NUMÉRO 423-424 EN VENTE DEUX MOIS
2022 ANNÉE SUR LE FIL
Les rebonds de la pandémie de Covid-19, l’irruption de nouveaux variants, les incertitudes économiques et politiques font peser un stress intense. Pourtant, les scénarios de sortie de crise existent…
ET AUSSI Côte d’Ivoire Sur le chemin de demain Dossier spécial 26 pages Le futur parc des expositions d’Abidjan.
Entretien
MAHAMAT-SALEH HAROUN «JE VEUX PROVOQUER LE DÉBAT»
Interview
YASMINE CHAMI «QUELQUE CHOSE EST À RÉINVENTER POUR LES HOMMES»
Rencontre FEMI ET MADE KUTI «LE SENS DE NOTRE HÉRITAGE»
DÉCOUVERTE
Djibouti LES PILIERS
DE L’ÉMERGENCE
France 5,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C – DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États- Unis 8 ,99 $ Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3 500 FCFA ISSN 0998-9307X0
N° 423-424 - DÉC.2021-JANV.2022
L 13888 - 423 - F: 5,90 € - RD
R A T S P O SÉROP Aujourd’hui, avec les traitements, une personne séropositive peut avoir des enfants sans transmettre le VIH. Plus d’infos sur QuestionSexualité.fr
Réalisé dans le respect des protocoles sanitaires. Continuons de respecter les gestes barrières. Continuons de porter un masque partout où il est recommandé par les autorités scientifiques.
édito PAR ZYAD LIMAM
DIVIDENDE DÉMOGRAPHIQUE En 2100, c’est-à-dire dans un peu plus de soixante-dix ans, ce qui n’est pas grand-chose à l’échelle de l’histoire humaine, et ce qui n’est pas si loin pour les enfants qui naissent aujourd’hui, 40 % des Terriens seront africains. À cet horizon, nous serons alors aux alentours de 4 milliards (dont 3 milliards pour l’Afrique subsaharienne à elle seule) pour une population globale de 8 à 9 milliards d’habitants. Le Nigeria aura près de 700 millions de résidents. Et le Niger aux alentours de 200 millions ! L’Afrique sera alors, avec le Moyen-Orient, une exception, toutes les autres régions du monde voyant leur population diminuer ou se stabiliser. La Chine pourrait revenir à 1 milliard d’habitants (moins que sa population de 2021). Certains pays, comme le Japon ou la Russie, l’Italie et même l’Espagne, pourraient perdre 40 % à 50 % de leur population. Les États-Uniens seraient alors un peu plus de 400 millions dans un pays fortement métissé avec une minorité « blanche ». Ces chiffres, et leurs implications stupéfiantes sur la marche du monde, sur les équilibres politiques et sociaux internes sont à prendre avec précaution. Ils sont basés sur des modèles mathématiques. Et 2100 reste un horizon très lointain, toutes sortes d’événements politiques, sanitaires, climatiques pourraient intervenir. Mais la tendance de fond est là, au moins sur le moyen terme, sur une ou deux générations à venir. C’est la puissance de « l’inertie démographique ». Sans se projeter jusqu’à 2100, l’Afrique va devoir absorber une formidable poussée démographique. Même si la fécondité baisse et les taux de mortalité également, le continent pourrait compter en 2050 entre 1,6 et 2 milliards d’habitants. Dont l’immense majorité sera jeune, très jeune. Un véritable choc qui n’est pas encore suffisamment dans notre débat public. Sauf pour s’écharper sur les questions religieuses ou sur la question hautement taboue du contrôle des naissances. Pourtant, la question démographique est au cœur des enjeux africains. La limitation des AFRIQUE MAGAZINE
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naissances est la pierre angulaire des scénarios positifs et de la théorie du « dividende démographique ». Quand la fécondité chute rapidement dans un pays, la part des très jeunes diminue fortement, sans que la part des personnes âgées n’augmente sensiblement au début. Par contre, la population d’âge actif augmente nettement, offrant une opportunité de développement économique : création d’un marché de consommateurs, emplois… Cette fenêtre ne dure qu’un temps, quelques décennies. Lorsque la population vieillit à nouveau, la fenêtre se ferme progressivement, faute d’un nombre de nouveaux actifs suffisants et avec le poids des gens âgés… Mais pour que cette opération magique fonctionne, il faut aussi et surtout créer des emplois, des potentialités pour cet afflux de jeunes. Il faut de la croissance et des économies en marche. Il faut former également ces cohortes de nouveaux travailleurs. Sinon, les actifs rejoignent le rang des chômeurs et de la précarité informelle, entraînant une situation sociale explosive… Le chemin vertueux du dividende démographique (croissance, opportunités, contrôle des naissances), c’est le parcours que la Chine a vécu. Au Brésil, en Argentine, en Amérique latine, d’une manière générale, faute d’emplois suffisants et de créativité économique, le « dividende » fonctionne nettement moins bien. Pour nous, Africains, les choix sont limpides. Quoi qu’en disent les théoriciens de la population nombreuse, pour qu’il y ait un futur jouable, notre nombre doit se stabiliser, les naissances doivent baisser, nous devons nous orienter vers des familles nucléaires à quatre ou cinq. Et les énergies doivent toutes tendre vers le développement économique et l’imagination de nouveaux modèles. D’ici là, je vous souhaite à toutes et tous une année 2022 plus paisible, d’être pleinement vaccinés, énergiques et actifs au cœur du monde. ■
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N ° 4 2 3 - 4 2 4 - D É C E M B R E 2 0 21 - J A N V I E R 2 0 2 2
ÉDITO Dividende démographique
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par Zyad Limam
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ON EN PARLE C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN
Les rois sont de retour
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PARCOURS Youness Miloudi
par Zyad Limam
par Emmanuelle Pontié
100 CE QUE J’AI APPRIS Dobet Gnahoré
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Stratégie : Le PND fixe le cap
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Agriculture : Le défi de la transformation
130 VINGT QUESTIONS À… Willy Dumbo par Astrid Krivian
par Francine Yao
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2022 ANNÉE SUR LE FIL Entretien
MAHAMAT-SALEH HAROUN «JE VEUX PROVOQUER LE DÉBAT»
Interview
YASMINE CHAMI «QUELQUE CHOSE EST À RÉINVENTER POUR LES HOMMES»
AM 423 COUV UNIQUE.indd 1
Secteur privé : La priorité nationale par Francine Yao
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Rencontre FEMI ET MADE KUTI «LE SENS DE NOTRE HÉRITAGE»
Environnement : Les dossiers chauds du développement durable par Jihane Zorkot et Nabil Zorkot
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DÉCOUVERTE
Djibouti LES PILIERS
DE L’ÉMERGENCE
France 5,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C – DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États- Unis 8 ,99 $ Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3 500 FCFA ISSN 0998-9307X0
Infrastructures : Une envergure stratégique par Francine Yao
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Les rebonds de la pandémie de Covid-19, l’irruption de nouveaux variants, les incertitudes économiques et politiques font peser un stress intense. Pourtant, les scénarios de sortie de crise existent…
Le futur parc des expositions d’Abidjan.
Inclusivité : Lutter contre les inégalités par Francine Yao
NUMÉRO 423-424 EN VENTE DEUX MOIS
Dossier spécial 26 pages
P.06
par Jean-Michel Meyer
par Astrid Krivian
Côte d’Ivoire Sur le chemin de demain
Éthiopie : Le géant à terre
DOSSIER CÔTE D’IVOIRE 54 En allant vers demain
C’EST COMMENT ? Bonne année !
ET AUSSI
par Zyad Limam, Frida Dahmani, Emmanuelle Pontié et Cédric Gouverneur
par Cédric Gouverneur
par Fouzia Marouf
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TEMPS FORTS 2022, année sur le fil
N° 423-424 - DÉC.2021-JANV.2022
L 13888 - 423 - F: 5,90 € - RD
06/12/21 10:26
PHOTOS DE COUVERTURE : PAUL GRANDSARD/SAIF IMAGES AMANDA ROUGIER - DR - AMANDA ROUGIER
Portfolio : Abidjan, au centre de son monde
P.44
par Zyad Limam et Emmanuelle Pontié
Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps. Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com
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AFRIQUE MAGAZINE
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423- 424 – DÉCEMBRE 2021-JANVIER 2022
DR - FINBARR O’REILLY/THE NEW YORK TIMES-REDUX-REA
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FONDÉ EN 1983 (38e ANNÉE) 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – Fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com Zyad Limam DIRECTEUR DE LA PUBLICATION DIRECTEUR DE LA RÉDACTION zlimam@afriquemagazine.com Assisté de Laurence Limousin
llimousin@afriquemagazine.com RÉDACTION Emmanuelle Pontié DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION epontie@afriquemagazine.com Isabella Meomartini DIRECTRICE ARTISTIQUE imeomartini@afriquemagazine.com
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Mahamat-Saleh Haroun : « Je veux provoquer le débat »
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Yasmine Chami : « Quelque chose est à réinventer pour les hommes »
P.54
par Astrid Krivian
Femi et Made Kuti : « Le sens de notre héritage »
VIVRE MIEUX Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF
par Astrid Krivian
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Arab et Tarzan Nasser : « Cette histoire peut être universelle »
avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.
VENTES EXPORT Laurent Boin TÉL. : (33) 6 87 31 88 65 FRANCE Destination Media 66, rue des Cévennes - 75015 Paris TÉL. : (33) 1 56 82 12 00
par Fouzia Marouf
DÉCOUVERTE 103 Djibouti : Les piliers du futur
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NABIL ZORKOT - SÉBASTIEN LEBAN/DIVERGENCE - PATRICK ROBERT
par Zyad Limam et Thibaut Cabrera
104 Une ouverture vers le grand large 108 Ahmed Osman : « Nous devons compter aussi sur nos propres forces » 110 Les 10 piliers de l’émergence
BUSINESS
COMMUNICATION ET PUBLICITÉ
par Jean-Michel Meyer I
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120 La bataille du rail 124 Vers la fin du monopole d’Air Algérie 125 Le Nigeria lance sa propre monnaie numérique 126 L’Afrique a (enfin) son plan pour le climat 128 Ça bouge dans le mobile banking 129 Un outil pour booster les échanges intrarégionaux
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Amanda Rougier PHOTO arougier@afriquemagazine.com ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO
Muriel Boujeton, Thibaut Cabrera, Jean-Marie Chazeau, Frida Dahmani, Catherine Faye, Alexandra Fisch, Marc Frohwirth, Glez, Cédric Gouverneur, Dominique Jouenne, Aimé Kalagadi, Astrid Krivian, Fouzia Marouf, Jean-Michel Meyer, Luisa Nannipieri, Sophie Rosemont, Francine Yao, Jihane Zorkot, Nabil Zorkot.
par Catherine Faye
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Jessica Binois PREMIÈRE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION sr@afriquemagazine.com
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AFRIQUE MAGAZINE EST UN MENSUEL ÉDITÉ PAR 31, rue Poussin - 75016 Paris. SAS au capital de 768 200 euros. PRÉSIDENT : Zyad Limam. Compogravure : Open Graphic Média, Bagnolet. Imprimeur : Léonce Deprez, ZI, Secteur du Moulin, 62620 Ruitz. Commission paritaire : 0224 D 85602. Dépôt légal : décembre 2021. La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique Magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique Magazine 2022.
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ON EN PARLE
LÉO DELAFONTAINE/MUSÉE DU QUAI BRANLY-JACQUES CHIRAC
C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage
Le musée du quai Branly a exposé ces trésors royaux du 26 au 31 octobre dernier, avant leur restitution.
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RESTITUTION
LES ROIS SONT DE RETOUR
Quelque 26 PIÈCES DU PATRIMOINE BÉNINOIS, prises de guerre datant de 1892, ont été rendues par la France à leur pays natal. AU TERME D’UN LONG VOYAGE dans l’histoire et à travers le temps, les fiertés dahoméennes vont se reposer pour un bon mois encore dans leurs caisses sécurisées. Les regalia de trois rois souverains (Béhanzin, Glèlè, Ghézo), enjeux d’une bataille diplomatique inédite, ont regagné le Bénin « pour notre bien, notre tranquillité, notre sérénité », a souligné Patrice Talon. Après leur long exil parisien, ils seront bientôt présentés au palais de la Marina, puis transportés au Fort portugais de Ouidah le temps d’édifier à Abomey le musée de l’épopée des Amazones
SARAH MEYSSONNIER/POOL/AFP
La signature de l'acte de transfert a eu lieu en France, à l’Élysée, le 9 novembre, en présence des deux chefs d'État (au second plan), du ministre béninois du Tourisme Jean-Michel Abimbola et de la ministre française de la Culture Roselyne Bachelot (au premier plan).
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et des rois du Danhomè, l’écrin ultime présenté comme le symbole de la nouvelle alliance culturelle franco-béninoise. D’ici là, peut-être auront-ils été rejoints par les œuvres restées derrière, « le dieu Gou des métaux et de la forge, la tablette du fâ, l’œuvre mythique du devin Guèdègbé, et beaucoup d’autres », comme l’a rappelé le président béninois devant Emmanuel Macron à l’occasion de la signature officielle à l’Élysée le 9 novembre. Manière de pointer que tout ne fût pas si facile, entre la demande de restitution refusée en 2016 par François Hollande, l’ouverture macronienne en 2017 à Ouagadougou, la pression maintenue par l’exécutif béninois, et enfin le rapport Sarr-Savoy de 2018 qui devait faire sauter tous les verrous. Offertes au musée d’ethnographie du Trocadéro entre 1893 et 1895, les prises de guerre du colonel Alfred Dodds auront connu un départ en fanfare en octobre, lors d’une semaine culturelle du Bénin au musée du quai Branly, conclue par un concert quasi liturgique de Sagbohan Danialou. Une opération gagnant-gagnant pour Paris et Cotonou, un « moment post-colonial » qui envoie des signaux au Nord comme au Sud, ici pour questionner l’attentisme, là pour aiguillonner les pusillanimes. Très à la manœuvre, le diplomate Aurélien Agbenonci peut se féliciter d’avoir ouvert la piste avec ce premier épisode d’une série de restitutions de biens patrimoniaux au continent. ■ Aimé Kalagadi 7
ON EN PARLE SOUNDS
À écouter maintenant !
❶ Mykki Blanco
Broken Hearts & Beauty Sleep, Transgressive Records/[PIAS]
Après un premier album éponyme, en 2016, Mykki Blanco revient avec neuf nouveaux titres nourris de son amour pour le R’n’B des années 1990. Il y parle de ses relations affectives, lui qui s’assume comme personne transgenre, avec ses blessures et ses angoisses – et ne cache pas sa séropositivité. S’offrant de jolis featurings (Jamila Woods, Blood Orange), Mykki Blanco balance ici son flow puissant avec sensibilité.
Chant amazigh, Habibi Funk
LES GARDIENS MUSULMANS DE LA MÉMOIRE JUIVE
Notre nouveau coup de cœur du label Habibi Funk, dénicheur de trésors orientaux oubliés ? L’Algérien Majid Soula, dont la musique croise avec aisance highlife, funk et disco. Sans oublier un sens de l’engagement, qui s’entend dans cette compilation. Elle ouvre les portes de l’univers de cet artiste exilé à Paris mais toujours attaché à la langue tamazight, dont il est l’un des plus fascinants défenseurs.
La JUDAÏTÉ MAROCAINE est entretenue avec respect, et parfois nostalgie, en bien des lieux du royaume. « QU’EST-CE QUE LE MAROC serait devenu si les Juifs étaient restés ? » se demande un journaliste dans le nouveau documentaire de Simone Bitton. La cinéaste, après avoir beaucoup tourné auprès de Palestiniens, retrouve le pays de son enfance, où près de 300 000 juifs vivaient jusque dans les années 1950. Depuis leur départ, les synagogues, cimetières et sanctuaires sont entretenus par des musulmans, gardiens scrupuleux d’une mémoire qui souvent s’efface. L’occasion de traverser des paysages méconnus, à la découverte de bâtiments ou de ruines, parfois de simples sources. Et de rencontrer ces musulmans, femmes et hommes de tous âges, qui perpétuent cette mémoire pour des raisons financières mais aussi familiales et sentimentales, apprenant l’hébreu pour déchiffrer les tombes ou manipulant avec respect les objets les plus sacrés du judaïsme. Un beau dialogue des religions en terre d’islam, au prix de quelques ellipses sur les raisons de cet exode. Le film ne l’évoque pas non plus, mais il éclaire le récent rapprochement opéré par le royaume chérifien avec Israël. ■ Jean-Marie Chazeau ZIYARA (France-Maroc-Belgique), de Simone Bitton. En salles. 8
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❸ Meskerem Mees
Julius, Mayway Records
Attention, révélation ! La voix bien perchée, les textes délicats et la guitare acoustique en bandoulière, Meskerem Mees est une nouvelle recrue de la scène belge, fière de ses origines éthiopiennes. « Seasons Shift », « Parking Lot », « Queen Bee », « Where I’m From »… Le temps de 13 morceaux, cette musicienne, autrice et compositrice de seulement 22 ans enchaîne des bijoux de folk dépouillé, mélancoliques sans être moroses. Lumineux aussi. ■ Sophie Rosemont DR
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❷ Majid Soula
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Le chorégraphe et DJ ougandais Faizal Mostrixx.
AFRICOLOR, ENTRE HÉRITAGE ET MODERNITÉ FE S TIVAL
AFRICOLOR,
dans différents lieux de l’Île-de-France, jusqu’au 22 décembre. africolor.com
FAIZAL MOSTRIXX
Cette 33e édition croise artistes légendaires, NOUVEAUX TALENTS et projets transculturels. JALONNÉE DE CRÉATIONS INÉDITES, la programmation bigarrée du festival Africolor, qui a démarré le 12 novembre, poursuit l’ambition de faire résonner le large spectre des créativités musicales du continent, conjuguant héritage et modernité, sonorités traditionnelles et fièvre électro des scènes urbaines. La voix d’or de la Guinée, Sékouba Bambino, ex-membre du mythique Bembeya Jazz, se produira avec Afriquatuors, un projet de musique de chambre africaine (à cordes et à vent), qui revisite l’âge d’or des orchestres des années 1965-1975 (afrobeat, highlife, rumba…). Girls band AFRIQUE MAGAZINE
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malien, Les Go de Bamako seront, elles, accompagnées par DJ Majo. Conteur, producteur, chorégraphe et DJ ougandais, Faizal Mostrixx offrira quant à lui un show afrofuturiste, entre danse et art visuel. Avec Concerto pour soku, les violonistes Adama Sidibé et Clément Janinet feront dialoguer cordes mandingues et peules avec le jazz. Et les spectacles Indépendances Cha Cha nous raconteront les premières années des indépendances de plusieurs pays à travers la voix de leaders emblématiques : Sékou Touré, Patrice Lumumba ou encore Léopold Sédar Senghor. ■ Astrid Krivian
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ON EN PARLE Amina (Achouackh Abakar Souleymane) va tout faire pour aider sa fille de 15 ans, Maria (Rihane Khalil Alio), qui est enceinte.
DRAME
UN COMBAT DE FEMMES
Un film PRO-AVORTEMENT lumineux dans un Tchad dominé par le patriarcat et LA RELIGION… POUR SON RETOUR AU PAYS (quatre ans après Une saison en France), le cinéaste franco-tchadien Mahamat-Saleh Haroun [voir son interview en pp. 80-85] a posé sa caméra dans les faubourgs de N’Djamena et inscrit sa nouvelle fiction dans la lumière mordorée de la capitale du Tchad. On y voit vivre et travailler Amina, qui élève seule Maria, sa fille de 15 ans, ce qui est mal vu par ses voisins, sa famille, et l’imam du quartier… Mais Amina se débrouille, gagne de l’argent en récupérant des pneus pour en tirer astucieusement de quoi réaliser des petits fourneaux, séquences particulièrement réussies qui ancrent le personnage dans la réalité d’un quotidien de labeur et montre une personnalité volontaire. De la volonté, il lui en faudra encore quand sa fille tombera enceinte : le scénario réserve quelques surprises, dénonçant au passage un patriarcat toujours aussi violent, même lorsqu’il
se cache derrière des sourires faussement protecteurs… Maria est exclue de son lycée qui craint pour sa réputation, rejetée par les médecins qui ne veulent pas pratiquer un avortement strictement prohibé, mais l’adolescente et sa mère vont finir par trouver de l’aide et du réconfort auprès d’autres femmes. « Lingui » signifie « lien » : ici, une sororité se fait sentir et montre une réalité plus complexe qu’il n’y paraît, même si les hommes accaparent tous les pouvoirs. Un film résolument du côté des femmes (jusqu’à la vengeance, discutable…), servi par l’interprétation intense de son actrice principale, et toujours chez ce grand cinéaste un sens graphique de l’image qui fait aussi le bonheur des spectateurs. ■ J.-M.C. LINGUI, LES LIENS SACRÉS (France-Tchad ), de Mahamat-Saleh Aroun. Avec Achouackh Abakar Souleymane, Rihane Khalil Alio, Youssouf Djaoro. En salles.
CINÉ
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PILI FILMS MATHIEU GIOMBINI - DR
Les enfants de la soul
Memphis est l’une des villes les plus pauvres des États-Unis, et pourtant, son héritage artistique est plus qu’impressionnant. En témoigne l’histoire cousue (de disques) d’or de son légendaire label, Stax Records, lequel revit, depuis 2000, grâce à une école de musique gratuite et extrascolaire. C’est ce qu’est allé filmer le Français Hugo Sobelman, en insider accueilli à bras ouverts. Au programme : reprises de grands classiques, tel « Soul Man », de Sam & Dave, et tables rondes autour de la question du racisme systémique. Ici, une artiste activiste demande aux jeunes de sortir du rap négatif qui enferme les nouvelles générations dans une représentation très loin de leur réalité et de leurs désirs. Comme le montre ce documentaire épuré et nécessaire, la soul leur sert de moteur autant que de refuge. Vive la Stax Music Academy ! ■ S.R. SOUL KIDS (France), d’Hugo Sobelman. En salles.
L I T T É R AT U R E
AHMET ALTAN
L’ART D’AIMER
DR
Quelques mois après sa libération, le journaliste et ÉCRIVAIN TURC a reçu le prix Femina étranger 2021 pour Madame Hayat. Un roman flamboyant, à la fois politique et érotique. LES MOTS PÉNÈTRENT de part en part ce fervent défenseur de la démocratie et de la liberté. Lorsqu'il était incarcéré dans la prison de haute sécurité de Silivri, à la périphérie d’Istanbul, après avoir été accusé d’avoir indirectement participé au coup d’État raté du 15 juillet 2016, c’est l’écriture qui lui a permis à la fois de résister à la prison et d’en sortir, avec trois livres, tous imaginés depuis sa cellule. Pendant quatre ans et sept mois, l’écrivain et essayiste turc a vécu par l’imagination en ignorant la réalité carcérale qu’on lui imposait. « Je ne suis ni où je suis, ni où je ne suis pas. Vous pouvez m’enfermer où vous voulez. Sur les ailes de mon imagination infinie, je parcourrai le monde entier », écrit-il dans Je ne reverrai plus le monde, paru en 2019. La cour de cassation a finalement annulé sa condamnation (à perpétuité dans un premier temps, puis à dix ans et demi), et il a été libéré le 14 avril dernier. La veille, la Cour européenne des droits de l’homme avait condamné la Turquie pour la détention de l’intellectuel, âgé de 71 ans. Madame Hayat a été écrit avant qu’il ne recouvre sa liberté. C’est peut-être pour cela que cette poignante histoire d’amour, évoquant en creux la Turquie actuelle, respire à la fois la mélancolie, la solitude, mais AFRIQUE MAGAZINE
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aussi le désir, le trouble. Fazil, jeune étudiant en lettres, a un coup de foudre pour une femme d’âge mûr, fascinante, voluptueuse : « Soudain, je vis les chaussures café, elles étaient là, sous mes yeux, leurs pointes tournées vers moi. − Qu’est-ce que tu attends avec cet air triste ? » Dans ce récit d’une éducation sentimentale et d’une prise de conscience politique, l’héroïne incarne l’ardeur, l’effusion, le libre arbitre. Et la littérature, un ultime recours face aux violences et à l’arbitraire. ■ Catherine Faye
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AHMET ALTAN, Madame Hayat, Actes Sud,
272 pages, 22 €.
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ON EN PARLE
COLLECTIF
SUPER BITON DE SÉGOU MALI STYLE
SUPER BITON DE SÉGOU, Afro Jazz Folk Collection vol.1,
Deviation Records.
Une porte d’entrée pour les néophytes et des retrouvailles pour les amateurs : cette compilation éclaire le brillant corpus du CÉLÈBRE ORCHESTRE. APRÈS AVOIR REMIS au goût du jour le groupe de musique mandingue The Lost Maestros, le label Deviation Records poursuit son travail d’exploration de la ville de Ségou et publie une compilation des morceaux de Super Biton de Ségou : un collectif riche d’instrumentistes tout dévoués à la fusion du jazz, des mélodies cubaines et mandingues, du funk et du folk, et, bien sûr, de la tradition malienne, lancé au début des années 1960.
Si l’un de ses piliers, Amadou Bah, a depuis disparu, le guitariste Mama Sissoko a pris la relève depuis une vingtaine d’années, cultivant l’énergie live légendaire de l’orchestre. Sur ce disque – le premier d’une série à venir –, Afro Jazz Folk Collection, on entend plusieurs grands classiques du groupe remastérisés par l’ingénieur du son français Raphaël Jonin, tels le majestueux « Kamalen Wari » et le fiévreux « Ndossoke ». ■ S.R.
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423- 424 – DÉCEMBRE 2021-JANVIER 2022
FRANÇOISE HUGUIER - DR (2)
Les yeux brûlés
« SI J’AVAIS SU ce qui se passait en Lybie, je n’y serais jamais allé. » Traumatisé par ce qu’il a vu et subi dans les geôles libyennes, où sont entassés et torturés les migrants voulant rejoindre l’Europe, Yancouba Badji a renoncé à une cinquième tentative. Accueilli dans un centre tunisien, débordé, il est retourné en Casamance pour mettre en garde les candidats à un exil, qui est d’abord un chemin pavé de rackets, de violences et de morts. Deux réalisatrices françaises l’ont rencontré en Tunisie, puis au Sénégal. Elles l’ont filmé au contact de ses camarades d’infortune, mais aussi en pleine création : il transcende par la peinture ce que ses yeux, brûlés par le soleil du désert et le sel de la mer, ont enregistré, désormais exposé dans les galeries d’art. Comme ce film pudique mais frappant, ses toiles témoignent d’une terrible réalité que beaucoup refusent de voir… ■ J.-M.C. TILO KOTO (France), de Sophie Bachelier et Valérie Malek. En salles.
PHOTOS
L’UN EST L’AUTRE
À la fois livre et revue, cette PUBLICATION HYBRIDE questionne la manière dont les artistes mettent en images les identités plurielles.
JOHNY PITTS
Peckham Road, Union Jack Cap, Peckham High Street, Johny Pitts, 2021.
JAUNE ET BLEUE. La nouvelle édition de The Eyes claque. Elle joue sur le yin et le yang. La confluence et la fusion. Ce n’est pas un hasard si elle s’intitule B-Side. Comme une invitation à découvrir la face cachée. L’autre part de soi-même. Plus exactement, elle explore ce que signifie être « afropéen » (c’est-à-dire à la fois noir et européen), à l’aune du collage percutant, en début d’ouvrage, de la photographe Jazz Grant : un montage d’images où un jeune homme translucide porte en lui un instantané de son père à la peau sombre, pêchant dans le fleuve. C’est cet entre-deux identitaire que AFRIQUE MAGAZINE
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The Eyes a choisi d’explorer, en écho aux propos sur la liberté de l’écrivain nigérian Chinua Achebe, cités en préambule : « L’art est l’effort constant de l’homme pour créer pour lui-même un ordre de réalité différent de celui qui lui est imposé ; une aspiration à s’accorder, par le biais de son imagination, une deuxième prise sur l’existence. » Ce numéro s’en fait le reflet. Et l’investigateur. À travers photographies, création visuelle et textes engagés. ■ C.F.
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The Eyes #12: B-Side, 240 pages, 25 €. 13
ON EN PARLE
MUSIQUE
Muthoni Drummer Queen
Rappeuse de diamants La REINE DU HIP-HOP KÉNYAN revient avec un quatrième album, River, qui résume à lui seul la dextérité de son flow.
MUTHONI DRUMMER QUEEN,
River, Yotanka.
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BRET HARTMAN/COURTESY OF TED - DR
DEPUIS TOUJOURS, Muthoni Drummer Queen est très active sur la scène kenyane. « Parce que celle-ci est très dynamique, dans toute son émergence et son effervescence, affirme-t-elle. Nous ne formons pas qu’un ensemble uniforme. Au contraire, notre musique ne cesse de grandir et d’évoluer, et je cherche à ce que les gens découvrent cette expérience qui est la nôtre. Je suis convaincue que nous avons l’une des cultures urbaines les plus intéressantes et complexes de toute l’Afrique. » Née dans la capitale, Muthoni Ndonga ne l’a jamais quittée. Diplômée en relations internationales et en philosophie à l’United States International University Africa, elle a fondé à Nairobi deux festivals : Blankets and Wine et Africa Nouveau. Grande lectrice, notamment de Maya Angelou, elle est non seulement chanteuse, mais également batteuse et percussionniste. Et c’est ce qui donne, sans doute, tant de saveur à ses mélodies percussives depuis la sortie de son premier album, The Human Condition, en 2009. Et quel meilleur langage que le rap pour exprimer ses convictions ? « Grâce à la pluralité des sons du hip-hop, les sujets sont nombreux et permettent de parler de politique, de société, ou tout simplement de faire le vantard, analyse l’artiste. De plus, la culture du sample apporte des influences éclectiques et de l’authenticité. » Après un She (2018) revendiquant sans détours son féminisme, la voici de retour avec le très réussi River. À la production, ses fidèles complices suisses, Greg Escoffey et Jean Geissbuhler. Après une tournée bouillonnante en 2019, le trio a eu envie de traduire cette énergie en studio où l’ambiance était, selon les termes de Muthoni Drummer Queen, « joyeuse, lumineuse, fun » : « Nous cherchions à faire une musique qui rende les gens heureux. » De l’impressionnante ouverture « Automatic » à la conclusion épique (bien nommée) « Greatness », la rappeuse se nourrit d’un terreau R’n’B comme des possibilités de l’électronique. Elle s’allie avec Sauti Sol sur une « Love Potion » endiablée, rappelle ce qu’est l’« African Fever »… et met en lumière son « Power » ! ■ S.R.
ÉPÉE DE DAMOCLÈS
THRILLER
Un JEU DE DOMINOS, où les principales puissances planétaires défient l’inéluctable.
CE GALLOIS AFFABLE et rieur est aujourd’hui considéré comme l’un des écrivains les plus populaires du monde. Traduits en plus de 30 langues, les romans de la saga médiévale de Ken Follett, intitulée « la fresque de Kingsbridge », ont captivé une foule de lecteurs, avec 47 millions d’exemplaires vendus. Si l’histoire, l’espionnage ou le thriller n’ont plus de secrets pour lui, c’est l’actualité brûlante et la peur d’une guerre nucléaire qui l’ont guidé dans l’écriture de ce récit. Hyperréaliste, le propos s’appuie sur une escalade progressive de conflits, de réactions, de décisions. Comme dans la vraie vie. Cap sur le Tchad et le Soudan, où la Chine étend sournoisement son pouvoir dans le désert, tandis que les renseignements français pistent des djihadistes qui exploitent à la fois mines d’or et camps d’esclaves. Le massacre d’une centaine de Chinois par un drone américain met soudain le feu aux poudres. Et le fragile équilibre mondial bascule. ■ C.F. KEN FOLLETT, Pour rien au monde,
Robert Laffont, 880 pages, 24,90 €.
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ON EN PARLE
« CARTIER ET LES ARTS DE L’ISLAM : AUX SOURCES DE LA MODERNITÉ »,
Coffret, Iran,
XIXe siècle.
Musée des arts décoratifs, Paris (France), jusqu’au 20 février 2022. madparis.fr
EXPOSITION
PARURES ENCHANTÉES L’impact de la découverte des ARTS DE L’ISLAM dans le processus de création de l’illustre maison de haute joaillerie CARTIER.
Diadème Cartier, 1936. Plus de 500 bijoux d’exception sont exposés.
Panneau de revêtement, Iran, fin XIVe -XVe siècle.
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HERVÈ LEWANDOWSKI/RMN-GP - DR (3) - RAPHAEL CHIPAULT/RMN-GP
À TRAVERS PLUS DE 500 BIJOUX d’exception et objets de la maison Cartier (chefs-d’œuvre de l’art islamique, dessins, livres, photographies et documents d’archives), cette flamboyante exposition du musée des Arts décoratifs allie raffinement et modernité. D’un plumier indien du XVIe siècle, dit de « Mirza Muhammad Munshi », en ivoire de morse sculpté, gravé et incrusté d’or, de turquoises, de pâte noire et de soie, à un collier draperie signé Cartier, en or, platine, diamants, améthystes et turquoises, commandé en 1947 par le duc de Windsor pour la duchesse, chaque pièce est un trésor. En montrant de quelle manière les arts de l’islam ont inspiré la maison de haute joaillerie du début du XXe siècle à nos jours, c’est aussi tout un pan de l’histoire du goût et de l’effervescence créatrice de Paris, haut lieu du commerce de l’art islamique, qui est évoqué. À cette époque, Cartier, créée en 1847, commence à concevoir ses propres bijoux et cherche de nouvelles sources d’inspiration. Le langage géométrique, aux confins de l’abstraction, des arts et de l’architecture de l’islam, insufflant ainsi une esthétique nouvelle. Et moderne. ■ C.F. I
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BIOPIC DR
LA VICTOIRE EN DOUBLE
Une PASSIONNANTE PLONGÉE dans l’Amérique des années 1990 et le business du tennis. Et un WILL SMITH inattendu en père des sœurs Williams, strictement coachées pour devenir « un modèle pour toutes les petites filles noires de la planète »… « NE PAS PLANIFIER, c’est planifier ton échec » : la pancarte est accrochée sur les grilles du pauvre court de tennis de la ville de Compton (Californie) par Richard Williams quand il emmène ses filles, Venus et Serena, s’entraîner après les cours et les devoirs, même sous la pluie. Car il a un plan précis pour deux de ses cinq enfants : une carrière au sommet du tennis mondial… Partir de rien et devenir « un modèle pour toutes les petites filles noires de ce pays, et de la planète ». Il est tout aussi exigeant avec ses trois autres filles, mais joueur de tennis lui-même, il est sûr d’amener Venus, puis Serena, au sommet avec le soutien de son épouse. Il a d’ailleurs tout prévu avant leur naissance, écrit un plan en 75 pages pour y parvenir, sans moyens financiers mais en approchant les meilleurs entraîneurs, et en ne lâchant jamais sa progéniture. C’est à la mise en pratique de cette méthode que nous assistons pendant 2 h 40, mélange de feel good movie et de film sportif, mené tambour battant par ce père entraîneur parfaitement incarné par Will Smith, personnage roublard, têtu, ordurier et égocentré, mais aussi sensible et audacieux. AFRIQUE MAGAZINE
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Sans oublier le couple qu’il forme avec sa femme (Aunjanue Ellis), forte personnalité elle aussi et complice de cette ambition à pousser les deux sœurs hors du ghetto afro-américain dans lequel tout conduirait à les enfermer. Leurs repères : Dieu, la famille, l’éducation et le tennis. Et beaucoup, beaucoup de travail. Manque pourtant à ce parcours et ce coaching pas comme les autres le ressenti des enfants, et la violence sourde du racisme ordinaire, à peine évoqué, alors que les joueuses ont dû l’affronter plus d’une fois dans leur carrière. Une scène l’évacue d’un sourire quand, traversant un club de tennis où tout le monde est blanc et les regarde avec insistance, Richard Williams dit à ses filles : « Ils sont pas habitués, on est trop beaux… » Le jeune cinéaste afro-américain Reinaldo Marcus Green a réussi un film (coproduit par les sœurs Williams et Will Smith) tendu du début à la fin, comme une partie de tennis magique, où la balle est relancée sans fin et sans faute. ■ J.-M.C. LA MÉTHODE WILLIAMS (États-Unis), de Reinaldo Marcus Green. Avec Will Smith, Aunjanue Ellis, Saniyya Sidney. En salles.
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ON EN PARLE Inspirés de la structure circulaire des habitations traditionnelles du continent, les sacs du défilé étaient signés de la marque sud-africaine Hamethop.
Les broderies valorisent le savoir-faire artisanal.
MAISON D’AFIE, L’HISTOIRE FAIT LA MODE
Une collection qui célèbre la CULTURE MÉDIÉVALE CAMEROUNAISE et met en lumière son héritage. « MYANGO » est le nom de la dernière collection de Maison d’Afie, une maison de mode créée en 2010 par la Camerounaise Sarah Divine-Garba. Abréviation de la phrase « Myango Ma Kwang », qui veut dire « histoires du passé » en douala, ce nom rend hommage au royaume du Mandara, l’un des petits royaumes qui ont contribué à la naissance du Cameroun. La collection, qui s’inscrit dans une recherche de la designeuse sur ses origines et le concept d’africanisme, veut mettre en avant les liens qui existent entre les styles médiéval, colonial et post-colonial dans le pays. C’est pour cette raison qu’elle a choisi d’utiliser des lins rayés, des broderies et des soies imprimées avec des motifs touaregs qui valorisent le savoir-faire artisanal. Ces tissus, en fibres naturelles personnalisées et tissées à la main, évoquent le prestige culturel de l’Afrique au Moyen-Âge, mais rappellent également les liens commerciaux qui existaient entre les Nord-Africains et les populations subsahariennes. Des échanges qui ont 18
La styliste Sarah Divine-Garba.
Ce chapeau rend hommage à la reine Soukda, fondatrice du royaume du Mandara peu avant 1500.
fortement influencé la culture de l’époque et laissé des traces jusque dans le style camerounais contemporain. La styliste a aussi choisi d’intégrer des tailles cintrées à des silhouettes amples (synonymes de liberté). Un symbole de soumission qui rappelle l’époque coloniale. Pour la première fois de son histoire, Maison d’Afie a présenté sa collection printemps/été lors d’un défilé qui a capturé tous les regards durant la Portugal Fashion Week, grâce au programme Creative Africa Nexus. L’occasion de s’associer avec d’autres marques africaines pour proposer des accessoires uniques, comme les chaussures Heel The World, du Ghana, les bijoux faits à la main d’Adèle Dejak, du Kenya, ou encore les magnifiques sacs signés Hamethop, d’Afrique du Sud, inspirés de la structure circulaire des habitations traditionnelles du continent. La valeur symbolique est également présente chez Maison d’Afie : un chapeau, par exemple, rend hommage à la reine Soukda, qui a fondé le royaume du Mandara peu avant 1500. ■ Luisa Nannipieri maisondafie.com
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DESIGN
SOSHIRO, UNE FENÊTRE SUR D’AUTRES CULTURES La marque italo-kényane travaille à la synergie des techniques et exalte le potentiel de l’HÉRITAGE TRIBAL.
NICK ROCHOWSKI PHOTOGRAPHY - GERARDO JACONELLI
NÉE À NAIROBI, Shiro Muchiri s’interroge depuis longtemps sur la façon dont la conception de l’espace et le design sont interconnectés. Pendant ses études puis sa vie professionnelle, en Italie et au Royaume-Uni, elle remarque à quel point la mentalité européenne influence le design des objets du quotidien et l’aménagement des lieux de vie, même au Kenya. Elle décide alors de lancer SoShiro en 2018 et réalise sa première collection, « Pok », dans laquelle elle célèbre le savoir-faire du peuple Pokot (nord-ouest du Kenya), en l’associant autrement à l’artisanat italien : « Les Pokot sont des experts en broderie perlée, mais ils n’avaient jamais orné des matériaux haut de gamme comme le cuir italien. La beauté du résultat les a laissés sans voix. » Les panneaux, recouverts de cuir et brodés avec des motifs symboliques, tapissent
des meubles faits par des menuisiers vénitiens. « Cette synergie permet de réunir ce qu’il y a de meilleur dans les deux héritages culturels, et de redonner de la valeur à des techniques que les Pokot considéraient comme
acquises », pointe Shiro Muchiri. La création même de ces pièces a été une expérience de partage. Une façon, à travers le design, d’ouvrir une fenêtre sur une culture différente. ■ L.N. soshiro.co
Un panneau en bois gravé à la main recouvre ce meuble.
Shiro Muchiri.
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LA FORCE DES IMAGES
Une sélection de beaux livres à DÉCOUVRIR pour commencer une nouvelle année en émotions. par Catherine Faye et Sophie Rosemont VIRTUOSE DU CINÉMA
UN CONTINENT EN MOUVEMENT
Où est la maison de mon ami ?, Le Goût de la cerise, Au travers des oliviers… Film par film, les auteurs décryptent avec érudition la richesse sémantique de l’œuvre du réalisateur iranien, intelligemment illustrée. S.R.
Au fil des pages, une œuvre, un plasticien, un pays. À travers 52 artistes contemporains africains engagés, acteurs reconnus de la scène artistique mondiale, le voyage se fait multiforme et invite à (re)découvrir la richesse d’un continent pluriel. C.F. ELIZABETH TCHOUNGUI, Oh! AfricArt, Le Chêne, 224 pages, 42 €.
AGNÈS DEVICTOR ET JEAN-MICHEL FRODON,
Abbas Kiarostami : L’Œuvre ouverte, Gallimard, 304 pages, 29 €.
Comment cette ville est devenue l’une des plus emblématiques du Moyen-Orient ? C’est ce à quoi répond en images et en références cet ouvrage, revenant sur les points d’orgue architecturaux de la ville, de la tour Burj Khalifa à l’aéroport international. S.R. MYRNA AYAD, Dubaï Wonder, Assouline,
296 pages, 95 €.
PETITS MAIS SI PRÉCIEUX Un livre plein de surprises pour les plus de 6 ans, et une plongée dans l’infiniment petit, à la rencontre des insectes sociaux. Fourmis, termites, abeilles, guêpes et autres frelons n’auront plus de secrets. C.F. ANNE JANKELIOWITCH ET ISABELLE SIMLER,
Royaumes minuscules, La Martinière, 64 pages, 21,90 €.
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SWAG & ROCK’N’ROLL Quand un président star et un musicien de légende se rencontrent, le dialogue envoie. Avec plus de 350 photographies, des textes exclusifs et des documents d’archives BARACK OBAMA inédits, voici le rêve américain vu ET BRUCE SPRINGSTEEN, par deux icônes. Et une conversation Born in the USA, intime sur la vie, la musique Fayard, 320 pages, 49,90 €. et le pays de l’oncle Sam. C.F.
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DR (3) - SPRINGSTEEEN FAMILY ARCHIVES - OBAMA-ROBINSON FAMILY ARCHOVES - DR (2)
SPECTACULAIRE DUBAÏ
JOAQUIM PAULO ET JULIUS WIEDEMANN,
Funk & Soul Covers, Taschen,
432 pages, 50 €.
FUNKY BEAT L’âge d’or de la musique afro-américaine, entre funk, soul et jazz, est ici retracé en pochettes, décryptant les disques de stars comme Aretha Franklin ou James Brown, mais aussi des noms moins connus, tels Mulatu Astatke ou Fontella Bass. S.R.
ENVIES D’AILLEURS Il y a cent ans, il fallait des semaines, voire des mois, pour parvenir à destination. C’était un temps où le voyage était la chasse gardée d’une caste de privilégiés. Ou d’aventuriers. À travers des trésors documentaires (photos d’époque souvent inédites, affiches publicitaires, billets, menus, étiquettes à bagage), cette anthologie ressuscite les fascinants balbutiements du voyage (1869-1939) et retrace la magie des grands périples. Du Grand Tour de l’Europe à l’Extrême-Orient, à bord de l’Orient Express, du Transsibérien ou du Titanic, chaque voyage résonne de passages célèbres tirés de récits des premiers écrivains voyageurs, tels Charles Dickens, Jules Verne, Francis Scott Fitzgerald ou encore Mark Twain. C.F. MARC WALTER ET SABINE ARQUÉ, The Grand Tour : L’Âge d’or du voyage, Taschen, 616 pages, 60 €.
QUI DE L’HOMME OU DU COCHON C’est l’une des meilleures fables politiques jamais écrites, mais aussi une dystopie. Les animaux d’une ferme se révoltent et mettent en place un nouveau régime politique, pire que celui des humains. Son adaptation en bande dessinée prend au collet dans une mise en scène efficace où la formule orwellienne « Tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres » prend tout son sens. L’ouvrage s’achève sur un constat amer pour les autres animaux asservis : plus rien ne semble distinguer les cochons de leurs anciens maîtres. C.F.
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RODOLPHE ET PATRICE LE SOURD,
La Ferme des animaux de George Orwell, Delcourt, 48 pages, 10,95 €. AFRIQUE MAGAZINE
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ESPRIT SUBVERSIF Quatre cents ans et pas une ride. Est-ce la liberté de ton de Jean de La Fontaine, né en 1621, la justesse des mots ou le jeu subtil entre représentations animale et humaine de ses personnages qui investissent les Fables d’une inaltérable modernité ? Il n’en reste pas moins que l’acuité de sa vision sur la nature humaine est saisissante et que d’un tableau à l’autre, chacun de nous s’y trouve dépeint. Doué pour le bonheur, ce « garçon de belles lettres » n’en finit pas de nous instruire. Cette nouvelle édition illustrée a tout d’un coffret enchanteur. C.F. JEAN DE LA FONTAINE, Fables, La Pléiade, 1248 pages, 55 €.
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ON EN PARLE INTE RVIEW
Léonie Pernet, le retour aux sources
Dans son second album, Cirque de consolation, la musicienne française chante mieux que jamais. Et mêle des propos engagés à l’électronique occidentale ou des musiques traditionnelles ouest-africaines.
AM : Après la révélation de votre premier album, Crave, comment avez-vous abordé le virage toujours risqué que représente un second disque ? Léonie Pernet : Rien n’aurait pu être plus douloureux
que c’était un leurre, et que je portais par ailleurs un racisme à mon encontre en moi. C’est ce que raconte notamment le morceau « Intérieur négro ». Il fallait que j’aille chercher ma part noire…
que la naissance de Crave, donc ça a été moins stressant que ce qu’on pourrait imaginer ! Ce qui a changé, c’est que j’ai travaillé ma voix, j’ai écouté d’autres musiques… Mon besoin d’ouverture était profond. J’avais envie de texte, de chant, de plus de percussions et d’éléments organiques. D’être moins vaporeuse, en quelque sorte ! Surtout, j’ai décidé de travailler avec un réalisateur, Jean-Sylvain Le Gouic. À mes débuts, j’étais seule aux commandes car j’avais peur qu’en collaborant avec un homme, on puisse penser que les idées venaient de lui, alors que j’écris et compose tous mes morceaux. Mais cette fois, j’étais en confiance, et j’ai pu aller plus loin encore du point de vue créatif.
Quelle musique africaine écoutez-vous ?
J’ai longtemps écouté de la musique arabe, mais quand j’ai découvert la scène ouest-africaine, ça a été un choc ! J’aime Tinariwen et le blues touareg, les modes harmoniques de la musique malienne… J’emprunte même une kora dans « À rebours ». Pour mon concert parisien de la Cigale [le 25 mars prochain, ndlr], je rêve d’inviter Toumani Diabaté ! La scène électronique africaine est également très enthousiasmante, je suis fan du collectif et label Nyege Nyege. Pourquoi ce très beau titre, quelque peu mélancolique, Cirque de consolation ?
C’est un endroit qui existe, mais que je n’ai jamais visité ! J’en ai découvert l’existence par hasard, en rentrant d’un concert en Suisse, il y a quelques années. C’était un trajet long, pénible, un peu étrange. Par la fenêtre du van, Oui, elles accompagnent l’acceptation j’ai vu ce panneau qui indiquait « Cirque de des origines de mon père biologique, consolation ». J’ai eu l’impression qu’il m’était touareg du Niger. Je l’ai enfin rencontré Cirque de consolation, InFiné. adressé ! Quelques mois plus tard, j’ai écrit il y a quelques années… et je n’ai pas de un morceau du même nom. Ce titre est littéraire, poétique, mots pour expliquer à quel point cela a été fort. Cette grande et résonne avec mon chemin familial. Outre le clin d’œil réconciliation personnelle m’a naturellement ouverte à à La Société du spectacle, de Guy Debord, il y a dans ce titre d’autres espaces culturels, notamment cette part africaine quelque chose qui interroge notre humanité d’aujourd’hui… que je porte en moi. Car pendant longtemps, je n’ai pas eu conscience de la richesse artistique du continent, même si j’ai Vous chantez en français, les rythmiques sont toujours parlé de métissage et d’hybridation, et que je suis très présentes… C’est un nouveau départ ? férue de la littérature de Frantz Fanon et d’Édouard Glissant Cet album, c’est la suite de Crave, qui parlait beaucoup – le concept de Tout-Monde m’a beaucoup impressionnée. du manque. Sa suite naturelle, c’est la consolation. Puis la tentative de joie… À la sortie de mon premier disque, j’avais Dans cet album très personnel, vous évoquez l’addiction, déjà commencé à chanter en français et trouver un nouveau la reconstruction, l’amour, mais aussi le racisme… ton. Après mes premières chansons dotées de beaucoup de Jusqu’à ce que je rencontre mon père, j’avais l’impression passages lents et sombres, je voulais ramener de la lumière d’être libre, de bien vivre mon homosexualité et en ce bas monde ! ■ Propos recueillis par Sophie Rosemont mon métissage, par exemple. Mais j’ai compris
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JEAN-FRANÇOIS ROBERT - DR
Dans Cirque de consolation, les influences africaines s’imposent. Un retour aux sources ?
ROMAN
NOUVELLE AURORE L’économiste et écrivain sénégalais Felwine Sarr livre un récit poétique sur le destin et l’éveil.
Proposal (Mountain Time), Daniele Genadry, 2014.
FOIRE
COURTESY DANIELE GENADRY & GALERIE IN SITU-FABIENNE LECRLERC, GRAND PARIS - DR
LE MENA À L’HONNEUR Avec 15 galeries et 100 œuvres provenant d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, MENART FAIR crée une nouvelle fois la surprise.
APRÈS AVOIR INVESTI PARIS au printemps dernier, Menart Fair fait escale à Bruxelles, en janvier, pour sa seconde édition. Exclusivement dévolue à l’art contemporain et moderne d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient (MENA), cette foire a été lancée sous l’impulsion de Laure d’Hauteville. Férue d’art, celle-ci œuvre activement au dialogue interculturel entre le Moyen-Orient et l’Occident depuis près d’une trentaine d’années. Elle a ainsi fondé en 1998, à Beyrouth, le premier salon international d’art contemporain consacré à la création de la région MENA. Forte du succès de l’exposition « Regards d’Orient » en octobre dernier – suivie de la vente aux enchères au sein de la maison Cornette de Saint Cyr, à Paris –, Laure d’Hauteville assure : « L’art du Liban, de la Tunisie et du Maroc est très prisé. » Menart Fair, dont la direction artistique a été confiée à Joanna Chevalier, se tiendra durant la 66e Brussels Art Fair et réunira 15 galeries (Nathalie Obadia, La La Lande, ou encore 193 Gallery). Les pièces emblématiques de talents émergents comme la Yéménite Alia Ali ou le Tunisien Bechir Boussandel se tailleront une place parmi la centaine d’œuvres exposées. ■ Fouzia Marouf MENART FAIR, Cornette de Saint Cyr, Bruxelles (Belgique),
DÉTERMINÉ, ce professeur de philosophie africaine contemporaine à l’université Duke, en Caroline du Nord, arpente le monde comme on explore ses rêves, son histoire. Inlassablement, obstinément. Forgé à l’école de pensée de Nietzsche, de Dante, des philosophes indiens et chinois, il a cofondé avec l’historien et politologue camerounais Achille Mbembe les Ateliers de la pensée à Dakar et à Saint-Louis, en 2016, pour réfléchir aux mutations du monde contemporain. Après l’essai Afrotopia, pour une nouvelle manière de regarder « l’Afrique en mouvement », ou encore La Saveur des derniers mètres, carnet de voyage singulier dans lequel il prend le pouls du monde, ce libre penseur revient avec un roman sur la fraternité et les chemins, parfois ardus, qui mènent à l’apaisement. Une quête initiatique, sous le signe du double, où des jumeaux font route, l’un porté par une spiritualité ancestrale, l’autre par une nécessaire rédemption. Jusqu’à la métamorphose. ■ C.F. FELWINE SARR, Les lieux qu’habitent mes rêves, Gallimard, 15 €.
du 21 au 23 janvier 2022. menart-fair.com AFRIQUE MAGAZINE
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CUISINE INTUITIVE ET CLASSIQUES
Que ce soit à Marseille ou à Paris, la CRÉATIVITÉ DU CHEF fait le charme de l’adresse. À La Cuisine de Gagny, on ne trouvera pas de plats africains ou occidentaux classiques, mais on aura le plaisir de découvrir les recettes originales du Malien Gagny Sissoko. Adepte de la cuisine intuitive, le chef créé ses assiettes à partir de produits de saison, en circuit court et à 90 % bio, dans ce restaurant marseillais, ouvert en 2018, qui a été nommé aux Fork Awards 2021. On retrouve ses racines dans certaines saveurs, comme dans les gnocchis au manioc, ou dans les modalités de cuisson qui lui servent d’inspiration. Si vous passez par là pour la première fois, on vous conseille de 24
Situé à Paris, Lokita est né en 2018.
goûter sa daube de poulpe ou de lui faire confiance sur le poisson du jour : il saura vous conquérir. Également né en 2018, mais à Paris, Lokita laisse toute leur place aux grands classiques. Pourtant, les vraies stars de cette cantine, ce sont les pastels farcis et roulés à la main d’Aissata Coundio, ses accras auxquels la farine de niébé donne un twist inattendu et ses jus de fruits traditionnels (lokitajus.fr). Chaque recette naît d’une recherche de la cheffe, d’origines mauritanienne et sénégalaise. Avant d’ouvrir son restaurant, elle a testé ses produits sur les marchés, modifiant ses tapas africaines, élaborés à partir d’une recette familiale, pour leur donner un goût qu’on ne retrouve pas ailleurs. Comme les pastels aux légumes ou son jus Néno (du nom de sa grand-mère), à base d’hibiscus blanc. Un assortiment qu’elle propose aussi à emporter, par exemple dans une box apéro spécial week-end, qui met l’eau à la bouche. ■ L.N.
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La Cuisine de Gagny, à Marseille, propose les recettes originales de son chef malien, Gagny Sissoko.
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Pal_maison, la villa qui respecte la palmeraie Avec ce projet judicieux, le CABINET TUNISIEN Ï+Ï vient d’être nommé aux EU Mies Awards 2022. En même temps, les volets en bois de palmier limitent les chocs thermiques le soir et l’été. Protagoniste absolu du projet, le palmier a également été utilisé pour créer les meubles de la cuisine, les dressings ainsi que les magnifiques portes. ■ L.N.
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POUR LA PREMIÈRE FOIS, quatre projets tunisiens sont en compétition pour obtenir le prix de l’Union européenne pour l’architecture contemporaine Mies van der Rohe 2022, qui sera remis en mai prochain. Parmi les ouvrages présélectionnés, Pal_maison, signé par Souleïma Fourati du cabinet ï+ï, a un nom qui est tout un programme : cette villa de 220 m2 surgit au cœur de la palmeraie de Tozeur, dans une oasis de 3 hectares qu’il fallait à tout prix préserver. Les deux parallélépipèdes en H, construits sur un socle carré pavé de briques en terre cuites – disposées de façon à rappeler les motifs des tapis traditionnels de la région –, s’harmonisent parfaitement avec le paysage. L’entrée principale du bâtiment sépare l’espace jour de l’espace nuit. Les salons et la cuisine, lieux de convivialité par excellence, relient les deux rectangles tout en s’ouvrant sur la piscine. Le bassin est une interprétation sous forme contemporaine des canaux d’irrigation des palmiers, dont l’eau, non traitée, est réutilisée pour arroser la plantation. Tout est construit pour assurer l’intimité et le confort des occupants. L’orientation de la villa protège les intérieurs du soleil du Sahara et les ouvertures sont occultées par des façades en briques ajourées, qui filtrent la lumière du sud.
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PARCOURS
Youness Miloudi
LES IMAGES DE CE PHOTOGRAPHE MAROCAIN
montrent une esthétique contemporaine de la jeunesse iranienne. Il participera à un group show lancé par Hassan Hajjaj à la Hannah Traore Gallery, à New York, en janvier. par Fouzia Marouf
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YOUNESS MILOUDI
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ans « PerseFornia, avoir 20 ans à Téhéran », sa série consacrée à la jeunesse iranienne exposée en novembre à la galerie parisienne Nouchine Pahlevan, Youness Miloudi proposait une déambulation singulière. Les visages rieurs des filles et des garçons s’offrant au crépuscule, les mains gantées d’une street artist s’attardant sur une œuvre qu’elle finalise à la bombe de peinture sont autant de réflexions sur la liberté en Iran : « J’ai découvert cette vitalité à la suite d’une rencontre très forte avec un jeune couple, avec lequel je me suis lié d’amitié. En 2017, je me suis attaché à réaliser un travail d’inspiration documentaire, durant lequel j’ai suivi des jeunes dans leur quotidien. Je souhaitais donner un visage différent de l’Iran. À l’image de cette jeunesse créative, dont j’étais témoin, et qui recourait à un mode de vie totalement alternatif, tout en composant avec les lois de la république islamique », souligne-t-il. Réalisées en extérieur et en intérieur, ces images révèlent un autre personnage emblématique, Téhéran : noctambule, jouissive, la ville a été saisie sous divers angles. Pugnace et entier, Youness Miloudi sillonne l’Iran durant plusieurs mois afin de s’imprégner de la culture perse. Ses premiers travaux sont éclairés par son envie de comprendre ce pays aussi vaste que complexe. Cette série intimiste prend peu à peu forme hors du cadre traditionnel : « La photographie est un médium indéniable pour aller vers l’autre, elle incarne une ouverture sur le monde. Les Iraniens sont très accueillants, d’un contact direct et plein de curiosité à la vue de voyageurs. J’ai ressenti le besoin de m’attarder un certain temps aux côtés de cette jeunesse underground afin de la documenter au plus près de la réalité. J’en retiens des jeunes qui mènent leur propre révolution en silence. Surprenants, contournant les interdits, ils s’expriment grâce à l’art et la culture. » Né en 1984 à Fès, l’artiste met le cap sur Sans titre, série « PerseFornia, avoir 20 ans à Téhéran ». la France en 2005 afin de suivre des études d’ingénierie à l’université de Picardie Jules Verne. Féru de cinéma et de musique, marqué par l’univers du cinéaste Tony Gatlif, il organise des concerts dédiés à la culture urbaine, comme la danse, le hip-hop ou le breakdance. La création documentaire l’interpellant, il décide de se consacrer pleinement à la photographie et au voyage en 2013 et se met en quête de sujets hors de sa zone de confort : « J’ai toujours été fasciné par l’image et ses multiples aspects. Arrivé en France, j’ai enchaîné en parallèle des petits jobs afin de m’offrir mon premier appareil photo. J’ai commencé par travailler dans l’événementiel et par faire de la photo en studio. Puis, ma pratique et mes choix se sont affinés, et j’ai décidé de me tourner vers la photographie de témoignage », se souvient-il. En 2018, il présente pour la première fois une partie de son projet « PerseFornia » sous la forme d’un collectif à la foire d’art contemporain africain 1-54 Marrakech. Suit une deuxième exposition en 2019 à Photo Doc, rendez-vous incontournable de la photographie documentaire à Paris. Dans l’optique de s’ouvrir à de nouvelles perspectives, il participera en janvier prochain à un group show initié par Hassan Hajjaj à la Hannah Traore Gallery, à New York. ■
WIAME B.
«Je souhaitais donner un visage
différent de l’Iran.»
C o m m u n i q u é Radisson Hotel Group s’attend à une année solide, avec une expansion dans les principales villes d’Afrique de l’Ouest et Centrale. Erwan Garnier, Directeur Senior, Afrique, Radisson Hotel Group, nous parle des projets du groupe
Radisson Hotel Group réalise sa grande ambition pour l’Afrique
Exterieur du Radisson Collection Bamako
Quel est le portefeuille actuel de Radisson Hotel Group et quelles sont ses ambitions pour l’Afrique de l’ouest et centrale ? L’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale représentent des marchés clés dans notre stratégie de développement continentale, en faisant passer notre portefeuille d’une unité en 2008 à 25 hôtels en exploitation et en développement aujourd’hui. Grâce à cette solide stratégie d’expansion, nous sommes en passe de consolider notre leadership et de doubler notre portefeuille pour atteindre 50 hôtels d’ici 2025. Quelles ont été les réalisations marquantes dans cette région au cours des deux dernières années ? Malgré la pandémie, nous avons été en mesure d’accroître notre portefeuille en Afrique de l’Ouest et centrale avec la signature de trois nouveaux hôtels, ajoutant plus de 625 chambres. Nous avons renforcé notre présence sur des marchés clés tels que le Nigeria et le Mali, tout en pénétrant sur un nouveau marché, le Ghana. Les conversions étant au cœur de notre stratégie de croissance, nous avons pu ouvrir des hôtels en accélérant le repositionnement de structures existantes. Une autre étape importante a été le lancement de notre marque Radisson Collection en Afrique, avec l’ouverture du Radisson Collection de Bamako en décembre 2020 En avril de cette année, nous avons également lancé notre première propriété Radis-
son Individuals en Afrique, avec la signature de l’hôtel Earl Heights Suites, membre de Radisson Individuals, à Accra, au Ghana. L’ouverture est prévue au cours du premier trimestre 2022. Radisson Individuals est une marque de conversion qui offre aux hôtels indépendants et aux chaînes locales et régionales l’opportunité de faire partie de la plateforme mondiale de Radisson Hotel Group, de bénéficier de la notoriété et de l’expérience internationale du Groupe, tout en ayant la liberté de conserver leur caractère unique et leur identité. Quel est la stratégie d’expansion et les priorités en Afrique de l’ouest et centrale ? Nous avons identifié six pays avec une stratégie claire de croissance, axé sur les capitales, les centres financiers et les destinations touristiques. Huit villes sont au cœur de notre ambition : Abuja, Lagos, Accra, Abidjan, Dakar, Yaoundé, Douala et Kinshasa. Notre stratégie se développe les hôtels d’affaires, les centres de villégiature,
les appart-hôtels et les développements à usage mixte. Au Nigeria, nous avons pour objectif d’augmenter de 50 % notre portefeuille de neuf hôtels d’ici 2025. L’objectif principal est la capitale Abuja, suivie de Lagos et Port Harcourt. Nous prévoyons de développer chacune de nos six marques au Nigeria, y compris notre toute nouvelle marque Radisson Individuals, afin de soutenir les conversions potentielles. Au Ghana, nous souhaitons développer l’ensemble de notre portefeuille, en mettant l’accent sur l’expansion de la capitale, Accra, ainsi que Kumasi, la seconde ville du pays et Takoradi sur le positionnement resort. En Côte d’Ivoire, Abidjan est au cœur de notre action et nous avons pour objectif de répondre aux besoins du marché en ayant chacune de nos six marques présentes d’ici la fin 2025. Cela inclut Plateau, Cocody, Marcory and Zone 4. De plus nous souhaitons nous développer dans le pays sur le segment affaires à Yamoussoukro et San-Pedro ainsi que sur le segment loisirs à Assini et Grand Bassam. Au Sénégal, nous souhaitons également développer chacune de nos marques, en concentrant notre expansion dans le centre de Dakar avec le Plateau, la Corniche, Ngor et Point E ainsi que Diamniadio et Saly. Les autres villes que nous avons identifiées pour notre expansion sont Touba, Saint Louis et Cap Skirring.
Erwan Garnier, Directeur Senior, Afrique, Radisson Hotel Group.
Reception du Radisson Collection Bamako.
C’EST COMMENT ?
PAR EMMANUELLE PONTIÉ
DOM
BONNE ANNÉE ! Je viens de me rendre compte, à la relecture des « C’est comment ? » des numéros doubles de fin d’année sur cinq ans, que les vœux pieux se juxtaposent. Pour que le terrorisme cesse, pour que la redistribution des richesses soit effective, pour que les démocraties et la bonne gouvernance s’installent, pour que la demande d’emploi exponentielle soit satisfaite, pour que les filles aillent à l’école, pour que l’environnement et sa dégradation galopante soit enrayée, pour que, pour que… Et les Cassandre argueront que ça ne marche pas. Les esprits chagrins comptabiliseront les non-avancées, voire les violents reculs dans certains pays. Et surtout, tout en souhaitant que tout s’arrange, on ne parle que de catastrophes, de négatif, de ce qui ne bouge pas, ne change pas. Alors, pour 2022, on va faire différent. En regardant un peu notre continent par une lorgnette positive, inversée. Et d’abord pour parler de l’actualité : le retour du coronavirus, des frontières qui se ferment et du stress qui se généralise à nouveau. À l’heure où cette édition boucle, nul ne sait quelle sera l’évolution du nouveau variant Omicron, venu d’Afrique du Sud. Mais on peut espérer, déjà, que l’Afrique (hormis l’Afrique australe, peut-être) devrait continuer à prouver sa résistance face à la pandémie, aux pandémies. Avec des systèmes de santé bien plus défaillants que ceux du Nord, une couverture vaccinale quasiment nulle (moins de 7,5 % début décembre), le continent a montré la force de sa population jeune et les résiliences étonnantes de la plupart de ses économies. Malgré, là encore, les prédictions les plus funestes. Sa jeunesse, justement, celle qui a décidé dans un pays sahélien – demain deux, peut-être plus – de prendre son destin en mains en descendant dans la rue pour dire stop. Cette jeunesse encore qui se lance dans l’autoemploi, monte des entreprises, crée de la richesse, sans trop attendre que les États aident, soutiennent. De nombreux autres signes positifs existent, si l’on regarde bien, comme l’appropriation des nouvelles technologies de demain en un temps record. Ou encore les premiers fruits, ici et là, des programmes de développement mis en place par les États. Et aussi, la prise de conscience sur les questions environnementales, le ras-le-bol des paysannes qui dénoncent la destruction de la couche d’ozone par les pays riches… Certes, le trait est un peu forcé. Volontairement sur-enthousiaste. C’est juste pour montrer que le continent résiste et avance en même temps. À petits pas. À son rythme. Vers demain. C’est bon de l’écrire. Et de lui souhaiter une belle année 2022 ! ■ AFRIQUE MAGAZINE
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perspectives
2022 ANNÉE SUR LE FIL
Pandémie, instabilité politique, insécurité, croissance économique au ralenti… Les indicateurs ont de quoi inquiéter le continent. Et pourtant, avec ses fortes potentialités, l’avenir lui appartient. par Zyad Limam
A
u moment où ces lignes sont écrites, début décembre 2021, le monde paraît au bord de la crise de nerfs. Deux ans après le début de la pandémie de Covid-19, un nouveau variant est apparu, détecté en Afrique du Sud, Omicron (15e lettre de l’alphabet grec, précédée par Xi et suivi par Pi…). Le virus aurait muté de manière spectaculaire, serait devenu plus transmissible, peut-être plus dangereux que ses versions précédentes, dont le fameux Delta qui, lui, pousse la 5e vague de contamination en Europe et aux États-Unis. Trois milliards de personnes dans le monde (très largement dans les pays riches) sont vaccinées, et pourtant les infections se poursuivent, même si elles sont moins meur30
trières. La dépression guette les citoyens. Personne ne connaît vraiment les capacités néfastes d’Omicron, mais les États se barricadent, les frontières se hérissent de murs infranchissables. Le Maroc a fermé ses portes à l’entrée et à la sortie, enchaînant quasiment deux années blanches pour le tourisme. L’Afrique australe a été mise au ban des nations avec la fermeture massive des lignes aériennes. La reprise économique qui semblait bien engagée risque le coup d’arrêt, impactant bien plus encore les pays émergents et les pays pauvres qui n’ont pas les moyens budgétaires de doper leur croissance… Au-delà du Covid, de l’Omicron et du Delta, ce qui n’est pas rien, la situation générale n’est guère brillante. Iran, Ukraine, Taïwan, Palestine, les lignes de fronts sont nombreuses. Un peu
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