L'Église dans le monde n° 182

Page 1

182 VITALITÉ • DÉTRESSE • FAITS & TÉMOIGNAGES

Philippines Y a-t-il un pilote dans l’avion ?

Colloque quel combat contre le terrorisme ?

9:HSMJKF=W]\X^\

L’ÉGLISE DANS LE MONDE • N°182 • Février 2017 • 6 e

Syrie

Un tournant décisif


ORGANISÉE PAR

LA

Nuit des

ÉmoiNs

DU 23 AU 27 MARS 2017

VeiLLÉe de PRiÈRe PouR Les CHRÉtieNs PeRsÉCutÉs Reims

PARis

de 20h à 22h Église Saint-Jacques

Messe à 18h15 - veillée de 20h à 22h Cathédrale Notre-Dame de Paris

JeUDi 23 MARS

VenDReDi 24 MARS

SAMeDi 25 MARS

de 20h30 à 22h30 Basilique Sainte-Anne

moNACo

PeRPiGNAN

de 20h30 à 22h30 Église Saint-Charles

de 20h à 22h Chapelle Saint-Jean-Paul II

DiMAnche 26 MARS

Témoignages

sAiNte-ANNe d’AuRAY

LUnDi 27 MARS

de personnaliTés de Corée dU nord de syrie eT dU niger

www.aed-france.org TÉLEVISION CATHOLIQUE


SOMMAIRE actualité lEs  points  chauds ............................................................... 4 LE  MONDE  EN  BREF ................................................................... 6 TRIBUNE    70 ans d'une même spiritualité ......................... 7 DÉCRYPTAGE

La Bible n'est pas ce que l'on croit.............................................. 8

Spécial Colloque

L'Église au service de la paix ..................................................... 10

Carnet des continents Europe    Espagne Les attaques contre l'Église se multiplient

.........................

14

.................................................

18

Asie    Philippines

Y a-t-il un pilote dans l'avion ?

moyen-Orient    Syrie

Un tournant décisif .......................................................................... 20 Irak Un optimisme déplacé . .................................................................. 22

AFRIQUE    Burkina Faso La fin d'un modèle de convivialité ?....................................... 24 Amériques    Cuba Une île au régime sec

.....................................................................

28

rendez-vous communautés du monde

30 kiosque    écouter, lire, voir ................................................... 32 portrait    Ayad : vivant........................................................... 34 Projets de l’AED ................................................................... 35 prière .................................................................................................. 36 Missionnaires Serviteurs des Pauvres du Tiers-Monde

.

veillez et priez carnet de prière .................................. pages

182

centrales

Édito Éloge de l’imprévu Chers amis, La tradition veut qu’on puisse présenter ses vœux jusqu’à fin janvier, ce qui correspond à quelques jours près au moment où vous recevrez ce magazine. Que sera donc cette année, après un cru aussi déplorable si l’on en croit la plupart des commentateurs médiatiques ? Mais 2016 fut-elle réellement si mauvaise ? En réalité, une première impression consisterait plutôt en une succession de nouvelles inattendues : Brexit, élection de Trump, résultat des primaires en France, fin de la bataille d’Alep. Sur tous ces sujets, on peut évidemment avoir des opinions différentes mais indiscutablement, aucun de ces événements n’avaient été prévus. On pourrait se réjouir que les pronostics de la part de nos élites politiques et médiatiques aient été erronés pour la simple raison qu’il s’agissait le plus souvent moins de pronostics que de conditionnements. La pensée unique formatait l’avenir qu’on finissait par imaginer imprévisible. Or, c’est l’imprévu qui est advenu. Dans chacun de ces événements est apparue l’expression à la fois d’un retour au réel et d’un besoin impérieux d’enracinement. Le bon sens voudrait que l’on considère cela comme étant une bonne nouvelle mais pour nous chrétiens, cela va même plus loin. Cette dynamique de retour à nos racines ne peut que nous aider et le projet apparemment infaillible de dissolution de nos valeurs semble moins définitif. La grâce demeure toujours imprévisible. Bonne et sainte Année 2017 !

Marc Fromager

Directeur national Ce numéro comporte un encart posé sur la couverture. Pour vous abonner, contactez l’AED, écrivez à la rédaction : 29, rue du Louvre - CS 30057 - 78 750 Mareil-Marly - 01 39 17 30 10 contact@leglisedanslemonde.org - Photo de couverture : © AED - Photo de la 4e de couverture : © Ilona Budzbon - Directeur de la publication : Pierre Bouhey - Rédacteur en chef : Marc Fromager - Rédactrice en chef adjointe : Amélie de La Hougue - Comité de rédaction : Marc Fromager, Amélie de La Hougue, Philippe Oswald, Emmanuelle Ollivry - Secrétaire de rédaction : Véronique Belle - Fabrication / production : CLD, 33, avenue du Maine, 75015 Paris - Impression : Imprimerie de Champagne, Z.I. les Franchises, 52200 Langres Inscription CPPAP - n° 0510G79871 N° ISSN : 0252-2578 - Dépôt légal : février 2017

L’église dans le monde N° 182 ■ 3


Les points chauds

Actualité

vatican Près de quatre millions de fidèles ont participé en 2016 à des événements en présence du pape François à Rome.

Mauritanie Colombie En pleine messe, un paroissien de Sainte-Cécile a été tué, le 22 novembre à Cordoba. L’archevêque de Cali dénonce fermement la violence dans les lieux sacrés.

De toutes premières relations diplomatiques s’ouvrent entre le Saint-Siège et la République islamique de Mauritanie.

Nigeria Le 8 janvier 2017, le pays marque le 1000e jour de captivité pour les 195 écolières (en majorité chrétiennes) retenues par Boko Haram depuis avril 2014.

Vitalité Inquiétude Détresse Sources : fides, asianews, apic

4 ■ L’église dans le monde N° 182

Brésil Le pays compte toujours moins de catholiques. D’octobre 2014 à décembre 2016, la première religion du pays a en effet perdu au moins neuf millions de fidèles, soit 6 % des Brésiliens de plus de seize ans.


Retrouvez toute l’actualité de l’Église en Détresse sur www.aed-france.org

inde L’acquittement des deux hommes accusés du viol d’une religieuse, en juin 2015, provoque l’inquiétude de l’archevêque de Bombay. Selon lui, l’enquête a été bâclée.

Égypte L’attentat le plus meurtrier qu’aient connu les coptes depuis 2011 a fait près de trente morts, le 11 décembre, dans l’église Saint-Pierre et Saint-Paul du Caire.

chine Fin décembre, le chef du Parti communiste chinois de Shanghai, Yu Zhengshen, a appelé les catholiques chinois à se désolidariser de Rome.

Philippines Une explosion a fait treize blessés, à 30 mètres d’une église de Mindanao, fin décembre. Selon un enquêteur, elle visait l'église sans l’atteindre « en raison des mesures de sécurité importantes ».

Philippines Le IVe Congrès apostolique mondial de la miséricorde (WACOM) s'est tenu à Manille du 16 au 20 janvier 2017.

Bangladesh

Soudan du sud

Le pape François a créé le premier cardinal de l’histoire du pays : Mgr Patrick D’Rozario, l’archevêque de Dacca.

La guerre civile fait rage depuis quatre ans avec son lot de massacres et pénuries. Dans le diocèse de Yei, 2 paroisses sur 9 tiennent encore debout. Les autres ont été saccagées.

L’église dans le monde N° 182 ■ 5


Le monde en bref

Actualité ACTUALITé

›› Il l’a dit :

© AED

« Le Pakistan est un pays majoritairement islamique, les chrétiens ne représentent que 2 % de la population. Nous sommes une très petite minorité, la plupart des chrétiens sont très pauvres, mais nous sommes très riches dans la foi. Cette année de la Miséricorde a été très spéciale, les chrétiens du Pakistan sont les champions de la miséricorde. Je me souviens qu’un jour, après la célébration de l’Eucharistie, un couple m’a demandé de les bénir. Les époux m’ont dit que mon homélie sur le pardon les avait beaucoup aidés. Ils m’ont alors confié qu’ils avaient perdu un fils dans l’attentat du parc Gulsan Iqbal le dimanche de Pâque (72 morts), et qu’ils pardonnaient au terroriste qui s’était fait exploser dans cet attentat suicide. L’Année de la Miséricorde a été une grande bénédiction pour toute l’Église et surtout pour l’Église du Pakistan. » ■

›› Gros plan

Nigeria : 800 morts et 16 églises détruites par des bergers Fulanis Dans l’État de Kaduna, un groupe de bergers Fulanis, une ethnie musulmane, a intensifié ses attaques contre les chrétiens, rapporte Mgr Joseph Danlami Bagobiri, évêque de Kafanchan, au sud de l’État de Kaduna. Cette organisation islamiste est responsable, depuis septembre 2016, de l’incendie de 53 villages, de la mort de 808 personnes, de la destruction de 1422 maisons et de 16 églises. Le prélat nigérian rappelle que, de 2006 à 2014, plus de douze mille chrétiens ont été tués et deux mille églises détruites par le groupe terroriste Boko Haram, cependant en net recul actuellement. ■

Mgr Shaw, archevêque de Lahore.

28

c’est le nombre d’« opérateurs pastoraux » catholiques tués dans le monde au cours de l’année 2016, selon l’agence Fides. Soit 14 prêtres, dont le père Jacques Hamel à Saint-Étienne du-Rouvray, le 26 juillet 2016, 9 religieuses, 1 séminariste et 4 laïcs.

l Laos : nouvelles ordinations L’événement est rare dans un pays communiste. Alors que les catholiques représentent moins d’1 % des presque sept millions d’habitants,

trois nouveaux prêtres viennent d’être ordonnés pour le vicariat de Luang Prabang. Les dernières ordinations au Laos remontent à 2011, 2009, 2005 et ne concernaient qu’un prêtre à la fois.

6 ■ L’église dans le monde N° 182

l Égypte : construction d’églises La plus grande église copte orthodoxe devrait être inaugurée d’ici 2018 dans la métropole du Caire, financée par le président égyptien. Abdel Fattah al Sissi l’a annoncé lui-même lors du Noël copte orthodoxe le 7 janvier, confirmant également l’engagement pris de reconstruire toutes les églises endommagées ou détruites au cours de l’été 2013.


Tribune

Actualité

Soixante-dix ans d’une même spiritualité Fondée en 1947 par le père Werenfried pour aider les chrétiens d’Allemagne de l’est, l’AED s’est déployée aux périphéries à l’appel des papes successifs, œuvrant désormais dans 150 pays à travers 6000 projets. En soixante-dix ans, sa spiritualité est restée identique : inviter à la « révolution de l’Amour. »

L

' année 2017 est marquée par plusieurs

© AED

troisième guerre mondiale, qui est déjà « ici et là » jubilés, certes significatifs, mais complètement en marche. Pouvons-nous à l’opposé les uns des autres : 300 ans depuis la fonencore empêcher que le feu dation de la Franc-maçonnerie en 1717, 100 ans depuis de la guerre ne se propage à les apparitions de la Vierge Marie à Fatima en 1917 et toute la surface de la terre ? la révolution bolchevique en Russie. La fondation de Nous ne le savons pas. Mais nous savons – comme l’a l’AED en 1947 se situe également dans le contexte de ces promis la Reine du Rosaire de Fatima – qu’« à la fin, son événements historiques mondiaux. À partir d’une initiacœur Immaculé triomphera ». En cette année du Jubilé tive ponctuelle, destinée à alléger les détresses des perde Fatima, pouvons-nous donc espérer nous approcher sonnes déplacées, juste après la guerre, s’est développé, de ce triomphe de l’Amour ? Certainement ! Sauf si nous en soixante-dix ans, un mouvement spirituel mondial, nous décourageons et restons les bras croisés. Confortés invitant à une « révolution de l’Amour ». par cette espérance, l’année 2017 doit être pour nous Cette « Révolution » ne repose pas sur les une étape cruciale. En tant qu’Œuvre pontificale, nous mythes fallacieux d’un communisme athée ou voudrions nous engager de manière encore plus généd’un relativisme humaniste, mais sur l’événement de reuse pour l’Église. Nous voulons soutenir le triomphe la Croix de Jésus-Christ et de Son cœur transpercé. Sans de ce Cœur partout dans le monde. Il s’agit d’un engagecette réalité, tout devient « post-vérité » – le mot de ment d’amour, plus qu’un devoir de charité, qui implique l´année 2016 selon le dictionnaire d’Oxégalement de faire des sacrifices et donc « Il s’agit ford – seuls comptent les opinions et les de s’enraciner dans le Sacrifice eucharissentiments humains. Mais l’amour est d’un engagement tique. Le bienheureux martyr roumain toujours concret. À travers les soixanteVladimir Ghika décrit avec justesse le lien d’amour » dix ans d’histoire de l’AED, on peut citer entre la liturgie eucharistique et la « liturdes milliers de faits qui ont été vraiment source d’Esgie de la charité » : « Le pauvre voit le Christ venir à lui pérance. Toutefois, cela ne s’explique que grâce à une sous la forme de celui qui l’aide – et le bienfaiteur reconréalité : Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné naît le Christ souffrant dans le pauvre vers lequel il se son Fils unique, non pour juger le monde, mais pour penche. Il s’agit là d’une liturgie unique, parce que quand que le monde soit sauvé par Lui (cf. Jn 3, 16-17). Les un acte bon est accompli comme il devrait l’être, le Christ espoirs qui résultent non pas de cette source, mais du se trouve des deux côtés. Le Christ Sauveur vient vers messianisme d’un système, se terminent finalement le Christ souffrant, et tous deux s’unissent dans le Christ dans l’absurdité et le nihilisme. ressuscité, glorifié et bénissant. La liturgie eucharistique, déjà célébrée sur l’autel, se prolonge ainsi dans le service La majeure partie du monde occidental des pauvres. » Voici le programme de l’AED pour les a vécu sans guerre depuis soixante-dix ans. Toutefois, soixante-dix prochaines années. ■ Père Martin Maria Barta, nous ne pouvons pas dire que la paix règne pour assistant ecclésiastique de l’AED autant. Le pape François a parlé plusieurs fois de la L’église dans le monde N° 182 ■ 7


Décryptage

Actualité

La Bible n’est pas ce que l’on croit Créer une nouvelle version de la Bible, numérisée et étoffée de toutes ses traditions, c’est le pari du frère Olivier-Thomas Venard, responsable du programme de recherche La Bible en ses Traditions, ouvert au public le 7 décembre 2016. Une occasion de tordre le coup à un certain nombre d’idées reçues.

AED : Pourquoi une nouvelle traduction ? Pas une traduction mais des traductions pour chaque livre, correspondant aux versions hébraïque, grecque, latine, syriaque… Par exemple, le « sanctuaire unique » où Dieu veut être adoré ne désigne pas le même lieu selon la version hébraïque ou grecque de la Bible. Comme si l’Esprit saint voulait déjà suggérer ce que Jésus dirait 8 ■ L’église dans le monde N° 182

© DR

A

ED : Quel est votre postulat de départ et vos objectifs quand vous vous lancez en 2006 ? Frère Olivier-Thomas : Les bibles d’aujourd’hui ne correspondent plus à l’état de nos connaissances. Elles sont trop marquées par une certaine prétention « critique » qui a fait long feu, celle de reconstituer « le » texte « originel », censé être le plus vrai. Nous savons aujourd’hui, en particulier grâce aux découvertes de Qumrân (une bibliothèque juive de l’époque du Nouveau Testament), que les Écritures ont toujours existé dans une variété de versions. En gros : la Parole de Dieu s’entend dans une polyphonie, pas dans une simple mélodie. Les laboratoires que nous avons lancés sur internet en 2006 visent à replacer la Bible dans le mouvement de sa transmission historique et dans la diversité de ses versions. Nous signalons les façons dont les textes ont été lus, compris, interprétés, non seulement par les théologiens mais aussi les mystiques, les artistes, les diverses confessions, au fil des siècles. Même si on n’en a pas conscience, c’est avec tout cela en mémoire qu’on ouvre la Bible aujourd’hui !

Père Venard : « Les bibles aujourd’hui ne correspondent plus à l’état de nos connaissances. »

plus tard : il faut adorer en esprit et en vérité plutôt qu’ici ou là ! Dans ces cas, la Parole n’est pas directement dans des mots fixes, mais dans l’écart entre les versions. AED : Quelle est votre plus-value, par rapport à d’autres bibles disponibles sur internet ? Nous ne proposons pas une bible entièrement « faite ». Nous la remettons sur le métier et invitons le public intéressé à participer directement à l’aventure de la traduction et de l’annotation. C’est passionnant ! Internet permet de « rebrancher » la transmission des Écritures et la communauté humaine. À l’invention de l’imprimerie, les


bibles ont été produites par des machines, ce qui a coupé la production des Écritures de la communauté concrète de l’Église, c’est-à-dire du corps vivant du Christ… AED : Vous réaffirmez que l’Église catholique n’est pas une religion du livre, comme peut l’être l’islam. Votre démarche vise-t-elle à clarifier les choses ? Notre démarche, à la fois « haute technologie » et profondément traditionnelle, contrarie tout fondamentalisme, qu’il soit « religieux » ou « scientifique » : toute prétention à posséder la vérité. On ne la possède pas, on la connaît comme une Personne vivante, le Christ, dont la présence brûle le cœur de quiconque s’approche de l’Écriture pour en vivre.

Internet permet de « rebrancher » la transmission des Écritures et la communauté humaine.

AED : Comment évangéliser par la Bible ? Visezlangue, des dents, tout ce qu’il faut pour nous parler, ont vous seulement les jeunes et les privilégiés l’audace de penser que Dieu a visité la relativité de nos ayant accès au web ? Quid des contrées isolées, cultures pour y faire entendre le en détresse ? « On ne possède pas vrai. En se remettant non pas à En 2016, 42 % de la population « lire » la Bible, mais à vivre avec mondiale a accès à Internet, un la vérité, on la connaît elle, on peut ré-aimanter notre chiffre en croissance constante. comme une Personne propre parole à cette confiance Cependant, quand notre travail vivante, le Christ » merveilleuse ! C’est cet enthoude retraduction aura atteint une siasme que nous proposons au public dans notre petite vraie maturité, d’ici quelques années, on pourrait envisalettre biblique hebdomadaire www.prixm.org.et en lui ger – pourquoi pas avec le soutien de l’AED ? – de diffuser ouvrant notre chantier. ■ une nouvelle bible catholique imprimée ! Propos recueillis par Emmanuelle Kaeser

AED : Qu’est ce qui vous a motivé, vous Frère, à vous lancer ? Pourquoi l’étude de la Bible vous semble-t-elle indispensable ? J’ai été attiré vers une contemplation du Verbe divin au cœur des mots, grâce à des recherches littéraires et théologiques, tant sur la poésie française moderne que sur la scolastique du XIIIe siècle. Le point commun d’auteurs aussi divers que Rimbaud ou Thomas d’Aquin, c’est la fascination pour l’Écriture sainte, et particulièrement pour les évangiles qui gardent trace de la visitation des mots humains par Dieu lui-même ayant pris chair en Jésus… Aujourd’hui, où la notion de vérité est décrédibilisée, parce que « tout est relatif », il est indispensable de retrouver confiance dans le langage humain : les chrétiens qui croient que Dieu lui-même a pris des cordes vocales, une

Ce programme vise à replacer la Bible dans son contexte historique avec ses différentes versions.

L’église dans le monde N° 182 ■ 9


Spécial Colloque

Actualité

« En guerre contre le terrorisme. Comment l’Église peut-elle servir la paix dans le monde ? » Dix experts ont débattu de cette question, le samedi 3 décembre 2016 à Paris, lors du colloque organisé par l’AED. Rétrospective d’une journée riche en réflexion.

D

« L’un des tournants majeurs, explique le premier intervenant, Mathieu Guidère, professeur à la Sorbonne, c’est 2014 et la création de l’État islamique. » Après avoir décrypté la guerre interne fratricide entre les deux courants sunnite et chiite de l’islam, ce spécialiste du terrorisme poursuit : « L’État islamique, qui prend le pouvoir et le nom "d’État", va changer la donne radicalement dans le monde musulman en interpellant tous les États existants qui se réclament de l’islam. Il prend l’islam en otage, en donne une version islamiste, avec une volonté de l’exporter partout dans le monde. » Marc Fromager, 10 ■ L’église dans le monde N° 182

© DR

Marc Fromager : « Nous assistons aujourd’hui à une véritable wahhabisation de la planète. »

directeur de l’AED, poursuit sur cette même idée : « Nous assistons aujourd’hui à une véritable wahhabisation de la planète », c’est-à-dire une « exportation de l’islam tel que vécu en Arabie Saoudite. Le tout financé par des pétrodollars, de manière très visible.» Rien qu’à Madagascar par exemple, l’Arabie Saoudite finance la construction de 2800 mosquées. Une radicalisation qu’il explique « par une triple crise au sein de l’islam qui le pousse à un retour aux origines glorieuses du VIIe siècle : une crise face à la modernité, face à la mondialisation et face à l’attrait du christianisme ». En Indonésie, premier pays musulman, on parle de six millions de musulmans convertis au christianisme. De quoi faire peur à certains. Et de s’interroger : l’islam résistera-t-il à cette crise en se réformant (mais qui peut réformer l’islam aujourd’hui sans être assassiné ?), ou est-ce son chant du cygne ?

© AED

’où vient l’ascension ful­gurante du terrorisme isla­miste ? Comment l’Église peut-elle agir de manière concrète auprès des gouvernements et des populations pour ap­porter la paix ? En France, à quoi sont appelés les chrétiens ?

P. Poquillon : « L’une des causes du terrorisme est une espèce de faillite morale de notre société. »


revenants », ces Français qui sont partis en nombre combattre en Syrie ou en Irak, aux côtés de l’État islamique. Et notamment les femmes, très nombreuses : « Du côté de la justice, on a longtemps considéré que les femmes étaient victimes, un peu forcées par leur mari, mais on s’aperçoit aujourd’hui que ce n’est pas tout à fait le cas et qu’il y a aussi un ADN du terrorisme très développé chez les femmes. » Depuis peu, elles remplissent donc elles aussi les prisons… Au risque de se radicaliser encore plus, admet la juge.

B. Brugère, ex juge anti-terroriste : « Les djihadistes s’annoncent comme des ‘apôtres de la vertu’. »

© AED

Contre qui sommes-nous en guerre ? Pour Mgr Ravel, évêque aux armées, nous vivons une nouvelle forme de guerre : « Une guerre hors frontière, où l’ennemi est à l’extérieur comme à l’intérieur. » « N’importe qui peut faire la guerre maintenant, ce n’est plus la prérogative des États », approuve de son côté Vincent Picard, responsable international de la communauté San Egidio. Le Père Poquillon, président de la Comece et ancien aumônier militaire, souligne par ailleurs le fait que « l’immense majorité des personnes qui ont commis des actes terroristes sur notre territoire viennent de France et y sont parfois nées ». D’où cette question : « Donc, si nous nous lançons dans une guerre, c’est une guerre civile. Est-ce ce que nous voulons ? La réponse de l’Église est non. » D’ailleurs Béatrice Brugère, ancien juge antiterroriste, s’alarme du « retour des

© DR

Mgr Ravel, évêque aux armées : « Outre le terrorisme islamiste, on est face à un ‘terrorisme intellectuel’. »

Un enjeu de civilisation Mgr Ravel souligne une autre particularité de cette guerre, car outre le « terrorisme islamiste », on est face à un « terrorisme intellectuel ». L’État islamique ne nous a pas déclaré la guerre « comme un État déclare la guerre à un autre État, mais il nous a déclaré la guerre en tant que Nation ». C’est-à-dire qu’il touche là tout un peuple. « Cette guerre n’est pas qu’une guerre d’armes contre armes, confirme de son côté l’abbé Venard, aumônier militaire, c’est une guerre idéologique, de colonisation des esprits. » D’ailleurs, le Père Poquillon, s’interroge : « Je crois que l’une des causes principales du terrorisme est une espèce de faillite morale de notre société. Où est le projet de nos sociétés aujourd’hui ? Y en a-t-il un ? On peut en douter. »

Même discours chez Béatrice Brugère qui explique comment les djihadistes s’engouffrent dans notre faille morale. Leur « discours très rationnel a un écho particulier dans notre société en perte de sens : ils s’annoncent comme des "apôtres de la vertu" en proposant aux L’église dans le monde N° 182 ■ 11


Spécial Colloque

Actualité

jeunes d’être des héros, dans une société qui ne valorise plus ces valeurs de l’héroïsme, et proposent une spiritualité dans une société hyper sécularisée : ils occupent un vide qu’il va falloir combler, sinon eux s’en chargeront. »

le plus, à nous chrétiens d’Occident, c’est véritablement de découvrir le sens de la transcendance. Et dans le fond, de nous poser cette question, aujourd’hui : pour qui, pour quoi suis-je prêt à mourir ? »

© DR

Le pardon, source de paix Alors que faire ? En fin de journée, deux intervenants liba« Nous n’avons pas à dénoncer l’islam nais ont témoigné de l’importance du mais nous avons à combattre l’idéologie pardon dans la construction de la paix. P. Venard : « Nous manqui, en plus, nous met en porte-à-faux car quons de transcendance. » Sœur Micheline est responsable d’un elle utilise le nom de Dieu, à la différence foyer pour familles pauvres libanaises, e des idéologies du XX siècle qui à Deir El Harmar, lorsqu’elle voit étaient des idéologies athées », affluer des centaines d’enfants « L’Église doit dénoncer clame Mgr Ravel. Alors comment syriens fuyant la guerre. Comment le combat idéologique, agir ? L’évêque aux armées propose faire pour que l’équipe libanaise comme elle a dénoncé accepte ces Syriens, « leurs ennequatre pistes : il invite les jeunes chrétiens à s’engager comme résermis de toujours » ? « Avec patience le nazisme » vistes : « L’Église dispose des "armes et confiance, j’ai engagé avec moi de lumière" en plus des "armes de des anciens combattants, j’ai fer", explique-t-il et elle ne doit jamais laisser les armes de Sœur Micheline, apôtre de la réconciliation fer seules » (voir encadré). Ensuite, il faut « supplier pour entre Syriens et Libanais. la paix. Notre prière doit être une supplication », insistet-il. Il faut « promouvoir la fraternité, en toutes circonstances, même en temps de guerre » et enfin « l’Église doit dénoncer le combat idéologique, comme elle a dénoncé le nazisme ». L’abbé Venard renchérit : « L’Église a toujours été maîtresse de civilisation. Je crois que dans les circonstances très critiques que nous traversons, il faut que les chrétiens s’arment intellectuellement. » Lui qui a recueilli dans ses bras les derniers souffles des victimes de Mohamed Merah développe : « Ce qui nous manque

« L’Église dispose de deux armes ; les armes de lumière et les armes de fer. Les armes de lumière sont l’expression de saint Paul, qui utilise d’ailleurs souvent des termes militaires : le casque du salut, le glaive de la parole, le bouclier de la foi... Et à côté de ça, il y a les armes de fer : nos Famas, nos blindés, nos bombardiers, nos armes de feu. Pour l’Église, jamais les armes de fer sont les armes de lumière. L’un des rôles de l’Église sera toujours de le dire. » Mgr Ravel, évêque aux armées. ■ 12 ■ L’église dans le monde N° 182

© AED

Les armes de l’Église


© DR

Amélie de La Hougue

Les Actes du colloque seront disponibles dès le mois de mars. N’hésitez pas à nous contacter pour les commander : contact@aed-france.org

© AED

mélangé des professeurs libanais et syriens, j’ai organisé des sessions d’"éducation à la paix" avec eux pour les enfants traumatisés par la guerre. Et petit à petit, ils ont fait un cheminement de réconciliation. Maintenant ce sont eux qui accueillent bénévolement les réfugiés syriens ! » Changer nos cœurs. C’est aussi le témoignage qu’a apporté Fouad Hassoun, Libanais devenu aveugle suite à un attentat alors qu’il avait dix-neuf ans. « Il n’y a pas de paix sans justice, il n’y a pas de justice sans pardon », martèlet-il. Un jour, l’auteur de l’attaque a été retrouvé. Fouad a prié : « Seigneur, aide-moi, je veux être Fouad : « Pas de paix sans justice, libre de cette haine de pas de justice sans pardon. » vengeance. » Un long processus a alors commencé, de plusieurs années, aboutissant à un pardon total de sa part. À sa famille qui le traite d’illuminé d’avoir ainsi pardonné gratuitement, il répond : « Le mal reste le mal et le handicap que je porte est très lourd, je le porte vraiment comme une croix. Mais je suis un homme heureux car je me suis libéré du joug de la haine. » Avant de clore la journée, Jean-Marc Liduena, président d’Alpha France, a témoigné du défi de l’évangélisation des Français, en réponse à la guerre contre le terrorisme (voir encadré). En veut pour preuve Alpha prison : « En France, il y soixante-dix mille prisonniers, avec 70 % de population musulmane. Un véritable foyer de radicalisation. Et pourtant, 80 % des détenus sondés disent avoir rencontré l’Esprit saint ou le Christ suite à une rencontre avec une personne d’Alpha et 70 % reconnaissent que ça a transformé leur vie. » Une invitation à garder l’Espérance et à agir. ■

Les 7 clés du marathonien de l’évangélisation selon J.-M. Liduena, président d’Alpha France 1/ Se mettre en mouvement, sortir aux périphéries 2/ Courir en équipe. Prier, discerner, inviter des personnes… mais pas seul ; avec la force de l’Esprit saint et avec les autres. 3/ Prendre de la vitamine C, celle de la Charité : « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jean chap. XV, 13). 4/ Prendre son courage à deux mains. Il y a tellement d’occasions d’avoir peur d’évangéliser. Personnellement j’ai peur d’évangéliser, ce n’est pas naturel pour moi d’aller parler de ma foi, mais avec du courage, chaque jour on fait un petit pas vers l’autre pour aller simplement l’inviter à la rencontre avec Jésus. 5/ Avoir des bonnes chaussures. Chacun de nous est capable de trouver l’outil qu’il lui faut pour évangéliser, que ce soit avec Alpha ou d’autres associations. 6/ Mettre le feu. Pour cela, il faut une allumette. C’est facile, c’est l’Esprit saint. Appelons et prions l’Esprit saint, demandons-lui son aide. ■ L’église dans le monde N° 182 ■ 13


Europe

CARNET DES CONTINENTS

Espagne

Les attaques contre l’Église se multiplient Depuis quelques années, un antichristianisme virulent, qui rappelle parfois celui des années trente, ressurgit en Espagne, avec pour mots d’ordre la « déconfessionnalisation » et la « laïcisation ».

Portugal

Madrid Mer Méditerranée

Maroc

Algérie

Superficie : 504 782 km² Population : 46,4 millions Religions : catholique : 80%, athées ou agnostiques : 17%, autres religions : 3% Langue : espagnol

S

i la guerre d’Espagne (19361939) a fait plus d’un million de victimes dans les deux camps, dont 134 000 fusillés, les chrétiens, surtout des prêtres, religieux et religieuses, furent les premiers ciblés. Depuis le début du pontificat de Jean-Paul II, l’Église catholique a béatifié plus d’un millier de martyrs de la guerre civile espagnole (voir encadré). Quatre-vingts ans plus tard, l’Espagne oscille entre une laïcité de neutralité et une laïcité de combat. On peut sans doute ranger dans la première catégorie l’absence de cérémonie religieuse, de crucifix et de serment sur la Bible lors de l’intronisation du nouveau roi d’Espagne, Felipe VI, en juin 2014. Cette

14 ■ L’église dans le monde N° 182

L’intronisation du roi Felipe VI s’est faite sans serment sur la Bible ; une première.

nouveauté inouïe au pays des rois « très catholiques » est pourtant passée quasiment inaperçue. Elle paraît conforme à la Constitution de 1978, selon laquelle l’État est neutre vis-àvis de toute confession (article 16). Felipe VI joue un rôle d’arbitre et de stabilisateur dans un pays qui s’est cherché un gouvernement pendant presque toute l’année 2016.

© DR

France


Espagne

Tolède, dominée par la flèche de sa cathédrale qui date du XIIIe siècle.

© Contando Estrelas

Cimetière des martyrs de la guerre civile de 1936 à Madrid.

Tués « en haine de la foi » Sur les quelque 6 832 personnes tuées pendant la guerre civile espagnole parce qu’elles étaient chrétiennes, mille ont été reconnues à ce jour par l’Église comme ayant été assassinées « en haine de la foi ». © David Iliff

Il reste donc beaucoup de dossiers à traiter. Ces derniers mois encore,

Les actes d’hostilité ont doublé Ce même article 16 de la Constitution de 1978 protège la liberté religieuse en Espagne. Pourtant, l’Observatoire de la liberté religieuse enregistre dans son rapport 2016 une progression « exponentielle » d’actes hostiles au christianisme. Ils ont doublé entre 2014 et 2015. Certes, comme ailleurs en Europe et sur d’autres continents, l’Espagne a subi des attentats islamistes visant des bâtiments chrétiens et ceux qui les protègent. Mais la virulence de l’offensive laïciste est symptomatique d’une radicalisation idéologique due à des ferments internes. En juillet 2014, l’Association pour la défense d’une université publique et laïque a appelé à la suppression des symboles religieux de l’université de Grenade, tandis que l’Association valencienne des Athées et des Libres penseurs offrait 5 euros

l’Église catholique a porté sur les autels de nouveaux martyrs de la guerre d’Espagne : en juillet 2016, le pape François a autorisé la promulgation d’un décret reconnaissant le martyre de 115 chrétiens assassinés en août et septembre 1936. En septembre dernier, trois religieuses de l’Institut des sœurs de Saint-Joseph de Gérone, des infirmières martyrisées elles aussi pendant l’été 1936, étaient béatifiées. Le 29 octobre, à Madrid, c’était au tour de quatre bénédictins fusillés entre septembre et décembre 1936.

pour chaque symbole religieux enlevé. En avril 2015, le magazine Mongolia titrait : « Longue vie à un Christ homosexuel ». Le 24 décembre 2015, une crèche grandeur nature était vandalisée au parc Taconera de Pampelune. La mairesse de Madrid, membre du parti de gauche Podemos, a quant à elle interdit l’exposition d’une crèche de Noël à la fameuse Puerta de Alcalá de la capitale espagnole en 2016 comme en 2015. La réaction des Madrilènes n’a pas tardé : plusieurs centaines de personnes sont venues déposer des crèches ! On ne compte plus les attaques contre les bâtiments et les symboles catholiques. En juin 2014,

des activistes du groupe féministe Femen se sont enchaînées à la cathédrale Almudena de Madrid. En octobre 2014, des vandales ont mis le feu à la porte de l’église des Douleurs de Málaga. En août 2015, le même acte de vandalisme a été perpétré contre l’église de Saint-Vincent-de-la-Mer dans la ville d’O Grove. Les attaques contre des manifestations religieuses n’ont cessé de croître. En mai 2014, la municipalité de Hospitalet de Llobregat a interdit la procession de NotreDame de Grâce de Carmona. En juillet 2014, la municipalité de Barcelone a proscrit tous les symboles religieux de la fête de la Vierge

L’église dans le monde N° 182 ■ 15


Europe

CARNET DES CONTINENTS

© DR

de la Miséricorde et à Madrid, la chapelle de l’université Complutense a été fermée pour empêcher les étudiants d’y tenir une veillée de prières. À Pâques, un groupe féministe a singé une procession des fêtes traditionnelles espagnoles de la semaine sainte. Les manifestants ont vociféré des obscénités et des menaces : « Brûlons la Conférence des évêques » ; « La seule église qui éclaire est celle qui brûle »… Le 12 janvier 2015, le parti Podemos a déclaré qu’il abolirait la semaine de Pâques s’il parvenait au pouvoir. Le 13 juillet 2015, le maire de Cenicientos a aboli le Chemin de croix du Peuple sous prétexte que « ce chemin de croix manifestait un manque de respect pour les personnes qui ne professent aucune religion ou qui professent l’islam ».

Le retrait des crucifix de diverses institutions est devenu une pratique courante, comme dans les municipalités de Hellin (Albacete), Cádiz, Ciudad Real, Cordoue et Palma de Mallorca… En février 2016, le conseil municipal de Madrid a fait enlever une plaque du cimetière Bajo Carabanchel commémorant l’exécution de huit jeunes carmélites au cours de la guerre civile espagnole.

Malgré l’ambiance anticléricale, la semaine sainte reste visible par ses processions religieuses.

Harcèlements contre les évêques La hiérarchie et le clergé catholiques subissent des harcèlements répétés. L’archevêque de Madrid a été vivement critiqué par les partis de gauche, en avril 2014, pour avoir averti dans une homélie : « Il y a des faits et des attitudes qui ont provoqué la guerre civile et qui peuvent

Manifestation contre l’exposition blasphématoire à Madrid.

encore la provoquer à nouveau. » En octobre 2014, la municipalité appelait au « bannissement » de l’évêque d’Alcalá de Henares, parce qu’il avait qualifié de « train de la mort » le « train de la liberté » proavortement exposé à Madrid. Le 1er novembre 2014, la coalition plurielle des partis de gauche au parlement européen avait exprimé son rejet d’une visite du souverain pontife envisagée en 2015 à l’occasion du cinquième centenaire de la naissance de sainte Thérèse d’Avila. En février 2015, le gouvernement

Voler des hosties pour de l’art n’est pas une profanation… « L’artiste », qui a volé des hosties consacrées à Madrid et à Pampelune afin de se faire photographier nu au milieu de ces hosties disposées pour former le mot « pédérastie », a été relaxé de l’accusation de « profanation » par un juge à la minovembre 2016. Celui-ci a estimé qu’utiliser ces « petits objets ronds et blancs » pour une œuvre d’art n’était pas une profanation ! Les photos, exposées dans une salle appartenant à la ville de Madrid, et la vente des hosties auraient rapporté 268 000 dollars à « l’artiste », selon l’agence de presse américaine Catholic News Agency. L’Association espagnole des juristes chrétiens à l’origine de la plainte a fait appel, tandis qu’une pétition et des manifestations ont demandé le retrait de l’exposition. Quatre mille cinq cents fidèles ont assisté à une messe expiatoire célébrée par l’archevêque de Pampelune.

16 ■ L’église dans le monde N° 182


Espagne

« pédérastie » énoncé avec 242 hosties consacrées ! (voir encadré) L’éducation religieuse dans les écoles est qualifiée d’« endoctrinement ». En février 2014, le groupe de gauche au parlement régional de Valence, a réclamé la suppression de l’instruction religieuse du programme scolaire. Le 13 avril 2015, le secrétaire général du PSOE a annoncé que si son parti devait remporter l’élection, sa nouvelle loi sur l’éducation exclurait les cours religieux du cursus scolaire.

L’Andalousie veut confisquer la cathédrale de Cordoue à l’Église.

régional d’Andalousie a interdit les visites de l’évêque de Cordoue dans les écoles. En juillet 2015, le parti politique catalan pro-indépendance Candidature, d’unité populaire, a demandé au maire de Barcelone d’interdire les activités des petites sœurs du couvent de l’Agneau et d’expulser les religieuses. C’est parfois allé jusqu’aux agressions physiques. Le 10 mars 2015, un membre du clergé a été battu à Valence, et le 3 novembre 2015, un prêtre âgé de quatre-vingt-sept ans a été frappé à Málaga.

© Jim Gordon

© DR

Anticléricalisme des années trente

Dans plusieurs régions d’Espagne, l’élection de membres de partis de gauche radicale au sein du gouvernement local a eu des répercussions sur la liberté religieuse. Ils ont multiplié les critiques contre le concordat qui régit les relations Église-État et les « privilèges » qu’il accorderait à l’Église catholique. Le gouvernement régional de l’Andalousie, contrôlé par le PSOE et le parti Podemos, veut confisquer à l’Église catholique la cathédrale de Cordoue, ancienne mosquée construite sous les Omeyyades au VIIe siècle, mais cathédrale de la ville depuis sa reconquête par Ferdinand de Castille en 1236 ! Par ailleurs, la religion catholique est la cible d’activités prétendument culturelles à financement public. En novembre 2015, une « œuvre d’art » a été exposée dans l’hôtel de ville de Pampelune, gouvernée par la gauche nationaliste. Elle représentait le mot

Les mêmes partis de gauche prônent des mesures juridiques appelées « mouvements de déconfessionnalisation » ou « motions de laïcisation » pour bannir tous les symboles et toutes les expressions religieuses de l’espace public et des actes officiels, et pour éliminer toute référence religieuse des noms de rues, d’écoles et d’établissements publics. Un tel faisceau d’intolérances rappelle l’anticléricalisme virulent des années trente en Espagne. Le pays est sur une pente glissante, savonnée, pourrait-on dire, par le principal parti de gauche en Espagne, le Parti socialiste des ouvriers (PSOE), et la montée rapide d’une gauche plus radicale et anticléricale, représentée par Bildu (gauche basque proindépendance), Compromis (nationalistes et écologistes de gauche à Valence), Gallegas Mareas (Marées galiciennes), et divers groupes locaux de Podemos, qui occupent maintenant un certain nombre d’offices publics. ■ Philippe Oswald

L’église dans le monde N° 182 ■ 17


Asie

© Presidential Communications Operations Office

CARNET DES CONTINENTS

Philippines

Y a-t-il un pilote dans l’avion ? Océan Pacifique

Manille Mer de Chine méridionale

Malaisie

Mer des Célèbes

Superficie : 300 000 km² Population : 100 millions d’habitants Religions : chrétiens : 92,6 %, musulmans : 5,1%, culte animiste : 2,3% Langues officielles : philippin (tagalog), anglais

«

Il s’en fiche de l’Église », comm e n t e Ra c e l a A b u n d o , Philippine catholique de vingtcinq ans, vivant à Makati, près de Manille. « Il la muselle », renchérit Mgr Villegas, à la tête de la conférence des évêques catholiques des

La majorité des Philippins fait corps derrière son président et sa politique anti-drogue.

Appel au meurtre, diatribe contre les évêques… en juin 2016, Rodrigo Duterte devient président d’un État à 85 % catholique alors que la tension monte avec l’Église. Focus sur l’étonnant paradoxe du seul grand pays d’Asie à majorité catholique. Philippines. « Il » désigne Rodrigo Duterte, le nouveau président du pays. L’ancien maire de Davao – principale ville du Sud – a gagné les élections grâce à son franc-parler et ses propositions pour lutter contre criminalité et pauvreté. Mais comment se maintenir aux plus hautes fonctions en se mettant l’Église catholique à dos ? C’est bien aux Philippines qu’a eu lieu la plus grande messe de l’histoire, en janvier 2015, avec sept millions de fidèles, lors du voyage apostolique du pape François. C’est bien dans l’archipel qu’à midi, heure de l’Angélus, toutes les radios diffusent la prière de l’Annonciation. Jusqu’à présent, les relations entre l’Église catholique et l’État avaient toujours été bonnes. Le ton a changé. Tout d’abord, le président

18 ■ L’église dans le monde N° 182

philippin veut limiter les familles à trois enfants maximum et brocarde l’Église, institution « la plus hypocrite du monde » à ses yeux, car responsable de la surpopulation de l’archipel aux cent millions d’habitants. Dans un pays où ni l’avortement ni le divorce ne sont autorisés, il encourage la légalisation du mariage homosexuel, sachant bien l’opposition de l’Église à ce sujet. « Je suis élu par le peuple et non par l’Église. Je vais appliquer les lois qui n’ont rien à voir avec l’idéologie catholique », a-t-il déclaré. D’autre part, en mai 2016, quand Rodrigo Duterte promet de « noyer les criminels dans la baie de Manille pour éradiquer la criminalité et la drogue en moins de six mois », l’opération « Tu ne tueras point » de Mgr Villegas déclenche sa colère :


Philippines

Mgr Villegas s’oppose à l’exécution des criminels.

Stations, publiée le 6 octobre 2016. Même l’Église, divisée sur la question, affiche quelques soutiens sporadiques, tandis que Mgr Capalla, archevêque émérite de Davao, déclare : « Nos consciences s’endurcissent. La fin ne justifie pourtant pas les moyens. » Cet endurcissement pourrait-il venir d’un manque de formation ? Les Philippins se disent eux-mêmes « baptisés mais pas évangélisés ».

Davao, la ville la plus sûre du pays ? En tout cas, le président convainc aussi dans le sud. Alors qu’il relance officiellement le processus de paix avec les musulmans séparatistes, il considère désormais Davao comme « la ville la plus sûre du pays ». Les

Ils ont voté pour lui « Le peu de familiarité avec la chose politique et l’absence de formation dans ce domaine rendent les Philippins prêts à suivre celui ou celle qui sature l’écran de télévision, même s’il est incompétent. On pourrait évoquer le champion mondial de boxe poids plume, Manny Pacquiao, novice en politique, mais qui a été élu à la chambre des représentants en 2007 où il ne siège pratiquement pas. » Pierre de Charentenay, Les Philippines, archipel asiatique et catholique, 2015.

© AED

© AED

« Je suis atterré de voir autant de prêtres et d’évêques se plaindre du nombre de tués. » Les 2100 personnes envoyées ad patres par la police depuis l’été 2016 et les 3 000 personnes exécutées par des inconnus incités à une justice expéditive, représentent pour le chef de l’État une sécurisation nécessaire. Ses propos de juin dernier sont éloquents : « Si vous connaissez le moindre drogué, tuez-le ! » Dont acte. Jeudi 22 décembre, une enquête pour meurtre a été ouverte à son encontre, car il a publiquement reconnu avoir exécuté trois personnes sous son mandat de maire. Cette politique mortifère finit par instaurer un climat de psychose endémique. « Tous les jours, des gens sont tués par des policiers, sans procès », se hérisse Racela. « On a peur que la lutte antidrogue camoufle de simples règlements de compte. » Difficile de voir Rodrigo Duterte en président rassembleur ? Les faits sont pourtant là. Les Philippins le plébiscitent. Sa « guerre antidrogue » semble satisfaire 84 % des personnes interrogées (même si elles déplorent les morts), selon une étude de l’institut Social Weather

© AED

Les Philippines, seul pays d’Asie à majorité catholique (avec le Timor).

Soldat philippin montant la garde à Mindanao.

îles du sud, notamment Mindanao, abritent une majorité de musulmans (essentiellement sunnites), appelés « Moros ». La région, minée par des mouvements séparatistes musulmans comme Abu Sayyaf (qui a adhéré à Daech) et le Front Moro de libération islamique, languit dans un état de sous-développement chronique. Elle voit se multiplier les enlèvements, dans un climat de violence accrue. « Avant, on avait un islam traditionnel », explique le père d’Ambra, de l’Institut pontifical pour les missions étrangères, « maintenant les courants violents se sont développés, de plus en plus forts ». Le 3 septembre 2016, un attentat fait 14 morts et 67 blessés à Davao. Le 29 novembre, un autre frappe neuf gardes du corps du président. Avec Rodrigo Duterte aux commandes, « les six prochaines années vont être un défi pour l’Église » et les Philippines, selon sœur Mary John Mananzan, de Makati. ■ Emmanuelle Ollivry

L’église dans le monde N° 182 ■ 19


Monde arabe

CARNET DES CONTINENTS

Syrie

Un tournant décisif Alors que la presse occidentale semble effondrée à l’idée qu’Alep soit tombée, les Syriens semblent davantage soulagés de voir la guerre s’éloigner. parler que depuis quelques mois. Il faut dire que la situation avait changé : les « rebelles » perdaient du terrain. On pourrait gloser indéfiniment sur le degré de malignité du « régime » syrien – notez que le seul emploi du mot régime est déjà un positionnement idéologique, on ne parle pas du régime de François Hollande ou du régime américain – mais en fin de compte, là n’est pas la question, du moins pas dans l’urgence. L’urgence était de mettre un terme à cette guerre qui avait déjà fait plus de trois cent mille morts directes et

Turquie

Chypre

Damas

Liban

Irak

Israël Jordanie

Superficie : 185 180 km2 Population : 22 800 000 habitants Religion : chrétiens : 5,2%, musulmans : 92 % (majoritairement sunnites), autres : 2,8 % Langue : arabe

© AED

A

lep libérée ! C’est la réaction qui remonte du terrain en cette fin d’année 2016. La ville était partiellement occupée par la rébellion, c’est-à-dire par un certain nombre de groupes djihadistes parmi lesquels une proportion importante de mercenaires étrangers, depuis près de quatre ans et demi. Pratiquement une demi-décennie de bombardements, de coupures d’eau, de privations en tous genres et bien sûr de morts, mais les médias internationaux n’avaient daigné en

Franciscains devant Alep détruite, mais libérée des terroristes.

20 ■ L’église dans le monde N° 182

sans doute autant en victimes collatérales (manque de médicaments, impossibilité de rejoindre les hôpitaux, absence de médecins, …) et qui a fait se déplacer plus de 14 millions de Syriens (9 sur le territoire syrien et 5 à l’étranger), soit plus de 60 % de la population. En ce sens, la fin de la bataille d’Alep ne peut être considérée que comme une très bonne nouvelle. Il faudra sans doute un peu de temps pour déminer les quartiers occupés et récemment abandonnés par les djihadistes, mais on pourra alors passer à la reconstruction et le chantier s’avère colossal ! La même chose s’était produite à Homs, la grande ville à mi-chemin entre Damas et Alep et qui était


Syrie

L’heure est maintenant à la reconstruction (cathédrale melkite de Homs).

l’épicentre de la guerre jusqu’en décembre 2015. De manière assez surprenante, la bataille avait là aussi duré quatre ans et demi avec simplement une année de décalage. Là aussi, la « rébellion » avait fini par se retrouver en mauvaise posture et avait fini par accepter une capitulation sous conditions, l’accord spécifiant qu’ils avaient la possibilité de quitter la ville en toute sécurité avec la cessation des combats. Un accord respecté à la lettre à Homs et à Alep. Six mois plus tard, la ville était déjà largement déblayée, une partie importante de la population était revenue et la reconstruction à l’œuvre.

© AED

Des enfants repeignent les murs de la ville de Homs libérée.

© AED

Avec la reprise d’Alep, c’est toute la partie « utile » de la Syrie qui revenait sous contrôle gouvernemental. L’intervention russe avait totalement rebattu les cartes. Pour eux, la priorité était d’arrêter la guerre en Syrie. Pour cela, il fallait, toujours selon eux, soutenir l’État syrien et combattre tous les groupes djihadistes, y compris les rebelles soi-disant « modérés ». Dès le départ, les « modérés » ont en réalité été débordés et contrôlés par les groupes les plus extrémistes et les armes que nous leur livrions – y compris la France – étaient en réalité volées puis dans un second temps vendues aux groupes les plus violents. Accusés de bombarder également les rebelles « modérés », les Russes le reconnaîtront effectivement, mais en précisant que sur les rebelles « modérés », ils n’envoyaient que des bombes « modérées ».

Trump et le Moyen-Orient Un autre facteur qui va probablement réorienter la situation au Moyen-Orient concerne le changement de cap annoncé des États-Unis. Le nouveau président élu veut visiblement changer de politique là aussi. L’opération de destruction de la Syrie et la recherche d’une confrontation avec la Russie semblent en voie d’être abandonnées, ce dont la population locale se réjouit ouvertement. La probabilité pour que cette guerre, imposée de l’étranger, prenne fin ne cesse en effet de croître.

Qu’ont connu les enfants syriens pour faire de tels dessins ?

Alors que la coalition occidentale faisait semblant de bombarder l’État islamique, les Russes auront donc obtenu en quelques semaines un résultat tangible, permettant à l’État syrien de récupérer le contrôle de toute la partie utile du pays, la partie fertile où habite la population, ce qui d’ores et déjà annonce les prémices de la fin de la guerre dans ce pays. Il reste maintenant le quart nordest où vont continuer à se disputer les Turcs, les Kurdes et les Américains qui y ont installé sans invitation plusieurs bases militaires, en général à l’emplacement des zones pétrolières, mais sans doute ne faut-il y voir qu’une coïncidence fortuite. La guerre aura duré un peu plus de cinq ans. C’est beaucoup mais cela n’a rien à voir avec l’Irak qui est en guerre depuis un quart de siècle (première guerre du Golfe en 1990), voire depuis un tiers de siècle (si on rajoute la guerre contre l’Iran – 1980/1988). Beaucoup de réfugiés syriens sont encore au Liban, c’est-à-dire tout près de la Syrie. Par ailleurs, les relations entre chrétiens et musulmans étaient bonnes en Syrie, autant d’éléments qui nous font penser qu’une partie importante des réfugiés syriens, y compris les chrétiens, rentrera au pays. ■ Marc Fromager

L’église dans le monde N° 182 ■ 21

© AED

L’intervention russe


Monde arabe

CARNET DES CONTINENTS

Mur de sécurité devant la cathédrale syro-catholique de Bagdad.

© AED

Irak

Un optimisme déplacé

Turquie Iran Syrie

Bagdad Arabie Saoudite

Alors qu’une partie de la plaine de Ninive était libérée et que Mossoul était assiégée, un véritable espoir s’est emparé de la communauté internationale. Sans doute un peu trop tôt…

Population : 37 000 000

chrétiens : 1 % Langue : arabe

que l’AED a envoyés en Irak pour accompagner les chrétiens réfugiés.

Offensive sur Mossoul

Bartella, l’un des villages de la plaine de Ninive, libéré mais détruit.

22 ■ L’église dans le monde N° 182

Superficie : 438 317 km2

Religions : musulmans : 99 % (chiites : 62,5 %, sunnites : 36,5 %)

mille personnes, s’était réfugiée au Kurdistan irakien. Il avait bien fallu s’en occuper et différentes œuvres, dont l’AED, avaient ainsi été mises à contribution pour les nourrir, les loger mais aussi scolariser leurs enfants. Entre septembre 2014 et décembre 2016, ce sont plus de 20 millions d'euros

© AED

R

ien ne semblait vraiment se passer au nord de l’Irak où depuis l’été 2014, l’État islamique avait occupé Mossoul, la plaine environnante et au total un bon tiers du pays. Certes, il y avait eu cet exode massif et très médiatisé qui avait provoqué une réelle mobilisation en France et ailleurs. La quasi-totalité des chrétiens du nord de l’Irak – à peu près cent vingt-cinq

Koweït

En octobre 2016, après deux ans de calme plat, le nord de l’Irak redevenait une zone de combats avec le lancement de l’offensive sur Mossoul et l’apparente volonté d’en finir avec l’État islamique, ce qui constitue évidemment une bonne nouvelle.


L’après-Mossoul Le pire, c’est que se débarrasser de l’État islamique ne suffira pas. Il restera alors à savoir à qui appartient Mossoul et là, les différents acteurs

Illustration chiite habituelle à Bagdad.

Le curé de Bartella retrouve son presbytère saccagé.

© AED

© AED

Assez rapidement, les villes et villages, principalement chrétiens, de la plaine de Ninive ont commencé à être libérés et on s’est rapidement mis à évoquer, ici ou là, le prochain rapatriement des chrétiens. Pourtant, la probabilité pour que les chrétiens rentrent chez eux demeure pour le moment assez mince. Sans une complète pacification et sécurisation de la région, ils ne rentreront pas. Or, la paix semble encore assez lointaine ! En réalité, Mossoul ne tombera pas facilement. C’est la capitale de l’État islamique et ils ont eu le temps de se préparer. Ils ne se rendront pas. Il faudra se battre et libérer rue par rue, maison après maison, avec des mines, des pièges, des bombes humaines, en général des femmes et des enfants. La tentation de raser une partie de la ville va aller en augmentant mais cela, les médias éviteront de le montrer. L’offensive a d’ailleurs fait long feu et il a fallu discrètement renforcer en urgence le front, particulièrement avec des forces américaines, pour empêcher l’État islamique de reprendre l’avantage. Les soldats américains se retrouvent de plus en plus en première ligne alors que la coalition internationale était censée être là en appui. Personne aujourd’hui ne peut dire quand (et si) la ville tombera, ce qui évidemment douche les espoirs prématurés de cet automne.

risquent de ne pas être d’accord. L’armée irakienne est dirigée par Bagdad qui est aujourd’hui une ville chiite, sous contrôle iranien. La population sunnite de Mossoul ne veut pas en entendre parler. Les Kurdes ont annoncé que les territoires libérés par eux leur reviendraient. C’est déjà le début de la prochaine guerre, entre l’Irak et le Kurdistan. Les militaires turcs sont également dans la région car Erdogan prétend, selon le Traité de Sèvres (1920), que Mossoul lui appartient. On voit bien que la fin de l’État islamique ne résoudra pas tout. Il faut enfin rappeler qu’il n’y avait presque plus de chrétiens à Mossoul bien avant l’arrivée de l’État islamique et que la population locale, profondément radicalisée, ne voulait déjà plus de chrétiens dans la ville. Comment imaginer dans ces circonstances que les chrétiens irakiens puissent avoir envie de rentrer chez eux, d’autant plus qu’il faudrait déjà qu’on leur rende leurs maisons.

Bagdad L’ambiance à Bagdad demeure tendue. Il n’y avait plus que trois cents morts violentes par mois au lieu de mille, mais le départ d’un certain nombre de forces spéciales au nord a dégarni la ville. Les attentats reprennent, ce qui est aussi une manière pour l’État islamique de créer des diversions. Les cinquante mille chrétiens (ils étaient cinq cent mille en 2003) continuent d’être visés par des extorsions et expropriations. Le gouvernement s’en mêle avec des lois discriminatoires dont la dernière interdisant l’alcool depuis octobre 2016. L’alcool continuera d’être consommé mais les chrétiens seront des cibles encore plus faciles. L’Église ne perd pas espoir pour autant et investit dans l’avenir, notamment avec la reconstruction de l’école attenant la cathédrale syro-catholique visée par un attentat la veille de la Toussaint 2010. Un projet auquel participe l’AED. ■ Marc Fromager

La Vierge était voilée En décembre 2015, les églises de Bagdad furent recouvertes d’affiches sommant les femmes chrétiennes de dorénavant porter le voile, sous prétexte que la Vierge Marie était voilée. Simplement, c’est désormais le voile islamique qu’il faut porter, une manière supplémentaire d’intimider les chrétiens et de leur faire sentir qu’ils n’ont plus de place dans leur pays. Ajouté aux différentes autres menaces qui les visent, cela rend leur avenir plus difficile à imaginer.

L’église dans le monde N° 182 ■ 23


AFRIQUE

CARNET DES CONTINENTS

Burkina Faso

Après un quart de siècle de stabilité, le Burkina Faso est entré fin 2014 dans une nouvelle période de troubles accentués par les récents attentats islamistes qui risquent de mettre à mal la bonne entente interreligieuse.

L

ongtemps considérée comme l’arrière-pays de la riche Côte d’Ivoire et son réservoir de main-d’œuvre, la Haute-Volta, devenue Burkina Faso (« Pays des hommes intègres ») en 1984 lors de l’expérience socialiste de Thomas Sankara, a vu sa population passer de 4 à 20 millions d’habitants depuis l’indépendance, malgré une émigration forte. En manque de ressources naturelles et comptant encore 80 % de sa population active dans l’agriculture, ce pays demeure un des plus pauvres du monde, malgré une importante aide internationale.

Récemment, il a aussi été fragilisé par la crise ivoirienne. Bref, après un quart de siècle de pouvoir stable, suite à une décennie mouvementée dont Blaise Compaoré était sorti vainqueur, le Burkina Faso est entré fin 2014 dans une nouvelle période de troubles. Au pouvoir depuis plus de vingt-cinq ans, le président Blaise Compaoré lance fin octobre 2014 une révision constitutionnelle afin de pouvoir se présenter aux élections présidentielles. Des émeutes éclatent à Ouagadougou et le président quitte le pays. L’armée assure

© AED

La fin d’un modèle de convivialité ? Mali

Niger

Ouagadougou Ghana Côte d'Ivoire

Bénin Togo

Superficie : 274 500 km2 Population : 20 millions Religions : musulmans : 60 %, catholiques : 20 %, religions traditionnelles : 16 %, protestants : 4 % Langue : français

© AED

L’Église catholique (ici, à Pissila) compte près de quatre millions de fidèles.

24 ■ L’église dans le monde N° 182


Burkina Faso

Un modèle de connivence, l’Union fraternelle des croyants L’Union fraternelle des croyants fut fondée en 1969 lors de la famine au Sahel par le père Lucien Bidaud avec le soutien de l’imam de Dori. Elle permit aux musulmans et aux chrétiens de la zone, aidés par de jeunes volontaires européens, de se battre contre ce fléau, puis de promouvoir des projets microéconomiques et éducatifs. Elle poursuit sa mission et l’abbé Arcadius Sawadogo, dans une thèse soutenue en juin 2016 à la Grégorienne En manque de ressources naturelles, le pays reste l’un des plus pauvres du monde.

le dialogue de vie entre chrétiens et musulmans.

Le putsch du 16 septembre 2015

de catholiques. Elle est structurée en treize diocèses, qui forment avec les deux du Niger une unique conférence épiscopale. « Famille de Dieu » au Burkina comme le proclame son site, est une Église en croissance et fait preuve d’un impressionnant dynamisme évangélisateur. Certaines paroisses comptent plusieurs centaines de baptêmes d’adultes par an. Les vocations sacerdotales et religieuses sont nombreuses – ainsi l’Institut Famille des sœurs de l’Annonciation de Bobo-Dioulasso a accueilli quinze nouvelles consacrées en septembre 2016. Trois séminaires,

Après avoir poussé à la nomination de Michel Kafando et appelé la population à faire confiance dans le gouvernement de transition, l’Église catholique s’implique en 2015 dans le processus de démocratisation. Le cardinal Philippe Ouédraogo, archevêque de Ouagadougou, est nommé en mars 2015 président de la Commission de la réconciliation nationale et des réformes. Lors du putsch du 16 septembre le cardinal participe directement à la résolution de la crise de concert avec les présidents sénégalais et béninois, puis l’Église envoie cinq cents observateurs pour les élections de fin novembre. L’ É g l i s e c a t h o lique du Burkina Faso, honorée pour la seconde fois par un cardinalat en la personne de l’archevêque de Ouagadougou, compte aujourd’hui Les vocations religieuses sont nombreuses et l’Église en croissance. près de quatre millions © AED

l’intérim du pouvoir puis un diplomate, Michel Kafando, est nommé président intérimaire pour un an. Mais la garde présidentielle, acquise à l’ancien président, résiste au nouvel ordre, tandis que la question de la possibilité pour d’anciens proches de Blaise Compaoré de se présenter aux élections divise le pays. Le 16 septembre 2015, la garde présidentielle prend le pouvoir et place le général Gilbert Diendéré à la tête de l’État. Mais des manifestations éclatent dans tout le pays, réprimées dans le sang (onze morts). Le 21, les unités de l’armée, fidèles au pouvoir de transition, convergent sur Ouagadougou. Le général Diendéré se réfugie alors à la nonciature, puis se livre à la justice, tandis que la garde présidentielle se débande. Les élections présidentielles ont lieu le 29 novembre et Roch Kaboré, un ancien premier ministre, est élu avec plus de 50 % des voix. Mais son parti n’est pas majoritaire à l’Assemblée nationale et l’année 2016 est marquée par de nombreux débats politiques et des grèves à répétition.

de Rome, a pu mettre en valeur son rôle de modèle dans

L’église dans le monde N° 182 ■ 25


dont celui de Koubri, le plus ancien d’Afrique de l’Ouest, forment les futurs prêtres diocésains. Poursuivant la tradition des missionnaires, les paroisses sont des centres de développement autant que d’évangélisation. Elles suscitent et animent de multiples initiatives permettant aux villages et quartiers de se prendre en charge. Un accent particulier est mis sur la formation à tous les niveaux.

80 % de la population vit de l’agriculture.

© AED

AFRIQUE

CARNET DES CONTINENTS

L’arrivée de religions non autochtones date du XVIe siècle, sous la forme de marchands musulmans, puis d’un djihad au XIXe siècle – peu avant les premiers missionnaires catholiques puis protestants. L’islam s’est surtout développé depuis l’indépendance et constituerait aujourd’hui, selon un recensement de 2006, dont les résultats ont été discutés, 60 % de la population, contre 20 % de catholiques, 4 % de protestants et 16 % d’adeptes de la religion traditionnelle. La Haute-Volta, devenue Burkina Faso, a toujours été considérée comme un modèle de tolérance religieuse et de convivialité active entre croyants des diverses religions, et surtout entre musulmans et chrétiens (voir encadré page 25). On peut dire qu’au Burkina, les communautés de religions différentes ne vivent pas côte à côte mais ensemble. Nombreuses sont les familles qui comptent des membres des deux religions, et avoir un fils prêtre peut être un motif de joie pour un pieux musulman, comme

Les paroisses, lieux de vie essentiels dans les villages.

récemment El Hadj Laalewaya Boukary Ouédraogo, lors de l’ordination sacerdotale de son fils Prosper, à Ouahigouya. Outre les instances de dialogue, nationales ou locales, et la présence ordinaire de représentants des autres confessions lors des fêtes religieuses, la convivialité au quotidien est une réalité bien ancrée dans le pays burkinabé, allant du partage des ondes radio aux mouvements étudiants ou aux multiples actions de développement, et les autorités, tant musulmanes que chrétiennes, se félicitent régulièrement de cette situation.

26 ■ L’église dans le monde N° 182

Durant des décennies, il a semblé que la montée en puissance de l’islam burkinabé n’aurait aucune conséquence sur cette bonne entente. Mais depuis quelques années c’est moins sûr, et le Burkina pourrait suivre la voie d’autres pays où celleci a disparu lorsque les musulmans sont devenus majoritaires – ce qui est maintenant le cas du pays, même si des observateurs hésitent à qualifier d’islam la religion syncrétiste de nombre de Burkinabés des milieux ruraux, qui associent affiliation théorique à l'islam et poursuite des pratiques animistes.

© AED

Le Burkina Faso : un modèle de tolérance religieuse


Burkina Faso

Le Splendid Hotel de Ouagadougou Quoi qu’il en soit, l'islam, sujet ignoré pour les uns, tabou de la vie politique et sociale pour les autres, y a fait son entrée de façon fracassante : enseignement en arabe, voile intégral, multiplication des mosquées wahhabites, etc. Ces difficultés constituaient l’arrière-plan du drame du 16 janvier 2016, quand un groupe islamiste a attaqué le Splendid Hotel de Ouagadougou, tuant vingt-neuf personnes dont quatorze étrangers. Dans le même temps, une attaque avait lieu dans le nord du pays et un couple de médecins australiens, au service des populations rurales depuis plus de quarante ans, était

L’Église au chevet des femmes mariées de force.

L’Église contre les mariages forcés Le Burkina Faso compte un des

Le dialogue interreligieux est menacé par l’islamisme.

taux de mariages forcés les plus importants du monde. La

Mauritanie, au Tchad et en Libye (opération Barkhane) et faire fuir les coopérants et investisseurs étrangers. Les responsables religieux ont condamné d’une même voix cet attentat meurtrier. La fédération des associations islamiques du Burkina Faso et la conférence des évêques catholiques ont usé de termes similaires pour marquer leur refus de l’instrumentalisation de la religion et appeler à la prière. Mais tous se posent les mêmes questions : cet attentat va-t-il relancer le dialogue ou accélérer la radicalisation ? Des cas d’agressions verbales contre des musulmans ont été signalés, conduisant le gouvernement à appeler la population à ne pas confondre barbus et islamistes, et l’inquiétude gagne des milieux non-musulmans. Le massacre de douze soldats

loi fixe à dix-huit ans l’âge légal mais plus de la moitié des filles sont mariées avant leur dix-sept ans. Pour Mgr Kontiebo, évêque de Tenkodogo, c’est « l’une des plaies les plus graves qui affligent la population de mon diocèse ». Le lito se répand : pour échapper à la dot, des parents donnent leur fille à un membre de la belle-famille de leur fils. L’Église catholique lutte contre cet esclavage et protège celles qui s’enfuient suite à des mauvais traitements.

burkinabés le 16 décembre dans le nord du pays par un groupe djihadiste a ravivé ces craintes. ■ Antoine Rizzo

L’église dans le monde N° 182 ■ 27

© AED

enlevé à Baraboulé près de la frontière du Mali et du Niger (ils ont été libérés deux semaines plus tard par l’Aqmi, après une importante mobilisation de la population locale en leur faveur). L’objectif des djihadistes est clairement triple : déstabiliser le pays, lui faire perdre son rôle-clé de base arrière dans la lutte antiterroriste au Mali, au Niger, en

© AED

Les causes et les symptômes des difficultés du dialogue interreligieux désormais à la peine sont pluriels. Pour certains musulmans, leur sousreprésentation dans la vie politique et dans l’administration créerait une frustration (le pays n’a connu qu’un seul président musulman depuis l’indépendance). Ils remettent en cause le pacte non-dit selon lequel le commerce et les affaires appartiendraient aux musulmans et la politique aux chrétiens. Pour d’autres, l’argent venu de la péninsule arabique favoriserait l’essor de groupes radicaux d’inspiration salafiste ou wahhabite contestant le modèle burkinabé, surtout parmi les jeunes urbains. Pour d’autres encore, l’arrivée de missionnaires protestants fondamentalistes refusant tout dialogue avec les musulmans dans les villes conduirait à la même crispation.


Amériques

CARNET DES CONTINENTS

Cuba

Une île au régime sec Entre les visites du pape et du président américain et la mort du Lider Maximo, une année remplie d'événements sur fond de pénurie alimentaire persistante.

L

e décès de Fidel Castro, le 25 novembre 2016, marque la fin d'une époque. Sur le coup, l'île est plongée dans une certaine perplexité. Même si le père de la révolution n'est plus aux commandes depuis dix ans, c'est un mythe vivant qui disparaît. Partagés entre l'inquiétude de troubles éventuels, un dernier hommage à celui qui aura marqué l'histoire de Cuba et le constat d'une situation politique et économique difficile, les sentiments sont contrastés. L'alcool et la musique sont prohibés pendant le deuil national de neuf jours, le gouvernement voulant s'assurer qu'il n'y aura pas de débordements dans la rue, tout en donnant l'image d'un pays digne. Quel Fidel retenir ? L'opposant politique à Batista, le jeune guérillero qui s'attire la sympathie de l'opinion publique internationale,

La Havane

Bahamas

Haïti Jamaïque Nicaragua

Mer des Antilles

Honduras

© AED

Quel Fidel retenir ? Le jeune guérillero ou le dictateur ?

états-Unis

le non aligné qui choisit l'URSS par Superficie : dépit envers la maladresse des États110 860 km2 Unis, le mercenaire des guerres Population : soviétiques en Afrique ou le dic11 200 000 tateur implacable qui va conduire Religions : trois millions de Cubains (sur dix) catholiques : 70 %, à l'exil ? protestants : 5 %, Son frère Raoul a réussi à éviter autres : 25 % jusqu'à présent la banqueroute Langue : d'un modèle économique obsolète espagnol en adoptant des réformes structurelles : abandon du dogme de l'égal’habitude de dire que leur pays avait litarisme salarial, ce qui a permis à trois grandes réussites – l’éducation, un demi-million de Cuentapropistas la médecine et le sport – mais égale(entrepreneurs à leur compte) de ment trois échecs : le petit-déjeuner, s'enrichir, tout en provoquant une le déjeuner et le dîner. En réalité, frustration et une tension sociale réelles chez les autres, et autorisation de Cuba s’enlise dans vente de téléphones un modèle économique obsolète. Ville de portables malgré leur Manzanillo. prix prohibitif et le coût démesuré de la connexion (2 $/heure, soit 20 % du salaire mensuel). Les Cubains avaient

28 ■ L’église dans le monde N° 182


même les réussites n’en sont plus. Faute de moyens, l’éducation s’est effondrée et seuls les élèves qui peuvent se permettre de payer des cours particuliers peuvent s’en sortir. Âgé de quatre-vingt-cinq ans, Raoul se doit de préparer la transition, sachant que les relations avec le voisin nord-américain risquent de se compliquer. En phase de réchauffement progressif, notamment depuis la visite de Barack Obama en mars 2016, la première visite d’un président américain depuis quatrevingt-huit ans, les relations dépendront de Donald Trump qui s’est engagé à tout faire pour contribuer à la liberté du peuple cubain. Après que Cuba fut devenue officiellement communiste en 1961, 350 écoles catholiques furent nationalisées, les séminaires fermés, des centaines d’églises saisies par l’État, 136 prêtres expulsés et d’autres arrêtés et emprisonnés. Les congés

payés de Noël furent abolis en 1969. Même si la persécution n’aura jamais atteint les niveaux de l’Union soviétique, toute l’activité de l’Église aura été soumise à un contrôle très strict et une véritable discrimination aura affecté les pratiquants. Lydia, une Cubaine de soixante-huit ans rencontrée dans la capitale, témoigne ainsi n’avoir pas été acceptée à l’université uniquement parce que catholique pratiquante. Les effets de cet athéisme quasi obligatoire imposé aux Cubains pendant un demi-siècle sont encore visibles : très peu d’écoles ont été rendues, la pratique revient doucement – 50% des pratiquants actuels ne pratiquaient pas il y a dix ans, mais les personnes ont été formées à l'époque communiste et ne prennent pas d'initiatives ni de responsabilités et l'Église demeure fortement dépendante économiquement de l'étranger. L'île regroupe onze diocèses avec au total trois cents prêtres dont 50 % d'étrangers. Mais l’Église catholique demeure bien présente dans l’île et aura considérablement contribué au dégel isolationniste de Cuba. Il faut

Le rationnement Chaque mois, les Cubains ont accès à de la nourriture subventionnée : 2,2 kg de riz, 2,6 kg de sucre, 1 kg de poulet, 5 œufs, 25 cl huile, 700 g de haricots noirs et 1 litre de lait par jour par enfant de moins de sept ans. Avec un salaire mensuel de base de 200 pesos cubains (10 $), la plupart des personnes exercent deux à trois métiers et ont de la famille à l'étranger qui leur envoie de l'argent. Le développement du tourisme accroît la pression sur l'offre alimentaire. La bière vient

© AED

Les USA honnis de l’île.

© AED

Cuba

même à manquer.

© AED

© AED

L’Église, tout en restant sous le strict contrôle de l’État, maintient son influence.

dire que trois papes s’y seront succédé en l’espace de dix-sept ans. En 1998, Jean-Paul II réunit cinq cent mille Cubains en liesse sur la place de la Révolution. La fête de Noël est rétablie. En 2012, c’est le tour de Benoît XVI qui obtient la possibilité de célébrer à nouveau le Vendredi saint. En septembre 2015 puis à nouveau de manière très rapide en février 2016 pour rencontrer le patriarche orthodoxe russe, c’est enfin le pape François qui aura un rôle de médiation décisif dans le rapprochement entre Cuba et les États-Unis. Sur place, l’Église profite de ces quelques espaces de liberté très graduellement reconquis mais demeure fortement dépendante d’un contrôle tatillon d’un État qui a conservé sa structure et ses réflexes de surveillance. ■ Marc Fromager

L’église dans le monde N° 182 ■ 29


communauté du monde

Missionnaires serviteurs des pauvres du tiers-monde Charisme

Aller là où les autres ne vont pas, dans les villages reculés et défavorisés où n’existe aucun apostolat de l’Église. Servir le Christ dans les pauvres avec humilité, comme Jésus de Nazareth. Cette mission s’accompagne d’une évangélisation silencieuse et d’une charité active pour que les pauvres vivent dans la dignité. Elle s’enracine dans l’adoration, la dévotion mariale et la fidélité au pape dans le but de transformer la société par la conversion du cœur de l’homme.

Cœur à cœur entre le père Walter et cette petite fille (aujourd'hui décédée).

Historique

Quatre propositions

Les missionnaires Serviteurs des Pauvres se répartissent en quatre branches : prêtres et frères consacrés, religieuses, contemplatifs et enfin, familles missionnaires. Tous vivent le même charisme d’une manière indépendante et selon leur état de vie. Les frères contemplatifs se consacrent exclusivement à la prière et au travail pour le bien des frères et sœurs dévoués dans l’apostolat. Les prêtres, frères consacrés, religieuses et familles s’engagent pour toujours, même si l’engagement des familles n’est pas du même ordre que celui des consacrés.

Le père Giovanni Salerno est italien, prêtre et médecin. Quand le missionnaire arrive au Pérou en 1968, il se met au service des pauvres de la Cordillère des Andes, jusque dans les endroits les plus reculés. « Personne ne peut l’ignorer. Nombreux sont les hommes, femmes et enfants torturés par la faim […]. Des régions entières sont condamnées au plus triste découragement », écrit Paul VI dans son encyclique Populorum Progressio. En la lisant, le père Salerno expérimente l’immense amour de l’Église pour les plus faibles. Il réalise aussi combien ces personnes sont abandonnées par le reste du monde, y compris les chrétiens. Une conviction naît dans son cœur : le Christ a soif d’envoyer des jeunes donner toute leur vie pour les pauvres. Le mouvement des missionnaires Serviteurs des Pauvres du Tiers-Monde est né. Nous sommes au début des années 80. 30 ■ L’église dans le monde N° 182


Prêtres et séminaristes au Seminario Ajofrin en Espagne.

Verset biblique Le Père Augustin administrant l’onction des malades dans le village reculé de Yarkakunka (Pérou).

« Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40)

Quelques chiffres

Les Serviteurs des Pauvres sont plus de cent vingt, de quatorze nationalités, chaque jour au service de plus de mille enfants dans des écoles, des réfectoires, des dispensaires et des ateliers professionnels. Ils sont présents dans cinq pays : Pérou, Cuba, Mexique, Hongrie et Espagne (séminaire). ■

Formation

Les jeunes (célibataires ou familles) qui intègrent le mouvement commencent par une ou deux années de discernement, prière et fraternité, au service d’une des communautés du Pérou. Ce temps de réflexion est également proposé aux jeunes qui souhaitent juste discerner leur vocation, quelle qu’elle soit. Pour ceux qui sont amenés à devenir prêtres, la formation continue au séminaire, en Espagne. Pour les religieuses, elle se poursuit au Pérou et passe par des vœux temporaires puis définitifs. Atelier de boulangerie dans la cité des enfants au Pérou.

Visite aux malades dans ce village de la haute cordillère des Andes.

Informations

Aide aux Serviteurs des Pauvres du Tiers-Monde Abbaye Notre-Dame F - 36220 Fontgombault Tel : 0033 (07) 82 52 33 39 msptmfrance@gmail.com www.msptm.com L’église dans le monde N° 182 ■ 31

© Missionnaires Serviteurs des Pauvres

Âpre discussion avec le Père Alvaro Gomez et les enfants.


Kiosque

Rendez-vous

COUP DE CŒUR La puissance de la foi Joël Guibert Éditions Pierre Téqui, mai 2016, 266 p., 17 €

Un croyant qui doute, est-ce de l’honnêteté intellectuelle ? Un croyant convaincu, est-ce de l’intégrisme, de la bêtise ? Le père Guibert revient avec force et douceur sur ces questions qu’il dénonce. Son livre ne traite pas tant du contenu du credo que de l’acte de croire. À la manière d’un thérapeute, il distille son ordonnance avec pédagogie : oraison, sacrements, fidélité, etc. à pratiquer chaque jour pour obtenir une foi solide et joyeuse. Dans un style qui parle au cœur, mêlé d’exemples personnels ou de références aux saints, il permet au lecteur de découvrir ce qu’il appelle un « laissez-passer permettant à Dieu d’élire domicile dans une âme ». C’est-à-dire, la foi. ■

Ces livres ne sont pas en vente à l’AED

Franz Stock, passeur d’âmes

1917. L'année qui a changé le monde

Jean-François Vivier et Denoël

Jean-Christophe Buisson.

BD, Éditions Artège, octobre 2016, 48 p., 14,50 €

Éditions Perrin, novembre 2016, 400 p., 24,90 €

La nationalité de Franz Stock lui

1917, une année charnière pour

colle à la peau. Allemand, il est aussi

l’Europe et pour le monde. À l’occa-

l’aumônier méconnu des résistants

sion du centenaire, Jean-Christophe

français détenus par l’occupant pen-

Buisson, du Figaro Magazine, lui consacre cet album

dant la guerre de 39-45. Il ferraille donc avec l’horreur

richement illustré et puissamment évocateur. De la

du conflit mais pas seulement. Grâce à des planches

révolution russe, bien sûr, qui bouleverse la face du

soignées et expressives, la bande dessinée retrace le

monde, mais aussi de la Grande guerre qui aurait pu

parcours de celui qui accompagne à la mort plus de

s’achever en 1917 si les Alliés avaient saisi la proposi-

mille captifs français, dont Honoré d’Estienne d’Orves,

tion de paix séparée de l’Autriche-Hongrie. Cette même

puis dirige le seul « séminaire des barbelés » pour pri-

année, la Vierge apparaît à Fatima, les États-Unis en-

sonniers allemands, près de Chartres. Son « christia-

trent en guerre, Gandhi commence son combat pour

nisme viril », véritable appel à la sainteté, le conduit à

l’indépendance de l’Inde, la déclaration Balfour porte

devenir l’un des grands acteurs de la paix franco-alle-

en germe la naissance de l’État d’Israël… et des révoltes

mande. Édifiant et intense. ■

arabes. ■

Quand les Anglais livraient le Levant à l’État islamique Lina Murr Nehmé Éditions Salvator, novembre 2016, 254 p., 22 €

Historienne, politologue et islamologue, Lina Murr Nehmé nous livre à nouveau un ouvrage passionnant basé sur un véritable travail d’enquête. Des documents peu connus lui permettent de décortiquer le Levant en vingt et un chapitres et de nous expliquer les racines du chaos actuel dans la région. ■

32 ■ L’église dans le monde N° 182


Kiosque

Rendez-vous

L’islam éclaté, ses multiples branches et ramifications des origines à nos jours Henri de Saint-Bon Éditions Salvator, novembre 2016, 192 p., 20 €

Les cloches sonneront-elles encore demain ? Philippe de Villiers Éditions Albin Michel, octobre 2016, 320 p., 22,50 €

Son constat est sans appel. Philippe AQMI, Al-Nostra, Al-Shebab, Boko

de Villiers sonne le glas de l’identité

Haram…, ces noms colonisent les grands titres de

française devenue pot-de-terre contre le pot-de-fer-

l’actualité mais qu’est-ce qui les unit ou les oppose ?

islam, intrinsèquement conquérant. D’un ton incisif,

Que représentent-ils ? A la manière d’un cours magis-

un peu défouloir, l’ancien politique brocarde le vivre-

tral, très clair, fractionné en autant de rubriques que

ensemble créé par des élites à la naïveté coupable. Il

de mouvements issus de l’islam, Henri de Saint-Bon

révèle ses vains apartés avec Nicolas Sarkozy et décrit,

décrypte notamment les tensions entre sunnisme et

entre autres, les négociations Merkel-Erdogan. Un son

chiisme ou les différences entre Al Quaïda et l’État is-

de cloche étayé et nourrissant mais qui donne un peu le

lamique. Après son précis sur L’islam à la lumière de

« bourdon », même si Ph. de Villiers parle de solution.

la foi chrétienne, sorti en février 2016, il quitte la lexi-

« Il faut réinstaller la France chez elle », préconise-t-il,

cologie pour l’histoire. Une référence. ■

sinon, on se fera salement sonner les cloches. ■

Par Internet : www.aed-france.org

(rubrique « nous aider»)

Je reçois gratuitement le carnet de prière

« Veillez et priez » avec chaque numéro de « l’Église dans le Monde » Je m’abonne pour un an (5 numéros) : 30 € (étranger 40 €)

Je choisis l’abonnement de soutien (5 numéros) : 40 € et je permets à des personnes aux ressources limitées de s’abonner.

Par courrier, en envoyant ce coupon accompagné de votre chèque (ordre : AED) sous enveloppe affranchie à Aide à l’Église en Détresse (AED), 29, rue du Louvre, CS 30057, 78750 Mareil-Marly

M Mme Nom : Prénom : Adresse :

Père

Sœur

Code postal : Ville : E-mail : L’église dans le monde N° 182 ■ 33


Rendez-vous

Une heure avec…

© DR

Ayad : vivant «

Nous étions des morts en puissance. Même avant musulman populaire de Mossoul, les blasphèmes et mol’arrivée de Daech », raconte Ayad, vingt-neuf ans, queries qu’a connus Ayad sous le régime de Saddam Irakien syriaque catholique de Mossoul, réfugié en Hussein ne l’ont pas fait renoncer à son pays ni à sa foi. région parisienne depuis deux mois. Ce jeune père et sa Il devient mécanicien et ouvre sa boutique. Peu après famille font partie de ces chrétiens accueillis par les pa2004, les menaces commencent à pleuvoir. « Si tu veux roisses françaises depuis l’appel du pape en 2015. travailler, tu payes la djiza1 ou sinon… » Il migre donc une première fois dans les villages avoisinants, le temps « Entre 2004 et 2010, quatre de nos prêtres et notre que la tension redescende d’un cran. Entre 2004 et 2010, évêque ont été tués. Toutes les églises de Mossoul ont été il accomplit quatre fois cette difficile transhumance, car ravagées. Toutes. Mais on a tenu bon. » Son regard voilé la radicalisation se propage, tel un fléau endémique. Son fixe Notre-Dame de Lourdes, floquée sur une couverture beau-frère confirme. En juin 2007, ce dernier assiste nopolaire, en guise de tenture murale. « Quand Daech nous tamment à l’assassinat du père Ragheed, un ami, un a chassés, impossible de rester. » Le silence s’installe, à « frère » : « Pendant plusieurs heures, ils ont laissé le corps peine rompu par Tariq, onze mois et Malak, trois ans. au milieu de la rue, exposé aux yeux de Dans le modeste appartement mis à leur distous. » Il y a deux mois, des soldats irakiens position, les mots d’Ayad se mêlent à ceux de « À cause de ma foi, ont découvert la tombe profanée. sa femme, de sa belle-mère et de Basma, son j’ai failli mourir ? C’en est trop. Alors aujourd’hui, l’hypobeau-frère prêtre qui leur sert d’interprète. Non. Grâce à elle, thèse d’un retour en Irak sonne comme une « Nos enfants ne méritent pas de vivre la peur je suis vivant. » fin de non-recevoir : « Quand on voit des enet le danger au quotidien. Je suis leur papa. fants de six ans abattre des soldats à la miJe dois les protéger. » traillette ou un bébé de trois ans décapiter sa poupée en En juillet 2014, Malak n’a pas six mois. Daech entre criant "Allah akbar", on ne peut pas rentrer. Pas tant que dans Mossoul. « Ils renversent le lait des bébés dans les les mentalités ne seront pas libérées au même titre que caniveaux. Confisquent notre voiture », se souvient l’IraMossoul. » Pourtant, Ayad ne se plaint pas. « J’ai parkien. Partir ou mourir, le choix est vite fait. Pour Ayad, donné, par fidélité au Christ. Pour moi, ce n’est pas à sa femme et sa mère de presque soixante-dix ans, direccause de ma foi que j’ai failli mourir. C’est grâce à elle tion Duhoq, au nord de la ville. 70 km à pied. Une nouque je suis vivant. » ■ velle vie commence alors, à trente-cinq personnes dans Emmanuelle Ollivry une maison conçue pour cinq. 1 Impôt annuel pour les non-musulmans. Même s’il passe ses années d’écolier dans un quartier 34 ■ L’église dans le monde N° 182


Projet de l'AED

Agir

Chaque année, l’AED collecte près de 100 millions d’euros pour soutenir l’Église dans le monde

Le vicariat apostolique de Chaco, situé dans l’ouest du Paraguay, regroupe onze différentes ethnies autochtones, chacune avec sa propre langue. Cette région de 96 000 km2, dont la superficie est similaire à celle du Portugal, n’est que faiblement peuplée. Ses 30 000 habitants sont éparpillés et vivent du peu que peut produire une terre salée et souvent boueuse. Les jeunes n’ont aucune perspective d’avenir : beaucoup ne terminent pas leur scolarité, certains migrent vers les autres régions du pays pour y trouver du travail, tandis que d’autres finissent dans des gangs de rue. Les structures familiales traditionnelles se décomposent et beaucoup de parents ne sont pas en mesure de soutenir ou de conseiller leurs enfants. L’Église œuvre avec dévouement auprès de ces jeunes, mais à cause du mauvais état des routes, certains villages sont quasiment inaccessibles et seuls six prêtres desservent

© AED

Paraguay Soutien à douze religieuses du vicariat apostolique de Chaco

• Grâce à des milliers de donateurs, l’AED redonne force et vitalité à l’Église dans 146 pays : • Des milliers d’églises et chapelles ont été construites ou reconstruites. • l’AED soutient 1 séminariste sur 12 dans le monde.

les fidèles du vicariat. Le service des douze sœurs de la congrégation des sœurs de Marie auxiliatrice est d’autant plus précieux. Malgré la rudesse du climat et leur pauvreté matérielle (le vicariat est trop pauvre pour les soutenir financièrement), les religieuses rendent visite aux habitants des villages difficiles d’accès, prennent soin des enfants, des adolescents et des femmes, font la catéchèse, vont voir les familles et les malades, assistent médicalement les personnes dans le besoin et apprennent aux jeunes la lecture et l’écriture. « Nous essayons de renforcer la semence du Royaume de Dieu dans cette région de mission », témoigne humblement sœur Blanca. Sans leur engagement, les populations seraient laissées à leur sort dans de nombreux villages. Nous voudrions leur fournir une aide à la subsistance de 4 800 euros. Nous vous remercions d’avance pour votre générosité. ■

• 45 millions de « Bibles pour enfant » ont été diffusées. • Des milliers de prêtres survivent grâce aux offrandes de messe transmises par l’AED. • Des centaines de programmes de radio et télévision ont été financés pour soutenir les chrétiens isolés. • Des milliers de véhicules ont été achetés pour propager l’évangile : voitures, motos, bicyclettes, bateaux à moteur… tous les moyens sont bons pour les messagers de la Bonne Nouvelle  !

Envoyez vos dons à :

AED - 29, rue du Louvre CS 30057 - 78 750 Mareil-Marly ou sur notre site internet

www.aed-france.org Merci pour votre aide !

L’église dans le monde N° 182 ■ 35


« Ô Dieu et Seigneur Jésus-Christ, Roi des siècles et Créateur de toutes choses, je te rends grâce pour tous les bienfaits que tu m’as accordés, et particulièrement pour la communion à tes purs et vivifiants Mystères. Je t’en prie, ô Dieu bon et Ami des hommes, garde-moi sous ta protection et à l’ombre de tes ailes. Donne-moi de recevoir dignement, jusqu’à mon dernier soupir, tes saints Mystères avec une conscience pure pour la rémission de mes péchés et pour la Vie éternelle. Car tu es le Pain de Vie, la Source de tout bien, et nous te rendons gloire, à ton Père éternel et à ton Esprit Saint, maintenant et toujours et aux siècles des siècles. Amen. » Saint Basile le Grand


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.