9 minute read

«Une chance extraordinaire»

Des neiges de la descente Olympique d’Innsbruck en 1976 à celle du Rallye Monte-Carlo 2021… 45 ans après !

Advertisement

Philippe Roux : «Une chance extraordinaire»

Pilier de la glorieuse équipe suisse de ski des grandes années 1970 avec Bernhard Russi et Roland Collombin, le descendeur de Verbier a connu une belle deuxième carrière sportive sur quatre roues. Par Mario Luini

Six podiums en sept saisons de Coupe du monde – dont une 2e place au Lauberhorn derrière le «Kaiser» Franz Klammer -, deux titres de champion de Suisse en 1975 et 76. Puis, une fois les skis de descente mis au placard, en 1979, encore 42 ans de rallyes, 112 départs, avec six victoires en Championnat de Suisse ou d’Europe, et 18 victoires de classe. Rien que cette prolongation aurait suffi à alimenter la légende d’un homme qui pouvait viser les sommets dans ces deux disciplines cousines (vitesse, trajectoire, gestion du risque) que sont le ski et le sport automobile. Le sort en a décidé autrement, mais Philippe Roux ne lui en veut pas. Au contraire : avec le recul, il savoure ce que la vie lui a réservé. Notre première rencontre, lui parmi les vedettes de l’équipe de Suisse et moi jeune journaliste du quotidien Lausannois «24 Heures» envoyé sur le sport auto et le ski, remonte aux Championnats suisses 1975 du côté de Meiringen/Hasliberg. Le hasard nous avait réunis dans la même télécabine, et plutôt que de parler de la compétition en cours, la discussion avait vite dévié sur l’automobile : «J’ai un petit moteur dans la tête», m’avait-il révélé, avec un petit sourire coin. Nous étions alors bien loin d’imaginer que nous nous retrouverions équipiers en 1979 sur la Cheetah G601 aux 24 Heures du Mans, et trois ans plus tard au Rallye Monte-Carlo dans le Datsun Dealer Team.

ACS : Il venait d’où, ce petit moteur, Philippe ? Passion familiale ?

Philippe Roux : Pas du tout. J’ai toujours eu la voiture en tête, mais je crois que ça m’est venu en conduisant. À cette époque, pour la Coupe du monde de ski, on traversait les Alpes dans tous les sens pour aller d’une station à l’autre. On se tapait des cols magnifiques, dans toutes les conditions. On pouvait vraiment rouler, c’était un plaisir de faire la route. Et on avait la chance d’être bien payés, on pouvait s’offrir de belles voitures…

«J’AI TOUJOURS EU LA VOITURE EN TÊTE. À L’ÉPOQUE, POUR LA COUPE DU MONDE DE SKI, ON TRAVERSAIT LES ALPES DANS TOUS LES SENS POUR ALLER D’UNE STATION À L’AUTRE, DES COLS MAGNIFIQUES, DANS TOUTES LES CONDITIONS. ON POUVAIT VRAIMENT ROULER, C’ÉTAIT UN PLAISIR DE FAIRE LA ROUTE.»

Comme la Lancia Stratos vert pomme qui trônait devant l’hôtel des Suisses à Meiringen, et qui avait démarré notre conversation de télécabine ?

Exactement ! Une sacrée auto. C’est aussi avec elle que je termine 5e du Rallye du Vin 1975 (précurseur de l’actuel Rallye international du Valais, n.d.l.r.). On se déplaçait souvent avec mon pote Roland Collombin, mais lui, je le laissais conduire en plaine, sur l’autoroute, et seulement si j’étais fatigué. Et sur place, dès qu’on avait un moment de libre, je filais faire un ou deux cols voisins. À Val-d’Isère, il y avait un petit circuit sur glace où Henri Pescarolo officiait en tant que moniteur. Les entraînements de la descente terminés, ou le soir après la réunion avec les chefs d’équipes et les techniciens, on allait y aligner les tours. Au Stelvio, je montais les 20 km - sur la terre à l’époque – avec la Stratos, pendant que les autres prenaient le bus de l’équipe…

Le premier tournant de ta carrière, c’est en 79, lorsque tu arrêtes le ski. Pourquoi ?

J’avais perdu la motivation. La 4e place des Jeux olympiques d’Innsbruck en 1976 a été dure à avaler. Il m’a manqué 10 centièmes pour la médaille et j’avais fait 70 mètres de trop dans le dernier virage. J’aurai pu terminer 2e. En 78, aux Mondiaux de Garmisch, je tire le dossard 1, mais il y avait 30 cm de neige fraîche. À la fin de l’hiver 79, j’ai dit stop. J’avais encore deux ans de contrat avec Rossignol. Je voulais passer à l’automobile, au circuit, en monoplace, pour aller le plus haut possible. La F1 me faisait rêver. J’ai prévenu la Fédération suisse de ski, je me suis arrangé avec mes sponsors… et c’est parti !

Avec la Lancia 037 et Paul Corthay en 1986, sa meilleure saison, ici fonçant vers la 3e place au Critérium Jurassien.

Grâce, entre autres, à un célèbre client de ton magasin de sport de Verbier ?

Jackie Stewart en personne. Un homme extraordinaire. J’avais eu la chance de monter mon magasin à 21 ans avec mes premiers contrats de skieur, et c’est là que j’ai connu plein de célébrités. C’est Jackie, en 1979, qui m’a trouvé un team de Formule Ford en Angleterre, parce qu’il fallait bien commencer par le début, mais on discutait déjà avec Marlboro pour la F3 en 1980…

Et puis il y a eu l’accident de Silverstone, en septembre. Le 2e tournant de ta carrière ?

De ma vie, même. J’aurais dû y passer, ou rester tétraplégique. J’étais en aspiration derrière deux autres gars qui se sont touchés, j’ai donné un coup de volant pour les éviter, et je suis parti dans le mur, à 230-240 km/h. La voiture s’est retournée, elle a fait 150 mètres sur l’arceau de sécurité, qui a cassé. J’ai eu une accumulation de chance énorme : d’abord sur place, une femme médecin m’a immédiatement sécurisé la nuque avec une minerve. J’avais les deux premières

vertèbres cervicales fracturées. C’est la musculature de ma nuque de descendeur qui m’a sauvé. Ensuite, à l’hôpital de Northampton, c’était précisément le jour du mois où le meilleur spécialiste d’Angleterre était de passage. Et enfin, j’ai été pris en charge par le professeur Salamin, directeur de la Clinique Cecil à Lausanne, où j’ai été opéré par une sommité en la matière, le Docteur Zdrowiecki. La première vertèbre s’est ressoudée, pas la deuxième. Il a fallu aller chercher un bout d’os dans la hanche pour faire une greffe. Et ça a marché !

Mais l’accident a tout changé ?

Oui. Six semaines et demie d’immobilisation avec une broche dans le crâne pour l’extension de la nuque à Northampton, puis six semaines à Lausanne, et encore une année avec un corset. Quand tu prends une «sonnée» pareille, tu réfléchis. J’ai oublié les circuits et l’idée de devenir pilote professionnel. Il fallait me remettre de l’accident, et ça m’a pris quelques années. Je me suis contenté de me faire plaisir en rallye.

Ton meilleur souvenir ?

Le Monte-Carlo 2007 avec la Peugeot 307 WRC et Eric Jordan : 16es au «scratch» et 2es en Promotion, le classement réservé aux amateurs.

Et le moins bon ?

1983. On termine 15e et on gagne le Promotion avec Michel Wyder sur la Porsche Turbo de Haberthur, mais on est disqualifiés parce qu’il manquait la mousse dans le réservoir d’essence. Et ça arrangeait bien ceux qui avaient terminé derrière nous, aussi sponsors officiels du rallye… Michel en a presque fait une dépression, moi je m’en suis remis. Mon métier, c’était le ski, l’auto, c’était juste un hobby…

Le temps des circuits, avec la Cheetah aux 24 Heures du Mans 1979, un grand souvenir... Balmer et Roger Krattiger, qui avaient la même voiture. On était «au taquet», on aurait pu être champions de Suisse, on termine 4e. En 1985 aussi, on marchait fort avec l’Opel Manta Gr.A.

Ta meilleure saison ?

1986, sur la Lancia 037, face à Jean-Pierre

Tu as couru sur une trentaine de voitures différentes, mais on retrouve souvent les mêmes coéquipiers ?

Oui. On a fait 19 ans ensemble avec «Popol» Corthay, un copain d’enfance, menuisier à Verbier. Le premier, c’était Paul-Bernard Mugnier, mais on ne marchait pas aux notes : les épreuves spéciales du Valais, je les connais par cœur, et quand je vois, je n’écoute pas !

Et tu as même roulé avec tes enfants ?

Christophe et Mélanie, oui. Cinq ou six rallyes, ces dernières années, juste pour le plaisir de partager en famille quelque

chose de fabuleux. Mais avec ton fils ou ta fille à côté, tu fais encore plus gaffe !

Revenons en arrière, et ta brève expérience en circuit, en 1979, jusqu’à l’accident de Silverstone. Avec le recul, que t’en reste-t-il ?

Le plus beau souvenir, c’est évidemment les Six Heures de Dijon, mes débuts en sport-prototype sur la Cheetah de Chuck Graemiger préparée par Sandro Plastina, avec toi et Philippe Jeanneret. Première course, on termine 6es, et on gagne la catégorie 2 litres, c’était génial. Et puis les 24 Heures du Mans, dans la foulée. On abandonne dans la nuit, mais Le Mans c’est un truc à part, phénoménal. Tu n’oublies pas. Sans l’accident, j’y serais certainement revenu…

Tu fêtes tes 70 ans le 7 décembre, que vois-tu dans ton rétroviseur ?

Que c’est merveilleux d’avoir pu faire tout ce que j’ai fait. C’est une chance extraordinaire. Je suis un privilégié. Mais j’y ai aussi toujours cru : quand j’étais cloué à l’hôpital de Northampton, en octobre 79, je leur disais que je devais rentrer parce que j’avais le Rallye du Valais la semaine d’après ! C’était ma façon de me motiver. Et le 7 janvier 1980, j’étais sur les skis à Savoleyre, avec mon corset. Pas contents, les médecins !

Et maintenant ?

Je ne dis pas encore que j’arrête. Cette année, je saute un tour. C’est l’instinct qui parle. Avec le budget de mes sponsors, j’aide deux jeunes qui le méritent, Jonathan Michellod (vainqueur de l’Alps Rally Trophy et vice-champion de Suisse 2022 avec Stéphane Fellay sur une Škoda Fabia, n.d.l.r.) et Thibault Maret (3e du Championnat Junior en 2021 sur Renault Clio RC5) et je ne voulais pas les priver du budget. Mais je n’ai pas envie de faire un petit truc de quelques kilomètres. Le Monte-Carlo, oui, je repartirai (pour une 10e participation, n.d.l.r.). C’est un monument. Ou le Chablais, le Valais (il en a… 35 à son actif !, n.d.l.r.). Mais pas pour le chrono : juste pour le plaisir.

...et la presque revanche en 2007 (16e et 2e Promotion) avec la Peugeot 307 WRC et Eric Jordan.

Avec son fils Christophe sur le podium du Rallye du Chablais 2008, 3es sur une Peugeot 307 WRC. Au milieu, le patron du Rallye Eric Jordan.

This article is from: