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UNE REMONTADA IVOIRIENNE
Fi nal e de l a Cou pe d ’A fr iq ue d e s n ati on s. Le stad e Al as sa ne O uat ta ra d’Eb im pé ch avire de jo ie dan s la nu it ch au de du 11 févri er de rn ie r. Le s Él épha nt s so nt ch ampio ns au te rm e d’un match maîtrisé face aux Green Eagles du Nigeria. Sébastien Haller, revenu de tout, du cancer et de la blessure, a marqué le but victorieux. Le président, ému presque aux larmes, remet la coupe à cette équipe de toutes les Côte d’Ivoire – du nord au sud, de l’est à l’ouest, sa ns ou bl ie r le s « di as po ». La nu it se ra d’aut an t plus be ll e qu e l’on revi ent de lo in Des tré fo nds de l’ hu mi li at ion et de la dé fa it e, av ec ce tris te me nt cé lè bre 4- 0 en cais sé en match de po ul es contre la Guinée équatoriale. On connaît tous l’histoire de cette remontada fabuleuse, de la révolte de cette équipe magnifique, de son audace et de son talent Cette hi stoire pu issa nte, sy mbolique, d’unité et de rassemblement pour tout le pays.
La Côte d’Ivoire a gagné la coupe. Mais elle a aussi gagné l’organisation de la Coupe. Le gouvernement, dirigé par Patrick Achi, puis dans la dernière ligne droite par le très efficace Robert Beugré Mambé, s’est mobilisé, tout comme le COCAN et les administrations concernées. Il y a certainement eu des « flous », mais à chaque fois, le coup de barre nécessaire a été donné. Il n’y a pas eu d’incidents majeurs, la sécurité a été assurée. Les stades étaient prêts, opérationnels. Les pelouses ont fait mieux que tenir. Après quelques bugs initiaux, le public était au rendez-vous et les visiteurs nombreux On aura fait le plein, et souvent la fête, dans les hôtels et les restaurants des villes organisatrices. Ça a été une très belle Coupe d’Afrique, sinon la plus belle. Les médias, les retransmissions télé et radio, les influenceurs, les visiteurs, les performances et le story telling de l’équipe ivoirienne ont renvoyé au monde l’image d’une Côte d’Ivoire dynamique, en mouvement, en confiance Ce n’était pas couru d’avance L’ef fort interne a dû être spectaculaire. Mais il est aussi révélateur de ce qu’est la Côte d’Ivoire d’aujourd’hui.
Ra pide fl as h- back. Début 2011, ce n’est pas si loin, un peu plus d’une décennie. Le pays sort de la quasi- guerre civile, et de ce que l’on appelle assez pu di qu em ent la « cri se po st -é le ctoral e ». Al as sa ne Ou at ta ra arriv e au po uv oi r, mai s la tâ che est immense. L’État est à terre, l’économie dévastée, les blessures profondes, et chaqu e camp compte ses victimes Une force des Nations unies maintient le pays dans un équilibre précaire.
To ut ce la va ch an ge r, ra pide me nt . Gl obale me nt , la ri ch es se a do ublé d ep ui s, et devr ai t doubler encore d’ici 2030. Le PIB avoisine les 70 milliards de dollars, hissant la Côte d’Ivoire au rang de neuvi èm e puissanc e du continent, avec un e écono mi e qui pè se dorénavant autant qu e ce ll es du Cameroun et du Séné gal réunies. Ab idjan s’inscrit comme une cité globale et cosmopolite, une interface entre l’Afrique et le monde. Le PIB par habitant se place au -dessus de la moyenne globale des pays d’Afrique subsaharienne, et à la seconde place du bloc Cedeao (juste derrière le Cap-Vert, devant le Nigeria, le Ghana, le Sénégal…) Le pays est crédible sur les marchés internationaux, comme le montrent le su cc ès ré ce nt de l’eu ro bo nd de 2,6 milli ards de dollars et le plan de soutien du FMI signé l’année dernière. La Côte d’Ivoire se construit. On peut parler de la transformation parfois spectaculaire d’Abidjan, des ponts qui enjambent la lagune, des périphériques qui ceinturent la ville, des tours qui montent dans le ciel, du métro qui arrive Mais l’ef fort concerne aussi les hinterlands du pays, avec barrages, routes, électrification des communes rurales, construction d’hôpitaux, d’universités, et d’autres choses encore.
Mal gr é le s bl es su res de l a gu er re, l’hé ri ta ge de l’ivoirité et des années 20 00, malgré justement la pression migratoire, malgré les toujours actuelles instrumentalisations ethno -politiques de tous bords, et même si le processus de réconciliation a été complexe, souvent heur té, la Côte d’Ivoire retrouve, in fine,
un e fo rm e d ’u nité dans sa d ive rs ité. C ’e st f ra gil e, o ui, ré cent, mais l’urbanisation, la croissance favorisent la mixité, les mariages inter- ethniques, les intérêts communs. La CAN, aussi, l’a montré.
La dé mo cra ti sa ti on , mê me i mp ar fa ite, avan ce plus vite sous le RHDP que sous tous les autres régimes précédents, de Félix Houphouët-Boigny à Henri Konan Bé di é, en pa ssant par La urent Gb agb o. De pu is 2021, le pays a connu des élections législatives, puis municipales et régionales, largement ouvertes et compétitives Les at teintes flagrantes ou les plus brutales aux droits de l’Homme restent rares. Le président Alassane Ouattara est puissant, sa parole compte avant tout, mais le système a des entrées multiples La scène médiatique est dynamique, les télés privées (et publiques) animent le débat, pas uniquement politique, mais aussi sociétal Internet et les influenceurs montent en puissance
Au se in du par ti au pouvoi r, les am bi ti ons des uns et des autres ne manquent pas Et elles ne sont pas forcément caché es L’opposition est lo in d’ être aphon e. Guillaume Soro est en exil, résultat de ce qui est perçu comme une trahison du pouvoir. Mais Laurent Gbagbo est dorénavant un homme libre et son influence est bien réelle, tout comme celle de sa femme, Simone Le PDCI, grand parti historique, s’est doté d’un nouveau chef, affilié à la famille du président fondateur Félix Houphouët- Boigny. Tidjane Thiam peut s’appuyer sur un parcours international assez bluf fant. Il est relativement jeune (63 ans), il a le « drive », comme diraient nos amis anglo -saxons. Mais le par ti est à reconstruire de bas en haut. Et reste à voir si l’at tractivité de « TT » dépassera les élites d’Abidjan pour résonner dans les territoires historiques et agraires du pays, et aussi au-delà, au nord et à l’ouest (une extension nécessaire pour celui qui voudrait briguer la magistrature suprême) Bref, la Côte d’Ivoire, ce n’est pas la Suède ou le Danemark. Le chemin reste long, mais la scène politique est vivante Et vivace
Bien évidemment, les di ff icul tés et les im pa sses ne ma nque nt pa s. La dette et le fi nanc em ent de la croissance sont de vé ritables qu estions Pour honorer ses engagements, maintenir sa crédibilité, le pays devra maxi mis er se s pe rforman ce s, ex por te r pl us et mi eu x, mob ili se r au ssi le s re ss ou rc es inté ri eu re s. Le ch oc de mo de rnisation ex ig era un ef fo rt majeur de la par t de chacun, en particulier dans le secteur public La pauvreté diminue, mais elle est loin d’avoir disparu. Tout comme la corrupti on El le se retrou ve mê me alim enté e par le volume de l’économie nationale Les inégalités, qui sont
au ssi le frui t de la cro is sa nce ra pi de, se creu se nt. Le s zones de pauvreté posent un défi permanent, comme le montre l’actuelle crise des déguerpissements à Abidjan. Sur l’ensemble de la ville (5 à 6 millions d’habitants), on estime le nombre d’habitants en situation précaire ou ultra -précaire à 80 0 000
Pour la première fois depuis 30 ans, la Côte d’Ivoire est so rt ie de la ca té gor ie d es pay s à ID H fa ib le po ur rejo ind re ce ll e de s pay s à IDH moye n, mai s la pe rformance pourrait être nettement meilleure. Le dossier des égalités de genre, de l’égalité hommes -femmes, de la promotion et de la protection des jeunes filles reste une urgenc e. Les qu estions li ées à l’ éducation, au niveau général, à la formation restent aussi des préoccupations majeures.
Ce la ét an t di t, et sa ns so mb re r dan s l’ul tr a- opti mis me, la Côte d’Ivoir e res te, depuis le virag e des
Le président Alass ane
Ou at ta ra , à Eb im pé, dans le stad e qui po rte son nom
années 2010, l’un des rares exemples africains d’émerge nc e ré el le. Une dy nam iq ue es t en pl ac e en C ôte d’Ivoire, et à Abidjan plus par ticulièrement. Mais les villes comptent de plus en plus dans le processus : on ne se se nt pas en pé riphé r ie du mond e, comm e as phyx ié par des problématiques ultra -locales. On sent un air de grand large. Et ça fait du bien.
Au cœur de cette dynamique, il y a une constance, un proj et Et le rô le du prési de nt, Alass an e Drama ne Ouat tara ADO gouverne à la fois de haut et de près Il fait, bien sûr, de la politique. Il est clairement patriarche, et parfois ombrageux. Il s’est battu pour accéder au pouvoir Il a créé un par ti, un courant, un mouvement en sa faveur, avec des lieutenants qui lui sont largement fidèles. Il es t ento uré, et ça compte Sa ga rd e ra pp ro ch ée le protège, et ça compte. Il est suivi par la technostructure, et ça compte
Mais ce qui est primordial pour lui, c’est le résultat. Intimement, ADO veut réussir, montrer qu’un pays africain peut réussir, montrer qu’un chef d’État africain peut changer la donne et sortir des clichés habituels. Il est soucieux de son héritage, de sa place dans l’histoire du pays, de l’image qu’il renvoie au monde.
Évi de mm ent , ri en n’es t ga gn é et le fu tu r es t à écrire. Il faut maintenir et accentuer les cercles vertueux du développement. Accentuer et maintenir les cercles vertueux de la démocratisation et de la modernisation. Tenir compte des nouvelles menaces, comme le changement climatique et les paramètres sécuritaires ré gi on au x. A ff ro nte r, en fi n, l’ éc hé anc e qui arrive. En octobre 2025, aura lieu l’élection présidentielle. ADO n’a pas fait part de sa décision ni de ses choix, mais il connaî t plus que tout autre les enjeux. Il sait que l’échéance l’engage, ainsi que toute la Côte d’Ivoire ■
N° 450 MA RS 20 24
3 ÉDITO
Une remontada ivoi rien ne par Zyad Limam
10 ON EN PARLE
C’EST DE L’A RT, DE LA CU LT UR E, DE LA MODE ET DU DESIGN Sous les étoiles du Ghana
PHOTOS DE COUVERTURE :
ISSOUF SANOGO/AFP - LUDOVIC/RÉA - PRÉSIDENCE DE LA RÉPUBLIQUE DU MALI - OLYMPIA DE MAISMONT/AFP - ORTN/TÉLÉ SAHEL/AFP - CHEDLY BEN IBRAHIM/HANS LUCAS - KAMAL AIT
34 PA RCOURS
Monika Kabasele par Astr id Kr ivian
37 C’EST COMMENT ?
Le sens du 8 mars par Emmanuelle Pont ié
84 CE QU E J’AI APPRIS Mok htar Samba par Astr id Kr ivian
96 VI VR E MIEUX
Affronter le diabète par Annick Beaucousin
98 VI NGT QU ESTIONS À… Puppa Lëk Sèn par Astr id Kr ivian
TEMPS FORTS
38 À la recherche d’un nouveau Gabon par Emmanuelle Pontié
46 Hamza Meddeb : Une fractu re entre les peuples et les pouvoirs par Fr ida Dahmani
52 Une alliance à haut risq ue par Cédr ic Gouver neur
60 Mahi Binebine : « L’A fr iq ue peut devenir une conscience pour le monde » par Astr id Kr ivian
68 Guslag ie Malanda : Au cœur de son rôle par Astr id Kr ivian
74 Mamadou Diou f : Un continent des multiples par Astr id Kr ivian
80 Beata Umu byey i Mairesse : « Une journée si particulière, celle où nous sommes devenus des su rv ivants » par Catherine Faye
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Le maintien de cette interd iction pénalise nos lecteu rs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos am is algér iens peuvent nous retrouver su r notre site Internet : www.afriquemagazine.com
BUSINESS
86 Créditscarbone : l’heuredudoute
90 Jonathan Cook : «Quellesgaranties pour la population?»
92 La menace desHouthis redessinelacar te du fret
93 Intérêtcroissant desÉtats-Unispou r lesm inérau xafr icains
94 Optimisme en RDC aprèslarév ision du« contratdusiècle»
95 Riz: le Pakistan et la Thaïlande concurrencent l’Inde parCédricGouver neur
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ON EN PA RL E
C’est ma in te na nt , et c’est de l’ar t, de la cu ltu re , de la mo de , du de si gn et du vo ya ge
EX PO
SOUS LES ÉTOILES DU GHANA
À LONDRES, PU IS ACCR A, Ga ller y 1957 signe une ex po en deux pa rt ies, dédiée à la boui llon na nte communauté ar tist iq ue qu i travai lle entre les deux pays.
LA GA LERIE LONDONIENNE 1957 fête son huitième anniversaire avec une double expo – dans la capitale britannique à partir du 14 mars, et plus tard cette année à Accra. Intitulé « Constellations – Part 1: Figures On Earth & Beyond » (« Formes sur la Terre et au-delà »), ce premier volet accueille les travaux d’une quinzaine d’artistes, écrivains, réalisateurs et commissaires d’art. Parmi les œuvres commanditées pour l’occasion, on remarque celle d’Adelaide Damoah, pour sa première collaboration avec la galerie. Elle y mélange références aux monuments londoniens, images de sa famille ghanéenne et dentelles victoriennes, sy mboles du lien entre colonialisme et héritage Des artistes suivis de longue date par 1957, comme Modupeola Fadugba ou Amoako Boafo, qui exposent aujourd’hui aux quatre coins du globe, sont aussi de la partie. Avec des œuvres inspirées de la Terre ou des étoiles, de l’histoire ou de la science-fiction, « Constellations » propose d’entamer une conversation, de réimaginer radicalement la cohabitation entre humain et non-humain à travers l’art, et met l’accent sur l’unicité, les similitudes entre les habitats naturels et artificiels de Londres et Accra. ■ Luisa Nannipieri
« CONSTELLATIONS – PART 1: FIGURES ON EARTH & BEYOND », Galler y 1957, Londres (Royaume-Uni), du 14 mars au 25 mai. gallery1957.com
PA RL E
CARREFOUR DESIDÉES
LA SCÈN ELIT TÉRA IR E
DU CONT IN EN Tetdes
diasporas, àl ’hon neur àPar is.
AV EC 6000 VISITEURS l’année dernière,l’événement témoigne du dy namismedecemonde du livreafricain francophone. Représentéepar desauteurs tels que Charline Effah, EugèneÉbodé, BeataUmubyey iMairesse ou encore Wilfried N’Sondé, la troisièmeédition entend captiver un plus largepublic. Pendanttrois jours, 200écrivains, 60 éditeurs et librairesvenus d’Afrique, d’Europe,d’A mériqueetdes Caraïbes brasseront quantité de réflexions et d’échanges.Que ce soit l’intelligence artificielleauser vice de la traduction dans leslangues localesafricaines ou un regard critique surleroman policier,les thématiquesabordéeslorsdes rencontres promettent de «décloisonner lesimaginaires »etde «repenserles futurs ». Unemanière de porter haut et fort la diversitédelalittérature africaineetafro-descendante.
Notammentavecunhommage àl’effer vescence littéraire de la Côte d’Ivoire et àl’écrivain et hommepolitique congolais Henri Lopes,deuxremises de prix et l’intervention de slameurs,depoètes, de conteurs. ■ Catherine Faye
SALONDULIVRE AFRICAIN, Paris(France), du 15 au 17 mars 2024 salondulivreafricaindeparis.com
SO UN DS
Àécouter maintenant !
Ki ng Biscuit
Volt ageD iarr a, Joie’n’Re cord s/ Inou ïe Di st ri bution
Paru peuavant le premier conf inement, en 2020, le dernieralbum en date du trio français,formé parleguitaristeSylvain Choinier,lebatteur JohanGuidou et la clav iéristeA nnie Langlois, n’avaitpu déployer touteson énergie.Une excellente raison pour rev isiter cescompositions aveclemulti-instr umentisteburkinabè Oua-A nouDiarra, dont le djélin’goni déploie icitoutesses vertus
JoweeOmici l
Spir it ua lHea li ng:Bwa Kayi ma nFre ed om Sui te,Bash! Vi llageRecord s/ Modu lor
On ne présente plus ce musicien canadien, fils de pasteurhaïtien, fort d’unecarrière intensémentspirituelle
En témoigne ce nouveau disquefascinant,tantpar sonpartipris instrumental (etque soufflentles vents!) quenarratif, explorantles stigmatesde la révolutionhaïtienne de 1791.Ilfaut àtout prix se plongersansréser ve dans cettemosaïqued’une vingtainedepièces musicales, àécouter d’uneseule traite
Mali kAdouane
Af terR aï Part y, 19 92-2008, El mi rRecord s/ Ku roneko
D’origines saharaoui soufi, italienneetcelte,le musicien livredanscette copieusecompilation sa version arabedu cultissime Shaf t d’Isaac Hayes, et rappelle queson af terraï sous influencetechnoest unepotion magiquecapable de mêlerleblues àla soul et au funk,sansjamaisoublier les sonoritésorientalestraditionnelles.Et c’est absolument irrésistible ! ■ SophieRosemont
CI NÉ MA
L’ÉTERNELLEVOIXDUREGGAE
BOBMAR LEY: ON ELOV E (États-Unis), de Reinaldo MarcusGreen. Avec Ki ngsley Ben-Ad ir,Lasha na Ly nch, Ja mes Norton.Ensalles
Hollywoodaenf in trouvé sonBob Ma rley !Unf il mq ui rest it ue LA PU ISSA NCEDECRÉAT IONdumusicienjamaïca in, toujou rs aussiécoutéplusdeq ua ra ntea ns aprèssad ispa rition.
LE PR EMIERBIOPICsur le créateur de «Could YouBe Loved»,coproduitpar Brad Pitt et la familleMarley, est portépar Kingsley Ben-Adir, l’un desKen de Barbie (2023), assezcharismatique pour avoirdéjàété MalcolmXetBarack Obamaàl’écran.Derrière la caméra :ReinaldoMarcusGreen (La MéthodeWilliams,2021),cinéasteduBronx,qui tient àson deuxièmeprénom –unhommage àMarcusGar vey, militantjamaïcain,précurseurdupanafricanisme, dont Bob Marley s’estinspiré pour lesparoles de «RedemptionSong»
L’Afriquen’est jamais loin. Le concertouvrant le film estdédié àHailéSélassié, empereur d’Éthiopie,dieudes rastafariens –mouvement rejointpar l’artisteen1966. Mais l’action est resserréesur la période1976-1978,quand le prodige métis s’éloignedeson pays en proie àlaviolencepolitique,après avoir étéblessépar balledeuxjours avantde monter sur scène. On le voit au travail, en Europe,soucieuxdecréerune musiqueporteuse d’un messagedepaixetd’antiracisme
Le scénariodonne aussitoute sa placeàson épouse :Lashana
Ly nchest uneRitaMarleyaussi forte queson personnage de guerrière du Dahomeydans The WomanKing (2022).Tant pispourles sixautrescompagnesdeBob Marley (ilareconnu onze enfants)…Lorsdelapréparation et du tournage du film,laprésenceactive de sa veuve,deses deux aînés et de sesmusiciens (trois fils desWailersincarnent leur père jeune et jouent en play-back!)garantitl’authenticitéde ce qu’on voit.Des zonesd’ombresont évoquées (letraumatisme d’un père blancqui l’aabandonné,sajalousie, sapartdeviolence) et nuancent leportraitdumythe.Lefilm évoque unefuture tournéeafricaine, entachée de détournementsfinanciers, mais s’arrête avecleconcert historiqueenJamaïque, qui parvient àfaireseréconcilier lesdeuxchefs de partiqui ensanglantaientK ingston. Deux ansplustard, il chantait àLibrevilleenpetit comité pour Omar Bongo,avant de célébrer àHararel’indépendanceduZimbabwelorsdeses deux seulsconcertspublics en Afrique, quelques mois avant de mourir,à seulement36ans ■ Jean -MarieChazeau
Le s créatio ns de l’ar ti ste es pagn ol (à droi te) se mê le nt à de s objets an cest ra ux (à ga uc he).
RE ND EZ -V OU S
MATIÈRES VIVANTES
UN FACE-À-FACE EN TR E STAT UES, MASQUES AFRICA INS ET UN E SÉLECT ION D’ŒU VR ES du plasticien Miquel Ba rceló.
AU MUSÉE GENEVOIS, le néo-expressionniste espagnol élabore un dialogue quasi charnel, où la notion de scarification établit un point de rencontre entre toiles, objets, sculptures et céramiques Comme une trace ou une forme d’écriture en attente d’être lue. Une rencontre entre deux mondes. Proche des écrivains-voyageurs infatigables, parcourant lui-même la planète, Miquel Barceló incise, déforme, déchire. Un geste créatif cathar tique, répondant au cheminement de celui qui, pendant une trentaine d’années, a vécu à mi-temps au Mali, œuv rant et créant auprès des Dogon. « C’était l’endroit
où faire une tabula ra sa », se souv ient-il Sa peinture et ses céramiques se sont dès lors transformées, dans une volonté de se libérer autant de l’emprise du sujet que de celle des formes connues de l’ar t. De cette connivence entre ar tisanat, techniques millénaires, cosmogonie, codes contemporains et explorations intimes, est né un mode d’expression protéiforme, faisant écho aux divers traitements de la texture et du signifiant ■ C.F.
« SCARIFICATIONS », Miquel Barceló et le musée Barbier-Mueller, Genève (Suisse), jusqu’au 21 avril 2024 barbier- mueller.ch
UN GARÇON ÀTOUTPRIX
En Jordan ie,u ne jeuneveuve estmenacée de tout perd re au prof it de la fa mi lledeson ma ri.L ADUR ELOI DU PATR IA RCAT RELIGI EU X…
AU DÉCÈSSOUDA IN DE SONM AR I, Nawal, 30 ans, risque de perdre sonlogement, même si sa dotavait serviàen payerlamoitié… Fautedecontrat de mariage, et en l’absence d’héritier mâle,elleest menacéed’expulsion.Pire: si elle n’a plus de moyens,safillepeutlui être retirée pour être placée dans sa belle-famille. Àmoins qu’ellenesoitenceintedefeu sonmarietqu’elle attendeungarçon… Cesloispatriarcales, quispolientles femmes en faveurdes hommes au nomdela religion,l’entraînentdansune descente auxenfers, quiest aussi l’occasion de suivre sonpersonnage(parfaitement interprété par MounaHawa) d’un quartier àl’autre d’unevillepeu représentée au cinéma :A mman.Avecunvraisuspenseautourd’untestde grossesse… Ce premierfilm du Jordanien AmjadA lRasheed (coécrit avecdeuxfemmes) est« unehistoiredesur vie, de responsabilisation et d’espoir », explique le cinéaste. C’estaussi un thriller social et sociétal limpideetefficace ■ J.-M.C
INCHALLAH
UN FILS (Jordan ie), de AmjadA l Rasheed. Avec MounaHawa, Seleena
Ra ba ba h, Ha it ha m Omari
En sa lles
TIKENJAH FAKOLY En mode acoustique
AUSSIENGAGÉQUE PROLIFIQUE,l ’a rt iste ivoi rien revientavec un al bu mrev isitantses composit ions en acoust iq ue.Une vérita bleréussite!
AM : Ce n’estpas rien,derevisiter desmorceauxdevotre propre répertoire, de «Plusriennem’étonne» à« Justice»… TikenJah Fakoly : Même si ce sont deschansonsque j’ai écritesilya un certain temps, j’étaisemballé pendant l’enregistrement, carj’aitoujours rêvédefaireunalbum acoustique.Celafaitdes annéesque j’en parle. C’est vraimentunrêvequi,une fois réalisé, permet de mettre la voix en avant, et doncles textes…Letimbreprendle pouvoirsur tous lesinstruments.J’aihâtedefairevivre cesmorceauxréarrangéslorsdela tournéeàvenir ! On entendd ’autres voix quelavôtre surcet album. Comment avez-vousenvisagéces duos ?
Selon la vibrationdutitre àréinterpréter !Sur «Les Mart yrs»,laperformance du rappeurTiggs Da Author estextraordinaire. J’avaiségalement très envied’inviter le BrésilienChico César, quej’appréciebeaucoup, et le Jamaïcain Horace Andy,que j’ai rencontré àlafin des années1990.Savoixest exceptionnelle. J’avaisaussiledésir de travailleravecNaâman,qui fait partie de la nouvelle génération de chanteurs reggae français.Ily aaussi Tapa,
l’héritière de la grande cantatrice malienne Kandia Kouyaté, sur le titre« Alou Mayé », Bernard Lavilliers,unvieil ami quejerespectebeaucoup, M, toujours foisonnant d’idées… En quoi Acoustic renoueavecvos racines, géographiquescomme musicales?
Lesinstruments utilisés viennent de l’Afriquede l’Ouest. Le balafon, la kora,len’goni… Ilsont bercé monenfance et monadolescence, puisquemes parents écoutaientdelamusique mandingue. Acoustic estunalbum àtravers lequel je veuxmontrer d’où je viens, mais aussi retracer macarrière grâceaux chansons quiyfigurent. Et je suis très heureuxdurésultat! ■ propos recueillispar SophieRosemont
TIKENJAH FAKOLY, Acoustic, Chapter TwoRecords/ Wagram Music. En tour néedanstoute laFra ncedès le mois de ma rs.Enconcert àlaSallePleyelles 13 et 14 novem bre2024.
IN
TE RV IE W
JustineMasika Bihamba «Leviolcomme arme de guerre,c’est pour anéantir »
Mi lita nte, présidente de l’ONG Sy nerg ie desfem mes pour lesv icti mesdev iolences sexuel les(SF VS), celleq ui portesavoi xau-delà desf ront ièressig ne un témoignagefondateur pour lesgénérat ions àven ir.
AM : Pouvez-vousdresserunétatdes lieux de la situation géopolitique et humanitaireauNord- Kivu, àl ’est de la République démocratique du Congo ?
JustineMasika Bihamba: La situation estalarmante, surtoutpournousqui vivons àGoma. La ville, comptant 2millions d’habitants–tousles villages environnants l’ont rejointe pour fuir lescombats –, estencerclée, quasimenttoutesles voiesd’approv isionnementsont barréesetles bombardementsnecessentpas.Avecles conf lits en cours et l’escalade de la violence, c’esttoute la RDCqui estconfrontée àl’une desplusimportantes crises humanitaires et de déplacements internes dans le monde (6,9 millions de personnes).Jepensais qu’une telleapocaly psenepouvait existerque dans la Bible, mais nous sommes en train de la vivre. En quoi la communauté internationale manque -t -elleàses engagements?
ÀGoma, tout le mondeest là :les Nationsunies,l’Union européenne…Mais cesinstances présentesnefontqu’observer la misère de la population et établirdes rapports,sansjamaisinter venir pour faire cesser leshostilités et sanctionnerles autorités corrompues. Depuis quenoussommesen guerre,noussubissons despillages,des violsdemasse et desmassacres.Maintenant,s’ajoutentles affrontements répétésentre lesforcesarméesdelaR DC,épauléespar lessoldats hutu burundais, lesgroupes armés« patriotes » et la rébellion du M23, composémajoritairementdeTutsi etsoutenu parleRwanda. Le pays n’estpas unepriorité. Pourtant,l’est estl’une desrégions lesplusstratégiquesau monde, au vu desmatièrespremièresqu’elle abrite :cobalt, uranium,coltan,etc.Mes enfants, mespetits-enfantsn’ont jamais connulapaix. C’est, entreautres, pour cetteraison quej’aiécrit ce livre. Pour quel’onentende nosvoix.
Le viol commearme de guerreenRDC estaucœurdevotre action.
Lesv iols existaient avantles conf lits armés, mais généralement,unv ioleur étaitchasséduv illage. Il devait aller viv re ailleurs, dans la forêt, carils’était comporté «commeunanimal ». Le viol commearmedeguerre, c’est tout autrechose. Il apourbut de se venger, de dissuader, de détruire.Ilnes’agitplusdedésir sexuel.Lorsqu’on violeunbébéouque l’on introduitdes objets pointus dans lesorganesgénitauxdes femmes,c’est pour anéantir.Lorsqu’on violeune femme, c’esttoutun villagequi estbrisé. On sait la valeur desfemmes, surtoutdanslacommunauté. En lesprofanant, c’esttoute la familleque l’on vise, lastructure et l’équilibrepsychologiquesetsociaux de chacun De quelle manière intervenez-vous ?
La SF VS,crééeen2002, estune plateforme qui prendenchargeetoriente lesv ictimesversl’aide dont ellesont besoin: médicale,psychologique, juridique. Plusdetrente organisationsaccompagnent les femmes et lesfilles agressées, humiliéeset rejetées parlasociété,etont déjàprésentéplusieurs fois leurs revendicationsàl’ONU.Aveclareprise des affrontements, la situations’est aggravée, et le viol commearmedeguerreprend de nouvellesformes, commelaprostitution.Les adolescentsetadolescentes dont lesparents sont mortssousles bombes ou au combat n’ont pasd’autre issuepoursur vivreque de se prostituer, et ce sans protection.Aujourd’hui,nousavons comprisque sans associer leshommes, potentiels auteurs de viols, nous n’irons nullepart. Noussommesdoncentrain de travailler surlamasculinité positive,encheminantmain dans la main avecceuxpourqui la valeur,lerespect et lesdroitsdes femmes sont fondamentaux. Ce sont nosmeilleurs alliés. Pour fairepasseretentendreles messages.Pourconvaincre et allerde l’avant. ■ Propos recueillispar CatherineFaye
De hautenbas :
Pour une poignée de dollars, LosAngeles (2019) ; Sans titre (2023) ; l’ar tiste tenantl ’une de sesœuvres
PAR- DELÀ LESFRONTIÈRES
Im mersiondansl ’intimeetleprocessus créati fdeMOH AM ED BOUROU ISSA.
DEPUIS UNEV INGTAINE D’ANNÉES,leplasticienalgérofrançais n’en finitpas de surprendre. Devenuartiste un peupar hasard,ilest passéd’unmédiumàl’autre,delaphotographie àlav idéo,dudessinàladanse ou au rap, de la sculptureà la mise en scène. Mais,chezcet infatigablecréateurd’espaces et explorateurdel’altérité, tout estlié.Comme dans cette exposition quirassemble dessins, images,partitionssonores, plantes, aquarelles, ou encore écrans projetantune sélection de filmsdéfilanttelle uneplaylistpendant plus d’uneheure Un ensemble sans ordreapparent, où se révèlentcependant l’esprit et lesengagements de MohamedBourouissa,néà Blida, en Algérie, en 1978.Àtravers unemultiplicitéde domaines d’expérimentation, il dévoileses expériences intimesetunparcoursmulticulturel.Sansjamaiscesser d’observer lesmargesdelasociété et lespratiques collectives. Toujours entrelequi-v iveet la rémission. ■ C. F. MOHAMED BOUROUISSA, «Sig nal», Palais de Tokyo, Paris(France), jusqu’au 30 juin 2024 palaisdetokyo.com
ABNOUSSE
SH ALMA NI, J’ai péché, péchédans le plaisir, Grasset, 198pages, 19,50 €.
LIBERTÉD’ÊTRE, LIBERTÉD’ÉCRIRE
UN HYMNE ÀLAFÉMINITÉ et àlasensualité,àtravers le pouvoirdes mots et le désiràvif.
«CHA NTER LA LIBERTÉentravéedeForough,c’est
luifaire vivrelav ie de Marie, cettev ie quilui aurait étésiadaptée.» Au fild’untexte charneletcaptivant, AbnousseShalmani s’inspire de deux femmes libres et intenses,Marie de Régnier(1875-1963) et Forough Farrok hzad (1935-1967). Pour cespoétessesv ivant dans desmondesaux antipodes l’un de l’autre, la passionf ut le filrouge d’existences hors normes et de choixabsolus.L’une,première femmeàrecevoirleprix de littératuredel’Académiefrançaise,collectionne amants et maîtresses.Onlavoitsur le bandeaudu livre: de dosetnue,ellerefaitson chignonfaceà un miroir. La voluptéà sonparox ysme.Ellesera un modèle pour la seconde, ForoughFarrokhzad, étoile filanteenquêted’affranchissement. Après Khomeiny, Sade et moi (2014), Lese xilésmeurent au ssid’amour (2018), et Élogedu métèque (2020),l’autrice iranienne ressuscite et entrelaceainsi l’ardeur de la filledu poèteJosé-MariadeHeredia, reine subversive de la Belle Époque,etl’insoumission de l’égérie desmilieux littéraires iraniens dans lesannées1950, mortedans un accident de voitureà 32 ans. Deux destins, un même feu, queletitre du récit,tiréd’unpoème de Foroughparudanslerecueil Le Mur,en1955, illustre de sescharmes libertins: «J ’aipéché,péché dans le plaisir, dans desbraschaudsetenf lammés.» Animée parladésinvolturedeson inspiratrice française, la scandaleusemet ànuses infidélitésetconfirmeàson ex-mariqu’elle estlibre.Toutesav ie,sanssesoucier du conformismeetdelamorale, elle chemineavec l’histoire de MariedeRégnier et de sonamant Pierre Louÿs. Uneexistence dont elle aurait rêvé. ■ C.F.
ROM AN
Une place àpar t
Le voyage initiatiqued’une jeunefemme franco-togolai se àlarecherche de sesorigines.
SURLES CHEMINSsinueux de la question de soi, RaphaëlleRed fouilleles arcanesdumétissageetdu sentimentdehonteàtravers Adikou,personnagefort animé d’unecolère puissante et d’unesensation de vide, celledelanon-appartenance. «Avant chaque départ,quand elle fait ça,ondiraitqu’elle s’entraîne àmourir: pour ne pass’encombrer,elledépose lessouvenirsles unsàcôté desautres, lescontemple rapidementalorsque le tempss’étend.» Àlafoisrécit
PO ÉS IE
Lestourments du passé
Roman-poèmed’undeuil tourmenté,entre le CongoBrazzavilleetlaFrance.
«PUISSES-TUnejamais savoir quitues. »Sicette enseignante de latin,degrec ancien et de français cite Sophocle en exergue,c’est parceque sonpremierroman fait écho àl’Œdiperoi du granddramaturge. Un Œdipe coupable àlafoisdeparricide et d’inceste,faceà sondestin Déjà,en2022, lespoèmes narratifsd’Ève Guerra,réunis dans Corpsprofond s, exploraientles blessures, l’ombreet la lumière.Moins de deux ansplustard, sa fiction mâtinée de touches autobiographiques relate le cheminementd’une jeune
de transf uge etquête d’identité en formede road-trip, ce premierroman raconteleretourcontrarié d’uneFrançaise métissesur la terrepaternelle, où,peu àpeu,les objectifs s’évaporentpournedévoiler quel’essentiel,dansun enchevêtrementcontradictoiredeperceptions, d’émotionsetderéf lexions. Car, aprèstout,l’origine et l’identité se doivent-elles d’être fixes ?Etoù se sent-on vraiment chez soi? ■ C.F.
ÈV EGUERR A, Rapatriement, Grasset, 216pages, 19,50 €
filleconfrontée au décèsde sonpère,qui réveillela violence dessouvenirs.Face àla question du rapatriement du corpsenFrance, elle questionne l’appartenance, la domination, le mensonge Affrontantses démons,elle démêle un écheveau où l’écriture libère.Et le langage se fait poète: «Ilest mort dans l’arrondid’uncrayon quicasse…» ■ C.F.
UZI SUR LE BON CHEMIN!
Ce jeunerappeur d’or ig ine congolaise affi rmeson flow su ru nt roisième OPUS ENGAGÉ,fédérateu r… et très entraî na nt.
«SIJ EMESENSV ISÉ, j’attaqueetje resteàmaplace commeRosaParks », rappe-t-il,rendant hommageà l’une desplusgrandes icônes de la lutte pour lesdroitsciv iquesaméricains. Avec ce troisièmealbum,Uzi rappelle qu’en dépitdeson jeuneâge,24ans, il aconsciencedes dérivesdumonde Il évoque aussibienlaguerreen RDCdans« MamanBobi Ladawa » queles paysages urbainsdans «Cités de France ». Rigueur, principe, boulot :telle estsaligne de conduite, déclinéedanslaconclusion« RPB» S’entourantdepointures de la scène actuelle,rap ou afrobeat,d’Oboyà Booba, Uzin’oubliejamaisses origines congolaises,bienqu’il soit né àFontainebleau,et assène sonindépendance artistique. Surlechemin sort d’ailleurs surson propre label, logiquement baptiséR PB. La promesse se confirme,etelleest àsuivredeprès. ■ S.R.
UZI, Surlechemin, RPBMusic/ Believe.
NOME
(Guinée-Bissau), de Sana Na N’Hada. Avec MarcelinoA ntónio Ingira, BineteUndonque, MartaDabo. En salles
POUR QUISONNE LE BOMBOLONG?
SA NA NA N’HA DA afaitses armesdecinéaste àCuba dans lesannées1960avecplusieurs compatriotes, dont FloraGomes,avant de rentrerenGuinée-Bissau, filmer la guerre menéecontre l’arméeportugaisedans lesmangroves et lesforêtsdeson pays…À73ans,il intègreces images d’archives, rescapéesparmi plusieurs kilomètresdepelliculesperdues,dansson nouveaulongmétrage, en racontant l’histoire du jeuneNome, forcéde rejoindrelaguérillaen1969. Il mélange,avecdes teintes très particulières,les époquesetles questionnementssur cetteguerredelibération de onze ans. Elledevaitaboutir àlanaissance d’un État au serv icedetous, mais elle a tourné au règlementdecomptesentre combattants, avecla mort d’un leaderprometteur, AmílcarCabral, justeavant l’effondrementdupouvoir militaire colonialauPortugal.
«LaGuinéeest-elleprête pour tant de bonheur?», s’interrogeunpersonnagefantomatique, esprit àlapeau noireetaumasqueblanc,qui parcourt le film tandis que résonnentles bombolongs transmettant leurs messages de villageenv illage. Nome, rentréchezlui en héros, va deveniramer, puis cy nique… Le cinéasteexplique: «Onmereprochedetoujoursparlerdela guerre [en Guinée-Bi ssau].Cef ut un moment terribleetjeneveux paspassermav ie àenfairelerécit.Jelefaisnéanmoins […] caroncontinuede se haïr et de s’entretuer. »Son film, quiallie superbementréalité,mémoire et fantastique, n’estpas seulementuntémoignagedepremière main, c’estaussi unetrèsbelle mise en scèneauser vice d’un pan oublié de l’histoire desindépendances africaines et de leur «espérancecontrelacupiditéetlemal ». ■ J.-M.C
L’ar tdu
Depu is un peuplus
LE LA BELM ARO &CHAOS propose ar tist iq uesétonnan ha bi ller lesespaces
haos
’ u n a n, A I N OR DER es meu bles s, pou r avec ca ractère.
AU MOT« DESIGNER », il préfèredeloincelui de «créatif ».
Le Marocain Abdou (Abderrahman) Diouri,42ans,un passédansl’industriemétallurgique et dans la gestion du personneld’une grande entreprise, souligne quecequ’il connaîtenmatière de design et de mobilier,ill’a appris en autodidacte. C’estpourcelaque,v ule succèsf ulgurant de sescréations inédites et audacieuses, il s’estentouré d’un ébéniste,d’unmenuisieretd’untapissier,qui donnent corpsàson imagination aveclaqualité qu’ellemérite. Lancé début2023, le label Order&Chaos produitdes petitessériesetdes meubles sur-mesure dans un showroom laboratoiresur la routedel’aéroport,àCasablanca. Parmi
sespiècesphare,ontrouvel’étagère en formed’A frique, recouvertede cuir colorétel un Mondrian,oulatable bassemodulaireentecketfrêne, quiassocie lignes vives et souples,ouencorecet étonnant bararc-en-ciel en sept nuancesdebois, récemmentreproposé en velours rouge, fourrure blancheetmiroirs àl’intérieur.L’attention aux détailsetaux finitions, commeles décorationssculptées utilisantducourant électriquepourobtenir desfractales de Lichtenberg,faitdeses lampes et de sesmeubles de véritables créationsartistiques @order_andchaos ■ L.N.
FA SH ION
Ré ali sé e en co ll ab oration avec l’ar ti ste Prin ce Gyasi la collecti on propose des sil houettes col orée s qui évoq ue nt ses photos.
BALMAIN le défilé de la discorde
La dern ière lignedelamaison, crééeavecdes ar tistes afr icai ns et cl in d’œi laux «SAPEU RS », rela nceledéb su rlal im iteq ui sépa re INSPIR AT IONETI MI
TAT IO
«C’EST UN ÉV ÉNEMENTdifficile et douloureux,qui remet de nouveauenquestion le regard réel queles marques occidentales prétendent porter surlacréativ itéafricaine, tout en affirmantouvertement s’en être “inspirées” Jusqu’àquand ?» Cettequestion,qui clôtureunlongposten anglaisdelamarquesénégalaise Tongoro,deSarah Diouf, a fait le tour du monde, il yaquelquessemaines.Lacréatrice réagissait au très attendudéfilédeBalmain,deretour après quatre anssur lescat walksdelaFashion Week parisienne,avecune collection masculinesignéeOlivier Rousteing, ouvertementinspirée parles impeccablesmises des« sapeurs »etréalisée en collaborationavecl’artiste ghanéen Prince Gyasietledesignerbritannico-camerounais
Ibby Njoya. Parmiles accessoi détailsspectaculaires –aux cô brassardsdorés,àmi-chemin gris-gris, desbracelets en cornedevache et desbijouxd’artiste hip-hop–,ilyavait unepièce de visage qu’elle areconnu tout de suitecommelacopieconforme de CairodeTongoro.Unbijou inspirédumaquillage deshommeswoodabe, présenté en mai2019àDakar et portépar…cette même NaomiCampbellqui défilait pour Balmain.LaréactiondeSarah Diouflance le battage médiatique,avecquelquesrev irements.Danslafoulée,elle se voit accusée d’avoirvoléle dessin de la bijoutière kényane TheresiaKyalo,etrev ient surlaquestionpourpréciser :
puis aprobablement voyagé ou étéinterprétéplusieurs fois », notammentpar Dion Lee. Comment, alors, démêlerinspiration,imitation et influence, dans un milieuriche de zonesgrisescomm celuidelamode? La question du manqued protection juridiquede la créativité africain quoi qu’ilensoit, bienréelleetil faudrait l’ sérieusement.Mêmelorsqu’elle vientéclip collection quirendhommage au st yledes de Kinshasa, ParisouHarlem, et célèbrel’e hy perchromatique desphotos de Prince Gy portraits, résolument modernes,des Africa
Le dé fi lé re nd homm a ge aux «s ap eu rs » de la RD Ce t d’aut re sp ay s.
Ci -c ontre, le bijouC airo de la marqu e To ng oro, en ba s, la ve rs ion de Balmain
Ki n propose un e car te méti ssé e, qui s e re nouvel le toutes le s deux semaines
LES DÉLICES DE KINSHASA
Deux ad resses : l’une pour découv rir les PA RFUMS DU CONGO dans les ruelles de MA RSEILLE, l’autre pour se faire plaisir dans la capitale de la RDC.
LE CHEF HUGUES MBENDA a connu les grandes cuisines de Paris et de Londres, mais il a choisi Marseille pour proposer des mets inspirés par sa RDC natale. Après l’Orphéon, ouvert avec son frère avant la pandémie, et Libala, axé street-food, on le trouve désormais à quelques pas du marché de Noailles avec Kin, un restaurant gastronomique tout en vert malachite et bois – hommage à la nature congolaise et à Kinshasa Le midi, il propose la cuisine de Libala et, le soir, une carte métissée en six étapes, qui change toutes les deux semaines Ici, c’est l’Af rique par petites touches, comme avec la sauce piment-pomme, ou celle hollandaise au baobab, dont le goût acidulé évoque les fruits qu’il croquait, gamin, en sortant de l’école. Ou les gauf res au manioc, les gnocchis de banane au topinambour (ou à la tomate, selon la saison) et les jus maison. À découv rir aussi, le rhum du Congo et l’étonnant gin du Kivu, épicé à la vanille et au poiv re kin- restaurant.com
Ch ips de m a n io c et crèm e br ûl ée d’oignons
Ta pas , pi zzas , ma is au ss i pla ts tradi ti onn els , le re sto de Go mb e va ri e le s pla is ir s.
Ch ez Ma lamu, à Ki ns ha sa, au bo rd de la pi sci ne
Et à Kinshasa ? Les nouveaux spots se multiplient, ces dernières années. Malamu (« être bien » en lingala), inauguré à Gombe en 2020, a su attirer une clientèle locale et internationale, qui apprécie l’ambiance chaleureuse et la belle carte éclectique – des tapas aux pizzas, en passant par le risotto à la tr uffe ou le capitaine grillé à la sauce thaï, sans oublier les plats du pays Comme le poulet sauce barbecue maison ou le Baba Ntaba, la chèv re congolaise, façon Malamu Peu importe si l’on aime l’ambiance côté piscine, si l’on préfère la terrasse pour un dîner en têteà-tête, si l’on cherche le calme du salon climatisé ou si l’on réser ve le salon privé avec jardin, le tout est de se sentir bien, en bonne compagnie. malamu.co ■ L.N.
No n lo in de la cap ita le éc onom iq ue, ce nouvea u qu ar ti er de 226 lo ge me nt s se veut durab le et re spectu eu x de l’environ ne m ent.
À Abatta, l’innovation urbaine
Près d’Abidja n, KOFFI & DI ABAT É font sort ir de terre un nouvel écoq ua rt ier mi xte et proposent un autre modèle d’ ha bitat, adapté au x besoins locaux.
ON NE PEUT PAS REPENSER la façon d’habiter le continent sans changer le modèle urbanistique actuel Connus pour leurs projets durables et adaptés aux conditions climatiques de la région, les Ivoiriens Koffi & Diabaté travaillent sur la question depuis des années, et vont livrer dans quelques mois un écoquartier résidentiel, qui donne forme à une partie de leurs réponses Construit sur les rives de la baie d’Abatta, à une demi-heure du Plateau d’Abidjan, Abatta Village comprend 226 logements épurés et modernes, un complexe sportif avec salle de gym et piscine, une club-house dotée d’un restaurant et d’une garderie, une galerie commerçante et des bureaux. Le tout entouré de trois hectares de verdure, soit 40 % du lot, et complété par une marina sur la baie, des pistes cyclables et une promenade piétonne. Conçu pour promouvoir la mutualisation des espaces communs et des serv ices, et livré avec fibre optique intégrée, le projet favorise la mobilité douce, notamment en limitant la circulation des voitures et en dessinant des axes destinés aux piétons Les immeubles commerciaux et les logements, qui vont du deux-pièces (à partir de 103 000 euros) au duplex (moins de 400 000 euros), ont été construits à partir de matériaux locaux, favorisant l’éclairage et la ventilation naturels. Koffi & Diabaté ont aussi prév u d’installer des toitures végétalisées, un système de récupération d’eau pluv iale et des équipements à basse consommation, conjuguant confort des résidents et valeurs environnementales. ■ L.N.
LES YEUX SUR LE SERENGETI
Assister à LA MAGI E DE LA GR ANDE MIGR AT ION, qu i an ime chaq ue an née les plai nes ta nzanien nes, est une ex périence inou bl ia ble.
LE DÉBU T du printemps est un moment unique, dans le nord de la Tanzanie. Avec les premières pluies, dans les immenses plaines du Serengeti, s’entassent près de deux millions d’animaux, qui donnent vie au spectacle magique de la Grande Migration Lions, léopards, chimpanzés, buff les, gnous et zèbres quittent la région du Ngorongoro en direction du Kenya, pour une boucle de plus de 3 000 km qui les ramènera au point de départ à la fin de l’automne. Le parc du Serengeti s’étendant sur plus de 24 000 km² – il est le deuxième plus grand parc national du pays –, les voyageurs peuvent choisir où séjourner en fonction de la période, s’assurant une place au premier rang de ce spectacle extraordinaire, considéré comme l’une des sept merveilles d’Afrique. L’offre de logements s’enrichit ce printemps d’un nouveau lodge de luxe, le premier sous le label Explorer de la chaîne hôtelière
Elewana, réputée pour ses structures écoresponsables en Tanzanie et au Kenya Niché dans les collines, à la limite occidentale du parc, il est doté de 68 chambres et de six suites, toutes avec balcon privatif, d’une piscine et d’une galerie d’art. Construit sur le site de l’ancien Sopa Lodge, afin de minimiser l’impact sur l’écosystème, l’établissement offre une vue imprenable sur le cortège des troupeaux qui défilent en contrebas entre avril et juin Et il promet une expérience immersive, même hors safari : les hôtes pourront dîner dans la brousse, profiter du cinéma en plein air ou observer les étoiles en compagnie d’un astronome. Les chambres sont à partir de 300 euros la nuit en pension complète. explorer.elewanacollection.com ■ L.N.
La ma qu et te du l u xu eu x lodg e de Se re ng eti Ex plorer, qui of frira un e vu e im pren ab le su r le parc nat iona l.
Do mi niqu e Ouattara et so n hôte De ni se Ts hisekedi , Premi ère dam e de RD C, vi si te nt la Ca se de s en fa nt s ré nové e, au Pl atea u.
WE ARE AFRICA!
LA NEUVIÈME ÉDITION du dîner de bienfaisance Children of Africa s’est tenue à Abidjan. L’occasion de présenter les actions de la Fondation de Dominique Ouattara. par Emmanuelle Pontié
VENDREDI 1ER MARS, 11 heures Le soleil rayonne à Abidjan. La Première dame de Côte d’Ivoire, Dominique Ouattara, accompagnée de son hôte Denise Nyakeru Tshisekedi, Première dame de RDC, vêtues toutes les deux de tenues locales aux couleurs chatoyantes, visite la nouvelle Case des enfants devant un parterre d’invités du monde politique local et du show-business, venus des quatre coins du monde, et sous les applaudissements fournis des petits pensionnaires Le foyer d’accueil, dans le quartier du Plateau, ouvert en 1998, l’année du lancement de sa Fondation Children of Africa, a été rénové et agrandi pour accueillir 80 enfants dans un établissement à l’architecture moderne. Il compte aujourd’hui douze bâtiments répartis sur
6 700 m2 : un local administratif, deux salles d’étude, quatre dortoirs, une salle multimédia, comprenant une bibliothèque et des ordinateurs, une salle de télévision, un réfectoire avec une grande cuisine, une villa des sœurs avec une infirmerie, une maison du personnel. En extérieur : un grand préau, un espace de jeux et un terrain de sport. Des travaux de réhabilitation réalisés grâce aux dons récoltés par la Fondation, notamment à l’occasion du gala de bienfaisance organisé en 2022 par Dominique Ouattara Cette nouvelle réalisation en faveur des enfants en difficulté s’ajoute aux trois autres structures lancées et gérées par la Fondation à Soubré, Bouaké et Ferkessédougou. Il y a six ans, la Première dame inaugurait l’hôpital Mère-Enfant de Binger ville, puis le Groupe scolaire d’excellence d’Abobo en 2022. Et depuis, une nouvelle unité est née : le centre d’accueil pour les femmes victimes de violences, à Adiaké, dans le sud-est du pays. L’ensemble de ces établissements, gérés par un personnel trié sur le volet par la Première dame de Côte d’Ivoire, particulièrement attentive au bon fonctionnement de chaque structure sur le long terme, s’ajoutent à l’ensemble des actions menées au quotidien par la Fondation Children of Africa, qui opère aujourd’hui dans douze pays en
Le s pe nsio nn aires du foye r, en m ai llots orang e de s Élép hants , dansent su r le tu be « Le Coup du ma rtea u ».
Afrique. On peut citer, entre autres, pour le secteur de la santé, l’équipement du service de néonatologie du CHU de Yopougon, ou l’organisation de caravanes ophtalmologiques ayant pris en charge 103 000 enfants et de campagnes de vaccination ayant immunisé 94 129 enfants. Pour le secteur social : soutien aux initiatives entrepreneuriales des femmes, distribution de décortiqueuses, de broyeuses et de matériels aux agricultrices. Et dans le domaine de l’éducation, la Fondation a construit le lycée de Kong dans le nord-est du pays, créé et équipé des salles multimédia à travers la Côte d’Ivoire, distribué 173 000 kits scolaires. Tous les deux ans, Dominique Ouattara organise une soirée de gala exceptionnelle et particulièrement chaleureuse pour sa Fondation, en présence de son époux le président Alassane Ouattara, au palais des Congrès de l’hôtel
Ivoire Cette année, le soir du 2 mars, 900 invités se sont retrouvés pour la neuvième édition de l’événement, dont le thème était « We Are Africa », autour d’un dîner raffiné imaginé par les chefs français Pierre Gagnaire et ivoirienne Vanessa Konan. Une soirée rehaussée par la présence de personnalités du monde des affaires, comme Martin et Olivier Bouygues (groupe Bouygues), Pierre Fakhoury (PFO Africa), Serge Varsano (Sucres et Denrées), Pascal de Izaguirre (Corsair), du domaine de la santé, comme le professeur Marc Gentilini ou le chirurgien Éric Cheysson, président de La Chaîne de l’espoir. Beaucoup de comédiens aussi, à l’image, entre autres, de Sandrine Bonnaire, Elsa Zylberstein, Jean-Pascal Zadi, Samuel Le Bihan, Vincent Perez, Benoît Magimel, Mélanie Laurent, Isaach de Bankolé ou Claudia Tagbo, des stars du sport, comme Didier Drogba et Cheick Cissé, ou du show-biz, tels que Youssou Ndour, Alpha Blondy, Matt Pokora, MC Solaar, des reines de beauté, comme Adriana Karembeu, accompagnée de son compagnon le rappeur Stomy Bugsy,
Da ns un dor to ir de l a nouvell e stru ct ure, avec l’épo us e du vic e- prési dent, Ma ïmouna Ko né
Ma rtin Bouygue s, le Prem ie r min is tre ivoir ie n Ro be rt Be ug ré Ma mb é et le com édie n Sa mu el L e Bi han
Se rg e Va rsano et Da niel le Be n Ya hm ed
Le mi ni stre Br uno Ko né (a u centre) son ép ou se Ma ss éré Touré, secréta ire gé né ra le de la présid en ce, et le pe intre Oua ttara Wa tt s.
BÀ la ta ble d’hon neur, au p re mier pla n, Ér i c Ch eyss on à g. et Pa sc al de Izagui rre à dr. Pi er re Fa kh ou ry au se co n d pla n à g.
Ci -c ontre, Gi ms et Carla Br un i.
« Le montant des enchères a pulvérisé les records ! »
Le joueur d e fo ot ba ll
Di di er Drog ba et sa com pagne Gabriel le Le mai re
ou encore la mannequin Noémie Lenoir, les Miss France Iris Mittenaere et Mareva Galanter, ainsi qu’Olivia Yacé, Miss Côte d’Ivoire. Le spectacle, intitulé Légendes d’Af rique, monté sur les magnifiques chorégraphies de Jean-Paul Mehansio et Georges Momboye, accueillait dans une ambiance assez chaude au lendemain de la victoire de l’équipe des Éléphants à la CA N les prestations sur scène de Magic System et Yemi Alade, entonnant la chanson officielle de la Coupe d’Afrique ou encore le tube de Tam Sir, désormais planétaire, « Le Coup du marteau ». Applaudissements fournis aussi pour Gims, qui a chanté avec Carla Bruni, épouse de l’ancien président français Nicolas Sarkozy, tous deux convives du dîner. La traditionnelle vente aux enchères proposait ce soir-là deux tableaux contemporains d’Abdoulaye Konaté et de Ouattara Watts, une paire de vases en lapis-lazuli signés par la princesse Ira von Fürstenberg – illustre marraine de la Fondation, qui nous quittait le 18 février dernier et à laquelle Dominique Ouattara a rendu un hommage très émouvant –, un masque yohouré de la collection de Serge Hié, ainsi qu’un maillot des Éléphants de Côte d’Ivoire signé par l’ensemble de l’équipe La totalité du produit des enchères s’est élevée à 452 millions de FCFA, pulvérisant
Le cha nteu r Alp ha Bl ondy et so n épo us e Ae lyssa Da rrag i.
le record de l’édition précédente De quoi soutenir la pérennité des actions de la Fondation. Des bénéfices qui iront à la construction et à l’équipement d’une nouvelle aile à l’hôpital Mère-Enfant de Binger ville, afin de réaliser des opérations à cœur ouvert pour de jeunes patients. Le lendemain matin, Dominique Ouattara et tous ses invités se sont rendus à Assinie, pour un déjeuner en bord de plage à la Maison d’Akoula. Orchestre live et danse endiablée pour tout le monde, notamment au son des prestations improv isées de Fally Ipupa ou de Singuila ! ■
Le grou pe Ma gic Syste m et Ye mi Alad e.
Au tour du c ou pl e présidenti el , Au re At ika et Sa mu el Le Bi han à ga uc he, et le vi ce -p ré sid ent de Côte d’Ivoire Ti émoko Meyl iet Ko né et so n épous e à droi te
Na tha lie Fo ll orou x et so n ép ou x. Ma rc Socqu et
L’anc ie n Premi er minist re Pa tri c k Ac hi (à droite), son épouse, et le docteur Je an -P ie rre La bl anchy.
Le c om édie n Jean -Pas cal Za di, entouré de Barba ra Beja ni et du ch anteur Ma tt Po ko ra
PA RC OU RS
Monika Kabasele
DANS SON PREMIER ALBUM, GRÉCOFUTURISME, la chanteuse exprime son identité plurielle en conjuguant ses racines grecques et congolaises. Elle confectionne un jazz très personnel, suave et rythmé, mêlant ses propres compositions à des reprises de standards ou de morceaux traditionnels. propos recu eillis par Astrid Krivian
Le titre de l’album, Grécof uturisme, est un clin d’œil au courant afro-futuriste. Née en Grèce d’une mère grecque et d’un père congolais, Monika Kabasele sublime en musique son identité plurielle, puise dans ses diverses appartenances Une afro-descendante qui honore ses racines, en restant ancrée dans le présent. À travers le jazz, elle combine les ry thmes congolais avec des musiques traditionnelles de sa région natale, la Thrace, mais aussi avec la samba ou d’autres sonorités africaines « Which is my identity? Am I African? Or Greek? », se demande-t-elle dans « Afro Blue », un standard qu’elle revisite : « Grâce à mon looper, j’ai créé une boucle avec ma voix. Cette notion cyclique est très importante dans l’afro-futurisme, où passé, présent et futur ne font qu’un », note l’artiste, qui reprend aussi la comptine congolaise « Cimwemwe Mwe » que lui chantait son père. En grec, en anglais, en français, sa musique aux couleurs suaves, oniriques, apaisées ne l’empêche pas d’explorer des sentiments plus obscurs, tabous, tels que la jalousie, avec « Une mauvaise personne ». « On parle peu de ces ressentis, pourtant très forts, qui nous torturent, nous bousculent. C’est difficile de les exprimer dans la vie, alors j’aime les chanter. C’est libérateur. » L’artiste baigne dans la musique depuis son enfance à Alexandroupoli. Amateur éclairé, son père joue de la guitare, du piano, des percussions. Quant à sa mère, elle chante du rebétiko, une forme d’expression musicale populaire du pays. Quand les amis viennent à la maison, on entonne des pièces orthodoxes, des morceaux traditionnels et spirituels congolais qui célèbrent le lien aux ancêtres, aux éléments, mais aussi des chansons françaises (Brassens, Renaud…), ses parents ayant étudié en France. Comme la petite Monika compose déjà des airs avec un xylophone, on l’inscrit à des cours de piano. À l’adolescence, elle apprend la guitare et le chant au conser vatoire. Ensuite, établie à Athènes pour ses études supérieures en littérature, elle intègre différents groupes et se produit sur scène « Je me sentais à ma place. Je savais que j’avais quelque chose à apporter aux autres » Elle quitte la filière littéraire et s’oriente vers un master en musicologie, puis s’envole pour la France. Elle parfait sa technique du chant jazz au conser vatoire à rayonnement régional de Paris, ville où elle habite désormais. Actuellement, elle étudie au Pôle supérieur de musique Paris–Boulogne-Billancourt pour devenir enseignante et maîtriser les technologies musicales (enregistrement, mixage, etc.). Elle dispense aussi des cours de chant en musiques actuelles au conser vatoire de Malakoff Mais c’est lors des concerts que la chanteuse s’épanouit le plus, affectionnant ce partage avec le public et ses musiciens. « Seuls la musique et le moment présent comptent alors. J’ai besoin de cette sensation, où la course quotidienne s’arrête » Un projet qui lui tient à cœur ? Voyager en RDC, poursuivre la quête des origines « J’ai très envie de découvrir mes racines, rencontrer ma famille paternelle Je sens un grand manque Cette distance avec le Congo ne peut plus durer Je dois faire ce pas. » ■
Mo ni ka Ka ba se l e, Gréc ofuturis me, 20 23, Ar t Di strict Musi c.
«J’ai très envie de découvrir mes racines, rencontrer ma famille paternelle. Cette distance avec le Congo ne peut plus durer.»
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Nom: Société
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LE SENS DU 8 MARS
Scène ordinaire, un 8 mars, dans un bureau à Ouagadougou : « Bonne fête, ma chère ! Alors, ce soir, c’est monsieur qui va faire la vaisselle ? » Réponse de la collègue : « Oui ! Hi, hi, hi… » Plus tard, le même jour, deux jeunes épouses devisent :
« Dis- moi, pour la fête de la femme, ton mari, il t’of fre quoi ? Les fleurs, ça va bien, hein Moi, j’ai demandé un bijou !
Ah ben, tu as raison. C’est quand même notre jour, non ? Donc il faut un beau cadeau. » Partout en Afrique, c’est la date convenue pour les échanges gentillets, les petits rires étouffés des dames, et le passage à la caisse des maris et amants Mais de l’évolution de la condition féminine dans le monde, et en particulier en Afrique, point mot. Pour tant, c’était un peu le but de cette journée internationale. Elle rend hommage, certes, mais est aussi l’occasion de faire le point sur le statut du « genre », comme on dit sur le continent. Égalité hommes -femmes, scolarisation des filles, violences, etc.
Mal heur eu sement, les chif fres qui s’ étalent dans les colonnes des études des organismes internationaux à l’approche du jour J démontrent d’année en année à peu près la même tendance : une stagnation du statut des femmes dans nombre de domaines. La pandémie de Covid, les conflits géopolitiques, le réchauffement climatique et l’aggravation des situations économiques dans le monde augurent, selon l’ONU, que plus de 342 millions de femmes et de filles pourraient vivre dans l’ex trême pauvreté d’ici à 2030 Et la réduction globale des dépenses publiques impacte en premier lieu la gent féminine.
Principalement en Afrique, bien sûr. En 2023, une étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur le continent révélait que les deux pays où le niveau de discriminations femmes-hommes est le plus élevé sont la Mauritanie et le Cameroun, la Côte d’Ivoire et le Zimb abwe étant les meill eurs él èves en la matière. 60 % des femmes africaines habitent des pays où ce niveau est classé élevé, voire très élevé. Et au -delà de la discrimination sociale, économique ou professionnelle, s’impose toujours le poids de traditions ancestrales dans la sphère privée, comme le mariage précoce. Un tiers des femmes africaines âgées de 20 à 24 ans ont été mariées avant l’âge de 18 ans. Et c’est le cas de plus de 60 % des filles au Niger ou en République centrafricaine Ces chiffres symbolisent un frein majeur à l’évolution des femmes sur le continent. Encore en 2024. ■
ÀLA RECHERCHE D’UN NOUVEAU GABON
Le général Brice Oligui Nguema prévoit des élections en août 2025. D’ici là, il s’agit de mettre en place une nouvelle manière de gouverner, en rupture radicale avec les quatorze ans de mandature ABO. Un déf complexe dans un pays « à repenser ». par Emm an ue ll e Po nt ié (e nvoyé e sp écia le à Li br ev il le)
ol en approche sur Librev ille, un soir de février. Le A350 d’Air France est quasi vide La dernière décennie de léthargie, et peutêt re le « coup d’État de la libération » du 30 août dernier, assorti des attentes en suspens y sont probablement pour quelque chose. Sans compter les tarifs particulièrement élevés appliqués par la compagnie, profitant de sa situation de monopole depuis Paris vers le Gabon. Quatorze ans de mandature ABO plus ta rd, la célèbre cité ba lnéaire semble s’être assoupie. Son bord de mer pimpant, ses restaurants branchés aux parkings bondés de Land Cruiser, ses boîtes de nuit où le champagne coule à flots, ses immeubles orgueilleux et son offre hôtelière généreuse au cent re-v ille se conjuguent au passé. Sur la côte, seuls le palais présidentiel et la Cour constitutionnelle se dressent fièrement. Plus loin, éparses, de nombreux bâtiments en constr uc tion, la issés à l’abandon, avec des arbres qui ont poussé entre les fers à béton oubliés…
Avec, en toile de fond, un pays aux al lures fa ntômes, victime d’un demisiècle de bongoïsme à bout de souffle, le général Brice Oligui Nguema, 49 ans, commandant de la Garde républicaine, a déposé da ns un ga nt de velours le président Ali Bongo Ondimba au petit matin du 30 août dern ier, quelques minutes après la proclamation des résultats de la présidentielle qui donnaient à nouveau le fils d’Omar Bongo Ondimba vainqueur. Ce dernier, très affaibli depuis son AVC du 24 oc tobre 2018, avait quasiment donné les clés du pays à son épouse Sylv ia et son fils Noureddin. Tous deux arrêtés dès le lendemain, inca rcérés et poursuiv is pour détournement et blanchiment d’argent, faux et usages de faux, entre autres chefs d’accusation Peu à peu, les langues se délient. Le petit personnel de l’ancien couple présidentiel raconte. Le comportement, les humiliations, l’appât du gain envers et contre tous. Surtout chez Madame L’amour de la fête et la gabegie chez le fils La drog ue aussi. Rien n’est véri fiable, mais l’on veut croi re, au fi n fond des quar tier s, qu’i l n’y a jamais de fumée sans feu. On découv re qu’elle jouissait d’un av ion personnel, probablement la seu le Fi rst Lady au
Au dition de confronta tio n entre Sy lv ia Bo ng o On dim ba et Br ic e La ccru ch e Al i hang a, le 11 octo bre 20 23
Au palais, on persiste et on signe sur le nouveau respect affiché pour les citoyens, même lambda, qui auraient été les grands oubliés d’hier.
Le présid ent de la transi tio n Br ic e Ol igui Ng u e ma pren d un ba in de foul e à Oyem lo rs de la vi si te d’un chantie r.
monde à bénéficier d’une telle largesse, au x frais du cont ribuable En dépiauta nt la dette intérieure, on découv re encore des dizaines de sociétés bidon qu i n’exéc ut aient pa s le s ma rc hé s, ma is dé to ur na ie nt tr an qu ill em en t des sommes colossales au prof it des copains, des compagnons de pillage… Comme le confie un observateur de la place : « C’est terrible de voler autant Pour quoi faire ? Le Gabon est un petit pays, peu peuplé, et dont le sol regorge de richesses. En vola nt juste un peu, ils auraient quand même pu en faire un véritable émirat ! » En attendant, la dette publique globale culminait à plus de 7 000 milliards de FCFA en 2022…
UNE TR ANSITION ENGAGÉE
Si x mois après son accession au pouvoi r, le président de la transition Brice Clotaire Oligui Nguema, installé au Palais du bord de mer, multiplie les audiences, les consultations et les mises en place d’audits Le mot d’ordre est clair : remet tre le pays sur les rails. Il s’appuie sur la Char te de la transition qu’il a mise en place au lendemain de son accession au pouvoir, et qui affiche sept objectif s pr incipaux : la rest auration des instit utions, la refondation de l’État, la préser vation des principes
républicains, le renouveau de la démocratie et de la citoyenneté, le maintien de la cohésion sociale, la consolidation des bases de la démocratie et la promotion du développement et de la prospérité des Gabonaises et des Gabona is. Parmi ses premières actions fortes, il a fait apurer une partie de la dette bilatérale, consentie par le Gabon auprès de la Banque mondiale, la Banque islamique de développement, le Fonds monétaire international et la Banque africaine de développement à hauteur de 47 milliards de FCFA , dès ses trois premiers mois au pouvoi r. Et da ns le même temps, la dette publique du pays a été remboursée à hauteur de 319 milliards de FCFA. Il a aussi diligenté la reprise des chantiers de réfection des routes dans la capitale, qui avaient été stoppés depuis des années, mais sur lesquels le génie civil s’active désormais. Le vaste chantier de la Baie des rois, situé en bord de mer autour de l’ancien port Môle, bat son plein. Cer tains restaurants et des boutiques y ont déjà ouvert, et la croisette toute neuve, ornée de bancs, at ti re le s jeu ne s ou le s fa mi lles le s week-ends. Ils immortalisent leur passage avec les images que leur proposent des « photographes de plage », envoyant le cliché choisi sur leur téléphone. Un
Le 15 févri er 20 24, au pal ais présid enti el , lo rs de la c érémoni e de s igna tu re de l’ach at par l’État g ab on ais de 75 % de s par ts de la so ci été pétrol iè re As sal a, avec Bo b Ma gui re son man ager gé néral
nouveau métier est né… Le complexe géant de loisirs et d’hôtels de luxe attire des investisseurs venus de Dubaï, des Émirats surtout. Au Palais, on espère la Baie des rois achevée d’ici un an Côté social, entre autres nouvelles mesures, on a réinstallé les bourses dans le secondaire pour un montant global de 6 milliards de FCFA Et appliqué la gratuité des frais de scolarité. Le mois dernier, le projet de faire passer l’âge légal de dépa rt à la ret ra ite de 60 à 62 an s était sur la table, ce qui n’est pas pour déplaire aux salariés, dont le montant des retraites est plutôt faible, comme partout en Afrique, et qu’ils souhaitent en généra l prendre le plus ta rd possible. Fin févr ier, la constr uction d’un nouvel hôpital à Port-Gentil était actée, confiée à l’entreprise turque FB Group. Des forages d’eau ont été di ligentés dans les zones où la demande était la plus urgente. De s pa nneaux géants vantant des instit ut ions fortes or nent le bord de mer, où l’on parle de santé et d’école, de bien-être pour les enfants ou les personnes âgées. Témoins de la
volonté du nouveau pouvoir de rompre avec le passé, en se tenant plus près des populations. Olig ui assume à cet ef fet un nouveau st yle, arpentant les régions, se faisant photographier au contact des Gabonais Un peu trop, selon d’anciens barons des hautes sphères : « Il faut faire at tention de ne pas forcer sur l’image populiste dans notre pays Les Gabona is ont besoi n de respec ter la fonction, sinon le président va être débordé. Ici, quand on donne la main, on vous mange le bras. » Nostalgie des méthodes du passé ? Au Palais, on persiste et on signe su r le nouveau respect af fiché pour les citoyens, même la mbda, qui auraient été les grands oubliés d’hier.
« GABON D’ABORD ! »
Ce « respect » des Gabonais, version CTRI, passe aussi par une sorte de remise au goût du jour du vieux slogan lancé pa r Omar Bongo : « Gabon d’abord ! » Par exemple, une attribution prioritaire aux entreprises gabonaises des marchés publics dont le montant est inférieur ou égal à 150 millions de FCFA a été déci-
dée. L’État procède aussi par prises de participation dans des domaines souverains. Il est ainsi entré dans le groupe ag roal imenta ire Ceca-Gadis, da ns le but de surveiller, voire subventionner, les prix des denrées de base. Il a aussi pris des parts dans une nouvelle société en partenariat avec Afrijet pour relancer la my thique compagnie Air Gabon, qui s’appellera Fly Gabon et devrait d’ici quelques semaines lancer son premier vol longue distance vers Johannesburg Av ant de re lier Pa ri s, conc ur rence r Air France en vue de faire baisser les coût s de la dest inat ion, et accessoirement apporter une nouvel le fier té nationale. Enfin, le 15 février dernier, le président Oligui a signé l’achat de 75 % des parts de la société pétrolière Assala Gabon, au cours d’une cérémonie fortement médiatisée. Dans la foulée, la société Vivo Energ y Gabon cédait 30 % de ses pa rt s détenues da ns le capita l de la Société gabonaise d’entreposage de produits pétroliers (SGEPP) à l’État gabonais. Un message fort à destination de la population Comprenez : doréna-
Sur l’un de s si te s de la so ci été d’ex pl oration et de prod u ct io n pétrolière.
Le mot d’ordre est clair : remettre le pays sur les rails, grâce à la Charte de la transition, mise en place au lendemain de son accession au pouvoir.
vant, nos richesses nous reviennent. Peu à peu, autre signe de confiance retrouvée, la diaspora commence à rentrer. Le CTRI lui ouvre les portes Pour exemple, la nomination au poste de commissaire au Plan de Vulgain Andzembe, économiste et financier ayant fait carrière à la Banque de France à Paris.
Si x mois après son arrivée, le président de la transition – dont les or igi nes, à la fois fa ng du Woleu-Ntem par son père et téké du Haut-Ogooué pa r sa mère, lui confèrent une belle assise et hn ique da ns le pays – n’aurait pas fait de faux pas, selon la plupart des Gabonais « Si la présidentielle avait lieu aujourd’hui, il passerait haut la main, à 100 % ! Toutes ses décisions et actions, à ce jour, sont plébiscitées Il surfe sur son image de libérateur. Et
prochain, se tiendra le Dialogue national inclusif (DNI), sous la présidence de l’archevêque de Librev ille. Début juin, le Parlement se transformera en constituante, et fin août, la première mouture d’une nouvelle constitution devrait être prête, à adopter par référendum entre novembre et décembre. Début 2025, débuteront les travaux du nouveau code électoral et la rév ision des listes Et la présidentielle se tiendra en août 2025.
UNE PÉRIODE DE GR ÂCE LONGTEMPS AT TENDUE
Nu l doute que le président de la transition sera candidat Il s’en est aménagé la possibilité.
À ce jour, les Gabonais se demandent bien qui se tiendra en face. Son gouvernement inclusif ayant intégré certains
franchement, un président qui coupe Internet pour une présidentielle et un mil it aire qu i le remet en fa isant un coup d’État, c’est du jamais-v u ! Un très bon signe. Et quoi qu’il se passe dans l’avenir, rien ne pourra être pire que les dern ières années Bongo », commente un haut cadre ca merounais, in stal lé au Gabon depuis deux décenn ies. Et à propos d’aven ir, le chronog ra mme politique a été lancé. Du 1er au 30 av ril
des poids lourds potentiels qui auraient pu êt re ca ndidats, comme l’opposa nt historique Alexandre Barro Chambrier, nommé vice-Premier minist re en janvier dern ier. Et les minist res, même pour un jour, n’auront pas le droit de se présenter…
Pour l’heure, personne ne se pose encore la question du déroulé du scrutin de 2025. Les Gabonais savourent la page qui vient de se tour ner, scrutent
chaque déplacement ou intervention du nouveau président, chaque nomination, chaque action, en mesurant avec satisfaction le chemin parcouru en si peu de temps. Une période de grâce, comme il est coutume de le dire. À Librev ille, on at tend aussi des petites améliorations du quotidien, comme l’allègement des emboutei llages, où l’on peut pa sser jusqu’à trois heures sur le boulevard du Bord de mer pour traverser la ville aux heures de pointe. Ou encore la levée – prom ise bie ntôt – du couv re -feu, même repoussé à minuit, qui proscr it les soirées en boîtes de nuit (bien que certain s s’y en ferment jusqu’au petit matin, af in d’échapper à la restriction de circuler) et handicape pas ma l les fi ns de soirées au rest au ra nt ga st ro Idiora, dans l’ancien complexe Majestic,
Parmi les premières actions fortes, une partie de la dette bilatérale a été apurée.
Le
adresse gourmet et branchée, favorite de la jet-set loca le, ou encore au ba r et au restaurant le Lokua, haut lieu de rencontre nocturne où l’on aime refaire le monde, un verre de whisky rare à la ma in. Comme s’enorguei ll ir des performances de l’internat iona l de foot Pierre-Emerick Aubameyang, qui vient de battre le record de buts de la ligue Europa, par exemple. Des soirées à la mode Librev ille, quoi ! ■
L’hôte l par ti cul ie r à l’oc casion d’un e so irée organ isé e po ur fête r le s 90 ans du maga zi ne Vogu e.
Pozzo di Borgo, le palais parisien de toutes les convoitises
L’histoire rocambolesque de la luxueuse résidence, située dans le quartier chic du VIIe arrondissement à Paris – au 49-51, rue de l’Université –, n’en finit pas de faire couler de l’encre depuis plus d’une décennie L’hôtel particulier Pozzo di Borgo, édifié en 1706 par l’architecte Pierre Cailleteau, fut d’abord appelé hôtel de Maisons, puis hôtel de Soyecourt, du nom de ses propriétaires successifs. Jusqu’à la famille Pozzo di Borgo, qui prend possession du joyau dès le XIXe siècle. L’hôtel particulier et ses 1 000 mètres carrés de style néoclassique, son portail géant, sa cour pavée et son parc cerné d’un bosquet est classé aux monuments historiques depuis 1926 Il fut aussi la demeure du couturier Karl Lagerfeld, logé à l’adresse prestigieuse par la maison Chanel durant de longues années. Moins d’un an après son accession au pouvoir, en 2010, le président Ali Bongo Ondimba décide de faire acquérir par l’État le Pozzo di Borgo pour environ 100 millions d’euros. À l’époque, un communiqué annonce : « Il s’agit d’un placement immobilier pour la République gabonaise […] qui permettra de réduire les frais d’hébergement des officiels gabonais en mission en France » Les années passent, et le Pozzo di Borgo, en attente de travaux et régulièrement
menacé de saisie par les créanciers du pays qui s’accumulent, n’hébergera finalement personne. Dans l’entourage du CTRI, on assure aujourd’hui que, de mémoire de Gabonais, jamais aucun officiel n’a séjourné dans l’hôtel particulier. On murmure aussi que le joyau architectural parisien était destiné, à terme, à glisser dans le giron privé du couple présidentiel. Symbole aujourd’hui de la folie des grandeurs du passé, le Pozzo di Borgo est à vendre. Le président Brice Clotaire Oligui Nguema entend faire ici un exemple du rapatriement de l’argent gaspillé par ses prédécesseurs. Et l’affaire immobilière s’annonce juteuse. On parle d’un prix de vente espéré de 400 millions d’euros. Car après l’achat, la Première dame Sylvia Bongo aurait réalisé des travaux onéreux pour mettre les lieux à son goût On parle d’un montant de 200 millions d’euros. Trois acheteurs prestigieux auraient déjà manifesté leur intérêt: le milliardaire français Bernard Arnault, PDG du groupe de luxe LVMH, Xavier Niel, fondateur de Free, et le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (MBS). On parle aussi de l’ex-Premier ministre du Qatar, Hamad Ben Jassem Ben Jabr al-Thani, déjà acquéreur d’un bien immobilier à moins d’une centaine de mètres Bref, une vente qui s’annonce comme l’événement 2024 sur le marché de l’ultra-luxe ■ E.P.
inte rv iew
HAMZA MEDDEB
Une fracture entre les peuples et les pouvoirs
PPour la Tunisie, l’année 2024 sera celle de l’élection présidentielle. Et d’un premier bilan pour Kaïs Saïed. Une échéance majeure pour un pays aux prises avec une multicrise sociale et économique. Et confronté à un contexte régional tendu. Entretien avec un politologue engagé. Propos recueillis par Fr ida Da hm an i
olitologue et chercheur auprès du think tank Carnegie Middle East Center, Hamza Meddeb porte un regard critique sur le contexte d’une année élec tora le décisive en Tu nisie, de l’in fluence régionale de l’Algérie sur un Maghreb déchiré, ainsi que d’un Moyen-Orient mis à l’épreuve par la déflagration démesurée du conf lit à Gaza. Un tour d’ horizon qui éclaire sur la fragilité d’un pouvoir, la précarité des équilibres locaux et régionaux, et les difficultés à envisager l’avenir
AM : Que se passe-t- il en Tunisie ?
Ham za Meddeb : Tous les acteurs politiques, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition, mais aussi les bailleurs de fonds et les partenaires internationaux, sont très attentifs à ce moment clé. 2024 est une année électorale, celle de la présidentielle – élection qui est la clé de voûte d’un système politique hy per-présidentialiste mis en place par la constitution de 2022, qui donne au chef de l’État les pouvoirs les plus larges. Ce scrutin est essentiel pour le président candidat, car toutes DR
Tu nis , le 15 octo bre 20 22 L’o pp os it io n, incarn ée pa r le Front de sa lut nationa l, man ifeste contre le s me su re s pol iti qu es d u gouve rn em ent Saï ed
les échéances électorales organisées depuis 2021 – consultations populaires, référendums, deux tours d’élections législatives et élections locales – ne sont pas parvenues à mobiliser la population et n’ont pas permis de débattre des enjeux cruciaux pour le pays Ces rendez-vous, qui devaient marquer un important virage politique, ont été des non-événements. C’est- à- dire ?
Le peuple, qu’on invoque et convoque, est absent Le président s’en veut le porte-voix, le représentant, et agit en son nom. Mais par fatigue, démobilisation, lassit ude ou désenchantement, il fait défection au x rendez-vous qui devaient conférer une légitimité au président. Résultat : le bien-fondé du processus de refondation instauré par la volonté de Kaïs Saïed est fragilisé. Et l’opposition est mise à l’écart. Cette démarche « pour le peuple sans le peuple » est un véritable paradoxe dans ce système
Est- ce un moment charnière pour le pays ?
C’est un test pour Kaïs Saïed lui-même, qui revendique d’êt re délégué par le peuple pour refonder la République. En amont, les conditions de cette élection présidentielle sont un gros point d’interrogation, notamment quant à la loi électorale et l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE). C’est inédit ! Pour chaque scrutin, depuis 2011, les choses étaient claires. Beaucoup soutiennent que l’ISIE actuelle, dont les membres sont nommés par le président, ne peut pas être à la fois juge et partie. Enfin, cette élection a été fixée sous le régime de la constitution de 2014, qui a été abrogée et remplacée en 2022 Cela induit un nécessaire amendement de la loi électorale. Kaïs Saïed aurait sans doute dû renouveler sa légitimité immédiatement après l’adoption de la nouvelle constitution, mais il demeure le seul à décider de tout.
Kaïs Saïed peut-il compter sur un plébiscite, comme en 2019 ? Où en est sa popularité ?
Il cult ive l’ambivalence d’un populisme sans le peuple. Chaque fois qu’il en appelle aux citoyens, ces derniers lui font défaut Comme si, d’une certaine manière, il n’était plus nécessaire pour la population de se rendre aux urnes pour exprimer son soutien au projet du président… Cet argument est insuffisant Kaïs Saïed va se remettre en jeu en réclamant les suffrages, et si les Tunisiens lui font faux bond à la présidentielle, ce sera déstabilisant. Il n’y a plus vraiment de sondages, mais ceux qui circulent prévoient à tout le moins une nouvelle abstention record…
Est- il déjà en campagne électorale ?
Absolument Le président s’est d’ailleurs lancé bien trop tôt, en engageant les hostilités contre les potentiels candidats. Saïed est dans une situation d’inconfort, bien conscient de la fragilité de son pouvoir, mais aussi de l’incapacité gouvernementale à répondre à la multiplicité des crises économiques et sociales qui minent le pays. Cela le pousse à criminaliser tout potentiel adversaire, à empêcher d’autres candidats crédibles.
« Le chef de l’État s’appuie sur une adhésion passive, mais pour se faire réélire, il doit mobiliser. Or, il n’a rien à distribuer. »
Pourquoi cette tension ?
Le président a su dans un premier temps agréger les rejets, aussi bien de ceux qui en ont après les islamistes d’Ennahdha que de ceux qui s’élèvent contre l’opportunisme et la corruption qui entravent le processus de démocratisation, ou encore de ceux qui ne suppor tent plus la cr ise économique et son accent uation. Ce moment est terminé. Il faut proposer des solutions. Et depuis 2021, le président détient les pleins pouvoirs et de larges prérogatives. Il doit aussi présenter un bilan. Saïed, jusqu’à présent, est un phénomène émotionnel qui s’appuie sur une adhésion passive, mais pour se faire réélire, il doit mobiliser. Or, il n’a rien à distribuer : ni pouvoir d’achat, ni emploi, ni croissance ou richesse. Mais il devra bien satisfaire une forme de clientélisme destiné au moins à ses bases. Le projet présidentiel prévoit pourtant une plus large redistribution.
La conciliation pénale, les entreprises communautaires et les conseils locaux sont les sommets du système triangulaire de Saïed, censé injecter les ressources vers la base. Mais les financements imaginés, notamment avec des entrées importantes assurées par la conciliation pénale, ne donnent pas les résultats escomptés. Les terres propriétés de l’État représentent la dernière ressource potentiellement dist ribuable. Un point sensible pour un pays qui n’a pas assuré sa sécurité alimentaire et qui a un problème hydrique conséquent. Le pays n’a réalisé que 0,4 % de croissance en 2023…
La Tunisie ne produit pas de richesses et s’appauv rit. Tous les moteurs de croissance sont en panne et des ressorts se sont cassés. Rien n’a été entrepris pour améliorer le cadre de la compétitivité et assurer une relance. Pour Saïed, la corruption est une question morale, mais il ne l’accompagne pas d’une réelle réforme sur la régulation de l’économie La campagne
Un ma rc hé ouver t de Ka irou an , le 6 ao ût 20 22 anti-hommes d’affaires et élites tourne à l’épuration économique, sans même remplacer la classe actuelle par une autre, et conduit à une paralysie de l’investissement et de la prise de décision. Comment redistribuer ? Quel impôt veut-on prélever quand le pays fait 0,4 % de croissance, que le chômage affiche 16,4 %, que l’analphabétisme est à 19 % et que le serv ice de la dette est le premier poste dans le budget de l’État ?
Qui peut-on imaginer en face pour la présidentielle ?
Dans le contexte actuel, ce n’est pas év ident. Il faudra du courage pour y aller. Certains vont annoncer leurs intentions, d’autres vont temporiser. Mais il ne faudra pas sortir du bois trop tôt, au risque d’essuyer les foudres du pouvoir. De toute év idence, la participation sera conditionnée par le cadre électoral. Une partie de l’opposition a annoncé ne pas être candidate Attendons de voir La Tunisie est entrée dans un temps électoral, mais sans règles claires.
Est- ce la fin du processus démocratique ?
Il ne faut pas enterrer la démocratie Saïed a démantelé le système post-révolutionnaire, sans pour autant parvenir à mettre en place des dispositifs efficients de gouvernance. Et sur le temps long, bien avant 2011, la Tunisie reste un
pays précurseur. Elle a créé la Ligue tunisienne des droits de l’Homme dans les années 1970. La gauche tunisienne et les cercles sy ndicaux ont œuvré à la question des droits économiques et sociaux. Puis à la tentative d’ouverture dans les années 1980, a succédé l’autoritarisme de Ben Ali, suivi de la révolution de 2011 Cont rairement à l’Ég ypte, le pays a connu dix ans d’ouverture. Cela laisse des traces. Ces flux et ref lux, ainsi que les élans pluralistes de la politique et de la société civile vers plus de libertés marquent le tempo du pays L’étape actuelle, cette tentation de « remettre de l’ordre », est une remise en question de cette force historique. C’est un pari particulièrement risqué À quoi aspire la Tunisie ?
Fondamentalement, à un projet qui puisse la faire entrer dans le XXIe siècle À de l’ouverture, de la transformation et de la modernisation économique, mais aussi à de la justice sociale et de la liberté. On a toujours priv ilégié l’un ou l’autre des aspects au détriment des autres Et pourtant, le sacrifice de l’un par rapport à l’autre engendre des crises. L’enjeu est de rendre possible ce qui est nécessaire, selon la célèbre réplique du socialiste français Michel Rocard
L’Algérie est-elle devenue la principale alliée du pays ?
L’Algérie ne perd pas de vue la Tunisie, qu’elle considère comme turbulente, mais à laquelle elle prête régulièrement main-forte de manière discrète, notamment avec des soutiens financiers, mais aussi avec la fourniture de biens de première nécessité. Le lien est tel qu’on dit à Alger que « le seul succès de Tebboune est la Tunisie », parce qu’il a su créer une dépendance. Mais l’Algérie, comparativement, ne va pas beaucoup mieux. Elle connaît aussi des pénuries, et le système emploie les mêmes approches accusatrices quant à la spéculation et au monde des affaires. Le pouvoir a jugulé le Hirak, soulèvement populaire de 2019, et bénéficie de la hausse du prix du gaz. Mais le pays ne peut augmenter sa capacité de production Qu ’en est- il du lien avec le Maghreb ?
Le Maghreb est marginalisé, déchiré. Il ne sait ni s’intégrer ni dépasser ses divisions dans un contexte de mondialisation L’Algérie cherche à vivre de sa rente, la Tunisie manque réellement de projet et le Maroc pratique une insularité active. Le projet global est plombé par le conf lit algéro-marocain Dans un contexte de rivalités, Alger a réussi à faire dévier Tunis de sa position de neutralité dans le conf lit sur le Sahara occidental. Mais l’Algérie s’isole de ses voisins, les seuls accès frontaliers terrestres ouverts sont ceux avec la Tunisie. Le Maroc, quant à lui, s’est ancré en Afrique et s’est engagé sur la voie complexe des accords d’Abraham et de la normalisation avec Israël.
Avec l’Europe, il est question de migrations, de mémorandums, de bon voisinage… Où en sont réellement les relations entre Tunis et Bruxelles ?
Elles sont le ref let des atermoiements internationaux du pouvoir tunisien, qui, sans ligne directrice, devient indécis. Sans proposer d’alternative, Saïed a adopté la st ratégie du non : il a dit non au Fonds monétaire internat ional (FMI), non à un accord avec l’Union européenne (UE), a été souvent absent des réunions des Nations unies, de l’Union africaine et des pays arabes, et a enjoint les Tunisiens à ne compter que sur eux-mêmes. Le traitement des migrants africains n’a pas ar rangé les choses. Et pour tant, la géopolitique compte, et Saïed et son gouvernement ont marginalisé le pays – désormais isolé. Il n’y a pas de plan B, comme l’a souligné le FMI, qui a suggéré à la nation d’émettre des contre-propositions, de préciser ses besoins, à la lumière d’un projet de réformes crédible, et de s’y engager à l’appui d’une planification Il semble que Kaïs Saïed attende un appui européen conséquent, en utilisant la question migratoire comme argument. Avant octobre 2023 et la guerre de Gaza, la communauté internationale, dont le FMI, était très attentive à la Tunisie, qui, de facto, était un territoire de transit migratoire et où les réformes devenaient de plus en plus douloureuses socialement. Au déclenchement de la guerre, l’attention internationale s’est totalement tournée vers le Moyen-Orient, où les enjeux sont autrement plus importants pour un Occident qui a lui-même des échéances
« Gaza, c’est un peu l’idée de ce qui pourrait arriver de “pire”, et ce “pire”, il n’est plus besoin de l’imaginer. Il ex iste. »
électorales, avec les élections européennes et celle, encore plus importante, du scrutin présidentiel américain. Avec une situation qui se détériore de jour en jour, comme en témoigne le récent financement de l’État par la Banque centrale de Tunisie (BCT), le pays peine à attirer l’attention de ses partenaires et semble avoir perdu son capital sy mpathie.
Tous les regards sont tournés vers Ga za.
Quels rappor ts avec l’Occident, à l’aune de cette tragédie palestinienne ?
La fracture avec le monde occidental est béante L’Occident, qui a été pendant des décennies le porte-parole de la défense des droits de l’Homme et du multilatéralisme, a désavoué ses valeurs en soutenant inconditionnellement l’offensive israélienne et en négligeant son terrible coût humain. Il a aussi montré son incapacité à imposer un cessez-le-feu et à protéger les populations civiles. Gaza, au-delà des rapports de force, ma rque un changement systémique. Aujourd’ hui, deva nt la Cour internationale de justice, ce sont des pays du Sud, l’Afrique du Sud et le Brésil, qui représentent ces valeurs Sans compter la fracture entre les élites dirigeantes et les peuples des pays occidentaux, émanant de divergences profondes sur la question palestinienne La situation tend une sorte de miroir à l’Occident, qui pratique le « deux poids, deux mesures » et fait dans l’indignation sélective. De quoi exacerber le sentiment anti-Occidental Ce qu’il se passe est trop important pour faire l’impasse sur l’ignominie des faits.
Qu ’en est- il de la solution à deux États en Palestine ?
La solution de deux États, comme l’envisagent les ÉtatsUnis pour l’après-conf lit, est morte bien avant octobre 2023. Avec la droitisation du champ politique israélien, la montée des extrémismes, l’échec des accords d’Oslo, la poursuite de
l’occupation de la Cisjordanie et une forme de vassalisation d’une autorité palestinienne controversée et faible. Les élites israéliennes sont plus enclines à éradiquer Gaza, objectivement devenu un territoire invivable, que d’envisager même de loin une solution à deux États. Israël a basculé en même temps que la radicalisation du conf lit. La guerre a fait plus de 30 000 victimes civiles, mais elle est également régionale. C’est- à- dire ?
L’épicentre est Gaza, mais les effets se ressentent aussi au Moyen-Orient, où s’est installé un conf lit de basse intensité. Les Houthis en mer Rouge et la disr uption massive du trafic maritime, les opérations militaires et les assassinats politiques menés en Sy rie, au Liban, les frappes en Irak Tout cela indique que le périmètre dépasse largement Gaza. La scène, au-delà de la cause palestinienne et d’un peuple sous occupation, inclut un Iran sous embargo depuis des décennies par la volonté américaine. Et ce qui se joue aujourd’hui aussi, c’est la présence américaine dans la région. Les États-Unis ont été les maîtres des horloges au Moyen-Orient pendant un demi-siècle. Washington a exprimé sa volonté de se focaliser sur l’Asie et semé le trouble chez ses partenaires régionaux, parmi lesquels l’Arabie saoudite, à qui un accord de défense
a longtemps été refusé. Djeddah a déplacé les curseurs avec la création de l’OPEP+, incluant la Russie, et une pression sur les prix du pétrole. Les enjeux énergétiques sont extrêmement importants face à une Russie qui veut étouffer l’Union européenne en contrôlant les voies de transport de l’énergie. Le test pour les Américains réside aussi dans leur capacité à défendre leur plus proche allié, Israël On voit bien que tout est lié… La situation à Gaza a- t- elle une incidence sur le monde arabe ?
Là aussi, la fracture entre les peuples et les régimes ne cesse de s’aggraver. Les États arabes sont largement impuissants. Soit parce qu’ils sont liés par leur partenariat sécuritaire et diplomatique, soit parce qu’ils sont trop faibles économiquement, étranglés par les dettes, trop dépendants de l’Occident. Quand il s’agit de la cause palestinienne, les gouvernements sont opport un istes. Ils font de la politique, alors que les peuples sont dans l’émotionnel et attachés à cette cause, qui mobilise peut-être moins la rue arabe, mais qui reste centrale. Gaza, c’est un peu l’idée de ce qui pourrait arriver de « pire », et ce « pire », il n’est plus besoin de l’imaginer. Il existe. Il pourrait « nous tomber dessus ». Pris entre tant d’impasses et d’anxiétés, le monde arabe est comme figé ■
en je ux
UNE ALLIANCE À HAUT RISQUE
En levant la plupart des sanctions contre les juntes, la Cedeao acte son impuissance face à l’Alliance des États du Sahel (AES), elle-même décidée à quitter l’organisation régionale. Les régimes militaires du Niger, du Mali et du Burkina Faso imposent leur agenda, en multipliant les déclamations souverainistes… par Cé dric Go uver ne ur
Trois se ma ines Il n’a fa llu q ue trois semaines après l’annonce, le 28 ja nv ier, de l’Al liance des État s du Sa hel (A ES) de sa décision de qu it te r la Commun auté éc on omique de s Ét at s de l’Af rique de l’Ouest (Cedeao) pour que celle- ci cède. La Cedeao, réunie en sommet extraordinaire le 24 février à Abuja (Nigeria), a levé l’embargo contre le Niger, puis dans la foulée les ultimes sanctions contre le Mali et même la Guinée – pays qui n’est pas membre de l’AES, mais qui est aussi dirigé depuis 2021 par un militaire putschiste, le général Mamadi Doumbouya. En toute logique, la levée des sanctions contre le Burk ina Faso ne saurait tarder. La Cedeao, divisée entre les tenants d’une ligne intransigeante et les adeptes du pragma-
Ci -d es su s, le gé né ra l Ab dourah am an e Tian i, présid ent de la transiti on du Nig er et présid ent du CN SP Le capi ta in e Ibrahim Traoré, présid ent de la transi tio n burkinab è, ci -c ontre.
tisme, a donc perdu son bras de fer contre les juntes Le rapport de force a basculé en faveur des putschistes. Les hommes forts en battle-dress donnent le ry thme, la Communauté a perdu l’initiative et ne fait que réagir à un agenda qui lui est imposé. Le grand gagnant est sans conteste le général nigérien Abdourahamane Tiani, auteur du coup d’État du 26 juillet, qui emporte une triple victoire : à la fois contre la Cedeao, le Fonds monétaire international (FMI) et la France, ancienne puissance coloniale vilipendée. Le président de la transition nigérien n’a même pas eu à concéder, au préalable, de mettre un terme à la séquestration de son infortuné prédécesseur, le président élu Mohamed Bazoum. Selon un proche du chef d’État déchu, « le président du Togo, Faure Gnassingbé, était à Niamey dimanche 25 février. Il aurait demandé aux autres chefs d’État de la Cedeao, d’abord, la levée des sanctions, et de lui faire confiance quant à la libération du président et de son épouse. On verra bien… ».
DEUX POIDS, DEUX MESURES
Au sein de la Cedeao, le Togo de Gnassingbé fait partie du camp que l’on pour rait qualif ier de « prag matique » : le pays côtier a remplacé le Bénin, qui s’était quant à lui montré intransigeant dans l’application du blocus et qui en a payé le prix, explique l’économiste Oliv ier Vallée [lire notre interview pages suivantes] Dès son retour d’Abuja, le président béninois Patrice Talon a fait rouv rir le poste-frontière de Malanv ille. Mais de l’autre côté du fleuve éponyme, le Niger s’est offert le luxe de le maintenir clos, afin de montrer qui est le patron
Les juntes sahéliennes ont su jouer des intérêts divergents de leurs adversaires pour mieux contourner leurs sanctions et les rendre inopérantes. En témoigne la réunion qui s’est tenue à Niamey le 17 février entre les ministres de l’Énergie de l’AES avec ceux du Togo et du Tchad, où les cinq États ont annoncé le « renforcement de leur coopération énergétique », aussi bien fossile que renouvelable, et l’interconnexion de leurs réseaux électriques. Après le coup d’État du 26 juillet, le Nigeria de Bola Tinubu, dont les centrales fournissent 70 % de l’électricité à son voisin du nord, avait espéré faire plier les putschistes en suspendant sa fourniture énergétique, obligeant la Société nigérienne d’électricité à rationner le courant. L’AES a habilement choisi ses deux nouveaux partenaires : le Togo, membre de la Cedeao, a fermé les yeux sur le transit des marchandises destinées au Niger. Le Tchad, pays enclavé et excentré de la Communauté économique et monétaire d’Af rique cent ra le (Cemac), se tour ne logiquement davantage vers son voisin nigérien que vers le Soudan, en pleine guerre civile. Dans la foulée, le Niger a signé, le 17 février, un protocole d’accord afin d’exporter le gasoil de sa raffinerie de Zinder, construite dans les années 2010 par la Chine, vers le Mali, le Burk ina Faso et, de nouveau, le Tchad. Le Niger affiche sa détermination à ne plus dépendre de son voisin du sud, le Nigeria.
« Le s sa nc tion s ét aient vécues comme une inju st ice, explique le dirigeant d’une société d’import-export, qui travaille en Afrique de l’Ouest et préfère garder l’anonymat. Elles ont impacté les populations, les Nigériens ne pouvaient plus lever de fonds sur les marchés africains, et ne pouvaient plus acheter à des entreprises européennes. Les marchandises sont plus chères. Les Nigériens sont en colère contre la Cedeao : ils lui demandent de s’occuper d’intégration économique, et non pas de politique. » Le traitement réservé aux putschistes est d’autant plus mal compris par les Nigériens que plusieurs autres pays de la Cedeao, pourtant dirigés par des gouvernements élus, sont perçus comme peu démocratiques. En résulte l’impression d’un « deux poids, deux mesures », qui sera it davantage corrélé au x relat ions qu’entretiennent les chefs d’État africains avec les Occidentaux qu’au strict respect des institutions Les trois régimes militaires sahéliens ne cachant
Le f ra nc CFA, l’un des enjeu x de la ruptu re
« Les régimes sahéliens ne cachant pas leur proximité avec la Russie, leur retrait de la Cedeao pourrait annoncer un regain de rivalités. »
pas leur proximité sécuritaire avec la Russie – mais aussi l’Iran et la Turquie –, leur retrait de la Cedeao pourrait annoncer un regain de rivalités en Afrique de l’Ouest entre Occidentaux et régimes autoritaires, à couteaux tirés depuis l’invasion de l’Uk raine il y a deux ans… « S’il y avait des élections libres demain, je suis persuadé que les putschistes seraient élus, poursuit le chef d’entreprise. Ils sont populaires, notamment chez les jeunes, qui ont le sentiment de ne pas être sortis de la colonisation. Lorsque, après le putsch du 26 juillet, Macron a évoqué l’idée d’une intervention militaire contre le Niger, il a commis une lourde faute politique. Les jeunes sont fâchés et hy perconnectés : des fake news, relayées sur les réseaux sociaux, accusent la France de tout et n’importe quoi, y compris d’armer les terroristes ! Paris est perçu comme responsable de tous les maux. Les juntes entretiennent le phénomène en attribuant leurs pertes militaires à des “agents extérieurs” La France était pourtant bien vue il y a encore une quinzaine d’années : le retournement de situation a été rapide. » Les trois présidents de la transition exploitent à fond ce ressentiment. « La France nous a spoliés pendant 107 ans, et elle doit nous payer cash les dettes », a ainsi déclaré le général Tiani le 13 février à la télévision nationale. Le capitaine burk inabè Ibrahim Traoré cite quant à lui abondamment son illustre prédécesseur, le capitaine Thomas Sankara (19831987), icône panafricaniste révolutionnaire, véritable « Che af ricain » populaire sur l’ensemble du continent. Mi-fév rier, au palais des sports de Ouaga 2000, le président de la transition, devant une foule de supporters du régime (les « comités de veille citoyenne »), a minimisé l’importance de la Cedeao pour l’économie burk inabè. Le putschiste ne cache plus son autoritarisme : il a profité de ce meeting pour suggérer une
Le pa lais présid enti
Les différents chefs d’État membres de la Cedeao, le 24 février 2024, après la session ex traordinaire de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, au Nigeria, à Abuja
« rév ision de la Charte de la transition » (péniblement concédée à la Cedeao), puis ajouter une menace directe envers les opposants, précisant qu’il « n’y aurait plus de sentiment pour ceux qui trahiraient le Burk ina Faso au prof it de l’impérialisme »… Quant au président de la transition malien, le colonel Assimi Goïta, il n’a pas hésité à s’afficher début novembre aux côtés de Kemi Seba, militant panafricaniste béninois controversé, habitué des déclarations choc et des provocations.
Plus étonnant, les juntes reçoivent le soutien de certains salafistes, tout au moins ceux qui n’ont pas sombré dans le djihadisme : les fondamentalistes musulmans sont présents dans les manifestations de soutien aux militaires, qu’ils décrivent comme des « libérateurs », garants d’un certain ordre moral traditionnel que chercherait à dévoyer l’influence occidentale « décadente ». Début février, à la grande mosquée de Niamey, le cheikh Djibril Soumaila Karanta, président de l’Association islamique du Niger, a même organisé une « prière de soutien » à la décision de quitter la Cedeao. Au Burk ina, les salafistes ont approuvé le putsch d’Ibrahim Traoré, premier président musulman depuis 1982 dans ce pays qui l’est pourtant aux deux tiers. Au Ma li, cependant, les fondamenta listes ont déchanté devant la nouvelle constitution, qui réaffirme, pour le moment, le caractère laïc de l’État…
LE « SAHEL » POUR REMPLACER LE CFA
Dans ce contexte de polarisation et de rupture, c’est assez logiquement que les dirigeants de l’Alliance sahélienne font part de leur volonté de sortir du franc CFA : « Il n’est plus question que nos États soient la vache à lait de la France, a déclaré le 11 févr ier à la télévision nigérienne le général Tiani. La monnaie est un signe de souveraineté, et nous sommes enga-
Le président nig ér ie n déchu, Mo ham ed B azou m.
gés dans un processus de recouvrement de notre souveraineté totale » Les nouveaux hommes forts du Sahel se gardent bien, néanmoins, d’annoncer le moindre calendrier, Tiani se bornant de déclarer qu’« au moment opportun, nous déciderons ». La nouvelle monnaie devrait porter le nom de « sahel », et ses billets pourraient même présenter les effigies du trio de putschistes. En 1962, le Mali de Modibo Keita était, de la même façon, sorti de la zone CFA et avait créé le franc malien, qui avait circulé jusqu’en 1984. Le président panafricaniste malien avait, lui aussi, voulu manifester sa volonté de rupture avec l’ancienne puissance coloniale en se débarrassant d’une monnaie commune assimilée, depuis les indépendances, à la « Françafrique ». Non sans quelque raison : certes, Paris ne siège plus dans les instances de la Banque centrale d’Afrique de l’Ouest et n’impose plus aux États de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) l’humiliation de déposer la moitié de leurs réserves de change auprès du Trésor français… Mais Paris demeure le garant financier, conser vant une parité fixe entre le CFA et l’euro et apportant une garantie de convertibilité. Ces caractéristiques du CFA constituent-elles des atouts pour les pays utilisateurs ? Tel est le sempiternel débat entre économistes af ricains pro et anti-CFA , les premiers déplorant une monnaie artificiellement surévaluée, les
seconds pointant la stabilité de la zone CFA comparée aux plongeons du naira nigérian ou du cedi ghanéen.
À moyen terme, le « franc de la communauté fi na ncière af ricaine » est de toute façon voué à disparaître : le 21 décembre 2019, l’Élysée, l’UEMOA et la Cemac ont signé son acte de décès et annoncé son remplacement par l’éco, une monnaie commune qui, tout en conser vant la centralisation des réserves, retirera sa tutelle à l’ancienne puissance coloniale. Mais la mise en place de l’éco, annoncée pour 2027, tarde… Pour ces juntes sahéliennes au credo anti-impérialiste revendiqué, il est sy mboliquement insupportable d’user comme monnaie un franc CFA ayant conser vé son infamant sigle, qui signifiait à l’origine « franc des colonies françaises d’Afrique »… Souverainistes et panafricains applaudissent ce projet monétaire : l’un d’eux, l’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla, coauteur d’un réquisitoire contre le CFA (L’Arme invi sible de la Françafrique, La Découverte, 2017), a déclaré le 13 février sur Radio France internationale (R FI) que « la monnaie de l’AES est crédible et souhaitable ». « Moins de 7 % de la population mondiale vit dans une union monétaire », calcule-t-il. Le CFA impose « un déficit de financement et une surévaluation du taux de change, rendant les exportations de l’UEMOA moins compétitives ». De toute façon, la pertinence de la Cedeao est en passe de s’effacer devant le nouvel échelon de l’intégration économique, la Zone de libre-échange continentale af ricaine (ZLECA f) : « Les États sa héliens peuvent obtenir de la ZL EC Af la clause de la nation la plus favorisée, poursuit-il. Nous importons et exportons en dehors de la Cedeao ; le commerce intra-Cedeao est très faible. » Le président de la transition burk inabè affirmait, quant à lui, mi-février qu’« il y a moins de 5 % d’échanges économiques entre les États de la Cedeao, parce que tout ce que nous faisons venir vient de l’espace hors de la Cedeao, et tout ce que nous exportons part en dehors ». Des affirmations que les chiffres offi-
Au poste- fronti ère de Ma lanvil le, entre le Bé ni n et le Niger, en 20 23, au lendemain de la fin de s sa nctio ns
«Pour ces juntes sahéliennes au credo antiimpérialiste revendiqué, il est insupportable d’user d’un franc CFA ayant conser vé son infamant sigle.»
ciels amènent à relativiser : le Niger a pour principaux clients la France (33,2 % des exportations, en particulier l’uranium), mais aussi le Mali (18,7 %) et le Nigeria (16 %). Ses principaux fournisseurs sont la Chine (23,9 %), la France (21 %) et l’Inde (10 %). Le Burk ina Faso a pour clients la Suisse (67,5 % des exportations, év idemment aurifères), le Mali (11,2 %) et la Côte d’Ivoire (4,8 %) Parmi ses principaux fournisseurs, on trouve la Chine (13,9 %), la France (8 %) et la Russie (5,9 %). Quant au Mali, il a pour premier partenaire commercial la Côte d’Ivoire (8,9 %) L’éventuelle nouvelle monnaie sahélienne pourrait, à défaut de réserves de change importantes, s’adosser sur une ressource solide, sûre, et indétrônable : l’or, dont le Mali comme le Burk ina Faso sont des producteurs relati-
vement importants, avec respectivement 79,6 et 57,6 tonnes extraites en 2022 Éternelle valeur refuge, imperméable aux modes et incarnation de la richesse depuis l’Antiquité, le métal jaune a vu son cours grimper sans discontinuer depuis la crise financière de septembre 2008 Le 20 février, le Burkina Faso a d’ailleurs suspendu l’exportation de la production ar tisanale de l’or – soit environ une dizaine de tonnes annuelles –, afin d’améliorer les recettes publiques : le pays avait connu une baisse sensible de sa production entre 2021 et 2022.
Désormais, tout l’or extrait du sous-sol burkinabè devra être vendu à la Société nationale des substances précieuses (SNSP).
Fin 2023, Ouagadougou a annoncé la construction d’une raffinerie, qui devrait être opérationnelle à la fin de l’année, avec une capacité de 150 tonnes par an. Les terres rares du Mali, de même que le pétrole et l’uranium du Niger, pourraient constituer d’autres garants de cette potentielle monnaie sahélienne, et rassurer les éventuels créanciers. Toutefois, « mes clients sahéliens ne croient pas à cette monnaie commune », tempère notre interlocuteur négociant déjà cité « Cela leur rappelle l’éco, annoncé il y a des années pour remplacer le franc CFA, mais qu’on attend toujours… » Les doutes sont en effet permis. Pour des raisons juridiques, tout d’abord : afin de lancer leur monnaie commune, les trois États de l’AES devraient dans un premier temps s’extirper de l’Union économique et monétaire ouest-af ricaine (U EMOA), ce qu’ils se sont bien gardés de faire jusqu’à présent. L’Union permet, en effet, la libre circulation des biens et des marchandises. Continuer à en faire partie limite donc les impacts économiques et sociaux de la sor tie annoncée de la Cedeao… Nonobstant le risque de « perdre la face » devant des régimes militaires intransigeants qui ont si peu concédé à la Cedeao, difficile d’imaginer les cinq États subsistants de l’UEMOA (Sénégal, Guinée-Bissau, Côte d’Ivoire, Bénin et Togo) accepter une telle amputation de la zone CFA ouest-africaine, tout en laissant les trois trublions continuer à bénéficier de ses avantages douaniers. D’autant plus que le siège de l’UEMOA se trouve à Ouagadougou.
pays sahéliens cumulent 29 % du PIB de l’UEMOA, contre 40 % pour la Côte d’Ivoire et 16 % pour le Sénégal. Mais l’agence n’y croit pas : le coût dépasserait largement les bénéfices, du fait des contingences de « l’introduction d’une nouvelle monnaie, avec ses implications économiques, financières et opérationnelles » dans des États sahéliens confrontés à d’autres urgences, notamment sécuritaires. La nouvelle devise serait « beaucoup plus faible que le franc CFA » et la situation « déclencherait presque certainement un défaut de paiement sur la dette ».
À l’appui de sa démonstration, Standard & Poor’s cite le seul exemple de départ définitif des deux organisations : la Mauritanie a quitté la Cedeao en 2000, avec « un impact relativement limité », contrairement à son renoncement au franc CFA en 1973, qui s’était traduit par « une inflation à deux chiffres » et « plusieurs dévaluations ».
UN FUTUR INCERTAIN
Quoi que réserve l’avenir, « nous sommes dans le flou, confirme notre interlocuteur. Lorsque les juntes ont annoncé leur départ de la Cedeao, nos clients ouest-africains ne savaient pas à quoi s’en tenir, alors que la rupture était annoncée comme “immédiate” ! Quels droits de douane, quelles formalités ? On n’en sait rien… ». Qu’en sera-t-il des milliers de ressortissants du Mali, du Niger et du Burkina Faso vivant et travaillant dans
Une note confidentielle de Standard & Poor’s estime que la Cedeao parviendrait à surmonter le départ de l’AES. L’agence américaine rappelle que le PIB cumulé des trois pays sahéliens ne représente en effet que 8 % du PIB de l’organisation régionale ouest-africaine – c’est moins que le Ghana (9 %), que la Côte d’Ivoire (11 %), et que le poids lourd nigérian (58 %) Le départ de l’AES pourrait cependant « intensifier la fragmentation politique dans la région », et « risque de retarder la tenue d’élections » dans les pays concernés. Le but de cette rupture est justement, selon Standard & Poor’s, « de renforcer la légitimité politique et l’autorité » des juntes. Cependant, un départ de l’AES de la zone CFA ouest-africaine serait plus significatif, ne serait-ce qu’en matière de PIB : les trois
les pays de la Cedeao ? Maliens et Burkinabè sont particulièrement nombreux en Côte d’Ivoire, où ils assurent une bonne partie du commerce transfrontalier. Les immigrés sahéliens, bénéficiant jusque-là de la liberté d’installation garantie par la Cedeao, redoutent de devoir s’acquitter du permis de séjour, dont le montant (300 000 FCFA, soit 457 euros) est relativement élevé, exigé en Côte d’Ivoire auprès des étrangers non ouest-africains. L’Afrique, cependant, mise encore une fois sur sa résilience : « Les hommes d’af faires locaux disent que ce n’est pas si grave, conclut le chef d’entreprise. On s’adaptera. Ce sera juste un peu plus compliqué. » ■
OLIVIER VALLÉE
« La création d’une nouvelle monnaie ? Une rupture avant tout politique »
L’ éc onom iste et consulta nt internat iona l Ol iv ier Va llée, né à Mada ga sc ar et auteur de plusieu rs ouvrages su r la dette, la monnaie et les matières prem ières, nous livre se s réflex ions su r la sé ce ssion politique – et peut-être bientôt monéta ire –de s troi s ju ntes sa hélien ne s. propos recueillis par Cé dr ic Go uvern eu r
LA CR ÉATION par les régimes militaires du Sahel d’une monnaie commune ref léterait davantage une rupture politique qu’une rupture économique, analyse Oliv ier Vallée. Il nous rappel le, en ef fet, que l’éphémère franc ma lien (1962-1984) demeurait convertible avec le CFA. Économiste et politiste né à Madagascar, il a travaillé pendant quatre décennies en Afrique et est l’auteur de plusieurs ouvrages cr itiques sur le continent. Il nous expose son analyse de la situation sahélienne et des agissements des trois juntes. À l’inverse de la plupar t des commentateurs, il relativise le handicap que constituerait l’enclavement de ces États, et esti me que leurs ressources naturelles – nota mment aurifères – pour raient garantir la viabilité de cette éventuelle nouvelle monnaie.
AM : Avez-vous été surpris par cette annonce de l’Alliance des États du Sahel de leur volonté d’abandonner le franc CFA ?
Olivier Vallée : Non, dans la mesure où ces trois gouvernements parv iennent à coordonner leur stratégie contre leurs adversaires, sous la forme d’annonces, de réalisations, de coups d’éclat, etc. La création d’une nouvelle monnaie, le « sahel », ressemblerait, certes, à un abandon du franc CFA, mais pas forcément à une rupture avec l’espace UEMOA. En effet, l’histoire monétaire de l’Afrique occidentale a souvent un caractère politique, tout en restant connectée aux réalités des échanges commerciaux à l’échelle régionale. La Guinée a ainsi eu une monnaie de rupture, le syli, entre 1971 et 1985, avant de revenir au franc guinéen. Elle n’est pas membre de l’UEMOA, mais cette monnaie s’échange aux frontières du Mali, par exemple. Souvenons-nous également
de l’histoire monétaire du Mali : le franc malien (1962-1984) restait convertible en francs CFA. La création d’une nouvelle monnaie témoigne d’une volonté de rupture politique, mais non économique. Ces pays sont enclavés : peuvent -ils vraiment se passer des pays du golfe de Guinée ?
En Afrique, on n’est jamais réellement enclavé. L’enclavement de ces pays est martelé par leurs adversaires Mais il n’est pas rédhibitoire. Pragmatisme, adaptation et continuité historique se retrouvent au Sahel : ces trois pays de l’AES sont les héritiers d’anciens empires qui ont peu de liens avec la mer. Leur océan de circulation avec le reste du monde était le Sahara. Prenez, par exemple, au Niger, la raffinerie de Zinder, constr uite par la Chine : elle se trouve dans la zone la plus enclavée du pays. Le pétrole part de Zinder et est acheminé au Nigeria et au Tchad. Lors de l’embargo, le commerce vers le Niger passait par le Togo au lieu du Bénin. D’autres produits arrivaient au port mauritanien de Nouadhibou et allaient jusqu’à Niamey. Le Maroc a, quant à lui, lors des sanctions, joué un jeu très subtil à plusieurs bandes : le royaume n’a jamais rompu avec ces trois États, et insiste sur les facilités portuaires que pourrait offrir le Sahara occidental aux importations et exportations de ces derniers…
Les sanctions se sont donc montrées inef ficaces ?
Le pays qui a sans doute le plus souffert des sanctions n’est pas le Niger, mais le Bénin ! C’est le Niger qui a décidé de boycot ter le Bénin, et non l’inverse. Les revenus portuaires de Cotonou ont chuté au profit de Lomé Les flux de transactions ont cessé et le Bénin en a pâti. Tout le monde a donc compris la leçon : les effets sont négatifs sur l’économie, DR
la sécurité, la santé… Et, au final, la population est mécontente. Lorsque le Mali était boycotté, beaucoup des flux de marchandises vers Abidjan et Dakar se détournaient vers Conakr y, en Guinée, pays où gouverne également une junte. Créer une nouvelle monnaie suppose de l’adosser à une valeur refuge : cela pourrait- il être l’or du Mali et du Burkina Faso ?
Le Mali et le Burk ina Faso ont de l’or, comme le Niger. C’est l’une des contreparties qui pourraient garantir la monnaie de l’AES. Le Niger va exporter du pétrole. Le Mali possède des terres rares. Les trois États sont donc en mesure d’emprunter des devises, avec l’assurance pour leurs créanciers d’être remboursés.
Le Niger s’est cependant retrouvé incapable de régler sa dette auprès du FMI, en 2023…
Il s’est, en ef fet, serv i des sanctions imposées par la Cedeao pour justifier, auprès du FMI et de la Banque mondiale, son incapacité à régler ses dettes ! Il peut bien rire au nez de ces deux instit utions. Les sanctions ont donné au Niger le rôle de victime Le FMI va devoir aider le Niger à négocier la restructuration de sa dette publique totale. Il est créancier prioritaire de Niamey, comme la Banque mondiale. Les deux instit utions de Breton Woods n’ont pas été au rendez-vous de la coopération monétaire lorsque la BCEAO asphy xiait le Niger.
Et le Premier ministre nigérien Ali Mahamane Lamine Zeine, qui est également minist re de l’Économie et des Finances, le leur a rappelé… Les juntes vont -elles se tourner de plus en plus vers la Russie ?
Le Kremlin pourrait- il être à la manœuvre ?
Au Niger, la Russie a joué un rôle différent qu’au Mali et au Burk ina Faso. Le Niger est un pays at ypique en Af rique de l’Ouest, puisqu’il n’a pas connu de parti marxiste dans son histoire politique, contrairement aux deux autres. Le Niger a coordonné une stratégie avec le Mali afin de se rapprocher du Kremlin. Il s’agit d’envoyer des signaux pour faire comprendre à Paris et à l’Union européenne que l’ère du monde unipolaire est révolue en Afrique. S’afficher avec la Russie constitue ainsi un sy mbole fort pour s’opposer à la France. Mais Moscou n’est qu’un partenaire alternatif parmi de nombreux autres : le véritable acteur économique au Niger reste la Chine. Si la Russie joue un rôle militaire majeur au Mali, ce dernier travaille également avec les Émirats (pour l’or) et le Canada (pour l’or et les terres rares) Au Burk ina Faso, cependant, la présence russe est discrète. On y trouve davantage d’influences de la Chine, de l’Inde, des pays du Golfe et même de la Tur-
quie, qui est très présente dans le BTP. Enfin, dans les airs, Turk ish Airlines et la RA M ont su remplacer Air France au Sahel.
Les ministres de l’Énergie des trois juntes, du Togo et du Tchad se sont réunis à Niamey le 17 février, afin de « raffermir leur coopération énergétique » !
Comment comprendre ce paradoxe ?
Le Togo a su jouer une carte politique, économique et diplomatique. Il s’est désolidarisé des sanctions de la Cedeao et a continué à laisser passer les céréales et les médicaments vers le Niger. Le Tchad n’est pas membre de la Cedeao, mais de la CEMAC, alors qu’il est géographiquement plus proche du Niger que de Brazzaville. Le Tchad, enclavé, a donc tout intérêt à s’associer avec l’AES – une configuration qui pourrait même étendre à l’est son influence… La coopération énergétique entre ces États est vitale, peut-être plus importante qu’une éventuelle sortie du franc CFA. La Cedeao et la France avaient tenté d’asphyxier les régimes putschistes en arrêtant tous les projets d’interconnexion électrique. L’AES, le Togo et le Tchad ont les moyens d’assurer cette interconnexion : le Tchad et le Niger ont le pétrole, le Mali et le Niger de l’hydroélectricité, et l’électricité nigériane peut passer par le Togo. Sommes -nous en train d’assister à la fin de la CEDEAO ?
« La coopération énergétique entre ces États est vitale, plus qu’une sortie du franc CFA. »
On assiste plutôt à un rétrécissement, à un retour sur sa base anglophone : Nigeria, Ghana, Liberia, Sier ra Leone, Gambie… Le Nigeria et le Ghana sont passés eu x au ssi pa r de s régi me s mil it ai re s, même s’ils sont à présent plus ancrés dans l’économie de marché et favorables à des sy stèmes politiques in spirés des démocraties anglo-saxonnes Les États francophones sont ma rqués pa r les tradit ions jacobines et centralisatrices de la France autoritaire. La ZLEC Af constitue de toute façon un horizon destiné à dépasser l’UEMOA et la Cedeao, par l’abaissement général, sur l’ensemble du continent, des barrières douanières. Il y a encore du chemin à faire, au regard de la lenteur des procédures et de la subsistance de barrières non tarifaires diverses, dont le racket des douanes et des forces de défense et de sécurité dans l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, y compris l’AES. Les politiques de libéralisation du FMI et de la Banque mondiale ont, en fait, davantage œuvré pour la libre circulation des marchandises et l’ouverture au reste du monde en Afrique de l’Ouest que la Cedeao et l’UEMOA. ■
Mahi Binebine entrev ue
« L’Afrique peut devenir une conscience pour tous »
Écrivain, peintre, sculpteur, militant, créateur socialement engagé, cet enfant de Marrakech est bien décidé à faire bouger les lignes, quel que soit son moyen d’expression. L’art et la culture sont résolument tournés vers l’Autre. Et le continent doit retrouver toute sa place sur la scène du monde.
propos recueillis par As tri d Kr
Il est sur tous les fronts La deuxième édition du Festival du livre africain de Marrakech, qu’il a cofondé et qu’il préside, vient tout juste de s’achever qu’il s’envole déjà pour New York, où il présente à la galerie Sapar Contemporary sa nouvelle exposition « On the Line » (du 21 février au 5 av ril) Peintre, sculpteur, romancier, initiateur de multiples ac tions cult urel les et sociales au Ma roc, Mahi Binebine ne compte ni son temps ni son énergie. Et surtout, il garde le cap. « Je suis extrêmement organisé, je sais où sont mes priorités, et puis j’aime les gens On peut mener des projets dans la bonne humeur ! », confie cet ancien professeur de mathématiques. Joviale, sa parole est rythmée par de généreux éclats de rire L’artiste, dont certaines œuv res figurent dans la collection permanente du musée Guggenheim de la Big Apple, n’est pas seulement mû par la nécessité de s’exprimer, de créer Ce philanthrope est aussi habité par une mission donquichottesque de redresseur de torts, afin d’insuff ler plus de justice et d’égalité. Avec le réalisateur Nabil Ayouch, il a fondé dans son pays les centres culturels Les Étoiles, dédiés à l’enseignement des arts, des langues, de l’informatique pour les enfants défavorisés. Tandis qu’il planche à la conception de sa propre fondation dans la ville rouge, un lieu d’exposition qui réunira ses quelque 2 000 œuvres, et qu’il finalise l’écriture de son prochain roman consacré à sa mère, il se réjouit du succès de son jeune Festival du livre africain de Marrakech, qui s’est tenu du 8 au 11 février dernier. Célébrant l’amour des lettres dans une perspective panafricaniste, cette manifestation gratuite a rassemblé 10 000 participants et une cinquantaine d’auteurs et de penseurs venus d’Afrique, d’Europe, des Caraïbes, d’Amérique (Souleymane Bachir Diagne, Mia Couto, Edgar Morin, Louis-Philippe Dalember t, Alain Mabanckou, Seynabou Sonko, Yasmine Chami, Waciny Laredj, Hemley Boum, Wilf ried N’Sondé, pour ne citer qu’eux). Ponctué de débats, de cafés littéraires, d’ateliers menés par les écrivains auprès des élèves de Marrakech et de sa région, ce festival a pour ambition de susciter le dialogue et de tisser des liens entre les auteurs du continent et de sa diaspora, pour penser ensemble les défis du monde actuel et réf léchir au rôle que la littérature peut y jouer.
AM : La deuxième édition du Festival du livre africain de Marrakech (FLAM) vient de s’achever. Quels en sont les enjeux ?
Mahi Binebine : Nous avons lancé ce festival af in de faire connaissance avec nos voisins, que nous av ions l’habitude de rencontrer en Europe ou au x États-Unis, mais pas chez nous, en Afrique ! Avec les fondateurs du FL AM – la journaliste Fatimata Wane-Sagna, l’enseignante-chercheuse en littérature Hanane Essaydi et l’acteur culturel de premier plan
« A-t-on besoin d’exposer son travail à Paris, Londres ou Berlin pour exister ? Non. On peut exister chez nous. L’Afrique est immense, riche, lumineuse. »
La vi l le rouge a accue illi la de uxi èm e éd ition du fe st ival, qui a ra ssemb lé pl us de 10 000 par ti ci pa nt s.
Younès Ajarraï –, nous nous sommes lancés dans cette aventure, qui a vraiment pris Nous voulons cesser de regarder systématiquement vers l’Europe, nous voulons nous tourner vers le Sud. Redy namiser les liens au sein de la population est une urgence. Parlons sans langue de bois : l’Occident se ferme au nez des Africains. Pour obtenir un visa, c’est la croix et la bannière. On interdit même à des ar tistes de certains pays d’aller se produire en France Cette crise des visas avec l’Europe est désastreuse pour tout le monde. Mais a-t-on vraiment besoin de chanter, d’exposer son travail à Paris, Londres ou Berlin pour ex ister ? Non On peut ex ister chez nous L’Afrique est immense, riche, lumineuse. Quel esprit a marqué cette nouvelle édition ?
L’an dernier, pour la première édition, nous avons abordé
Le s centres cu ltu re ls Le s Étoil es, au nom bre de cin q à traver s le pays, ont été fo nd és par Ma hi Bi ne bi ne et Na bi l Ayou ch pour acc om pag ner le s enfants défavoris és
les sujets qui fâchent : le passé esclavag iste du Ma roc, le racisme qui persiste Cette année, nous avons parlé d’un imaginaire commun, de ce qui nous fait rire et pleurer ensemble. Cet te deuxième édit ion était magique, except ion nelle. Au cours de son grand entretien public, le philosophe Edgar Morin m’a rappelé Stéphane Hessel, quand ce dernier disait : « Indignez-vous ! » Il a eu cette même hauteur quand il a dénoncé le silence de l’Occident et des pays arabes face au génocide en cours à Gaza. Il a interpellé le monde et demandé : êtes-vous encore des humains ? C’était extrêmement émouvant. La transmission envers les jeunes est un volet essentiel du festival, notamment à travers les ateliers d’écriture, les rencontres et les master-class avec les auteurs, menés dans les établissements scolaires…
Le but premier du FL AM est de faire lire les gens, surtout les jeunes Les Marocains ne lisent pas : des études font état de seulement quelques minutes par an consacrées à la lecture ! Nos auteurs invités sont allés à la rencontre des élèves, qui avaient étudié leurs liv res au préalable, dans 25 établissements scolaires – lycées, universités, etc. C’est une façon de leur donner envie de lire, sans les forcer, et de dire : grâce aux romans, vous pouvez vivre mille vies Et pourquoi pas susciter des vocations ? Ces jeunes posaient des questions pertinentes. On les invite à rêver chez eux, en Afrique, et pas ailleurs. Le cœur battant du festival se déroule dans le centre culturel Les Étoiles de Jamaa el -Fna, que vous avez cofondé avec le cinéaste Nabil Ayouch. Ces établissements dédiés à l’apprentissage des arts,
des langues, de l’informatique sont l’affaire de votre vie, dites-vous.
Ils ont pour vocation de donner leur chance aux enfants défavorisés. Nous avon s ouvert ci nq cent res à travers le Maroc (Casablanca, Tanger, Fès, Agadir, Marrakech), et un nouveau va être inauguré à Tanger, où la demande est très forte. Chaque centre réunit 1 000 enfants. Et puis, en parallèle, nous avons créé il y a quelques mois une académie des arts à Casablanca, en vue de former, en deux ans, des directeurs et directrices de centres culturels Car nous avons besoin de personnels formés. Ce diplôme suscite un bel engouement : 500 étudiants y sont inscrits.
Vous avez exposé vos œuvres à la foire d’art contemporain africain 1- 54, qui se tenait en même temps que le FL AM. Votre travail de plasticien est- il moins hanté par le thème de l’enfermement, lié aux 18 ans qu ’a passés votre frère dans la prison de Tazmamart ?
Cela a pris du temps, mais je pense que je me libère peu à peu de cette histoire Mes œuv res sont moins marquées par la répression, mes personnages ne sont plus ligotés, coupés en deux ; ils sont plus libres, parfois même joyeux. Je travaille désormais pour ma postérité, car je vais ouvrir ma propre fondation. J’ai acheté deux hectares dans la palmeraie, et mon ami architecte Rachid Andaloussi est en train de concevoir un musée de 6 000 m2 couverts, où 2 000 œuvres seront exposées. On rêve d’un jardin incroyable, imaginé par les grands
paysagistes Pascal Lopez et Umberto Pasti, un écrin pour une centaine de grandes sculptures On va concur rencer le jardin Majorelle ! La fondation sera dotée d’un auditorium de 220 places, d’un restaurant de 300 couverts Une galerie de 500 m2 sera réser vée aux expositions temporaires, pour des artistes invités. Ce sera mon cadeau à la ville de Marrakech. Les travaux démarrent, et l’ouverture est prév ue en 2026. Quels sont les besoins des artistes plasticiens au Maroc ?
Ils ont besoin de musées Il y a une instit ution importa nte à Rabat [musée Moha mmed VI d’ar t mo de rne et contemporain, ndlr] ; le reste, ce sont des bricoles. Ce pays a be soin d’une vr aie politique cu lt ur el le On n’a pa s encore compris, intégré cela : la cu lt ure est une source de développement. Beaucoup de copa ins me rétorquent : « Tu nous embêtes avec ta culture prioritaire. On a besoin de nourrir les gens, et toi, tu nous parles de danse ! » Mais en France, par exemple, le secteur culturel contribue beaucoup plus au PIB que l’industrie automobile La culture peut générer des montagnes de revenus, si on l’encourage, si on ouvre des musées, des salles de cinéma… Il y a tout à faire dans ce pays. On est encore vierges Êtes -vous attentif aux œuvres que produisent les jeunes créateurs ?
Oui Diplômée des Beaux-Arts de Casablanca, et surtout de Tétouan, cette nouvelle génération d’artistes est incroyable, surprenante. Ils n’ont aucun complexe, vraiment. Ils détruisent
De ga uc he à droi te, Na bi l Ayou ch, Va ness a Branson , Mah i Bi nebi ne et Alya Se bt i, lo rs de la cinqu iè me éd ition de la bie nn ale de Mar ra ke ch, en 2014
« On ne va pas déchirer la page de la colonisation, mais on peut la tourner, avancer, avoir une autre approche. Rêver d’un monde plus juste.»
les limites matérielles de la peinture, ils ut moyens que leur offre le nouveau siècle On me des cartes blanches Je choisis toujours les meil dernière fois, j’ai exposé aux côtés de huit jeune pour ma pomme. Ils étaient bien meilleurs qu C’est impressionnant, ce qui se prépare dans ce nant, il faut leur donner les moyens de travaill est tout petit, mais il est en train de se déve optimiste pour l’avenir de l’art au Maroc.
En juin 2023, à la suite du naufrage d’un ba parti de Libye, transportant 750 personnes vous avez publié une tribune dans le journa
Le Monde, indigné de « l’hypocrisie des gouv occidentaux vis- à-vis de l’immigration clandes Votre roman Cannibales, publié en 1999, re un visage humain, une histoire de vie derri les chiffres, les statistiques. C’est le rôle, le devoir, d’un artiste de dénoncer les injustices, de prendre la parole sur ces sujets ?
C’est la seule arme que nous ayons. On po vait secourir ces 750 personnes sur le bateau. ne l’a pas fait, on les a laissées se noyer. C’était un décision politique de les laisser mourir. C’est scandale, c’est terrifiant. Je ne pouvais pas me
Tout comme je ne peux pas me taire quand je vo génocide est en cours à Gaza, et bientôt à Rafa dizaines de milliers de gens vont perdre la vie, nulle part où fuir Et l’Occident reste silencieux ne peut plus nous vendre les droits de l’Homme humaniste, on ne l’achète pas, on ne la croit plus Edgar Morin, ce silence est honteux pour les hu
Ma hi Bi ne bin e, Le Mi grant (2 016)
Vous vous êtes réinstallé au Maroc en 20 02 , après avoir vécu en France. C’est l’accession au second tour de l’élection présidentielle de Jean- Marie Le Pen, candidat du Front national, qui vous a poussé à quitter l’Hexagone. Comment observez-vous la vie politique et médiatique française, où l’extrême droite omniprésente s’est banalisée ?
L’extrême droite ne s’est pas banalisée, pour moi. En 2020, j’étais lauréat du prix Méditerranée pour mon roman Rue du pardon J’y ai renoncé, car je ne veux pas serrer la pince à Louis Aliot, le maire Rassemblement national de Perpignan [ville qui parraine ce prix, ndlr]. Je ne m’y résous pas. Les sondages estiment à 29 % les intentions de vote pour le Rassemblement national lors des prochaines élections européennes, et cela m’effraie. Ce populisme se développe aussi en Italie, en Hong rie… Pour cette ra ison, des événements comme le FL AM ont tout leur sens. Car l’Af rique peut devenir une conscience pour le reste du monde. Comme l’a affirmé le philosophe Souley mane Bachir Diagne lors de sa leçon inaugurale, le continent peut être porteur d’un récit, d’un message pour le monde. Pour le citer, l’Afrique peut être la « matrice d’une humanisation continue du monde », « pour surmonter la fragmentation » et « aller vers une humanité partagée ». On ne va pas déchirer la page de la colonisation, mais on peut la tourner, on peut avancer, avoir un autre discours, une autre approche. On peut rêver d’un monde plus juste. Le passé, c’est le passé. On doit s’ouvrir vers l’avenir et travailler ensemble, d’égal à égal. Pas l’un pour l’autre, mais l’un avec l’autre. Quels étaient vos rêves, adolescent ? Étaient-ils bercés par les chansons contestataires du célèbre groupe marocain Nass El Ghiwane ?
Oui ! Pour ma génération, Nass El Ghiwane, c’étaient des ar ti stes phares. À l’époque, on contesta it l’autorita risme. Nous comprenions leurs paroles puissantes, à peine voilées, et elles nous soulageaient. Le régime de Hassan II les laissait chanter un peu, car cela représentait une forme de catharsis ; mieux valait laisser les gens protester par le chant que par les pierres ! Je rêvais d’être musicien, de devenir un chanteur de charme Je faisais partie d’un groupe de musique, on se produisait, et j’ai carrément quitté l’école pour me lancer. Mais on ne m’a pas laissé faire, on m’a dit : « Tais-toi, tu chantes comme une casserole ! » [Rires.] Et à 16 ans, ma mère m’a envoyé à l’internat, à Rabat, pour étudier. C’était au lycée Moulay Youssef. On aurait dit une prison, avec ses hauts remparts La seule manière d’en sortir, c’était de bien travailler. Après le bac, je me suis retrouvé à Paris, où j’ai étudié, puis enseigné les mathématiques. Et finalement, je suis redevenu artiste, une év idence depuis le premier jour
« Mes œuvres sont moins marquées par la répression, mes personnages ne sont plus ligotés, coupés en deux ; ils sont plus libres, parfois même joyeux. »
Le
Que vous a transmis votre mère, à qui vous consacrez votre prochain livre ?
Ma mère est omniprésente dans tous mes romans. Cette femme incroyable a élevé seule ses sept en fants. Mon père est parti quand j’avais trois ans, donc on ne le voyait pas. Elle a travai llé en ta nt que sec réta ire da ns un monde d’hommes Il fallait qu’elle se batte, et elle s’est battue. À 40 ans, alors qu’elle n’avait pas le bac, elle a commencé à faire des études, a obtenu le certificat de capacité en droit et décroché une licence, une maîtrise à l’université. Elle est devenue inspectrice des finances à Marrakech. Elle nous a montré le chemin
On ne pouvait pas ne pas réussir. C’était hors de question ! Il fallait être le premier, le meilleur de la classe. Et nous avons réussi ! Mes trois sœurs sont docteures en littérature, professeures à la faculté, mon frère réalise une grande carrière dans les finances au x États-Unis, mon autre frère, dispar u aujourd’hui, dirigeait un hôtel… Mon prochain roman, qui sera, en effet, dédié entièrement à ma mère, paraîtra juste avant la proc haine édit ion du FL AM Comme quoi, not re festival est important ! Les éditeurs le prennent en compte dans leur agenda. Une collection publiant les leçons inaugurales du FL AM va même êt re créée ! Celle de l’an dernier, donnée par J.M.G. Le Clézio, a été publiée en janv ier 2024 : Identité nomade, chez Robert Laffont.
La liberté, les droits, il faut les arracher, d’après vous ?
Rien ne se donne. Les droits s’ar rachent. Il faut lutter bec et ongles pour changer les choses On est en train de le faire. Par exemple, je viens de terminer une exposition, « Le Droit de vivre », contre la peine de mort J’ai invité des artistes, écrivains et penseurs marocains pour écrire un livre à ce sujet. Au Maroc, on en est encore là, et aux États-Unis aussi. On se bat à travers des combats esthétiques, littéraires. Je réf léchis à une prochaine exposition sur l’égalité dans l’héritage, car au Maroc, un garçon hérite deux fois plus qu’une fille. Il faut changer les choses, non pas en lançant des pierres, mais par la pédagogie, en expliquant qu’on ne vit plus au XIVe siècle. Le monde change. Il faut s’adapter, mais il y a encore beaucoup de résistances. Donc il faut arracher les droits, qui relèvent bien souvent du bon sens
Comment avez-vous observé la mobilisation de la société civile marocaine à la suite du terrible tremblement de terre qui a frappé le sud du Maroc en septembre 2023 ?
Il corrigeait mon texte ligne après ligne, phrase après phrase. C’est lui qui m’a appris le métier Une fois le manuscrit mis au propre, il l’a donné à Claude Durand, qui à l’époque coiffait les éditions Stock et Fayard Ce dernier l’a pris tout de suite. Traduit en trois ou quatre langues, le livre a connu beaucoup de succès.
Ci -d es su s, le s me mb re s du grou pe Na ss El Ghi wa ne ; ci -c ontre, l’éc riva in es pagnol Ag us tí n Gó mez- Arcos, sou rc es d’ins pi ra ti on pour Mo nsi eu r Bi nebi ne
La mobil isat ion des Ma roc ain s ét ait ex ce pt ion ne ll e. Un tr av ai l remarquable, colossal, a été effectué Avec mes sœurs, nous nous sommes rendus sur le terrain, nous avons distribué des milliers de paniers de nourriture. On est loin d’avoir tout réglé. Quand l’ hiver est ar rivé, les gens vivaient encore sous des tentes Mais ça avance. Je ne suis pas fan du mot, mais il y a cette résilience chez les Marocains. Derrière la publication de votre premier roman, Le Sommeil de l’esclave (Stock), en 1992 , il y a une belle histoire de transmission. Racontez- nous.
C’est grâce à mon am i, le regret té éc riva in espagnol Agustín Gómez-Arcos – que Dieu ait son âme. Il avait compris que j’étais un artiste. Pour fuir le franquisme, il s’était installé en France, puis à la mort de Franco en 1975, il partageait sa vie entre Madr id et Paris. On s’écrivait des lett res. Remarquant ma jolie plume, il m’a conseillé d’écrire. « Cherche dans les histoires de ta famille, tu trouveras plein de choses à raconter », me disait-il. J’ai écrit un premier roman, Le Sommeil de l’esclave, inspiré par la vie d’une femme qui vivait chez nous, notre nourrice, issue de l’histoire de l’esclavage. J’ai remis le manuscrit à mon ami Agustín. Il a lu une page, puis on s’est mis au travail. Chaque jour, après mes cours de maths au lycée, je le rejoignais dans un café à Saint-Germain-des-Prés.
Comment avez-vous vécu ce joli succès, et votre nouveau statut d’auteur ?
J’étais invité partout, et on me disait : « Tu es écrivain » J’avais du mal à y croire… Mais il fallait désormais rédiger un deuxième roman, qui a été Les Funérailles du lait (Stock, 1994). Je me suis inspiré de ma mère, qui attendait chaque jour son fils, mon frère, emprisonné à Tazmamart. Elle a dû être opérée et amputée d’un sein. Dans le roman, je l’ai imaginée demander qu’on lui rende son sein. Elle le met dans un sachet plastique et lui parle comme si c’était son enfant disparu. Elle l’enterre dans le caveau familial en s’adressant aux hommes : « Vous avez volé la vie de mon gosse, vous n’allez pas voler sa mort. » C’est un combat pour la mémoire. Quand j’ai fini de l’écrire, je suis allé voir Agustín, afin de lui soumettre et qu’on le retravaille. Mais il a refusé de le lire, et m’a dit : « Je ne suis pas ta mère. Je t’ai aidé à produire le premier, je t’ai trouvé un éditeur. Si tu n’as pas compris, change de métier ! » Ça a été terrible. J’ai alors remis le texte aux éditions Stock. J’ai attendu des semaines, fébrile. Je dormais très mal. Jusqu’à ce que je reçoive une réponse positive. Quand Agustín était mourant, je lui rendais visite à l’hôpital Un jour, il m’a confié que ça avait été une violence pour lui de ne pas avoir lu mon manuscrit. Mais c’était sa manière de me faire prendre conscience que j’étais désormais un écrivain, que je n’avais besoin ni de lui ni de qui que ce soit d’autre. Voilà pourquoi, aujourd’hui, j’aide des gamins. Parce que des personnes m’ont fait ce genre de cadeau ■
en tr et ie n
Guslagie Malanda
Au cœur de son rôle
Da ns le nouveau f lm de Bert ra nd Bonello, La Bête, elle inca rne l’i nq uiétante Poupée Kelly. Cette dystopie dépei nt un monde domi né pa r l’i ntel ligence ar ti fcielle.
propos recueillis par As tr id Kr iv ian
Son interprétation remarquable d’une mère in fa nt ic ide da ns Sai nt Omer d’Al iceDiop amarquéles espr it s, et lu ia va lu unenom inat ionaux Cé sa rs 2023 en ta nt queMei lleu r es poir fé minin .C ’éta it seulement sondeu xièmerôle, ma is Gu slag ie Ma la ndamontraitdéjàl’étendue de sont alent, sa richepalet te de jeu, campantdanstoutesacomplexité une meur trière énig matique, ef froyable, brisée. Cinéphileconvaincuedepuis sonenfance dans le Val d’Oise, cetteactrice autodidactea suiv idebrillantesétudes en histoire de l’art, aprèsles préparationslittéraires khâgne et hy pokhâgne.Lorsd’unvernissage, elle estrepéréepar le coiffeur d’unedirectrice de casting,qui luipropose de participeràl’audition du film MonamieVictoria (2014),deJean Paul Civeyrac.Résultat: elle décroche le premierrôle. Puis, pendantdes années,refusantles propositionsdepersonnages stéréot ypés,elleexercedanslemonde de l’artcontemporain en tant quecommissaired’exposition indépendante, avantde revenir sous lesfeuxdelarampe en 2022
AM : Qu ’est-cequi vous aintéressé danscefilm de dystopie, La Bête ?
Guslagie Malanda : Monpersonnage, Poupée Kelly,possède uneintériorité,une présence, unehistoire, uneprofondeur. BertrandBonello l’atrèsbienécrite. Et j’ai adorélescénario.
Telleune nouvelle Aliceaupaysdes merveilles,Gabrielle, l’ héroïnei ncar néepar L éa Seydou x, traverseplusieurs époques, entreeffacement dessentimentsetdel’amour,peurdeladestruction. La Bête pose ce postulat :onvavers un mondequi détruitnotre humanité.Que choisit-on d’ef facerounon pour surv iv re ?
La pertedel’empathieliéeaux écrans,à la technologie,est étudiéedepuis longtemps, avantmêmel’avènement de l’intelligence artificielle et de ChatGPT. Elle touche davantage lespaysqui ontfaitdes outilstechnologiques l’alphaetl’oméga d’uneorganisation sociétale–laChine, lesÉtats-Unis. L’Europe va dans cettedirection,maisdes populations résistent, ysont encoreréfractaires.J ’espère quenot re futurneserapas aussisombre. Inév itablement,contredes mécanismes de déshumanisation extrême, desrésistances, même minoritaires,seproduiront. Lesgensopéreront une ruptureetiront vers le care,lesoin, le lien.J’y croisbeaucoup. Atteinte de la maladied’A lzheimer,magrand-mère estdésormais dans un institut médicalisé. Et unehumanitéprofonde se crée avecles personnesqui s’occupentd’elle.
Comment avez-vouscomposé votrepersonnage?
Monprotagonistesesitue entrelapoupéeetlecyborg. Ce n’estpas un robot, mais elle aparfois besoind’êtreréparée, doncellepor te unedimension mécanique. En préparation, j’ai regardédes mangas,des films de science-fiction, comme Barbarella, Soleilvert –danslequelles personnagesféminins sont des «femmesmeubles », telles despoupées gonf lables Ensuite, nous avonseuune réf lexion avec la make-upartiste, laquelle atrouvél’équilibre parfaitentre artificielethumain. Je ne voulaispas d’un jeurobotique; j’ai travaillésur l’extrêmedouceur, l’empath ie ar ti ficiel le,programmée,avec unemanière de parlert rèslancinante. Àl’image desnouveauxrobots, monpersonnagenecontrarie jamais l’autre, ne s’éner ve pas, esttoujours réceptif.Jevoulais créerune voix féminine neutre parexcellence, quirassureraitàlafoisune femme, un homme, un enfant,une personne âgée. J’ai écouté beaucoup de voix de robots,jemesuisrenseignée sur le travail desvoixartificielles neutres, surcelogicielqui combine desvoixdifférentes. PoupéeKelly estunétrange personnage. Elleest àla fois drôleetinquiétante ;associéeàl’enfance, mais sexualisée ;rassurantetelle unenurse, mais également passeuse vers un mondedestructeur. Croyez-vousque destraumaspeuvent se transmettreàune personneà traversletemps, comme le suggère le film ?
L’idée quel’onhabiteraittousuncorps étranger,avecdes souvenirs, c’estpuissant,enmatière de fiction. La mémoiredu corpspeutsetransmettre de génération en génération.Dans la maladiedemagrand-mère,des souvenirs profonds ressurgissent, d’autres s’effacent On devientpeu àpeu uneautre personne. Il faut l’accepter.J ’aiété éduquéedansla religion catholique et dans l’animisme. Ce derniercroit àlatransmissiondel’âme lors de la mort d’unepersonne. Je suis donc plutôt ouverteàcesujet.Maisàmon sens, notreéducation,lasociété dans laquelle on vit, notrelienavecles autres sont beaucoup plus fortsqu’un déterminisme de mémoire corporelle,familiale. Lestraumas ne sont pasune fatalité.
Comment s’estpassée lacollaboration avec LéaSeydoux et Bertrand Bonello?
Lé aetmoi ,ons ’e st tr ès bie ne ntendu es .E ll ee st in te ll ige nt e, at te nt iv eà l’autre. Je l’aimeb eaucoup. Avec Ber trand, on s’ét aitm is d’ac cord su rl ad ir ec tion de monjeu av antletou rn age. Il m’alai ssée libresur le plateau. Il fa it conf ia nce, il està l’écoutedeson équipe,pat ient,àrebou rs de la figu re de l’auteur démiurge.Cef ut un bonheu rdet rava iller aveclui
Comment appréhendez-vous votremétier?
Je ne sais pasencorequelleactrice je suis.Maisj’aime être en danger. J’adoremeposer la question :comment vais-je travailler le rôle ?C’est ainsique démarreletravail d’acteur. J’ai peur,unjour, de ne plus m’interrogerdelasorte,etde débarquersur le plateauenm’enremettant àlamagie du jeu. Pour SaintOmer,j’aitravailléavecunmaîtredetaï-chi tous les jours, pendantunmois, avant le tournage.Cerôlerequérait un travail surdes techniques de souffle, de respiration.Etmes deux inspirations directes de jeuétaient Brigitte Bardot dans La Vérité et Florence Carrez-Delay dans Le ProcèsdeJeanne d’Arc.J’effectueàlafoisuntravail d’observationdes actriceset acteurs dans desrôles similaires,puis un travailsur la concentration, extrêmementimportant Quereprésentel ’expériencedufilm SaintOmer, pour vous ?
Déjà,cefilm m’afaitrevenir au cinéma.Jenemesuis pas rendueàdes castingspendant desannées. J’ai refuséénormément de rôles–propositionsindécentes, mauvaises, racistes pour certaines. Je n’avaispas envied’incar nerces clichés. Aprèsmes ét udes,jesuis doncentrée dans la vieactiveet devenuecommissaired’expositiondansl’art contemporain. N’ycroyant plus,j’étais surlepointdefer merlapor te au cinéma,quand le scénariode Saint Omer estarrivé. Ce rôle représentait unetelle responsabilité.Sijedisaisoui àA lice Diop,cen’était pasà la volée: il fallaitque je sois sûre d’être uneactrice. C’estàl’occasiondecefilmque j’ai assumé pleinement d’être comédienne,que je n’ai plus eu peur de le dire. C’estlàoùsetrouventmaliberté,mon désirprofond. Comment avez-vousvécu l’interprétation de ce rôle de mère infanticide,Laurence Coly,inspirépar l’histoire de Fabienne Kabou, actuellement en prison ?
«Inévitablement, contre desmécanismes de déshumanisation extrême, des résistances, même minoritaires, se produiront.»
J’ai fait descauchemars inouïs,chaquesoir, pendant un an.L’acting permet de travaillersur la souffrance, lestraumas, surdes peursarchaïques,enfouiesdanslecorps,etdesurmonter cesobstacles.Incarnercerôle, c’étaitêtrecette femme, doncavoir le souvenir d’un meurtre.Ilfallait quej’acceptede faireentrer dans moncorps,dansmatête, donc dans ma vie, la mémoiredecet événement. D’où cescauchemars sans fin, abyssaux,àmeréveiller en hurlant. J’avaisl’impression de voir la véritablefemme au coin de la rue, qu’ellemepoursuivait, qu’ellem’attendait en basdechezmoi,alorsqu’elle estenprison. J’ai sans cessetravaillésur cetteirrationalité.Les réveils étaientdifficiles, mais il fallaitvenir surleplateau aveccette lourdeur.Jel’aiacceptétotalement.
À la manière d’un Robert De Niro – capable, par exemple, de prendre 25 kilos et d’apprendre à maîtriser la boxe pour incarner le champion
Jake LaMotta dans Raging Bull –, vous vous jetez à corps perdu dans l’interprétation d’un rôle ?
Oui, je suis de cette école-là. Quand un personnage entre en moi, je ne suis plus moi-même Qui je suis ne compte plus Je ne suis même plus une Française habitant à Paris, je ne lis plus la presse, je ne vois plus ma famille. C’est une autre temporalité, où l’actualité ne pénètre pas. Pour le rôle de Laurence Coly dans Saint Omer, j’ai adopté la solitude profonde de cette femme. Ça participe du travail de composition. On ne peut pas accueillir un autre en soi sans faire le vide à l’intérieur. Il ne s’agit pas de m’imposer dans un personnage, mais de fusionner avec. Dans cette démarche, il y a une dimension monacale Si je le pouvais, je me retirais et ferais une retraite de silence dans un monastère pour préparer un rôle. Lors de la remise des prix à la Mostra de Venise, la cinéaste Alice Diop, couronnée pour Saint Omer, a cité un vers de la poétesse africaine-américaine
Audre Lorde : « Notre silence ne nous protégera pas. » Qu ’a -t- elle évoqué chez vous ?
Cette phrase lui va très bien. C’est presque sa ma xime Alice sait ce qu’elle ne veut pas taire. Son discours m’a beaucoup émue, car elle parlait à la fois du film, de son parcours, d’elle en tant que femme, d’elle en tant que noire, d’elle en tant que cinéaste. C’était poly phonique. Alice fait du cinéma depuis de nombreuses années, et Saint Omer marque aussi sa maturité, le moment où elle s’autorise à passer à la fiction. Lors de la cérémonie des Césars, elle a aussi rappelé que les femmes cinéastes ne sont pas un effet de mode Elles ont toujours existé. Actuellement, il y a une concordance entre les moyens qu’on leur donne et leurs ambitions. C’est un moment clé, où l’on mise économiquement sur les femmes Et il était temps qu’elles disposent de vrais moyens pour réaliser des films. Mais il faut toujours rester vigilante. Je n’oublie jamais que ce qui est donné peut être repris, surtout en matière de droits des femmes.
Cette phrase d’Audre Lorde pourrait- elle vous correspondre ?
Non, parce que je ne sais pas encore ce que je veux raconter. Plus que de m’emparer d’un rôle pour dire quelque chose, j’ai l’impression d’êt re au serv ice des autres qui souhaitent parler ! Je veux bien incarner une voix, une poupée, une meurtrière pour eux. J’aime beaucoup cette place. Avez-vous refusé de nombreux rôles stéréotypés après votre premier film, Mon amie Victoria ?
Oui. Ça a tout de suite été mon choix. Je n’avais pas envie de participer à entretenir ces clichés. J’aurais eu l’impression de trahir quelque chose. Finalement, mon exigence a payé. J’ai ainsi gagné ma liberté d’actrice. Pourquoi est-il précisé « femme noire » da ns la didascalie d’un scéna rio ? À quel
« Il faut toujours rester vigilante. Je n’oublie jamais que ce qui est donné peut être repris, surtout en matière de droits des femmes.»
moment la couleur de peau importe ? Un exemple concret : je refuse de créer un accent. Déjà, parce que toute une partie des Françaises d’origine africaine nées en France n’en ont pas. Ou alors, je pourrai l’accepter en menant un vrai travail – aller vivre dans un pays africain et m’en inspirer, mais pas le créer artificiellement. En général, l’accent s’accompagne d’un rôle cliché : c’est un package de stéréot ypes, de visions étranges. En plus des rôles de « racailles », les trois quarts des propositions qui m’étaient faites étaient pour des personnages de prostituées. Heureusement, j’ai une super agente qui a tout fi lt ré pendant des an nées. Pour ta nt, j’aimera is beaucoup incarner une prostituée Mais pas à travers ces clichés-là Les travailleuses du sexe méritent beaucoup mieux en matière de représentations – être nue devant une caméra, faire des passes dans la rue, se battre avec un mac… Ou bien ce stéréot ype de la prostituée très belle et très aimante avec les clients. Le parcours de ces femmes n’est pas du tout valorisé. Y avait- il aussi des propositions de rôles liés au djihadisme, au terrorisme ?
En effet. Mon amie Victoria est sorti fin 2014, une semaine avant les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hy per Cacher en janv ier 2015. Alors qu’il rencontrait un joli succès, les entrées ont chuté. Et pendant près de sept ans, j’ai reçu beaucoup de scénarios constr uits autour du fantasme terroriste : une banlieue qui crée des terroristes, une France que l’on n’aurait pas vue et qui s’attaque aux autres… J’avais des propositions récurrentes pour des rôles de la sœur musulmane qui a des frères djihadistes, ou dealers, ou tombés dans l’islam radical. Encore ce cliché de la femme maternelle qui subit ! Or, le portrait d’une jeune femme attirée par le terrorisme, qui bascule dans la radicalité, mue par un désir de semer la mort, aurait été beaucoup plus intéressant, à mon sens. Malheureusement, en général, les scénarios ne sont pas très ambitieux. C’est ce qui me choque le plus. Par exemple, les « films de cité » se ressemblent tous, c’est devenu un topos éculé, qui mérite d’être renouvelé
Comment est née votre vocation de comédienne ?
Je ne l’ai jamais espérée C’était une voie inconcevable pour moi. Mais j’étais très admiratrice d’actrices et d’acteurs. J’étais, par exemple, fascinée par le jeu virt uose d’Isabelle Huppert, et je le suis encore ! Le cinéma m’a toujours accompagnée. Et finalement, la vie a fait en sorte de me rappeler que c’était ma place, en mettant au jour ce désir enfoui au fond de moi. Le 7e art a une vraie puissance, à créer, à transmettre des émotions. J’ai eu la chance que ma mère soutienne toutes mes sorties culturelles et mes achats de livres jusqu’à mes 20 ans. Je fréquentais sans cesse les salles obscures, nourrie de films d’auteur exigeants comme de blockbusters grand public. L’accès économique à la culture est un enjeu majeur, car la culture sauve des adolescences, ouvre des possibles. En France, il y a une inégalité cr iante entre les territoires : beaucoup sont dépour vus de cinéma, de théâtre, de centre d’ar t. Tout est concentré dans les grandes villes – c’est scandaleux ! Que vous a apporté votre expérience dans l’art contemporain, en tant que commissaire d’exposition ?
Ce métier m’a permis d’être en permanence au contact d’ar tistes, de penseurs, de passionnés à travers le monde. C’est un priv ilège. Je suis reconnaissante envers toutes ces années, lesquelles ont aussi été très difficiles. Car c’est un milieu compliqué, qui génère beaucoup de précarité, donc de frustrations C’est très dur d’y faire carrière, il faut s’armer de courage. Cette expérience m’a apporté une vision, a complété mon amour de l’art, qui ne passait plus seulement par les livres et les films, mais par les expositions. Je vais d’ailleurs jouer dans le court-métrage d’une artiste plasticienne. Comme l’art contemporain, je n’ai pas de frontières. Quel est votre rapport avec l’Afrique, avec le Congo -Brazzaville, d’où votre famille est originaire ?
J’ai un lien très fort avec le continent. Le Congo-Brazzaville est l’un des plus beaux pays du monde ! Tout en contraste, on y trouve des forêts tropicales, des grandes brousses, la mer. Et quoi de plus beau que la terre rouge ? Son patrimoine de sols et de terres me fait reconsidérer l’avenir C’est une chance inouïe de ne pas les voir gâchés par les pesticides, au contraire de la France. J’adore rendre visite à ma famille à Nkay i. La nourriture y est 100 % bio ! Depuis la mort de mon papa, qui était vraiment ce lien avec l’Afrique, je m’y rends hélas moins. Mais je compte faire un grand tour du continent en 2025. Êtes -vous sensible aux enjeux écologiques sur le continent ?
Oui. Je lis beaucoup d’ouvrages sur le sujet, que je déniche à la si précieuse librairie Présence africaine, à Paris. Ils renseignent le savoir du point de vue africain, à l’intérieur même de ces sociétés. Mon livre de chevet est L’Université de la forêt : Avec les Pygmées Aka, de Sorel Eta. Ces populations ont des choses à nous apprendre sur la préser vation de l’environnement. Le bassin du Congo est la deuxième plus grande forêt pluv ia le du monde, derr ière l’Amazonie Elle souf fre
Da ns Sa int Omer, d’Al ice Di op, la com éd ien ne cam pe br illa mment une mè re infantic id e.
de la déforestation. Des chercheuses et chercheurs africains de plus en plus nombreux alertent, s’interrogent, mènent et publient des recherches sur la préser vation de leur patrimoine naturel Comment développer les pays africains en gardant cette éthique, en protégeant ces sols de la pollution des pesticides ? L’évolution occidentale n’est pas la meilleure manière d’aller vers le prog rès. J’espère qu’ils seront écoutés, qu’ils feront in fléc hir les politiques de développement. L’Af rique peut serv ir d’exemple, ses espaces naturels existent encore en très grand nombre. Si seulement les dirigeants pouvaient s’y pencher, car un développement spécifique africain existe. L’Af rique peut être le continent respirable de demain. Il est possible qu’un jour, le monde occidental devienne asphyxiant, et que les gens y émigrent. Le projet d’une forêt primaire en Europe est essentiel. Il est temps de s’y mettre ! Vous êtes désormais représentée aux États -Unis afin d’y démarrer une carrière. Aimeriez-vous aussi jouer en Afrique ?
Oui ! C’est, hélas, plus compliqué pour les cinéastes africains de ma génération d’émerger, car on leur offre peu de moyens. Mais j’ai très envie de travailler sur le continent, avec une équipe africaine, d’y être reconnue… S’ils m’adoptent, ce sera avec plaisir ! La veine documentaire y est particulièrement intéressante. J’ai eu la chance d’être membre du jury au Festival du film de Belfort – Entrev ues en 2023 Nous avons récompensé du Prix d’aide à la distribution l’extraordinaire documentaire Coconut Head Generation d’Alain Kassanda. Le film suit les débats entre des jeunes ét udiants dans un ciné-club universitaire au Nigeria. Il soulève des questions très actuelles sur le genre, les violences policières, la colonisation, la condition étudiante, la place des personnes LGBT+, des femmes… D’une grande vitalité, et d’une portée universelle, ce film résonne auprès de la jeunesse actuelle du monde entier Il est à voir absolument ! ■
Mamadou Diouf UN CONTINENT DESMULTIPLES
L’historienetpenseur sénégalais, professeur au sein de la très réputée
UniversitédeColumbiaàNew York, publie L’Afriquedansletemps du monde.
Un ouvragedanslequelilréhabilite la pluralité desnarrationsafricaines, tout en convoquant l’unité continentale.
propos recueillis par As tr id Kr ivi an
Pen se ur sé né ga la is , Ma ma dou
Diou f en seigne l’ hi stoi re et les ét udes af rica ines à l’ Un iver sité Columbia de New York Dans son nouvel ouvrage, L’Af rique dans le temps du monde (Rot-Bo-Krik, 2023), il a na lyse les enjeux des récits su r le cont inent : quel les sont le s re ss ou rc es, or ales et écrites, dont les experts disposent pour façonner l’ histoi re ? Comment se sont-ils réapproprié ces narrations, suite à l’esclavage et à la colonisation ? Quelle place particulière l’Ég ypte antique tient-elle ? Quel rôle pionnier les intellectuels et chercheurs af ricains-américains ont-ils joué dans l’élaboration de cette histoire ? De quelle manière le rapport au temps, au récit, à la chronologie diffère-t-il de la conception européenne de la discipline ? Et comment est-elle mobilisée aujourd’hui au sein des sociétés africaines ? En développant ces questions passionnantes, l’auteur d’Hi stoire du Sénégal (Maisonneuve et Larose, 20 01) soulig ne la diversité des na rr at ion s af ri ca in es , co nj uguée à l’unité continentale. Une « histoi re au plur iel », pour une Af rique « poly morphe et polysémique », que le penseur nous raconte ici thème par thème.
Un récit universel
Une dépossession des cultures et de la narration
« L’e sc lavage et la colon isat ion ont ex pu lsé l’Af rique du territoire de l’histoire, en la reconstr uisant ou reconstit uant comme le cont inent des Noi rs, et pa r l’invent ion d’une hiérarchie raciale. Avant le XV e siècle, les Européens ont tenté de rendre compte de l’Afrique, d’en faire sens, depuis la littérature ancienne aux premières “grandes découvertes”. Mais dans un espace beaucoup plus large, et non pas dans la constr uction d’une Afrique “révélée” au contact avec l’Europe. “Les peuples sans histoire sont des peuples dont on ignore l’histoire”, disait l’un iver sita ir e fr ança is Paul Veyne. Cel le occide nt ale s’est constr uite autour de troi s idées : l’ Eu rope s’est muée en un espace de référence de l’ hu ma nité. L’ Eu rop éen est devenu l’Homme. Et c’est l’Europe qui découv re, nomme les autres, constr uit le monde. Ai nsi, l’acte d’ex propriat ion consiste à exclure l’histoire des autres, mais aussi à établir une identité de référence pour tous les humains. »
L’Afrique da ns le te mps du monde, éd itio ns Rot- Bo -K ri k, 128 pages, 13 €
Le berceau de l’humanité
« Co mm e l’ex pl iq ue le ph il os oph e congola is Valentin-Yves Mudimbe, l’A fr ique est inventée par les grands textes européens, et par rappor t à cette matrice consac ra nt l’ Eu rope comme le ce nt re du monde. L’idée d’un continent à la marge est présente da ns la littérat ure anth ropologique et hi stor ique jusqu’au milieu du XIXe siècle : toutes les grandes réussites sur le continent ne seraient pas d’origine af ricaine, mais la réalisation d’envahisseurs, d’étrangers, d’allogènes – que ce soient les py ramides d’Ég ypte, les villes de la côte swahilie, etc. L’Afrique est ainsi imag inée et inventée de ma nière dégradante ; il a fa llu beaucoup de temps pour accepter qu’el le est le berceau de l’humanité. C’est le seul continent où toutes les phases de l’hominisation sont présentes. Le processus d’évolution de l’Homo sapiens commence et se clôture en Afrique. »
Détacher
l’histoire
de l’Afrique de l’impérialisme, de l’universalisme et du rationalisme européens
« L’ hi stoi re du cont inent es t toujours une histoi re de l’humanité C’est à la fois une connai ssa nce de l’Af rique et du monde, de l’Af rique dans le monde, mais aussi un apprentissage de l’éc ritu re hi stor ique, de la natu re de ce t ex erc ic e. Ce s ré ci ts re pr ésentent constamment des enjeux politiques, sociau x, cult urels. Déf ini par la xénophobie et le racisme, notre monde actuel est fortement marqué par un recul des valeurs démocratiques au profit des valeurs autoritaires Il est d’autant plus nécessaire de renforcer l’enseignement de cette discipline – non pas l’ histoi re héroïque, mais celle qui apprend à penser de manière critique, à poser les bonnes questions – pour ne pas se suspendre à des balivernes. Et l’Afrique représente un enjeu particulier : que sait-on de son passé, comment le reconstr uisons-nous, et en fin, qui le constr uit ? Estelle une construction des Africains, ou une invention par des grands textes occidentaux ? Ces questions renvoient à la nature de cette science, à la manière dont elle fait sens » DR
« Ce fut le dé fi de s hi st or ie ns – no ta mm en t de s Af ricains-Amér icains, considérés comme des pionniers. Par des opérations historiographiques, ceux-ci remettent en cause la natu re de cette disc ipl ine, en passant d’une linéa rité à une circularité. Et impulsent la capacité de relire différemment une partie du récit de l’humanité, celle de l’Ég ypte ancienne Cette
Le s py ra mide s d’Ég ypte, vé rita ble s prou es se s te ch ni qu es, sont le sy mbole de l’avant- ga rd e du contin ent.
remise en place géographique de l’Ég ypte et la reconnaissance d’une avance de cette dernière par rapport à l’Europe constituent le travail de reconstruction et de “refabulation” – pour reprendre le terme de l’écrivain nigérian Chinua Achebe – destiné à remettre l’histoire en place. »
Cheikh Anta Diop et l’Ég ypte ancienne
« Cet historien sénégalais s’inscrit dans une longue généalog ie , am or cé e pa r le s pr éc ur se ur s af rica ins -a mé rica in s. On réduit tr op souvent son entr epri se inte llec tuel le à une bataille sur la couleur noire (africaine) ou blanche (méditerranéenne-asiatique) des pharaons. Comme il le dit, il n’invente rien Il ne fait que reprendre ce que la littérature ancien ne, au moin s ju squ’au XV III e sièc le, a toujou rs af fi rmé. Le tourna nt se mble êt re l’ex pé dition de Bonapa rte en Ég ypte , le déch if frement des hiéroglyphes pa r Champoll ion : à pa rt ir de là, l’Ég ypte est plus considérée comme méditerranéenne. Le s ancien s re conn ai ss ent avoir empr unté à l’ Ég yp te de s éléments scientif iques, philosophiques ou religieu x. Cheikh Anta Diop parle ainsi de paraphrase : le miracle grec est fondé su r des empr unts ég yptien s. Sa déma rc he relève de la ph ilosophie histor ique Son intérêt pr incipal est, d’une part, de mont rer la falsif ication de la narration universelle, faite par l’Europe, qui, selon lui, s’ex plique par la nécessité de valider la “m is sion civi li satrice ”. Ma is su rtout, son projet est politique, pour la fondat ion d’un Ét at fédéra l af rica in, à pa rt ir de bases historiques et cult urelles. L’unité cult urelle doit être le fondement d’une renaissance, laquel le va pouvoi r porter
le projet de cet État fédéra l. Il démont re les cont inuités qui ex istent – d’où le nom de son prem ier livre, Nation s nègres et cult ures Il se sou lève cont re cette idée de l’ém iettement du continent, produit d’un récit européen, des compétitions impériales, impérialistes. »
Contre « le temps plat de l’histoire académique »
« Cette discipline, telle qu’elle s’est développée en Europe, est celle des faits politiques, une science de l’État. Au XIXe siècle, elle est celle de la nation L’histoire de l’Af rique, elle, se présente sous la forme de plusieurs narrat ions, différentes, qui peuvent s’entrec roiser, ma is pas nécessairement. C’est, pa r exemple, l’histoire des familles, transmises par les Griots en Afrique de l’Ouest. Celle des communautés telles qu’elles sont vécues par les anciens ou par les détenteurs de la parole. C’est aussi celle des État s et des ar istocrat ies. Plusieurs formules na rr at ives s’entrec roisent et se décroi sent. El le s indiquent ainsi la variété des discours, et établissent un espace d’engagement, de rencontre entre des récits multiples Elles créent ainsi un réseau de sens. Écrivain et cinéaste sénégalais, Ousmane Sembène rejetait ce “temps plat de l’histoire académique”. À se s yeux , le s hi stor iens sont chronophages : il s ma ngent le temps, en ref usant le télescopage, l’interaction des récits, des événements. Ce qui l’intéresse, c’est ce travail d’instabilité et de remise en cause permanente C’est une autre manière de penser les événements, de construire les séquences – non pas de les comprendre, mais de les penser. Chez Sembène, c’est là où l’imagination, le rêve ont une place extraordinaire. »
Violence des crises ethniques et identitaires
« Le récit historique a toujours une fonction ; il est toujours manipulé, dans une certaine mesure Dans les années 1950, les Af ricains combattent la domination impérialiste, à la fois sur des revendications politiques, mais aussi culturelles L’indépendance est associée au recouvrement des cultures africaines Le projet de Cheikh Anta Diop est continental. Il est contre les monographies calées à la géographie coloniale, ce découpage des territoires par des frontières, historiquement iner te. Des batailles historiques se confrontent à la réalité ethnique et à la réalité des territoires coloniaux. L’idée est de mobiliser les histoires et hniques au serv ice de la con st ruction d’une nation. Dans les années 1960, des penseurs académiques commencent à écrire sur le temps précolonial au Sénégal, au Togo, ou en Côte d’ Ivoi re, alor s que ce s te rr itoi re s n’ex istaient pas lors de la période pr éco lon ia le Qu an d ce s pays sont entrés en crise, avec des groupes aux velléités irrédentistes, le retour à l’histoire est devenu important. Ce que j’appelle l’“ histoire communautaire” va se renforcer, et serv ir de ba se à de s revendication s séce ssion ni stes. Aujourd’ hu i, da ns tous les pays af rica in s, il y a, d’une pa rt, une hi stoi re et hn ique, d’une communauté qu i n’est pa s nécessairement contre l’État, et, d’autre part, une histoire tribale – quand les ressources ethniques sont utilisées comme moyens pour des batailles politiques »
une multiplicité de récits, de cultures et de langues. Les grands empires africains n’ont jamais eu une seule langue nationale. Pour moi, il faudrait redonner vigueur à l’ethnie pour créer le pluralisme dont l’Afrique a besoin aujourd’hui. Elle va dans le sens du panafricanisme. »
La séquence coloniale
« La période coloniale a toujours fait l’objet d’un débat. Pour la première génération d’historiens africains, c’est un épisode – il est donc possible de retourner à un moment africain avant la colonisation. Enjamber cette parenthèse, reconstruire une identité africaine inscrite dans la longue histoire du continent est possible. L’autre thèse, avancée par Mudimbe et de grands penseurs comme Senghor, affirme que cette période fait partie de l’histoire de l’Afrique. Plutôt que d’opposer une Afrique précoloniale et coloniale, il s’agit d’observer quels processus de sédimentation, d’appropriation, de réappropriation et de révision des ressources africaines et coloniales ont opéré pendant la colonisation. Il faut les analyser pour comprendre un continent, qui est en train de prendre plusieurs directions à la fois. Il faut penser l’ensemble de ces ressources avec lesquelles les Africains travaillent, auxquelles les cultures africaines sont confrontées. C’est aussi cela qui ex plique les mult iples défis au xquels les historiens font face. C’est accepter l’idée que la science a des limites, mais que ce travail sur la multiplicité des récits constitue l’entreprise historiographique actuelle en Afrique. »
Une géographie pour l’histoire
africaine
Des terres polymorphes et polysémiques
« Les sociétés coloniales étaient construites autour de l’ethnicité Et les Africains étaient administrés ethniquement C’est pour cette raison que, lorsqu’ils se révoltent et se battent pour l’autonomie, ils utilisent des ressources liées à ce concept. Au moment de l’indépendance, il y a cette idée qu’il faudrait effacer l’ethnicité, car elle divise. Mais dans la plupart des sociétés, elle est une fiction. Car dans ces pays, l’ethnie prédominante est celle du chef de l’État, sinon la plus forte économiquement. Pa r conséquent, lor sque les gens se sentent oppr imés, leur seul recours est un retour à cette idée, associée à celle de tribalisme. Promouvoir des mondes poly morphes laisse ainsi la possibilité à tous les récits de coexister. C’était d’ailleurs le cas dans beaucoup de sociétés ouest-africaines précoloniales : cette capacité de maintenir, dans un équilibre plus ou moins stable,
« Le continent est défini par la diversité. Chaque histoire a une géographie, et vice versa. L’essentiel est de comprendre comment les deux s’associent. Et comment el les sont pr ises en ch a rg e pa r le s commun auté s hu ma in es . Un exemple : aujourd’hui, les Marocains parlent beaucoup de cette région qui s’appelle le nord-ouest de l’Afrique. Comme ils ont de plus en plus d’intérêts en Af rique de l’Ouest, el le leur permet de revendiquer la possibilité d’une identité ouest-africaine. Alors que, de leur côté, les Maur itaniens se sont battus pour faire partie du Maghreb arabe, malgré la présence d’une importante population noire dans ce pays. »
« L’Afrique est à la fois le plus romantique et le plus tragique des continents »
« Cette citation de l’intellectuel africain-américain W.E.B. Du Bois souligne les hauts et les bas da ns la trajec toire historique des communautés humaines. Romant ique, car pour un Af ricain-A méricain, il est le continent des or igines, mais
surtout celui de l’Ég ypte et des réalisations humaines les plus import antes. Du Bois démont re aussi que c’est le lieu où le christianisme parv ient à une dimension universelle, de même que l’islam – le mouvement almoravide et la conquête de l’Espagne, la constitution de l’al-A ndalus sont le produit d’une invasion par l’Af rique –, et qu’il joue ainsi un rôle important dans l’universalisme. Mais c’est aussi le plus tragique des continents, car il est marqué par la domination étrangère – la traite et l’exploitation coloniale. »
Trois écoles de pensée
« Les experts admettent l’existence de trois grandes écoles, lesquelles ont animé les débats sur l’histoire africaine. L’école de Da r es Sa la m, constituée de penseu rs radicaux, plus ou moins panafricains, qui s’intéressent à Marx, au marxisme, et insistent beaucoup sur les conséquences de la colonisation et de la traite négrière. Puis l’école d’Ibadan, étudiant les transformations des sociétés africaines lors de la période coloniale. En fi n, l’école de Da kar est pa rcou rue pa r deux tendances : une histoire nationaliste, incarnée par Cheikh Anta Diop, et une plutôt globale, portée pa r Abdoulaye Ly, consacrée à la connexion des mondes – l’Afrique, l’Europe, les États-Unis »
La bibliothèque musulmane
« Elle ne se réduit pas à des auteurs arabes ; el le compte aussi des Noirs africains. Le script de cette bibliothèque, c’est aussi des la ng ues af ricaines transc rites avec des ca ractères arabes. Les product ion s sc ient if ique, littéraire, d’ hu ma nité de ce s ou vr ages di ff èrent de la bi bl iot hè que colon ia le , et mont rent d’autres facettes, fa it s, réal ités du cont inent. Un grand nombre de travau x sur le monde de l’isla m cha ngent l’image de l’Af rique, et s’opposent ain si au x pa rt isan s d’un cont inent conçu et dominé par l’oralité. Cer tains contestent cette qualif ication, et considèrent au contraire que la raison et les cultures écrites africaines y jouent un rôle important. »
Les textes de l’Atlantique noir
« Une Afrique fut inventée par les textes de l’Antiquité, par ceux des voyageurs arabes, par la bibliothèque coloniale. La bibliothèque africaine-américaine, elle, invente son Afrique à elle. Elle a beaucoup marqué les intellectuels af ricains de la première et deuxième générations, qui ont hérité de ses différentes sources. Ces précieux apports ne se limitent pas aux ouvrages de penseurs et de chercheurs. Dans les années 1920, le mouvement artistique Harlem Renaissance aux États-Unis a joué un rôle particulier, quand les humanités noires, littéraires et ar tistiques, étaient en train de se constr uire. L’un des éléments les plus intéressants, c’est la manière dont les artistes de plusieurs générations ont été inspirés par le modernisme et par
des références ég yptiennes, africaines Les arts plastiques, la danse, la musique, expriment ce rattachement de la diaspora à l’Ég ypte et aux cultures africaines. L’écriture de l’histoire n’est pas seulement textuelle, elle se reflète aussi dans la production artistique. »
Contre l’invasion de l’Éthiopie par l’Italie fasciste : un internationalisme noir
« En 1935, l’Éthiopie est envahie par les troupes de Mussolini Cet événement va serv ir de grand prétexte à une mobilisation de la part des Africains et de leur diaspora. C’est l’un des moments de cet internationalisme noir Pour John Hope Franklin, c’est là où l’Africain-A méricain est le plus prov incial des Américains, où il devient le sujet d’une histoire globale. L’Éthiopie va jouer un rôle considérable, à Harlem notamment, dans la redécouverte du récit continental, dans les investissements politiques pour sa défense. Mais aussi dans les grands débats autour du marxisme, du socialisme, des idées radicales. »
Restitution des œuvres par l’Europe
« Il s’agit d’une question complexe et importante. Elle est moralement fondée : le débat doit être mené Mais de quelle ma nière pouvon s-nous réi magi ner des musées capables de porter ces objet s de ma nière “a fr ic ai ne” ? Autre di mension importante à mes yeux : Senghor jugeait indispensable la circulation des objets d’art, depuis et dans toutes les régions du monde. C’est au ssi mon av is. Cela cha ngera it la natu re du musée et le débat sur les restitutions. À mon sens, la bataille se situe là, dans la circulation de toutes les œuvres. »
Déboulonner les statues
« Le déboulonnage des stat ues d’esclavagistes et de colonialistes est en train d’être effectué, et ce pour de bonnes raisons. Cela ne signif ie pas que cette histoire doit être effacée de la mémoire des descendants de s colon isés et de s colon s. Ma is les signes de cette dominat ion doivent êt re enlevés du pays ag e. Si , d an s le s es pace s ancien ne me nt colon is és , le déboulon nage doit pa rt iciper à un travail de réappropriation, il faut aussi que les anciennes puissances et métropoles coloniales se décolonisent. La France, aujourd’hui, est incapable de se décoloniser – c’est son grand problème. Elle cont inue de croire qu’elle possède des colonies en Afrique. Et les traces de cette époque doivent aussi être effacées dans ces pays, ou du moins contextualisées. Le travail essentiel de réflexion et d’éducation doit être poursuiv i. » ■
inte rv iew
Beata Umubyeyi Mairesse
« Une journée si particulière, celle où nous sommes devenus des survivants »
Trente ans après le génocide des Tutsi, où plus de 800 000 personnes furent massacrées, l’autrice retrace l’histoire de son sauvetage et de celui de centaines d’enfants lors de leur exfltration dans les convois humanitaires du 18 juin 1994. Elle avait quinze ans. propos recueillis par Ca th er in e Faye
Dans les premières pages de ce récit mené comme une enquête introspective et universelle, l’autrice de Consolée, roman de l’identité, de la réparation et de la transmission (prix Kourouma 2023), cite Toni Morrison : « S’il y a un livre que tu voudrais lire mais qui n’a pas encore été écrit, alors tu dois l’écrire. » Une visée inéluctable dans tout dessein littéraire. Le courage et la prise de risque en complément. Deux alliés. Après cinq ouvrages – nouvelles, poésies et romans –, Beata Umubyeyi Mairesse continue de cheminer aux confins de la mémoire et des traces substantielles pour témoig ner.
Le Convoi explore ainsi la tragédie de son peuple et la chaîne de gestes d’humanité constitutifs du salut des rescapés Une quête nourrie de réflexions, d’archives et de la parole de ceux qui en furent. Où les images manquantes, les rushs de reportages, les photos oubliées, les documentaires viennent apporter leur pier re à l’édif ice. Une ma nière pour l’éc riva ine franco -r wa ndaise d’ouvr ir la voie à une mémoire collec tive et de redon ner la voix à ses compagnons d’exil et à l’envers des si lences. Da ns ce nouveau champ des possibles, l’invisible devient enfin visible.
AM : Quel a été votre motivation première pour vous lancer dans un tel projet ?
Beata Umubyeyi Mairesse : J’ai entrepris l’enquête sur le convoi du 18 juin 1994 qui m’a permis de fuir le Rwanda sans projet d’écriture, dans un premier temps. Je souhaitais retrouver des images de cette fuite, car quelqu’un avait dit nous avoir vus à la BBC au moment de la traversée J’ai trouvé quelques photos et, dans un second temps, j’ai repris l’enquête, cette fois-ci pour retrouver les autres enfants, auxquels je voulais remettre ces clichés. Puis, en retrouvant Alexis Briquet et sa compagne Deanna Cavadini, les humanitaires de Terre des hommes qui avaient organisé les convois, j’ai compris que ce sauvetage de plusieurs centaines d’enfants n’avait été raconté par personne, qu’il avait finalement laissé très peu de traces dans l’histoire du génocide contre les Tutsi. C’est seulement là que j’ai décidé de l’écrire Votre quête est portée par le désir infatigable de retrouver des traces visuelles. Que recherchiez-vous dans ces preuves irrécusables ?
Il y a eu finalement assez peu d’images du génocide contre les Tutsi du Rwanda. Il n’y avait pas beaucoup de journalistes sur place, si l’on compare avec les milliers qui étaient en Af rique du Sud en av ril pour les premières élections libres après l’apartheid ou, plus prosaïquement, avec ceux qui couv raient au même moment la Coupe du monde de football qui se déroulait aux États-Unis Alors, ces images sont fondamentales. Il s’agit de retrouver les traces d’une jour née si pa rt ic ulière de notre vie, celle où nous sommes devenus des surv ivants, une identité qui ne nous a plus jamais quittés. Une image permet aussi de se souvenir Nous étions terrorisés, certaines choses ont été oubliées. Beaucoup d’enfants étaient très jeunes, alors ces photos seront aussi le souvenir manquant enfin retrouvé. Quelles incidences ont eu l’exploration et la lecture d’images dans votre quête, puis dans l’écriture de votre récit ?
souvent de l’individuel au collectif, car il s’agissait aussi pour moi de me réinscrire dans ce collectif. Sur le bandeau de votre livre, une photo en noir et blanc montre différents protagonistes quittant le territoire rwandais, dont la frontière est balisée d’une pancarte disant : « Le Rwanda vous souhaite la bienvenue. » Que raconte cette image ?
Sur cette photo, il y a les différents protagonistes de la scène centrale du livre. Nous sommes dans le no man’s land entre la frontière du Rwanda et du Burundi. On peut voir les enfants, ma mère et moi, les humanitaires. Et hors-champ, se trouvent aussi les journalistes de la BBC en train de nous filmer, ainsi que des génocidaires qui nous regardent leur échapper. Cette scène est invraisemblable, elle dit toute la fragilité de notre surv ie, mais aussi le rôle qu’y jouent les Blancs. C’est leur présence qui nous protège. On peut en déduire que si tous les autres n’avaient pas été évacués, si les militaires des Nations unies ou les Français et les Belges venus évacuer les leurs étaient restés, les massacres auraient pu être arrêtés. Et, bien sûr, le panneau qui, en temps de paix, accueillait les visiteurs arrivant du Burundi semble complètement absurde ici. Quel a été le moment le plus marquant de votre fuite et de votre sauvetage ?
En réalité, cette recherche d’images est la colon ne vertébra le du début de mon récit. Je raconte la difficulté à y avoir accès : retrouver ceux qui les ont prises, les archives où elles sont rangées, en Europe, et qui m’étaient la plupart du temps inaccessibles. Puis, je rev iens à mon souvenir intime des semaines que j’ai passées à me cacher, à échapper à la mort avec ma maman, avant d’élargir à une réf lexion plus large sur la question de qui prend les images lors d’événements historiques africains, qui les explique et à destination de quel public Je passe ainsi
Il y avait de très nombreu x ba rrages tenus par des miliciens hutu sur la route me na nt de But ar e à la fr ont iè re. Ce s 30 kilomètres ont été parcourus extrêmement lentement À chaque barr ière, tout pouvait s’ar rêter. Je pense que l’un des moments les plus tendus est quand, une fois que nous sommes ar rivées à la frontière et après être descendues du camion, un soldat hutu a voulu tirer sur ma mère. Un officier lui a montré les journalistes et lui a fait signe de baisser son fusil. Retrouver et partager avec ceux qui ont traversé l’inconcevable avec vous, puis témoigner, ont- ils été libérateurs ?
Tout dépend de ce qu’on entend pa r « libérateur ». Si l’on pa rle d’un ef fet de soin, non, je ne pense pas. L’écriture n’est pas un acte cathartique, chez moi. J’ai eu la chance d’avoir très vite un espace de psychothérapie pour démêler l’écheveau de mon histoire. Dans ce livre, mon récit personnel est là pour dire d’où je parle, depuis quelle expérience, pour ensuite construire une histoire collective, au-delà du pathos et du ressentiment. Vous évoquez la détermination d’Imre Kertész, survivant des camps de concentration, à « survivre à sa survie ». Que nous disent de votre parcours, de votre démarche et de votre identité ces mots lourds de sens ?
Un personnage d’un de mes premiers écrits (Ejo, suivi de Lézardes et aut re s nouvelles, Autrement) pose une question semblable : peut-on surv iv re à la surv ie ? Les gens ont tendance à me présenter comme un exemple de résilience. Je me méfie de l’utilisation qui est faite de ce terme comme, parfois, une injonction de la société à être résilient. On ne peut l’être que si l’on a eu des tuteurs de résilience, et je témoigne dans mon livre de la chaîne de gestes d’humanité, d’aides dont j’ai eu la chance de bénéficier. Tous les autres surv ivants n’ont pas eu ma chance, et je ne veux pas devenir l’arbre qui cache la forêt. Écouter et entendre les surv ivants, leur apporter la consolation dont ils et elles ont besoin sur le long terme sont une responsabilité de toutes les sociétés, il n’y a qu’à cette condition que l’on peut véritablement « surv iv re à sa surv ie ». Les paradoxes, les travers et les blessures des êtres humains, notamment dans des situations extrêmes comme la guerre, ne questionnent-ils pas la frontière ténue entre le bien et le mal qui traverse chacun ?
Cette frontière est ténue, et c’est justement en ayant l’exigence de dire toute la complexité des êtres et des situations qu’on peut l’approcher. C’est ce que j’ai tenté de faire, c’est ce que peut la littérature C’est aussi un besoin fondamental quand on écrit depuis une histoire qui a souvent été simplifiée, caricaturée. Ça demande aussi au lecteur de sortir de ses représentations, notamment s’il est occidental, sur une certaine Afrique. Annie Ernaux l’a bien résumé dans son livre
Les Années, où elle écrit à propos du Rwanda : « On avait encore moins envie de s’intéresser à ce qui se passait au Rwanda, faute de distinguer qui, des Hutu et des Tutsi, étaient les bons et les méchants. Depuis toujours, penser à l’Afrique remplissait de torpeur. Il était tacitement admis qu’elle était située dans un temps antérieur au nôtre, aux coutumes barbares, avec des potentats à châteaux en France, et ses maux ne semblaient jamais devoir prendre fin. C’était le continent décourageant » J’ai mis cet extrait en exergue de mon premier livre, publié en 2015, car c’est aussi depuis la volonté d’encourager à comprendre la modernité de ce génocide, que j’écris. Il est temps, dites-vous, de « se réapproprier une histoire racontée par les Occidentaux ».
La souffrance n’appartient-elle pas à tout le monde ? Dès lors que l’on assimile une histoire, n’est- on pas légitime pour s’en faire le passeur, s’unir dans une démarche et une mémoire collective, sans frontières culturelles ni d’appartenance ?
Un génocide est un crime contre l’humanité. Il concerne tout le monde, et je pense que tout le monde peut écrire sur cette histoire, mais en ayant la rigueur de dire clairement d’où l’on parle, depuis quelles représentations. Et en respectant toujours la singularité de la parole des surv ivants J’ai presque écrit ce livre dans une démarche pédagogique. Au-delà de la volonté de fa ire connaître cette histoi re de sauvetage immense, oublié, au-delà de la nécessité de faire entendre
« Être métisse, c’est habiter constamment une frontière. J’ai appris à naviguer entre deux mondes, et cela a sans doute créé chez moi une façon de voir qui a influencé mon écriture. »
nos voix de surv ivantes et surv ivants, il s’agissait aussi d’amener le lectorat du Nord comme des Sud à s’interroger sur des questions très politiques du récit : qui raconte quoi à qui ? Qui prend les photos et les légende, pour quel public ?
Vous échappez à l’indicible avec votre mère, qui est tutsi. Votre père, polonais, celui qui vous sauve par une filiation « blanche », est manquant. Quel sens donnez-vous à cette présence -absence ?
J’ai lu cette analyse, et j’admets la trouver un peu patriarcale Mon père ne m’a pas élevée, il n’était pas là pour moi à ce moment-là. C’est ma mère qui a tout fait pour nous mettre à l’abri et, quand elle n’a plus pu nous sauver, j’ai pris le relais en inventant un mensonge, en prétendant que mon père était français. Les tueurs m’ont crue. Pour eux, les autorités françaises étaient des alliées. Donc je ne considère vraiment pas que mon père m’a sauvée à ce moment-là
En quoi votre métissage est- il déterminant dans votre cheminement ?
Être métisse, c’est habiter constamment une frontière J’ai appris à naviguer entre deux mondes, et cela a sans doute créé chez moi une façon de voir qui a influencé mon écriture. J’essaie d’être comme une passeuse entre deux univers que je connais intimement.
Quel regard portez-vous sur le Rwanda d’aujourd’hui ?
Un regard bienveillant. Je suis impressionnée par la volonté que les Rwandais et les Rwandaises ont eue de « refaire pays », de se réapproprier une histoire à eux pour offrir un autre récit aux enfants du jour d’après. ■
CE QU E J’ AI AP PR IS
Mokhtar Samba
Tellurique et aérienne, sa science du rythme puise dans ses racines, le jazz, le rock, la Caraïbe. Avec son album Safar (« voyage »), le batteur s’inspire de ses pérégrinations, de la Casamance à Nouméa. Une odyssée puissante et lumineuse. propos recu eillis par Astrid Krivian
Né d’une mère marocaine et d’un père sénégalais, j’ai grandi au Maroc où, comme partout en Afrique, chaque fête, chaque célébration, chaque mariage se déroule en musique. Excellente cuisinière, ma mère participait à ces événements et m’emmenait Accompagnée d’autres femmes, elle jouait des percussions. Je sentais leur joie immense, le plaisir qu’elles avaient à battre le ry thme, un grand sourire aux lèvres. Ces moments ont été déterminants dans ma vocation.
Enfant, je vivais ma double culture avec bonheur : le vendredi, on mangeait du couscous, le samedi, du thiéboudiène ! À mon arrivée en France, à 12 ans, c’était différent. J’étais sans cesse obligé de justifier mes origines. À l’adolescence, j’en ai un peu souffert. Mais en grandissant, j’ai compris que c’était une richesse, une force, d’appartenir à plusieurs cultures. Cela donne du recul pour comprendre certaines choses, se mettre à la place des autres Et musicalement, c’est un apport magnifique ! Au Maroc et au Sénégal, le ry thme, c’est la vie. Tout en étant de nationalité française, je me sens africain du nord au sud. Et les sonorités africaines mériteraient d’être plus mises en avant : le continent est la maison mère, la genèse de tant de musiques
La batterie, c’est comme une relation amoureuse : c’est de l’affection, de la jubilation, mais aussi de l’incompréhension, parfois même de l’abattement Cet instrument m’a permis d’exprimer ce que j’avais à l’intérieur de moi. Il est source de nombreuses réflexions, donne une grande liberté, développe l’indépendance – les membres font chacun un mouvement différent, c’est comme jouer quatre instruments en même temps ! Et je porte une responsabilité : le batteur, c’est le cœur du groupe, les fondations de l’orchestre.
Sa fa r, Grand Ce ntra l Ar ti st s, 20 23
La transmission est très importante pour moi. J’ai écrit trois livres de méthodes pour démocratiser des ry thmes africains, afin qu’un musicien d’une autre culture puisse les saisir, savoir où est la pulsation, le premier temps. En Afrique, par la tradition orale, j’ai reçu la meilleure des formations, en ressentant la musique de manière épidermique, sensorielle, à travers un rapport au corps, à la danse. Ça ne s’apprend pas à l’école ! Mais c’est enrichissant aussi de comprendre la théorie de la musique. Mes études de jazz au conser vatoire, en France, m’ont également été très utiles J’ai joué avec de grands artistes (Salif Keïta, Santana, Alpha Blondy, etc.). Mais davantage que dans le show-business – un monde de paillettes parfois superficiel –, j’ai appris sur la vie auprès des paysans, des anciens, au Maroc ou en Casamance. Centrés sur l’essentiel, ces gens vivent simplement Ils parlent de la nature, du respect de l’environnement. Et ma mère est une philosophe du cœur, d’une grande sagesse. Elle me prodigue des conseils de vie, d’éthique, de respect.
Le titre de mon album, Safar, signifie « voyage » en arabe, et en certains dialectes africains. J’ai voulu illustrer en musique la magie des voyages, des rencontres, ce partage des cultures. Ma vision musicale est très éclectique : j’ai ainsi mixé toutes mes influences. J’ai beaucoup voyagé à travers le monde et, malgré la distance, grâce à la musique, on parle tous le même langage. ■
«En Afrique, par la tradition orale, j’ai reçu la meilleure des formations, en ressentant la demusique manière épidermique, sensorielle.»
BUSINESS
Interv iew
Jonathan CrookLa menace des Hout his redessi ne la ca rte du fret
Intérêt croissant des Ét at s-Un is pour les mi néraux afr icai ns
Crédits carbone: l’heure du doute
Opti misme en RDC après la révi sion du « cont rat du siècle »
Ri z : le Pa ki st an et la Thaïlande concur rencent l’Inde
Ce qui est longtemps apparu comme une mine d’or laisse place à de sérieuses interrogations. La COP28 de Dubaï n’est pas parvenue à un accord sur leur réglementation. Pour certains, il s’agit d’une fausse solution, alors que d’autres signent à tour de bras des protocoles avec des États africains. par Cédric Gouverneur
ÀMonrov ia, il y a un an, en mars 2023, la société émiratie Blue Carbon LLC signait avec les autorités libériennes un protocole d’accord les engageant à concéder pour trente ans des droits exclusifs sur pas moins d’un million d’hectares, soit 10 % de la superficie du pays. Dans le cadre de l’article 6 de l’Accord de Paris sur le climat, signé lors de la COP21 de décembre 2015, Blue Carbon utiliserait les terres concédées pour vendre des crédits carbone. Pour rappel, le mécanisme des compensations carbone permet à une entreprise polluante de contrebalancer ses émissions en achetant ces crédits (chacun représentant une tonne
de CO2 non émise, réduite ou éliminée de l’atmosphère). Les pays du Golfe rechignent à mettre fin à l’extraction des énergies fossiles, un modèle économique qui, depuis quatre générations, a assuré leur fulgurante prospérité : ils plébiscitent donc ce mécanisme compensatoire, envisagé dès la signature du protocole de Kyoto en 1997. Un dispositif également loué par la Banque africaine de développement (BAf D) et par certains responsables africains – le président kényan William Ruto, qui aspire à atteindre le 100 % d’énergies renouvelables dès 2030, a comparé les crédits carbone à « une mine d’or », apte à financer la transition énergétique du continent.
Les pays du Golfe plébiscitent ce mécanisme compensatoire, envisagé dès la signature du protocole de Kyoto en 1997.
UN NOUVEAU PARTAGE DE L’AFRIQUE , SELON LES ONG
Une association d’entreprises émiraties, regroupées au sein de l’UA E Carbon Alliance, a annoncé son intention d’acquérir des crédits carbone sur le continent. Blue Carbon se charge visiblement d’acquérir des terres africaines, afin d’avoir une position privilégiée sur ce marché prometteur. Cependant, l’envergure de ces protocoles d’accord, signés en l’espace de quelques mois, pose question. Fondée en août 2022 et dirigée par un membre de la famille royale émiratie – le cheikh Ahmed Dalmook Al-Maktoum –, Blue Carbon a négocié en 2023 des protocoles d’accord, non seulement avec le Liberia, mais aussi
la Zambie, le Zimbabwe, l’Angola, le Kenya, la Tanzanie, l’Ouganda… Tous portent sur des surfaces considérables, totalisant environ 250 000 km2 Les ONG de défense de l’environnement africaines et occidentales – très critiques envers le mécanisme des crédits carbone, qu’elles considèrent comme une « fausse solution » à la crise climatique, ne faisant que retarder l’abandon des énergies fossiles – comparent cette ruée à un nouveau « partage de l’Afrique » (scramble for Af rica), en référence à la conférence de Berlin de 1885 consacrant la conquête coloniale.
Autre point d’achoppement : l’opacité des protocoles d’accord signés. Contactés par Af rique Magazine, des écologistes zambiens et libériens nous ont répondu par courrier électronique avoir « très peu d’informations » sur ces accords préliminaires Les médias nationaux – telle la chaîne de télévision nationale zambienne ZNBC –sont étrangement bien peu loquaces sur des mémorandums qui concernent pourtant d’immenses portions du territoire, et qui pourraient engager les gouvernements successifs pendant plusieurs décennies.
Les médias nationaux sont peu loquaces sur des mémorandums qui concernent pourtant d’immenses portions du territoire.
Les difficultés éprouvées par Djibouti depuis six ans pour se défaire de son contrat léonin avec la société émiratie DP World pourraient inviter les États signataires à davantage de prudence. Le projet d’accord entre Blue Carbon et le Liberia prévoit une répartition pour le moins déséquilibrée des revenus, à 70 % pour la société émiratie et seulement 30 % pour le pays ouest-africain, ainsi qu’une décennie d’exemption fiscale.
Un groupe de sept associations libériennes environnementales et rurales, l’IFMCM (Independent Forest Monitoring Coordinating Mechanism), reconnaît dans un communiqué que les crédits carbone peuvent contribuer à lutter contre la déforestation, mais s’inquiète du fait que le contrôle des terres par Blue Carbon vienne télescoper la loi de 2018 sur le droit foncier. La Land Rights Law, obtenue de haute lutte, doit assurer aux communautés rurales la propriété des terres sur lesquelles elles vivent Rappelons qu’au Liberia, la question foncière est, historiquement, explosive : dans cet État fondé en 1847 par des Afro-A méricains affranchis, les populations autochtones avaient longtemps été spoliées de leurs terres coutumières au bénéfice des nouveaux arrivants. Cette inégalité de traitement constituait un motif de grief et fut même l’un des principaux carburants des guerres civiles qui, dans les années 1990 et 2000, ont meurtri ce pays anglophone frontalier de la Côte d’Ivoire Le protocole d’accord, signé avec la compagnie émiratie par le président George Weah, pourrait cependant être remis en question par son successeur, Joseph Boakaï : élu en novembre 2023 et investi en janvier dernier, le nouveau chef d’État libérien avait érigé le respect des droits des communautés rurales comme l’un des piliers de sa campagne électorale – il semble difficile de l’imaginer avaliser un protocole signé par son prédécesseur, sans consultation ni consentement desdites populations. Selon l’ONG néerlandaise Fern, un million de Libériens, sur 5,2,
se verraient directement impactés en cas de mise en œuvre de l’accord. La polémique grandissante concernant les activités de Blue Carbon sur le continent africain illustre l’urgence de réglementer le secteur
Or, lors de la COP28, qui s’est tenue à Dubaï en novembre et décembre derniers, les participants ont justement échoué à s’accorder sur des standards communs qui permettraient de réguler ce marché [lire l’interview, pages suivantes, de Jonathan Crook, ndlr]. En 2019, la COP25 de Madrid avait pareillement échoué
LA NÉCESSITÉ D’ÉTABLIR DES RÈGLES
Faute de règles, le secteur des crédits carbone s’apparente à un Far West : une étude menée par des universitaires américains et portant sur 61 projets de crédits carbone à travers le globe a estimé que 44 d’entre eux nuisent aux populations locales.
L’an dernier, une enquête conjointe des journaux allemand Die Welt et britannique The Guardian avait par ailleurs montré que 90 % des crédits carbone garantis par la société américaine de certification Verra n’avaient pas la moindre valeur, du fait notamment de la difficulté à calculer la non-émission d’une tonne de CO2
Au Zimbabwe, où existent déjà une trentaine de projets de crédits carbone, les autorités ont annoncé en mai une nouvelle loi, afin de « faire cesser le carbon washing » et « assurer que les bénéfices des crédits carbone aillent à la nation » : le texte prévoyait une nouvelle répartition des revenus, plus favorable aux communautés locales. Mais la loi votée en août a été considérablement adoucie par rapport au projet initial, les autorités redoutant visiblement de faire fuir les investisseurs vers des pays moins regardants ■
LES CH IFFR ES
6 000 DOLL AR S :
LE COUR S DE LA TO NN E DE CACAO LE 9 FÉ VR IE R À LA BOUR SE DE NE W YO RK . UN RECO RD DE PU IS 1977.
L’uran iu m, à 10 0 do lla rs la livre, a vu son cours plus que doubler en douze mois.
941 millions de dollars : le montant du prêt accordé au Kenya par le FMI.
La ZLECAf pourrait multiplier par trois les expor tations interafricaines de vêtements.
25 0 MI LLION S D’AF RI CAIN S PO UR RAIE NT S’ÉCLAIR ER GR ÂC E
AU PARC SO LAIR E SAHÉ LI EN DE SER T TO POWE R, FINAN CÉ PAR
LA BANQ UE AF RI CAINE DE DÉ VE LO PPE ME NT.
60 millions de tonnes : la production à terme de la mine de fer de Simandou (Guinée), qui doit ouvrir en 2025.
Jonathan Crook « Quelles garanties pour la population ? »
Les deals entre la société émiratie Blue Carbon et plusieurs États africains font débat : peu de détails ont filtré sur leur contenu, alors même qu’ils concernent des millions d’hectares, des centaines de milliers de personnes, et portent souvent sur des décennies. L’économiste américain de l’association Carbon Market Watch* ne nous cache pas son inquiétude. propos recueillis par Cédric Gouverneur
AM : Comment expliquer cette ruée soudaine de Blue Carbon en Afrique ?
Jonathan Crook : Blue Carbon a signé de nombreux protocoles d’accord (memorandum of understanding) concernant des territoires considérables (10 % du Liberia, 20 % du Zimbabwe…). Or, cette société a été fondée il y a deux ans à peine : de quelle expérience dispose-telle sur ce marché du carbone ? Son objectif semble de s’y positionner à grande échelle, afin d’avoir à l’avenir la priorité et l’exclusiv ité pour la vente et la revente des crédits carbone. Dans le cadre de l’article 6 de l’Accord de Paris sur le climat (COP21, décembre 2015), elle pourra ainsi contrôler la revente de ces crédits, avec la perspective de gagner beaucoup d’argent
Quel serait le bénéfice pour les pays africains signataires ?
Au Liberia, dans la première version de l’accord qui a circulé, les termes n’étaient pas équitables, Blue Carbon se réservant 70 % des revenus, contre seulement 30 % pour l’État signataire Aussi, beaucoup de projets de conser vation et de reforestation concerneront directement les communautés rurales et les peuples autochtones qui vivent en ces lieux. Or, comme le démontre un rapport de Carbon Brief, des violations des droits humains ont été commises par le passé à leur encontre [ce site d’information britannique consacré au réchauffement climatique a examiné 61 projets de crédits carbone dans le monde : 44 nuisent au x populations locales, ndlr]. Ces protocoles d’accord ont été signés dans un laps de temps très réduit, sans preuve de consultation préalable des populations concernées. Au Liberia, le protocole d’accord a été signé par le président George Weah en 2023, peu avant la fin de son mandat. Il n’a pas été réélu, mais une clause prévoirait que l’accord ne puisse être remis en cause, même en cas de changement électoral… Dès lors, pourquoi ces États ont- ils signé ?
Sans doute pour la promesse de royalties à court terme, qui pourraient permettre de sortir de l’ornière. Beaucoup de ces États sont en difficulté. Les liens de la société Blue Carbon avec la famille régnante émiratie ont pu convaincre les autorités, même si ces accords ne sont pas dans leur intérêt à long terme. Peu d’informations ont filtré sur les détails de ces accords…
Ce manque d’informations soulève beaucoup d’interrogations. D’autres accords sont transparents, comme celui signé récemment entre la Thaïlande et la Suisse.
Mais avec Blue Carbon, rien n’a été rendu public Et pourtant, les superficies concernées sont gigantesques. Rarement une telle échelle a été observée dans le cadre d’accords entre un État et une entreprise privée Ils portent sur le long terme : au Liberia, les terres auraient été concédées pour trente ans.
Considérant l’importance des enjeux et les centaines de milliers de personnes concernées, des précautions devraient être prises : quelles garanties pour les populations ? Quels revenus pour les États ? Quelle répartition des bénéfices ? Comment ces revenus viendront-ils financer des projets sur le terrain ? La qualité et la nature de ces crédits carbone constituent une autre interrogation : qu’est-ce qui sera échangé ? Comment quantifier la baisse d’émissions de CO2 ? Nous n’en savons rien Certaines ONG parlent de « colonialisme du carbone » (carbon colonialism).
À l’initiative de ces projets, on trouve principalement des pays du Nord développés – Europe, Amérique du Nord et Golfe –, mais les récipiendaires sont des pays du Sud global. La majorité des entreprises qui achèteront ces crédits carbone le feront pour compenser leurs émissions polluantes. Peu d’informations filtrent. L’absence de transparence, particulièrement marquée dans le cas de Blue Carbon, s’étend également à des détails habituellement publics sur le marché du carbone (par exemple, la méthodologie, le ty pe de projet), ce qui rend impossible l’évaluation des futurs crédits carbone. Cela endommage la crédibilité de tout le dispositif. En janvier 2023, a éclaté le scandale Verra : une enquête menée par des médias britanniques et allemands affirmait que la plupart des crédits carbone étaient surévalués.
méthodologie, comme l’ont démontré, par exemple, des chercheurs de l’Université de Berkeley. La conser vation des forêts doit être soutenue financièrement, mais il y a trop d’incertitudes et d’erreurs de calcul potentielles pour que les crédits carbone puissent être utilisés afin de compenser les émissions réelles des entreprises et/ou des pays La COP28, qui s’est déroulée en novembre et décembre à Dubaï, n’avait- elle pas à son programme la recherche de mécanismes de certification des crédits carbone ?
« Aucun accord n’a été trouvé à la COP28 sur l’article 6.2, qui doit réglementer les échanges interétatiques de certificats de réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’absence de règles déterminées risque de s’avérer problématique. »
Ces erreurs ne sont pas nécessairement commises à dessein : estimer les impacts réels des projets de conser vation s’avère difficile Cela dit, de nombreuses méthodologies utilisées ont été conçues avec une grande flexibilité dans le choix des paramètres. Ce qui peut entraîner d’énormes variations dans la création de crédits carbone avec la même
Aucun accord n’a été trouvé à la COP28 sur l’article 6.2, qui doit réglementer les échanges interétatiques de certificats de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Mais, à l’exemple du récent accord entre la Suisse et la Thaïlande, de plus en plus d’États vont signer directement des accords bilatéraux. L’absence de règles déterminées, faute d’accord à ce sujet à Dubaï, risque de s’avérer problématique. Lors de la COP28, beaucoup d’ONG n’ont pas osé s’exprimer pleinement concernant les activités de Blue Carbon, redoutant la façon dont cela serait perçu par les autorités émiraties. Dans un monde idéal, ces crédits carbone pourraient servir à canaliser les financements nécessaires à la transition énergétique, sans décourager les mesures d’atténuation internes que les entreprises et les pays doivent prendre en priorité, ni être exploités à des fins de greenwashing ou aux dépens des populations locales et des pays du Sud global. Mais là, les premiers accords signés ne le sont pas dans des termes équitables : les entreprises viennent des pays développés, tout comme les intermédiaires, et les bénéfices sur le terrain, pour les communautés locales, dans les pays du Sud, demeurent flous. ■
* Carbon Market Watch est une association à but non lucratif accompagnant les entrepri ses dans la baisse de leurs émission s. Ba sée à Bruxelles, elle est notamment accréditée auprès de l’Organi sation de l’aviation civile internationale (OACI) et de l’Organi sation maritime internationale (OMI).
De s hél icoptè re s hout hi s ont at te rri su r l e ca rg o Galax y Le ad er, le 19 nove mbre 20 23, en me r Rou ge
La menace des Houthis redessine la carte du fret
Les attaques en mer Rouge obligent les navires occidentaux à contourner le continent. Une nouvelle donne, dont certains pays africains pourraient bénéficier.
Déclenchées mi-novembre en représailles aux bombardements israéliens à Gaza, les attaques des Houthis bouleversent le commerce mondial. Pas un jour ne passe sans qu’un missile ou un drone, lancé par ces miliciens chiites appuyés par l’Iran, ne vise les navires passant dans le détroit de Bab el-Mandeb, la « porte des lamentations », large de 30 kilomètres, qui relie la mer Rouge et l’océan Indien. La coalition menée par Washington, qui tente depuis
décembre 2023 de protéger les convois et bombarde les Houthis au Yémen, ne parv ient pas à éliminer la menace.
Les géants du transport maritime changent donc de route : Maersk (Danemark), MSC (Italie-Suisse), CM A CGM (France), Hapag-Lloyd (A llemagne), Evergreen (Taïwan), Nippon Yusen (Japon), HMM (Corée du Sud), tous font désormais le tour de l’Afrique. La mer Rouge, qui voit normalement transiter entre 12 et 15 % du fret mondial, et entre 60 et 80 % des importations européennes,
a vu sa fréquentation chuter de 42 %. À noter que les Houthis ciblent les Occidentaux, perçus comme des alliés d’Israël, mais ont promis « un passage sécurisé » aux navires russes et chinois (ils ont même envoyé, fin janv ier, une délégation à Moscou).
HAUS SE DE LA FRÉQUENTATION DE S PORTS AFRICAINS
Contourner l’Afrique pour arriver en Europe occasionne un détour de plus de 6 500 kilomètres, qui rallonge le périple d’au moins dix jours. Cela
se traduit par une augmentation du trafic dans les ports africains dits « de soutage », où les navires peuvent se ravitailler en fuel La fréquentation est donc en hausse à Durban et au Cap, en Afrique du Sud. Le Maroc, après avoir déploré le quasi-doublement du coût d’acheminement d’un container depuis la Chine – de 2 000 à 4 000 dollars –, a des chances de bénéficier à terme de la nouvelle donne : les industriels européens pourraient être incités à produire au royaume chérifien plutôt qu’en Asie, afin de limiter les coûts de transport. Djibouti, situé au sud du détroit ciblé par les Houthis, reste peu impacté. À l’inverse, l’Ég ypte, gestionnaire du canal de Suez, est la principale victime de la situation : les recettes du canal, qui avaient battu des records en 2022-2023, avec 9,4 milliards de dollars, devraient s’effondrer en 2024. Une catastrophe pour les entrées de devises du troisième pays le plus peuplé du continent, endetté et en crise.
L’ONU redoute des répercussions de cette crise sécuritaire sur l’ensemble du commerce mondial, et même sur le réchauffement climatique, du fait du rallongement des trajets. Cette paralysie de la mer Rouge s’ajoute aux difficultés rencontrées par le canal de Panama (la sécheresse diminuant son tirant d’eau, le canal centro-américain a vu son trafic chuter d’un tiers en un an) et à la dangerosité de la mer Noire depuis le déclenchement de la guerre russo-uk rainienne en février 2022 : « Des perturbations prolongées pourraient affecter les chaînes d’approv isionnement mondiales, entraînant des délais pour la livraison des biens, une hausse des coûts et un risque d’inflation », souligne la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) ■
Phalabor
Intérêt croissant des États-Unis pour les minéraux africains
Washington investit avec la volonté de transformer sur place la matière extraite.
Les États-Unis ne produisent que 4 % du lithium et 13 % du cobalt mondiaux. Ils n’ont ni graphite ni nickel, et dépendent du rival chinois pour une dizaine de minéraux indispensables à la transition énergétique… Washington multiplie donc les partenariats en Afrique, afin de diversifier ses approv isionnements La banque de développement DFC a injecté 50 millions de dollars dans TechMet, une société d’investissement spécialisée dans les minéraux critiques, qui va acquérir entre 15 et 33 % du gisement sud-africain de terres rares de Phalabor wa. La DFC a aussi accordé un prêt de 150 millions de dollars à la mine de graphite mozambicaine de Balama. Washington a fourni 250 millions de dollars à la réfection du chemin de fer reliant le
port angolais de Lobito à la RDC et à ses mines. Une société américaine, Lifezone Metals, a signé un partenariat avec la Tanzanie pour lancer une mine de nickel, et une autre, KoBold Metals, investit 150 millions dans le gisement zambien de cuiv re de Mingomba. Washington s’intéresse également aux gisements de lithium découverts au Nigeria. « Les pays africains sont en bonne position pour tirer profit du regain d’intérêt des États-Unis envers les minéraux critiques », souligne un rapport de l’agence Ecofin, qui précise que le géant américain manifeste l’intention de favoriser la transformation sur le continent des minéraux extraits Une industrialisation qui impliquera la « création de milliers d’emplois » et « des gains socioéconomiques significatifs ». ■
Optimisme en RDC aprèslarévision du «contrat du siècle »
Kinshasa estpar venu àrenégocieravecPékin le partenariat «mines contre infrastructures », quiétait notoirementdéséquilibré. UnevictoirepourlegouvernementTshisekedi.
LaRépubliquedémocratique du Congo estenpasse de tour nerlapagedu scandale du «contrat du siècle », quiduredepuis quinze ans. En effet, finjanvier,K inshasaa annoncéunaccord amendant le contratminier signéen2008: désormais, 55 %des bénéficesiront àlapartie congolaiseet45% àla partie chinoise. «Noussommes passés de 3milliardsdedollars d’investissementsà7milliards, s’est
félicité le ministre desInfrastructures, Alexis Gisaro.Celasignifie quenous avonsplusque doublélemontant allouéaux infrastructures. »
La partie chinoise devraverser 5,8milliardsde dollarsàlaR DC, dont 624millionspourl’année 2024 Et surtout,l’actionnariatcongolais au sein de la co-entreprise Sicomines va significativement augmenter, grimpantde32à70%.
Ce quidonnera le derniermot aux autoritésetàlaGécamines
UNE RÉÉVALUATION ANNUELLE
Signéen2007et2008par l’administration Kabila et présenté alorscomme le «contratdusiècle», le deal «mines contre infrastructures» n’avait– et c’estuneuphémisme–guère tenu sespromesses. Pour rappel,laSicomines,enéchange de l’exploitation desréser vesdecobaltet de cuivre,estiméesà 14 milliardsde dollars, s’étaitengagée àconstruire pasmoins de 3500 kilomètres de routes,autantdevoiesferrées,
31 hôpitaux,145 dispensaires de santé, deslogements sociauxetdes barrages hydroélectriques.Untotal de 9milliardsdedollars d’infrastructures –réévalué en 2009,souslapression du Fondsmonétaireinternational (FMI), à6milliards–,qui ne se sont, en pratique,guère matérialisées…
En février2023, un rapport accablantdel’Inspection générale des finances (IGF)qualifiaitl’accord de «dilapidation»,de« bradage»,etmême de «colonialismeéconomique»: les mines du Katangaauraientrapporté, en l’espace de quinze ans, la bagatelle de 10 milliardsdedollars aux investisseurs chinois. En contrepartie, la valeur desinfrastructures construitespourles Congolais s’élèverait,selon les estimationsde l’IGF, àseulement 822millionsde dollars. Lesexonérationsfiscales étantsubordonnées parcontratàla réalisation d’infrastructures, l’IGFn’a pu queconstater queces dernières «n’étaient pasà la hauteur»,indique Jules Alingete, inspecteur général desfinances. Troismoisplustard, en mai2023, FélixTshisekedia effectué sa première visite d’État àPékin,avec notammentl’intention de remettreà plat le sulfureuxaccord signépar son prédécesseur. L’idée étaitde« recadrer lesrelations [entre la RDCetlaChine] pour qu’ellessoient désormaisbasées surune réelle valeur ajoutéepour nospeuples respectifs»,expliquait la présidence.Auterme de huit mois de négociationsavecleGroupement desentreprises chinoises(GEC),la partie congolaiseest parvenue àses fins,mêmesil’IGF réclamait jusqu’à 20 milliards de dollars. «Lecontrat de la Sicamines sera réévalué en juin de chaqueannée », asouligné JulesA lingete. La Chinedemande, quantàelle, uneamélioration du climat desaffaires en RDC. ■
Ri zière àLahore, au Pa ki stanRiz : le Pakistan et la Thaïlande concurrencentl’Inde
Lesdeuxpaysasiatiquesexportent de plus en plus cettecéréale vers l’Afriquesubsaharienne.
Enréponse au protectionnismeindien, le Pakistan et la Thaïlande accroissentleurs exportations de rizversl’A frique subsaharienne, selon les données du ministère de l’Agricultureaméricain (USDA).Depuis septembre2022, l’Inde restreint sesexportationsderiz, afin de protéger sesconsommateurs dans un contexte inflationniste. NewDelhi interdit l’exportation de rizblanc non-basmati,deriz brisé –trèsconsommésur le continent–, et applique unetaxede 20 % surleriz étuvé, ainsi qu’unprix plancher de 950dollars la tonne pour le rizbasmati.LeSénégal, la Gambie et le Mali bénéficient cependantd’exemptionsdelapart de NewDelhi.Selon l’USDA, l’Inde aexporté seulement8à9millions
de tonnes de cettecéréalevers l’Afriquesubsaharienne en 2023, contre 11 millionsl’année précédente. La reconduction, ou non, du Premier ministre nationaliste hindou Narendra Modi,lorsdes électionslégislatives prév uesenavril-mai prochain,dev rait déterminer l’évolutiondecet embargo. En attendant,lePakistanaccroît ses exportations de rizbrisé vers l’Afrique subsaharienne(5millions de tonnes en 2023). Le grand rivaldel’Inde estaidépar la faiblessede la roupie pakistanaise,qui rendses exportations très compétitives.LaThaïlande, quif ut le premierexportateur de rizversl’A frique subsaharienne entre2014et2019, avantdese fairesupplanterpar l’Inde,voit également sesexportationscroître, notammentverslaCôte d’Ivoire, le SénégaletleNigeria. ■
VI VR E MI EU
Pa ge s diri gée s par Dan ie ll e Be n Ya hm ed
Affronter le diabète
CETT E MA LA DI E
SI LENCIEUSE, à laquel le on est ex posé en prenant de l’âge, est en hausse pa rtout da ns le monde. Souvent négl igée, el le peut êt re source de complications. Que fa ire pour l’anticiper ?
LE NOMBRE DE PERSONNES DI ABÉTIQUES A DOUBLÉ EN TR ENTE ANS, dans le monde. Selon les estimations, 10 % de la population mondiale devraient être touchés d’ici à 2050, soit 1,3 milliard de personnes. Cette affection se caractérise par une glycémie, ou taux de sucre sanguin, trop élevée. C’est le diabète de ty pe 2, représentant l’immense majorité des cas (95 %), qui se propage avec une telle ampleur. Il apparaît en général après 40 ans. Mais aujourd’hui, il n’est pas rare que des plus jeunes soient concernés.
Quand le corps fonctionne bien, l’insuline, hormone sécrétée par le pancréas, « pompe » le sucre dans le sang pour qu’il soit distribué aux cellules. Ainsi, la glycémie reste correcte. Le diabète s’installe lorsque l’insuline agit moins efficacement ou que le pancréas n’en produit plus assez. Quant au diabète de ty pe 1, l’origine est différente Apparaissant dès l’enfance, il s’agit là d’une maladie auto-immune : les cellules du pancréas sont détruites, d’où une carence en insuline, nécessitant d’emblée des injections de cette hormone à vie.
Prévenir
Plusieurs facteurs favorisent l’apparition du diabète de ty pe 2, à commencer par la prédisposition génétique. En effet, il conv ient de prêter attention à ses antécédents familiaux (parent, frère ou sœur). Pour les femmes, avoir eu du diabète lors d’une grossesse accroît le risque pour plus tard Mais la hausse épidémique de cette pathologie est en lien avec d’autres éléments Le surpoids, de plus en plus fréquent, en est la première cause : le tissu graisseux nuit à l’efficacité de l’insuline, et un excès de graisse abdominale (tour de taille supérieur à 94 centimètres pour les hommes et à 80 centimètres pour les femmes) est particulièrement néfaste. Une mauvaise alimentation et une trop grande sédentarité augmentent aussi le danger de développer la maladie, tout comme l’hy pertension artérielle et le tabagisme.
Le contrôle sanguin de la glycémie est recommandé à partir de 40 ans. Avec un ou des facteurs de risque, la surveillance est conseillée dès 35 ans, au rythme dicté par le médecin. La glycémie à jeun doit rester inférieure à 1,10 g/l. Entre 1,10 g/l et 1,25 g/l, on parle d’un état « prédiabétique », qui annonce un haut risque ultérieur. À partir de 1,26 g/l sur deux analyses, le diagnostic est posé Les bilans sanguins sont essentiels pour dépister l’anomalie au plus vite. Et, en changeant son hygiène de vie, il est possible de prévenir l’apparition du problème. Les personnes ne s’en préoccupant pas s’exposent à des ennuis, car bien qu’il évolue sans entraîner de sy mptôme pendant longtemps, il peut commencer à faire des dégâts très tôt. Non contrôlé, l’excès de sucre dans le sang abîme la paroi des artères et des vaisseaux. De graves complications risquent de survenir à terme : infarctus et accident vasculaire cérébral, perte progressive de la vue, insuffisance rénale nécessitant des séances de dialyse. La maladie peut aussi provoquer une atteinte des nerfs des membres inférieurs, avec une perte de sensibilité ou des plaies au niveau du pied passant inaperçues et pouvant mener à une amputation.
Mieux manger
L’alimentation tient une place primordiale dans la prévention du diabète, ainsi que pour le combattre et év iter une aggravation une fois celui-ci installé. Afin d’év iter un excès de kilos ou de lutter contre s’il est là, pas de secret : il ne faut manger ni trop gras, ni trop calorique. Perdre ne serait-ce que 5 à 10 % de son surpoids est efficace pour éloigner le diabète. Le régime méditerranéen, avec du poisson, des viandes maigres (volaille, lapin, etc.), de l’huile
(olive,colza), estrecommandé. Fairelapartbelle auxlégumes verts ou légumineusesàchaquerepas,etaux fruits en dessert, diminue la probabilitédedevenir diabétique et aide àmaintenir un poids normal.Deplus, lesfibresdes végétauxralentissentl’absorption du sucrepar l’organisme. Voilàune imagesimpleàgarderen tête pour un bonéquilibre alimentaire: avoirdansl’assietteun tiersdelégumes,untiers de protéines et un tiersde féculents.
Lesglucides(pain,pâtes,riz)nesontpas interdits. Cependant, chaque fois quepossible, lesproduitscompletsousemi-completssont àprivilégier, carrichesenfibres. Attention, en revanche,auriz et auxpâtes «à cuisson rapide»: ilsont l’inconvénientdefairegrimper biendavantage la glycémie
Lesdenrées sucréesnesont paslacause du diabète. Mais il estpréférabledeles consommer–ycompris lesfruits, d’ailleurs –enfin de repas: ainsi, dans le bolalimentaire,celafaitmoins monter la glycémie Unegrandemodérationest de mise pour lessodas et autres boissons avecdes sucres ajoutés: en excès, elles augmentent l’obésitéabdominale. Sont aussiàlimitergrandementles produits àlafoissucrésettrèsgras (gâteaux,v iennoiseries,crèmes dessert, etc.), ainsi queles produits fritsetpanés,les charcuteries et fromages gras,etl’alcool. Lesinterdits n’étantjamaistenables dans le temps, l’idée estdes’autoriser desexceptions.
Certainscondiments, quiaideraientàfairebaisser la glycémie,rencontrentun véritableengouement. Avec quelques études àl’appui, le vinaigre de cidrearriveentêteenmatière d’efficacité :àtesterau quotidien,à raison de deux cuillèresà soupedansune salade ou un verred’eau.Lacannelle, le curcuma, lesgraines de fenugrec semblent aussibénéfiques.Quant au gingembreetausafran, ilsaffichent desrésultats plus variables. Quoi qu’ilensoit, lescondimentsencuisine sont sans danger !
Bougerets’activer
L’activité physique estune autrearmeessentielle pour prévenir le diabète. Outreson bénéfice surlepoids, elle agit directement surlaglycémie. En effet, lorsquelecorps estenmouvement,les cellules musculaires utilisent davantagelesucre circulantdanslesangpourleconsommer commecarburant énergétique.Lemouvement fait exactement la même choseque l’insuline,etilsoulageletravail du pancréas. En outre, destravaux récents conduits au Centreeuropéend’étude du diabètedeStrasbourgapportent un éclairagenouveau :ils montrentque le muscle envoie dessignaux influençantlefonctionnement du pancréas.
Pour unev raie protection, il faut bougeraumoins 30 minutespar jour, et au minimum2h30par semaine, àraisondequatreàcinqséances Se déplacer àpied, àvélo, prendreles escaliersaulieudel’ascenseur, ou bienfairedujardinage comptent aussicomme de l’exercice.
Même au stadedeprédiabète, unealimentation équilibrée et de l’exercicepermettentbiensouvent d’annulerlerisquede maladie. En revanche, unefoislediabète déclaré, il n’ya pasde retour en arrièrepossible. L’hygiènedev ie restenéanmoins capitale pour unemeilleure évolution.Parallèlement,untraitementest prescrit,avecdes stratégies désormaisbiencodifiéespouréviterles complications. Selonles cas,unoudeuxmédicaments,voire trois, sont utilisés.Après nombred’années, si le traitement parvoie oralen’est plus suffisant,des injections d’insuline seront nécessaires ■ Annick Beaucousin
Découverte d’unmarqueur pronostic
IDENTIFIER les diabétiques les plus exposés au risquedecomplications cardiovasculaires est trèsdif ficile.Unnouveaumarqueurpronostic vientd’êtredétectépar uneéquipedel’Inserm en France: la quantitédecer tains globules blancs dans le sang, lesmonocytes, estassociée au risque d’infarctus ou d’accident vasculaire cérébral. Cettedécouvertedevrait permet tre un dépistagepouraméliorer la prévention Les chercheurstravaillentàl’élaboration d’un capteur électronique pour doser lesmonocytes àpar tir d’une gout te de sang
LE S 20 QU ES TI ON S
Puppa Lëk Sèn
Avec son puissa nt REGGAE MILITA NT, pacifique et fédérateur, le chanteur et guitar iste sénégalais, ancien rappeu r, défend l’émancipat ion et LA LI BERT É DES PEUPLES AFRICA INS. propos re cueillis par Astrid Krivian
1 Votre objet fétiche ?
Le doudou de mon fils. Il me l’a offert pour mon anniversaire, quand il avait 3 ans.
2 Votre voyage favori ?
Le Canada m’a marqué par la douceur, la gentillesse, le calme de ses habitants.
3 Le dernier voyage que vous avez fait ?
À Montréal, pour un festival qui célèbre le Black Hi stor y Month.
4 Ce que vous emportez toujou rs avec vous ?
Ma guitare. Et ma détermination, ma volonté, ma foi en la musique. Elle peut changer les choses
5 Un morceau de musique ?
« Graduation in Zion », de Kiddus I. La magie de ce morceau enregistré en live touche mon âme.
6 Un livre su r une île déserte ?
Les ouvrages de Marcus Garvey, qui nous rappelle qui l’on est, d’où l’on vient. Pour avancer, il faut connaître et comprendre l’histoire de notre peuple
7 Un film inou bliable ?
Sécurité rapprochée, avec Denzel Washington Et ma chanson « Rebel Blues » passe dedans !
8 Votre mot favori ?
10 De jour ou de nuit ?
Je me couche à 20 h 30 et me lève à 7 heures, sauf les soirs de concert. C’est une habitude pour prendre soin de moi. 11 Twitter, Facebook, e-mail, coup de fil ou lettre ?
Coup de fil pour le personnel, mails pour le professionnel. Facebook et Instagram pour la promotion. Mais je me méfie de ces réseaux sociaux déshumanisants Un musicien doit se battre pour ses valeurs, son message, et non pas pour des likes.
12 Votre tr uc pour penser à autre chose, tout ou blier ?
La méditation. Écouter les bruits de la nature. Comme disait Bob Marley, « avoir des oreilles et savoir écouter sont deux choses différentes » ! Et laisser le temps faire son travail, accepter de ne pas tout contrôler.
13 Votre extravagance favorite ?
Mon franc-parler, qui m’a parfois coûté. Avec la maturité, j’ai appris à m’exprimer plus pacifiquement sur des sujets délicats
14 Ce que vous rêviez d’être quand vous étiez en fant ?
Footballeur. J’étais doué !
15 La dernière rencontre qui vous a marqué ?
Le slameur nigérien Jhonel Sa verve est forte, apaisante. Nos combats se rejoignent
16 Ce à quoi vous êtes incapable de résister ?
Le délicieux plat sénégalais C’est bon !
17 Votre plus beau souvenir ?
La naissance de mon premier enfant. C’était très fort, au-delà des mots.
18 L’endroit où vous aimeriez vivre ?
Chez moi, au Sénégal, face à mon île de Ngor
19 Votre plus belle déclaration d’amou r ?
Celle que je fais chaque jour à mes enfants.
20 Ce que vous aimeriez que l’on retien ne de vous au siècle prochain ?
« Love » : l’amour amène la paix, l’équilibre, le rêve.
9 Prodig ue ou économe ?
Je vis simplement. J’achète des habits de qualité, que je garde des années, et j’aime les customiser.
Ma foi en l’humain pour se lever et transformer sa vie. Mon combat pour l’Afrique. Je crois en un vrai changement pour nos enfants. Ils sont assis sur une mine d’or. ■
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