8 minute read
Deux passions parallèles
by actual pub
Marc Antiglio : «Deux passions parallèles»
Champion suisse de vitesse en 1970 sur Alpine, l’ingénieur fribourgeois a aussi fondé les Chemins de fer du Kaeserberg, un projet unique en Suisse par son envergure
Advertisement
Par Mario Luini
Une belle brochette de grands pilotes romands du début des années 70 : de g. à dr. Bernard Chenevière, André Wicky, Claude Haldi et Marc Antiglio.
17 ans de travaux ! Ce seul chiffre suffirait à situer l’importance des Chemins de fer du Kaeserberg, inaugurés en 2009. Surtout lorsqu’on sait qu’il s’agit d’une extraordinaire maquette – géante, on peut bien l’admettre – de trains miniatures. On s’y croirait : l’initiateur de ce projet fou, unique en Suisse, n’est autre que Marc Antiglio, champion de Suisse 1970 de vitesse. Ingénieur en génie civil, entrepreneur, l’homme est un perfectionniste, amoureux – pour ne pas dire maniaque – de la précision, comme tout bon pilote. En 13 ans d’exploitation, quelque 180 000 visiteurs sont venus admirer l’œuvre d’une vie. «Et quasiment 30 % reviennent deux, trois ou quatre fois, avec des amis ou de la famille, même de l’étranger», relève non sans fierté l’ancien pilote. «Et c’est plutôt rare…»
ACS : Comment peut-on aimer à la fois l’automobile et le train ?
Marc Antiglio : Ma passion pour les trains est antérieure à celle de l’auto, elle remonte à l’arbre de Noël. C’était le cadeau classique de l’époque. Je suis passé à la voiture plus tard, quand j’ai eu mon permis de conduire, et j’ai dû arrêter le train. J’y suis revenu après, quand j’ai arrêté de courir.
N’est-ce pas antinomique, d’un côté la liberté presque totale d’aller où on veut, quand on veut, de l’autre la rigidité d’un trajet sur voies fixes, à horaires déterminés, dans un véhicule conduit par un inconnu, et avec des compagnons de voyage qu’on n’a pas choisis ?
Je ne me suis jamais posé la question sous cet angle ! Pour moi, les deux passions étaient parallèles, mais pas pratiquées en même temps. Il n’y a jamais eu de confrontation. Le point commun entre le train et la voiture, c’est la mécanique. On avait un gros atelier mécanique à l’entreprise familiale, pour l’entretien des machines de chantiers, et j’y passais du temps.
Comment s’est développée cette passion ?
Tout gamin déjà, je me suis mis très vite à construire des maquettes pour faire rouler mes trains. Le galetas de la maison de mes parents était mon royaume. Adulte, quand j’ai habité ma propre maison, j’ai commencé une nouvelle maquette. On était un petit groupe de six
«MA PASSION POUR LES TRAINS EST ANTÉRIEURE À CELLE DE L’AUTO, ELLE REMONTE À L’ARBRE DE NOËL. JE SUIS PASSÉ À LA VOITURE PLUS TARD, ET J’AI DÛ ARRÊTER LE TRAIN. J’Y SUIS REVENU APRÈS, QUAND J’AI ARRÊTÉ DE COURIR»
copains, tous animés par la même passion. On se réunissait tous les jeudis soir et ça nous occupait jusqu’à pas d’heure.
D’où vous est venue cette idée de maquette géante ?
J’ai toujours voulu faire mieux. Mais par la suite, c’est la maison familiale qui était envahie. Avec Monique, mon épouse, on a décidé qu’il vaudrait mieux faire quelque chose ailleurs. Plus grand, plus pro, et ouvert au public. L’idée était aussi de partager ma passion.
Pourquoi avoir choisi, comme vous le dites, pour paysage, «une région de Suisse alémanique et des Grisons, un vendredi d’automne, à 11 heures, par un temps ensoleillé avec quelques nuages» ?
L’idée de base était de faire quelque chose qui se rapproche le plus possible de la réalité, mais en 87 fois plus petit, l’échelle des trains miniatures ! Je voulais être précis dans le temps, parce que je voulais me concentrer sur les trains des années 1990 à 2000, et il fallait que le cadre corresponde. Pourquoi la Suisse alémanique ? Parce que les Chemins de fer rhétiques, aux Grisons, sont la compagnie de mon cœur. Pourquoi vendredi ? Parce que c’est juste avant le week-end, tout le monde travaille encore, mais il y a déjà d’autres choses dans l’air : il y a un mariage, par exemple, quelque part dans le réseau ! Et pourquoi 11 heures ? Disons… parce que c’est l’heure de l’apéro ! Quant aux quelques nuages, c’est parce qu’il est bien rare d’avoir un grand ciel bleu immaculé dans notre pays. Mais c’est plus difficile à représenter, évidemment, si on veut coller à la réalité.
Où avez-vous puisé votre inspiration ? J’ai pris quelque 10 000 photos en parcourant le pays dans tous les sens. Je voulais un paysage où la précision règne en maître, ce sont les détails qui nous différencient des autres maquettes existantes en Suisse et dans le monde.
24 Heures du Mans 1973, Marc Antiglio penché sur la Porsche 908/3 de l’Escuderia Montjuich/ Haberthur de Chenevière - Fernandez- Torredemer lancés vers une formidable 5e place.
On s’en est beaucoup servis, pour les aiguillages, les viaducs, les passages à niveau, etc. Pas pour copier, mais pour s’en inspirer.
Et comment est née votre passion de l’automobile ?
Elle est aussi venue de mon père, qui participait à des courses de côtes sur une Alfa Giulietta Veloce. Quand j’étais ado, vers 15-16 ans, je l’accompagnais, et c’est là que ça m’a pris. Il a commencé tard, à 50 ans, et il «marchait» bien, mais pas de chance, il est tombé face à la star de l’époque, Karl Foitek. Difficile à battre !
Et celle de la course ?
Mon permis de conduire en poche, j’ai aussitôt parcouru à fond le trajet de l’ancienne course de côte de La Sonnaz, entre Morat et Fribourg. Mon père m’avait prêté son Alfa 1900. Je me suis bien débrouillé, et ça m’a donné le goût de continuer. Plus tard, mon copain Gabriel Guisolan a eu la gentillesse de partager sa BMW 700 avec moi, et c’est parti comme ça. J’ai continué avec une Mini Cooper, en Gr.1 et Gr.2, et toujours avec de meilleurs résultats, gagnant notamment sept fois le championnat fribourgeois.
Jusqu’au titre de champion de Suisse en 1970
Oui. Je me suis mis à profiter des vacances pour courir à l’étranger, dans le championnat de France notamment, où j’ai gagné plusieurs fois ma classe. Jusqu’au jour où, à la course de côte de Chamrousse, j’ai découvert l’Alpine Renault et les temps que signait Gérard Larrousse. C’était une révélation, je me suis dit «c’est la voiture qu’il me faut». J’en ai acheté une en 1968, que j’ai fait préparer chez Conrero. Fin 69, j’ai décidé de m’attaquer une fois sérieusement au titre national, et Conrero m’a dit : «Si tu fais ça, je te prépare un moteur maison !» C’était une voiture absolument remarquable, l’accord entre l’Alpine-Renault et le bonhomme était parfait. La bataille a cependant été rude, puisque les voitures de tourisme et GT se battaient pour le titre. Je termine à égalité de points avec André Savary, mais comme il y avait plus de concurrents dans ma classe, c’est moi qui l’ai emporté.
On vous a vu ensuite aux 24 Heures du Mans, mais dans les boxes, en tant que chef d’équipe, jamais au volant. Vous avez une bonne excuse ?
Après mon titre, j’avais décidé d’arrêter. J’avais une entreprise de 400 personnes à faire tourner, j’avais atteint le but que je m’étais fixé, je m’étais prouvé à moi-même que je n’allais pas si mal. J’étais content comme ça. Et je ne reviens jamais sur une décision. J’ai revendu l’Alpine, et puis un jour Guido Haberthur m’a demandé si je voulais servir de team-manager à l’équipe dont il préparait la Porsche 911S pour le Lausannois Bernard Chenevière et le Suédois Björn Waldegaard (futur champion du monde des Rallyes en 1979). Je lui ai demandé de m’envoyer le règlement et j’ai dit oui. La première année, en 1971, on termine loin (façon de parler, 13e au classement général et 7e en GT, n.d.l.r). Mais en 73, avec la 908/3 «Toblerone» de l’Escuderia Montjuich, les pilotes – Chenevière encore, mais associé cette fois aux Espagnols Juan Fernandez et Francisco Torredemer – ont fait un boulot fantastique, pour décrocher une 5e place au général qui n’était logiquement pas à portée de la voiture, ni d’une petite équipe privée. C’est de loin mon plus beau souvenir en sport auto !
Kaeserberg, l’hommage fou d’un passionné
Les chiffres des Chemins de fer du Kaeserberg ont de quoi donner le tournis : 610 m², trois étages, plus de 2 km de rails, 85 km de câbles électriques, sept ordinateurs pour gérer le fonctionnement de l’ensemble, supervisé par une équipe de six collaborateurs à plein temps. Vous en voulez davantage ? Par Mario Luini
150 trains, dont une dizaine «tournent» en même temps dans un paysage reconstitué, imaginaire, mais reflétant fidèlement la réalité du paysage ferroviaire suisse, jusque dans les moindres détails.
Quelque 1650 wagons, tirés par 300 locomotives, le parcourent alternativement dans tous les sens, sous le regard de 6500 figurines de voyageurs, spectateurs ou simples passants dans les rues des villes et villages traversés, reconstitués tout aussi merveilleusement, et dans lesquels on peut reconnaître pas moins de 1160 véhicules divers et variés. En cherchant bien, y trouverait-on quelque part une voiture de course ? Bingo : devant un garage Renault trône une Alpine bleue avec la mention «à vendre». Mais pourquoi «Kaeserberg»? L’endroit n’existe pas, si ce n’est dans la mémoire de Marc Antiglio, en l’honneur de celui qui accomplissait avec une minutie précieuse son rôle de navigateur (en alternance avec son autre ami Jean-Daniel Genoud) dans le siège baquet de droite lors des rallyes qu’ils disputaient dans leur Alpine Renault 1300S : Willy Kaeser. Un ami de la première heure, animé par la même passion pour les trains, avant d’être emporté brutalement par la maladie en 1984, à 49 ans.
Lorsque le projet de cette maquette pharaonique, destinée à être partagée avec le grand public, prenait corps, quelques années plus tard, il était évident pour Marc Antiglio que nommer son réseau de trains miniatures du nom de son ancien complice était le meilleur hommage qu’il pouvait lui rendre.
2022, Marc Antiglio en version «chef de gare» au pupitre de commande des Chemins de fer du Kaeserberg.