de ses clients afin qu’ils puissent profiter de leur vélo en toute sérénité”, concluait Karl Lechat, qui désire avoir dans les cinq ans une chaîne couvrant l’intégralité du pays, à commencer par les principales villes belges.

Familles d’investisseurs

Les entreprises belges, souvent des entreprises familiales, ne sont pas les seules à investir sur le marché du vélo. Les investisseurs les plus connus dans notre pays s’intéressent aussi aux vélos électriques. Non, Marc Coucke n’a pas encore ouvert de magasin de vélos à Durbuy. Nous lui avons peutêtre donné une idée. Mais c’est le cas par contre des familles Frère et de Spoelberch (AB InBev). Via la société d’investissement Verlinvest, la famille de Spoelberch a investi 120 millions de dollars dans l’entreprise américaine Pedego. Et GBL, de la famille Frère, a pris la roue de la marque allemande Canyon, davantage connue chez nous, et qui est notamment le fournisseur de vélos de l’équipe de Mathieu van der Poel.

Tendance irréversible

Chacun de ces nouveaux acteurs entend acquérir le plus rapidement possible une stature majeure sur le marché européen du vélo, qui compte aujourd’hui quelque 400 entreprises qui produisent des vélos ou des composants de vélos. La plupart des investisseurs se concentrent sur le marché en croissance rapide des vélos de qualité et des vélos électriques. Une refonte à grande échelle de l’industrie du vélo est imminente. Pour cela, il faut pouvoir compter sur une force de frappe financière. Voilà pourquoi les investisseurs sont tellement les bienvenus. Mais après les premiers gains, une nouvelle question émerge: le marché du vélo va-t-il pouvoir devenir une valeur établie avec différents sous-secteurs, comme c’est le cas aujourd’hui déjà de l’industrie automobile avec les sociétés de leasing, les entreprises de carrosserie et la nouvelle économie partagée? Ou s’agit-il d’une bulle économique qui va éclater dans un proche avenir et qui va voir les investisseurs repartir à la vitesse d’un speed pédélec? L’avenir le dira.

Le marché de la mobilité partagée est aussi un important consommateur de vélos.

Que ce soit un vélo de course ou un VTT pour le cycliste sportif, un vélo électrique pour le citadin ou un speed pédélec pour le navetteur, la demande en deux-roues se développe dans tous les segments de marché.

This article is from: