![](https://assets.isu.pub/document-structure/210729073819-422ef0983a6fc7b347ea74d22b98732d/v1/d2d9751210551e549200e8f8a8a66426.jpeg?width=720&quality=85%2C50)
8 minute read
Haute horlogerie – Laurent Ferrier
Les anniversaires de Laurent Ferrier
Longtemps dernier pilote Suisse à être monté sur le podium des 24 Heures du Mans, «3e en 1979», Laurent Ferrier célèbre cette année le quarantième anniversaire de l’événement, simultanément aux dix ans de sa déjà réputée marque horlogère. Par Gérard Vallat
Advertisement
Clin d’œil du destin, l’origine de ce double jubilé prend sa source à l’époque où Laurent Ferrier était davantage connu des médias pour son art du pilotage que pour sa maitrise de la haute horlogerie. Employé professionnellement d’une célèbre marque de garde-temps, il avait acquis la réputation d’un pilote maniant avec dextérité volants de monoplaces, prototypes et voitures du Groupe 5. En ce temps, le sport automobile n’était pas tant esclaves de l’argent qu’actuellement. Le talent avait la vertu d’ouvrir des portes, et Laurent Ferrier n’en manquait pas. Cette qualité l’a mis sur la route de quelques personnes bien intentionnées, telles Jean-Louis Burgnard, Heini Mader, Fred Stalder et surtout le tricolore François Servanin, avec lequel il prendra part à huit éditions des 24 Heures du Mans. Vainqueurs en 1978 de la classe 2 litres pour l’un et GT pour l’autre, le duo revoyait ses ambitions à la hausse pour 1979. L’occasion pour les compères d’accueillir le Valaisan François Trisconi pour compléter l’équipage qui allait s’attaquer au double tour d’horloge au volant d’une redoutable Porsche 935 Kremer.
Revenant à l’origine de vos passions pour l’automobile et l’horlogerie, laquelle vous a touché la première?
Difficile à déterminer, mais en consultant mon arbre généalogique il y a des indices. Ma famille est originaire des Verrières, dans le canton de Neuchâtel, comme Abraham-Louis Bréguet. Ce doit être un signe, mon père, mon grand-père et mon arrière-grand-père étaient horlogers. Ces aïeuls avaient épousé des filles Tissot et Chopard. Mais j’avoue que je ne sais pas si à l’époque ces familles étaient dans la chaudronnerie ou l’horlogerie. Concernant mon rapport à l’automobile, il remonte à l’enfance. Gamin je ne démontais pas des montres, je construisais des maquettes de la voiture de Jim Clark. J’avais le virus, mais pas encore d’idées pour le traiter. Sortant de l’école d’horlogerie en 1968, j’ai été engagé chez Patek Philippe pour débuter ma vie professionnelle, avec la course auto dans un coin de ma tête.
![](https://assets.isu.pub/document-structure/210729073819-422ef0983a6fc7b347ea74d22b98732d/v1/caae99fb25b0877ede57bc72af6bf184.jpeg?width=720&quality=85%2C50)
Quand et comment êtes-vous passé à l’acte sport automobile ?
A l’époque, il y avait le circuit de VetrazMonthoux à côté d’Annemasse, nous y allions entre copains, jusqu’au jour où j’ai fait mes premiers tours de roues, avec une Sunbeam IMP achetée pour une bouchée de pain. Plus tard, alors que je rentrais de l’école de recrues, nous nous sommes mis à deux pour payer une vieille Lotus 18. Le but n’était pas de devenir pilote de F1, ni de faire les 24 Heures du Mans, juste dans l’idée d’aller tourner à Monthoux le samedi. Puis de fil en aiguille, las de tourner seul à Monthoux, je me suis rendu à Zolder pour participer à un cours de pilotage, avec possibilité de gagner une formule Ford. Tout s’est bien passé jusqu’à la finale, où j’ai tellement attaqué que j’ai fait deux têtes à queue devant les examinateurs. Fin de l’histoire et ouverture d’une autre avec mon ami Willy Schiess, et le constructeur genevois Jean-Louis Burgnard, qui nous avait vendu une de ses formules Ford. Avec cette voiture je me suis retrouvé au Festival formule Ford de Brands-Hatch. L’aventure de la course a commencé de cette façon, j’étais sur l’orbite. Je suis passé de cette monoplace aux prototypes de Michel Dupont, un pilote genevois assez connu à l’époque. Avec lui, j’ai participé à mes premières courses de championnat du monde.
Cette étape du championnat du monde vous a conduit aux 24 Heures du Mans?
Finalement oui, mais il y a eu d’autres épisodes, dont une course à Salzburg avec une Porsche 908/3 et surtout les Chevron B36 de Fred Stalder, un préparateur d’Annemasse très connu. Mon premier Mans avec cette voiture, et aussi la période durant laquelle j’ai rencontré François Servanin, avec lequel je créerai en 2009 la marque de montre «Laurent Ferrier».
Comment est né ce projet de créer une marque de montres?
J’avais fait la connaissance de François Servanin au début des années 70, puis nous avons partagé plusieurs fois le volant au Mans. En 1978, j’ai gagné la classe 2 litres avec la Chevron et François gagne en GT. Alors, on s’est dit «pourquoi
![](https://assets.isu.pub/document-structure/210729073819-422ef0983a6fc7b347ea74d22b98732d/v1/6e2dd04a871ab472362fb49d114e123b.jpeg?width=720&quality=85%2C50)
Suite page 14.
![](https://assets.isu.pub/document-structure/210729073819-422ef0983a6fc7b347ea74d22b98732d/v1/6d43d74cd3e5833b8f5152b55935bc2b.jpeg?width=720&quality=85%2C50)
pas essayer de faire mieux». Ce qui nous a amenés à nous rapprocher des frères Kremer, célèbres préparateurs allemands de Porsche. Pour 1979, ils nous ont proposé de faire les 24 Heures avec une de leurs voitures et Klaus Ludwig, un pilote professionnel réputé. En pesant le pour et le contre de cette proposition, François et moi sommes arrivés à la conclusion qu’il était peut-être risqué de partager le volant avec lui. On se disait qu’il attaquerait comme un fou, donc un risque d’abandon élevé. De fait, nous avons hérité d’une autre Porsche 935 Kremer. Un choix que nous avons finalement regretté, puisque Ludwig a gagné la course. Bref, on ne refera pas l’histoire, et c’est avec François Trisconi que nous avons pris part aux 24 Heures du Mans 1979, pour finir troisième, ce qui était un résultat magnifique pour nous.
Quels souvenirs restent de cette course?
On est passé par tous les sentiments, la course s’est passée en partie sous la pluie, dans des conditions difficiles. Le matin, les frères Whittington, qui étaient en tête, sont tombés en panne dans les Hunaudières, et au même moment la Porsche 935 de Paul Newman était arrêtée dans les stands. A ce moment, on s’est mis à croire que nous allions gagner les 24 Heures du Mans. Nous avons eu notre lot d’ennuis qui nous ont retardés, mais pas suffisamment pour nous empêcher de terminer à la troisième place.
Ensuite, on sait que cette performance sera le déclencheur d’une autre aventure, horlogère cette fois?
Après notre belle course, j’avais offert à mon ami François Servanin une montre Nautilus de Patek Philippe. Heureux, il m’a évidemment remercié, mais il m’a surtout dit «la marque Patek Philippe est la plus prestigieuse au monde, hélas, quand on veut s’offrir une montre, il n’y en a jamais de disponibles. Alors, pourquoi ne ferions pas notre propre marque ?» J’étais touché de cette proposition qui est restée lettre morte de longues années. Jusqu’au jour où François a remis l’idée sur le tapis, en me disant c’est le dernier moment pour nous lancer. En effet, j’étais à trois ans de la retraite, c’était le moment où jamais. De plus, mon fils Christian qui était chez Roger Dubuis était ouvert à l’idée et François m’a laissé carte blanche. C’était une idée folle, si j’avais fait le tour de la rue du Rhône pour voir toutes les marques de montres représentées, je me serais dit que c’était de la folie de faire une marque supplémentaire. On est quand même partis, la fleur au fusil et la marque est née avec le premier tourbillon. Je ne suis pas un amateur fou des immenses complications, mais le tourbillon reste un moteur génial. C’était l’occasion de créer la montre que j’avais envie de porter. Je voulais une pièce qui soit belle à regarder, de formes douces sous tous les angles. Pour le mouvement, mon fils a passé beaucoup de temps pour l’esthétique, avec de belles terminaisons. Toutes les vis sont polies, anglées, les ponts également, avec certains angles rentrants impossibles à faire autrement qu’à la main. Nous avons pris le temps de bien faire les choses en ne comptant pas les heures, comme travaillaient les horlogers il y a cinquante ans. L’idée était de revenir à ce genre de pièce. Nos clients sont des collectionneurs de montres. Mais c’était un truc de fou.
Le résultat ne s’est pas fait attendre, avec un premier grand prix d’horlogerie?
Dans la vie, comme dans la course, la chance, ou la malchance joue parfois un rôle important, nos amis Neel Jani et Sébastien Buemi en ont fait l’expérience au Mans 2016. Buemi est tombé en panne à un tour de l’arrivée et Jani a gagné. Pour notre histoire, tout est parti d’un diner de collectionneurs aux EtatsUnis en 2010. Et là, un hasard, une des personnes me demande si on est inscrits au Grand Prix de l’horlogerie. Je lui ai répondu non, parce que je pensais que notre pièce était assez classique et sobre, et qu’il existe des tourbillons dans beaucoup de montres. On avait juste deux spiros opposés, c’est top, mais je me suis dit que ce n’est pas avec ça qu’on gagnerait un prix. Le collectionneur a proposé de nous inscrire, on était à quelques jours de la clôture et je ne voulais pas le contrarier. Finalement, on a décroché le premier prix devant FP Journe et Vacheron Constantin
La vraie aventure pouvait commencer?
Effectivement, ce prix nous a donné un coup de boost et notre production d’une quinzaine de pièces annuelles est passé jusqu’aux alentours de cent cinquante. Ensuite nous avons eu un autre Grand Prix de l’horlogerie en 2015 avec le Galet Square, une montre automatique à échappement naturel que nous réclamait une partie de nos clients. C’était déjà extraordinaire d’obtenir de telles reconnaissances, mais nous avons encore été primés en 2018, avec un quantième annuel et une nouvelle forme de boite. Finalement, nous avons reçu le Grand prix pour chaque type de boite et de mouvement. On a eu beaucoup de chance, l’aventure est en marche, cette année nous fêtons nos deux jubilés les quarante ans du Mans et les dix ans de Laurent Ferrier, mon fils Christian est à la création, la vie est belle !
![](https://assets.isu.pub/document-structure/210729073819-422ef0983a6fc7b347ea74d22b98732d/v1/590c37bc7c9d9da60e4b966ca770d827.jpeg?width=720&quality=85%2C50)
![](https://assets.isu.pub/document-structure/210729073819-422ef0983a6fc7b347ea74d22b98732d/v1/2a18af867565946fae8697dd5e8af06d.jpeg?width=720&quality=85%2C50)
![](https://assets.isu.pub/document-structure/210729073819-422ef0983a6fc7b347ea74d22b98732d/v1/b4f3748112ff0b55f87fadba17c5f27f.jpeg?width=720&quality=85%2C50)