Paroles 264

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poésie

詩詞

La langue de Molière Texte : Matthieu Motte

La langue de Molière ; nul besoin de la délier, c’est la vôtre ! Celle qui forge l’identité d’un lycéen ou d’un apprenti comédien, français ou francophone ; qu’il récite, qu’il compose ou qu’il clame. Les mots de Molière coulent entre la langue et le palais ; suivant les pulsations du cœur (Rodrigue, en as-tu ?), oscillant entre le familier de la rue et le phrasé soutenu sans tomber dans le précieux ridicule.

Pierre Mignard, Portrait de Jean-Baptiste Poquelin dit Molière (v. 1658)

Le dramaturge est de ces génies atemporels dont il suffit de lire une scène pour comprendre que leur voix résonne encore dans la pièce... En pléiade ou en folio, dans un fauteuil ou sur les tréteaux (surtout), les pièces de Jean-Baptiste Poquelin plaisent et instruisent encore à l’orée du quadricentenaire de sa naissance. Aucune réplique ne sent la naphtaline, aucune saillie le chèvrefeuille, au pire la quatrième de couv’ nécessite juste qu’on l’époussette. Écoutez Scapin, regardez Sganarelle, souffrez Tartuffe, ils sont bien vivants, réels et tellement contemporains… Tellement. Hélas il suffit d’allumer la radio ou la télé pour s’en convaincre... Cette année, on préférera − si loisible en est − se calfeutrer dans le moelleux d’un strapontin, entendre résonner les trois coups du brigadier et attendre le lever de rideau pour goûter la langue de Molière. Et se presser de rire de 2022 de peur d’être obligé d’en pleurer. Le mot juste Molière est toujours audible, il suffit de l’écouter. À vrai dire, il le fut dès le début, tous rangs confondus ; des loges seigneuriales aux poulaillers caquetant de cabales. Parce que c’est fin, enlevé, fort à propos, et que ça claque sans clinquer. Ajoutez à cela le bon sens et la drôlerie, et vous obtiendrez le quart de la moitié du commencement de ce qui explique sa postérité. Ses bons mots sont des mots justes qui dans l’économie de la verve brocarde sans mépriser, dénonce sans houspiller. Le spectateur s’y trompe

d’ailleurs rarement : les barbons qui s’encolèrent ou les jeunes premiers qui haussent le ton sont à coup sûr les faquins de la farce à l’instar d’un Arnolphe ou d’un Alceste, cachet de l’antonomase faisant foi. Un an après sa mort, son ami et admirateur Nicolas Boileau édictait dans son « Art Poétique » ce que Poquelin s’appliquait à trousser dextrement dans ses scènes ; ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire fusent aisément ! Pour preuve le panégyrique en alexandrins dédié au dramaturge béni des muses : « Rare et fameux esprit, dont la fertile veine / Ignore en écrivant le travail et la peine / Pour qui tient Apollon tous ses trésors ouverts / Et qui sais à quel coin se marquent les bons vers / Dans les combats d'esprit savant maître d'escrime / Enseigne-moi, Molière, où tu trouves la rime. » L’œuvre de Molière a traversé les époques et les courants ; et s’il était déjà une référence du sixième Art aux Lumières, le grand mentor parmi les Romantiques, il est devenu incontournable aujourd’hui. En témoigne, 2022 oblige, la myriade d’évènements qui lui sont consacrés dans l’Hexagone et au-delà des frontières. Dans l’Antiquité on mesurait le talent des rhapsodes, « chose ailée », à la connaissance des vers d’Homère et à la propension de les clamer avec force et justesse lors des Panathénées. Homère malgré lui ; des salles de classes à la Comédie-Française, Molière est devenu au fil des siècles le gentilhomme de la rime assujettie au sens.


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