DJIBOUTI Cap vers l’avant
Un dossier de 27 pages.
CÔTE D’IVOIRE Génération influenceurs !
LEURS FOLLOWERS se comptent par dizaines de milliers. Rencontre avec ces nouveaux leaders d’opinion.
INTERVIEWS
Un dossier de 27 pages.
CÔTE D’IVOIRE Génération influenceurs !
LEURS FOLLOWERS se comptent par dizaines de milliers. Rencontre avec ces nouveaux leaders d’opinion.
INTERVIEWS
ÉDITO Les militaires ne sont pas la solution par Zyad Limam SOUDAN La guerre des généraux
CHARLES CÉDRIC TSIMI
« POUR MOI, IL N’Y A
PAS DE "CONDITION NOIRE" »
VINCENT MICHÉA
« L’ART DOIT ÊTRE SIMPLE ! »
L’île tunisienne, symbole de soleil et de tolérance, s’interroge sur son identité et doit faire face au traumatisme des attaques.
La guerre au Soudan est particulièrement tragique. Cruelle. Ce pays immense, comme sur un fil permanent, qui a connu dans sa jeune histoire 17 coups d’État, sans parler de la partition avec son sud et les multiples guerres civiles, est dévasté. Abdel Fattah al-Burhan et Mohamed Hamdane Daglo, dit Hemedti, les deux généraux qui ont pris le pouvoir en 2021 pour mettre fin à la transition démocratique, s’affrontent maintenant sans merci. Évidemment, on peut chercher les enjeux stratégiques (l’or, l’eau du Nil, « la ligne politique », les calculs ethno-tribalistes, les interventions de l’extérieur…), mais in fine, c’est bien deux militaires qui luttent pour le pouvoir et ses avantages, qui envoient leurs troupes s’entretuer. Les civils trinquent, le Soudan sombre, il faudra des années pour reconstruire. Et l’espoir démocratique porté par la révolution qui avait fait tomber un autre général, le tristement célèbre Omar el- Béchir, semble s’être évaporé sous les bombes…
Dans le domaine des putschs, l’Afrique est championne du monde. Une étude menée par des chercheurs américains a dénombré plus de 200 coups d’État sur le continent depuis 1950, la moitié d’entre eux étant qualifiés de succès (c’est-à-dire ayant duré plus de sept jours…) : 45 pays sur 54 auront connu au moins une tentative depuis leur indépendance. Au « classement », l’Afrique devance son « dauphin », l’Amérique latine et ses 145 occurrences.
Le rythme semblait s’être nettement ralenti depuis la fin de la guerre froide. Pourtant, entre août 2020 et septembre 2022, outre le Soudan, l’Afrique francophone a connu cinq coups : au Mali, au Tchad, en Guinée et au Burkina Faso (deux en huit mois). Au Sahel, le djihadisme, ajouté à la désespérance économique et à la mal-gouvernance, aura emporté les institutions. Avec les répercussions de la pandémie de Covid-19, les impacts de la guerre en Ukraine, le rebond de la dette et de l’inflation, les tensions sociales, et des élites politiques dépassées et sans solution, d’autres États pourraient se retrouver « fragilisés ». La nouvelle donne géopolitique mondiale, l’apparition de nouveaux acteurs, comme le groupe paramilitaire Wagner, accentue les risques. Certains pourraient être tentés par la solution magique du militaire providentiel. Avec
PAR ZYAD LIMAMdes chefs, sanglés dans l’uniforme, qui pourraient promettre monts et merveilles à une jeunesse nombreuse, en colère, en rupture, brandir les grands mots, l’impérialisme, le néocolonialisme, les traîtres, la rénovation… La réalité, pourtant, a la vie dure. La faiblesse ou l’incurie de certains régimes ne justifie rien. Et les régimes militaires ne résolvent pas les crises. Ni celle qui a légitimé leur prise du pouvoir, ni les autres. Au Sahel, la situation sécuritaire s’est fortement dégradée. La guerre civile menace, la crise économique s’aggrave. Là ou ailleurs, d’une manière générale, le putsch se révèle une machine à perdre pour le pays. Le militaire n’est pas un politique, ni un économiste. Difficile de tenir les promesses (souvent irréalistes). Et le putsch est par nature autoritaire, les libertés publiques régressent. L’arbitraire devient la règle. On promulguera de nouvelles constitutions qui ne seront pas plus respectées que les précédentes. Et la jeunesse, qui peut avoir été un temps séduite, est aussi une jeunesse connectée, ouverte sur le monde, soucieuse de préserver ses libertés. L’impatience s’installe. Le putsch génère sa propre instabilité, il en appelle généralement un autre, favorisé par l’instabilité et les frustrations générées par le premier. Ou l’appétit d’un autre galonné. Et ainsi de suite… Bref, si les coups pouvaient régler les problèmes du continent, ça se saurait.
En Afrique, la solution reste et demeure politique. La « séparation des missions » est une nécessité. Les militaires sont des militaires. Ils portent un rôle, crucial, défendre les frontières, au service de la nation. Le pouvoir doit être forcément civil, l’expression de la modernité et de la diversité de la société. Le pouvoir doit être légitime, reconnu comme tel. Le débat doit être possible, les libertés démocratiques doivent progresser (de 10 % par an, comme le disait Béchir Ben Yahmed au président Bourguiba…). Et surtout, la bonne gouvernance est au centre de tout. Barack Obama parlait des institutions comme étant la clé du développement. Mais sans leadership, les institutions sont fragiles. Regardez la carte du continent, regardez les pays qui avancent, qui progressent, malgré les obstacles et les contraintes les plus rudes : leadership et gouvernance. ■
3 ÉDITO
Les militaires ne sont pas la solution par Zyad Limam
8 ON EN PARLE
C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN
Faire œuvre commune
26 PARCOURS Mille Desirs par Astrid Krivian
29 C’EST COMMENT ?
Maudite palme… par Emmanuelle Pontié
92 CE QUE J’AI APPRIS
Alima Hamel par Astrid Krivian
104 VIVRE MIEUX
Le rôle déterminant du microbiote intestinal par Annick Beaucousin
106 VINGT QUESTIONS À…
Moonlight Benjamin par Astrid Krivian
TEMPS FORTS
30 Soudan : La guerre des généraux par Cédric Gouverneur
36 Djerba, entre ombre et lumière par Frida Dahmani
72 Charles Cédric Tsimi : « Pour moi, il n’y a pas de “condition noire” » par Astrid Krivian
78 Côte d’Ivoire : Génération influenceurs par Jihane Zorkot
86 Vincent Michéa : Soyons clairs ! par Astrid Krivian
Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps
Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com
45 DJIBOUTI
Cap vers l’avant ! par Zyad Limam, Thibaut Cabrera, Alexis Georges, Emmanuelle Pontié et Romain Thomas
46 Ports et logistiques : le défi de la compétitivité
50 Un récit national
54 Au cœur des enjeux stratégiques
58 L’impératif social
60 Vers la création d’un hub numérique
62 L’environnement, cause commune
63 À la conquête de l’espace
64 Un autre regard sur Djibouti
94 Les crédits carbone, opportunités et bonne conscience
98 Olufunso Somorin : « À mesure que nous améliorerons la confiance, la demande continuera de croître »
100 Maroc-Algérie, la course au PIB
101 La RDC, côté positif
102 Le Botswana veut profiter davantage de ses diamants
103 Une monnaie numérique pour sauver le Zimbabwe ? par Cédric Gouverneur
P.86
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L’UN, DESSINATEUR de presse et caricaturiste français, a travaillé pendant un demi-siècle au journal Le Monde, en croquant notre société, notre quotidien, nos vies. L’autre, photojournaliste d’origine iranienne, a parcouru la planète, témoignant de conflits, de révolutions, de l’humanité dans toute sa diversité. Observateurs privilégiés des événements de ces dernières décennies et grands défenseurs de la liberté d’expression, Plantu et Reza ont en commun une forme de compréhension du monde. L’un comme l’autre invite à réfléchir sur la condition humaine, les injustices, les espoirs. De ces coïncidences historiques, esthétiques, engagées, et d’une complicité sans faille est d’abord né l’ouvrage Plantu - Reza : Regards croisés (Gallimard, 2021). L’exposition du même nom, présentée au musée de l’Homme, reprend le flambeau, mettant en valeur des dizaines de leurs œuvres. Un tête-à-tête intellectuel et artistique singulier, qui associe le trait de crayon sensible et désinvolte de Plantu aux clichés iconiques de Reza. Sans jamais cesser d’appeler à la fraternité et au dialogue.
■ Catherine Faye« PLANTU – REZA : REGARDS CROISÉS », musée de l’Homme, Paris (France), jusqu’au 31 décembre. museedelhomme.fr
singulière entre Plantu et Reza, entre le trait acéré et la photo iconique.Le caricaturiste français devant l’un de ses dessins de presse.
MUSIQUE
IL SUFFIT D’ÉCOUTER le morceau-titre pour être à nouveau conquis. Par une voix mélodieuse, à peine altérée par le temps, accompagnée de superbes cordes acoustiques. Par l’intense soif de liberté qu’elle déclame, sans faiblir. Sur ce premier album solo, Antonio « Malan » Mané témoigne de tout son engagement et de son vécu. Né en 1956 à Buba, en Guinée-Bissau, il n’a pas 20 ans lorsqu’il rejoint les rangs du Super Mama Djombo, groupe indépendantiste cultivant la cohésion panafricaine et soutenant le fondateur du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert, Amilcar Cabral. Si le coup d’État de 1980 met fin à ce fructueux collectif, la musique habite toujours Malan Mané. Celui qui ne sera régularisé qu’après une décennie passée sur le sol français persiste à composer, en banlieue parisienne, où il gagne son pain contre vents et marées. Il écrit aussi ses espoirs et ses souvenirs, terreaux narratifs de Fidju di Lion, lequel a été enregistré à Lisbonne avec ses anciens camarades du Mama Djombo, dans des studios qui les avaient vu passer en 1979… Hommage est rendu à Nelson Mandela, Amilcar Cabral, et au pouvoir rédempteur de la musique, qui rassemble les exilés, les oubliés, les activistes. Avec « Sidile », l’artiste célèbre en mandingue l’amitié qui lui a permis de retrouver le micro. Ce qu’il appelle un « petit morceau du monde » – la Guinée-Bissau – investit ce disque à la sincérité tant poétique que désarmante. Mais dont l’énergie retrouvée, alliée à une mélancolie substantielle, nous trotte longtemps dans la tête… ■ Sophie Rosemont MALAN MANÉ, Fidju di Lion, Archieball/L’Autre distribution.
À écouter maintenant !
Amazigh Freedom Rock, 1973-1983, Disques Bongo Joe/L’Autre Distribution
Ô bonheur que cette réédition des démonstrations rock kabyle des Abranis, qui réussirent, durant les années 1970, à allier rock garage, folk, disco et musique berbère. Kabyles de Numidie, Shamy El Baz et Karim Abdenour ont fui l’Algérie au début des années 1960, et c’est à Paris qu’ils ont dynamisé les sonorités de leurs racines… aujourd’hui ressuscitées à travers 11 fabuleux morceaux. Indispensable !
Faada Freddy
Tables Will Turn, Think Zik !
Si on l’avait remarqué dans le duo Daara J, il nous avait enchantés avec son beatbox et sa voix digne des plus beaux chants gospel dans son premier album, Gospel Journey. Après une pause de sept ans, le musicien sénégalais livre l’EP Tables Will Turn Nul besoin de machines pour reproduire le son des instruments… Nourris de soul, ces nouveaux titres fêtent avec élégance les beaux lendemains à venir.
Arlo Parks
My Soft Machine, Transgressive Records/Pias
Après une révélation fracassante en 2021, celle d’un premier effort baptisé Collapsed In Sunbeams, lui ayant valu une reconnaissance internationale, Anaïs Marinho assure ses arrières. Dans ce nouvel album, la chanteuse anglaise d’origines nigériane et tchadienne raconte le pire comme le meilleur de la jeunesse 2.0, cultivant son R’n’B de belle facture, produit par le collaborateur d’Adele et de Paul McCartney, Paul Epworth. ■ S.R.
À 66 ans, l’une des figures de Super Mama Djombo, groupe phare de l’indépendance bissau-guinéenne, revient avec un captivant PREMIER OPUS solo.
« POURQUOI ON L’APPELLE Omar la fraise ?
– Parce qu’il opère comme les dentistes, dzzzi dzzziii… » On imagine la torture, mais ce n’est qu’une des différentes explications du surnom porté par ce truand parisien venu se réfugier dans son pays d’origine. Pour échapper à une lourde condamnation en France, il s’installe dans une luxueuse villa sur les hauteurs d’Alger avec Roger, son ami d’enfance, en cavale avec lui. Seul un écran géant meuble la maison, dont la piscine en travaux demeure désespérément vide. Roger va tenter de sortir Omar de la déprime et de l’ennui, et ils vont rapidement nager dans la cocaïne et les billets… bientôt rejoints par une ouvrière au caractère bien trempé, incarnée par l’excellente Meriem Amiar. Le duo masculin, c’est Benoît Magimel en bandit parigot à la Audiard et Reda Kateb au look de Travolta dans Pulp Fiction… On est d’ailleurs dans un film de genre parfois ultra-violent, où l’hémoglobine et la poudre blanche se répandent sans limites et sans morale. C’est aussi une plongée dans l’Algérie d’aujourd’hui comme on la voit peu dans le cinéma grand public, assortie de visites
nocturnes dans des lieux insoupçonnés où l’on se toise du regard sur fond de Julio Iglesias. Une immersion réussie jusqu’au cœur d’une cité pauvre qui domine le quartier populaire de Bab El Oued et rappelle l’ambiance napolitaine de Gomorra. Il faut dire que le metteur en scène, francoalgérien, a longuement travaillé ce premier film (après le clip du titre « Disco Maghreb » de DJ Snake, tourné dans le même quartier, et le court-métrage Un jour de mariage, remarqué à Cannes en 2018, déjà sur le spleen d’un voyou à Alger) : sept ans d’écriture, deux ans d’ateliers théâtre avec de jeunes Algérois désœuvrés, qui ont un rôle central dans le scénario. Le cinéaste joue sur les contraires, entre le grouillement de la capitale et les échappées dans le désert, entre les caractères hauts en couleur des personnages et leurs émotions en montagnes russes, mélange d’exubérance et de pudeur. Une tragicomédie très méditerranéenne, portée par un duo d’acteurs virtuoses. ■ Jean-Marie
Un premier film qui FAIT DES ÉTINCELLES jusque dans le désert. Sur fond de trafic de cocaïne, il y a du Tarantino dans cette cavale de truands, rejoints par une ouvrière à la forte tête.OMAR LA FRAISE (France), d’Elias Belkeddar. Avec Reda Kateb, Benoît Magimel, Meriem Amiar. En salles.
C’EST UN RETOUR inespéré pour ceux qui connaissent (et apprécient) Our Garden Needs Its Flowers. Enregistré en Côte d’Ivoire par Jess Sah Bi et Peter One il y a bientôt quarante ans, ce disque folk a remporté tant de succès qu’en 1990, le duo signa l’hymne « African Chant », diffusé sur la BBC le jour de la libération de Nelson Mandela. Puis plus rien, ou presque. Jusqu’à la parution ce printemps du superbe – et bien nommé – Come Back to Me. Installé depuis trois décennies aux États-Unis, Peter One s’y exprime en anglais, en français… ou en guro ! « L’anglais et le français sont nécessaires pour toucher un public international, confie-t-il. Très tôt, j’ai rêvé que ma musique soit écoutée au-delà de ma communauté originelle. Mais chanter en guro m’est naturel, et il me semble honnête, en tant que citoyen américain, de rester moi-même et de contribuer à la riche diversité de la culture américaine, au moins du point de vue musical. » À 67 ans, le voilà auteur d’un premier album solo : « Lorsque Our Garden Needs Its Flowers a été réédité en 2018, il a attiré l’attention de la communauté musicale de Nashville. Cela tombait à pic : j’essayais de trouver les bonnes personnes avec qui travailler depuis mon déménagement dans le Tennessee, quelques années plus tôt. Je passais la plupart de mon temps à écrire de nouveaux morceaux
et à arranger des anciens titres. Quand l’occasion s’est présentée, j’étais prêt ! » En 2019, le producteur Kevin Dailey lui propose d’enregistrer quelques titres. En dépit des confinements, le projet avance, et c’est entouré de musiciens de Nashville et de Memphis que Peter One donne naissance à cet album. Il tient néanmoins à préciser que la Côte d’Ivoire influence toujours sa musique : « J’avais 39 ans quand j’ai quitté mon pays, mais j’ai gardé un lien avec ma famille. Je suis conscient de tous les changements sociaux, politiques et culturels qui s’y opèrent, mais aussi sur le continent : ils inspirent d’ailleurs mes chansons. Mais si je continue à écouter de la musique ivoirienne, je ne pense pas qu’elle m’influence autant que par le passé. Je souhaite continuer à explorer. » Et nous de le suivre. ■ S.R. PETER ONE, Come Back to Me, Verve Records. DR
RYAN HARTLEYCélébré dans les années 1980 en Afrique de l’Ouest, le GUITARISTE IVOIRIEN est retourné en studio pour le superbe Come Back to Me. Classique instantané.
DEPUIS QUELQUES ANNÉES, les membres de Tinariwen bénéficient d’une belle popularité sur le sol américain, où ils ont déjà enregistré des disques. Cette fois, pandémie oblige, c’est à distance qu’ils ont collaboré avec le producteur Daniel Lanois (collaborateur, entre autres, de Bob Dylan et Marianne Faithfull) et une brochette de musiciens émérites basés à Nashville. Les sessions, elles, ont eu lieu au cœur de l’oasis algérienne de Djanet. Décor idéal pour cet écrin porté par une soif et une joie de vivre inextinguibles, alors que les troupes françaises se sont retirées du Mali, laissant place à de nouvelles et incessantes menaces. Amatssou conjure la peur en convoquant des mélodies fédératrices, électriques, où les voix se mêlent autant que les cordes flirtent avec les rythmiques. Un bijou hypnotique, aussi country que touareg, fidèle à la vitalité sonore du groupe. ■ S.R. TINARIWEN, Amatssou, Wedge/Warp. En concert à la Salle Pleyel le 28 juin.
SOMMES-NOUS au seuil de la sixième extinction de masse, la première causée par l’homme ? Poursuivant dans le genre littéraire qui a fait son succès, Gert Nygardshaug (Zoo de Mengele) revient avec un « éco-thriller-SF », d’une actualité brûlante, enfin traduit en français. Redoutable d’efficacité, impressionnant dans sa précision scientifique et tétanisant dans sa façon d’aborder l’influence de l’homme sur la nature, ce roman d’anticipation plonge le lecteur dans un monde qui poursuit une course folle vers son déclin, entre crise écologique et crise économique. Très concerné par la cause environnementale, l’écrivain-voyageur prolifique norvégien, tour à tour bûcheron, charpentier, marin, conseiller municipal et professeur de philosophie, met en scène une équipe de scientifiques dans une forêt tropicale du Congo, en 2030, aux prises avec un virus redoutable, qu’ils vont nommer Chimera. Mais là où certains y voient une chose monstrueuse et une menace sans précédent, d’autres entrevoient une lueur d’espoir pour la planète… Saisissant. ■ C.F.
C’est avec un disque hypnotique et fédérateur que nous revient le GROUPE TOUAREG.
« ARTISTES VOYAGEUSES :
L’APPEL DES LOINTAINS (1880-1944) », musée de Pont-Aven (France), du 24 juin au 5 novembre. museepontaven.fr
EXPO
Au musée de Pont-Aven, plus de 150 œuvres de 30 ARTISTES VOYAGEUSES donnent une autre vision de l’Empire colonial français.
AVEC « Artistes voyageuses : L’Appel des lointains (1880-1944) », le musée de Pont-Aven, en Bretagne, met en lumière le travail peu connu d’une trentaine de femmes qui se sont affirmées professionnellement entre la Belle Époque et la Seconde Guerre mondiale, tout en parcourant le monde. À la fin du XIXe siècle, elles obtiennent des bourses de voyage, mais aussi des commandes pour les compagnies maritimes : Jeanne Thil, par exemple, travaille pendant plus de trente ans pour la Compagnie générale transatlantique, et la photographe Thérèse Le Prat pour la Compagnie des messageries maritimes. Leurs créations retracent l’expansion française au Maghreb, en Afrique occidentale, en Asie du Sud-Est, et au-delà. Un monde colonisé qu’elles observent avec un regard moins raciste et caricatural que leurs collègues hommes, n’hésitant pas à se rapprocher des populations locales, comme en témoignent les nombreux portraits et scènes de vie quotidienne. Parmi les femmes parcourant l’Afrique, la sculptrice Anna Quinquaud, la peintresse Marcelle Ackein ou encore la photographe engagée Lucie Cousturier, seule artiste à critiquer la vision « civilisatrice » de la colonisation, dès les années 1920. ■ Luisa
NannipieriPHOTOGRAPHIE
Ritualisés ou détournés, les COSTUMES ET MASQUES
AFRICAINS capturés par l’artiste français interrogent le rapport entre l’identité et l’apparence.
DEUX SÉRIES du photographe Stéphan Gladieu sont exposées simultanément dans le deuxième plus important musée ethnologique d’Allemagne, après celui de Berlin. Passionné par la notion de frontières, l’artiste-reporter a passé de nombreuses années à arpenter les zones de crise, avant de s’orienter vers le portrait, pour témoigner des conditions de vie des gens. Alliant un style documentaire à une recherche esthétique, et mêlant réalité et fiction, il interroge ainsi les questions d’identité, mais également les défis personnels et sociétaux. Prise au Bénin et en République démocratique du Congo, la cinquantaine de clichés présentée explore l’importance des danses masquées en Afrique, dans lesquelles passé et présent s’interpénètrent. La série Egungun donne à voir une société secrète béninoise, où le rite de l’Egoun honore les morts et les fait revenir parmi les vivants. Tandis qu’Homo Détritus pointe les effets de la société (occidentale) de consommation et du jetable à Kinshasa, à travers des camouflages fabriqués à base de détritus. ■ C.F. « FROM MYSTIC TO PLASTIC. AFRICAN MASKS.
PHOTOGRAPHS BY STÉPHAN GLADIEU », Musée national d’ethnologie de Munich (Allemagne), jusqu’au 6 août. museum-fuenf-kontinente.de
L’IDÉE ÉTAIT ASSUMÉE dès le départ par l’historienne afro-américaine Shelley Haley, se rappelant les paroles de sa mère : « Quoi qu’on te dise à l’école, Cléopâtre était noire. » Un documentaire de la BBC en 2009 avait d’ailleurs repris cette thèse sur la base de nouvelles découvertes. Dans le docu-fiction produit par Jada Pinkett Smith pour Netflix, la dernière pharaonne, issue de la dynastie d’origine grecque des Ptolémées, est incarnée avec autorité par la comédienne métisse britannique Adele James, « un choix politique » a expliqué depuis la réalisatrice Tina Gharavi. Interventions d’historiens et reconstitutions alternent efficacement pour raconter son épopée, entre péplum et diplomatie d’alcôve…
Mais les autorités du Caire n’ont pas apprécié que l’on utilise ainsi « leur » reine et ont fait la promotion du documentaire Cleopatra, de Curtis Ryan Woodside, sorti le même jour sur YouTube. Le cinéaste égyptien Mahmoud Rashad y souligne que « se référer ainsi à une culture ou une civilisation noire a surtout à voir avec l’histoire américaine, pas avec l’histoire de l’Afrique ». Ce qui n’enlève rien à l’intérêt de cette série en 4 épisodes, qui rappelle que la fille de Cléopâtre a épousé le roi de Maurétanie (ancien royaume du Maghreb) et est devenue, à son tour, une authentique reine africaine. ■ J.-M.C. LA REINE CLÉOPÂTRE (États-Unis), de Jada Pinkett Smith. Avec Adele James, Craig Russell. Sur Netfl ix.
QUAND ON TAPE sur Facebook le nom d’Armel Hostiou, on tombe sur deux profils pour le même homme, un réalisateur français installé à Paris, breton d’origine. Sauf que l’un des deux comptes est un faux, avec de vraies photos du cinéaste, mais conçu par un petit malin promettant des séances de casting à Kinshasa pour un projet de film, dans le but d’attirer de jeunes et jolies comédiennes… Un bon début de scénario qui décide le vrai Armel Hostiou à partir à la recherche du faussaire. Autant « chercher une fourmi dans la forêt », lui dit-on à son arrivée dans la résidence d’artistes du quartier de Matonge qui l’accueille. Une quête impossible commence dans la mégapole, progressant au fil des rencontres sur la piste de ce double, tournant au polar
et se poursuivant parfois en caméra cachée… Quel but, quel trafic possible derrière tout ça ? Qui manipule qui ? Le cinéaste nous embarque avec lui dans un suspens très réussi, à la rencontre des victimes de la supercherie et à la poursuite des responsables… On notera les superbes plans de soleil couchant sur Kinshasa pris de l’intérieur d’une voiture, tant il faut rouler longtemps dans cette immense agglomération pour traquer l’usurpateur… Et l’attitude très éthique du réalisateur, qui s’est fait un point d’honneur à « ne jamais être dans une position surplombante ou de juger » : « Mon optique était toujours de comprendre. » Un voyage plein de surprises… ■ J.-M.C. LE VRAI DU FAUX (France),d’Armel Hostiou. En salles.
où les traditions orales se perdent sur le continent, Netflix et l’Unesco se sont alliés pour réinventer les contes africains sous forme de courts-métrages. Un concours a vu affluer 2 000 candidatures pour six projets retenus et financés avec d’importants moyens (100 000 dollars chacun). Parité respectée entre ces cinéastes émergents, même si les femmes sont au cœur des scénarios. Des récits qui empruntent à tous les genres, du western à la SF, pour mieux y introduire des personnages de légendes transmises de génération en génération. Une divinité zouloue des rivières, le Djinn du désaccord (titre du très beau film du Mauritanien Mohamed Echkouna, seul francophone), un oiseau de pluie, ou même un ogre au cœur de violences conjugales, puisent dans un imaginaire commun à tout un continent, mis à la portée de 190 pays via la plate-forme de streaming. ■ J.-M.C.
CONTES POPULAIRES AFRICAINS RÉINVENTÉS (Unesco), de Loukman Ali, Korede Azeez, Voline Ogutu, Mohamed Echkouna, Walt Mzengi Corey et Gcobisa Yako. Sur Netflix. DR
Un réalisateur français part à Kinshasa en quête de celui qui a usurpé son identité sur Facebook pour mieux ATTIRER DE JEUNES COMÉDIENNES dans de faux castings…
« C’EST UN DOUX CHAOS, depuis que tu es entré dans ma vie, mes rêves, mon avenir, tout a changé. » « Sweet Chaos », c’est d’abord le nom d’une chanson, sortie en 2019, d’un boys band coréen de rock, Day6. Branle-bas et plaisir tout à la fois, presque une antinomie, à l’image de la vie et de ses bouleversements. Rencontres et chassés-croisés traversent ainsi le nouveau roman, au titre homonyme, de Meryem Alaoui. Dans La vérité sort de la bouche du cheval, paru en 2018 et inspiré par un quartier populaire de Casablanca bien connu de la Marocaine, elle dressait le portrait d’une prostituée au caractère bien trempé et avait eu l’honneur de le voir figurer parmi les 15 livres sélectionnés pour le prix Goncourt. Cette fois-ci, c’est à Brooklyn que la fille du poète et homme politique Driss Alaoui M’Dghari, expatriée aujourd’hui aux États-Unis, nous emmène. « La rue, le café, le bureau, la vie étaient un jardin luxuriant dans lequel phéromones et pollens pullulaient. » Dans ce roman choral, campé dans un immeuble, où une galerie bigarrée de personnages évolue au fil des jours, des étages, des solitudes et des tête-à-tête, c’est un drôle de monde que l’on découvre. Presque avec indiscrétion. Les banalités, les paradoxes, les vices et les sensibilités de ce bestiaire humain se télescopent sur les perrons, dans les escaliers ou derrière les portes de la bâtisse new-yorkaise, peuplée d’habitants de tous âges et de toutes origines. À la croisée de Fenêtre sur cour, d’Alfred Hitchcock, de L’Immeuble Yacoubian, d’Alaa El Aswany, et de Les Heureux et les Damnés, de F. Scott Fitzgerald, ce curieux huis clos babylonien questionne le désir, le lien, l’ennui, les égarements. Et le quotidien dans une ville tentaculaire. Plus encore, il explore les méandres du couple, incarné par Riley et Graham, un duo très amoureux, à la sexualité aventureuse : « Et les deux ferment les yeux. Ils ont le sourire aux lèvres, le conjoint contre le corps et leurs amants en tête. » À travers eux, c’est la liberté et la folie de la ville qui se révèlent. Une exploration du risque aussi. Et du regain. ■ C.F.
MERYEM ALAOUI, Sweet Chaos, Gallimard, 304 pages, 21 €.
MERYEM ALAOUI nous conte la vie fantasque d’un immeuble de Brooklyn, à travers une savoureuse étude de mœurs.
LA BIENNALED’ARCHITECTURE de Venise et sa commissaire, Lesley Lokko, ont décerné le Lion d’or et consacré une petite mais précieuse exposition à Demas Nwoko, l’un des pionniers d’une esthétique africaine moderne, dont « l’héritage immatériel est toujours en cours d’évaluation, compréhension, célébration ». Fils d’un obi (roi) local, il est né à Idumuje-Ugboko, dans le sud du Nigeria, en 1935. Inspiré par l’architecture du palais royal, il trouve rapidement sa vocation, mais la casquette de bâtisseur ne lui suffisant pas, il se tourne vers les Beaux-Arts et étudie entre autres la scénographie à Paris. Membre cofondateur de la célèbre Zaria Art Society dans les années 1960, il contribue au développement d’une avant-garde postcoloniale dans son pays. Ses projets architecturaux, tel la chapelle de l’Institut dominicain à Ibadan, anticipent, dès les années 1970, la pensée contemporaine, qui met au centre les matières et les cultures locales. ■ L.N.
Rythmes endiablés et mixité dans l’un des hauts lieux de la fête parisienne de l’entre-deux-guerres.
« D’UN SEUL COUP, le Bal Blomet changea du tout au tout. Sa réputation déborda les frontières de Montparnasse, atteignit Saint-Germain-des-Prés et le Quartier latin. » C’est dans ce lieu mythique du Paris des Années folles que Raphaël Confiant, militant de la cause créole, campe trois destins croisés d’exilés, sur fond de biguine, de valse et de mazurka. Trois personnages en quête d’amour et de plaisirs. Autour d’eux, c’est le Montparnasse de l’époque
Une plongée enivrante, au cœur d’une femme. Et de la Tunisie post-révolution.
SUR LA COUVERTURE du livre, une Vénus marine, celle de Bulla Regia, site archéologique tunisien. Tout en mosaïque, la déesse de l’amour, de la fécondité et du renouveau se love, nue, entre deux créatures masculines. Gironde, à la fois sensuelle et résolue, elle fixe le lointain, semblant indiquer d’autres possibles. De retour dans son pays natal, Inès, l’héroïne du roman, est subjuguée par la splendeur de cette figure féminine, témoin d’une grandeur ancienne et regrettée. Au lendemain de la révolution, cette Tunisienne expatriée en Suisse replonge au cœur de
RAPHAËL CONFIANT, Le Bal de la rue Blomet, Mercure de France, 272 pages, 21 €.
que la plume du conteur Martiniquais redessine. Au 33 rue Blomet, on croise Joséphine Baker, Ernest Hemingway ou encore le prince de Galles. Dans le sillage de l’aventure de la cité d’artistes La Ruche, le Bal Nègre, autre dénomination du célèbre cabaret dansant et club de jazz, devient le rendez-vous incontournable d’intellectuels et d’anonymes. Il incarne, encore aujourd’hui, un pan de la mémoire antillaise. ■ C.F.
FATMA
LA MAISONNEUVE, L’Odeur d’un homme, Au Pont 9, 208 pages, 19,90 €.
ses origines, dans l’un de ces rares moments où s’épousent l’histoire des gens et le destin d’un pays. Resurgissent alors les traces d’un passé enfoui et l’ardeur de racines intimes. Dans ce roman sensoriel, où le monde des odeurs ouvre la voie, la psychiatre franco-tunisienne Fatma Bouvet de la Maisonneuve propose une double métamorphose, celles d’un pays et d’une femme. ■ C.F.
PRÉSENTÉE À SÃO PAULO, puis à Houston, Dallas et Washington, cette exposition a traversé le continent américain d’est en ouest, pour finalement s’installer à Los Angeles, à l’opposé du littoral atlantique, terre d’accostage des navires du commerce triangulaire, entre le XVIe et le XIXe siècle. S’intéressant tout particulièrement à la déportation d’esclaves noirs, elle approfondit la narration de la traite occidentale et explore son héritage dans la diaspora africaine. Plus de 130 œuvres (peintures, sculptures, photographies et installations) d’artistes africains, européens, américains et caribéens raniment ainsi l’histoire, en donnant vie aux récits de captivité, d’oppression, mais également de résilience et de lutte pour la libération. Une géographie sans frontières, motivée par le désir et la nécessité d’établir des parallèles, des frictions et des dialogues, autour des cultures visuelles des territoires afro-atlantiques. Et un champ fluide, où les expériences africaines envahissent et occupent d’autres nations, territoires et cultures. ■ C.F.
« AFRO-ATLANTIC HISTORIES », musée d’Art du comté de Los Angeles (LACMA, États-Unis), jusqu’au 10 septembre. lacma.orgDjanira da Motta e Silva, Bahian Market, 1956.
UN RESTO NIGÉRIAN niché dans un ancien salon de coiffure de Brooklyn fait saliver le Tout-New York : le Dept of Culture (« ministère de la Culture »), lancé à Brooklyn en 2022 par Ayo Balogun, pourrait d’ailleurs remporter ce mois-ci le prix américain James Beard du meilleur nouveau restaurant. L’idée du chef, ancien vidéo maker reconverti à la cuisine en 2015, était de faire petit (16 couverts à peine) mais puissant : en somme, un lieu où mettre en valeur des plats du Nigeria avec dignité, sans chichis ni extravagances. La carte change en partie toutes les trois semaines, avec une attention portée à la saisonnalité des ingrédients, en fonction des arrivages du continent, et en s’inspirant des histoires derrière les recettes, qu’il partage avec ses clients. Comme celle du wara, un fromage peul, tel qu’il est fait dans l’État du Kwara, où habite sa famille. Attention : les places sont très prisées ! deptofculturebk.com
Une autre valeur sûre : Le Tagine, pour les amoureux de la cuisine marocaine. Seul restaurant africain de Paris à paraître dans le palmarès des 50 meilleurs spots de la capitale du Time Out, cette cantine du 11e arrondissement
arrive selon le média londonien en 15e position, aux côtés de bistrots gastronomiques et autres restaurants d’auteur. Ouvert il y a bientôt quarante et un ans et réputé pour son couscous, le meilleur tradi de Paris, Le Tagine propose toujours des plats faits maison, y compris le pain et les pâtisseries, à déguster bien sûr en sirotant un délicieux thé à la menthe. letagine.fr ■ L.N.
Deux adresses qui se font remarquer, de CHAQUE CÔTÉ DE L’ATLANTIQUE : un nouveau restaurant new-yorkais très prisé et une incontournable cantine parisienne.Ci-contre, le Dept of Culture est un petit restaurant nigérian niché dans un ancien salon de coiffure de Brooklyn. Ci-dessous, Le Tagine régale les amoureux de la cuisine marocaine.
« BON TRAVAIL » : c’est ce que signifie Ku do azò en fongbè, le nom du hamac que la designeuse textile belge Estelle Chatelin et son associé et tisserand béninois Georges Ahokpe ont présenté lors du SaloneSatellite, la section du Salon du meuble de Milan dédiée aux jeunes émergents. Parmi la centaine de projets sélectionnés pour cette 12e édition, ce « bon travail » leur a valu la troisième place du podium. Créé à partir de vieux pulls en provenance d’Europe dénichés sur les marchés béninois, détricotés et retissés à l’aide d’un métier à tisser traditionnel, le hamac a été imaginé en s’adaptant aux moyens de production. Les machines béninoises
ne permettant de ne créer que des bandes de tissu de la largeur des épaules du tisserand, les designers ont défini la forme du hamac en jouant avec ces dernières. Ouverte à Bruxelles en 2021, l’agence Ahokpe+Chatelin a pour base de travail la cocréation : l’idée est de mélanger les cultures, en mixant le lieu d’origine de l’objet, celui des matières employées, et les pays de production et de commercialisation. Le hamac, qui est vendu partout au Bénin, sera cette fois-ci proposé en Europe. couperdecalertravailler.com ■ L.N.
Ce couple belgo-béninois fabrique un HAMAC TISSÉ à partir de pulls défraîchis européens.
KADER DIABY, ancien photographe à la tête depuis 2018 de son propre label, Olooh, travaille d’arrache-pied à sa nouvelle collection depuis Abidjan. Il a été invité à présenter son travail au salon de la mode Pitti Uomo, à la mi-juin, dans le cadre du Material Innovation Lab (MIL), un projet de Kering visant à promouvoir 10 labels émergents et innovants. Jusque-là accessible uniquement aux créatifs du groupe de luxe, le MIL s’est ouvert dans l’optique de permettre aux jeunes designers d’expérimenter avec sa bibliothèque de prototypes de matériaux durables. Kader Diaby, qui utilise d’habitude du coton et du lin blancs qu’il teint en pastel, a été séduit par une nouvelle teinture. Avec la designeuse textile Johanna Bramble, experte en pagne tissé moderne, il prépare une collection qui « explore ce qui aurait pu être le design africain sans la colonisation. Par exemple, en développant des techniques locales, comme cela a été le cas au Japon ». Une vision d’un « monde parallèle », qui s’inscrit dans son
parcours créatif. C’est pour exprimer l’esthétique abidjanaise, dans un élan inventif qui a tout de suite trouvé son public, qu’il a commencé à dessiner des vêtements. Le lifestyle de Babi, sa culture urbaine nourrissent ses collections adaptées à une jeunesse proche de ses traditions mais connectée à la contemporanéité. Des pièces qui s’inspirent et racontent des histoires collectives, d’où le nom de la marque, Olooh, qui signifie « notre » en sénoufo. Les ensembles, les pantalons, les sweats à capuche et les premières robes plus féminines de sa dernière ligne, « The new thirtysomethings years old », sont faits pour s’y sentir à l’aise, que l’on sorte en soirée ou parte travailler. Le styliste ivoirien, qui aime les nuances de bleu, rose, noir et marron, propose principalement des créations monochromes, qui s’allient facilement les unes aux autres. Enrichies par des détails déconcertants, comme des boutons en laiton et bronze ciselés artisanalement à partir d’anciennes tuyauteries. olooh-concept.com ■ L.N.
s’inspire du lifestyle et de la culture de la ville dans ses créations.
Le label ivoirien propose principalement des pièces monochromes, dans des nuances de bleu, rose, noir et marron.Le styliste Kader Diaby.
KARIM BEN AMOR et Emna Bouraoui ont créé l’Atelier 13 à La Marsa, il y a vingt ans. Avec une petite équipe de collaborateurs, ils dessinent essentiellement des habitations individuelles selon l’architecture méditerranéenne, prenant en compte le cadre propre à chaque projet. Dans le cas de Torchida, une villa sur la corniche de La Marsa livrée en 2022, le travail sur trois niveaux valorise la vue sur la mer et laisse
plus de place au jardin. Chaque étage utilise de façon différente la matière et les textures. Au rez-de-jardin, où les chambres des invités et des enfants sont abritées des regards par des murs blancs, le revêtement en céramique évoque un côté minéral. La transparence du verre prend le relais au rez-de-chaussée, dans la zone jour avec cuisine ouverte, et la piscine suspendue permet de prendre de la hauteur sur la mer sans encombrer la pelouse. Le troisième niveau détonne du reste : la succession de lattes en bois qui le recouvre accentue l’effet cabane, et contraste avec la blancheur de la villa. Construit en plan libre, il s’affranchit de la trame du bâtiment pour rentrer dans l’axe de l’île de Zembra. La complexe harmonisation de chaque détail, comme l’alternance des pleins et des vides dans la structure, donne vie à un ensemble équilibré. atelier13.net ■ L.N.
Un premier disque, tel un rite qui marque le passage délicat à l’âge adulte. Dans son introspectif EP, le chanteur et compositeur Mille Desirs puise dans ses blessures nées de sa première rupture amoureuse, ses désillusions, et explore ses questionnements identitaires. « Avant cette relation, je fantasmais, j’idéalisais l’amour. Toute ma vie, je l’ai attendu, convaincu que c’était la seule chose qui me rendrait heureux. Mais j’ai compris que j’avais besoin de plus », désosse l’artiste né en 2001 à Abidjan, et qui préfère taire son nom civil. Sa musique hybride – « car je le suis de par mon identité queer, noire » – est une envoûtante pop croisant énergie rock, sensualité R’n’B et textures électro tantôt planantes, tantôt rugueuses. Tout feu tout flamme, quitte à se brûler les ailes, cet ancien fêtard s’est enivré, étourdi dans les nuits fiévreuses de Berlin ou de Paris, égaré parfois dans les méandres du désir et des paradis artificiels. Entre amour et attirance, la frontière est trompeuse, a-t-il appris, une confusion des sentiments qui titre l’EP, Lust & Love (« luxure & amour »).
Ayant quitté la Côte d’Ivoire à 3 ans avec sa mère, Mille Desirs a grandi au sein d’une communauté évangéliste à Nancy, dans l’est de la France. C’est en chantant des pièces religieuses (voix/piano) que naît sa passion pour la musique. Frank Ocean, Lana Del Rey et Yellow Days bercent son adolescence solitaire. Plus qu’un réconfort, la musique lui apporte une sécurité intérieure : « Tel le câlin d’une mère, elle était un repère essentiel. Je me sentais entouré, compris. » À 17 ans, il quitte sa communauté religieuse. « Ma véritable foi, c’est la musique. » Cible de harcèlements, étouffant dans une ville pas taillée à la mesure de ses ambitions, cet épris de liberté part aux États-Unis, puis rapidement à Londres poursuivre sa scolarité au sein de sa famille maternelle : « C’était très dur d’allier mes différentes identités, de les vivre, de devoir les justifier aux autres. Je n’étais pas le même à l’école, à l’église, à la maison, dans la rue. Je suis parti pour me réparer, me réinventer. J’ai toujours suivi mon instinct. Et ma mère m’a toujours fait confiance. »
Après des études de psychologie, puis un double cursus en philosophie et en sociologie, cet autodidacte désormais établi à Paris a déserté les bancs de l’université pour se consacrer pleinement à la création musicale. « J’ai enfin trouvé la raison pour laquelle je suis sur terre. Les émotions, les expériences intenses, débordantes, je peux désormais les écrire, les chanter et m’en libérer. Grâce à la musique, je ne me sens plus seul. » Actuellement étudiant dans une école où il apprend notamment le piano, il pratique aussi le voguing, cette danse émancipatrice née aux États-Unis dans les années 1960 au sein de la communauté LGBT+ noire et latino : « C’était inévitable dans mon parcours de personne non-binaire. » Le militantisme est une pierre angulaire de sa construction identitaire : « Je n’ai pas eu le choix. Très jeune, on m’a fait comprendre que ces multiples pans de mon identité me rendaient différent. Or, je ne suis pas obligé de choisir. J’ai le droit d’être toutes ces versions de moi-même. » Mille Desirs, mille identités. ■
«Je ne suis pas obligé de choisir.
J’ai le droit d’être toutes ces versions de moi-même.»
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Le sujet fait de plus en plus jaser dans le milieu. Un peu à juste titre. On dénonce une opération « bashing » du cinéma africain en Occident, plus particulièrement en France, et encore plus précisément à Cannes, où a lieu chaque année le prestigieux festival de cinéma international. Car en mai dernier, tous les espoirs étaient permis, avec deux longs-métrages issus du continent en compétition pour le Graal : Les Filles d’Olfa, de la Tunisienne Kaouther Ben Hania, et Banel et Adama, de la Franco-Sénégalaise Ramata-Toulaye Sy. Premier film tunisien en compétition depuis 1970, et premier sénégalais depuis 2019. En gros, moins d’une quinzaine de films africains, du nord au sud, ont été en lice pour la Palme depuis le début du festival en 1946… Et un seul l’a gagnée, en 1975 : Chronique des années de braise, de l’Algérien Mohammed Lakhdar-Hamina ! Depuis, que des espoirs déçus, dont ceux d’Abderrahmane Sissako en 2014, Mati Diop en 2019, Nabil Ayouch et Mahamat-Saleh Haroun en 2021. Bref, que se passe-t-il ? Les films du continent n’intéressent-ils personne ? Sont-ils vraiment à la hauteur des critères et des attentes internationales ? Le débat est ouvert. Et soyons francs, pour un cinéma qui n’est distribué nulle part et tourne de festival africain en festival africain, comment s’étonner d’une telle situation ? Mais au-delà d’un « bashing » des images issues du continent, fort peu motivé à mon sens, on doit plutôt s’interroger sur la question financière et commerciale.
Le nerf de la guerre, on le sait, c’est l’argent. Or, les budgets alloués à ces longs-métrages sont faibles, et s’affaiblissent d’année en année. Les circuits de distribution, y compris en Afrique, ont exclu les images locales suite à la fermeture des salles les unes après les autres. Résultat : le nombre de productions baisse aussi, faute de moyens. Phénomène corollaire, les États africains ne soutiennent pas, ou moins – voire plus du tout – leurs images. Autres priorités, coups d’État, pauvreté, etc. Et les producteurs privés ne se bousculent pas au portillon non plus. Pourquoi financer des films qui ne sont pas reconnus, vus, distribués ? Et le serpent se mord la queue.
Après, on peut voir le positif : deux films africains sélectionnés en 2023, même sans prix, au final, c’est un bon signe. Signe qu’il faut s’accrocher, continuer à présenter des films toujours meilleurs et, un jour, l’un d’entre eux s’imposera. Et un « jury des jurys » cannois montrera, comme en 1975, qu’a priori, on n’a rien contre l’Afrique, ses sujets, son univers, sa manière de filmer. Mais là encore, ce sera à elle de convaincre. Et au continent entier, privé comme public, de soutenir son 7e art avec carrément plus de vigueur. ■
décryptage
Le pays est dévasté par le conflit entre les forces « régulières » d’al-Burhan et celles de « soutien rapide » de Hemedti. Derrière cette rivalité meurtrière se dessinent de multiples enjeux locaux et stratégiques. Analyse avec l’universitaire et spécialiste Marc Lavergne.
propos recueillis par Cédric Gouverneur
En l’espace de quelques semaines, au moins 1 800 Soudanais ont perdu la vie – dont des personnalités, comme la chanteuse populaire Sharden Gardood –, et près de 1,5 million ont été déplacés. Les cessez-le-feu sont peu respectés par les belligérants, qui y voient moins une possibilité de négocier que l’opportunité de revigorer leurs troupes avant la reprise des combats… Chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et professeur à l’université de Tours, le géographe Marc Lavergne est l’un des rares spécialistes du Soudan. Il nous explique les ressorts de ce conflit, derrière lequel se cache une rivalité personnelle entre deux chefs de guerre, alimentée par l’articulation complexe de cet immense pays (1,9 million de km2 pour 46 millions d’habitants) et ses relations géopolitiques.
Les deux hommes sont bien connus des Soudanais. Le général Abdel Fattah al-Burhan était à la tête du Conseil militaire de transition, qui, le 11 avril 2019, a renversé le président Omar el-Bechir, affaibli par cinq mois de manifestations. Ce coup de force militaire, s’il avait mis fin au règne de ce dernier, avait aussi, de facto, court- circuité la révolution soudanaise… Le second est le général Mohamed Hamdane Daglo, surnommé « Hemedti », dont les Forces de soutien rapide (FSR, héritières des milices Janjawid qui ont semé la terreur au Darfour dans les années 2000) ont, le 3 juin 2019, massacré au moins 127 personnes lors d’un sit-in pacifique à Khartoum… Désormais ennemis, al-Burhan et Hemedti s’étaient pourtant partagé le pouvoir après leur putsch du 25 octobre 2021. Un coup d’État effectué au détriment des institutions de transition, et qui avait douché les espoirs de la jeunesse de voir émerger démocratie et stabilité au Soudan : depuis l’indépendance en 1956, le pays a traversé deux guerres civiles entre le nord et le sud
(1955-1972 et 1983-2005, jusqu’à la sécession négociée du Soudan du Sud en 2011), ainsi qu’une autre à l’ouest, au Darfour (2003-2020). Tenu d’une main de fer par une junte militaro-islamiste (1989-2019), le territoire a également longtemps servi de base arrière au terrorisme international (de « Carlos » à Oussama Ben Laden), ce qui l’avait placé au ban de la communauté internationale dans les années 1990, au point d’être bombardé par Washington en 1998, en représailles des attentats djihadistes contre les ambassades des États-Unis au Kenya et en Tanzanie.
Depuis quelques années cependant, les investisseurs étaient de retour, et Khartoum avait même entrepris de normaliser ses relations avec Tel-Aviv. Mais avec ce conflit, le pays sombre de nouveau. Les deux warlords ont en commun leur refus de laisser un pouvoir civil s’installer dans un pays convoité pour ses ressources (or, pétrole, gomme arabique), et pour sa façade maritime stratégique, au bord de la mer Rouge, où s’installe une base navale russe…
AM : Le conflit entre les Forces armées soudanaises (FAS) et les Forces de soutien rapide (FSR) dure depuis le 15 avril dernier, et les cessez-le-feu sont peu respectés. S’achemine-t-on vers un affrontement de longue durée ?
Marc Lavergne : Il s’agit moins d’une confrontation politique ou idéologique que d’un conflit entre des intérêts personnels divergents : dans un tel cadre, il ne peut y avoir qu’un vainqueur. Pour l’emporter, chacun est prêt à aller jusqu’au bout afin de terrasser son adversaire. Hemedti et al-Burhan sont, en quelque sorte, comme deux crocodiles au sein d’un même marigot trop étroit. Sans doute seraient-ils prêts à effectuer quelques concessions, mais elles ne pourraient être que temporaires, et leur rivalité ressurgirait. Les FAS se méfient des FSR : les militaires ont un minimum de discipline, des grades, et n’auront jamais confiance en ces mercenaires. Lesquels refuseraient d’ailleurs de se fondre dans l’armée – ce refus a même constitué l’élément déclencheur du conflit. Les forces en présence sont-elles équivalentes en matière d’armements et d’effectifs ?
Les estimations, évidemment incertaines, sont de 80 000 hommes pour les FAS, et de 100 000 pour les FSR – lesquelles, il y a quelques mois, étaient seulement 15 000 ! Originaires du Darfour et recrutés dans les camps de réfugiés, ces jeunes gens s’avèrent souvent être des fils de victimes d’Hemedti, du temps où ce dernier semait la terreur à la tête des milices Janjawid… Néanmoins, ces effectifs pourraient diminuer aussi vite qu’ils ont grimpé : les FSR étant des mercenaires, ils pourraient choisir de retourner chez eux, au Darfour et à la vie civile, si Hemedti s’avérait dans l’incapacité de les rémunérer. Là réside sa faiblesse : lors de la guerre au Yémen, où elles combattaient les rebelles Houthis pour le compte de l’Arabie saoudite, les FSR étaient payées 1 000 dollars par mois – une somme considérable au Soudan –, mais le montant de leur solde dépend des rentrées d’argent dont Hemedti dispose. Or, sa richesse réside moins
« Il ne peut y avoir qu’un vainqueur. Pour l’emporter, chacun est prêt à aller jusqu’au bout afin de terrasser son adversaire. »
sur des stocks que sur des flux : l’or, les trafics, les migrants, le commerce… Ses hommes ont pour habitude d’« encadrer » les orpailleurs, de racketter les migrants et les commerçants. Mais la guerre perturbant le fonctionnement de l’économie, ni les êtres humains ni les marchandises ne circulent, ce qui rend plus aléatoires ses gains et, par conséquent, sa capacité à rémunérer ses FSR. Lorsque ces mercenaires ne sont pas payés, ils pillent les marchés et les maisons, volent des voitures. Il subsiste alors de moins en moins à piller, et la livre soudanaise pâtit, avec la mise à l’arrêt de l’économie, d’une désastreuse inflation ! Le 15 avril, Hemedti a en quelque sorte effectué un coup de poker, pariant sur l’effet de surprise afin de l’emporter rapidement sur al-Burhan. Mais le conflit s’éternise, et l’armée régulière reprend progressivement Khartoum – en bombardant pour éviter les pertes, au mépris de la vie des civils…
Comment expliquer la montée en puissance de Hemedti ?
Cet homme disposait de ses entrées à Moscou, à Tel Aviv et dans les pays du Golfe. Le groupe Wagner le rémunère pour ses services : il sécurise leur ligne logistique entre la Libye et la République centrafricaine (Wagner ne pouvant guère transiter par le Tchad, du fait de la présence militaire française). Notez que son surnom, « Hemedti », signifie « petit Mohamed ». Il a une image de rustre, qui s’exprime relativement mal en arabe soudanais, mais il dispose de ressources appréciables, un peu comme – si je peux me permettre cette comparaison –un capitaine pirate courtisé. En 2019, il a été numéro 2 du Conseil de souveraineté de transition, juste derrière le général al-Burhan, mais désormais, il aspire à devenir numéro 1. Quels sont les appuis des belligérants ?
Hemedti demeure en contact avec la Russie et la Chine. La présence chinoise est importante au Soudan, au point que de nombreux habitants ont appris à s’exprimer en mandarin. La France s’est contentée d’évacuer les Occidentaux dès le début des hostilités mi-avril : elle s’est félicitée de la réussite de cette mission, même si cette évacuation a laissé les mains libres à ses rivaux russes et chinois… L’Égypte et l’Arabie saoudite n’ont guère intérêt à voir émerger une démocratie, laquelle risquerait d’inspirer leurs populations. Quant à Dubaï, il achète l’or de Hemedti, mais aspire par ailleurs à davantage de stabilité pour ses investissements. Et Israël a certainement encore des liens avec ce personnage malléable et ne se souciant guère d’idéologie. L’ex-président Omar elBéchir, lui, était davantage proche de l’Iran et de la Turquie, quoiqu’il s’en soit par la suite éloigné pour se rapprocher
des Saoudiens. Du côté d’Al-Burhan se trouvent beaucoup d’islamistes, purs produits des trois décennies de junte : les dignitaires de l’ancien régime ont rapidement été libérés de prison. En quelque sorte, l’État profond amorce son retour et prépare la reconquête. Comment expliquer l’échec de la transition démocratique (avril 2019-octobre 2021), après la révolution populaire, qui a abouti au départ d’el-Béchir ?
La démocratisation était voulue par le peuple des villes, qui subissait l’inflation, le chômage et la crise économique. Le Soudan est sans doute le pays du monde arabe le plus viscéralement démocratique : il s’agit d’un territoire de nomades et de semi-nomades, des gens libres, à qui il suffisait de quitter les lieux (avec famille, dromadaires et bétail) lorsqu’ils étaient mécontents du chef local ! La colonisation indirecte anglo-égyptienne avait laissé en place les chefs de tribus et les chefs religieux. Lorsque les Britanniques étaient présents, ils ont eu besoin de secrétaires, de maçons et de chauffeurs, dont beaucoup sont devenus communistes. Le Parti communiste soudanais (le premier créé en Afrique) demeure influent, notamment dans les milieux artistiques. Le pays compte également de nombreux nationalistes arabes baasistes. Et beaucoup de Soudanais se passionnent pour la politique, malgré trente ans de dictature. Il faut souligner que l’islam politique, promu par el-Béchir et Hassan al-Tourabi [longtemps idéologue du régime de l’ex-président, ndlr], ne s’est jamais réellement ancré au sein de la population, aux mœurs assez libérales. Par exemple, l’alcool de dattes a toujours circulé facilement ! En 2019, la transition démocratique a échoué, car les Soudanais se sont égarés dans des discussions sur l’avenir de la nation et le long terme, au lieu d’agir plus concrètement. Les civils se sont avérés divisés, entre laïcs et religieux, progressistes et conservateurs, urbains et ruraux… Pendant ce temps, les périphéries délaissées se sont réveillées : toutes ces régions sont en déshérence, comportant des mouvements rebelles armés qui ne sont pas séparatistes, mais demandent une égalité de traitement avec les habitants de la capitale. Même John Garang [fondateur du mouvement rebelle sudiste, décédé en 2005, ndlr] ne voulait pas de partition, mais un rééquilibrage : il me disait comparer l’Armée populaire de libération du Soudan à « un train qui part du sud et prend tous les Soudanais à son bord » pour obtenir un pays démocratique et laïc (Washington y a davantage vu une guerre entre Noirs chrétiens et Arabes musulmans, et a préféré soutenir une partition du territoire…). Hemedti incarne
«
Ce grand pays a des ressources et une population éduquée, qui dispose d’une forte conscience politique. »
cette volonté de revanche des périphéries contre un centre perçu comme arrogant, se considérant comme arabe, et non africain. Les jeunes de Khartoum n’ont ni la même culture, ni les mêmes conditions de vie que les jeunes du Darfour, lesquels sont recrutés par le général. Le vrai clivage réside là. D’autant que, désormais, les ressources se trouvent dans les périphéries, et non au centre. Cette envie de revanche sur les élites de la capitale explique en partie les pillages et les destructions qui y ont lieu. Même l’armée s’y est mise, bombardant le palais présidentiel.
L’économie trinque : les usines sont à l’arrêt, tout comme la production et l’exportation de gomme arabique…
Le plus dramatique est que nous nous trouvons en pleine saison des semis : si les paysans ne sèment pas, ils n’auront ensuite rien à récolter et vont mourir de faim. Le pétrole, lui, continue d’y couler : pompé au Soudan du Sud, il transite par le nord via un oléoduc avant d’arriver sur les ports de la mer Rouge. Les usines (de coton, de canne à sucre) ont besoin d’électricité [l’opérateur téléphonique sud-africain MTN a par exemple déjà dû interrompre ses services, ndlr]. Un autre danger pour l’économie serait la fermeture, voire la destruction, de l’unique raffinerie du pays, située à al-Geili, au nord de Khartoum. Et enfin, qui va payer les salaires ? Quels sont les impacts de cette guerre sur les pays voisins ?
Cela demeure assez négligeable : 6 millions de Soudanais vivent déjà en Égypte, et quelques dizaines de milliers de réfugiés ne changeront rien. Ses frontières constituent un va-et-vient permanent. Mais le pays se vide de ses compétences, les gens éduqués fuient à l’étranger.
Dans le cas où interviendrait un cessez-le-feu durable, quelles seraient les mesures institutionnelles à mettre en place afin d’éviter un retour du conflit ?
La médiation pourrait être effectuée par des diplomates africains expérimentés, comme les anciens présidents nigérian Olusegun Obasanjo ou sud-africain Thabo Mbeki, ou par le président de la commission de l’Union africaine, le Tchadien Moussa Faki. Il faudrait ensuite réunir les civils autour d’une table, établir un cahier des charges et les soutenir dans leurs tâches. Un déploiement de Casques bleus, en nombre conséquent, serait nécessaire, ainsi que le gel des avoirs des chefs de guerre. Soutenir le Soudan aurait dû constituer une priorité dès 2019, hélas ! En septembre de cette année, le chef d’État français Emmanuel Macron avait reçu le Premier ministre Abdallah Hamdok à l’Élysée et promis de le soutenir, sans que cela soit véritablement suivi d’effet… Ce grand pays a des ressources et une population éduquée, disposant d’une forte conscience politique. Mais depuis l’indépendance de 1956, les transitions démocratiques ont globalement toutes échoué : en 1969, en 1985, puis en 2019, les militaires sont parvenus à s’imposer. Le Soudan doit résoudre plusieurs questions : comment écarter définitivement l’armée du champ politique ? Comment démanteler les FSR ? Comment, enfin, neutraliser « l’État profond », et notamment les services de renseignement du National Intelligence and Security Service, dont on ignore où se trouve le chef et fondateur, Salah Gosh, un général lié à la CIA. Enfin, et surtout, comment mettre en œuvre un « plan Marshall » de manière à développer les périphéries, au lieu d’exploiter leurs ressources sans que ces régions productrices en profitent réellement ? ■
’île est un plat pays gorgé de lumière. À la fois exposée et familière, on pense la connaître. Mais avec une pudeur toute méditerranéenne, elle ne se livre qu’à ceux qui prennent le temps de l’apprivoiser. Et c’est sûrement ce qui lui a permis de résister à la puissance de la mer, des vents et des hommes. Djerba est d’abord une terre de légendes. Le récit commence de façon épique et se termine par une touche de merveilleux. Sur le marché de Houmt Souk, Amine tente de vendre la reproduction d’une mosaïque du musée du Bardo, représentant Ulysse attaché au mât d’un bateau pour ne pas succomber aux chants des sirènes. L’homme est de Ben Guerdane, non loin de la frontière libyenne, et il espère se faire une situation ici plutôt que de céder aux habituelles propositions d’embauche en Libye. Il ne connaît ni L’Iliade, ni Homère, ni l’histoire de cette terre. Mais si tel avait été le cas, il aurait pu raconter comment, en abordant sur l’île, les compagnons d’Ulysse ont goûté aux fleurs de lotos, ou jujubier sauvage, qui ont le pouvoir de rendre amnésique. Elle devint ainsi un lieu propice à l’oubli et une terre de légendes, parfois modernes.
C’est par exemple le cas pour Laris Kindynis, petit-fils de pêcheurs grecs installés à Djerba et fondateurs du premier hôtel de l’île, qui n’avait qu’une passion : la mer. Il parlait si bien de la petite crique à deux pas du phare de Taguermess, des parties de pêche au mérou endiablées et des plages de sable blanc qu’il a séduit Gérard Blitz, promoteur du Club Méditerranée, lors d’une soirée au Moulin de la Galette, à Paris. Un an plus tard, le village de Djerba la Douce s’implantait non loin de la lagune de la Seguia, et le Club Med entamait sa saga, en même temps que Kindynis démarrait une carrière de conseiller auprès de Blitz, lançait plusieurs villages et s’installait à Tahiti. Mais les atolls ne lui ont jamais fait oublier Djerba, où il choisira de finir ses jours.
UNE TERRE QUE L’ON NE PEUT JAMAIS VRAIMENT QUITTER
Elle a cela de particulier : ses enfants la quittent sans jamais l’oublier, comme si elle faisait partie intégrante de celles et ceux qui ont migré vers Tunis ou l’Europe. Dans La Saison des hommes (2000), la cinéaste Moufida Tlatli porte à l’écran cette île et ses habitantes, qui tissent inlassablement dans l’attente d’un mari ou d’un frère, finalement des inconnus de passage. D’une année sur l’autre, eux-mêmes ne reconnaissent pas leurs enfants qui, souvent, les considèrent comme des étrangers, des visiteurs de l’été. Il ne s’agit pas
d’une fiction, mais bien d’une réalité sociale à Djerba, où les hommes vont toujours faire fortune sur le continent. Autrefois, ils rejoignaient à l’adolescence les anciens pour faire leur apprentissage, puis s’installaient à leur compte pour ouvrir le plus souvent une épicerie. Longtemps, « l’Arabe du coin » a été djerbien. « En partie descendants de Phéniciens, peuple de commerçants, ils faisaient ce qu’ils savaient faire de mieux : du commerce », commente l’historien Abderrahman Ayoub. À l’indépendance, la jeunesse, ayant eu accès à une éducation bilingue et ayant souvent suivi des cursus universitaires, a également choisi de migrer et a cultivé l’esprit d’entreprise fortement ancré dans les traditions. Cette génération est celle des pionniers qui ont contribué à l’édification de la Tunisie moderne et à la création d’un secteur privé, clé de l’économie. Les Ben Tanfous, Ben Smaïl, Tlatli, El Kateb, Mzabi, Mimita, Majoul, Loukil, Ben Yedder, et tant d’autres, sont à l’origine de réussites entrepreneuriales. Ils ont aussi en commun d’être parmi les fondateurs de l’Association pour la sauvegarde de l’île de Djerba. Car même de brillants parcours ne peuvent effacer la terre natale, comme en témoigne celui de Béchir Ben Yahmed, fondateur du magazine Jeune Afrique, qui y a consacré de nombreuses pages dans J’assume, ses mémoires posthumes.
Paradoxalement, si ces expatriés ont souvent investi financièrement dans des projets locaux, ils ne sont que rarement revenus pour y travailler eux-mêmes. Lors de la pandémie de Covid-19, Djerba a perdu tout son personnel hôtelier et a pris conscience qu’il venait de Médenine (sud), Zarzis (sud), ou même de Kasserine (ouest). Finalement, les insulaires ont le plus souvent été spectateurs du développement du tourisme. Son apparition dans les années 1950 a été perçue comme une menace pour les coutumes et les modes de vie, mais
LAvec une pudeur toute méditerranéenne, elle ne se livre vraiment qu’à ceux qui prennent le temps de l’apprivoiser.
Chaque année, la synagogue de la Ghriba, l’une des plus anciennes du monde arabe, attire des milliers de pèlerins.
la population, dans une sorte d’atavisme, s’est protégée de cette atteinte de l’extérieur, et les touristes, peu curieux, ont préféré l’entre-soi des hôtels et des plages, interdits d’accès aux locaux, à la découverte de l’arrière-pays.
Djerbien est une identité, non une profession. À la fois affables, travailleurs, secrets, loquaces et courtois, ses habitants ne sont pas « rebelles » comme ceux de l’archipel des Kerkennah. Selon certains, c’est la voie ibadite, un courant de l’islam très vivace en ce lieu, qui leur confère ce caractère. Ainsi, cette population, qui revendique aussi une origine berbère, se voit qualifiée de singulière au sein de la nation. Davantage ancrés à la terre qu’à la mer, comme leurs ancêtres, les autochtones ont apprivoisé le territoire et fait d’une île où l’eau est rare un paradis de l’olivier et des pommiers. Un environnement respecté, qui contraint à être prudent et économe, et qui pousse souvent à chercher une subsistance moins spartiate ailleurs. Malgré l’immédiateté des flots, ses habitants, comme les Phéniciens, ne sont pas pêcheurs : ils laissent ce rôle aux gens de Zarzis, de l’autre côté du golfe de Boughrara, sur le continent.
Leur retenue naturelle évoque les hauts murs qui entourent le houch, l’habitat traditionnel, où l’espace est distribué en fonction de la lumière et du climat. « Une architecture vernaculaire d’une grande modernité, très contemporaine par sa simplicité et sa beauté, qui distribue les fonctions des espaces et fait coexister ceux dédiés au travail et ceux de la vie familiale », apprécie un urbaniste, qui compare le houch à un fortin où l’on peut vivre en autarcie. À l’image de cette île tournée vers l’intérieur plutôt que l’horizon.
Aller au-delà de cette ligne, c’est ce à quoi aspirent les jeunes qui rêvent de Tunis, de grandes villes et – pourquoi pas ? – d’Europe. « Djerba, c’est bien pour draguer les touristes, mais on s’ennuie ; rien n’est prévu pour les jeunes », confie l’un d’eux, qui perçoit son île comme un village. Ailleurs, c’est aussi ce qu’attend Dov. Sa famille serait arrivée en même temps que les peuples qui ont fui la première destruction du temple à Jérusalem, et vit depuis toujours à la Hara
El Kebira, le quartier juif. Mais comme la majorité des jeunes de sa communauté, il compte se rendre en France ou en Israël pour poursuivre des études ou se marier. « Le mariage permet de s’installer en Europe, de fonder une famille, de tisser de nouveaux liens et d’obtenir une nationalité », commente le jeune homme, qui suit également les cours de l’école talmudique. Une dizaine de jours après l’offensive armée conduite par un agent de la garde nationale contre la synagogue de la Ghriba, le 9 mai, on est encore sous le choc. « C’était un attentat », assène Annie Kabla, très active dans la communauté locale. Elle s’insurge contre la maladresse des autorités, leur communication, leur soin à ne pas prononcer le mot « attentat », et les images diffusées par les médias ou les réseaux sociaux, montrant des pèlerins dansant à l’entrée de la Ghriba le lendemain du drame. « Il suffisait de dire quelque
chose, de faire un geste, de rassurer, mais cela n’a pas été fait », relève un bijoutier de Houmt Souk, qui se rappelle le déni des autorités lors d’un autre attentat contre la synagogue en 2002. Au lendemain de l’attaque, la diffusion de messages mettant en scène des touristes, mais aussi des commerçants disant « Djerba labès » (« Djerba va bien ») a beaucoup heurté. « Laissez Djerba tranquille. Elle n’a pas demandé tout ce remue-ménage. Nous n’avons même pas eu le temps d’enterrer nos morts », déplore Houda, une institutrice qui rappelle que, sans compter les neuf blessés, trois sécuritaires musulmans et deux pèlerins juifs sont décédés. Quoi qu’il en soit, les annulations de réservations tant redoutées n’ont pas eu lieu.
Robert, un habitué du pèlerinage, a décidé que ce serait le dernier. Non pas pour des raisons de sécurité, mais parce que « la Ghriba n’est plus ce qu’elle était. Le pèlerinage local, qui attirait également les juifs libyens, est devenu un business tel que le rituel se perd dans des mondanités. On reçoit des ambassadeurs, des gens qui n’ont rien à faire dans une synagogue, sans compter ceux qui viennent spécialement pour paraître et montrer à leurs copains d’enfance ou à leur famille leur réussite ». Pour lui, le lieu a été réduit à un folklore et est devenu un phénomène de mode, qui a effacé tout le côté simple et bon enfant de cette rencontre annuelle.
« Même la Hara, le quartier séculaire des familles, est devenue à la mode. Les juifs parisiens ou même du sud de la France rêvent d’une maison à Djerba ; cela a du sens à leurs
Le tourisme a été perçu comme une menace pour les coutumes et les modes de vie, mais la population, dans une sorte d’atavisme, s’est protégée de cette atteinte de l’extérieur.
yeux. Encore mieux si elle est dans la Hara, de préférence El Kebira, toute proche de Houmt Souk », ajoute un agent immobilier. L’achat d’une maison est un acte réfléchi : entre deux séjours des propriétaires, elle peut accueillir des visiteurs au cours de l’année. Cet engouement entraîne une augmentation des prix de l’immobilier qui n’est pas appréciée des anciens de la Hara, inquiets que, sous l’effet d’une gentrification, un patrimoine familial puisse changer de mains. Amer, Robert s’agace des contradictions et blâme ceux qui sont dans le déni : « Qu’on arrête de parler du vivre-ensemble ! Bien sûr, nous ne sommes pas ostracisés, mais s’ils parlent des juifs, les Tunisiens disent “hachek” (que Dieu t’en préserve). » De quoi froisser les susceptibilités, créer des malentendus et entretenir les différends.
Mais l’antisémitisme en Tunisie dépasse Djerba. Amalgamé de manière confuse à l’antisionisme, il a pour origine le conflit israélo-palestinien. Difficile, alors, de parler de relations idylliques entre les communautés, d’autant que les Tunisiens sont acquis à la cause palestinienne, qui les fait se
sentir partie intégrante de la communauté arabe. Résultat, depuis la création d’Israël en 1948, les vagues de départ se sont succédé : après l’indépendance en 1956, la nationalisation des terres en 1964, ou encore la guerre des Six Jours en 1967. En cinquante ans, la communauté juive de Tunisie est passée de 110 000 âmes à 1 500, dont 700 vivent à Djerba sur un total de 164 000 habitants.
L’expérience du vivre-ensemble, même si elle a été beaucoup enjolivée, a bel et bien existé. Et a été une réussite sur l’île : les communautés juive et musulmane cohabitent depuis toujours et ont tissé des liens à partir d’une terre et d’une langue communes. Mais il en a été autrement pour les autres étrangers. Les Grecs et les Maltais, essentiellement des pêcheurs, sont pour la plupart partis, faute d’avenir, tandis que la communauté noire continue de subir une certaine ségrégation et se bat pour faire valoir ses droits. Il a fallu une loi en 2020 pour que la mention « descendant d’esclave » ne figure plus sur la carte d’identité des concernés. Aujourd’hui, Djerba souffre de son statut de microcosme. Elle perd ses
spécificités. La faute aux temps qui changent, au tourisme de masse et à ceux qui la consomment sans la préserver. Elle ne peut compter que sur elle-même. Sous-représentée, voire pas du tout, auprès des institutions locales, elle a été écartée de la vie politique. Sans doute une précaution impulsée par Bourguiba, qui avait eu pour redoutable adversaire le Djerbien Salah Ben Youssef. Résultat, depuis l’indépendance, soit plus de soixante ans, l’îlot est privé de son poids politique, et ce, malgré sa capacité à attirer les touristes, comme en témoignent les 2,7 millions de visiteurs en 2022.
Cette terre est du coup confrontée au non-sens d’une administration centralisée sur le continent, à Médenine, à 100 kilomètres de Houmt Souk. Les insulaires avaient bien tenté en 2019, avec l’appui des communes locales, d’en faire un gouvernorat, mais leurs arguments n’ont pas été entendus. « On s’estime heureux d’avoir sur place des services de santé, mais pour tout le reste, on est tributaires du bac, qui est parfois hors service en raison des vents, ou alors on doit emprunter la chaussée romaine, qui équivaut à une heure de route supplémentaire », déclare un ancien édile. Il a fallu attendre le Sommet de la francophonie en novembre 2022 pour que la chaussée romaine soit réaménagée. Elle est pourtant le point d’entrée des marchandises sur l’île, qui dépend du continent pour les produits de première nécessité, et qui a aussi longtemps commercé avec la Libye voisine.
Pour certains, ces difficultés font partie du charme de Djerba, comme pour signifier qu’elle se mérite : « Du romantisme. Il y a aussi l’avion, mais il faut avoir les moyens. Il faudrait un pont, un grand chantier qui crée de la maind’œuvre », conclut un hôtelier, qui estime que les retards du bac en haute saison sont dommageables. Voir l’île au large depuis le continent a quelque chose de poétique pour les habitués. « Je fais des affaires à Tunis, mais Djerba reste mon chez-moi », commente un entrepreneur issu d’une famille de pionniers dans le service et l’automobile. « Quand je rentre, mon premier geste est d’endosser la blousa [vêtement masculin caractéristique de l’île, ndlr]. Ce geste, comme le toucher de son coton gris, est ma madeleine de Proust. Aujourd’hui, même les femmes l’endossent. L’identité se perd un peu : il y a plus d’étrangers sur l’île que de Djerbiens de souche », ajoute-t-il. De quoi réduire en miettes le mythe originel d’une île où « le ciel est poudré d’or » et où « l’air est si doux qu’il empêche de mourir ». Le risque est qu’elle échappe aux locaux et devienne un attrape-touristes à ciel ouvert, une sorte d’artifice, une carte postale sans âme ni authenticité. Cette confusion souligne l’absence de conseils communaux, dissous dans l’attente d’élections municipales. Faute de décision concertée avec les citoyens, les initiatives réussies qui s’emploient à préserver le charme de l’île et à cultiver son mystérieux attrait sont surtout associatives ou privées. ■
Pour l’artiste, peindre est une vocation, et c’est sur sa terre natale qu’il trouve la lumière la plus inspirante.
Natif de Houmt Souk, Tahar M’guedmini, comme beaucoup d’autres insulaires, a quitté son île pour mieux y revenir. Il s’est, entre-temps, consacré à une passion née dans l’enfance : la peinture. À l’adolescence, ce fils de paysans décide d’en faire son métier et entame une formation aux Beaux-Arts de Tunis, qu’il achèvera à ceux de Paris. Puis, il s’installe en Suisse, et expose à Berlin, Zurich et Paris ses représentations du mouvement avec des personnages qui semblent se figer dans un équilibre improbable. Ce thème est celui que l’artiste continue d’explorer aujourd’hui, sous la lumière de Djerba, où il a installé son atelier au début des années 1990. Quittant ponctuellement sa terre natale, il participe
à des expositions d’art contemporain à Marrakech et Dubaï. Ses œuvres enrichissent différentes collections, dont celle du British Museum, à Londres. Ces derniers temps, le plus discret des peintres tunisiens s’est surtout consacré à une expérience qui lui tenait à cœur : l’organisation de sa première exposition personnelle à Djerba. Une centaine de ses grands formats, ainsi qu’un bel ouvrage, Ars Minimalis, sont présentés à la galerie Terra Bella du Centre des arts de Djerba. Ils témoignent de l’inlassable désir de l’artiste, 78 ans, de vouloir saisir la vibration du mouvement et de poursuivre la lumière. De cette immersion dans le monde de la perception, il ramène, à l’image des maîtres de la Renaissance, de véritables fresques modernes, des toiles qui semblent sculptées par la puissance du fugace. Et la lumière qui l’inspire le plus est définitivement celle de son île…
AM : Quel est votre rapport à Djerba ?
Tahar M’guedmini : J’y suis profondément attaché et je l’ai toujours revendiqué, bien qu’ayant longtemps vécu ailleurs que sur cette île. Avant même de partir, dans les années 1970, je me disais qu’il fallait que je revienne un jour. La singularité de cette insularité est très importante pour moi. Nous possédons un héritage familial, mais notre insularité semble également génétique. Après plus de vingt-cinq années d’exil volontaire, je suis revenu – certains diraient « rentré au bercail ». En fait, Djerba était en moi. Je suis parti, mais elle ne m’a pas quitté. À mon arrivée, je me suis dit que j’avais changé, contrairement à elle. Je percevais cette île différemment, sous un autre angle. D’ailleurs, en m’installant ici, mon travail aussi a changé, notamment dans la façon dont je voyais la lumière et dont elle résonnait en moi. Il y avait comme une adhésion, une symbiose avec cet éclairage.
On dit que vous êtes un peintre du mouvement, mais la lumière, omniprésente dans vos œuvres, n’est-elle pas finalement un fil conducteur ?
J’ai construit mon atelier autour de la lumière, tout comme mon travail. Il faut la sentir, car elle ravive la sensation. Je ne cherche pas à faire dans le sensationnel ou dans la carte postale, mais j’adhère aux propos de l’écrivain et philosophe Paul Valéry quand il dit : « La sensation est ce qui se transmet directement. » Finalement, ma démarche est de décliner, de transcrire ces sensations et ces perceptions qui sont parfois fugaces. Je ne sais pas raconter des histoires. Je préfère présenter un style et un niveau pictural qui me sont personnels, simplement pour ne pas avoir l’impression de trahir ce métier qui, pour moi, est très important. C’est le plus beau métier du monde. Instinctivement, je savais dès l’adolescence que ce serait ma voie.
Mises bout à bout, vos œuvres pourraient représenter une fresque autour du mouvement. Vous vous attachez toujours à vouloir saisir un instant ?
Mon travail est axé sur le corps et l’énergie qu’il dégage. Le personnage m’importe peu, mais j’essaie de capter la sensation et l’énergie de son corps. Peindre une sensation me taraude tout le temps. J’ai pris ce chemin et je continue de le suivre.
Comment travailler sur le corps sur un territoire où, dans l’espace public, il est dissimulé, voire effacé ?
Ce n’est pas mon propos. Je peins dans mon atelier, et mon travail n’a pas de rapport avec mon environnement. Je me suis toujours intéressé au corps humain, à l’anatomie dans tous ses états. Par contre, j’insère toujours dans mon travail un petit élément architectural insulaire, une façon de dire : « Je suis là, j’appartiens à cette île. »
Vous avez aussi posé cette énergie sur le mur que vous avez peint à Djerbahood, installé au village d’Erriadh.
C’était une expérience singulière. À mon sens, le street art, ce n’est pas recopier un motif ou un visuel ; c’est d’abord une question d’anonymat et de fugacité. Personne ne m’a invité à participer à Djerbahood, mais je voulais être présent. En pleine nuit, il n’y avait personne dans les rues, je me suis installé et j’ai peint deux murs à la sauvette entre minuit et quatre heures du matin. C’était une approche spontanée, sans esquisse préalable, je me suis mis tout de suite à dessiner. Le lendemain, les gens ont découvert ces murs qui, malheureusement, ont été effacés. J’avais le sentiment d’avoir accompli quelque chose en signifiant, à ma manière, ce qu’est pour moi le street art.
L’attaque de la synagogue de la Ghriba a attiré l’attention sur Djerba et ses différentes communautés. Vivent-elles ensemble ou côte à côte ?
Je ne saurais quoi dire, car nous avons toujours vécu ensemble. Cela me semble aller de soi. Petit, j’ai côtoyé la communauté grecque, maltaise… Le photographe Jacques Pérez était l’un de mes amis. Nous n’avons jamais parlé de religion, seulement de nos vies, de nos métiers. Il était juif, et il aurait pu être catholique ou agnostique, cela n’avait rien à voir avec notre amitié. Le vivre-ensemble, c’est justement ne pas chercher à justifier les relations. J’ai toujours ressenti le brassage de cultures qui existe à Djerba. Il est si ancré, si ancien qu’il est naturel. C’est ce qui confère d’ailleurs tout son intérêt à l’histoire de cette terre. Je me souviens qu’enfants, nous faisions des kilomètres à pied pour aller à la Ghriba et assister à cette fête du pèlerinage. Il n’y avait pas de distinction entre juifs et non juifs. Depuis, les choses et le monde ont changé. ■
« Avant même de partir, dans les années 1970, je me disais qu’il fallait que je revienne un jour. »
Comprendre un pays, une ville, une région, une organisation
En deux décennies, le pays s’est imposé comme un hub stratégique, logistique et portuaire incontournable. Les chocs externes incitent à l’audace. Compétitivité, nouvelles technologies, télécoms, inclusivité, développement durable, tourisme, et même espace… Les chantiers sont multiples.
Le terminal pétrolier de Doraleh est un prolongement du port international de Djibouti.
En vingt ans, le pays a considérablement optimisé sa situation géographique en développant une offre de classe mondiale. Un effort ambitieux et payant qu’il faut soutenir sur le long terme. Et face aux nouvelles concurrences. par Zyad Limam avec Romain Thomas
Depuis deux décennies, Djibouti n’a eu de cesse de multiplier les investissements dans son économie logistique et portuaire. La terre est dure, exigeante, mais le pays est stratégiquement placé sur le détroit de Bab el-Mandeb, face à la péninsule Arabique, gardien de l’entrée de la mer Rouge. Étape incontournable, aussi, sur le chemin du canal de Suez. Nous nous trouvons ici à la croisée des routes du commerce mondial, entre l’Afrique, l’Asie et l’Europe.
C’est au tournant des années 2000 que le président Guelleh et ses équipes affichent leur objectif. Il consiste alors à investir dans cette situation privilégiée et à s’appuyer sur l’histoire (le vieux port de la ville fut le 3e de France
à la fin de l’époque coloniale, après Le Havre et Marseille), pour développer une offre à l’échelle mondiale. Et à installer Djibouti sur la carte des acteurs majeurs du secteur. Ainsi qu’à ouvrir les portes de l’Éthiopie, pays voisin peuplé de plus de 100 millions d’habitants, en pleine libéralisation économique, mais dépourvu d’accès maritime depuis la sécession de l’Érythrée. Le nouveau port à conteneurs de Doraleh, inauguré en 2003, a permis tout à la fois de désengorger celui de la ville et de répondre aux grandes ambitions du pays. Lancée en partenariat avec le géant émirati DP World, sur une base concessionnelle, l’opération a finalement donné lieu à un contentieux majeur. Devant le refus
de DP World de rediscuter les termes d’un contrat, de toute évidence pour le moins déséquilibré (il incluait en particulier une exclusivité sur l’ensemble du territoire et une gestion unilatérale), l’État djiboutien a mis fin de manière unilatérale à l’accord en décembre 2018.
Mais le port de Doraleh, devenu SGTD, a continué à développer son activité et sa productivité, élargissant notamment son offre au transbordement grâce à sa position idéale pour les navires, sur une ligne directe entre l’Asie et l’entrée de la mer Rouge. Désormais, Doraleh dispose non seulement d’un des plus performants terminaux à conteneurs de la région, avec une capacité de traitement de 1,2 million EVP (équivalent vingt pieds), mais aussi d’un nouveau terminal, le Doraleh Multipurpose Port (DMP), structure mixte permettant de traiter aussi le vrac (dry bulk).
Cette nouvelle infrastructure peut accueillir des navires disposant d’un tirant d’eau de 20 mètres, et l’ambition est payante. Dans une récente étude, la Banque mondiale et le S&P Global Market Intelligence ont classé Djibouti au rang de 3e port à conteneurs le plus performant du continent, derrière Tanger Med et Port-Saïd. Par ailleurs, après trois années marquées par un contexte défavorable – l’épidémie de Covid, les fortes perturbations post-pandémie dans les chaînes logistiques, ou encore les conséquences du conflit en Ukraine –, l’activité reprend progressivement.
L’écosystème Doraleh s’appuie aussi sur la ligne de chemin de fer construite entre Djibouti et Addis-Abeba, entre 2010 et 2016, notamment grâce à un soutien financier chinois. Cette aventure humaine devrait permettre progressivement d’augmenter le flux et la sécurisation du fret entre les deux pays (autant que le nombre de voyageurs). Les troubles en Éthiopie, en particulier l’insécurité autour des voies, ralentissent le développement de cette infrastructure réellement révolutionnaire, mise en service en 2018. Mais l’ambition demeure. Et afin de mieux répondre à la demande des nations voisines, notamment l’Éthiopie, Djibouti a également développé un autre port en eau profonde, à Tadjourah, deuxième ville du pays localisée sur la côte nord-est. Inaugurée en 2017, l’infrastructure est prolongée par le corridor routier de Tadjourah-Balho.
Toutes ces interconnexions, qu’elles soient routières ou ferroviaires, permettent à plusieurs millions de tonnes de marchandises de rejoindre chaque année l’Éthiopie, et consolident dans le même temps la position géostratégique de Djibouti. Autre chantier majeur, la transformation du « vieux port » de la capitale, dans la zone historique.
L’objectif ? Transformer l’activité selon un concept de « port-park-city », qui fait référence à l’intégration des ports, des parcs industriels et des services. Le projet, prévu sur une décennie, monté en partenariat stratégique avec China Merchants Group, a été signé début 2021 et implique un investissement à long terme de 3 milliards de dollars. Le but premier est de créer un nouveau quartier d’affaires, en profitant de la proximité des principales infrastructures de transport – le vieux port est proche de l’aéroport international et de la gare ferroviaire. L’autre objectif est d’investir dans des activités connexes au secteur portuaire, en s’intégrant dans les chaînes de valeur et en créant de l’emploi, comme la construction d’un chantier naval par le spécialiste néerlandais Damen Shipyards Group, une infrastructure destinée à offrir de multiples services de réparation et d’entretien aux navires, en particulier une cale sèche pour gros-porteurs. Une telle infrastructure est quasi unique dans la région et en Afrique, et l’opportunité économique bien réelle : près de 3 000 navires gros-porteurs transitent au large des côtes djiboutiennes chaque année. Pour maintenir son statut de hub régional incontournable de la Corne de l’Afrique, le pays parie aussi sur le secteur de la logistique et de la sous-traitance. Désormais affranchis de la tutelle de DP World, l’État, l’autorité portuaire et ses actionnaires, comme China Merchants Group, planifient des investissements sur la décennie à venir pour faire de Djibouti une porte d’entrée privilégiée vers le cœur du continent. C’est ce concept qui a donné naissance à la plus grande zone franche internationale d’Afrique, baptisée Djibouti International Free Trade Zone (DIFTZ), disposant d’une superficie de 4 800 ha pour un investissement global de 3,5 milliards de dollars. Depuis 2018, elle offre notamment des avantages fiscaux et douaniers aux entreprises étrangères, tout en apportant un soutien logistique de qualité.
Elle vise aussi à développer des activités industrielles de transformation, afin de créer sur place de la valeur aux produits importés, mais aussi des emplois directs, sans se limiter à de simples activités d’import-export.
Dans le but de continuer à développer son économie logistique et portuaire, le pays a également décidé de poursuivre ses investissements dans la baie de Damerjog, située dans le sud de la capitale, un complexe industriel et portuaire d’avenir, estimé à plusieurs milliards de dollars, compte tenu notamment d’une extension de 20 km² réalisée sur la mer. Les travaux de construction s’étaleront sur une période de quinze ans, à savoir de 2020 à 2035. Damerjog se positionne sur des activités
stratégiques et créatrices d’emplois, avec en particulier une jetée portuaire pour alimenter des dépôts pétroliers, vaste chantier entrepris par le groupe marocain Somagec, et un projet d’acheminement et de traitement du gaz naturel transporté via des gazoducs depuis les puits de l’est de l’Éthiopie, afin d’être liquéfié sur place, puis exporté par voie maritime. Un projet particulièrement ambitieux porté par le groupe chinois Poly-GCL.
UN AVENIR PROMETTEUR
Tous ces investissements, réalisés dans un large écosystème, entrent dans le cadre du plan de développement « Vision 2035 ». Depuis 2013, l’année de sa mise en œuvre, Djibouti s’est engagé à moderniser sa législation et son système financier, à mettre à niveau ses ressources humaines et à construire des infrastructures performantes et adaptées aux exigences du marché international. Mais, considérant l’avenir, le pays voit encore plus loin que l’aboutissement de Damerjog, la rénovation du centre-ville ou bien la montée en gamme de la zone franche, puisqu’il prévoit également, entre autres, de construire un nouvel aéroport international, de développer des routes, de créer des transits air-mer-terre.
Cette feuille de route sert à bâtir une base industrielle et commerciale compétitive, mais aussi et surtout à enrichir globalement le pays, tout en permettant une meilleure redistribution sociale, en particulier grâce à la création d’emplois. Malgré les investissements et la résilience de l’économie aux chocs externes, la pauvreté reste un défi d’envergure national. La croissance du PIB s’est accélérée, passant de 3,2 % pour la décennie 2000 à 6,2 % pour la décennie actuelle, mais elle se révèle insuffisamment inclusive. En effet, si Djibouti affiche en 2020 un PIB par habitant de 3 074 dollars, la pauvreté extrême concerne encore 21,1 % de la population, et le pays est classé 171e sur 188 pour l’indice de développement humain (IDH, 2019).
La création d’emplois, les investissements nationaux et étrangers, et les gains de compétitivité restent des exigences majeures. Interviewé dans Jeune Afrique en 2022, le patron de l’Autorité des ports et des zones franches de Djibouti (DPFZA), Aboubaker Omar Hadi, soulignait les efforts mis en place : « Nous misons sur les ressources humaines en formant nos personnels pour garantir la qualité de nos services. Nous nous appuyons également beaucoup sur les outils numériques aujourd’hui disponibles pour renforcer la fluidité des trafics en éliminant les points de blocage. Nos clients peuvent ainsi voir à tout moment, et en temps réel, où se trouvent leur navire ou leur marchandise. » Un autre axe majeur consiste en la réduction des coûts de passage
sur les terminaux portuaires. Les autorités se sont fixées pour objectif d’augmenter l’activité de transbordement, moins rémunératrice que l’import-export direct, mais qui dope les volumes et fidélise les grands transporteurs des compagnies maritimes, devenues dominantes sur le marché. Ces évolutions sont d’autant plus nécessaires que Djibouti sera confronté d’une manière ou d’une autre à la concurrence. Le pays a de l’avance, mais la vigilance et la réactivité doivent rester de mise. Car l’Éthiopie est un pays frère, mais c’est aussi un pays fragile. Et c’est surtout une nation enclavée, qui cherche des alternatives au port de Djibouti, ce qui est « légitime », comme le souligne un spécialiste du secteur. Quant au Somaliland, république autoproclamée à la frontière de l’Éthiopie et de Djibouti, il développe un projet de terminal à conteneurs dans le port de Berbera, sous la houlette de l’incontournable DP World, lequel, début mars dernier, a inauguré en présence du gouvernement du pays une nouvelle zone franche à Berbera pour faire de ce port un véritable hub dans la région. Certes, les routes et les lignes de chemin de fer ne sont pas encore là, mais le signal est clair. Pour maintenir ses positions et réaliser ses ambitions, Djibouti doit innover, s’adapter, investir, proposer la meilleure solution. Et après tout, c’est le job du leader ! ■
Le renforcement d’une identité partagée s’impose comme l’un des piliers de la stabilité et de l’émergence économique.
par Thibaut CabreraNiché au nord de la Corne de l’Afrique, Djibouti est un pays fascinant, dont l’histoire déborde de complexité. Depuis son indépendance, le 8 mai 1977, la nation a été confrontée à de nombreux défis qui ont freiné sa consolidation. Au terme d’une guerre civile sur fond ethnique, qui l’a secoué de 1991 à 1994, le pays a réussi à instaurer et maintenir une certaine stabilité, grâce à un équilibre délicat entre les différents groupes ethniques et politiques. Aujourd’hui, la construction de l’identité nationale reste un processus en cours, auquel une grande partie de la population participe. Point de rencontre stratégique entre l’Asie et l’Afrique, au croisement des principales routes maritimes mondiales, l’emplacement géographique avantageux de Djibouti a profondément façonné son histoire. Pour le président Ismaïl Omar Guelleh, il s’agit d’une « terre d’échanges depuis la nuit des temps ». Cependant, les détails de son passé avant le XIXe siècle restent peu documentés. La fondation de Tadjourah entre le XIIe et le XVIe siècle indique le début d’une présence permanente dans cette région, principalement occupée par des peuples de tradition nomade. Cette ville littorale est située au nord-ouest du golfe éponyme. Sa région est constituée de deux importantes communautés ethniques, qui partagent une histoire commune et adhèrent à l’islam sunnite : les Issas, tribu somalie couvrant un large territoire chevauchant Djibouti, l’Éthiopie et le Somaliland, et les Afars, également désignés par le terme « Danakil », signifiant « les gens près de la mer » en langue amharique, et couvrant une portion
de territoire similaire. Ces deux groupes ethniques ont coexisté et formé des royaumes et sultanats qui ont alternativement dominé la région. Ils ont aussi créé un substrat commun à la naissance de l’identité nationale de Djibouti. Sa géographie a également attiré l’attention des grandes puissances extérieures au fil des différentes époques : l’Abyssinie et l’Égypte, puis les Européens (Britanniques, Français, Italiens), les Arabes, les Ottomans, ou encore les Indiens. En 1896, le territoire actuel devient un protectorat français, prenant l’appellation de Côte française des Somalis. Cette date marque le début d’une période de domination qui durera près d’un siècle.
L’influence française a laissé une empreinte sur la culture djiboutienne, qui se reflète toujours dans l’administration, l’éducation ou la langue. En inaugurant un port en eaux profondes sur la rive sud du golfe de Tadjourah et en le reliant, en 1917, à Addis-Abeba, la France fait de Djibouti le principal débouché de l’Éthiopie. La sédentarisation progressive des nomades issas et afars s’effectue dans les bidonvilles entourant la capitale. Les conséquences du développement de l’activité portuaire ne touchent pas les populations locales, qui continuent de vivre dans la pauvreté. Cette période suscite des ressentiments chez les Afars et les Issas, et pour asseoir sa domination sur le territoire, la France nourrit la détérioration des relations entre les deux ethnies. Tour à tour, elle favorise une communauté au détriment de l’autre, créant une fracture entre elles. Les tensions atteignent leur paroxysme en 1949, lorsque
Dans la capitale, devant le Palais du Peuple, cette statue a été érigée en symbole de liberté.
Les traditions anciennes, le nomadisme, l’héritage colonial ont laissé des empreintes profondes sur la culture contemporaine.
des affrontements éclatent entre quartiers populaires, provoquant des centaines de morts.
L’élite locale commence alors à prendre conscience du rôle que joue la France dans les discordes communautaires. Progressivement, une résistance plus marquée menée par des leaders des deux clans voit le jour, notamment à travers certaines figures : Hassan Gouled Aptidon, homme politique issa, Ahmed Dini Ahmed, leader afar, ou Mahmoud Harbi, premier député issu d’une tribu issa à l’Assemblée nationale française, et premier à exprimer le vœu de voir Djibouti devenir indépendant.
En 1958, le premier référendum sur le maintien ou non de l’administration obtient un résultat favorable à la puissance coloniale. Face à la forte volonté indépendantiste des Issas, la France réprime leur élite politique et licencie les travailleurs du port issus de cette communauté pour les remplacer par des Afars. Cela alimente la haine mutuelle entre les deux ethnies. Pour autant, elles gardent la souveraineté comme point de mire. Le 25 août 1966, la violente répression de la police coloniale face à la foule manifestant son mécontentement lors de la visite du général de Gaulle fait officiellement six morts et 70 blessés. Cet événement renforce le désir d’autonomie des populations.
Lors du nouveau référendum de mars 1967, les élites font conjointement campagne pour l’indépendance, mais l’issue du référendum fait craindre aux populations le rattachement à l’empire éthiopien. Ou le chaos. Elles choisissent le maintien de l’administration coloniale, mais approuvent la nouvelle dénomination de la colonie : Territoire français des Afars et des Issas (TFAI). La volonté d’en finir avec le colonialisme croît au début des années 1970. En février 1972, le leader de l’élite politique issa Hassan Gouled Aptidon s’associe au leader afar Ahmed Dini Ahmed, et tous deux créent la Ligue populaire africaine (LPA). Trois ans plus tard, d’autres partis politiques rejoignent
le mouvement, rebaptisé Ligue populaire africaine pour l’indépendance (LPAI).
L’indépendance se concrétise le 8 mai 1977, lorsque ses partisans obtiennent plus de 99 % des suffrages exprimés. Majoritaire, l’élite politique issa prend alors la tête du pays. Hassan Gouled Aptidon devient le premier président de la République, et Ahmed Dini Ahmed son Premier ministre. Mais très peu de place est laissée aux Afars. Sept mois après sa proclamation, le binôme Gouled-Dini se sépare, et les tensions reprennent. Elles culminent en 1991, lorsqu’une guerre civile opposant le Front pour la restauration de l’unité et la démocratie (FRUD) au régime du président Aptidon éclate. Trois ans plus tard, le gouvernement signe avec le FRUD l’accord dit de la « Paix des braves », mais une partie du mouvement armé le rejette. À son arrivée au pouvoir en avril 1999, le nouveau chef de l’État Ismaïl Omar Guelleh se donne pour mission de parvenir à un accord durable avec le Front. Véritable figure de la lutte pour l’émancipation du pays et proche d’Hassan Gouled Aptidon, il a rejoint la LPAI quelques années avant l’indépendance. Il a réussi à gravir les échelons du mouvement, prenant le rôle de chargé des affaires sécuritaires et de renseignement du parti, et de directeur du journal Djibouti aujourd’hui, l’organe central de la LPAI. En devenant président, il adopte une stratégie d’apaisement général, négociant habilement avec le FRUD et les représentants des communautés, et exprime un premier engagement indispensable pour la nation : « La paix d’abord. » Les négociations portent leurs fruits et l’accord de paix est signé le 12 mai 2001. La construction institutionnelle et politique du pays peut alors réellement commencer. Les processus de réconciliation durable peuvent se mettre en place.
Pour Ismaïl Omar Guelleh, réélu le 9 avril 2021, l’unité nationale est la clé de la stabilité et de l’émergence du pays. Les tensions ethniques peuvent être persistantes, alimentés aussi par les conflits régionaux, mais la politique d’union doit primer. Et cela va de pair avec la réussite du programme
Depuis son indépendance, le 8 mai 1977, il a fallu affronter de nombreux défis, et forger l’idée d’un destin commun.
de développement du pays, mis en œuvre au cours des deux dernières décennies, et qui a permis l’essor d’une exception djiboutienne. Cette unité se fonde aussi sur l’identité. Ainsi est apparu le concept de « djiboutinité » : une véritable appartenance à la nation, qui transcende les clivages et va au-delà des différences ethniques. En somme, la création progressive d’une appartenance, une solidarité commune, en se réappropriant l’histoire, le parcours d’hier à aujourd’hui. Un mouvement qui a vocation également à se différencier, s’éloigner des conflits des pays voisins. Lors du 45e anniversaire de l’indépendance, le 27 juin 2022, le chef de l’État a inauguré le mémorial pour les victimes du barrage de Balbala – référence au triste épisode d’août 1966, au cours duquel les forces coloniales françaises ont installé un double barrage miné pour isoler la presqu’île de la capitale afin d’en contrôler l’accès. Cette installation créait une « séparation
aussi brutale qu’arbitraire du territoire » et une « discrimination aussi abjecte que répugnante », a précisé le président à cette occasion. Rendant hommage aux martyrs, aux blessés et aux familles des victimes, ce mémorial est une manière de rassembler le peuple autour d’un récit commun. Un moyen de faire ruisseler la « djiboutinité » sur le peuple. Il y a quarante-six ans, le quotidien français Le Monde décrivait Djibouti comme « la colonie la moins attrayante de la France », et s’interrogeait sur l’avenir de ce petit pays nouvellement indépendant. Aujourd’hui prospère et stable, et malgré des tensions qui restent ancrées dans certains esprits, il poursuit son chemin vers une unité nationale, profitant d’une stabilité sans faille depuis plus de deux décennies et d’un développement économique accru. L’heure est désormais à la préservation et à la consolidation de l’identité djiboutienne. Le processus est en marche. ■
Sécurisation de la mer Rouge et du détroit de Bab el-Mandeb, immigration, plate-forme de sécurité, équilibrisme diplomatique… La république assume ses responsabilités dans une région essentielle et instable. par Alexis
GeorgesDjibouti est déjà habitué aux exercices militaires des forces armées présentes sur son sol. Mais cette fois-ci, c’est un ballet aérien d’appareils militaires A400M et C-130 qui s’est déroulé dans son ciel entre le 22 et le 26 avril. Dans une guerre, une vraie.
Alors qu’au Soudan, de sanglants combats faisaient rage entre armée et paramilitaires, le pays a ouvert le tarmac de son aéroport international Ambouli aux opérations de plusieurs pays « amis » : France, États-Unis, Allemagne, Royaume-Uni, Espagne, Italie, Canada, Corée du Sud, Japon… Objectif : évacuer d’urgence les centaines de ressortissants et personnels bloqués depuis une semaine à Khartoum, sans eau ni électricité. En août 2021, lors du retour au pouvoir des talibans à Kaboul, les États-Unis et leurs alliés avaient déjà exfiltré 120 000 civils dans un exercice du même type.
Au Soudan, l’opération d’envergure a été qualifiée de particulièrement périlleuse par les états-majors mêmes, en raison des tirs croisés et de la rupture des liaisons radio sur l’aéroport de Khartoum, mais s’est conclue par un très grand soulagement pour les civils, une fois les pieds posés sur le territoire djiboutien. Là, les 530 personnes exfiltrées par les forces françaises, parmi lesquelles 200 Français et plus de 40 autres nationalités, ont pu par exemple dormir sous les tentes et dans les hangars de la base française, et recevoir un
appui médical, sanitaire et psychologique, et bien sûr de la nourriture. Quelques jours avant l’escalade du conflit soudanais, le Pentagone avait quant à lui renforcé la présence militaire américaine par l’envoi de nouvelles troupes. Des personnels gouvernementaux américains ont également pu être hélitreuillés de Khartoum jusqu’à Djibouti.
L’ouverture de ce corridor aérien et la mise à disposition d’installations au sol ont souligné une fois encore l’importance stratégique de Djibouti, zone de sécurité dans la Corne de l’Afrique, une région à la fois essentielle et instable. La situation permet de dialoguer avec les grandes puissances à équidistance, dans un monde qui se polarise de plus en plus, autant avec les Chinois qu’avec les Américains, les Russes ou les Ukrainiens. Intermédiaire reconnu dans les crises régionales, le pays envoie déjà quelques contingents dans des opérations de maintien de la paix, sous mandat de l’ONU ou de l’Union africaine.
Dans une région en butte à de nombreuses secousses politiques, sécuritaires et climatiques, la nation, qui fêtera cette année ses quarante-six ans d’indépendance, fait déjà fructifier son emplacement géographique privilégié en mer Rouge. Les loyers des bases assurent une contribution non négligeable à son budget national, autour de 10 %, soit près de 170 millions d’euros. La France, présente avec 1 500 soldats, négocie actuellement les conditions de renouvellement de son loyer, et
Des échanges de bons procédés qui offrent au pays la sécurité et lui permettentd’exister face aux ambitions des grands voisins à sa porte.
À l’international, que ce soit avec la Chine, la France ou les États-Unis, le président Guelleh maintient des liens diplomatiques forts. Ici, de gauche à droite, avec Xi Jinping, Emmanuel Macron et, ci-dessous, sur une base aérienne dans le Maryland.
notamment son emplacement au Plateau du Héron. La Chine continue de miser beaucoup sur sa première base militaire étrangère, ouverte en 2017, qui comptera bientôt plus de 5 000 soldats. La coopération avec Pékin pourrait d’ailleurs donner lieu à l’ouverture d’une base de lancement spatial. Quant aux États-Unis, présents depuis vingt ans avec 4 000 hommes, ils pilotent depuis l’État-confetti leurs actions dans toute la région. Enfin, Djibouti sert toujours de point d’appui à l’opération Atalante de l’Union européenne, servant à lutter contre les pirates maritimes.
Un échange de bons procédés qui offre au pays la sécurité et lui permet d’exister face aux ambitions des grands voisins à sa porte, comme l’Éthiopie et la Somalie, qui, par l’imbrication et le cousinage des groupes ethniques, d’un côté comme de l’autre des frontières, pourraient menacer sa propre unité. On imagine en outre les pressions politiques de l’Éthiopie sur sa seule porte d’entrée maritime, alors que les alternatives érythréennes et somalilandaises ne sont pas près d’émerger.
UN REFUGE AU SEIN D’UNE ZONE AGITÉE
Mais si les grandes puissances mondiales peuvent compter sur Djibouti, c’est aussi et surtout pour sécuriser leurs approvisionnements et les flux de marchandises qui passent par le détroit de Bab el-Mandeb : 15 % du trafic mondial. On se rappelle la manière dont la fermeture du canal de Suez entre 1967 et 1975 avait pénalisé le commerce maritime des Occidentaux, obligés de contourner le continent. Le 19 mai dernier, lors du 32e sommet de la Ligue arabe à Djeddah, le chef de l’État le soulignait encore : « Sur le sujet de la sécurisation de la mer Rouge, notre pays est investi également d’une mission centrale de coordination et de coopération avec les grandes puissances pour protéger la navigation maritime, combattre le terrorisme, et faire face aux défis de sécurité qui affectent la région et le monde. »
Alors que l’Éthiopie sort douloureusement de la guerre civile dans le Tigré, que la Somalie affronte toujours difficilement les
Ci-dessus, le Plateau du Héron est un lieu hautement central pour l’armée française, historiquement présente sur le territoire.
assauts des shebab, que le Yémen sort ravagé par la guerre, que l’État non reconnu du Somaliland, jusqu’ici préservé, commence à connaître une certaine instabilité, qu’une sécheresse aiguë ronge la Corne de l’Afrique, le pays du président Ismaïl Omar Guelleh apparaît désormais comme le seul de la zone à être stable et en paix. Aussi, tout le monde a intérêt à le protéger, en particulier de la menace shebab. Car en 2021, les islamistes radicaux, qui y avaient déjà commis un attentat en 2014, avaient menacé de s’en prendre aux intérêts français et américains.
Pour participer à l’opération d’évacuation de ressortissants étrangers bloqués au Soudan, la capitale a ouvert le tarmac de son aéroport international.
À cette dimension géostratégique, s’ajoute celle d’une plate-forme humanitaire nécessaire. Les Nations unies en ont notamment fait une importante base d’opérations, avec le Programme alimentaire mondial (PAM), qui y a installé il y a dix ans sa base logistique dans la Corne. Ainsi, à la suite d’un accord signé par Kiev et Moscou, qui levait le blocus sur le transport de céréales, son port a accueilli en août dernier un navire du PAM transportant 23 000 tonnes de blé en provenance d’Ukraine. La première
cargaison céréalière sur le continent depuis le début du conflit en février 2022 était destinée à l’Éthiopie, où plus de 20 millions d’habitants ont faim à cause de la guerre au Tigré dans le nord et de la pire sécheresse de ces quarante dernières années dans le sud et le sud-ouest. Après quatre saisons des pluies défaillantes depuis 2020, 4 millions de têtes de bétail ont été tuées et des récoltes ont été détruites dans la région. Il en résulte ainsi qu’avec des crises extérieures de cette envergure, le nombre de migrants entrés à Djibouti a doublé en 2022 par rapport à l’année précédente, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), qui lançait en février dernier un fonds de 84 millions d’euros pour aider plus d’un million de migrants empruntant la route vers le Yémen. En 2019, ils étaient déjà, selon l’OIM, 20 000 migrants, en grande partie éthiopiens, souvent des enfants et des femmes seuls, confrontés à de nombreuses violences sur leur trajet, à traverser Djibouti pour rejoindre l’Arabie saoudite via le Yémen, espérant un avenir meilleur. Depuis 2015, ce sont aussi des milliers de Yéménites qui convergent près d’Obock, au camp de réfugiés de Markazi de l’ONU. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), en mars dernier, plus de 21 340 réfugiés et 9 249 demandeurs d’asile étaient accueillis sur le sol djiboutien, avec 13 000 Somaliens, 12 600 Éthiopiens, 3 200 Yéménites, et un afflux de 1 600 Érythréens arrivés depuis octobre 2022 – soit 30 000 personnes, après un pic de 36 000 personnes en début d’année. Les récentes inondations dans le centre de la Somalie, et les 200 000 déplacés qu’elles occasionnent, font craindre de nouveaux mouvements et de nouvelles tensions dans ce territoire, qui affiche pourtant fièrement une culture de l’hospitalité envers les migrants, mais qui doit absolument se garder de toute forme de déstabilisation. Situé dans une zone volcanique, Djibouti aurait, comme ses partenaires, tout à craindre de nouvelles éruptions. ■
Après la crise du Covid-19 et les troubles chez son voisin éthiopien, qui ont fragilisé son économie et son pouvoir d’achat déjà faible, Djibouti doit continuer de faire face à une profonde crise sociale. En effet, 18 % de la population souffrent d’extrême pauvreté (devant vivre avec moins de 2 dollars par jour) et 50 % sont au chômage. Selon la Banque mondiale, ce fléau touche 70 % des moins de 30 ans. En dépit d’investissements étrangers conséquents dans les infrastructures portuaires et de transport, le pays a encore du mal à s’industrialiser et à faire ruisseler ses bénéfices sur sa population. Si la Banque mondiale prévoit une croissance de 4,4 % cette année et de 5,4 % en 2024, il s’agit toutefois de créer davantage d’emplois en dehors du secteur public, des activités de service, et des secteurs bancaire et portuaire.
par Alexis GeorgesIl a d’abord fallu faire face aux conséquences des crises géostratégiques et climatiques. D’après la Banque mondiale, 68 000 ménages des zones rurales et urbaines avaient besoin en 2022 d’une aide d’urgence. L’Association internationale de développement (IDA) a ainsi fait don de 30 millions de dollars, dans le cadre du « Projet d’urgence de protection sociale » engagé par l’État, pour permettre sur deux ans des transferts d’argent à 15 000 ménages, soit 86 000 individus, et 2 200 étudiants des zones rurales, qui ne pouvaient plus subvenir à leurs besoins. Le programme vise également l’autonomisation de 5 000 ménages urbains, qui recevront 10 000 francs djiboutiens et des plateaux-repas, et seront incités à créer leur activité économique.
Plus structurellement, le président Ismaïl Omar Guelleh et son gouvernement ont mis en place une véritable politique d’appui à la population. Grâce à une carte, la couverture médicale s’étend depuis 2014 à toute la
population sans discrimination, que ce soit les actifs, du privé et du public, ou les chômeurs. Elle assure la gratuité des soins et des médicaments dans les centres de santé et les pharmacies de la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS). Un système enviable pour certains pays occidentaux, car il est à l’équilibre, voire excédentaire. « La CNSS perçoit beaucoup plus de cotisations qu’elle n’a de dépenses. Par exemple, elle perçoit beaucoup de cotisations retraites, mais malheureusement, à cause d’une espérance de vie moins élevée qu’ailleurs, nombre de cotisants disparaissent avant de faire valoir leur droit ou profitent peu de leur retraite », indique l’économiste Zakaria Egueh, passé par la Banque africaine de développement (BAD) et l’Autorité des ports et zones franches de Djibouti (DPFZA).
Gérés à 66 % par le jeune Fonds souverain de Djibouti (FSD), ces capitaux sont ensuite placés dans des institutions financières, comme la Trade and Development Bank (TDB), banque de développement des États d’Afrique de l’Est, qui lui promet un rendement proche de 10 % et dont elle est devenue actionnaire en y investissant 5 millions de dollars il y a deux ans, rappelle l’analyste.
Actuellement à la tête de deux cliniques dans la capitale, la CNSS y ouvrira cette année un hôpital général, édifice dont la première pierre a été posée en 2021. D’un montant de 80 millions de dollars financé par les fonds de la BAD et de la Banque islamique de développement (BID), il comprendra 220 lits et s’articulera autour d’une vingtaine de spécialités médicales et de 30 médecins. Faute de moyens techniques, la CNSS devait jusqu’à présent envoyer certains patients dans le privé pour des examens poussés, ou les évacuer dans des pays comme la Turquie. Mais une bonne santé ne va pas sans de
La sécheresse qui sévit depuis plusieurs années et les effets de la guerre en Ukraine ont des impacts particulièrement rudes. Le gouvernement se mobilise à court terme, tout en faisant de la lutte contre les précarités un axe essentiel de sa politique.
bonnes conditions de logement, même dans un pays habitué culturellement à une certaine précarité du fait de son mode de vie nomade. Et au regard de la croissance de la population urbaine (+4,2 % par an, selon la Banque mondiale), il fallait agir. 78 % des habitants vivent en milieu urbain. En 2018, on estimait à un cinquième des Djiboutiens la population vivant dans des bidonvilles, comme celui de Balbala, à la périphérie de la capitale.
Mobilisant les financements et les dons étrangers, comme ceux du Fonds saoudien pour le développement et du secteur privé, la Fondation IOG, créée en 2016, construit de nombreux logements pour les personnes les plus démunies. À ce jour, 2 100 logements ont été construits dans la capitale, une centaine à Ali Sabieh, des dizaines à Dikhil, Arta et Obock, et une centaine sont en construction à Tadjourah… À sa création, la fondation s’était donné l’objectif de fournir 20 000 logements. Un effort soutenu en janvier par la Banque mondiale et ses 15 millions d’euros destinés à aider près de 2 450 nouvelles familles à accéder à un logement décent.
Par manque de moyens et d’accès aux crédits, les classes moyennes peuvent difficilement s’offrir un logis. « Elles peuvent acheter leur bien au travers d’un dispositif de location-vente, avec des loyers réduits. Et pour ceux qui ne travaillent pas, ils peuvent
bénéficier d’un logement gratuit », souligne Zakaria Egueh. Parmi les familles pauvres qui ont obtenu un logement, 1 500 ont désormais accès à l’électricité, dans un pays où le kilowatt-heure est parmi les plus chers au monde, avec une tarification très avantageuse et l’eau gratuite pour tous. Mais ce ne sont pas les seuls leviers qu’a activés l’État pour permettre au plus grand nombre de s’en sortir. Dans un pays où, selon l’Unicef, 70 % des enfants ne finissent pas l’école primaire et 42 400 enfants sont déscolarisés, Djibouti consacrait, en 2019, 20 % de ses dépenses courantes à l’éducation et la formation professionnelle. Et le gouvernement a fait de la réinsertion de ces enfants déscolarisés, qui sont surtout des adolescentes, une priorité. Des structures, appelées « Lire, écrire, compter », ont notamment été créées à Arta, Ali Sabieh, Tadjourah, Obock et Boulaos en partenariat avec l’Unicef. Une politique qui s’accompagne également d’un meilleur accès à l’eau dans les villages et lieux isolés, grâce à l’inauguration de citernes et de fontaines publiques, et à l’extension du réseau d’assainissement dans la capitale, financée en 2021 à hauteur de 12 millions de dollars par l’Agence française de développement (AFD).
De quoi renforcer et soutenir le tissu social, en attendant que la grande majorité puisse récolter pleinement les fruits de la croissance. ■
Dans la capitale, plus de 2 000 résidences ont été construites depuis 2016 pour offrir à la population de meilleures conditions de logement.
68 000 ménages des zones rurales et urbaines avaient besoin en 2022 d’une aide d’urgence.PATRICK ROBERT
Objectif : s’imposer comme le centre régional. En s’appuyant sur Djibouti Télécom et son réseau de câbles sous-marins. Et sur un positionnement géographique incontournable. par
Romain ThomasBénéficiant d’un emplacement géographique stratégique, entre l’océan Indien et le canal de Suez, Djibouti s’est imposé comme un hub commercial incontournable. Reste que le pays a besoin de diversifier son économie. Pour tenir compte des chocs exogènes, mais aussi de sa dépendance à son environnement local. La part très importante de son activité commerciale à destination ou en provenance de l’Éthiopie, le rend aussi vulnérable, non seulement face à un ralentissement économique de son voisin, mais également à d’éventuels conflits armés, comme l’ont montré les récents combats dans les provinces du Tigré, qui se sont étendus aux régions de l’Oromia, Amhara ou Afar.
C’est dans ce contexte que l’État entend développer de nouveaux secteurs. En appliquant notamment à l’industrie des télécommunications et des technologies digitales les recettes qui ont fait le succès de ses activités portuaires et logistiques. Pour mettre en place ce nouveau « hub numérique », le pays compte capitaliser sur la présence de plusieurs câbles sous-marins de fibre optique, au large de ses côtes reliant l’Afrique à l’Asie, au Moyen-Orient et à l’Europe. Le dernier en date, baptisé SEA-ME-WE 6 (« South East Asia-Middle East-Western Europe 6 »), repose sur un système de 19 200 km de long, constitué de 10 paires de fibres d’une capacité totale de 126 térabits. La construction de ce câble intercontinental a commencé en 2014. Il devrait être mis en service au début de l’année 2025 et permettra
de relier Singapour à Marseille, en France, avec des points d’atterrissage tout au long de son parcours. Ce projet a été cofinancé par l’Agence française de développement (AFD), la Banque islamique de développement (BID) et la BCI-BRED de Djibouti.
Au cours de cette décennie, le pays a multiplié, à travers son opérateur historique Djibouti Télécom, les investissements dans de nouveaux câbles, qu’ils soient sous-marins ou terrestres, lesquels s’inscrivent dans le cadre d’un projet porté par le gouvernement depuis 2014. Il ambitionne notamment de déployer sur l’ensemble du territoire un accès à Internet à très haut débit, mais également de proposer ses services à d’autres opérateurs télécoms de la région.
Au regard de l’étroitesse de son marché (400 000 abonnés pour 1 million d’habitants) et des investissements massifs devant encore être réalisés, le gouvernement a entériné en 2021 l’ouverture du capital de Djibouti Télécom, ce qui ferait ainsi disparaître l’un des derniers monopoles d’Afrique en cette matière. L’objectif consiste aujourd’hui à lui associer un partenaire international expérimenté. Cela permettrait de moderniser l’entreprise, de faire baisser les coûts, tout en augmentant rapidement les taux de pénétration du mobile et d’Internet dans le pays, s’établissant respectivement à 43,5 % et 55,7 %, d’après les données du Digital Report 2021 de Hootsuite et We Are Social. Tout en pariant dans le même temps sur les potentialités d’un marché régional prometteur.
Le processus de privatisation de nationall’opérateur est en cours. Avec une réflexion sur la valorisation. Et sur la répartition du entrecapital l’État et le secteur privé.
Pour l’heure, l’opération est en cours et elle porte officiellement sur 40 % du capital. Les premiers appels d’offres n’ont pas donné de résultats concluants, en tous les cas à la hauteur des espérances côté Djibouti. Mais le processus est en marche, avec une réflexion sur la valorisation. Et la répartition du capital entre le futur opérateur privé et l’État. Le gouvernement souhaite faire de Djibouti Télécom l’un des acteurs majeurs du « hub numérique » du pays, et l’aider à développer dans le même temps des activités connexes, en particulier dans le stockage de données (data centers).
Comme le rappelle Ilyas Moussa Dawaleh, ministre de l’Économie et des Finances, en charge de l’Industrie, « il est urgent d’accélérer la transformation numérique à Djibouti pour soutenir la relance post-Covid ». Il ajoute que « le renforcement de la croissance économique, de l’innovation et de la création
d’emplois grâce à la technologie profitera aux générations présentes et futures ». L’ambition est de devenir à terme l’un des principaux centres de télécommunication en Afrique, susceptible par exemple de convaincre les géants mondiaux de l’e-commerce, comme le chinois Alibaba ou encore l’américain Amazon, d’installer leur plate-forme commerciale africaine dans le pays, en profitant de ses infrastructures portuaires et logistiques, mais aussi de la nouvelle zone franche (Djibouti Free Trade Zone, ou DIFTZ) inaugurée en 2018.
D’autres entreprises sont ciblées, en particulier via la multiplication des centres d’affaires, l’arrivée de nouveaux acteurs internationaux dans le domaine du conseil, ou encore de la finance, et des compagnies d’assurances. Et dans ce contexte, le territoire dispose désormais, grâce à son développement numérique conséquent, d’un backbone conséquent et fiable. ■
Les investissements dans de nouveaux câbles, qu’ils soient sous-marins ou terrestres, ont été nombreux ces dix dernières années.
Le changement climatique, la rareté de l’eau, la nature du terrain sont de véritables contraintes que le pays est bien décidé à surmonter. par Thibaut Cabrera
Dominé par un climat très aride, Djibouti compte peu de zones arables. En effet, près de 90 % des terres sont classées comme « désert », ce qui induit des températures très élevées et des précipitations irrégulières : on peut aisément dépasser les 40 °C ressentis. Selon l’index ND-GAIN de l’université américaine de Notre Dame, qui calcule la vulnérabilité et la capacité de résilience des pays face au changement climatique, le territoire est considéré comme très vulnérable (117e pays sur 181 en 2019).
Le dérèglement climatique affecte les ressources en eau, les zones côtières et les riches écosystèmes. Il a aussi des conséquences directes sur les conditions de vie des populations, l’agriculture, l’élevage, la santé et le tourisme. D’ici 2050, les températures devraient augmenter de plus de 1 °C. Le nombre de sécheresses est en hausse, et le pays est confronté à un stress hydrique difficile à résorber, tant les ressources en eau potable sont faibles. Paradoxalement, ces dernières années, des épisodes d’inondations dramatiques ont été recensés. En novembre 2019, un communiqué du gouvernement et des Nations unies a estimé qu’en une seule journée, l’équivalent de deux années de pluie était tombé.
Dans ce contexte, les autorités publiques font de l’environnement une préoccupation majeure. Dans le cadre de la Troisième communication nationale de la République de Djibouti à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques en octobre 2021, le ministère de l’Environnement
et du Développement durable a établi un cadre institutionnel et renforcé son engagement visant à suivre les recommandations en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Pour tenter d’atténuer les impacts des phénomènes climatiques, les autorités ont mis en place des mesures innovantes centrées sur l’association d’infrastructures « grises » et « vertes ». L’idée est de compléter des infrastructures classiques « en dur » par des systèmes naturels ou semi-naturels qui vont, en se développant, dégager des effets positifs pour l’environnement. À travers sa stratégie d’infrastructures hybrides, la nation donne l’exemple et souhaite également avoir recours à cette méthode pour restaurer les forêts des mangroves sur son littoral.
En matière de gestion des ressources en eau, les efforts à fournir sont considérables. Depuis 1992, l’État a atteint le seuil de pénurie extrême en matière de disponibilité, à savoir moins de 500 m3 par habitant et par jour. Enjeux majeurs, existentiels, l’eau potable et l’assainissement sont largement adressés dans la stratégie nationale « Vision 2035 ». L’ambition est d’atteindre, d’ici à douze ans, un accès quasi universel. Soutenues par les bailleurs de fonds, plusieurs opérations sont portées par les pouvoirs publics. C’est notamment le cas du projet de réhabilitation et d’extension du système d’alimentation en eau potable de la capitale, dont le chantier prendra fin début 2025. Malgré sa faible contribution au réchauffement climatique,
Couvrir 85 % des besoins en énergie via la production renouvelable : solaire, éolien, géothermie…
Djibouti a instauré des politiques de sobriété carbone. Dans le cadre de « Vision 2035 », le chef de l’État s’est fixé un objectif ambitieux : couvrir 85 % des besoins du pays via des énergies renouvelables. Pour répondre à la densité du développement démographique, qui induit de nouveaux besoins évalués à plus de 1 000 mégawatts d’ici 2024 (contre 605 MW en 2019), le pays s’est tourné depuis 2018 vers l’exploration géothermique. Avec l’aide de financements de la Banque mondiale, les premiers forages ont été réalisés. Face à l’importance des coûts et des analyses à réaliser en amont, l’exploitation des ressources géothermiques met du temps à démarrer. Mais le potentiel est immense. Il est évalué à près de 1 000 MW. Et la nation a également recours aux énergies éolienne et solaire, mettant ses 3 273 heures d’ensoleillement par an à profit. Les projets du parc éolien de Ghoubet, à la capacité de 60 MW, et de la centrale solaire de Grand Bara, en partenariat avec le groupe français Engie, sont en cours de finalisation.
Fin octobre 2022, Djibouti a lancé, avec le soutien de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), l’Observatoire régional de recherche sur l’environnement et le climat, un projet pilote porté par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. L’objectif est d’aider le pays à mieux gérer ses ressources en eau et en nourriture face à la menace du réchauffement climatique. Sa création a été annoncée en 2015, et son inauguration s’est inscrite dans le cadre d’un sommet international nommé « Changement climatique et recherche : Le chemin vers une adaptation et une résilience durable », organisé du 23 au 25 octobre 2022 à Djibouti, sous le haut patronage du président Ismaïl Omar Guelleh, selon lequel l’observatoire permettra de « mettre en place des modèles fiables et opérationnels pour l’adaptation au changement climatique et à la résilience durable ». Tout comme en matière d’infrastructures portuaires et de technologies digitales, Djibouti pourrait s’imposer comme le centre régional des travaux et des initiatives sur la question du développement durable. ■
Situé à proximité de l’équateur, Djibouti entend profiter de sa localisation idéale pour se lancer dans la conquête spatiale, en s’appuyant sur un partenariat avec Hong Kong Aerospace Technology Group (HKATG). Pour l’heure, il s’agit d’un protocole d’accord, le contrat définitif n’étant pas encore signé, d’après la présidence. Et une société américaine serait également positionnée sur le projet, selon cette même source. Si cette base de lancement voyait le jour, elle serait construite dans la région septentrionale d’Obock. Bien qu’une quinzaine de pays africains soient situés sur l’équateur – facilitant l’envoi de satellites sur une orbite géostationnaire –, aucun d’entre eux ne dispose d’un site en activité. Or, depuis 1998, plusieurs nations ont envoyé un satellite dans l’espace : l’Égypte d’abord, imitée ensuite par l’Afrique du Sud, l’Algérie, l’Éthiopie, et d’autres. L’Union africaine a d’ailleurs mis en place en début d’année l’Agence spatiale africaine (AfSA), dont le siège se trouve en Égypte. Cet intérêt pour l’espace est également porté par le phénomène du « New Space », à savoir l’arrivée d’entreprises privées dans le secteur, jusqu’alors réservé aux grandes puissances mondiales, compte tenu des sommes colossales en jeu. Or, en raison de la chute des coûts de fabrication, il est désormais possible de s’offrir un « nanosatellite » pour quelques dizaines de milliers de dollars. Des entreprises spécialisées proposent ce type d’engins, à l’instar du géant américain SpaceX fondé par Elon Musk. Djibouti a récemment fait l’acquisition de deux de ces appareils, fabriqués en collaboration avec l’université de Montpellier, en France, lesquels devraient être mis en orbite d’ici à la fin de l’année. Pour le gouvernement, la conquête spatiale est un véritable enjeu de souveraineté. Et face au coût de construction du projet, estimé à plus d’un milliard de dollars, le pays s’est tourné vers son partenaire chinois – en l’occurrence, la société HKATG. D’après un communiqué de presse de la présidence, l’accord « prévoit la concession définitive des infrastructures aérospatiales construites à la partie djiboutienne, au terme d’une cogestion de trente ans, censée déboucher sur un processus de transfert de compétences et d’expertises », et s’il est définitivement entériné, cette base spatiale pourrait voir le jour d’ici cinq à dix ans. ■ R.T.
Prenez le temps d’un voyage sur le détroit de Bab el-Mandeb, à la découverte d’un pays multiple, une terre de nature, de traditions et de nomades, tout à la fois aux origines du monde et lancé vers le futur. par Emmanuelle Pontié
Ces petites îles désertiques, surmontées de mangroves de palétuviers, sont situées à l’ouverture du golfe de Tadjourah. Leurs eaux transparentes recouvrent des parterres d’algues multicolores. Un vrai paradis terrestre.
Les fonds sous-marins de Djibouti sont recouverts de coraux aux couleurs vives, dont le nephthya (photo). Près de 200 espèces de poissons ont été identifiées dans ce spot privilégié de la mer Rouge, qui attire les scientifiques du monde entier et les amoureux de la plongée.
Le lac Abbé
Coucher de soleil sur ses cheminées calcaires en forme d’aiguilles, qui atteignent 50 mètres de hauteur par endroits. Il offre certainement l’un des paysages les plus uniques au monde, avec ses sources bouillonnantes et leur senteur de soufre. Des envols de flamants roses, d’ibis et de pélicans sont souvent au rendez-vous.
Avec leur ventre blanc et leur dos gris moucheté, ils peuvent mesurer jusqu’à 15 mètres de long. En hiver, on peut les observer en bateau. Ces géants de la mer sont doux et inoffensifs. Et constituent l’une des premières attractions touristiques du pays.
Nous sommes dans le désert de Danakil, au centre de Djibouti. Cette incroyable vaste plaine d’eau et de sel se situe à une altitude de 153 mètres sous le niveau de la mer. C’est le point le plus bas d’Afrique. Une rareté géologique.
Posé sur l’îlot du Héron, l’imposant établissement de luxe égraine ses piscines à débordement, son imposant spa, ses restaurants, jardins et bars en bordure de la mer Rouge. Une oasis de paix pour une clientèle cossue, à moins de 3 kilomètres du centre-ville de la capitale. Et avec les grues de l’ancien port à l’horizon…
La capitale change presque à vue d’œil. L’ancienne petite ville coloniale, avec au cœur la place Menelik et ses cafés, où l’on joue encore parfois à la belote, se tourne vers le futur. Djibouti s’impose comme une plate-forme logistique et portuaire, mais aussi comme un centre financier, un hub digital, une vigie sur la mer Rouge et l’une des portes de l’Afrique. Petit à petit, le tourisme y trouve sa place. Le voyageur pourra venir ici, à la découverte d’une cité cosmopolite, un carrefour entre Asie, Afrique et Arabie.
L’auteur camerounais signe un pamphlet choc pour sortir de l’obscur concept de «racisme », et prône une approche basée sur l’égalité et la justice.
propos recueillis par Astrid Krivian
é au Cameroun en 1990, Charles Cédric Tsimi a étudié les sciences politiques à Yaoundé, avant de poursuivre son cursus universitaire à Lyon, en France. Désormais basé en région parisienne, il a publié en 2021 un premier roman remarqué, le mordant Clandestinement vôtre, inspiré par son expérience personnelle de sans-papiers en France, entre déboires administratifs, amour et rêves révolutionnaires d’un jeune idéaliste, et signe aujourd’hui l’essai Il n’y a pas de Noirs en Afrique. Convaincu qu’il faut se débarrasser d’une vision raciale du monde, cet iconoclaste et libre penseur y déconstruit le concept de racisme et la catégorie Noir, lesquels entretiennent à ses yeux la fiction des « races » et enferment les individus. En recourant à l’histoire, il analyse l’antiracisme contemporain, l’impasse identitaire, l’hégémonie des Noirs américains, les systèmes politiques excluants par nature, les enjeux pour les jeunesses africaines… Et défend ses idées pour un monde égalitaire.
AM : Votre livre déconstruit les concepts de racisme et la catégorisation « Noir ». Pourquoi ?
Charles Cédric Tsimi : Dans nos sociétés, de nombreux mots sont employés à l’emporte-pièce et vidés de leur sens, de leur vrai contenu : démocratie, Noir, racisme… Né au Cameroun, entouré de gens à la peau plus ou moins noire, je n’ai jamais été regardé comme un « enfant noir » par mes parents. Je ne me suis pas construit à travers ma couleur de peau. Mais en Occident, ce mot « noir » est utilisé comme s’il allait de soi. Dans mon livre, je l’emploie essentiellement avec des guillemets, de même que « race », « racisme ». « Noir » n’est pas une religion, ni une culture, ni une nation, il renvoie juste à un phénotype. C’est un mot qu’il faut soit préciser, soit évacuer. Des discours affirment que « Noir » renvoie à une catégorie de personnes victimes de discriminations, vivant une expérience sociale commune. Mais dans mon premier roman, Clandestinement vôtre, le narrateur raconte son expérience sociale douloureuse de sans-papiers, sans citer le mot « noir », sans s’accrocher à cette catégorie. Et je ne partage pas cette vue américaine qui prétend que c’est le racisme qui produit la race. Chacun doit pouvoir raconter son rapport au monde, ses souffrances, sans rentrer dans des cases préétablies. Comment parle-t-on alors des discriminations que subissent des personnes en raison de leur couleur de peau ?
Vaste question. Pour lutter efficacement contre les maux, il faut mettre des mots. Mais le dictionnaire ou la loi donnent une définition très légère du « racisme », donnant l’impression qu’il peut surgir de n’importe où, à la portée de tous. Ce terme est utilisé de manière très élastique, si bien qu’il ne veut plus
rien dire. Si je le conteste, ce n’est pas pour nier les souffrances ni les injustices des personnes à la peau noire. Mais une définition rigoureuse du « racisme » requiert trois critères : l’existence des races (discours scientifique de légitimation), la domination politique d’une race (lois), et l’exclusion sociale effective d’une race. Ceci a existé dans l’histoire. Or, il est établi qu’il n’y a pas de race. Il ne peut donc être question de « racisme », mais de discriminations, d’injustices liées à la couleur de peau. Cette formule est très claire et précise ! Nul besoin de l’obscur concept de « racisme » : son usage entretient la fiction des « races » au sein de l’espèce Homo sapiens. Ce vocable doit être mis en congé. Et ce n’est pas parce qu’on subit des injustices en raison de sa couleur de peau qu’on appartiendrait à une « race ». Je ne puis être un « racisé ».
D’après l’historien Pap Ndiaye, auteur de La Condition noire, « race » désignerait une catégorie imaginaire… Imaginaire pour qui ? Dois-je adopter l’imaginaire de mon ennemi ou du « racisme » pour dire le réel ? Je suis en désaccord avec cette conception sociologisante de la race. Elle complique un problème résolu : l’inexistence des races. Quand bien même la race serait une catégorie sociale, le principe biologique (la couleur de peau) reste celui qui donne un sens réel à ce mot. Et pour moi, il n’y a pas de « condition noire ». C’est une lecture du monde très américaine que propose Pap Ndiaye ; d’ailleurs, quel est le bilan des États-Unis concernant leur lutte contre le « racisme » ? Le vrai « antiracisme » déconsidère la question de la race et s’attelle au travail politique : la lutte pour la transformation égalitaire du monde à l’échelle mondiale. Nul besoin de la comédie des États : tous ou presque ont signé des conventions contre le « racisme ». Ce n’est qu’une posture. Quoi de plus simple pour un État de condamner des injures « racistes » dont un joueur de football, un ministre, un quidam a été la cible ?
N« Chacun doit pouvoir raconter son rapport au monde, ses souffrances, sans rentrer dans des cases préétablies. »
Il y a une escroquerie dans la lutte contre ce que l’on appelle « racisme » : on ne soulève aucunement les questions d’égalité, des droits – des travailleurs, des étrangers… Ceci contribue à déresponsabiliser les États. Or, ce sont contre eux qu’il faudrait engager un procès de « racisme ». Historiquement, ce sont eux, les grands et exclusifs ségrégateurs. Aujourd’hui, ce sont encore eux qui organisent les divisions sociales et alimentent les hiérarchies. Le « racisme » est fondamentalement lié au pouvoir. Vous pensez qu’on se focalise plus sur les actes racistes individuels que sur le racisme systémique ?
Oui. La notion de « racisme » est dépolitisée à l’extrême. Elle relève de nos jours du champ identitaire (« Noir français »), social ou psychologique (« microracisme », « racisme » inconscient, etc.)… Par ailleurs, l’expression « racisme systémique » est pléonastique. Si « racisme » il y a, il ne peut qu’être systémique, puisque lié au pouvoir, aux institutions, aux lois… En France, pour l’essentiel, on attribue le « racisme » aux électeurs d’extrême droite, à un parti qui n’a jamais gouverné. Si le Rassemblement national est « raciste », pourquoi est-il autorisé, financé par l’argent public, représenté à l’Assemblée nationale ? En vérité, c’est l’État lui-même qu’il faut changer ! Peut-on attendre que le bourreau soit juge et partie ? Il faut concevoir la politique autrement, à bonne distance de l’État.
Vous proposez de renverser le capitalisme ?
Oui, je propose de travailler à l’avènement d’une société égalitaire mondiale. Le capitalisme est un « racisme » fondamental, un système dans lequel ceux qui ne possèdent pas ne sont rien. Un monde où les laissés-pour-compte, ceux qui ne peuvent pas vendre leur force de travail, sont écrasés. Que faire ?
Nous devons nous atteler à conscientiser les masses, notamment en Afrique, qui n’ont aucun intérêt dans ce système. Ce travail politique doit être effectué par les intellectuels. Si le capitalisme tient bon, c’est aussi parce qu’il a une armée d’intellectuels à sa solde.
Certains mouvements antiracistes luttent contre les violences systémiques et policières…
Très bien. Je remarque néanmoins que le terme « systémique » chez certains militants « antiracistes » se suffit à luimême. Or, c’est d’abord l’État qu’il faut mettre en cause. Les violences policières sont avant tout des violences d’État, la police étant son bras armé. Cette violence est soutenue, entretenue, organisée par les États. Dans notre société, la discrimination
est reine. La mise en concurrence de personnes sur le marché du travail est une compétition qui produit de l’exclusion, des discriminations. On ne peut donc lutter contre celles liées à l’embauche si on valide l’existence d’un « marché du travail ». Comment créer une société où l’exclusion n’est pas la règle ? Cette question s’adresse à toutes les sociétés. J’ai vécu au Cameroun, pays non « racial », il ne me semble pas qu’il soit préoccupé quant à l’organisation d’une société égalitaire, juste, non discriminante. L’histoire de toute société jusqu’à nos jours – faisons du Marx –, c’est celle de la mise en place d’un système inégalitaire. L’identitaire est-il la négation de la politique ?
Oui. Pas de la politique prise au sens actuel (gestion de l’état des choses), mais au sens de Marx : prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! On s’engage en politique pour des idées, non pas parce qu’on est victimes. C’est important de connaître l’histoire de l’esclavage, de la colonisation, mais sans verser dans une espèce de conservation utilitariste, pour soi, de l’histoire. Les identitaires de droite ont d’ailleurs un rapport similaire à l’histoire, quelque peu fétichisant. Mais concrètement, que fait-on pour que demain ne soit pas comme hier ?
L’« antiracisme » actuel ne trace nullement la voie. Il ne remet pas en question les lois du monde. Exemple, « Black Lives Matter » : à qui ce mot d’ordre est-il adressé ? L’« antiracisme » se borne à une lutte des places, où l’enjeu est d’être visible – pour reprendre leur mot –, représenté. Il s’ancre plutôt dans une soi-disant « identité noire ».
Mais par exemple, le collectif Justice pour Adama se bat pour que justice soit rendue à ce jeune homme tué lors d’une intervention par des gendarmes en 2016…
C’est toujours sain et bon de lutter contre les injustices subies. Je comprends la souffrance, je ne critique pas ce collectif en lui-même, mais je ne partage pas sa visée stratégique et politique. Une victime doit être défendue en tant que victime, on ne doit pas en faire un héros. La tête de proue du mouvement, Assa Traoré [la sœur d’Adama Traoré, ndlr], est devenue l’égérie de la marque Louboutin. Très bien pour elle ! Mais alors que la situation n’a pas changé, cette personne a accédé à un destin particulier à travers cette lutte. Ce combat a bifurqué vers du marchandage, du marketing. Le capitalisme a la capacité d’exploiter, d’instrumentaliser des mouvements, des figures sans ligne politique, qui expriment simplement une souffrance, une colère.
Qu’est-ce que l’individualisme radical que vous prônez ? Selon un discours répandu, notre société moderne, capitaliste, est individualiste. Consacrant les droits des individus, elle ferait la part belle à ces derniers au détriment du collectif. Je ne souscris pas à ce cliché. Tous les individus ne sont pas logés à la même enseigne. Être un « individu » dans notre monde ne suffit pas pour avoir le droit de vivre, de se déplacer, de travailler, de se soigner… Il faut être un « individu » qui a de l’argent. Si vous êtes désargenté, comme des milliards de gens dans le monde, votre individuité est bafouée. Notre monde tolère fort peu les singularités, et donc les individualités. Il a plutôt besoin de consommateurs sur le terrain économique et d’identitaires sur le terrain politique. Il faut toujours se méfier des « Nous » – « Nous, les Noirs », « Nous, les Français », « Nous, les femmes », « Nous, les Africains », etc. Ils cachent des misères et asphyxient quantité de noms propres, de « je ». L’identitaire n’est jamais un individu chez qui le « je » est central. C’est un individu diminué et affecté, qui se croit obligé de prôner un « nous » qu’il connaît très peu. Moi, je crois avant tout aux singularités. Je prône donc un individualisme radical, dans une perspective esthétique et philosophique. Et politiquement, nous devons miser sur une société soumise au principe du bien commun. L’antiracisme n’est-il pas salutaire pour lutter contre la haine, la xénophobie ?
L’« antiracisme » actuel est tout sauf salutaire. Il n’est d’aucun secours face aux problèmes majeurs de la société française, et même ailleurs. Il n’a rien à voir avec le mouvement américain pour les droits civiques des années 1950 et 1960, par exemple. La haine se banalise partout. C’est une donnée sociale mondiale. Y compris dans mon Cameroun natal, où prospèrent les discours d’exclusion, de divisions ethniques… Cette sentimentalité identitaire et haineuse est corrélée à l’aggravation des inégalités. Concernant la xénophobie, évoquons la réforme du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) : en février 2023, l’actuel gouvernement français a déposé au Sénat un projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration. C’est un projet sécuritaire, qui signifie que l’étranger est par essence un « danger ». Que déclarent les mouvements dits « antiracistes » à ce sujet ?
Les gouvernements successifs ont déjà inventé mille plans et programmes contre les discours haineux, tout en produisant eux-mêmes de bonnes raisons de haïr les « étrangers ». La lutte politique doit être celle pour le bien commun à l’échelle mondiale. Pour un monde débarrassé de ces identités nationales et de la propriété privée des moyens de production. Des populations nées en France de parents immigrés ne sont souvent pas considérées comme Français…
Ces personnes sont dans une position extrêmement difficile. Sans doute l’identitarisme noir actuel tente de répondre à ce malaise existentiel. Français à part entière, ils doivent pouvoir jouir des mêmes droits. Mais le sans-papiers que j’ai
été ne peut s’empêcher d’adopter une distance vis-à-vis des considérations de nationalités, en évitant de se construire politiquement et exclusivement sur elles. La nationalité est par principe excluante envers les « étrangers », elle alimente les discriminations. On ne peut pas accepter d’en être le continuateur passionné et convaincu. « Noirs français », « Noirs américains »… ces formules me consternent. Quant au terme « afrodescendant », il est de la même veine que « Français de souche », il consacre la racine, l’origine, la pureté. J’ai grandi en milieu rural, au Cameroun, jamais je n’ai entendu le terme « afro ». Ma grand-mère, qui ne parlait ni français ni anglais, était-elle « afro » ? L’afrodescendance est un cliché d’Occident. Si on veut parler sérieusement, c’est l’humanité qui est « afrodescendante ».
Pourquoi le panafricanisme est-il une fable à vos yeux ?
Prenons au hasard ces trois pays : Cameroun, Mali, République centrafricaine. Ils sont en pleine déflagration en interne. La tendance sur le continent est à la division, l’éclatement. Le panafricanisme basé sur des valeurs ancestrales communes est une fable. C’est une réaction vis-à-vis de l’Occident ; on veut montrer qu’on a une identité, qu’on est forts. Il est vain de vouloir se justifier, de démontrer à l’autre qui je suis. J’aurais pu valider l’idée d’un panafricanisme construit sur un contenu politique : l’école, la santé, le travail, l’électricité… pour le plus grand nombre. Dans quelles conditions vivent les masses ? Quels sont leurs besoins concrets ? Quelle direction doit-on prendre ? Investissons-nous dans ce travail enthousiasmant. Que racontent les figures de Barack Obama et de George Floyd, que vous analysez ?
« Le sans-papiers que j’ai été ne peut s’empêcher d’adopter une distance vis-à-vis des considérations de nationalités, en évitant de se construire sur elles. »
Je consacre un chapitre à ce sujet : « La figure ecclésiastique du Noir américain ». J’analyse ce que j’appelle « l’extraracialité » du « Noir américain », à l’image du dollar et de sa légendaire extraterritorialité. Connaissez-vous un intellectuel vivant en Afrique, ou des Africains y vivant, qui ont autorité ou qui ont voix au chapitre lorsqu’il s’agit de parler de « racisme », des « Noirs » ? À travers les figures emblématiques de Barack Obama et de George Floyd, et ce qu’elles ont suscité comme émotion, je signifie l’emprise des États-Unis sur notre représentation des choses et du monde. Ce n’est pas un scoop. Je montre aussi comment, en retenant la conception actuelle du « racisme » et de l’« antiracisme », on arrive à une aporie. Quel pays peut se permettre de donner des leçons d’« antiracisme » aux États-Unis ? Dans notre monde, Barack Obama est la preuve « antiraciste » par excellence et George Floyd, la victime « racisée » au firmament. Il faut se situer dans un champ hors émotionnel. Car ici, l’émotion anesthésie la raison et permet de sous-traiter la question de la justice et de l’égalité. Du reste, des George Floyd en Afrique, il y en a matin, midi et soir. Sauf que l’Afrique n’intéresse pas grand monde. Même les « Noirs » français vont puiser leur militantisme aux États-Unis, pas en Afrique, qui leur fait pourtant face. « Noir » est une construction occidentale, et les États-Unis ont loi d’évangile sur les « Noirs ». Que faire face au pillage par des entreprises étrangères des richesses du continent ?
On ne peut pas éternellement accuser les étrangers ; ce serait reconnaître qu’ils ont une emprise sur nous et qu’on ne peut rien y faire. Il faut s’accuser soi-même, et mener un travail d’émancipation. Cela valorisera beaucoup de jeunes Africains
qui ne demandent qu’à s’exprimer. Or, dans les conditions actuelles, on leur répète que c’est la faute de l’Occident, de la France, de Macron… Même si c’est vrai, que les entreprises étrangères pillent, on ne les met pas face à leur capacité d’action. Et accuser les dirigeants africains ne résout rien. On ne peut rien attendre d’eux. C’est à nous de nous mettre au travail. La jeunesse est orpheline, elle n’est pas accompagnée, orientée. Elle souffre d’un désert intellectuel. Nous qui sommes insatisfaits de l’état des choses, organisons-nous, avec patience et méthode, et traitons les problèmes. Donc on ne peut pas compter sur les structures étatiques, d’après vous ?
La plupart des populations vivent déjà avec une défaillance chronique des États. Or, il faut bien un cadre, sans quoi ceux qui sont mieux organisés vont continuer leur pillage. Il faut donc renforcer stratégiquement les États. C’est une solution d’urgence. Mais sont-ils capables de tracer un nouvel horizon pour l’humanité ? Non. Leur vocation est autre : être « fondés de pouvoir du capital », dixit Marx. Il faut tracer une voie avec la jeunesse : c’est le rôle des intellectuels du monde, et particulièrement d’Afrique. Or, personne ne s’y intéresse, on préfère lui parler d’esclavage, de Françafrique, de colonisation, de tout ce qui ne lui permet pas d’explorer ses innombrables ressources intellectuelles, et de répondre aux défis qui se posent à elle. Il faut donc qu’elle s’intéresse à elle-même. Clamer « l’Afrique est le continent de demain » ne veut rien dire et n’engage à rien concrètement. Si on ne mise pas sur l’instruction de la jeunesse, sur un programme politique radicalement nouveau, le pire est devant nous. ■
Leurs followers se comptent par dizaines de milliers. Mode, gastronomie, photos, comédie, empowerment… De Facebook à Instagram, en passant par TikTok, ils et elles s’imposent comme des maîtres de la tendance. Et s’adressent particulièrement aux plus jeunes avec un impact considérable sur les modes de vie. Rencontre avec ces nouveaux leaders d’opinion (qui font aussi des affaires).
par
Jihane ZorkotFICHE D’IDENTITÉ
Prénom : Lala Fatima
Nom : Haïdara
Âge : 30 ans
Pseudo sur les réseaux sociaux :
• Instagram lagouteuse_
• Facebook Food blogger la Goûteuse
• TikTok lagouteuse
Nombre d’abonnés : 80 000 sur Instagram (158 000 sur les trois réseaux)
Passionnée de gastronomie, de photographie et de voyage, Lala Fatima Haïdara est toujours en quête de nouvelles saveurs et de bonnes adresses. Amoureuse de bons petits plats, elle fait ses premiers pas sur le Web en 2018, en partageant ses expériences gustatives dans les établissements d’Abidjan. De la street-food aux restaurants gastronomiques, elle fait découvrir à ses abonnés des espaces pluriels, et fait en sorte que toutes les bourses puissent y trouver leur compte. Alternant
entre photographies, vidéos et récits, l’influenceuse tient à mettre en immersion ses followers. Fidèle à elle-même, elle n’hésite pas à mentionner les bémols et les points à améliorer. Aujourd’hui, ses réseaux sont une vitrine du tourisme culinaire. Elle est sollicitée par tous et voyage non seulement à l’intérieur du pays, mais également dans la sous-région, offrant ainsi un véritable tour d’horizon de ce que la nation a de mieux à offrir en matière d’expérience gastronomique. Ses escapades gourmandes lui ont valu diverses nominations, notamment aux Awards de la presse numérique de Côte d’Ivoire, dans la catégorie Influenceuse de l’année. Consciente de sa notoriété, elle a fondé en 2020 le Social Food Tour, qui donne l’opportunité aux enfants défavorisés d’être accueillis aux meilleures tables. Elle souhaitait se démarquer des actions de bénévolat classique et offrir de nouvelles perspectives. La jeune femme travaille actuellement sur un projet de guide culinaire, qui pourrait bien devenir la référence du food tour à l’ivoirienne, et nourrit l’espoir d’ouvrir prochainement son propre restaurant.
Prénom : Kouamey Franck-Arnaud
Nom : Edja
Âge : 32 ans
Pseudo sur les réseaux sociaux :
• Instagram prince_edja
• Facebook Prince Edja
• TikTok prince_edja
Nombre d’abonnés : 125 000 sur Instagram (210 000 sur les trois réseaux)
Avec plus de 28 destinations à son actif, parmi lesquelles le Mali, le Bénin, le Sénégal, le Maroc, ou encore le Kenya, Prince Edja, en authentique guide touristique, sillonne les territoires africains. Sa mission : révéler les pépites cachées du pays. La communication et le goût du voyage coulent dans les veines de cet ancien directeur marketing et communication du groupe Azalaï, à Abidjan. Muni de son téléphone et de son sac à dos, empruntant les moyens de transport locaux, il parcourt son pays et en partage la beauté, les richesses et
POUR DES VOYAGES PLUS VERTS
les traditions. Il entend ainsi briser les clichés sur les régions touristiques ivoiriennes et africaines, et désacraliser les villes d’Abidjan et d’Assinie en mettant d’autres endroits à l’honneur. « Nous n’avons pas besoin d’aller en Europe pour voir la mer, il suffit de prendre la route en direction de la Côtière. Pareil pour le safari : pourquoi se rendre au Kenya, alors qu’on peut aller à Bouaké ? Et l’ouest de la Côte d’Ivoire regorge de paysages et de reliefs plus beaux les uns que les autres. » Fondateur de l’agence de voyages Travel With Edja, il tire profit de sa notoriété et la met en œuvre à bon escient, en prodiguant ses conseils aux clients qui se tournent vers lui. Il partage régulièrement avec sa communauté, qui compte aussi bien des Africains de la diaspora que des expatriés ou des locaux. Ce voyageur connecté n’hésite pas à diversifier ses contenus d’un réseau à l’autre pour captiver sa communauté numérique. Par ailleurs, Prince Edja se tourne vers un tourisme vert et durable, en ligne avec les préoccupations de son époque. Il travaille notamment aux côtés de l’agence Living the Wild, pour la gestion et la protection des parcs nationaux et des zones touristiques protégées.
FICHE D’IDENTITÉ
Prénom : Frédérique
Nom : Leininger
Âge : 39 ans
Pseudo sur les réseaux sociaux :
• Instagram frederique.leininger
• Facebook Frederique Leininger
• TikTok frederique.leininger
Nombre d’abonnés : 105 000 sur Instagram
(129 000 sur les trois réseaux)
Communicante née, elle a fondé la plate-forme InnSaei pour promouvoir un storytelling au féminin. Élu meilleur média par la presse ivoirienne, le site fait le pont entre l’Occident et l’Afrique avec des actualités sur la culture, l’environnement, la santé, le bien-être, la beauté ou encore la mode. Ancienne mannequin, styliste, animatrice télé, cette Ivoiro-Française est une working girl qui a plus d’une corde à son arc. En 2016, elle apprend qu’elle souffre d’un cancer du sein à un stade avancé, quitte la France pour la Côte d’Ivoire, et trouve du réconfort
et de la puissance lorsqu’elle partage son histoire. Depuis, les opportunités se présentent, et elle les saisit. En l’espace de deux ans seulement, ses followers sont passés de 20 000 à 102 000, et elle prône auprès de sa communauté le lâcher-prise, l’acceptation et l’affirmation de soi. Elle tient à diffuser un contenu de qualité, essentiellement destiné aux jeunes femmes. Et anime des tables rondes, des conférences, ainsi que des séances de coaching autour de thématiques diverses, notamment le bienêtre, le respect de l’environnement, le personal branding, la prise de parole en public, etc. Car Frédérique Leininger est de nature optimiste, elle voit en chacun un potentiel infini. Grâce à son expérience dans le monde de la mode, elle est en outre à la tête d’un bureau de style et de création, qui a pour objectif d’aider les designers africains à se faire une place sur la scène internationale, en distillant les astuces et outils nécessaires à leur réussite. Et ses combats se conjuguent avant tout au féminin, puisqu’elle milite pour l’empowerment et l’autonomisation des femmes et des jeunes filles : elle préside d’ailleurs l’ONG Le Club Nanan, qui se présente comme un cercle de réflexion autour de la santé et du bien-être, et met en œuvre des actions de sensibilisation, notamment autour de la question du cancer du sein, dont elle-même est une rescapée.
Prénom : Nader
Nom : Fakhry
Âge : 33 ans
Pseudo sur les réseaux sociaux :
• Instagram fakhry_nader
• Facebook Nader Fakhry
• TikTok fakhrynader
Nombre d’abonnés : 291 000 sur Facebook
(394 000 sur les trois réseaux)
Véritable amoureux de la nature, et notamment des paysages de Côte d’Ivoire, cet aventurier des temps modernes fait rayonner le pays sur la scène internationale. En 2022, à tout juste 32 ans, il est nommé ambassadeur du tourisme par le ministère lui-même. Mais c’est en 2017 que l’histoire commence : alors qu’il se rend avec sa femme Farah au marché de Kouté, dans la commune de Yopougon, il filme leur virée shopping à l’aide de son smartphone et diffuse la vidéo sur ses plates-formes. Elle devient virale. Germe alors l’idée de capturer et partager des instants de vie. Aujourd’hui, le jeune homme a sillonné bien plus que des marchés. Du nord au sud, d’est en ouest, il parcourt le territoire et nous en dévoile les trésors cachés et les curiosités. Ne se limitant pas aux paysages, c’est à travers la culture, les coutumes et la cuisine qu’il dévoile les différentes facettes de son pays. Autodidacte, il a su s’imposer pleinement comme une figure incontournable du tourisme. Il réalise régulièrement des vidéos promotionnelles dont les vues se comptent par milliers, et les partage sur ses réseaux, n’hésitant pas à dépasser ses limites et à sortir de sa zone de confort en se rendant dans des contrées encore inexplorées. Multipliant les partenariats avec les institutions et les entreprises, l’un de ses derniers projets en date se nomme « Mon doux pays » et a été pensé en collaboration avec Orange Côte d’Ivoire. Ce programme a pour but de faire découvrir aux habitants les lieux d’intérêt de leur pays et de diffuser un guide touristique accessible sur Mondouxpays.com. Et Nader Fakhry ne s’arrête pas là ! Insatiable, c’est tout le reste de l’Afrique qu’il aimerait maintenant explorer. Il s’est d’ailleurs d’ores et déjà lancé un nouveau défi : avec « L’Afrique, c’est chic », il documente ses voyages à travers tout le continent.
Prénom : Paul Yves
Nom : Ettien
Âge : 22 ans
Pseudo sur les réseaux sociaux :
• Instagram paulyvesheytien
• Facebook PaulYvesHeyTien
• TikTok paulyvesheytien
Nombre d’abonnés : 752 000 sur Facebook (1 163 000 sur les trois réseaux)
Àseulement 22 ans, Paul Yves Ettien est l’un des web-comédiens et créateurs de vidéos les plus en vogue à Babi. Le jeune autodidacte fascine la Toile, comme en témoignent ses 752 000 followers sur Facebook. L’aventure démarre en 2013, alors qu’il se lance dans la création de vidéos comiques – où il a notamment l’habitude de se mettre en scène dans le rôle d’un père haut en couleur –, mais c’est en 2020, durant la pandémie de Covid-19, que sa carrière décolle véritablement. Réalisateur et scénariste, il conçoit lui-même ses scripts (dont il est l’acteur principal) et, faute de moyens, se filme à l’aide d’un smartphone. Ses créations connaissent un tel succès que ses expressions, comme « Abatsar » ou « Le mouvement est ice », sont employées par toute la jeunesse ivoirienne. Mais son style évolue, à son image, et s’inscrit aujourd’hui dans une dynamique bien différente, puisqu’il réalise des courts-métrages pleinement inspirés de son vécu et du monde qui l’entoure. Parmi ses œuvres les plus connues, on peut citer Réseau social, Lisa, et Ce que peut cacher un regard, les trois abordant des thématiques à caractère sociétal. En 2022, il est invité en tant que speaker aux Adicomdays, à Dakar, où il reçoit également le prix de la catégorie Concept, fiction et humour pour ses contenus, qui dépassent le million de vues. À la lumière de sa notoriété florissante, les marques se l’arrachent, et le jeune homme est très demandé. Mais ce dernier souhaite avant tout produire un contenu de qualité et sélectionne ses apparitions avec soin. Actuellement en dernière année d’études, en ingénierie pétrole, à l’Institut national polytechnique Félix Houphouët-Boigny, à Yamoussoukro, il n’a pas fini d’attirer les regards et de faire parler de lui.
FICHE D’IDENTITÉ
Prénom : Fanta
Nom : Koné
Âge : 33 ans
Pseudo sur les réseaux sociaux :
• Instagram fantastyck
• Facebook Fantastyck
• TikTok fantastyck11
Nombre d’abonnés : 17 000 sur Instagram (27 000 sur les trois réseaux)
Avec ses 17 000 abonnés sur Instagram, Fantastyck est une référence en matière de mode et de beauté à Abidjan. Malgré sa grande notoriété, elle n’aime pas le terme d’influenceuse, et lui préfère celui de blogueuse. Associant ses deux passions, l’informatique et les vêtements, elle crée Le Blog de Fanta en 2012, devenant ainsi la première blogueuse mode ivoirienne. Elle y partage ses coups de cœur, ses astuces beauté et ses bonnes adresses. Ex-mannequin, elle a défilé sur les plus grands podiums, ce qui lui a donné un accès direct à l’industrie de la couture ivoirienne. Authentique et naturelle, la jeune femme tient avant tout à proposer des contenus de qualité. Active depuis dix ans, elle reste fidèle à elle-même et refuse tout partenariat qui ne serait pas en accord avec ses principes. Elle porte les créations de designers africains, incluant pleinement le folklore dans ses tenues, et fait l’apogée des femmes africaines modernes, celles qui embrassent pleinement leur culture. Mais Fantastyck, c’est aussi un mode de vie qui séduit, si bien qu’en 2017, elle lance sur Instagram le hashtag #fantastycktrip pour partager ses voyages et découvertes. Cette fashion victim est courtisée par de nombreuses marques souhaitant l’avoir pour égérie. Elle collabore avec Uniwax, Topicrème, Yves Rocher ou Meta, et sera le prochain visage de la campagne de Djamo. À l’avenir, elle aimerait ouvrir une agence de communication dans la mode et le conseil.
Prénom : Saraï
Nom : D’hologne
Âge : 29 ans
Pseudo sur les réseaux sociaux :
• Instagram sarai.dhologne
• Facebook Saraï D’hologne
Nombre d’abonnés : 512 000 sur Instagram (577 000 sur les deux réseaux)
Ex-hôtesse de l’air, Saraï D’hologne (Madame Bassa, depuis son mariage avec le rappeur Didi B) est une artiste née. Préférant rapidement les pinceaux à l’uniforme, elle décide de vivre de sa passion et, se formant en autodidacte, réalise des fresques murales colorées et audacieuses. Appréciée pour son style et sa personnalité authentiques, elle est décrite par sa communauté (surtout des jeunes femmes) comme une personne positive et inspirante. Encourageant ses followers à réaliser leurs rêves, elle aborde sur ses réseaux des sujets divers, mais prône avant tout le naturel. Elle se saisit notamment de la question de l’identité culturelle africaine à travers le mouvement nappy, les voyages, l’art et la mode, mettant toujours à l’honneur les créateurs du continent, avec qui elle collabore régulièrement. Également styliste, à la tête de la marque Sartaï the Brand, elle fait partie, en 2022, selon le géant Meta, des 10 influenceuses africaines à suivre. Flirtant avec l’art sous toutes ses formes, elle est aussi modèle photo et a travaillé, entre autres, pour Guerlain, Uniwax, Sivop et L’Occitane. ■
Vivant entre la France et le Sénégal, l’artiste conjugue expérience personnelle et mémoire collective. Et n’hésite pas à dire ce qu’il a sur le cœur. Consacrée à Dakar, sa nouvelle exposition « Le ciel sera toujours bleu » est une déambulation réaliste et mélancolique sur les lieux emblématiques
propos recueillis par Astrid Krivian
d’une capitale en mutation permanente.
ans sa nouvelle exposition « Le ciel sera toujours bleu », à la galerie Cécile Fakhoury, à Paris, l’artiste pose un regard singulier sur le centre-ville historique de Dakar. Avec une approche poétique et amusante, il déconstruit et reconstruit l’espace de cette capitale en pleine mutation, au gré de ses déambulations rêveuses. Dans une démarche d’archiviste, reliant mémoires personnelle et collective, il rend hommage à des éléments architecturaux, des bâtiments menacés de destruction. Dans sa série pétillante Le Retour des copines (2020-2021), ses photomontages placent des personnages dans un décor graphique évoquant les motifs et mises en scène de grands photographes africains des années 1960, comme Malick Sidibé ou Seydou Keïta. Né en France à Figeac en 1963, Vincent Michéa partage sa vie entre Dakar et Paris depuis trente ans. Se présentant comme un peintre du pittoresque, il puise dans le quotidien l’ordinaire et l’iconographie de la culture populaire pour nourrir ses travaux, comme dans sa série Belle époque (2003-2005), s’inspirant de pochettes de disques de célèbres artistes africains post-indépendances. Diplômé de l’École supérieure d’arts graphiques et d’architecture intérieure à Paris, puis assistant du graphiste polonais Roman Cieslewicz, il a enseigné la sérigraphie à l’École supérieure des arts visuels de Marrakech. Ses œuvres font aujourd’hui partie de plusieurs collections internationales.
AM : Comment présenteriez-vous cette exposition
Vincent Michéa : Elle réunit une partie du travail que j’effectue depuis trois ans sur la ville de Dakar et ses habitants. J’aime peindre le quartier du Plateau où je vis, centre-ville historique qui s’est formé autour du port, puis s’est étendu le long de la presqu’île du Cap Vert. On y trouve encore quelques rares bâtiments anciens, coloniaux, administratifs des années 1950. Depuis une quinzaine d’années, en proie à la spéculation immobilière, Dakar subit beaucoup de destructions. Quelques saccages architecturaux ont eu lieu, malheureusement, laissant place à des tours de verre, des immeubles de bureaux ou des appartements à 3 000 euros le loyer. Ma peinture est à la fois la vision d’un promeneur rêveur et le témoin d’un lieu en plein bouleversement, un peu à la manière d’un archiviste. Cette ville est en perpétuel chantier, avec des moellons partout : tout est commencé, rien n’est fini. C’est inspirant. Le titre se réfère aux paroles de la chanson « Coumba » du groupe sénégalais Orchestra Baobab. J’ai voulu rendre hommage à l’un de ses chanteurs, Rudy Gomis, décédé en 2022. Et en effet, le ciel est toujours très bleu à Dakar !
DLa couleur est un élément central dans votre travail. Partagez-vous cette idée du peintre Pierre Bonnard : « La couleur agit » ?
Oui. Et Joan Miró disait en substance : la peinture, c’est grand et en couleurs. Maîtriser le pouvoir de la couleur m’intéresse. Tout le monde a cette vision un peu pittoresque d’une Afrique colorée, bruyante et olfactive. C’est aussi vrai. Les contrastes, les juxtapositions de couleurs complémentaires vous sautent aux yeux. Ce n’est pas forcément le cas dans les capitales européennes, où la grisaille, même vestimentaire, domine.
En tant qu’étranger, vous méfiez-vous d’une vision exotisante sur le Sénégal, ou faites-vous confiance à votre intuition ?
De par ma formation et ma culture iconographique, il y avait peu de chances que je tombe dans ces travers, ces clichés. Je m’attache à des choses auxquelles un touriste sur le continent ne s’intéresse pas forcément. Je prends comme référence ces grands portraitistes africains, ces photographes maliens, nigérians, congolais qui ont réalisé un travail formidable et poétique sur le cours ordinaire des choses. Mais je me suis aussi intéressé aux images que les musiques africaines ont produites. Les pochettes de disques, de cassettes, ont été un vecteur sociologique extraordinaire, à une période où la télévision n’était pas présente dans ces pays. Une pochette de disque pouvait dicter la mode vestimentaire ou capillaire pendant des mois ! La culture populaire m’intéresse, sans y mettre de l’intellectualisme.
L’aspect amusant vous importe-t-il lorsque vous créez ?
Oui. Mes nouveaux tableaux, tel « Quand on arrive en ville », ressemblent à la vision que l’on a dans le taxi à Dakar ; le menton relevé, on voit plus de ciel que d’habitude, le paysage change constamment, on tourne la tête ici et là, et le bout d’immeuble a changé, le ciel aussi… J’essaie de retranscrire cette perception. Pour la série Le Retour des copines, réalisée avec des papiers découpés et des bouts de photographies, j’ai voulu recréer graphiquement un studio imaginaire en trois dimensions, inspiré par ces portraitistes des années 1960 qui photographiaient leurs modèles au sein d’un décor. Pour le tableau « Un grand ciel bleu », je me suis régalé avec les poteaux et leurs nœuds de fils électriques. Je savais que cet élément graphique allait fonctionner ! On trouve les mêmes à Manhattan, à Brooklyn… Sans mauvais jeu de mots, il y avait un fil conducteur. Tout comme un écrivain a ses formules, un peintre a ses recettes. Il ne faut pas trop en dire et garder ses secrets ! Depuis la Renaissance, on connaît les lois de la composition, les rapports de couleur, la circulation du regard. L’idée, c’est de faire ce que je veux avec les yeux du spectateur. Je sais exactement par où il commence et par où il finit en regardant ma peinture. C’est un jeu. Comme disait mon maître et ancien professeur Roman Cieslewicz, photomonteur et graphiste, nous sommes des aiguilleurs de la rétine.
Comment avez-vous vu Dakar évoluer en trente ans ?
Il y fait toujours bon vivre. Mais d’une ville habitable, assez paisible par rapport à d’autres capitales, elle est devenue presque invivable, à l’instar du Caire. On constate une urbanisation démesurée, une forte pollution, ou encore une surpopulation due à un exode rural important (les agriculteurs et les éleveurs souffrent beaucoup)… Les gens se réfugient en ville pour tenter de trouver du travail – des Sénégalais, mais aussi des Guinéens ou d’autres nationalités, le pays étant stable. On ne voit pas ce tumulte dans vos images…
Parce que même si le quartier historique du Plateau change, une atmosphère demeure. On ne sent pas le chaos comme dans la majeure partie de Dakar. C’était une ville propre il y a trentecinq ans. Tous les habitants le reconnaissent. Des grands arbres qui prodiguaient de l’ombre ont été coupés, des espaces publics ont été rasés, des jardins d’enfants et les rares espaces verts ont été spoliés… Mais je n’ai pas de nostalgie, juste une petite mélancolie. C’est le cours habituel des choses. Toutes les villes du monde sont touchées par cette folie de l’argent spéculative. Véritables verrues architecturales, des immeubles sont dressés et demeurent vides, inoccupés… Quel plaisir trouvez-vous dans le photomontage ?
C’est un jeu, on est comme à l’école maternelle ! C’est l’activité qui me procure le plus de joie et d’intérêt. Elle demande
beaucoup de minutie, d’exactitude et de précision. Ce procédé a été inventé par des Berlinois dans les années 1920. C’est une façon remarquable de faire des images. Redoutable aussi, d’une efficacité dévastatrice. Je l’emploie de façon poétique, mais dans les cinquante premières années, les Russes, les Allemands ou les Américains l’ont utilisé pour concevoir des images à forte teneur idéologique. On peut lui faire dire des horreurs : la simple association de deux images peut devenir une monstruosité, véhiculer un message d’une puissance infernale.
« Tout comme un écrivain a ses formules, un peintre a ses recettes. Il faut garder ses secrets ! »Étude pour Un grand ciel bleu #1, 2022.
Vous n’y distillez pas de propos politique ?
Je ne crois pas que la peinture ait quelque chose à voir avec le message politique. Elle ne va pas changer le cours des choses. Je m’efforce justement à ce que mes œuvres en soient dépourvues. Ce n’est pas mon rôle, ni celui de mon art. Guernica, de Picasso, n’a pas eu d’effet sur les nazis, il n’a pas empêché leurs crimes…
Vous ne pensez pas que tout est politique ?
Peut-être que tout est politique, mais parler de politique, c’est différent. Je me fais un point d’honneur de ne pas l’aborder. Ma source d’inspiration étant aussi en Afrique, ce n’est pas à moi de parler des sujets sensibles sur le continent. Ce n’est pas mon propos, ce serait malvenu. Je suis un hôte étranger au Sénégal. Je me réfère à cette jolie formule employée ici par les hommes politiques à l’ouverture de tout discours : « Sénégalaises, Sénégalais, et hôtes étrangers qui vivez parmi nous… »
J’aimerais bien que les gouvernants français s’en inspirent ! Ça mettrait un peu de calme dans le pays…
Cette approche manuelle du processus artistique est-elle importante pour vous ?
Oui. Sans manualité dans la peinture, dans l’art, où va-t-on ? Au cours de ma formation de graphiste, j’ai appris à réaliser des affiches, des livres, à monter de la typographie à la main. Dans les années 1990, tout se faisait ainsi. Le secret de l’atelier existait encore. Quand on amenait une maquette (affiche, mise en page pour un ouvrage…) à un client, il était comme un enfant dans une pâtisserie. Il ne connaissait pas les astuces de fabrication du projet. Aujourd’hui, il suffit de cliquer sur un bouton pour changer la couleur, la typographie d’un caractère. J’étais peut-être destiné à une carrière de graphiste. Mais quand l’ordinateur est arrivé, je ne me voyais pas passer ma vie devant un écran. Des professeurs m’assuraient que j’aurai un jour à choisir entre la peinture et les arts graphiques. Sinon, j’aurai été un graphiste moyen et un peintre moyen. C’est vrai. Ce n’est pas de la flagornerie ; la peinture est un destin. Que vous apporte votre formation de graphiste ?
Je ne suis pas le seul à avoir reçu cet enseignement ; la majorité des peintres anglo-saxons actuels, les Américains en particulier, ont suivi des études d’arts appliqués. J’en suis très fier : nous suivions des cours de dessin, de chromatologie [étude des couleurs, ndlr], nous avions 5 heures de croquis de nu par semaine, même si on se destinait à devenir directeur artistique, photographe de mode… Nous apprenions la typographie, la mise en page, les codes visuels, qui sont les mêmes que ceux de la peinture. C’était moins obtus, moins centré sur la peinture et son histoire que l’enseignement aux BeauxArts. Mais il n’y a pas d’histoire de l’art sans histoire des techniques. La photographie, la reproduction offset, le caractère en plomb, etc., ont autant fait évoluer l’art graphique que les peintres. L’invention de la peinture en tube a été révolutionnaire pour le XXe siècle ! Les techniques sont inventées, puis les arts s’en emparent.
Oui, dans les métiers de l’image en particulier, c’est important de savoir dessiner, découper des papiers, agencer… En Europe, l’enseignement technique a été mis à mal depuis quarante ans. En Afrique, son développement devrait être l’une des priorités. Pour que l’économie d’un pays puisse décoller, il ne faut pas que des ingénieurs, il faut également des gens qui fabriquent ce qu’ils ont conçu. En quoi le photomontage relève-t-il d’un animisme des images, d’un polythéisme de la vision, pour reprendre vos mots ?
L’animisme des images, c’est piocher partout, dans une tranche de paysage, un bout de pied, un pare-chocs de voiture… C’est faire de toute image une image importante. Tout fait ventre. Même si, bien sûr, le choix intervient, on est partie prenante des images qu’on fabrique, qu’on sélectionne. Pour cette raison, je suis un peintre du pittoresque. L’étymologie italienne du terme « pittoresque» signifie « ce qui mérite d’être peint ». Vous vous présentez aussi comme un peintre de variétés…
Parce que j’aborde différentes techniques pour produire des images. Un artiste de variétés dispose d’une certaine technicité dans son art, qui lui permet d’approcher à peu près tous les styles. Je m’adapte au sujet, en adoptant telle ou telle technique. Au bout de quelques années, mois, ou parfois semaines de travail, on pense avoir tout dit sur un thème et sur la manière de l’exprimer. On peut le reprendre de manière différente, avec un autre savoir-faire. Il faut changer pour avoir une chance de rester soi-même. L’unicité dans un travail m’ennuie. « On ne mange pas du riz tous les jours », dit un proverbe sénégalais.
Que vous apporte cette vie partagée entre deux pays ?
Paradoxalement, je ne suis pas un voyageur, je suis plutôt sédentaire. Je voyage dans mon atelier de Dakar et de Paris. Cette vie me convient depuis trente ans. Je ne pense
pas à la France quand je suis à Dakar. Mais Dakar me manque beaucoup quand je suis à Paris. L’inspiration est, en revanche, la même ici et là-bas. J’aime cette possibilité, cette grande liberté, c’est mon seul luxe : après-demain, tu seras à Dakar pour peindre.
« L’œuvre d’art a besoin d’un climat tempéré pour se réaliser pleinement. » Pourquoi cette citation du peintre Fernand Léger fait-elle écho à votre processus créatif ?
Je trouve ce climat tempéré à Dakar : il fait beau, pas trop chaud, ce n’est pas trop pluvieux, il n’y a pas la guerre, les gens sont sympas, on a la mer et le soleil ! Le chaos génère des choses intéressantes, mais la plénitude aussi ! On ne fait pas de la bonne peinture si l’on est dépressif, alcoolique ou sous l’effet d’une drogue. Peindre après avoir descendu une bouteille de whisky, en se prenant pour un génie, ça ne tient pas sur la longueur. Je ne fais pas de peinture expressionniste, en lien avec les émotions personnelles. Le public se fiche de savoir si vous êtes heureux ou triste, il veut voir un beau tableau. On fait de la bonne peinture quand tout va bien, qu’on est aimés, qu’il n’y a pas de guerre autour de nous. C’est aussi le confort du peintre, c’est une vie. Soit on fait de la peinture, soit on n’en fait pas. Si on se décide à peindre, on ne le fait pas pour rigoler. Pour que tous les jours soient dimanche, ne soyons pas un peintre du dimanche !
En accordant une place importante aux arts, Dakar contribue au rayonnement culturel sur le continent…
En Afrique francophone, elle demeure la capitale culturelle, une plaque tournante des arts. Même si l’on trouve aussi une scène artistique bouillonnante et intéressante à Abidjan, dans un état d’esprit très différent. Dakar a toujours su accueillir les artistes, depuis les indépendances. La politique culturelle de Léopold Sédar Senghor a joué un rôle essentiel en ce sens. Cet héritage reste un socle, heureusement difficile à fissurer. Mais tout est encore à construire.
À rebours de certains courants élitistes dans l’art contemporain, vous revendiquez la dimension populaire de votre travail.
Effectivement. Je n’ai pas trop besoin d’intellectualiser les choses, et heureusement. S’il faut 10 pages d’explication pour comprendre une œuvre, c’est que quelque chose ne va pas ! Je distingue l’art contemporain de la peinture. Qu’est-ce que l’art contemporain, sinon une grande escroquerie pour la plupart ?
Je me fiche des installations, des performances, des vidéastes. L’inutilité ne m’intéresse pas.
Vous tenez à ce que vos œuvres
soient visibles, accessibles à tous ?
Oui. Je travaille avec des marchands d’art depuis dix ans. Pendant plus de vingt-cinq années, j’ai peint sans galerie. Je me suis toujours débrouillé pour exposer en indépendant, trouver des lieux où présenter mon travail. Je faisais les cartons d’invitation et conviais tous les publics, j’achetais de la bière et
du Fanta pour le vernissage. J’ai fait les choses par moi-même pendant des années. C’est à cause des œuvres d’art que le public ne se rend pas dans les musées, les expositions. Personne n’a envie de se faire prendre pour un imbécile, d’avouer : « Je ne comprends pas. » Cela marginalise et rabaisse la personne. Rien ne vous parle parce que l’œuvre ne veut rien dire, il n’y a rien à comprendre. C’est du fascisme intellectuel, esthétique. Qui a envie d’aller dans ces musées pour voir un panier en osier avec un pneu et une palette, accompagnés de plusieurs pages d’explication, gavées de références philosophiques, ethnologiques, sociales ? Car évidemment, on ne va pas y parler de Pif Gadget ! Ce n’est donc pas la faute du public, ce n’est pas lui qui n’est pas assez intelligent. Devant un tableau de Matisse, nul besoin de commentaires ! En 2018, votre exposition « Les Fantômes de l’Afrique (Siriel Rellik) », en collaboration avec le sculpteur togolais Sadikou Oukpedjo, évoquait la restitution d’œuvres pillées par la France pendant la période coloniale. Est-ce une question qui vous intéresse toujours ?
Absolument pas. C’est important de restituer les œuvres, mais pourquoi en faire tout un foin ? La France en a rendu quelques dizaines, quand l’Allemagne en a restitué 25 000 ! Qu’est-ce que ça veut dire ? Sauvons déjà les collections des musées de Kinshasa, de Dakar, d’Abidjan, où des objets ont été pillés par les directeurs successifs ! C’est bien de rendre des statues, mais ça aurait été bien également de revaloriser les pensions des anciens combattants dès les années 1960 ! On reste dans le symbole, avec cette France paternaliste, donneuse de leçons, de bons points, incapable de faire les choses correctement. ■
« Vincent Michéa : Le ciel sera toujours bleu », Galerie Cécile Fakhoury, Paris (France), à voir jusqu’au 17 juin.
« L’idée, c’est de faire ce que je veux avec les yeux du spectateur. Je sais exactement par où il commence et par où il finit en regardant ma peinture. »
propos recueillis par Astrid
KrivianLes mots m’ont construite. Enfant, je tapais sur ma machine à écrire, je noircissais des carnets. Puis, j’ai découvert les livres à la bibliothèque de mon quartier, à Nantes : ce lieu paisible comblait mon besoin de silence, m’extrayait de l’hostilité du collège, de la maison. Les mots ont bâti une bulle de protection nécessaire. Plus tard, le chant m’a permis de construire un lien avec les autres, à travers la scène. Ces deux pratiques créent mon équilibre. Chaque été, nous allions à Médéa, en Algérie, pays d’origine de mes parents. Avec la complicité de mon père, ma mère y a renvoyé mes grandes sœurs et les a abandonnées là-bas. Je n’ai jamais compris cette brutalité : pourquoi séparer ainsi ses enfants ? J’avais 11 ans et l’intuition que je ne subirai pas le même sort. Car contrairement à mes sœurs, je suis née en France. Ce statut différent m’a sans doute sauvée. Je me suis constituée à la fois contre et avec ces périodes fondatrices en Algérie. Contre, car c’était très dur de nous contraindre à des règles liberticides dès notre plus jeune âge. Avec, car nous étions aussi bercées par un monde de femmes très chaleureux, généreux, joyeux, héritage que je cultive aujourd’hui. Je me suis rebellée contre la toute-puissance de mes parents, qui vivaient très mal l’exil. Ils avaient peur de nous perdre dans cette culture française qu’ils ne comprenaient pas, dont ils n’avaient pas les codes, car elle était trop différente de la leur. Mais je ne me suis pas révoltée contre l’école. Avec la Maison des jeunes et de la culture, elle était mon échappatoire, ma maison, ma survie. En 1997, ma sœur Naïma a été assassinée par des terroristes, à Médéa, l’un des épicentres des massacres de la décennie noire. « Mort de mort violente », a constaté le médecin légiste. Sa disparition m’a foudroyée. Je me sentais déjà très fragile, j’avais déménagé à Toulouse et perdu tous mes repères, mes amis. J’ai arrêté mes études de droit – mue par un besoin de justice et de réparation, je visais le métier d’avocate. Je sentais que la musique me réparerait. Mon chant est empli de mon histoire familiale. Ma voix s’est construite sur la nécessité d’exprimer la douleur – la mienne, celle de ma famille, de mes sœurs, et même au-delà : je chante une douleur de femme, quelle qu’elle soit.
Médéa Mountains et autres textes, L’Œil d’or, 80 pages, 13 €.
Pendant dix ans, j’ai sillonné la planète avec mon groupe de jazz world expérimental, Monkomarok. J’ai eu la chance de rencontrer des personnes et des civilisations très différentes.
Ça m’a forgé une conscience aiguë de l’altérité, et aussi donné une place dans le monde en tant que Française. J’ai réalisé le privilège d’être née dans un pays riche et libre. Mon lien avec l’Algérie reste difficile. Mais après l’écriture de Médéa Mountains, j’ai besoin d’y retourner pour voir où j’en suis. Ce livre est en train de libérer de la place pour explorer d’autres thèmes que celui de ma famille, de mon ancestralité. C’était important également de porter ce texte au théâtre, art qui ancre un acte politique fort. Et il y a cette résonance évidente entre la ville de Médéa et le personnage mythique de la tragédie, Médée, qui a sacrifié ses enfants. ■
«Ma voix s’est construite sur la nécessité lad’exprimerdouleur.»
Interview
Olufunso Somorin
Maroc-Algérie, la course au PIB
La RDC, côté positif Le Botswana veut profiter davantage de ses diamants
Une monnaie numérique pour sauver le Zimbabwe ?
La COP27, fin 2022, a donné un coup d’accélérateur : les entreprises occidentales peuvent compenser leur pollution en finançant la transition énergétique et préserver les forêts en Afrique. Une approche rentable ou une fausse bonne idée ?
par Cédric GouverneurL’Agence internationale de l’énergie (AIE) comme le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) estiment que la lutte contre le réchauffement climatique passe également par la compensation carbone. Pour rappel, le principe est le suivant : une entreprise, une communauté ou un État retient du carbone en luttant contre la déforestation ou en « nettoyant l’air » de ses gaz à effets de serre ; la quantité de carbone non émise est ensuite mesurée et certifiée, puis des multinationales rachètent ces crédits carbone pour contrebalancer leurs rejets de CO2. Ces crédits sont vendus (environ 5 dollars la tonne) sur les marchés
volontaires du carbone (MCV), par opposition aux marchés contraignants (mis en place notamment dans l’Union européenne, avec allocation de quotas d’émission de gaz à effets de serre pour chaque entreprise polluante).
Ces cinq dernières années, les MCV ont crû de 30 % sur le continent. « Le marché du carbone présente une telle opportunité pour les pays africains, il faut s’en saisir », estime le secrétaire exécutif par intérim de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies (CEA), le Mozambicain Antonio Pedro. En juin 2021, le Gabon fut le premier État à être rémunéré par la Norvège, en récompense de ses efforts pour préserver son couvert forestier. Depuis, les initiatives se
multiplient sur le continent. Sur la côte kenyane, par exemple, dans la baie de Gazi, les villageois bénéficient de crédits carbone pour l’entretien de 117 hectares de palétuviers : véritable puits de carbone, cette mangrove (qui capte huit fois plus de CO2 qu’une forêt terrestre) leur rapporte 130 000 dollars par an, réinvestis dans l’éducation et l’accès à l’eau courante. Des start-up africaines, spécialisées dans la transition énergétique, subventionnent l’achat de leurs dispositifs grâce à la vente de crédits carbone : toujours au Kenya, KOKO Networks vend ainsi ses gazinières au bioéthanol « 11 dollars au lieu de 115 », rapporte nos confrères du journal Le Monde. L’entreprise a déjà conquis près de 900 000 clients – autant de foyers
Ces cinq dernières années, les marchés volontaires du carbone ont crû de 30 % sur le continent.
qui ne cuisinent plus au charbon de bois, désastre environnemental et sanitaire… Les Nations unies considèrent les crédits carbone comme un outil « crucial » pour canaliser les investissements vers les pays en développement.
Autre piste : de plus en plus de sociétés cherchent à capter le CO2 dans l’atmosphère (ce que l’on appelle la capture du dioxyde de carbone dans l’air), ou lors des processus industriels, avant que le gaz ne soit émis (le captage et stockage du dioxyde de carbone), afin de le stocker hermétiquement. Expérimentées dès les années 1970 aux États-Unis, ces technologies connaissent un regain d’intérêt depuis les années 2010, et une accélération notable depuis 2019, souligne l’AIE, l’urgence climatique accroissant les investissements. Encore au Kenya, Octavia Carbon a inventé une machine pour aspirer le CO2 de l’atmosphère : le gaz à effet de serre sera piégé
en profondeur dans la vallée du Rift en 2024, et la start-up se rétribuera en vendant des crédits carbone aux entreprises polluantes. L’AIE mise sur 1,6 milliard de tonnes de CO2 captées ainsi chaque année.
Parmi les principaux acheteurs de crédits carbone en Afrique se trouvent Delta Air Lines, Volkswagen, ou encore Netflix et Gucci : des multinationales occidentales soucieuses d’afficher, auprès de leurs clients, leur neutralité carbone. Les associations de défense de l’environnement (Greenpeace, Les Amis de la Terre…) estiment toutefois que ces entreprises – et leurs consommateurs éco-anxieux – s’achètent
une bonne conscience à peu de frais, au lieu de décarboner leur production et leurs habitudes de consommation, alors que pas moins de 43 milliards de tonnes de CO2 sont émises chaque année… « Payer l’Afrique pour permettre les industries polluantes à poursuivre le saccage de la planète est juste une nouvelle forme de néocolonialisme », s’est insurgé Mohamed Adow, directeur du think tank Power Shift Africa, basé au Kenya, dans les colonnes du journal sud-africain Mail & Guardian, réagissant à la création de l’Initiative africaine sur les marchés du carbone (ACMI).
Lancée en novembre dernier à la suite de la Conférence de Charm el-Sheikh de 2022 sur les changements climatiques (COP27), elle est notamment pilotée par le vice-président nigérian Yemi Osinbajo, le directeur kenyan de M-Pesa Africa (pionnier du paiement par mobile) Sitoyo Lopokoiyit, et le PDG de la société américaine Verra (principal organisme de certification des crédits carbone). L’Initiative s’est fixée comme objectif la validation de 300 millions de tonnes de crédits carbone par an, pour créer 30 millions d’emplois sur le continent à la fin de la décennie : « La demande pourrait être multipliée par 15 d’ici 2030… Booster l’offre permettra les investissements tellement nécessaires » en Afrique, dans des secteurs allant des énergies renouvelables aux modes de cuisson décarbonée, en passant par le recyclage des déchets, l’agroforesterie, la préservation des forêts, des mangroves et des
« La demande pourrait être multipliée par quinze d’ici 2030… Booster l’offre permettra les investissements tellement nécessaires en Afrique. »
tourbières, ou encore l’amélioration de l’élevage, la production de biochar et la capture de carbone, détaille l’ACMI dans son premier rapport, Africa Carbon Markets Initiative : Roadmap Report, paru en novembre 2022. Par exemple, « 33 millions de petits paysans pourraient être rémunérés pour planter des arbres et améliorer la gestion des sols ».
En 2050, l’ACMI vise même 1,5 milliard de crédits par an et plus de 100 millions d’emplois. Le principal obstacle consiste dans le capital de départ demandé : « Une communauté gérant une forêt » sera tentée de « la convertir en terres agricoles », plutôt que de mettre en œuvre un projet de crédits carbone, plus complexe et dont le retour sur investissement se fera attendre. L’ACMI souligne également que le morcellement des terres agricoles africaines en petites propriétés complexifie le déploiement de projets à grande échelle, et réfléchit à des « micro-crédits carbone ». Également, les intermédiaires entre vendeurs et acheteurs de crédits carbone « peuvent faire payer des droits substantiels – jusqu’à 70 % –, réduisant d’autant la rémunération des communautés locales ».
L’Initiative africaine insiste enfin sur la nécessité de renforcer la crédibilité du dispositif, afin de ne plus prêter le flanc aux accusations de « greenwashing ». Et pour cause : en janvier dernier, une enquête conjointe des journaux britannique The Guardian et allemand Die Welt mettaient en doute la majeure partie des certifications apportées par Verra, dont le patron est justement membre de l’ACMI… Pris en faute, l’organisme de certification américain a promis de réviser ses procédures, et son PDG actuel, David Antonioli, a annoncé sa démission. ■
3 milliards de tonnes de minéraux et métaux (dont la plupart sont en Afrique) seraient nécessaires à la transition énergétique d’ici 2050, estime la Banque mondiale.
55 MILLIARDS DE DOLLARS SUR 8 800 MILLIARDS, TELLE SERA LA PART DU CONTINENT DANS LA CHAÎNE DE VALEUR DES BATTERIES ET VÉHICULES ÉLECTRIQUES S’IL EXPORTE SES MINERAIS SANS LES TRANSFORMER, INDIQUE LA BANQUE AFRICAINE DU DÉVELOPPEMENT (BAD).
42 milliards de dollars, soit le coût du terminal gazier de Lindi, en Tanzanie, selon les autorités (qui évaluent ses futurs revenus de 7 à 15 milliards par an).
LE CONTINENT NE RETIRE QUE 40 % DES RECETTES POTENTIELLES DE SES RESSOURCES NATURELLES.
32,7 TONNES D’OR auraient été exportées du Soudan vers la Russie, via le groupe Wagner, sans être déclarées, avance une enquête de CNN.
52,3 %, c’est la hausse des échanges intra-commerciaux que devrait entraîner l’Accord de libre-échange continental africain (Zlecaf).
Sur le continent, les marchés volontaires des crédits carbone peuvent contribuer à la fois aux objectifs énergétiques et de développement, estime le responsable pour l’Afrique de l’Est du département Changement climatique et croissance verte de la BAD.
propos recueillis par Cédric Gouverneur
AM : Quel est le rôle de la Banque africaine de développement (BAD) sur les marchés volontaires du carbone ? Coopérez-vous avec l’Initiative africaine sur les marchés carbone (ACMI) ?
Olufunso Somorin : La Banque africaine de développement est désireuse de soutenir les pays dans leur accès à la finance climat [également dénommée finance durable ou finance verte, nldr], nécessaire à la mise en place de leurs contributions déterminées au niveau national, prévues par l’Accord de Paris. Accroître cet accès nécessite des instruments innovants, particulièrement ceux du secteur privé. L’un d’eux est le marché du carbone : les revenus additionnels des crédits carbone, issus des investissements verts dans les pays africains, peuvent contribuer à la réduction
des risques climatiques, et en même temps renforcer la viabilité commerciale de ces projets. L’ACMI cherche à débloquer le potentiel des marchés volontaires du carbone afin de financer les objectifs énergétiques, climatiques et de développement en Afrique. L’intérêt de la BAD pour la finance carbone se trouvant au diapason des objectifs de l’Initiative, elle soutient donc sa feuille de route pour faire fonctionner les marchés du carbone sur le continent. Comment expliquer la rapidité de la croissance de ces marchés sur le continent (22 millions de tonnes en 2021, et 2,4 milliards prévues en 2030) ?
Cette hausse s’explique largement par le fait que les crédits carbone ont le potentiel pour contribuer, de façon importante, à l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050. Nombre d’acteurs rapportent que la demande en crédits carbone peut être multipliée par au moins 15 d’ici 2030, et par 100 d’ici 2050. Les entreprises privées s’engageant à mettre en œuvre cette neutralité, les besoins en mécanismes compensatoires croissent en proportion. À mesure que nous améliorerons la confiance des marchés, leur transparence, leur intégrité, leur standardisation et l’augmentation de leurs capacités et de leurs systèmes de financement, la demande pour les crédits carbone de haute qualité continuera de croître. En fait, ce n’est pas avec la demande que nous rencontrons des difficultés, mais avec l’offre. C’est pourquoi l’Afrique doit entrer sur ces marchés. Quels avantages les États et les entreprises du continent peuvent obtenir ?
Tout d’abord, le flux de finance climat en Afrique, sur les plans quantitatifs comme qualitatifs, demeure extrêmement bas. C’est, en partie, parce que nous
n’avons pas totalement exploré le capital privé à mobiliser en complément du capital public auquel le continent a accès. Or, les marchés du carbone, mécanismes du secteur privé, contribuent à diversifier les sources de financement. Deuxièmement, les revenus potentiels issus des projets carbone peuvent financer le développement durable, par la création d’emplois, les opportunités économiques, les investissements structurels, ainsi que le développement social. Ces bénéfices additionnels – au-delà de la réduction des émissions de CO2 – sont cruciaux pour l’Afrique, afin qu’elle puisse réaliser ses propres objectifs de développement. Enfin, les marchés du carbone disposent du potentiel pour stimuler de nouvelles technologies, de nouveaux modèles économiques, des partenariats stratégiques cruciaux pour le développement bas carbone et la résilience climatique. Pour les entreprises, les revenus potentiels issus des crédits carbone peuvent subventionner les prix d’achat de leurs produits. Ce qui peut permettre leur accès aux foyers à faibles revenus, qui ont besoin de ces produits pour améliorer leur qualité de vie, mais se trouvaient, jusqu’ici, dans l’incapacité de les acquérir. Pour ces sociétés, atteindre une base plus large de consommateurs, sans comprimer leurs marges, s’avère possible uniquement grâce à l’apport de ces revenus additionnels.
Les crédits carbone peuvent donc contribuer à financer la transition énergétique ?
Beaucoup de projets de transition énergétique se trouvent actuellement limités en matière de financement adéquat et durable. Les marchés du carbone représentent une gigantesque opportunité pour financer la transition énergétique, en ouvrant de nouvelles opportunités de croissance sur le continent. La majorité des crédits carbone sur les marchés volontaires appartient à la catégorie de la réduction des émissions de carbone, l’autre étant le retrait du carbone de l’atmosphère. Les projets d’énergie renouvelable, de cuisson « propre » [par opposition à la cuisine au charbon de bois, ndlr],
entrent dans la catégorie de la transition énergétique dans la plupart des pays africains. Le coût de l’énergie propre peut ainsi être subventionné, devenir plus abordable pour les communautés à faibles revenus, et développer, au final, l’accès à l’énergie. Dans ce contexte, les marchés du carbone financent déjà la transition énergétique en Afrique, qui devient une réalité concrète. Il est important de les voir comme un instrument permettant de contribuer à la fois aux objectifs d’action climatique et à ceux de développement. Quels obstacles demeurent pour le bon fonctionnement de la compensation carbone ?
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Aucun marché n’est parfait, et ceux du carbone ne font pas exception. C’est très important pour comprendre les nombreux challenges qu’ils affrontent, et pour gérer nos propres attentes à leur endroit. Le processus afin d’obtenir des crédits carbone pour un projet, de sa conception à sa validation, est lourd, chronophage et souvent coûteux. Ces difficultés restreignent son accès : en Afrique, environ 70 % de tous les projets, sur les marchés volontaires du carbone, sont fournis par seulement 15 développeurs. Une considération clé pour le bon fonctionnement de tout marché est de savoir quelles sont les règles qui le gouvernent. En ce moment, celui du carbone a besoin d’une structure de gouvernance forte, particulièrement en ce qui concerne l’harmonisation des standards. Les entités qui établissent les critères de certification et la validation des crédits carbone sont très différentes dans leurs modes opératoires, leurs critères d’éligibilité, leurs enregistrements, etc. Cela affecte la qualité et l’intégrité des crédits disponibles sur les marchés.
chés. ■
« Pour certaines entreprises, atteindre une base plus large de consommateurs, sans comprimer leurs marges, s’avère possible uniquement grâce à l’apport de ces revenus additionnels. »
taille de l’économie du royaume pourrait égaler ou dépasser celle de son voisin, à l’horizon 2025. Un enjeu majeur dans un contexte de rivalité et de tensions diplomatiques.
Le Maroc connaîtra en 2023 une « hausse assez rigoureuse » de sa croissance économique : 3,2 %, selon la banque française Crédit agricole. En 2022, plombée par la sécheresse et pénalisée par la guerre en Ukraine (du fait de l’augmentation du coût des matières premières et de la baisse de la demande dans la zone euro), elle n’avait progressé que de 1,2 %. L’inflation, historiquement haute à 6,6 %, demeure cependant
l’une des plus faibles du continent, amortie par les subventions publiques aux produits de base. Aussi, les recettes fiscales ont été meilleures qu’anticipées, et les dividendes versés par le Groupe OCP, le géant des phosphates, se sont avérés conséquents (7,6 milliards de dirhams, soit 750 millions de dollars) en 2023, dans un contexte de hausse du cours des engrais (1 000 dollars la tonne).
L’Algérie a quant à elle profité de la flambée des prix des hydrocarbures
provoquée par la guerre en Ukraine : en 2022, sa croissance s’est élevée à 4,7 %. En un an, les recettes de la compagnie pétrolière et gazière nationale Sonatrach ont quasiment doublé : environ 60 milliards de dollars en 2022, contre 34 en 2021 ! « Une performance, relève le Crédit agricole, que le pays n’avait pas connue depuis 2012 », autre année faste pour les exportateurs d’hydrocarbures. Le PIB par habitant s’élève à 4 150 dollars (pour une population de 44 millions
d’habitants), contre 3 500 dollars au Maroc (37 millions d’habitants). Néanmoins, la situation tendue du secteur bancaire aux États-Unis a récemment entraîné une baisse notable du cours du pétrole, à environ 80 dollars le baril. La croissance de l’Algérie pour 2023 a donc diminué à 2,6 % ou 2,7 %, un taux comparable à celui des années 2010 : « Un niveau assez modeste, souligne le Crédit agricole, pour un pays dont la population progresse de 1,9 % par an en moyenne », contre 1,1 % au Maroc. D’autant que l’inflation est relativement forte (9,7 %), la hausse des prix étant davantage marquée dans les pays exportateurs de matières premières. Le défi pour l’Algérie réside dans l’impérative diversification de son économie. À défaut, son PIB pourrait quasiment stagner à un peu plus de 150 milliards de dollars ces prochaines années. À moyen terme, elle pourrait même être rattrapée par le Maroc, où l’économie est davantage diversifiée, en matière de PIB : selon le Fonds monétaire international (FMI), celui-ci va croître de 138 milliards de dollars en 2023 à 146 milliards en 2024, et à 154 milliards en 2025-2026.
Pour rappel, ces perspectives économiques divergentes interviennent dans un contexte de forte tension géopolitique entre les deux pays maghrébins : ils ont rompu leurs relations diplomatiques le 24 août 2021, notamment en raison de leur différend sur la question du Sahara occidental et de l’annonce du Maroc de la normalisation des relations, fin 2020, avec Israël. Dans une interview donnée à Al-Jazeera le 21 mars dernier, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a d’ailleurs estimé que les relations entre les deux voisins avaient atteint « un point de non-retour ». ■
N«ous sommes un pays qui a des chiffres au niveau macroéconomique enviés par tout le monde », s’est félicité le ministre des Finances de la République démocratique du Congo (RDC), Nicolas Kazadi, à l’issue de ses réunions d’avril avec les responsables du Fonds monétaire international (FMI). La RDC affiche en effet l’une des plus fortes croissances économiques du continent : 8,9 % en 2022, contre 5,7 % en 2021. Ses réserves de change s’élèvent à 4,5 milliards de dollars fin 2022, contre 2,8 milliards fin 2021. Deux agences de notation (Moody’s et S&P) ont relevé la note du géant d’Afrique centrale à B3 et B+ (« perspective stable »). L’inflation, à 13,1 %, est somme toute limitée, et les
performances fiscales sont meilleures que prévues. Le taux d’endettement, relativement bas, est à 24,7 % du PIB. Le pays doit en partie ces résultats à la forte remontée, depuis deux ans, des cours du cuivre et du cobalt. En 2019, la chute des cours avait, à l’inverse, nécessité l’intervention du FMI. Néanmoins, sa grande dépendance au secteur minier l’expose toujours fortement à la volatilité des cours internationaux des matières premières, le modèle de croissance s’avérant encore insuffisamment diversifié. La cheffe de mission du FMI, Mercedes Vera Martin, a insisté sur « la nécessité de contrôler et de hiérarchiser les dépenses », y compris celles « liées à la sécurité » (compte tenu du conflit dans l’est du pays), et sur « l’importance de renforcer la gouvernance pour soutenir l’efficacité des dépenses ». ■
Selon le FMI, elle peut s’appuyer sur de bons résultats macroéconomiques, avec une croissance de 8,9 %. À condition de miser sur la gouvernance et de « hiérarchiser les dépenses ».Une mine de cuivre près de Sakania, dans la province du Haut-Katanga, au sud.
Afin de renégocier au mieux ses accords avec le géant De Beers (qui expirent le 30 juin), le pays premier producteur mondial entre au capital d’une société de traitement de pierres précieuses belge.
«Aujourd’hui marque le début d’une nouvelle ère pour l’industrie du diamant au Botswana », a déclaré le président Mokgweetsi Masisi lors de l’inauguration, dans la capitale Gaborone, de la filiale de l’entreprise de taille et de polissage de diamants belge HB Antwerp, qui devrait créer 350 emplois sur place. L’État va en effet prendre une participation d’un quart (24 %) au sein de cette société anversoise. En s’associant avec celle-ci, le principal producteur de diamants du continent (avec l’Afrique du Sud) entend mieux valoriser sa ressource, clé de son développement depuis l’indépendance en 1966 – le pays anglophone, stable et démocratique, est parfois surnommé « la Suisse de l’Afrique », voire « le miracle africain ». Les diamants, qui représentent 90 % de ses exportations et 20 % de son PIB, comptent pour 30 % des revenus de l’État, en partie épargnés dans un fonds souverain, le Pula Fund (du nom de la monnaie nationale). Cette manne permet notamment aux pouvoirs publics de financer la gratuité de l’école
primaire et secondaire, et l’accès aux soins pour les personnes séropositives (près d’un adulte sur quatre). Mais les autorités estiment que les diamants pourraient
rapporter bien davantage aux 2,5 millions de citoyens.
En effet, depuis 1969, le Botswana est en partenariat avec le géant diamantifère sud-africain De Beers,
dont il détient 15 % du capital, et avec lequel il a établi deux joint-ventures : Debswana, pour l’exploitation des gisements, et Diamond Trading Company Botswana, pour la commercialisation d’environ 45 millions de carats par an. Un accord de vente, signé en 2011 et expirant le 30 juin, permet à De Beers de recevoir
75 % des diamants bruts extraits… Même si la part du Botswana a été rehaussée – De Beers s’octroyait 90 % jusqu’en 2020 —, cela demeure insuffisant pour le président Masisi, qui menace de rompre si son pays n’obtient pas davantage : un partage à parts égales serait l’idéal.
S’associer à HB Antwerp – une jeune société créée en 2020 – permet au chef de l’État, élu en 2019, de faire pression sur De Beers, en démontrant au mastodonte que le Botswana peut trouver des partenaires plus modestes, mais plus profitables : HP Antwerp achète plus cher les pierres à la mine de Karowe (dans le centre) – exploitée à 100 % par le canadien Lucara Diamond –, car les prix sont basés sur l’estimation du futur polissage de chaque diamant brut.
Le Botswana cherche ainsi à développer la chaîne de valeur en transformant sur place ses matières premières, plutôt que de les exporter, s’inscrivant dans un mouvement souverain d’industrialisation observable partout sur le continent depuis la pandémie. Pour rappel, la République démocratique du Congo et la Zambie (d’où sont extraits la plupart des minerais nécessaires à la fabrication des batteries de véhicules électriques) coopèrent depuis un an afin de produire ces dernières dans une future « zone économique spéciale » transfrontalière. ■
depuis plus de vingt ans.
La banque centrale du Zimbabwe a lancé le 8 mai dernier une monnaie numérique adossée à l’or, dans le but d’endiguer la chute du Real Time Gross Settlement dollar (RTGS), mis en place en février 2019 et qui s’échange au cours officiel de 1 000 RTGS pour 1 dollar américain (USD) – et pour plus de 2 200 RTGS sur le marché parallèle. Ce petit pays d’Afrique australe souffre d’hyperinflation depuis que Robert Mugabe (qui fut au pouvoir de l’indépendance du pays, en 1980, jusqu’au coup d’État de 2017) a lancé, en 2000, une réforme agraire expropriatrice. L’hyperinflation avait culminé en 2009, avec la mise en circulation de billets de 100 000 milliards de dollars du Zimbabwe ! La devise était alors devenue la plus faible monnaie
frappée au monde, contraignant les autorités à la supprimer pour la remplacer par des devises étrangères (USD, euro, livre sterling), avant de finalement introduire le RTGS dollar. En juin 2022, la banque centrale a mis en circulation des pièces d’or dans l’objectif de freiner l’inflation, mais sans grand succès, seuls les plus aisés ayant eu les moyens de se les procurer. L’introduction des nouveaux jetons numériques (vendus pour un minimum de 10 USD aux particuliers et de 5 000 USD pour les investisseurs et entreprises) suscite le scepticisme des économistes et de l’opposition : ils blâment un pis-aller face au « déficit de confiance » dont souffre l’économie et soupçonnent une manœuvre peu avant les élections présidentielle et législatives, prévues en août prochain. ■
On l’appelle aussi FLORE INTESTINALE. Il joue un rôle majeur pour notre santé dès la naissance. Lorsqu’il va bien, il nous protège, mais en déséquilibre, il est source de pathologies. Pour prendre soin de soi, il est primordial de bien l’alimenter. par
Annick BeaucousinConstitué de quelque 100 000 milliards de bactéries et considéré comme un organe à part entière, le microbiote intestinal est un ensemble de micro-organismes vivant dans le côlon et pèse près de 2 kilos ! Virus, champignons et levures y cohabitent également. En moyenne, un intestin héberge plus de 1 000 espèces de bactéries différentes, dont seulement un tiers sont communes à tous. Unique à chacun, le microbiote intestinal participe à la bonne digestion, l’absorption des aliments et la production d’énergie. Il aide à la dégradation des toxines et synthétise des vitamines. Et bien d’autres fonctions lui ont été découvertes peu à peu. Il joue un rôle primordial dans notre immunité, en « collaborant » avec les cellules immunitaires qui se trouvent dans l’intestin (environ 70 % d’entre elles) pour nous défendre des agressions extérieures. Travaillant en synergie avec la muqueuse intestinale, il empêche des éléments pathogènes de coloniser l’intestin : pour cela, il a des bactéries qui produisent des peptides antimicrobiens, sorte d’antibiotiques naturels. Tout ce processus limite notamment le risque d’affections inflammatoires et auto-immunes. Autres prouesses : il pourrait aussi protéger du cancer colorectal et des maladies cardiovasculaires, et augmenter l’efficacité de médicaments grâce à l’action d’enzymes. Enfin, pour ce qui est de l’efficacité des traitements anticancéreux, comme la chimiothérapie ou l’immunothérapie, il influerait sur la guérison des malades qui auraient un microbiote différent, plus riche en certaines bactéries, provoquant une meilleure réponse. Il a donc un pouvoir énorme !
L’implication du microbiote dans la communication intestin-cerveau, et son influence sur ce dernier suscitent en outre un intérêt scientifique croissant. L’intestin contient 200 millions de neurones, d’où son appellation de « deuxième cerveau ». Par l’intermédiaire des voies nerveuses, le microbiote communique en permanence avec notre cerveau, et vice versa. Pour ce faire, les bactéries intestinales fabriquent des neurotransmetteurs, messagers chimiques activant les neurones. Il a ainsi été démontré que le microbiote est grandement impliqué dans la régulation de l’humeur, le comportement alimentaire, la bonne résistance au stress. Et aurait également un impact sur le tempérament et le caractère. À cet égard, une expérience a obtenu des résultats surprenants : des chercheurs ont implanté le microbiote de souris calmes à des souris agressives, lesquelles sont devenues calmes ! Et inversement…
Plus celui-ci est riche et diversifié en espèces microbiennes, meilleure est notre santé. En revanche, le fait qu’il soit appauvri peut altérer le fonctionnement de l’organisme, et nous faire tomber plus facilement malade. Plusieurs éléments peuvent nuire à son écosystème et entraîner un déséquilibre, nommé « dysbiose ». À commencer par les antibiotiques, qui détruisent de mauvaises bactéries, mais aussi les bonnes bactéries de notre intestin de manière massive. Les pesticides en tuent également de nombreuses, et certains additifs,
même en petite quantité, entraînent une altération du microbiote. Les boissons sucrées ainsi que les aliments industriels transformés, hypercaloriques, pauvres en fibres, tendent à l’appauvrir beaucoup. Lorsqu’il y a déséquilibre, la muqueuse intestinale perd son étanchéité et laisse passer des substances étrangères indésirables. Ces dernières années, beaucoup d’études ont montré un lien entre cet état de dysbiose et l’apparition de pathologies diverses : maladies inflammatoires chroniques de l’intestin ; allergies cutanées, alimentaires ou respiratoires ; troubles liés au stress, intestin irritable ; douleurs ostéo-articulaires ; maladies auto-immunes (polyarthrite, sclérose en plaques) ; maladies métaboliques (obésité, diabète, hypercholestérolémie) ; ou encore maladies neurodégénératives (Parkinson, Alzheimer). Si cela peut paraître difficile à croire, tout ceci est étayé par des analyses de la composition du microbiote de personnes en bonne santé et malades, ainsi que par des expériences menées sur modèle animal (pour en savoir plus sur les connaissances actuelles, lire l’excellent ouvrage Incroyable microbiote ! Voyage au cœur des étonnants pouvoirs de l’intestin, du docteur Julien Scanzi, aux éditions Leduc).
L’alimentation a une influence majeure, le régime dit méditerranéen apparaissant comme le plus bénéfique. Une consommation importante de fruits et légumes, de légumineuses, de poissons, avec une part réduite de viande, est corrélée à une bonne diversité de bactéries. Plus précisément, il faut mettre l’accent sur deux types de micronutriments. Les premiers sont les prébiotiques, servant de nourriture au microbiote et constituant de véritables « engrais » qui stimulent une bonne flore. Il est facile d’en consommer régulièrement, car ils se trouvent dans beaucoup d’aliments, principalement riches en fibres : ail, oignon, légumes (artichauts, asperges, bettes, brocolis, choux frisés, poireaux, topinambours, salsifis, racines de chicorée, pissenlit), légumes secs (lentilles, pois, haricots), flocons d’avoine, pommes et bananes, graines de chia et de lin, céréales complètes, ou encore noix et autres oléagineux… Les seconds amis sont les probiotiques, des micro-organismes vivants qui vont directement enrichir notre écosystème. Ils sont présents dans les ferments lactiques des yaourts et des produits laitiers fermentés (fromages non pasteurisés, kéfir de lait). Il y en a aussi dans le miso (pâte de soja fermentée à utiliser comme un condiment), ainsi que dans la choucroute. En complément à l’alimentation, il faut faire de l’activité physique, car celle-ci influence également le microbiote : plus elle est régulière, plus elle favorise sa richesse et sa bonne diversité. Mais que penser des probiotiques sous forme de compléments alimentaires ? Il est inutile d’y recourir avec une alimentation équilibrée qui comprend un bon apport en prébiotiques. En revanche, ces compléments ont un intérêt reconnu dans diverses situations. Par exemple, ils préviennent ou traitent les diarrhées liées à la prise d’antibiotiques et aux gastro-entérites virales. Ils diminuent en outre les douleurs abdominales, les ballonnements et les gaz de l’intestin irritable. Et soulagent efficacement les coliques du nourrisson. En dehors du système digestif, ils ont aussi des bénéfices étonnants, puisqu’ils améliorent les symptômes de l’eczéma atopique chez les enfants, réduisent les récidives des infections urogénitales, ou encore diminuent le stress et l’anxiété. Chez l’animal (souris ou rat), plusieurs probiotiques ont déjà montré une efficacité dans d’autres situations : diminution de l’obésité, prévention du diabète, de troubles cognitifs… Il est donc probable que dans le futur, ils enrichissent l’arsenal de bien des traitements. ■
Des laboratoires et des start-up proposent de plus en plus des analyses de notre microbiote (pour un coût entre 150 et 300 euros). Une fois le kit reçu à domicile, il faut envoyer un échantillon de selles, et l’on sait ensuite si son microbiote est au top, riche en bonnes bactéries ou non. Et les résultats sont assortis de conseils. Pour l’instant, de tels tests n’ont aucun intérêt sur le plan médical, mais demain, plus performants, ils aideront avec des marqueurs à la détection de maladies et au choix du meilleur traitement pour chacun. Ils pourraient être prescrits comme une analyse de sang !
8 Votre mot favori ?
Enraciné dans le blues et les mélodies de son pays, le rock spirituel, incantatoire, de la CHANTEUSE HAÏTIENNE est un puissant cri de libération. propos recueillis par Astrid Krivian
1 Votre objet fétiche ?
Mon cœur ! C’est tout ce que je peux apporter comme énergie et bonheur, pour moi et les autres.
2 Votre voyage favori ?
La Réunion. Cette île m’a bouleversée. Le métissage des populations, la richesse de leur culture…
3 Le dernier voyage que vous avez fait ?
À New York, pour un concert. J’ai ressenti beaucoup d’amour. Est-ce parce que j’essaie de le cultiver, pour mieux m’ancrer dans cette vie ?
En tout cas, je n’ai pas eu besoin de fermer les yeux sur les parasites qui rôdent parfois autour de moi.
4 Ce que vous emportez toujours avec vous ?
Ma gentillesse et ma bienveillance.
5 Un morceau de musique ?
« Suzanne », par Nina Simone. Sa voix magnifique, la mélodie brumeuse, mélancolique…
6 Un livre sur une île déserte ?
Beloved, de Toni Morrison. Il me donne le droit de douter, de me décourager, de déprimer sans culpabiliser, de ne rien faire de ma journée parfois, sans honte. C’est important de l’assumer, et de savourer quand on se remet en route.
7 Un film inoubliable ?
La Promesse de l’aube, sur la vie de l’écrivain Romain Gary. Il voulait à tout prix plaire à sa mère, laquelle lui vouait un amour terrifiant.
« Allez ! » : mettez-vous en action. En posant des actes, on se sent vivants, on peut changer le cours de notre vie.
9 Prodigue ou économe ?
Prodigue. Je ne sais pas faire autrement !
10 De jour ou de nuit ?
De jour. En dehors des concerts, je suis au lit à 21 heures. Et je m’active dès 5 heures du matin.
11 Twitter, Facebook, e-mail, coup de fil ou lettre ? Coup de fil, à l’ancienne !
12 Votre truc pour penser à autre chose, tout oublier ?
Lire, méditer, passer des moments avec ma fille ou des amis.
13 Votre extravagance favorite ?
Mon goût pour le style vestimentaire du XIXe siècle. Je chine des robes, je les reprends, rajoute des jupons.
14 Ce que vous rêviez d’être quand vous étiez enfant ?
Musicienne. En Haïti, on chante tout le temps. Prendre conscience de la situation de mon pays m’a poussée à exercer ce métier, pour en parler dans mes textes.
15 La dernière rencontre qui vous a marquée ?
L’artiste Rémi Trotereau. Pour ses œuvres magnifiques, sa sensibilité à vif, sa nature brute.
16 Ce à quoi vous êtes incapable de résister ? Un bon saucisson !
17 Votre plus beau souvenir ?
La naissance de ma fille. Un cadeau de l’univers !
18 L’endroit où vous aimeriez vivre ?
Passer quelque temps à New York. Et au Sénégal.
19 Votre plus belle déclaration d’amour ?
Ce n’était pas avec des mots. Quand le père de ma fille m’a invitée chez lui et m’a préparé des tomates avec du pain : c’était simple, mais si poétique.
20 Ce que vous aimeriez que l’on retienne de vous au siècle prochain ?
Que j’ai fait de mon mieux pour propager l’amour dans le monde. ■
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