RWANDA RÉSURRECTION ET MAIN DE FER
Le pays commémore le 30e anniversaire du génocide.
PARTITIONS
NOUR AYADI
L’AMOUR DE L’HARMONIE
CINÉMA MOHAMED BEN ATTIA
DANS LES NUAGES
GASTRONOMIE
LES ÉTOILES DE MORY SACKO
BUSINESS
À QUI PROFITE L’OR DE L’AFRIQUE ?
BASSIROU DIOMAYE FAYE devient le plus jeune président du pays. Soutenu par son mentor OUSMANE SONKO, il doit acter la rupture, répondre aux immenses attentes, prouver que le changement est possible. Un défi historique.
N° 45 1 - AV RI L 20 24 L 13888 - 451 - F: 4,90 € - RD Fr ance 4, 90 € – Af riqu e du Sud 49 ,9 5 ra nds (t ax es incl .) – Alg ér ie 32 0 DA – All em ag ne 6, 90 € – Au trich e 6, 90 € – Be lg iq ue 6, 90 € – Canada 9, 99 $C DO M 6, 90 € – Es pagn e 6, 90 € – Ét at s- Un is 8, 99 $ – Gr èce 6, 90 € – It ali e 6, 90 € – Lu xe mb our g 6, 90 € – Mar oc 39 DH – Pa ys -B as 6, 90 € – Po rt ug al con t. 6, 90 € Royaume- Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3 000 FCFA ISSN 0998- 9307X0
REVOLUTION
LA
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PA R ZYAD LI MAM
UNE NOUVELLE FRONTIÈRE VERTE édito
L’Afrique est au cœur des enjeux stratégiques de ce siècle. Un continent immense, peuplé de près de 1,2 milliard d’habitants, avec une perspective de 2 milliards à l’horizon 2050. Un continent émergent, mais où la lutte contre la pauvreté reste une urgence permanente. Un continent marqué par une urbanisation révolutionnaire, qui bouleverse les schémas sociaux traditionnels, les flux commerciaux, les demandes de la population. Un continent, enfin, en première ligne face au changement climatique, qui d’ores et déjà impacte la vie et le travail de millions d’Africains.
Dans ce continent de plus en plus peuplé et urban isé, la questi on agric ole reste pourtan t secondaire, alors qu’elle devrait s’imposer comme une priorité majeure En Afrique, l’agriculture est au cœur de tout, du pacte soc ial, le pivot des socié tés. C’est la princip ale sourc e de reve nus. Près de 60 % de la population travaillent la terre, au moins 300 millions de personnes, dont de très nombreuses femmes.
L’Afrique subsaharienne est la région qui connaît la plus forte croissance agricole au monde. La production a plus que triplé en valeur au cours des trente dernières années. Mais ce progrès se fait par l’extension continue des surfaces cultivées et l’au gm entation de la main-d’œuvre. Avec des conséquences sur un environnement déjà fragile. La productivité et la production restent faibles, bien en deçà du potentiel et des besoins. En fin de compte, 60 % de la population active travaillent pour un secteur qui génère moins de 20 % du PIB de l’Afrique subsaharienne (400 milliards de dollars sur les 2 000 milliards du PIB). Le niveau de productivité de l’agriculture africaine équivaut en moyenne à un tiers de celui de l’Asie. Moins de 10 % des terres sont irriguées, contre plus de 40 % en Asie.
Le continent est également devenu dépendant des importations. Leur valeur pourrait dépasser, à l’échelle continentale, la barre des 110 milliards en 2025. Une affaire qui pèse lourdement sur les comptes publics. L’héritage colonial a incité au développement des cultures de rente (café, cacao, coton…), aux dépens des cultures vivrières. Ces « rentes », particulièrement sensibles aux variations des marchés, ne participent pas à la sécurité alimentaire du continent. En parallèle, les modes
de consommation ont été bouleversés avec l’apparition de produits « non africains », comme le blé, le riz, le soja, devenus incontournables Et l’urbanisation crée une demande pour une alimentation différente, rapide, souvent à base de produits… importés.
Avec cette dépendance, l’Afrique subsaharienne s’expose dangereusement aux fluctuations des marchés mondiaux et aux crises internationales. L’exemple le plus récent a été l’impact de la guerre en Ukraine sur l’approvisionnement et le prix du blé. Les tensions sur le marché du riz (devenu un aliment de base) et le protectionnisme possible de certains grands producteurs, tels que l’Inde, illustrent le risque. Le tout provoquant de fortes inflations et son corollaire de subventions publiques…
L’ag ricu lture rest e don c un enj eu maj eur, stratégique. Au XXIe siècle, en 2024, malgré le labeur de millions d’Africaines et d’Africains, les questions de la souveraineté et de la sécurité alimentaire restent encore une urgence publique. La malnutrition, la sous-nutrition, les famines sont encore une réalité inacceptable. Près de 300 millions de personnes seraient à risque en 2025, selon la Banque africaine de développement (BAD).
Il faut sortir de cette si tuatio n généra le de précarité. Placer l’agriculture au centre de politiques publiqu es de dévelop peme nt. S’appu yer, d’abo rd, sur le petit exploitant, pivot de l’agriculture africaine d’aujourd’hui, et favoriser son écosystème. Agir sur la protection et la compréhension des sols, l’utilisation des engrais. Promouvoir les partenariats public-privé, inciter à l’entrepreneuriat. Imaginer l’avenir, soutenir les produits et les cultures adaptés aux changements climatiques, penser à ce que cherchent, enfin, les consommateurs du monde riche – le bio, la nature, l’authenticité…
Les acteurs de la filière sont conscients de l’urgence de cette révolution agricole africaine. De la nécessité d’atteindre et de dépasser cette nouvelle frontière verte. Le potentiel en matière d’emplois et de cercles positifs de croissance est réel, avec le développement des hinterlands et des filières agro-industrielles compétitives L’agriculture, c’est aussi un business rentable, avec la promotion de produits « grown in Africa » attractifs et compétitifs. L’Afrique peut se nourrir et nourrir une partie du monde. ■
AF RI QU E MA GA ZINE I 45 1 – AV RI L 20 24 3
3 ÉDITO
Une nouvel le frontière verte par Zyad Limam
6 ON EN PARLE
C’EST DE L’A RT, DE LA CU LT UR E, DE LA MODE ET DU DESIGN
Chez Hawa Paris, l’émancipation a du st yle
24 PA RCOURS
Karine Pédu rand par Astr id Kr ivian
27 C’EST COMMENT ?
Vive les scruti ns ! par Emmanuelle Pontié
52 LE DOCUMENT
Méditerranée, au cent re du monde par Catherine Faye
78 CE QU E J’AI APPRIS
Patricia Essong par Astr id Kr ivian
80 PORT FOLIO
Désirey Minkoh : Les espr its du Bwiti par Emmanuelle Pontié
96 VI VR E MIEUX
Cancer : le combattre su r tous les fronts par Annick Beaucou sin
98 VI NGT QU ESTIONS À…
Fidèle Ntoogue par Astr id Kr ivian
44
rrection et main de fer par Cédr ic Gouver neur 56
Ayadi :
r de l’harmon ie par Astr id Kr ivian 62
l’étoile de Mor y Sacko par Luisa Nannipieri
68 Hemley Boum :
« La vie n’est pas facile pour les rêveurs » par Astr id Kr ivian
74 Mohamed Ben Attia :
« L’hom me dans les nuages, ça m’intéresse » par Jean-Mar ie Chazeau
Afrique Magazine est interd it de diffusion en Algér ie depuis mai 2018. Une décision sa ns aucu ne just ifcation. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lect ure) à exercer une mesure de censure d’un autre temps. Le maintien de cette interd iction pénalise nos lecteu rs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos am is algér iens peuvent nous retrouver su r notre site Internet : www.afriquemagazine.com
4 AF RI QU E MA GA ZINE I 45 1 – AV RI L 20 24
PHOTOS DE COUVERTURE : ANDREA FERRO/REDUX-REA
DRSYL VA IN CHERKAOUI N° 45 1 AV RI L 20 24 TEMPS FORTS 28 La révolution Sénégal par Zyad Limam
Boubacar Boris
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Le
par Astr
Kr
38
Diop
«
langage est politique »
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Rwanda : résu
Nour
L’amou
Sous
P.06 P.38
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P.62 P.68 P.44 P.74
BUSINESS
ON EN PA RL E
C’est ma inte na nt, et c’es t de l’ar t, de la cu lt ur e, de la mode, du de sig n et du voyag e
Prés entati on de la co ll ecti on Ha wa Pa ri s, à l’Hôte l de Vi ll e, dans la ca pi ta le, en févri er 20 24
6 AF RI QU E MA GA ZINE I 45 1 – AV RI L 20 24
FA SH ION
CHEZ HAWA PARIS,L’ÉMANCIPATION A DU STYLE
Le la bel imag iné pa r HAWA SA NGAR É allie économie ci rculai re et solida rité pour créer des pièces versat iles de ca ractère.
CE N’EST pas tous les jours que l’on a l’occasion de présenter sa première collection dans les beaux salons de l’Hôtel de Ville de Paris. Pour l’équipe de Hawa, qui accueille 26 personnes en insertion, le défilé du 1er février dernier a été l’occasion de dévoiler les premiers résultats d’un projet qui associe avec style la lutte pour l’émancipation et celle contre le gaspillage vestimentaire « La mode est un support d’activité idéal pour faire avancer ces deux combats qui me tiennent à cœur », explique Hawa Sangaré, 48 ans, une formation en ethnopsychiatrie et des décennies d’expérience dans l’accompagnement des personnes. Elle a créé la marque en janvier 2023 pour offrir un débouché naturel aux couturiers et couturières de son chantier d’insertion, H.A.W.A au féminin. Dans les ateliers installés au sein de la Manufacture Berlier, propriété de la ville, on apprend à upcycler des tissus de haute qualité récupérés dans les grandes maisons de couture. Encadrées par la directrice artistique Nicole Moore et deux expertes cheffes d’atelier, les équipes ont brodé et cousu des vêtements adaptés aux exigences les plus variées. Certaines pièces, comme la combinaison, sont unisexes. D’autres, comme cette jupe qui se remonte et se descend,
peuvent se porter avec des talons ou des baskets, à vélo comme en soirée. Et les coloris, du bleu électrique aux bleus, gris et noirs plus sobres, parlent tant aux personnalités les plus exubérantes qu’à celles plus classiques Le processus créatif est collaboratif et tire profit de la multiculturalité des employés. Une vraie valeur ajoutée, d’après Hawa Sangaré, qui prône le métissage et se décrit fièrement comme une Franco-Parisienne d’origine malienne. Elle pense déjà à la prochaine collection, une ode à la sensualité masculine et féminine matérialisée en satins, soies et dentelles issus des chutes de la marque de lingerie Chantelle. Et elle ne cache pas son envie d’ouvrir un jour des ateliers sur le continent et de participer à la valorisation des savoir-faire africains. hawaparis. com ■ Luisa Nannipieri
Ha wa Sa ng aré lor s du dé fil é du 1er févri er
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DR (2)
AG EN DA
ALLERSRETOURS
L’AFRICA MUSEUM se penche su rl ’origi ne de sescol lect ions acqu ises pendantlacolonisation.
ALORSQUE LA QUESTION DE L’OR IGINE, de la trajectoire et de l’avenir descollectionsgagnées dans descontextestroubles fait l’objetd’une attention croissante dans lesdébatssociétaux et politiques,l’exposition« ReThinking Collections» (« Repenserles collections»)s’attache éclairer lesenjeuxactuels et lesmultipl approchesdelarecherche de provena Masques, fétiches,instruments de musique, trophéesdechasseetphoto d’explorateurs interrogentles archives du passécolonial, en lesconfrontantà l’histoire oraledes peuples spoliés. PrésentéeàBruxelles et menéeen collaboration étroiteavecdes cherche et desartistescongolais,ladémarche permet ainsi de saisir lesdimensions politiqueousacrée desobjetscollectés volés, au traversdecarnets,delettres, d’inventaires et de témoignages vidéos.Mais, par-delà cesnouvelles perspectives, quel avenir pour lescollections, provenant essentiellement de l’actuelle Républiquedémocratique du Congo,dansethorsles murs desmusées? ■ Catherine Faye
Gyelal uZau li Ma squ eT ib eita, Côte d’Ivoi re Créé par Sab u bi Boti
«RETHINKING COLLECTIONS», Africa Museum, Tervuren (Belgique), jusqu’au 29septembre 2024 africamuseum.be
SO UN DS
Àécouter maintenant !
OU M
Dakchi , Su rella. En concer t les23et24avr il au Ca fé de la Da nse.
L’unedes plus grandes figuresdelamusique marocaineactuelle, nourriedesouletde gospel commedemusique soufie, célèbreune décennie de carrière internationale avec un album live enregistré àMarrakech.Baptisé Dakchi,habitépar sesfidèles musiciens, àl’oud,ausaxo, àlatrompette,à la basseetaux percussions, il rev isite sestrois premiers disquesavecautant de fidélité qued’inventivité
Abou Tall
Monsieur Saudade , Play Two. En concer tle30avr il au Tr ia non.
C’estlabossa-nova qu’honoresur cetalbum
Abou Tall,musicienparisien d’originecongolaise, quis’est fait connaître àtravers le duoformé avec sonfrère Dadju, TheShinSekaï. Profondément attachéàses origines africaines commeàlamélancoliesonore brésilienne, il livreici de l’acoustique, dessentimentsetune sérénitéretrouvée
Un biennommé MonsieurSaudade !
S.Pr iNoi r
La Cour des miracles, Believe.
Fort de plus de quinze ans de carrière,lerappeur parisien revientavecun nouvel album, La Cour desmiracles,qui raconte l’effervescenceàhautrisque de sesdébuts artistiques et commerciaux,oùileut biendumal àsedéfaire de sesdémons. Laissant la part belle auxmélodies, le disque estsansdoute sonplusréussi, imaginé entrelaFranceetleSénégal,puis enregistré àBruxelles ■ SophieRosemont
ON EN PA RL E 8A FR IQU EM AGA ZINE I 45 1–A VR IL 20 24
❶ ❷ ❸ DR -J .-M. VA NDYCK/CC-BY 4.0 -D R-D R-D R
Le 2
DO CU
DAHOMEY (Bén in-Sénégal-France), de Mati Diop. En sa lles le 24 septem bre.
MATI DIOP,OURSD’ORÀBERLIN
La rest it ut ionde26des 7000 objets royaux du Béni npar la France estaucœu rde Dahome y,DOCUM EN TA IR ECONSACR ÉPAR
LE JU RY DE LA 74E BERLINALE, présidépar Lupita Nyong’o.
LA BERLINALEEST l’un desplusgrandsfestivals internationauxdecinéma,etaussil’undes plus politiques. Pasétonnantque lefilmdeMatiDiop aittouchélejur y, présidépourlapremière fois parune femmenoire (et première AfricaineàrecevoirunOscar en 2014 pour 12 Years ASlave), Lupita Nyong’o. Dahomey,secondlong-métrage de la cinéaste franco-sénégalaise après Atlantique (Grand Prix du jury àCannesen2019),adécroché l’Ours d’or le 24 février. Ce documentaireaccompagne le retour au pays d’unetoutepetitepartiedes collectionsroyales béninoises rafléeslorsdelacolonisation françaiseetconservéesau musée du Quai Branly.Les politiques sont tenusà distance : ni lesprésidentsTalon et Macron,àl’origine de cetaccord, ni lesspécialisteseuropéens et lesresponsablesdumusée ne sont interrogés.MaisMatiDiop redonne unevoixàces trésorsenfermésdansdes caissesàParis et quiretrouvent la lumière du continent, en faisantentendreenvoixoff quatre comédiens quiincarnent leur âme. Unevision poétique,qui donneaussi la parole auxjeunesBéninois: àl’occasion de ce retour en grande pompe(tapisrouge et coupsdecanon), un débatétait ouvert àCotonou surla
notion de restitution.Échangespassionnantsetvertigineux : pourquoi seulement26objetssur 7000 ?Pourquoi ceux-là? Commentles accueillir,les préser ver, lesmontrer en Afrique? Faut-illes enfermer ?Lemusée,inventé parles Européens, peut-ilv raimentêtretransposé ici? Faut-iltout récupérer ?Àquelquesstationsdemétro de la Berlinale, dans lescollectionsafricaines exposées au Humboldt Forum, lesconditionsdupillagedechaqueobjet sont désormais affichées, et despiècesprestigieuses prêtes àêtrerestituées au Nigeria. En conférence de presse, Mati Diop constataitque «l’emprise de l’Occident n’opère plus du tout », heureuse qu’à travers Dahomey,« s’entendecette bascule irréversible ». Son film sort en salles en France le 24 septembre, et la cinéaste, quin’a pasmanquéderappelerqu’elle étaitafro-descendante (déclarant en recevant sonprix: «Jemetiens iciensolidarité avec monpeupleduSénégal,qui se batpourladémocratie, pour la justice, et en solidarité avec la Palestine»), entend diff user sondocumentairepartout en Afrique, dans lescinémascommedansles universitésetdansles villages.Comme uneréappropriation,après ce débutde restitution ■ Jean -Marie Chazeau(envoyéspécial àBerlin)
AF RI QU EM AGA ZINE I 45 1– AV RI L2 02 4 9 XINHUA/REN PENGFEI/2024 ICON SPOR TDR
4fév ri er 2024 , l aréa li satri ce décroch e l’Our sd ’o ràl aB er l inal e pour son nouvea u documenta ire.
AT IBA JEFFERSON
RY TH ME S
SHABAKA FLÛTEENCHANTÉE
Aprèsq uelq uessaisons de réflex ion, le JA ZZMA NBRI TA NN IQUE propose un prem iera lbum,à la fois solo et collaborat if,d ’u ne ra re beauté contemplat ive.
EN 1959,quelquesannéesaprès ses débuts au seindu prestigieuxlabel Blue Note, dont il acontribuéàlapatte sonore,RudyVan Gelder aconstruit sonproprestudio– quia vu défiler John Coltrane (pour ALoveSupreme, tout de même), Herbie Hancock, SonnyRollins ou encore MilesDav is.
Autant d’idoles hantantces murs entre lesquels estvenuenregistrer Shabaka Hutchings.Figuredelanéo-scène jazz londonienne, où il s’estfaitconnaître grâceàson groupe Sons of Kemet, il apassé unepartie de sonenfance àlaBarbade,terre d’originedeses parents,avant de se dévouertrèstôt àlamusique classiqueetaujazz, via la clarinette et surtout le saxophone. En 2024,c’est un nouveaudépart qu’ils’offre avec Perceiveits Beaut y, Acknowledgeits Grace (« Percevez sa beauté,reconnaissezsagrâce ») –ne
fût-ce queletitre estprometteur! S’écartant du saxo au profit des flûtes,Shabaka,qui ne gardeici queson prénom,enexploretoutle potentielmélodique et ry thmique, du shakuhachi nippon auxf lûtes drones mayas de Teotihuacan, en passantpar lespifanos brésiliens et lesquenassud-américaines
Autour de ce postulat,lemusicien invite au studio Rudy VanGelder descomplices artistesletemps de onze morceaux,dont l’humilité n’efface guèreladextérité déployée au gré du pouvoirhypnotiquedes flûtes enchantées.Onentenddoncles voix ou les instrumentsdeLianneLaHavas, la bassiste et contrebassiste Esperanza Spalding,A ndré 3000 d’OutKast, Floating Points,lemaîtredel’ambient Laraaji,lechanteurMosesSumney, le poète touche-à-toutSaulWilliams
SHABAKA, Perceive itsBeauty, Acknowledgeits Grace, Impu lse! Sort ie le 12 av ri l.
Si le casting estétoilé, le résultat brilled’unminimalisme convoquant tant l’afrocentrismedecertainsde sesmodèles quenotre propre vécu émotionnel. De la beauté et de la grâce, il s’agit bien de cela. ■ S.R.
AF RI QU EM AGA ZINE I 45 1– AV RI L2 02 4 11
DR
RÉ CI T
LE CHOIX DU PARDON
Grande figu re de la mode,FAR IDAK HELFA lève le voilesur son en fa nce. Sa ns pathos.
OLLECTIF, bidjan, idd’artistes, Mali ka Éd it ions.
ÇA SWINGUE ÀBABI!
Un voyagedansl ’effer vescence ar tsy DE LA PERLEDES LAGU NES.
L’ÉDITRICE MAROC AINE Malika Slaoui se passionnepourl’art, l’Afriqueetses grandesmétropoles. Un tript yquecréatif et vivace quil’a amenée àcréer la collection «nid d’artistes », soutenue par la fondationBankof Africa.Après Ca sablanca (2018) et Dakar (janvier 2023), le troisièmeopusnousemmèneàAbidjan–Babi,pour reprendrelediminutif consacré –avecses 6millionsd’habitants,ses villes dans la ville, sa scèneculturelleetintellectuellebouillonnante. Plasticiens, photographes, designers, st ylistes, écrivains, musiciens, danseurs,slameurs,venus d’icietd’ailleurs,partagent leurs émotions et lesliens quiles unissent àlaPerle deslagunes.Leliv re estpréfacé parl’écrivaineVéroniqueTadjo,etles textes signés parleplasticien et sculpteurCélestinKoffi Yaos’intercalentavecles images du photographeR icky Lavern Martin.Aufil despages,secroisentprès de 80 personnalités, d’AboudiaàA mani,deJacobleuàMeiway, de Laetitia Ky àGeorges MomboyeetLafalaise Dion.Legraphisme résolument contemporain accompagne cetteeffer vescence éditoriale quipermetderessentiraussiàquelpoint Abidjans’est imposée surlacarte desculturesdumonde ■ Zyad Limam
POUR LA PR EMIÈRE FOIS,l’ancienne mannequin, réalisatrice et productrice de filmsdocumentaires racontelechaos de sonenfance, parcouruedev iolences, mais aussid’unformidableinstinctdesur vie. Néedeparents algériens, élevée dans la cité desMinguettesàLyon, à16ans,ellef uità Parispourv iv re en femmelibre. Extravagante,àlafois bad girl etglamour, Farida Khelfa estsublime.Habituée desnuits du Palace au débutdes années1980, elle ne tardepas àtaper dans l’œildeJean-Paul Gaultier.Trèsv ite, c’estlaconsécration Quatre décenniesplustard, àlamortdesa mère,l’heure estvenue d’«écrire [son] histoire,avoir l’usagedes mots. Construire un pont surlaMéditerranéeentre la France et l’Algérie. »Unrécit autobiographique lucide et poignant,à l’aune desmotsde Frantz Fanon, citésenexergue :« Je ne suis pasprisonnierdel’histoire.Jenedoispas y chercherlesensdemadestinée. » ■ C.F.
FAR IDA
K HELFA, Une enfance française, Albin Michel, 256 pages, 19,90 €
12 AF RI QU EM AGA ZINE I 45 1–A VR IL 20 24 AMINA LAHRACH -D R-D R
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LE PAYS DESOISEAUX
Su rles hauteu rs de Ta nger,u ne matriarcheveutvendre la ma ison fa mi lialeetu nter ra in convoitépar despromoteurs, qu iest aussiu nref ugeorn it hologique… UN EPRODUCT ION FÉBR ILEETENVOÛ TA NT E, au ry th me d’uneado qu i ne communiqueq u’àt ravers lesréseaux sociau x.
«C’EST UNESHÉHÉR AZADE2.0 quiraconte milleetune histoires»,résumeLeïla Kilani quandelleparle de sonnouveau film,r ythmépar la voix off(en arabe) d’une adolescentedont lesincessantspostsetSMS s’affichent(en français)ensurimpression àl’écran.Linaest volontairementmuettedepuis la mort de sa mère,cequi ajoute à l’étrangetédecette jeunefilleetàl’atmosphère dans laquelle baigne la grande maison bourgeoise où elle habiteavecson père et sa grand-mère.Unpromoteurjurederendre la famille milliardaire, et la matriarche profited’une noce familialedansses murs pour fairesigner àtout le mondelavente de l’indivision.Seullepère de Lina refuse,préférant tout céder auxoiseaux quipeuplentlevaste terrain, dont descentaines de cigognes blancetnoir. Sa fillelance l’alerte surInternet. Un bidonvilles’est aussidéveloppé sur lespentesdecette collinetangéroise, et le promoteurnereculedevantrienpouren manipulerles habitants… La jeunebonne de la maison va se retrouveraucœurde l’affrontement. Fableécolo,drame social et politique, thriller policier :tout se mélange dans unefer veuraccentuée parlamiseenscène volontairementchaotique (unpeu trop «caméra àl’épaule»,çatanguesur grandécran…),maisqui déroulesubtilement un scénario fatalqui touche au fantastique. Commedans Surlaplanche (2012),qui l’avaitrévélée avec sesquatreouvrièrestangéroises àlatchatcheincomparable,la réalisatrice marocainemet en avantdes rôlesdefemmesfortes, icitrèsdifférentes, sur un rythmeeffréné, quipar vientpourtantàménagerune placeàlapoésie. ■ J.-M.C
IN DIVISION (BIR DLAN D) (Maroc-France), de LeïlaK ilan i. Avec If ha mMat het, Mustafa Sh imdat, Ba hiaBootia El Ou ma mi.Ensalles
AF RI QU EM AGA ZINE I 45 1– AV RI L2 02 4 13
DR (2)
FI CT ION
TERRITOIRE INTÉRIEUR
Au Cap, MAM E-DI AR RA NI ANG bouscu le lesconvent ions de la photog raph ie docu mentai re et du port ra it.
EX PLOR ATIONDEL’ESPACE, portraitsmétaphoriques la représentant, installation filmique multi-écran… L’œuvredelaphotographe autodidacte, néeàLyond’unpère sénégalais et d’unemère francoivoirienne,secaractérise parune approche exploratoire,abstraite et subversive àtravers la photographie et la création audiov isuelle immersive.EnA frique du Sud, «Selfasa ForgottenMonument» (« Le Soi commemonumentoublié»), sa première exposition personnelle muséale, proposeune chorégraphie spatiale,oùles paysages urbains, lesmises en scènethéâtrales, lesf lousrévèlentpar touchesl’identité toujours en mutation de l’artiste. Un mondeintimequi surprend, bouscule, interroge: «Comme uneespècedechasseautrésordansunterritoire, et ce territoire,onvadireque c’estmoi.» Plusencore, c’estunactede mémoiredontMame-Diarra Niangtémoigne. Telunédifice parlequel elle résisteàlacatégorisationetaux hy pothèses surles géographies et lesspécificités. Au fild’une métamorphose sans fin. ■ C.F.
MAME-DIARRANIANG,« Self as aForgotten Monument», ZeitzMOCAA,LeCap (Afrique du Sud),jusqu’au7juillet2024. zeitzmocaa.museum
AU FILDES CONFIDENCES
Ci nq ua nte-si xrécits de Tu nisiensa nony mes, sous la plume DE MA RI EN IM IER.
QUITTERSATABLE,voyager et se frotter àune formed’écriture, entrelanouvelle et le récit, la fiction et le document. C’estprèsdeTunis quel’autrice de Sirène, couronnépar l’Académie françaiseen1986, de La Reinedusilence,PrixMédicis 2004, et de Petite sœur,paruen2022, estpartie àlarencontre de parfaits inconnus,avides de partager leurs préoccupations, leurs aspirations, leurs combats. «Ils’agissaitau départ d’uneexpériencelittérairequi s’est transformée au fildutemps en aventure humaine. Puis en addiction.» Recueillir de manière fugace lesparoles de confidents secrets aquelque chosedepalpitant.Comme regarder parletroud’une serrure. Plus encore,ici,que ce soit partéléphone,par écrit ou dans un caféprèsdumarché, chacuneet chacun s’estlivré sans fard,afinque,quelque part,restent lestracesd’une histoire,petite ou grande.Etdevenant souvent, parlamagie de la plume, celledetouteune vie. ■ C.F.
MAR IE NIMIER, Confidences tunisiennes, Gallimard, 256pages,20,50 € NAR RA TI ON
ON EN PA RL E 14 AF RI QU EM AGA ZINE I 45 1–A VR IL 20 24 MAME-DIARRA NIANG (2) -F RANCESCA MANT OV ANI/© GALLIMARD -D R
AR T
S
Ma me -D iar ra Niang, 6. Untitl ed (2 013)
Ma me -D iarraN iang, 6. Vive nc ia (2 016)
ROM AN
ÀCORPS PERDU
SCHOLAST IQUE
MUK ASONGArev ient avec la na rrat ion d’unev ie poig na nte. L’ histoi re vraie de Ju lien ne,née en ex il au Rwanda, sonproprepays, venueaumonde pour vivreà la vie àlamor t.
«PUIS, UN JOUR,derrière sa barrière, il luiavait lancé: “Mademoiselle, voulezvous prendreunverre de Martini ?” »Il suffitparfois de quelques mots,depiquerla curiosité, et la rencontresefaitinévitable. Il en estainsi pour Julienne et «l’homme au Martini ». Un personnage addictif, réincarnésouslaplume de l’unedes grandesvoixdelalittérature rwandaise. Dans ce douzièmeouv rage,celle quiécrit depuis près de vingtans surles pagesles plus sombres de l’histoire du pays desmille collines délivrelatrajectoire enfouie d’une femmetroublante, dont leportraitennoir et blancirradie surle bandeauduliv re Unehistoirev raie,longtemps contenue,en gestation, enfinrévélée. La narration d’une destinée àl’exil, auxpassionsetblessures Telleune promesseque Scholastique Mukasongaseserait faiteà elle-même et àl’héroïnedecerécit romancé,où s’entremêlentnaïvetéettrahison, système colonial et patriarcat, contamination et sororité.Enexergue,quelquesmots, «pour toi, Julienne », saisissent d’emblée. Dèslors, commeJulienne dans la vie, le lecteurse jetteàcorps perdudansune histoire àla fois tragique et lumineuse. Sesillusions, sesdésillusions,safoi en quelquechose quiladépasse, la fatalité.Unécheveau traversépar un filrouge déterminant: dénoncer l’injustice. Et mettre enlumière la beauté de la sincérité. Distinguée parleprixRenaudot 2012 pour NotreDame du Nil,leGrand Prix SGDL de la nouvelle 2015 pour Ce quemurmurent lescollines et le prix Simone de Beauvoir pour la libertédes femmes 2021 pour Un si beau diplôme!,celle quiatémoigné avecfer veur de la persécutionvécue par sesproches jusqu’àleurextermination, lorsdugénocidedes Tutsi, met icienscène lesanfractuosités de l’humanité,ses fragilités et l’émotionqui la parcourt Àtravers unesublime solitude Funeste: «Lamorta pour tous un regard.Lamortv iendra et elle aura tesyeux. » ■ C.F.
SCHOLASTIQUE M UK ASONGA, Julienne, Ga llimard, 224 pages, 20,50 €.
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FRANCESCA MANT OV ANI/© GALLIMARD -D R
ENTR E LA FIN DES ANNÉES 1960 et le début des années 2000, le photographe nigérian J.D. Ok hai Ojeikere a documenté, à travers ses emblématiques séries en noir et blanc « Hairst yles » et « Headdress », l’art éphémère des coiffures. Sensible à toutes les formes d’art, et notamment à celles qui s’intègrent à la vie quotidienne, l’artiste travaille sur les changements sociaux et culturels amenés par l’indépendance. Et l’effet de l’arrivée massive des perruques dans les années 1950 n’échappe pas à son regard. Dans un souci d’abord ethnographique, puis purement
De ga uche à droi te et de haut en ba s : Ba nke (« He address ») ; Ife Bronze (c a. 1970) ; Suku Si ne ro Ki kp (c a. 1970).
TÊTES SCULPTÉES
La prem ière ex position person nel le à Pa ris du photog raphe nigérian J.D. OK HA I OJ EI KERE est un hy mne à la beauté éphémère des coiffu res du pays.
artistique, il immortalise les drapements des coiffes et les détails des coiffures. Pour la première fois, la Galerie du jour d’agnès b. réunit dans une exposition personnelle saisissante une trentaine de tirages sur les 3 000 qui constituent les deux séries. L’objectif du photographe y sublime la puissance abstraite des géométries et des formes de ces « sculptures d’une journée », mais aussi le savoir-faire manuel des femmes et la richesse de la créativité et des traditions du pays. ■ L.N.
« SCULPTURES FOR A DAY », La Galerie du jour, Paris (France), jusqu’au 5 mai 2024 agnesb.eu
ON EN PA RL E 16 AF RI QU E MA GA ZINE I 45 1 – AV RI L 20 24 J.D. OKHAI OJEIKERE (3)
EX PO
Tisser les racines
Le jeune designer ABREHAM BR IOSCHI et Nodus inscrivent da ns des tapis de lu xe doui llets et chaleu reux les paysages et la cu lt ure des peuples ét hiopiens.
L’ENTR EPRISE ITALIENNE de tapis haut de gamme Nodus Rug travaille avec des designers de renom pour concevoir des pièces de déco qui sont de véritables œuvres contemporaines Mais elle sait aussi faire confiance aux jeunes artistes émergents. C’est le cas pour la série réalisée en collaboration avec Abreham Brioschi à l’occasion de la Design Week milanaise. D’origine éthiopienne, celui-ci s’est fait connaître pour ses chaises en bois qui évoquent la culture de son pays de cœur Pour Nodus, il a conçu trois tapis très particuliers. Le premier, Dancalia, renvoie aux paysages spectaculaires de la dépression de Danakil, avec ses sources chaudes aux couleurs surréalistes, ses volcans actifs et sa géologie étrange. Arrondi et irrégulier, il est découpé par des lignes blanches, qui font écho aux corniches de sel des vasques acides du Dallol Ses tonalités chaudes transforment en accueillante pièce de design l’un des lieux les plus hostiles au monde. Les deux autres grands tapis rectangulaires de la série ont un aspect plus traditionnel, adouci par des angles courbes, et un coloris plus sobre, entre marron, beige et crème. Baptisés Mursi et Suri, ils tirent leurs motifs des scarifications traditionnelles des peuples homonymes abrehamdesign.com ■ L.N.
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Les ta pis so nt ré al is és ar ti san al em ent avec la te chniq ue du nœud tib étai n. DR (2) Abreh am Br iosc hi
DE SI GN
CONTEMPORAINES DE NÎMES, Nîmes (France), jusqu’au 23 juin contemporainedenimes.com
NÎMES LANCE SES
CONTEMPORAINES
À travers des dialog ues intergénérat ionnels inéd its entre les ar t istes, cette PR EM IÈRE TR IENNALE pose la question de l’ héritage et de la transm ission. RE
L’ÉDITION INAUGURA LE des Contemporaines de Nîmes, une nouvelle triennale de création contemporaine diff usée dans toute la ville, a été officiellement lancée le 5 av ril dernier. La direction artistique de la manifestation a été confiée à Anna Labouze et Keimis Henni, déjà aux manettes des Magasins généraux à Pantin, qui font dialoguer des duos d’artistes émergents et établis, sur le thème « Une nouvelle jeunesse ». Parmi les artistes afrodescendants invités, on retrouve la jeune dessinatrice Neïla Czermak Ichti, qui met ses œuvres face à celles de l’icône de la peinture algérienne Baya, et le photographe belge Alassan Diawara, élève de Malick Sidibé, en binôme avec la Franco-A lgérienne Zineb Sedira Mais aussi Aïda Bruyère, née à Dakar, qui imbibe son travail d’influences postcoloniales et afroféministes Et les vidéastes Rayane Mcirdi, qui suit le quotidien des jeunes de banlieue, et Valentin Noujaïm, qui a récemment sorti le court-métrage documentaire Pacific Club, sur la première boîte de nuit parisienne à accueillir les Arabes de banlieue ■ L.N.
ON EN PA RL E 18 AF RI QU E MA GA ZINE I 45 1 – AV RI L 20 24
ND EZ -V OU S
Aïda Br uyère et Ju dy Ch ica go, « Pl ei ns feux ».
STÉPHANE RAMILLONDRDR
Neïl a Czer mak Ichti et Baya, « Ri en ne me ma nque ». Delphine Dénéréaz et Sonia Chiambret to, « Cœur en flammes ».
LA BELLE PROMESSE
Révélée pa rl ’émission
TH EVOICE,lajeu ne chanteusef ra nçaise d’or ig ineivoir ienne s’affi rmeavecu ndeu xième
EP plus queprometteu r, AU TOLYSE.
COMME sonnom l’indique, il s’agit deparlerdesoi –sansimpudeur, mais avecsincérité.Des’appuyersur la beauté de la langue française, d’une structurepop urbaine, afin d’évoquer la dualitéamoureuse, mais aussi« la complexitédeseconstruireentièrement dans un pays quifinalementn’est que la moitié de moi-même ». Ce qu’elle expliciteclairementdanslemorceau «Nuages»: «Une partie de mois’est envoléeentre ParisetlaCôte d’Ivoire. Dans ce projet,j’aicherché certaines sonoritéset beats, certainsriffs de guitareetdes harmonies. Ayantgrandi en lisant de nombreuxlivres sur l’Afrique, j’ai conscience de l’importance qu’yont la musiqueetles textes,et je me suis ici dévouéeà cesmécanismes harmoniques, àcet artde manier lesmotsqui me fascinenttantdansl’art ivoirien.» Le tout rehaussé d’untimbresingulièrement mémorable. ■ S.R.
ILLA, Autolyse, TheOrchad
UE
ILLA MUS IQ
DARIO HOL TZ -D R
CR ÉATI FS, RA FFI NÉS ET AFROLO ND ON IENS
L’un récemment étoi lé, l’autre tout juste ouvert, AKOKO ET AK AR A décl inent en plusieurs nuances l’amou r d’Aji Akokom i pour la cu isine d’Af rique de l’Ouest.
AJI AKOKOMI, le fondateur de l’un des meilleurs restaurants afro-gastronomiques de Londres, a de quoi être fier Il vient d’obtenir sa première étoile Michelin pour Akoko (le nom d’un peuple yorouba), où il propose depuis 2020 une cuisine créative d’Afrique de l’Ouest, jouant avec des ingrédients de qualité et des techniques de cuisson ancestrales. Comme le feu alimenté avec du « kameeldoring », un bois très prisé en Namibie pour la préparation du braai. Le menu dégustation, créé avec son chef exécutif Ayo Adeyemi, comprend de l’etor, purée d’ignames du Ghana, frit et serv i avec œuf de caille fumé et avocat, du sauci yohoss, une soupe de moules
sénégambienne avec tomates anciennes, ou du riz wolof maison, avec bœuf et moelle du Lake District anglais. Même si le menu est disponible à prix réduit le midi, les chefs ont voulu offrir une expérience complète plus accessible, en ouvrant leur deuxième resto en octobre. Akara, du nom du traditionnel beignet frit à base de haricot à l’œil noir, offre un cadre plus informel et lumineux qu’Akoko, où la déco en terre cuite et argile évoque un éternel coucher de soleil Et son menu saisonnier à la carte envoie tout autant Parmi les plats phare, on a forcément les akaras, farcis au crabe et kuli kuli, au porc braisé, au céleri-rave ou aux gambas, mais aussi le poulet de Lagos avec sauce citron ou pimentée, et les plantains avec poulpe grillé et relish de piment. À tester avec les éclectiques cocktails maison, comme le Plantain Old Fashioned akoko.co.uk/akaralondon.co.uk
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SP OT S
■ L.N.
JOHNCAREY2020JODI HINDS PHOT OGRAPHY 2022CHARLIE MCKA YJODI HINDS 2024 À Aka ra , on se dé lecte, entre autre s mets , du dé lici eu x poulet de La gos.
Akoko, to ut ju ste étoil é, propose un
e cu isi ne af ro -g as tro no
mi qu e poi ntue
En Tanzanie, des maisons qui soignent
Le projet STAR HOM ES fa it pa rt ie d’une recherche promet teuse qu i touche à sa fi n et qu i permet tra d’évaluer l’impact su r la sa nté d’une ha bitation adaptée.
ET SI LE DESIGN d’une maison pouvait aider à prévenir le paludisme, les infections des voies respiratoires et la diarrhée ? Pour répondre à cette question sur la base de données solides, une équipe interdisciplinaire d’architectes, de spécialistes de la santé publique et d’entomologistes a lancé il y a plus de dix ans le projet Star Homes dans 60 villages de la région rurale de Mt wara, dans le sud de la Tanzanie. Ici, en 2021, sont sorties du sol 110 maisons individuelles à deux étages, bâties sur des fondations solides et résistant aux inondations, mais pour vues de murs constr uits avec 70 % de béton en moins et de façades perméables à l’air et à la lumière naturelle, protégées par des moustiquaires Chaque habitation, conçue par le cabinet danois Ingvar tsen, puis confiée à une famille tirée au sort, est dotée de panneaux solaires et comprend des portes qui se ferment automatiquement dans la zone nuit, des toilettes pensées pour réduire la prolifération des mouches, une cuve qui recueille l’eau de pluie tout en empêchant l’accès aux moustiques, et une cuisine ventilée avec poêle sans fumée. En attendant de lire les conclusions de la recherche, qui se termine cette année, on sait que les données partielles sont très prometteuses. L’équipe espère même élargir le projet aux quar tiers périurbains et informels de villes, comme Dar es Salam, où les effets positifs seraient considérables. ■ L.N.
Un e maison ty pe propo sé e dans le ca dre du proj et Star Ho me s, c on çu e pa r le cab in et In gvar ts en
AR CH I
JU L I E N LANOO
ÉLÉGANCE AU CŒUR DE LA VILLE OCRE
S’offr ir, au cent re de Ma rrakech, une escapade lu xueuse au sein de l’un des plus prestigieu x complexes de la vi lle. Su bl imés pa r l’ar t et l’ar t isanat locaux, les lieu x sauront ravi r les visiteurs les plus ex igea nts.
ON EN PA RL E
DE ST IN AT ION
SITUÉ DA NS LE QUARTIER de l’Hivernage, le Es Saadi Marrakech Resort est un havre de paix, un lieu d’exception résolument moderne et ancré dans l’histoire de la ville ocre Ici, le confort et le luxe s’allient au raffinement, à l’élégance de l’art et de l’artisanat traditionnel marocains, pour faire du séjour une expérience unique, magique – grâce, aussi, à l’hospitalité du personnel. Niché dans un jardin luxuriant de 8 hectares (composé de palmiers, orangers, bougainvillées, oliv iers, roses de Marrakech…), il réunit un palace, un hôtel cinq étoiles, huit ksars, dix villas avec piscine privée, sept restaurants, trois bars, deux spas et un Dior Institut, ainsi que d’incontournables temples de la fête : le casino, premier du pays, inauguré en 1952, et qui accueille les grands tournois de poker, le restaurant l’Épicurien et la discothèque Theatro, ancien music-hall (Joséphine Baker, parmi d’autres, a foulé sa scène). Depuis sa création en 1952, l’hôtel historique a notamment accueilli la princesse Margaret d’Angleterre et les Rolling Stones Érigé en 2009, le majestueux palace, doté d’une piscine lagon de 3 000 m2, est un époustouflant bijou architectural d’inspirations orientale et hispano-mauresque, qui cultive avec brio les jeux d’ombre et de lumière, l’harmonie des couleurs, la mise en avant des matières nobles. Sa vertigineuse coupole est un chef-d’œuv re de gebs, le plâtre marocain sculpté. La richesse du patrimoine culturel et le savoirfaire ancestral marocain sont mis à l’honneur à travers le mobilier, la décoration, les ornements (tapis, textiles, cuirs, portes en bois sculptées, ferronneries, céramiques, tadelakt, zellige…). On peut admirer sa collection d’œuv res contemporaines d’artistes issus du royaume, du monde arabe et d’Afrique, dans un espace d’exposition dédié, ainsi que dans le hall, les jardins, les suites, les couloirs, etc.
DR (3)
La présidente du complexe, Élisabeth Bauchet-Bouhlal, est une mécène, collectionneuse d’art passionnée, actrice majeure de la vie artistique et culturelle marocaine, décorée en 2014 du grade d’officier de l’ordre du Wissam Alaouite par le roi Mohammed VI. essaadi.com ■ L.N.
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Le Es Sa adi Ma rrakech Resor t met à l’honn eu r une esth ét iqu e toute ma rocaine
Karine Pédurand
LA COMÉDIENNE FR ANÇAISE
d’origine guadeloupéenne incarne avec puissance les textes de Léonora Miano dans le spectacle Ce qu’il faut dire. Une performance saisissante qui explore l’histoire du colonialisme, son héritage, les assignations identitaires. propos recueillis par Astrid Krivian
La comédienne porte à incandescence les mots puissants de Léonora Miano dans le spectacle Ce qu’il faut dire, mis en scène par Catherine Vrignaud Cohen. En dialogue avec le jeu expérimental de la guitariste Triinu Tammsalu, Karine Pédurand incarne avec force et justesse ces textes explorant le colonialisme et son héritage, les assignations identitaires, la relation entre l’Af rique et l’Occident, l’altérité, les mémoires À travers une amplitude d’émotions, tantôt avec malice, révolte ou apaisement, elle navigue sur une ligne ténue, év itant l’écueil du didactisme et donnant vie à cette parole politique, consciente, spirituelle. « Les questions soulevées font écho à mes réf lexions sur ma position dans ce monde, en tant que femme guadeloupéenne, caribéenne, française. Partir de soi est nécessaire pour trouver la justesse. Le plateau impose une mise à nu : il faut donc proposer de l’intime », souligne l’actrice, qui s’interroge notamment sur le sens de cette classification des êtres selon leur couleur de peau « On nous impose des appellations, accompagnées de concepts de race, de couleur, d’idéologie, de caricatures, lesquels ne nous définissent pas, ne nous correspondent pas. » Sensible à la nécessité de fraterniser, elle insiste sur l’importance de réfléchir ensemble aux enjeux de mémoire collective, comme le déboulonnage des statues. « Les héros des uns sont parfois les bourreaux des autres On doit tous mener une réflexion sur ces questions de représentation, de mémoire à mettre en avant. » L’actrice grandit en Guadeloupe, dans un quar tier populaire de Pointe-à-Pitre À la maison, avec des parents ouverts sur le monde, on écoute du gwoka – une musique traditionnelle de l’île –, du zouk, du jazz, de la chanson française ou brésilienne. Marionnettiste, son père l’initie aux ar ts de la scène. Mais c’est une fois adulte que les planches s’imposent à elle, après une carrière dans la communication et l’événementiel, et à la télévision, en tant qu’animatrice. Lors d’un stage de théâtre, elle se sent dans son élément. Elle approfondit l’apprentissage auprès du metteur en scène et comédien Alain Verspan, qui lui apprend à respirer, à projeter sa voix, à maîtriser le placement de son corps dans l’espace – déjà amorcé grâce à la danse, qu’elle pratique en amateur. Après avoir donné une représentation de Pluie et vent sur Té lumée Miracle, de Simone Schwarz-Bart, qui laisse le public sans voix et saisi d’émotion par sa vibrante interprétation, la comédienne réalise la puissance de cet ar t. À l’école du TV I Actors Studio à New York, elle apprend plusieurs méthodes de jeu, puis se forme au conser vatoire Jean Wiéner de Bobigny, en France, dont elle sort diplômée avec les félicitations du jury. Depuis, elle multiplie les rôles au théâtre, au cinéma – notamment dans 3 Days To Kill, avec Kev in Costner –, et nourrit l’envie de travailler en Af rique. Elle a déjà foulé les planches au Bénin, en 2016. « Très émue, je me suis sentie à la maison, tout en étant très loin de chez moi », confie celle qui retrace aussi son histoire familiale faite de métissages. « Comme l’affirme Ce qu’il faut dire, nous sommes nos ancêtres et notre descendance. Ce devoir de mémoire, cet hommage à nos aïeux est indispensable. » ■ Ce qu’i l faut di re , du 14 au 15 av ri l 2024 , La Sc ène Europe (Sai nt-Q uent in , France).
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«Les héros des uns sont parfois les bourreaux des autres. On doit tous mener une réfexion sur les questions de représentation.»
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VIVE LES SCRUTINS !
Voter en Afrique, c’est toute une histoire. Les scrutins sont régulièrement entachés de fraudes et autres bourrages d’urnes massifs et bien basiques, ce qui décourage tout aussi massivement les citoyens. « Je vais aller prendre mes pieds pour mettre le papier dans une urne et, de toute façon, le président va repasser ! C’est pas la peine. » Des taux d’abstention abyssaux propulsent des chefs d’État sortants vers de nouveaux mandats, repassant et repassant encore avec des scores immenses On a entendu certains intellectuels africains militer, au vu de cet état de fait, pour une annulation des scrutins. D’autres encore évoquent une tradition de népotisme tellement ancrée dans les cultures qu’imaginer pouvoir faire fonctionner un système d’alternance démocratique sur le continent relève du doux rêve. D’autres, enfin, vont même jusqu’à plébisciter les coups d’État – seuls moyens, selon eux, de se débarrasser d’un président qui s’incruste. Certes, aucun pays, aucune histoire, n’est comparable
Et pour tant… Le Sénégal vient de donner une leçon magistrale, contrant toutes ces idées reçu es et au tr es im ag es d’Ép inal su r le s ur nes af ri ca ine s. On sa it que le pa ys de la Tera nga a un e tr ad iti on à pa rt. Celle de la démocratie À Dakar, on la respecte, on la nourrit, on la vénère et on s’enorgueillit d’organiser depuis des décennies des scrutins transparents Cette fois -ci, c’était chaud. Un vote repor té, un prés id ent qui dit qu’i l par t, puis qui fait mine d e rester un peu, des candidats en prison Eh bien, malgré les Cassandre to ut à co up su r le qui -v ive, la prési de nt ie ll e du 24 mars s’est déroulée dans le calme, avec un taux de participation à faire pâlir les voisins Et le résultat est sans app el : l’alternance a gagné Place à un candidat neuf, qui incarne la rupture. Et finalement, peu impor te que Bassirou Diomaye Faye, pratiquement inconnu hier, élevé dans l’ombre d’Ousmane Sonko, le vrai leader charismatique empêché de se présenter, réussisse son mandat, sa mission Peu impor te comment il gouverne et s’il répond au besoin de changement exprimé clairement par la plus grande partie du peuple. L’essentiel, c’est qu’il est bien placé pour savoir comment ça marche, au cas où il décevrait les espoirs que les votants ont mis en lui. Et c’est ça, la vraie « leçon de Dakar » ! ■
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PA R EM MAN UE LL E PON TI É C’EST COMMENT ? DOM
an aly se
LA SÉNÉGAL
L’élection du 24 mars acte une rupture profonde, à la fois générationnelle, sociale et politique. Le rejet, en quelque sorte, d’un modèle d’émergence et de gouvernance « libérale » qui ne profterait qu’aux « élites ». Pour le président Bassirou Diomaye Faye et son mentor Ousmane Sonko, devenu Premier ministre, le moment est historique et le déf d’ampleur. Il faudra répondre aux attentes, tout en faisant face aux réalités économiques et stratégiques. Décryptage. par Zyad Li m am
UN SCRUTIN HISTORIQUE
IL ÉTAIT le plan B, le bras droit d’Ousmane Sonko, celui qui devait porter le message du leader charismatique empêché de prétendre par une décision du Conseil constitutionnel. Bassirou Diomaye Faye n’avait jamais exercé de mandat électif (sa seule tentative pour la mairie de sa ville natale en janvier 2022 n’avait guère été concluante…). Il sortait de onze mois de prison Libéré par une loi d’amnistie, voulue et promulguée à quelques jours du scrutin par le président sortant Macky Sall, pourtant
l’ennemi frontal depuis 2019 Diomaye Faye et Ousmane Sonko feront une campagne éclair et redoutable d’efficacité En un peu plus d’une semaine ou presque. Le pouvoir sortant est usé par onze ans de mandats, divisé, fracturé par les ego, fragilisé par les tête-à-queue stratégiques et par la décision de reporter les élections. Le candidat de la coalition présidentielle, Amadou Ba, est comme empêché de l’intérieur. Le pays est prêt, surtout. En ébullition sociale, en attente d’un changement radical. Le Sénégal veut de la jeunesse, de l’égalitarisme. Les citoyens revendiquent un rejet des élites, des modèles libéraux et occidentaux. Avec un grand plan de transformation économique et sociale. Le pays veut surtout croire que tout cela est possible
Qu’il ne s’agit pas que d’un rêve, que de discours. La candidature Diomaye Faye et le projet Pastef emportent toutes les digues sur leur passage, la victoire est stupéfiante, nette et sans bavure : un peu plus de 54 % des suffrages au premier tour. Le Sénégal change de visage.
De jeu ne s souti ens d e Bass irou Di om a ye Fa ye, le 22 mar s 20 24, à Mbour
MARCO LONGARI/AFP
Le président sén ég alais entouré de se s de ux é p ou se s, Ma ri e Kh on e Fa ye (à ga uc he) et Absa Faye (à droite), après sa prestation de ser me nt, le 2 avril 2024 , à Di amnia di o.
DIOMAYE FAYE, PRÉSIDENT !
À 44 ANS, il devient donc le plus jeune président de l’histoire du Sénégal. Le premier chef de l’État polygame, aussi (comme Ousmane Sonko), ce qui n’a pas manqué de faire réagir – plus à l’étranger qu’au pays, où la pratique est courante… Diomaye Faye, né à Ndiaganiao, en pays sérère (à l’instar de Macky Sall), est issu d’une famille modeste. C’est un enfant du pays, formé au pays, un cadre de l’administration. Il a fait l’ENA, avant d’entrer aux impôts et domaines (dirigés par Amadou Ba…). C’est là, dans les bureaux de l’administration fiscale, que naît le Pastef, autour d’un jeune cadre ambitieux et décidé, Ousmane Sonko. Sonko l’opposant, radié en 2016 de la fonction publique, mobilise les foules Le choc avec le pouvoir est frontal. Bassirou Diomaye Faye travaille sur le projet, les idées et l’organisation du parti, puisqu’il en est le secrétaire général. On le voit peu, on le connaît peu. On dit de lui qu’il est islamiste, il répond qu’il est pieux, à l’unisson de la société sénégalaise. Tout en étant ouvert aux cultures modernes, au son du rap et des flows qui font danser la jeunesse.
Il est de nature discrète, sa voix n’est pas toujours posée, les grandes envolées ne sont pas pour lui. Pourtant, il fera campagne Il se présentera à marche forcée, quasiment nuit et jour, aux électeurs qui attendent Ousmane Sonko. Il prend et assume le rôle du suppléant (the spare, pour reprendre le titre du livre autobiographique du prince Harr y…). C’est un peu, comme le disent les Anglo-Saxons, the right man in the right place, la bonne personne au bon moment, l’individu qui bénéficie de l’incroyable alignement des planètes. Le voilà maintenant au palais. Le voilà maintenant dans l’obligation d’assumer vraiment, de devenir président d’un pays complexe et fragile, difficile à gouverner. Il sait, év idemment, qu’il est attendu au tournant. Et il est certainement conscient de son inexpérience, de l’immensité de la tâche et des responsabilités qu’il doit assumer.
ANALYS E 30 AF RI QU E MA GA ZINE I 45 1 – AV RI L 20 24
AF RI QU E MA GA ZINE I 45 1 – AV RI L 20 24 31 CEM OZDEL/ANADOLU/ANADOLU VIA AFP
UN DUO AU SOMMET
LE PL AN A, c’était év idemment Ousmane Sonko, fondateur du Pastef C’est lui qui milite depuis 2016 C’est lui qui se présente à l’élection de 2019 (où il obtient un peu plus de 15 %). C’est lui qui est en lutte frontale avec Macky Sall. Ses arrestations multiples, ses détentions, en particulier à la suite d’une triste affaire de viol, entraîneront émeutes, répressions et victimes. C’est Ousmane Sonko qui a décidé d’encourager des candidatures alternatives à la présidentielle pour « protéger le projet ». C’est Sonko, lui aussi étonnement libéré par la loi d’amnistie voulue par Macky Sall, qui va électriser la campagne Cette victoire est d’abord la sienne. C’est lui, le chef. Mais ce n’est pas lui, le président.
Pourtant, le scénario est exceptionnel. Dès le mardi 2 av ril, Ousmane Sonko est nommé Premier ministre C’est donc la stratégie du « duo » qui se met en place. Un duo qui respecte son histoire commune, un duo pour changer le pays La légitimité de chacun est liée à celle
de l’autre. L’un a besoin de l’autre, et vice versa. L’alliance humaine est puissante. Ils ont mené une véritable odyssée ensemble. Ils sont comme les deux faces d’une même pièce. Comme des frères qui auraient fait un serment de loyauté Ils ont des codes traditionnels entre Sérère et Diola. Diomaye a même un fils qu’il a appelé Ousmane. Or, les dangers sont là, à l’épreuve du pouvoir, à l’épreuve du temps et des ambitions. Le numéro un historique devient le numéro deux opérationnel. Et la hiérarchie est un sujet sensible. En prenant les rênes de l’exécutif, Sonko s’expose directement aux exigences de la population, aux mécontentements inév itables. Le PM, c’est traditionnellement le fusible de choix. Il y a aussi l’influence des entourages, privés et publics, le poids des décisions à prendre et à assumer. Et comme on le dit avec une certaine malice, il n’y a qu’un seul fauteuil présidentiel, il n’y a pas de banc présidentiel L’expérience est rare, mais non sans écueils…
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Ousma ne So nko et Bassi rou Di om aye Fa ye le 15 mar s 20 24, à Da ka r, lor s d’une con fé re nc e de presse com mun e.
JOHN WESSELS/AFP
LES MYSTÈRES DE MACKY
C’EST L’AU TR E personnage central, énigmatique, de cette élection présidentielle Celui qui aura renoncé en juillet dernier au chemin d’un troisième mandat, celui qui aura adoubé un successeur, Amadou Ba, sans jamais véritablement le soutenir, jouant selon certains contre son propre camp. C’est lui qui reporte l’élection la veille du 25 février, peut-être pour sauver Karim Wade, toujours exilé à Doha, et rebattre les cartes du scrutin. Avant de se plier quelques jours plus tard aux décisions du Conseil constitutionnel. Macky Sall, toutefois, ne s’affiche pas dans les meetings, ne fait pas campagne auprès de son poulain – poulain qui a d’ailleurs été largement sabordé par d’autres caciques du parti présidentiel. En toute fin de séquence, Macky fait voter par l’Assemblée une loi d’amnistie, qui libère non seulement Bassirou Diomaye Faye, mais aussi Ousmane Sonko. Comme une sorte de coup de grâce. Et le reste de l’histoire est désormais écrit.
Un jour, certainement, Macky Sall s’exprimera sur ces incroyables semaines qui ont conduit à la défaite de son camp et à l’implosion de son parti. Mais l’histoire immédiate dit que le président a fait libérer ses principaux opposants, que les élections ont eu lieu en toute transparence, que l’alternance se déroule dans le calme et le respect, que le Sénégal se retrouve en accord avec la majorité de ces concitoyens. Macky Sall part donc sur cette étrange défaite, dont on se dit qu’il a dû tenter d’en maîtriser certains paramètres Plus tard, il sera temps aussi de faire le bilan de cette décennie Sall. Ce géologue, lui-même d’origine modeste, a voulu sortir le Sénégal de sa pauv reté quasi structurelle Les travaux d’infrastructures ont transformé le paysage. Le Plan Sénégal émergent (PSE) a voulu tracer une stratégie ambitieuse. Les progrès sont indéniables. Malheureusement, cela n’aura pas suffi, et loin de là
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SEYLLOU/AFP
Le 2 avril 2024 Ma ck y Sa ll quit te le pa lais et sa lu e ses sou ti ens
UNE SPÉCIFICITÉ DÉMOCRATIQUE
CE 24 MARS 2024 a été une journée presque normale. Pas de violence Une organisation à la hauteur. Pas de chaos dans les bureaux de vote Des observateurs locaux et internationaux. Un taux de participation relativement élevé, proche de 60 %, même s’il n’est pas historique (Wade avait gagné en 2007 avec un taux de participation de 70 %, et Macky Sall en 2019 avec un taux de 66 %). Des résultats qui s’imposent très vite, à la télévision, à la radio, avec peu ou pas de contestations. Des médias qui jouent leur rôle. Et une alternance historique à la clé. On vient de loin, pourtant De plusieurs années de tensions entre le pouvoir et le Pastef. D’un report de l’élection acté la veille du scrutin initialement prév u le 25 février. D’un imbroglio politico-réglementaire dans lequel le Conseil constitutionnel, pourtant supposé acquis à la coalition sortante, a fini par imposer ses décisions. Clairement, malgré tout, le Sénégal tient son rang d’exception démocratique africaine. Avec, surtout, une pratique récurrente de l’alternance. Abdou Diouf avait été battu par Abdoulaye Wade en 2000, lequel avait été battu par Macky Sall en 2012 Et voilà que le candidat de Macky Sall, Amadou Ba, est battu par un opposant de rupture au premier tour en 2024. Souvent, les images sont belles, émouvantes, avec poignées de main et échanges d’amabilités entre sortant et entrant à la clé. Chaque fois, l’administration s’adapte au changement. L’État tient et poursuit Mais ce modèle souvent cité en exemple n’est pas exempt de violence. La crise politique fait partie de l’expérience sénégalaise autant que la pratique démocratique.
La justice et la prison ont souvent serv i à régler des comptes politiques. L’hy perpersonnalisation du pouvoir présidentiel s’est imposée depuis l’indépendance.
On l’a dit, l’affrontement entre le pouvoir et le Pastef aura mené à de nombreuses journées d’émeutes et fait plusieurs victimes. En 2019, Karim Wade et Khalifa Sall n’auront pas pu se présenter, « empêchés judiciairement ».
En 2011, Wade (qui avait lui-même effectué un certain nombre de séjours en prison sous le règne de son prédécesseur) tente d’imposer une réforme constitutionnelle, qui lui aurait ouvert la porte à un troisième mandat, provoquant la colère de la rue. On se rappelle aussi l’assassinat en 1993 de Me Babacar Sèye, alors vice-président du Conseil constitutionnel. Ou les émeutes de 1988, avec Dakar en état d’urgence après la réélection d’Abdou Diouf. Et, aux origines, la première élection de Senghor en 1963, qui provoquera des émeutes, la mort de 40 manifestants et 250 blessés. Puis l’affrontement entre le président-poète et Mamadou Dia, qui sera condamné à vingt ans de prison
EXIGENCE SOCIALE, JEUNESSE ET FRUSTRATION
LE DÉFI est de taille. Au cœur des enjeux politiques et sociétaux du pays C’est sur ces frustrations et ces attentes que la victoire de Diomaye Faye et celle d’Ousmane Sonko s’est construite. Le Sénégal est socialement en urgence, malgré la croissance indéniable des années Macky. Entre 2011 et 2022, le revenu par habitant (en parité de pouvoir d’achat) est passé, après des années de stagnation, de 2 791 à 3 565 dollars. Le taux de grande pauv reté (moins de 2,15 dollars par jour) a fortement diminué, passant de 41 % en 2008 à 9 % en 2020. Mais cette croissance ne ruisselle pas. La perception de crise sociale aiguë n’a pas changé. Oui, le PIB par habitant progresse, mais il se situe bien en deçà de celui de pays voisins, comme la Côte d’Ivoire ou le Ghana. Les performances IDH (indice de développement humain) ont positivement évolué depuis 2011, mais trop lentement. Le Sénégal se classe aujourd’hui toujours dans la catégorie des pays à « développement faible », aux alentours du 165e rang mondial.
Cette sensation d’impasse sociale est alimentée par la jeunesse du pays L’âge médian est de 19 ans, c’est-àdire que la moitié des citoyens ont moins de cet âge-là.
Et 70 % des Sénégalais ont moins de trente ans. Chaque année, plus de 200 000 jeunes diplômés arrivent sur le marché du travail. Beaucoup veulent un emploi, un logement, se marier. D’autres, désespérés, partent sur les pirogues, au péril de leur vie. Au Sénégal, comme ailleurs en Afrique, les laissés-pour-compte du modèle sont devenus une force politique. En 2030, on devrait compter 25 millions d’habitants.
Au Sénégal, comme ailleurs en Afrique, les laissés-pourcompte de l’émergence sont devenus une force politique.
LE MUR DES RÉALITÉS ÉCONOMIQUES
EN TOUTE LOGIQUE, le programme du candidat Diomaye Faye cherche à répondre à cette urgence sociale. La stratégie, c’est de ne pas tomber dans le piège d’une continuité habilement aménagée. La stratégie, c’est la rupture, une idéologie du bouleversement Il s’agit d’inventer un nouveau modèle de développement, de reconstruire un projet de société, un cadre d’émergence, en rupture justement avec le cadre libéral qui ne profiterait qu’aux élites Un modèle basé sur la souveraineté et le « Sénégal Power ». Une force qui serait capable de changer la donne. Avec des propositions qui mêlent à la fois audace et év idence Lutter contre la
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SADAK SOUICI
À Da ka r, lor s de la fe rm et ure du ca mpus uni ve rs itai re L’âg e méd ia n de la p opul ation est de 19 ans
corruption, créer un million d’emplois, favoriser les politiques d’import de substitution, en particulier dans l’agriculture, élargir les zones de pêche, favoriser l’industrie, lancer les travaux d’une nouvelle capitale, renégocier les contrats pétroliers et gaziers, se désengager d’une trop grande proximité avec les collaborateurs occidentaux, imposer des partenariats gagnant-gagnant avec les entreprises, en particulier françaises et étrangères. In fine, aussi, sy mbole parmi les sy mboles pour le pays siège de la Banque centrale de l’UEMOA, se désengager progressivement et à terme du système du FCFA, en favorisant l’émergence d’une monnaie régionale adossée à la Cedeao…
Tout cela peut sembler séduisant, ou en tout cas mérite d’être discuté. Mais le menu est assez gargantuesque, et l’économie a ses réalités contraignantes. Le projet Pastef implique un coût colossal, des moyens humains, techniques et financiers hors de portée du pays. Le Sénégal reste pauvre, économiquement fragile, endetté à hauteur de 75 % du PIB, lequel s’élève lui-même à 29 milliards de dollars – faisant de la nation la dix-neuvième économie du continent, bien loin du Ghana, de la Côte d’Ivoire, du Kenya… Le Sénégal a des atouts, du talent, de l’intelligence, mais il a besoin de financements extérieurs, d’investissements, de soutiens actifs, d’entreprises en confiance, pour en particulier créer des emplois. Pour réussir (et le mandat ne dure que cinq ans…), Diomaye Faye et ses équipes devront faire preuve à la fois d’audace, pour satisfaire leurs électeurs, et de pragmatisme et de raison, pour éviter la brutale sortie de route. Comme le souligne un proche du Pastef, « la conquête du pouvoir et l’exercice du pouvoir sont des choses bien différentes ».
À LA RECHERCHE DE NOUVELLES ALLIANCES
ILS ET ELLES SONT à la tête du pays. Ils et elles sont jeunes, ont souvent fait leurs classes et leurs parcours au pays, portent une sénégalité et une africanité assumées, un rapport plus distancié et sans complexe avec les grandes capitales du monde et les voyages confortables Ils ont été félicités, de Washington à Pékin, en passant par Moscou et Paris. On cherche à décr ypter les intentions de ce nouveau pouvoir. Le président Diomaye Faye a évoqué des relations respectueuses et équilibrées avec Paris. Paris a répondu par un appel empressé du président Macron, soucieux de ne pas manquer ce train du changement Dans les cercles proches de la présidence, au Plateau, on n’exclut pas des relations de sécurité avec la Russie, un nouveau partenariat avec la Chine. Ce qui provoquerait évidemment des haussements de
sourcils du côté de la grande Amérique Les cadres du mouvement ne cachent pas leur volonté de transformer les organisations régionales, la Cedeao, l’UEMOA, de se rapprocher des juntes sahéliennes, de rétablir un dialogue Il y a certainement des passerelles – en particulier sur le thème, assez vague mais populaire, du souverainisme. Mais le message de Dakar est aussi un message d’émancipation par la démocratie, par le vote, et cela ne peut que parler aux foules de Bamako, Ouagadougou et Niamey. Ne peut que contrarier les militaires Ce message d’alternance au pouvoir, de jeunesse, d’identité va forcément résonner ailleurs, dans une Afrique à la recherche de nouveaux modèles démocratiques. Et dans les capitales occidentales, qui devront s’adapter à cette histoire en marche. Mais pour changer le Sénégal, bouleverser la donne, il faudra bien échanger avec l’autre. Entre Dakar et les grands de ce monde, mais surtout entre Dakar et les voisins proches et différents : Dakar et Nouakchott, Dakar et Abidjan, surtout. Entre jeunes frères et grands frères. Le bateau tanguera sûrement, les choses vont bouger, rien ne sera simple. Mais cela en vaut la peine.
PREMIÈRES SEMAINES, PREMIERS MOIS
LE PR ÉSIDENT a présenté un programme très ambitieux. Le Premier ministre est nommé. Le pays est dans l’attente d’un grand soir, d’une mutation majeure, de la mise en place d’un autre Sénégal. Il faudra vite répondre aux attentes. Acter la rupture d’une manière ou d’une autre. Prendre des mesures, à la fois sy mboliques et fortes, profiter de cette fenêtre des « cent jours », celle, si courte finalement, au cours de laquelle tout est possible ou presque. Si l’on parle souvent de « l’inexpérience » des leaders du parti, depuis, ces derniers ont su séduire une partie de l’administration et des cadres, dans le secteur privé comme dans le public Il ne manque pas de ressources humaines « externes ». Et l’une des clés de la période qui s’ouvre sera l’équilibre entre les personnalités politiques pur jus, soucieuses d’idéologie et parfois de revanche, et les « technos », qui tenteront de mettre en musique les promesses du nouveau pouvoir. Il faudra aussi satisfaire les alliés de la dernière heure, les amis de Karim Wade, peut-être rassembler les éléments épars de ce qu’il reste des autres oppositions balayées dans les urnes. Le nouveau gouvernement donnera des indications précieuses sur ces nouveaux équilibres.
Le champ politique qui s’ouvre sera complexe. Le duo est attendu au tournant, comme il se doit en démocratie
Le Pastef a été dissous par décret en juillet dernier. Il faudra le relégaliser. Le nouveau pouvoir doit aussi composer avec une Assemblée nationale dominée par la coalition rivale,
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Benno Bokk Yakaar, soutien d’Amadou Ba. La Constitution permet au président de dissoudre l’Assemblée à l’expiration d’un délai de deux ans suivant son installation, soit dans cinq mois Ce qui entraînerait des élections législatives anticipées Et donc un nouveau débat politique. Pour avancer dans l’intervalle, légiférer, il faudra probablement négocier. Amadou Ba lui-même, avec ses 30 % et plus au premier tour, pèsera dans le paysage politique s’il le souhaite – ce qui reste une interrogation au moment où ces lignes sont écrites – et si l’ex-parti présidentiel survit à la débâcle. Comme souvent, la manière d’exercer le pouvoir sera essentielle. En attendant ledit « grand soir », la rupture serait alors de gouverner différemment, autrement. Valoriser les compétences, sortir des circuits traditionnels du clientélisme, favoriser la transparence budgétaire et financière, la gestion des ressources, renforcer le pilier essentiel qu’est la justice. S’ouvrir à la société civile. Avec, en toile de fond, la mère des réformes, qui serait de promouvoir une pratique du pouvoir plus décentralisée, plus institutionnelle, qui s’émanciperait de l’hy perprésidentialisme, de cette notion selon laquelle un seul homme, ou une seule femme, peut être le centre de tout.
DAKAR NEW STYLE
LA TOPOGR APHIE est à la fois anxiogène et sy mbolique, avec son hy percentre, ce quartier du Plateau, coincé dans sa presqu’île du Cap-Vert, et ses immenses banlieues, si proches et si lointaines, dont les noms raisonnent dans l’imaginaire collectif. Guédiawaye, Pikine, Rufisque, Thiaroye… Au centre, il y a cette ligne droite, il y a ce TER, ce train, l’un des chantiers emblématiques de l’ère Sall. Au loin, il y a Diamniadio, ce rêve de ville nouvelle, puis l’aéroport Blaise Diagne et ses lignes futuristes Dans cette masse urbaine, tout se percute : la richesse, la pauvreté, l’ambition et les souffrances, les voitures à bras et les berlines rutilantes. Voilà Dakar, rebelle et bourgeoise, miroir urbain des défis du Sénégal. L’un des derniers gestes symboliques du président Maky Sall aura été de relancer le vieux projet du mémorial de Gorée sur la corniche De marquer le passage de l’histoire, de faire un lien avec les nouvelles générations. Électrifiée par le changement en cours (la ville a massivement voté pour Diomaye Faye), la capitale se veut maintenant cité intellectuelle, politique, artistique. Elle veut s’imposer chaque jour un peu plus comme l’épicentre de « la réforme africaine ». On pourra s’attendre à voir arriver tous les apprentis pastefiens du continent, soucieux d’apprendre et probablement d’être soutenus. On attend de voir, aussi, quelles seront les relations entre la nouvelle garde et le cercle très inf luent et exigeant de la société civile, des auteurs, des écrivains sénégalais. La liberté et l’audace de l’échange vont-elles prévaloir ? On attend de voir si la ville sera toujours aussi ouverte
aux inf luences du monde. On attend, à court terme et avec impatience, de sentir l’ambiance lors de la Biennale de l’art africain contemporain, qui ouvrira mi-mai 2024. Et cet ami de nous rappeler qu’en 2026, la ville accueillera les Jeux olympiques de la jeunesse, premier événement olympique jamais organisé en Afrique…
ET MAINTENANT ?
IL FAUDRA réunifier tous ces Sénégal qui se sont déchirés et affrontés Éliminer du Pastef ce qu’il reste de cette culture de l’insurrection, de la « contre-violence » (et de la chasse aux sorcières, en particulier sur les réseaux sociaux). Muter vers un parti institutionnel, un parti de construction, un parti de gouvernement, soucieux de rassembler. Le Sénégal a besoin de paix et de concordance pour reprendre sa marche en avant. L’idéalisme n’est pas forcément la meilleure solution pour promouvoir la croissance, ni la meilleure solution pour survivre dans la jungle des relations internationales. Les duos ne sont pas forcément idéaux pour gouverner un pays. Changer le monde, changer l’Afrique, changer le Sénégal ne se fera pas du jour au lendemain. Mais que l’on soit en accord ou en désaccord sur le plan idéologique, le pays a intérêt à ce que Diomaye Faye et le sonkoïsme n’échouent pas en rase campagne.
Et au fond, quelque chose de plus avant-gardiste, d’historique, se joue à Dakar. Un phénomène qui va au-delà de la politique politicienne et des slogans rassembleurs… Il y a une forme de révolution, le passage d’une époque à une autre, d’une lignée générationnelle à une autre, comme le nouveau chapitre de la très longue histoire de la décolonisation, comme une nouvelle tentative de donner un sens concret à cette indépendance et à cette authenticité que l’on recherche depuis si longtemps… Pour Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko, le pari est ambitieux et risqué ■
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MICHEL RENAUDEAU/ONL YWORLD.NET
Le pal ais présid enti el , dans la cap ital e.
contexte
BOUBACAR BORIS DIOP
« LE LANGAGE EST POLITIQUE »
L’auteur sénégalais signe un nouveau roman inspiré par le terrible naufrage du Joola, le 25 septembre 2002. Une fction puissante, politique, philosophique, qui propose un portrait complexe et magnifque du pays. Un entretien qui interpelle aussi sur la question de la mémoire et du changement.
par As tr id Kr iv ian
SYL VA IN CHERKAOUI
Lauréat du prestigieux prix international de littérature Neustadt en 2022 pour l’ensemble de son œuvre, Boubacar Boris Diop est une voix contemporaine majeure De ses romans, comme Murambi, le livre des ossements (2000), qualifié de « miracle » par Toni Morrison, sur le génocide des Tutsi au Rwanda, à ses essais, tels L’Af rique au-delà du mi roir (2007) ou La Gloire de s imposteurs (2013) avec Aminata Dramane Traoré, l’écrivain sénégalais trempe sa plume dans les blessures du continent. Et soulève avec force des questions profondes, comme la mémoire collective, les ravages de la colonisation, le regard faussé porté sur l’Afrique. Fondateur de Lu Defu Waxu – première et unique plateforme d’information en wolof –, il a aussi créé à Dakar la maison d’édition EJO, spécialisée dans la littérature en langues nationales Assurant lui-même la traduction de ses œuvres du wolof au français, il signe un nouveau roman, Un tombeau pour Kinne Gaajo. Inspiré par le naufrage du Joola, le 25 septembre 2002, qui assurait la liaison entre la Casamance et Dakar, il raconte la vie de l’une des victimes, Kinne Gaajo, poète, intellectuelle et prostituée, à travers la voix de son amie d’enfance, Njéeme Pay, journaliste. Croisant les récits, cette fiction mordante, traversée de philosophie et de réflexions, livre une satire féroce des mondes politiques et médiatiques, et questionne le sens de la vocation littéraire. Convoquant des figures historiques sénégalaises souvent tombées dans l’oubli, tels Siidiya Ndate Joob, prince du Waalo au XIX e siècle, grand résistant contre la colonisation, ou Phillis Wheatley, née vers 1753 au Sénégal, première poétesse noire aux États-Unis, l’auteur interpelle sur les enjeux de mémoire, clés de voûte d’une société.
AM : Le point de départ du roman Un tombeau pour Kinne Gaajo est le naufrage du bateau le Joola, dans la nuit du 25 septembre 20 02. Pourquoi est- ce important d’évoquer ce drame collectif ?
Boubacar Boris Diop : Du fait de son ampleur, sa soudaineté, il fallait raconter cette histoire : en une nuit, 1 884 personnes ont perdu la vie. C’est plus que le Titanic, dans un pays qui n’est pas une puissance maritime Ce drame m’a touché de près. À Dakar, j’hébergeais alors un ét udiant or iginaire de Casamance, où il était rent ré pour les vacances. Il m’avait appelé le jour même pour me prévenir qu’il revenait le soir par le bateau. Ce fut notre dernière conversation : il a péri, avalé par les flots, avec son frère, qui venait de se marier. Comme mon personnage Njéeme Pay, je suis allé d’hôpital en hôpital
« Le fatalisme, le laisser-aller, l’indiscipline ont été encouragés par les autorités politiques.
Ce naufrage a montré notre incapacité à tenir la barre. »
pour voir si leurs corps avaient été rejetés par l’océan. J’ai eu cet espoir. J’ai aussitôt écrit un long article sur ce naufrage pour Le Monde diplomat ique, intitulé « Lett re à un ami sur le naufrage du Joola ». Au-delà des pertes en vies humaines, j’essayais de montrer à quel point cette catastrophe en disait long sur notre société, sur notre classe politique.
C’est- à- dire ?
Le Joola était conçu pour 550 passagers. Pourtant, il en transportait quatre fois plus, et ces derniers sont presque tous morts. Des familles entières ont été emportées. Il y avait aussi beaucoup d’étudiants et de professeurs originaires de Casamance qui rentraient pour reprendre les cours à l’Université de Dakar. Une élite intellectuelle a été décimée. Président d’alors, Abdoulaye Wade nommait les ministres, les responsables politiques pour récompenser leur loyauté politique, mais pas dans le but de résoudre les problèmes des Sénégalais Voilà l’incompétence : cette incapacité à nommer les gens qu’il faut à la place qu’il faut. Au lieu d’apporter des solutions aux difficultés de la population, ces politiques les ont au contraire aggravées Ce que l’on appelle chez nous « la politique politicienne » est au cœur de la tragédie du Joola. Dans un autre pays, les choses se seraient certainement déroulées autrement. Quelqu’un se serait opposé : « Ce bateau n’est pas fait pour transporter plus de 600 personnes ! » Le fatalisme, le laisser-aller, l’indiscipline ont été encouragés par les autorités politiques Ce naufrage a montré notre incapacité à tenir la barre. Et nos pays se sont battus, révoltés contre le colonialisme. Ils sont devenus indépendants, mais c’est comme s’ils ne pouvaient pas diriger un État. Tout cela est d’autant plus intéressant que le nom
« Sénégal » vient de Sunugaal, qui signifie littéralement « notre navire ».
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Comment avez-vous conçu Kinne Gaajo, un personnage de femme libre, sulfureuse, poète, prostituée ?
Elle m’a été inspirée par plusieurs femmes, des ar tistes ou des intellectuelles, avec qui j’ai entretenu des relations personnelles priv ilégiées, exceptionnelles, fraternelles. Nous étions des amis, j’étais leur confident. Elles sentaient que je les comprenais, que je ne les jugeais pas. Elles étaient très libres de leurs corps. Elles buvaient et fumaient beaucoup, flirtaient avec l’extrême. D’ailleurs, elles sont toutes décédées relativement jeunes, entre 40 et 45 ans. Je les accompagnais dans les bars de Dakar au milieu de la nuit, où elles se rendaient souvent. Aujourd’hui, leur souvenir émerge chaque fois que je passe devant ces lieux. Elles continuent de vivre en moi. J’avais envie de raconter cette histoire, et je l’ai condensée sur un seul personnage, Kinne Gaajo.
Votre autre héroïne, Njéeme Pay, biographe de Kinne Gaajo, s’interroge sur le sens de la vocation littéraire, sur la postérité.
Est- ce un écho à vos propres questionnements ?
Oui. Tous les écrivains qui atteignent un certain niveau de reconnaissance font face à cette question redoutable : la postérité. On peut être reconnu pour ses écrits de son vivant et disparaître tellement vite de l’histoire. Pourquoi consumer ses matinées, ses nuits, se faire tant d’ennemis, renoncer à vivre, afin d’écrire, toujours écrire ? Qu’en restera-t-il ? C’est
effrayant. Il y a une chance sur un milliard que mon œuvre me survive longtemps, qu’elle ait de l’influence sur les générations à venir. Est-ce bien raisonnable, avec un ratio aussi faible ? Ne devrais-je pas arrêter d’écrire et vivre ma vie ? Un écrivain a le devoir, non seulement d’être un grand lecteur, mais aussi de connaître l’histoire de la littérature. Et cette connaissance est terrifiante, car on se compare à la postérité. À l’inverse, des auteurs ou des peintres totalement ignorés de leur vivant, morts dans la misère, ont connu une postérité glorieuse. C’est une affaire très compliquée. Je me fais très peu d’illusions. Tant mieux si mes écrits me surv ivent très longtemps, mais la concurrence est rude !
D’après votre héroïne Njéeme Pay, le débat sur les langues nationales au Sénégal n’est pas un enjeu important. C’est ce que vous observez ?
À ses yeux, ce débat sur les lang ues nationales est inutile. Ce point de vue est en train de changer, d’évoluer peu à peu. Mais les intellectuels sénégalais standards ne veulent pas perdre de temps avec ça, ils s’en fichent éperdument. Avec d’autres militants, nous commençons à être de plus en plus nombreux et surtout, malgré notre petit nombre, de plus en plus influents. Dans la Constitution sénégalaise, l’article 25 dit ceci : seul celui qui peut parler, lire et écrire le français peut être un candidat à la présidence de la République. Les élites sénégalaises ont encore du mépris, même si le mot est fort, envers le wolof
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Le na uf ra ge tragi qu e du Joo la a fa it 1 88 4 mo rt s en une nu it, le 25 septe mbre 20 02
Vous avez créé defuwaxu.com, le premier et unique site d’information en wolof. Votre maison d’édition EJO publie et traduit des œuvres en cette langue, développe son apprentissage au Sénégal. Quels sont les enjeux autour de la langue ?
Le langage est un enjeu éminemment politique. D’après l’historien Cheikh Anta Diop, prétendre faire fonctionner un système démocratique dans une langue étrangère est un leurre – carrément une imposture, ajouterai-je. On légifère dans une langue que les principaux concernés ne comprennent pas. Au tribunal de Dakar, le président et les juges maîtrisent parfaitement le wolof, l’accusé ne comprend que le wolof, donc un interprète traduit, puisque le français est la langue officielle Mais seuls 5 à 10 % de la population s’expriment vraiment en français, le compren nent. En ca mpag ne élec tora le, les hommes politiques s’expriment en wolof, mais ensuite, adieu le wolof ! D’ailleurs, on parle de plus en plus mal le français. Le système éducatif est en train de s’effondrer : il y a beaucoup trop d’apprenants pour trop peu de personnel, il manque des moyens alloués par l’État pour faire le nécessaire.
Vous qui avez aussi écrit des romans en français, l’usage d’une langue influe -t-il sur votre écriture ?
Quand j’écris en wolof, je vais beaucoup plus en profondeur. J’exprime des choses dans cette langue que je ne peux pas expr imer en français Et pour tant, j’ai lu des livres en français toute ma vie, j’ai enseigné en cette langue. Fait très rare pour ma génération, j’ai effectué toutes mes études au Sénégal, jusqu’à la fin de l’université J’ai donc toujours baigné dans un univers wolophone. Je pars de ma langue pour aller vers les autres. L’avantage d’écrire en wolof, en tant qu’éditeur, c’est de faire travailler les imprimeurs, les correcteurs de notre pays. Notre matière première, c’est notre matière grise. Vous livrez une satire féroce des mondes politiques et médiatiques sénégalais. D’un grand cynisme, ces personnalités s’affrontent, dans cette culture du clash… Journaliste de formation, j’ai dirigé un quotidien privé, Le Matin J’ai vu de mes propres yeux ces querelles. Mon livre a un côté roman d’actualité : beaucoup de lecteurs sénégalais reconnaîtront sans peine mon personnage de Lamine Diallo, patron de presse devenu milliardaire Ce ton un peu bouffon, moqueur, de mon texte est lié à l’enjeu de la langue. Si j’avais écrit ce roman directement en français, j’aurais dépeint ce milieu avec une certaine distance. Or, là, il y a une telle complicité entre le lecteur et moi : on s’amuse, on éclate de rire de manière grossière. Ce roman est pour le lectorat qui comprend le français. Mais une autre couche de lecture s’adresse à ceux qui maîtrisent les deux langues. Des codes, des clés, des vibrations leur sont involontairement destinés. Ces plaisirs interdits ne parviennent pas au lecteur non-wolophone Il y a une petite perte dans les nuances. Cette dualité du texte, Pape Samba Diop, l’un de nos plus brillants universitaires, l’appelle l’hy poculture wolof. Nous en sommes au début de la traduction du
« Tant de chantiers attendent le nouveau régime. La moralisation de la vie publique en est un. On attend humilité et sobriété de nos dirigeants. »
wolof vers le français. Peut-être que l’on trouvera le moyen de réduire cet écart, inév itable, que je n’ai pas souhaité. Comme quoi, la signif ication des mots n’épuise pas un langage. La langue du romancier, du poète n’est pas un contenant. Elle est aussi faite de silences, de vibrations. Il est question de mémoire collective, dans votre roman. Certains héros, qui se sont battus contre l’envahisseur, sont tombés dans l’oubli, quand l’espace public est truffé de noms de colonisateurs…
Jules Ferr y, Louis Faidherbe, Louis Br ière de L’Isle, ou encore Napoléon… Nous les avons tous, au Sénégal. Léopold Sédar Senghor, notre premier président, était profondément francophile. Homme plein de qualités et de défauts, il n’a pas réglé ces questions à l’indépendance. Cela dit, les Sénégalais ont un problème avec leur mémoire, leur histoire, leur passé. On oublie très facilement nos héros, les gens qui se sont battus. Je ne prône pas du tout la cancel culture, mais il faut se pencher sur cette question, impulser une volonté politique.
J’imagine que le nouveau régime réglera ça. C’est pourquoi il est bon de l’écrire dans les romans. Cela peut influencer des décideurs politiques, leur ouvrir les yeux. On fait indirectement office de conseiller.
Qu ’est -ce qui vous a inspiré cette image évoquée dans le livre : un peuple égaré demande aux autres de lui prêter ses ancêtres ?
J’ai vécu en Tunisie, au Nigeria, au Mexique, en Afrique du Sud. Je fais d’incessants voyages dans le monde. Cela m’a appris à regarder mon pays avec des yeux nouveaux. Ce qui me frappe chez les Sénégalais, depuis une dizaine d’années, c’est leur désir d’arabité, au nom de la religion Très croyants, ils considèrent la culture sénégalaise comme païenne. Pour aller au paradis, il faudrait s’im merger dans la culture de l’isla m. C’est nouveau. Les Sénéga lais ont toujours été de
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bons musu lmans, ma is très en raci nés da ns leur cu lt ure. Aujourd’hui, pour beaucoup, être un bon musulman signifie de renoncer à sa cult ure. Ce phénomène très sérieu x est-il passager, ou plus profond ? À la télé, à la radio, sur les réseaux sociaux, les prédicateurs qui promettent le paradis ou l’enfer n’ont jamais été aussi influents. Je ne le supporte pas. Sous prétexte d’être des musulmans, nous demandons aux Arabes de nous prêter leurs ancêtres. Nous ne concevons pas cet écart entre la foi et la culture. Je suis musulman, mais je suis aussi Sénégalais – pas Arabe. Pendant longtemps, les Sénégalais étaient appelés les « Français d’Af rique ». Senghor, dans ses délires, clamait avec fierté : les Sénégalais sont les Grecs de l’Afrique. Avant, on voulait être Tubaab, Blancs, Européens. Maintenant, on veut être Arabes. On est passés de l’Occident à l’Orient. Quel est ce peuple qui ne peut pas être tout simplement lui-même ? Pourquoi avons-nous cette sorte de mépris envers nous-mêmes ?
Comment avez-vous observé la fin du mandat du président Mack y Sall, avec son repor t de l’élection présidentielle ?
En juin 2023, avec les écrivains Felw ine Sarr et Mohamed Mbougar Sarr, nous avons publié une tribune contre les dérives autoritaires de Mack y Sall, dans le média SenePlus Très attaquée – c’est la règle du jeu –, elle a eu un immense écho On vante la vitrine démocratique du Sénégal depuis long temps. Mais, à mon sens, ce pays n’a ja mais été une véritable démocratie. Dans une démocratie, les élections ne sont pas ouvertement truquées Ce système a longtemps été monopartisan, monosy ndical. Ce qui caractérise le pays, ce sont moins les institutions démocratiques fortes que la liberté d’expression. On la doit sûrement à Senghor – par ailleurs, im mense tr uqueur d’élec tions. La liberté de la pa role est restée, et cette valeur n’est pas la plus partagée en Afrique. Macky Sall a fait l’erreur de vouloir la brider Son échec tient à cela. Il a fait des petites entailles et, un jour, il décide d’arrêter le processus électoral. Il a été honni de tout le monde. S’il n’avait pas fait cela, il ne s’en serait pas trop mal sorti. Cette crise a du bon : le personnel politique qui va suiv re saura jusqu’où il ne faut pas aller. C’est une leçon d’histoire. Comment qualifiez-vous la victoire du nouveau président du Sénégal, Bassirou Diomaye Faye, candidat du Pastef, principal parti d’opposition du régime sor tant ?
C’est un tour nant historique. Comme beaucoup, je suis surpris par cette accession au pouvoir soudaine, spectaculaire, inédite. Cette élection dès le premier tour – qui empêche les négociations politiciennes de l’entre-deux tours – est un message envoyé aux politiques : les magouilles, la transhumance, à savoir le fait de rallier ses opposants une fois élus en vue d’obtenir des postes, la malhonnêteté, le non-respect de la parole donnée, la corruption finissent par s’effondrer. C’est une très bonne leçon. L’homogénéité de la classe politique
Un to mbea u pour Ki nn e Ga ajo, Éd iti on s Ph il ip pe Rey, 352 pa g es , 23 €
a été cas sée. Pour citer le nouveau président, les Sénéga la is ont choi si la rupture. Le peuple vient de démontrer qu’il est grand, patient, paci fique. Nous av on s dé couv er t no tr e amour pour nos institutions démocratiques. Notre système électoral est perfor mant, solide – j’en ai pour tant toujours douté. Tant de chantiers prior itaires at tendent ce nouveau régime. La moralisation de la vie publique en est un : combattre le népotisme, le favoritisme, travailler pour l’équité. Les gens attendent humilité et sobriété de leurs dirigeants L’inspirateur devrait être Thomas Sankara. Est- il porteur d’espoir pour la jeunesse sénégalaise ?
Il l’est, en effet De natu re ex istent ielle, les at tentes im menses de la jeu nesse sont à la mesu re du désespoi r qu’elle porte. Bassirou Diomaye Faye est sa dernière chance.
Et ce dernier n’aura pas le droit à l’er reur Avant l’élection présidentielle, certains jeunes me conf iaient avoir renoncé à partir, à prendre les pirogues, pour rester et se batt re si Diomaye l’emportait. Et nous, nous disons à ce nouveau président : « Nul besoin que tu nous ca resses da ns le sens du poil. » Si le changement de la situation du pays doit se faire dans la douleur, dans la difficulté, qu’il en soit ainsi. Nous voulons nous mett re au travail. Il faut un président qui soit suffisa mment clair voya nt et ex périmenté pour le comprendre, pour diriger un pays aussi blessé et frac turé que le Sénéga l, pour changer se s habitude s politiques. Comment avez-vous observé le retrait des troupes françaises au Mali, au Burkina Faso et au Niger ?
Et l’accession des juntes à la tête de ces pays ?
Que se passe-t-il là-bas ? Je ne le sais pas. La France a été mise dehors Ce fut un tremblement de terre. Je n’y croyais pas. C’est une défaite monumentale – les autorités françaises préfèrent ne pas trop en parler à leur population. On sait à quel point Macron était puissant Désormais, il est conscient d’avoir perdu la main, y compris au Sénégal. Les États-Unis tentent de remplacer la France dans ces pays pour, entre autres, contrer l’influence de Pékin ou de Moscou Quant à ces régimes militaires, je comprends que l’on puisse être en désaccord avec certaines méthodes, même si j’ai plutôt de la sy mpathie envers certains jeunes officiers. En tout cas, l’histoire est en marche, et personne ne s’y attendait. Bientôt, ces trois pays sortiront du franc CFA, qui va vers sa mort. La vraie indépendance de l’Afrique francophone est en train de s’annoncer. ■
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DR
an niver sa ire
RWANDA RÉSURRECTION
En avril 1994, le « pays des mille collines » sombrait dans le massacre. Aujourd’hui, il commémore les trente ans du génocide des Tutsi. Malgré ce traumatisme, la nation s’est relevée sous la conduite affrmée de Paul Kagame. Avec une économie innovante, qui sait séduire les investisseurs, et un soft power global. Au prix, pourtant, de l’autoritarisme et de tensions croissantes avec ses voisins… par Cé dric Go uver ne ur
ET MAIN DE FER L
e 7 de ce mois, le Rwanda commémore les trente ans du génocide de s Tutsi. Lors de cette fu neste an née 1994, en cent jours – de l’assassinat du président Habyarimana le 6 avril à la victoire du Front patriotique rwandais (FPR) le 17 juillet –, les extrémistes hutu ont exterminé de 800 000 à 1 million de Tutsi et des dizaines de milliers d’opposants hutu À Kigali, au mémorial national de Gisozi, où sont inhumées quelque 250 000 vict imes, Paul Kagame allumera comme chaque année la flamme du recueillement et prononcera un discours qui devrait célébrer la résilience de la nation rwandaise et le chemin parcour u, ainsi que les ef forts restant à four nir pour que le pays des mille collines, rescapé de l’en fer
génocidaire et de la haine ethnique, se hisse toujours plus haut, aille encore plus loin… Le président a pour pr incipe directeur : « Travailler dur jusqu’à ce que cela fasse mal, parce que la pauvreté fait encore plus mal. » Un aphorisme à la fois libéral et nietzschéen, qui résume assez bien l’ethos du personnage, moine-soldat à la tête de la start-up nation des Grands Lacs depuis bientôt trente ans et qui, désormais âgé de 66 ans, ne cache pas sa volonté de s’éterniser au pouvoir.
De nombreux chefs d’État du continent devraient être présents à Kigali le 7 avril. Seulement deux n’ont pas été invités : celui de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi, du fait des tensions entre
La cap ital e Ki gali , cœur administ ra ti f et éc onom iq ue du pa ys
SHUTTERST OCK
les deux nations, et celui du Burundi, le général Évariste Ndayishimiye Kagame accuse ce dernier, ex-chef des Forces de défense de la démocratie (FDD) hutu, de soutenir en RDC les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), nostalgiques de la suprématie hutu et ennemies jurées du FPR…
Le président ougandais Yoweri Museveni, ancien mentor de Kagame, devrait se faire remplacer par sa vice-présidente, et ce malgré le récent réchauffement diplomatique entre Kigali et Kampala. La France devrait, quant à elle, être représentée par un simple ministre. Certes, le président français Emmanuel Macron a effectué au Rwanda, en mai 2021, une visite histor ique marquée du sceau de la réconciliation. Lors des commémorations de 2004 et de 2014, Paul Kagame ne s’était pas privé de fustiger l’attitude déplorable de l’Élysée avant, et pendant, le génocide. « Les faits sont têtus », avait-il insisté lors des commémorations d’av ril 2014, qui plus est en français – langue que le président rwandais ne parle pas, ayant grandi en ex il en Ouganda… Depuis, Paris a reconnu de « graves erreurs d’appréciation » dans la tragédie rwandaise, mais ne s’est jamais excusé. À la tête d’une France qu’il aspire, lui aussi, à transformer en start-up nation, « Emmanuel Macron est sous le charme glacial de Paul Kagame », explique à Af rique Magazine Antoine Glaser, co-auteur avec Pascal Airault de l’ouvrage Le Piège af ricain de Macron (Fayard, 2023). Le président français « ressent une fascination pour l’efficacité peu commune » de son homologue rwandais, estimant que ce dernier a « un effet d’entraînement sur toute la région ». Une efficacité que l’ex-généra l ca nadien Roméo Da llai re, lor s de sa récente visite au Rwanda, a résumée en comparant la capitale à « un Singapour africain ». Ancien chef des Casques bleus à Kigali en 1994, il a pu mesurer le chemin parcouru en trois décennies par la nation : « C’est une œuvre que je considère comme exceptionnellement gérée, par une main… Oui, ferme, mais avec une ambition de créer, vraiment, un pays moderne », a déclaré le militaire retraité à Radio Canada.
VILLE PROPRE ET NET TOYAGE OBLIGATOIRE
Un développement dont le s réal isat ion s sautent au x yeux du visiteur : Kigali est sans conteste la capitale la plus propre du continent, grâce notamment à l’interdiction totale, dès 2006, des sacs en plastique. Désormais, les autorités s’attaquent aux bouteilles en plastique. Une mesure drastique, mais salutaire : un million de bouteilles sont vendues à travers le monde chaque seconde, mais seulement 10 à 15 % sont recyclées, les autres finissant souvent dans des cours d’eau, qu’elles transforment en cloaques où ne prospèrent que les moustiques… Au Rwanda, les sachets sont donc remplacés par des paniers en fibres végétales fabriqués par les communautés villageoises – et souvent par des veuves rescapées du génocide. Cette propreté urbaine méticuleuse est entretenue par les citoyens eu x-mêmes, réquisitionnés chaque dernier samedi du mois pour le umuganda, le travail communautaire
« Une destination réputée pour son environnement business friendly, grâce à sa stabilité, sa sécurité, son faible niveau de corruption et son cadre législatif. »
collectif – et obligatoire, sous peine d’amende… Kigali la rutilante est également une capitale hautement connectée, tissée de fibre optique, où Internet est, depuis une décennie déjà, disponible dans les autobus (bientôt tous électriques) Le Rwanda a aussi fait figure de pionnier dans le domaine des drones : les autorités ont vite compris l’intérêt que pouvaient avoir ces drôles d’engins volants dans les collines escarpées du pays Depuis 2016, ces appareils livrent en urgence au x dispensaires isolés des poches de sang et des médicaments. Le pays a aussi développé la télémédecine : depuis les années 2000, da ns chaque vi llage, un « agent communauta ire » signale par SMS aux serv ices d’urgence les anomalies de santé. En octobre 2023, les autorités rwandaises et la banque japonaise SoftBank annonçaient une première mondiale : le test, avec succès, d’une connectivité 5G depuis la stratosphère, via une plateforme solaire de haute altitude ! La soif d’innovation technologique du petit État des Grands Lacs paraît inextinguible.
Lors de la décennie 2010, le Rwanda a enregistré la plus forte croissance d’Afrique orientale, avec 7,2 % en moyenne annuelle, grâce nota mment à des invest issements publics conséquents. Passé la cont raction pandémique de 2020, le PIB a crû de 10,9 % en 2021 et de 6,8 % en 2022 Le Rwanda a attiré en 2021 un montant record de 3,7 milliards de dollars d’investissements directs étrangers (IDE) : classé deuxième pays d’Afrique (après l’île Maurice), sur l’index Doing Business, il est réputé pour son environnement bu siness friendly, grâce à sa stabilité, sa sécurité, son faible niveau de corruption et son cadre législatif. Et il présente l’avantage rare d’être à la fois francophone et anglophone, du fait du retour au pays, à partir de 1994, d’exilés tutsi réfugiés en Ouganda anglophone. Un bémol, cependant : la législation évolue si vite que la banque publique d’investissement Bpifrance conseille aux entreprises ét ra ngères de se faire accompag ner juridiquement, au risque d’enfreindre une loi par inadvertance et de se
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RW ANDAN OFFICE OF THE PRESIDENT/XINHUA-REA
Le présid ent Pa ul Ka gam e à Ki ga li, le 9 ao ût 20
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faire expulser du pays ! Le taux de pauv reté est passé de 59 % en 2000 à 38 % en 2017, et l’espérance de vie a progressé de vingt années. Face à une agriculture encore majoritaire (55 % des emplois et 25 % du PIB) et à une inquiétante surpopulation rurale (400 habitants au km2 contre 26 en moyenne en Afrique subsahar ienne…), le Rwanda cherche à déve lopper le s emplois dans les serv ices Le pays mise ainsi sur le tourisme, à l’exemple de son voisin tanzanien. Grâce à une politique inclusive associant les communautés rurales à la protection des grands primates, la population de gorilles des montagnes a quasiment doublé en dix ans, passant de 680 à 1 063 individus entre 2008 et 2018 (le dernier acte de braconnage remonte à plus de vingt ans) En floquant du logo « Visit Rwanda » les maillots des footba lleurs des clubs d’Arsenal (2018) et du Paris Saint-Germain (2019), Kagame (fan du premier) a fait connaître son pays au public européen. Le Rwanda a attiré 1,7 million de visiteurs en 2019 et – une fois surmonté le contrecoup de la pandémie de Covid – 1,1 million en 2022, soit un peu moins que l’immense Tanzanie voisine (1,45 million), dotée de parcs nationaux et de plages. Bel exploit pour un pays minuscule (26 300 km2, l’équivalent d’un huitième du Sénégal), enclavé dans la conf lictuelle région des Grands Lacs, et dont beaucoup d’Occidentaux ne connaissaient naguère que les images cauchemardesques du génocide ! Depuis 2012, le Rwanda s’est également imposé, à l’instar de Cape Town, comme un hub conférencier, en multipliant les MICE (Meetings, Incentives, Conferences, Events and Exhibition s), c’est-àdire les congrès et salons internationaux, attirant le tourisme d’affaires à fort pouvoir d’achat. Si Kigali a ainsi été la première ville africaine à accueillir, en 2023, le congrès de la FIFA, la capitale vient aussi de lancer Innovation City, sa plateforme d’accueil des entreprises innovantes. Et l’année prochaine, le pays organisera le championnat du monde de cyclisme sur route. En matière de soft power, Kagame, bien qu’anglophone,
« Rien ne semble pouvoir intimider Paul Kagame, pas même la perspective d’une nouvelle guerre avec le géant congolais. »
est parvenu à faire élire en 2018 à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) l’ancienne ministre des Affaires étrangères Louise Mushikiwabo. Lui-même a présidé l’Union africaine (2018-2019), ainsi que la Communauté d’Afrique de l’Est (2018-2021). Le contingent rwandais est, par ailleurs, très présent au sein des Casques bleus, notamment en République centrafricaine, au Sud-Soudan et en Haïti. Le pays a également signé voici deux ans un accord controversé avec le Royaume-Uni, afin que les Britanniques puissent expulser en direction du pays des mille collines les migrants entrés illégalement sur son territoire. La Cour suprême britannique a invalidé l’accord, mais les gouvernements br itannique et rwandais persistent. On peine toutefois à saisir ce que le Rwanda gagnerait à un tel deal, à part sans doute faire parler de lui sur la scène internationale
REDORER SON BL ASON
À chaque innovation, à chaque coup de com, à chaque réussite médiatisée, l’image dont le pays avait hérité en 1994 – celle d’une terre maudite, d’une terre de sang, de haine et de cruauté – s’est un peu plus estompée. Jusqu’à laisser la place à une autre image : celle d’une nation novatrice, efficace, stable et fiable, où il est possible d’investir. « Ils [la communauté internationale] nous ont appelé un petit État en faillite. Mais nous avons refusé d’échouer, refusé d’être petit, a déclaré Kagame en 2016 devant les jeunes du pays. Le Rwanda a changé pour de bon et pour toujours Nous avons fait trois choix : rester ensemble, être responsables et penser grand. » Rares sont les nations qui ont vu leur image internationale se modifier aussi positivement en si peu de temps. Osons une comparaison avec l’Allemagne post-1945 : après la Seconde Guerre mondiale et la Shoah, la République fédérale allemande (R FA) avait réussi l’exploit de devenir la première économie européenne, mais aussi une démocratie exemplaire.
La différence entre Rwanda et RFA réside év idemment dans l’ouvert ure politique, le système Kagame étant aussi
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Féli x Ts his eked i, président de la RD C, le 20 septe mbre 20 23, à New Yo rk , lor s de la 78 e session de l’As semb lée gé né ra le de s Na ti on s uni es
efficace qu’autoritaire… « Paul Kagame est une personnalité qui ne laisse personne indifférent, nous précise Antoine Glaser Il n’y a pas deux chefs d’État comme lui en Afrique. Il n’est pas impossible que Macron redoute Kagame, comme c’est déjà le cas de la plupart des présidents africains. » Dans une interview donnée à nos confrères de Jeune Af rique le 14 mars, le chef d’État rwandais se montre carrément menaçant envers ses homologues congolais et burundais : « Tshisekedi est capable de tout, sauf de mesurer les conséquences de ce qu’il dit », assénait-il. Quant au président burundais, il l’accuse de « mentir » et d’appuyer ses ennemis jurés, les rebelles hutu du FDLR. Ses deux voisins encourageraient, selon lui, « une politique primitive basée sur l’ethnie ». Rien ne semble pouvoir intimider Paul Kagame, pas même la perspective d’une nouvelle guerre avec le géant congolais, dont la superficie est près de cent fois supérieure à celle du Rwanda Depuis deux ans, le spectre d’un conf lit ouvert hante les relations entre Kinshasa et Kigali. En mars 2022, les rebelles du M23 sont passés à l’offensive dans l’est de la RDC, au nom de la défense des minorités tutsi locales, menacées par les Hutu du FDLR. Malgré la colère qu’il suscite chez les Congolais (le chanteur Gims, dans sa chanson « Thémistocle », fait rimer « Kagame » et « croix gammée » !), l’homme fort du Rwanda ne cède sur rien. Il ne prend même plus la peine, désormais, de démentir la présence de troupes rwandaises en RDC… Après tout, depuis trois décennies, les conf lits interethniques rwandais et burundais ensanglantent les conf ins or ientau x de la RDC : en 1996, excédés par les raids transf rontaliers des anciens génocidaires réfugiés au Zaïre et par la passiv ité de Mobutu Sese Seko, Kagame et son allié Museveni ont apporté un soutien décisif aux rebelles de Laurent-Désiré Kabila, qui fera tomber Mobutu en mai suivant
(au grand dam de Paris…). Rapidement déçu par le nouveau maît re de Kinshasa, Kagame s’engagera, en 1998, dans la seconde guerre du Congo – un véritable conf lit continental, impliquant des dizaines de groupes armés et les troupes de huit pays, qui a provoqué en quat re ans la mort d’environ 3 millions de personnes… Le Rwanda en profitera aussi pour, au moins, bénéficier via ses alliés locaux d’une partie des richesses du sous-sol de son voisin congolais, exportant du coltan et du tantale.
ANCIEN MAÎTRE ESPION
Paul Kagame est avant tout un soldat. Un soldat doublé d’un homme du renseignement – une caractér istique qu’il partage, entre autres, avec Vladimir Poutine. Né en 1957 à Ruhango, au Rwanda, il doit dès la petite en fance s’ex iler avec sa famille en Ouganda, afin de fuir les premiers massacres de Tutsi. À l’âge de vingt ans, le jeune Kagame rejoint la guérilla ougandaise qui, aux côtés de l’armée tanzanienne de Julius Nyerere, renverse le dictateur fantasque Idi Amin Dada. Ce dernier étant remplacé par un autre dictateur, Milton Obote, Kagame rejoint les rebelles d’un certain Yoweri Museveni En 1986, il rentre en vainqueur à Kampala, aux côtés de Museveni, toujours chef d’État à ce jour. Le major Kagame est propulsé par son mentor chef des serv ices secrets de l’armée ougandaise, puis président du tribunal itinérant chargé de juger – et parfois de condamner à mort – les sbires d’Obote… En compag nie d’autres ex ilés rwanda is, il fonde le Front patriotique rwandais (FPR), avec pour objectif la reconquête de la patrie perdue. La suite est davantage connue : une première offensive du FPR en 1990, ratée de peu. L’intervention croissante de François Mitterrand aux côtés du président Juvé-
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Ki bum ba , déce mbre 20 22 . Le s re be ll es du M23 su r la lig n e de front près d e Go ma , en RD C.
Un holocauste africain
Près d’un m illion de mor ts en cent jours. L’ import at ion de s théories raciste s eu ropé en ne s a rava gé le s « mi lle coll ines », abouti ssant au dern ier génocide du xxe siècle. Trente an s plus ta rd , la traq ue de s re spon sa bles se poursu it.
Le 6 av ril 1994, peu après 20 heures, le Falcon transpor tant le président rwandais Juvénal Habyarimana et son homologue burundais Cy prien Ntar yamira est abattu par un missile sol-air, tandis qu’il approchait de l’aéroport de Kigali et que les deux chefs d’État revenaient tout juste de pour parlers de paix en Tanzanie L’origine du tir fatidique – extrémistes hutu ou FPR – demeure incertaine. Dans les heures qui suivent, la mécanique génocidaire se déploie, méthodique et implacable : gendarmes, soldats et miliciens interahamwé (« ceux qui combattent ensemble ») vérifient les cartes d’identité, où figure la mention de l’ethnie, et massacrent tous les Tutsi sans distinction Les routes sont quadrillées de barrages, les frontières fermées, les maisons fouillées, et les Hutu qui cachent des Tutsi sont eux aussi tués. Dans les villages, sur les collines, bourgmestres et fonctionnaires distribuent des machettes aux Hutu.
Encouragés par les discours haineux diff usés sur les ondes de la Radio des Mille Collines, fanatisés par trente années de propagande, les villageois sont incités et invités à massacrer leurs voisins tutsi, comparés à des « cafards ».
ougandaise et tanzanienne du lac Victoria… Dès le mois de mai, l’aspect systématique et planifié des massacres conduit des diplomates à parler de « génocide ».
Les Casques bleus, impuissants faute de mandat clair, sont retirés du pays le 21 av ril. Deux mois plus tard, une résolution des Nations unies approuve l’opération française Turquoise, malgré ses ambiguïtés : l’allié historique d’Habyarimana permettra aux reliquats des Forces armées rwandaises (FAR) de fuir au Zaïre face à l’avancée du FPR… « Nous aurions pu et dû faire beaucoup plus », admettra à Kigali en av ril 2014 Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations unies (2007-2016).
Les églises, où les Tutsi espèrent trouver l’asile, deviennent des nasses mortelles, parfois avec la complicité d’ecclésiastiques.
Mé mo ria l du gé no cide de Kig ali
Le monde commence à mesurer l’ampleur de la tragédie lorsque les télévisions diff usent les images, nombreuses et insoutenables, de milliers de cadav res jetés dans les rivières et s’accumulant sur les rives
Le Rwanda comme le Burundi ont été victimes de l’importation à la fin du XIX e siècle par les colons allemands, puis belges, des inepties racistes qui faisaient alors florès en Europe : ceux-ci considéraient la monarchie de la minorité tutsi comme issue de « Nilotiques », jadis venus de la Corne de l’Af rique. Une sorte de race supérieure,
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supposée dominer la majorité hutu, paysans méprisés par les colons blancs En fait, les différences résultent de siècles de modes de vie différents : les Tutsi sont des pasteurs, les Hutu des cultivateurs. Les théoriciens européens ont donc « racialisé » des rappor ts économiques et sociaux, af in de diviser pour mieux régner, de se serv ir des Tutsi comme courroie de transmission de la domination coloniale. Mais dans les années 1950, face aux indépendantistes tutsi, les colons belges ont brusquement changé d’alliance et encouragé une révolution hutu, pour tenter, encore une fois, de sauvegarder leurs intérêts personnels. Se sont ensuiv ies, au Rwanda comme au Burundi, après les indépendances, des décennies de massacres entre les deux communautés.
COMMENT FAIRE JUSTICE ?
Là où les nazis faisaient accomplir la Shoah par des troupes spécialisées (SS, Einsatzg ruppen), les concepteurs du génocide rwandais ont cherché à impliquer un ma ximum de citoyens. Entre 2005 et 2012, environ 12 000 tribunaux populaires rwandais ont jugé plus de 2 millions de Hutu, dont les deux tiers ont été reconnus coupables. Une fois leur peine purgée, ils retournent dans leur village et y croisent des rescapés…
Au Tribunal pénal international pour le Rwanda (T PIR) d’Ar usha, en Tanzanie, des dizaines de décisionnaires du génocide ont été condamnés à de lourdes peines, que certains purgent dans des prisons situées au Mali, au Bénin ou au Botswana Au Rwanda, 22 responsables hutu ont été condamnés à mort et exécutés. En 2007, Kigali a aboli la peine capitale – contre-productive, puisque de nombreux États refusent d’extrader un accusé vers un pays qui la pratique.
De nombreux génocidaires ont également fui en Occident Plusieurs ont été identifiés en Belgique, en France, en Allemagne, en Scandinavie et en Amérique du Nord, et, au terme de longues procédures, jugés et condamnés Depuis 2016, la justice française examine les cas de Hutu rwandais vivant dans l’Hexagone. Une demi-douzaine d’entre eux ont été jugés, souvent grâce à l’action du couple franco-r wandais Alain et Dafroza Gauthier, fondateur du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) [voir AM 447- 448, décembre 2023-janvier 2024]
En décembre 2023, Sosthène Munyemana, identifié comme « le boucher de Tumba » et qui exerçait la médecine dans le sud-ouest de la France depuis 1994, a été condamné à vingt-quatre ans de réclusion par la cour d’assises de Paris. ■ C.G.
nal Habyarimana. La radicalisation, de plus en plus raciste, du Hutu Power, qui perçoit chaque Tutsi, femme et en fant compris, comme des « ennemis de l’intérieur » à éradiquer… Et pour fi nir, la méca nique génocida ire, qui ex term inera environ les trois quarts des Tutsi du Rwanda Lorsque Paul Kagame prend les commandes du pays, celui-ci est anéanti. C’est un gigantesque charnier à ciel ouvert, où les rescapés doivent côtoyer leurs voisins et bour reaux. Les ex ilés, souvent nés en Ouganda, formeront la colonne vertébrale de son régime Ils s’avèrent « beaucoup plus éduqués, militarisés et disciplinés, le peuple idéal du FPR », soulignait déjà en 2018 Gérard Prunier, spécialiste des Grands Lacs, dans un article pour l’Institut Montaigne.
« J’ai dû me battre pour tout », rappelle le président. « Je voulais m’en sortir, je voulais prendre mon destin en main et échapper au cercle vicieux de la violence et des représailles. Cette lutte a façonné ce que je suis aujourd’hui », dit-il avec exemplarité, comme s’il exigeait de chaque citoyen rwandais la même énergie, la même détermination, la même discipline. Et il est aussi exigeant avec les autres qu’avec lui-même, comme les footballeurs du club londonien d’Arsenal l’ont appris à leurs dépens En août 2021, après leur défaite cont re une petite équipe, Kagame, sponsor du club depuis 2018, écrit sur son compte Twitter : « Nous ne devons PAS excuser ou accepter la médiocrité Une équipe doit être construite pour gagner, gagner, gagner. » « Paul Kagame est glaçant, estime Antoine Glaser. Lorsqu’il parle, on ressent le passé d’un homme profondément marqué par le génocide, ainsi que par sa formation d’homme du renseignement : il ne fait confiance à personne. »
« SERVIR AUSSI LONGTEMPS QUE POSSIBLE »
Mais force est de constater qu’il a grandement confiance en lui et se sent invincible. Au pouvoir de facto depuis juillet 1994, l’homme fort du Rwanda a été élu président en 2003, réélu en 2010, puis encore en 2017, avec des scores dépassant 90 % des voix – soit davantage encore que Vladimir Poutine. À 66 ans, il briguera le 15 juillet prochain un nouveau mandat de sept ans. Il a récemment confié être « prêt à servir les Rwandais aussi longtemps que possible » : la constitution rwandaise, modifiée en 2015, lui en of fre la possibilité… « La communauté internationale, prisonnière de ses remords et séduite par les progrès introduits, acquiesce », analysait déjà Gérard Prunier en 2018 Or, des opposants meurent violemment ou disparaissent sans laisser de trace. Gérant hutu de l’hôtel des Mille collines lors du génocide, Paul Rusesabagina a vu son histoire – romancée et enjolivée – portée à l’écran en 2004 dans le film américain Hotel Rwanda, pour son rôle dans le sauvetage de plus d’un millier de Tutsi. Ce critique du régime a été condamné en 2021 à vingt-cinq ans de prison pour « terrorisme », avant d’être gracié sous la pression des États-Unis – pays dont il possède la nationalité. Exilé aux USA, il estime que « les Rwandais sont en prison dans leur propre pays ». ■
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LE DO CU ME NT
Méditerranée, au centre du monde
Paruepourlapremièrefoisen2011sousletitre TheGreat Sea,cette histoire de la Mare Nostrum et de sesriverains dessineune fresquehumaine captivante, destemps préhistoriquesà nosjours. par CatherineFaye
DelaguerredeTroie àlapiraterie, desbatailles navalesentre CarthageetRomeàladiasporajuive desmondeshellénistiques, de la montée de l’islamaux Grands Tours du XIXe siècle,jusqu’autourismede massedu XXe siècle,Dav id Abulafia tresse un récitoùs’allient la richessedelarecherche historique et le st yleenlevéduconteur. Lestravaux de cethistorien anglais, professeur émérited’histoire méditerranéenneàl’UniversitédeCambridge,ont étéà plusieursreprisessaluésetrécompensés. La Grande Mer n’yéchappe pas. Couronné parleprixdelaBritish Academyetcelui du MountbattenMaritimeAward, ce livrefoisonnantsouligneladiversité desexpériences d’échange,deconflit et de coexistenceentre lespopulationsàtoutesles époques. Àl’inversede la thèsede l’unitédelaMéditerranée, prônée en1949par l’historien français FernandBraudel dans La Méditerranée et le Monde méditerranéenà l’époque de Philippe II, l’universitairebritannique insistesur sa fragmentation, son caractère mouvant, sescontacts brutauxintéressés ou amicauxavecses arrière-pays, sa sécurité et ses routes maritimes, sesmarchands et seshommesde foi.SiBraudel refusait la conception événementielle de l’histoire,lemilieuphysiquedéfinissantuntemps long l’emportanttoujours surles péripétiespolitiques, Abulafia renverselaperspective et placeles humainsau centre de sonrécit.Son ouvrageest dédiéàlamémoire de sesancêtres, «qui ontsillonné la Méditerranée de long en largeaulongdes siècles: d’aborddelaCastille
DavidAbulafia, aGrandeMer : Une histoire de la Méditerranée et desMéditerranéens, lammarion, 090 pages, 15,90 €
àSafed et Tibériade, en Terresainte,avecdes haltes à Smyrne,puis,autemps de mongrand-père, de Tibériadeversl’ouest ànouveau,puis,après lui, avecma grand-mère,enchemininverse, sans oubliermon aïeul Jacob Berab, qui, partantdeMaqueda,enCastille,a rejointSafed,etdiversAbulafia, AbolaffioouBolaffi, àLivourneetdanstoute l’Italie ». Cetteperspective en ditlongsur la perception et l’élaboration de cet ouvrage, dont le titreémane d’uneprière en hébreu, àréciter en posant lesyeuxsur l’étendued’eau :« Bénie sois-Tu, Seigneur notreDieu, roidel’univers,qui a créé la mersigrande. »Etc’est brillant. Extraits ■
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D L U d e F 1 DR
Extraits
Préface
Même dans un gros livre tel que celui-ci, il est inév itable de devoir faire des choix entre ce qui est conser vé ou écarté Des mots comme « peut-être », « éventuellement » ou « probablement » y sont plus souvent utilisés qu’ils ne le devraient. Un grand nombre d’assertions sur la Méditerranée primitive, en particulier, m’ont semblé devoir être qualifiées de la sorte, au risque d’instiller un voile d’incertitude dans l’esprit du lecteur. Mon intention a été de décrire les peuples, les processus et les événements qui ont transformé tout ou partie de la Méditerranée, plutôt que de proposer une série de microhistoires sur son pourtour, pour intéressantes qu’elles puissent être J’ai centré mes efforts sur ce que je crois important à long terme, comme la fondation de Carthage, l’émergence de Dubrov nik ou l’impact des pirates barbaresques sur la construction du canal de Suez
Les interactions religieuses exigent de la place. C’est pourquoi j’ai apporté un grand soin aux conf lits entre chrétiens et musulmans, mais sans omettre les juifs, en raison de leur rôle essentiel de marchands tout au long du Moyen Âge et même au-delà. À partir de l’Antiquité classique, j’ai traité à part quasi égale chaque siècle parcouru. La raison à cela est que je souhaitais év iter à tout prix un de ces livres py ramidaux dans lesquels on s’empresse de franchir les antécédents pour parvenir aussi vite que possible aux confortables Temps modernes Les dates attachées à chaque chapitre restent approximatives, et des chapitres séparés traitent parfois d’événements se déroulant au même moment à différentes extrémités du bassin méditerranéen.
La Méditerranée que nous connaissons a été façonnée par les Phéniciens, les Grecs et les Étrusques dans l’Antiquité, les Génois, les Vénitiens et les Catalans au Moyen Âge, les marines néerlandaise, anglaise et russe avant 1800. Au fond, l’argument selon lequel, après 1500 et plus encore après 1850, la Méditerranée a perdu graduellement de son importance dans les affaires du monde n’est pas dénué de fondement. La plupart des chapitres de ce livre se concentrent sur une ou deux localités qui m’ont paru le mieux expliquer l’évolution générale du bassin, telles Troie, Corinthe, Alexandrie, Amalfi, Thessalonique, etc. J’ai toutefois toujours pris soin de mettre l’accent sur les relations qu’elles entretenaient à travers la mer et, dans la mesure du possible, sur certains des peuples qui initiaient ou éprouvaient ces interactions.
Introduction
La Mer aux cent noms
La Méditerranée, dont l’ét ymologie en langue romane et en anglais renvoie à la « mer au milieu des terres », a pris bien d’autres noms au cours de l’histoire : « Notre Mer » (Mare Nostrum), pour les Romains, « mer Blanche » (Akdeni z), pour les Turcs, « Grande Mer » (Yam Gadol), pour les Juifs, « mer du Milieu » (Mittelmeer), pour les Allemands, et même, plus étrangement, « mer Verte », pour les anciens Ég yptiens. Les auteurs modernes ont ajouté à ce vocabulaire déjà riche
« mer Intérieure », « mer Fermée », « mer Amie », « mer Fidèle » (dans plusieurs religions), « mer Amère » (au cours de la Seconde Guerre mondiale), « mer Corruptrice » (en référence aux dizaines de micro-habitats altérés par les relations avec des voisins qui leur fournissent ce qu’ils ne possèdent pas et acquièrent leurs excédents)
De ce « continent liquide », qui, comme un vrai continent, embrasse quantité de peuples et de cultures au sein d’un espace aux contours précisément bornés, il est essentiel de définir en premier lieu les limites. La mer Noire baigne des rivages d’où les grains, les esclaves, les fourrures et les fruits s’exportaient en Méditerranée depuis l’Antiquité. Mais ce commerce s’effectuait par l’intermédiaire de marchands méditerranéens qui y pénétraient plutôt que par ses riverains, qui ne participaient guère aux changements politiques, économiques et religieux qui se produisaient en Méditerranée. Les liens terrestres de la mer Noire avec les Balkans, les steppes et le Caucase donnaient aux civilisations qui la bordaient une physionomie et une mentalité différentes de celles des peuples méditerranéens Il n’en allait pas de même de l’Adriatique, qui contribuait fortement à la vie de la Méditerranée, grâce notamment aux Étrusques et aux Grecs de Spina (Ostellato), aux Vénitiens et aux Ragusains du Moyen Âge et des débuts de l’ère moderne, ainsi qu’aux entrepreneurs de Trieste à une époque plus récente.
Dans ce livre, les bornes de la Méditerranée ont été placées là où la nature puis l’homme les ont fixées : du détroit de Gibraltar aux Dardanelles, avec des incursions occasionnelles jusqu’à Constantinople, puisque la « Grande Mer » servait de pont entre la mer Noire et la mer Blanche, ainsi que, sur le littoral, d’Alexandrie à Gaza et Jaffa. Dans et sur la Méditerranée, elles incluent les villes portuaires, en particulier celles où les cultures se sont rencontrées et mélangées, telles Livourne, Smyrne, Trieste, etc., et les îles, principalement lorsque leurs habitants tournaient leurs regards vers l’extérieur – et c’est la raison pour laquelle les Corses y sont moins présents que les Maltais.
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Extraits […]
Le présent ouvrage est rempli de décisions politiques, de flottes qui partent à l’assaut de Sy racuse ou de Carthage, d’Acre ou de Famagouste, de Minorque ou de Malte. L’importance stratégique de certains de ces lieux dépendait dans une large mesure de la géographie, et pas seulement du vent et des vagues, ainsi que des aliments et de l’eau douce, qui ne pouvaient guère être consommés plus d’une quinzaine de jours sur un bateau marchand et prenaient trop de place pour être chargés en quantité sur une galère de guerre Ce simple fait signifiait que le contrôle de la haute mer constituait un défi difficile à relever à l’époque de la marine à voiles. Sans accès à des ports amis où embarquer des provisions et caréner les vaisseaux, aucune puissance, quel qu’ait pu être le nombre de ses navires de guerre, ne pouvait se prévaloir de routes maritimes sûres. Les conf lits pour le contrôle de la Méditerranée doivent dès lors être considérés comme des luttes pour la maîtrise des côtes, des ports et des îles, plutôt que comme des batailles pour la conquête de grands espaces.
Pour répondre à la menace quasi constante des pirates, il était souvent nécessaire de conclure d’obscurs marchés avec eux et leurs patrons afin de garantir le libre passage des navires de commerce en échange de cadeaux et de pots-devin. Les positions avancées étaient inestimables. La situation de Corfou, par exemple, en a fait une place convoitée pendant des siècles par ceux qui cherchaient à contrôler l’entrée dans l’Adriatique. Les Catalans puis les Britanniques ont construit à travers le bassin méditerranéen une chaîne de possessions qui a parfaitement servi leurs intérêts économiques et politiques. Curieusement, les lieux choisis pour les ports se révélaient souvent des havres médiocres. Cela démontre que les avantages physiques n’étaient pas les seuls éléments pris en compte : Alexandrie était rendue difficilement accessible par une mer si fréquemment agitée ; la Barcelone médiévale n’offrait guère plus qu’une plage ; Pise ne constituait qu’une modeste rade proche de l’estuaire de l’Arno ; jusque dans les années 1920, Jaffa obligeait les navires à décharger en mer ; quant au port de Messine, il se trouvait à proximité des terribles écueils que les Anciens appelaient Char ybde et Scylla
Une histoire humaine exige de se pencher sur l’irrationnel autant que sur le rationnel, d’analyser des décisions qui paraissent peu intelligibles à des siècles ou des millénaires de distance – et qui avaient même pu sembler telles au moment où elles étaient prises. Pourtant, des actions aussi menues que le battement d’ailes d’un papillon peuvent avoir des conséquences imprévisibles. Le discours d’un pape à Clermont, en 1095, n’a-t-il pas, avec sa rhétorique confuse, mais passionnée, déclenché cinq siècles de croisades ? Des disputes entre commandants turcs rivaux n’ont-elles
pas entraîné une défaite surprise des armées ottomanes à Malte en 1565 ? Et, à cette même époque, l’Espagne n’at-elle pas tardé à envoyer l’aide d’urgence qu’exigeaient les circonstances, risquant de faire perdre la maîtrise des eaux autour d’une de ses possessions de prédilection, la Sicile ? Des batailles ont été gagnées contre toute attente. Des victoires de brillants stratèges, tels Lysandre, Roger de Loria ou Horatio Nelson, ont transformé la carte politique de la Méditerranée et contrarié les plans impériaux d’Athènes, de Naples et de la France napoléonienne
La roue de la Fortune est capricieuse, mais ce sont en définitive les mains de l’homme qui la font tourner.
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La première Méditerranée Isolement et insularité
L’on ne sait avec certitude quand d’anciens hommes se lancèrent pour la première fois à l’assaut de la Méditerranée. En 2010, l’École américaine d’études classiques d’Athènes a annoncé la découverte en Crète de haches en quartz datant d’avant cent trente mille ans. Cela atteste que ces premiers ty pes d’Homo avaient trouvé un moyen de traverser la mer, même s’ils avaient pu être jetés sur les côtes de l’île par une tempête. Des fouilles effectuées dans des cavernes de Gibraltar ont montré que des populations d’une espèce différente contemplaient les cimes du Djebel Musa, clairement visibles sur la côte africaine, il y a vingtquatre mille ans. En 1848, les premiers ossements d’un homme de Néandertal jamais mis au jour furent ceux d’une femme. Elle vivait dans une grotte sur les flancs du rocher de Gibraltar. Ces découvertes ne furent pas immédiatement identifiées comme les restes d’un groupe humain distinct. Ce n’est que huit ans plus tard, lorsque des pièces de squelette similaires furent déterrées dans la vallée de Néandertal, en Allemagne, que ce groupe reçut son nom, même si celui-ci aurait dû s’appeler, en toute logique, la « femme de Gibraltar ». On sait par son régime alimentaire, qui comprenait des crustacés et des coquillages, voire des tortues et des phoques, que cet homme ou cette femme mettaient à profit les étendues marines qui bordaient leur territoire, bien qu’à cette époque une plaine les en ait séparés. Nous ne possédons aucune preuve de l’existence d’une colonie néandertalienne au Maroc, lequel fut en revanche occupé par Homo sapiens sapien s, notre branche de l’évolution. Le mince détroit avait apparemment maintenu les deux populations à distance l’une de l’autre.
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Et toujours ils se rencontreront
Le poète anglais de l’Empire britannique Rudyard Kipling a écrit ces vers souvent cités : « L’Est est l’Est, et l’Ouest est l’Ouest, et jamais ils ne se rencontreront. » Si, au début du XXe siècle, les observateurs européens semblaient résignés devant les différences jugées inconciliables entre les mentalités orientales et occidentales, ce n’était pas le cas au XIXe siècle. L’idéal de ce temps tendait vers la fusion, un syncrétisme à la fois physique, à travers le canal de Suez, et culturel. D’un côté, les Européens s’enthousiasmaient pour les cultures du Proche-Orient ; de l’autre, les souverains de ces territoires, les sultans ottomans et leurs vice-rois largement autonomes d’Ég ypte, se tournaient vers la France et la Grande-Bretagne pour adopter des modèles susceptibles de relancer leurs économies languissantes. Il s’agissait de relations croisées. Contrairement à ce que prétendent ceux qui voient dans l’orientalisme une expression de l’impérialisme occidental, les maîtres de la Méditerranée orientale se passionnaient pour les contacts avec l’Ouest et se voulaient membres d’une communauté monarchique embrassant l’Europe et la Méditerranée. Ismaïl Pacha, vice-roi puis khédive d’Ég ypte entre 1863
et 1879, portait toujours des vêtements européens, même s’il lui arrivait de coiffer sa redingote et ses épaulettes d’un fez. Il parlait le turc, pas l’arabe. De même, les sultans ottomans, et plus particulièrement leurs courtisans, souvent albanais, comme Ismaïl, s’habillaient volontiers à l’occidentale. Ils faisaient bien sûr le tri dans les conceptions venues de l’Occident. Les vice-rois ég yptiens se réjouissaient d’envoyer leurs meilleurs sujets étudier à l’École poly technique de Paris, créée par le Comité de salut public en 1974. Cela ne les empêchait nullement de déconseiller une mixité excessive dans les salons parisiens. Les idées radicales qu’ils souhaitaient importer portaient sur la technologie, non sur la manière de gouverner. Au début du XIXe siècle, la perception du monde ottoman comme sanctuaire des guerriers de la foi avait néanmoins presque entièrement disparu. Ayant perdu leur supériorité militaire et navale en Orient, les Turcs n’effrayaient plus : ils fascinaient. Leurs modes de vie traditionnels faisaient impression sur des artistes tels qu’Eugène Delacroix, mais d’autres Occidentaux, notamment Ferdinand de Lesseps, maître d’œuv re du percement du canal de Suez, se voulaient les champions de la modernité. Les dirigeants ég yptiens eux-mêmes étaient soucieux de faire entrer l’Ég ypte dans l’Europe ■
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SHUTTERST OCK
Le s ruin es de l’acropol e de Lin dos, au la rg e de Rh odes
pa rt ition s
NOUR AYADI L’AMOUR DE L’HARMONIE
À tout juste 24 ans, la jeune prodige marocaine vient d’être nommée aux Victoires de la musique classique 2024 dans la catégorie Révélation soliste instrumental. Discipline et transmission sont ses mots d’ordre. par As tr id Kr ivi an
BRUNO BEBER T/BESTIMAGE
Son jeu conjugue une quête d’excellence artistique avec des interprétations vibrantes et passionnées. Née au Maroc, à Casablanca, Nour Ayadi commence le piano dès 6 ans, au sein d’une famille de mélomanes. Scientifiques de profession, ses parents pratiquent la musique en amateur. Au fil d’un parcours fait de passion, de rigueur et de discipline, l’artiste poursuit son apprentissage en France à 16 ans au Conser vatoire national de musique de Paris, ainsi qu’à l’École normale de musique Alfred Cortot Son instrument de prédilection lui permet d’explorer la complexité des émotions, des sentiments, une large palette de couleurs, une gamme d’expressions profondes, des fêlures méla ncoliques à la joie étincelante. Après un premier disque, Piano, elle publie son second, Carnaval, où elle interprète tout en finesse des œuvres de Robert Schumann et de Francis Poulenc. À 24 ans, passionnée par le déchif frage des partitions comme pa r la da nse hip-hop, el le vient d’être nommée au x Victoires de la musique classique 2024 dans la catégorie Révélation soliste instrumental. Celle qui se nourrit de littérature, de ci néma, de théâtre, touc hée par un concer to de Mozar t comme par une chanson de la rappeuse angolaise IA MDDB, est aussi diplômée de Sciences Po Paris, où elle a obtenu un master en affaires publiques culturelles. Lauréate, entre autres, du prestigieux prix Cortot en 2019, la musicienne est titulaire d’un doctorat d’artiste interprète au Conser vatoire de Paris et d’un master soliste à la Haute École de musique de Genève Actuellement en résidence à la Chapelle musicale reine Élisabeth à Waterloo, en Belgique, elle s’est notamment produite avec l’orchestre de Paris, l’orchestre philharmonique de Radio France et l’orchestre de chambre de Vienne, sa ville de cœur
Poulenc, lequel a composé en son hommage Le s Soirées de Na zelles Le lien entre ces deux pièces est méconnu, et j’avais envie de les mettre en miroir, de les confronter aussi, car leur langage musical est très différent. Ils appartiennent à deux époques distinctes. À cela, s’ajoutent des courtes pièces, les novelettes, narratives chez Schumann, élans poétiques chez Poulenc, pour former ce programme de récital Qu ’est-ce qui vous touche particulièrement dans leur musique ?
Le langage harmonique très personnel de Schumann me bouleverse, de manière instinctive. Sa grande sensibilité a nour ri sa musique ; certains moments, presque impulsifs, transmettent beaucoup d’émotions. Il a créé deux personnages fictifs antagonistes, Eusebius et Florestan, l’un incarnant la vaillance, l’autre la mélancolie, qui le représentaient dans ses moments de dépression ou de grande joie Il a vécu une histoire d’amour très difficile et contrariée avec Clara Schumann, a plongé dans une profonde dépression après la mort de son frère et fait une tentative de suicide. Il a osé mett re sa complexité humaine dans sa musique. C’est très touc ha nt, vrai. Je me sens proche de cette musique. Poulenc possède aussi un langage harmonique très personnel et subtil. C’est un bonheur de les réunir. Je suis heureuse de jouer ce récital J’aimerais remercier le label
Ca rnaval
AM : Votre disque Carnaval fait dialoguer des œuvres pour piano de l’Allemand Robert Schumann, compositeur du XIXe siècle, et du Français Francis Poulenc, compositeur du XXe siècle. Qu ’est-ce qui a guidé ce choix ?
Nour Ayadi : Schumann m’a toujours accompagnée dans mon parcours artistique. Je joue ses oeuvres depuis l’enfance. Pièce centrale de l’album, son Carnaval de Vienne a beaucoup inspiré
Scala Music, ses di rec teurs Rodolphe Br uneau Boulmier et Jason Wiels, la directrice ar tistique Cécile Lenoir, qui m’ont accompagnée tout au long du projet.
Vienne est votre ville de cœur, dites-vous. Pourquoi ?
À 14 ans, j’ai fa it un stage de musique en Autriche, à Salzbourg, et j’ai visité Vienne. C’était la première fois que je suivais une masterclass en dehors du Maroc. Une mer veilleuse expérience. Quand j’ai redécouvert Vienne il y a quatre ans pour des masterclass et des concerts, j’ai eu à nouveau un coup de cœur. J’ai aussi eu la chance d’être bien entourée et d’y faire de belles rencont res. J’adore cette ville magnif ique, j’aimerais y habiter un jour
Les plus grands compositeurs l’ont foulée. On se promène dans ses rues en découv rant que Mozart a vécu ici, que Beethoven a composé une sy mphonie là En suivant le cheminement de ces artistes, on se sent encore plus proche de cette histoire, de ces œuvres écrites il y a des siècles et que l’on joue encore aujourd’hui.
Quel est votre lien avec le piano, l’une des clés de la connaissance de soi, d’après vous ?
C’est un instrument très solitaire. On n’intègre pas forcément un orchestre, on est souvent sollicité en solo, en musique de chambre aussi. Le piano est à la fois harmonique et mélodique. On se suffit un peu à soi-même. On n’a pas besoin de
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, Scala Mu si c, 20 24. Piano, Pa ss avant Musi c, 2 019.
quelqu’un pour nous accompagner, et c’est précieux Depuis l’enfance, je suis sensible au concept d’harmonie, à tout ce qui colore les mélodies. J’ai surtout évolué dans le répertoire de soliste. On travaille 7 heures seule, pour jouer devant des centaines de personnes. C’est un processus entre moi et moimême ! J’ai appris à me connaître, à découvrir mes limites, mes capacités – non seulement techniques, mais aussi scéniques Il faut conscientiser le temps et l’espace sur scène : jouer 1 h 30 est un voyage qui se travaille. Il est important de connaître une pièce, mais la défendre sur scène dans un temps et un espace donnés face au public, c’est encore une autre dy namique. Il faut se connaître soi-même pour savoir comment l’effectuer et le faire sentir aux autres Parfois, je fais des exercices de méditation en travaillant. Connaître son caractère, son tempérament, per met de mieu x appréhender le réper toire, la scène, le rapport à l’instrument C’est d’autant plus vrai pour les pianistes, car même en musique de chambre, on a des parties de jeu très conséquentes. Cela représente énormément de travail mené en solitaire. Le challenge est magnifique, et si on se connaît bien, le moment de pratique est beaucoup plus intéressant.
Votre instrument est- il une sorte d’ami, de confident ?
J’ai toujours eu, je crois, un rapport sain à l’instrument C’est important de ne pas s’acharner. Quand des passages ne marchent pas, plutôt que d’y passer des heures, il faut savoir s’ar rêter, prendre l’air, se balader. J’ai long temps essayé de comprendre comment fonctionnent la mécanique, la projection du son. Il faut faire preuve de compréhension et d’adaptation, comme si l’instrument était une personne, comme si c’était un échange. Car en concert, on ne joue jamais sur son propre piano. J’ai avec lui une relation d’amitié, de confidence. Quand je joue pour le plaisir, j’ai envie de lui transmettre ces émotions, de lui raconter quelque chose, dans un moment de lâcher-prise.
Comment est né votre amour de la musique ?
Née dans une famille de mélomane, j’ai baigné dans la musique traditionnelle, le classique, la pop, etc. Ma grande sœur jouait du piano : cela a naturellement suscité ma curiosité d’enfant, et j’essayais de faire quelques notes. Dès mes trois ans, elle m’a appris des morceaux À six ans, mes parents m’ont inscrite à des cours. C’était un apprentissage très ludique. Je l’ai d’abord perçu comme un hobby, il n’était pas question d’en faire un métier J’ai été très bien accompagnée par mes professeurs au Maroc. Au fil des expériences, des réussites, on se sent plus en confiance, on a envie de monter des projets. À l’adolescence, une régularité de travail s’est imposée. Comme j’ai un caractère de bosseuse, c’était naturel. Après l’école, j’effectuais deux heures de piano. Puis à 16 ans, j’ai été admise au Conser vatoire national de musique de Paris. L’emploi du temps était aménagé : le matin, je suivais mes cours de terminale scientifique, l’après-midi était consacré à la musique. C’était très stimulant de suiv re le même chemin avec d’autres élèves
« Mon am bition est liée à ma passion, à mon amour pour la musique, pour l’ouverture culturelle. Il faut alimenter la passion par une discipline. »
Vous aviez la rage de réussir ?
Oui. Mes parents m’ont inculqué très jeune la valeur du travail. Il n’y a pas de secret : mener à bien un projet requiert de la discipline, de la rigueur, du travail. Quand on veut, on peut. Mon ambition est liée à ma passion, à mon amour pour la musique, pour l’ouverture cult urelle Il faut alimenter la passion par une discipline. J’ai grandi avec cette valeur, que je défends beaucoup. L’envie de réussir, c’est celle de pouvoir faire ce que l’on aime, d’êt re en accord avec soi-même, de ne pas être contrainte à exercer un métier éloigné de nous. J’ai aussi été entourée par mes professeurs, mes coachs, bienveillants, qui me disaient : « Si tu fais quelque chose, fais-le à fond ! » Aujourd’hui, mon travail est toujours très régulier. Je ne peux pas prendre une semaine de vacances n’importe quand. Je le sens, c’est physique, physiologique Il faut maintenir un rythme, surtout quand on donne des concerts. J’ai aussi appris de nouvelles méthodes. Prendre sa partition et faire un travail mental peut faire avancer l’ouvrage de 30 %. Et il faut aussi beaucoup de repos, mener une vie saine, être bien entourée.
Titulaire d’un master en affaires publiques culturelles à Sciences Po Paris, comment avez-vous mené de front ces cours et la musique ?
Pendant cinq ans, j’ai jonglé entre les deux grâce à une organisation millimét rée. Tout était calculé à l’heure près. C’était très intense, sans moment de répit. Mais, portée par une énergie débordante, je suis très heureuse de l’avoir fait
J’en récolte les fruits, et ça m’a fait grandir. Suite à mon cursus, l’école de Sciences Po a ainsi créé le parcours de musicien de haut niveau, lequel n’ex ista it pas. Les cours sont
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maintenant aménagés. Je suis en étroite collaboration avec l’établissement, pour prodiguer des conseils à ce sujet J’ai ouvert le chemin, en quelque sorte, et j’en suis très contente.
Depuis le Maroc, Sciences Po m’a toujours intéressée et attirée. J’ai travaillé dur dans l’objectif de l’intégrer Le programme pédagogique correspondait à cette ouverture diplomatique, culturelle, pour connaître les enjeux du monde actuel C’était une combinaison idéale avec la musique, parce que le travail solitaire d’un artiste peut vite vous placer dans une bulle, vous éloigner de ce qu’il se passe autour de vous Je craignais cet isolement. Mais le master en affaires publiques culturelles que j’ai suiv i m’a appris à être une musicienne consciente, qui sait appréhender les enjeux et les acteurs du monde culturel Et c’est complètement en adéquation, en alignement, avec ma perception de la musique.
Connaissez-vous des moments de transe sur scène ?
Ça dépe nd Lors de ce rt ai ns concer ts, le s planètes s’alignent. Un magnifique piano, une belle salle, une ambiance chaleureuse peuvent créer des moments magiques J’ai déjà vécu des états d’élévat ion, d’intensité musica le, où je suis connectée à 100 % avec l’œuvre, le compositeur, moi-même et le public Quand ces facteurs s’alignent, c’est génial, magnifique, mémorable. Et ça ne se produit pas forcément dans des grandes salles ou lors d’événements médiatisés, mais dans des églises, des petites salles
Comment gérez-vous le stress, le trac ?
C’est un sujet très important, qui mériterait d’être abordé plus ouvertement dans le milieu. Car beaucoup de personnes arrêtent la musique à cause du stress lors des auditions. Je suis persuadée que ça se travaille, comme un coach qui prépare un sportif à une compétition. Avec l’expérience, j’ai appris à comprendre le stress, à le maîtriser. Plus je joue, plus je connais mon rappor t à la scène. Et la méditation m’aide beaucoup Elle me permet d’être ancrée dans le présent, pendant le jeu. En effet, l’anticipation cause souvent du stress. Être ancrée dans le moment, voyager en même temps que la musique, cela s’apprend. Plus j’évolue, plus je suis rationnelle : si l’on se prépare bien, le résultat est très proche de la préparation. Ainsi, mon stress ne dépassera jamais un certain seuil. D’un autre côté, s’il n’y a pas de stress, c’est inquiétant : cela veut dire qu’il n’y a pas d’enjeu, pas de stimulation.
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Alfred Cortot : « Le propre du grand pianiste n’est pas d’ignorer la technique, mais de l’oublier » ?
Oui ! Une fois sur scène, notre but est de ne plus penser à la technique. C’est pourquoi nous travaillons l’instrument pendant des heures, jusque dans les moindres détails. Il faut laisser infuser ce que l’on a construit. Tout ce travail permet d’atteindre un palier, une élévation. Avant un concert ou un concours, mes coachs me disent souvent : « Maintenant, tu oublies tout ce que je t’ai dit, tu y vas et tu joues ! » Comment s’approprier ces œuvres multiséculaires qui ont été tellement jouées ? Et comment ne pas se laisser intimider par celles -ci ?
Il y a un répertoire très joué, intemporel, que l’on présente souvent en concert, et il y a celui que l’on ne joue pas, pour des questions liées aux modes. C’était aussi l’idée de mon disque Carnaval : Poulenc est un compositeur un peu sous-est imé, on ne le joue pas assez. Il a pour tant son propre langage, son univers person nel. J’essaie de défendre ces projets, de jour ces pièces peu interprétées et tout aussi méritantes, belles. Je ne me sens pas intimidée par le répertoire très joué. Le challenge est de comprendre l’œuvre sans être influencée par les façons de jouer à la mode Ces
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THOMAS O’BRIEN
tendances font que tout le monde pratique un peu de la même manière Il s’agit de faire table rase dans son esprit et d’aborder un territoire sans a priori. C’est difficile, car les réseaux, les plateformes nous donnent accès à tous les enregistrements existants. Mais c’est un processus sain, et un bel exercice que de priv ilégier une vision personnelle, de commencer par le texte, pour ensuite s’inspirer, éventuellement Êtes -vous passionnée par la lecture des partitions ?
J’ai la chance d’avoir été sensibilisée au déchif frage de partitions depuis l’enfance. Je peux passer des heures à lire toute l’œuv re pour piano de Schumann à la bibliothèque, à parcourir ces quatre volumes comme un livre. J’entends la musique, ou je la déchiffre sur l’instrument J’adore ! Les pianistes ont tellement de répertoires à explorer. C’est presque un moment de relaxation. Et comme pour la pratique d’une langue, cela s’entretient, au risque de perdre ses réflexes C’est aussi une voie d’apprentissage précieuse sur le compositeur, le st yle, l’époque. Ce sera cent ral dans mon enseignement pédagogique futur.
En quoi l’enseignement est- il important pour vous ?
Est- ce aussi un enjeu pour rendre plus accessible la musique classique à tous les publics ?
J’ai me en seigner Je suis actuellement une format ion au Conser vatoire pour prépa rer le cert if icat d’aptitudes. On apprend les outils pédagogiques, c’est très technique, scientifique. L’enseignement prendra une place dans ma vie d’artiste.
Il nourrit non seulement les élèves, mais aussi l’enseignant. J’apprends beaucoup On a affaire à des profils différents, chacun a son propre diagnostic. Je veux défendre la musique classique comme un élan, une énergie que l’on trouve dans la pop. Les compositeurs ont écrit ces œuvres, portés par des élans musicaux. Ils étaient à la fois chefs, compositeurs, interprètes.
Aujourd’hui, on est dans une ère d’expertise, de rigidité, qui fait perdre cet élan naturel de la musique. À l’époque, les auditeurs applaudissaient à la fin d’une cadence ou pendant un pic de l’œuvre. Actuellement, c’est un peu effacé. Or, j’adorerais que le public s’exprime, car il fait aussi partie du concert. J’ai envie de faire évoluer les choses en ce sens. Que vous apportent vos actions de médiation dans les écoles, mais aussi auprès des publics éloignés de la culture ?
Ces ac tion s de transm ission m’accompag neront toute ma vie. Elles me tiennent vraiment à cœur, me font grandir et m’élèvent humainement. C’est magnifique d’aller à la rencontre d’autres publics. J’adore intervenir dans les écoles, donner des concer ts pour les enfants, mais aussi dans des hôpitaux, da ns des lieu x éloignés de la cult ure. Les gens en at tendent tellement. Je chér is ces moments. On essaie d’apaiser les âmes aussi. Récemment, j’ai joué dans une prison. Ce public a besoin de ces instants : c’était un concer t où l’écoute était pure, investie. C’était précieux de pouvoir apporter un peu de bonheur à ces personnes. Au Maroc, à
« J’ai eu la chance de baigner dans une éducation de la bienveillance, du partage, de l’altruisme, du beau, de l’ar t. C’est à mon tour de la transmettre. »
Marrakech, j’ai participé à une levée de fonds pour aider les victimes du séisme de septembre 2023. À Ouarzazate, j’ai donné un concert pour les enfants. J’ai eu la chance de baigner dans une éducation de la bienveillance, du partage, de l’altruisme, du beau, de l’art, et de m’y épanouir. C’est à mon tour de la transmettre.
Que vous a appris le fait de vivre en France ?
J’ai grandi dans une culture franco-marocaine. Mon arrivée en France n’a donc pas été si bouleversante. Et comme ma grande sœur vivait à Paris, je n’étais pas seule. Mes parents venaient souvent me voir. Le Maroc me manque, mais poursuiv re mes études en France était une continuité naturelle. Au début, les concerts et les voyages étaient plus difficiles à gérer. C’est un quotidien particulier, où il est important d’avoir une hygiène de vie et de travail. On est tout le temps dans les transports, on reçoit beaucoup de sollicitations. Il fallait connaître mes limites et les imposer : si j’ai besoin de rentrer dormir après le concert, je le fais Le métier ne se réduit pas au fait de donner un concert. Il y a beaucoup de choses autour, comme la gestion administrative, les contrats, etc. J’ai appris à Sciences Po l’écosystème existant derrière un événement, tous les acteurs culturels. Il est important de les respecter.
Quelles sont vos autres passions ?
J’adore la danse. Elle anime, libère le corps. Dès que j’ai un peu de temps, je prends des cours. Plus jeune, j’ai participé à un dance camp de hip-hop en Pologne, à Cracov ie, mené par des chorégraphes réputés, comme ceux de Beyoncé et de Rihanna. Nous étions 300 dans la salle, et c’était tellement beau ! J’aimerais que l’on retrouve cette énergie commune dans la musique classique. ■
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Sous l’étoile de Mory Sacko
Il se défnit comme un Français d’origine ouest-africaine. Il a imposé son style à Paris, la plus exigeante des capitales gastronomiques mondiales. Rencontre avec un chef à la créativité débordante, qui fait du multiculturalisme et de la fusion ses marques de fabrique. propos recueillis par Lu is a Na nn ip ie ri
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CHRIS SAUNDERS
Son sourire chaleureux, sa taille imposante et son regard doux et pétillant ont fait de lui un personnage télévisé aimé par des millions de Français, qui l’ont découver t en 2020 dans l’ém ission Top Chef Mory Sacko, si xième en fa nt d’une frat rie de neuf, is su d’une famille d’origine sénégalo-malienne, perce le petit écran et peut aussi compter sur une formation solide dans les palaces parisiens. Il est passé par les cuisines du Royal Monceau et du Shangri-La, avant d’arriver au Mandarin Oriental, où il travaille en lien étroit avec Thierr y Marx et devient rapidement son sous-c hef. Même s’il ne remporte pas le concours à la clé du programme télévisé, il inaugure dans la foulée son restaurant gastronomique MoSuke, mélange de son prénom et de celui d’un esclave africain devenu samouraï, où il propose une cuisine créative, qui fait résonner influences asiatiques, françaises et af ricaines. Trois mois après l’ouvert ure, il décroche sa première étoile Michelin et il est aujourd’hui, à 31 ans seulement, l’un des symboles de la nouvelle génération de chefs « afro-français ».
AM : Tout d’abord, est- ce qu’« afro -français » est un terme dans lequel vous vous reconnaissez ?
Mory Sacko : Je me définis comme un Français qui a des origines ouest-africaines, mais « afro-français », c’est bien aussi. Je suis Français, parce que la France est la terre où je suis né, où j’ai grandi. Mais j’ai aussi des origines que j’aime célébrer, et revendiquer quand c’est nécessaire. Je suis Français tout autant que n’importe quel Français, mais avec toutes les inf luences et toute la culture que mes parents m’ont apportées, ce qui sera pour moi toujours un plus Je pense que toute personne qui a des origines et qui en est fière ressent la même chose. Cette fierté, vous l’affichez jusque dans votre veste de cuisine, devenue iconique. Si j’ai bien compris, vous l’avez dessinée vous -même ?
Oui, tout à fait. Je voulais en quelque sorte transposer sur mon vêtement de travail l’imaginaire que l’on retrouve dans ma cuisine. L’idée était de croiser des marqueurs forts, comme la veste blanche – que l’on associe naturellement au chef cuisinier et qui est née en France, d’ailleurs –, une coupe kimono – qui nous ramène vers le Japon – et un petit contour en wa x sur le col et sur les poignets – qui évoque l’Af rique de l’Ouest. J’ai personnellement choisi, parmi les différents motifs et coloris de wax, ceux qui me plaisaient le plus. Au départ, cet entretien devait se faire chez MoSuke et, finalement, on se retrouve attablés dans votre nouveau restaurant, magnifique, au sein d’un ancien hôtel particulier à deux pas de l’Élysée, le Lafayette’s. Ce n’est pas vraiment le même st yle…
Non, en ef fet, le cont raste est même assez fort. Chez MoSuke, on est sur quelque chose de naturel, de tout petit, de très intimiste. Même pour la vaisselle, on est sur des notes
végétales et minérales, comme le grès ou le bois. Alors que pour le Lafayette’s, j’avais envie d’ouvrir un restaurant dans un lieu historique, très français, avec des tapisseries, de la moulure, du plafond peint et le parquet qui grince. Et là, on a coché toutes les cases ! Bien sûr, le projet a été réalisé par un architecte, Lázaro Rosa-Violán, qui a effectué un travail génial. Dès le début, l’idée était d’avoir les plats en porcelaine, les tables nappées, les lustres, les bougies… Je rêvais justement de proposer ma cuisine – qui est française, mais aussi africaine – dans un lieu comme celui-ci. Je trouvais à la fois drôle et génial que les clients puissent manger un mafé en même temps qu’une entrecôte béarnaise. En quelques années, vous êtes devenu une star de la gastronomie. En France, mais pas seulement : le magazine américain Time vous a même consacré
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GARNIER
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sa couverture dédiée aux cent « dirigeants montants » de l’année 2023. Cela vous a-t- il surpris ? Quel impact a-t- elle eu sur votre travail ?
Ça a été une vraie surprise ! On m’avait prévenu que j’étais dans la liste, mais quelques semaines avant la parution du magazine, j’ai été choisi pour faire la une de ma région. On a organisé le shooting dans la foulée. À titre personnel, j’étais très content et, au niveau professionnel, ça a marqué un beau changement. Cette une m’a permis de passer un cap du point de vue du statut, de la personnalité, vis-à-vis des autres. C’est là que j’ai senti la force de ce ty pe de médias, le pouvoir qu’ils ont de choisir des personnalités à élever. Ça a été vraiment un bon moment pour moi.
Vous avez récemment été invité en tant que juge hôte à l’émission de téléréalité MasterChef Italie, où vous avez proposé un test basé sur la personnalité en cuisine. On a l’impression que ce sujet vous tient particulièrement à cœur et que, à travers tous les restaurants que vous avez ouverts ces quatre dernières années, vous exprimez en quelque sorte plusieurs facettes de votre personnalité.
« Je vois chaque recette comme une manière de partager mon idée du monde et mon histoire. »
Poulp e à la braise, to ma te semi -c onfite, sau ce dja, herbe s de la ga rrigu e.
Je vois chaque recet te comme une manière formidable de partager mon idée du monde et mon histoire personnelle, mais aussi ce que j’ai envie de raconter à ce moment-là. Dans les dernières années, j’ai créé beaucoup d’établissements, et donc beaucoup d’histoires parallèles MoSuke est un restaurant gastronomique, et c’est le lieu où je peux pousser mes idées, explorer ma personnalité en cuisine. Dans les MoSugo, on fait de la street-food et on ne propose que des choses que j’ai envie de manger, comme le poulet frit ou les burgers. Il y a eu Edo [restaurant éphémère in stallé à Pari s, ensuite à Lyon et Marseille, ndlr], où l’on servait toujours de la street-food, mais pour 500 couverts par jour. Il fallait penser à créer des plats généreux, gour mands, mais aussi mémorables. Chez Vuitton, à Saint-Tropez, en revanche, on a conçu un menu de brasserie très conceptuel, avec des plateaux-repas, les ekiben, dressés jusque dans les moindres détails. Et maintenant, il y a le Lafayette’s. La cuisine est toujours la mienne, mais les défis et les plats sont différents. J’adore cette variété, parce que je suis poussé à chaque fois à questionner mes limites et à m’interroger sur la direction à prendre. Est-ce que je peux
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VIRGNIE GARNIER
proposer encore d’autres recettes, encore d’autres concepts ? Pour l’instant, j’ai l’énergie pour le faire et je continue Justement, comment faites -vous pour gérer tous ces projets ? Le Time a écrit que vous êtes en train de créer un empire, mais être chef et entrepreneur, ce n’est pas évident !
Je n’ai pas encore un empire ! [Rires.] Plus sérieusement, il faut surtout savoir s’entourer et garder en tête que l’on ne peut pas être partout. Moi, par exemple, j’ai décidé d’être chez MoSuke pour les services du midi et du soir Dans les autres restaurants, j’ai des chefs avec qui je prends le temps de travailler entre deux services ou le week-end. Je reste très présent sur la création, j’ai fait toute celle du MoSugo et du Lafayette’s, mais j’ai aussi su accepter de passer la main sur l’opérationnel et le quotidien. Ma façon de travailler a beaucoup évolué au cours de ces quatre années, où il a fallu avancer très vite, très fort. Je dirais même qu’on a évolué, parce que je travaille avec ma compagne [Émilie Rouquette, directrice générale du groupe Mory Sacko, ndlr], qui gère la partie administrative et financière. Quand je travaillais avec Thierr y Marx, il me disait souvent qu’il y a trois notions à retenir : le savoir-faire, qui est la compétence pure, le savoir-être, c’est-à-dire le comportement et le positionnement par rapport aux différents collaborateurs, et puis la notion la plus dure à apprendre, qui est le « savoir faire faire » : être capable de transmettre le savoir-être et le savoir-faire.
Vous dites que vous suivez toute la création des cartes. Comment cela se passe-t- il ?
Au début, c’est toujours une fulgurance, une envie. Quelquefois, on tombe juste tout de suite, et d’autres fois, c’est plus compliqué, on cherche plus longtemps. Chez Lafayette’s, par exemple, on est entre gastronomie française, américaine et africaine, et en ce moment, on travaille sur un plat à base de canard grillé à partir de la recette du suya camerounais et du barbecue texan. J’adore ce côté expérimental, il m’amuse beaucoup. Mais ce qui compte finalement, c’est de mett re toutes ces inspirations différentes à égalité et de choisir la recette qui marche le mieux en matière de goût. Il faut aussi toujours garder à l’esprit que le restaurant est un lieu, et que le même plat ne sera pas reçu de la même façon au Lafayette’s et au MoSuke. Quand je crée, je me dois d’avoir une vision globale et, même si j’aime beaucoup une recette, je dois me demander si elle a sa place dans le lieu où je veux la présenter. Vous avez parlé du Texas, du Cameroun… Avez-vous le temps de tester d’autres choses, en ce moment ?
Ce n’est pas simple, mais j’essaie Il y a quelques mois, j’étais au Mozambique pour voir les baleines, les dugongs et tester la gastronomie locale. Parce que si je connais très bien l’Afrique de l’Ouest – mes parents y sont nés et ma mère m’a initié à tout ce qu’on y trouve en matière de nourriture –, je ne connais pas du tout l’Afrique de l’Est. C’est important de pouvoir se régénérer, se nourrir de tout cela Si on s’enferme
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L’Afrique regorge de richesses que l’on peut valoriser sans essayer d’imiter l’Occident. Aussi en gastronomie. »
dans sa cuisine, le risque est de le faire mentalement aussi. Et ma cuisine a besoin d’être ouverte aux inspirations extérieures pour continuer à avancer.
Cuisine ouverte est aussi le titre de l’émission que vous présentez sur France 3 depuis deux ans. Qu ’est-ce qu’elle représente pour vous ?
C’est un programme qui me nourrit et que j’aime beaucoup Il me permet de voyager à travers la France, de découvrir ses régions, ses produits, ses acteurs culinaires. J’estime que le terroir est l’une des plus grandes richesses que l’on a en France. Cette notion est à la base de notre gastronomie. Fédérer tous ceux qui la font tout en montrant autre chose me rend heureu x. C’est aussi l’occasion de mont rer qu’une cuisine comme la mienne n’agresse pas et ne dénature pas cette notion. Elle apporte simplement un regard différent, neuf Une autre vision, qui ne veut pas dire meilleure Je me souviens du jour où on a travaillé à partir de la volaille de Bresse de Georges Blanc. En face de moi, il y avait l’archét ype du chef « bleu, blanc, rouge » avec une recette, sa volaille de Bresse aux morilles, qui représente la France dans toute sa splendeur. Moi, j’ai repris la cuisson façon poule au pot, mais avec de la noix de coco, du gingembre, de la coriandre et beaucoup d’autres épices. Ensuite, je l’ai accompagnée avec du riz pilaf, également très épicé. Je crois que les spectateurs se sont demandé si la poule méritait tout ça Mais en voyant Georges Blanc s’éclater en la mangeant, ils ont compris que le produit avait été respecté et magnifié – d’une manière différente. Vous parlez du regard des téléspectateurs. Celui de vos collègues a-t- il également changé ?
Au départ, on me regardait peut-être d’un œil sceptique, parce que notre première étoile est ar rivée très, très vite Je sortais de Top Chef, et ils ont dû penser que c’était parce que je suis un Parisien qui connaît du monde, que ce n’était qu’un ef fet médiatique, avec une touche de discrimination positive. Puis, petit à petit, ils se sont rendu compte que je suis un cuisinier qui travaille dur et qui est passionné par son métier Je pense qu’aujourd’hui, on me reconnaît en tant
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que collègue, et je crois que le programme Cuisine ouverte a facilité ce changement de regard Nous avons tourné plus de 120 émissions, c’est-à-dire que j’ai pu échanger sans filtre avec plus de 120 chefs.
N’y avait- il pas une certaine méfiance envers une gastronomie aux influences africaines ?
Bien au contraire ! Le public comme les chefs se demandent plutôt de quoi il s’agit, et ils sont curieu x de tester Je me réjouis d’avoir la possibilité de les marquer avec mes plats : s’ils aiment ma cuisine, ils n’iront peut-être pas toute de suite dans un restaurant afro pour goûter du yassa ou du thiep, mais ils n’auront plus d’a priori négatifs sur cette cuisine-là. C’est aussi une question générationnelle. Les 15-35 ans, voire 40, sont habitués aux contextes multiculturels. Ils ont des amis asiatiques ou originaires d’Afrique, et ils mangent aussi bien épicé que non épicé, sans se poser trop de questions. En revanche, pour les autres, cette cuisine à base d’épices et de piment est tota lement nouvelle, et nous les accompag nons da ns leur découver te Je suis heureu x de voir que, chez MoSuke, on arrive à toucher les deux publics et qu’on attire en plus une clientèle de la diaspora, qui pense connaître les plats et qui réalise n’avoir jamais goûté un mafé comme le mien Mon ambition est de surprendre, toujours. Que pensez-vous de la scène afro -gastronomique en France ? Et en Afrique ?
Parmi les chefs que je connais, je pense tout de suite à Georgiana Viou, qui a eu sa première étoile l’année dernière. C’est une femme géniale, qui a une force que je n’ai pas, et qui est surtout une cheffe incroyable. J’ai eu l’occasion de manger dans son restaurant, Rouge, et j’ai adoré : elle a sa propre approche, et une vision de l’Afrique différente de la mienne Dans ses plats, je retrouve des goûts que je connais, mais qui arrivent en bouche d’une autre manière, grâce à son parcours et à son histoire personnelle. À Paris, il y a Elis (Bond) Même si ce n’est pas toujours simple pour lui, on sent sa passion pour ce métier et son envie de travailler. Il est celui qui fait les choses les plus marquées Parfois, ça passe, parfois, ça casse. Quoi qu’il en soit, il ose. Parmi les autres personnes que j’adore, il y a Foussey ni et Abdoulaye (Djikine) de chez BM K Pa ris-Ba ma ko Leur approc he est encore di fférente Ils proposent les classiques rev us et adaptés. Ils ont fait ce qui a été accompli auparavant avec la gastronomie asiatique, à savoir : adapter certaines recettes parce qu’elles n’étaient pas faites pour le palais occidental. Je connais moins de chefs en Afrique. Il y a sans doute Dieuveil Malonga, du Meza Malonga, au Rwanda, qui fait un véritable travail de fond à partir de l’agriculture. Il travaille aussi sur la formation du staff, ce qui est un vrai sujet sur le continent. Il faut à tout prix l’aborder si l’on veut proposer des restaurants gastronomiques de haut niveau. J’ai quand même l’impression que les choses sont en train d’évoluer rapidement. Il y a un an, j’étais à Abidjan, et j’ai pu constater que beaucoup de nouveaux hôtels et lieux de
charme ont ouvert dans la baie d’Assinie à destination d’une clientèle très exigeante sur la qualité. Une clientèle qui a aussi compris que l’Afrique regorge de richesses que l’on peut valoriser sans forcément essayer d’imiter l’Occident Cela est valable aussi pour la gastronomie. Bien sûr, il reste du travail à faire, mais la demande est là. Il va donc falloir se mettre au niveau pour y répondre N’aimeriez-vous pas ouvrir un restaurant quelque part sur le continent ?
Oh, si ! C’était un rêve et, maintenant, c’est un objectif À moyen ou long terme, car je n’ai pas encore trouvé le lieu adapté. Mais je pense qu’il se situera soit à Dakar, soit à Abidjan Avoir un restaurant sur le continent me permettrait de travailler différemment et de faire évoluer ma cuisine, de créer de nouvelles recettes. Il y a des produits que je ne peux pas travailler à Paris, parce que la qualité des arrivages est trop variable. Cela a été l’une des premières difficultés que nous avons rencontrées chez MoSuke. Nous voulions une étoile, mais c’est une récompense qui loue la régularité Il a donc fallu réduire la liste des ingrédients, pour toujours atteindre le bon niveau. Me rendre sur le continent m’obligerait à assimiler de nouveaux produits, mais aussi à travailler dans la contrainte et à m’adapter, parce que je ne trouverai pas là-bas des ingrédients que j’ai facilement à Paris. En tout cas, je prends mon temps, parce que je tiens à ce que ce soit un établissement de qualité et durable. Et je ne veux pas non plus que ce soit une déception pour nos clients. Au Lafayette’s ou chez MoSuke, nous recevons beaucoup d’Ivoiriens, de Camerounais, de personnes qui voyagent dans le monde entier. Je ne veux pas proposer là-bas quelque chose qui serait moins bien de ce qu’ils peuvent trouver à Paris. ■
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SAINT -AMBROISE
Le ch ef au La fa yette’s, son nou ve l éta bl is sem ent.
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Hemley Boum
« La vie n’est pas facile pour les rêveurs »
L’autrice camerounaise est de retour sur la scène littéraire avec son cinquième roman, une fresque poétique où passé et présent s’entremêlent au service d’une perspective historique plus vaste.
propos recueillis par As tri d Kr iv ian
Un paisible village côtier au sud-est du Cameroun, où le fleuve se jette dans l’Atlantique, telle la diaspora lancée dans le courant du monde : à Campo, Zacharias, pêcheur, vit en harmonie avec les siens et son environnement. Ju squ’au jour où une comp ag nie ét ra ngè re d’ex ploitation fore st iè re s’implante et bouleverse leur existence. La promesse initiale de confor t et d’abondance tourne bientôt en un asserv issement à un système capitaliste régi uniquement par le profit Rêvant d’un avenir meilleur, portant une fêlure intime profonde, Zacharias se retrouve piégé. Quelques décennies plus tard, à la suite d’un drame, son petit-fils Zachar y, alias Zack, doit quitter précipitamment Douala pour la France, à 18 ans, laissant sa mère à sa solitude et au silence de ses blessures. Devenu psychologue à Paris, marié et père de famille, décidé à refouler une part de son vécu, il va pourtant être rattrapé pa r son passé, et pa r une histoire fa mi liale qu’il ig norait. Pour son cinquième roman, Le Rêve du pêcheur, puissante et
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FRANCESCA MANT OV ANI/ÉDITIONS GALLIMARD
passionnante fresque familiale, Hemley Boum entrelace passé et présent, tisse un maillage de résonances entre les vies des ancêtres et celles de leurs descendants, questionne les mystères de la transmission, au-delà des ruptures, des absences, des secrets Des douleurs de l’exil au besoin de s’ancrer dans une lignée pour se construire pleinement, des ravages de la prétendue modernité à l’orgueil des êtres, ce roman explore la complexité psychologique de ses personnages, la spiritualité qui les traverse, l’héritage de leurs aïeux qu’ils portent et qui les forgent, malgré eux. Née à Douala, où elle grandit, l’écrivaine camerounaise, diplômée en sciences sociales et en commerce, établie aujourd’hui en France, a notamment reçu le prix Ahmadou Kourouma en 2020 pour son roman Les jours viennent et pa ssent, ainsi que le Grand Prix littéraire d’Afrique noire en 2015 pour Les Maqui sard s.
AM : Quelle est cette commune de Campo, au Cameroun, où vous ancrez une partie de votre roman ?
Hemley Boum : C’est un village de pêcheurs à la pointe sudest, au bord de l’Atlantique, à l’embouchure du Ntem – l’un des plus grands fleuves du pays, qui se jette dans l’océan. D’une rive à l’autre, on voit le Gabon et la Guinée équatoriale. Cette proximité avec les pays limitrophes, séparés par la mer, donne à Campo une di mension in su la ire. J’ai eu un véritable coup de cœur pour ce lieu très romanesque, qui a inspiré mon livre. Je m’y suis retrouvée par hasard, tandis que j’allais vers Kribi, la célèbre station balnéaire située à une cinquantaine de kilomèt res. Il y a peu d’habitants, dans ce village. Le soir, les quelques pêcheu rs qui y vivent encore reviennent en pirogue vers la côte, ta ndis que les sublimes couleurs du crépuscule ni mbent le ciel. C’est magnifique. Si je décrivais da ns un l iv re ce tableau, véritable image d’ Épinal, on ne me croi ra it pas ! D’autre part, Campo porte une histoire : il a été traversé par toutes les colonisations – allemande, française, anglaise. Dans la forêt, on trouve de vieilles tombes allemandes rongées par le sel marin : c’était une base allemande au début du XXe siècle. Par le passé, il a aussi été un comptoir commercial établi par les Port ugais. C’est donc un lieu de rencontres et d’échanges, où la langue parlée est nourrie par d’autres langages. Pêcheur, votre héros Zacharias mène dans ce lieu une existence paisible et harmonieuse avec sa famille.
Mais l’installation d’une entreprise étrangère d’exploitation forestière et d’une coopérative va profondément bouleverser leur destin…
La vie de Zacharias ressemble à celle que l’on vivait dans un passé pas si lointain, avant que certaines réponses économiques soient apportées à l’existence des gens. L’entreprise forestière, puis la coopérative vont offrir une autre économie, forger une société différente de celle dans laquelle ces habitants ont vécu jusqu’ici. Dans un premier temps, c’est une très bonne nouvelle : tout le confort qu’on leur apporte change leur vie de façon positive. Le Cameroun nouvellement indépendant portait l’ambition, la promesse de développement, de progrès, un grand changement insuff lé notamment à travers les écoles, les universités. Ce qui supposait un autre ty pe de vie. Pas si anciennes, les métropoles comme Douala, Yaoundé, se sont développées Avant, c’étaient des villages, où les administrations coloniales installées at tiraient à elles les travailleurs. Tout cela a radicalement modifié l’organisation des sociétés
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
◗ Le Rêve du pêcheur, Gallimard, 352 pages, 21,50 €.
◗ Les jours viennent et passent, Gallimard, 368 pages, 21 €.
◗ Les Maquisards, La Cheminante, 384 pages, 22 €.
Derrière la promesse de confort et d’abondance véhiculée par cette entreprise, une féroce logique de profit est à l’œuvre.
Désillusionné, votre personnage se retrouve très vite piégé…
En effet. Les prêts qui sont accordés à ces vi llageois sont aussi une façon de les at tacher à l’entreprise. L’empr unt, le troc, l’éc hange appa rtiennent à toutes les sociétés. Mais l’idée de s’engager au-delà de ses capacité s de re mb ou rsement, et d’êt re aliéné par ces engagements dont on n’avait pas besoin, est relativement récente. Zachar ias et sa famille n’ont aucun moyen d’anticiper la conséquence de leurs actes. Ils n’ont pas la lecture, l’expérience de ce qui va advenir. La coopérative a une idée de son objectif commercial, ma is pas les pêcheurs. Pour eux, tout semble logique et simple. Jusqu’à ce qu’ils se rendent compte que les choses sont beaucoup plus complexes qu’elles en ont l’air. Ce rêve ne se réalise jamais vraiment, car il comporte une part de désillusion. Au début, ce que la coopérative offre à Zacharias répond aussi à une fêlure qu’il porte en lui. Le fait de ramener de l’argent, de jouir soudainement d’un statut différent, d’avoir tous ces objets (four, fauteuil, etc.) dont il n’avait pas besoin et qui deviennent indispensables le change profondément Quand il se retrouve piégé, la perspective de revenir en
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arrière ne l’enchante guère. Il s’est habitué à ce confort et à l’image de lui-même que cette nouveauté restaure Fresque familiale, Le Rêve du pêcheur raconte aussi l’histoire de Zack, petit- fils de Zacharias. Qu ’est-ce qui se transmet à travers ces êtres, alors qu ’ils ne se sont jamais rencontrés ?
Cette histoire en miroir entre le grand-père et le petit-fils, cette mise en abyme, raconte la manière dont nous sommes tout ce qui nous est transmis, y compris ce que nous ignorons À quel point nos vies sont façonnées par cet héritage de nos aïeux, que nous portons en nous comme des archives. Ce passé s’inscrit dans notre présent, et pas forcément de manière lumineuse, car nous ne disposons pas toujours des clés, des réponses pour le comprendre. Mon roman a un parti pris un peu magique, car les transmissions peuvent s’effectuer de mille manières, pas uniquement à travers le lieu, la langue, les coutumes, l’éducation, la spiritualité. Même lorsqu’il y a des rupt ures définitives, nous portons cette sédimentation d’histoires qui nous ont précédées Évoluant dans des lieux et des temporalités très différents, Zack et son grand-père vivent pourtant des événements très similaires.
À la suite d’un drame, que l’on ne dévoile pas afin de préserver l’intrigue, Zack, le petit-fils, s’exile en France. Est- ce alors une fuite pour lui ?
Plus qu’une fuite, c’est une évasion, un sauvetage, une échappée belle. Il a enfin l’impression de vivre vraiment, de porter seulement ses propres rêves, de ne plus avoir en charge la douleur, le chagrin, la déchéance de sa mère. D’enfin disposer d’opportunités dans un lieu qui lui ouvre les bras. Cette émigration relève de l’espoir et de la libération pure. Son arrivée en France n’est que joie et émer veillement. Pourquoi, alors, écrivez-vous que l’exil est un bannissement, une mutilation ?
Ce cheminement lui demande du temps, mais Zack prend conscience de ses désillusions, de sa grande solitude. Il ne parv ient pas à créer des liens, à s’ancrer. Car dès le départ, il choisit de s’inventer un personnage ; il entre da ns une logique de rupture, d’évanescence, comme sa mère. Mais il est suffisamment lucide pour voir à quel point cela le fragilise et l’isole. Il se retrouve loin, en exil, sans possibilité de retour, avec ce sentiment d’être mutilé. Il se demande même s’il n’est pas mort, dans la mesure où personne ne peut témoigner du fait qu’il soit vivant Pourquoi refuse -t-il de voir le racisme dont il est la cible, quand son amie Maëlle tente de lui en faire prendre conscience ?
Zack sait immédiatement qu’en France, il est noir dans le regard de l’autre. Mais pour lui, ça n’a pas d’importance, car il doit absolument s’intégrer, s’assimiler, faire des rencontres, construire une vie. Il ne peut pas perdre de temps dans ces combats. Surtout, il a trop à perdre. Il ne surestime pas ses forces, et sait la puissa nce de l’adversaire Il ne va pas se
« Mon écriture est traversée par le Cameroun, par l’Afrique, par ses croyances, ses désordres, ses bouleversements, ses joies, sa force, ses espoirs, sa jeunesse. »
risquer dans des luttes où il n’a aucune chance de gagner. Zack comprend ce que lui dit Maëlle, mais il ne l’épouse pas, par crainte de se mettre en danger. Il pense qu’il est capable de suppor ter et d’ig norer ce regard porté sur lui. Pour lui, c’est déjà une faveur d’être accueilli, il ne veut rien exiger de plus. Dans son pays, il n’avait aucun droit ; en France, il ne revendique pas celui d’être traité avec davantage de justice et de justesse.
Le roman porte cette idée : nous sommes aussi forgés par les lieux. Votre géographie personnelle nourrit- elle votre écriture ?
Oui. Ce texte évoque les géographies, les endroits que l’on porte en nous, ceux que l’on quitte, que l’on fuit, ceux dans lesquels on rev ient, on s’installe, et qui laissent des traces en nous. Mon écriture est traversée par le Cameroun, par l’Af rique, par ses croyances, ses désordres, ses bouleversements, ses joies, sa force, ses espoirs, sa jeunesse, mais aussi par ma vie en France, où j’élève mes enfants, par mon expérience de migration. Et l’écriture pose aussi les questions : à partir d’où écrit-on ? De quel endroit en soi ? Comment on transforme le réel à travers la littérature ?
En référence au titre de l’ouvrage, le rêve est- il aussi une résistance ?
La vie n’est pas facile pour les rêveurs. Ce qui est une violence pour Zacharias, ce n’est pas seulement la modernité, c’est aussi la résistance de sa propre communauté – sa femme, les villageois – à son rêve d’envol, d’ailleurs, de liberté. Quant à Zack, venu en France la tête pleine de rêves et d’émer veillement, il affronte la réalité de ce pays de façon très violente
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Il n’empêche : ce sont ces rêveurs qui établissent les liens. L’audace et la puissa nce de leurs rêves rendent les choses possibles.
Vos personnages appartiennent-ils à la génération postcoloniale pétrie de désillusions ?
On en fait tous partie. Le Cameroun nouvellement indépendant était porté par un immense espoir, par la promesse du développement ; la colonisation était derrière nous, le pays était enfin libre, on allait pouvoir construire, avancer. Il fallait se débarrasser de certaines croyances, embrasser certaines relig ions. On faisait désormais fa mil le autrement, on élevait les enfants différemment, on s’installait dans les villes. Les anciennes loyautés étaient disqualifiées, donnant lieu à de nouvelles légitimités, de nouvelles manières de choisir les chefs. Tout cela a formé un nouveau modèle de société, soudainement imposé à des gens qui ne disposaient d’aucun background. Les médecins, avocats, professeurs, hommes politiques, etc., avaient tout à inventer, car ils ne pouvaient pas se référer à une génération précédente Cette indépendance a été très porteuse, puis la désillusion a suiv i : 70 ans plus tard, les nouvelles générations regardent cet héritage avec beaucoup de lucidité et de recul Elles sont en droit de se demander : tout cela valait-il bien la peine ? Cela ne signifie pas que l’on souhaite revenir en arrière, ni glorifier un passé anachronique Mais on peut interroger la façon dont les choses se sont mises en place.
Qu ’entendez-vous chez les jeunes Camerounais ?
Je les trouve particulièrement audacieux dans leurs engagements et dans leur vision du monde. J’ai grandi dans une famille où l’on ne parlait que le français. Mes parents tenaient à ce que l’on s’exprime le plus impeccablement possible Tant mieux, car cela a construit la personne que je suis désormais. La nouvelle génération parle non seulement français, mais aussi les lang ues camerounaises. Et leur maît rise est telle qu’elle les enseigne et les transmet au x en fants. Ce n’était pas envisageable, il y a encore quelques années. Ces jeunes interrogent également les gouvernements d’aujourd’hui. Et ils envisagent l’émigration autrement. L’exil est souvent associé au désespoir, à l’idée que rien ne les attendrait chez eux. C’est certainement vrai, mais ce déplacement relève aussi d’un immense espoir et d’un grand courage. Après tout, on a le droit d’aller chercher ailleurs à vivre mieux, ou juste de se déplacer, d’explorer le monde. Pourquoi ce droit appartiendrait à certains et pas à d’autres ? Quand un jeune Européen prend son sac à dos pour grimper l’Himalaya, s’installer au Tibet ou au Congo, personne ne lui demande ce qu’il fait là
Les jeunes Af ricains sont totalement en droit de bénéf icier de cette liberté de mouvement, et ils la revendiquent. Ils ne devraient pas risquer leur vie pour ça Et personne ne désire exercer un métier difficile dont personne ne veut en Occident. Mais le rêve qui les porte se situe au-delà de tout ça. Ils ont l’exigence de leurs rêves
« Les jeunes Africains sont en droit de bénéficier de la liberté de mouvement, et la revendiquent. Ils ne devraient pas risquer leur vie pour ça. »
Votre roman Les Maquisards (La Cheminante, 2015) retraçait l’engagement et le combat des Bassa dans la lutte pour l’indépendance du Cameroun. Cette guerre a-t- elle été longtemps passée sous silence dans le pays ?
Nous sommes les enfants du silence. On n’a rien raconté à ma génération. Or, au cours de l’écriture des Maqui sard s, je me suis aperçue que cette histoire était présente dans toutes les familles Les fractures, les bouleversements qui traversent le pays aujourd’hui encore en sont très largement issus. Beaucoup d’auteurs et de chercheurs l’ont écrite, travaillent dessus depuis des décennies, mais elle n’est pas enseignée au Cameroun. Les archives camerounaises ne sont pas disponibles ; celles de la France le sont depuis peu. Il était dangereux d’en parler Et c’est la raison pour laquelle les familles se sont tues Après la sortie de mon roman, j’ai reçu de nombreux témoignages disant combien elle est importante et prégnante, inscrite dans l’histoire des Camerounais. Pourtant, on peut vivre toute une vie sans en connaître les détails. Que pensez-vous de la création, par le président français Emmanuel Macron, d’une commission mixte de chercheurs français et camerounais, chargée de faire la lumière sur l’action et les responsabilités de la France lors de la colonisation et après l’indépendance du Cameroun ?
Les Camerounais ont demandé la mise à disposition de toutes les archives La réponse d’Em ma nuel Macron a été la suivante : « Nous allons travailler ensemble sur ce sujet. » Ma is ce n’était pas la requête or ig inel le ! Chac un va travailler sur cette histoire, mais pas forcément dans le même ca mp. En ef fet, nous n’ét ions pas du même côté, et cette histoire ne s’écrira pas de la même façon pour la France et pour le Cameroun On ne va pas accorder nos violons. Cette
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commission mixte est l’idée des autorités françaises Ce qui m’intéresse, c’est ce que les Camerounais en feront. C’est ça qui importe, qui fera bouger les lignes dans le pays – pas ce que la France choisit d’en faire. Il a été demandé aux Français, comme une question récurrente : « Reconnaissez-vous vos torts ? » Pour nous, la responsabilité de la France dans la colonisation et la guerre d’indépendance ne fait pas le moindre doute. Et aujourd’hui, ce n’est pas le plus important. Il faut effectuer et mener tout un travail historique, mémoriel, éducatif au sein du pays C’est pour lui que ça compte
Comment vos livres sont- ils reçus au Cameroun ?
Et quels sont les enjeux pour y développer la lecture ?
Je suis toujours ravie, heureuse de la façon dont mes romans y sont reçus. Car j’écris aussi des histoires qui parlent de nous, de personnes qui nous ressemblent, des récits qui ont peut-être longtemps manqué à notre littérature – même si el le est riche de grandes plumes comme Mongo Beti, Calixthe Beyala, Léonora Miano… Quand je reviens au Cameroun pour parler de mes livres, il y a une vraie écoute, qui n’est ni superficielle ni légère. C’est une communion. Pour rendre la lecture plus accessible, il faut d’abord travailler sur le prix des livres Mon idée est de garder les droits africains et de trouver des éditeurs sur le continent qui soient capables et volontaires pour publier des ouvrages à un coût raisonnable. Une fois que l’on aura fait ça, les livres se vendront comme des petits pains. Les événements littéraires au Cameroun sont pris d’assaut, tellement les jeunes sont curieux de tout. Il suffit d’ouvrir les portes et de mettre les livres à leur disposition
Participant aux rencontres littéraires au Cameroun, êtes -vous aussi attentive aux nouvelles plumes ?
Cela fait toujours chaud au cœur de voir autant de personnes impliquées, engagées, décidées à faire vivre la littérature dans ce pays. Elles sont récompensées par l’engouement du public, et notamment des plus jeunes, lors de ces événements. Quand on organise des ateliers d’écriture à Souza, la demande est tellement forte qu’on est obligés de faire un tri – même si j’aimerais accorder à chacun mon temps et mon énergie ! On m’envoie aussi des manuscrits, et certains sont si puissants, traversés par un souffle immense… La nouvelle génération d’écrivains camerounais est là. Elle me comble de joie Je lis aussi beaucoup les autres jeunes auteurs africains et de la diaspora. Je suis admirative, j’aime leur énergie. Comment est né votre amour de la littérature ?
À l’école, à l’Institut français Très curieuse, j’ai lu tous les classiques français, puis ceux de la littérature anglaise. Les ouvrages des littératures africaines étaient non seulement plus parcimonieux, mais complètement décontextualisés J’ai lu le Cahier d’un retour au pays natal de Césaire, sans connaître le contexte, l’histoire du mouvement de la négritude, ce qu’il signif iait Pour de nombreu x Af ricains, les Antilles étaient comme l’antichambre de l’Afrique. Car à moins d’être très éduqué, engagé politiquement, il était difficile d’accéder à cette histoire, de savoir les liens qui nous unissaient Plus tard, à l’université, quand j’ai eu accès à d’autres canaux, j’ai redécouver t des univers entiers – Mongo Beti, Chinua Achebe, Wole Soyinka… Ce long travail m’a fait beaucoup de bien. ■
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SHUTTERST OCK
De s pêc heur s dans la vil le ba ln éa ire de Kr ib i, au su d- ou est du Ca me roun.
entret ie n
Mohamed Ben Attia
«
L’homme dans les nuages, ça m’intéresse »
Le réalisateur tunisien propose un thriller fantastique et social, une piste pour sortir de l’« étouffement » des sociétés arabes. Il constate aussi une rupture « sans précédent » avec l’Occident depuis la guerre à Gaza… par Je an -M ar ie Ch az ea u
Son troisième long-métrage est une fable surnaturelle doublée d’un drame social. Représent at if de l’étou ffement re ssenti pa r le s populations arabes, aussi. Un sentiment que le cinéaste semble partager, notamment depuis le basculement du 7 octobre, qui a scindé de façon inédite, selon lui, les mondes occidental et oriental. Percevant le cinéma et son métier comme un exutoire, il se sert de ses créations pour exprimer une colère enfouie, et considère la radicalité comme une bonne chose. Une radicalité qui peut être porteuse de changements, d’idées novatrices, et ainsi mener à un meilleur état du monde. Radical, le personnage de Rafik dans Par-delà les montagnes l’est définitivement quand il perd le contrôle et embarque son fils dans une course folle qui le conf ronte au réel, mais aussi à l’irréel. Dans une brutalité teintée de poésie.
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AM : Enfant, vous rêviez d’être Superman ?
Mohamed Ben At tia : Adolescent, je faisais des rêves récurrents où je planais. J’étais dans un état de flottement pendant le sommeil et, à moitié réveillé, je faisais tout pour le prolonger et pouvoir le décrire sur papier. À l’époque, c’étaient juste des images, rien qui puisse se marier avec ce que je voulais raconter. Mais à la fin du tournage de mon deuxième film, j’étais dans un état de colère, de ras-le-bol, que je n’arrivais pas à formuler C’était plus physique qu’intellectuel Et j’ai essayé de rassembler ces deux sentiments.
Rafik veut montrer qu ’il peut voler « par- delà les montagnes » : c’est une façon de s’échapper de la réalité difficile de la Tunisie ?
Selon les pays où le film est projeté, les réactions sont très différentes. On a perçu un changement de point de vue entre la Mostra de Venise en août, et le Red Sea Film Festival en Arabie saoudite en décembre. On a d’abord cru que, pour le public arabe, il n’y avait pas d’explications à chercher, puisque cet étouffement, il le ressent et n’a pas besoin de le nommer. Alors qu’en Occident, certains ont eu du mal à s’attacher au personnage, parce qu’ils ne comprenaient pas ses motivations. Finalement, je ne crois pas qu’on puisse faire de différences : tout dépend des spectateurs, et surtout de l’état du monde. Entre les deux, il y a eu le 7 octobre. C’est un tournant tellement décisif dans nos vies qu’il y a une rupture avec l’Occident. Sans précédent, vraiment. J’ai baigné dans une culture francophone, j’adore le cinéma français. J’ai étudié à l’école tunisienne, mais avec mes parents, j’ai eu cette ouverture, que je ne renie pas du tout. Je m’interrogeais depuis quelque temps sur la francophonie, sur notre identité. Et ce qu’il s’est passé à Gaza est d’une violence telle que pas mal de choses sont remises en cause de façon év idente. Ce sera da ns mon prochain film Je ne sais pas comment je pourrai le financer, parce que tout devient matière à réf lexion, y compris les coproductions. Personnellement, j’ai eu beaucoup de chance et des partenaires qui ont toujours été bienveillants. Mais dans le milieu artistique français, que je respecte et que j’admire, je n’arrive pas à expliquer comment on peut tout ramener à une peur de l’antisémitisme, alors qu’on est dans l’humanitaire. Ce n’est pas de l’ordre de la religion ou de l’appartenance à une communauté, c’est de l’ordre de l’humain. Ça me dépasse. Et pour une fois, on est adéquation complète avec le gouvernement tunisien C’est même une fierté, parce que ce n’est pas le cas pour plein d’autres pays arabes. Le film a été tourné avant le 7 octobre. Et Rafik qui vole, c’est un ras-le-bol généralisé vis-à-vis des sociétés modernes, qui cadenassent nos vies, nos choi x, et
« Faisons la distinction entre radicalité et radicalisation : la première ne doit pas effrayer. Elle est porteuse de changement. »
ce qui fait une famille. Dans le cinéma d’auteur, la famille est souvent un refuge Moi, je le crois de moins en moins : je m’interroge sur ses mutations, les divorces (je suis en plein dedans…). Et l’écriture de Par-delà les montagnes s’est accompagnée d’une colère que je voulais même beaucoup plus violente dans le scénario. Je ne sais pas si j’ai bien fait ou non, de ne pas aller plus loin, quand je vois que certains spectateurs ont pensé que c’était de la violence gratuite… Je ne regrette pas, le film est déjà loin, mais je voulais assumer cette violence. Je voulais que l’enfant, en deux jours, sorte du cocon bienveillant matérialisé par ses grands-parents, et qu’il apprenne à connaître ce père qui va lui montrer la mort, la radicalité. Et faisons bien la distinction entre radicalité et radicalisation : la première ne doit pas nous ef frayer, parce qu’elle a du bon. Elle est porteuse de changement, d’idées nouvelles.
Be n At ti a. Avec Majd Ma stou ra , Wa lid Bouc hh ioua , Sa me r
Bi sharat En sa ll es
L’homme arabe, la masculinité, les relations père -fils, sont au cœur de tous vos films.
Da ns mon nouveau projet, je parle d’un homme un peu plus vieux. Je me suis moi-même demandé pourquoi je choisissais dès le départ un point de vue masculin. Ce n’est pas calculé, mais j’ai sûrement trop longtemps baigné dans un cinéma tunisien où l’on parle vraiment des femmes. Même si je n’écris pas en réaction à ça, je remarque qu’il y a quand même un côté populiste dans le fait de ramener la femme à son travail dans les campagnes, où elle se sacrifie pour sa famille, pour ses gosses. C’est une réalité sociale : c’est vrai que les cafés sont remplis d’hommes, jeunes ou moins
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PAR- DELÀ LES MO NTAGNES (Tunisi e- Franc e), de Mo ha med
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jeunes Moi, j’ai une tendresse pour ce côté démissionnaire, presque lâche, un peu rêveur, romantique Je me dis que ces hommes, à différents stades de leur vie, font les choses à contrecœur Alors ils donnent leur paie à leur femme, qui gère le budget mille fois mieux qu’eux, ils se gardent une petite somme pour les cigarettes ou l’alcool, et ils n’ont pas d’ambition pécuniaire. Devenir propriétaire, acheter un terrain, épargner pour les gosses… Cette sécurité financière et ces soucis quotidiens, c’est la femme qui s’en charge. L’homme est suiveur. Parfois, ça l’embête, donc il abandonne, mais parfois, il veut bien suiv re et se laisser aller. Il est un peu dans les nuages, et ça, ça m’intéresse.
Vous retrouvez Majd Mastoura, que vous aviez lancé dans Hedi, un vent de liberté, Ours d’argent de la meilleure interprétation à Berlin en 2016, et que l’on vient de voir jouer tous les rôles d’hommes dans Les Filles d’Olfa.
Il est vraiment at ypique. Nous présagions quelque chose de beaucoup plus fulgurant, à la sortie de Hedi Avec son prix, il a choisi de déménager en France pour être plus proche des opportunités qui peuvent se créer, mais ça n’a pas été le cas tout de suite. Lui-même a pris son temps pour bien choisir ses projets, et on s’est retrouvés – on ne s’est jamais vraiment éloignés, puisqu’on est très proches et tout le temps en contact.
C’est quelqu’un qui fait attention à ses choix. Il baigne aussi dans l’écriture, dans le théâtre, dans le spectacle vivant. Puis il donne également des cours. Il ne se contente donc pas d’être comédien Il est très poly valent, et c’est en cela que j’adore notre collaboration. Lorsque l’on commence la préparation, il n’est pas uniquement question pour lui de répéter son rôle. Il m’aide beaucoup dans le scénario, dans la traduction, et j’essaie de l’impliquer, tout comme les autres, dans un processus où, dès ses lectures, on arrive à savoir ce qui fonctionne, ce qui marche moins bien, et on réécrit tout le scénario. J’aime beaucoup son regard, et on se rejoint sur beaucoup de choses.
C’est un vrai plaisir de le retrouver.
Votre long -métrage fait appel à des effets spéciaux, comme beaucoup de films d’auteur qui glissent vers le fantastique (Le Règne animal, de Thomas Cailley, en France, Animalia, de Sofia Alaoui, au Maroc).
Allez-vous continuer dans cette voie ?
Non, je reviens tout doucement à ce que je sais faire. Je ne sais pas si cela s’inscrit dans une tendance. Je ne le crois pas. Deux films tunisiens dans cette mouvance – dont un présenté à Berlin cette année [Mé el Aïn, de Meryam Joobeur, ndlr], et celui d’Ala Eddine Slim [Agora , ndlr] – sortiront prochainement, mais c’est parce que cela correspond à la cinématographie, aux goûts et aux thématiques privilégiés par les cinéastes. Il existe peut-être un aspect beaucoup plus universel dans le film de genre : Animalia a abordé des sujets locaux, identitaires, qui concernent le Maroc ou la Tunisie, à travers la science-fiction, et cela permet une ouverture vers d’autres publics.
Le saut dans le vide
Sorti de prison après un violent pétage de plombs qui lui a valu de passer par la fenêtre de son entreprise, un employé enlève son jeune fils à Tunis et l’emmène dans les montagnes du nord -ouest pour lui montrer qu’il peut voler On se croit d’abord dans un film sur la maladie mentale, puis le mystère s’épaissit, et on flirte avec le surnaturel par petites touches (mais avec de vrais effets spéciaux)
Cela ne manque pas de surprendre, face à un film ancré dans le social et coproduit par les frères
Dardenne (comme les deux précédents de Mohamed Ben Attia) Dans leur cavale à suspens, Rafik et son petit garçon rencontrent un berger mutique, prennent en otage une famille de la petite bourgeoisie
Majd Mastoura (Ours d’argent à Berlin en 2016 pour Hedi, un vent de liberté, du même cinéaste) se surpasse dans ce personnage radical Malgré quelques effets appuyés du scénario pour souligner le conformisme de la société tunisienne post-révolution, son parcours nous entraîne loin, très loin. ■ J. -M .C
Finalement, prévoyez-vous de redescendre sur terre dans votre prochain film ?
Pas complètement, parce que les idées que j’ai pour le prochain sont un peu noires ! Quant aux effets spéciaux, moi, je suis fan des effets « naturels », à l’ancienne, qui se font sur le tournage Je n’apprécie pas tellement tout ce qui se fait en postproduction. Je suis plutôt de la « vieille école ». J’aime surtout l’aspect ludique, même si je ne sais pas si j’ai eu tant de plaisir que ça dans Par-delà les montagnes : on a fait les trucages directement sur le plateau, dans les collines, et ça a été très pénible. J’ai eu beaucoup de stress et de peur pour les comédiens accrochés dans le vide ! ■
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Majd Ma stou ra et Wa lid Bo uc chioua
Patricia Essong
AVEC SON ALBUM HEALING JOURNEY, la chanteuse camerounaise panse ses blessures et trouve la paix intérieure en invoquant le lien au sacré, aux ancêtres, à la nature, sur le chemin de la connaissance de soi. propos re cueillis par Astrid Krivian
Au Cameroun, à Yaoundé, j’ai eu une enfance à la fois tourmentée et festive, dans un quartier très animé, baigné de musique. Les jours de fête, on ramassait des fleurs pour les offrir aux passants ou aux parents, en leur souhaitant la bonne année ou un heureux Noël. Dans ces moments très joyeux, la vie pétillait en nous et on oubliait la dureté du quotidien. J’ai grandi dans une famille recomposée, avec beaucoup de sœurs et de frères, mais je me suis toujours sentie seule. Je suis en paix avec ma solitude.
J’ai commencé par la danse ; le chant est arrivé à l’adolescence, quand les douleurs se cristallisent. J’écoutais en boucle Tracy Chapman. Sa voix m’apaisait, sa mélancolie faisait écho à la mienne. Je chantais ses morceaux à l’école, aux kermesses. Mais à la maison, dire que je voulais devenir chanteuse était irrecevable J’ai continué mes études, car je savais qu’elles seraient ma porte de sortie
J’étais déterminée à réussir.
Après un cursus en droit, je suis venue en France, où j’ai suivi un MBA en stratégie et consulting. J’ai découvert la notion d’être une étrangère, l’apprentissage de nouveaux usages Au début, j’étais dans une forme de schizophrénie Les rapports avec nos proches restés au pays changent ; cette chaleur, cette solidarité s’éteignent. J’étais dans le rôle de l’expatriée. En France, je ne me sentais pas vraiment d’ici.
Une partie de moi devait disparaître pour m’adapter. On est des hybrides. C’est le chagrin du déraciné : nulle part il ne se sent chez lui. Or, l’espace ne doit pas nous définir C’est ce que l’on nourrit en nous qui forge notre identité
On amène notre Afrique où l’on vit. C’est un état d’esprit.
Je voulais devenir quelqu’un, être le modèle de mes parents, celle qui fait tout comme il faut. J’ai exercé le métier de consultante pendant des années, jusqu’au jour où j’ai dit « stop » : je voulais chanter !
Mon premier album, Soul of Nü Bantu, est sorti en 2016. Puis j’ai fait un burn-out.
L’industrie artistique est énergivore, et je me mettais la pression pour réussir à tout prix. Je travaillais sans cesse. J’ai pris du recul, afin de comprendre pourquoi j’en étais arrivée là Nos vies sont cycliques : une forme de mort de nous-même permet une transformation. J’ai travaillé sur mes zones d’ombre, sur ce dont je n’avais plus besoin et qui m’empêchait de vivre ma relation avec moi-même et avec les autres À travers cette quête spirituelle, je me suis connectée à la puissance de la terre, de la nature, des choses plus fortes que moi.
Premier volet de mon projet Sur la route du sacré, mon disque
Hea ling Jou rn ey, Nü Bantu Sound, 20 24
Healing Journey est un appel à l’apaisement, afin de se voir tel que l’on est, pour accueillir nos turbulences intérieures tout en leur ôtant le pouvoir. Ici, la musique est un médicament Au rythme de mon trip-hop médicinal, ma voix, fil conducteur, instille de la douceur dans ce voyage de guérison. Je chante dans ma langue duala, parce qu’elle me permet de me relier à mes ancêtres, de me réapproprier mon histoire, de cultiver cet ancrage, cette sérénité. On ne m’a pas transmis cet héritage : à la maison, il fallait parler français. Cette odyssée est une quête d’identité, de sens, pour revenir à l’essentiel de la vie, de l’humain. ■
AI
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CE QU E J’
AP PR IS
«L’espace ne doit pas nous défnir. C’est ce que l’on nourrit en nous qui forge notre identité.»
JOURNEY
HEALING
Désirey Minkoh Les esprits du Bwiti
présenté par Em manu elle Pontié
Ce photographe gabonais de 58 ans, qui collabore régulièrement avec Afrique Magazine, est issu d’une famille de bwitistes. Initié à l’âge de 11 ans, il a choisi de consacrer une série saisissante à ce rite de passage traditionnel pratiqué dans plusieurs régions du pays, afin de s’ouvrir à la connaissance divine. L’initiation au Bwiti est indissociable de l’iboga, une écorce d’arbuste hallucinogène qui stimule les sens. Ce travail, réalisé en noir et blanc, avec des effets de flou sans retouche d’image, a été finaliste au concours artistique Luxembourg Art Prize et lauréat du Plus Grand Concours photo du monde (organisé par le magazine Photo) en 2023. Son exposition « Esprits du Bwiti » a été présentée à Libreville en mars et fait l’objet d’une tournée en Afrique. Elle sera visible ce mois-ci à la Fondation
Félix Houphouët-Boigny à Yamoussoukro. ■
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@afrikimagesof ficial
Dé si rey Mi nkoh, Spirit ual Sc ene
POR TF OL IO 82 AF RI QU E MA GA ZINE I 45 1 – AV RI L 20 24
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Bwiti Mi ssoko.
Crac heu se de feu.
Etika (L’Appel)
POR TF OL IO
Bwiti Dissumba.
Esprit s.
Bénédic tion
BUSINESS
Interv iew
Fran k Di xon Mu gyenyi
L’Ég ypte poussée à la vente
Genesis Energy Group se déploie en Af rique francophone
Face à la dette, le retou r des eu robond s
Au Kenya, succès du revenu universel ga ra nt i
À qui profte l’or africain ?
Le cours de la valeur refuge ne cesse de grimper, mais les bénéfices pour les pays producteurs sont rares. Et les capacités de raffinage faibles. Le secteur informel reste dominant La Cedeao recommande la formalisation de l’extraction artisanale. par Cédric Gouverneur
Valeur refuge par excellence, le métal jaune voit son prix flamber lors des crises Il y a quinze ans déjà, après la faillite de Lehman Brothers et le krach des subprimes (septembre 2008), le cours de l’or avait quasiment doublé en dixhuit mois, passant en 2009 de 627 dollars l’once – une once équivalant à environ 31,1 grammes – à plus de 1 000 en 2010. Depuis deux ans, les conséquences parfois inattendues de la guerre en Uk raine (le conf lit a précipité la faillite du Credit Suisse et son rachat par son rival historique UBS) conduisent les investisseurs à se
ruer toujours davantage sur l’or. Le métal jaune franchit désormais régulièrement le seuil sy mbolique des 2 000 dollars l’once (2 110 dollars à la mi-mars).
L’Afrique détient environ 40 % des réserves d’or, et 34 pays africains exploitent des filons aurifères. Selon le World Gold Council, les dix premiers producteurs du continent sont désormais le Ghana (127 tonnes en 2022), le Mali (102), le Burk ina Faso (96), l’Afrique du Sud (92), le Soudan (80), la Guinée (63), la Tanzanie (51), le Zimbabwe (49), la Côte d’Ivoire (48) et la République démocratique du Congo (44) Il existe toutefois un
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ALAMY
AF RI QU E MA GA ZINE I 45 1 – AV RI L 20 24 87 La mine d e Ta rk wa est la plus gran de du G hana.
BUSINESS
immense décalage entre l’extraction aurifère et la détention d’or entreposé à la Banque centrale L’exemple du Ghana est édifiant : en cessation de paiements depuis décembre 2022, le pays, lourdement endetté, mise sur la production d’or afin de relancer son économie, et surpasse désormais l’Afrique du Sud, producteur historique aux filons vieillissants. L’an dernier, dans l’ouest du Ghana, les deux mines adjacentes de Tark wa (propriété du Sud-Africain Gold Fields) et de Iduapriem (propriété d’un autre SudAfricain, AngloGold Ashanti) ont fusionné pour former la plus grande mine du continent. L’État ne détient, cependant, que 10 % de la mine de Tark wa et aucune participation au sein de la mine d’Iduapriem…
EN BANQUE CENTRALE
PLUTÔT QU ’EN SUISSE
L’or ne doit plus être perçu seulement comme une matière première à extraire, mais aussi comme un moyen, pour les États producteurs, de garantir leur monnaie [lire not re interview de l’expert ougandai s Frank Di xon Mugyenyi pages suivantes]. Membres de l’Alliance des États du Sahel (A ES), le Mali et
le Burk ina Faso misent notamment sur l’or pour soutenir leur projet de future monnaie commune [voir AM 450, mars 2024] Le problème est que le métal précieux n’est que trop rarement raffiné en Afrique. Car si les installations de raffinage se multiplient sur le continent, un seul site – la raffinerie Rand, ouverte à Germiston, en Afrique du Sud, dès 1920 – est certifié par la vénérable
London Bullion
Market Association
Aux côtés de l’exploitation minière industrielle, le secteur de l’or se caractérise par une exploitation artisanale, informelle.
(A ssociation des professionnels du marché des métaux précieux de Londres, LBMA), le normalisateur international Les pays africains producteurs d’or exportent donc le métal jaune en Afrique du Sud, aux Émirats arabes unis (E AU) et en Suisse. Aux côtés de l’exploitation minière industrielle – souvent aux mains de compagnies sud-africaines, canadiennes, australiennes, chinoises et russes –, le secteur africain de l’or se caractérise par l’importance d’une exploitation artisanale, informelle, qui se distingue hélas par sa mise en danger des personnes (urbanisation chaotique, éboulements, empoisonnements, déscolarisation, prostitution, drogue, criminalité, etc.) comme par ses conséquences néfastes sur l’environnement (pollution au mercure et au cyanure). Cet orpaillage, qui provoque la ruée de populations vulnérables rêvant d’enrichissement rapide, est plus ou moins toléré par les États africains. Dans l’est du Sénégal, à Kédougou, aux confins du Mali et de la Guinée, se sont ainsi installés des milliers d’orpailleurs venus de toute l’Afrique
de l’Ouest. Des dizaines de comptoirs informels achètent les paillettes extraites, souvent pour les exporter clandestinement vers le Mali voisin. À Chami, en Mauritanie, la mine exploitée par le groupe canadien Kinross Gold Corporation côtoie les puits artisanaux d’orpailleurs informels, qui écoulent majoritairement leurs trouvailles sur le marché parallèle, dont le cours s’avère plus avantageux que celui du bureau d’achat de la Banque centrale mauritanienne : lors de la crise du Covid, la disparition des acheteurs illégaux s’était traduite par la multiplication par vingt des entrées d’or au comptoir officiel !
FORMALISER L’INFORMEL
Un récent rapport de la Cedeao, rendu public en février, recommande « la formalisation de l’exploitation minière artisanale et à petite échelle (EMAPE) ». Intitulé « Leçons tirées des expériences régionales de l’Afrique de l’Ouest dans le secteur de l’or », le document prend acte que les mesures répressives des États ont, paradoxalement, eu pour effet d’« accentuer la mainmise des réseaux du crime organisé », et même de « renforcer son rôle de facteur de stabilisation » dans des zones où les autorités sont souvent absentes. Au Burk ina Faso, la cartographie a même démontré un lien entre les activités d’exploitation d’or et les attaques terroristes. Le travail artisanal débouche sur une commercialisation opaque, convergeant vers Dubaï, puis la Suisse. Le texte souligne toutefois que
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SHUTTERST OCK
l’exploitation artisanale de l’or joue « un rôle central dans les économies et les dy namiques de stabilité au Sahel », en fournissant un débouché à des populations dont les autres moyens de subsistance sont menacés, à l’image de l’agriculture face au changement climatique. La Cedeao préconise donc « la formalisation » de ces secteurs artisanaux chaotiques, afin de les éloigner de l’emprise des réseaux criminels, mais aussi d’augmenter les recettes publiques. Cette formalisation pourrait notamment passer par la création de coopératives, afin de permettre aux mineurs la mise en commun de leurs ressources et l’accès collectif aux financements bancaires.
La multiplication des intermédiaires facilite év idemment les malversations Le secteur de l’or, métal aussi précieux que facile à dissimuler, a toujours été la cible d’acteurs interlopes Le groupe paramilitaire russe Wagner a ainsi acquis les droits exclusifs de la plus importante mine d’or centrafricaine, Ndassima Selon un rapport d’experts indépendants, « The Blood Gold Report », rendu public en décembre 2023, l’or venu de la République centrafricaine, du Soudan et du Mali rapporterait chaque mois 114 millions de dollars au Kremlin depuis le début de la guerre en Uk raine. Et celui extrait des mines artisanales de l’est de la RDC par les groupes armés en conf lit est, quant à lui, discrètement raffiné à Entebbe, en Ouganda, avant de filer vers Dubaï. Au Soudan – qui dispose, selon Energ y Capital & Power, de l’une des plus grandes réserves du continent –, les généraux ennemis Abdel Fattah al-Burhane et Mohamed Hamdan Daglo, dit « Hemetti », financent, grâce au trafic de métal précieux, le conf lit qui les oppose et ravage le pays depuis déjà un an ■
LES CH IFFR ES
SEUL S 5 PAYS AFRICAIN S SONT PR ÊTS À EXPLOITE R LES POTE NTIALITÉS DE L’INTE LLIGENCE
AR TI FICI ELLE : LE MAROC, LA TU NI SI E, L’ÉGYP TE, L’AFRIQU E DU SU D ET L’ÎLE MAUR ICE.
29,9 % le montant moyen de l’inflation au Nigeria en 2024, après l’ef fondrement de la monnaie nationale, le naira.
7 % : la croissance économique ivoirienne en 2025, après 6,5 % en 2024.
67 % des chefs d’entreprise du continent éprouvent des difficultés à recruter une main -d ’œuvre qualifiée.
28 MI LLIARD S
DE DO LL AR S PAR AN :
LE S INVE STIS SE ME NT S
NÉCE SSAI RE S DANS
LE S ÉN ER GI ES
RE NOUVE LABLES
EN AFRI QU E
SU BSAHARI EN NE .
Les investissements dans les énergies vertes génèrent 3 fois plus d’emplois que ceux dans les énergies fossiles.
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SHUTTERST OCK (2)
Frank Dixon Mugyenyi
« Des pays voisins pourraient créer des zones minières régionales »
Comment le continent peut-il mieux bénéficier de ses nombreuses ressources en or ? Ancien chef de l’unité des minéraux au sein de l’Union africaine, l’Ougandais
Frank Dixon Mugyenyi a été en charge de l’Africa Mining Vision (AMV) de l’Agenda 2063 de l’UA. Désormais directeur du think tank MA DI (Minerals Africa Development Institution) à Kampala, il nous explique les enjeux spécifiques liés à ce secteur. propos recueillis par Cédric Gouverneur
AM : Les investissements miniers sur le continent dans le secteur de l’or sont- ils à la hauteur ?
Frank Dixon Mugyenyi : L’augmentation de l’exploitation minière à petite échelle est plus importante que celle des gros investissements. Parce que la plupar t des pays af ricains n’ont toujours pas de politique de réduction des coûts du business. Des pays voisins pourraient se regrouper et créer des zones minières régionales, avec une chaîne de valeur minérale complète, verticale et intégrée. Cela implique d’investir dans les compétences, l’énergie et les infrastr uctures, les études géologiques, de mieux
négocier les contrats et d’harmoniser les politiques, les lois et les réglementations au niveau régional – comme le Botswana le fait depuis cinquante ans avec les diamants C’est donc faisable En attendant, beaucoup d’or sort par la « porte dérobée ». C’est pourquoi la hausse des cours n’a pas encore prof ité aux Af ricains. Des ra ffineries d’or existent en Afrique, mais une seule (en Afrique du Sud) est cer ti fiée par la London Bullion Market Association (LBMA). Pourquoi ?
La vraie question est : pourquoi la LBMA, au Royaume-Uni, accrédite et certifie les raffineries d’or en Af rique ? En 2019, j’étais au Burk ina Faso, où nous av ions rencontré le président de l’époque pour ouvrir une raffinerie. Mais il aurait fallu au moins dix ans pour obtenir la certif ication de la LBMA… Le Burk ina Faso a donc élaboré une réglementation sur les raffineries, et les investissements directs étrangers (IDE) ont suiv i. En effet, le raffinage n’est pas le cœur de métier des sociétés minières aurifères, et il n’est pas possible d’attirer des investissements dans les raffineries sans réglementation af ricaine. Nous, Af ricains, devons mettre en place nos propres réglementations, en suivant les lignes directrices de l’OCDE et des associations de producteurs d’or. Nous pourrions travailler avec la LBMA sur ce processus. La majorité de l’or brut africain est donc exporté vers la Suisse et Dubaï. Comment développer l’industrialisation de l’or sur le continent ?
Comme il n’existe qu’une seule raffinerie certifiée par la LBMA, l’or part vers Dubaï, souvent par la « porte dérobée » : en 2017, le Mali avait déclaré l’exportation d’environ 50 tonnes vers Dubaï. Les Émirats arabes unis, eux, avaient
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signalé environ 70 tonnes d’importation d’or en provenance du Mali… Faute de certification, impossible de développer le marché de l’or par les voies appropriées. Plus important, les États af ricains devraient envisager d’acheter cet or, af in de garantir leur monnaie, et le stocker comme réserve. Le Ghana, désormais le premier producteur africain , est toutefois lourdement endetté. Comment l’or pourrait- il véritablement profiter aux économies africaines ?
L’Af rique de l’Ouest devrait mettre en place une politique régionale qui permette d’acheter de l’or et de le stocker dans la banque de réserve pour soutenir les monnaies locales. Nous devons-nous réveiller : depuis 1971, et l’annulation par Richard Nixon de la convertibilité directe du dollar en or, les monnaies flottent. Le dollar est une monnaie fiduciaire et le conser ver comme réserve compor te un risque élevé. En Afrique, le secteur industriel coexiste avec le secteur informel. La Cedeao préconise de le formaliser, afin de lutter contre les violations des droits humains, sociaux et environnementaux.
Quelle est votre opinion à ce sujet ?
Depuis toujours, des Af ricains rêvent de s’enrichir en extrayant de l’or de façon ar tisanale. Mais la pauv reté s’aggrave. Et les dégâts causés à l’environnement sont conséquents.
Depuis mai 20 00, le processus de Kimberley (PK) encadre le secteur diamantaire pour éviter des « diamants du sang », qui finançaient les conflits (notamment au Liberia). Un tel processus pourrait- il être mis en place pour l’or africain ?
Lorsque le processus de Kimberley a été créé, je donnais une conférence à l’Af rica Centre de Covent Garden, à Londres. Mon point de vue était qu’il allait être difficile d’empêcher le s « diamants du sa ng » d’entrer da ns le commerce mond ia l. En ta nt que cl ie nt, comment fa ire pour savoir si un diam ant est exempt de conf lits ?
Au Burk ina Faso, un très bon processus de formalisation du secteur ar tisanal, avec une autorité de l’or pour contrôler les achats, avait été mise en place. Toutefois, un État ne peut contrôler le marché de l’or : la formalisation du secteur informel n’est pas suffisante. Il faut professionnaliser ces entités, qui manquent de compétences, de connaissances et de technologies. L’Union af ricaine, l’AMREC (Classification des ressources minérales énergétiques de l’Af rique), la CCNU (Classification-cadre des Nations unies pour les ressources) pourraient être utilisées pour mettre en place cette professionnalisation. Et l’Af rique pourrait ainsi établir une exploitation minière durable.
« Depuis toujours, des Africains rêvent de s’enrichir en extrayant de l’or de façon artisanale. Mais la pauvreté s’aggrave. Et les dégâts causés à l’environnement sont conséquents. »
Cer ti fier un mi néra l ne permet pa s de ré soud re entièrement le problème. Ou i, nous de vr ion s mett re en place un cadr e, comme ce la a été fa it pour le s diam ants, ma is nous de vons également ab order la question de la prol ifération de s ar me s légère s. Il ex iste, pa r exemple, un proces su s de ce rt if ic at ion de la Conférence inte rnat ionale su r la région de s Gr ands Lacs (C IRGL) pour le s 3TG (éta in, ta nt ale, tu ng stène et or), ma is ce la n’a pas mis fin aux conf lits dans la région. La mise en place de fonds souverains, à l’exemple du « Pula Fund » du Botswana, constituerait une solution. Cela pourrait- il permettre aux États africains de mieux bénéficier de leurs ressources en or ?
L’Union af ricaine a tenu des réunions sur cette question. Les fonds souverains pourraient contribuer à l’exploration, car les serv ices géologiques africains sont sous-financés, et la plupart des données obsolètes. Les fonds de pension investissent principalement là où les risques sont faibles (par exemple, dans l’immobilier). Ils pourraient aussi financer les investissements dans les infrastructures et l’énergie. L’Angola et le Sénégal ont notamment lancé des fonds souverains qu’ils utilisent en partie pour la cartographie géologique Mais il ne faut pas oublier que ces solutions doivent être correctement gérées : le Pula Fund fonctionne, parce qu’au Botswana, la corr uption est historiquement très faible ■
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DR
L’Égypte poussée à la vente
Les investissements massifs des Émirats et de l’Arabie saoudite soulagent temporairement une économie en crise. Mais les résistances sont nombreuses face à ce que beaucoup considèrent comme un bradage d’actifs
Depuis que la Banque centrale égy ptienne a autorisé, le 6 mars, le flottement du taux de change de la livre ég yptienne (EGP), cette dernière s’est effondrée, passant de 31 à 50 livres contre un dollar, convergeant avec le taux pratiqué au marché noir. La Banque a aussi relevé son taux directeur de six points à un record de 27,25 %. L’instauration d’un taux de change flexible constituait une condition du Fonds monétaire international (FMI)
pour débloquer ses prêts à l’Ég ypte, dont la dette extérieure atteint 165 milliards de dollars. Satisfait, le FMI a aussitôt octroyé un prêt de 5 milliards de dollars au pays
BOOSTER LES TR ANSFERTS DE LA DIASPOR A
La décision de la Banque centrale ég yptienne a été prise juste avant le ramadan – mois de festiv ités, et donc de dépenses –, alors même que les 106 millions d’Ég yptiens, dont les deux tiers vivent sous le
seuil de pauv reté, sont étranglés par l’inflation (35 %) La surévaluation de la monnaie vis-à-vis du taux de change officiel – souvent le double du taux pratiqué au marché noir –nuisait cependant fortement aux transferts de la diaspora (10 millions d’Ég yptiens vivent à l’étranger). Entre 2022 et 2023, ces derniers avaient chuté d’un tiers, passant de 32 à 22 milliards de dollars, en raison du taux de change défavorable. Le flottement de la livre pourrait donc les inciter à transférer davantage.
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ANTHONY MICALLEF/HA YTHAM-REA
Sur le bo rd du Ni l, a u Ca ire, en Ég ypte
Depuis fin 2023, les principales sources de devises étrangères du pays sont menacées : le tourisme, représentant 13,6 milliards de dollars de revenus en 2023, est en chute libre.
La guerre entre Israël et le Hamas a fait plonger la fréquentation touristique depuis octobre dernier, les Occidentaux redoutant des attentats. En mer Rouge, les attaques des Houthis yéménites, en solidarité avec les Palestiniens [voir AM 450, mars 2024], ont divisé par deux la fréquentation du canal de Suez, qui avait rapporté 8 milliards de dollars en 2023
LE FONDS SOUVERAIN
ÉMIRATI À LA RESCOUSSE
L’Ég ypte peut cependant compter sur son fidèle allié, les Émirats arabes unis Le fonds souverain d’Abu Dhabi promet 35 milliards de dollars d’investissements, dont 24 milliards afin de développer Ras el-Hikma
Le président Al-Sissi veut faire de cette péninsule de la côte méditerranéenne, à 350 kilomètres à l’ouest du Caire, une nouvelle destination touristique. Cette manne émiratie inespérée suscite toutefois des critiques. De nombreux Ég yptiens déplorent un énième « mégaprojet ». Arrivé au pouvoir en 2013 après avoir renversé le président élu islamiste Mohamed Morsi, le maréchal Al-Sissi multiplie les projets d’infrastructures, qui ont fait tripler la dette, sans pour autant améliorer le niveau de vie par habitant du troisième pays le plus peuplé du continent. L’État est accusé de brader le patrimoine : en 2017, la vente de deux îles de la mer Rouge (Tiran et Sanafir) à l’Arabie saoudite avait déjà suscité la colère populaire. Et un autre mégaprojet de station balnéaire géante vient d’être annoncé à Ras Gamila, dans le sud du Sinaï, probablement au profit d’intérêts saoudiens. ■
Genesis Energy Group se déploie en Afrique francophone Avec le soutien de la BOAD, l’investisseur nigérian entend multiplier les projets d’électricité décarbonée, notamment au Bénin.
La société d’investissement nigériane Genesis Energ y Group et la Banque ouestafricaine de développement (BOA D) ont annoncé début mars la signature d’un protocole d’accord, afin d’implanter ces prochaines années une série de projets d’infrastructures décarbonées et bas carbone dans les pays francophones ouest-africains : centrale électrique combinée bicombustible (turbine à gaz et turbine à vapeur), éolien, solaire, hydroélectricité, systèmes de stockage d’énergie par batterie (BESS), etc.
« Les deux parties travailleront à identifier et développer des projets qui aideront à décarboner l’industrie, promouvoir les énergies renouvelables et renforcer la sécurité énergétique régionale », annonce l’entreprise dans un communiqué. Elle a lancé en 2023 une campagne d’investissements
dans la décarbonation, avec pour objectif « un continent entièrement alimenté en énergie par la nature ». Genesis Energ y Group est en train de construire au Bénin, sur le site de Maria-Gléta, une nouvelle centrale électrique à cycle combiné d’une puissance installée de 41 MW
L’an dernier, elle a inauguré une petite centrale GPL au Mali, à Diatoula, au sud de Bamako Le groupe de l’homme d’affaires nigérian Ak inwole Omoboriowo multiplie les partenariats : en décembre dernier, lors de la COP28, Genesis avait signé un protocole d’accord avec l’USAID (qui coordonne l’initiative Power Africa, lancée par Barack Obama), afin d’implanter pour 10 milliards de dollars de projets d’énergies renouvelables sur l’ensemble du continent au cours des cinq prochaines années. ■
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Éo li en ne s et panne aux so laires au mi li eu du dé ser t. SHUTTERST OCK
Face à la dette, le retour des eurobonds
Le continent redevient attractif sur le marché des obligations, notamment grâce à la perspective prochaine d’une baisse des taux directeurs de la Fed.
La perspective d’une baisse des taux directeurs de la Banque fédérale américaine (la Fed) booste le marché des obligations. La Côte d’Ivoire a ainsi émis en janv ier deux eurobonds d’une valeur de 2,6 milliards de dollars, à environ 8 %, avec des durées de neuf et treize ans. L’appétit des investisseurs était tel que, selon Bloomberg, ces obligations ont cumulé pour 8 milliards de dollars d’ordres d’achat. Le Bénin a, quant à lui, émis une eurobond de 750 millions à 8 %,
et le Kenya – davantage endetté – une eurobond de 1,5 milliard à 10 %.
Les analystes attribuent la récente hausse du shilling kényan face au dollar à une conséquence de cette émission d’eurobonds. Pour rappel, une eurobond (ou euro-obligation) est un emprunt émis en commun par les pays de la zone euro sur les marchés. Ces instruments financiers – qui, contrairement à ce que leur nom indique, sont libellés en dollars –permettent aux États d’emprunter dans une autre devise que la leur
Selon l’agence Bloomberg, en 2024, environ 4,8 milliards de dollars pourraient être levés en eurobonds par les pays d’Afrique subsaharienne. Elle note également un net regain du marché, signalant un changement positif après une année 2023 bien morne. De nombreuses eurobonds émises vers 2010 doivent arriver à échéance entre 2024 et 2032, et ce dy namisme renouvelé du marché obligataire arrive à point nommé. « Cela suscite l’espoir que la crise de financement et de
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NABIL ZORKOT
Le Pl ateau, à Ab idja n, de nu it.
dette en Afrique subsaharienne commencera à se détendre », écrit l’économiste finlandaise Nea Tiililä (Finnfund) dans Financial Af rik
BILAN : DIX HAUSSES EN DEUX ANS
En 2024, l’Afrique ne consacrera pas moins de 74 milliards de dollars aux dépenses liées au service de la dette, selon un récent rapport de la Banque africaine de développement (BAD). L’accumulation de dettes a un impact significatif sur les économies, et notamment sur les marges budgétaires des gouvernements. L’action du FMI en soutien aux pays endettés a néanmoins raffermi la confiance des investisseurs. Surtout, la réser ve fédérale des États-Unis pourrait enfin diminuer ses taux directeurs, après plus de deux années de hausse continue. Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, la Fed, afin de contrer la pire inflation endurée par les Américains depuis le choc pétrolier des années 1970, a entrepris de relever périodiquement ses taux directeurs. La dixième et ultime hausse, en juillet dernier, les a portés dans une fourchette de 5,25 à 5,50 %, un niveau jamais at teint depuis quinze ans. En septembre, la Ba nque cent ra le amér icaine annonça it une « nouvel le hausse » pour la fi n de l’an née 2023, avant d’opérer un changement de ton bienvenu en décembre : non seulement cette onzième hausse n’a ja ma is eu lieu, ma is la réserve fédéra le a prom is « plusieurs ba isses » en 2024 Depuis lors, même si le di rec teur de la Fed Jerome Powell rec higne à don ner une date préc ise pour cette di minut ion ta nt at tendue, la majorité des économistes interrogés pa r l’agence Reuter s fi n févr ier estiment qu’elle inter viendrait « au mois de juin ». ■ DR
Ra ssemb le me nt com munautaire, dans un vi ll ag e ké nya n.
Au Kenya, succès du revenu universel garanti
Les bénéficiaires du programme investissent dans des microentreprises et rénovent leur logement.
Depuis 2018, une organisation non gouvernementale américaine, GiveDirectly, verse un « revenu universel garanti » (universal ba sic income, UBI) à environ 5 000 habitants de 44 villages du comté kényan de Siaya (près du lac Victoria). La somme est distribuée chaque mois (22 dollars) ou pour deux ans (500 dollars), via le système de paiement mobile M-Pesa, à tous les adultes, sans que soient exigées des conditions de ressources ou d’activité, jusqu’en 2030 au moins. Un récent rapport d’étape, signé notamment par Abhijit Banerjee (célèbre économiste américain d’origine bengalie), montre que l’expérience donne des résultats prometteurs. Les familles allocataires ont investi l’argent dans de petites entreprises locales, dont le nombre
a grimpé de 25 %. Les villageois ont en priorité rénové leur logement ou créé leur propre emploi. Les auteurs du rapport parlent d’un « effet psychologique » positif : la sécurité d’un revenu garanti allège le stress (les bénéficiaires évoquent le « bienêtre » apporté par ce pécule). Cet apaisement permet aux allocataires de prendre le risque d’investir dans une microentreprise, et augmente par ailleurs leur productivité (les heures travaillées ont tendance à croître). La consommation sur les marchés environnants a augmenté, mais les prix sont quant à eux restés stables. Des résultats qui semblent battre en brèche, écrivent les auteurs, « une longue tradition économique » tendant à considérer que « l’argent facile » serait susceptible de « rendre les gens oisifs ». ■
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VI VR E MI EU X
Pour les poumons, un dépistage tous les deux ans par scanner à faible dose chez les plus de 50 ans ayant fumé pendant plus de vingt années est testé. À l’avenir, il devrait être possible de dépister les tumeurs simplement à partir de marqueurs dans le sang ou l’urine : quatorze sont déjà identifiés pour des zones différentes. Pa ge s diri gée s par Dan ie ll e Be n Ya hm ed
Cancer : le combattre sur tous les fronts
L’ONCOLOGI E MODER NE a fa it des prog rès considérables, les st ratégies de traitement se diversifient et se person na lisent, permet ta nt de se soig ner avec plus d’ef ficacité.
PR ÈS DE LA MOITIÉ DES CA NCERS pourraient être év ités grâce à une hygiène de vie plus saine. Le tabagisme est à l’origine du plus grand nombre de tumeurs (près de 20 %) La fumée du tabac contient plus de 70 substances cancérigènes. Mais après cinq années d’arrêt, le risque est déjà réduit de moitié
L’autre ennemi est l’alcool Il produit beaucoup de molécules cancérigènes et accroît, proportionnellement à la quantité bue, le risque de développer plusieurs atteintes. Attention aussi au surpoids. Via la masse graisseuse, il augmente la production d’un facteur de croissance stimulant la prolifération de cellules cancéreuses. De plus, il multiplie le taux d’hormones impliquées dans le développement de ces dernières.
Attention aux excès
Côté alimentation, toutes les viandes de boucherie et la charcuterie accentuent le risque de cancers. Pour les premières, il faut se limiter à 500 grammes par semaine, et pour la seconde à 150 grammes. Récemment, une étude française a fait le lien entre la consommation d’additifs émulsifiants et un risque accru de tous cancers – ceux du sein et de la prostate en particulier. Dans la liste des ingrédients des produits industriels (gâteaux, desserts, barres chocolatées, pains, margarines, plats préparés, etc.), ces émulsifiants sont appelés : additifs « mono- et diglycérides d’acides gras » et « carraghénanes », ou E471, E407, E407A. Quant à l’aspartame, trouvé dans les produits et boissons sans sucre, il est à év iter à haute dose, car classé potentiellement cancérigène
Mais tout n’est pas noir dans nos assiettes ! Les fruits et légumes protègent de beaucoup de cancers, grâce à leurs fibres et antiox ydants Il est conseillé
d’en mettre cinq portions au menu chaque jour
Enfin, la sédentarité doit être év itée, car, selon les données scientifiques, elle favoriserait l’apparition de cellules malignes et augmenterait donc le risque de cancer À l’inverse, l’activité physique – au moins 30 minutes par jour – a un effet préventif.
Le dépistage, un must
Les dépistages permettent de déceler des anomalies avant l’apparition de tout sy mptôme Pour le sein ou la prostate, ils permettent une identification à un stade précoce, ce qui augure de traitements plus efficaces, moins éprouvants, avec de grandes chances de guérison Pour l’examen des seins, une technique d’imagerie en 3D appelée tomosy nthèse apporte un progrès : elle détecte de plus petites tumeurs et élimine les faux positifs.
Il existe même des dépistages qui év itent les cancers. C’est le cas pour le côlon : retirer un poly pe, qui pourrait dégénérer, de l’intestin permet de ne pas développer la maladie. Au niveau du col de l’utérus, la détection et le traitement de lésions précancéreuses empêchent une évolution maligne. À noter que pour cette localisation et la zone anogénitale, le vaccin contre les papillomav irus HPV, recommandé par l’Organisation mondiale de la santé chez les adolescents, protège de la survenue de cancers liés à ces virus à l’âge adulte.
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Grâce àdes techniques de visualisation, la chirurgiedev ient de plus en plus mini-invasive. Pour opérerles tumeurs,larobotique s’impose davantage: elle aide le chirurgien àavoir desgestes plus précis,àpréserver au maximumles tissus sains.
En radiothérapie,leperfectionnement des appareils permet de positionnerles rayons au plus près descellulescancéreuses.L’intelligence artificielleafaitson entrée dans ce domaine :elle contribueàdéterminer avecprécisionlecontour de la zone àtraiter,etminimiseainsi lesdoses d’irradiationinf ligées auxorganessains. Parmi lesnouvelles techniques,laradiothérapie FL ASH délivreunhautdébit de rayons en unefraction de seconde. Ceux-citraversentsiv iteles tissus qu’ils irradientlatumeursanscauserdelésions aux tissus sains. Enfin, unethérapie inéditeest en cours d’évaluation :des moléculesleurres font croire à la celluletumoralequ’elle subitdes dommages bienplusélevésqu’en réalité. Résultat :secroyant submergée,elles’autodétruit.L’efficacité estprouvée surles mélanomesetles cancerscolorectaux
Desétudesprometteuses
Concernant la chimiothérapie,des testsanalysant la signaturegénétique de la tumeur peuventpermettre de l’év iter,demêmeque destoxicités inutiles
L’immunothérapie estenplein essor. Ici, il ne s’agit plus de cibler lescellulesmalignes, mais d’aiderl’organisme àles combattre… Desmolécules empêchent le système immunitaired’êtreanéanti parlecancer. Deslymphocytes Tprélevés chez le patientsont modifiés pour exprimer àleursurface un récepteur capabledereconnaître lescellulestumorales : réinjectées, cescellulesultra-défensivesdétruisent l’ennemi.Les thérapiesdites «ciblées »attaquent, elles, lesanomalies descellulescancéreuses impliquées dans leur prolifération et bloquent la croissance du mal. Il en existe environ70etpourlamoitié, un test permet actuellement de vérifier si ellesvont être efficaces. Côté recherche,les vaccinsthérapeutiques suscitentl’espoir. Ilsinciteront le système immunitaireàréagir àdes marqueursspécifiques, afin d’év iter unerécidive. ■ Anni ck Be au co usi n
Infertilité masculine: la pistedes ultrasons
LE CONSTAT ESTINQUIÉTANT :laqualitédu sperme s’est progressivementdégradéedepuis unecinquantained’années. Unefoissur trois, c’est l’hommequi est àl’origine desdif ficultés àprocréerauseinducouple.Cause majeure de ce problème :des spermatozoïdestroppeu mobiles, ayantmoins de chancesdesur vivre dansleurcourse vers l’ovocy te.Ilest prouvé quecet te asthénospermiediminue considérablementlepouvoir fécondant. Malheureusement,iln’y apas de solutionà ce jour,hormis de raresmédicamentsavec deseffetspotentiellementnocifs(altération de l’ADNdes gamètes,par exemple).D’oùl’espoir suscitépar destravaux,publiés dans Science Advances en février dernier,menésàpar tirde 50 échantillons de sperme: leschercheurs ont réussi àbooster la mobilité spermatozoïdes «paresseu grâceàune stimulation par ultrasons en laboratoire. Leseffets se sont même révélés spectaculaires :leur vitesse de déplacement apresque étémultipliée parquatre. Même les cellules reproductricesqualifiées de bien lentes ont, pour moitié, retrouvé une vitesse rapide. Et descellules complètement immobiles ontétonnamment commencé àseréveiller et às’activer.Les ondessonores agiraientenstimulantlemétabolisme énergétique desspermatozoïdes, le mécanisme précis restantàélucider
En at tendant d’autres études pour at tester de l’ef ficacitédecet te techniquesur la fertilité, et pour confirmer sonabsence de nocivité, déjà montréeapriori par lesscientifiques, il s’agit là d’unebelle perspectivedetraitement. ■ A. B.
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SHUTTERST OCK
LE S 20 QU ES TI ON S
Fidèle Ntoogue
Avec SES SKETCHS DÉSOPILAN TS, joués à la télévision et da ns les comedy clubs, l’ hu moriste camerounaise cult ive l’autodérision et raconte son pa rcou rs de femme. Elle prépare un spectacle inspiré pa r l’envers du décor de sa vie d’ar tiste. propos recueillis par Astrid Krivian
1 Votre objet fétiche ?
Mes bracelets de cauris et ma bague.
2 Votre voyage favori ?
Le Congo-Brazzaville. Les habitants sont très accueillants. Ils te parlent comme s’ils te connaissaient depuis toujours, sont très à l’écoute et toujours prêts à t’aider. C’est devenu mon deuxième pays !
3 Le dernier voyage que vous avez fait ? À Brazzaville, justement, pour le festival d’humour Forfait rire. J’ai été reçue comme une star, j’ai signé des autographes !
4 Ce que vous emportez toujou rs avec vous ?
Mes écouteurs ! J’aime rester seule dans mon monde, au milieu des gens.
5 Un morceau de musique ?
« Lonely at the Top », du chanteur nigérian Asake, qui parle de la solitude de l’ar tiste. Et « Mpiaka », de Innoss’B, sur la souffrance en RDC.
6 Un livre su r une île déserte ?
Écrire un one-man-show et monter sur scène, de Christine Berrou. Un guide de techniques pour jouer avec les codes internationaux du rire
7 Un film inou bliable ?
Plutôt une série : Game of Thrones ! Je suis fan du personnage de Daener ys Targaryen, un symbole de combativ ité et de détermination.
8 Votre mot favori ?
« Mince ! », pour exprimer mon étonnement constant, déclencheur de mon écriture.
9 Prodig ue ou économe ?
Je dépense beaucoup, parfois pour des futilités (gadgets multimédias, habits, etc.). Faire les courses calme ma colère : c’est comme une thérapie
10 De jour ou de nuit ?
Les deux Je crée, j’écris la nuit, et je me lève très tôt pour mes enfants.
11 Twitter, Facebook, e-mail, coup de fil ou lettre ?
Facebook, TikTok, Instagram, WhatsApp. Les réseaux sociaux sont un calmant. J’aime lire les histoires que les gens publient, je ris, je m’inspire !
12 Votre tr uc pour penser à autre chose, tout ou blier ?
Écouter des gospels religieux congolais et nigérians. Un vrai pansement.
13 Votre extravagance favorite ?
Mon amour pour les bottes !
14 Ce que vous rêviez d’être quand vous étiez en fant ?
Pilote de ligne. Voir des femmes exercer ce métier où on ne les attend pas me faisait rêver.
15 La dernière rencontre qui vous a marquée ?
L’humoriste congolais Fortuné Bateza Cet homme génial, aux trente ans de carrière, m’a prodigué de précieux conseils. Une bibliothèque vivante, un modèle
16 Ce à quoi vous êtes incapable de résister ?
Au chocolat !
17 Votre plus beau souvenir ?
La naissance de mes enfants. Et ma vie après mon AVC, mieux qu’avant.
18 L’endroit où vous aimeriez vivre ?
L’Australie, pour voir des kangourous !
19 Votre plus belle déclaration d’amou r ?
Le jour de mon mariage. C’était tellement sincère J’en ai pleuré
20 Ce que vous aimeriez que l’on retien ne de vous au siècle prochain ?
Que j’ai fait rire à gorge déployée Que j’ai dénoncé des choses sur scène, guéri des gens avec mes histoires, comme un baume apaisant ■
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DR
Paris 107.5 | Melun 92.3 | Mantes-La-Jolie 87.6 | Abigjan 91.1 Africa RADIO
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