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NUMÉRO 400 ! EN VENTE DEUX MOIS

NIGER

L’EFFET ISSOUFOU

PORTRAIT

INTERVIEW

BIG CITY

RENCONTRE

LULA

ZAINAB FASIKI « J’ai voulu me dessiner comme une résistante »

CASABLANCA Version new !

KAMEL OUALI

Pour l’âme du Brésil

Un dossier spécial de 16 pages

« Je dois tout à la danse »

L’écrivaine Leïla Slimani et le banquier Tidjane Thiam.

LES AFRO -

CONQUERANTS

Venus du continent, ils ont investi le monde Business, politique, arts, culture, médias… la diaspora donne l’exemple. 40 portraits pour fêter cette influence ! France 5,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C – DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ Grèce 6,90 € – Italie 6, 90 € – Luxembourg 6, 90 € – Maroc 39 DH – Pays- Bas 6, 90 € – Portugal cont . 6, 90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3 500 FCFA ISSN 0998-9307X0

N°399-400 - DÉC.2019-JANV.2020

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Jane Alexander Olu Amoda El Anatsui Mahi Bine Bine Zoulikha Bouabdelah Meriem Bouderbala Soly Cissé Viyé Diba Adel El Siwi William Kentridge Jems Koko Bi Abdoulaye Konaté Bill Kouelany Siriki Ky Mohamed Melehi Vitshois Mwilambwe Bondo Nenna Okoré Mohammed Omar Khalil Yazid Oulab Chéri Samba Kofi Sétordji Joseph Sumégné Fathiya Tahiri Barthélémy Toguo Freddy Tsimba Ouattara Watts Fatiha Zemmouri Dominique Zinkpé

DAKAR

06 Décembre 2019

www.pretemoitonreve.com Partenaires Panafricains

Commissaire Général Yacouba Konaté Commissaire Artistique Brahim Alaoui Partenaires Etape


édito PAR ZYAD LIMAM

LA BATAILLE DE L’ÉDUCATION J’aurais pu préparer un traditionnel édito de fin d’année. Évoquer les nombreuses élections qui auront lieu en Afrique en 2020, ou la situation complexe en Tunisie et les difficultés des transitions politiques. Ou bien faire un papier futuriste et traditionnel sur la fameuse émergence et ses perspectives. J’aurais aussi pu consacrer ces lignes à une étape importante pour notre publication. Le numéro que vous tenez entre les mains est le 400e d’Afrique Magazine, soit trente-six ans de publication sans discontinuer (en attendant notre 40 e anniversaire en décembre 2023…). Et puis, un autre sujet, tellement plus fondamental, s’est imposé. Les 20 et 21 novembre derniers, Afrique Magazine a participé en tant que partenaire au World Innovation Summit for Education (Wise), la grande conférence sur l’éducation qui se tient à Doha tous les deux ans, sous l’égide de la Qatar Foundation. Un formidable rassemblement de spécialistes, de professionnels, de personnalités publiques impliquées dans ce domaine au cœur de toutes les sociétés humaines. Un domaine sans lequel il n’y a ni transmission ni savoir. Au cours de cette session de Wise, nous avons animé une table ronde sur l’éducation en Afrique avec de nombreux spécialistes. Et deux dames de très grande qualité, Mesdames Graça Machel Mandela et Aïcha Bah Diallo [voir photo ci-après], ancienne ministre guinéenne, dont le franc-parler en français et en anglais est légendaire. Un débat tonique sur un sujet central, un sujet qui ne fait pas la une des journaux ni du débat politique, et qui pourtant le devrait. L’éducation est au cœur de l’avenir africain. Sans éducation, pas de développement, ni d’émergence, ni de miracle. L’éducation, c’est aussi et surtout l’arme des pauvres, de ceux qui n’ont rien. C’est le seul passeport vers une sortie de la précarité. Lorsque l’on voit ces multitudes d’enfants africains, de petits garçons et de petites filles, on espère ardemment que l’école a ouvert ses portes pour les accueillir. Et à chaque AFRIQUE MAGAZINE

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fois que l’on voit ces jeunes gens qui n’ont pas pu accéder à l’enseignement secondaire ou à l’université, on se demande combien de talents sont perdus, privés de l’opportunité d’apprendre et d’inventer. Au centre de l’équation, la poussée démographique. L’Afrique compte aujourd’hui plus de 1,2 milliard d’habitants. En 2050, nous pourrions être, selon les projections, à plus de 2 milliards, pour toucher les 4 milliards vers 2100… C’est le continent le plus dynamique du monde, tant sur le plan du nombre que de la diversité, de la multitude des cultures, des langues. Mais c’est surtout le continent le plus jeune. Aujourd’hui, 70 % de la population a moins de 30 ans. En Afrique de l’Ouest comme en Afrique centrale, les moins de 25 ans représentent déjà 64 % de la population. D’ici 2030, le nombre de personnes de moins de 18 ans devrait atteindre 700 millions… Et l’on estime à près de 400 millions le nombre d’enfants qu’il faudra scolariser dans les années à venir ! En 2050, un homme sur quatre dans le monde sera africain. Ainsi qu’un enfant de moins de 18 ans sur trois. Ces chiffres sont évidemment sujets à prudence, mais ils permettent de mesurer l’amplitude, la magnitude du défi en matière d’éducation et de formation. Cette vague démographique aura des conséquences majeures pour toutes les sociétés africaines. Absorber le nombre va se révéler un immense défi, social, économique, politique, environnemental, sécuritaire. La jeunesse va bouleverser ce continent plus encore demain qu’aujourd’hui. Elle pourra être facteur de croissance, de progrès, de dynamisme, comme facteur d’instabilité, de violence et de disruption. En Afrique, aujourd’hui, les populations jeunes sont à 60 % au chômage, avec toutes les implications possibles en matière de frustration et de dérives. L’école ne peut pas tout régler. Mais c’est la première étape, le premier échelon indispensable.

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D’autant plus que la situation n’est pas aussi désespérée qu’il n’y paraît. On ne part pas de rien. Il y a un socle sur lequel s’appuyer, qui témoigne de l’ampleur des efforts entrepris depuis les indépendances. On oublie bien souvent l’état dans lequel la colonisation a laissé les territoires nouvellement indépendants. Idéologiquement et politiquement, l’école était tenue par « les Blancs », et il a fallu dans la plupart des pays créer de toutes pièces une « éducation nationale ». En réalité, aujourd’hui, jamais autant de personnes n’ont su lire et écrire. Le taux d’analphabétisme moyen du continent se situe autour de 15 % – avec de fortes disparités néanmoins, en particulier en Afrique de l’Ouest où le retard est important. Malgré le choc démographique, les pays d’Afrique subsaharienne ont globalement doublé leur capacité d’accueil entre 1999 et 2015. L’accès à l’éducation de base n’est plus un privilège. Les études montrent enfin et surtout que l’Afrique subsaharienne est la région du monde où les rendements de l’éducation est le plus important, le plus mesurable. Chaque année d’enseignement supplémentaire génère des gains financiers nets, des avantages mesurables pour les ménages. L’impact est particulièrement important pour les filles et les étudiants de l’enseignement supérieur. Aujourd’hui, les familles ont conscience de l’importance stratégique de l’école. En prenant la longue-vue de l’histoire et du temps, ces progrès sont quasi révolutionnaires.

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des enfants qui sont scolarisés n’auront pas un niveau suffisamment fonctionnel en lecture, écriture et calcul à la sortie. Et par ailleurs, tout en formant mieux les enseignants, en assurant des rémunérations dignes de ce nom, attractives aussi pour aller travailler parfois loin des centres-villes, il faudra recruter. Massivement. On parle de 10 à 15 millions de postes à créer dans les années à venir pour suivre la courbe démographique… Cela étant dit, une fois que l’on a posé la question de l’éducation

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Mais le système reste formidablement sous tension et a besoin de réformes de fond. Le continent progresse vite, mais la démographie rend la bataille particulièrement rude. L’Afrique (en particulier subsaharienne) a encore les taux les plus élevés d’exclusion. Plus d’un cinquième des enfants âgés d’environ 6 à 11 ans ne sont pas scolarisés, suivi par un tiers des enfants d’environ 12 à 14 ans. Près de 60 % des jeunes d’environ 15 à 17 ans sont en dehors du système. Dans cette bataille, les filles sont les principales victimes. Elles sont moins scolarisées, quittent l’école plus souvent que les garçons. Leur intégration beaucoup plus active dans l’école et les études est une urgence continentale. Leur scolarisation est une arme magique pour contrôler la natalité, augmenter les revenus (plus tard) des jeunes couples, consolider les classes moyennes, promouvoir l’égalité de genres dans une société. La formation des maîtres et des enseignants est un autre dossier brûlant. Aujourd’hui, près de la moitié

Ci-contre, une salle de classe au Kenya. Ci-dessous, lors de Wise 2019, la table ronde d’Afrique Magazine sur l’éducation, avec Graça Machel Mandela et Aïcha Bah Diallo.


édito

de base se pose l’autre versant de l’histoire. L’éducation supérieure est restée le parent pauvre des politiques publiques. Aujourd’hui, 8 à 10 % des jeunes en âge (selon les régions) accèdent à l’éducation tertiaire. La plus faible performance de la planète : manque de budgets, fuite des cerveaux, faiblesse du cursus, rareté des bourses… L’Afrique fait face à une double urgence. Il lui faut à la fois garantir l’accès universel à l’éducation de base, promouvoir le socle. Tout en rattrapant son retard dans le supérieur, là ou se forment les cadres dont le continent a et aura besoin pour assurer son émergence, là où l’on peut s’accrocher aux révolutions technologiques et digitales qui transforment les modes de producAFRIQUE MAGAZINE

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tion et l’économie. Bref, absorber d’un côté des centaines de millions d’enfants. Former de l’autre des dizaines de millions de jeunes. Et plus encore si possible. Les deux étant prioritaires… Cette double mission est impérative sur le plan de l’émergence. Nous la devons à nos enfants, aux générations qui viennent. Partenariat public-privé, utilisation des nouvelles technologies, adaptation de l’école à son milieu naturel, révolution des méthodes et des process, tout est possible. Les pistes sont nombreuses pour relever le gant. Mais pour que cela marche, pour que cela avance, il faut d’abord que la question de l’éducation sorte du tiroir des équilibres budgétaires, pour se retrouver là où elle doit être, au centre du débat politique et sociétal. ■

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TEMPS FORTS

ÉDITO La bataille de l’éducation

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par Zyad Limam

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ON EN PARLE

LES AFROCONQUÉRANTS Ils sont partis d’Afrique pour investir le monde

C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN

L’art du chaos 22

PARCOURS Lassana Igo Diarra

par la rédaction

par Fouzia Marouf

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72 Lula : Pour l’âme du Brésil

C’EST COMMENT ? Dring ! C’est 2020 !

par Cédric Gouverneur

par Emmanuelle Pontié

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80 Casablanca version new !

CE QUE J’AI APPRIS Bintou Dembélé

par Julie Chaudier

par Astrid Krivian

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P.8

COVER STORY

88 Zainab Fasiki : « J’ai voulu me dessiner comme une résistante »

VINGT QUESTIONS À… Dope Saint Jude par Astrid Krivian

par Fouzia Marouf

94 Kamel Ouali : « Je dois tout à la danse » par Astrid Krivian

100 Portfolio : Au nom de la mère… et des femmes de pouvoir par Emmanuelle Pontié

BUSINESS

106 Après le franc CFA, vive l’eco ? par Jean-Michel Meyer

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Erick Yong : « Il est nécessaire de concevoir de nouveaux modèles »

P.72 Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps. Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com

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AFRIQUE MAGAZINE

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399 - 40 0 – DÉCEMBRE 2019 - JANVIER 2020

RENAUD BARRET - EFE/ABACA

par Cédric Gouverneur


FONDÉ EN 1983 (36e ANNÉE) 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – Fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com Zyad Limam DIRECTEUR DE LA PUBLICATION DIRECTEUR DE LA RÉDACTION zlimam@afriquemagazine.com Assisté de Maya Ayari

mayari@afriquemagazine.com RÉDACTION Emmanuelle Pontié DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION epontie@afriquemagazine.com Isabella Meomartini DIRECTRICE ARTISTIQUE imeomartini@afriquemagazine.com Jessica Binois PREMIÈRE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION sr@afriquemagazine.com

P.80

Amanda Rougier PHOTO arougier@afriquemagazine.com ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Marie Baudet, Julie Chaudier, Jean-Marie Chazeau, Frida Dahmani, Djeynab Hane-Diallo, Catherine Faye, Glez, Cédric Gouverneur, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Fouzia Marouf, Jean-Michel Meyer, Luisa Nannipieri, Cherif Ouazani, Sophie Rosemont.

DÉCOUVERTE Niger : L’effet Issoufou par Cherif Ouazani

54 58 60 62 66 68

Un miracle au Sahel ? Le pari nucléaire Comment vaincre le péril djihadiste Niamey, la mue De la mine à l’or noir Décryptage : Indices de richesse

VIVRE MIEUX Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.

VENTES EXPORT Laurent Boin TÉL. : (33) 6 87 31 88 65 FRANCE Destination Media 66, rue des Cévennes - 75015 Paris TÉL. : (33) 1 56 82 12 00

ABONNEMENTS Com&Com/Afrique Magazine 18-20, av. Édouard-Herriot 92350 Le Plessis-Robinson Tél. : (33) 1 40 94 22 22 Fax : (33) 1 40 94 22 32 afriquemagazine@cometcom.fr

120 MADE IN AFRICA PARTEZ EN VOYAGE, PRENEZ VOTRE TEMPS

Au Botswana, l’aventure Chobe 126

BAPTISTE DE VILLE D’AVRAY - PATRICK GÉLY

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COMMUNICATION ET PUBLICITÉ

VIVRE MIEUX Ces nouvelles technologies qui révolutionnent la médecine Le sommeil, c’est la vie ! Que manger avec du diabète ? Changements de saison : Les impacts sur notre corps

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PORTRAIT

INTERVIEW

BIG CITY

RENCONTRE

LULA

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KAMEL OUALI

Pour l’âme du Brésil

Un dossier spécial de 16 pages

31, rue Poussin - 75016 Paris. SAS au capital de 768 200 euros. PRÉSIDENT : Zyad Limam.

« Je dois tout à la danse »

Commission paritaire : 0224 D 85602. Dépôt légal : décembre 2019.

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AFRIQUE MAGAZINE EST UN MENSUEL ÉDITÉ PAR

Compogravure : Open Graphic Média, Bagnolet. Imprimeur : Léonce Deprez, ZI, Secteur du Moulin, 62620 Ruitz.

par Annick Beaucousin et Julie Gilles

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La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique Magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique Magazine 2019.

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ON EN PARLE C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode et du design

RENAUD BARRET

Le collectif Kokoko ! a composé la bande originale du film.

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L’ART DU CHAOS DOCU

À KINSHASA, plasticiens et performeurs surgissent sans prévenir AU COIN DES RUES. Un film a capté leurs éclats les plus vibrants.

RENAUD BARRET - DR

DIX ANS APRÈS le triomphe de musiciens en fauteuils roulants (Benda Bilili !), le cinéaste et photographe français Renaud Barret révèle une autre scène artistique hallucinée au cœur de Kinshasa. Avec ses machettes soudées entre elles, Freddy Tsimba crée une maison. Béni Baras vit dans la rue et transforme ce qu’il y trouve en œuvres d’art. Kongo Astronaut se fabrique des combinaisons spatiales avec les rebuts de matières premières pillées en RDC. Géraldine Tobe apprivoise la fumée noire des lampes à pétrole pour créer des tableaux. D’autres utilisent leur corps : Yas Ilunga se laisse recouvrir de cire brûlante de cierges pour dénoncer l’emprise des églises évangéliques, Strombo Kayumba se transforme en magnifique diable cornu bien plus fréquentable que les démons qui agitent son pays, Flory et Junior s’habillent de câbles et d’interrupteurs que la foule des enfants s’amuse à actionner, dans cette mégalopole soumise aux coupures d’électricité. Et Majestik s’immerge dans une baignoire qui se remplit de sang, allusion aux massacres perpétrés dans l’Est. Le tout rythmé par de l’électro jouée par le collectif Kokoko ! sur des objets de récupération. Dans cette ville saturée de couleurs et de bruits, ces artistes existent encore plus fort. Mais ils sont d’abord les porte-parole d’une colère transfigurée. ■ Jean-Marie Chazeau

Freddy Tsimba soude des matériaux de récupération pour en faire des œuvres monumentales.

SYSTÈME K (France), documentaire de Renaud Barret. AFRIQUE MAGAZINE

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ON EN PARLE

COLLECTOR

À LIRE

Issam Hajali

Abécédaire joyeux

Trésor retrouvé

Aujourd’hui sort de l’oubli le tout premier album du génie libanais, enregistré à Paris au milieu des années 1970. UN VÉRITABLE BIJOU. S’OUVRANT sur un somptueux morceau de 10 minutes, « Ana Damir El Motakallim », Mouasalat Ila Jacad El Ard s’impose, dès sa première écoute, comme l’un des albums qu’il faut absolument avoir entendu dans sa vie. Mêlant musique traditionnelle orientale, folk, jazz progressif, le tout résonnant d’échos de musique brésilienne, il témoigne du talent de celui qui sera plus tard célèbre avec son groupe Ferkat Al Ard. Militant très actif de la gauche libanaise, le guitariste Issam Hajali avait dû s’exiler en France en 1976, peu après le début de la guerre civile. Il est resté le temps d’une année à Paris, où il a enregistré, entre deux ballades chantées dans le métro, l’engagé, mais aussi onirique, Mouasalat Ila Jacad El Ard. Tiré à moins d’une centaine d’exemplaires, l’album est tombé injustement dans l’oubli, avant qu’Hajali ne le ressorte aujourd’hui de ses archives. On ne peut que le remercier ! ■ Sophie Rosemont

ALAIN MABANCKOU ET ABDOURAHMAN WABERI, Dictionnaire enjoué des cultures africaines, Fayard, 344 pages, 20 €. (abréviation d’« à bas le costume ») : un terme employé à l’époque du Zaïre (ex-RDC), lorsque le président Mobutu interdisait le port du costume et de la cravate, tenue assimilée à la domination de l’Occident sur les peuples noirs. Mais aussi du mot « wax » : considéré par beaucoup comme un symbole de l’Afrique, ce tissu coloré est pourtant originaire d’Indonésie… ■ Catherine Faye

COMME UN JALON PUBLIÉ PAR CÉRÈS ÉDITIONS, à Tunis, coécrit par les historiens de l’art Elsa Despiney et Ridha Moumni, sur l’initiative de la fondation Kamel Lazaar, cet ouvrage est une véritable plongée dans l’art contemporain tunisien : un zoom sur les cent cinquante dernières années, 220 œuvres et 214 artistes présentés sur 500 pages. Un travail considérable en matière de documentation, et un livre incontournable. Comme le souligne Lina Lazaar, « être artiste en Tunisie aujourd’hui, c’est transgresser et faire le choix courageux d’aspirer à une transformation fondamentale de la société ». ■ Zyad Limam

ELSA DESPINEY ET RIDHA MOUMNI, UMNI Artistes A ti t d de T Tunisie, i Cérès Éditions, 500 pages, 49 DT (disponible en Tunisie). 10

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DR

Militant très actif de la gauche libanaise, le guitariste avait dû s’exiler en France en 1976 pour fuir la guerre civile dans son pays.

PENDANT LONGTEMPS, Alain Mabanckou et Abdourahman Waberi ont cherché un moyen de conter l’Afrique d’une manière optimiste, sans ne jamais la limiter à son aspect continental. Car l’Afrique, ce sont des cultures éparpillées dans le monde : France, Cuba, Brésil, États-Unis… Les va-et-vient migratoires ont donné naissance à des cultures différentes, avec leurs spécificités. Ils conviennent alors du format de l’abécédaire, chaque lettre appelant une définition, une notion ou une courte biographie de personnages incarnant les cultures africaines. On y découvre la définition d’« abacost »


EXPO

Paradis sur Terre PORTÉE PAR DES VIDÉOS inédites de Yann Arthus-Bertrand, cette exposition à l’Institut du monde arabe a un triple objectif. Si elle vise à mettre en valeur une région à l’histoire millénaire, c’est aussi pour y développer le tourisme – en facilitant notamment la délivrance de visa aux ressortissants de 49 pays – et pour consolider les relations franco-saoudiennes. Situé dans la province de Médine, au nord-ouest du pays, Al-Ula est un lieu au patrimoine naturel et humain exceptionnel : paysages à couper le souffle,

vestiges couvrant 7 000 ans d’histoire (du Paléolithique inférieur à nos jours), mythique voie de chemin de fer du Hijâz immortalisée par Lawrence d’Arabie, bibliothèque à ciel ouvert présentant des traces écrites laissées par les populations antiques, de l’araméen à l’arabe, en passant par le dadanite, le grec ou le romain… Une région exceptionnelle pour une exposition captivante ! ■ C.F. « AL-ULA, MERVEILLE D’ARABIE :

L’OASIS AUX 7 000 ANS D’HISTOIRE », Institut du monde arabe, Paris (France), jusqu’au 19 janvier 2020. imarabe.org/fr

ALICE SIDOLI/IMA

L’IMA convie à une plongée spectaculaire dans la vallée d’Al-Ula, en Arabie saoudite, l’une des plus importantes régions archéologiques au monde.

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ON EN PARLE

MUSIQUE

Sudan Archives La nouvelle déesse À 25 ans, LA CHANTEUSE ET VIOLONISTE AFRO-AMÉRICAINE signe son meilleur album, expression la plus élégante d’un R’n’B contemporain.

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monter avec elle et sa sœur jumelle… Projet non abouti, mais annonciateur d’une carrière à venir. À la sortie de ses deux EP, Sudan Archives et Sink, respectivement parus en 2017 et 2018, on loue sa facilité mélodique, ses expérimentations sonores, sa maîtrise des cordes comme de sa voix. Michael Kiwanuka et Ibeyi l’invitent sur scène. Son charisme fait le reste… Avec Athena, l’artiste s’affirme pour de bon. L’album a été baptisé en hommage à la plus intelligente des déesses grecques, mais aussi en référence à l’ouvrage de recherche Black Athena, de Martin Bernal. Entre soul attitude, beats hip-hop et rythmiques ouest-africaines, ce premier album s’avère un melting-pot dominé par un R’n’B cérébral et recherché. « Did You Know », « Coming Up », « Down On Me » ou « Confessions » changent de tons comme de variations, entre hédonisme et mélancolie. S’inspirant de pionniers de la musique électronique, comme le Camerounais Francis Bebey, mais aussi AFRIQUE MAGAZINE

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SUDAN ARCHIVES, Athena,

Stones Throw/Pias. de femmes à forte personnalité, telles Solange ou FKA Twigs, Sudan Archives s’est entourée de collaborateurs haut placés dans la sphère indie : Wilma Archer (qui a travaillé avec Jessie Ware, Nilüfer Yanya), Washed Out, Rodaidh McDonald (The xx, Sampha, King Krule) et Paul White (Danny Brown). Le résultat est à la hauteur du trône de cette nouvelle déesse du R’n’B, perchée entre deux continents. ■ S.R.

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ROSS HARRIS

DANS LE VIDÉOCLIP de « Glorious », ce n’est pas un serpent emprunté à un zoo que l’on voit onduler près de Brittney Parks, alias Sudan Archives. C’est Goldie, son python, dont elle se sépare rarement. Une relation aussi fusionnelle que celle qu’elle entretient avec son violon. Elle a décidé d’apprivoiser ce dernier depuis l’école élémentaire, et c’est ce qui fait toute sa singularité de chanteuse de R’n’B. Née et élevée à Cincinnati, Brittney Parks a découvert les joies du chant à l’église. Fière de ses origines africaines, elle n’a de cesse de découvrir les musiques d’un continent qu’elle ne connaît que de loin, mais pour lequel elle ressent une attraction irrépressible. Ainsi, avant de partir pour Los Angeles à 19 ans, elle décide de changer de nom et de s’appeler Sudan Moon – clin d’œil à Sailor Moon –, qui se transformera vite en Sudan Archives. Son désir de réussir est né d’un duo pop que son beau-père, qui travaillait dans l’industrie musicale, avait voulu


ALEX BLACK

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ON EN PARLE

Le film, très touchant, aborde l’homosexualité masculine dans une famille musulmane.

CINÉ

FAIRE ENTENDRE LE NON-DIT

Comment être soi-même quand ceux que vous aimez VOUS REJETTENT ? ALI, JEUNE FRANÇAIS MUSULMAN parti vivre à Paris, revient à Besançon où sa mère est hospitalisée en urgence à la suite d’un AVC. On comprend assez vite qu’il a dû fuir la ville cinq ans plus tôt pour des raisons liées à son orientation sexuelle, qui provoque chez ses parents maghrébins de la hchouma (la honte). Sa mère malade mais aimante, son père irascible et distant, sa sœur enjouée mais peu encline à la confidence, son petit frère devenu adolescent : tous ces personnages vont évoluer sous nos yeux, sans que cela ne tourne au feel good movie prévisible. Amor Hakkar poursuit une œuvre subtile qui aborde sans grands effets mais avec beaucoup de tact des sujets souvent difficiles, qui résonnent avec force dans l’imaginaire et la tradition arabes. Après la stérilité dans le couple, les migrants ou la guerre d’Algérie, l’auteur du magnifique La Maison jaune,

tourné dans les Aurès il y a dix ans, aborde l’homosexualité masculine dans une cité populaire de province française d’aujourd’hui. Il a choisi l’angle de la communication, souvent compliquée dans les familles, entre pudeur des sentiments, tradition religieuse et peur du qu’en-dira-t-on. Le résultat est parfois schématique (on croise l’incontournable barbu islamiste de la cité et sa femme convertie et voilée), un peu sombre, mais le film progresse par petites touches, rendant toujours plus attachant le personnage principal, coincé entre la quête de l’amour de ses proches et sa propre identité. ■ J.-M.C. LE CHOIX D’ALI (France), d’Amor Hakkar. Avec Yassine Benkhadda, Afida Tahri, Florian Guillaume.

EXPOSITION

Prête-moi ton rêve jette l’ancre au Musée des civilisations noires, à Dakar (ci-contre). On y retrouvera les œuvres majeures d’une trentaine d’artistes contemporains africains de stature internationale, tels le Ghanéen El Anatsui, la Congolaise Bill Kouélany, le Camerounais Barthélémy Toguo ou l’Algérien Yazid Oulab. Elle fera ensuite escale à Abidjan, Lagos, Addis-Abeba, Le Cap et Marrakech. ■ C.F. PRÊTE-MOI

TON RÊVE, Dakar (Sénégal), jusqu’au 28 janvier 2020. pretemoitonreve.com 14

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Après Casablanca, l’exposition panafricaine itinérante


DESIGN

Le savoir-faire d’Édith Tialeu

Des pièces uniques ou en petite série qui s’exposent. l’heure est à la céramique. Ses dernières collections ont été façonnées et décorées à la main par une dizaine d’artisanes, à partir de ses dessins et de l’argile qu’elle a personnellement choisie. « Mali Vibes » est né d’un travail sur Tombouctou et ses couleurs chatoyantes, comme le bleu indigo et le jaune moutarde, et réinterprète les codes du bogolan. « Unik », aux formes plus généreuses, mélange les influences avec un clin d’œil à l’Afrique du Sud. frida-54.com ■ Luisa Nannipieri

DR

COMMERCIALISÉES DEPUIS TROIS ANS, les pièces de la Camerounaise Édith Tialeu ont déjà leur place au musée : elle a créé une collection inspirée des calebasses pour l’exposition du Quai Branly, à Paris, qui célèbre ses 20 ans jusqu’au 26 janvier 2020. Elle y reprend les motifs et les couleurs du nord du Cameroun, alliant tradition africaine et art contemporain. Une approche que l’on retrouve dans ses beaux textiles et que l’on verra bientôt dans du mobilier. Mais aujourd’hui,

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ON EN PARLE

ÉVÉNEMENT

CÉLÉBRER LA FEMME GRIOT

SELON LA GRANDE ARTISTE MALIENNE, les griots sont la source de l’histoire. Très influencée par Billie Holiday, la musicienne-conteuse, porte-parole du continent et artiste engagée se distingue par un vibrato et un style artistique bien à elle. Dans le cadre d’un programme dédié à l’Afrique qui s’étend jusqu’en mai 2020, la Philharmonie de Paris met à l’honneur cette passeuse durant trois jours. Le premier soir, c’est à un périple imaginaire, au cœur de l’épopée mandingue, qu’elle nous convie, accompagnée de la kora de Ballaké Sissoko, du balafon de Massa Joël Diara, ou encore du violoncelle de Vincent Ségal. Cap ensuite sur Dream Mandé Djata : elle y rendra un vibrant hommage à l’art multiséculaire des griots d’Afrique de l’Ouest, dans le cadre de sa Fondation Passerelle à Bamako, destinée à aider la jeune création musicale et artistique. Enfin, elle reprendra les compositions de son dernier album dans un troisième rendez-vous musical, Né So. Un retour au blues rock mandingue, qui fait sa réputation scénique. Et un appel à une prise de conscience sur la condition humaine. Et l’exil. ■ C.F. « WEEK-END ROKIA TRAORÉ »,

Philharmonie de Paris (France), du 4 au 6 janvier 2020. philharmoniedeparis.fr

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SAMUEL NJA KWA

Trois jours de scènes musicales pour explorer les univers de ROKIA TRAORÉ.


Elia Suleiman joue son propre rôle dans ce long-métrage aux situations absurdes.

FILM

LE PALESTINIEN ERRANT

CAROLE BETHUEL - DR

Les tribulations DRÔLES ET MÉLANCOLIQUES d’un cinéaste reconnu de Nazareth à New York, en passant par Paris. UN MATIN, ELIA SULEIMAN, dans son propre rôle, surprend dans son jardin de Nazareth, en Israël, un voisin dans son citronnier en train de lui chaparder ses fruits… et qui continue comme si de rien n’était. Dans la rue, le cinéaste palestinien croise une bande armée de gourdins… qui ne court après personne. Bienvenue dans un pays de tension et aux situations absurdes. Le réalisateur, qui promène dans ses films son faux air de Buster Keaton, impassible et sans sourire, se rend à Paris à la recherche de financements pour son nouveau film. « Pas assez palestinien », lui répond un producteur français. Pourtant, le monde semble aussi irrationnel en bord de Seine que dans son Proche-Orient : quelques policiers forment un étonnant ballet sur monoroue à la poursuite d’un voleur, et des chars défilent devant la Banque de France dans un Paris désert. Une ville sans voitures et avec très peu de passants, c’est donc l’occasion de superbes scènes qui

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feront rêver plus d’un touriste (et d’un Parisien), seul au monde dans un décor de carte postale. Sa recherche de producteur le mènera à New York, où cette fois l’aberration se situe au détour d’un rayon de supermarché, quand il constate que tout le monde est armé, revolver à la ceinture ou arme de guerre en bandoulière ! Lorsqu’il croise à Manhattan quelques compatriotes exilés, on sent la nostalgie d’un pays qui n’existe toujours pas, avec cette belle réplique qui lui est lancée au comptoir d’un bar : « En général, les Arabes boivent pour oublier, mais vous, les Palestiniens, c’est pour vous souvenir ! » Ce voyage est également un plaisir esthétique grâce à une réalisation aux cadrages impeccables, qui nous partage au mieux cette mélancolie mâtinée d’un humour décalé réjouissant. ■ J.-M.C. IT MUST BE HEAVEN (France, Qatar, Allemagne, Canada, Turquie, Palestine), d’Elia Suleiman. Avec lui-même, Kareem Ghneim, Gael García Bernal.

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ON EN PARLE John Boyega et Naomi Ackie.

SOUNDS À écouter maintenant !

❶ Kanye West

Jesus is King, Def Jam/Universal

ÉTOILES NOIRES

Le neuvième STAR WARS accueille un nouveau personnage d’ascendance africaine… FEU D’ARTIFICE INTERSTELLAIRE pour la fin de la troisième trilogie de la saga entreprise par George Lucas, désormais sous licence Disney : on y retrouve les personnages incarnés par Mark Hamill et Carrie Fisher, pourtant décédée, mais présente grâce à des images non utilisées jusque-là. Ne manque plus que Harrison Ford ! D’autres héros apparus au fil des affrontements entre les chevaliers Jedi et les Seigneurs des Sith sont également là, dont certains incarnés par des comédiens noirs : Billy Dee Williams (Lando Calrissian), qui revient plus de trente-cinq ans après Le Retour du Jedi, John Boyega (Finn) ou encore Lupita Nyong’o (Maz Kanata). Mais on compte aussi une nouvelle arrivée : l’Afro-Britannique Naomi Ackie dans le rôle d’une cheffe de guerre. La république de la lointaine galaxie va-t-elle survivre à cet épisode final ? Dark Vador va-t-il renaître ? Qui va basculer du côté obscur de la Force ? Le secret du scénario, comme d’une partie de la distribution, aura été bien gardé jusqu’à sa sortie mondiale, le 18 décembre… Et si la saga de la famille Skywalker est bel et bien terminée, un nouveau Star Wars est déjà en chantier pour 2022. ■ J.-M.C. STAR WARS : L’ASCENSION DE SKYWALKER (États-Unis), de J. J. Abrams. Avec Mark Hamill, Carrie Fisher, John Boyega, Lupita Nyong’o.

Prémices, Decca/Universal ALERTE nouvelle star ! Né dans les quartiers nord de Marseille, ce pianiste de 15 ans joue du Bach ou du Chopin avec un talent certain. On trouve sur ce premier album des compositions coécrites avec Marianne Suner et deux morceaux que lui a offert André Manoukian. Découvert alors qu’il jouait du piano dans un hôpital, Mourad n’a pas fini de faire parler de lui…

❸ Lisa Simone

In Need of Love, Elektra/Warner SE RÉCONCILIER avec son passé, confirmer sa voie trouvée sur le tard, après une jeunesse bouleversée… Enregistré à Saint-Rémy-deProvence, In Need of Love célèbre les 56 ans de la fille de Nina Simone avec un certain panache. La pop est soul, R’n’B, jazzy, toujours élégante et accessible à tous. Côté textes, l’introspection est bien présente, pudique. Un joli album qui s’illustre par la sincérité de sa démarche. ■ S.R.

Clap de fin pour la troisième trilogie.

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❷ Mourad

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VANITY FAIR - LUCASFILM LTD. - DR (4)

BLOCKBUSTER

LE RAPPEUR s’est trouvé une foi nouvelle, ô combien fervente. De quoi lui inspirer un album nourri de gospel autant que d’hostie. Et ça fonctionne, comme souvent chez ce génie imprévisible. Celui qui orchestre des Sunday Services très prisés n’oublie pas l’essence du hiphop, servi par des orgues d’église et des synthétiseurs, et des featurings avec le saxophoniste Kenny G ou le soul man Ant Clemons.


CHRISTIANE TAUBIRA, Nuit d’épine, Plon, 250 pages, 16,90 €.

EDOUARD CAUPEIL/PASCO - DR

RÉCIT

Moments de vérité L’EX-GARDE DES SCEAUX livre des fragments de vie. Au fil de ses nuits.

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L’ÉPINE… c’est la nuit où elle a perdu sa mère. Une nuit déterminante pour celle qui a toujours eu le sommeil léger. Elle a 16 ans. À partir de là, elle a cessé de penser à elle-même. Et depuis, elle est en paix. « La nuit permet tout ! Toutes les audaces, toutes les images, toutes les noces sémantiques, imaginaires, lyriques », écrit l’ancienne ministre de la Justice, née à Cayenne en 1952. Auteure de nombreux ouvrages, Christiane Taubira décrit dans un récit poignant, où s’entremêlent confidences, événements politiques et méditations poétiques, les nuits qui ont marqué son existence. Sélectionnée pour le Grand prix du roman de l’Académie française, elle y raconte son amour des heures tardives et revient sur certains moments décisifs de sa vie. On se promène dans sa belle écriture, colorée, habitée, comme dans un jardin à l’anglaise, picorant ici ou là ses souvenirs d’enfance, ses univers musicaux, littéraires ou oniriques. Les grandes causes pour lesquelles elle s’est battue aussi. « La nuit, c’est le temps des serments inviolables, d’aveux rédempteurs, de déchiffrement des augures limpides ou énigmatiques », confesse encore celle que l’on honore ou que l’on déteste, c’est selon. Femme politique au caractère bien trempé, elle est à l’origine de la loi du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité et a porté le projet de loi légalisant le mariage homosexuel een 2013. « Aucun citoyen n’a la moindre prérogative sur la liberté de l’autre », p affirme-t-elle à qui veut l’entendre. a Électron libre, férue de littérature et É de jazz, elle s’érige contre toutes les d vviolences, d’une voix ferme et mélodieuse. Très tôt, les livres l’ont sauvée, confie cette T passagère de la nuit. Si elle place dans son p panthéon personnel Aimé Césaire, Nina p Simone ou encore Pablo Neruda, c’est S « l’intranquillité » de Fernando Pessoa qui eest devenue sa philosophie de vie. Pour ne succomber à l’indifférence. ■ C.F. jjamais a

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ON EN PARLE

Thebe Magugu FA S H I O N

LE JEUNE SUD-AFRICAIN inscrit son nom dans L’HISTOIRE de la mode en alliant héritage culturel et réflexion sociale.

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DR (2) - SOLVE SUNDSBO

La marque habille des femmes dynamiques, modernes et classiques à la fois, avec des silhouettes constituées de plusieurs matières.

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POUR LA PREMIÈRE FOIS depuis sa création, en 2014, le prix LVMH pour les jeunes créateurs de mode a été décerné à un designer africain. Son nom est Thebe Magugu : à 26 ans, il est originaire de Kimberley, en Afrique du Sud, où il vit et travaille. S’intéressant au dessin depuis tout petit, il lance en 2015 une marque de prêt-à-porter féminin à son nom, aujourd’hui basée à Johannesbourg. C’est dans cette ville que Thebe Magugu a étudié le design, la mode et la photographie à la LISOF School of Fashion, l’une des meilleures écoles africaines de ce secteur. La collection qui a ensorcelé le jury, composé des directeurs artistiques des marques du groupe LVMH – de Maria Grazia Chiuri (Dior) à Nicolas Ghesquière (Louis Vuitton), en passant par Clare Waight Keller (Givenchy) et Marc Jacobs –, s’appelle « Prosopography » et s’inspire du mouvement des Black Sash, un groupe de femmes résistantes qui, à partir de 1955, luttait contre le régime de l’apartheid. L’héritage historico-culturel africain inspire d’une manière générale la marque, qui habille des femmes dynamiques, modernes et classiques à la fois, avec des silhouettes constituées de plusieurs matières. Deux autres lignes signées en 2018 par le créateur, « Home Economics » et « Gender Studies » (respectivement « arts ménagers » et « études de genre »), exploraient la thématique de la force

féminine. Le designer apporte également une touche technologique : une micropuce, intégrée dans tous les vêtements, permet d’envoyer directement aux clients via leurs smartphones des informations détaillées sur l’origine des matières, la façon dont ils ont été fabriqués, ainsi que sur les personnes qui ont travaillé dessus et les recherches menées pour les réaliser. Les pièces made in South Africa de Thebe Magugu, qu’il s’agisse de vestes fonctionnelles ou bien d’ensembles complexes, se veulent ainsi une ode aux femmes, un hommage à leur capacité d’être en même temps résiliente et vulnérable. thebemagugu.com ■ L.N.

TRAVYS OWEN - SOLVE SUNDSBO - TRAVYS OWEN

Le lauréat du prix LVMH entouré de l’ambassadrice de la marque Alicia Vikander (à gauche), et de Delphine Arnault (à droite).

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PARCOURS

Lassana Igo Diarra PASSEUR DE SAVOIR, CET ENFANT DU MALI a imposé sa vision de la culture sur le continent. Nommé délégué général des Rencontres de la photographie en janvier 2019, le fondateur de la galerie Médina incarne une nouvelle Afrique. par Fouzia Marouf

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egard droit, chapeau cubain vissé sur la tête et sourire en bannière, Lassana Igo Diarra donne l’image d’un homme satisfait. Bamako… Abidjan… Les noms évocateurs de ces métropoles africaines éveillent des souvenirs heureux à sa mémoire. Né dans la capitale malienne en 1968, il arrive en Côte d’Ivoire en 1974 : « C’était une belle période. J’ai eu la chance de faire partie d’un milieu privilégié, j’étais au lycée international Jean Mermoz, à Abidjan. Très tôt, j’ai été animé par une conscience militante », se souvient-il. Son père est alors essayiste et fonctionnaire à la Banque africaine de développement. En 1985, la famille retourne vivre au Mali. C’est l’avènement des radios libres, et Lassana Igo Diarra, du haut de ses 17 ans, lance à Bamako l’émission ragga-rock Connais-tu mon beau pays ?, qui se déverse chaque semaine dans le flot ininterrompu des ondes : « J’ai fait de la radio durant dix ans, c’était un bon prétexte pour animer des forums passionnants avec la jeunesse. J’avais à cœur d’aborder la vie culturelle d’Afrique subsaharienne », souligne-t-il. Ambitieux, à l’affût de nouveaux défis, il crée en 1998 Polaris Vibes, une agence de production qui lui permet d’allier sa passion pour la musique et la littérature : « J’étais fasciné par le bon son et la poésie. J’ai lancé un fanzine destiné aux femmes et aux jeunes afin de les sensibiliser à la lecture, car lire est primordial. J’ai été profondément marqué par Amadou Hampâté Bâ, Seydou Badian, Aimé Césaire. La transmission du savoir est fondamentale pour l’éducation et la jeunesse, force de notre société », confie-t-il. Depuis 2001, il conçoit des projets innovants pour les Rencontres africaines de la photographie. Curieux, touche-à-tout, Lassana Igo Diarra s’ouvre au neuvième art en 2003 en lançant les éditions Balani’s, dans le but de produire des bandes dessinées et des ouvrages destinés à la jeunesse. La première réalisation est un conte présenté avec une cassette audio, Les Jumeaux à la recherche de leur père, suivi, en 2006, de La Princesse capricieuse. Nommé en 2009 au poste de secrétaire régional Afrique de l’Ouest pour Arterial Network (réseau d’artistes, de chercheurs et d’opérateurs culturels), il fonde Médina, un centre culturel transformé en galerie accueillant des expositions et des cafés littéraires. S’il avoue avoir découvert le panafricanisme par la musique, cet activiste culturel lâche sans ambages : « La musique est un médium accessible à tous, l’art doit se décloisonner ! » Une belle perspective doublée d’une urgence qu’il s’attache à mettre en œuvre dans ses nouvelles fonctions de délégué général de la Biennale de la photographie de Bamako, dont la 12e édition a débuté le 30 novembre et se tiendra jusqu’au 31 janvier 2020. Lassana Igo Diarra insiste sur le fait qu’il est un acteur issu du secteur privé et qu’il a déjà triplé le nombre d’espaces publics qui accueilleront des concerts et des expositions durant la biennale, afin de toucher ses concitoyens grâce au pouvoir de l’image. ■

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«La transmission du savoir est

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NATHALIE MAZÉAS

pour l’éducation et la jeunesse, force de notre société.» AFRIQUE MAGAZINE

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C’EST COMMENT ?

PAR EMMANUELLE PONTIÉ

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DRING ! C’EST 2020 ! 2020. Déjà… On entre dans la deuxième décennie du XXIe siècle… Après les agapes et les festivités de fin d’année (que l’on vous souhaite gaies et douces), il va falloir faire face aux défis d’une nouvelle ère. Avec l’étrange impression qu’ils vont grandissant pour notre continent. Peut-être parce que pas mal d’ambitions, à maintes reprises affichées, n’ont pas encore été réalisées. Peut-être parce que certains fléaux, plusieurs fois épinglés, n’ont pas été éradiqués. Et surtout, parce que le développement, globalement, n’est toujours pas au rendez-vous. La résolution des conflits ou le combat contre la montée des islamismes ? La mise en place pérenne des infrastructures de base, l’accès à l’éducation, à l’eau potable, à l’électricité, à l’emploi ? La redistribution des richesses ou la transformation des matières premières ? Des centaines d’acteurs au développement s’activent, des programmes, des politiques diverses, des projets sont mis en route… Pour un résultat qui se fait encore attendre dans la plupart des pays. Les manifestations de ras-le-bol se multiplient contre des pouvoirs en place souvent déliquescents, aux méthodes d’un autre âge, contre des systèmes gangrenés par la corruption. Sans effet. On ne peut que s’interroger sur la lenteur des prises de conscience au sujet d’une démographie galopante, que rien n’enrayera, et des besoins croissants qu’elle engendre d’année en année. Ces populations jeunes, qu’il faudra former, nourrir, loger devraient urgemment doper les esprits des puissances actuelles, toujours recroquevillées sur des modèles d’hier. Elles sont mondialisées, surfent sur le Net, voient ce qu’il se passe ailleurs, comparent leurs conditions. Aucune nation africaine n’avancera, ne se développera sans les prendre en compte. Tout le monde le dit, le voit, le sait, mais… concrètement, rien ne bouge vraiment. Étonnant immobilisme sur ce défi, comme sur d’autres. Plusieurs études sur le réchauffement climatique montrent que le continent africain devrait enregistrer des températures de plus en plus record dans les décennies prochaines – même si le continent n’est pas le premier pollueur, loin de là. Ce qui engendrera à coup sûr d’énormes soucis liés à l’agriculture, donc à la nourriture des générations futures. Un climat insupportable, des terres grillées donneront lieu à une nouvelle émigration, climatique cette fois… Tout le monde le sait, le dit, en parle. Et pourtant… Alors, si l’on devait faire un vœu pour 2020, c’est que par un coup de baguette magique, les esprits se réveillent. Et agissent. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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AFRO CONQUÉRANTS LES

Ils sont partis d’Afrique pour investir le monde

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l y aurait aux environs de 160 millions d’afro-descendants à travers le monde ! C’est l’une des diasporas humaines les plus importantes. Une diaspora unique marquée par la tragédie et l’histoire sanglante de la traite négrière. L’esclavage aura déraciné des millions d’Africains de leur sol, poussant à la mondialisation forcée de l’homme noir. Mais cette diaspora, c’est aussi celle de l’émigration récente, celle des Subsahariens et NordSahariens, pauvres et moins pauvres, hommes et femmes du continent, qui partent chercher meilleure fortune ailleurs. Il y a évidemment les images des années 1970, avec ces bataillons de travailleurs « importés »

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Business, politique, médias, culture… Avec ce numéro 400 d’Afrique Magazine (quand même !), nous avons voulu nous tourner vers ceux qui ont émigré, qui ont quitté le continent. Et qui se sont imposés aux quatre coins de la planète par leur savoir-faire, leur leadership. Bienvenue à bord du vaisseau de nos 40 afro-conquérants.


pour venir faire tourner les usines occidentales. Il y a les images plus récentes, stupéfiantes, de ceux qui veulent partir à tout prix, victimes de la misère, la guerre ou la violence, qui sont prêts à traverser les mers et les déserts, au péril de leur vie. Et puis, il y a aussi la diaspora des nantis, des professionnels, des jeunes éduqués, qui veulent saisir toutes les opportunités, et qui sont souvent « chassés » par les pays riches et les grandes entreprises. Dans cette émigration à définition multiple, souvent décrite comme une catastrophe ou une menace, il y a de belles histoires, de vraies successstories, des parcours exemplaires qui montrent que les Africains peuvent réussir, partout, dans tous les domaines. Qu’ils apportent leur spécificité, leur regard, leur culture sans complexes. Dans ce 400e numéro, nous avons voulu positiver, nous intéresser justement à ces afro-conquérants, qui se sont imposés par le travail, leur marque, leur savoir-faire, leur leadership. Qui ont quitté leur « chez eux » pour investir le monde. Ils ont pris le risque de « l’ailleurs », avec AFRIQUE MAGAZINE

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la volonté de dépasser les préjugés. Chaque histoire est particulière. Notre sélection de personnalités n’est évidemment pas exhaustive. Elle se veut représentative. Et tous ceux, célèbres et moins célèbres, présents dans les pages qui suivent évoquent la grande multitude des autres, plus modestes peut-être, mais qui se démènent aux quatre coins de notre planète. Les diasporas et les afroconquérants sont une grande chance pour notre continent. Ils apportent bien sûr des revenus, des transferts de capitaux. Ils sont un lien aux origines. Ils investissent souvent « chez eux ». Mais surtout, ils ont de l’expérience, des idées « autres » qui peuvent accélérer la transformation de l’Afrique. Ce sont des relais à travers le monde, des ambassadeurs du continent des origines, ils défendent une certaine idée ambitieuse de l’africanité. ■ Zyad Limam

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Tidjane Thiam, IL FAUT RETOURNER sur les bords de la lagune Ébrié, à Abidjan, pour mesurer le chemin parcouru par ce grand bonhomme de 1,90 m. Sa mère, Mariétou Sow, nièce du président Félix Houphouët-Boigny, est issue d’une grande lignée baoulé. Son père, Amadou Thiam, un Sénégalais d’origine modeste devenu ministre de l’Information ivoirien en 1963, puis ambassadeur à Rabat, lui a certainement transmis le sens de la compétition. Tout son parcours se lit dans cette volonté un peu froide de briser les plafonds plus ou moins invisibles qui bloquent l’ascension d’un jeune noir africain dans le vaste monde. Derrière son sourire policé, Tidjane Thiam est un ambitieux. L’élève surdoué (diplômé de l’École polytechnique et major de promotion à l’École nationale supérieure des mines de Paris) ne trouve pas sa place chez les « Gaulois ». Et finit par rejoindre les Anglo-Saxons, pour son premier job à McKinsey & Company. Son rapport à l’Afrique n’est guère plus fluide. Directeur du Bureau national d’études techniques et de développement (à 31 ans) et ministre du Plan et du Développement sous Henri Konan Bédié, Tidjane Thiam 28

vivra douloureusement le marigot politique et l’ostracisme dont il estime être victime au lendemain du coup d’État de Noël en 1999. À Londres, il devient le patron pour l’Europe de l’assureur Aviva en 2002, puis rejoint Prudential, dont il devient DG en 2009. Il est alors le premier Noir à diriger une entreprise du FTSE 100. Mais l’échec d’un projet d’OPA sur un assureur asiatique laissera des traces douloureuses. Gravé dans sa mémoire, la phrase de l’un de ses actionnaires (surprise par un journaliste) : « Mais pour qui se prend ce nègre, qui pense qu’on va lui laisser faire une OPA de 35 milliards de dollars ? » DG de Crédit Suisse depuis 2015, le Franco-Ivoirien a remis à flot le fleuron de la finance helvétique. Pourtant, là aussi, il aura été fraîchement accueilli par un establishment crispé. Nommé « banquier de l’année » par le magazine britannique Euromoney en août 2018, Thiam a prouvé une fois de plus ses qualités de master strategist, capable de réorienter en quelques années le business d’une des plus grandes banques européennes. Sans demander un sou au contribuable suisse. À 56 ans, Tidjane Thiam, fortune faite, aura beaucoup AFRIQUE MAGAZINE

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prouvé. Et beaucoup lutté. Il incarne probablement l’une des réussites les plus éclatantes de la diaspora africaine. Se pose dorénavant la question de la suite, d’un « et maintenant » qui aurait du sens dans cette incroyable aventure personnelle. Z.L. 399 - 40 0 – DÉCEMBRE 2019 - JANVIER 2020

2017 BLOOMBERG FINANCE LP

banquier, Suisse


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Leïla Slimani, EN CENT SEIZE ANS, le prix Goncourt a été décerné à seulement 12 femmes et… trois Africains. Après Tahar Ben Jelloun en 1987 (La Nuit sacrée) et Marie Ndiaye en 2009 (Trois femmes puissantes), c’est Leïla Slimani qui l’a remporté en 2016, à 35 ans, avec Chanson douce. Née à Rabat, diplômée de Sciences Po, apprentie comédienne puis journaliste, la Franco-Marocaine signe un deuxième roman glaçant tiré d’un fait divers : la chronique du déraillement meurtrier d’une nounou en charge de deux enfants. L’auteure n’hésite pas à franchir les lignes, à bousculer les préséances narratives et à prendre des risques. Ses premières tentatives littéraires l’avaient poussée à suivre un stage d’écriture chez Gallimard. Avec, à la sortie, un premier roman publié, Dans le jardin de l’ogre, texte stupéfiant sur l’addiction sexuelle et les fantômes du passé. L’écrivaine voyage, cumule les honneurs et les nominations (elle est la représentante personnelle du président Macron pour la francophonie). Un film a été adapté du roman Chanson douce. Mais ce qui fait sa force et sa singularité, c’est surtout sa liberté de parole, son engagement sur des sujets coupants, l’identité, l’islamisme, la marocanité, la liberté et l’égalité sexuelle, le droit des femmes, l’émancipation. Leïla Slimani ne se tait pas, et ça fait du bien. Z.L. 30

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PATRICE NORMAND/LEEXTRA/LEEMAGE

écrivaine, France


Chimamanda Ngozi Adichie, romancière, États-Unis SI ELLE EST AVANT TOUT UNE CONTEUSE, Chimamanda Ngozi Adichie occupe la scène internationale des idées féministes et humanistes. Ce grand nom de la littérature contemporaine anglophone, traduit dans une trentaine de langues, prend position contre toutes les formes de discriminations, notamment les dangers de la pensée unique. De L’Hibiscus pourpre, roman d’initiation paru en 2003, à Chère Ijeawele, manifeste féministe publié en 2017, ses textes authentiques percutent. Inspiré par sa propre histoire, Americanah (2013), dont plus d’un demi-million d’exemplaires a été vendu en langue anglaise, décrit avec malice les problèmes de racisme et de domination d’un continent à l’autre. Libre et lumineuse, celle qui a grandi dans une famille d’universitaires, à Nsukka, dans le sud-est du Nigeria, se partage aujourd’hui entre les États-Unis et son pays natal. Élue en 2017 à l’Académie américaine des arts et des sciences, nommée la même année parmi les 50 leaders du monde par le magazine Fortune, cette passeuse livre un combat pour un monde plus juste. Avec grâce et humour. Catherine Faye

DANIEL HAMBURY/EVENING STANDARD/EYEVINE/BUREAU233 - DR - BRUNO LEVY/DIVERGENCE-IMAGES

Alain Mabanckou, écrivain, États-Unis

Uduak-Joe Ntuk, ingénieur, États-Unis EN NOVEMBRE, il a été nommé « régulateur et superviseur des activités pétrolières, gazières et géothermales de l’État » par le gouverneur de Californie, Gavin Newsom. Ce Nigérian est le premier Africain nommé à un tel poste. Ingénieur et professeur, Uduak-Joe Ntuk a travaillé pour des compagnies comme Chevron, General Electric, Tyco, et a été en charge de la surveillance des activités pétrolières à Los Angeles – une mission sensible, compte tenu du risque accru d’incendies dans la région. Il espère désormais développer des relations « mutuellement bénéfiques » entre l’industrie du pétrole nigériane et la Californie, sixième puissance économique mondiale. Cédric Gouverneur

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IL AVAIT SUIVI LES DÉSIRS de sa mère en travaillant comme conseiller juridique à la Lyonnaise des eaux, après des études à Pointe-Noire (RDC), où il est né en 1966. Mais Alain Mabanckou écrivait déjà. Les éditeurs repèrent sa verve imagée, son regard à la fois bienveillant et caustique sur ses compatriotes et, dès 2006, Mémoire de porc-épic remporte le prix Renaudot. Une carrière fulgurante démarre depuis les États-Unis, où il vit et enseigne la littérature francophone à l’université de Californie à Los Angeles. Traduits dans une douzaine de langues, ses romans caracolent en tête des ventes, de Verre cassé en 2005 jusqu’à Petit Piment en 2015. En 2016, il entre au Collège de France, où il occupe la chaire de création artistique. Il publie en octobre 2019 le Dictionnaire enjoué des cultures africaines, en collaboration avec le Franco-Djiboutien Abdourahman Waberi. Et signe, avec l’ensemble de son œuvre, l’entrée de la littérature moderne du continent noir dans le monde. Emmanuelle Pontié


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El Anatsui, artiste, Nigeria SES ŒUVRES s’arrachent à plus de 1 million de dollars à travers le monde. Ses créations se vendent à Sotheby’s et s’exhibent dans les plus grandes galeries de New York. À 75 ans, le Ghanéen est installé à Nsukka, au Nigeria, fasciné par le chaos. Il tricote des tentures géantes aux tons mordorés, à base de capsules aplaties et de fils de cuivre, qui séduisent les collectionneurs les plus fortunés. La tapisserie métallique de 16 mètres de haut et de 50 mètres de large qui recouvre en 2013 la façade de la Royal Academy of Arts, à Londres, c’est lui. En 2015, il remporte le Lion d’or à la Biennale de Venise, où il expose depuis 1999. L’enfant de Anyako s’intéresse très tôt à la sculpture. Dès la fin de ses études, il enseigne au Ghana, puis au Nigeria. À l’époque, il travaille sur des pots en argile fissurés. De là part sa fascination pour les bouts d’objets inutiles, auxquels il offre une seconde vie. Et une cote monumentale. E.P.

Moez-Alexandre et Soraya Zouari, UN COUP D’ÉCLAT. En octobre dernier, ce couple franco-tunisien a racheté pour 156 millions d’euros 43 % du spécialiste du surgelé Picard, au nez et à la barbe d’acteurs bien plus puissants. « Cela fait au moins dix ans que je rêve d’acheter cette enseigne », a confié l’homme d’affaires au magazine français LSA. La marque compte 1 100 magasins dans l’Hexagone et à l’étranger, lesquels alimentent 11 millions de clients. Discret, le couple, originaire de Tunis, gère le groupe Zouari. Ils se sont rencontrés lors de leurs études à l’université Paris-Dauphine et ont ouvert en 1998 une supérette dans la capitale. Depuis, ils ont bâti un empire qui pèse 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires, emploie 6 000 salariés et possède quelque 500 franchises Casino (Franprix, Monoprix, Monop’ et Leader Price). Lui pilote le développement et les nouveaux concepts, tandis qu’elle se charge du back-office, des finances et des ressources humaines. Une répartition des tâches qui fonctionne, puisque la famille Zouari est la 149e fortune de France selon Challenges, qui estime sa fortune à 600 millions d’euros. Jean-Michel Meyer

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entrepreneurs, France


Lupita Nyong’o, actrice, États-Unis

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NÉE AU MEXIQUE en 1983, fille d’un sénateur kenyan, Lupita Nyong’o s’est imposée comme l’une des actrices les plus en vue du cinéma américain [voir AM n° 397]. À l’aise dans tous les registres – thriller (Us), comédie (Little Monsters), superhéros (Black Panther) –, elle a été révélée au grand public par 12 Years a Slave, qui lui valut l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle en 2013. Récompense qu’elle a aussitôt dédiée à l’esclave qu’elle incarne. Car elle revendique ses racines africaines, et gare à qui les offenserait ! En 2017, elle a ainsi tancé l’édition britannique de Grazia, qui avait retouché ses cheveux, trop crépus selon le magazine… Elle a également récemment écrit un livre pour enfants, Sulwe (« étoile »), qui narre l’histoire d’une enfant complexée par sa peau foncée. Un sujet qui lui tient à cœur puisque, avant de faire carrière outre-Atlantique, elle s’était vue refuser des rôles au Kenya, en raison d’une pigmentation jugée trop prononcée ! Pourtant, l’actrice Sarah Paulson dit d’elle : « Je ne crois pas avoir déjà vu un visage aussi empli de lumière. Elle est la définition même de la lumière intérieure. » En décembre, pour la troisième fois, elle sera à l’affiche de Star Wars, avec le neuvième opus, L’Ascension de Skywalker. C.G.

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Momar Nguer, dirigeant, France

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IL EST LE SEUL AFRICAIN à être entré au Comex (le comité exécutif), le saint des saints de Total, où siègent les huit membres en charge du géant de l’énergie, l’une des six supermajors du secteur pétrolier. C’est le patron de « l’aval », du secteur marketing et services, celui qui gère toute la distribution, les stations-service, les boutiques, les livraisons des différents produits de la maison. En clair, c’est l’Africain le plus important du business pétrolier global. Né à Thiès, au Sénégal, ville de cheminots sur le fameux chemin de fer Dakar-Niger, il est l’un des premiers Sénégalais à entrer à l’ESSEC, à Paris. Avant d’intégrer Total, en 1984, à l’époque « petite » entreprise privée à l’ombre de Elf, et qui s’intéresse à… l’Afrique. En plus de trente-cinq ans, il aura été fidèle à son entreprise, accompagnant sa grande métamorphose. Il gère avec subtilité et conviction les contradictions de son métier de pétrolier, naviguant sans complexe à travers les questions qui fâchent : avenir du pétrole, transparence, impact réel sur le développement, énergies renouvelables… Fier de son origine, impliqué dans le débat africain sur l’émergence, amateur d’art contemporain, soucieux de son empreinte et de son rôle, il s’apprête à prendre, fin décembre, sa « retraite ». Un moment symbolique, puisque l’après est déjà en marche. Momar Nguer a pris la direction de l’organisation patronale MEDEF Afrique, son expertise dans le domaine énergétique restant très recherché, et on le sent prêt à donner du temps aux causes humaines qui comptent. Z.L AFRIQUE MAGAZINE

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Siya Kolisi, rugbyman, Afrique du Sud CERTES, IL NE S’EST PAS ENCORE EXPATRIÉ, mais il est… champion du monde de rugby ! Et il aurait déjà signé un contrat avec Roc Nation, la société de gestion sportive dirigée par le rappeur américain Jay-Z. Le 2 novembre 2019, en finale de la Coupe du monde à Yokohama, au Japon, Siya Kolisi mène la charge stupéfiante des Springboks contre les Britanniques du XV de la Rose, littéralement étrillés (32-12). Les Sud-Africains remportent le trophée pour la troisième fois. Une victoire particulière pour un pays en profonde crise économique, sociale et identitaire. L’équipe 2019 n’a plus grand-chose à voir avec celle de 2007. Encore moins avec celle de 1995, immortalisée dans le film Invictus. Kolisi est le premier capitaine noir des « Boks ». Le métissage devient une réalité dans un sport qui incarnait, il y a peu, l’un des derniers bastions de la culture blanche, de la culture afrikaner. Né le 16 juin 1991, la veille de l’abolition de l’apartheid, le gamin du ghetto de Zwide, près de Port-Elizabeth, joue pieds nus sur des terrains en terre battue. Repéré par un formateur, il intègre grâce à une bourse le prestigieux lycée Grey High School, où sports et études sont liés. Un vrai « choc » dira-t-il, et le début d’une grande carrière pour celui qui en impose par son physique et son tempérament hors du commun. Son statut de meneur d’équipe, tout comme son mariage avec une femme blanche (Rachel Smith), n’en ravivent pas moins les vieilles cicatrices d’un pays ballotté au gré des tensions raciales et de la violence ethnique. Pourtant, en soulevant la coupe Webb-Ellis, Kolisi a donné l’image d’une nation arc-en-ciel. Comme un clin d’œil à Nelson Mandela. Z.L. 35


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Oussouby Sacko, doyen d’université, Japon RARES SONT LES AFRICAINS AU JAPON (environ 15 000), et plus rares encore sont ceux qui parviennent à de hautes responsabilités. Le président de l’université Seika, à Kyoto, est de ceux-là : né au Mali, ce professeur d’architecture, qui a passé la moitié de sa vie dans l’archipel, a été élu en 2018. Fils d’un douanier de Bamako, élève brillant, Oussouby Sacko obtient en 1985 une bourse pour aller étudier… en Chine. Mais une fois diplômé, il se lasse de l’omniprésence du contrôle policier dans l’Empire du Milieu et opte pour l’Empire du Soleil levant et sa démocratie. Ce polyglotte apprend alors le japonais avec la même ardeur qui lui avait fait assimiler le mandarin ! Et de ce fait, s’intègre naturellement : « Trop d’étrangers passent leur temps entre eux », regrette-t-il. Marié à une Japonaise, père de deux fils, Oussouby Sacko décroche en 2002 la citoyenneté nippone, accordée au compte-gouttes. Il note que le Japon et l’Afrique ont une qualité en commun, « le respect des anciens ». C.G.

Mehdi Benna, scientifique, États-Unis

Ahmed Aboutaleb, bourgmestre, Pays-Bas NÉ DANS LE RIF MAROCAIN EN 1961, fils d’un imam, Ahmed Aboutaleb rêvait d’être poète. À 15 ans, le voilà qui suit sa famille aux Pays-Bas. Devenu journaliste, il milite au Parti travailliste. En 2008, après un passage au gouvernement, il est nommé bourgmestre de Rotterdam par la reine, sur proposition du ministre de l’Intérieur et du conseil municipal. [Les bourgmestres, l’équivalent des maires, sont vus comme des personnalités avant tout qualifiées pour cette fonction, sans forcément avoir d’attaches politiques particulières, et ont souvent un parcours de bourgmestre dans plusieurs communes successives.] À sa nomination, l’extrême droite s’étrangle, mais peu importe : « Après trente-deux ans aux Pays-Bas, je suis plus néerlandais que certains Néerlandais ! » En 2015, après l’attentat contre Charlie Hebdo, Ahmed Aboutaleb fustige les musulmans qui se sentiraient en accord avec les terroristes : « Si vous êtes contre la liberté d’expression, fichez le camp ! » Ce qui lui vaudra des menaces de mort de la part d’intégristes. Désormais, les Rotterdamois sont moins perturbés par les origines marocaines de leur bourgmestre… que par le fait qu’il demeure malgré tout un supporter de l’équipe de football d’Ajax Amsterdam ! C.G. 36

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MAMI NAGAOKI/ THE YOMIURI SHIMBUN/AFP - DR - VI IMAGES/GETTY IMAGES

ENFANT, IL TROUVAIT LA LUNE MORNE et silencieuse ; trois décennies plus tard, Mehdi Benna, qui prône la passion et la persévérance, a fait du ciel son premier centre d’intérêt. Diplômé de l’École nationale d’ingénieurs de Tunis (ENIT), il obtient un doctorat en sciences spatiales à l’université de Toulouse, avant de rejoindre aux États-Unis le Goddard Space Flight Center de la NASA, s’orientant vers l’étude des planètes et des petits corps du système solaire. Il devient chercheur senior à l’agence américaine et à l’université du Maryland, décrochant en parallèle son brevet de pilotage. Spécialiste de la physique des plasmas et de la dynamique des magnétosphères planétaires, il découvre que la lune n’est pas un astre tranquille : le chercheur multiprimé démontre que sous l’effet de l’impact de météorites, des jets d’eau jaillissent du sol. Ceci devrait apporter un éclairage nouveau quant à l’existence de formes de vie sur cet objet céleste, prouvant qu’il interagit avec son environnement. Frida Dahmani


Hend Sabri,

BALKIS PRESS/ABACA

actrice, Égypte VÉRITABLE ICÔNE DU CINÉMA ARABE, Hend Sabri a raflé de nombreux prix depuis ses premiers pas devant la caméra (pour Les Silences du palais de Moufida Tlatli, en 1994), dont celui, par deux fois, de la meilleure interprétation féminine pour son rôle dans Noura rêve, de Hinde Boujemaa, au festival égyptien d’El Gouna et aux Journées cinématographiques de Carthage (JCC), en Tunisie, en 2019. Un rôle fort qui permet à celle qui se destinait au métier d’avocate de défendre la cause des femmes, la Tunisienne ayant soutenu en 2010 la campagne « The Uprising of Women in the Arab World » (« Le soulèvement des femmes dans le monde arabe ») pour l’égalité des genres. Considérée comme une star en Égypte, où elle fait carrière après avoir découvert l’industrie du cinéma en 2001 et rencontré l’homme de sa vie, l’entrepreneur Ahmed Sherif, elle enchaîne les films et les séries télévisées qui la rendront célèbre à l’international. Inoubliable aux côtés d’Adel Imam dans L’Immeuble Yakoubian de Marwan Hamed, en 2006, l’égérie au sourire éclatant de L’Oréal au Moyen-Orient n’a pas pris la grosse tête et tient à transmettre à ses deux filles les valeurs et le goût d’une vie simple. F.D.

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SCOTT HEINS/GETTY IMAGES/AFP

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Ilhan Omar, élue de la chambre des représentants, États-Unis SON PARCOURS est une histoire de survie, de résilience et d’ambition. Ilhan Omar est née le 4 octobre 1981, en pleine guerre civile à Mogadiscio, capitale de la Somalie. Sa famille fuit le pays pour se retrouver dans un camp de réfugiés à Garissa, au Kenya, durant quatre longues années. Petite dernière d’une fratrie de sept, elle arrive aux États-Unis à l’âge de 14 ans. Son enfance est nourrie à la fois de l’american dream et des préjugés violemment antimusulmans qui traversent l’Amérique. Elle est élue en novembre 2018 à la chambre des représentants du Congrès, devenant ainsi la première représentante d’origine africaine de l’histoire. Elle représente le 5e district du Minnesota, un bastion du parti démocrate, où vivent par ailleurs près de 25 000 Américains d’origine somalienne. Ilhan Omar porte le foulard et l’assume, soulignant que c’est un droit protégé par le premier amendement de la Constitution. Elle incarne l’aile gauche du parti et défend un agenda très progressiste, qu’elle partage avec trois autres députées « de couleur » : Alexandria OcasioCortez, Rashida Tlaib et Ayanna Pressley, avec lesquelles elle forme une alliance baptisée « The Squad » (« l’équipe »). Des « communistes », pour l’inénarrable sénateur républicain Lindsey Graham. Elle critique Israël, s’attirant de multiples accusations d’antisémitisme, et est la cible favorite des populistes, de la droite et du président Donald Trump, qui lui a demandé de retourner « dans son pays ». Menacée de mort et insultée sur les réseaux sociaux, elle vit sous protection policière permanente. Ilhan Omar a obtenu la nationalité américaine en 2000, soit six ans tout de même avant la première dame des États-Unis, Melania Trump. Et sa fille Isra Hirsi, 16 ans, est l’une des fondatrices du mouvement Youth Climate Strike. Z.L.

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Ali Karoui, styliste, France DEPUIS 2013, À CANNES, SES CRÉATIONS créent l’événement sur le tapis rouge du festival. Diplômé en 2005 de l’École supérieure des arts et techniques de la mode de Tunis (Esmod), Ali Karoui organise l’année suivante son premier défilé à Beyrouth, au Liban. En 2012, après sa participation à la Fashion Week de Tunis, il fonde son propre label, Ali Karoui Coutures (ou Karoui Luxury Fashion). La chanteuse libanaise Nancy Ajram le remarque via Internet, et il entame alors une carrière internationale. Il habille les mannequins Kenza Fourati, Miriam Odemba, Georgina Rodríguez, les actrices Adèle Exarchopoulos, Peechaya Wattanamontree, Fan Bingbing, ou encore la présentatrice télé Victoria Silvstedt. À l’occasion du Festival de Cannes, il collabore avec le joaillier Chopard, dans son showroom voisin de l’Hôtel Martinez ; le créateur devient alors conseiller en style. Ses maîtres sont John Galliano, Jean Paul Gaultier et Azzedine Alaïa. Mais sa seule égérie demeure sa sœur, qui l’aide depuis le début de l’aventure. F.D.

Rebecca Enonchong, entrepreneure, Cameroun et ailleurs « LA TATA NATIONALE » : c’est ainsi que l’ont surnommée les chefs d’entreprise camerounais. Depuis deux décennies, Rebecca Enonchong est l’un des visages de la tech africaine. Fille de l’avocat Henry Enonchong, elle a étudié aux États-Unis et fonde en 1999 AppsTech, une société qui fournit des logiciels de gestion aux entreprises dans une cinquantaine de pays. Dès 2002, le Forum de Davos la repère, lui décernant le titre de « Global Leader for Tomorrow » – elle partage alors le podium avec un certain Larry Page, fondateur de Google… La présidente d’AfriLabs (174 centres d’innovation présents dans 45 pays du continent !) et de l’incubateur camerounais ActivSpaces a aussi cofondé en 2015 l’association African Business Angel Network (ABAN), afin de « promouvoir l’investissement en Afrique par les Africains ». Pasionaria de la révolution numérique, décrite comme exigeante, entière et cash, Rebecca Enonchong loue « le sens de l’innovation et l’esprit d’entreprise qui caractérise la jeunesse africaine d’aujourd’hui ». C.G.

Dieudonné Ella Oyono, EN 2001, DIEUDONNÉ ELLA OYONO arrive du Gabon afin de décrocher un doctorat d’économie à l’Université de Québec à Montréal (UQAM). Il a alors 27 ans et se révèle si brillant qu’il y devient professeur, avant de faire carrière dans la fonction publique, d’abord au ministère de l’Agriculture, puis au ministère de l’Économie et de l’Innovation. À partir de 2012, il milite au sein du Parti québécois, qui aspire à l’indépendance de la province francophone du Canada. En novembre dernier, c’est la consécration : les délégués de son parti le nomment à la présidence. Les indépendantistes étaient régulièrement accusés par leurs détracteurs de s’arc-bouter sur les Québécois de souche et de se montrer peu ouverts à la diversité de la province, terre d’accueil pour les immigrés du monde entier. L’élection d’Oyono, le premier président d’origine africaine, accompagne donc l’évolution de la société comme de son parti souverainiste. C.G. 40

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DR - MENOBA PHOTO - DR

président de parti, Québec


Oshiorenoya Agabi, scientifique et entrepreneur, États-Unis

CE NEUROPHYSICIEN NIGÉRIAN a fondé en 2015 la start-up Koniku (« immortel » en yoruba), dont les innovations sont en train de bouleverser le petit monde de l’intelligence artificielle. Son idée de génie est de mélanger des neurones produits en laboratoire avec des composants électroniques afin de faire converger la biologie et le numérique dans les ordinateurs de demain. « Le cerveau est le processeur le plus puissant de l’univers », explique Oshiorenoya Agabi, qui est passé par l’université de Lagos, puis la Suède, le Royaume-Uni et la Suisse, avant de se poser dans la Silicon Valley, aux États-Unis. Présentée lors de la conférence TEDGlobal de 2017 à Arusha, en Tanzanie, sa start-up a déjà levé 8 millions de dollars auprès d’investisseurs. Premières applications pratiques prévues : la détection d’explosifs dans les aéroports… et même de cellules cancéreuses chez des patients ! C.G.

WINNI WINTERMEYER/REDUX-REA - OUAHID BERREHOUMA

eL Seed, calligraffeur, France CONTEUR MODERNE à sa manière, Faouzi Khlifi, connu sous le pseudo d’eL Seed, se sert des murs comme de pages blanches, sur lesquels il inscrit, appose et déroule à l’infini des messages de tolérance et de paix. Venu sur le tard à la langue arabe, il se passionne pour sa poésie et l’esthétique de sa calligraphie et devient précurseur du « calligraffiti ». Rien ne prédestinait le jeune homme originaire de Gabès, au sud de la Tunisie, qui taguait dans les banlieues parisiennes, à devenir une figure clé de l’art de la rue. N’était-ce son pseudo. Inspiré par le personnage du Cid de Corneille, il adopte ce nom, sans savoir qu’il est d’origine arabe, « Al Sayed » signifiant « le seigneur ». Depuis 2010, il restitue, sans jamais réaliser d’esquisses préalables, son identité à travers des fresques monumentales à Los Angeles, Doha, Paris, New York, Melbourne, Tunis, Djerba et Dubaï, où ses œuvres ornent les 700 mètres du tunnel de Salwa Road. Au Caire, en Égypte, il s’inscrit dans le paysage urbain en apposant dans le quartier de Manshiyat Naser le rythme de sa calligraphie, « une chorégraphie à main levée », et reçoit en 2017 le prix UnescoSharjah pour la culture arabe. Familier des grands formats, il s’est prêté au défi de la miniature en déclinant, en 2013, des vers du poète Taha Muhammad Ali sur une collection de foulards en soie pour la maison Louis Vuitton. Il a réitéré l’exercice avec une gamme de bagages vendue aux enchères à la foire Art Dubai. Celui qui ne veut pas se poser de limites se lance dans la sculpture et poursuit son exploration du passage entre cultures et du dialogue à travers l’art. F.D.

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Rania Benchegra, TOP MODEL TRÈS PRISÉE, Rania Benchegra affiche sa silhouette de rêve dans Vogue Arabia, InStyle, Elle US… Native de Marrakech, la jeune mannequin aux airs latins a, en sept ans de carrière outre-Atlantique, multiplié les contrats avec les marques. À 7 ans, elle prenait déjà la pose pour la française Petit Bateau. En 2011, à 16 ans, accompagnée de sa mère, elle est repérée dans un hypermarché à Marrakech. Elle remporte le concours Elite Model Look dans la Cité ocre, puis part en Chine représenter le Maroc… Déterminée, audacieuse, 42

elle débarque du haut de ses 19 ans à Los Angeles avec 150 dollars en poche et signe le même jour un contrat pour une durée de six mois. Elle est toujours sous contrat avec la troisième plus grande agence de mannequins au monde. Ambassadrice de cœur, elle soutient Lead Africa, une académie d’enseignement consacrée à la jeunesse en difficulté, qui a ouvert ses portes à Mansouria, au Maroc, en septembre dernier. Fouzia Marouf AFRIQUE MAGAZINE

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TIZIANO LUGLI

mannequin, États-Unis


David Adjaye,

JAVIER SIRVENT/REDUX-REA

architecte, Royaume-Uni ON RÊVERAIT de faire son métier avec ce talent, cette capacité à imaginer, à dessiner les plans, à construire le monde. Né en Tanzanie en septembre 1966, fils d’un diplomate ghanéen, David Adjaye suit son père de poste en poste avant d’atterrir à Londres à l’âge de 9 ans. Et de commencer l’aventure qui fera de lui l’un des architectes les plus talentueux de sa génération. David Adjaye a signé près de 70 projets à travers le monde. Dont le magnifique et émouvant Musée national de l’histoire et de la culture afro-américaine à Washington. Un travail en collaboration avec les cabinets Freeland et Bond. Une construction-conception de bas en haut, en commençant en sous-sol, dans les profondeurs de la terre, depuis les siècles sombres de l’esclavage et de la traite, et en remontant progressivement les étages, avec l’émancipation progressive des Noirs américains, les victoires, et le nouveau racisme. Adjaye, architecte global, symbole d’une migration réussie, cultive sa dynamique des origines et son africanité. On lui doit un unique livre, en sept volumes, Adjaye Africa Architecture (2011), pérégrination urbaine photographique, et dessinée dans plus de 50 villes du continent. Sur sa table de travail, le projet de la controversée cathédrale nationale du Ghana, à Accra. Et celui d’un grand musée qui rassemblerait les œuvres d’art du grand royaume de Bénin, œuvres aujourd’hui disséminés aux quatre coins du monde occidental… Z.L.

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Hatem Essaddam, chimiste, Québec IL A CHANGÉ DE VIE en 2011. Avec sa famille, le chercheur Hatem Essaddam a mis à profit son installation au Québec pour reprendre les recherches qui lui tenaient à cœur en Tunisie : la transformation des matières résiduelles. Convaincu que « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », il est persuadé que le plastique usé peut retrouver sa pureté initiale. Son idée séduit un opérateur dans le secteur du recyclable, qui lève 3 millions de dollars et fonde, avec Hatem Essaddam, Loop Industries. Les résultats suivent, l’entreprise est cotée en Bourse dès 2018. Ses fils, Fares et Adel, améliorent le procédé, réduisant l’empreinte environnementale du matériau, le rendant recyclable à l’infini sans adjonction d’eau ou de chaleur. La formule a séduit les géants de l’industrie agroalimentaire, qui comptent désormais parmi leurs clients. F.D.

Martha Makuena,

Sonia Mabrouk, journaliste, France TOUS LES MATINS sur la radio Europe 1, elle questionne, débat avec les invités du jour. Et elle enchaîne la tranche de midi sur la chaîne de télé CNEWS. S’imposant comme l’une des figures incontournables du paysage médiatique gaulois. Elle est née à Tunis au sein d’une grande famille politique. Son grand-père Mongi était compagnon de route et ministre de Bourguiba. Son oncle Hédi un personnage fameux, très longtemps ambassadeur à Paris. Derrière son apparence réservée, son allure élégante, Sonia n’hésite pas à enfoncer le politiquement correct. Elle a des idées affirmées sur la France, l’école, la religion, les banlieues, l’immigration, les élites et le peuple. Elle interpelle, avec un discours que certains jugeront franchement conservateur, de « droite ». Dans tous les cas, c’est courageux et téméraire. Elle écrit aussi, et évidemment, dans le registre pamphlétaire, comme dans son dernier texte paru : Douce France, où est (passé) ton bon sens ? Z.L. 44

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ELLE A BAPTISÉ ses deux salons de Pékin et Shanghai « Paulma Afro Hair Care ». « Paulma », pour Paul, son époux qu’elle a suivi à Changzhou, voilà vingt ans, et Martha, son prénom. Cette native de Kinshasa avait du mal à trouver un emploi en Chine, bien qu’elle parle la langue de Confucius. À l’origine coiffeuse en République démocratique du Congo, elle a ainsi l’idée, en 2012, de proposer des coupes afro, connues en Asie via le cinéma et les footballeurs. Et ça marche : « Des clients viennent de très loin, raconte-t-elle. Ils prennent un train de nuit, arrivent le matin à Pékin, viennent au salon et repartent en train le soir ! » Désormais, « on ne me voit plus comme une étrangère, mais tout simplement comme une personne respectable qui fait du business ». C.G.

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BRUNO KLEIN/DIVERGENCE.COM

coiffeuse, Chine


Badreddine Ouali, entrepreneur, Tunisie et ailleurs SON ENTREPRISE EST NÉE EN 1994, et aujourd’hui, c’est le leader mondial ou presque. Vermeg, sa société d’édition de logiciels financiers, collectionne les clients de très grand prestige : la Banque de France, la Bank of England, Santander, la Bank of New York, Wells Fargo, ou encore des banques majeures japonaises. Objectif : dépasser les 100 millions d’euros de chiffre d’affaires et 1 500 salariés à l’horizon 2020 pour devenir n° 1 mondial, devant l’américain Computer Sciences Corporation et l’allemand MSG Life ! Avec une vraie structure internationale pour être au plus près de la demande : deux structures en Tunisie et 15 offices à travers le monde (Amsterdam, Shanghai, Londres, Mexico, Madrid, Hong Kong, Tokyo…). Une performance dans un club très fermé, celui de la tech et du « banking ». Et surtout un exemple qui prouve l’importance de se hisser au-delà de la sous-traitance. Ce diplômé de l’École des Mines de Saint-Étienne s’implique aussi dans le développement de son pays. Sa fondation contribue ainsi au programme public d’offshoring Smart Tunisia, qui veut créer 50 000 emplois sur cinq ans. J.-M.M.

Abdoulaye Konaté,

SOPHIE BARAKET - EMMANUEL DAOU BAKARY

plasticien, Mali et ailleurs IL TEINT, DÉCOUPE, RECOUPE, COUD… Et c’est probablement l’artiste contemporain africain francophone le plus connu au monde. Il est représenté par les galeries les plus prestigieuses, dont la Primo Marella Gallery ou Blain|Southern. Abdoulaye Konaté a fait du tissu son matériau de prédilection. Ses créations, tout en languettes et en nuances, sont uniques et ont fait plusieurs fois le tour du monde. Formé auprès des tisserands maliens, puis des surréalistes cubains, l’artiste plasticien a très tôt su trouver une voie singulière à son art. Depuis près de quarante ans, ses tapisseries bigarrées, véritables sculptures textiles, explorent à la fois les sinuosités de la condition humaine et de multiples possibilités esthétiques. Il est aujourd’hui auréolé de nombreuses distinctions et décorations. Une reconnaissance internationale pour celui pour qui l’art demeure une quête. Spirituelle et politique. C.F.

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Sanaa Hamri, productrice, États-Unis LA CINÉASTE D’ORIGINE MAROCAINE Sanaa Hamri crée toujours la surprise. Née à Tanger en 1974 (son père n’est autre que le peintre Mohamed Hamri), passionnée de théâtre, elle met le cap sur New York où, après des débuts comme actrice, elle se tourne vers l’univers de la musique en réalisant des vidéoclips. « J’avais besoin de m’exprimer par l’image, la comédie ne me suffisait pas », dira-t-elle lors d’une conférence au festival Mawazine-Musiques du monde, à Rabat. Elle signe le clip du tube « Thank God I Found You » de Mariah Carey en 1999, enchaîne de prestigieuses collaborations qui vont la hisser au rang de réalisatrice vedette (Jay-Z, Destiny’s Child, Prince, Mary J. Blige, Nicky Minaj…). Ambitieuse, work addict, Sanaa Hamri change alors de registre : elle signe deux épisodes de la série 90210 Beverly Hills : Nouvelle Génération, en 2012. En 2015, c’est la consécration : elle devient coproductrice exécutive de Empire, série au succès phénoménal outre-Atlantique, qui réunit en haut de l’affiche des héros afro-américains. Une aventure artistique et humaine qu’elle poursuit aujourd’hui. F.M.

Walter et Cindy Tchassem, « QUAND TU CROIS EN TOI et que tu bosses dur, tout est possible », ont coutume de dire Walter et Cindy Tchassem. Ces trentenaires d’origine camerounaise ont bâti une marque à succès dans un pays où vivent peu d’Africains : la Russie. Fils d’un diplomate, Walter Tchassem vit à Moscou depuis un quart de siècle. En 2006, il fonde avec deux copains d’école (un businessman et un rappeur) une holding, Black Star. Ce label de musique, à l’origine, a su capter les désirs de la jeunesse russe pour se diversifier dans le streetwear, la restauration rapide, les clubs de jeux vidéo, et même le lavage auto ! Walter a ouvert une centaine de magasins et restaurants dans toute l’ex-Union soviétique et, fin 2019, un fast-food à Los Angeles. Sa femme, Cindy, rencontrée à Paris en 2012, a créé un orphelinat à Douala. Ils expliquent n’avoir jamais eu de problème pour s’intégrer en Russie, estimant même que « la route est moins difficile ici que dans un pays qui a colonisé l’Afrique ». C.G.

Hisham Oumlil, styliste, États-Unis TAILLEUR INFLUENT dans le domaine de la mode made in America, Hisham Oumlil a l’étoffe des vrais passionnés. Natif de Casablanca, où il est né en 1972, il débarque aux États-Unis à 21 ans. Autodidacte, il fait ses classes au sein de grandes enseignes, comme Loro Piana et Hermès. Et passe maître dans l’art du costume de star en moins de dix ans en créant la marque Oumlil (« lumière blanche » en berbère). Lancée en 2005 avec le tailleur Rocco Ciccarelli, la ligne s’affranchit des codes classiques. « Ado, je n’aurai jamais imaginé faire carrière dans la mode. À Casablanca, on rêvait, coupés des circuits de la création internationale. » Ce puriste travaille à l’instinct. Sa maison est devenue la référence en matière de costumes sur mesure et a conquis des clients de renom : le réalisateur Oliver Stone, les acteurs Ed Westwick (Gossip Girl) et Jon Hamm (Mad Men) ainsi que la star du barreau brésilien Jorge Nemr. Diplomates, banquiers et marchands d’art sont également sous le charme de son atelier, niché à Brooklyn. En 2017, il a lancé Lot 151, une nouvelle griffe féminine. F.M. 46

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entrepreneurs, Russie


Angélique Kidjo, chanteuse, États-Unis

DANNY CLINCH

C’ÉTAIT LE 11 NOVEMBRE 2018, pour le centenaire de l’Armistice de 1918. L’enfant de Ouidah, l’une des voix les plus puissantes du continent, interprétait, en hommage aux troupes coloniales qui ont combattu pour la France, la chanson « Blewu », sous l’Arc de triomphe – et sous la pluie –, devant un parterre de chefs d’États et un Donald Trump médusé. Angélique Kidjo, née au Bénin le 14 juillet 1960, jouait, petite, la pantomime dans le théâtre que dirigeait sa mère. Plus tard, elle chante à la radio nationale et enregistre un premier album. Puis, elle part à Paris, où elle prend des cours de chant. Elle épouse Jean Hebrail, musicien et compositeur, qui devient son compagnon de travail. Bosseuse et sans complexes, elle chante en fon, en mina, en yoruba. Même en swahili, lorsqu’elle reprend le légendaire « Malaïka » de Miriam Makeba. Elle enchaîne les succès, comme « Batonga » (1992) ou « Awolo » (1994). Installée à New York depuis 1998, elle enflamme la scène du Carnegie Hall en 2008. Time Magazine lui décerne le titre de « première diva africaine ». Engagée, militante, elle est aussi ambassadrice de bonne volonté de l’Unicef et se bat activement contre les mariages forcés dans le monde et les abus sexuels sur les enfants. E.P.

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Mehdi Houas, entrepreneur, France

PHILIPPE SAUTIER

NÉ EN 1959 dans la cosmopolite Marseille, le Franco-Tunisien Mehdi Houas a fait de la diversité son fil rouge. Pour exemple, une incursion en politique en 2011 en étant, un peu moins d’un an, ministre du Commerce et du Tourisme en Tunisie. Mais c’est en homme d’affaires que s’accomplit le mieux ce diplômé de l’École nationale supérieure des télécommunications de Paris. Il a participé à la création de quatre entreprises en France dans les services informatiques. La dernière, Talan, en 2002, est spécialisée dans la transformation digitale et est codirigée « par un musulman, un juif et un catholique », aime-t-il rappeler. En juillet 2018, l’entreprise a levé 100 millions d’euros pour accélérer le déploiement de son plan Ambition 2020, qui vise un chiffre d’affaires de 500 millions d’euros (310 millions prévus en 2019) et le recrutement de 900 nouveaux collaborateurs. Un développement qui passe aussi par l’international. C’est chose faite en 2019, avec l’acquisition du cabinet canadien PlanaxisGroupaxis et le rachat du britannique Business Data Partners. J.-M.M.

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Souleymane Bachir Diagne,

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philosophe, États-Unis SES RECHERCHES s’inscrivent dans la littérature francophone, interrogeant l’histoire de la philosophie en islam. Ainsi, l’essai En quête d’Afrique(s) : Universalisme et pensée décoloniale, coécrit avec l’anthropologue français Jean-Loup Amselle (2018), est une relecture des rapports entre l’Afrique et l’Europe. Inspirant pour les jeunes générations, visionnaire pour le continent, Souleymane Bachir Diagne repousse sans cesse les limites de sa réflexion. Ce spécialiste de l’histoire des sciences et de la philosophie islamique, originaire de SaintLouis, porteur du pluralisme religieux propre au Sénégal, dit y avoir appris l’altérité. En 2001, il signe Islam et société ouverte : La fidélité et le mouvement dans la pensée de Muhammad Iqbal. Membre de l’Unesco, il a marqué les esprits en 2007 avec Léopold Sedar Senghor : L’Art africain comme philosophie, essai critique qui s’engageait à raviver la pensée de l’homme politique et théoricien. Ce citoyen du monde – il a vécu à Dakar, Paris, Chicago, et réside aujourd’hui à New York, où il enseigne à l’université de Columbia, dont il dirige l’Institut d’études africaines – a reçu en 2011 le prix Édouard Glissant. Ex-conseiller pour l’Éducation et la Culture de 1993 à 1999 sous la présidence d’Abdou Diouf, il est souvent considéré comme l’une des grandes figures qui font l’Afrique. Le Nouvel Observateur l’a classé en 2004 parmi les « 25 grands penseurs du monde entier ». F.M.

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Amadou Diarra, haut cadre, États-Unis À 55 ANS, il est vice-président de la politique globale et des affaires gouvernementales chez Bristol-Myers Squibb (BMS), l’une des plus grandes entreprises biopharmaceutiques mondiales, qui vient de fusionner avec la société américaine Celgene. Depuis près de trente ans, cet élégant monsieur d’origines malienne et nigérienne gravit les échelons dans ce groupe, qui commercialise des médicaments innovants en oncologie et dans les maladies cardiovasculaires. Sorti de l’Institut européen d’administration des affaires (INSEAD) de Fontainebleau et de l’université François-Rabelais de Tours avec un doctorat en sciences pharmaceutiques, Amadou Diarra a vite montré son potentiel. Sa femme et ses trois enfants l’ont suivi en France, en Indonésie et en Turquie. Il a posé ses valises à New York, qui abrite le siège social de BMS. Une belle carrière d’expatrié, discrète et exemplaire. Djeynab Hane-Diallo

Faustin Mouafo Tambo, chirurgien,

Djimon Hounsou, acteur et producteur, États-Unis À LA TÊTE D’UNE VÉRITABLE FORTUNE, homme d’affaires avisé, il vit à Los Angeles, possède sa société de production et un club de foot au Bénin, a signé un contrat publicitaire juteux avec les cosmétiques CoverGirl, et prêté son nom à une ligne de vêtements pour ados, Hounsou Séduction, à un parfum, L’Eau de Djimon, ainsi qu’à une chaîne de restaurants. Pourtant, le chemin a été long. Parti de Cotonou à 13 ans, Djimon Hounsou passe son enfance à Lyon, tourne le dos aux études et tente sa chance dans le mannequinat à Paris, en pariant sur son vrai atout : son corps. La vie est rude, et il dort parfois dans la rue. Repéré par le couturier Thierry Mugler, il apparaît dans des clips de Madonna, Janet Jackson ou Paula Abdul. Puis, il part tenter sa chance à Hollywood, où il devra attendre 1997 pour que Steven Spielberg lui offre le rôle phare dans Amistad. La suite, on la connaît : une quarantaine de films, dont Gladiator, Blood Diamond ou Black Panther, et un prochain rôle dans Charlie’s Angels, qui sort sur les écrans le 25 décembre. E.P. 50

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IL VIT AU CAMEROUN, mais figure parmi nos afro-conquérants pour une seule raison. Et pas des moindres. C’est l’homme qui est à l’origine de l’opération des petites filles siamoises Bissie et Eyenga, reliées par le foie, à l’hôpital Femme-mère-enfant de Lyon, le 13 novembre dernier. Chirurgien à l’Hôpital gynéco-obstétrique et pédiatrique de Yaoundé (HGOPY), il a fait partie des 20 cracks qui ont travaillé durant sept heures à séparer les sœurs âgées de 1 an, originaires d’Ayos, dans le Centre du Cameroun. C’était leur médecin, il a trouvé le bon partenaire ainsi que l’ONG qui a financé l’aventure. Chapeau bas. E.P.

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Cameroun et ailleurs


Mariama Diallo, mannequin, États-Unis

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ELLE A 26 ANS et nous vient de Conakry, en Guinée, où elle est née un 20 septembre 1993. Son signe astrologique : Vierge. Du haut de son 1,75 mètre, elle arbore des mensurations insolentes (86-61-89) sur les sites des grandes agences de top models outre-Atlantique : Next Management, Freedom Models ou Fusion Management. Son compte Instagram s’enflamme et les réseaux sociaux se l’arrachent, partageant ses photos de lingerie sexy, jusqu’aux poses pour la marque de vêtements A’gaci en passant par la campagne de pub Motorsport. On la voit éclater de rire dans un casting pour le magazine Sports Illustrated. Elle devient peu à peu la nouvelle coqueluche des podiums et des magazines fashion. Elle voyage entre Londres, Toronto et Los Angeles, où elle s’est installée. Elle parcourt le monde et ses paysages paradisiaques au gré des shootings : Bahamas, Hawaii, Thaïlande, Bermudes, Le Cap… La jeune beauté noire s’est lancée à l’assaut de la gloire et affiche fièrement la maxime « Never give up on your dreams » (« N’abandonnez jamais vos rêves ») sur sa page Facebook. Sa propre réussite est l’illustration parfaite de ces mots ! E.P.

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Steeve Burkhalter Samba, designer, Allemagne NATIF DE BRAZZAVILLE, Steeve Burkhalter Samba est designer au sein de la plus prestigieuse des marques de voitures de luxe : Rolls-Royce (« éternelle expression de l’exceptionnel », comme la marque se définit en toute modestie). Diplômé en 2010 de l’école parisienne Créapole, Steeve a travaillé chez Cerruti et, de 2012 à 2019, en tant que designer intérieur senior chez Mercedes-Benz. Le Congolais a notamment dessiné l’intérieur de la Mercedes classe S coupé : il s’était inspiré, pour les sièges et les portes, des courbes de robes échancrées et de masques africains ! Steeve a également participé à l’élaboration des cabines MercedesBenz classe affaires de la compagnie aérienne Lufthansa. Son talent l’a alors fait remarquer par Rolls-Royce, qui l’a recruté en mai dernier. C.G.

Trevor Noah, humoriste, États-Unis IL FAIT RIRE L’AMÉRIQUE tout entière avec ses spectacles à guichets fermés. Il anime aussi depuis 2015 The Daily Show, un talk-show phare de la chaîne Comedy Central. Le premier Africain dans ce registre très apprécié des grands networks américains. Là, il vise sans complexe Donald Trump, les populistes, les ultra-droitistes, les bigots… Et vient d’être nommé dans la catégorie « Comedy Album » aux prestigieux Grammy Awards pour son spectacle, Son of Patricia. Trevor Noah fait rire, sourire aussi en s’appuyant sur sa vie, sur une histoire de violences conjugales, de racisme, de précarité. Il est né à Johannesbourg, en 1984, dans la nuit sombre de l’apartheid, enfant d’une mère xhosa (Patricia donc) et d’un père suisse « d’ethnie alémanique ». Sa simple existence relevait techniquement du « crime », les relations interraciales étant interdites dans le pays. Trevor Noah doit grandir pratiquement caché. Sa mère se marie, le beau-père, sud-africain noir, est un psychopathe violent. Elle le quitte, il lui tire dessus et menace Trevor et ses demi-frères… Le jeune homme prend le large. Il veut faire rire, s’impose humoriste, comédien sur la scène sud-africaine, charmeur, beau gosse. En 2011, il s’installe aux États-Unis. Enchaîne les spectacles, les apparitions télé. Remarqué, il est invité à se produire au Daily Show. La chaîne cherche à remplacer son animateur vedette, Jon Stewart. « And the rest is history! » En juillet 2018, le fils de Soweto se lance dans une belle polémique à propos de l’équipe de France de football : « L’Afrique a gagné la coupe du monde ! », déclenchant une sacrée tempête sur les réseaux sociaux et une lettre officielle de l’ambassadeur de France à Washington. Réponse de Trevor Noah en direct à l’antenne : « Pourquoi ne peut-on pas dire qu’ils sont africains et français ? Et si on ne peut pas le dire, c’est bien qu’il y a un problème… » Z.L. 52

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Sunder Baharani, IL EST NÉ EN TUNISIE d’une famille indienne, d’un père qui tenait boutique de parfums dans les souks de Tunis. Il a conservé de cette jeunesse méditerranéenne et de cette dualité culturelle surprenante un goût très sûr pour les saveurs. Ce Tuniso-Britannique, très bon vivant, installé à Londres, perçoit très vite les perspectives de la tendance bio. Avec son frère Kumar, ils lancent au début des années 1990 leur société de distribution Kinetic, qui privilégie les marques de nutrition et de soins du corps naturels. Sans oublier les produits made in Tunisia, comme la figue de Barbarie et ses vertus thérapeutiques. Ce sera l’un des produits phare de la marque F.D. I

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EDUARDO MUNOZ/REUTERS

entrepreneur, Royaume-Uni


DÉCOUVERTE Comprendre un pays, une ville, une région, une organisation

LOUIS VINCENT

NIGER L’EFFET ISSOUFOU

Le Président, à Niamey.

En huit ans, le chef d’État aura réalisé plus que ce qui a été accompli en un demi-siècle. Son leitmotiv ? Renaître en modernisant la vie politique, la pratique économique et l’approche diplomatique. DOSSIER RÉALISÉ PAR CHERIF OUA Z ANI


DÉCOUVERTE/Niger

Le sommet extraordinaire de l’UA, qui s’est tenu en juillet dernier, a marqué l’entrée en vigueur de la zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf).

Un miracle au Sahel ?

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uand Issoufou Mahamadou remporte, le 12 mars 2011, le second tour de l’élection présidentielle, son pays accumule les mauvaises nouvelles. La veille, le 11 mars, un tsunami a balayé le Japon et sa centrale nucléaire de Fukushima. La catastrophe provoquera un effondrement des cours de l’uranium, principale source de revenus du Niger (quatrième producteur mondial). 54

L’environnement géopolitique de la sous-région est des plus instables, avec la crise politique en Côte d’Ivoire, locomotive de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Son voisin septentrional, la Libye, principal investisseur au Niger, est englué dans une guerre civile qui aura, quelques mois plus tard, raison de l’État et mettra les arsenaux de Mouammar Kadhafi (plus de 25 millions d’armes de tous calibres et des milliers de tonnes de munitions) AFRIQUE MAGAZINE

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Alors qu’il achèvera son second et dernier mandat début 2021, le président Issoufou Mahamadou met les bouchées doubles pour atteindre l’objectif qu’il s’était fixé : sortir son pays du carcan de la pauvreté et y créer les conditions de l’émergence.


SHUTTERSTOCK - DR - LOUIS VINCENT

Le grand village qu’était Niamey cherche à devenir une capitale moderne.

à la portée des groupes terroristes et des réseaux de trafiquants de drogue qui sillonnent le Sahel. Au sud, la situation n’est guère brillante avec le grand voisin nigérian, dépassé par assauts des djihadistes de Boko Haram. Issoufou Mahamadou n’a pas bouclé sa première année aux affaires que le voisin malien tombe à son tour dans l’instabilité, une coalition de rebelles et de djihadistes occupant plus de la moitié

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Près d’un millier de kilomètres a été bitumé entre 2012 et 2019.

Dans un champ, à la rencontre de la population de Dandadji, son village natal.

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Le résultat le plus

spectaculaire

des années Issoufou tient au développement des

infrastructures économiques.

de son territoire, déclenchant dans la région la plus grande opération militaire des Nations unies, appelée « Minusma ». Cette conjoncture pour le moins défavorable n’a pas découragé le président Issoufou. Il avait promis de faire renaître son pays, il tiendra son engagement. Huit ans plus tard, le pays est transformé de fond en comble. Ce bourg qu’était Niamey, où l’on croisait plus de dromadaires que de voitures, est devenu une capitale moderne avec de larges avenues éclairées et entretenues par une cohorte d’agents municipaux veillant au mobilier urbain [voir plus loin]. Ses débuts à la tête de l’État, Issoufou les consacre à apaiser les tensions politiques. Les rapports entre pouvoir et opposition sont exécrables. La société civile tient les deux en haute suspicion. Civils et militaires se regardent en chiens de faïence. La priorité est donc accordée aux questions de gouvernance et à la défense du territoire national menacé par la contagion islamiste. Le Président met en place les institutions de la République malmenées par les putschs militaires. Il apaise les tensions politiques en optimisant les conditions requises pour l’organisation des futures échéances électorales : l’adoption d’un nouveau code, l’installation du secrétariat permanent de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et l’élaboration du fichier biométrique. En matière de justice, il s’implique dans la promotion des droits humains, accentue la lutte contre la corruption, combat l’impunité et améliore l’accès aux services judiciaires. La gouvernance administrative est devenue plus performante grâce à un processus de transfert des compétences et des ressources vers les collectivités territoriales [voir encadré].

des personnes et des biens ; garantir l’accès à l’eau pour tous ; assurer la sécurité alimentaire à travers l’Initiative 3N (I3N), reposant sur l’idée que « les Nigériens nourrissent les Nigériens » ; moderniser les infrastructures économiques ; développer les secteurs sociaux ; et promouvoir l’emploi des jeunes. En huit ans, l’économie a enregistré un taux de croissance moyen de l’ordre de 5,8 %, engendrant une forte hausse du PIB qui est passé, en terme nominal, de 2 832 milliards de francs CFA en 2010 à 5 118 milliards en 2018, soit une progression de 81 % sur la période. Le déficit budgétaire a été réduit de moitié, passant de 9 % du PIB en 2015 à 4,2 % en 2018. La période est également marquée par une amélioration du taux de consommation des crédits d’investissement sur ressources extérieures, passant de 60 % en 2010 à 75 % en 2018. De même, les réformes entreprises dans le cadre de l’amélioration du climat des affaires ont permis au pays de progresser de 32 rangs dans le classement du rapport Doing Business de la Banque mondiale, passant du 176e rang en 2013 au 144e en 2018. Entre 2016 et 2018, le cumul de la richesse nationale a atteint 14 209 milliards de francs CFA, soit un niveau de réalisation de 96,7 % de l’objectif arrêté. DES CHIFFRES VERTIGINEUX

Dans le domaine du développement rural, la mise en œuvre de l’I3N a permis de renforcer les systèmes de production agro-sylvo-pastoraux (associant pastoralisme et agriculture à un environnement forestier) et halieutiques (pêche et aquaculture). Ainsi, la production céréalière est passée de 3,5 millions de tonnes en 2011 à 6,06 millions en 2018, et la production irriguée de 169 166 tonnes en 2011 à 633 605 en 2018. Le volume d’eau mobilisé a augmenté de 54 570 000 m3 par rapport au stock de 2010, estimé à 210 000 000 m3. En ce qui concerne les ressources animales, la production de viande est en progression, de 80 307 tonnes en 2011 à 119 997 en 2018, ainsi que celle du lait, de 969 754 litres à 1 335 571 sur la même période. En matière de gestion durable de l’environnement,

81 % DE HAUSSE DU PIB

En matière socio-économique, les différentes promesses ont été concrétisées à travers les programmes Renaissance 1 (premier mandat) et Renaissance 2 (second mandat). À ceux-ci s’est greffé le Plan de développement économique et social (PDES) sur la période 2017-2021. Tous trois s’articulent autour de huit axes : promouvoir la renaissance culturelle ; consolider les institutions démocratiques ; assurer la sécurité 56

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Le palais du sultan du Damagaram, à Zinder.

les efforts entrepris ont permis d’améliorer la productivité des écosystèmes et de renforcer la résilience des communautés, à travers notamment le traitement de 347 352 hectares de terres dégradées et la création de 216 862 emplois temporaires. Cependant, le résultat le plus spectaculaire des années Issoufou tient au développement des infrastructures économiques. Les territoires ont été désenclavés grâce à la construction de près d’un millier de kilomètres de routes bitumées, du double de pistes rurales, et à la réhabilitation de routes existantes (648 kilomètres). À cela s’ajoute la réalisation, prévue en 2020, d’un oléoduc entre Agadem et Cotonou, permettant l’exportation de 100 000 barils de pétrole brut par jour, la construction d’un pipeline intérieur pour la distribution dans les grandes villes des carburants produits par la Société de raffinage de Zinder (Soraz), la modernisation de l’aéroport international Diori Hamani et les travaux du troisième pont de Niamey, sur le fleuve Niger. En huit ans, le montant des investissements mobilisés, aussi bien dans le public que dans le privé, flirte avec les 20 milliards de dollars avec, à la clé, la création de plus de 1 million d’emplois. Des chiffres vertigineux pour les pays de l’Afrique de l’Ouest, Côte d’Ivoire et Nigeria compris. Grâce à ces performances, le Niger s’est doté de capacités hôtelières qui lui permettent désormais d’accueillir les plus grands événements politiques, économiques et culturels de la sous-région. Autant d’éléments qui donnent à ce pays central dans la zone grise qu’est aujourd’hui le Sahel, les allures d’un miracle. ■

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Réhabiliter les villes

À

voir les transformations spectaculaires de Niamey, on pourrait penser que la capitale s’est approprié les 20 milliards de dollars d’investissement des programmes Renaissance 1 et 2. On serait loin du compte. Convaincu que « les centres urbains sont vecteurs de développement des territoires », le président Issoufou a misé sur les sept autres grandes agglomérations. D’Agadez, pôle touristique et minier, à Zinder, ancienne capitale du Niger, en passant par Maradi, deuxième ville du pays, la modernisation des infrastructures bat son plein. Leurs aérodromes ont été réhabilités et les pistes d’atterrissage allongées pour accueillir des avions gros-porteurs, de manière à développer, à terme, des lignes aériennes domestiques. De nouveaux axes routiers désenclavent les territoires, reliant villes et villages des frontières du Nigeria, du Burkina Faso et du Mali, et renforçant les échanges commerciaux. De Diffa, où les incursions de Boko Haram se multiplient, à Tahoua, au cœur du Liptako Gourma – où sévissent Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) –, les régions les plus exposées aux attaques terroristes n’ont pas été privées d’investissement : établissements de santé, alimentation en eau potable, voiries et assainissement, infrastructures sportives ou encore pôles industriels. Malbaza abrite la première cimenterie du pays financée par le secteur privé ainsi qu’une centrale solaire de 7 MW. Torodi est le point d’arrivée du pipeline qui achemine les produits raffinés de la Soraz (Société de raffinage de Zinder) destinés à l’exportation vers le Burkina et le Mali. Pour renforcer les infrastructures d’accueil des régions, le président Issoufou a décidé de délocaliser chaque année les commémorations de la Fête de la République, le 18 décembre. Pour 2019, elle se tiendra à Tillaberi, limitrophe des frontières du Mali et du Burkina Faso, et accueillera officiels de l’exécutif, diplomates accrédités ainsi qu’un défilé militaire. Pour l’occasion, la ville et sa région ont bénéficié d’une enveloppe conséquente pour des travaux de modernisation. ■

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DÉCOUVERTE/Niger

Le pari nucléaire C’est l’une des promesses de la décennie : « Apprivoiser l’atome et miser sur l’électronucléaire. » Un rêve fou ? À bien y voir, c’est moins improbable qu’il n’y paraît.

TROIS HANDICAPS MAJEURS

Pour mettre en œuvre sa promesse électorale, le chef d’État a institué un organisme d’application du programme d’énergie nucléaire, composé de deux structures. La première, politique, est le Comité d’orientations stratégiques pour le programme électronucléaire (Cospen), présidé par Brigi Rafini, le Premier ministre. La seconde, scientifique, est le Comité technique national pour le programme électronucléaire (CTNPEN), placé sous la houlette de Mindaoudou Zeinabou [voir ci-contre], présidente de la Haute autorité nigérienne à l’énergie atomique (Hanéa). En sa qualité de gouverneure du Niger auprès de l’AIEA, Mindaoudou Zeinabou est le point central pour tout ce qui a trait au programme électronucléaire : « Mettre 58

en place un tel programme nécessite un long processus composé de trois phases, étalées sur une période entre dix et quinze ans. Pour chacune des phases, 19 domaines clés sont analysés par les experts de l’AIEA. » La principale phase consiste à s’assurer que le cadre réglementaire et juridique est en adéquation avec l’activité nucléaire. C’est pourquoi il faut être à jour dans la signature et la ratification des conventions internationales. D’autres questions sont abordées : les capacités managériales d’une industrie atomique, les ressources humaines, le traitement des déchets ou encore la protection de l’environnement. Le Niger a accueilli, en avril 2018, une mission d’évaluation d’experts de l’AIEA qui, au terme de leur séjour, ont félicité le travail effectué par les équipes locales. Après étude du rapport donné par les autorités nigériennes, l’AIEA a émis sept recommandations sur les 19 points abordés. « C’est la meilleure performance dans la sous-région, avance Mindaoudou Zeinabou. Nos voisins nigérians en ont eu 11 et les Ghanéens 15. La plupart des recommandations que nous avons reçues ont été traitées, et nos interlocuteurs nous ont affirmé que nous sommes quasiment en phase deux. » Il faut préciser que le Niger a une bonne cote auprès de l’institution de Vienne. Au titre de membre actif de l’Organisation du traité d’interdiction complète des essais nucléaires (Otice), le pays abrite deux stations de surveillance sur son territoire, à Agadez et à Torodi. Le Niger continue de se préparer à l’électronucléaire en adaptant les filières de l’enseignement supérieur. Ainsi, l’université Abdou Moumouni, à Niamey, a multiplié les spécialités dédiées à l’atome. Outre AFRIQUE MAGAZINE

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Minerai d’uranium.

Au rythme des travaux, le pays sera manifestement prêt au début des années 2030.

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elon une étude de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), à l’horizon 2035, l’Afrique de l’Ouest devra disposer de huit centrales nucléaires pour faire face à ses besoins énergétiques. Sur les 30 pays qui ont sollicité l’AIEA pour une assistance dans leur quête de technologie nucléaire, 10 sont africains, dont trois membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Outre le Niger, on trouve le Ghana et le Nigeria. Engagement du président Issoufou lors de sa campagne en 2011, l’utilisation pacifique de la technologie nucléaire au profit du développement social ne cible pas uniquement la production électrique – carence endémique du pays depuis son indépendance –, mais tous les aspects du développement : sécurité alimentaire, médecine, gestions des ressources hydriques ou des catastrophes naturelles.


l’historique Institut des radio-isotopes (créé au milieu des années 1980), de nouveaux établissements spécialisés ont vu le jour. La maîtrise nucléaire est en marche. Toutefois, son ambition est menacée par trois handicaps majeurs : le coût colossal d’une centrale nucléaire, la nécessité d’un réseau de distribution dix fois supérieur à la capacité de production (pour une centrale de 1 000 MW, cela implique un réseau de 10 000 MW, alors qu’il n’est que de 400 MW aujourd’hui), et la méfiance des grandes puissances, rendant inenvisageable qu’un petit pays du Sahel puisse manipuler de l’uranium enrichi. Trois arguments qui laissent de marbre Mindaoudou Zeinabou : « Pour ce qui est du coût, la question du réchauffement climatique impose à la planète des mesures drastiques en matière de production d’énergie fossile et thermique. » En d’autres termes, si les pays riches veulent que l’Afrique demeure le poumon de la planète avec ses forêts, ils n’ont qu’à financer la production d’énergie la moins polluante.

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CHANGEMENT DE DIMENSION

S’agissant des capacités du réseau domestique, l’experte répond par une question : « Avez-vous entendu parler du Wapp [West African Power Pull, ndlr] ? C’est le réseau qui réunit toutes les entreprises de production électrique de la Cedeao. À terme, les 16 États membres seront interconnectés, et le réseau sera suffisant pour nos deux futures centrales. » Quant à la question de l’uranium enrichi, elle ne se fait aucune illusion : « Le processus d’enrichissement ne nous intéresse pas. Nous sommes conscients de la finesse de la frontière entre uranium enrichi et bombe. Ce n’est pas notre affaire. Nous choisirons un partenaire qui maîtrisera le processus, nous fournira le combustible et gérera avec nous les déchets. » Mindaoudou Zeinabou a réponse à tout. Enfin, presque. Si vous lui demandez où et quand, elle se fait plus évasive : « 18 sites ont été retenus pour le projet des deux centrales. Pour le timing, la scientifique que je suis ne peut y répondre. Cela relève du politique. » Au rythme des travaux, le Niger sera manifestement prêt au début des années 2030. Il changera alors de dimension. ■

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Portrait Mindaoudou Zeinabou Présidente de la Haute autorité nigérienne à l’énergie atomique (Hanéa)

Madame Atome

Le président Issoufou en a fait sa conseillère spéciale, avec rang de ministre.

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œur cadette de Mindaoudou Aïchatou, ancienne cheffe de la diplomatie, cette « forte en thème » est née à Maradi, capitale économique du pays. Elle y fait toute sa scolarité primaire et secondaire et y obtient, en 1984, un bac technique mathématique au lycée local. Une bourse algérienne lui permet alors de quitter sa ville natale et le cocon familial. Destination Sétif, ville des Hauts Plateaux. « J’en suis revenue sétifienne et ingénieure en électronique. » Mindaoudou Zeinabou met ensuite ses talents au service de la Cominak (Compagnie minière d’Akouta), qui exploite des gisements d’uranium, tout en enseignant à mi-temps. Elle poursuit ses études avec, en 1994, un DEA en Communications optiques et micro-ondes, obtenu à l’université de Limoges, en France, puis un doctorat en physique appliquée, en 2002, à l’Université Paris 13. Spécialiste de l’instrumentation nucléaire, elle sillonne le monde, donne des conférences, participe à des colloques scientifiques et multiplie les publications dans des revues spécialisées. Ses pérégrinations ne l’ont néanmoins jamais éloignée du monde qu’elle affectionne : celui des laboratoires et des amphithéâtres de l’université Abdou-Moumouni, à Niamey. Un an après son arrivée aux affaires, le président Issoufou en fait sa conseillère spéciale pour les applications nucléaires, avec rang de ministre. En 2014, Mindaoudou Zeinabou est désignée à la tête de la Haute autorité nigérienne pour l’énergie atomique. À ce titre, elle devient gouverneure de Niger auprès de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Ses nombreuses occupations politiques ne la détournent pas de ses activités académiques, puisqu’elle continue d’enseigner et d’encadrer chercheurs et doctorants à l’université Abdou-Moumouni. ■

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16 % du budget de l’État est consacré à la défense.

Comment vaincre le péril djihadiste

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es pays du Sahel subissant directement la menace terroriste et la criminalité transfrontalière (narcotrafiquants et réseaux de traite humaine), le Niger n’est pas le moins bien placé. Pourtant, il est le seul des cinq États qui composent la force conjointe du G5 (avec le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie et le Tchad) à connaître des risques sur ses quatre points cardinaux : au nord à cause d’un État failli, la Libye, à l’ouest en raison d’un État en partie défaillant, le Mali, et au sud et à l’est avec respectivement un géant aux pieds d’argile, le Nigeria, et un Tchad dispersé, tous deux débordés par les islamistes de Boko Haram. « Il n’y a pas de menace domestique, 60

assure Issoufou Katambé, ministre de la Défense nationale. Il n’y a pas de sanctuaire djihadiste chez nous. » Pourtant, l’organisation salafiste État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) semble disposer de plusieurs bases de repli le long de la frontière malienne. Pire, elle multiplie les attaques contre les villages, ciblant particulièrement la chefferie traditionnelle, avec l’assassinat de cinq chefs en trois jours, fin novembre dernier. Une manière de s’attaquer à l’organisation sociale et l’autorité locale pour imposer son diktat aux populations villageoises. Le président Issoufou ne s’y trompe pas. Nul développement sans sécurité. Et si, au cours des huit premières années de sa présidence, AFRIQUE MAGAZINE

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Il ne peut y avoir de développement sans sécurité. Le gouvernement a fortement investi dans un vaste plan de défense. Et peut compter sur le soutien international.


il a investi 10 000 milliards de francs CFA dans les infrastructures et les projets stratégiques, il a consacré, en 2018 et en 2019, 16 % du budget de l’État à la défense et à la sécurité. Sur les 50 000 fonctionnaires recrutés depuis 2012, un nombre important (le chiffre est quasi top secret) concerne de nouveaux soldats. C’est pourquoi il annonce fièrement que le pays est désormais la troisième puissance militaire en Afrique de l’Ouest, ravissant cette place à la Côte d’Ivoire. Elle est l’un des grands artisans de la lutte contre les groupes islamistes qui sévissent dans la zone sahélienne – Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) au Mali et au Burkina Faso, et Boko Haram – avec la Force multinationale mixte (FMM), qui comprend également les armées du Bénin, du Cameroun, du Nigeria et du Tchad. Elle participe à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), avec 500 soldats. En matière d’équipements, le Niger se ravitaille essentiellement auprès des plus grandes forces armées internationales, particulièrement les États-Unis.

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LES SOLDATS LES MIEUX LOTIS

Le Niger consacre ainsi plus de 350 milliards de francs CFA à la défense et à la sécurité sur un budget de 2 236 milliards. « C’est autant d’argent en moins pour l’éducation, la santé ou l’accès à l’eau potable, déplore le Président, mais la sécurité n’a pas de prix. En revanche, je milite pour que cet effort ne soit plus comptabilisé par les institutions monétaires régionales, comme l’UEMOA, ou internationales, telles le FMI et la Banque mondiale, comme des déficits budgétaires mais comme des investissements. » En matière d’équipements, les soldats nigériens sont les mieux lotis dans la région. Par ailleurs, le pays abrite à Agadez une base aérienne américaine dotée d’une force de frappe via des drones Reaper qui interviennent en Libye, au Mali et au Burkina Faso. Une base militaire d’appui au dispositif français au Sahel est également opérationnelle. Et des accords de coopération lient Niamey à Bruxelles et à Rome. ■

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Trois questions à… Issoufou Katambé Ministre de la Défense nationale

« Nous faisons face »

En poste depuis septembre 2019, ce proche du Président évoque les dispositifs mis en place. AM : Les infrastructures réalisées dans le cadre du programme Renaissance se sont multipliées. Comment, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, les protégez-vous ? Issoufou Katambé : Chacune des installations économiques

stratégiques est dotée d’un dispositif militaire de protection – le bassin pétrolier d’Agadem, la raffinerie de Zinder, les mines d’uranium à Arlit, les sites aurifères dans le Liptako ou encore le barrage de Kandadji. Si le front est multiple et le danger diffus, nos forces de défense et de sécurité font face. Elles protègent le pays de toute menace. Contrairement à certains de nos voisins, aucun mètre carré du territoire de la République n’est soustrait à l’autorité de l’État. À l’heure où je vous parle, notre armée est engagée dans 12 opérations : cinq au niveau national, cinq en multilatéral et deux en bilatéral. Pouvez-vous localiser ces interventions ?

Les cinq opérations nationales concernent la sécurisation des frontières les plus sensibles : Libye, Tchad, Nigeria, Burkina Faso et Mali. Les cinq multilatérales impliquent trois bataillons engagés dans la force conjointe du G5 et deux autres au sein de la FMM. Quant aux deux dernières, il s’agit d’actions menées conjointement avec des partenaires extra-régionaux. Le Niger a signé de nombreux accords de défense et abrite des bases étrangères. Qu’en est-il de la coopération militaire ?

L’armée a régulièrement participé aux opérations de maintien de la paix avec les casques bleus des Nations unies. Nos soldats ont acquis une solide réputation de combativité. La discipline n’est pas un vain mot et le commandement a de tout temps misé sur une formation rigoureuse de la troupe. Avec la montée de la menace djihadiste et des effets de la criminalité transfrontalière, nous avons renforcé les capacités opérationnelles et de renseignement. Nous devons notre réussite en grande partie à nos partenaires américains, français, belges et italiens. ■ Propos recueillis par C.O.

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Niamey, la mue 62

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En quelques années, la capitale s’est métamorphosée. Routes bitumées, éclairage public, nouvel aéroport, hôtels de luxe… Une modernisation spectaculaire qui se veut être l’image de nouvelles ambitions du pays.

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Le rond-point sixième, l’une des infrastructures qui a permis de désengorger le trafic.

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our le président Issoufou Mahamadou, l’équation n’avait pas beaucoup d’inconnues. La renaissance du Niger n’aurait pu être complète sans celle de sa capitale. Et en cela, Niamey, un bourg qui, il y a dix ans à peine, avait des allures de chef-lieu de province décrépi, nécessitait bien plus qu’un simple lifting, une régénération. Hormis quelques avenues du centre-ville et du quartier administratif, ses rues, plus adaptées aux caravanes de dromadaires, n’étaient pas bitumées, les rares voitures qui y circulaient se retrouvant le plus souvent ensablées. Faute d’évacuation des déchets ménagers, chaque quartier disposait de sa colline d’immondices, décharges sauvages côtoyant écoles primaires, centres de santé ou marchés de « vivres frais ». En huit ans, après deux programmes (Renaissance 1 et 2) et à mi-parcours du Plan de développement économique et social (PDES) quinquennal, la capitale est méconnaissable. Grâce au programme Niamey Nyala [voir interview du maire ci-après], plus de 70 kilomètres de voie rapide relient désormais les principaux pôles de la ville, une opération de rénovation et d’embellissement a transformé sa silhouette avec un nouvel aéroport, des échangeurs, des ronds-points transformés en ouvrages d’art, des constructions verticales (hôtels de haut standing, espaces commerciaux ultramodernes), des espaces de verdure (squares)… Des infrastructures routières désengorgent les voies de circulation au centre et à la périphérie. Du quartier résidentiel au bidonville, toutes les parties de Niamey sont éclairées. Chaque kilomètre de route ou de rue, réalisé, bitumé ou

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réhabilité est doté de systèmes d’éclairage public, de réseaux d’évacuation des eaux usées, les caniveaux sont curés (malgré une pluviométrie endémique). Les services municipaux ont élaboré un système d’évacuation des déchets ménagers soulageant le paysage de la capitale de près de 1 000 tonnes quotidiennes d’ordures. En moins de dix ans, la mue de Niamey est spectaculaire. Capitale moderne, elle offre des services de base performants à ses habitants, du confort et de la douceur de vivre à ses touristes. À l’origine, Niamey ne disposait, en tout et pour tout, que d’un hôtel 4 étoiles, le Gaweye, construit au milieu des années 1980. Aujourd’hui, elle compte cinq palaces de haut standing. Avec ses 189 chambres (dont 38 suites) et son centre de conférence qui ont abrité le sommet de l’Union africaine (UA), en juillet 2019 (une première pour le Niger depuis son indépendance), le complexe 5 étoiles Radisson est un investissement de 25 milliards de francs CFA du groupe turc Summa. Celui-ci a, par ailleurs, réalisé le nouvel aéroport international Hamani Diori, pour 100 milliards de francs CFA, avec à la clé une concession de gestion sur trente ans. Les capacités hôtelières de Niamey ont augmenté avec la réception de deux autres palaces gérés, l’un par le groupe Noom, l’autre par l’opérateur indien Bravia. Ce dernier a également financé la rénovation de l’hôtel Gaweye, qu’il gère par concession depuis 2017. L’opération de modernisation de la capitale a nécessité des investissements de l’ordre de 10 milliards de dollars, répartis entre le budget de l’État, celui de la municipalité, une participation des grands opérateurs économiques (réhabilitation des ronds-points et ouvrages d’art) et des investissements privés, dans le cadre des programmes Renaissance 1 et 2. Cependant, pour le président Issoufou, repenser la capitale, c’est également la recentrer autour de son fleuve. La réhabilitation de la corniche est un chantier colossal, tant les berges n’ont jamais intéressé les habitants de Niamey – gouvernants et gouvernés. Le PDES prévoit un investissement de 3,6 milliards de dollars. Réconcilier Niamey et le Niger coûtera cher. Mais quand on aime, on ne compte pas. ■ 64

Mamoudou Moctar Urbaniste et maire de la ville

« Une capitale digne de ce nom » Cet enfant de Niamey, formé en architecture à Lomé, spécialisé en gestion des grandes agglomérations à l’École de l’urbanisme de Paris (EUP), a été sollicité en 2016 pour piloter le programme de modernisation de la cité. AM : Qu’est-ce que le programme Niamey Nyala ? Mamoudou Moctar : De par son statut de plus grand centre

urbain et de capitale administrative du pays, Niamey a été, est et sera toujours attractive. Outre sa démographie galopante [7,6 enfants par femme en âge de procréer, ndlr], elle enregistre un fort taux d’exode rural pour des raisons économiques et, plus récemment, pour une montée de l’insécurité du fait du terrorisme djihadiste. Cette démographie non maîtrisée a eu comme conséquence une excroissance territoriale avec son lot d’habitats précaires, de dégradation de l’offre de services : assainissement, évacuation des déchets ménagers, alimentation en eau potable, mobilité humaine. Tout ce qui relève de la gestion d’une cité est devenu plus complexe. Pour faire face à cette situation, le président Issoufou a initié un programme baptisé « Niamey Nyala » (« Niamey la Coquette »). J’ai eu le privilège d’être nommé à la tête du commissariat en charge d’exécuter ce programme. L’objectif est d’améliorer le cadre de vie de la population. Changer la face de la capitale par la modernisation de ses infrastructures routières, ferroviaires et aéroportuaires, et l’augmentation de ses capacités d’accueil d’une clientèle sélecte (hommes d’affaires, investisseurs, diplomates de haut rang) et de toute une catégorie de personnes qui s’intéressent au nouveau Niger. Cette ambition vise à créer une dynamique positive pour un développement durable qui intègre la question de l’environnement. Quelles sont les contraintes que pose le fleuve Niger en matière d’urbanisme ?

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La cité doit son existence au fleuve, mais sa population, passée et présente, a toujours tourné le dos à cette bénédiction divine. Ses berges n’ont jamais été aménagées ni cultivées, livrées à la mangrove, sa navigabilité sous-exploitée, il n’y a nul espace de loisir familial ni d’activités sportives sur ses bords. Rive droite ou rive gauche, le fleuve n’était, pour les habitants, qu’un simple détail de leur paysage quotidien. Notre ambition est de l’intégrer dans le tissu urbain de Niamey. Ses berges seront réhabilitées et dédiées à des espaces de convivialité. Des parcelles agricoles seront loties pour alimenter les marchés en produits maraîchers. Des voies routières, le long des berges, vont désengorger les artères et alléger les points noirs de la circulation. Sur fonds propres et avec les services techniques de la municipalité, nous avons déjà livré un tronçon, bitumé et éclairé, entre le Palais de la Culture et le Conseil de l’Entente. Le Plan de développement économique et social (PDES) prévoit une enveloppe de 3,6 milliards de dollars pour la modernisation. C’est colossal, cela représente plus que le PIB du Niger. Comment amortir ces investissements ?

d’entretien de la voirie ou d’éclairage public sont plus performantes. Les habitants ressentent une meilleure mobilité et un plus grand confort dans leurs déplacements à travers une amélioration du réseau routier interquartier. Ils sont fiers de leur nouvel aéroport, des hôtels de haut standing qui accueillent leurs visiteurs. Une précision : Niamey Nyala n’est pas le seul programme d’urbanisme dans le pays. Conscient que les centres urbains sont vecteurs de développement socio-économique, le Président a étendu l’effort de modernisation aux sept autres grandes agglomérations du pays. Le gouvernement a donc misé sur les centres urbains…

Pas seulement. Le monde rural n’a pas été occulté. Une grande partie des problèmes urbains sont la conséquence de la détérioration des conditions de vie en milieu rural. Fixer les populations par une meilleure prise en charge de leurs difficultés quotidiennes réduira l’exode et soulagera les villes. Comment concilier la cité avec ses prolongements ruraux ?

Par une réorganisation administrative de ses territoires et l’institution d’un « Grand Niamey », avec une banlieue dotée de municipalités autonomes des arrondissements

C’est effectivement un effort considérable. Pour ce qui est est d’intégrer le fleuve dans des berges, leur viabilisation, le tissu urbain. Ses berges seront réhabilitées et dédiées à l’habilitation de la voirie et de Des parcelles agricoles des l’assainissement, l’éclairage et le bitumage des voies publiques, seront loties pour alimenter les marchés en produits maraîchers. » tout cela procède de la plusvalue foncière. Les terrains seront lotis et proposés aux de la ville. Notre réussite dépendra de notre capacité investisseurs privés. Sur les deux rives du fleuve, il y aura à concilier notre ruralité et notre citadinité. des espaces commerciaux, d’hôtellerie, de divertissement Le président Issoufou achèvera dans quelques culturel, d’activités sportives, mais aussi des salles mois son second et dernier mandat. Avez-vous des de concert et de cinéma. Tout ce qu’une capitale digne appréhensions quant à l’achèvement des grands de ce nom peut prétendre proposer à ses habitants. chantiers de la capitale au-delà de cette échéance ? En attendant les berges, quel est l’apport concret Je suis persuadé que la dynamique insufflée par le président Issoufou est suffisamment forte pour se de ce programme au citoyen lambda ? poursuivre au-delà de la fin de son mandat. Son successeur, Incontestablement, une meilleure offre de services. quelle que soit sa couleur politique, devrait mener à Grâce à l’évolution des moyens de production de nos services terme ce programme. ■ Propos recueillis par C.O. techniques, nos interventions en matière d’assainissement,

« Notre ambition

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espaces de convivialité.

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De la mine à l’or noir Le pétrole et l’hydrocarbure prennent progressivement une place essentielle dans l’économie.

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public. L’ère pétrolière a débuté pour le Niger, les hydrocarbures reléguant les secteurs miniers de l’uranium et de l’or au second plan. Entre 2012 et 2018, le pétrole a généré plus de 2 milliards de dollars de revenus cumulés. L’activité contribue à hauteur de 7 % à la formation du PIB, et représente près de 30 % des recettes fiscales et jusqu’à 29 % des exportations. Et ce n’est que la première phase. L’ambition pétrolière du pays d’Issoufou ne s’arrête pas à cette performance, car il veut intégrer le club des pays africains exportateurs de pétrole brut.

namovible directeur général des hydrocarbures depuis 2012, Adolphe Gbaguidi, la soixantaine aussi élégante que discrète, est le Monsieur Pétrole du président Issoufou Mahamadou. Il dit en préambule, comme pour s’excuser : « Nous sommes un pays à tradition minière, si notre avenir se dessine à l’or noir, notre histoire avec le pétrole est toute récente. » Quatrième producteur mondial d’uranium, le Niger a longtemps cru aux potentialités de son sous-sol en matière d’hydrocarbures. Dès le lendemain de l’indépendance, en 1960, des blocs d’exploration ont été accordés aux compagnies occidentales, parmi lesquelles l’américaine Texaco. En vain. Ce n’est qu’en 2007 que la China National Petroleum Corporation (CNPC), explorant le bassin d’Agadem, dans l’est du pays, découvre des poches d’huile économiquement exploitables. Réserves prouvées : 410 millions de barils. Une quantité suffisante pour que la CNPC signe un contrat de partage de production avec le gouvernement et réalise, en 2011, un oléoduc de 462 kilomètres, reliant le champ d’Agadem (trois gisements : Gouméri, Sokor et Agadi) à la Société de raffinage de Zinder (Soraz), d’une capacité de traitement de 20 000 barils/ jour, construite par la CNPC et dont le capital est réparti comme suit : 55 % pour l’entreprise chinoise et 45 % pour l’État nigérien. Les besoins domestiques plafonnant à 10 000 barils/jour, l’excédent de production est exporté vers les pays voisins (Mali, Burkina Faso et Nigeria), pour 250 000 tonnes de diesel, 150 000 tonnes d’essence sans plomb et 40 000 tonnes de gaz de pétrole liquéfié (GPL). C’est ainsi qu’en 2012, le Niger est devenu exportateur de carburant. L’or noir a définitivement supplanté le yellow cake (produit traité de l’uranium à l’export) comme première source de revenus du Trésor

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110 000 BARILS PAR JOUR EN 2022

Les Chinois de la CNPC ont continué l’exploration du champ d’Agadem et ont, en association avec les Taïwanais d’Overseas Petroleum investment Corporation (OPIC), multiplié les découvertes avec un potentiel de 890 millions de barils. La Soraz est sous-dimensionnée pour une production de l’ordre de 110 000 barils/jour. Seule option possible : l’évacuation par oléoduc du surplus de production. « Nous avions trois possibilités pour le faire, précise Adolphe Gbaguidi. Relier le champ d’Agadem à celui de Doba, au Tchad, pour utiliser le pipeline vers le terminal de Kribi, dans la région de Douala au Cameroun, construire un pipeline entre Agadem et Port Harcourt au Nigeria, ou réaliser un oléoduc vers Cotonou. » Pour des raisons d’ordre sécuritaire et géopolitique, les deux premières options, beaucoup moins coûteuses, n’ont pas été retenues par le gouvernement et ses partenaires (CNPC et OPIC). En avril 2018, l’État du Niger et la République du Bénin ont signé un protocole d’accord définissant « le cadre de la construction et de l’exploitation d’un réseau de pipelines, partant du Niger et traversant le Bénin jusqu’au terminal maritime d’exportation sur la côte du I

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Bénin dans la commune de Sèmè (département de Ouémé) », selon un communiqué du gouvernement. Le 20 septembre 2018, le Premier ministre Brigi Rafini et la China National Oil and Gas Exploration and Development Company (CNODC) ont conclu un accord-cadre concernant la construction et l’exploitation du pipeline transfrontalier d’exportation de pétrole brut du Niger au Bénin. Le 26 avril 2019, CNODC a créé une filiale, West African Gas Pipeline Company (WAPCO Niger), en charge de construire, d’exploiter, d’entretenir et de gérer l’oléoduc (2 000 kilomètres pour un coût de 2,6 milliards de dollars) pour l’exportation du pétrole brut. Les travaux de réalisation lancés, le 17 septembre 2019, sont prévus sur vingt-quatre mois. « Notre ambition, affirme Foumakoye Gado, ministre du Pétrole, est d’exporter une grande partie des 110 000 barils que nous prévoyons de produire quotidiennement, à partir de 2022. Notre secteur passera ainsi de 16 % à 68 % dans nos recettes d’exportation et sera le plus important levier de l’économie à l’horizon 2022. » Principal partenaire du Niger pour le pétrole, la CNPC aura investi, à elle seule, plus de 5 milliards de dollars entre l’exploration, l’exploitation, la raffinerie et l’oléoduc. Autre investissement conséquent dans le secteur :

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l’oléoduc intérieur. Pour 1,4 milliard de dollars, un réseau de canalisations devra desservir, à partir de la Soraz, les grandes villes du pays, dont Niamey (80 % de la consommation nationale en carburants et produits raffinés). UN COÛT DE PRODUCTION ÉLEVÉ

« Les perspectives du pétrole au Niger ne se limitent pas au seul champ d’Agadem. À Kafra, au nord-est, Sipex, filiale de l’algérien Sonatrach, a mis à jour des indices prometteurs en matière de poches d’huile et de gaz. Le plateau du Djado, qui se situe dans le prolongement du gisement géant libyen de Murzuk, intéresse de nombreuses compagnies occidentales », affirme Adolphe Gbaguidi, convaincu que le pétrole est l’avenir de son pays, malgré deux facteurs rédhibitoires. Le premier est le coût de production du brut, relativement élevé (entre 14 et 17 dollars le baril). Le second est celui de son évacuation (plus de 15 dollars le baril), du fait de l’enclavement du pays. Ce qui rend le seuil de sa rentabilité assez élevé, avec un cours minimum de 40 dollars le baril sur le marché. Les Nigériens avaient l’habitude de scruter quotidiennement les cours de l’uranium. Ils vont devoir passer à ceux du panier de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). ■

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La Soraz, inaugurée en 2011, a une capacité de 20 000 barils/jour.

Un réseau de canalisations desservira, à partir de la raffinerie de Zinder, les grandes villes du pays, dont la capitale.

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Décryptage

Indices de richesse

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Le terme « miracle » s’impose car on parle d’un pays placé dans les

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annuel établi par le Programme des Nations unies pour le développement.

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’aucuns pourraient trouver Conscient de la frustration de ses notre titre « Un miracle au Sahel ? » compatriotes lors de la publication périodique un tantinet osé au vu de ce qu’il s’y de ce « satané classement », le président Issoufou passe depuis quelques années : drames Mahamadou nuance l’analyse de l’agence interethniques, attaques terroristes, prospérité onusienne. Lors d’une longue interview accordée de la criminalité transfrontalière, corruption… à la chaîne publique Télé Sahel, à l’occasion À ceux-là, on opposerait quelques chiffres du troisième anniversaire de son investiture concernant le Niger. En huit ans, entre 2011 pour son second et dernier mandat, il explique et 2019, les investissements décaissés pour des que « l’IDH est calculé sur trois variables : le réalisations ou des chantiers en cours sont évalués revenu par habitant, l’espérance de vie et les à 32 milliards de dollars, soit plus de trois fois le taux de scolarisation ». Sur les deux premiers PIB du pays (9,72 milliards de dollars en 2019). critères, le pays a marqué des points. « Selon Grandiloquence du pauvre ? les données du FMI, en 2017, le Niger Ambition démesurée financée par un est classé à la 144e place sur 193 pays. recours irraisonné à l’endettement ? Nous ne sommes plus la nation la Ni l’une ni l’autre. Près de 80 % de ces plus pauvre du monde. » Le FMI investissements relèvent d’un partenariat confirme le propos présidentiel en public-privé, national ou étranger. Mieux, annonçant une pauvreté réduite de au cours de la même période, les finances 64 % à 44 %. En matière d’espérance publiques ont été assainies. Le déficit de vie, la performance est également du budget de l’État a été ramené à 4,2 %, spectaculaire passant de 49 ans, par alors qu’il culminait à deux chiffres à la en 2007, à plus de 60 ans, en 2017. Cherif Ouazani fin de la décennie précédente. Le pari de « C’est le taux de scolarisation qui respecter enfin les critères de convergence de nous tire vers bas », déplore le chef de l’État. l’Union économique et monétaire ouest-africaine Si les chiffres des investissements sont (UEMOA), en 2020, est en voie d’être gagné. Les astronomiques, ceux de la scolarité sont réformes économiques ont fait gagner 44 places effrayants. Le taux d’achèvement du cycle dans le classement Doing Business de la Banque primaire ne dépasse pas 79 % des inscrits. mondiale. Une performance peu banale pour un Celui du secondaire atteint péniblement les pays placé dans cette zone grise qu’est le Sahel. 20 %. Quant à l’enseignement professionnel Le miracle ne tient pas uniquement et technique, il n’est suivi que par 6,2 % des aux sommes vertigineuses investies et aux 15-24 ans, qui représentent la moitié des réalisations colossales enregistrées en si peu Nigériens. La population dans les campus de temps. Le terme « miracle » s’impose, car universitaires est estimée à 400 étudiants on parle d’un pays placé dans les abysses du pour 100 000 habitants. Pour s’éloigner de la classement annuel établi par le Programme des queue de peloton, l’effort doit se concentrer sur Nations unies pour le développement (PNUD), l’éducation, et imposer la scolarité obligatoire selon l’indice du développement humain jusqu’à l’âge de 16 ans. Cette mesure inscrite (IDH) : 183e sur 184, et où le revenu annuel par sur les tablettes depuis l’indépendance est « culturellement » difficile à mettre en œuvre. habitant est de 488 dollars, alors que le seuil Les pesanteurs sociales ont la dent dure. ■ de pauvreté plafonne à 730 dollars par an.


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CE QUE J’AI APPRIS

Bintou Dembélé CETTE PIONNIÈRE DU MOUVEMENT HIP-HOP EN FRANCE

travaille sur la mémoire du corps et l’histoire coloniale. Sa chorégraphie de l’opéra-ballet Les Indes galantes, joué en septembre dernier à l’Opéra de Paris, a triomphé et bousculé les codes du genre. propos recueillis par Astrid Krivian Les Indes galantes est une commande passée à Jean-Philippe Rameau en 1735 pour célébrer les comptoirs, à l’époque de l’esclavage et du colonialisme. Avec les danseurs, nous avons abordé cette œuvre en tant qu’héritiers de cette histoire. On compose avec et par le manque. Nous sommes remontés à la genèse de nos danses, méconnues, pour les déployer à travers l’œuvre. Il s’agissait de ne pas se laisser impressionner par l’Opéra de Paris, mais d’ébranler ses habitudes, de questionner ce lieu à partir de nos récits, nos parcours de la rue à la scène.

Le hip-hop et ses courants (le krump, le voguing, etc.) ont permis aux personnes à la marge de se reconnecter à leur culture d’origine. Pour moi, ces danses urbaines se relient au marronnage. Nous avons été coupés de la force de ces esthétiques. Je suis en quête de ces traces. Centré sur l’interaction entre la danse, la musique et la voix, mon travail repense une forme de rite, un autre rapport aux spectateurs, pour qu’ils soient des témoins, comme quand on écoute les récits des anciens sous l’arbre à palabres.

J’ai fait partie de la première génération française des artistes hip-hop. Enfant, j’étais fan de l’émission H.I.P. H.O.P., présentée par Sidney sur TF1, en 1984. Le voir danser la tête à l’envers traduisait ma perception du monde. Le public me ressemblait : issu de cité, « racialisé ». C’était une époque où sévissaient le racisme, les skinheads. Pour appréhender la violence de l’extérieur, on a formé une famille, un espace où l’on se sentait protégés, armés de ces danses, du rap, du graff, du deejaying. Ça nous a permis de traverser les territoires.

Après l’an 2000, j’ai eu besoin de rompre avec le hip-hop afin de nourrir autrement mon imaginaire. De quitter aussi le groupe, d’affirmer ma singularité de femme noire à travers le solo, forme intime. En découvrant celle que l’on surnomme la « Vénus hottentote » [Saartjie Baartman de son vrai nom, ndlr], une esclave africaine exhibée au XIXE siècle, j’ai cherché à comprendre la mise en place du jargon médiatique, culturel, au sujet de nos corps. Et quel était mon travail pour être sur scène sans avoir le sentiment d’être ni chosifiée ni une exception.

En hip-hop, on ne s’autorise pas la fragilité. Surtout moi, une femme battante, qui voulait faire comme les garçons, attirer le regard, avec un style à la fois empreint de féminin et de masculin. À force de me blesser, j’ai écouté la colère de mon corps. La blessure oblige à s’arrêter. Habiter une sensibilité, la fragilité d’un corps cassé, a donné une justesse à mon mouvement, au rapport à la musique.

À travers la mémoire du corps et l’inconscient collectif, je cherche à faire surgir les zones de silence, les ombres qui nous habitent. Par exemple, j’ouvre un robinet et le geste de mes aïeules puisant l’eau du puits se superpose au mien. Comment me reconnecter au pays de mes parents, alors que je ne parle pas le soninké, que j’ai grandi en Europe, que je me suis construite différemment ? Il faut chercher à l’intérieur pour apaiser ces non-dits, les nommer. La puissance de la danse est mésestimée. C’est un soin. Accepter que des choses nous échappent, que l’on est incarné par les souffrances et les joies de nos parents. Ainsi, on les transforme en poétique, on donne du sens à notre vie et on développe du politique. ■ Les Indes galantes, disponible en replay sur arte.tv.

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«La puissance de la danse est mésestimée. C’est un soin.» AFRIQUE MAGAZINE

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À São Bernardo do Campo, le 9 novembre dernier, ovation au lendemain de sa sortie de prison par une foule de sympathisants.

POUR L’ÂME DU BRÉSIL

Héros de la gauche latino et des classes populaires, l’ex-chef d’État, incarcéré pendant près de 500 jours, est à nouveau libre – pour le moment. Plus combatif que jamais, l’ancien ouvrier métallurgiste entend affronter le président d’extrême droite Jair Bolsonaro. par Cédric Gouverneur AFRIQUE MAGAZINE

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e jeune homme a l’impétuosité de ses 20 ans, l’énergie de ses 30 ans et l’expérience de ses 74 ! » Sans fausse modestie, Luiz Inácio Lula da Silva parle de lui à la troisième personne, lors d’un meeting tenu près de São Paulo le 9 novembre dernier, dès le lendemain de sa libération anticipée. Sa voix rocailleuse galvanise la foule de ses partisans, souvent en pleurs. Les militants ont sorti pour l’occasion des vêtements de couleur rouge, celle du Parti des travailleurs (PT), des T-shirts à l’effigie du Che, et même quelques drapeaux ornés de la faucille et du marteau. La gauche brésilienne a le sentiment de ressusciter après trois années de descente aux enfers : la destitution de la présidente Dilma Rousseff, l’incarcération de Lula, puis l’arrivée de l’extrême droite à la tête du pays. Lula, son héros, son tribun, l’ouvrier deux fois président va remonter sur le ring. L’emporter aux élections de 2022. Et bouter hors du palais présidentiel Jair Bolsonaro : un raciste, doublé d’un misogyne, triplé d’un climatosceptique. La veille, le 8 novembre, la Cour suprême a ordonné la libération de l’ancien chef d’État, statuant que nul accusé ne pouvait être incarcéré avant l’épuisement de tous ses recours. Lula devait purger une peine de huit années ferme, accusé d’avoir reçu en cadeau de la part d’une entreprise de travaux publics un triplex en bord de mer, en échange de l’obtention de marchés publics. La classe politique brésilienne est notoirement corrompue : ces dernières années, des dizaines de responsables ont été condamnés lors d’un grand nettoyage judiciaire, baptisé opération « Lava Jato » (« lavage express »). L’ex-président a cependant toujours clamé son innocence et ses avocats invoquent l’absence de preuves. Pour Lula, il s’agit d’une machination ourdie afin de l’éliminer de la course à la présidentielle de 2018 : la Constitution lui interdisant de briguer plus de deux mandats consécutifs, il avait, au terme du second, laissé les rênes à sa chef de cabinet Dilma Rousseff, qui fut élue en 2010, puis réélue en 2014… avant d’être destituée en 2016. Fernando Haddad, le candidat du PT parachuté pour la présidentielle de 2018, n’a pas fait le poids face au provocateur d’extrême droite Bolsonaro. Mais ces derniers mois, la donne a changé : le site d’investigation The Intercept a révélé en juin le contenu de conversations entre les magistrats de l’opération Lava Jato, démontrant leur acharnement à envoyer coûte que coûte Lula derrière les barreaux, alors même qu’ils expriment de « sérieux doutes » quant

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Rio de Janeiro est le symbole d’un pays champion du monde des inégalités sociales. Les deux visages de la mégapole : des quartiers modernes et luxueux près de l’océan, et d’immenses favelas à flanc de colline.

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à sa culpabilité. Le juge Sérgio Moro, son principal accusateur, est par la suite devenu ministre de la Justice de Bolsonaro… À croire qu’au Brésil, triste champion du monde des inégalités sociales, les élites n’apprécient guère qu’un ouvrier loge à l’Alvorada (le palais présidentiel, situé à Brasília).

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e 30 octobre dernier, Jair Bolsonaro, alors en voyage officiel en Arabie saoudite, diffusait sur son compte Twitter une vidéo d’une rare violence verbale : durant vingt-quatre minutes, le chef de l’État vitupère, fulmine, injurie. Certes, Bolsonaro est plus prompt à insulter qu’à argumenter : ses outrances ont fait sa renommée politique bien avant sa présidence. Mais là, il semble perdre pied. La cause ? La chaîne TV Globo vient de diffuser un reportage l’impliquant dans un assassinat. Ni plus ni moins. Le 14 mars 2018, Marielle Franco, conseillère municipale de Rio, était criblée de balles, aux côtés de son chauffeur Anderson Gomes. Noire, homosexuelle, cette sociologue de 38 ans défendait les droits humains, et notamment ceux des habitants des favelas, victimes de brutalités policières. Sa mort a entraîné des manifestations partout dans le pays. Deux suspects sont incarcérés : Elcio Queiroz et Ronnie Lessa, anciens policiers et membres d’une milice. Or, selon TV Globo, le concierge de l’immeuble où résidait alors Bolsonaro a déclaré aux enquêteurs avoir vu Queiroz, peu avant le meurtre, tenter de se rendre chez le tribun d’extrême droite (apparemment absent ce jour-là). Marielle Franco dérangeait. La question raciale demeure extrêmement tendue au Brésil. Pour rappel, du XVIe au XIXe siècle, 4 millions d’Africains y ont été déportés (le Brésil n’a aboli l’esclavage qu’en 1888). Sur 207 millions d’habitants, Témoignages d’expatriés après la mort de l’élue 14 millions (7 %) sont noirs noire Marielle Franco. (« pretos »), et près de la moitié (43 %) est métisse (« pardos »). Or, deux tiers des pauvres sont noirs ou métis, et seulement 10 % sont étudiants ! Lula avait créé un secrétariat pour la promotion de l’égalité raciale. Dilma Rousseff avait, elle, mis en place une discrimination positive afin de permettre à davantage d’Afro-Brésiliens d’accéder à l’enseignement supérieur. La victoire de Bolsonaro, à l’instar de celle de Trump, peut ainsi être perçue comme une revanche d’un certain électorat blanc (« brancos »). ■ C.G.

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ENFANT DU NORDESTE

Luiz Inácio da Silva est né en 1945 à Caetés, un bourg de l’État du Pernambouc, dans le Nordeste brésilien. Une terre aride, réputée pour la misère de ses paysans et le despotisme de ses grands propriétaires terriens. Célèbre aussi pour l’audace de ses cangaceiros, bandits aux yeux des élites, mais perçus par le peuple comme des Robin des Bois. Avant-dernier d’une famille de huit enfants, le petit Luiz est vite surnommé « Lula », un diminutif affectueux qui veut aussi dire « calamar ». Son surnom permet également de le distinguer parmi les innombrables Da Silva, patronyme le plus répandu du monde lusophone. Son enfance est, à l’image de celle de millions de petits Brésiliens nés dans la misère, dure comme un coup de machette : son père, violent, quitte le foyer pour travailler comme docker près de São Paulo. Lorsque sa mère rejoint ce dernier, elle découvre qu’il a refait sa vie… La voilà toute seule dans la métropole pour s’occuper de ses enfants. Lula doit ainsi contribuer à la survie de la fratrie : il quitte l’école à 10 ans, devient cireur de chaussures, vendeur de cacahuètes. À 14 ans, il est engagé comme ouvrier métallurgiste dans une usine automobile à São Bernardo do Campo. Et peu de temps après, il perd son auriculaire gauche dans une machine… À l’âge de 21 ans, alors que le Brésil des années 1960 bascule dans la dictature militaire, Lula rejoint le syndicat de la métallurgie. Avec ses cheveux en bataille, sa barbe fournie, sa grosse voix et ses discours véhéments, il s’impose et préside l’organisation à partir de 1975. Il est arrêté à plusieurs reprises. Il racontera avoir redouté de « disparaître », à l’image de centaines d’opposants, sommairement exécutés pendant ces décennies de terreur en treillis. Parmi les opposants victimes de la dictature figure celle qui deviendra sous sa présidence sa cheffe de cabinet : Dilma Rousseff, alors jeune guérillera, emprisonnée, torturée durant vingt-deux jours… En 1980, arrêté avec d’autres syndicalistes, Lula sort de prison après six jours de grève de la faim. Il a peut-être été sauvé par son ami Frei Betto : célèbre journaliste et frère dominicain, celui-ci avait été témoin de son arrestation et avait répandu la nouvelle sur une radio. La même année, lorsque la dictature s’assouplit, Lula fonde le Parti des travailleurs, qui s’implante peu à peu dans tout le pays. En 1989, le PT met en place à Porto Alegre, dans le sud, le « budget participatif », initiative de démocratie directe où les

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Les mirages du métissage


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En 2014, Petrobras et les géants du BTP sont accusés de s’être vu attribuer des marchés publics, en échange de pots-de-vin, en particulier au profit de la gauche. Protestation devant le siège social de l’entreprise pétrolière publique, en 2017.

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e Brésil a toujours été présent sur le continent. Notamment en Angola, pour des raisons évidentes : le producteur de pétrole lusophone est la terre originelle d’où ont été déportés les ancêtres des Brésiliens noirs et métis. La compagnie pétrolière publique Petrobras, les géants du BTP et la banque publique BNDES sont, depuis l’indépendance, des acteurs majeurs de l’économie angolaise. Ainsi, le groupe Odebrecht a participé dans les années 1980 à la construction du barrage de Kapanda, qui alimente notamment Luanda en électricité. Mais sous Lula, l’intérêt du Brésil pour l’Afrique s’est accru : le président s’y est rendu 28 fois au cours de ses deux mandats. Un premier sommet Afrique-Brésil a eu lieu en 2006 à Abuja, au Nigeria, et un autre à Brasília, consacré à la sécurité alimentaire, en 2010. Le Brésil a aussi multiplié les nouvelles ambassades sur le continent, où il figure 30 MILLIONS D’HABITANTS EXTRAITS DE LA MISÈRE désormais en cinquième position des nations les plus La quatrième tentative s’avère payante : en octobre 2002, représentées. Le géant sud-américain importe du Lula l’emporte enfin, et est investi le 1er janvier 2003. Le PT doit pétrole et des phosphates, et exporte son sucre, sans doute sa victoire à un recentrage de son programme, qui sa viande, son soja… Les investissements brésiliens ne remet plus en cause les dogmes du FMI. Lors de son premier sur le continent ont, selon la Banque mondiale, triplé mandat, il bénéficie d’un cours élevé des matières premières, sous Lula (passant de 69 milliards de dollars en 2001 dopé par la demande chinoise et l’essor de ce que la mondialià 214 milliards en 2009) : en Angola, au Mozambique, sation alors triomphante surnomme les « BRICS » (Brésil, Rusmais aussi en Afrique du Sud, en République sie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Ces revenus permettent de démocratique du Congo, au Gabon, à Djibouti… financer une batterie de mesures en faveur des plus démunis : Le Ghana, avec le soutien logistique et financier du la Bolsa Família (« bourse famille »), allocation qui permet aux Brésil, exporte du carburant à base d’éthanol en Suède. revenus des plus pauvres de croître de 14 % ; des pharmacies Le géant a aussi ouvert à Accra un bureau de son populaires pour l’accès aux médicaments ; le programme Fome centre de recherche agricole (Embrapa) et une fabrique Zero (« zéro faim »), grâce auquel la malnutrition recule de d’antirétroviraux à Maputo, au Mozambique. À noter 70 % et la mortalité infantile de 47 % – ce qui vaudra à Lula que le Programa Integração com a África (« Programme Jair Bolsonaro est élu depuis d’intégration avec l’Afrique »), octobre 2018. Ici, au palais lancé par Lula afin d’inciter du Planalto, à Brasília, les entreprises brésiliennes le 19 novembre dernier. à commercer sur le continent, a permis de limiter la contraction des échanges consécutive à la crise financière de 2008. À partir de 2014, l’attribution de nombreux marchés en Angola au groupe Odebrecht a donné lieu à des enquêtes pour corruption. Mais en juillet dernier, Lula a été acquitté dans le volet africain de cette affaire. ■ C.G.

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Lula et l’Afrique

citoyens décident en partie des investissements municipaux. Une innovation reprise depuis par des milliers de pays du globe, du Cameroun à la Chine, en passant par la France… L’ouvrier métallurgiste porte les couleurs rouges du parti à l’élection présidentielle. Le Brésil connaît alors une inflation galopante, de l’ordre de 1 000 % ! Lula – qui a taillé sa barbe et s’est fait refaire les dents pour mieux passer à la télé – propose un coup de barre à gauche et d’en finir avec les recommandations du Fonds monétaire international (FMI). Son programme inquiète les milieux d’affaires : en 1990, il perd le scrutin face au candidat de centre droit Fernando Collor de Mello, un jeune loup libéral typique des années 1980, issu d’une puissante famille du Nordeste, soutenu par les élites et les grands médias. Pourtant, sa présidence s’avérera désastreuse : Collor doit démissionner, balayé par une affaire de corruption… Lula concourt de nouveau aux élections présidentielles de 1994 puis de 1998, sans plus de succès. En 1998, il est même éliminé dès le premier tour, battu par le président en place et ex-ministre des Finances Fernando Cardoso, populaire pour avoir terrassé l’inflation.


les félicitations du Programme alimentaire mondial (PAM) et de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Il s’attaque également à l’indignité des conditions de vie dans les favelas : réfection des routes, assainissement des eaux, relogement… Concernant l’Amazonie, il recherche l’équilibre entre préservation de l’environnement et développement économique : érection du barrage controversé de Belo Monte, mais dans le même temps, inauguration de 114 zones naturelles protégées. Sous sa présidence, la déforestation recule… En 2006, il est réélu avec plus de 60 % des voix et rempile pour un deuxième mandat. La Constitution brésilienne lui interdisant de postuler à plus de deux mandats consécutifs, Lula passe le relais en 2010 à sa dauphine, Dilma Rousseff, fille d’un immigré communiste bulgare, qui est élue présidente. Il quitte le palais présidentiel avec une cote de popularité astronomique (87 % !) qui laisse augurer d’un retour au pouvoir. Et en effet, dès la réélection de Rousseff en 2014, il affirme sa volonté de se représenter. Sous les deux mandats de Lula, 30 millions de Brésiliens sont sortis de la misère. Mais l’ancien ouvrier n’a guère marqué de points contre le fléau de la criminalité : de 50 000 à 60 000 homicides ont lieu chaque année au Brésil, l’un des pays en paix les plus dangereux du monde avec l’Afrique du Sud. Lula a bien cherché à restreindre la possession d’armes à feu, mais son peuple a, en 2005, rejeté cette proposition par référendum. Autre combat perdu : la lutte contre la corruption. En 2014 éclate l’énorme scandale Petrobras : la compagnie pétrolière publique et les géants du BTP sont accusés de s’être vu attribuer des marchés publics, en échange de pots-de-vin versés notamment à la coalition de gauche au pouvoir. Or, la présidente Dilma Rousseff fut, entre 2003 et 2005, ministre de l’Énergie et donc présidente du conseil d’administration de Petrobras : il paraît inconcevable qu’elle n’eut été au courant de ces malversations. En août 2016, elle est destituée par le Parlement au terme d’une procédure controversée, qualifiée de « coup d’État » par Lula. L’exaspération des Brésiliens face à la délinquance – qu’elle soit en short ou en col blanc – va ouvrir un boulevard à Bolsonaro. Un député jusque-là surtout connu pour son langage ordurier, élu sous la promesse de rétablir l’ordre. LIBÉRÉ MAIS NÉANMOINS CONDAMNÉ

Aujourd’hui, Bolsonaro est en mauvaise posture : vilipendé dans le monde entier pour sa désinvolture face aux incendies en Amazonie, mis en cause par un média brésilien dans l’assassinat d’une élue noire [voir encadré pages précédentes], effrayé par le risque de contagion des mouvements sociaux en Amérique latine, l’actuel président voit son pire ennemi redevenu libre… Le chef d’État a juré de remettre Lula en prison, menaçant d’user d’une obscure « loi de sécurité nationale », un vestige de la dictature. Les députés de son Parti social-libéral (PSL) voudraient voter un amendement constitutionnel permettant d’incarcérer un prévenu avant l’épuisement de tous ses recours en justice. Mais

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Son retour serait une bonne nouvelle pour les Afro-Brésiliens, les Amérindiens et la forêt amazonienne, piétinés par «Capitaine Tronçonneuse ». leur faiblesse numérique rend son adoption improbable. Libéré, Lula reste néanmoins condamné, et ne pourra pas se représenter en 2022 sans être au préalable blanchi. Ses avocats pourraient présenter un recours devant la Cour suprême. Ou obtenir l’annulation de la première sentence, prononcée en juillet 2017 par le juge Sérgio Moro, dont l’intégrité est sérieusement entachée par sa nomination comme ministre de la Justice de Bolsonaro, et par les enregistrements publiés par The Intercept. Malgré cela, Lula a été incarcéré en avril 2018 et aura passé plus de 500 jours dans une cellule du siège de la police fédérale de Curitiba (État du Paraná, sud du Brésil). Déterminé, il a refusé le régime de semi-liberté auquel il aurait pu prétendre, estimant que l’accepter constituerait un aveu de culpabilité : « Les bracelets à la cheville, c’est bon pour les pigeons voyageurs ! Je sais que je suis innocent », soutenait-il en septembre dernier dans une interview au Monde. Il confiait s’occuper en faisant du sport, s’imposant « 9 kilomètres de marche chaque jour », et en lisant des livres à propos de révolutionnaires brésiliens, se targuant d’être « un peu leur version moderne ». Veuf depuis février 2017 de son épouse Marisa Letícia, il s’affiche avec une compagne de vingt ans sa cadette, Rosangela, qu’il décrit, tel un ado, comme sa « nouvelle amoureuse ». Et il ne mâche pas ces mots envers son pire ennemi : « Bolsonaro ne fait rien. Il détruit. Il se soumet totalement à Trump », a-t-il résumé. Un retour aux commandes du pays de Lula serait notamment une bonne nouvelle pour les Afro-Brésiliens, les Amérindiens et la forêt amazonienne, piétinés par « Capitaine Tronçonneuse » (l’un des surnoms de Bolsonaro). Bravache, Lula est sûr d’écraser ce dernier dans les urnes : « J’aurais gagné les élections [de 2018, ndlr] même depuis la prison. » En effet, les sondages lui attribuaient vingt points d’avance… Gonflé à bloc, l’inoxydable leader a amorcé mi-novembre une tournée de meetings de reconquête : « Rien ne peut me vaincre ! » Comme disait Friedrich Nietzsche, ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. ■

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CASABLANCA VERSION La gare ferroviaire de Casa-Port et sa halle de voyageurs, un quartier en totale mutation.

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La « ville blanche », capitale économique du Maroc, a entamé sa mue dans les années 2000. Un véritable chantier permanent pour ses 4 millions d’habitants. Objectif : s’adapter, moderniser, rénover. Être à la hauteur de l’ambition. Une course contre la montre pour une cité qui grandit d’un hectare par jour…

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par Julie Chaudier

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es feux ne fonctionnent plus ! » maugrée Salim, conducteur de petit taxi, avant de se lancer à l’assaut du flux incessant de voitures qui aurait dû lui céder le passage. La capitale économique du royaume (et ses plus de 4 millions d’habitants) rassemble, à elle seule, 38 % du parc automobile marocain, avec plus de 1,5 million de véhicules. Comme Salim, des centaines de Casablancais s’arrachent donc les cheveux chaque jour pour contourner les nombreux chantiers qui ne cessent de s’ouvrir un peu partout dans la métropole. Le portail en ligne Yabiladi.com s’en est même fait l’écho à travers un article intitulé avec humour « Les 10 plaies de Casablanca : Casadéménagement, la ville en éternel chantier ». De jour en jour, la morphologie de cette dernière change. Cette transformation, entamée dans les années 2000, s’est accélérée ces dernières années sous l’impulsion du roi. « Les travaux indiquent que la ville bouge, et c’est un bon signe », martèle Driss Moulay Rchid, DG de la société de développement local Casa Aménagement. Avec seulement une quarantaine de collaborateurs, il gère la majorité des grands projets d’aménagement urbain décidés entre 2013 et 2015, dans le cadre du nouveau plan de développement du grand Casablanca, adopté à la suite d’une 82

colère du roi mettant en cause la mauvaise gouvernance de la ville, lors d’une visite à l’automne 2013. Parmi ces projets, plusieurs nouveaux espaces de loisirs doivent améliorer le cadre de vie de cette cité bouillonnante, que la classe aisée quitte néanmoins volontiers le week-end pour aller se détendre ailleurs. Le front de mer à l’est de la mosquée Hassan II est en train d’être aménagé en une marina, tandis que le boulevard de la Corniche, juste à l’ouest, connaît une rénovation sans précédent. Une zone de promenade très appréciée par les familles a d’ailleurs remplacé une friche assez mal famée. Dans son prolongement encore plus à l’ouest, la plage d’Aïn Diab, la plus grande et la plus populaire de cette cité qui a longtemps tourné le dos à son littoral, achève sa transformation. La large promenade qui longe la mer a été en partie végétalisée, une piste cyclable dessinée, et des aménagements accueillent désormais des restaurants. D’immenses escaliers permettent d’accéder à la plage en contrebas remplaçant d’anciennes descentes que la vétusté rendait dangereuses. Cette rénovation est d’autant plus appréciée des Casablancais que cette plage est directement accessible depuis décembre 2012, grâce à la première ligne de tramway, depuis Sidi Moumen, l’un des quartiers les plus pauvres et les plus excentrés. Une petite révolution pour une jeunesse à qui la mer, faute de transports publics, est longtemps restée quasiment inaccessible.

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Les trois lignes de tramways ont un réel succès.


Ci-dessus, la nouvelle zone de promenade sur la Corniche est très appréciée par les familles.

Une petite révolution pour une jeunesse à qui la mer, faute de transports publics, est longtemps restée inaccessible. AFRIQUE MAGAZINE

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DE MULTIPLES CHANTIERS

Au cœur de la grande place administrative historique de la ville, la construction du Grand Théâtre (1,4 milliard de dirhams) est en train de s’achever, après plus de deux ans de retard. « C’est la première fois que l’on réalise un bâtiment aussi technique au Maroc, il a fallu trouver les matériaux, résoudre les difficultés une à une, faire avec un architecte extrêmement pointilleux », se défend Driss Moulay Rchid. Le célèbre architecte français Christian de Portzamparc, né à Casablanca, a ainsi été sélectionné pour dessiner ce théâtre exceptionnel, voulu par Mohammed VI. L’entreprise qui va former les personnels marocains à la gestion du théâtre est également française : le groupe Fimalac Entrertainment, exploitant plusieurs dizaines de salles de spectacle en France, vient ainsi d’envoyer une équipe sur place. L’administration et la direction artistique du théâtre sont néanmoins toujours en suspens. Driss Moulay Rchid, directeur général de la société de développement Casa Aménagement.

Si, comme le Grand Théâtre, beaucoup de chantiers ont pris du retard, tous, cependant, progressent en continu. Ce succès est le fruit non seulement du coup de gueule royal en 2013 et de l’attention constante des walis (préfets) chargés du suivi et de l’engagement du nouveau conseil de la ville élu en 2015, mais également de l’efficacité de Casa Aménagement, créée en 2008. « Nous menons une professionnalisation de l’exécution des projets qui est considérée comme plus efficace que la gestion publique classique, laquelle a montré ses limites », précise Driss Moulay Rchid. « Une équipe flexible se compose au cas par cas en fonction des connaissances et des expertises exigées. Elle crée des occasions de rencontre entre les différents acteurs, qui doivent s’entendre et prendre des décisions pour faire avancer le projet, alors que la gestion publique classique est entravée par les procédures, la hiérarchie, qui exige que tout soit toujours validé par le niveau supérieur, segmente les responsabilités… », explique Sanae Aljem, auteure d’une thèse en 2016 sur la gouvernance des grands projets de Casablanca. L’efficacité de ce nouvel outil est tel que Casa Aménagement semble en passe de devenir une sorte de « super exécutant », auquel ont de plus en plus recours tous les acteurs publics, quel que soit leur projet pour la ville blanche : le ministère de la Culture lui a par exemple confié la construction d’un théâtre, et la Gendarmerie royale celle de son siège régional. UN MANQUE DE COHÉRENCE

« Aujourd’hui, nous sommes en train d’atteindre les objectifs qui nous ont été fixés pour 2015-2020. Casablanca a ainsi pu prendre pas mal de places dans les classements internationaux », se réjouit Driss Moulay Rchid. Au fond, l’objectif est donc celui-là : améliorer

l’image de la mégapole, son standing international, et avoir une capitale économique à la hauteur des ambitions générales du royaume. « La gestion par projet permet en principe d’être réactif, d’écouter la dynamique du territoire, mais est-ce que l’on sait où l’on va ? » s’interroge Sanae Aljem, jugeant que l’ensemble manque de cohérence. Ainsi, la Caisse de dépôt et de gestion du Maroc, le bras financier de l’État et autre grand acteur des projets de modernisation de la ville, s’est-il vu confier, d’abord, le projet de la marina, conçu comme un « petit Manhattan », puis le projet royal de Casablanca Finance City (CFC), nouveau centre d’affaires. Les deux projets se sont « cannibalisés », selon la chercheuse : la marina a vu toutes les grandes entreprises qu’elle convoitait s’installer à CFC et a ainsi dû revoir ses ambitions à la baisse. « Ces projets se juxtaposent les uns aux autres et créent des ruptures, restent sans connexion avec le quartier dans lequel ils s’insèrent », regrette-t-elle. L’exemple de la marina, qui vient créer un nouveau quartier ex nihilo sans aucun lien avec la médina – située juste de l’autre côté du boulevard, dont elle vient définitivement boucher la vue sur la mer –, en est certainement l’exemple le plus frappant. À ce phénomène s’en ajoute un autre : « La logique du projet est celle de l’opportunité. Il n’en apparaît que là où le territoire présente déjà un potentiel paysager, de situation, patrimonial, financier… car seuls ces espaces sont susceptibles d’attirer des investisseurs extérieurs, rappelle Sanae Aljem. Les besoins des territoires secondaires, pauvres, a priori sans potentiel relèvent, eux, de l’argent public, uniquement dans les limites qu’on lui connaît. » La modernisation de la cité ne produit donc pas une réponse cohérente à ses besoins dans son ensemble. Ces derniers sont pourtant colossaux. En moyenne, selon l’Agence urbaine de Casablanca, la mégapole grandit chaque jour d’un hectare. « Sa périphérie est le lieu de tous les enjeux. On assiste ainsi à un nouveau phénomène de densification

CASA AMÉNAGEMENT

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CAVAN IMAGES/PLAINPICTURE

L’objectif, améliorer l’image de la ville et son standing international.

Entre 2004 et 2014, la population du grand Casablanca a augmenté de 16,7 %, contre 1,5 % durant les dix années précédentes. AFRIQUE MAGAZINE

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des douars ruraux », souligne Olivier Toutain, consultant et spécialiste de l’habitat insalubre au Maroc. Entre 2004 et 2014, la population du grand Casablanca a augmenté de 16,7 %, contre 1,5 % durant les dix années précédentes. D’IMPORTANTS BESOINS

Des quartiers entiers sont ainsi sortis de terre sans promoteur, ni autorisation, ni titre foncier. Quand ce sont des constructions en dur, il faut les raccorder à l’électricité et – plus difficile et plus coûteux – à l’eau et à l’assainissement. Et quand il s’agit de bidonvilles, il faut alors reloger les habitants dans d’autres endroits. Les investissements nécessaires et la croissance de la ville sont tels qu’en 2014, 23,2 % des habitations ne disposaient toujours pas de l’eau potable courante. « Les programmes

de raccordement sont très utiles localement pour les populations, mais l’action sociale s’arrête là. Il n’y a aucun accompagnement général de la population d’un quartier pour son intégration urbaine complète », souligne Aziz Iraki, directeur de recherche à l’Institut national d’aménagement et d’urbanisme. L’indigence des transports publics est l’un des principaux vecteurs de cette exclusion urbaine. Hormis le succès réel des trois lignes de tramways, 240 bus seulement circulent actuellement à Casablanca, au lieu des 1 300 prévus par le contrat de gestion déléguée de ce service conclu entre M’dina Bus et la ville, à cause du conflit qui les oppose depuis des années. Alors que l’échéance de ce contrat approchait, la cité, avec l’aide du wali, a finalement mis sous séquestre la société, le 4 octobre, pour s’assurer qu’elle cède,

L’aéroport Mohammed V repris en main ?

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e nouveau terminal 1 du premier aéroport du pays, et principal hub entre l’Afrique de l’Ouest et l’Europe, a enfin été inauguré en janvier dernier. Entre retard et suspension, les travaux, entamés en 2009, auront donc mis dix ans à s’achever. La capacité de l’aéroport international Mohammed V est passée de 7 à 14 millions de passagers par an, mais cet aboutissement a rapidement été terni par la grève des bagagistes employés par GPI, sous-traitant de RAM Handling, cet été. Le blocage a tellement duré qu’à l’automne, mission a été donnée à Khalid Zerouali, wali responsable des frontières du royaume, de reprendre en main l’aéroport. Une zone de contrôle des passeports dédiée aux passagers marocains, la suppression de la fiche d’information et un système automatisé de reconnaissance et de contrôle des cartes d’embarquement ont d’ores et déjà été mis en place pour fluidifier le trafic voyageurs. Mais aucune suppression de points de contrôle, notamment le passage au scanner de tous les bagages entrant dans l’aéroport, ne semble d’actualité, en dépit des nombreux ralentissements, contraignants pour les visiteurs. Pour les passagers en correspondance, public essentiel de l’aéroport, une zone de transit a également été ouverte. « La mise en exploitation de ce nouvel espace a été précédée par l’établissement de procédures de coordination complémentaires entre les transporteurs et les services concernés par le traitement des passagers en situation irrégulière, ainsi que la mise à disposition d’un espace d’accueil convenable et décent », explique Abdelhak Mazour, directeur de l’aéroport. ■ J.C.

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sans heurts, locaux, bus et service à son remplaçant, Alsa, pour une période transitoire. Cette passation dans l’urgence est pleine de promesse : 400 bus d’occasion pourraient ainsi rejoindre la maigre flotte casablancaise dans les prochains mois, en attendant les 700 neufs qui devraient arriver dans un an. Une amélioration notable, mais encore très largement inférieure aux besoins. DES DÉFIS À DÉPASSER

Le transport par bus n’est pas le seul service public à s’être gangrené au fil des années. La commune de Médiouna, immédiatement au sud de la capitale économique, accueille la plus grande décharge du pays, véritable catastrophe écologique. Arrivée à saturation, elle aurait dû être fermée il y a des années et être remplacée par une autre, mieux contrôlée, mais le conseil de la ville de Casablanca n’est jamais parvenu à fournir à la société chargée de sa gestion, Ecomed, le terrain de 94 hectares, comme convenu dans son contrat en 2008. Un blocage entraînant, là encore, un long conflit jusqu’en décembre 2018. Un accord à l’amiable a alors permis à la cité de changer de délégataire et d’investir un nouveau terrain de 35 hectares dans une commune proche. Si le dossier progresse visiblement, il pourrait néanmoins traîner car le conseil municipal de Casablanca fait face à l’opposition des élus de la commune qui doit recevoir cette nouvelle décharge et doit encore déterminer le mode de traitement des déchets. Les défis auxquels est confrontée la mégapole marocaine dépassent donc largement les réponses qu’apportent les grands projets qui la métamorphosent, mais aussi, bien souvent, les capacités du conseil de la ville. Avec l’élection au suffrage universel direct de son conseil, depuis 2015, la région pourrait dès lors devenir le lieu idoine pour la gestion de problématiques qui transcendent les frontières de Casablanca avec son extension constante. Mais l’État lui en donnera-t-il les moyens ? ■

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interview

ZAINAB FASIKI

Avec Hshouma (« la honte »), cette bédéiste marocaine est la bad girl qui dérange et qui combat les tabous entourant le corps féminin. Rencontre avec une artiste bien décidée à poursuivre son dessein.

propos recueillis par Fouzia Marouf 88

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« J’AI VOULU ME DESSINER COMME UNE RESISTANTE »


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vec son carré, Zainab Fasiki pourrait sortir tout droit d’un comics, alors qu’elle vit dans un New York du sud tentaculaire, qui la fascine autant qu’il l’irrite : Casablanca. Symbole d’audace et de courage, elle interprète sans complaisance le quotidien, la vie intime, les bleus à l’âme et au corps de ses concitoyennes marocaines à coups de dessins sulfureux. Née à Fès, la bédéiste met le cap sur la ville blanche en 2014, où elle croque la condition féminine d’une société conservatrice. Rien ne la prédestinait à devenir la première dessinatrice féministe du royaume chérifien, si ce n’est son goût immodéré pour les arts. À 25 ans, elle dénonce la sexualité bridée et le sexisme ambiant, et vient de publier au Maroc et en France Hshouma, une bande dessinée qui combat les tabous liés au corps féminin. En décembre, son travail autour de cette BD sera exposé à la mairie du 4e arrondissement de Paris. Sensible aux libertés individuelles, elle est l’une des signataires de la tribune « Hors-la-loi », s’insurgeant contre l’article 490 du Code pénal marocain, punissant d’emprisonnement les relations sexuelles hors mariage. En somme, elle est une femme libre et rebelle. AM : Comment êtes-vous venue au dessin ? Zainab Fasiki : Je dessine depuis ma prime enfance, j’ai com-

mencé à l’âge de 6 ans. C’était déjà un vrai plaisir, j’adorais ça. Puis, j’ai eu ma première tablette graphique à 16 ans. Je suis autodidacte, et je n’ai jamais suivi aucune technique de dessin. Je me suis tournée vers la bande dessinée d’inspiration féministe à 19 ans. C’était probablement un exutoire, car j’étais confrontée au harcèlement dans l’espace public depuis mon adolescence. Cela a redoublé durant mes études supérieures : je suis diplômée en ingénierie mécanique, et c’était vraiment l’enfer, dès que je devais aller en cours ou me rendre à un stage, je me faisais harceler. J’ai grandi à Fès, au sein d’une famille conservatrice. J’étais la benjamine, la seule fille entourée de cinq frères. Je voyais bien qu’ils avaient plus de liberté que moi, à qui l’on répétait sans cesse : « Ne sors pas ! » Votre premier dessin à caractère féministe dénonçait clairement le sexisme ambiant et les tabous liés au corps féminin au Maroc : une femme géante nue, dominant les Twin Center, à Casablanca, seins dressés, cheveux au vent. Un dessin à l’effet choc qui vous a révélée au grand public… Quel en a été le déclencheur ?

En 2014, peu de temps après mon installation à Casablanca, j’ai fait une dépression. J’avais un besoin immédiat d’exprimer

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« Pourquoi une femme serait-elle stupide ou pas sérieuse parce qu’elle porte un maillot deux pièces sur la plage ou une jupe dans la rue ?» le poids de ce harcèlement. Et je me suis fait agresser dans la rue. C’en était trop, j’ai voulu me dessiner toute nue comme une résistante et afficher pleinement ma liberté en tant que femme et mon droit à la féminité ! J’ai publié ce premier dessin sur mes comptes Facebook et Instagram. J’ai évidemment eu droit à toutes les réactions possibles, j’ai même perdu certains amis. J’aspire à vivre tel que je le veux. Pourquoi une femme serait-elle stupide ou pas sérieuse parce qu’elle porte un maillot deux pièces sur la plage ou une jupe dans la rue ? Je souhaitais tordre le cou aux préjugés habituels, même si j’ai conscience que cette perception réductrice est encore ancrée dans l’inconscient collectif des Marocains. Vos dessins très évocateurs suscitent de vives critiques de la part de conservateurs zélés, qui se déversent régulièrement dans le flot ininterrompu des réseaux sociaux. Comment vivez-vous ce cyberharcèlement ?

Recevoir des critiques, des attaques de la part des Marocains, je considère cela normal. Aujourd’hui, je vis comme je l’entends. Je ne dessine pas pour satisfaire le public, mais pour provoquer les conservateurs réfractaires à la liberté, la diversité. Notre société occulte totalement le corps des femmes. En tant que fille, j’ai eu droit à l’éducation, mais pas de pouvoir porter une jupe sans être harcelée. Si une femme est nue, elle est forcément de mœurs légères. Je défends la nudité artistique, c’est mon droit de dessiner du nu, de l’exposer dans une galerie ou de le publier sur mes comptes de réseaux sociaux. Mais j’avoue que ce sont les femmes qui sont les plus violentes envers moi. Il y a heureusement des femmes libres, qui comprennent mon art et mon intention. Ceci étant, je me considère comme féministe intersectionnelle. Je ne suis ni contre les femmes voilées, ni

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« Les Marocains sont dans l’attente d’un personnage courageux, transgressif. J’ai eu des confessions de tous bords. » contre les prostituées, et je n’aime pas l’extrémisme : je veux simplement qu’une femme voilée me respecte. Chacune est libre de ses choix. Vous avez collaboré avec Skefkef, un ‹ satirique et décalé, dans lequel vous avez signé « L’Essentiel de l’éducation sexuelle », une série de vignettes qui dédramatisent l’éducation sexuelle…

C’est important à mes yeux, car la frustration doublée du manque cruel d’éducation sexuelle mènent immanquablement à des situations dramatiques, regrettables. Faute d’éclairage, la jeunesse se tourne peu à peu vers l’intégrisme, l’islamisme, et on arrive au glissement progressif d’une frange de la société, l’été dernier, qui critique sans complexes des touristes belges simplement parce qu’elles portent un short ! D’un point de vue personnel, cela me heurte et me déprime profondément. Je n’ai même pas eu envie de dessiner à ce sujet, tant il m’a désolé. Mais je sais que mon combat est permanent. Vous œuvrez à promouvoir le savoir des femmes, notamment dans la bande dessinée Fairouz Versus The World, l’histoire d’une jeune fille issue d’une famille conservatrice qui rêve d’être globe-trotteuse, ce qui est votre propre vécu…

Ma famille vit à présent très bien l’engouement que je suscite, mes frères lisent mes bandes dessinées, et on en parle de façon apaisée. Les dédicaces de Hshouma sont des moments vraiment incroyables, j’ai vécu des échanges exceptionnels ces dernières semaines avec des femmes de plusieurs générations, issues de divers milieux sociaux et catégories professionnelles, ainsi qu’avec des étudiants, des hommes… Le monde afflue, que ce soit à Rabat, à Casablanca ou à Tanger. Les Marocains sont dans l’attente d’un personnage courageux, transgressif. Les débats fusent, j’ai eu des confessions de tous bords. Certains m’ont avoué qu’ils avaient créé un compte Instagram ou Facebook sous pseudonyme pour pouvoir partager et liker mon travail. Il y a même une jeune personne homosexuelle qui m’a confié : « Je ne suis ni homme ni femme, je suis une minorité négligée », car c’est la première fois qu’un ouvrage aborde l’identité de genre au Maroc, et ça démontre finalement qu’y être accepté tel que l’on est reste une liberté à conquérir. C’est aussi le cas dans le monde arabe, où les libertés individuelles ne sont pas enviables. Seriez-vous plutôt Fatima Mernissi ou Abdellah Taïa ?

Abdellah Taïa. Ce qu’il vit et écrit au sein de notre société, à titre intime, émotionnel, est loin d’être facile. Déja que ce n’est pas évident de se rebeller contre le carcan patriarcal en tant Oui, il a été difficile d’imposer mon art à que femme, mais en tant qu’homosexuel, c’est ma famille à mes débuts. Je devais m’évertuer l’enfer. J’ai des amis qui vivent cela, et il y a de à leur expliquer que si je montais dans un avion quoi se suicider. Ce sont autant de raisons pour pour me rendre à l’étranger, ce n’était pas pour lesquelles je salue le courage d’Abdellah. J’ai avoir des relations sexuelles avec un homme, Hshouma : Corps et sexualité au Maroc, Massot Éditions. d’ailleurs illustré le texte qu’il a publié dans le mais pour échanger avec d’autres dessinatrices magazine Dyptik, en janvier 2019, et j’en suis très heureuse. et dessinateurs. Ils m’ont dit qu’ils avaient mis beaucoup d’espoir en moi afin que je pratique mon métier d’ingénieure, et qu’au Qu’est-ce qui a été le plus compliqué à mettre lieu de cela, j’étais devenue la honte de la famille en dessinant. en œuvre dans votre ouvrage ? Une fois, nous avons eu une vive discussion, mais j’ai crié plus Le premier obstacle était en fait la langue, car certains mots fort, et je suis finalement parvenue à faire entendre ma voix et qui existent en français n’existent pas en darija. C’est pour cela ma voie [sourire]. que Hshouma a été publié en français et en anglais, et pas en darija. Dès lors, il est difficile de briser un tabou en l’absence Votre dernière BD, Hschouma (« honte » en darija, de mots. Par exemple, le terme « clitoris », qui est un organe de le dialecte marocain), est parue au Maroc et en France plaisir féminin, n’a pas d’équivalent en darija. le 15 septembre dernier. Elle aborde des sujets sensibles,

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Parlez-nous des héroïnes qui traversent ce récit…

J’ai choisi de dessiner plusieurs profils de femmes dans leur quotidien et au cours d’étapes décisives qui jalonnent leur vie. La façon dont elles doivent se battre pour vivre et réussir. J’y

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comme l’homosexualité, les rapports sexuels hors mariage ou encore les violences faites aux femmes, et a été plusieurs fois en rupture de stock dans le royaume. Comment votre famille réagit-elle face à votre vif succès ?


Ci-contre, son premier dessin de nu. Ci-dessous, l’illustration qui l’a révélée au grand public. À gauche, l’artiste rend hommage aux artisanes qui tissent des tapis persans, et ci-dessous à toutes les femmes, quelles que soient leurs convictions.

parle, par exemple, de la menace permanente de la perte de la virginité, et donc de l’interdiction aux fillettes de faire du vélo… Le personnage récurrent est celui que l’on appelle « chouafa » (« voyante »), associé à la magie noire, à la prostituée, mais aussi à l’idée de pouvoir. J’en ai rencontré à Marrakech, elles vivent dans une grande précarité et sont prêtes à tout pour tenter de joindre les deux bouts et nourrir leurs familles. Elles vendent même de la drogue. J’avais envie de les valoriser parce qu’elles sont souvent stigmatisées, alors qu’elles représentent un nombre important de Marocaines. Et incarnent un symbole de puissance féminine.

DESSINS DE ZAINAB FASIKI

Vous avez rencontré une autre femme forte, la caricaturiste Ann Telnaes, à Washington, en septembre dernier. Farouchement opposée à la politique de George W. Bush, elle confiait en 2007 : « Si mon mari n’était pas là, je serai sur le trottoir… », le président ayant en effet intimé l’ordre aux agences de presse de ne plus lui passer de commandes.

J’ai été amenée à la rencontrer lors d’une passionnante formation sur le dessin, qui s’est déroulée à Washington, et au cours de laquelle j’ai rencontré mes homologues du monde arabe. Ann Telneas est une femme qui m’a fortement marquée par sa ténacité, ses prises de position et son talent. Nous avons longuement discuté au sein de la rédaction du journal The Washington Post, et j’ai constaté qu’aux États-Unis aussi, la liberté de la presse peut être fragile. Les dessinatrices peuvent également être l’objet d’intimidation. À ma grande surprise, on n’y

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est pas si libre qu’on peut l’imaginer. Et en tant que femme, j’ai été harcelée dans les rues de New York, tout comme dans celles de Paris. Vous préparez actuellement une exposition en hommage aux femmes, qui débutera le 12 mars 2020, à la galerie Venise Cadre de Casablanca…

C’est une première, je n’ai encore jamais exposé mes dessins féministes dans une galerie d’art. J’y montrerai des Marocaines incarnant la société actuelle avec diversité, de tous âges et milieux sociaux, toujours dans un souci de véracité, avec un trait d’humour. Et cela, à travers une palette variée de nus, thème principal de cette exposition exclusivement dédiée aux femmes, qu’elles soient voilées ou non, mariées ou non, qui font l’amour hors mariage ou pas. Je m’en réjouis, car ce choix est audacieux pour les commissaires d’exposition, Anne-Laurence Sowan et Mehdi Hadj Khalifa, qui permettent une incroyable liberté à ce projet novateur. Je veux une explosion de corps de femmes, car celui des hommes est libre par définition au Maroc, et plus largement dans le monde arabe. ■ Facebook : facebook.com/zainab.fasiki.art Instagram : @zainab_fasiki

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rencontre

propos recueillis eillis par Astrid Krivian ivian

AMANDA ROUGIER

Enfant kabyle Denis, de Saint-Denis, raphe le chorégraphe français le plus populaire epuis mai éblouit depuis iseau Paradis, avec L’Oiseau une revuee de cabaret moderne,, festive lle, et sensuelle, ar menée par l’ex-Miss France rs et Univers enaere. Iris Mittenaere. Dialogue avec oué un surdoué ement. du mouvement.

« JE DOIS TOUT


OUALI

À LA DANSE »


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uand il nous reçoit dans son appartement parisien, on retrouve la personnalité sympathique qui a tant séduit le public dans le télécrochet Star Academy, diffusé sur TF1, de 2001 à 2008. Le succès de ce show, dans lequel il était le professeur de danse des candidats, le popularisa et propulsa sa jeune carrière. Né de parents kabyles en 1971 à Saint-Denis, en banlieue parisienne, il a 10 ans lorsqu’il choisit sa vocation. Et à peine 16 ans quand il devient professionnel. Épris de danse hip-hop, style dont il s’inspire encore aujourd’hui et qu’il amène sur des scènes grand public, Kamel Ouali diversifie sa palette, en dansant notamment pour Maurice Béjart dans Le Boléro de Ravel. Ce jeune prodige orchestre des clips (Khaled, Mariah Carey…), des défilés de mode (Ralph Lauren, Tom Ford…), s’expatrie un temps aux États-Unis. Après avoir chorégraphié son premier spectacle, French Cancan, aux Folies Bergères, puis Les Dix commandements, dirigé par Elie Chouraqui en 2000, il signe ensuite la mise en scène de superproductions à succès (Autant en emporte le vent, Dracula, Le Roi Soleil…). En 2009, il assure la direction artistique de la cérémonie d’ouverture du Festival panafricain d’Alger, réunissant des artistes de toute l’Afrique dans de somptueux tableaux racontant sa diversité. Depuis mai dernier, il met en scène la revue L’Oiseau Paradis dans le plus ancien cabaret parisien, le Paradis Latin. Avec sa troupe cosmopolite et sa meneuse Iris Mittenaere (Miss France et Miss Univers 2016), mêlant différents styles de danse, il revisite le french cancan… Un spectacle dédié aux femmes, sensuel, festif et résolument moderne, où se glissent références subtiles à l’actualité, moments de comédie et surprises féeriques. AM : Quelles ont été vos inspirations pour Oiseau Paradis ? Kamel Ouali : Monter un spectacle, c’est une partie de soi. Que

je chorégraphie une revue ou un opéra, j’ai besoin d’exprimer ce que je ressens de la société actuelle. J’ai donc amené des sujets qui me touchaient – une démarche inhabituelle dans un cabaret – en présentant, par exemple, un tableau sur l’écologie, avec l’idée que même si les humains doivent préserver la planète, c’est la nature qui se sauvera elle-même. Ou ce tableau érotique, dans lequel les danseuses déploient leur sensualité, beaucoup de femmes autour de moi n’osant plus être désirables à cause du climat actuel. J’ai croisé ces éléments avec des moments très divertissants, pour que ce soit un grand moment de fête. Vous vouliez mettre les femmes à l’honneur ?

Oui, le spectacle est dédié aux femmes. Édifié à la demande de Napoléon, le Paradis Latin fut ensuite détruit dans un 96

« C’est important d’avoir des artistes originaires du même endroit que moi. La culture hip-hop m’inspire toujours autant. » incendie, puis reconstruit par Gustave Eiffel pour l’exposition universelle de 1889. Qu’il soit aimé ou détesté – et ce, pour des raisons valables –, Napoléon fait partie de l’histoire de ce lieu, la revue devait donc l’évoquer. J’ai voulu qu’une femme incarne ce personnage de pouvoir. Nous sommes quand même le pays de la déclaration universelle des droits de l’homme, mais encore aujourd’hui, au XXIe siècle, certains essaient de revenir en arrière. Comme toucher aux droits acquis des femmes, à l’avortement, etc. C’est d’une grande violence. Vous avez puisé dans les coutumes festives de Louis XIV…

Avant de commencer la création, j’ai fait le tour des cabarets parisiens. Ce qui m’a frappé, c’était le dîner classique avant le spectacle, il ne s’y passait rien, c’était frustrant ! J’ai conçu la soirée comme une expérience étonnante, du début à la fin, en saisissant les spectateurs dès l’ouverture des portes. Louis XIV, à qui j’ai consacré la comédie musicale Le Roi Soleil, éblouissait toujours ses convives lors de ses somptueuses fêtes, avec des animaux exotiques, etc. J’ai retranscrit cela : les danseurs, transformés en animaux fantastiques, accueillent les gens, il y a un pré-show animé par des chanteuses et des musiciens très sensuels et modernes. Le pari n’était pas gagné, car le public aurait peut-être souhaité dîner au calme. Mais il adore ! Votre troupe est à l’image de la société, dites-vous, constituée d’artistes de toutes les couleurs de peau, formés à des styles artistiques différents…

Je voulais retrouver sur scène la réalité de la rue. Une troupe cosmopolite avec des femmes noires, blanches, arabes, asiatiques, des blondes, des grandes, des petites… Toutes les femmes ! Là encore, je me différencie des autres cabarets, où les filles sont blanches à 97 % et font la taille mannequin… Ma signature est de mélanger différentes esthétiques de danse. Je suis le premier en France à avoir intégré des danseurs hiphop dans des spectacles. C’est important d’avoir des artistes originaires du même endroit que moi. Cette culture m’inspire toujours autant. J’aime cette rencontre artistique entre des gens

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issus d’univers très divers. C’est très riche. On va m’opposer que créer une cohérence d’ensemble, une homogénéité est compliqué. Mais non, l’harmonie est dans l’altérité, justement. Est-ce différent de faire danser un corps dénudé ?

Oui, car il faut mettre en valeur ce corps. Tout est étudié, la lumière, etc. C’est une autre approche, un challenge de réussir à transmettre une énergie, une émotion, avec cette contrainte du corps dénudé. Car j’avais envie que tous les artistes, hommes et femmes, se sentent beaux et bien. J’aime autant travailler avec les danseuses qu’avec les danseurs. Je leur demande toujours beaucoup de présence, je ne veux pas d’un rendu figé de papier glacé. Très souvent, les spectacles de revue sont jolis, mais on a l’impression de regarder un magazine. Je veux que les artistes s’approprient le spectacle. Lors des castings, je m’intéresse toujours à la personnalité. En général, lorsqu’un artiste entre dans la salle d’audition, je sais déjà si je vais le choisir, avant même de le voir danser. Quelles sont vos exigences ?

J’ai la chance d’avoir beaucoup de monde qui se présente à mes castings, et de travailler avec les meilleurs danseurs. Mais ça ne suffit pas. Parfois, je vais préférer un danseur avec un peu moins de maîtrise, mais un charisme d’enfer. C’est vraiment une question de rencontre. Une audition est un moment fragile, durant lequel beaucoup d’artistes perdent leurs moyens, c’est comme un entretien d’embauche. Il faut savoir déceler cette faille et donner une chance malgré tout, sentir une marge de progression possible. Mais on peut se tromper ! C’est sûr que j’ai dû passer à côté de personnes extraordinaires. Dans l’absolu, on va plutôt pencher sur quelqu’un qui coche toutes les cases.

ALIX MALKA

Cette revue est aussi un hommage à Paris et au french cancan, danse emblématique du XIXe siècle…

En travaillant pour le plus ancien cabaret parisien, je me devais d’imaginer une revue sur la capitale. Je me suis approprié le french cancan, l’ai morcelé et emmené ailleurs, vers la techno… Toutefois, la tradition est importante, donc pour la mise en place du cancan classique, une danse compliquée, je me suis fait aider d’une spécialiste, Mary-Laure

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Le spectacle se joue au Paradis Latin, à Paris. Mené par Iris Mittenaere, il revisite le french cancan et mêle différents styles de danse.

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RENCONTRE

Philippon. C’est aussi un hommage à cette folle époque des cabarets au XIXe siècle, immortalisée par Toulouse-Lautrec. Je suis fou amoureux de Paris. Je vis en plein centre, j’ai besoin d’être dans la ville. Je fais partie de ceux qui aiment partir en vacances mais sont heureux de rentrer ! Pour aimer Paris, il ne faut pas la subir : le métro-boulot-dodo n’est pas très excitant. Moi, j’aime marcher, quitte à partir plus tôt pour mes rendez-vous, je me déplace beaucoup à vélo aussi. Passionné d’architecture, je m’émerveille chaque jour de ce qui m’entoure, c’est extraordinaire ! Je profite aussi de son offre culturelle, je visite plein d’expositions. J’ai la chance de pouvoir me permettre de dîner à l’extérieur très souvent. Après trente ans de métier, comment nourrir l’inspiration ?

Pour mon père, c’était hors de question. J’avais 10 ans, et il voulait que je fasse du karaté ou du judo comme mes frères. Mais ma mère m’a payé mes cours chaque année. C’était le premier complot familial, on disait à mon père que je faisais de la gym. Pendant des années, il n’a pas su. Jusqu’à mon premier passage à la télévision, à 16 ans. Je lui ai dit de l’allumer le soir ; il ne comprenait pas. Quand je suis rentré, il m’a dit : « La prochaine fois, préviens-moi, que je dise à mes amis de regarder aussi. » Tout était rentré dans l’ordre !

« Il faut rester en alerte, ne pas s’endormir sur ses lauriers. »

Je ne me suis pas enfermé dans la danse ni dans mon microcosme. Je suis vraiment dans la vie. Rester ouvert aux autres, s’intéresser à d’autres disciplines artistiques, être interpellé par les sujets de la société actuelle, regarder les passants quand je suis installé à un bistrot… Ce sont autant de sources d’inspiration. Je suis entouré de gens très jeunes, connectés à l’air du temps. Il faut rester en alerte, ne pas s’endormir sur ses lauriers. La danse est-elle un moyen de se reconnecter à notre corps ?

Oui. C’est un moyen d’expression totale. Un danseur est beaucoup plus tactile qu’une personne lambda. On peut me mentir par la parole, mais quelqu’un qui me serre la main ou m’accole, je vais sentir son énergie et voir si des affinités existent, si c’est une jolie rencontre ou pas. Le corps est très important pour moi. « Je danse donc je suis », disait le chorégraphe Maurice Béjart, pour lequel vous avez dansé. Partagez-vous cette idée ?

Complètement ! Car la danse a vraiment été une échappatoire, et elle demeure essentielle à ma vie. Je lui dois tout ! Je me suis toujours levé avec l’envie de travailler, de prendre un cours. Ce ne sont que des moments de bonheur ! En danse, on ne peut pas tricher, c’est une libération de soi. Né à Saint-Denis au sein d’une fratrie de 12 enfants où il fallait faire sa place, j’ai trouvé mon moment à moi, un moyen de me retrouver, qui n’appartenait à personne d’autre. Aujourd’hui, je préfère faire danser les autres sur scène. Mais je continue à pratiquer, en privé. Quand je danse, je me sens libre, c’est presque comme une séance de psy. Ce qui est dehors n’est plus dedans. On lâche tout. On ressent les émotions, et on les extrait de notre corps. Quel est votre rapport avec la musique ?

J’en écoute tous les jours ! Mais je suis attentif à d’autres sons, comme le bruit de la rue, la nature… Tout est musique. J’ai eu la chance de dormir dans le désert en Algérie. Le silence, la beauté de la lumière… C’était l’instant le plus magique de ma vie ! 98

Dès votre premier cours de danse, vous décidez d’y consacrer votre vie. Vos parents vous ont-ils encouragé ?

Il n’a pas assisté à votre succès de son vivant. Mais pour vous, ce n’est pas très important…

Non. J’ai commencé à travailler très jeune. Mon père a donc vu que j’étais épanoui, que je vivais du métier de mes rêves, tout en continuant mes études. C’est ça qui importe. Après, l’ascension, le succès, la notoriété… ce n’est pas une finalité en soi.

La première fois que vous prenez l’avion, c’est en business pour chorégraphier le clip d’une star américaine…

Mariah Carey se produisait dans une émission, sur la chaîne M6, dans laquelle je chorégraphiais le passage d’un artiste, juste avant le sien. Elle a adoré mon travail et a demandé à me rencontrer. Son manager m’emmène dans sa loge. Étonnée par mon jeune âge, elle me dit : « J’aimerais qu’on travaille ensemble un jour. » J’étais tellement excité ! Mais plus de nouvelles par la suite… Un an après, je reçois un coup de fil : son manager me propose de travailler pour un clip, aux États-Unis ! C’était un moment super, une belle expérience. Tout droit sorti de la MJC à La Courneuve, je débarque sur un plateau avec une quarantaine de caméras, tout un staff autour d’elle… J’étais très jeune, je ne me rendais pas du tout compte de la pression en jeu. J’aimais tellement la danse, le partage, que c’étaient des cadeaux de la vie ! Pourquoi êtes-vous revenu en France après votre installation à Los Angeles ?

Pour travailler aux États-Unis en tant que danseur, il faut intégrer une agence. J’avais postulé pour la plus importante, qui gère les plus grandes stars, les projets les plus prestigieux. L’audition pour y entrer est un événement : entre 500 et 1 000 artistes se présentent, et seuls cinq à dix sont retenus. Je la passe, et je fais partie des cinq sélectionnés ! J’étais hyper content, c’était extraordinaire ! Mais lors de la fête organisée par mes colocataires pour l’occasion, j’ai eu un moment d’évidence : je n’avais pas envie de m’y installer. Ma vie, c’est la France, Paris, ma famille, mes amis. Je n’ai pas de rêve américain. Finalement, j’y suis allé pour être formé. Même si je n’étais pas sûr d’avoir un plan B, j’ai toujours fait des choix en accord avec moi-même, pour être heureux là où je suis. Parfois, je me suis trompé, mais à force de tomber, on apprend à se relever.

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piques, c’est une liesse populaire, un moment de fraternité. Ce serait l’aventure de ma vie ! J’ai vraiment le sentiment d’avoir une double culture, même si mes parents ont tout fait pour que l’on « s’intègre ». S’intéVous avez créé des superproductions, des comédies grer, c’est facile quand on est né en France. Moi, je me sens musicales avec des budgets de plusieurs millions d’euros. français, mais eux ont dû fournir beaucoup d’efforts. Hélas, je Comment réussir à gérer la pression et garder sa liberté ne parle ni arabe ni kabyle, mes parents ayant toujours voulu artistique dans ce contexte ? parler français avec nous. Ils parlaient kabyle avec leurs preLa pression ne se situe pas sur cet aspect financier, et les miers enfants, mais je suis l’avant-dernier de la fratrie, donc producteurs ne m’ont jamais imposé de contraintes concernant entre-temps, ils avaient appris le français. Mes origines sont ce sujet. L’exigence est d’être au rendez-vous, non pas de plaire très importantes pour moi. D’ailleurs, c’est en Algérie que j’ai à tout prix mais d’être cohérent dans les propositions. Avec mes réalisé le plus beau projet de ma carrière : j’ai chorégraphié la cérémonie d’ouverture du Festival panafricain d’Alger en 2009, qui célébrait les indépendances africaines. J’ai eu le bonheur de mettre en scène Isabelle Adjani, Césaria Evora, et plus de 600 artistes, c’était magnifique, vraiment inoubliable ! J’étais très fier de le faire en Algérie, ça faisait sens avec mon histoire, celle de mes parents. J’aime ce pays, je m’y sens bien, en confiance, comme dans tout le continent. J’aime le côté solaire des Africains. Je m’intéresse à son histoire, je suis les actualités le plus possible. Être en Afrique est toujours une expérience incroyable et une chance. Sa carrière a décollé grâce Quel est votre lien avec l’Algérie, le pays de vos parents ?

Comment aviez-vous imaginé ce spectacle panafricain ?

à l’émission Star Academy, de 2001 à 2008, dans laquelle il chorégraphiait les prime time et enseignait sa discipline aux candidats.

J’avais auditionné des danseurs, des artistes de partout, de la Côte d’Ivoire au Mali, en passant par le Maroc et la Tunisie. J’ai découvert des richesses artistiques infinies, des gumboots d’Afrique du Sud aux Gnawas d’Algérie… Un échange très fort. Nous avons créé des tableaux d’une grande diversité, avec des Pygmées, des Gnawas, des Peuls… J’ai aussi engagé de nombreux plasticiens d’art contemporain, qu’ils soient émergents ou confirmés. En Algérie, j’ai été séduit par la force de leurs œuvres. Hélas, il est très compliqué pour eux d’exposer, ce domaine se développant très peu.

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Pensez-vous que le peuple algérien parviendra à renverser le système en place et impulser le changement tant souhaité ?

Je l’espère. L’Algérie est un pays somptueux avec une jeunesse volontaire. Si on leur donnait la possibilité d’évoluer, ce serait l’un des plus beaux pays du monde. Or, même si les jeunes font des études, ils ne trouvent pas de travail, tout est si difficile pour eux. Je ne comprends pas, c’est un pays qui possède des richesses, de l’argent, pourquoi ne pas restaurer ces superbes maisons et immeubles à Alger, partout… Vous rêvez de chorégraphier l’ouverture des Jeux olympiques 2024, pour faire un clin d’œil à votre histoire.

J’aimerais tant, mais c’est sans doute compliqué à réaliser [rires] ! Je jouerais à domicile, car on a détruit la maison de mes parents pour y construire le Stade de France. Les Jeux olym-

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équipes, nous effectuons beaucoup de recherches, pour aller jusqu’au bout des choses, dans les moindres détails. Donc je dors très peu quand je travaille sur de tels projets. Et même quand ils ne sont pas aussi importants d’ailleurs ! Parmi vos nombreuses collaborations (Liza Minnelli, Céline Dion, Tom Jones, Kylie Minogue, Charles Aznavour…), l’une d’entre elles vous a-t-elle plus marqué ?

Non. Quand je travaille avec un artiste, c’est sa personnalité qui m’interpelle, plus que sa notoriété. C’est une chance, certes, mais ce n’est pas la célébrité du danseur qui ajoute de la satisfaction. Êtes-vous satisfait d’être un artiste populaire ?

Oui, car je veux parler au plus grand nombre de personnes. Toucher les gens, partager un moment de bonheur avec eux, qu’ils ressortent du spectacle avec des émotions. C’est plus simple de plaire à une salle de 100 personnes qu’à une salle de 5 000. En même temps que la Star Academy, au tout début, on m’avait proposé de monter un opéra. J’avais 26 ans. J’ai choisi cette émission et, pourtant, à l’époque, je ne savais pas qu’elle serait un tremplin formidable pour ma carrière, car c’était le premier programme du genre. Finalement, elle m’a rendu célèbre et permis de monter de super projets. Je suis fier d’être un artiste populaire. ■

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Au nom de la mère… … ET DES FEMMES DE POUVOIR

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a photographe algéro-tchèque Nadia Ferroukhi a voyagé aux quatre coins du globe. Elle s’est intéressée aux sociétés matrilinéaires, où les femmes transmettent leur nom, leur héritage et leurs terres. Plus largement, elle promène son objectif sur une multitude de cultures qui mettent le « sexe faible » au centre d’un modèle socio-économique. Un regard résolument gai, pluriel et coloré. Militant aussi. Afrique Magazine a sélectionné quelques images venues de notre continent et d’ailleurs. par Emmanuelle Pontié nadia-ferroukhi.com

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Samburu & Turkana, Tumai, Kenya, 2008. Près du mont Kenya, à 300 km au nord de Nairobi, des femmes Samburu et Turkana se sont regroupées pour fonder Tumai, un village interdit aux hommes, à l’exception des garçons jusqu’à leur passage à l’âge adulte, vers 16 ans. AFRIQUE MAGAZINE

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Touareg, Tassili n’Ajjer, Algérie, 2019. Bien que musulmane depuis toujours, Ibtyssem méprise la polygamie. Elle met à profit le statut que lui confère sa société pour imposer la monogamie. Pour elle, si l’Islam tolère jusqu’à quatre épouses, il ne contraint en revanche aucun mari à être polygame.

Touareg, Tassili n’Ajjer, Algérie, 2019. C’est de la lignée maternelle que se transmettent les pouvoirs aristocratiques : si la femme est noble, l’enfant issu du mariage sera noble, même si le père ne l’est pas. Mais si c’est l’inverse, l’enfant sera vassal à jamais. 102

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Touareg, Tassili n’Ajjer, Algérie, 2019. Les femmes touarègues sont respectées pour leur engagement dans tous les mouvements protestataires et leur lutte contre la répression des forces armées. AFRIQUE MAGAZINE

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Comorienne, Moroni, Comores, 2017. Ici, les terres dites « mania houli » ne se transmettent que de façon matrilinéaire. Seules les filles peuvent en hériter et en garantir la transmission.

Touareg, Tassili n’Ajjer, Algérie, 2019. Les Touarègues bénéficient d’une totale liberté. Choix du mari et liberté de mœurs. Elles héritent, gèrent la tente et l’attirail nomade, et enseignent aux enfants les légendes ainsi que le tifinagh, l’alphabet hiéroglyphique. 104

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Zapotèque, Juchitán, Mexique, 2011. À Juchitán, « ville aux fleurs » en zapotèque, malgré ses 100 000 habitants, les femmes jouissent d’un pouvoir et d’une indépendance rares dans une société patriarcale comme celle du Mexique.

Bijago, Île de Canhabaque, Guinée-Bissau, 2011. Deux jeunes filles Defunto, qui doivent franchir les étapes de l’initiation féminine. Lors de la cérémonie, elles prennent en charge l’âme d’une personne décédée avant d’avoir été initiées. Une fois possédées par les esprits, elles dorment quelques jours dans une case sacrée, la baloba, le lieu où vivent ces derniers. AFRIQUE MAGAZINE

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BUSINESS Après le franc CFA,

vive l’eco?

En juillet 2020, les 15 pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) devraient faire monnaie commune. Mais il reste de nombreux obstacles avant de pouvoir concrétiser cette révolution. À commencer par la réforme et la mutation de l’actuel franc CFA. par Jean-Michel Meyer

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e 1er juillet 2020, les dés seront jetés. À partir de cette date, les 15 pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) feront monnaie commune. Contesté, le franc CFA aura disparu en théorie, comme sept autres monnaies nationales non convertibles entre elles, au profit d’une seule et même devise, commune à ces 15 pays (Bénin, Burkina Faso, Cap-Vert, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Liberia, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone et Togo). Politique-fiction ? Au contraire. À Abuja, au Nigeria, le 29 juin 2019, les chefs d’État et de gouvernement de la Cedeao ont adopté le projet de création en une année d’une monnaie unique, baptisée « eco ». Elle « offrirait 106

aux pays d’Afrique de l’Ouest la à 15, nous allons mettre en place possibilité de mutualiser leurs moyens une nouvelle monnaie. À terme, monétaires [...]. Ces pays connaissent le franc CFA s’appellera l’eco. On espère de graves problèmes monétaires que ça pourra se faire le plus tôt d’origine externe, qu’aucun n’est en possible », précisait le président ivoirien mesure de résoudre tout seul », assure Alassane Ouattara, le 9 juillet dernier. la Banque africaine de développement Le 11, son homologue ghanéen Nana (BAD) dans un rapport de 2016, intitulé Akufo-Addo confirmait : « Il est essentiel « Pourquoi et quand instaurer une que nous ayons cette monnaie unique monnaie unique dans la Cedeao ». afin de mieux organiser les échanges Pourtant, la gestation de l’eco a été économiques et commerciaux dans longue. Depuis 1983, les chefs d’État une zone qui rassemble 350 millions ouest-africains se sont d’habitants. » Une gageure accordés pour instaurer Mais un nom ne fait technique, une monnaie unique. pas à lui seul une monnaie Mais son lancement a sonnante et trébuchante, juridique, été repoussé en 2003, économique crédible et active sur 2005, 2009, puis 2015 ! les marchés. Et décréter et politique L’année 2020 échappera-tla naissance d’une devise qui quasiment elle à la malédiction ? « Nous doit être opérationnelle en avons décidé qu’ensemble, douze mois est une gageure impossible. AFRIQUE MAGAZINE

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L’Éthiopie à la recherche d’un modèle mixte

Interview Erick Yong, PDG de GreenTec Capital Partners

Aérien Quitte ou double pour Kenya Airways

Tech Un smartphone made in Africa

technique, juridique, économique et politique quasi impossible, tant les embûches sont nombreuses. La BAD estime ainsi qu’il faudrait trois ans pour bâtir l’eco. Ceux qui imaginent déjà commercer avec des billets neufs dès le 1er juillet prochain vont être déçus. « En 2020, nous serons dans la dynamique de la création de cette monnaie, mais il ne faut pas se leurrer, elle ne sera pas palpable, avec des billets d’eco que tout le monde pourra utiliser. Ce qui est important aujourd’hui, c’est d’avoir la volonté politique d’y parvenir et si nous levons les questions techniques, le taux de change par exemple, nous pourrons aller vers la création de la monnaie », tempère le ministre des Affaires étrangères du Togo, Robert Dussey. Car l’eco est encore une équation à plusieurs inconnues. À Abuja, les chefs d’État et de gouvernement ont esquissé les grandes lignes qui encadrent la future monnaie. Pour l’instaurer le plus rapidement possible, ils ont opté pour une « approche graduelle privilégiant un démarrage avec les pays qui respectent les critères de convergence, tandis que les autres pourront s’y joindre ultérieurement ». Une option plus prudente que l’offensive souhaitée par la BAD. Dans son rapport de 2016, celle-ci conseille que « pour écarter les risques d’un nouveau report susceptible d’affecter la crédibilité de ce projet important, les autorités doivent privilégier l’option du big-bang en 2020, à savoir que tous les pays membres de la Cedeao adoptent la monnaie unique à partir de 2020 ».

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BUSINESS Scénarios possibles pour l’introduction de la monnaie unique de la Cedeao en 2020 PAYS QUALIFIÉS

RÉSULTAT

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Pays de l’UEMOA

Statu quo actuel. Possibilité d’un nouveau report de la monnaie unique de la Cedeao.

02

Pays de l’UEMOA + Nigeria + Ghana + quelques pays de la ZMAO*

Lancement possible de la monnaie unique de la Cedeao.

03

Pays de l’UEMOA + pays de la ZMAO sans le Nigeria ni le Ghana

Possibilité d’un nouveau report de la monnaie unique. Un délai supplémentaire pourrait être accordé au Nigeria et au Ghana afin de ne pas les exclure.

04

Pays de l’UEMOA + pays de la ZMAO

Lancement possible de la monnaie unique de la Cedeao.

*Zone monétaire ouest-africaine.

La BAD invite ceux qui ne respectent pas les critères de convergence (réserves de change couvrant plus de trois mois d’importations ; déficit budgétaire sous les 3 % du PIB ; inflation inférieure à 10 %) à s’y conformer au plus vite. Les dirigeants politiques ont pris la banque à contre-pied par pragmatisme. En 2018, ils ont relevé « une dégradation de la convergence macroéconomique », aucun pays de la zone n’étant parvenu à satisfaire tous les critères. Pour accélérer le mouvement, les pays avaient jusqu’au 31 octobre 2018 pour transmettre à la commission de la Cedeao leurs programmes pluriannuels de convergence pour la période 2020-2024. La convergence n’est pas un mince écueil. Les retards dans ce domaine ont freiné la création d’une monnaie unique, notamment en raison du profil monétaire singulier de l’Afrique de l’Ouest, avec cet espace couvert par huit monnaies. Or, les huit pays de la zone franc dans l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et leurs voisins au sein de la Cedeao réagissent très différemment aux chocs 108

(Source : BAD)

Le poids du Nigeria dans la Cedeao 52 % de la population

48 %

68 %

de la population

du PIB

32 % du PIB

Nigeria

Bénin Burkina Faso Cap-Vert Côte d’Ivoire Gambie Ghana Guinée Guinée-Bissau Liberia Mali Niger Sénégal Sierra Leone Togo

14 pays

Nigeria Cedeao (15 pays, 367 millions d’habitants)

conjoncturels. Sans être entendus, des économistes ont suggéré de lancer de profondes réformes économiques avant d’instaurer une monnaie unique. Avec le même pragmatisme, les chefs d’État et de gouvernement ont adopté « un régime de change flexible assorti d’un cadre de politique monétaire axé sur le ciblage de l’inflation et le système fédéral pour AFRIQUE MAGAZINE

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(Source : Cheickna Bounajim Cissé, d’après les données 2017 de la Banque mondiale)

la Banque centrale communautaire », rapporte le communiqué du sommet d’Abuja. Car la stabilité des prix est une mission première pour une banque centrale, mais là aussi des écarts patents seront à gérer. « Dans la zone UEMOA, la stabilité monétaire est une réalité, contrairement aux autres pays de la Cedeao (Nigeria, Ghana…), qui connaissent des inflations de plus

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LUC GNAGO/REUTERS

SCÉNARIOS DE CONVERGENCE

Au sommet des chefs d’État de l’UEMOA à Abidjan, en juillet 2019 : le président ivoirien Alassane Ouattara, le président de la commission Abdallah Boureima (de g. à dr.) et le président de la BAD Akinwumi Adesina (debout).


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de 10 % », écrit Cheikh Ahmed Bamba Diagne, directeur scientifique du Laboratoire de recherche économique et monétaire (LAREM), de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Imposer une monnaie unique demandera également à des pays de surpasser leurs craintes à l’égard du géant nigérian. Avec plus de 190 millions d’habitants, le poids lourd démographique de la Cedeao écrase aussi économiquement ses voisins, son PIB de 404 milliards d’euros représentant près de 70 % de celui de la zone. « Il y a de fortes chances que la satisfaction des besoins du Nigeria devienne la préoccupation majeure de la politique monétaire au sein de la zone eco », redoute Cheikh Ahmed Bamba Diagne. Alors, pourquoi partager une même monnaie ? La méfiance à l’égard du colosse ouest-africain repose aussi sur les réticences d’Abuja à la création de l’eco, redoutant le poids de la France derrière le franc CFA. Celle-ci est en effet représentée au conseil d’administration et au comité de politique monétaire de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), en tant que pays garantissant la convertibilité du franc CFA arrimé à l’euro. En contrepartie, les huit pays ouest-africains utilisant cette monnaie commune déposent 50 % de leurs réserves, soit plus de 4 milliards d’euros, à la Banque de France sur des comptes rémunérés (0,75 %) ouverts à leur nom dans les livres du Trésor. Pour adhérer à l’eco, Abuja a demandé à ses voisins francophones de couper le cordon avec le Trésor français. La France et les pays de l’UEMOA élaborent une réforme du franc CFA pour fin 2019. Les premières mesures devraient voir le jour lors du prochain sommet Afrique-France, à Bordeaux, en juin 2020. Un premier pas vers l’eco. ■

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LES CHIFFRES

125 %

C’est l’augmentation du capital de la Banque africaine de développement (BAD), qui prévoit de passer de 93 à 208 milliards de dollars sur dix ans. Le siège de la BAD, à Abidjan.

1,2

milliard C’est le nombre de barils de pétrole d’un gisement découvert en eau profonde au Ghana.

108,7 MILLIARDS DE DOLLARS

C’ÉTAIT LA DETTE EXTÉRIEURE DE L’ÉGYPTE FIN JUIN 2019, SELON LA BANQUE CENTRALE ÉGYPTIENNE (CBE).

20

millions

Soit le nombre d’emplois par an que l’Afrique subsaharienne devra créer à l’horizon 2030.

Le ministre nigérian des Travaux publics et du Logement, Babatunde Fashola, propose de créer un emprunt obligataire national de 10 000 milliards de dollars pour combler le déficit en infrastructures du pays.

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BUSINESS En octobre 2016, inauguration de la première ligne électrifiée moderne d’Afrique reliant Addis-Abeba au port de Djibouti, financée et construite par la Chine.

L’Éthiopie à la recherche d’un modèle mixte

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onseiller spécial du Premier ministre Abiy Ahmed, Arkebe Oqubay l’a confirmé en octobre dernier au média en ligne Ethiopian365 : les entreprises étatiques vont ouvrir leur capital au privé, « à hauteur de 49 %, dans le cadre de joint-ventures. Nous avons besoin d’argent neuf », a-t-il justifié. Ce sera notamment le cas de deux fleurons : la prestigieuse Ethiopian Airlines, véritable fierté nationale, et Ethio Telecom, qui compte 66 millions de clients. L’Éthiopie était jusque-là caractérisée par son économie dirigiste. Ancien empire, seul pays d’Afrique à n’avoir jamais été colonisé (excepté la parenthèse de l’occupation fasciste italienne entre 1936 et 1941), siège de l’Union africaine (UA) et berceau du panafricanisme, elle a toujours 110

pour leurs traditions spectaculaires. poursuivi une trajectoire à part en Pendant des siècles, les Amharas Afrique. Depuis une dizaine d’années, orthodoxes des plateaux ont dominé le pays, avec l’aide de la Chine, parie l’État, puisque les négus (les rois) sur l’industrialisation. L’objectif : faire de l’étaient. Tout comme Mengistu Haïlé sa population (108 millions d’habitants) Mariam et la junte marxiste-léniniste non pas un handicap, mais une force. du gouvernement militaire provisoire Et avec cette main-d’œuvre pléthorique, de l’Éthiopie socialiste (Derg), qui attirer les délocalisations. Le résultat : ont mis à bas la monarchie en 1974 une croissance à la chinoise, de 7 et exécuté l’ex-empereur Haïlé Sélassié à 10 % par an. En dix ans, le PIB par l’année suivante. Changement de habitant a été multiplié par deux ! Reste paradigme en 1991 avec l’arrivée que les indicateurs macroéconomiques du Front démocratique dissimulaient mal L’objectif révolutionnaire du peuple la mainmise d’une élite du pays : éthiopien (FDRPE), qui sur le pays. L’Éthiopie, ce renverse le « négus rouge ». sont environ 32 % d’Oromos, faire de sa Cette coalition de quatre 30 % d’Amharas, 7 % population mouvements de guérillas d’Afars, 5 % de Tigréens une main(amhara, oromo, tigréen et, au sud, des dizaines d’œuvre et « sudiste ») est dominée de peuples, dont ceux de la vallée de l’Omo, célèbres pléthorique. par une composante : AFRIQUE MAGAZINE

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SUN RUIBO/XINHUA-RÉA

Le géant de la Corne a fait le choix de l’industrialisation à la chinoise. Le Premier ministre Abiy Ahmed entend ouvrir en partie le capital des entreprises publiques, dans le cadre de joint-ventures. par Cédric Gouverneur


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le Front de libération du peuple du Tigré (FLPT). Derrière la façade de la Constitution fédérale de 1995 (le pays est divisé en neuf régions autonomes), le régime fonctionne selon les préceptes du « centralisme démocratique » à la soviétique : le Parti décide. L’Éthiopie est devenu un rouage majeur de la « nouvelle route de la soie » : les Chinois ont rénové la ligne de chemin de fer menant d’AddisAbeba à Djibouti – entrée en service en mai 2017 –, l’unique débouché maritime du géant de la Corne, enclavé depuis la sécession du frère ennemi érythréen, en 1993. Ils ont aussi construit (en seulement neuf mois !) le parc d’usines textile d’Hawassa, d’une capacité de 60 000 travailleurs. « La population croît de 5 % par an, donc nous devons créer 1 million d’emplois chaque année », expliquait en 2017 à la BBC Arkebe Oqubay, architecte de cette révolution industrielle, en assumant la fidélité au modèle asiatique : « Nous avons vu la Chine partir de tout bas pour devenir une puissance industrielle. » Ce grand bond en avant s’est fait, à l’instar de l’Empire, à coups d’expulsions et d’accaparements de terres. Ces dernières années, les rancœurs se sont accumulées. La digue a fini par céder il y a quatre ans, lorsque le gouvernement a lancé, sans concertation, le « Master Plan » : l’extension de la capitale aux dépens de la région Oromia, suscitant l’exaspération des Oromos. Ces troubles ont accéléré l’arrivée au pouvoir en 2018 du Premier ministre réformateur Abiy Ahmed, consacré prix Nobel de la paix en octobre dernier [voir AM n° 398]. Du côté des investisseurs étrangers et des multinationales, on n’attendait qu’un libéral pour ouvrir l’économie du deuxième pays le plus peuplé du continent… ■

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LES MOTS « Le secteur privé doit pouvoir être le fer de lance de la création d’emplois. » TONY ELUMELU, PRÉSIDENT DE LA U UNITED BANK FOR O AFRICA.

« Tant que l’Afrique ne cconstituera pas une plate-forme commune pour un continent économique intégré, certains pays ne survivront pas. » BENEDICT ORAMAH, PRÉSIDENT D’AFREXIMBANK.

« Nous assistons à un rééquilibrage spectaculaire des relations entre les économies avancées du monde et le continent africain. » CYRIL RAMAPHOSA, PRÉSIDENT DE L’AFRIQUE DU SUD.

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« La faiblesse de la croissance dans les pays d’Afrique est clairement corrélée à la faiblesse de la gouvernance. » ALBERT ZEUFACK, ÉCONOMISTE EN CHEF DE LA BANQUE MONDIALE POUR LA RÉGION AFRIQUE.

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BUSINESS

Erick Yong PDG DE GREENTEC CAPITAL PARTNERS

« Il est nécessaire de concevoir de nouveaux modèles » Cet entrepreneur franco-camerounais a cofondé GreenTec Capital Partners, en 2015, à Francfort. Sa spécialité ? Aider les start-up en leur apportant les compétences de seniors. Et ça marche : GreenTec signe des partenariats tous azimuts, avec la Délégation générale à l’entrepreneuriat rapide (DER) au Sénégal, l’Agence française de développement (AFD) ou encore l’agence de coopération allemande pour le développement, GIZ. propos recueillis par Cédric Gouverneur 112

AM : Quel est votre parcours ? Erick Yong : J’ai grandi au Cameroun,

en Allemagne, en Suisse, au Kenya, au Gabon et en Éthiopie. En 1975, mon père a été le premier représentant consulaire du Cameroun à Bonn (alors capitale d’Allemagne de l’Ouest). J’ai vécu mon adolescence en Éthiopie, siège de l’Union africaine, et passé mon bac au lycée français Guébré Mariam d’Addis-Abeba. J’ai été imprégné par le panafricanisme et les organisations internationales. Cela m’a permis de bâtir un réseau de gens qui, depuis, ont évolué dans de grands groupes. Ensuite, j’ai fait mes études en école de commerce, entre Metz et Strasbourg. Pourquoi avez-vous fondé GreenTec ?

Les structures rechignent à placer leur argent dans des petites entreprises en Afrique. Il faut donc concevoir de nouveaux modèles, qui répondent aux attentes des entrepreneurs, tout en intégrant la rigueur requise par les investisseurs. Nous avons fait ce constat avec mon associé Thomas Festerling, qui occupait alors un poste de direction à la Deutsche Bank : pour proposer une véritable alternative aux entrepreneurs africains, il ne fallait pas respecter les segmentations existantes, à savoir incubateur, accélérateur, hub d’un côté et fonds de l’autre. Les premières structures constituent un bon outil pour permettre aux jeunes de se lancer. Mais ce soutien s’arrête au moment AFRIQUE MAGAZINE

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où le cycle de développement est le plus fragile ! C’est un cocon, la start-up n’a pas conscience de ce qui l’attend. Vous parlez de « vallée de la mort », en référence à la conquête de l’Ouest, et la mort dans le désert de nombreux pionniers en route vers la Californie.

Cette expression assez connue dans le milieu décrit la période où l’entrepreneur se voit confronté aux réalités économiques, une fois sorti de l’accélérateur, dernier support existant avant une hypothétique prise de participation. Il lui faut donc trouver un business model, avant que ses maigres ressources disponibles ne disparaissent. 90 % des sociétés nouvellement créées disparaissent durant cette période ! Et une grande partie de celles qui ne disparaissent pas stagne sans se développer ni créer d’emplois. C’est seulement lorsque l’entreprise a trouvé le modèle qui lui convient que la croissance peut redémarrer. Entre les deux, c’est donc la vallée de la mort. À la sortie des accélérateurs, il n’existait rien pour franchir ce gué ! Agences de coopération et fonds d’investissement sont structurés pour aider les grosses PME. Sur le continent, les TPE (80 % des entreprises) ne peuvent donc pas se financer, bien qu’elles contribuent à 60 % des créations d’emplois. De plus en plus de fonds sont intéressés par l’Afrique, mais beaucoup hésitent à cause du risque. Avant d’investir, ils vont

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MARTIN FISCHER

demander aux organisations de neem pour les transformer en internationales de subventionner une engrais et pesticides bio. Mais les assistance technique pour les besoins les financements classiques proposés par plus importants. Avec notre programme les banques engendraient des frais trop de company building, nous intégrons élevés : Bio Phyto ne pouvait ni fournir dans la start-up une force opérationnelle la demande locale (impossibilité de qui agit comme une assistance stocker la matière première technique. Le risque pris par d’une année sur l’autre), l’investisseur s’avère donc ni se développer. Nous réduit, et la crédibilité de la avons mis en place avec le Les fonds start-up est accrue, puisque fondateur un modèle de GreenTec structure l’activité développement pour créer rechignent et participe à la création des emplois, destinés à placer de valeur en tant qu’associé. notamment aux femmes, leur argent au sein de coopératives Comment procédez-vous ? regroupant les producteurs Nous recrutons des venture dans de de neem. Ainsi que pour builders, d’ex-patrons disposant petites permettre à la société de de compétences dont la entreprises disposer, à toute époque start-up a besoin, mais qu’elle en Afrique. de l’année, de matières n’aurait pas pu se payer. Et premières transformables en engrais nous les salarions à plein temps. Si leur et pesticides bio. Afin de financer l’achat prestation a permis à la société des graines, nous avons trouvé un d’atteindre les objectifs prédéfinis, investisseur allemand, Alexander GreenTec reçoit en retour une Hesse. Et nous négocions avec KFW participation minoritaire. Interviennent DEG Invest, un investisseur aussi des experts locaux, qui opèrent sur institutionnel allemand, pour le terrain et reçoivent une partie des l’obtention d’une subvention. Nous participations. Dans nos équipes, vous allons en outre présenter l’entreprise à trouverez un ex-directeur financier du un géant africain de l’agroalimentaire. groupe Bolloré en Afrique, un ex-directeur de Bank of America ou de Est-ce compliqué de débaucher GSMA… Ils veulent donner un nouveau ces seniors ? sens à leur carrière. Nous avons baptisé Moins oins qu qu’on on ne le pense. ce protocole « Transformative Company Ils aiment ment l’Afrique, ont bien Building » : avec eux, la start-up va gagné leur vie et se disent : devenir plus opérationnelle, compétitive, « Que vais-je laisser derrière et davantage attrayante aux yeux des moi ? » Ils interviennent dans investisseurs, car nous aurons réduit son le cadre re d’un process : nous risque financier. croisons ns deux perspectives techniques, Par exemple ? ques, et permettons aux acteurs Au Bénin, Bio Phyto faisait face teurs africains d’investir à un problème : leur matière première, stir sur leur sol, de partager les graines de neem (margousier), était er leurs compétences et de participer récoltée deux fois par an, mais le produit articiper à la création de valeur fini n’était utilisé par les agriculteurs eur au travers des participations. qu’à une seule période de l’année. rticipations. La rémunération Elle avait besoin d’un apport en capital munération s’effectuant afin de sécuriser son accès aux graines tuant

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sur les résultats de l’entreprise, GreenTec a potentiellement la capacité de développer une force d’investissement sans précédent sur le continent. De façon schématique, une grande entreprise va recruter des consultants, tandis que nous allons recruter des consultants « opérationnels » pour les PME. Comme dans une grande société, nous allons mutualiser les ressources pour diminuer les coûts et investir dans de jeunes start-up. Quels sont les derniers événements clés pour GreenTec ?

Cet été, nous avons signé un protocole d’accord avec le Sénégal, afin d’appliquer notre approche à leur structure d’investissement, par l’intermédiaire de la Délégation générale à l’entrepreneuriat rapide (DER). Ce partenariat va permettre de soutenir des entrepreneurs au potentiel avéré. Notre bureau régional sera basé à Dakar et soutiendra nos opérations sur l’ensemble de l’Afrique francophone. Il va aussi permettre de relever le niveau opérationnel critique des sociétés pour les rendre plus attractives. Dans le même temps, la GreenTec Capital Africa Foundation a conclu un accord avec l’Agence française de développement (AFD) pour étendre l’impact de travers du venture ll’investissement investissement au traver building, développant g en dévelop partenaires le réseau des parte une enveloppe locaux grâce à un de prêts à taux zzéro, dans le cadre du prog programme Digital Africa. Lancé sous l’initiative du p président français, Emmanuel Emma Macron, en novembre 2018, nov celui-ci vise à in investir dans une cinquantaine cinquantain de start-up évoluant dans dan le secteur du digital en d moins de m deux ans. ■

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BUSINESS

Écrasé par les dettes, le géant public sud-africain de l’énergie pourrait entraîner l’économie du pays dans sa chute.

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’entreprise publique sud-africaine Eskom accumule les difficultés. Dernier avatar en date, l’agence Moody’s a dégradé, le 1er novembre 2019, la notation de la dette non garantie par l’État de la compagnie d’électricité, à court d’argent, passant de B3 à B2. Résultat ? La capacité d’emprunt du groupe, qui fournit 90 % de l’électricité du pays, s’amenuise encore. L’agence sanctionne de nouveaux délestages qui ont frappé le pays. En octobre, sa perte d’approvisionnement a dépassé le seuil critique de 9 500 MW, soulignant le délabrement d’anciennes centrales thermiques au charbon. Le groupe a déclaré « prendre acte avec déception des décisions de notation ». Minée par la corruption, des projets ruineux, des impayés colossaux, une inefficacité chronique, l’entreprise, qui n’a plus de patron depuis juillet, croule sous une dette de 420 milliards de rands

(26 milliards d’euros). Soit 15 % de la dette nationale. L’État a déjà renfloué le géant public de 26 milliards de rands (1,6 milliard d’euros) en 2019, prévoyant une aide supplémentaire de 33 milliards (2 milliards d’euros) en 2020-2021. Mais il ne parvient pas à le réformer en trois entités distinctes, ouvertes à la concurrence, pour la production, le transport et la distribution d’électricité. Les syndicats s’y opposent, comme de tailler dans l’effectif des 47 000 salariés. Dans un pays où la croissance est attendue à 0,5 % en 2019 et la dette proche de 70 % du PIB, le risque est réel que le groupe entraîne l’économie sud-africaine dans sa chute. Moody’s redoute une nouvelle détérioration des finances de l’Afrique du Sud. L’agence maintient la note d’endettement du pays à « Baa3 », mais elle l’inscrit dans une perspective « négative. » ■ J.-M.M.

L’hôtel Hilton de N’Djamena en apnée

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nauguré fin 2015, le fameux Hilton de N’Djamena a fermé ses portes le 30 novembre 2019. Décision spectaculaire et désastreuse pour l’image de marque du pays. En 2011, SGI Holding, une société d’investissement californienne, avait signé des accords de prêt de 38 millions de dollars avec un pool bancaire (Société générale Tchad, Ecobank Cameroun, Ecobank Tchad, Afriland First Bank Cameroun) pour sa construction ; la société investissant en direct 80 millions de dollars. Depuis 2013, aucun remboursement n’a été effectué. La justice a été saisie. Un jugement en faveur du pool bancaire a été rendu, provoquant l’arrêt des opérations. Depuis, un accord semble avoir été trouvé entre l’État tchadien et les investisseurs. Et l’hôtel devrait rouvrir fin décembre… À suivre donc. ■ J.-M.M.

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Tunisie : les patrons de TPE y croient ! Principal obstacle : la bureaucratie.

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ancé par la Confédération des entreprises citoyennes de Tunisie (Conect) et le cabinet de conseil HLB, en partenariat avec le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et l’Observatoire national de l’emploi et des qualifications (ONEQ), le baromètre Miqyes sonde la santé des PME (petites et moyennes entreprises) et TPE (très petites entreprises) en Tunisie. Présentée le 31 octobre 2019 et dédiée aux TPE, la dernière édition a interrogé 500 patrons. En 2018, sur les 735 043 TPE privées recensées par l’Institut national de la statistique (INS), 86,5 % étaient unipersonnelles et 11,7 % comptaient entre un et neuf salariés. Leur nombre a progressé de 5 %. Cette édition révèle également que 62,7 % des chefs d’entreprise restent optimistes malgré les obstacles à franchir. 16,9 % considèrent en effet que leur développement est freiné par la bureaucratie, les procédures et les garanties demandées par les banques. De fait, 82,1 % s’autofinancent pour se lancer et 1,1 % opte pour le crowdfunding, un mode de financement non réglementé en Tunisie. ■ J.-M.M.

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Eskom au bord du gouffre


La « fierté de l’Afrique » accumule les déficits depuis cinq ans.

Quitte ou double pour

Kenya Airways

Appelé en 2017 pour sauver la compagnie, le Polonais Sebastian Mikosz a démissionné, à la surprise générale, au moment où l’État organise la nationalisation du transporteur.

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es députés kényans ont adopté, en juillet 2019, le projet de nationalisation complète du transporteur aérien, seule solution avancée pour qu’il échappe à la faillite. Fin septembre, Sebastian Mikosz, le directeur général, précisait que le gouvernement avait « mis en place un comité de pilotage chargé de diriger le processus de nationalisation de Kenya Airways d’ici la fin de l’année ». De son côté, David Pkosing, le président de la commission des transports du Parlement, ajoutait « qu’il faudrait au moins vingt et un mois pour que l’État reprenne le contrôle total de Kenya Airways. » La « fierté de l’Afrique », – le slogan de la compagnie – accumule les déficits depuis cinq ans, jusqu’à être lestée par une dette totale de 2 milliards de dollars en 2017. Pour éviter la déroute, le Polonais Sebastian Mikosz, auréolé du redressement de la compagnie nationale de LOT Polish Airlines, avait été appelé

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entre janvier et juin 2019 (+6,6 %). comme un sauveur en juin 2017. Sa De son côté, le déficit a été maîtrisé. mission : restaurer les comptes et hisser « En seulement quatre ans, nous avons Kenya Airways au niveau d’Ethiopian réussi à ramener la perte historique Airways, un modèle pour les autorités de 247 millions de dollars en 2014 de Nairobi. Avec une stratégie de à 74 millions de dollars », se félicitait réduction des coûts et de développement en juin dernier Sebastian Mikosz. du réseau, le transporteur a réalisé Mais à la surprise générale, le Polonais un chiffre d’affaires en hausse de a annoncé sa démission 8 % en 2018, à 1,13 milliard de dollars. Car la compagnie L’exploitation « pour raisons personnelles » au 31 décembre 2019, soit a ouvert des destinations : de la ligne six mois avant le terme l’île Maurice, la Somalie, Nairobide son mandat. le Gabon, l’Italie (Rome) New York Selon la presse locale, et la Suisse (Genève). il supportait mal l’ingérence Mais c’est surtout a dopé de l’État dans la gestion de la l’exploitation de la ligne les recettes. compagnie. Le début 2020 directe Nairobi-New York, sera déterminant. Le transporteur doit depuis 2018, qui a dopé les recettes. « Au d’ores et déjà se trouver un nouveau cours de l’année, nous avons transporté directeur général. Quant à l’État, plus de 105 000 passagers et atteint un qui détient 50,1 % du capital, il devra taux de remplissage d’environ 75 % sur entamer les négociations pour racheter ce trajet », se réjouissait la compagnie les parts des actionnaires minoritaires, sur son compte Twitter, le 28 octobre comme Air France-KLM, qui en 2019. Au total, Kenya Airways a possède 7,95 %. ■ J.-M.M. transporté 2,4 millions de voyageurs

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BUSINESS Un smartphone made in Africa Mara Group lance au Rwanda la production du premier téléphone mobile 100 % continental.

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’est dans une relative discrétion que le 7 octobre dernier, à Kigali, l’homme d’affaires ougandais Ashish Thakkar, accompagné du président rwandais Paul Kagame, a officiellement lancé la production du premier site de production de smartphones en Afrique. Implantée dans la Zone économique spéciale (ZES) de Kigali, l’unité industrielle, qui représente un investissement de 22 millions d’euros, est taillée pour produire 1 200 appareils par jour. Le site emploie déjà 200 personnes, dont 60 % de femmes. « Nous sommes en fait le tout premier fabricant de smartphones en Afrique. Nous fabriquons les cartes

mères et les sous-cartes pendant tout le processus. Il y a plus de 1 000 pièces par téléphone », détaille l’homme d’affaires, qui revendique la fabrication d’un produit 100 % africain. « Des entreprises assemblent déjà des smartphones en Égypte, en Éthiopie, en Algérie et en Afrique du Sud, mais elles importent les composants de Chine », assuret-il. L’entrepreneur de 38 ans affirme s’appuyer sur une production 100 % locale afin de se démarquer de ses concurrents qui ont investi le marché bien avant lui : « Elikia, le smartphone du Congolais Vérone Mankou, celui de la marque tunisienne Evertek, le prototype de la Guinéenne Fadima Diawara, Kunfabo, ou encore le Nile X

de la société égyptienne Sico o ont bien b été conçus sur le continent ou possèdent des applications 100 % africaines, mais ils sont assemblés en Chine ou financés par Pékin. » Pour mener à bien ce projet, l’homme d’affaires, fondateur du groupe Mara, a créé une filiale, Mara Phones. Basé à Dubaï, le groupe, présent dans 25 pays africains, est actif dans les technologies télécoms, les services financiers, l’immobilier, le BTP, l’industrie et l’agriculture. L’entrepreneur ne publie pas ses comptes, mais son chiffre d’affaires est estimé par Forbes à 1 milliard de dollars, et il emploierait 11 000 personnes. « Nous avons compris

Les matières premières dépriment (toujours)

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près un fort déclin en 2019, les prix de l’énergie et des métaux devraient encore baisser en 2020 en raison d’une croissance internationale affaiblie, anticipe la Banque mondiale. Le baril de pétrole brut devrait passer de 60 dollars en moyenne en 2019 à 58 dollars en 2020. En intégrant le gaz naturel et le charbon, les prix de l’énergie devraient chuter de 15 % en 2019 par rapport à 2018 et continuer à baisser en 2020. Idem pour les cours des métaux, en recul de 5 % en 2019 et qui devraient encore décliner l’an prochain. Les matières premières agricoles devraient baisser en 2019 avant de se stabiliser en 2020. « Les économies en développement qui sont tributaires des recettes d’exportation provenant d’un petit groupe de produits de base sont vulnérables, car la poussée de la demande et la hausse des prix sont des facteurs susceptibles de stimuler l’innovation et de faciliter la substitution d’un produit de base par un autre », note la Banque mondiale. ■ J.-M.M.


il y a quelques années que, pour créer un impact social positif sur notre continent et sur les marchés émergents, nous devions disposer de smartphones abordables et de haute qualité. C’est à ce moment-là que nous avons proposé Mara Phones », a expliqué Ashish Thakkar, lors de l’inauguration du site. Deux modèles sortent des lignes de production rwandaises : le Mara X et le Mara Z. Équipés du système d’exploitation Android de Google, avec la garantie d’une mise à jour pendant deux ans, ils bénéficient également d’une batterie longue durée plus résistante et d’un large espace de stockage, selon Mara Phones. Le Mara X est commercialisé à 120 250 francs rwandais (117 euros) et le Mara Z à 175 750 francs rwandais (171 euros). Un positionnement plutôt haut de gamme pour l’Afrique et un véritable pari sur la qualité, les smartphones les moins chers de la concurrence – Samsung, Tecno ou les téléphones sans marque – se vendant entre 30 et 70 euros. « Les Africains seront prêts à payer un peu plus cher pour acheter des smartphones made in Africa », prédit le patron du groupe Mara.

VICTOR ZEBAZE

Projet d’accroissement

LES PETITS SECRETS DE…

Colette Minka

Directrice générale d’Emploi service/ Douala

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Êtes-vous e-mail, WhatsApp ou téléphone ?

Êtes-vous plutôt réunion ou one to one ?

MBA ou expérience ?

Quelle attitude pour mobiliser ses collaborateurs ?

Plutôt en voyage ou au bureau ?

La clé du succès pour une patronne ?

Je suis e-mail pour plus de traçabilité dans les échanges. À quelle heure êtes-vous au travail et que faites-vous en premier ?

Tôt le matin. En fait, c’est moi qui accueille en quelque sorte mes collaborateurs. Ensuite, j’organise ma journée en tenant compte de tous les rendez-vous pris, des réunions, des dossiers urgents à traiter. Je suis beaucoup plus réunion, le contact avec mes collaborateurs est très important pour moi. Je n’exclue pas le one to one qui, selon moi, est valorisant. Je m’appuie beaucoup plus sur l’expérience, évidemment. Les connaissances académiques forment le socle, la base. Je prêche par l’exemple, je m’implique véritablement personnellement dans leurs challenges quotidiens. Au bureau principalement, et les voyages, vraiment quand cela s’impose sur le plan professionnel. Mais, bon, il faut avouer que j’adore les voyages… Avoir une vision certaine pour le projet que l’on porte, y croire et avoir une équipe engagée, compétente. ■

Sûr de sa stratégie, Ashish Thakkar annonce la construction d’un second site de production à Durban, en Afrique du Sud. « Je crois fermement que l’heure de l’Afrique est arrivée, et Mara Phones veut y participer. Grâce à notre R & D [recherche et développement, ndlr] de haut niveau, nous apportons des solutions et allons accroître la pénétration des smartphones en Afrique avec des solutions sur mesure. Nous nous engageons à faire en sorte qu’en tant qu’Africains, nous produisions et consommions nos propres produits sans compromettre les normes mondiales », promet l’homme d’affaires. ■ J.-M.M.

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BUSINESS PME : recherche financement désespérément Au cœur de l’économie, particulièrement en matière de création d’emplois, les petites et moyennes entreprises africaines font face, chaque année, à un manque de capitaux estimé à plus de 330 milliards de dollars.

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Cédric Achille Mbeng Mezui, expert et coordinateur des marchés financiers à la BAD.

de financement de 330 milliards de dollars ! « En Afrique, le crédit est rare, cher et court », résumait, lors du sommet Ambition Africa, à Paris, le 31 octobre 2019, Djalal Khimdjee, directeur général délégué de Proparco, filiale de l’Agence française de développement (AFD) pour le financement du secteur privé. « La perception du risque et la faible efficacité du système bancaire sont les deux principaux problèmes », souligne Cédric Achille Mbeng Mezui, coordinateur des marchés financiers à la BAD.

La méfiance des banques La réputation de grande frilosité des banques locales à l’égard des PME n’est plus à faire. Les banquiers justifient cette méfiance par l’absence AFRIQUE MAGAZINE

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de faisabilité de nombreux projets. Résultat ? Une banque guinéenne par exemple, rapporte une étude de Proparco, affiche une exigence de 80 % de garantie pour ses prêts aux PME ! Sur le continent, dans ce contexte, les entreprises doivent accepter de supporter un taux d’intérêt généralement compris entre 8 % et 20 %, voire plus dans certains pays… « Il faut une coopération de tous les acteurs pour diviser le risque », préconisait Cellou Dalein Diallo, ex-Premier ministre de Guinée, lors d’Ambition Africa. « Il convient de créer un écosystème qui multiplie les interactions entre les “champions” africains, les PME, les pouvoirs publics et le système académique », complète Cédric Achille Mbeng Mezui. ■ J.-M.M.

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n acteur majeur aux poches vides. Les personnalités politiques, les financiers et les économistes s’accordent à considérer les petites et moyennes entreprises (PME) comme l’enjeu essentiel du développement de l’Afrique. Un continent assis sur une bombe à retardement qui explosera si les économies africaines ne relèvent pas le défi de la création de 450 millions d’emplois d’ici 2050. Cet objectif très ambitieux repose largement sur les épaules des PME. D’après la Banque africaine de développement (BAD), elles représentent en effet plus de 90 % des entreprises. Le continent abriterait ainsi 1,6 million de PME et plus de 43 millions de microentreprises avec moins de dix salariés. Surtout, elles créent entre 60 % et 80 % des emplois et contribuent à hauteur de 40 % du PIB. Or, selon un chiffre avancé dans plusieurs études, 80 % à 90 % des 45 millions d’entreprises du secteur formel n’ont pas accès au crédit bancaire à long terme. La dernière enquête de la Banque mondiale sur les entreprises, datant de 2018, établit de son côté que 50 % des PME et des microentreprises du secteur formel en Afrique souffrent d’un déficit de financement. Ce chiffre grimpe à 52 % en Afrique subsaharienne, où les entreprises font face chaque année, selon la Société financière internationale (IFC), à un manque


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édition de la Conférence économique africaine (AEC), organisée conjointement par la Banque africaine de développement (BAD), la Commission économique pour l’Afrique (CEA) et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) se tiendra à Charm el-Cheikh, en Égypte, du 2 au 4 décembre 2019. Son thème sera « Emplois, entrepreneuriat et développement des capacités pour les jeunes africains ». L’ambition est de créer une plateforme avec comme objectif de lutter contre le chômage et le sousemploi des jeunes. ■

aec.afdb.org/fr

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Akinwumi Adesina, président de la BAD.

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Édition 2018.

LES 23 ET 24 FÉVRIER 2020

➠ La 14

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14E CONFÉRENCE ÉCONOMIQUE AFRICAINE

par Jean-Michel Meyer

2E FORUM RÉGIONAL AFRICAIN SUR LA SCIENCE, LA TECHNOLOGIE ET L’INNOVATION

➠ Après Marrakech

internationale sur le pétrole et le gaz au Congo (CIEHC), sous le patronage du ministère des Hydrocarbures, se tiendra du 19 au 21 février 2020 au centre international de conférence à Brazzaville. CIEHC 2020 se veut une plateforme officielle permettant au gouvernement de partager sa vision de l’avenir de l’industrie nationale avec les principales parties prenantes du pays. L’édition se déroulera sur le thème : « Création d’une chaîne de valeur locale et utilisation des ressources en hydrocarbures en tant que catalyseur du développement socio-économique, de la diversification économique et de l’intégration dans la région ». ■

en 2019, le Forum régional africain sur la science, la technologie et l’innovation se tiendra les 23 et 24 février 2020 à Victoria Falls, au Zimbabwe. Il a pour mission de contribuer aux travaux du Forum régional africain pour le développement durable (ARFSD) et du Forum multipartite sur la science, la technologie et l’innovation (STI). Un appel à contribution (stratégies, technologies, innovations) est lancé pour accélérer la mise en œuvre de politiques de développement durable. Les Nations unies, qui soutiennent le STI, ont mis au point une feuille de route pour la science, la technologie et l’innovation, qui a vocation à guider la conception et l’élaboration des politiques dans ce domaine. ■

oilgascongo.com

uneca.org/fr/astif2020

PLASTEX 2020 ➠ Principal salon de l’industrie du plastique et du caoutchouc dans les régions MENA (Middle East and North Africa) et méditerranéenne, Plastex se déroule tous les deux ans et aura lieu du 9 au 12 janvier 2020 à l’Egypt International Exhibition Center du Caire. Plus de 500 fournisseurs et fabricants de machines pour le plastique et le caoutchouc, de composants, de matières premières et de produits chimiques sont attendus pour présenter leurs services à plus de 16 000 décideurs venus d’Égypte, mais aussi d’Algérie, du Maroc, de Tunisie, du Kenya, de Tanzanie, de Libye ou du Soudan. ■ plastex-online.com D U 19 A U 21 F É V R I E R 2 0 2 0

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L’AGENDA

4E CONFÉRENCE ET EXPOSITION INTERNATIONALE SUR LE PÉTROLE ET LE GAZ AU CONGO ➠ La 4 édition de la Conférence et exposition e

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MADE IN AFRICA

Attachez vos ceintures, partez en voyage, prenez votre temps

JANELLE LUGGE/SHUTTERSTOCK

Les safaris sont ici parmi les meilleurs au monde.

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399 - 40 0 – DÉCEMBRE 2019 - JANVIER 2020


AU BOTSWANA, L’AVENTURE CHOBE D É PA R T

Virée dans ce concentré de VIE SAUVAGE, à croquer sans modération.

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LA BEAUTÉ FIÈRE ET AUTHENTIQUE du Botswana, les paysages désertiques du Kalahari dans le sud, les savanes, mais surtout la flore et la faune de ses parcs naturels font de ce bijou de l’Afrique australe la destination parfaite pour les touristes aventureux : le « pays des Tswana » est l’une des patries des Big Five (le lion, l’éléphant, le buffle, le léopard et le rhinocéros noir). Les safaris sont ici parmi les meilleurs au monde, notamment dans la région de Chobe. Troisième plus grand parc du pays, le Parc national de Chobe marque la frontière avec la Namibie, au nord, et s’étend sur presque 12 000 km2 à proximité du delta de l’Okavango. Créé en 1931 par les Britanniques, le deuxième plus grand delta intérieur au monde avait pour but affiché de préserver la « vie indigène et sauvage », tout en promouvant le tourisme dans la région. Trente ans plus tard, peu avant l’indépendance, toutes les populations locales furent déplacées pour protéger l’impressionnant écosystème de ce site devenu mythique. Au-delà des safaris classiques en 4×4, le parc propose aux visiteurs des activités originales. On peut par exemple participer à des excursions photographiques : une équipe de professionnels emmène les touristes au cœur du parc et partage avec eux leur art. C’est une façon unique de découvrir la faune et la flore, avant de rentrer chez soi avec de magnifiques souvenirs. Autre option : le safari en bateau. En plus de se détendre au fil de l’eau avec une croisière sur la rivière Chobe, en compagnie des hippopotames, on occupe une place au premier rang pour admirer les animaux venus s’abreuver sur les berges. Un moment qui redouble de charme quand, au coucher du soleil, les silhouettes se détachent sur le ciel teinté. Enfin, une autre possibilité si vous souhaitez un safari qui sorte de l’ordinaire est de profiter de l’option Fly-in proposée par certaines agences de voyages de luxe : à bord de petits avions d’environ cinq places, on explore les espaces immenses et magiques du Botswana depuis les airs, et on a accès à tous les coins du parc, même les plus reculés. ■ Luisa Nannipieri

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LES VRAIES ADRESSES

Belmond Savute Elephant Lodge. Rouvert après une rénovation complète, ce lodge comprend un poste d’observation surplombant un point d’eau, et chaque tente, aménagée sur une plate-forme en bois, garantit une vue époustouflante. À tester, le restaurant gastronomique Savute Boma, pour une expérience insolite dans la brousse et un dîner sous les étoiles. belmond.com Zam bez i Q u een. Ce luxueux bateau à trois ponts navigue entre la Namibie et le Botswana et propose une vaste gamme d’activités tout au long de la croisière.

zqcollection.com K h w a i Te n t e d C a m p . S i t u é entre le parc Chobe et le delta du Okavango, ce campement simple et élégant donne sur un magnifique lagon. Pour allier romantisme et aventure.

africanbushcamps.com Chobe Safari Lodge. Idéalement implanté à Kasane, ce lodge se situe à l’entrée du parc et est proche des frontières avec la Namibie, la Zambie, et le Zimbabwe. chobe-safari-lodge.net

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NEWS

MADE IN AFRICA

L’objectif est de créer une offre touristique nouvelle et durable.

Le Sénégal, hors des sentiers battus

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Entre conciergerie de luxe et découvertes SUR MESURE. NE JAMAIS OUBLIER LES PRINCIPES DE LA TERANGA (l’accueil), conçue comme une hospitalité authentique, que l’on doit ressentir à chaque moment du séjour. C’est l’un des buts affichés de Fabienne David Sene – une vie passée dans le monde du tourisme –, qui vient de lancer une nouvelle structure réceptive dans le pays avec les guides expérimentés Mamadou Seck et Ousseynou Ndiaye Mbaye. L’agence, basée à Saly, propose à une clientèle locale et étrangère des paquets vacances pour un week-end ou plusieurs semaines. Toujours à l’écoute des clients et de leurs besoins, Magic Sénégal ajoute à une offre de conciergerie de luxe la capacité de ses opérateurs d’organiser des circuits et des activités à partir de leurs

envies. De la nuit passée dans une cabane perchée en haut d’un baobab, plébiscitée par les enfants, aux excursions ornithologiques dans les parcs et réserves classés du pays, en passant par le spectacle unique de l’arrivée des pêcheurs sur la grande côte – la multitude de pirogues colorées affrontant avec dextérité la déferlante Atlantique –, l’objectif était de créer une offre touristique nouvelle et durable. Des propositions à la carte basées sur la connaissance du terrain et un minutieux travail de réseautage et de recherche, qui vise à mettre en lumière des régions moins connues. Telles les rives du Saloum et la réserve de Palmarin, où la route court entre la plage et la lagune. magic-senegal.com ■ L.N.

D’après les dernières données

de l’Organisation mondiale du tourisme, le nombre total de touristes est de 1,4 milliard, soit une hausse de 6 % en 2018. Un être humain sur quatre ! Cette dynamique de fond touche aussi l’Afrique, le continent ayant accueilli près de 67 millions de visiteurs. Un chiffre en hausse de 7 % par rapport à 2017, et qui en fait la deuxième région du monde où la croissance du secteur est la plus forte, après l’Asie-Pacifique. ■ Zyad Limam 122

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TOURISME


ARCHI

SOUS LE VOLCAN

Avec Villa Nyiragongo, BasaboseStudio rend hommage à la ville de Goma et ses habitants.

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SITUÉ À MOINS DE 20 KM du volcan actif Nyiragongo, Goma (République démocratique du Congo) cohabite depuis toujours avec les éruptions et les tremblements de terre. La lave solidifiée est utilisée pour construire de nombreux bâtiments. Abondantes et pas chères, les pierres de lave ont, au fil de temps, façonné l’esthétique de la ville. Le cabinet BasaboseStudio, qui compte des bureaux à Johannesbourg (Afrique du Sud) et à Kinshasa (RDC), a choisi d’en faire le cœur du projet Villa Nyiragongo, hommage à une cité qui renaît de ses cendres comme un phœnix. Les pierres volcaniques ont été mélangées à du bois d’arbres locaux par une usine de Goma, qui en a fait du ciment. Imaginée pour une famille, la Villa Nyiragongo est divisée en blocs. Chacun a sa fonction : privée, partagée, publique. Les pièces sont reliées par un corridor linéaire continu, interrompu uniquement par des portes que l’on peut utiliser pour bloquer ou débloquer les accès à la maison. Toutes les pièces, sauf la cuisine, s’ouvrent sur le jardin et offrent une vue sur le majestueux lac Kivu. ■ L.N.

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SPOTS

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Le Va et vient À deux pas de l’aéroport de la capitale, un restaurant tchadien pas comme les autres. RÉGINE MAKAILA YAMARKE est une épicurienne. C’est pourquoi elle n’hésite pas à proposer des plats de traditions différentes dans son restaurant. La purée de patates douces a droit à sa place sur la table, tout autant que le poulet DG ou la sauce graine. Parmi les mets préférés de la cheffe (qui était à la tête du restaurant parisien Chari), on retrouve le ndolé, mais aussi le gombo, servi avec du kissar, une galette de riz, de la viande ou du capitaine en sauce à l’oseille. ■ L.N. ROUTE DE L’UNICEF, PRÈS DE L’AÉROPORT, N’DJAMÉNA (TCHAD).

LE YEMMA

LE PETIT DAKAR

OUVERT EN 2016 par le chef Mustapha Khalis, Yemma propose une cuisine comme chez maman (« yemma », en arabe), mais plus légère, moins grasse et moins sucrée. Son idée était de recréer les vibes de la place Jemaa el-Fna, à Marrakech, avec, en bonus, une touche hype. Tous les plats, comme les keftas, les msemen (crêpes feuilletées) ou les kazdal (sandwichs), sont faits sur place. Ici, on s’attable pour siroter un thé à la menthe ou une jasminade, à accompagner d’une pastilla sucrée ou d’une salade d’agrumes, ou pour se régaler d’un couscous ou d’un tajine. Les prix ? De 5 euros pour un mix de kemia (les entrées) à 19 euros le méchoui. De la street food pour toutes les poches. ■ L.N.

LOIN DES ATTRAPE-TOURISTES et de la cuisine fade que l’on peut retrouver dans le Marais, ce restaurant discret propose des assiettes généreuses à prix correct. Le poulet yassa et ses oignons acidulés se marient à la perfection, et les fans de piquant pourront relever le thiéboudiène rouge (du riz au mérou piqué au persil et piment – l’une des spécialités) avec du confit de piment maison, toujours sur la table. Pour les groupes d’au moins dix, la cuisine prépare également un délicieux thiéboudiène blanc, plus délicat. Le parfum d’une poêlée de gambas au curry pourra venir vous titiller les narines, mais il vous faudra néanmoins laisser de la place pour le dessert : le tiacri, du mil au fromage blanc et à la fleur d’oranger, mérite le détour. ■ L.N. 6 RUE ELZEVIR, PARIS (FRANCE). lepetitdakar.com

119 RUE DU CHEMIN-VERT, PARIS (FRANCE). 124

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Un coin de Sénégal dans le Marais, à Paris.

La street food marocaine dans les rues de la capitale française.


TANZANIE

LUXE ET VOLUPTÉ À ARUSHA Le Gran Meliá propose du bien-être dans le respect de l’environnement. LA MARQUE ESPAGNOLE d’hôtels de luxe Gran Meliá vient d’inaugurer sa première structure sur le continent africain, et plus précisément à Arusha, dans le nord de la Tanzanie. Idéalement situé aux pieds du Kilimandjaro, mais également tout près de la zone de conservation du cratère du Ngorongoro et du parc national du Serengeti, le Gran Meliá Arusha, qui dispose de 171 chambres, est le deuxième hôtel d’une catégorie aussi haut de gamme à s’implanter dans le pays. Les voyageurs d’affaires de passage dans la région ont à leur disposition un centre de conférence ultramoderne et des salles de réunion, ainsi que des suites, décorées avec des intérieurs de couleur terre et un mobilier design, qui invitent à la détente. Afin de répondre aux attentes de leurs clients en matière de tourisme durable et responsable, le groupe espagnol a utilisé des matériaux respectueux de l’environnement et s’engage à réduire drastiquement l’emploi de plastique : l’eau servie aux clients est embouteillée sur place et la structure est dotée de son propre jardin d’épices et de légumes, qui fournit les restaurants du complexe en produits de saison. Le café et le thé sont également locaux et arrivent tout droit des plantations qui entourent l’hôtel. Le plus non négligeable de cette nouvelle structure : le toit-terrasse, sur lequel déguster une cuisine fusion péruvienne-espagnole et des cocktails sophistiqués, tout en profitant de la vue imprenable sur le mont Méru. À partir de 230 euros la chambre. ■ L.N. SIMEON ROAD, ARUSHA (TANZANIE). melia.com

DÉPAYSEMENT ASSURÉ La route du rhum passe par l’Afrique. LES RHUMS du continent prennent peu à peu leur place dans le monde des spiritueux. La Fédération des rhums d’Afrique, fondée en 2016 par la Kényane Victoria Mwanzi, compte désormais une trentaine d’adhérents. Au-delà des maisons historiques, à La Réunion, à Maurice ou au Cap-Vert, de nouvelles distilleries se font connaître. Les plus réputées sont les sud-africaines, comme Mhoba, Zulu ou Deep South. On peut aussi citer Dzama, à Madagascar, qui propose des bouteilles de dégustation, et Matugga, produit en Écosse à partir de canne à sucre venue d’Ouganda. Dépaysement garanti pour les amateurs du genre. ■ L.N

LE MEILLEUR COUSCOUS DU MONDE

«A tavula è trazzera.»

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La table est une route qui unit. La philosophie du Ginger se résume par cette expression sicilienne. Dans ses cuisines, on mélange goûts et cultures. Comme le couscous de Faillou, dédiée au fils de la cheffe sénégalaise Mareme Cissé: à base de poulpe, poivrons, carottes, céleri et gingembre, ce plat (parfumé au laurier, au thym, à l’anis étoilé et à la coriandre) et sa sauce à la mangue ont remporté le championnat du monde de couscous 2019. ■ L.N. GINGER - PEOPLE&FOOD, VIA EMPEDOCLE 21, AGRIGENTE (ITALIE). AFRIQUE MAGAZINE

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VIVRE MIEUX Pages dirigées par Danielle Ben Yahmed, avec Annick Beaucousin et Julie Gilles

CES NOUVELLES TECHNOLOGIES

QUI REVOLUTIONNENT LA MEDECINE PLUS EFFICACES MAIS INVASIVES, ELLES APPORTENT DES SOLUTIONS POUR LES PATIENTS.

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DÉTRUIRE LES TUMEURS AUTREMENT

Ces avancées (mini-invasives) pour aller détruire des tumeurs cancéreuses ont été présentées aux Journées francophones de radiologie, à Paris. Aujourd’hui, on peut éviter la chirurgie : en insérant une aiguille au centre de tumeurs de petite taille, il est possible de les détruire par le froid (cryothérapie) ou la chaleur (micro-ondes ou radiofréquence). Des organes dits « pleins », comme le foie, les reins, les poumons, les muscles ou les os, peuvent en bénéficier. La grande précision des systèmes d’imagerie au bloc permet d’obtenir des taux de destruction supérieurs à 90 % pour des tumeurs de moins de 3 cm. Autre technique innovante : l’immunothérapie intratumorale, qui consiste à injecter un

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CLASSIQUEMENT, le traitement de l’accident vasculaire cérébral (AVC) consiste à administrer par voie intraveineuse un médicament afin de dissoudre le caillot obstruant l’artère. Mais il a ses limites : il doit être injecté dans les 4 h 30 suivant les premiers symptômes, ne détruit le caillot que dans environ la moitié des cas, et a de nombreuses contre-indications. D’où l’intérêt du traitement par thrombectomie, qui se développe : en passant par l’artère fémorale, les praticiens vont chercher le caillot dans l’artère cérébrale. Ce traitement peut être utilisé jusqu’à 6 heures après l’AVC, et des données récentes montrent qu’il pourrait l’être jusqu’à 24 heures après, dans certains cas. Un important progrès qui permet de réduire les séquelles, et même de ne pas en avoir chez un patient sur trois.


médicament immunostimulant directement dans la tumeur ou dans les vaisseaux qui la nourrissent. La molécule provoque des modifications de cette dernière et de son environnement, qui vont ainsi permettre sa reconnaissance par le système immunitaire. Cela stimule davantage l’immunité du patient contre son cancer, et contre les métastases à distance. Cette injection diminue la dose globale du médicament nécessaire avec une concentration plus forte au bon endroit. Avec des effets secondaires largement diminués, puisque le produit ne s’étend pas à l’ensemble de l’organisme.

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BÉNÉFICIER D’IMPLANTS CAPILLAIRES NOUVELLE GÉNÉRATION

Les nouveaux implants capillaires Hairstetics ressemblent à des cheveux naturels. Excellente nouvelle pour les personnes souffrant d’alopécie – et surtout pour les femmes, dont beaucoup (85 %), en ayant trop peu dans la zone donneuse, ne peuvent recourir à une greffe de cheveux classique. Ces implants sont conçus à partir de matériaux biocompatibles, couramment utilisés en médecine et en chirurgie cardiaque. L’implantation est réalisée à l’aide de cartouches stériles préchargées des implants, ce qui assure un acte simple. Il suffit de moins d’une heure pour redensifier une chevelure. Effectuée par des médecins esthétiques, l’implantation est réalisée en cabinet sous anesthésie locale. Le traitement est indolore, ne provoque qu’un léger gonflement temporaire et ne laisse logiquement aucune cicatrice. Dans le cas d’une alopécie moyenne, 500 à 600 implants sont nécessaires pour un résultat efficace. À noter que le coût (10 euros l’implant) est à peu près le même que pour les greffes classiques. Dernière avancée : après la ménopause, beaucoup de femmes souffrent de sécheresse vaginale, avec des sensations de démangeaisons, de brûlures, voire des douleurs. Un problème qui touche également de nombreuses femmes plus jeunes traitées pour un cancer, notamment par hormonothérapie afin de prévenir les récidives de cancer du sein. Alors que les soins locaux de cette sécheresse sont très contraignants (application régulière) et parfois contre-indiqués, le gel injectable Desirial, à base d’acide hyaluronique, constitue une réelle avancée médicale. Ce traitement est réalisé sous anesthésie locale, et son efficacité est démontrée : il procure un confort au bout de quelques jours, durable sur six mois en moyenne, et peut être renouvelé. Ce qui est une amélioration appréciable de la qualité de vie. ■ Annick Beaucousin

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LE SOMMEIL, C’EST LA VIE ! BIEN DORMIR, CLÉ D’UNE BONNE SANTÉ. NOMBRE D’ÉTUDES mettent en lumière l’importance du sommeil pour préserver sa santé. Dormir suffisamment est vital pour reposer le corps et le cerveau, avoir une bonne mémoire, et être bien concentré et plus résistant au stress. Cela est également capital pour des défenses immunitaires performantes. Un manque de sommeil chronique a par ailleurs des effets pernicieux, que l’on ignore souvent. Il entraîne la production de molécules qui augmentent les risques cardiaques, d’hypertension et de diabète. Les personnes dormant moins de 7 heures ont plus de lésions des artères du cœur et des artères plus rigides, source d’ennuis cardiovasculaires. D’autre part, trop peu dormir expose davantage à des troubles anxieux et à la dépression. Et cela favorise le surpoids, du fait de la production d’hormones qui accroissent la faim et l’attirance pour le gras et le sucré. On fait donc tout pour se préserver des nuits de 7 à 8 heures. Et on dort dans le noir (en évitant les écrans lumineux) : de cette façon, on sécrète ainsi plus de mélatonine, hormone du sommeil essentielle à de bonnes nuits. ■ A.B.

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VIVRE MIEUX

En bref Des ordonnances naturelles ◗ Écrit par un spécialiste mondial de la médecine naturelle, ce livre présente les dernières recherches pour renforcer les facultés d’autoguérison de notre corps. Jeûne intermittent, sangsues, acupuncture, méditation, alimentation adaptée, exercices physiques, ayurvéda… Les résultats sont surprenants ! Guérir avec les forces de la nature, par Andreas Michalsen, Albin Michel, 22,90 euros.

QUE MANGER AVEC DU DIABÈTE ?

CARACTÉRISÉ par un taux sanguin élevé de sucre (glycémie), le diabète peut, s’il est mal pris en charge, altérer le fonctionnement de divers organes et conduire à des complications, cardiovasculaires notamment. Même s’il peut aussi toucher des sujets de corpulence normale, il est d’autant plus fréquent que l’excès de poids est en net progrès : à cause du tissu graisseux, l’insuline est moins efficace pour « pomper » le sucre dans le sang. Côté assiette, les conseils à suivre ne sont guère différents de ceux que tout le monde devrait adopter. D’abord, pas d’alimentation trop grasse, source de surpoids. Et outre privilégier des viandes maigres (type volailles), on modère les graisses ajoutées en cuisine et on privilégie les végétales (huiles). On limite tout ce qui est produits frits et panés, charcuterie, fromages gras, ainsi que les plats industriels pour 128

leurs graisses et leurs sucres cachés. Il est conseillé de manger des légumes ou légumineuses à chaque repas, leurs fibres ralentissant l’absorption du sucre. Et un fruit à la fin du repas ne pose pas problème. Concernant les glucides, attention aux raffinés ! Il faut les choisir le plus possible complets ou semi-complets (pain, riz ou pâtes), car grâce à leur richesse en fibres, ils font moins augmenter la glycémie. Gare aux pâtes et au riz blancs bien cuits, ou à cuisson rapide – de plus en plus présents en rayons et très néfastes. Quant aux produits sucrés, pour une moindre incidence, ils sont à modérer et à consommer lors des repas. Tout en évitant ceux qui sont également très gras : gâteaux, viennoiseries, barres chocolatées… Parallèlement, rappelons l’importance de l’activité physique, fortement bénéfique pour la glycémie et le poids. À cet égard, il a été montré qu’une perte de poids lente, mais régulière, de 10 % dans les cinq années suivant le diagnostic de diabète fait baisser durablement le taux de sucre sanguin, et pourrait même permettre de guérir de la maladie. ■ Julie Gilles AFRIQUE MAGAZINE

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T Tous lles sucres ne se valent pas ◗ Selon une étude menée sur des souris durant deux mois publiée dans Molecular Metabolism, les apports de sucre sous forme liquide (jus, sodas) entraînent une prise de poids et une augmentation de la masse grasse, contrairement à la forme solide (sucre en poudre, aliments sucrés…). Avec, alors, une plus grande résistance à l’insuline, et donc un risque de diabète.

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AUCUN ALIMENT N’EST STRICTEMENT INTERDIT. POUR UN BON ÉQUILIBRE, ON SUIT DES RÈGLES SIMPLES.


CHANGEMENTS

DE SAISON LES IMPACTS SUR NOTRE CORPS

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LUMIÈRE ET TEMPÉRATURE JOUENT SUR NOTRE PHYSIQUE. C’EST UN FAIT : quand arrivent les beaux jours, la lumière naturelle extérieure active les centres cérébraux de l’éveil, booste notre humeur et augmente le taux de cortisol, l’hormone du tonus. On se sent donc plus en forme. Mais à l’inverse, quand les jours se font plus courts, le manque de lumière peut retentir sur l’organisme. Avec une sensation accrue de fatigue et une tendance à la déprime (dite saisonnière). Pour les personnes très affectées par ces soucis, la solution est de s’exposer à une lampe de luminothérapie une demi-heure par jour le matin. Quand la saison froide s’installe, on tombe davantage malade (affections ORL, grippe…). Souvent, on dit que l’on a « pris froid ». Mais ce n’est pas directement cela qui cause ces maladies, puisqu’elles sont dues à des virus se transmettant facilement entre personnes dans des espaces confinés. Cependant, le froid est bel et bien favorisant. Il dessèche les muqueuses, qui deviennent ainsi plus vulnérables à l’attaque des virus. De plus, si l’on « prend froid », cela perturbe le travail des cellules les immunitaires : il faut donc bien se couvrir par temps frisquet et ! À la mauvaise saison, on peut aussi avoir tendancee à manger plus. Pour cause, la faible luminosité lors des jours courts modifie le taux d’hormones augmentant nt la faim. Contre ce phénomène, ne, on sort si possible plus souvent ent dehors ou on recourt là encore à la luminothérapie. Enfin, à l’automne et au printemps, les cheveux peuvent tomber davantage, mais c’est une affaire de rythmes biologiques qui ne doit pas inquiéter. ■ A.B.

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CHIRURGIE DE LA CATARACTE : UN CONFORT DE VISION APRÈS L’OPÉRATION, ON POURRAIT PRESQUE SE PASSER DE SES LUNETTES. AVEC L’ÂGE, rares sont les personnes épargnées par la cataracte : le cristallin, qui assure la mise au point des images, perd peu à peu de sa transparence, puis devient opaque. Conséquences : la vision baisse, on ressent un inconfort comme avec des lunettes sales, les couleurs se font ternes. Effectuée sous anesthésie le locale par collyre, l’opération consiste à remplacer le lo cristallin par un implant afin de restaurer la vision. Elle cr est très courante et donc bien rodée. Mais les implants, es de deux types, ont bénéficié de remarquables progrès. Les classiques, dits monofocaux, corrigent un plan de vision : ils permettent de récupérer une bonne vision de loin, vi ce qui est très appréciable, mais le port de lunettes reste nécessaire pour voir de près (lecture ou travail sur ordinateur). né De nouvelle génération, les autres implants sont dits multifocaux, ou de technologie avancée. Leur énorme atout ? m Pouvoir corriger tous les défauts de vision : presbytie, myopie, Po hypermétropie, astigmatisme. Avec de très bons résultats, hy puisque les personnes en bénéficiant se passent de leurs pu verres correcteurs dans 90 % de leurs activités (sauf forte ve myopie ou hypermétropie). Ces implants, qui ont cependant m quelques contre-indications (glaucome, DMLA…), sont donc qu une véritable révolution et changent la vie au quotidien. un Quel que soit le type d’implants, les suites de l’opération Qu sont indolores. On retrouve une bonne vision en quelques so heures, et elle continue de s’améliorer ensuite. ■ J.G. he

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Inglourious Basterds, de Quentin Tarantino, m’a beaucoup marquée.

8 Votre mot favori ? « Bobo », le surnom affectueux que j’ai donné à mon amoureuse.

9 Prodigue ou économe ? Économe. Je suis douée pour compter mon argent et l’épargner !

10 De jour ou de nuit ? De jour. J’aime la lumière du soleil, les gens sont sobres. Le soir, une fois mon concert terminé, plutôt que de faire la fête, je rentre dormir à l’hôtel.

Dope Saint Jude À travers son HIP-HOP tantôt pop tantôt expérimental, cette rappeuse et productrice féministe native du Cap narre ses expériences et porte des MESSAGES D’ÉGALITÉ sociale, ethnique et des genres. Le deuxième EP de la Sud-Africaine, Resilient, impose son flow percutant.

11 Twitter, Facebook, e-mail,

coup de fil ou lettre ? Je suis sur tous les réseaux sociaux. Sinon, je préfère le téléphone, l’intimité de la voix.

12 Votre truc pour penser à autre chose, tout oublier ? Courir ! Environ 5 kilomètres en 30 minutes.

13 Votre extravagance favorite ? Ma montre Apple Watch. Je l’utilise notamment pour mes footings. Je l’aime beaucoup !

14 Ce que vous rêviez d’être quand vous étiez enfant ? Docteure, pour impressionner ma mère.

propos recueillis par Astrid Krivian

15 La dernière rencontre qui vous

1 Votre objet fétiche ?

Lorsque j’ai donné une interview au nouveau podcast Polyphony. On a abordé l’effet des sons de notre environnement (les trains, les gens, les voitures…) sur les humains. C’était très intéressant.

a marquée ?

Un chapelet qui appartenait à ma mère.

2 Votre voyage favori ? La Sicile, si belle ! Sa délicieuse cuisine typique et ses vins m’ont régalée.

3 Le dernier voyage que vous avez fait ? La France. J’apprends d’ailleurs le français ! J’ai adoré le château de Versailles et découvrir en vrai cette période historique que j’ai étudiée au lycée.

4 Ce que vous emportez toujours

avec vous ?

16 Ce à quoi vous êtes incapable de résister ? Le pain chaud et croustillant qui sort du four !

17 Votre plus beau souvenir ? J’ai accédé à une nouvelle compréhension du monde quand ma mère est décédée. Malgré la douleur, c’était une expérience spirituelle forte.

Mes balles de massage. Pour soulager mes muscles fatigués par les concerts, les voyages, l’exercice physique.

18 L’endroit où vous aimeriez vivre ?

5 Un morceau de musique ?

Quand ma petite amie a quitté l’Afrique du Sud pour s’installer à Londres avec moi.

Au Portugal. Pour sa beauté, ses plages, sa chaleur.

19 Votre plus belle déclaration d’amour ?

« Clair de lune », de Claude Debussy, et « Lost in the World », de Kanye West.

20 Ce que vous aimeriez que l’on retienne

6 Un livre sur une île déserte ?

de vous au siècle prochain ?

Can’t Hurt Me, de David Goggins. Il y enseigne à développer une force d’âme face aux difficultés. 130

Que je vivais une vie épanouie, au service de ma communauté, de ceux qui écoutent ma musique. ■

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LES 20 QUESTIONS

7 Un film inoubliable ?




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