Maria Elena Gonzales de Guzman
E « Je vais vous raconter… » DICK DUERKSEN
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Octobre 2021 AdventistWorld.org
lle arrive à la clinique rurale juste avant le déjeuner, marchant pieds nus dans un champ de framboises situé à flanc de montagne – un champ plus raide que l’escalier de la tour Eiffel. L’infirmière de triage, une ado qui effectue son premier voyage missionnaire, les accueille, elle et son mari silencieux. « Nom ? » « Âge ? » « Mariée ? » « Où avez-vous mal ? » Elle ne parle ni anglais, ni espagnol – seulement le quechua qu’elle a appris de sa grand-mère. Sa voix est aussi douce que la fourrure d’un lapin. « Maria Elena Gonzalez de Guzman. » « Plus de 80 ans, au moins. » « À lui. Pour toujours. » « Partout. » Maria Elena touche légèrement le coude de son mari, le guidant là où deux chaises en bois, froides au toucher, sont libres. Les deux s’asseyent côte à côte et attendent. Ensemble. Comme ils l’ont toujours fait, avant même que le volcan ne forme les montagnes. Ensemble. ***** Le directeur de la clinique – un médecin de l’armée de l’air américaine qui a choisi de prendre sa retraite pour pouvoir enseigner à des ados comment s’occuper des femmes âgées – s’arrête devant sa chaise et
retient son souffle. Ce n’est pas le chapeau melon parfaitement brossé de la femme, ni ses couches de vêtements en laine qui le font s’arrêter, non, mais ses pieds. Ils sont nus. Et laids. Les pieds ô combien usés de Maria Elena sont noueux comme les racines d’un vieil arbre. Partout où elle les pose, ils se fondent profondément dans le sol boueux, comme s’ils étaient plus de poussière que de chair. Ses chevilles, à la riche teinte de bois de fer brûlé, s’élèvent au-dessus des pieds difformes dont les orteils pointent vers l’avant comme s’ils les incitaient à les suivre. Maria Elena attend son tour, les pieds bien ancrés sur le sol en béton. Ils sont appelés par leurs numéros, ensemble – le mari et la femme se fondant en une seule personne sur le versant de la colline. Ils se dirigent ensemble vers le cercle de chaises froides du médecin. C’est qu’ils ont toujours tout fait ensemble. À ce point-ci, la clinique de montagne a deux files d’attentes – une pour les hommes, et une autre pour les femmes. Le mari regarde intensément sa femme dans les yeux, puis la laisse finalement partir, pas sûr du tout que ce soit sage, mais acceptant à contrecœur de suivre la règle. La docteure – une femme mince, résidente des urgences de l’armée – a décidé de participer à ce voyage missionnaire dans les Photo : Dick Duerksen