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Aventure – Itw. Raphaël Domjan
«Il faut faire rêver les gens…»
En attendant de partir dans la stratosphère, Raphaël Domjan s’offre une petite escapade en Antarctique. Rencontre avec un explorateur solaire. Par Pierre Thaulaz
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AUTO: Que retenez-vous de votre tour du monde à bord de PlanetSolar?
Raphaël Domjan : On fait de l’écologie expérimentale, une discipline dans laquelle on tente de démontrer ce que l’on peut réaliser avec l’énergie solaire et l’électricité. C’était aussi le premier tour du monde d’un bateau électrique et solaire. Il faut faire rêver les gens, leur montrer qu’il existe des perspectives. Avec Adrena, l’Ecole d’ingénieurs d’Yverdon et Meteo France, on a aussi développé à l’époque un logiciel qui détermine la route la plus rapide et celle qui consomme le moins d’énergie. Au final, c’est la route maritime la moins chère. Toujours avec Adrena, on a décidé de concevoir un logiciel identique, mais multi-énergies, pour les bateaux hybrides.
Important d’ouvrir des brèches?
Une vingtaine d’entreprises aujourd’hui construisent des bateaux solaires et électriques dans le monde, et la plupart ont été créées vers 2011-2013 (réd. : le tour du monde de PlanetSolar a été réalisé entre septembre 2010 et mai 2012). Beaucoup d’entre elles nous ont dit : «C’est lorsqu’on a vu qu’un bateau solaire faisait le tour du monde qu’on a compris que la démarche était possible pour naviguer une journée sur le lac, transporter des passagers, construire des bateaux de plongée, etc.»
Parce que les bateaux, ça pollue pas mal?
Ça représente 1,6 milliard de tonnes de CO2 par année, soit trois fois plus que le transport aérien. Sur un total de 36 milliards d’émissions mondiales, c’est quand même important.
Comment passe-t-on du tour du monde sur l’eau à la stratosphère ?
Mon rêve, c’était d’être astronaute. La traversée du Pacifique, ça a été l’un des plus beaux moments de ma vie. On n’a vu personne pendant un mois, pas un signe de vie, pas un avion, j’avais l’impression d’être dans un vaisseau spatial. On capte l’énergie du soleil pour charger nos batteries la journée, la nuit c’est la voie lactée. J’ai eu comme un fantasme : et si on pouvait réaliser le rêve d’Icare ? Aller dans la stratosphère, s’approcher des étoiles, grâce à l’énergie solaire.
DU SOLAIRE À L’ÉLECTRIQUE…
Votre conception de la mobilité?
Je suis favorable à une mobilité qui respecte si possible l’environnement. Or techniquement, il est facile de changer. Il faut électrifier notre mobilité et après, il faut produire cette énergie de manière renouvelable et intelligente. Si je fais la promotion de l’électricité et du solaire, je ne crois pas à la voiture solaire mais plutôt à la voiture électrique. Je pense également qu’il n’y aura jamais d’avions solaires, mais des avions électriques.
Des avions et des voitures électriques que l’on rechargera grâce au solaire?
Exactement. Il faut mettre des panneaux solaires sur les toitures des maisons et couvrir les parkings. On pourrait également produire de l’énergie sur les toits des hangars d’avions.
Vous êtes aussi ambassadeur du groupe Leuba…
Leur initiative visant à créer un Green Center m’a convaincu. Lorsque j’ai roulé aux Etats-Unis avec le taxi solaire de Louis Palmer, en 2008, on plaçait un bout de bois sur l’accélérateur dans les montées et on poussait. Aujourd’hui, on produit des voitures électriques de 400 ch offrant 400 km d’autonomie, comme la Mercedes EQC que j’ai eu la chance d’essayer.
SUR LE PAPIER, NOTRE PROJET FONCTIONNE.
Pas peur de vous brûler les ailes ?
On sait que l’aventure, c’est dangereux. Les aventuriers que j’ai eu la chance de rencontrer m’ont toujours dit : Raphaël, le plus important ce n’est pas de réussir, c’est d’essayer. Si vous vous lancez dans quelque chose d’ambitieux, vous devez accepter le risque de ne pas réussir.
Quel est l’intérêt de ce nouveau projet?
Avec PlanetSolar, on a réécrit l’histoire avec l’énergie solaire. Dans la stratosphère, l’énergie solaire, c’est quasiment le seul moyen d’y aller. Avec un avion qui fonctionne au fuel, on n’y arrive pas car il y a de moins en moins d’oxygène et le rendement du moteur baisse.
Techniquement, c’est possible?
Sur le papier, notre projet fonctionne. Il existe déjà un avion solaire, sans pilote celui-là, qui a été lancé en 2001 dans la stratosphère. Helios est monté à 30 km, avant de se crasher au-dessus du Pacifique.
Quelle altitude visez-vous?
On tablait sur 25 km, mais ça paraît quasiment impossible. Notre objectif, c’est la stratosphère et pour nous elle commence vers 18 km.
Difficile de faire des essais avant?
De toute façon, si on n’y arrive pas, c’est qu’on n’aura pas assez d’énergie. L’avion doit être suffisamment performant sur le plan de l’aérodynamique, avec une hélice performante et une motorisation capable d’aller à cette altitude. Le défi principal, c’est le poids. Est-ce qu’on arrivera à réaliser un avion suffisamment léger et performant pour aller dans la stratosphère ? Est-ce que les systèmes embarqués, la combinaison spatiale et l’autopilote seront suffisamment fiables ? Parce que je ne pourrai pas piloter en continu dans la stratosphère.
Un projet qui a évolué depuis les débuts?
A mesure qu’on avance, on résout des problèmes. Mon bateau au départ devait faire 10 tonnes, 10 nœuds et 180 m2 de panneaux solaires, à la fin on avait 550 m2 de panneaux solaires et il pesait 80 tonnes. Vous avez votre rêve initial avec un certain budget, et après il y a la réalité.
Suite, page 08.
Le plus difficile, trouver des fonds ou motiver les gens autour de vous?
C’est de trouver l’argent. La principale difficulté consiste à financer des projets qui n’ont pas d’intérêt commercial. On fait de l’aventure, on n’est pas sûr de réussir. La première chose qu’on dit à nos sponsors et qui figure dans la première ligne du contrat, c’est qu’on ne leur garantit pas la réussite, même si on va tout faire pour réussir.
Le projet est un peu freiné?
On a perdu une année à cause des ailes, que l’on a cassées en juillet 2018. Il faut comprendre pourquoi ça a cassé, et on en a profité pour optimiser. Après, on a appris que l’assurance qui s’était engagée à couvrir le cas par écrit ne voulait pas payer. Ça veut dire qu’il faut nous organiser pour défendre nos intérêts et trouver une solution. Cet incident coûte un demimillion. On prend des risques, mais je ne dépense pas l’argent que je n’ai pas.
Il faut prendre son temps?
Il faut être tenace.
Vous ne vous donnez pas de calendrier?
Si vous n’avez pas de calendrier, vous n’y arrivez jamais. Notre vol record dans la stratosphère, c’est dès 2021.
Un vol de quelle durée?
3 heures pour monter et entre 3 et 6 heures pour redescendre.
Combien de temps dans la stratosphère?
Ça dépend de l’altitude qu’on va atteindre. La stratosphère, c’est 16-17 km, si on arrive à 18 km, ça va être une demiheure. Si on peut aller plus haut, ce sera peut-être une heure.
Vous vous préparez physiquement?
Il s’agit de ne pas dépasser 100 kilos avec la combinaison qui fait 30 kilos, donc je dois perdre 10 kilos.
En attendant, vous allez partir en expédition?
On part des Malouines le 30 novembre et on revient à Ushuaia début janvier. Une expédition en Antarctique avec un marin de légende, Eric Loizeau, et Laurence de la Ferrière, la première femme à avoir traversé le continent antarctique. Nous allons vérifier quelle est la situation dans cette région caractérisée par un changement climatique extrêmement important. J’y vais avec le même kayak solaire avec lequel j’avais fait en 2015 une tentative du passage Nord-Ouest de l’océan Arctique.
Quel enfant étiez-vous?
J’étais un peu particulier. J’étais un cancre, je me suis réveillé très tard. A 15 ans, les filles ça ne m’intéressait pas, j’allais faire des cabanes dans la forêt. Je construisais des caisses à savon, à 12 ans j’ai voulu faire un deltaplane. Il n’a jamais volé. J’ai toujours essayé de faire des trucs un peu fou.