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Il réinvente la «Route fleurie»
L’univers coloré de Nicolas Bamert, alias L’Original, vient gentiment envahir l’espace urbain. Portrait d’un artiste en perpétuel
mouvement. Par Pierre Thaulaz
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AUTO ACS: Quel a été le déclic à votre activité artistique ?
Nicolas Bamert : J’ai toujours adoré dessiner et peindre, mais je n’y accordais pas une grande importance. Pour moi, il n’y avait que le sport qui existait. A 18 ans, j’ai compris toutefois que je ne pourrais jamais être le grand snowboarder que je rêvais d’être. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à m’épanouir dans la peinture, en faisant du graffiti.
L’arrêt du snowboard n’était donc pas lié directement à un accident ?
Non, mais cet accident m’a remis en place. Ce n’était pas hyper grave mais ça m’a bien bousculé. Je me suis dit: «Maintenant, stop, arrête tes bêtises et centre-toi sur autre chose.»
Vous avez également une formation d’ingénieur ?
Oui, en génie climatique, plus précisément dans la création d’installations de chauffage, de ventilation et de climatisation. J’ai travaillé durant 7 ans à Lausanne.
Et un jour, vous décidez de vous consacrer entièrement à votre art ?
Je suis parti une année à Berlin. Il fallait que je quitte mon entourage, tout mon environnement pour changer d’air et démarrer une nouvelle vie. Avant Berlin, j’avais toujours créé mais sans savoir pourquoi. Mon but était de donner un fil conducteur à cet univers. D’où l’élaboration d’une bande dessinée dans laquelle j’ai défini plusieurs séries, des tableaux sur béton, d’autres constitués d’allumettes auxquelles on met le feu, en passant par de la peinture abstraite sur verre, exposée en ce moment à la Galerie Speerstra, à Bursins. Mais ma série préférée, baptisée «Originality», est celle qui correspond le mieux à mon univers. On y retrouve des symboles à répétition qui marquent le retour à l’enfance.
Un univers plus proche de l’univers de Niki de Saint Phalle que de Jean Tinguely ?
Au niveau des couleurs, il est clair que je suis plus proche de Niki de Saint Phalle. Mais où je suis peut-être plus proche de Tinguely, c’est dans le cafouillis, le mouvement, cet esprit chaotique, proche du je-m’en-foutisme. Son univers me passionne, et chacune de ses machines me fait rêver.
Mais vous n’êtes pas forcément l’homme du mouvement ?
Eh bien, ça commence. On peut découvrir quelques-uns de mes travaux d’art cinétique dans la halle des Transports Publics du Chablais, à Aigle.
Pas peur de vous perdre dans tous ces univers ?
Non, par contre c’est le temps qui manque.
La peinture de voitures, une activité qui échappe à tout ça ?
Non, ça en fait partie.
L’idée est de désacraliser la voiture ?
Ce que je recherche dans toutes mes créations, c’est la réaction. Quand j’ai découvert, vers 15 ans, le «Jardin de Tarots», de Niki de Saint Phalle, il y a eu ce «waouh». L’idée est de transmettre aux gens ce «waouh», cette émotion. Il en va de même pour un véhicule. Les gens n’ont pas l’habitude de voir ça, alors il y a toujours un sourire. Le véhicule, c’est un moyen incroyable, parce qu’on touche tout le monde en même temps.
Votre véhicule dévoile votre personnalité ?
Oui. Avec les voitures, on est dans le coloré, donc vraiment dans le thème de l’originalité, On m’a dit récemment: «Même si ton univers est très varié, on arrive tout de suite à le reconnaître.»
D’autres véhicules colorés, en dehors du vôtre ?
J’ai peint la camionnette de l’artiste Pascal Bettex, avec qui je partage le même univers. J’ai aussi transformé trois bus de voyage, dont un «love mobile» avec des cœurs partout et un bus qui a été réalisé pour le blogueur «SuisseMoi». Ce dernier voyage beaucoup, du coup son véhicule
présente un côté hivernal et un côté estival. Mon véhicule, un Porsche Cayenne, représente des bouts de bois colorés, celui de ma copine Julie, un Dacia Duster, est constellé de nuages et de cœurs.
Vous voulez donner des couleurs à ce monde un peu tristounet de la route ?
Exactement. Mon souhait est de vraiment casser cette monotonie. Les voiture sont toutes les mêmes. Elles sont noires, grises ou blanches, leurs détenteurs espérant ainsi les revendre plus facilement. Selon moi, on peut aussi s’amuser sur les voitures, même s’il est vrai que sur un Cayenne, ça fait provoquer les gens. Les puristes disent: «Comment est-ce possible de peindre sur une Porsche?» L’autre jour, je me suis retrouvé nez à nez avec un carrossier. A peine sorti de son atelier, il est parti d’un fou-rire qui a bien dû durer 10 minutes. Il a trouvé ça génial, pour moi c’était gagné. C’est vrai que ça rapproche aussi un peu les gens tout en cassant les codes.
Vous adoptez une technique spéciale ?
Le plus long, c’est la protection. Il faut protéger les divers éléments, mais une fois que tout est protégé, j’y vais directement au spray. Dans l’idée, l’œuvre peut aussi être éphémère. D’ici la fin de l’année, je vais peut-être repeindre la carrosserie. Ça donnera une nouvelle vie à la voiture, sans avoir besoin d’en changer !
Vous décorez aussi les bords de route ?
Oui. Le vœu de la commune de Bussigny était de souligner le passage de village à ville. C’est en quelque sorte une fresque commémorative.
Le Covid vous a-t-il emprisonné ?
En fait, on prend tout dans le positif. Au départ, plein de choses ont été annulées, mais ça ne nous a pas empêchés de continuer à développer cet univers artistique, ma copine et moi.
On arrive à vivre de son art ?
Oui, mais il ne faut pas écouter ce que le gens nous disent...
Vous ne regrettez donc pas votre changement de trajectoire ?
Ah non. Tous les jours on se lève avec un grand plaisir. On a envie de continuer, d’expérimenter. Ces dernières années, j’ai fait des rencontres incroyables qui n’auraient pas pu exister dans le cadre d’un travail traditionnel.
Pas encore réalisé l’affiche du Montreux Jazz Festival ?
Non, mais qui sait ? Pascal Bettex m’a offert la possibilité de peindre le dos de sa cabine téléphonique implantée sur les quais de Montreux. Cette peinture représente un petit bonhomme au téléphone. Un certain Claude Nobs…