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L’électricité, fée ou démon ?
Il y a Jean-François Rime et… Jean-François Rime. Le premier, ancien président de l’USAM et amateur de Tesla (Auto ACS septembre 2015), a failli devenir conseiller fédéral. Le second, plus discret, est ingénieur électricien EPFL, un homme qui se qualifie lui-même «d’automobiliste éclairé et candide». Par Pierre Thaulaz
AUTO ACS: Qui êtes-vous, en dehors d’être un homonyme ?
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Jean-François Rime: Après mes études à l’EPFL, j’ai travaillé durant un certain nombre d’années comme ingénieur consultant dans une société fribourgeoise spécialisée dans le domaine de l’électricité. Après, je suis allé passer un MBA, à Lausanne, avant de travailler dans plusieurs banques, essentiellement dans la partie finances.
Vous avez donc bifurqué ?
Les études d’ingénieur constituent une empreinte très forte dans votre manière de raisonner, dans votre capacité d’analyse et de synthèse. La majorité des gens oeuvrant dans les banques à l’époque, entre parenthèses j’ai 65 ans, ne se rendaient pas compte que les schémas employés pour calculer des options sont en fait des schémas qui viennent de la physique. Aujourd’hui, le métier a changé et les banques accueillent de plus en plus de scientifiques et d’ingénieurs dans le secteur de la finance. La gestion de risques, c’est quelque chose d’assez classique pour un ingénieur.
Au départ, qu’est-ce qui vous attirait dans l’électricité ?
La physique, d’un point de vue intellectuel, me passionnait, mais comme j’étais mauvais en maths, je me suis lancé dans l’électricité, une discipline qui nous ouvre à beaucoup de domaines, de l’électronique aux énormes machines que l’on retrouve dans des usines de production d’électricité.
L’avenir de la mobilité, un sujet qui vous intéresse ?
Travaillant dans une banque qui faisait de la gestion de fortune, il était pertinent de voir quels secteurs pouvaient être intéressants au niveau investissement. Tesla, c’était une société que j’ avais repérée il y a longtemps. Dans ma tête, c’était un fabricant de voitures, alors qu’en fait c’est une boîte d’informatique qui a utilisé ses connaissances pour les mettre à profit dans un produit qui s’appelle l’automobile. Elon Musk s’est dit: «Tout ce que je sais, je vais le mettre dans une voiture, jusqu’à la conduite autonome.»
La mobilité électrique, une vieille histoire ?
C’est une très vieille question. Dans la seconde partie du 19e siècle, c’est la fête de l’électricité, l’arrivée de l’éclairage… Il existe même un salon de l’électricité, à Paris. Le Français Gustave Trouvé conçoit un tricycle électrique vers 1880. Au tournant du siècle, Ferdinand Porsche développe avec Lohner les premiers véhicules hybrides ou électriques. Tout était déjà inventé, la Prius et la Tesla ne seront que des améliorations, le véhicule lunaire de Boeing, avec ses quatre roues indépendantes accueillant les moteurs, reprendra le concept de Porsche.
120 ans après, le problème du stockage n’est pas résolu ?
L’un de mes cousins m’a montré avec fierté son hybride rechargeable, laquelle pèse 300 kilos de plus que la version traditionnelle, et ce pour 60 km d’autonomie. Ça me fait penser aux chevaux qui font du transport pour l’armée en montagne. A un moment donné, ils doivent transporter plus de foin que de matériel. Alors oui, c’est un domaine où la technologie doit absolument avancer. Le problème va se
recharger ses batteries…
Le handicap du poids des batteries a perduré durant des dizaines d’années, Ce n’est qu’avec l’invention des batteries au lithium-ion, dans les années 1970-80, qu’une (r) évolution technologique apporte des solutions. «Je suis convaincu que les recherches dans ce domaine vont encore améliorer les kWh que l’on peut stocker dans un kilo de batterie et la rapidité avec laquelle on peut recharger cette batterie», affirme JeanFrançois Rime. «Le délai entre le 1er prototype et sa mise en production industrielle est toujours difficile à estimer, mais il peut être court.»
«LA MOBILITÉ ÉLECTRIQUE EST UnE TrèS VIEILLE QUESTION. DAnS LA SECOnDE PArTiE DU 19E SièCLE, C’EST LA FêTE DE L’éLECTriCiTé, L’ArriVéE DE L’éCLAirAgE… LE FrAnçAiS gUSTAVE TrOUVé A COnCU Un TRICYCLE éLECTriqUE VErS 1880.»
résoudre, après il faudra voir à quel prix. Les batteries au plomb du début du 20e siècle étaient lourdes, mais peu coûteuses et faciles à recycler. Je me suis amusé à mettre un peu d’argent dans des sociétés qui fabriquent ou ont des projets de batteries. S’il faut perdre du fric, au moins on aura appris quelque chose!
Le moteur électrique a évolué…
Les moteurs modernes ont des aimants permanents. Ils sont alimentés toujours avec la même tension, en général entre 400 et 800 volts selon la voiture. Ces moteurs synchrones ont remplacé les bobinages, une technologie moins chère mais beaucoup moins performante. On ne ressent aucune vibration puisque le moteur tourne rond!
Pourtant, on ne vous sent pas totalement convaincu ?
La technologie n’est pas un problème, mais elle a un prix et un délai. Cette manière de voir en Europe, je la perçois comme punitive. C’est moins le cas aux Etats-Unis. Elon Musk a compris qu’il
Les batteries verticales, un concept proposé par la société britannique Page-Roberts.
fallait attaquer le marché par le haut. L’exemple californien, le pire Etat où j’aimerais vivre, n’est pas adapté à l’Europe. C’est le paradis des GAFA, et en même temps 19% des gens sont au-dessous du seuil de pauvreté. Encore une fois, on ne peut pas imposer des produits qui seront forcément plus coûteux. J’ai le sentiment que le niveau de vie de nos enfants sera plus bas que celui de nos parents. La mobilité fait quand même partie des droits fondamentaux de l’individu. Mais outre le prix, l’autre problème, c’est la production d’électricité. A court terme, c’est un suicide de l’automobile.
L’industrie automobile européenne serait-elle suicidaire ?
Non, mais les politiciens oui. Une partie du problème est là. Après Fukushima, les Allemands ont décidé d’arrêter toutes les centrales nucléaires. En Suisse, on fait en gros 30 % de nucléaire, que se passera-t-il si on ferme ces installations? On peut remonter les barrages, mais pour passer de deux tiers à trois tiers, il faut produire en gros la moitié plus. Je ne vois pas comment on peut augmenter de 50% la production d’électricité en Suisse. Les autres pays vont avoir le même problème, donc ils ne vont pas pouvoir nous livrer. Même le GIEC, pour lequel je n’ai pas forcément une grande estime, prône le recours à l’énergie nucléaire. Et ça, les écolos ne le disent pas.
E-mobilité acte ii
La proposition de la Commission européenne d’interdire en 2035 la vente de véhicules à moteur thermique au profit des voitures électriques est-elle crédible ? L’arrivée des électriques chinoises en Europe va-t-elle tuer l’industrie automobile européenne ? La Norvège, paradis des véhicules zéro émission, est-elle pour autant si vertueuse ?
Ces questions, ainsi que bien d’autres, seront abordées dans la prochaine édition d’Auto ACS (5 novembre).
Ce véhicule conçu par Ferdinand Porsche avait 120 ans d’avance.