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Entre deux créations sur quatre roues

«les Chinois ont cette chance de pouvoir s’emparer sans peur d’une feuille blanche»

On ne présente plus Stéphane Schwarz, designer au riche pedigree (de Pininfarina à Zagato en passant par Nissan). Entre deux créations sur quatre roues, le Franco-Suisse nous livre sa vision de la mobilité

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du futur. Par Pierre Thaulaz

AUTO ACS: Shanghai 2021, pratiquement un salon 100% électrique?

Stéphane Schwarz : Je crois que toute l’industrie automobile est 100% électrique. Bien sûr qu’il y aura encore des projets de voitures à combustion. Je travaille d’ailleurs actuellement sur un véhicule à moteur thermique pour un grand constructeur japonais, mais c’est certainement l’un des derniers que je vais faire dans ma carrière. Tout ce qui m’est proposé aujourd’hui, c’est du 100 % électrique.

Vous avez justement présenté à Shanghai une berline zéro émission ?

Pas personnellement, puisque je n’ai malheureusement pas pu me rendre en Chine en raison de la pandémie. Le client, la société immobilière chinoise Evergrande, a opéré un investissement massif dans le domaine automobile, spécialement les voitures électriques. Plusieurs de ses modèles étaient exposés à Shanghai, dont cette berline premium, la Hengchi 8, sur laquelle j’ai travaillé.

Qu’a-t-elle de particulier, cette voiture ? Beaucoup de pureté, une ligne très fluide avec très peu de décors et une absence de calandre. Pas forcément la voiture la plus avant-gardiste, mais avant tout une voiture très élégante, flirtant avec les 5 mètres et destinée à un businessman qui n’hésite pas à afficher son statut social.

Ça correspond assez à votre philosophie en matière de design ?

L’essentialité, oui, après je m’adapte. Ce qu’il y a de mieux pour un designer indépendant comme moi, c’est d’être quelque part à l’opposé de ce que faisaient les grands maîtres des années 70, à savoir Giugiaro, Bertone, Pininfarina, lesquels voulaient absolument qu’apparaisse leur signature visuelle sur toutes les marques pour lesquelles ils travaillaient. Je trouve plus intéressant d’être un peu un psychologue de la marque ou du marché et de m’adapter à une réalité. Après, il y a le risque pour un créateur de tomber dans des clichés et de s’enfermer dans quelque chose de réducteur, donc je préfère changer à chaque fois. D’un autre côté, je ne peux pas non plus me changer, puisque qu’il y a certaines valeurs auxquelles je tiens. Je n’ai pas envie de tomber dans le décorum.

Le danger avec les voitures électriques, vouloir faire moderne ?

Je ne sais pas si ça s’adapte uniquement aux voitures électriques. Ce sont ce que l’on appelle des trends, on ne peut pas y échapper. La mode aujourd’hui c’est ça, des optiques filantes passant d’un côté à l’autre, beaucoup de linéarité, des formes plus galbées. Mais ça va évoluer. On est dans une phase de transition. Cette rupture va s’opérer de manière graduelle. La Tesla a été la première voiture électrique qui faisait exprès de dire à tout le monde: «Gardez vos calandres, on n’en a plus besoin!»

Une c alandre qui ne se justifie plus ?

Quand on rencontre une personne, qu’est-ce qui nous frappe le plus? Je crois que ce sont ses yeux. On arrive à percevoir de la joie, de la tristesse, de la confiance en soi. Le travail des groupes optiques d’une voiture peut révéler énormément de personnalité. On le constate chez Porsche dont les voitures n’ont pas vraiment de calandre mais une prise d’air inférieure. Pourtant, chaque modèle a une personnalité propre.

Plus de liberté en travaillant pour un client chinois ?

Je ne veux fâcher personne. Si je dois travailler pour une marque extrêmement consolidée, qui a un passé extrêmement

es Chinois ont cette chance de pouvoir s’emparer sans peur d’une feuille blanche»

prestigieux, il est normal de respecter certains codes. En Chine, on assiste à une émergence presque quotidienne de nouvelles marques qui ont énormément d’enthousiasme, et c’est peut-être là que se situe la différence. Les Occidentaux dont je fais partie manquent parfois d’agressivité intellectuelle et vivent un peu trop sur leur patrimoine, leur héritage culturel. Les Chinois ont cette chance de pouvoir s’emparer sans peur d’une feuille blanche en embrassant la modernité ou le futur. Et ils sont très rapides. Il suffit de se rappeler ce qu’étaient les salons chinois il y a encore 5-10 ans dans lesquels on voyait encore énormément de copies. Le niveau de design est vraiment en train de s’élever dans ce pays.

Une saine concurrence ?

Oui, et tout l’art d’un constructeur, de ses équipes créatives, pas seulement dans le design mais aussi dans la tonification de produit, le marketing, etc., c’est d’être visionnaire et de dégager constamment de nouvelles valeurs. Le consommateur a un goût très aiguisé, il est ultra informé, du coup son exigence est encore plus forte que par le passé.

Un consommateur qu’il s’agit de séduire ?

Plus que jamais, surtout après l’épreuve que le monde vient de subir. Il va falloir accompagner la psychologie du consommateur, l’aider à comprendre ce nouveau produit. On s’achemine vers une dématérialisation de l’intérieur, à savoir que les volumes s’éloignent du corps pour dégager plus d’espace. Les composants mécaniques ou physiques sont en train de se réduire au profit de l’intelligence artificielle, de l’interactivité. On se rapproche du salon sur roues.

Jusqu’à la voiture autonome ?

Oui. Cela dit, moi qui suis toujours projeté vers l’avenir, j’ai un vrai problème de fond. J’aime énormément conduire, c’est l’une de mes plus grandes joies, et je crois que l’aspect ludique de l’être humain existera toujours.

Un dernier souhait ?

Je voudrais lancer un message à la Suisse, un pays que j’aime mais dans lequel je n’ai jamais travaillé. J’aimerais rencontrer quelqu’un qui a cet enthousiasme, cette volonté de faire quelque chose de radicalement différent, que ce soit dans le domaine de l’automobile ou de la mobilité future.

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