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Marcel Fässler, être et avoir été
from ACS Auto
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Marcel Fässler - vainqueur Sebring 2012
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Chacun sait qu’on ne peut pas «être et avoir été», néanmoins cette certitude ne concerne pas tous les bipèdes. Certains d’entre eux laissent une trace suffisamment remarquable pour qu’ils ne cessent pas d’être. Par Gérard Vallat
Plutôt rare, cette particularité s’applique à Marcel Fässler, triple vainqueur des 24 Heures du Mans, mais aussi et surtout premier Suisse à avoir remporté l’épreuve mythique en 2011, avant de décrocher la couronne mondiale en 2012. Arrivé au terme de sa carrière professionnelle à Sebring, en novembre 2020, après que le drapeau à damier se soit abaissé au passage de la Corvette N°4 qu’il partageait depuis 2017 avec Tom Millner et Oliver Gavin, le Schwytzois annonçait la nouvelle. Une décision sans doute définitive, qui ne signifie pas pour autant que le néo-retraité de 44 ans ne dédaignera pas reprendre le volant. Si l’occasion se présente, dans de bonnes conditions, sans pression pour le seul plaisir du pilotage. L’annonce, discrète comme il sied au personnage, de cette «retraite» justifie, voire même exige de revenir sur une carrière absolument remarquable débutée il y a près de trente ans.
TRIBULATIONS D’UN SUISSE-ALLEMAND EN FRANCE
Né en 1976 dans le village schwytzois de Gross, qu’il habite toujours avec ses quatre filles et son épouse, le jeune Marcel Fässler, talentueux pilote de karting depuis 1985, s’est décidé à franchir le pas vers le sport automobile en 1994. De langue alémanique, il semblait naturel qu’il tente de planter le germe de sa carrière en terre Allemande. C’était sans compter sur le conseil d’un ami qui le dirigera vers la France, pays de tous les dangers pour celui qui ne pratiquait pas « Vainqueur des 24 Heures du Mans, mais aussi et surtout premier Suisse à avoir remporté l’épreuve mythique en 2011, avant de décrocher la couronne mondiale en 2012 »
la langue de Molière. Inscrit en 1994 au volant Winfield, à l’issue duquel il se distinguera brillamment, le jeune Fässler en panne de de budget, rongeait son frein avant d’intégrer la Filière Elf du Mans, un an plus tard. Fabrique de champions, dirigée notamment pas Henri Pescarolo, ce bras armé sportif du pétrolier français fonctionnait à cette époque comme une rampe de lancement, qui a mis sur orbite de nombreux pilotes.
Elu parmi ceux-ci, Marcel Fässler n’a pas toujours eu la vie facile dans un environnement dont la langue parvenait à ses oreilles, sans qu’elle trouve toujours le chemin de la compréhension recherchée. Dans cet environnement franco/ français, il se souvient ne pas avoir reçu que du soutien de certains dirigeants, qui voyaient comme un ovni ce p’tit gars, venu de Suisse profonde qui parlait un langage incompréhensible (sur ce point du langage, on peut presque comprendre ��).
De plus, cerise sur le gâteau, ce Suisseallemand portait une boucle d’oreille ! Néanmoins, sourd à une ambiance flirtant parfois l’hostilité, Marcel Fässler faisait son bonhomme de chemin, en se montrant à la fois rapide et habile derrière un volant. Après tout, faisant fi du reste, c’est pour ça qu’il était là. Course après course il démontrait de réelles aptitudes dans les rangs de la formule Campus, en alignant les podiums…et se mettant même à parler un peu français. Troisième de la formule Campus 1995, l’équivalent de l’actuelle F4, Marcel était promu en Formule Renault dès sa seconde saison à la Filière. Immédiatement, il trouvait ses marques au volant de la Martini qu’on lui avait confié, en trustant les podiums dès les débuts. Troisième pour sa première saison dans la discipline, sacré meilleur rookie de l’année 1996, Marcel Fässler passait directement de la Formule Renault à la F3. Un choix des dirigeants de la Filière Elf, qui estimaient que leur poulain venu d’Helvétie n’avait pas à s’éterniser dans une catégorie parfaitement maitrisée.
Associé au grand espoir français Sébastien Enjolras, champion de la Formule Renault 1996, et nouveau leader de l’équipe F3 Elf La Filière, placée sous management de Roland Raïss, Fässler devait faire ses armes en F3, aidé en cela par son équipier. Hélas, ce dernier
u Débuts officiels chez Audi en 2008.
Une victoire à Détroit v 1ère victoire Le Mans - Marcel Fässler + André Lotterer + Benoit Treluyer w 2e en F3 allemande u
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v «MARCEL FÄSSLER QUI RELÈVERA LE SOUTIEN DE LA FILIÈRE, SANS LAQUELLE IL NE SERAIT CERTAINEMENT PAS PARVENU À CE NIVEAU DE COMPÉTITION »
trouvait la mort aux e ssais des 24 Heures du Mans. Un drame qui, bien que cette circonstance paraisse peu signifiante face au tragique destin d’un jeune garçon de 19 ans, laissera Marcel Fässler sans référence. Secoué par l’accident de son équipier, il bouclait une saison moyenne, au 11e rang du championnat, au volant d’une Dallara-Fiat peu performante. Pourtant, cette année était également celle d’un haut-fait dans les rues de Macao. Invité par Elf à une course de Renault Campus hors championnat, Fässler s’imposait sans coup férir devant une belle brochette de pilotes de notoriété. Par la suite, à l’heure de trancher entre quels élèves continueraient à bénéficier du soutien de la Filière Elf, et ceux qui allaient la quitter, les dirigeants maintenaient Marcel Fässler, pour l’associer à Frank Montagny dans l’équipe A de F3. Atout supplémentaire, la Dallara allait rester au garage, au profit d’un châssis Martini tout neuf. Au cours de cette saison 1998, le duo Fässler/Montagny faisait face à la montée en puissance du Belge David Saelens, qui finira par remporter le championnat. Divers points forts ponctuent la saison de Marcel Fässler, dont une pole position à Dijon, non transformée au profit de Frank Montagny, sur lequel reposaient tous les espoirs de titre de la Filière. Coéquipier modèle, Marcel Fässler a scrupuleusement respecté les consignes, par crainte de contrarier les plans de son équipe. Hélas, ce travail d’abnégation ne sera pas récompensé, puisqu’au terme de cette saison 1998, la Filière Elf remerciait notre compatriote, pourtant 4e du classement final. Une mauvaise nouvelle, acceptée sans ressentiment par Marcel Fässler
u Avec Aimé Pouly et son épouse Catherine qui l’ont beaucoup aidé à ses débuts v Marcel Fässler et François Trottet : 1er titre ! w Trois potes chez Audi - Benoit Treluyer André
Lotterer - Marcel Fässler x En A1GP
qui relèvera le soutien de la Filière, sans laquelle il ne serait certainement pas parvenu à ce niveau de compétition .
UN HIVER DIFFICILE POUR PRÉPARER L’AVENTURE ALLEMANDE
Sorti de l’encadrement de la Filière Elf, Marcel Fässler s’est retrouvé au point de départ en automne 1998, prêt à accepter que ce pourrait être la fin du rêve. Mais la volonté était plus forte, et après avoir remué ciel et terre, en faisant la tournée de tous soutiens possible, il parvenait à réunir un budget suffisant à incorporer l’équipe suisse Bemani F3. Un team débutant prêt à s’attaquer au très relevé championnat d’Allemagne de F3. Associé à Timo Scheider, Marcel Fässler allait se révéler avec brio au monde du sport automobile allemand. En remportant quatre courses, et plusieurs podiums, il prenait la deuxième place du championnat, derrière Christian Albers. A l’heure du bilan, cette saison réalisée in-extremis, grâce au soutien de nombreux partenaires, Suisse romand et alémanique, allait être le déclencheur de la carrière professionnelle de Marcel Fässler.
PRÊT POUR LE DTM
A l’aube de l’an 2000, le sport automobile allemand, en pleine effervescence, se préparait à la renaissance du DTM, réputé pour avoir été le plus fameux championnat de berlines au monde. Trois constructeurs, Mercedes, Audi et Opel étaient sur la grille de départ pour engager chacun huit voitures, pour lesquelles il faudrait signer 24 contrats de pilotes professionnels. Parti à la pêche aux perles rares, Norbert Haug, grand patron du sport chez Mercedes, avait repéré Marcel Fässler lors de l’ultime meeting de F3 à Hockenheim. Ce weekend-là, le Suisse avait fait un festival lors des deux courses, disputées sur piste et sèche et mouillée le lendemain. Il se dit qu’à l’issue du dernier run Norbert Haug aurait déclaré «En règle générale, je ne veux pas parler avec un jeune pilote qui a un manager, ou dont le père est omniprésent, mais ce Fässler je suis prêt à le rencontrer même s’il a les deux».
S’ensuivait alors un test convaincant au volant d’une Mercedes CLK-GT1 sur le circuit d’Oschersleben qui finissait de convaincre Norbert Haug et la direction de Mercedes d’enrôler le «p’tit Suisse». Le 28 mai 2000, devant 50’000 spectateurs fans de DTM, Marcel Fässler décrochait le 2e temps des essais qualificatifs et bouclait les deux courses du meeting à cette même place. Des « PARTI À LA PÊCHE AUX PERLES RARES, NORBERT HAUG, GRAND PATRON DU SPORT CHEZ MERCEDES, AVAIT REPÉRÉ MARCEL FÄSSLER LORS DE L’ULTIME MEETING DE F3. »
u Les belles années DTM avec Mercedes de 2000 à 2004 v Champion GT Open en 2009 avec la Ferrari 430 de l’équipe Trottet Racing. w Deux saisons DTM difficiles avec Opel en 2004 et 2005. x En GT1 avec la Corvette associé avec Jean-Denis Delétraz
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u F3 de 1997 à 1999 v Une grande complicité avec
Jean-Denis Delétraz w Vainqueur des 24 heures de Spa x Vainqueur 24 Heures du Mans 2014 y 3e aux 24heures du Nurbering z Doublé aux des 24 heures de Daytona et 12 heures Sebring débuts tonitruants, qui reléguaient Klaus Ludwig, son illustre équipier derrière ce remuant rookie. La fusée d’Einsiedeln était sur orbite. Quatrième du championnat, il ne concédant que 6 points à Klaus Ludwig au classement final. Les saison suivantes, le vétéran Ludwig était remplacé par Uwe Alzen, puis Jean Alesi, venu en droite ligne de la F1. Toujours dans le peloton de tête, le pilote suisse renouait par deux fois avec la 4e place du classement général, avant de grimper d’une position en 2003. Cette dernière année passée dans le giron Mercedes aurait pu être celle du titre, malheureusement diverses raisons, sportives et extra-sportives, ont limité les ambitions de Fässler à la 3e marche du podium. A l’heure de passer de Mercedes à Opel, le bilan des courses passées sous les couleurs de la marque à l’étoile faisait état de trois victoires et dix-neuf podiums. Un palmarès qu’il n’égalera pas au cours des deux saisons 2004 et 2005, passées dans le camp Opel. Moins performantes que la Mercedes, les Opel Astra et Vectra ne permettront pas à Marcel Fässler de remonter sur le podium.
DÉCOUVERTE DE L’ENDURANCE
En fin 2005, Opel a quitté le DTM, laissant Marcel Fässler sans volant. Un contact avec Audi était en passe de se transformer en contrat, mais hélas la marque aux quatre anneaux privilégiait l’engagement de Heinz-Harald Frentzen. Comme cinq ans plus tôt, mais avec une aura très différente, Fässler repartait à la chasse au volant. Pile au moment où un projet d’équipe suisse d’endurance prenait forme. Engagé dans l’aventure Swiss-Spirit, avec Harold Primat pour équipier, c’était la découverte du sport prototype et le partage du baquet de la Courage V10 Judd. Une adaptation qui se passait à merveille, tant l’entente des deux équipiers était bonne. Au cours de cette saison, Marcel Fässler décrochait la pole position aux 6 heures de Spa, avant de prendre la 2e place, une performance rééditée à Jarama en fin de saison. A noter, une première participation aux 24 heures du Mans, conclue sur un abandon.
En parallèle de ce programme en sportprototype, notre homme prendra part à diverses épreuves au volant de GT1, avec notamment une autre première aux 24 heures de Spa. En compagnie de Jean-Denis Delétraz et Andrea Piccini, il prendra la 2e place de la classique belge. S’ensuivaient les saisons 2007 et 2008, avec des programmes similaires et plusieurs, pole positions et victoires, dont les 24 heures de Spa au volant d’une Corvette C6R. A relever : 2008 est l’année qui a vu Marcel Fässler terminer les 24 Heures du Mans à l’hôpital, après une violente sortie de route au volant d’une Oreca LMP1, mais elle est aussi celle du premier contrat entre Fässler et Audi. Cette année-là, il a piloté une Audi R10 TDI sur deux courses aux USA, avec une victoire à Détroit.
PREMIER TITRE ET DÉBUTS CHEZ AUDI
A l’image de nombreux pilote, Marcel Fässler n’avait aucun titre à faire figurer à son palmarès, jusqu’en 2009, lorsqu’il a décroché la timbale du GT Open espagnol, en compagnie de Joël Camathias. Le résultat d’une équipe de «copains» mise sur pied par François Trottet, et
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placée sous la gestion de Pierre-Alain Rechsteiner. Comme pour les précédentes saisons, 2009 fut celle de la diversité, avec des courses passées au volant de la Ferrari 430 Trottet, la LolaRebellion d’Alexandre Pesci, mais aussi quelques piges avec Corvette aux USA et au Mans, ainsi que diverses sorties en Porsche Cup et Audi R8LMS. Cet agenda aussi chargé que varié le rapprochait cette fois très sérieusement d’Audi, qui allait proposer un contrat LMP1 au Schwytzois. Les choses très sérieuses pouvaient commencer.
LA VOIE ROYALE
Intégré au team Audi officiel, avec André Lotterer et Benoit Treluyer pour coéquipiers, Marcel Fässler trouvait le terreau idéal pour révéler l’étendue de son talent. Immédiatement le trio mettait le feu à la discipline. Dès la première saison 2010, c’est de très peu que la victoire aux 24 Heures du Mans échappait aux trois magnifiques. Deuxième au volant de l’Audi R15 TDI, les trois hommes volaient par la suite de succès en succès, avec dix victoires au championnat du monde et trois victoires aux 24 Heures du Mans, 2011, 2012 et 2014. Une moisson fructueuse, ponctuée également par la victoire aux 12 heures de Sebring, et le titre mondial en 2012. En parallèle de ce programme LMP1, Marcel Fässler disputait également les 24 heures du Nürburgring et de Spa au volant d’une R8LMS GT3. Malheureusement pas de victoires sur ces épreuves, mais une belle moisson de podiums. A la fin 2016, Audi mettait un terme à son engagement en LMP1, dieselgate oblige, ce qui poussait Fässler dans les bras de l’Américain Chevrolet.
Désormais pilote officiel Corvette sur les courses longues, il étoffait encore son palmarès en remportant la victoire aux 24 heures de Daytona et 12 heures de Sebring. Mais, une victoire manquait à ce riche tableau de chasse, celle des 24 heures du Nürburgring, qu’il ira chercher, toujours avec Audi, mais en GT3.
Malheureusement, tentative après tentative, un grain de sable enrayait l’engrenage de ses onze participations, condamnant Marcel Fässler à une seule 3e place. Une toute petite ombre au tableau d’un pilote qui se place sur le podium des meilleurs pilotes suisses de l’histoire.
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uEn famille - Marcel Fässler ses filles et son épouse Isabelle vNeel Jani - Sébastien Buemi - Marcel Fässler wDernier contrat professionnel Corvette C8R