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Gabon: L’année choc
from AM 435-436
by afmag
enjeux GABON L’ANNÉE
CHOC
Normalement, les élections présidentielle et locales devraient avoir lieu au second semestre 2023. Un vrai stress test pour un pays « riche », durement touché par les conséquences de la pandémie de Covid-19 et une croissance atone. Avec, au centre de l’équation, Ali Bongo Ondimba, sa résilience, sa fragilité et ses projets. par Zyad Limam
Le chef d’État gabonais lors de la cérémonie d’ouverture de la semaine africaine du climat à Libreville, le 29 juillet 2022.
C’est ce pays que l’on qualifie un peu facilement de « petit », et pourtant 268 000 km2 – presque une demiFrance tout de même –, 76e au classement mondial, ce n’est pas si mal. Un pays d’avant-garde en matière d’écologie, couvert encore par l’une des plus belles forêts équatoriales du monde. Un pays relativement riche lorsque l’on regarde les chiffres (avec un PIB par habitant de plus de 8 000 dollars), riche aussi lorsque l’on s’intéresse à ses ressources, le pétrole bien sûr (5e producteur d’Afrique subsaharienne), les forêts évidemment, les mines, le potentiel touristique, agricole. Un pays inégalitaire où une petite élite urbaine d’hommes d’affaires et politiques concentre l’essentiel des revenus. Un pays sous-peuplé (2,3 millions d’habitants), l’une des plus faibles densités du continent (9 habitants/ km2), où les communications d’une région à une autre, d’une communauté à l’autre sont complexes. Un « pays village », secoué en permanence par des querelles picrocholines et des rivalités incessantes, souvent tout aussi stériles qu’absconses. Un pays de cocagne, normalement, une « Suisse de l’Afrique » disait-on avant, qui apparaît pourtant comme immobile, en attente d’assumer un avenir ambitieux. Libreville, capitale ouverte sur l’océan, bercée par son front de mer, alanguie tout en étant régulièrement paralysée par les embouteillages, ressemble à il y a dix ou quinze ans, en mode pause, à la recherche d’une fébrilité créative, de changements et de modernisation. Le Gabon est un potentiel, une promesse, mais c’est aussi un pays en crise économique structurelle. Depuis 2008-2009, le PIB progresse lentement, passant de 13 à 18,3 milliards de dollars aujourd’hui, avec des mouvements brutaux en dents de scie. Le
PIB par habitant est grosso modo le même qu’il y a dix ans. Selon les chiffres officiels, 30 % des Gabonais vivent au-dessous du seuil de pauvreté, soit avec moins de 580 francs CFA par jour (même pas 1 euro)… Les déficits en matière d’offre sociale sont criants, tant sur le plan de l’éducation que sur ceux de la santé, de la formation. Le chômage est endémique chez les jeunes, qui représentent une très grande majorité de la population.
LE DÉFI DE LA PRÉSIDENTIELLE
Les derniers temps ont été particulièrement rudes. Le président Ali Bongo Ondimba (ABO), au pouvoir depuis 2009, fils d’Omar Bongo Ondimba (qui a « régné » lui-même près de quarante-deux ans), a été victime d’un accident vasculaire cérébral (AVC), en octobre 2018. La conjoncture économique a été frappée de plein fouet par l’épidémie de Covid-19 et les multiples confinements. Le pays est entré en récession (-3,9 % en 2019 et -1,9 % en 2020). Les conséquences de la guerre en Ukraine sont venues rajouter leur lot de contraintes, avec en particulier l’inflation. Et son impact sur une population déjà fragilisée. Le retour à la croissance est long, difficile, mais la guerre joue dans les deux sens. Les cours de l’or noir sont haussiers. Et le Trésor public se porte mieux…
C’est ce pays tout en contrastes, à la recherche d’un nouveau souffle, qui s’apprête à se lancer dans un cycle politique particulièrement exigeant. Présidentielle, législatives, locales, le programme de 2023 est particulièrement chargé (si les dates et les échéances sont respectées). Présidentielle en juillet-août. Législatives et locales en octobre. Les Gabonaises et Gabonais devront voter, choisir, quelles que soient les circonvolutions ou les manipulations de la classe politique.
La clé, évidemment, c’est l’élection présidentielle. Un défi pour le Gabon. Les plaies de celle de 2016 ne sont pas refermées. Les résultats du scrutin, plus que serré (avec, en particulier, le vote à quasi 100 % pour le candidat Ali Bongo Ondimba dans sa province du Haut-Ogooué), ont été violemment contestés par la rue. Libreville a vécu des journées tragiques, avec de nombreuses victimes et des mises à sac. Et Jean Ping, candidat de l’opposition – et par ailleurs ex-beau-frère du président sortant –, n’a jamais reconnu sa défaite. Le procès en illégitimité s’est installé durablement. Le climat est resté tendu, c’est le moins que l’on puisse dire.
Ali Bongo Ondimba sera très certainement à nouveau candidat, après 2009 et 2016. Dans une élection qui se jouera à
deux tours pour la première fois depuis l’indépendance du pays. Un processus électoral qui rebat les cartes. Évidemment, l’idéal pour lui serait d’obtenir une victoire au premier tour, quelle que soit la marge, pour clore toute tentative d’alliance potentiellement victorieuse. On pourra s’attendre à de nombreuses manœuvres aussi sophistiquées que « tordues » de part et d’autre. L’enjeu est essentiel : c’est le pouvoir dans un pays sans véritables
Au centre, le président du RPM, Alexandre Barro Chambrier, et le candidat de l’opposition en 2016, Jean Ping, le 30 novembre 2022, dans la capitale.
L’immeuble Total Gabon, à Libreville.
Lorsque l’on regarde ses ressources, il s’agit du 5e producteur de pétrole d’Afrique subsaharienne.
Le roi Charles III a accueilli Ali Bongo, le 17 octobre 2022, à Buckingham Palace, à la suite de l’entrée du Gabon dans le Commonwealth.
contre-pouvoirs, c’est symboliquement ce fameux et imposant Palais du bord de mer, construit en 1977 à l’apogée pétrolière. Et comme, en général, les campagnes électorales gabonaises ne font pas dans la dentelle, on peut s’attendre à des échanges musclés. Les risques de dérapages sont réels.
L’équation se jouera en partie sur la santé du président. Ali Bongo Ondimba a été victime d’un AVC lors d’un voyage officiel en Arabie saoudite, le 24 octobre 2018. Sauvé par les médecins de l’hôpital King Faisal, à Riyad. Un miracle d’ailleurs, ou un signe : le lendemain, le président devait se rendre au Tchad, avant de rentrer au pays…
Le 29 novembre, il est transféré à l’hôpital militaire de Rabat. Le 7 janvier, un groupe de mutins tente de prendre le pouvoir à Libreville. C’est un échec. Mais le traumatisme est profond. La République a vacillé. Le pouvoir semble sans chef, à prendre. Le 15 janvier, le président fait un aller-retour à Libreville pour permettre au nouveau gouvernement de prêter serment, comme le veut la Constitution. La cérémonie durera moins de 1 heure. Elle ne sera pas retransmise en direct ni en différé dans son intégralité sur les chaînes publiques, mais une vidéo de 28 minutes sera diffusée quelques heures plus tard. On y voit le chef de l’État en fauteuil roulant. Les apparences sont presque sauves. Commence alors le long chemin de la réhabilitation physique et de la reprise en main des leviers du pouvoir. On ne peut dénier à Ali Bongo Ondimba un véritable courage, une obstination à se relever. On ne peut que reconnaître ce volontarisme, ces efforts douloureux et constants pour gagner sur le handicap, pour récupérer de la mobilité, les facultés cognitives, présider les Conseils des ministres, recevoir les personnalités en audience, revenir sur la scène diplomatique. Il ne cède rien, la retraite n’est pas à l’ordre du jour. Il aura enchaîné des centaines d’heures d’orthophonie, de rééducation, sans parler de
Aux côtés de ses homologues congolais, Félix Tshisékédi, et américain, Joe Biden, à la COP26 de novembre 2021, à Glasgow, en Écosse.
la mise en place d’un régime strict pour celui qui était amateur de bonne chère et de cigares. En mars 2021, il résume sa pensée lors d’une interview donnée à Jeune Afrique : « Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. » En ajoutant : « Je n’ai jamais lâché, et à aucun moment, l’idée d’abandonner ne m’a effleuré l’esprit. Pour un capitaine, quitter le navire en pleine mer est inenvisageable. » À Paris, en novembre 2021, il refuse tout dispositif spécial pour l’aider à gravir les marches de l’escalier du palais de l’Élysée. Malgré cette jambe droite récalcitrante, qui ralentit sa marche. Ses visiteurs le confirment : ABO a retrouvé la quasi-totalité de son élocution, en français et en anglais. Il affronte la pandémie de Covid-19 et le risque que celui-ci représente pour lui, personnellement, physiquement. Au fond, il incarne symboliquement le pouvoir, malgré les assauts de la maladie. Comme l’on dit, paraît-il, en franc-maçonnerie, un frère vit et meurt debout.
EN MODE SÉDUCTION
Le président gouverne aussi. Et de plus en plus au fil des mois. Il fait le ménage dans le Palais, reprend les rênes. La chute de son directeur de cabinet, le tout-puissant Brice Laccruche Alihanga est particulièrement spectaculaire. Ce sont les opérations « Mamba » et « Scorpion ». La campagne anticorruption envoie de nombreux ministres en geôle.
À quelques mois du scrutin, le pays est toujours divisé, mais le président sortant paraît avoir la main. Ali Bongo Ondimba dispose, avec le Parti démocratique gabonais (PDG), d’une véritable machine de guerre, rodée, implantée et financée (qui fêtera ses 55 ans en mars prochain). Le PDG dispose d’un maillage serré, particulièrement utile en milieu rural, là où l’on peut faire le plein de voix, d’une manière ou d’une autre. De nombreux opposants ont rejoint récemment le gouvernement ou l’orbite présidentiel. ABO est lui-même en mode séduction, renouant des liens avec d’anciens cadres particulièrement précieux, chacun dans sa région. En mars 2022, le chef d’État a créé un Haut-Commissariat de la République, chargé du suivi et de la mise en œuvre de son action politique. Dans cet aréopage, on retrouve des figures essentielles, comme celle de Michel Essongué, vétéran de la vie nationale, qui fut au service de Bongo
père et qui prend la tête de cette institution. On y retrouve aussi Jean Eyeghe Ndong, dernier Premier ministre d’Omar Bongo, dans l’opposition depuis douze ans, et chef de file de la grande famille de Léon Mba (premier chef d’État de la République gabonaise). Nourredin Bongo Valentin, fils d’Ali et de son épouse, la très influente Sylvia Bongo Ondimba, a certes perdu le poste particulièrement exposé et visible de coordinateur des affaires présidentielles, mais il devrait néanmoins fortement s’impliquer dans la campagne électorale. On parle aussi du retour en grâce de Frédéric Bongo, « Fred », ancien patron de la garde présidentielle, limogé avec pertes et fracas en octobre 2019. Les grandes manœuvres ont donc lieu, le rassemblement est enclenché, et personne réellement n’imagine qui pourrait contester tout haut l’autorité et la candidature d’Ali Bongo Ondimba. Le résident du Palais du bord de mer n’a pas de successeur désigné, et on voit mal comment cet état de fait pourrait changer dans les semaines qui viennent…
Pourtant, qu’on le veuille ou non, la question se pose. Certes, ABO s’impose définitivement comme un modèle de survie et de volonté. La peur du vide, l’absence d’une personnalité marquante, rassembleuse, au sein de la majorité incite également à serrer les rangs. Et on compte d’une manière ou d’une autre sur lui pour tenir la maison, défendre son camp, absorber et arbitrer les querelles d’héritiers potentiels, pendant que chacun vaque à ses affaires. Mais le président a 63 ans, sa santé est fragile. On lui demande beaucoup. L’exercice du pouvoir est rude. À la tête de l’État depuis treize ans, il pourrait signer pour sept ans de plus. L’usure aussi se fait tout de même sentir. Même si le fils n’est pas le père (« lui c’est lui, moi c’est moi »), les Bongo dominent la vie publique du pays depuis 1967…
Face à cette majorité aux apparences plus ou moins solides, l’opposition avance fragilisée, divisée, paralysée par les rivalités et les rancœurs personnelles. L’option d’une candidature unique semble bien lointaine. En 2016, Jean Ping, métis, avec un ascendant chinois et une mère myènè, avait pu espérer transcender les frontières ethniques habituelles et coaliser les grands barons de l’opposition. Aujourd’hui, le patriarche vient de fêter ses 80 ans, et beaucoup cherchent à obtenir de lui l’adoubement, et donc son retrait…
Guy Nzouba-Ndama, un vieux de la vieille, déterminé, qui fut tout de même président de l’Assemblée nationale de 1997 à 2016, ne cache pas ses ambitions… Mais il a perdu deux de ses proches lieutenants, entrés récemment au gouvernement. Et de retour d’un voyage à Brazzaville par la route, il a été intercepté par la douane gabonaise avec un peu plus de 1 milliard de francs CFA en cash dans ses valises. Les regards se sont tournés vers la présidence congolaise. Les relations sont pour le moins glaciales entre les deux États voisins. Denis Sassou-Nguesso est le grand-père des deux enfants issus du mariage d’Omar Bongo et de sa fille Édith : Omar Denis Junior et Yacine Queenie. Les contentieux entre les deux familles sont nombreux. Et Omar Denis Junior est particulièrement influent à Brazzaville.
L’Union nationale (UN) a volé en éclat après le « divorce politique » peu amène entre Paulette Missambo et Paul-Marie Gondjout. Même tragédie grecque du côté d’Alexandre Barro Chambrier (Rassemblement pour la patrie et la modernité, RPM), en rupture avec son ex-allié et ami Michel Menga M’Essone, devenu ministre de la Décentralisation lors du remaniement de mars 2022.
LE PAYS DE DEMAIN
Bref, le pays avance cahin-caha vers des échéances majeures, en cherchant à préserver des équilibres instables et des positions acquises. Mais huit ou neuf mois, c’est long, presque une éternité en politique. La campagne elle-même peut réserver des surprises. Les votes ne sont pas acquis. Depuis sept ans, le pays a évolué, les enfants sont devenus des jeunes. Des électeurs potentiels. C’est une génération urbaine, connectée, influencée pour le meilleur et pour le pire par la révolution digitale et les réseaux sociaux. Ils regardent ce qui se passe ailleurs, là où l’on parle d’émergence. Et puis, il y a cette urgence d’avoir enfin un débat à moyen, long terme. D’imaginer le Gabon de demain. De se préparer à l’avenir. De sortir des paramètres définis uniquement par une élite recroquevillée sur elle-même, qu’elle soit proche du pouvoir ou contre lui. De s’éloigner de ce qui ressemble quand même à une guerre permanente entre les héritiers de Bongo père, soucieux de remettre en cause jusqu’à ce jour la position de Bongo fils. Les vrais enjeux sont réels, ailleurs. Le Gabon doit transformer sa promesse. Il a besoin de renouvellement, de se projeter plus énergiquement dans une politique de croissance et d’inclusivité sociale. De créer des richesses, des entreprises, d’offrir des opportunités aux plus fragiles. Le pays est jeune, on l’a dit, les atouts sont là, le pétrole n’est pas encore épuisé, la forêt est riche, la transition est possible, en particulier dans une économie globale qui sera dominée par les questions de développement durable.
Le prochain président de la République, les futurs députés et maires, les partis politiques, la société civile, les milieux d’affaires ne pourront pas échapper à ce débat essentiel. ■
L’absence d’une autre personnalité marquante, rassembleuse, incite à serrer les rangs.
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