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Alimentation le grand désordre mondial
from AM 431-432
by afmag
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Interview
Nicolas Bricas
Le streaming
s’impose en Afrique
Monaco s’intéresse de plus en plus à son sud
Alimentation : le grand désordre mondial
Le Covid-19, puis la guerre en Ukraine ont exacerbé les déséquilibres structurels d’un secteur agricole incapable de nourrir correctement la planète, alors même que la production est encore supérieure aux besoins. La faim et l’obésité progressent, tandis que la biodiversité s’effondre ! Des solutions existent et il est urgent d’agir. Explications.
par Cédric Gouverneur
C’était dans le « monde d’hier », celui d’avant la pandémie et la guerre en Ukraine : en 2015, la communauté internationale s’engageait à « éradiquer la faim dans le monde en 2030 », soit en quinze ans. Or, non seulement la faim n’a pas reculé, mais elle a progressé ! Selon le rapport sur l’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition, publié en juillet par cinq agences onusiennes, 9,8 % des êtres humains (environ 800 millions) sont sous-alimentés, contre 8 % en 2019. C’est 150 millions de personnes de plus en deux ans ! À noter que le continent africain est le plus affecté : 20 % de la population est concernée (deux fois plus qu’en Asie et en Amérique latine).
Les coupables ont vite été désignés : la pandémie de Covid-19 qui, à partir de mars 2020, a empêché pendant des mois producteurs et consommateurs de se rencontrer, du fait des confinements, et perturbé les chaînes logistiques, notamment entre l’Afrique et l’Asie. Puis, alors que le monde émergeait à peine de ce choc sanitaire, la Russie qui a envahi l’Ukraine : la guerre entre les deux principaux greniers à blé de la planète paralyse leurs exportations de blé et d’huile de tournesol, bases de l’alimentation dans de nombreux pays.
Sauf que ces deux chocs ne sont pas les seuls responsables de la situation. Ces événements ont en fait amplifié une crise préexistante, due aux dysfonctionnements du système agricole industriel. Un chiffre le démontre : selon l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), la production agricole mondiale excède
Selon l’ONU, même sur une planète désormais peuplée de 8 milliards d’individus, tous devraient pouvoir se nourrir…
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de 30 % les besoins calorifiques de l’humanité ! Même sur une planète désormais peuplée de 8 milliards d’individus, il y a à manger pour tous… Chercheur et socio-économiste de l’alimentation, Nicolas Bricas [voir son interview pages suivantes] dénonce un système injuste. Ainsi en est-il des subventions publiques à l’agriculture qui inondent l’Afrique de produits européens ou chinois à bas coût, aux dépens des agriculteurs du continent – les Kenyans ont ainsi découvert avec consternation que les frites des KFC installés dans leur pays étaient importées de Chine… En outre, ces aides favorisent les grandes exploitations mécanisées et la monoculture, dont les ravages sur la biodiversité ne sont plus à démontrer : « Il faudrait lier davantage ces subventions aux performances environnementales, suggère le chercheur. L’agriculture peut absorber du carbone, entretenir la biodiversité et les paysages, rafraîchir le climat. Utilisons ces subventions pour financer la transition écologique ! »
Autre aberration : si un être humain sur dix souffre de la faim, la même proportion est désormais obèse (et ce chiffre a triplé depuis les années 1970) ! L’Organisation mondiale de la santé (OMS) soulignait en mars que « le surpoids et l’obésité sont désormais en augmentation dans les pays à revenus faibles et intermédiaires ». Faim et obésité progressent de concert : comment expliquer ce paradoxe ? « Jusqu’aux années 1980, le monde manquait de nourriture, nous précise Nicolas Bricas. L’industrie a donc produit un maximum de calories à moindre coût. Les gens se remplissent le ventre de calories “vides”, d’huile, de sucre, sans fibres. La diversification alimentaire a été négligée. En Afrique, en Asie et en Amérique latine, des gens pâtissent de ce que l’on appelle une “double-charge” : ils sont en surpoids, mais carencés en micronutriments
(vitamine A, fer, zinc, etc.), contenus notamment dans les fruits et les légumes. Le système agricole provoque trop de dégâts sur l’environnement et la santé. Mais de puissants acteurs n’ont pas intérêt à le changer, car ils veulent conserver le pouvoir et la richesse. » Un exemple ? Le Mexique, où 70 % de la population est en surpoids, a imposé en 2019 un Choisir une étiquetage afin d’alerter culture au les consommateurs. détriment d’une Mais l’ONG suisse autre répond Public Eye a révélé en juillet que le géant de à des logiques l’agroalimentaire Nestlé industrielles, et les autorités helvétiques pas forcément avaient cherché à en phase avec dissuader Mexico de prendre ces mesures les intérêts des de santé publique… consommateurs. Face aux aberrations du système agricole actuel, un retour aux sources s’impose. Depuis que l’homme a inventé l’agriculture il y a environ douze millénaires, « 6 000 à 7 000 espèces végétales ont été cultivées pour se nourrir, sur un total d’environ 30 000 plantes Si un être humain sur dix souffre de la faim, la même proportion est désormais obèse. comestibles », rappelait la FAO dans un rapport de 2018. Or, aujourd’hui, nous n’en cultivons qu’« environ 170. Et trois seulement fournissent 40 % de nos calories : le blé, le riz et le maïs ». Le paradoxe est que de nombreux pays africains consomment un pain qu’ils ne produisent pas : « Le pain est omniprésent, on oublierait presque que la culture du blé est peu répandue en Afrique », souligne Téguia Bogni, auteur et spécialiste culinaire camerounais, dans une tribune publiée sur le site du Monde le 25 mars. La FAO remarque aussi que l’abandon de milliers de fruits et légumes est « non seulement une honte pour tous les goûts que nous perdons, mais aussi pour les nutriments qu’ils fournissent ». Or, choisir une
culture au détriment d’une autre répond à des logiques industrielles, pas forcément en phase avec les intérêts des consommateurs, des agriculteurs ou des pays émergents… Parce qu’elle résiste mieux au transport, la banane Cavendish s’est ainsi imposée parmi le millier de variétés que la nature nous offre, allant jusqu’à représenter 50 % de la production mondiale ! Les cultures négligées sont « généralement des cultures indigènes ou traditionnelles », souligne la FAO. « Soutenus par les politiques et les fonds nécessaires, ces espèces négligées peuvent revenir sur le marché. » En témoigne le retour en grâce, depuis les années 1990, du quinoa : cette plante riche en acides aminés et originaire des pays andins a vu sa production tripler. Elle est désormais cultivée dans 70 pays, dont l’Éthiopie, le Kenya et l’Ouganda. Idem avec la patate douce, dont l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) en Afrique de l’Est souligne le potentiel en tant qu’aliment très nutritif et résistant à la sécheresse, dans une Corne de l’Afrique où près de 20 millions de personnes se trouvent en insécurité alimentaire aiguë du fait de la sécheresse, des conflits régionaux et du blocage des ports ukrainiens.
Face à la dépendance au blé, Téguia Bogni suggère que « les pays africains explorent la piste du pain enrichi aux farines locales à base de millet, de sorgho, de teff [céréale éthiopienne, ndlr], de fonio, de maïs, de patate, de manioc ou encore de plantain ». Une approche à même de « réduire les importations de blé » et de « valoriser les produits locaux ». D’autant que la monoculture en Afrique est une importation coloniale : jusque dans les années 1880 et l’arrivée des « plantations », l’agriculteur y pratiquait naturellement l’agroforesterie et la diversité des cultures… ■
LES CHIFFRES
3 pays africains figurent dans le top 10 des détenteurs de cryptomonnaies : le Nigeria, le Kenya et l’Afrique du Sud.
9,18 %, SOIT LA BAISSE DU FRANC CFA FACE AU DOLLAR EN 2022 (SON COURS LE PLUS BAS DEPUIS CINQ ANS). ARRIMÉ À L’EURO, LE FCFA PÂTIT DE LA CHUTE DE CE DERNIER.
314 milliards de francs CFA
C’est la somme que le Gabon va engranger en plus en 2022 du fait de la hausse des cours du pétrole.