LE CHOC URBAIN
◗ D’ici 2050,undemi-milliard d’Africainsvivront dansles villes.
Une véritablerévolution démographique, sociale et culturelle.
◗ Notresélection de dix« cities »différentesetincontournables.
◗ Voyage danslefutur :entre AbidjanetLagos, la plus grande mégalopole du monde est en train de naître.
DANS L’OBSCURITÉ…
On parle souvent d’émergence, de futur, de croissance… Malgré ce flot de bonnes paroles et d’espérances (légitimes), quelques vérités devraient pour tant s’imposer comme un préalable. Exemple : l’Afrique est un conti nent sa ns énergi e. Au se ns propre co mm e au sens figuré. Nous consommons autour de 5 % de l’ én ergi e pr im aire mo ndi al e, alor s qu e no us re prése ntons 20 % de la popu la tion Aujourd’hu i, mal gré les rattrapages et les investissements, près de 60 % du continent n’ont pas accès à l’électricité, soit plus de 60 0 millio ns de pe rsonnes, dont la très, très g rand e majorité en Afrique subsaharienne Les trois quar ts des Africains n’ont toujours pas accès à des moyens de cuisson propres La puissance globale installée est aux alentours de 20 0 GW, 131,5 GW pour l’Afrique subsaharienne – et 68,25 GW si l’on ne prend pas en compte l’Af riqu e du Su d. La France, à elle seu le, re prése nte 15 0 GW L’Inde, dont la population est quasi équivalente à celle de l’Afrique et où la situation énergétique reste fragile, produit près de 430 GW On mesure notre immense retard.
Cette obscurité permanente pèse dramatiquement sur le développement, la croissance, la qualité de vie des gens, en par ticulier des plus démunis Les coupures de courant, qui durent parfois plusieurs jours, sont une réalité dans la plupart des grandes villes, perturb ant les comm erces, les usines, les hôpitaux , toute la chaîne d’activités. On pense avec tristesse à ces images d’enfants se regroupant avec leurs livres et cahi ers sous les lamp adaires pub lics (pour ceux qui sont allumés…). Comment industrialiser, comment investir, comment produire plus et mieux si l’énergie est absente ou si elle est l’une des plus chères au monde ? Comment favoriser le développement des nouvelles technologies, des data centers, de l’intelligence ar tificielle, par ticulièrement gourmands en énergie ?
Nous sommes comme un géan t sans force, dévitalisé. La population d’ici 2040 devrait at teindre 2,1 milliards de personnes, tandis que l’exode rural et l’évolution conduiraient un demi -milliard d’habitants à s’installer en zones urbaines La demande énergétique et électrique va croî tre d’au moins 60 % d’ici 2030
Et il faudrait près de 30 milliards de dollars d’investissements chaque année dans la production, les réseaux, les solutions hors réseau pour réduire drastiquement la précarité énergétique. Le défi est phénoménal.
Nou s ne sommes pas san s sol ut ion s. Comme d a ns d’autr es se cteu rs , l’Afr ique es t po tenti el lement riche. Riche d’au moins 125 milliards de barils de réserves de pétrole et 18 trillions de mètres cubes de gaz naturel. On connaî t le débat actuel sur la question des combustibles fossiles et l’impact sur le chang ement climatique. Il est légitime. Mais il doit être adapté à nos réalités et à nos urgences Nous produisons peu de gaz à ef fet de serre, et nous sommes déjà les premières victimes de phénomènes générés par d’autres (Américains, Chinois, Canadiens, Européens…). On ne peut pas empêcher un continent entier de s’appuyer, au moins transitoirement, sur ses ressources fossiles
Les deux objectifs – accroître l’accès à l’énergie, tout en atténuant les changements climatiques –devraient être considérés comme complémentaires plutôt que contradictoires . Pa rc e qu e l’Af ri qu e est aussi propriétaire, à terme, d’une par t conséquente du potentiel énergétique renouvelable mondial (10 TW de solaire, 35 GW d’hydroélectricité, 110 GW d’éolien et 15 GW de géothermie). Le continent pourrait produire 5 000 még aton ne s d’hyd ro gè ne par an, se lon l’AI E (Agence internationale de l’ énergie) Nous sommes aussi propriétaire de 40 % des minéraux stratégiques nécessaires à la décarbonation Malgré nos limites, nous sommes déjà engagés sur ce chemin, et nous sommes engagés à quintupler notre production renouvelable d’ici 2030
Les clés d’un tel changement systémique sont connues. L’Afrique a besoin de financements massifs et de transfer ts de technologies accélérés Les pays riches et pollueurs doivent assumer totalement leurs responsabilités, au -delà des belles déclarations d’intention Les États africains doivent assumer leurs obligations en planifiant et développant, dans la mesure de leurs moyens, leur puissance installée. En proposant des projets viables. En assurant la bonne gouvernance et la transparence. ■
3 ÉDITO
Da ns l’obscurité parZyadLimam
6 ON EN PARLE
C’ESTDEL’A RT,DELACULTU RE , DE LA MODE ET DU DESIGN
Le modernisme tropical s’invite àLondres
24 PA RCOURS
Marc Johnson parAstridKrivian
27 C’ESTCOM MENT ?
DirectionK igali… parE mmanuelle Pontié
50 CE QU EJ’AIA PPRIS OUM
parAstridKrivian
80 LE DOCUMENT
Au cœur
desser vices secrets parE mmanuelle Pontié
TEMPS FORTS
28 Le city choc parZyadLimam, Emmanuelle Pontié,RémyDar ra s et Cédr ic Gouver neur
36 Abidjan-Lagos: Naissancede la plus grande mégalopole dumonde ? parRémy Darras
42 AfriqueduSud : Dans l’attente du grandchangement parCédricGouverneur
52 Marc Terr isse :Estevanico, prem ierexplorateur afr icain du Nouveau Monde parAstridKrivian
58 L’incroyableprésence d’IbnK haldou n parFrida Dahmani
96 VI VR EMIEUX
LE CHOC URBAIN
PHOTOSDECOUVERTURE:
Protégez vosyeu x parAnnickBeaucousin
98 VI NGTQUEST IONS À… Mamane
parAstridKrivian
64 DorcyRugam ba : «À traversses ar ts, le Rwanda retrouve sonâme » parAstridKrivian
70 Yasm ineBen kiran: «J’avais envied’u nsou ffe romanesq ue » parAstridKrivian
76 Babatu ndeApalowo : «Raconterles sentiments impossibles» parJean-Mar ie Chazeau
AfriqueMagazine estinterd it de diffusion en Algériedepuismai 2018.Une décisionsansaucunejustifcation.Cet te grande nation africaineest la seuleducontinent(et de toutenot re zone de lect ure) àexercer unemesuredecensu re d’un autretemps Le maintien de cettei nterdictionpénalise noslecteursalgér iens avanttout, au moment où le pays s’engage dans un gra nd mouvement derenouvellement. Nosa misalgér iens peuvent nous retrouversur notresiteI nter net : www.afriquemagazine.com
84 Cacao : s’adapter à l’explosion des cours
88 John Kwame Gyan : « On peut s’attend re à une augmentation du rable des pr ix »
90 Au Ghana, les OGM de la discorde
91 Le dollar US casse le Zimbabwe Gold (ZiG) par Cédr ic Gouver neur
92 Tahirou Barr y : « Grâce au Groupe MSC, nous allons êt re au cœur des transfor mations de l’Afrique » par Emmanuelle Pont ié
94 Cobalt : Kinshasa envisage des quotas d’exportation
95 Le cours du thé s’envole par Cédr ic Gouver neur
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ON EN PA RL E
C’est ma in te na nt , et c’est de l’ar t, de la cu ltu re , de la mo de , du de si gn et du vo ya ge
Ph oto graphi e de pla te au re présenta nt la Mfants ipim Scho ol , à Ca pe Coa st, au G hana
LE MODERNISME TROPICAL S’INVITE À LONDRES
Aujourd’
hu i à la mode sous
l’appellat
ion CONCRE
TE JU NGLE
, ce st yle arch itectu ra l
su r une long ue histoi re, entre colonial isme et décolonisation, qu i mérite le détour.
repose
LE SUCCÈS de l’exposition sur le modernisme tropical en Afrique de l’Ouest présentée par le Victoria and Albert Museum à la dernière Biennale de Venise a poussé le musée à la reproposer cette année dans ses locaux de Londres, en version étendue et augmentée. Installée dans des pièces séparées par des cloisons aux couleurs vives et des murs à persiennes qui font écho aux motifs du courant architectural, elle explore son histoire avant et après les indépendances, en Inde et en Afrique, notamment au Ghana. À travers des photos d’époque, des maquettes, des plans, des croquis et de captivantes vidéos documentaires et d’archives, le visiteur découv re le travail des Britanniques Jane Drew et Maxwell Fr y, les premiers à plaider pour l’adaptation du design des bâtiments au climat des colonies africaines Mais aussi la façon dont les architectes locaux se réapproprient le modernisme, détournant ses racines Bauhaus à la faveur de traditions locales. Et comment les Premiers ministres de l’époque postcoloniale,
tels que Kwame Nk rumah, en font un outil au serv ice de la construction de la nation et un sy mbole pour un avenir de puissance, de liberté et de progrès, en rupture avec le passé. ■ Luisa Nannipieri
Ma xwell Fr y dans ses bu re au x de Lo ndres, au x côté s de l’archite cte si er ra -l éo nai s Joh n No ah
« TROPICAL MODERNISM: ARCHITECTURE AND INDEPENDENCE », V&A South Kensington, Londres (Royaume-Uni), jusqu’au 22 septembre vam.ac.uk
PALACE EN COULISSES
LESFEM MESDECHA MBRE d’un grandhôtel de lu xe pa risien se rebiffent pour de meilleu rs sa la ires et cond it ions de travail.Uncasting af ro-européenréjou issa nt !
PLUSIEURS MOUVEMENTS de grève dans des hôtels ces dernières années ontinspiré le réalisateur Nessim Chikhaoui, qui s’est aussi souvenu de ses tantesfemmesdechambres, venues de Tunisie en France, et desmèresdeses copains.L’action se situe dans un palaceparisien, etpour incarner cesinvisibles quipréparent leslitsetnettoientles salles de bains après les clients, il achoisi des comédiennes au caractère bien trempé. La doyenneest une Française «desouche »incarnée par une CorinneMasieroàcontreemploi, revêche et réac (« arrête avec tes trucs de gauchiste», dit-elle àune jeune collègue), àl’opposé de ses prises de position publiques et de son personnage de capitaine Marleau !Autour d’elle,les Ivoiriennes SalimataKamate et Marie-Sohna Condé font le job avec panache,entre exubéranceetrésilience, tout comme la flamboyante Franco-Sénégalaise Maïmouna Gueye. De l’autre côté, Mariama Gueye incarne unegouvernante (presque) sans pitié pourles employées, au nom de l’amour du travail bien fait et de la bonnemarche de l’entreprise: une afro-descendante dans la hiérarchie, ça ajoute de la nuance au propos politique, qui dénonceavanttoutleproblème de la sous-traitance, rendant malléable unemain-d’œuvre tributaire du renouvellement de ses papiers… Même le syndicalistenejoue pas les grandes gueules et cadre les manifestantessansleur voler lavedette: c’est Kool Shen, l’ex-rappeur de NTM. Dommage que le scénario etla mise enscèneinvisibilisent le restedeladirection etles clients, qu’on ne croise jamais dans les couloirs… ■ Jean-Marie Chazeau
SO UN DS
Àécouter maintenant !
Iman iAssuman i Décibel,MoyoP roduct ions.
ÉlevéenBelgiquepar desparents congolais, instrumentiste et producteur de talent, cofondateurdulabel Moyo,dénicheur de talents de Kinshasa, ImaniA ssumani témoignedetoute la beauté de sontimbresur ce premier EP d’unegrandesensibilité, auxtextesciselés,oùle groove ne choisitpas entreorganique et sy nthétique. Àsavourer d’urgence!
Blue La bBeats
Bl ue Ecli pse,Blue Note
Si AngéliqueK idjo afaitappel àeux, ce n’estpas pour rien.NamaliKwaten et DavidMrakpor formentl’undes duos londoniensles plus en vogue, sans douteparce qu’ils ne s’interdisent aucune audace sonore,jonglant entrejazzetR’n’B,sansoublier la musiquedeleurs origines africaines. Pour preuve: cetalbum exigeant, mais aussifestif et fédérateur
BlackLives
Pe ople of Eart h, Ja mm in’Colors
Rassembléautour du bassisteReggie Washington,ce collectifàgéométrievariable mais àcœurfidèleconvoque lessonorités résiduellesdeses 26 différents membres,originaires aussibiendes États-Unis que desCaraï bes, d’Europe,etbiensûr du continentafricain. C’estjazz, mais aussisoul, hip-hop ou gospel, ultra-accessible et d’uneénergie contagieuse. ■ Sophie Rosemont
PETITESMAINS (France),deNessi mChik haou i. Avec LucieCha rles-A lf red,Marie-SohnaCondé, Sa limataKamate. En sa lles DR (5)
Le ta pi s rouge cann ois accue ill e chaq ue anné e de nom breu x ta le nt s du gran d écran
CANNES SANS PALME AFRICAINE
Aucu n fi lm du cont inent ne concou rt pour le prestigieu x pr ix, cette an née. Ma is la 77e éd it ion du célèbre fest ival RÉSERV E QU ELQU ES SU RPRISES…
PAS DE FILM AFRICA IN EN LICE pour la Palme d’or 2024 – désignée par Omar Sy. Après une édition riche pour le continent l’an dernier, de rares productions subsahariennes se sont glissées dans les autres sélections cannoises : pour la première fois, un film somali (The Village Ne xt to Paradise, de Mo Harawe) et un film zambo-guinéen (On Becoming a Guinea Fowl, de Rungano Nyoni) sont dans la section bis « Un certain regard », dont le jury est coprésidé par la franco-sénégalaise Maïmouna Doucouré, aux côtés de Xavier Dolan. Mais les films arabes sont au rendez-vous, même si ce n’est pas pour la récompense suprême, à commencer par la première mondiale du nouveau Nabil Ayouch : Ever ybody Loves Touda, avec Nisrin Erradi (v ue dans Reines, de Yasmine Benkiran). Le long-métrage d’un autre Marocain est présenté à la Semaine de la critique : La Mer au loin, de Saïd Hamich Benlarbi. Deux films ég yptiens, un film saoudien et un documentaire sur une personne transgenre palestinienne, La Belle de Gaza (en salles en France le 29 mai), sont également au programme. À noter, enfin, que le cinéaste
Nisr in E rrad i dans Eve rybody Love s Toud a, de Nabil Ayou ch
haïtien Raoul Peck présente un documentaire sur le premier photographe noir sud-africain au temps de l’apartheid, Ernest Cole, que le cinéaste de la diaspora congolaise, Baloji, copréside le jury de la Caméra d’or avec Emmanuelle Béart, et que le comédien américano-mauritanien Mamoudou Athie, natif de Nouakchott, joue dans Kind s of Kindness, de Yorgos Lanthimos, aux côtés d’Emma Stone et Willem Dafoe, un film qui est, lui, en compétition pour la Palme. ■ J.-M.C 77E FESTIVAL DE CANNES, du 14 au 25 mai.
MDOU MOCTAR, Funeral for Justice, Matador.
RY TH ME S
MDOU MOCTAR Électrique politique
FU NE RA
L FOR JUST
ICE, second al bu m hautement inf la mmable, affi rme les conv ictions du groupe toua reg, acti f depuis 2008.
LES GUITARES s’entrechoquent, optent pour un crescendo, avant de laisser place aux mélopées ty piquement touareg, entrecoupées de riffs et de ruptures rythmiques. C’est d’une beauté lancinante, et ça vous plonge sans préavis dans le nouvel album de Mdou Moctar. Parce que la musique est ici aussi électrique que poétique, Funeral for Ju stice met ses cordes au serv ice d’une dénonciation, celle de pays occidentaux, souvent anciennement colonisateurs, tant aveugles que sourds au quotidien du continent africain À commencer par celui, éprouvant, de la communauté touareg au Niger, le pays d’origine du quatuor mené par le chanteur et guitariste Mahamadou Souley mane, alias Mdou Moctar, encore sous le choc du coup d’état de 2023 Pour témoin, la chanson « Sousoume Tamacheq », qui rappelle l’oppression dont sont victimes les Touareg, aussi bien au Niger et au Mali qu’en Algérie. « Au-delà du manque d’unité, l’ignorance est le troisième enjeu », déplore Mahamadou Souley mane, entouré de ses compatriotes Ahmoudou Madassane, choriste et guitariste ry thmique, et l’énergique batteur Souley mane Ibrahim. Après la révélation fracassante d’Af rique Victime, album d’un rock déjà très affirmé, celui-ci ne fait pas de quartier : neuf pistes renfermées dans un écrin teinté d’un blues du désert brûlant et volontiers psychédélique, de « Imouhar » à « Tchinta », parfois traversé d’accalmies mélodiques (« Takoba ») Produit par le bassiste Mikey Coltun, qui a rejoint Mdou Moctar il y a quelques années, le bien nommé Funeral for Ju stice assortit ses sonorités à son engagement politique, anticapitaliste et anticolonialiste. En atteste le titre « Oh France », qui dénonce la cruauté des stratégies politiques françaises sur la terre nigérienne. Lorsque la ballade (hautement ry thmée) de « Modern Slaves » ferme Funeral for Ju stice, le désir de liberté de Mdou Moctar a fait effet, avec tout ce qu’il implique d’utopique, certes, mais aussi de tangible ■ S.R.
T
FACETTES MULTIPLES
Un regarda ig uisé su rlacondition DESFEM MES en Tu nisie.
Fr un en L 51
e vie révolutions, a Découverte, 2 pages, 28 €
L’EXTRAORDINAIRE DESTIN DE FRANTZ FANON
Adam Shatzret race lesM ILLE ET UN EV IESdupsych iatreetessay iste ma rt in iq ua is,deson pays d’or ig ineà l’Af riq ue noire, en passantpar l’Algérie.
LA BIOGRA PHIE politiqueetintellectuelledurédacteur en chef pour lesÉtats-Unisdela London Review of Book s pose un regard neuf surlapensée de l’auteur des Damnés de la terre (1961).Une pensée quientre en résonanceavecles questionnementscontemporains lesplusbrûlants, tout en témoignant desbouleversements politiques et intellectuelsdu XXe siècle.L’itinérairerévolutionnaire de Frantz Fanon, hautefiguredelalutte contre lesaliénations et lesdominations,selit commeunthrillerdeladécolonisationetdela guerre froide. On redécouvredanscetexte tout en minutie l’homme, ses interrogations,son combat pour la libération de la France, son exerciceauseinduser vice de psychiatriedel’hôpitaldeBlida, en Algérie, puis sonengagementpourl’indépendancealgérienne auxcôtésduFLN.Surtout connue pour sesessaissur la colonisation, et surles catastrophes psychologiquesetpsychiatriques engendrées parcette dernière,cette étoilefilante resteà jamais,endépit d’unev ie brève, uneicône de la liberté. ■ Catherine Faye
OÙ EN SONT leslibertésféminines surl’île de Djerba qui, malgré le tourisme,est connue pour sonconservatisme ?C’est àcette question quedoitrépondreEmna, avocate tunisienne, la quarantaine, lors d’unemission consacrée auxfemmesrurales de Tezdaïne, afin d’évaluerleurdegré d’autonomie,de soumission et leurs relationsavecleur conjoint: «Mon travail doit préparer la mise en placedecentres d’aide àtravers toutel’île.» Pourtant,peu àpeu,ses convictionsetses certitudes de femmeémancipée se disloquent. La confiance, durementgagnée, libère la parole,les rires, lesconfessions, parfois étonnantes,comme surlasexualité.
Le bonheur, lesidéaux, lesdroits… Au-delà de la condition féminine, de l’acceptable ou non, d’autres réf lexionsémergent. «Jenecrois plus auxrévolutions. Mais il suffitparfois d’un changement minusculepourque lesêtres prennent un nouveaudépart. »Unmanifeste efficace et tout en nuances. ■ C.F.
AZZA FILA LI, Malentendues, Elyzad,344 pages, 23 €.
À PORTÉE DE MAIN
Une plongée en 3D au cœur de l’Ég ypte antique : ses divi nités, ses PH AR AONS LÉGENDAI RES et ses chefsd’œuvre ar t istiques.
PIONNIER des expositions digitales, l’Atelier des Lumières invite à un voyage dans le quotidien d’une civilisation my thique, bâtisseuse de py ramides et artisane de génie, qui a dédié son art à la gloire des pharaons, et sa vie aux divinités, dans l’espoir d’accéder à l’au-delà. Projeté sur les structures d’une ancienne fonderie datant de 1835, le spectacle tridimensionnel remonte le temps et s’immerge dans l’opulence et la démesure de trois mille ans d’histoire, à travers des bas-reliefs, des fresques, des sculptures et des architectures monumentales, ou encore des tombeaux reconstitués L’écriture du parcours puise son inspiration dans les récits my thologiques, dans l’esthétique véhiculée par le cinéma et la dramaturgie de l’opéra, tout en s’appuyant sur une bande-son contemporaine, où Philip Glass, Peter Gabriel et Massive Attack créent un lien intemporel entre les
« L’ÉGYPTE DES PHARAONS DE KHÉOPS À RAMSÈS II », Atelier des Lu mières, Paris (France), jusqu’au 5 janvier 2025 atelier- lumieres.com
forces sacrées des dieux et l’humanité Sans compter que le numérique permet de rassembler, par l’illusion du spectacle visuel, des œuvres exposées du Louvre au MET, du British Museum à l’Ermitage, en passant bien sûr par le Grand Musée ég yptien du Caire. Une expérience hors norme. ■ C. F.
EMEL, MRA, Yotanka.
EMEL RÉVOLUTION AU FÉMININ
La figu re de proue DE LA RÉVOLU TION
TU NISI EN NE revient avec MR A, un superbe nouvel al bu m, où l’on da nse auta nt que l’on revend iq ue son fémi nisme.
POUR ET PA R LES FEMMES : c’est ainsi qu’Emel Mathlouthi a envisagé ce disque, pour lequel elle s’entoure d’artistes telles que la chanteuse malienne Ami Yerewolo (sur l’abrasif « Nar »), les rappeuses Justina et Alyona, respectivement iranienne et uk rainienne, ou encore la chanteuse française Camélia Jordana, sur le très réussi « Mazel ». Parce que le discours féministe ne peut pas être qu’une posture, la chanteuse tunisienne le défend à travers douze titres intenses et aux titres évocateurs, de « Massive Will » à « Pride », à l’indéniable inventiv ité sonore Si le terreau est mélodique, organique, les arrangements puisent dans l’électronique sous toutes ses formes, et les textes, eux, se partagent entre arabe, français et anglais. Aux armes, citoyennes du monde ! ■ S.R
AL BU ML’un e de s pi èce s text il es d’Enam Gb ewonyo.
e ins ta
Na Ch ainkua Reindor f ré inte rprète la tradi ti on du cos tu me de ca rnava l.
RÉCITS D’UNE AUTRE HISTOIRE
À Anta na na rivo, 22 ar tistes ex plorent la mémoi re pa na fr icai ne, son pouvoi r na rrat if et sa capacité à QU ESTION NER NOTR E VISION DU MON DE.
LA MÉMOIR E collective se compose de récits et d’expériences éparpillés dans les mémoires individuelles. C’est à partir de ce constat, et face au risque de voir disparaître cette my riade de paroles plurielles, que Nadine Hounkpatin et Céline Seror ont conçu l’exposition panafricaine « Memoria : récits d’une autre Histoire ». Présentée à Bordeaux lors de la Saison Africa2020, puis à Abidjan et à Yaoundé, avec une liste d’œuv res et d’artistes repensée à chaque fois, elle s’installe à la Fondation H d’Antananarivo pour une quatrième itinérance entièrement développée dans et pour le contexte local. Sur les 22 artistes invitées, de Selly Raby Kane à Mary Sibande, en passant par Enam Gbewonyo ou Na Chainkua Reindorf, cinq sont basées à Madagascar et trois autres sont issues de la diaspora malgache À travers une multiplicité de médiums et de perspectives, leurs œuvres interrogent le pouvoir de dénonciation de la mémoire, notamment sur les questions de genre, de postcolonialisme, de la représentation du corps noir ou de l’exploitation des ressources. Et explorent la possibilité de donner vie à un futur créatif, décomplexé, fort d’une mémoire assumée et célébrée. ■ L. N. « MEMORIA : RÉCITS D’UNE AUTRE HISTOIRE ».
Fondation H, Antananarivo (Madagascar), jusqu’au 28 février 2025 fondation -h.com
ÉCHAPPÉE BELLE
Trois femmes da ns un poids lourd, et UN E COURSE-POU RSUI TE
À
TR AV ERS L’AT LAS, la police au x trousses ! Plus du re sera la chute…
UNE MÈR E DE FA MIL LE S’ÉVADE de la pr ison de Casablanca pour rester avec sa fille, et braque un vieu x camion, forçant une jeune et frêle apprentie mécano à prendre le volant ! C’est part i pour un road-movie en darija, qui mult iplie les clins d’œil à la cult ure populaire marocaine : la reine des djin ns, Aïcha Kandisha, obsède la fillet te, qui vérifie que les pieds des femmes qu’elle croise n’ont pas la forme de ceux d’une chèv re comme la sorcière des contes… Présenté à la Most ra de Venise en 2022 et pr imé dans de nombreu x festivals, ce premier film de Yasmine Ben kiran est sorti au Maroc l’an dernier, avant d’ar river ce mois-ci dans les sa lles françaises. Son ancrage très local est loin d’êt re un handicap, et la réalisat rice mult iplie les clins d’œil au film de genre hollywoodien, avec quelques adaptations à sa sauce, très féministe : l’auto -stoppeur de Thelma et Loui se (1991), de Ridley Scot t, incarné par un jeune Brad Pitt toxique, est remplacé par un gentil et beau villageois des montag nes, qui n’a rien du drag ueur lourdingue. Et la petite Inès embarquée de force dans les superbes paysages de l’At las fait penser au petit
garçon en levé par un hors-la-loi dans Un monde parfait (1993), de Clint East wood, à travers les paysages sublimés du sud des États-Unis. Mais on est bien au Maroc, dans un vieu x Berliet de quinze tonnes comme il en circule encore sur les routes du royaume, transpor tant des paraboles pour satellite, avec un improbable trio féminin derr ière le pare-brise ! Non contente de jouer avec tous les genres du cinéma, et de donner ses rôles pr incipaux au x femmes, la cinéaste maroco-française s’amuse avec ses personnages secondaires, comme cet improbable duo composé d’un vieu x flic cy nique et tendre, et de sa collèg ue mutique et appliquée. Le résultat est réjouissant, emporté par l’énerg ie de Nisr in Er radi dans le rôle de Zineb, cette mère en cavale, insolente et solaire. On peut simplement regret ter le côté parfois trop prév isible du scénar io, lors de l’évasion ou pendant la scène finale Quoi qu’il en soit, le cont rat d’un film d’aventures populaire et moderne est rempli ! ■ J.- M.C. REIN ES (Maroc-France), de Yasm ine Benk iran. Avec Nisr in Er radi, Nisr ine Bencha ra, Rayhan Guaran En sa lles
QUE LE MEILLEUR GAGNE !
Une TR AV ERSÉE MU LT IPLE, des prem iers Jeux olympiques d’At hènes 1896 au x Jeux olympiques et pa ra ly mpiq ues de Pa ris 2024.
D’ABOR D, il y a ces destins incroyables. Celui de Jesse Owens à Berlin, en 1936, quatre médailles d’or, piétinant les thèses racistes du régime nazi Ou encore celui de Tommie Smith, de John Carlos et de Peter Norman, poings levés gantés de noir, dénonçant la ségrégation aux États-Unis à Mexico, en 1968. Comment oublier Nadia Comaneci, en 1976, sy mbole de la stratégie sportive des pays de l’Est, ou Cathy Freeman, drapeaux australien et aborigène sur les épaules, lors de sa victoire aux Jeux de Sydney, en 2000 ?
Avec près de six cents œuvres, documents, films d’archives, objets, articles de presse et photographies, l’exposition fait ainsi dialoguer figures sportives, événements historiques et grands témoins de cette épopée humaine et athlétique. Telle une histoire globale, traversée par des conf lits internationaux majeurs et des combats multiples, venant retracer cent trente ans d’évolutions géopolitiques, politiques, sociales et culturelles, depuis la création des Jeux olympiques : l’événement sportif international le plus médiatisé au monde. ■ C. F.
« OLYMPISME, UNE HISTOIRE DU MONDE, » Palais de la Porte-Dorée, Paris (France), jusqu’au 8 septembre 2024. palais- portedoree.fr
ZINEB MEKOUA R, Souviens-toi des abeilles, Ga lli ma rd, 176 pages, 19 €
DE SOLEIL ET DE MIEL
Après La Poule et son Cumin, fi na liste du Goncou rt du prem ier roma n 2022, Zi neb Mekoua r revient avec UN TEXT E SENSUEL ET
ÉLOQUENT.
DA NS SON PR EMIER ROMA N, elle proposait une fresque où le destin des héroïnes épouse les clivages sociopolitiques du Maroc contemporain Deux trajectoires s’éloignant inexorablement. Cette fois, elle distille une histoire intime et universelle, entremêlant amour maternel et enfance, scintillement du miel et silence, nature brute et secrets enfouis. Le va-et-vient des abeilles raconte « des odeurs de lavande, de menthe, des parcelles cultivées maladroitement, des tomates, des enfants, une mosquée, des vieux qui jouent aux cartes sous l’arganier centenaire ». Le propos se nourrit de passions, de combats, d’un engagement et d’un militantisme prégnants. L’onirisme vient ainsi servir plus d’une cause : la transmission, le lien, le respect de la planète, la quête de justice, de solidarité L’espoir Ce n’est pas un hasard si le récit s’ancre dans le Haut Atlas. Là, s’étire le rucher collectif d’Inzerki, le plus grand et sans doute le plus ancien au monde, où des millions d’abeilles produisent un miel d’exception. Ce trésor du patrimoine amazigh, préser vé à l’aide de savoir-faire ancestraux, est aujourd’hui menacé à cause du manque d’eau. Dans cet environnement soumis aux ravages du réchauffement climatique, l’écrivaine a puisé son inspiration et mis au monde Anir, son protagoniste, à l’écoute des légendes, des savoirs, des traditions et de la nature. Il apprend à s’occuper des abeilles et à aimer la terre rouge et aride du sud. Et le miel ne cesse jamais d’agir comme un baume aux pouvoirs sy mboliques. ■ C. F.
STYLE AFROPOLITAIN
i & Ki mi ré cu père le s ti ssus de s maiso ns de lu xe, le s associe à de s matiè re s et moti fs af ricains, et propose un st yl e poi nt u.
La bel basé à Pa ris, ma is ANCR É DA NS LE MONDE, IMI & KIM I s’ inspire du cont inent et des diasporas : à su iv re et porter sa ns modération !
HENR I PHILIPPE MAÏDOU, le créatif derrière le label parisien Imi & Kimi, est un vrai cosmopolite Fils d’un diplomate de la République centrafricaine, il grandit en voyageant d’un bout à l’autre du monde. Passionné par le basket, il devient joueur professionnel à l’adolescence et entame une carrière en France et aux États-Unis Puis il se réinvente en entrepreneur touche-à-tout : de l’import-export à la restauration dans sa Centrafrique d’origine. Quand il se retrouve vendeur dans une boutique parisienne de tissus de luxe, où il côtoie ceux d’Armani ou Hermès, il se découvre un talent pour la haute couture et lance son premier label de vêtements sport-chic Mais c’est la rencontre avec un grand tailleur
guinéen, le père de Sadio Bee, qui lui fait comprendre l’importance de la demi-mesure, des proportions, de l’équilibre et du tombé impeccable Tant de techniques qui participent à la réussite d’Imi & Kimi – un nom en hommage à ses filles Imani et Kimora. Le label transculturel qu’il crée en 2016 pour habiller ceux qui, comme lui, ont les pieds sur plusieurs continents : des Afropolitains élégants et sportifs, qui aiment célébrer leurs racines, comme le basketteur Victor Wembanyama, les chanteurs Fally Ipupa et Burna Boy, ou le mannequin Florence Baitio Pour confectionner ses drops (il en a déjà sorti huit), Maïdou travaille toujours à partir de restes de productions de maisons de luxe, qu’il mélange avec du bazin, du bogolan, des broderies marocaines ou des motifs masaï. Ses dernières silhouettes, presque entièrement en denim, jouent avec des boutons en métal et des coupes croisées audacieuses et espiègles Et si les élégants trenchs double face rembourrés, crème et kaki, semblent s’éloigner du st yle bariolé de certaines collections précédentes, l’amour pour les volumes et le dessin des épaules est toujours le même, inscrit dans l’ADN de la marque En ce moment, le designer apporte les dernières touches à sa nouvelle ligne, « Black Summer », inspirée par les étés passés à Bangui Et on l’attend avec impatience ! imiandkimi.fr ■ L.N.
Le bronze des hommes intègres
À la fois st ud io de design et atel ier collecti f, Ma ison Intègre préser ve fièrement un savoir-fai re ancest ra l et assu re de NOU VELLES PERSPECT IV ES.
FA BR IQUER des pièces en bronze avec la technique de la cire perdue est une tradition ancestrale au Burkina Faso, où le secteur s’est organisé autour de micro-ateliers. Un monde dans lequel chaque corps de métier travaille de son côté, et où le projet lancé en 2017 par Ambre Jarno a été une petite révolution. Ancienne employée de Canal+, elle arrive à Ouagadougou à 24 ans et tombe sous le charme du pays et du savoir-faire de ses artisans. Elle s’y installe définitivement quelques années plus tard pour créer Maison Intègre, dans le but de préser ver l’artisanat du bronze, tout en le faisant évoluer. En 2022, le studio inaugure sa propre fonderie et, avec le soutien de quelques bronziers français, organise un atelier commun qui accueille une dizaine de personnes : maîtres bronziers, mouleurs, soudeurs, redresseurs ou encore finisseurs Cette cheffe d’orchestre de talent est heureuse de donner vie à des pièces uniques et à des séries originales à partir de matières locales – depuis la cire d’abeilles du Nord pour le modèle à la terre de Ouaga pour le moulage en terre cuite, en passant par le bronze recyclé pour la coulée. Seuls les dernières finitions, réalisées en France, et les dessins des pièces ne sont pas burkinabè – pour l’instant ! Mais cela n’empêche pas les designers partenaires d’honorer l’univers des peuples Kassena ou Lobi, et de reprendre les objets du quotidien et traditionnels, rendant hommage à la richesse culturelle de la région maisonintegre.com ■ L.N.
La l amp e Za ka a été conçue pa r l’ateli er en ma ti ères loca le s.
ON EN PA RL E
Le gas tro ré cemment pri mé, at ypiq ue et ac cu ei l la nt propose un e car te mu lti cu ltu re ll e.
SE RÉGALER
À OUAGA
Entre un nouveau resto GAST RONOMIQU E at ypiq ue et les verres or ig inau x du ROOFTOP le plus cool de la vi lle, la capita le du Bu rk ina a beaucoup à offr ir.
PA RMI LES INCONTOURNA BLES de Ouagadougou, primé lors de la dernière Restaurant Week pour le concept original, figure l’Atelier by Diacfa On découv re un restaurant gastronomique à l’étage du showroom du concessionnaire haut de gamme, avec vue sur les bolides. Lieu at ypique, mais accueillant, avec une déco inspirée par l’histoire de l’automobile, l’Atelier a ouvert à l’automne dernier sous l’impulsion de la direction, avec deux chefs d’exception aux fourneaux. L’un d’entre eux a même été désigné ambassadeur de la gastronomie internationale au Burk ina Faso La carte est multiculturelle, avec quelques clins d’œil à l’Afrique : du brisket de bœuf fumé 12 heures aux ravioles maison au foie gras, en passant par le risotto soumbala au poulet fumé et le filet de capitaine aux agrumes et shiitake
Le S unset est th e pla ce to be, pour dég us te r de s cock ta il s en mu si qu e.
Pour siroter des cocktails, le roof top incontournable de la ville est le Sunset. Ouvert il y a deux ans par le Martiniquais Grégory Larcher, un peu par hasard, il a eu un succès retentissant. Cette terrasse décontractée attire aujourd’hui une clientèle mélangée, qui vient se relaxer en écoutant le meilleur DJ du pays Les boissons sont sans alcool, comme l’Amazone – gingembre, caramel, jus d’ananas et menthe –, ou avec Les jus ici sont frais et faits maison, mais la vraie star, c’est le rhum Il arrive tout droit de Martinique et on peut le boire seul (il y en a toujours sept ou huit différents à la carte) ou dans des cocktails classiques et signature, comme le Bling Bling – rhum blanc, vanille, poiv re et anis étoilé – ou le Golden Parachute, avec rhum vieux et champagne. @latelierouagadiacfa/@sunsetouaga ■ L.N.
Versatile et visionnaire
AU RWAN DA, la flex ibilité du Komera
Leadersh ip Center allie au ma intien du lien social en zone ru ra le le combat pour l’émancipat ion des jeunes fi lles.
LE MOT RWANDA IS « komera » (en langue kinyar wanda) signifie avoir du courage. C’est aussi le nom d’une ONG engagée pour l’émancipation des jeunes filles basée à Rwinkwav u, un village à deux heures de Kigali, à proximité de la frontière tanzanienne Et du remarquable centre communautaire et éducatif que l’ONG a construit avec le cabinet BE _Design, fondé en 2016 par l’architecte Bruce Engel, pour implémenter ses programmes de santé, d’éducation et de mentorat Conçu comme un lieu ouvert à la communauté rurale, il se trouve sur la route principale, en face du terrain de foot, et s’articule autour d’un corps central modulable doté de
grands panneaux translucides Fermés, ils créent trois salles de classe. Ouverts à 90°, ils délimitent une grande salle de réunion, et à 270°, ils transforment radicalement l’espace pour accueillir spectacles et cérémonies. Un grand toit et des brise-soleil en eucaly ptus tressé relient le bâtiment principal aux toilettes, à la cuisine, aux bureaux et aux cabinets de consultations dédiés aux filles, créant une multitude d’espaces interconnectés et abrités. Les géométries du centre, de la forme du toit aux motifs des murs en briques, s’inspirent de l’art traditionnel décoratif de l’Imigongo et témoignent de l’implication des habitants dans la construction. ■ L.N.
Les in gé nieu x vo lum es du ce nt re s’adapte nt au x be soi ns , et re nd ent hom mage à l’ar t de l’Imig on go
Marc Johnson
Les TAPISSERIES PUISSANTES ET ONIRIQUES
de l’artiste franco-béninois s’inspirent du poème de Derek Walcott, The Sea Is Histor y. L’histoire, son récit et la cohabitation des règnes du vivant sont au cœur de sa pratique. propos re cueillis par Astrid Krivian
I« Th e Se a Is Hi stor y (After De re k Wa lc ot t) », Ma rc Joh nson, Gal er ie M it te rrand, Pa ri s (Franc e), ju squ’a u 16 ma i 2024.
l a conçu des tapisseries inspirées du poème The Sea Is Histor y, du Caribéen d’expression anglaise Derek Walcott, prix Nobel de littérature « L’océan est ici une allégorie de la nature, mais aussi un organisme vivant qui conser ve l’histoire de la circulation des corps et des marchandises, un trauma lié à l’esclavage », analyse l’artiste franco-béninois Marc Johnson. Ses puissants tableaux convoquent le my the, le fantastique, le rêve, la fable, évoquant des créatures mi-humaines, mi-végétales, des figures de métamorphose, une exploration onirique des profondeurs marines, du cosmos aussi. Hommages mystiques aux âmes ancestrales disparues en mer, comme à celles qui périssent aujourd’hui sur le chemin de l’exil, ces œuvres textiles aux couleurs irisées incarnent la cohabitation et l’interconnexion entre les différents éléments du vivant. Ne sont-elles pas tissées avec du coton, de la laine et du polyester, issus des règnes végétal, animal et minéral ? « J’aime penser ces œuvres comme des êtres, dont émane une vibration. » Le plasticien a utilisé le métier à tisser Jacquard, mis au point au XIXe siècle, référence « à l’industrie textile, au labeur ouvrier », fils entrecroisant des « histoires d’exploitation et de résistance ». La mémoire collective irrigue sa démarche : comment ces peuples aux traditions orales ont-ils transmis leur histoire ? Quelles archives, écritures, peut-on retracer ? Et pour quel héritage ? Les médiums de prédilection de cet artiste visuel et cinéaste, né en France en 1986, sont l’image en mouvement, la photo, le dessin, le livre d’artiste. Diplômé des Beaux-Arts de Paris et de l’école nationale supérieure d’architecture ParisMalaquais, il expose aujourd’hui ses œuvres dans le monde entier S’il se réclame de l’art conceptuel, il cultive un rapport de continuité avec l’histoire de l’art, au-delà du moderne. Un corpus d’inspirations mêlant la révolution surréaliste, la my thologie grecque, le fantastique, mais aussi la magie, le vaudou, l’animisme. Curieux de comprendre le monde et son articulation, il effectue un important travail de recherche, à la découverte d’autres langages et géographies, croisant les disciplines, collaborant avec des experts Il sonde notamment les traces omniprésentes du colonialisme « On ne peut l’éviter ; c’est le retour du refoulé. Mon père est né au Bénin, mon grand-père était du Congo, ma grand-mère du Togo ; je m’y intéresse forcément, en me déplaçant dans d’autres contextes qui éclairent le mien » Réalisés à la Biennale de Vancouver en 2019, sa série de photographies et ses entretiens filmés d’artistes, de commissaires d’expositions, retranscrits dans le livre Parley, s’intéressent aux dy namiques entre les Premières Nations et les musées canadiens. « Le Canada est l’un des rares pays où les œuvres des musées peuvent être reprises par les peuples autochtones pour être réactivées dans des rituels, des cérémonies. Les objets magiques de ces cosmologies restent ainsi accessibles, pour y réinscrire d’autres my thes, d’autres lectures, se les réapproprier » Ces réflexions sur les récits historiques, sur « la poétique-politique de l’archive », nourrissent son travail de doctorat d’artiste, qu’il mène actuellement dans la très sélective Université des arts de Stockholm. ■
«L’océan conserve l’histoire de la circulation des corps et des marchandises, un trauma lié à l’esclavage.»
Ou parlebiais denotre prestataireaveclebulletinci- dessous Contem po ra in , en pr is e avec cetteAfr iq ue qui ch an ge, ouvert su rl em on de d’aujourd’hu i, es tvot re rendez- vous mens uel in di spen sabl e.
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É
DIRECTION KIGALI…
On en parlait depuis des semaines. Et déjà, ce projet avait déclenché une levée de boucliers parmi les instances internationales. Dans la nuit du 22 au 23 avril, la loi imaginée par Rishi Sunak, Premier ministre conservateur britannique, a été adoptée Dorénavant, les immigrés clandestins débarquant dans le pays seront reroutés vers le Rwanda, où Paul Kagame a déjà commencé à construire des infrastructures d’accueil Les premiers vols groupés sont programmés pour juillet En bref, pour ces pauvres gens qui fuient la guerre ou l’ex trême pauvreté, embarquant sur des bateaux de fortune au péril de leur vie, c’est « retour à l’envoyeur ».
À Lond res , ce ux qu i so uti en ne nt l’idé e pa ri ent su r le fa it qu e ce tt e no uvel le mes ur e découragera les candidats à l’exil. Peut- être. Sûrement Il n’empêche que cette loi est considérée par l’ONU et la plupar t des associations pour les droits de l’Homme internationales comme une at teinte majeure aux droits humains. A minima. On peut aussi, pour l’anecdote, souligner que l’inventeur du projet est hindou, avec un père né au Kenya et une mère au Tanganyika, l’actuelle Tanzanie. Des origines d’immigrés, non ?
Au -d el à de la gros se ta che que lai ss er a ce tt e dé ci si on su r la ré pu ta ti on mora le du Royaume -Uni, on ne peut s’empêcher ici de pointer encore et encore l’incroyable inef ficacité des forces de police et autres contre les passeurs, qui continuent à spolier des migrants en les envoyant à la mor t, s’engraissant en toute impunité sur leur triste sort Et les premiers responsables sont aussi les pays pour voyeurs, qui devraient avoir honte de voir leurs ressor tissants quit ter dans de telles conditions, déplorables, une terre invivable Si elle est invivable, c’est à cause de politiques défaillantes et du mépris global des populations, des jeunes générations laissées à l’abandon, sans perspectives décentes Sinon, on peut supposer aisément que ces dernières préféreraient travailler et se construire une vie chez elles, là où elles ont des racines et de la famille. Il est évident que la « bonne idée » britannique sert exclusivement les intérêts de Londres et ne résoudra en aucun cas la question des migrants dans sa globalité. La responsabilité est collective. Il est urgent de s’at taquer aux racines du mal, et de faire en sorte qu’il n’y ait plus de candidats à l’errance. Parce que l’ailleurs ne fera plus tristement rêver. ■
LE CITY U
C’est une vérita ble révolut ion. L’Afrique devient urba ine. Une transfor mation qu i nous impacte économ iq uement, socialement, cu lt urellement. Voyage da ns cette nouvelle réalité, avec une sélect ion des di x villes qu i nous semblent, d’une ma nière ou d’une autre, différentes ou à l’avant-ga rde.
Et avec un focus su r la plus grande méga lopole du monde, en trai n de na ît re entre Abidja n et Lagos. prése nté pa r Zy ad Li ma m
n Africain sur deux vit aujourd’hui da ns une vi lle. On est ime que l’Af rique urbaine est passée de moin s de 30 mill ion s de personnes à l’or ée de s indépenda nces à près de 60 0 mill ions aujourd’hui. Le nombre d’agglomérations a doublé depuis 1990
De s méga lopoles tent ac ulaires et spectaculaires se sont inscrites dans le paysage. Le Caire et Lagos comptent plus de 20 millions d’habitants, Kinshasa 17 millions. Des villes comme Luanda, Dar Es Salaam, Nairobi, Alger, Abidjan connaissent une croissance fulgurante, absorbant progressivement leurs espaces environnants Des conurbations majeures sont en train de naître, telles que celle
CHOC
du Gauteng, qui relie déjà Johannesburg à Pretoria, avec ses 14 millions d’habitants. Certains démographes et urbanistes estiment que la plus grande zone urbaine du monde sera celle qui reliera d’ici 2050 Abidjan à Lagos, en passant par Accra, Lomé, Cotonou [voir pa ge s 36 -41] À l’image du célèbre delta de la Rivière des Perles en Ch ine, qui compte près de 70 million s d’ habita nt s entre Guangzhou (Canton), Hong Kong, Shenzen D’ici 2050, plus de 1,5 milliard d’Af ricains vivront probablement dans les villes. Cette pression génère certainement sa pa rt de croissance économ ique, même si une bonne pa rt ie de l’ac tivité nouvel le se perd toujou rs auta nt da ns les ci rc uits i nfor mels, qui cont ribuent peu ou pas au fi na ncement du développement. Le nombre accent ue les urgences de tous types : in frastr uc tures, équipement s sociau x, éducation, sécurité, mobilité aussi, pour fa ire face au x embou-
teillages géants… Ce s vi lles, qu i sont souvent nées de la colon isat ion, doivent se st ruct urer, s’aménager, se repenser. Souvent au bord des océa ns, el les sont les prem ières cibles et les prem ières victi mes du changement cl imat ique. Le défi urba in af rica in est im mense. Il faudra de l’imag ination, de la volonté politique, des moyens pour y répondre. Les métropoles af rica ines, ce sont aussi des portes d’entrée vers le cont inent, des pistes d’at terr issage, des liens entre « nous » et les quatre coins du monde. El les sont surtout le cent re de l’in novat ion, d’une modern isat ion accélérée, d’un métissage de popu lations, à l’or ig ine de nouvel les identités et de nouvel les cult ures. C’est ic i que na ît not re sof t power, notre pouvoi r d’at trac tion. C’est ic i que s’invente tous les jours l’Af rique du XX I e sièc le Voyage da ns cette urba nité af rica ine, à travers une sélection de dix villes.
Sk yl in e de Nai ro bi, cap ita le du Ke nyaKIGALI
Le volontarisme en modèle
Propre, verte, calme, sûre, bitumée et connectée (au Wi-Fi), la capitale du Rwanda a tout pour ravir l’homme d’affaires ou le congressiste de passage entre ses collines. En 2022, elle conser vait sa deuxième place, après Le Cap, au classement africain des villes préférées pour l’accueil des conférences, selon l’analyse de l’International Congress and Convention Association (ICCA) Jusque dans les formalités, tout semble pratique, moderne et bien pensé pour le voyageur. Il faut dire qu’il n’y a que quelques pas à faire pour passer du Convention Center au dôme multicolore à son hôtel, et qu’une courte course de taxi vous amènera au centre financier de la ville (KIFC). Avant de se rendre à un match de cricket au stade de Gahanga, d’assister à un concert au Kigali Arena ou de
La gos Isl and , l’un de s qu ar ti er s le s pl us r ic he s, dans l’ou est de la vil le.
s’évader au bord d’un lac dépaysant à quelques kilomètres de la sortie de la ville. Kigali s’est réinventée en ville modèle. Grâce au volontarisme politique (ou à l’autoritarisme, diront certains). Un passage nécessaire au Mémorial du génocide permet de mesurer aussi les tragédies vécues et le chemin accompli Rémy Darras
WINDHOEK
La vertueuse
Les témoignages des
visiteurs
venus du continent se ressemblent tous : « C’est propre, c’est ordonné, tout fonctionne, on se sent en sécurité. » Et ils ajoutent en général : « Comparé à chez nous » La capitale namibienne, tirée au cordeau, avec ses parcs, ses ronds-points verts, ses routes impeccables et ses trottoirs ultra-propres, est à coup sûr l’une des meilleures élèves du continent dans pas mal de domaines Pionnière du recyclage des eaux usées pour les rendre potable, la ville préser ve ses nappes phréatiques, en durcissant régulièrement sa stratégie pour faire face à la sécheresse et aux effets du changement climatique Elle vient notamment d’imposer une amende de 106 dollars pour tout gaspillage de l’or bleu. Point de départ des safaris-photos les plus huppés, dans les immenses étendues sauvages et dunes de sable blanc qu’offre le pays, elle préser ve farouchement sa manne touristique et est souvent présentée comme l’une des cités africaines offrant le meilleur cadre de vie. Emmanuelle Pontié
LAGOS
La « ville monde »
Elle abrite autour de 20 millions d’habitants et bat au rythme de 300 000 nouveaux arrivants par an La capitale économique du Nigeria, qui étale ses tentacules sur la lagune, offre un enchevêtrement de quartiers ultra-riches, hérissés de gratte-ciel et parcourus par des Hummer aux vitres teintées, et de bidonvilles ultra-pauvres, flottant sur des eaux insalubres le long d’autoroutes à quatre voies. Ce marché géant du continent attire le business de tous
horizons et dans tous les domaines Bola Tinubu, actuel président et ancien gouverneur de l’État, a réussi tant bien que mal à réduire sensiblement la criminalité et l’insécurité qui faisaient jadis la triste réputation de la mégalopole. Les fameux go-slows ont eux aussi régressé. Lagos, c’est encore un formidable vivier de talents et de créativité culturelle : une scène musicale internationale côtoie Nollywood, le second marché cinématographique du monde derrière Bollywood et devant Hollywood, avec 2 500 longs-métrages produits chaque année. La cité hors norme et suractive ne dort jamais, véritable aimant des ambitions les plus délirantes des investisseurs et des visiteurs en mal de sensations fortes. E.P.
La Ma rsa avec, en a rri ère- pl an, la c ol li n e d e Si di B ou S aïd.
La ga rd e présidenti el le deva nt le pal ais, à Da ka r.
DAKAR
Entre son passé et son futur
Face à l’Atlantique, elle incarne plus que d’autres capitales l’histoire de son pays. La traite négrière avec l’île de Gorée La présence de Léopold Sédar Senghor. Et maintenant, un bouleversement démocratique et l’arrivée d’une nouvelle génération d’hommes et de femmes politiques. Ici, peut-être, se trouve un nouvel épicentre politique du continent. Dakar est attachante, entre son passé
TUNIS, BANLIEUE NORD Côte à côte
et son présent. La ville conser ve et met en valeur le charme de ses anciennes constructions. La corniche (souvent impraticable pour cause d’embouteillages) ouvre sur le grand large. Les Almadies proposent comme une pause fraîcheur. Depuis plusieurs décennies, on investit dans les infrastructures : autoroutes, aéroports et trains urbains. L’effort est loin d’être un luxe… Le rythme de l’extension et la saturation imposent de repenser la ville. Et en 2026, Dakar doit aussi accueillir les Jeux olympiques de la jeunesse, premier événement olympique en Afrique. Un sacré défi ! R.D
Pour le nouveau venu comme l’habitué, le décalage est toujours spectaculaire. D’un côté, Tunis, saturée, bruyante, polluée, comprimée dans ses ambitions. Et, à moins de 15 kilomètres, reliée par une autoroute six voies (aussi dangereuse qu’encombrée), cette autre ville – ces autres villes, pour être plus précis – que l’on appelle la banlieue nord, au bord la mer, de la grande bleue, presque comme sur une autre planète. Avec La Goulette, populeuse, enracinée dans ses multiples héritages – musulman, juif, chrétien, et sa touche d’Italie. Avec Carthage, siège de la présidence de la République et témoignage des empires passés (celui des Carthaginois et celui de Rome). Avec Sidi Bou Saïd, l’un des « plus beaux villages du monde », perché sur son pic (djebel Manâr, la montagne du phare), avec ses maisons blanc et bleu, ses ruelles en pente et ses marabouts qui dorment et veillent ici pour l’éternité Avec La Marsa et Gammarth, alanguies au bord de l’eau, leurs villas cossues et les hôtels de luxe. Tout baigne dans une sorte de douceur qui résiste encore aux bruits, aux foules, aux touristes, une douceur dont on se dit qu’elle est à la fois unique et particulièrement fragile. Zyad Limam
La maje stu eu se A m azon e est l a de ux ième p lu s gran d e statu e du co nt in ent.
La mé dina, l’im me nse p la ce de J emaa el -Fna et la mosqu ée Koutou bia
MARRAKECH
Debout et fière
Située au pied
des montagnes de l’Atlas marocain et leurs sommets enneigés (de plus en plus rarement…), la ville ocre fascine par son histoire multiséculaire, sa beauté, son patrimoine. Depuis des décennies, elle attire artistes et personnalités du monde entier (on pense à Majorelle et Yves Saint Laurent, dont les destins sont intimement liés). C’est un épicentre du tourisme mondial, avec les grandes cohortes de voyageurs tout comme les VIP les plus exigeants. À la limite,
COTONOU Du village à la métropole
parfois, de l’engorgement. Ici, on ne compte plus les palaces cinq étoiles, et les prix de l’immobilier sont aussi élevés qu’à New York, Paris ou Londres. Tourisme, business, conférences, « Kech » s’impose comme la troisième ville du Maroc. Fidèle à sa tradition, elle est devenue un centre d’art contemporain majeur, attirant galeries et créateurs de talents. Et le lien avec le passé reste puissant La médina, vieille de 900 ans, est classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Un tremblement de terre a frappé la ville et sa région, la nuit du 8 septembre 2023 Dans l’épreuve, Marrakech est restée debout, tout comme la superbe mosquée Koutoubia (construite au XIIe siècle par les sultans almohades) Z.L.
C’est la capitale économique du Bénin, pas si loin de la frontière de l’immense voisin nigérian. Entre les villas et restaurants branchés du quartier huppé de Haie Vive, les sièges des entreprises et institutions situés sur le boulevard de la Marina, le port autonome (aux extensions permanentes), l’ancienne gare de l’OCBN et la plage de Fidjrossè, le centre de Cotonou, désormais dominé par l’immense et majestueuse statue Amazone hésite entre le village et la métropole. Les faubourgs s’étendent jusqu’à Abomey-Calavi. La croissance du trafic des automobiles, camions, poids lourds et zémidjans, ainsi que les nombreux chantiers en cours la rendent souvent disons « éner vante », à toute heure du jour et de la nuit. C’est ici aussi que s’affiche l’ambition touristique et culturelle du pays Un musée d’art contemporain, confié aux architectes ivoiriens Koffi & Diabaté, devrait voir le jour malgré les multiples obstacles. Un nouvel hôtel cinq étoiles, le Sofitel Marina, posé au bord de l’océan, peaufine ses finitions. Le changement est en marche ! R.D.
Le po nt de Coc ody, de nu it, dans l a cap ital e éc onom i qu e ivoi ri enn e.
Le Cap e Town Stadi um su rp lom be le qu ar ti er G re en Po int.
CAPE TOWN
L’autre cœur de la nation arc- en-ciel
Nous sommes à la pointe sud du cont inent. La capita le légi slat ive de l’Af rique du Sud post apar theid, siège de l’As semblée nationale depuis 1994, cumule les atouts, grâce à une intense vie économique et culturelle qui s’épanouit dans un décor naturel grandiose. Dans cette baie au pied de la montagne de la Table, se concentrent quatre siècles d’histoire sud-africaine – des vestiges
de la colonisation hollandaise au musée de l’île-prison de Robben Island, où Nelson Mandela fut incarcéré dixhuit ans. Du temps de l’apartheid, la ville était supposée plus tolérante que l’austère Johannesburg. Pourtant, elle est ceinturée d’immenses townships, comme celui de Khayelitsha, témoignage toujours présent de la tragédie de l’apartheid. Le métissage, pourtant, s’est ici inscrit plus qu’ailleurs À Cape Town, s’expriment toute la richesse et la diversité de la nation arc-enciel, comme au quartier de Bo-Kaap, fondé par des habitants originaires de Malaisie Ici, se trouve enfin l’un des stades emblématiques de la première Coupe du monde de football en terre africaine (2010). En attendant la prochaine ! Cédric Gouverneur
ABIDJAN
La perle des lagunes
Ici, c’est « Babi » ! Une mégalopole de près de 6 millions d’habitants, une cité véritablement « af ro-globale », ouverte sur le monde. La capitale économique de la Côte d’Ivoire pèse « lourd » – près de 70 % du PIB du pays Depuis l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara en 2011, elle est l’objet d’un véritable revival, avec un programme ambitieux d’infrastructures. Le 4e pont, celui de Cocody, a été inauguré pour la Coupe d’Afrique des nations, qui s’est tenue en février dernier. Le 5e pont, quant à lui, l’a été en août 2023. Tout comme le parc d’Akouédo (qui fut longtemps une décharge anarchique).
La Tour F s’élève dans le ciel
La ville attire créateurs, capitalistes, migrants, nés ici ou venus de la région, mais aussi du Liban, d’Europe ou d’Asie Le melting-pot culturel est impressionnant. Év idemment,
la densité et la croissance entraînent des défis hors norme en matière d’aménagement et de développement durable. Et les inégalités, entre les « en haut » et les « en bas », sont peut-être ici plus visibles qu’ailleurs Mais Babi a la foi. Ici, entre lagune et océan, au rythme des différentes cultures, s’écrit certainement l’un des chapitres de l’Afrique du futur. Z.L.
NAIROBI Une nature high-tech
La capitale kényane est aussi un petit paradis pour les amateurs de nature. Baignée de verdure, elle collectionne les lieux at ypiques, comme le célèbre Manoir aux Girafes, où vous prenez vos repas en compagnie des mammifères géants en toute liberté. Le pays, réputé pour son offre haut de gamme en safaris animaliers et son afflux de touristes en ma l d’étendues sauvages, s’est aussi imposé comme le plus « high-tec h »
Le parc nat iona l de Nai ro bi, à 7 ki lom èt re s du centre- vil le
du cont inent, en rai son du nombre élevé de st ar t-up et d’in frastr uc tu res in novantes, dont la plupa rt sont logées da ns la capita le En 2013, le chantier de Konza Tech nopoli s, situé à 60 ki lomètres au sud de Na irobi, da ns la sma rt city du même nom, a déma rré. Le projet, même s’il a pr is un peu de reta rd, est entré da ns
sa seconde phase de constr uc tion, et sera entièrement dédié à la tech nologie. Plusieu rs pa rtenai res se sera ient déjà position nés, comme Microsof t, Huawei, Ci sco et IBM. Dans la vision 2030 du plan national kényan, Nairobi devrait s’imposer définitivement comme la championne africaine du numérique. E.P.
ABIDJAN-LAGOS NAISSANCE DE LA PLUS GRANDE MEGALOPOLE DU MONDE ?
Ce n’est plus tout à fa it de la sc ienc e-fct ion. Le couloi r côtier reliant le s deux méga-c ités, en passant pa r Accra, Lomé, Cotonou, pour ra it at teindre un demi-m illiard d’ ha bita nts à la f n du siècle. Une ai re urba ine géante, qu i pose d’ in nombra bles questions : logistique, transport, énergie…
par Ré my Da rr as
«C
e terrai n n’est pa s à vend re » Su r le bord de la route reliant Abidjan à Assinie ou de celle qui mène de Cotonou à Porto-Novo, nombreuses sont le s af fichet te s collée s su r de s pa rcelles qui semblent en jachère. Mais, comme le souligne l’urbaniste suisse Alice Hertzog-Fraser, auteure d’une thèse sur l’urbanisation et les migrations sur le corridor Abidjan-Lagos, « cette verdure peut être trompeuse ». Car les lopins de terre sont devenus le lieu, non d’une activ ité agricole, mais d’une forte spéculation immobilière en cours. Celle qui, en raison de l’étalement urbain, entre ordre et anarchie, est en train de donner naissance, sur un millier de kilomètres de bitume, à une future agglomération censée passer par Accra, Lomé, Cotonou pour aboutir à Lagos, et qui devrait compter 51 millions d’habitants d’ici 2035. Si l’on en croit les estimations évoquées dans un article d’octobre 2022 du Guardian, cette bande côtière, vers laquelle tous les regards se tour nent, pour rait même accueillir près d’un demi-milliard de personnes à la fin du siècle, devenant ainsi l’un des foyers les plus densément peuplés au monde et à la croissance urbaine la plus rapide. En l’espace de ving t ans, les capita les ouest-af ricaines ont vu leur population doubler, si l’on se réfère à la base de données Africapolis de l’OCDE : Abidjan (sans sa périphéri e) comptait près de 6 millions d’habitants en 2020 (contre 3 millions en 2000), Accra 4,6 millions (contre 2,1 millions), Cotonou 2 mil-
Vu e pa noram iq ue de Lekki, au su d de La gos, et bie ntôt conn ecté e à Abidja n ?
lions(contre 845000), etc. Et compte tenu de cesévolutions démographiques, il faudrait comptersur un doublement de la superficiedes villes d’iciv ingt àv ingt-cinqans.Etpenser toutes lesquestionssociales, urbaines,sécur itaires,industrielles, d’énergie,detraitements deseauxetdes déchetsà uneéchelle vertigineuse,jusque-là inédite, demandantdes moyens financiers draconiens et unevolontépolitique de fer. Objectif :éviterlechaos.
Alorsque 70 millionsdepersonnes vivent autour de ce corridor,selon la Banque africainede développement (BAD), quiconcentre près de 75 %des activitéscommercialesdela région,d’aucuns yvoient la promesse d’unef uturemégalopole,àlamanière de celles quiont éclosentre Washington et Boston, TokyoetOsaka ou encoreautourdeShenzhen.Pour couronnerletout,denombreusesfoisannoncé puis reporté, un projet d’autorouteAbidjan-Lagos de 1028 kilomètres, censé doper le commerce et réduire de moitié le tempsdetrajetentre chaque ville, aété remis surlemétierpar la BA Den2022, qui entend mobiliser15,6milliardsdedollars.Les appelsd’offres sont en cours.Pourcertainsobser vateurs,celaparticipe d’un effetdemodequi n’apas de réalitégéographique. «Les bailleurs aimentbientravailler surdes conceptsdecorridors, ce quileurpermetdemonter desprojets régionauxdansdenombreuxdomaines,qu’ilsnepourraientpas proposerpayspar pays.Celapeutêtreuncatalyseurd’investissements.Maisen matière de gouvernance, cela fonctionnera-t-ilentre cinqÉtats quiont chacun leur carteàjouer ?»,interroge l’architecteet urbanistesuisse Jérôme Chenal, directeur du centre ExcellenceinA fricaàl’École poly techniquefédérale de Lausanne.
UNEZONEÉCONOMIQUEPROSPÈRE
Au vu du contexte d’insécuritérégionale,des investisseurs peuventpourtantyvoiruneffet d’aubaine, lanaissance d’un marché prof itantdelazoneéconomiquedelibre-échange (ZLECA f).Àcôté du géantéconomiquequ’estent rain de devenir le Nigeria, laCôte d’Ivoire,leBénin et le Togo sont devenusdes lieuxde replidenombreuxintérêts financiers régionauxduSahel et de la Guinée,attirés parlastabilité de leur gouvernance, lazonefranc et la sécurité.Nepouvant plus rapatrier leurs fondsaupaysduCèdre,denombreuxinvestisseurs de la communauté libanaise, parexemple,veulent profiter de ce boom économique et démographique,etplacent leursliquiditésdansdenouveauxprojets immobiliers. La circulation deséchangesetdes capitaux s’accroîtentre Abidjan et Lagos. L’améliorationduniveaudev ie couplée àlacroissancedelaclassemoyenne alimentent de nouveaux besoins et réf lexesdeconsommation, dopant le besoindesedéplacer. Qu’onenjuge déjà.Les grandesv illes ontavalé leur périphérie, au pointdepresque pouvoirsedonnerlamain.Formant parfoisdelointainsfaubourgs de bétonetdepoussière, composés aussibiendenouveauxprogrammes résidentiels pour classesmoyennesousupérieures quedecités-dortoirs,
d’habitats précaires et d’entrepôtsentousgenres, Abidjana pousséses murs jusqu’àBingerv illeetGrand-Bassam,Accra tutoie Ta koradi et Lagost ient la main àO yo.Ouida hest toujours plus proc he de Cotonou, quer iennesépareplus désormaisd’Abomey-Calavi.« Lesv illes se touchent de plus en plus :elles se développent depuis leurs périphér iesvers lesfrontières, et nonplusdes centres-villes vers lespériphéries », indiqueA lice Hertzog-Fraser.Ducôté de la capitale économique ivoirienne,laconstructiondepontsetdevoies rapides astimulé en quelques annéesl’éclosiondeprojets de logements sociauxdedix étages et plus pour fonctionnaires ou cadres moyens,etdenouveauxquartiers,comme Riyadh City,àBingerv ille, àGrand-Bassam,etSongo,qui se trouvent désormaisà30minutes du cent re-v ille. Ontpousséégalement de nouvelleszones résidentielles réservéesaux classes supérieures et moyennes,comme Zone 4à Marcory,R iv iéra ou encoreDeux-Plateaux.À Lagos, de luxueuxquartiers d’affaires ontémergé, commeVictoriaIslandouEko At lantic, gagnésur la mer, et quis’est repositionné pour toucherles classesmoyennessupérieures,enplusdes plus priv ilégiées Aprèsune dizained’a nnéesdif ficiles, unequarantainede projetssont aujourd’huiencours de développement. Autant de quartiersqui doiventaffronter,sur cesterreslagunaires,
Aujourd’huiet demain, la routeetlavoiture resterontlaréférence surcecorridor.
lesrisques d’inondation et d’érosion qui, avec le réchauf fement climatique, menacent le littoral.Malgréles milliards engloutis,des kilomètresdecôtesont avalés chaque année parlamer,obligeantles autorités(commeàAbidjan) àexpulserdes milliersd’habitants, souventles plus vulnérables, et àprévoirune extensionlapluséloignée descôtes. La route Cotonou-Porto-Novo pourrait àterme être submergée parles eaux,etlacapitaleéconomiquedisparaître en partie
DESPÉRIPHÉRIES URBANISÉES
Mais il arrive aussique la banlieue d’unecapitaledéborde surlafrontière voisine, commeLagos sur Sèmè-Podji,entre CotonouetPor to-Novo, où le quar tier de PK10 aété entièrementinvesti pardes migrants nigérians, quiy ontmême financéune université. Là-bas,onmange de la pepper soup, on paie en nairaetl’architectureest de st ylenigérian.« Quand le nairaest très fort,ces populationssedéplacent et arrivent àv iv re de manièreconfortable avec le CFA, mais repartiront ensuite»,poursuitA lice Hertzog-Fraser.« Leur manière d’habitersera temporaireetprécaire.Ces gens travailleront àun endroit, mais vivront dans un autre. C’estune population très mobile,qui arrive,d’une frontière àl’autre,demanière informelle,àcommercer,travaillerettransférerdel’argenten
Énergie: coopération et impayés
Qui ditcroissancedémographique et urbainedit explosion desbesoins énergétiques.C’est ainsi quela
Côte d’Ivoire aannoncé en avril la construction de douzecentrales solaires photovoltaïques,qui produiront 678MW d’électricité àl’horizon 2030 et 1686 MW d’ici 2040 Excédentaireenénergie,lepaysvendson électricité àl’ensembledeses voisins,commeleGhana, àqui il fournissait35,7GWen2022. Le Togo et le Bénin restent, quantàeux,fortement dépendants du Nigeria, du Ghana et de la Côte d’Ivoire dans leurapprovisionnement.
Cesdernières années,Lagosavait même menacé plusieursfois Lomé et Cotonoudecouperlecourant, aprèsdes factures non honoréesdeleurpart. Les pays de la Cedeaocoordonnentleurpolitiqued’achat et de vente d’électricité àtravers le Systèmed’échange d’énergie électrique ouest-africain(WAPP). ■ R. D.
Tourisme : une dynamique côtière
Sur l’axe Abidjan- Lagos, la frénésie de projets hôteliers rappelle à certains observateurs le Maroc il y a vingt ans L’amélioration du niveau de vie, l’expansion de la classe moyenne, la croissance urbaine, les nouveaux autoroutes et aéroports sont des catalyseurs de développement touristique « Il y en a pour dix ans », commente un expert C’est ainsi que, d’ici 2025, le parc hôtelier d’Abidjan devrait connaî tre une croissance de 72 % de son nombre de chambres, avec un Four Seasons à Cocody, un Novotel et un Adagio à Marcory et cinq Maison Albar, montés par le fonds franco -ivoirien Dalia Hospitality, dont un « éco -resort » sur l’île Boulay De nouveaux spots apparaissent à la Baie des Sirènes, Sassandra et SanPédro, profitant de la route côtière tout juste bitumée depuis Abidjan De quoi ravir une clientèle régionale en quête de loisirs, de repos et de fête, de plus en plus locale et aisée, adepte de nouvelles expériences. Ce qu’a compris le Bénin, qui entend mettre à profit son potentiel côtier et naturel ainsi que son patrimoine historique et culturel autour de plusieurs nouveaux musées, sites mémoriaux et galeries d’art, à l’instar de la Fondation Zinsou à Ouidah, dédiée depuis 2013 à l’art moderne. À Cotonou, doit être inauguré cette année un Sofitel Marina, qui devancera l’ouverture d’un autre cinq -étoiles balnéaire et d’un Club Med à Ouidah, adossé à un golf 18 trous. ■ R. D.
jonglant avec les contraintes linguistiques, monétaires, douanières, et qui vient investir son capital gagné dans la terre. Et la présence d’une construction ne signifie pas qu’elle est habitée », souligne la chercheuse.
Mais à côté de ces populations migrantes, se trouvent d’autres habitants de la classe moyenne qui, souffrant de la cherté du foncier, ne peuvent plus résider en centre-ville d’Abidjan, Cotonou ou Lagos et se retrouvent repoussés en lointaine périphér ie. Les prog rammes de constr uction de logements économiques déployés au niveau national ont donné des résultats en deçà de leur promesse. Alors que le déficit est évalué à 800 000 logements en Côte d’Ivoire, le gouver nement a annoncé en novembre dernier la construction de 500 000 unités et 25 000 d’urgence, dans un plan qui s’élève, pour ces derniers, à 762 millions d’euros. Le Bénin et le Togo ont tous deux lancé un prog ramme pour bâtir chacun 20 000 loge-
ments économiques. Dans l’agglomération d’Abidjan, le marché immobilier peine à répondre à l’afflux de demandes en logements, notamment pour des raisons cadastrales. Car il faut souvent purger les droits fonciers des parcelles, fondés sur le droit traditionnel, pour év iter tout contentieux. Et quand il y pour voit, de nombreux bâtiments restent vides. La faute aux difficultés d’accès au crédit immobilier, qui ne s’étale pas assez dans la durée (trois à cinq ans, au lieu de quinze en Europe) et s’apparente plus à un crédit à la consommation. « Hélas pour les prêts immobiliers, les facilités de paiement ne viennent pas des banques, mais des développeurs, qui peuvent s’associer avec des entités publiques (telles que la CNSS ivoirienne, l’armée, etc.) pour prélever à la source les mensualités », décrit l’analyste ivoiro-libanais Karim Ezzeddine, du cabinet Sk yKapital.
TR ANSPORT ET IMMOBILIER :
SECTEURS EN TENSION
Les promoteurs sont confrontés ensuite à d’autres difficultés, comme la nécessité de viabiliser les terrains, c’est-à-dire de réaliser les adductions d’eau et les branchements électriques. Des tâches autrefois entreprises par l’État et qui renchérissent de 15 à 30 % le coût de construction.
Et si constr uire en hauteur s’avère indispensable pour contrôler l’étalement urbain, cela se heur te, d’une part, au désir d’une classe moyenne qui souhaite accéder à la propriété et disposer de sa maison individuelle, et, d’autre part, aux difficultés pour les sy ndics d’immeubles de récupérer les charges des copropriétaires. À cette tension en matière de logement s’en ajoutent d’autres dans le domaine des transports. Plus la ville s’étale, plus on habite loin, et plus l’on met de temps pour rejoindre son lieu de travail en centre-v ille, en utilisant des voies toujours plus engorgées. Pour les habitants de ces quartiers isolés, c’est alors la double peine : trouver un logement à prix abordable signif ie de se lever aux aurores pour aller travailler. Et jusqu’à présent, « la voiture reste la métrique de tout développement urbain sur le corridor Abidjan-Lagos », souligne Jérôme Chenal. Montrant la voie, Lagos (16,5 millions d’habitants en 2023, 24,5 millions en 2035 selon les Nations unies) a pour tant inauguré en février sa deuxième ligne de train urbain en complément de la première, ouverte en septembre. À elles deux, elles devraient permettre le déplacement de 750 000 personnes. Cinq autres lignes sont prév ues dans les prochaines années. Pour décongestionner le trafic, Abidjan a, pour sa part, lancé le chantier de sa première ligne de métro, qui devrait êt re inaugurée d’ici 2027 et êt re en mesure de transporter 500 000 passagers chaque jour sur un axe nord-sud. Mais avec 8,3 millions d’habitants prév us en 2035, et une population qui double tous les vingt ans, cette ligne devrait être rapidement insuffisante pour répondre aux besoins. « C’est une dizaine de lignes qu’il faudrait », rétorque Jérôme Chenal. Mais quid des financements ? ■
an aly se
AFRIQUE DU SUD DANS L’AT TENTE DU GRAND CHANGEMENT
Les héritiers de Mandela ont-ils échoué ? En trente ans, l’ANC n’est jamais parvenu à réduire les inégalités sociales, héritage empoisonné de l’apartheid. Corruption, complaisance, violences se sont installées. Les élections générales du 29 mai pourraient voir, pour la première fois, le parti historique perdre sa majorité absolue. par Cé dric Go uver ne ur
«F
aisons davantage, ensemble Une vie meilleure pour tous » (Do more, together. A better life for all)… Le slogan électoral que s’est choisi le Congrès national africain (A NC), paraît avoir été déniché par un communicant hors-sol qui aurait quitté le pays au terme de l’unique mandat présidentiel (1994-1999) du regret té Nelson Mandela. À moins que ce slogan lunaire ait été imaginé par un humoriste particulièrement cy nique. Car jamais, depuis la chute de l’apar theid, la situation n’aura été aussi critique Jamais l’ANC, ex-mouvement de libération prestigieux qui s’est mué en pa rt i-État sc lérosé, n’aura été aussi disc rédité. Ja mais, depuis trente ans, l’ampleur des problèmes économiques et sociaux qu’affrontent les 60 millions de Sud-A fricains n’aura autant perturbé jusqu’au moindre aspect de leur quotidien. La crise multiforme est telle que, désormais, elle s’acharne sur les citoyens de la nation arc-en-ciel après leur trépas : les pompes funèbres du pays ont dû implorer les proches des défunts de restreindre leurs visites funéraires à « quatre jours maximum », et non pas une semaine comme le veut la tradition. La raison est aussi prosaïque qu’épouvantable : à cause des coupures d’électricité quasi quotidiennes, les entreprises de serv ices funéraires ne sont plus en mesure de garantir une digne conser vation des corps… La gabegie de la compagnie d’électricité Eskom est devenue le triste sy mbole d’un ANC à bout de souffle [voir pages suivantes].
Vainqueur de l’apartheid au terme de décennies de lutte ar mée, de mobi lisation internat ionale et d’âpres négociations, l’ANC de Nelson Mandela était parvenu, au début des années 1990, à libérer les Sud-Af ricains – et à débarrasser l’humanité – d’un régime outrageusement raciste, qui restera dans l’Histoire comme l’un des systèmes politiques les plus abjects qu’ait endurés le XXe siècle. Mieux encore : en œuvrant à la réconci liat ion, Nelson Ma ndela et ses ca ma rades ont réussi à év iter une guer re civile. Mais dès les mandats du premier successeur de Madiba, Thabo Mbek i (1999-2008), les travers inhérents à la position ultra-dominante de l’ANC
sur l’éc hiquier politique sont appa rus. Ca r lorsqu’un pa rt i démocratique rassemble entre 60 % et 70 % des suff rages, jouissant d’une majorité parlementaire comprise entre 230 et 279 députés sur 400, il lui est inutile d’innover, de performer, de rendre des comptes – voire de demeurer intègre –, puisque l’ar it hmét ique ga ra nt it sa réélect ion, quels que soient les comportements des élus ou leur bilan. Année après année, le prestige du parti des libérateurs a été terni par des scandales de corruption, de clientélisme, d’affairisme… Thabo Mbek i lui-même admet que certains responsables locaux de l’ANC sont « des criminels ».
Le paroxysme de ce sy ndrome d’impunité et d’irresponsabilité fut incarné, dans les années 2010, par le scandale Gupta, connu sous le nom de State Capture (« contrôle de l’État ») : sous la présidence de Jacob Zuma (2009-2018), les trois frères Gupta, milliardaires d’origine indienne, ont siphonné l’argent public, avec la bienveillance du chef de l’État et de membres de son entourage. Une vampirisation du pays, qui consistait à propulser un proche à la tête d’une entreprise publique ou d’une administration, afin que ce complice favorise les entreprises de la fratrie [lire « La folle saga des Gupta », AM 391, avril 2019].
Quasiment stagnante depuis une douzaine d’années, la croissance économique du pays, de seulement 0,7 % en 2023, est estimée à 1 % cette année et à 1,2 % en 2025. La consommation des ménages est en rade et le taux de chômage a encore augmenté au début de l’année, grimpant à 32 %, et même à 45 % chez les jeunes. Face à ce marasme, l’ANC semble flotter au-dessus du pays réel Sa transformation, de mouvement de libération politico-militaire en parti-État af fairiste, résonne avec celle du président Cy ril Ramaphosa (71 ans) : enfant de Soweto, leader de la grève des mineurs de 1987, rédacteur de la Const it ut ion de 1996, dauphin de Madiba pressenti pour lui succéder à la tête de l’État, Ramaphosa s’est lancé dans les affaires lorsque les instances de l’ANC lui ont préféré Mbeki. Bénéficiant des programmes d’émancipation des Noirs et de connexions au sein des nouvelles élites postapartheid, Ramaphosa a fait fortune à la Standard Bank, à l’opérateur mobile MT N, et même à McDona ld’s. Le magazine Forbes évaluait en 2015 son patrimoine à 378 millions de dollars. En août 2012, à Marikana (nord-ouest), devenu l’un des dirigeants du groupe minier Lonmin, Ramaphosa a demandé à la police de « rétablir l’ordre » contre les grév istes : 34 morts…
À de s an nées-lum ière de la vie de s él ites, da ns le s town ships urbains et les villages du veld, les Sud-A fricains ordinaires s’efforcent de surv iv re Surv iv re est bien le mot. Car avec 27 368 homicides en 2023, soit une moyenne de
75 par jour, l’Af rique du Sud est l’un des pays en paix les plus dangereux au monde. Il détient aussi le terrifiant record du plus grand nombre de viols : 380 000, soit plus d’un millier toutes les 24 heures. Les fermiers blancs ne sont pas les seules victi mes de la cr i minalité, cont ra irement à ce que voudrait faire croire l’extrême droite afrikaner, qui parle de « génocide des Blancs ». C’est l’ensemble des 60 millions de Sud-Africains qui pâtissent de l’insécurité : la possession du moindre bien de valeur (téléphone, téléviseur, véhicule, etc.) fait de tout citoyen la cible potentielle de voleurs prêts à tuer. Dans les townships, les jeunes filles sont victimes d’agressions sexuelles (95 % des victimes de viol sont Noires), et les jeunes garçons peuvent être menacés s’ils ref usent de rejoindre un gang. Se déplacer, sortir le soir, retirer de l’argent… Chaque action implique d’évaluer et d’anticiper les risques. La police est dépassée par l’ampleur de la tâche : le taux désespérément bas d’élucidation des homicides, évalué à 12 %, conforte les criminels dans un sentiment d’impunité, facilitant le passage
Le présid ent Cy ril Ra maphosa en Be lg ique, le 15 nove mbre 2018
Se déplacer, sortir le soir, retirer de l’argent… Chaque action implique d’évaluer et d’anticiper les risques.
à l’acte Chaque Sud-Africain se protège et se défend en proportion de ses moyens : les quar tiers riches, blancs comme noirs, recourent à des sociétés de sécurité privées, munies de fusils d’assaut et de véhicules blindés. Dans les town ships, les voleurs pris sur le fait sont parfois lynchés sur place par la foule. À Soweto, est apparue une organisation xénophobe, Operation Dudula (« forcer » en zoulou), qui intimide les immigrés, assimilés en masse à des délinquants (le pays compte officiellement 3,95 millions d’immigrés, pour la plupart venus d’Afrique australe et du sous-continent indien). L’exaspération face à l’insécurité est telle qu’il n’est pas rare d’entendre des Sud-Africains se dire favorables au rétablissement de la peine de mort, abolie en 1995
LE TRISTE HÉRITAGE DU COLONIALISME
Cette criminalité hors de contrôle s’explique largement par les inégalités Les statistiques démontrent que ce ne sont pas les pays les plus pauv res les plus violents, mais les plus inégalitaires. « Les sociétés les plus inégalitaires ont tendance à subir une criminalité plus élevée, ainsi qu’un faible niveau de confiance sociale », observent Daniel Nettle et Benoît de Courson dans une étude publiée en 2021 par l’université de Newcastle (A ngleterre) et la revue scientifique Nature. Les auteurs écrivent que « dans les sociétés inégalitaires, les plus pauv res se trouvent dans une situation bien pire que des personnes ayant un niveau de vie comparable dans une société plus égalitaire ». L’explication serait d’ordre psychosocial : les inégalités rendent la pauv reté davantage insupportable. « Les individus perçoivent l’ampleur des différences sociales autour d’eux, ce qui affecte leur état d’esprit, accroît la compétition, l’anxiété, le chacun pour soi individualiste » Les auteurs estiment que la réduction des inégalités sociales aurait davantage d’impact sur la criminalité qu’un surcroît de mesures coercitives. Cette situation n’est pas propre à l’Afrique du Sud : en République d’Irlande, au début des années 1990, le décollage économique du pays, jusqu’alors l’un des plus pauv res d’Europe de l’Ouest, s’était accompagné d’une forte hausse de la délinquance. Deuxième économie du continent, avec un PIB estimé à 405,9 milliards de dollars, l’Afrique du Sud est le pays le plus inégalitaire au monde : le coefficient de GINI y est de 0,67 Selon les données de la Banque mondiale et du World Inequality Lab de l’économiste français Thomas Piketty, 10 % de la population sud-africaine détient 80 % des richesses du pays Env iron 3 500 citoyens possèdent davantage que les 32 millions les moins aisés. « La couleur de peau demeure un facteur clé des inégalités, étant donné son impact sur l’éducation et sur le marché du travail, écrit la Banque mondiale. L’héritage du colonialisme et de l’apar theid, enraciné par la ségrégation raciale et spatiale, continue à renforcer ses inégalités » En trois décennies, l’ANC n’est pas parvenu à réduire ces écarts de niveau de vie. Pire encore : les 1 % les plus riches auraient même consolidé leur patrimoine depuis la fin de l’apartheid…
Cette persistance des inégalités est le fruit amer du comprom is politique ayant mené à la chute de l’apar theid au début des années 1990 Peu après le décès de Madiba, le 5 décembre 2013, à l’âge de 95 ans, John Cassidy, éditorialiste au New Yorker, écrivait que « Nelson Mandela a négocié une transition pacifique vers la démocratie, que peu d’observ ateurs croyaient possible », étant donné la quasi-guer re civi le entre l’ANC et le pa rt i national iste zoulou In katha à la fi n de s an nées 1980 (env iron 10 000 mort s) et le s ex ac tion s des néonazis du Mouvement de résistance af ri kaner (AWB). Cette volonté d’apai sement perdure et ex pl ique aussi pourquoi les autorités tolèrent de véritables « Ét at s da ns l’ Ét at », telle la mona rch ie tradit ionnel le zouloue, ma lg ré ses abus de pouvoi r avérés, ou les communautés raci stes d’Ora nia et de Klei nfontei n, fondées pa r de s Blancs nost algiques de l’apar theid… Le dé si r de réconci liat ion de Ma ndela l’aura it amené à « trop concéder à l’él ite blanche, lai ssant en pl ac e un sys tè me éc onom ique inéquitable, qu i exclut la
majorité », af fi rmait John Ca ssidy, et ce ma lg ré la mi se en place en 20 03 du progr amme de di sc ri minat ion positive Blac k Economic Empowerment (BEE) puis, en 2007, du program me élargi Broad-Based Blac k Econom ic Empowerment (BBBE E), qui ont per mis l’émergence d’une classe moyenne noir e. Ma lg ré ég alement la volonté de ré forme ag ra ir e : en 1994, les quelque 77 millions d’hectares de terres privées appa rtena ient quasi exclusivement à des ferm iers blancs. Depuis, 20 millions d’hectares ont été redistribués Mais le processus est lent, complexe et opaque, guère exempt de clientélisme et de corruption, l’ANC s’étant désintéressé des masses rurales pour se focaliser sur la classe moyenne urbaine noire. Désormais, beaucoup de born free (Sud-A fricains nés après l’apartheid), contraints au désœuv rement dans des town ships sous la coupe de gangs, ou trimant comme métayers pour des fermiers afrikaners sur une terre volée à leurs ancêtres, remettent même en cause la quasi-sanctification de Madiba : ils reprochent au prix Nobel de la paix d’avoir, au nom de la Vu e aé ri en ne
Deuxième économie du continent, avec un PIB estimé à 405,9 milliards de dollars, il s’agit du pays le plus inégalitaire au monde.
La nation arc- en-ciel plongée dans le noir
La compagnie publique Eskom, gangrenée par la corruption, s’avère incapable d’alimenter en énergie la deuxième économie du continent, contrainte de tourner au ralenti. La crise énergétique est devenue l’incarnation de la paralysie du pays En 2023, les Sud-Africains ont subi 280 jours de coupures – pudiquement dénommées «délestages» par Eskom – contre seulement 65 jours en 2022 Mais à en croire le ministre de l’Électricité
Kgosientsho Ramokgopa, tout va bientôt rentrer dans l’ordre: «Le problème sera résolu dans l’année [2024, ndlr], il n’y aura plus besoin d’un ministère de l’Électricité en 2025», a-t-il juré en mars. Des propos qui ont tout d’une promesse préélectorale. De toute façon, une «hypothétique amélioration de la situation ne changerait rien au score de l’ANC», a répliqué Azar Jammine, du cabinet Econometrix à Johannesburg, tant les Sud-Africains sont en colère Les coupures, quasi quotidiennes et pouvant s’éterniser une douzaine d’heures, leur pourrissent littéralement l’existence. Les «délestages» font bugger les réseaux de téléphonie mobile, empêchent de cuisiner, et provoquent même des coupures d’eau en perturbant l’alimentation des pompes et des châteaux d’eau. Des familles mettent leur réveil en pleine nuit, pour profiter du bref retour de l’eau, afin de prendre des douches et de remplir des bassines en prévision des prochains arrêts ! ■ C.G.
Qu asi qu ot idi ennes , le s coup ures de courant com pl iq ue nt lourde me nt la vi e de s hab itants
réconciliation, bradé la justice sociale. En 2017, le président Jacob Zuma avait affirmé que « seulement 10 % des grandes entreprises sont détenues par des Noirs ». La réalité est plus nuancée, a calculé l’association Af rica Check : selon la Commission sud-africaine pour l’équité dans l’emploi, les Blancs représentent 8,8 % de la population active, mais deux tiers des postes d’encadrement dans le secteur privé. L’examen d’un échantillon de 130 entreprises, sur 324 inscrites à la Bourse de Johannesburg, montre que 60 % sont dirigées par des Blancs et 40 % pa r des Noirs. La question est ém inem ment politique : en 2017, afin d’allumer un contre-feu face au scandale, les Gupta avaient rémunéré une agence de communication br itannique, Bell Pott inger, af in de populariser le hashtag #W hiteMonopoly Capital, dans le but d’at tiser les tensions raciales dans le pays. Et aujourd’hui, cette question des inégalités et de leur correction est au cœur des débats électoraux Elle pourrait même entraîner la chute de l’ANC.
S’ABSTENIR PLUTÔT QUE DE VOTER CONTRE
Lors des élections de 2019, après la fuite rocambolesque des Gupta à Dubaï et la démission forcée de Zuma, l’ANC était descendu, pour la première fois, sous la barre des 60 %. Les sondages annoncent que, cette fois-ci, le parti pourrait perdre sa majorité : une enquête d’opinion réalisée par le think-tank Fondation de recherche sociale (SRF) le situe aux alentours de seulement 38 %… L’ANC pourrait donc se voir imposer, pour la première fois en trente ans, une coalition. Un ANC minoritaire ne serait plus seul à choisir le chef de l’État, le président de la République étant désigné par les 400 députés. Sans être une révolution, cela constituerait un changement de cap historique. Mais attention : si cette hy pothèse est la plus probable, elle ne constitue pas une certitude. Dans une analyse publiée en juin 2023 par News24 South Af rica et The Conversation, les universitaires Collette Schulz-Herzenberg et Robert Mattes rappellent la hauteur du score de l’ANC en 2019, malgré le scandale Gupta : 58 %. Ils l’expliquent par « la conf luence de deux tendances qui caractérisent les élections en Afrique du Sud : l’érosion du soutien à l’ANC et la montée de l’abstention ». Or, cette abstention croît plus vite que ne décroît la popularité du parti. La conjugaison de ces deux dy namiques contribue à maintenir artificiellement le parti à flots. Démonstration : en 20 06, 52 % de sondés se revendiqua ient « proc hes de l’ANC », mais le parti a réuni 66 % des suffrages trois années plus tard. En 2018, seulement 29 % des sondés s’affirmaient toujours « proches de l’ANC », qui a pourtant réalisé 58 % l’année suivante ! L’explication de ce décalage est mathématique : l’abstention a tr iplé de 14 % en 1994, dans l’enthousiasme des premières élections libres, à 51 % en 2019, dans le sillage du scandale Gupta. Les universitaires mettent donc en garde contre un enterrement prématuré du vénérable parti : pour de nombreux Sud-Af ricains, l’ANC est « le démon que l’on connaît » (the devil we know). Le traumatisme de l’apar-
theid restant vivace, les électeurs préfèrent s’abstenir plutôt que se risquer à un autre bulletin D’autant que la première force d’opposition, l’Alliance démocratique (DA, centre droit libéral, 84 députés), traîne une image de « parti des Blancs », et que la radicalité marxiste de l’opposition de gauche (EFF, Combattants pour la liberté économique, 44 députés) effraie les modérés. « L’opposition ne peut pas compter seulement sur la désillusion des électeurs. Elle doit convaincre qu’elle représente une alternat ive crédible », concluent Sc hulz-Herzenberg et Mattes Quelles « alternatives crédibles » se présentent donc aux électeurs ? Le phénomène le plus déroutant de cette campagne est sans conteste la résurrection de Jacob Zuma, que chacun pensait politiquement mort L’ancien président, poussé à la démission en 2018 par son vice-président Cy ril Ramaphosa lors du scandale Gupta, condamné à quinze mois de prison ferme – il en a effectué moins de trois –, et dont les partisans ont vraisemblablement déclenché les pillages de juillet 2021 (350 morts, 200 centres commerciaux et 1 200 magasins mis à sac…), a rejoint en décembre un nouveau parti, inspiré notamment par l’action de Winnie Mandela (19362018) et baptisé uMkhonto we Sizwe (MK, « fer de lance de la nation » en zoulou), du nom de l’ex-branche militaire de l’ANC. Début av ril, la justice sud-africaine a autorisé en appel le président déchu à se présenter aux législatives, malgré son passé judiciaire Le candidat Zuma entend changer la Constitution de 1996 (rédigée par Ramaphosa) qu’il considère comme « non représentative », remplie de « lois occidentales » ren forçant l’« oppression raciale socio-économique ». C’est à se demander qui était président entre 2009 et 2018… Simple baroud d’honneur ou désir de vengeance d’un vieux briscard n’ayant plus rien à perdre ? Quoi qu’il en soit, les sondages montrent une certaine popularité de Zuma dans la jeunesse et au KwaZulu-Natal, sa province d’origine. Il nuit non seulement à son ancien parti et à son ennemi juré Ramaphosa, mais il concurrence la gauche radicale, incarnée par les Combattants pour la liberté économique (EFF). Reconnaissables à leurs bérets rouges, les EFF militent pour une réforme agraire et la nationalisation des industries. Le parti a été fondé en 2013 sur les lieux du massacre de Marikana, symbole d’une ANC qui aurait trahi le peuple. Leur « commandant en chef », le bouillonnant Julius Malema – ancien chef de la Ligue de jeunesse de l’ANC (A NCYL), exclu en 2011 en raison de ses dérapages verbaux –se déclare prêt à rencontrer Jacob Zuma après les élections, afin de discuter d’une possible collaboration future. Après tout, Malema n’a que 43 ans, alors que l’ancien chef d’État vient de fêter ses 82 ans…
À droite, l’opposition demeure inca rnée pa r l’Alliance démocratique (DA), au pouvoir depuis 2009 dans la province du Cap- Occidental Crédité de 20 à 25 % des suffrages, ce parti libéral, dominé par des Blancs aisés, mais dont l’électorat comprend environ 20 % de Noirs, fera tout pour empêcher une coalition EFF-ANC. Le leader de la DA, John Steenhuisen,
L’a nci en prés i de nt Ja cob Zu ma, le 25 avri l 20 24
Le phénomène le plus déroutant de cette campagne est la résurrection de Jacob Zuma, que chacun pensait politiquement mort.
compare une telle alliance au Jugement dernier (Doomsday Coalition). Pour l’éviter, la DA s’est alliée à Action SA, le parti libéral à tendance xénophobe d’Herman Mashaba, ex-maire de Johannesburg Surtout, elle se dit prête à former une coalition avec l’ANC ! « Cela dépendra de quelle ANC on parle et quel serait son programme », s’est justifié Steenhuisen, en refusant de confirmer si des tractations avaient déjà lieu (ce qui est donc probablement le cas…) « Je ne vais pas rester assis et regarder mon pays tomber entre les mains de socialistes radicaux, il faut voir quelle est l’option la moins pire » Un plan de privatisation du boulet Eskom pourrait constituer une base solide à des tractations entre la DA et l’ANC.
Malmené dans les sondages, bousculé à sa gauche comme à sa droite, attaqué de toutes parts sur son bilan, l’ANC affichait encore, quelques semaines avant le scrutin, une conf iance inébranlable. Sa secrétaire exécutive, Nomvula Mokonyane, répétait avec aplomb que le parti « n’envisage pas de coalition », doutant que « les accords de partage de pouvoir » (power-sharing deal) puissent fonctionner. Mais ce sera aux 27,5 millions d’électeurs sud-africains, le 29 mai, d’en décider… ■
OUM
La chanteuse marocaine célèbre ses dix ans de carrière internationale avec un album live, Dakchi, enregistré à Marrakech, sa ville de cœur. Elle revisite SON RÉPERTOIRE
ÉCLECTIQUE, ORIGINAL, tissé de jazz, de soul, d’électro, de musiques sahraouies ou gnaouas. propos re cueillis par Astrid Krivian
J’ai grandi à Marrakech, capitale des traditions orales. La place Jemaa el-Fna et le souk vibrent d’une musicalité du texte. Les ferronniers martèlent en rythme pour fabriquer leurs objets d’artisanat. Il y a une joie de vivre, le sel dans la parole des gens du Sud. La ville ocre éveille les sens, à travers ses odeurs, ses couleurs, sa puissante luminosité. Mes inspirations premières viennent de cette cité d’art et d’artisanat. Mon père m’a transmis l’amour du verbe, de l’oralité, du rythme, notamment des polyrythmies caractéristiques du Maroc, et en particulier de Marrakech. Fonctionnaire, il était aussi peintre, auteur d’une œuvre artistique importante, et écrivait des poèmes Comme dans de nombreuses familles marrakchies, il pratiquait la musique. On jouait et on chantait ensemble les répertoires traditionnels.
Il m’a aussi appris l’importance de se libérer, tout en restant intègre. Nul besoin de choquer, d’être arrogant ou provocant pour être libre. On peut exister avec notre différence, la creuser, la revêtir, vivre avec elle, et parvenir à exister dans les yeux des autres. Les changements, qu’ils soient individuels ou collectifs, peuvent s’opérer dans la douceur, l’amour, la sérénité. La musique est un grand atout. On insuff le de l’amour dans le texte et dans la mélodie. À travers l’émotion, la sensation, une chanson nous touche et nous amène vers un état plus serein.
J’ai appris la musique en autodidacte, de façon spontanée, instinctive, naturelle. En plus de ces soirées familiales, je chantais du jazz, de la soul, du R’n’B, du gospel, le répertoire classique arabe. J’ai commencé à écrire mes textes en anglais, mais je n’arrivais pas à exprimer mes émotions avec justesse. Au début des années 2000, au Maroc, une nouvelle scène alternative chantait et écrivait en darija [l’arabe dialectal marocain, ndlr] sur des musiques d’ailleurs – reggae, rap, heav y metal. Je suis tombée amoureuse de cette langue, qui se transmet à l’oral, par la mémoire auditive et corporelle J’ai suiv i des études d’architecture pendant six ans, je ne me préparais pas à une carrière musicale. Je chantais pour mon bien-être. Puis un jour est venu, et je suis montée dans le bateau !
En Afrique, la tradition appartient à la fois au passé et au présent. C’est une expression contemporaine des sociétés, présente dans les vêtements, les objets, les arts. La mondialisation n’a pas effacé les expressions originelles. Au Maroc, on écoute les musiques traditionnelles au quotidien, aux mariages, chez l’épicier. Ces musiciens transmettent à leurs descendants, et les airs sont protégés grâce à la volonté humaine.
La musique est un océan dans lequel on puise et on reverse notre propre expression. Quand une inspiration vient, je dois l’honorer et donner le meilleur de moi-même L’art musical est le témoin, le miroir de nos émotions, de nos expériences Et on en apprend sur nous-mêmes ; connaître notre identité est le travail d’une vie. Précieuse, presque sacrée, elle vient de notre version immatérielle Donc on ne peut pas mentir, ou charger la musique de choses qui ne nous appartiennent pas. ■ Sort i le 22 ma rs 2024
«Les changements, qu’ils soient individuels ou collectifs, peuvent s’opérer dans la douceur, l’amour, la sérénité.»
Un e illu stration re présenta nt Es teva nic o, pi onni er d e l’ex pl oratio n du contin ent am ér icain.
MARC TERRISSE
Estevanico, premier explorateur africain du Nouveau Monde
Docteu r en histoi re, Ma rc Terr isse s’est intéressé à la vie de cet incroyable précu rseu r et a su iv i ses traces, depuis le Ma roc jusq u’en Ar izona. propos recueillis par Cédric Gouverneur
Marc Terrisse, Estevanico : l’extraordinaire destin de l’esclave marocain devenu explorateur en Amérique, Éditions Érick Bonnier, Paris, 2023
Au début du XV Ie siècle, une expédition de conquistadors espagnol s su r le s côte s de Flor ide fa it nauf rage Pa rm i la poig née de rescapés, figu re Estevanico, un esclave né à Azemmour, au Maroc. Grâce à ses talents de guér isseur – certainement inspirés des traditions des Gnaouas marocains –, les surv ivants vont cohabiter avec les Premières Nations, passer d’un village à l’autre et demeurer en vie… Ils mettront une dizaine d’années pour regagner les colonies espagnoles du Mexique, explorant en chemin toute la zone correspondant à l’actuel sud-ouest des ÉtatsUnis ! À leur retour, les autorités espagnoles vont utiliser la renommée d’Estevanico auprès des autochtones pour demander au Marocain de serv ir de guide à une seconde expédition, qui lui a probablement été fatale Du Maroc à l’Arizona, l’historien Marc Terrisse s’est rendu sur les traces de cet explorateur africain trop méconnu. Entretien.
AM : Comment et pourquoi vous êtes -vous intéressé à Estevanico ?
Marc Terrisse : Ma découverte de ce personnage est liée aux recherches que j’avais effectuées pour mon précédent livre, au sujet de la communauté arabe de New York (New York, portrait d’une ville arabe, Éditions Bibliomonde, 2023). Pour les Arabes-A méricains, Estevanico, venu au début du XV Ie siècle en Floride, est en quelque sorte le premier d’entre eux. J’ai donc enquêté sur ce siècle-là. Estevanico, esclave marocain, africain, musulman, a été projeté malgré lui dans la protocolonisation de l’Amérique.
Que sait-on du rôle qu ’a joué Estevanico au sein du petit groupe de rescapés de l’expédition de 1527 ?
Les sources sont les « relations » (les rapports écrits) des trois conquistadors surv ivants : Cabeza de Vaca, dont le texte est devenu un classique littéraire, Dorantes, le maître d’Esteva nico, et Del Cast illo. Esteva nico y est le plus souvent décrit comme « le Noir »… Mais dans les écrits de son maître Dorantes, on relève une certaine proximité, une forme d’affection. D’abord utilisé comme auxiliaire militaire, il va jouer un rôle plus important : celui de chamane offrant ses soins aux autochtones. Je relève des analogies év identes entre la description que font les Espagnols des soins prodigués par Estevanico et les pratiques des Gnaouas marocains, qui descendent d’esclaves subsahariens ! Ce sont son talent et son entregent qui vont permettre au petit groupe de surv iv re. En raison de son parcours de vie, il devait certainement posséder une certaine facilité pour les langues : il parlait arabe ou berbère, il a dû apprendre le portugais et l’espagnol. Et surtout, il a appris à évoluer dans des milieux différents et à s’y adapter : les Espagnols l’envoyaient donc en avant pour prendre contact avec les populations locales.
Vous rappelez que de nombreux Africains ont accompagné, souvent bien malgré eux, les conquistadors Beaucoup d’Af rica in s ont accompagné les conquistadors espagnols et portugais, et ce dès le XV Ie siècle Les esclaves étaient nombreux à Séville et à Lisbonne, notamment, où ils étaient domest iques et auxiliaires militaires Parmi eux, Juan Garr ido, qui a accompag né Cortés dans ses expéditions mexicaines, est sans doute le plus connu.
« Il est envoyé en éclaireur auprès des populations autochtones, qui ont entendu parler de ses dons de guérisseur : il est devenu une figure my thique. »
L’une des hy pothèses est qu’il entretenait des liens étroits avec son maître Dorantes Il n’a sans doute pas voulu l’abandonner. Les trois Espagnols, privés d’Estevanico – leur intermédiaire, interprète et guér isseur –, n’auraient sans doute pas survécu très longtemps Après une dizaine d’an nées d’er rance, ils sont donc pa rvenus à regagner les colon ies espagnoles au Mexique. Mais Estevanico est bientôt renvoyé dans le Nord, pour guider en 1539 une seconde expédition, cette fois à la recherche des « Sept Cités de Cibola » (un my the assez similaire à celui de l’Eldorado), avec un moine nommé Marc de Nice. Lors de cette ex pédition, il est év ident qu’Estevanico envisage de s’émanciper : il n’a plus à veiller sur Dora ntes, qui n’est plus là Il est envoyé en éclaireur et il est visiblement apprécié des populations autochtones, qui le reconnaissent ou ont entendu parler de ses dons de guérisseur : il est devenu une figure my thique.
Vous rappelez dans votre ouvrage que beaucoup d’étrangers enlevés ou adoptés par les Premières Nations ont choisi de rester parmi elles, du fait de la liberté et de l’égalitarisme qui régnaient dans les sociétés autochtones. Pourquoi Estevanico n’a-t- il donc pas faussé compagnie aux Espagnols ?
L’explorateu r es pagn ol Ca beza de Va ca a été l’un de s com pagn ons de route d’Es teva nic o.
Lors de cette seconde expédition, il aurait été tué par des Amérindiens du peuple zuni. La source principale sur ces événements est la relation de Marc de Nice, le moine qui avait organisé cette expédition à la recherche des cités fabuleuses de Cibola – finalement, de modestes villages. Les Premières Nations du continent, effrayées par la cupidité des conquistadors, s’en débarrassaient en leur racontant que, plus loin, il y avait une cité pleine d’or (« Eldorado » en Amérique du Sud, « Cibola » en Amérique du Nord) – que les envahisseurs ne trouvaient jamais, puisqu’elle n’existait
pas ! Estevanico avait pris de l’avance sur Marc de Nice, et lui envoyait des messagers pour l’entraîner çà et là, comme s’il tentait de l’égarer. Le moine écrit qu’Estevanico aurait été tué par une flèche des Zunis devant l’entrée de « Cibola » : ces derniers n’auraient « pas apprécié le comportement d’Estevanico envers leurs femmes ». Si l’homme avait bonne réputation chez les autochtones, il ouvrait aussi la voie à de dangereux envahisseurs Les Premières Nations voyageaient beaucoup : des fouilles ont, en effet, permis de retrouver des objets loin de leur site de production La région de l’actuel Arizona entretenait des échanges commerciaux et culturels avec l’empire aztèque, conquis et anéanti par les Espagnols en 1521. Les Zunis ont fini par apprendre ce qui était arrivé à leurs voisins du sud : Estevanico et ses compagnons représentaient donc une menace. Mais
le corps d’Estevanico n’a jamais été retrouvé : il lui aurait été facile de faire courir le bruit de sa mort pour refaire sa vie au milieu des populations autochtones !
Vous dites qu ’au Maroc, Estevanico est bien connu. Il est le héros de plusieurs romans marocains : Le Fils du Soleil, de Hamza Ben Driss Ottmani, et The Moor’s Account, de Laila Lalami, qui imagine la relation de voyage qu’aurait pu écrire Estevanico En 2013, il est le thème du festival de street art Remp’A rts dans sa ville natale, Azemmour, où il est d’ailleurs de plus en plus célébré, dans un processus de mise en valeur, tel un Christophe Colomb marocain. Il faut préciser que le Maroc est le premier pays à avoir reconnu l’indépendance des États-Unis ! Les relations entre les deux nations sont donc anciennes et profondes.
Vous expliquez qu ’Estevanico est aussi réputé aux États -Unis. Il existe une véritable my thologie autour de la figure d’Estevanico dans la culture afro-américaine, qui le met en avant depuis les luttes pour l’émancipation et les droits civiques dans les années 1950 et 1960 Après tout, il a été le premier Africain à explorer ce qui est devenu le sud des États-Unis De nombreux romans écrits par des Afro-A méricains font appel à lui : Elizabeth Shepherd, avec The Di scoveries of Esteban the Black en 1970, Helen Rand Parish, avec Estebanico en 1974 Caroly n Arrington édite en 1986 une biographie romancée destinée aux enfants, connue sous le titre Estevanico, Black Ex plorer in Spanish Te xa s, tandis que Black Conqui stador: The Stor y of the First Black Man in Amer ica, de Mac Perr y, sort en 1998. Le basket teur star Kareem Abdul-Jabbar a publié en 1996 une anthologie de biographies de Noirs américains estimés pour leur courage, où Rosa Parks côtoie Estevanico. À Austin, au Texas, Estevanico a même sa statue devant le Capitole ! Je l’ai vue, et c’est assez curieux : il est représenté avec une « fraise », un vêtement noble que portaient les gentilshommes au XVIe siècle
Il aurait même inspiré un dessin animé populaire auprès du public francophone, Les Mystérieuses Cités d’or…
Le person nage d’ Esteba n da ns ce dessin an imé vient d’Estevanico, et ces cités d’or sont inspirées du my the des Sept Cités de Cibola. D’autres adaptations sont plus récentes : Netf lix fait une discrète allusion au personnage d’Estevanico dans sa série d’animation Maya, princesse guerrière, produite en 2021. Il est question, dans le troisième épisode de la première saison, d’un thaumaturge au ty pe afro-américain officiant sur l’île lunaire. Le bâton de ce magicien répond au nom d’Estephan, clin d’œil év ident à Estevanico.
À la réserve des Zunis, où il aurait été tué, le nom d’Estevanico est également toujours connu !
Je m’y suis rendu et j’ai rencontré ses représentants, qui m’ont confirmé que la tradition orale, de génération en génération, a transmis le souvenir d’un guerrier noir un peu sorcier. Il avait une image positive du fait de sa réputation de guérisseur, mais il se serait montré insistant envers des femmes du village, ce qui aurait conduit à sa mise à mort Quant aux Cités de Cibola, ce my the après lequel les conquistadors ont couru en vain, elle n’est qu’un tas de ruines au milieu du désert Estevanico est donc parvenu à jongler entre ces différents univers – africain, européen, amérindien – pour tirer son épingle du jeu et s’en sortir, malgré sa condition d’esclave ?
Il a su ti sser de s lien s ét roit s avec son ma ît re Dorantes, ce qu i lu i a sa ns doute perm is d’amél iorer son sort Il a su s’intégrer da ns le quot idien de s Prem ières Nat ions, grâce à sa faci lité pour l’apprenti ssage des la ng ues et du fa it de ses connai ssances médicinales C’est en cela que son dest in est un iver sel. ■
Extraits
Avant-propos
Au-delà de la figure my thique, vient ensuite le temps des certitudes historiques, fort compliquées à résumer dans le cas qui nous occupe. Les recensions s’accordent sur plusieurs points En 1527, Estevanico s’embarque depuis l’Espagne avec son maître Andrés Dorantes de Carranza sur un des bateaux qui compose l’expédition placée sous la houlette de Pánfilo de Narváez. Celle-ci consiste à s’emparer de la Floride au nom de la couronne espagnole. Une nature impénétrable et hostile, des Indiens redoutables, la maladie, les colères océaniques déciment un à un les explorateurs avides d’or entre 1528 et 1532 Au large d’une ville appelée Aute par les Amérindiens, localité située non loin des rivages de l’Alabama, ils tentent dès l’été 1528 de construire des rafiots de fortune pour retrouver la flottille partie chercher un port d’attache introuvable en direction de l’ouest. Les radeaux de la Méduse font naufrage sur l’île de Galvestone, baptisée île du malheur, située à quatre-v ingts kilomètres au sud de Houston. En s’échouant sur des rivages inconnus, il faut composer avec les maîtres des lieux. Les petits groupes de rescapés s’intègrent aux communautés indigènes. Entre 1529 et 1534, les conquérants séparés et subissant la ser vilité parviennent à s’émanciper en pratiquant un chamanisme teinté de catholicisme. À partir de 1532, ils ne sont plus que quatre, dont Estevanico. Dès 1534, ils prennent la route vers l’ouest et empruntent un itinéraire compliqué à retranscrire Accueillis en grande pompe par les nations autochtones qu’ils rencontrent, ils sont considérés comme des demi-dieux guérisseurs. Parcourant une Transaméricaine avant l’heure tout en menant une vie de clochards célestes à la mode Jack Kerouac, les rescapés recollent en 1536 au nord du Mexique aux colonisateurs espagnols. Leurs compatriotes les ramènent à Mexico, un peu moins de dix ans après leur départ des côtes andalouses
Les aventures d’Estevanico ne s’arrêtent pas en si bon chemin. Recruté en 1538 par le pouvoir en place à Mexico, à savoir le Vice-Roi Mendoza,
il part recenser en 1539 les sept cités de Cibola situées au nord du Mexique, dans les États de l’Arizona et du Nouveau-Mexique qu’il traverse et dont il connaît l’accès grâce aux liens qu’il noua avec les Amérindiens lors de ses précédentes pérégrinations Ce voyage lui octroie le titre de premier non Amérindien à avoir foulé le sol de ces régions du sud-ouest des États-Unis. Chaperonné par le Frère franciscain Marc de Nice, la tradition le fait disparaître dans la cité de Hawikuh, patrie des Zuñis, en 1539.
Le rôle d’Estevanico pendant l’exploration floridienne
Chez les Gnawas, un parcours individuel chaotique est l’épreuve initiatique que doit connaître tout medicine man. Les sentiers existentiels sillonnés par Estevanico et ses compagnons, les chemins empiriques traversés depuis Azemmour pour le premier et Sanlúcar de Barrameda pour les trois autres, ont vraisemblablement attiré l’attention des Indiens sur les quatre hommes. La proposition autochtone de les former que semble exprimer De Vaca proviendrait-elle de cette trajectoire ?
Se déplacer sur de longues distances n’avait rien d’exceptionnel pour les Amérindiens capables de franchir des milliers de kilomètres pour se rendre à des conseils ou d’autres événements politiques et religieux. La souffrance des quatre explorateurs a-t-elle joué dans cette appréciation ? C’est une éventualité, un déclencheur potentiel. S’appuyant sur les connaissances de Malika et les travaux issus de la littérature spécialisée sur la question, l’inspecteur historien pense qu’Estevanico a joué un rôle clef dans cet épisode du chamanisme qui se situe au cœur du périple des rescapés de l’expédition de Narváez. L’esclave africain avait-il des connaissances en la matière avant de débarquer en Europe et en Amérique du Nord ? La réponse peut se faire par l’affirmative. La longue tradition des marabouts, des chamanes et des cérémonies de possession imprime le paysage socioculturel marocain depuis des siècles, pour ne pas dire des millénaires Les origines subsahariennes alléguées par beaucoup d’auteurs ne remettent pas en cause cette présomption. S’il n’avait pas d’expertises précises dans les activités parapsychologiques,
Estevanico était au moins familier de cet univers et probablement plus ouvert que ses compagnons de culture catholique à la question. Si les pratiques sont condamnées par l’islam rigoriste, elles demeurent ancrées dans les sociétés musulmanes nordafricaines ; c’est dire leur degré d’intrication social et culturel dans le champ maghrébin et africain. Le statut de membre d’une confrérie comme celle des Gnawas renvoie à la marginalité, contrairement à la place du sorcier amérindien qui apparaît plus respectée si l’on s’en tient au texte de Cabeza de Vaca. Cette position plutôt enviable aurait peutêtre agi comme un déclic pour l’esclave africain.
Toujours selon la relation de voyage de l’hidalgo espagnol, les Amérindiens auraient simultanément initié Estevanico et le conquistador. Le premier se serait toutefois mis à prodiguer des soins plus tardivement que le second. Estevanico, coutumier de pratiques qui ne le surprennent pas, a pu être sensibilisé par ses futurs confrères amérindiens. Les connexions entre ce qui est présenté par De Vaca, bien qu’abâtardi par la coercition dogmatique, et ce qui est considéré en termes de ritualité au Maroc, sautent aux yeux ; persuadant l’enquêteur d’un métissage de cultes et d’un apport d’un individu exogène aux natifs de Floride. Ce personnage entremetteur ne peut être qu’Estevanico. Les Gnawas ne font en outre que perpétuer des traditions multiséculaires qui préexistaient avant eux et Estevanico ferait office d’ancêtre de ces pratiques. Quoi qu’il en soit, tout cela confère à Estevanico une fonction proéminente dans cette aventure Quant à la prééminence de Cabeza de Vaca dans les soins, elle est à placer dans le registre de la supériorité qu’il s’ingénie à promouvoir dans sa prose pour sauver la face d’un revers peu glorieux. La reconnaissance dont font preuve les Amérindiens à l’égard du guérisseur africain ne se dément pas au fil des pages du récit. Elle se révèle un atout pour la deuxième expédition dans laquelle l’esclave est engagé L’énigme concernant sa loyauté aux Espagnols alors qu’il aurait pu s’arroger sa propre liberté repose éventuellement sur une sincérité des sentiments qu’il éprouve pour Dorantes Comme cela a déjà été exprimé ultérieurement, le nom d’Estevanico, le petit Esteban, pourrait impliquer une forme de tendresse et d’amitié de la part de son maître. Ses prouesses lors de cette traversée de l’Amérique du Nord d’est en ouest ne lui valent pourtant pas un affranchissement ■
his to ire
Témoin de son temps et père de la sociologie, il traverse les siècles avec une œuvre d’une modernité singulière. Voyage d’hier à aujourd’hui.
par Fr ida Da hm ani
L’incroyable présence d’Ibn
KhaldounPour les Tunisiens, Abderrahmane Ibn Khaldoun est une figure familière. Des quartiers, des rues, des lycées, des universités, des maisons de la cu lt ure portent son nom ; des billets de dix dinars sont à son effigie ; une imposante statue interpelle les passants place de l’Indépendance, à l’intersection de l’avenue Bourguiba et de l’avenue de France, deux axes majeurs de Tunis. La juste place de cet historien et père de la sociologie moderne ne peut, en effet, qu’être centrale dans la capitale, sa ville natale. Or, aucun port rait de l’homme n’est jamais parvenu à qui que ce soit, et c’est le concepteur de la sculpture, le célèbre plasticien Zoubeir Turki, qui lui a donné son propre visage pour l’éternité. Ibn Khaldoun est aussi l’un des penseurs arabes les plus enseignés au programme du cycle secondaire, et incontournable pour ceux qui, à l’université, étudient l’histoire, la sociologie ou même des matières comme l’histoire de l’économie ou des populations. Sa contribution est telle qu’il est étudié également au Maroc, en Algérie, en Ég ypte, pays où il a vécu, mais également au Liban et dans les universités occidentales. Intellectuel hors pair, il a restitué dans son œuvre une analyse des équilibres, aussi bien sociaux que naturels, ainsi que le rapport au pouvoir. Son œuvre est une référence à l’université et dans la recherche, tandis que le grand public s’approprie des phrases comme : « La domination arabe s’accompagne de ruine », pour exprimer un bilan négatif.
Ibn Khaldoun, né en 1332, dans le quartier andalou, au cœur de la médina de Tunis, n’est pas abordé comme une référence du Moyen Âge, mais comm la modernité est percutante. C’es à cela que s’attache la démarche d’ in sc ript io n de so n œuv re Al-Muqqadima, ou l’introduction de son Livre des exemples, sorte de Di scours sur l’hi stoire universelle, au regist re « Mémoire du monde » de l’Unesco, qui répertorie depuis 1995 des textes et de collec tions du patrimoine docu mentaire dont, pour la Tunisie, l déclaration de l’abolition de l’es clavage promulguée en 1841 et fonds musical, une compilation de musique arabe réalisée par le baro Rodolphe d’Erlanger Des travaux des textes majeurs, uniques. Quan au corpus d’Ibn Khaldoun, la Tuni a été prise de court par le Maroc, qu possède un manuscrit d’une part
Penseur arabe du Moyen
Âge, parmi les plus enseignés, son universalité est telle que chacun veut se l’approprier.
du Livre des exemples (Kitab al-Ibar) et l’a inscrit au registre de la mémoire en 2011 « L’universalité d’Ibn Khaldoun est telle que chacun veut se l’approprier, alors qu’il a été sans doute le premier Maghrébin à s’exprimer à partir de son expérience », assure l’historien Faouzi Mahfoudh, qui rappelle que la famille d’Ibn Khaldoun était originaire de la péninsule arabique, était liée au prophète Mohamed et avait migré en Andalousie avant de se replier à Tunis lors de la Reconquista espagnole. Lors d’un entretien préliminaire à l’Unesco, l’initiateur de la démarche Abdelhamid Larguèche, l’islamologue Gabriel Martinez-Gros, spécialiste d’Ibn Khaldoun, et l’économiste Elyès Jouini ont été attentifs à la suggestion de Tawfik Jelassi, sous-directeur général de l’Unesco pour la communication et l’information, d’effectuer « une inscription conjointe qui associe d’autres pays Tunisie, d’autant que l’œuvre et la vie d’Ibn doun s’y prêtent ». Ces éléments pèseront ns la recommandation de classement qui urra alors être adressée au Conseil exécutif
Da ns Al -M uqqa dim a, l’auteu r té moign e de la po rtée de son savoir, étonna mment moder ne et précur seur.
Un e cl ass e de l a Kh aldounia, première assoc ia ti on cu lt urell e tu nisi enne en 19 08 de l’Unesco, à qui rev ient la décision finale, attendue courant 2025. Toute la réflexion développée par le célèbre penseur découle de son parcours Grâce à une solide formation reçue à l’université de la Zitouna, à Tunis, le jeune Ibn Khaldoun est dest iné à occuper un poste de juriste ou de consei ller auprès de la cour Il parfait son éducation en rencontrant de nombreux savants qui font étape à Tunis, parmi lesquels le Marocain Al-Abuli, qu’il rejoindra plus tard à Fès. Ces rencontres avec des érudits ou des hommes de pouvoir vont être déterminantes dans le parcours très tumultueux d’Abderrahmane Ibn Khaldoun. S’il apprécie les échanges doctes et les raisonnements subtils, il est aussi consulté par les princes, confronté aux intrigues du sérail, mis au serv ice de différents sultans (dont certains qu’il trahit). Il opère également des volte-faces politiques, et se trouve mêlé à des conspirations. Chaque péripétie semble construire un parcours qui le porte jusqu’en Andalousie, une région qui a profondément marqué l’histoire familiale Son objectif initial était d’aller à Fès pour peaufiner ses ét udes. Avant de part ir, il épouse à Tunis la fille du général Mohammed Al Hakim, ancien ministre de la Guerre de l’armée hafside. Il sert alors les Mérinides à Fès, les
Abdalwâdides à Tlemcen, les Zirides à Grenade et les Hafsides à Tunis, puis se rend jusqu’à Grenade, où il évalue la grandeur de ce qu’a été El Andalos lors de l’âge d’or des Arabes. Il se rend de nouveau à Fès, Tlemcen, Grenade et Béjaïa, pris dans les tourments et les conf lits qui traversent et secouent les territoires de l’actuel Maghreb. Ibn Khaldoun alterne les grands honneurs et les temps de disgrâce, jusqu’à ce qu’il mette un terme à ce parcours erratique, en se retirant de toute activité
politique. De 1374 à 1377, sous la protection de la tribu des Ouled Arif, il se réfugie dans la forteresse de Taoughazout, l’actuelle wilaya de Tiaret, sur les hauts plateaux algériens. Dans ce monde berbère qu’il apprécie plus que tout, Ibn Khaldoun consigne pendant trois ans ses réf lexions sur le monde. C’est une première version d’Al-Muqqadima ou Prolégomènes du livre des exemples, introduction, qui est à elle seule un essai philosophique sur l’Histoire. Il la complète à Tunis où il termine la rédaction du Livre des exemples, dont il of frira des exemplaires à certains princes.
En considérant l’histoire comme une science, Ibn Khaldoun développe dans Al-Muqqadima, à l’appui d’une méthodologie, sa réflexion sur la civilisation Chaque partie est spécifique Il commence par une théorie de la sociabilité naturelle, l’incidence du milieu, un aperçu psychologique et ethnographique. Il poursuit avec ses observations sur les nomades, les peuples primitifs et les tribus, et opère une distinction entre bédouinité et citadinité. Il évoque ensuite le mouvement dialectique d’une culture et examine les phénomènes de cohésion et de solidarité comme fondements d’une dy namique sociopolitique Le troisième chapitre est consacré aux dy nasties et aux régnants, à l’exercice du pouvoir, à l’autorité spirituelle, ainsi qu’aux institutions. Une autre partie est dédiée au milieu urbain, à l’organisation de la cité, à l’économie, au travail et aux classes sociales. Il clôture par ce qui a trait aux sciences, à leurs classifications, au langage et à la société, à la pédagogie et aux disciplines philosophiques et littéraires.
Beaucoup font le parallèle entre son récit des épidémies de peste et celle, contemporaine, du Covid…
De nos jours, l’à-propos d’Al-Muqqadima est troublant. Beaucoup de spécialistes du penseur font le parallèle entre l’épidémie de la peste, qu’il évoque dans cette introduction comme un temps clivant, et la toute contemporaine pandémie du Covid. Les mêmes causes auraient donc les mêmes effets. D’autres relèvent que la redécouverte, souvent par le biais de traducteurs occidentaux, de l’ouvrage par les élites intellectuelles du Maghreb et de l’Ég ypte au XIXe siècle, a accompagné la naissance de la pensée réformiste Les débats s’installent notamment sur son « souci d’établir des frontières nettes entre ce qui relève des facultés humaines de connaître et ce qui relève de la révélation divine ». Il fait naître une certaine admiration chez ses contemporains pour avoir pu tenir, selon l’historien anglais Arnold Toynbee, « sans contradiction une position aussi fascinante » : unir « l’orthodoxie musulmane sans faille et sa sy mpathie pour la mystique soufie à la conviction qu’il avait créé une nouvelle science ». Des propos qui résonnent, notamment auprès d’une nouvelle génération décomplexée qui cherche
à s’affranchir du joug colonial, mais également d’une pensée arabe trop codifiée. La quête d’une identité propre, qui conduit en 1895 à la création de la première association culturelle tunisienne moderne, fondée par le mouvement des Jeunes Tunisiens, et qui affichait sa volonté d’émancipation dans un contexte colonial : celle-ci portait le nom de « Khaldounia ». Ibn Khaldoun a apporté la référence nécessaire aux populations du monde arabe pour qu’elles s’affirment face à et vis-à-vis de l’Occident. Il est, selon l’historien Abdesselam Cheddadi, « le seul des penseurs musulmans qui est allé jusqu’à mettre en cause l’édifice scientifique global tel qu’il avait été échafaudé par la philosophie grecque et hellénistique, en admettant la possibilité – voire la nécessité – de prendre l’histoire, la société et la civilisation comme un objet d’étude scientifique ». C’est exactement tout le propos d’Al-Muqqadima. Alors qu’il semblait que sa vie s’apaisait avec son retour à Tunis, l’inimitié du rigoriste Ibn Arafa lui vaut d’être harcelé et taxé d’hérétique, d’autant qu’il avait négligé de remettre, comme le veut l’usage, un exemplaire de son Livre des exemples au souverain – un impair qui ne lui sera pas pardonné. À 45 ans, définitivement lassé par la politique, il prétexte faire le pèleri nage et s’ex ile au Ca ire en 1383. Là, il est confronté à une autr e tr agéd ie : un nauf rage dans lequel il perd sa femme et ses cinq filles, qui devaient le rejoindre en 1385 Il finit alors sa vie entouré de ses trois fils. Lui qui pensait être devenu un renégat, il est reç u avec tous les honneurs au Caire, où Say f ad-Din Barquq, le général fondateur de la dy nastie Mamelouk, le désigne grand cadi malékite en même temps qu’il en fait son émissaire. Encore une fois, le sérail s’agace de cet étranger venu de l’ouest, le trouvant parfois hautain Bien que démis de sa charge de cadi pas moins de cinq fois, il regagne toujours les grâces du sultan. Entre deux missions, celui qui tenait à porter le burnous et la coiffe à la manière des lettrés tunisiens se contente d’enseigner. En 1400, il rencontre Tamerlan à Damas et lui demande, avec un groupe de notables, d’épargner la ville. Il est fait prisonnier, puis devient l’hôte pendant 35 jours du successeur de Gengis Khan, avec lequel il a des conversations sur les sujets les plus divers, et qui lui propose d’être son conseiller et historiographe, sans toutefois tenir son engagement d’épargner la cité Épuisé, déçu, il rentre au Caire, où nul ne lui reproche son absence, et retrouve son titre de cadi. Il s’éteint lors du ramadan, en mars 1406 Il est enterré au cimetière des soufis du Caire, sans avoir jamais revu Tunis. ■
«Abdelhamid Larg uèche Dépasser les frontières
Au x côtés de son collectif, l’historien tunisien entame des démarches pour qu ’Al-Muqqadima soit inscrit au registre de la « Mémoire du monde » de l’Unesco. Une am bition qui implique aussi le Maroc, l’Algérie, l’Ég ypte et la France.
En plei n préparat ifs pour une ex position et un colloque sur la vie et l’œuvre d’Ibn Khaldoun, qui démarre le 24 mai à Tunis, l’historien loue la modernité du père de la sociologie. Avec un collectif d’historiens et d’intellectuels, Abdelhamid Larguèche entame une démarche pour inscrire Al-Muqqadima dans le registre de la « Mémoire du monde » de l’Unesco.
Quelle est la portée d’Ibn Khaldoun ?
Abdelhamid Larguèche : Retracer son parcours, c’est suivre les pas d’un moderniste pionnier, qui a été comparé à Sigmund Freud, père de la psychanalyse, et à Karl Marx, théoricien du socialisme Il a découvert le mécanisme du fonctionnement de la société comme un enfant qui aurait découvert celui d’un jouet. Lorsque la société s’est démembrée, lorsqu’il y a eu un effondrement démographique, lorsque les souks et les corporations se sont vidés en raison de la peste et des conf lits, Ibn Khaldoun a perçu l’importance de la fiscalité, de l’économie, de la civilisation, mais aussi du travail des gens ordinaires Que représente sa reconnaissance par l’Unesco ?
Nous avions déjà transmis un dossier à l’Unesco en 2017, qui est resté sans suite. Nous entamons une nouvelle démarche, qui se concentre sur la modernité de cet homme du Moyen Âge. Son travail éclaire l’humanité et lui confère une envergure universelle Le dossier proposé en 2017 était porté par la Tunisie. Cette fois, pour mettre en valeur l’universalité d’Ibn Khaldoun, il s’agit d’une inscription conjointe, qui concerne non seulement la Tunisie, mais aussi l’Espagne, l’Algérie, le Maroc, l’Ég ypte et la France. Ibn Khaldoun nous éclaire. Sa propre route a été obscurcie par des intrigues, parmi lesquelles la polémique avec le rigoriste Ibn Arafa, qui a tout fait pour l’éloigner de Tunis – si bien qu’il a dû s’exiler. À l’époque, l’Ég ypte était une terre de convergence des savants. Alexandrie et Le Caire, étapes sur la route du pèlerinage, étaient considérées comme des étapes du savoir, un temps consacré à la réf lexion et la connaissance. Quelles réactions cela suscite-t- il ?
Certains ont exprimé leur intérêt, comme l’université de Leyde (Pays-Bas), qui nous a fait parvenir d’extraordinaires copies numériques de manuscrits. La démarche auprès de l’Unesco sera longue, mais il y a là comme un appel à la réha-
bilitation de certaines valeurs dans un monde déchiré au nom des populismes, des nationalismes, ceux-là mêmes qu’avait analysés et dénoncés Ibn Khaldoun. Ces écrits ne sont pas uniquement une réponse à la peste, mais aussi au mal d’aujourd’hui, au mal-être et malaise dans la civilisation que nous éprouvons. Nous désirons insuff ler cet état esprit à cette dy namique de rapprochement et de convergence autour de l’idée d’une inscription conjointe de tous les pays.
Ne craignez-vous pas des difficultés diplomatiques, notamment entre l’Algérie et le Maroc ?
Il faut les dépasser. L’importance de Fès dans le parcours d’Ibn Khaldoun est conséquente. Mais il a aussi été imprégné par l’école de Tlemcen, où il a forgé une partie de son expérience intellectuelle, sans toutefois diffuser ses écrits en Algérie. Quoi qu’il en soit, Ibn Khaldoun a fait et fait son chemin Il appartient à tout le monde.
La série d’événements qui accompagnent la demande d’inscription est marquée par l’exposition du 24 mai.
Nous avons choisi le palais Kheireddine, dans la médina de Tunis, pour son authenticité. À deux pas de l’école coranique que fréquentait Ibn Khaldoun et de sa maison natale C’est essentiel, car l’urbanité est centrale chez lui. Il est le penseur de la ville, notamment en temps de crise. Le parallèle entre les observations qu’il a tirées de l’épidémie de peste à Tunis et celles de la pandémie du Covid est saisissant. L’exposition retrace ses pérégrinations, apporte un éclairage sur certaines périodes de sa vie, sa personnalité Elle recense aussi les lieux où sont ses manuscrits et les travaux des traducteurs qui ont permis de le redécouvrir au XIXe siècle.
Il est aussi question d’un colloque.
Oui, afin de couvrir les volets académique et scientifique indi sp en sables pour évoque r un monu me nt te l qu’ Ibn Khaldoun. Mais nous souhaitons le relier à d’autres aspects. Par exemple, la première association tunisienne porte le nom de Khaldounya et a accompagné la naissance de la conscience nationale en Tunisie. Aussi, sa stature est si inspirante que l’on pourrait imaginer le lancement d’un appel aux créateurs, artistes, cinéastes pour un grand film ou une série. ■ propos recueillis par Frida Dahmani
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DORCY RUGAMBA
« À TRAVERS SES ARTS, LE RWANDA RETROUVE SON ÂME »
Comédien, metteur en scène, auteur, il suit les traces de son père, poète et chorégraphe. Enfant du génocide, il se veut « passeur d’art et de culture » entre Bruxelles et Kigali.
propos recueillis par As tr id Kr iv ia n
Metteur en scène, comédien et dramaturge rwandais, Dorc y Rugamba a perdu ses parents et si x de ses frères et sœurs le 7 av ril 1994 Ils ont été assassinés dans leur maison de Kigali au premier jour du génocide des Tutsi, qui fera 1 million de morts. Il était alors étudiant à Butare, dans le sud du pays, et a fui au Burundi. Dans le bouleversant Hewa Rwanda, Lettre au x absents, son « livre rituel » inspiré par le culte des ancêtres, l’auteur retrace la vie de ses proches, un geste d’écriture comme œuvre de mémoire essentielle pour lutter contre l’oubli, et pour ne pas réduire les dispar us à leur mort, les détacher ainsi de l’acte des bourreaux. « Passeur d’art et de culture », son père Cy prien Rugamba était poète, créateur des ballets traditionnels Amasimbi n’Amakombe et d’une académie artistique, un théâtre à ciel ouvert qui a formé son fils dès l’enfance. Sa poésie, tel un « esprit d’outre-tombe », « une danse de la joie », a guidé Dorcy Rugamba au cours de cette douloureuse épreuve, cette traversée de l’abîme, confronté à la perte, à l’absence, à l’anéantissement De même, la force et l’amour transmis par sa mère, institutrice, lui ont été de précieux secours. Premier prix d’art dramatique au Conservatoire royal de Liège en Belgique, partagé aujourd’hui entre Bruxelles et Kigali, l’artiste, qui a notamment travaillé avec Peter Brook, a entre autres créé les spectacles Bloody Niggers!, L’Instruction, Umurinzi ou Les Restes suprêmes Acteur culturel majeur, il a fondé en 2012 le Rwanda Arts Initiative, un centre d’art et incubateur de projets, au sein de la maison familiale dans la capitale, ainsi que la maison d’édition Moyo en 2019 Il a lancé cette année la manifestation culturelle la Triennale de Kigali.
AM : En exergue de votre livre, il y a ces mots de votre père, le poète Cyprien Rugamba : « Observez bien ce chat, c’est lui le véritable maître de cette maison/Il obtient tout ce qu’il veut de chacun de nous/Sans sortir les griffes/ Bien que ce soit un félin. » Pourquoi ce choix ?
Dorcy Rugamba : Clin d’œil à mon père, cette citation évoque la tendresse – qui n’est pas une faiblesse – nécessaire dans une société, un sy mbole de la vie dans notre pays avant cette violence inouïe. Ce chat, qui peut tout obtenir sans user de moyens violents, rappelle la délicatesse du Rwanda. Ce petit pays très ancien, l’un des rares en Af rique qui n’a pas été créé par la colonisation, est riche d’une culture ancestrale.
C’est une terre de poésie. Je me réfère à cette culture, à sa résurrection Le Rwanda a été connu par le plus grand nombre
« Le pays a été connu à la faveur de cet épisode douloureux, considéré par le prisme du génocide. Moi, je cherche les disparus. »
à la faveur de cet épisode des plus douloureux. Ce stigmate nous suiv ra Le pays est considéré par le prisme du génocide Or, dans ce livre, je cherche les disparus, je retrace leur vie, leur existence. Je n’insiste pas sur les criminels. Un génocide s’attaque à l’existence des personnes et à leurs mémoires Des années après, les victimes disparaissent peu à peu derrière les chiffres. Finalement, on connaît plus la vie de leurs bourreaux. On sait par le menu qui était Hitler En revanche, à part quelques personnes comme Anne Frank, les victimes ont été anéanties. Mon texte réhabilite les absents.
Vous envisagez ici la littérature dans la lignée du culte des ancêtres, pratiqué au Rwanda par le passé ? Après le génocide, nous avons fait face à un manque de rituel funéraire. Beaucoup de familles n’ont pas retrouvé les dépouilles de leurs proches. La plupar t des Rwandais sont catholiques, mais ce rite n’était plus opérant, l’Église était accusée pour le rôle de certains prêtres pendant le génocide On a dû repenser le travail de deuil. L’ar t a joué un grand rôle, notamment le théâtre. Certaines formes sont ainsi nées, notamment la litanie des noms, psalmodiée lors des veillées. J’ai redécouvert le culte des ancêtres, comme l’acte de planter un arbre qui sy mbolise le défunt. Les anciens entretenaient l’arbre, souvent un grand ficus, appelé Umurinzi (« veilleur »), pour faire vivre la mémoire du disparu. C’est un geste fort, d’autant plus si on n’a pas de sépulture. On trouvait aussi un lieu dévolu au culte des ancêtres dans chaque concession On emmenait des proches, parfois des enfants nés après, pour leur raconter la vie du défunt, faire ce qu’il aimait (danser, partager sa boisson favorite). Puis l’on racontait à l’ancêtre la vie de ceux qui sont restés, les bonnes nouvelles, les naissances, etc. Cette pratique n’existe plus dans sa formulation ancienne, mais je la transpose dans la littérature. Hewa Rwanda est un livre rituel La première partie raconte la vie d’avant le drame, puis dans la seconde, je narre aux défunts le jour d’après. La couverture présente la grav ure d’un sycomore, l’arbre tutélaire, totem.
Pour parler de ces drames d’une violence extrême, on a souvent recours à ces mots : l’indicible, l’innommable. Avez-vous été confronté aux limites du langage ?
La culture rwandaise n’a jamais imaginé cette chose tellement inouïe Nous n’avons pas trouvé de mot équivalent en kinyar wanda pour porter toute la tragédie, on a donc repris ce terme « génocide ». Pour un tel événement, l’emploi des mots est toujours difficile D’abord, parce que c’est un crime idéologique, lequel s’attache toujours aux mots, résultant d’un travail de manipulation des masses, des consciences. L’idéologie, la propagande commencent toujours par la corruption de la langue, par la catégorisation des gens, leur déshumanisation. Ce processus prend du temps, se développe, il ne surgit pas telle une ér uption volcanique. Il s’empare de la culture, de tous les moyens d’expression et de transmission.
La langue rwandaise porte donc ces stigmates d’un détournement sémantique Quand on écrit, on se retrouve avec une langue aussi blessée que le pays et la culture. On doit choisir entre les termes, on traverse un champ de mines, on slalome : chaque mot doit être questionné Et pourtant, la littérature peut tout transporter. Elle nous permet de capitaliser sur des expériences humaines, de se mettre à la place de l’autre. C’est devenu bateau de dire « l’indicible », mais ce n’est pas un mot vain. Car il ne suffit pas de raconter les faits, une chronologie, les dates. Pour reprendre Bertolt Brecht, la vérité n’est pas la somme des choses vraies C’est toujours difficile de décider
ce que l’on veut raconter, quel angle prendre, etc. Je me suis heurté aux mots, partageant ma réf lexion sur cet acte d’écriture confronté à une situation inouïe, inattendue. La littérature a des limites, mais reste un recours incroyable de partage. Vous vous interrogez : « Y a-t- il des mots aussi certains qu ’une balle à bout portant […] ? »
C’est une grande question. Je n’ai pas été témoin de scènes de meurtre. Elles ne hantent pas mes nuits, contrairement à l’un de mes petits frères, qui porte aussi des stigmates physiques de la balle qu’il a reçue. Pour ma part, j’ai compris la dimension de la violence une fois confronté au vide, en retournant à la maison. Après les tueurs, les pilleurs sont arrivés : ils ont tout pris, sauf les livres – ça ne les intéressait pas. Tout avait disparu, il n’y avait même pas une chaussure d’enfant que j’aurais pu garder comme une relique. Comment la vie aussi remplie d’une famille de dix enfants a-t-elle pu s’évanouir ainsi, sans laisser de traces ? J’ai eu le même vertige en retournant à Butare, ville où j’ai vécu, grandi, étudié, que je connais par cœur. Deux ans après, la moitié de la population avait été massacrée, et l’autre avait fui au Congo La ville était intacte, mais je ne reconnaissais personne. Comment décrire un crime qui vide une ville en toute sérénité ? C’est une chose surnaturelle, comme dans un film d’horreur, on ne retrouve plus aucun visage familier, même plus les mendiants, les fous, les inconnus croisés au marché. Comment mettre des mots sur un phénomène pareil ? On peut dire l’horreur – les bourreaux
sont toujours ingénieu x pour trouver des moyens de faire souf frir les gens Mais c’est encore autre chose. Je partage avec le lecteur ce vertige, cette quête, peut-être perdue, de trouver les bons mots Toutefois, il faut tenter l’exercice. L’enjeu, c’est aussi de raconter la vie des disparus, afin de ne pas les réduire à leur triste fin ?
Souvent, on ne perçoit les victimes qu’à travers les conditions de leur mort C’est très difficile à vivre ; c’est comme si elles étaient mariées avec l’acte du bourreau et qu’on ne pouvait plus les considérer autrement. Raconter leur histoire revient aussi à raconter celle des meurtriers, très souvent exhibitionnistes. Comment brosser le portrait de ma petite sœur de sept ans – peut-être à travers les babils, qui expriment la tendresse de la petite enfance ? Avoir été assassinées ne les caractérise pas, ce n’est pas leur identité. Parler de manière plus heureuse de ce que ces gens ont été, de leur vie, est un travail d’écrivain important : réhabiliter moralement les victimes, leur rendre leur existence, la séparer des conditions de leur mort, pour qu’on sache qui elles étaient, qu’on se les remémore Le drame de cette extermination, c’est aussi l’abandon de la communauté internationale, qui a laissé les Tutsi entre les mains des tueurs ?
Les responsabilités sont nombreuses – la première étant celle les meurtriers. Mais un tel événement ne peut pas être la responsabilité d’un seul acteur. Les considérations géost ratégiques et politiques ont pr is le dessus su r la vie hu ma ine.
les yeux des populations ciblées. La communauté internationale a pris la décision de les abandonner. C’est une tragédie. Je salue les mots du président Macron reconnaissant que la France « aurait pu arrêter le génocide ».
Parlons de votre famille. En quoi était- elle à la fois progressiste et conservatrice ?
Lettré, mon père était en même temps très attaché à la tradition rwandaise. Nous sommes un peuple ancien, un pays de littérature, de poésie, où la culture traditionnelle demeure.
C’est d’autant plus tragique que la communauté internat ionale s’est constituée justement après la Seconde Guerre mondiale, née d’une prise de conscience au lendemain du génocide des juifs. La force armée de l’ONU, les Casques bleus, était présente au Rwanda, et ce pays était observé depuis quat re ans. On voyait bien l’État central se criminaliser, prendre pour cible une partie de sa population, considérée comme une cinquième colonne. C’était sur la place publique, il suffisait d’écouter les discours de haine diff usés sur les ondes, dans les journaux Jour après jour, une machine de la mort se mettait en place. Voilà la tragédie : la communauté internationale désarme les Casques bleus, les démissionne, au moment où les gens commencent à être tués. Certains Tutsi ont fui vers des lieux où étaient présente la Minuar (Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda), pensant y trouver refuge. Mais les Casques bleus, démis de leur mission, ont quitté ces lieux. Ils ont ainsi croisé les tueurs, qui les encerclaient. Certains expatriés européens vont quitter le Rwanda avec leurs animaux domestiques, sous
C’était une famille aussi très progressiste, ma mère était institutrice, mon père, chercheur, historien et linguiste, dirigeait un institut de recherche. Il a aussi consacré une bonne partie de sa vie à la création ar tistique, comme écrivain, chorégraphe, conser vateur de musée, compositeur de musique. Il nous invitait à connaître notre cult ure, à en êt re fier, à n’éprouver aucun complexe par rappor t au x autres. Cultiver une curiosité, apprendre de l’ailleurs était important. Féru d’opéra, des ba llets de Ki rov, il avait vécu à Louvain, en Belgique, avec ma mère. Tous deux danseurs de twist, ils avaient une vision multiculturelle de leur vie. Au Rwanda la modernité ne s’oppose pas à la tradition : la première ne consiste pas à se laver de pratiques anciennes. Cela n’a pas toujours été le cas, notamment quand l’Église a voulu débarrasser les Rwandais de pratiques jugées rétrogrades Vent debout cont re la colonisation, mon père défendait l’humanisme au cœur de la cult ure traditionnelle. Pour lui, la danse n’était pa s seulement une prat ique, ma is, comme souvent l’art en Afrique, un véhicule des valeurs, un socle d’humanité.
Hewa Rwanda, Lettre s aux ab sents, Do rcy Ruga mba ,
JC La ttès, 30 4 pages, 18,9 0 €
Fondateur d’une académie des arts, d’un théâtre dans une forêt, votre père vous a transmis sa passion pour la scène ?
Je lui en suis très reconnaissant Je ne me rendais pas compte, à l’époque, à quel point c’était un priv ilège. Fondée en 1976, cette académie accuei llait et formait les en fa nts dès l’âge de 8 ans. J’ai vécu des moments très heureu x de camaraderie, d’apprentissage, de transmission. On était à la fois éduqués par ses propres parents, mais aussi par d’autres adultes, des maîtres expérimentés. On formait une communauté qui se grandit, se transmet les valeurs ancestrales – non pas comme pas un patrimoine, mais comme une irrigation de la vie, un ciment qui tient toute une société. Dès 6 ans j’ai été ébloui par les danseurs, j’étais attiré par cet espace du plateau, devenu mon instrument. Plus tard, quand j’ai travaillé avec Peter Brook en France, la proximité avec la pratique théâtrale de mon enfance m’a sauté aux yeux. Les arts de la scène se parlent à distance, c’est un langage universel. Le théâtre n’est pas uniquement le lieu d’une pratique ar tistique, mais une
fabrique de l’homme, un creuset d’humanisme. Il peut nous faire dépasser les replis identitaires, donner une image bien plus attachante de l’humanité.
Que vous a appris l’art du comédien, qui explore aussi la face sombre de l’humain ?
Dans la lignée de multiples traditions, le comédien, pour moi, c’est d’abord le corps et la voix, plus que le texte. C’est donc une discipline très physique Et quelle magnifique utopie de prétendre pouvoir incarner une personne avec laquelle je n’ai rien en commun J’aime citer le dramaturge Térence : « Rien de ce qui est humain ne m’est étranger. » L’art permet cette traversée extraordinaire. Le théâtre m’a permis de gérer l’après, d’accepter toutes les questions qui resteront sa ns réponses, la part mystérieuse de l’être humain. Sur scène, on aborde ces questions de front, en s’immergeant, pas seulement de manière cérébrale. C’est une ascèse, un rituel de vie très important. Le théâtre est une cérémonie, c’est sa force et sa faiblesse : un art éphémère, dont on ne garde pas la trace. C’est sa beauté, telle une fleur de l’instant. Les acteurs se situent au sein d’une communauté conviée. C’est une véritable rencontre, où l’on côtoie la condition humaine dans sa grâce et sa malédiction Qu ’avez-vous hérité de votre mère ?
L’amour, le courage, une foi absolue da ns la vie, une force insoupçonnée, une détermination Elle a traversé des moments difficiles, mais, issue d’une famille chrétienne pratiquante, elle avait la foi, éprouvait une profonde empathie pour l’humain Elle finira même par convertir mon père, cet anticlérical convaincu ! Sans ce bagage transmis par ma mère, vivre l’après aurait été trop dur. Trente ans plus tard, je peux en parler : j’ai traversé des dépressions, je suis tombé dans des abîmes. Mais ma mère m’a transmis ce rappor t au monde, appris à supporter l’insupportable, à accepter l’inacceptable. Elle était aussi une amie, une confidente Avec cet ouvrage, je suis très heureux de la faire exister, de partager ce qu’elle a été, sa joie, ses choix. Généreuse, elle s’occupait des enfants des rues, elle ne supportait pas la misère et le dénuement. Qu ’est-ce qui vous a poussé à créer ces différentes structures culturelles – centre d’art, maison d’édition, etc. ?
Après le génocide, on entendait beaucoup pa rler du Rwanda, ma is peu de Rwanda is s’ex pr imaient. On ne se retrouvait pas dans cette couverture médiatique caricaturale Il nous fallait maîtriser les moyens d’expression ar tistique, afin de pouvoir parler pour nous. J’ai ainsi créé des ateliers avec des jeunes de ma génération au Rwanda Un laboratoire pour se conf ronter au corps, à la voix. Puis j’ai réalisé ma première mise en scène en 2005, L’Instruction, de Peter Weiss, sur le procès des responsables d’Auschwitz. L’art s’est imposé à nous comme une nécessité, aussi pour participer au travail de deuil. Le théâtre était fondamental. Il ne s’agissait pas seulement d’opérer des choix esthétiques ou intellectuels, mais
« Souvent, on ne perçoit les victimes qu’à travers les conditions de leur mort. Mais avoir été assassinées ne les caractérise pas, ni leur identité. »
de réf léchir à ces questions : comment exister après ? Comment parler de cette histoire ? Comment la partager ? Comment aller vers le monde ? Il fallait aussi retrouver l’âme de ce pays, séparer le bon grain de l’iv raie, être sensible aux formes artistiques qui nous ont constitués. Mais la scène rwandaise n’était alors pas assez dy namique pour fournir du travail à tous Ainsi est né Rwanda Arts Initiative en 2012, pour créer et accompagner un environnement d’entrepreneuriat culturel, dans lequel les artistes sont entourés de managers, médiateurs culturels, producteurs, techniciens – écosystème nécessaire à une industrie culturelle. Cette aventure s’est déroulée dans la maison de mes parents, qui continue à vibrer, à vivre. Elle est à la fois une fabrique, un incubateur de projets, un lieu de résidence, d’ateliers. Les jeunes rêvent, se rencontrent, sont accompagnés par les aînés. Cet acte de transmission nous fait tous grandir. Les jeunes ont pris les rênes, leurs créations nous dépassent et nous ouvrent sur l’avenir.
Qu ’observez-vous au sein des créations de ces jeunes artistes rwandais ?
Ma génération a traité la question du génocide à travers tous les formats – littérature, théâtre, cinéma, musique, etc. Aujourd’hui, les jeunes, qui sont nés après, diversif ient les récits, s’intéressent à des sujets légers, à l’humour. Ils ont cette liberté, car une part a été comblée. L’art a participé au travail de deuil. Ils peuvent s’appuyer sur ces œuv res. Leur mission est de réenchanter notre monde, de nous renouveler les méninges, l’esprit. Une génération après l’autre, les artistes ont participé à démettre la mécanique de la mort Dans ce pays jeune, la scène artistique n’est pas structurée. Aussi les artistes de toute discipline travaillent, évoluent ensemble et se contaminent : leurs formes artistiques un peu hybrides ne sont donc pas compartimentées. 70 % des Rwandais ont moins de 30 ans. C’est le cas de nombreux pays africains. L’Afrique, c’est cette jeunesse. Nous devons lui créer une place d’expression. Nous sommes là pour accompagner les jeunes, les laisser s’exprimer, les pousser, pour qu’ils aillent plus loin que nous. À travers ses arts, le Rwanda retrouve son âme. ■
re nc ontre
Yasmine Benkiran
« J’avais envie d’un souffle romanesque »
Un premier long-métrage rock’n’roll, dans lequel trois femmes s’émancipent au volant d’un poids lourd. Refusant de se cantonner à un genre, la cinéaste propose une fction kaléidoscopique au cœur des grands espaces marocains. propos recueillis par As tr id Kr ivi an
C’est une histoire d’émanci pa ti on fé min in e au volant d’un quinze tonnes à travers les routes montagneuses et désertiques du Maroc, la police au x trousses. À Casablanca, Zineb (Nisrin Erradi), tornade tempétueuse, s’évade de prison pour empêcher que sa fille Inès (Rayhan Guaran), à l’imagination débordante, soit placée dans une institution de l’État. Zineb prend en otage Asma (Nisrine Benchara), conductrice d’un camion, garagiste esseulée dans son couple. Commence alors une cavale haletante, pleine de rebondissements, vers le Grand Sud, à travers l’Atlas – une traque dans laquelle, malgré la menace qui plane et la trivialité du réel, l’onirisme du conte, la poésie ne sont jamais loin. Avec le rafraîchissant Reines, la réalisatrice et scénariste Yasmine Benkiran mêle et rev isite avec talent et en toute liberté les genres – film d’action, policier, road-movie, western, comédie, fantastique –, et propose des personnages féminins inédits, libérés des carcans. Sa signature esthétique, son univers singulier s’imposent dès ce premier long-métrage. La cinéaste maroco-française a grandi au Maroc, à Rabat, avant de poursuivre en France à 18 ans des études de philosophie et de communication. Son expérience professionnelle dans une société de production l’amène à travailler à l’international et à découvrir les coulisses de fabrication d’un film Puis elle intègre l’atelier scénario de la prestigieuse école de la Fémis, à Paris, et réalise un court-métrage, L’Heure d’hiver, en 2018. Autrice de deux beaux livres sur ses territoires fétiches au sud du Maroc, Sidi Ifni et la côte de la région Souss-Massa, ainsi que d’un podcast sur Alice Guy, première réalisatrice de cinéma de fiction, elle écrit pour le 7e ar t comme pour la télévision Présenté à la Mostra de Venise ou encore au New York Arab Film Festival, Reines a notamment été primé au Casablanca Film Festival (Meilleure réalisatrice, Meilleure actrice pour Nisrin Erradi…), au Festival de Tanger, à l’AfryKamera de Varsovie, en Pologne, au Festival international du film de Zagora.
AM : Avec Reines, vous avez réalisé le film qui vous a manqué à l’adolescence. C’est- à- dire ?
Ya sm ine Benkiran : À 17 ans, comme beaucoup d’adolescentes, j’avais envie de cinéma d’aventure, de science-fiction, de personnages inspirants qui me fassent rêver. Au Maroc, où j’ai grandi, ce cinéma m’a cruellement manqué – les films
romanesques étaient américains ou européens – et je ne me retrouvais pas du tout dans les protagonistes féminins. Ces œuvres me donnaient le sentiment que je n’avais pas le droit de vivre des aventures extraordinaires, toujours réservées aux autres, aux hommes À un âge où l’on se sent perdue, voir des femmes arabes incarner de véritables héroïnes d’action m’aurait aidé à me trouver, à me sentir légitime. Sur grand écran, si les personnages féminins sont cantonnés aux rôles de femmes au foyer, on pense que c’est le seul modèle existant. Il est important d’avoir des représentations diversifiées, surtout à l’adolescence, l’âge des idoles. À quoi rêve-t-on sans modèle inspirant à qui ressembler ? Au cinéma, les gamines doivent pouvoir trouver des personnages féminins aux parcours variés, libérées des carcans, auxquelles elles peuvent s’identifier, leur inspirant de multiples possibilités de vie. J’ai donc aussi réalisé Reines pour la jeune fille de 17 ans que j’étais, ce cinéma ayant sûrement manqué à d’autres. Tels des my thes fondateurs, les représentations peuvent changer les fondations d’une société. Il ne faut pas sous-estimer leur pouvoir, et toujours les remettre en cause, les bousculer, pour que les jeunes générations aient d’autres canons et récits, correspondant à des sociétés plus modernes, inclusives Le cinéma a cette responsabilité Qu’ont en commun vos trois héroïnes ? Qu’est-ce qui les anime dans cette cavale à travers le Maroc ?
Elles fuient le patriarcat. Quittant chacune leur prison, elles pa rtent pour mieu x se ret rouver. El les forment une famille inespérée, fortuite, au milieu des montagnes, dans un équilibre fragile, bancal Ensemble, elles arrivent à former ce tout, elles vont essayer de trouver un équilibre.
Pourquoi le film convoque -t-il le conte, amené par le personnage de la petite fille Inès ?
Le cinéma fantastique, poétique, me touche particulièrement. Et les films sur l’enfance, comme L’Esprit de la ruche ou Le Voyage de Chihiro m’ont énormément marquée. Le conte et le cinéma de genre permettent de transcender notre sujet et d’accéder à la parabole, à la métaphore. J’aime quand un cinéaste me fait voyager dans son paysage imaginaire, dans son univers. C’est cette poétique qui me plaît le plus. D’autre part, on peut raconter beaucoup plus de choses à travers la métaphore : se détacher du réel donne une perception plus fine. Pour moi, Inès est un peu la cinéaste : de l’histoire d’une cavale, elle parvient à imaginer un conte, à en faire la parabole poétique, onirique du film Elle porte l’espoir, la foi en l’imagination, en la poésie, en la force créative. Son imaginaire déborde et gagne sur la réalité. C’est elle ici qui écrit ce my the fondateur. Grâce à elle, le film s’élève au-dessus du réalisme C’est ma vision du cinéma. Le fantastique est très fécond en matière de sens. Psychanalyste, ma mère a beaucoup travaillé sur les thérapies traditionnelles au Maroc, sur la front ière entre folie et surnaturel, et m’y a sensibilisée.
Vous revisitez Aïcha Kandisha, figure my thologique du folklore au Maghreb ?
Très ancréedanslaculture populaire, AïchaKandishaest un peunotre féeCarabosse. J’ai réécrit ce contepourque,de sonstatutd’ogresse,desorcière, elle devienne unereine.La dimension magiqueduf ilm se metainsi en place. Dans la lignée desféministes européennes, je réhabilite la sorcière pour en faireune figure de prouede la luttepourl’égalité, un sy mboledeliberté,desubversion–une valeur icipositive. AïchaKandishaest la reinedufilm,elleleporte. Construite en miroirdeZineb,personnagesur la brèche,prêtà basculer d’un moment àl’autre,elleaune énergie folle. Comment avez-vousimaginélepersonnaged ’Asma, garagisteintrovertie,seule dans son couple ?
Cettehéroïnetacit ur ne,malheureuse, estcomme dans uneprisonaudébutdufilm.Elletravailledansune cave où elle n’aaccèsàl’extérieur quepar un soupirail.Toute sa vie, elle n’afaitqu’obéir. Elleest braquéepar Zineb, et se rend compte au fildutemps qu’elle estmieux avec sa braqueuse qu’avec sonmari! Elles’émancipeunpeu commeunpapillon,auvolantde ce camion,etelle apprendàdésobéir–l’une desgrandes valeursdufilm.Pourque NisrineBencharaincarne ce personnage taiseux, nous avonsbeaucouptravaillésur la corporalité, ainsi quesur la conduite du camion,datantdes années1950 –ilfautfairedelamusculation pour bougerlevolant, lesv itesses sont à l’envers…Ça aété un sacréchallenge ! Qu ’incarnelepersonnage fougueux de Zineb, évadéede prison,campéepar Nisrin Erradi ?
C’es tu ne te mp êteàl ’é ne rg ie extrêmementcommunicative.Jeme suis beaucoup inspiréde McMurphy, le personnage qu’incarne JackNicholsondans Volau-dessu sd’unnid de coucou.Zineb estunêtrecomplexe,avec deszones d’ombre. Sonimpét uosité emporte tout avecelle, pour le meilleur et pour le pire.Elleaune gouaille, un panache, un côté sexy et aussi« catcheuse».Ellefaitles choses commesielle allaitmourirdemain.C’est doncunpersonnageàlafoisfascinant et dangereux,qui attire et effraie. J’avaisenv ie d’être sur la brèche,decreuser cettecomplexité. Elle essaieaussi d’être d’unebonne mère.Jevoulais proposer un personnage qu’onnet rouvepas dans le cinéma arabe. C’estune vraie héroïnedefilm d’action.A mbivalente,elleemmènel’aventure et contamineles autres.C’est un personnagev iolent,explosif, qu’on n’apprécie pasimmédiatement –àlafoisaimable et détestable.C’est là sa richesse, qu’ilne fallaitsurtout pas gommer.Lorsdelapostproduction, je me suis rendu compte queçadérangeait: on me demandaitd’effacer lesmoments où
«Lecinémaarabe s’estbeaucoup cantonné au drame social,parfois avec unetouche de misérabilisme.
Or,onpeut en faireunautre, politique. »
elle étaitunpeu agressive, luireprochant de n’être pas« assezdouce».Maisonne demandepas àBruce Willis de ne pasêtre agressif !Cette représentation fémininea dérangé.
Pourquoi ce choixdemêler les genres –film d’action,policier, western, road -movie,comédie,etc.?
Je ne voulaispas me limiteràungenre. Le cinéma arabes’est beaucoup cantonné au dramesocial, parfoisavecune touche de misérabi lisme. Or,onpeutfai re un autrecinéma,tout en étantpolitique. On estpolitique déjà parcequ’on proposeun nouveaurécit,etdes représentationsde femmes arabes quin’existentpas.Et j’aime l’idée de passer d’uneémotionàune autre, d’un genreàl’autre avecf luidité, d’emmenerlespectateur, de le surprendre. Le film va vite,j’avais très enviedesouff le romanesque.C ’est ma démarche de cinéma :sor tir du réalisme, créerununivers quinesecantonnepas àungenre et avoir unepalette d’émotionslapluslarge possible.
Le réalisateurmarocain Faouzi Bensaïdi regrette que lescinéastes dits «duSud »soient souventattendussur les sujets sociaux, politiques, au détriment de leur geste artistique,esthétique.Partagez-vous ce constat ?
Je le partagecomplètement. On nous demandesouvent : qu’est-ceque votref ilm racontedevot re pays ?Or, on ne demandepas àunréalisateur françaisceque sa comédie familialedit de la France. On nous demandedefaire desfilmsà sujet,dedonnerdes nouvellesdenotre pays.Maisonn’est ni journalistes,niessay istes. On faitdes propositions artis-
tiques, cinématographiques Il y a un esprit un peu colonial : « Racontez-nous vos problèmes, vous qui allez si mal, pour que l’on puisse vous aider et se rassurer sur nous-mêmes. » Moi, au cinéma, je cherche une expérience esthétique, émotionnelle. Pourquoi demanderait-on autre chose à une cinéaste du Sud ?
Bien sûr que notre cinéma a du fond, mais il existe de multiples manières de raconter en dehors du film à discours
Avez-vous conçu le camion du film comme un personnage à part entière, inspiré par vos propres voyages ?
Oui, j’ai beaucoup voyagé avec ma mère sur les routes du Maroc. Les camions m’ont toujours fascinée, surtout dans les montagnes, les routes abruptes où l’on peut rester bloqué des heures. Le camion, c’est un peu la coquille de son propriétaire, qui le décore souvent de manière kitsch, créative. Ces véhicules forment ainsi des taches colorées très pop dans les paysages désertiques, cette image me plaisait beaucoup. Et puis le camion est paradoxal, à la fois puissant, lourd, et fragile en même temps, il peut basculer d’un moment à un autre, il roule lentement. Cette ambivalence m’intéressait beaucoup. C’est un chouette véhicule pour raconter une histoire d’émancipation féminine. Le personnage d’Asma s’émancipe au volant d’un camion, traditionnellement associé au genre masculin. De quelle manière avez-vous dirigé les actrices ?
Ce fut le plus grand plaisir du film Comme nous disposions de peu de temps de tournage, nous avons beaucoup répété en amont, afin de se préparer au maximum. Nous avons appris à nous connaître, pour ainsi se faire confiance. Chaque acteur étant différent, on adapte sa direction. Une fois sur le tournage, tout va tellement vite. Il faut qu’elles me fassent une confiance aveugle pour que je puisse les emmener où je souhaite Une comédienne qui se met à nu face à la caméra, devant une équipe, cela peut fragiliser. C’est donc à moi de faire en sorte de créer un environnement protecteur pour qu’elles se sentent à l’aise. Cette préparation en amont nous a permis de gérer, de rebondir rapidement sur les imprév us incessants du tournage. Comment le tournage s’est- il déroulé ? Et où ?
C’était rock ! Une aventure compliquée, avec de nombreuses scènes d’action à tourner, des effets spéciaux, des cascades, des équipes conséquentes Comme nous avions beaucoup de scènes en extérieur, nous étions à la merci des éléments. Nous avons fait face à des tempêtes de brume. Mais finalement, ces aléas ont fait la beauté de certaines scènes Les imprév us, les contraintes du tournage peuvent parfois emmener le film autre part, et pour le mieux. Nous avons tourné les séquences de ville autour de Casablanca, celles de montagne près de Tafraout, et celles de la mer près de Sidi Ifni – deux régions qui concentrent des paysages très variés à quelques kilomètres de distance. Le film évoque cette idée de fuir la civilisation pour se reconnecter avec la nature, les grands espaces, un peu à la manière d’un western américain. Avec un fort sentiment de liberté, comme dans tous les road-movies.
« Tout le monde devrait être féministe, comme antiraciste. C’est notre responsabilité à tous. Une société inégalitaire crée des frustrations, de la violence. »
Quelle place joue la musique dans le film ?
Au cinéma, elle est très importante pour moi. J’ai grandi dans une famille où tout le monde joue de la musique. J’ai moi-même commencé le solfège à 4 ans. C’est un peu une religion. Je suis arrivée au cinéma par la musique : j’écoutais Ry Cooder, et j’ai ainsi découvert le film Pari s, Te xas. Quand une œuvre cinématographique me marque, je réécoute sa bande originale. Avec Reines, je voulais que la musique s’entende, et qu’en sortant, le public la cherche sur les plates-formes pour se remémorer les séquences Il fallait trouver une identité forte. J’aimais le ly risme rock oriental d’Only Lovers Left Alive. Nous avons donc proposé à son compositeur Jozef van Wissem de nous accompagner sur Reines, en lui confiant le scénario. Il a accepté, et créé une musique en amont – certaines scènes ont été chorégraphiées sur sa mesure – et en aval. On trouve aussi en additionnel du désert blues, des chants berbères. Comment Reines a-t- il été reçu au Maroc ?
Très chaleureusement. Le public réagissait déjà beaucoup à la diffusion de la bande-annonce. La première du film a eu lieu au Festival de Marrakech. C’était l’une des plus belles expériences de ma vie : le public interagissait avec ce qui se déroulait sur l’écran, avec les personnages, ils riaient aux blagues, retenaient leur souffle dans les moments de suspense. À la fin, le film a été acclamé par des youyous. C’était un grand élan collectif et populaire, comme le cinéma sait le créer. C’était extrêmement gratif iant. Lors de la tour née des avant-premières à travers le pays, des gens revenaient le voir. Notamment des étudiantes, qui me disaient, avec des trémolos dans la voix, que le film les avait profondément touchées. J’étais émue ! C’est pour cette raison que l’on réalise des films. Sorti dans le monde arabe et en Indonésie, Reines a aussi sillonné l’Inde à travers les festivals, où il a été multiprimé. J’ai reçu beaucoup de messages de gratitude sur les réseaux sociaux en provenance de ce pays
Comment voyez-vous la vitalité du cinéma marocain, ces dernières années, présenté et primé à l’international, incarné par cette nouvelle génération de cinéastes tels Mar yam Touzani, Kamal Lazraq, Asmae El Moudir, Meryem Benm’Barek ?
Il y a une nouvelle vague du cinéma marocain, caractérisée par des propositions artistiques très différentes. Ce cinéma refuse d’être là où on l’attend. Il est, par conséquent, bien plus créatif. Il n’est plus question de faire des films réalistes et sociaux, visant uniquement à dénoncer. On se connaît tous, il y a un vrai élan de solidarité, d’entraide. C’est réjouissant et inspirant.
Quels sont vos films de chevet ?
J’aime beaucoup le cinéma d’Emir Kusturica, qui arrive à lier onirisme, humour et politique, avec une grâce rare qui n’appartient qu’à lui. J’affectionne tous les films sur l’enfance, en particulier Le Voyage de Chihiro de Hayao Miyazaki, à la fois effrayant et fascinant, et qui m’a vraiment hantée. Une même créature passe du monstre à la poésie absolue, et il raconte ainsi l’humain dans toute sa complexité, sa noirceur, sa vitalité, sa poésie, son mystère, tout en s’adressant à des enfants. Quelle réussite !
Quel métier avez-vous exercé avant de devenir réalisatrice ?
Je travaillais dans les ventes internationales pour une société de production. C’est au cours de cette expérience professionnelle que je me suis autorisée à devenir scénariste et réalisatrice. Car on grandit avec cette vision très pontifiante du réalisateur-génie. Et si on n’est pas un génie, on ne peut pas faire de cinéma Or, je ne crois pas à ce my the du talent inné
La ré al isatric e en p le in e prise lor s du tour nag e de so n premier lon g- métrag e.
Je crois plutôt qu’un film, c’est 5 % de talent et 95 % de travail. Dans cette société de production, des réalisateurs très établis nous envoyaient de mauvaises versions de scénarios J’ai alors compris que l’écriture s’apprend, se travaille, à l’image d’un sillon que l’on creuse, et qu’une patte ne se trouve pas au premier film Après cinq ans dans la production, je suis devenue scénariste – j’ai suivi l’atelier scénario de la Fémis –, puis réalisatrice. J’aime penser le cinéma comme un artisanat, avec l’apprentissage d’une technique, à laquelle s’ajoute un petit plus. Je n’aime pas le mot « art », un peu solennel. Quelle éducation vos parents vous ont-ils transmise ?
Ma mère m’a sensibilisée très tôt au féminisme. À l’époque où mes parents se sont sépa rés, le divorce n’ex istait pas : c’était la « répudiation » – un terme violent. Mon père était un homme formidable, et la rupture s’est effectuée à l’amiable. Mes parents m’ont éduquée sur ces questions, me disant que la loi ne correspondait pas à la réalité, qu’il fallait la changer. J’ai manifesté très jeune aux côtés de ma mère pour un changement de la Moudawana [Code de la famille au Maroc, ndlr]. Longtemps, j’ai jugé les gens en fonction de leur position sur le féminisme – c’était ma grille de lecture du monde. Aujourd’hui encore, c’est dommage que le mot soit perçu négativement. En quoi être pour l’égalité femmes-hommes est-il négatif ? Tout le monde devrait être féministe, comme tout le monde devrait être antiraciste. C’est notre responsabilité à tous. Une société inégalitaire est une société qui va mal, qui crée des frustrations, de la violence. Actuellement, au Maroc, la nouvelle Moudawana doit être bientôt promulguée. On croise les doigts. On verra ce que les féministes, qui effectuent un vrai travail de terrain, réussissent à obtenir ■
in te rv ie w
Babatunde Apalowo « RACONTER LES SENTIMENTS IMPOSSIBLES »
Un flm africain qui montre une histoire d’amour entre deux hommes, c’est rare. Plus encore à Nollywood, dans l’industrie du cinéma nigérian. Primé à la Berlinale en 2023, Toutes les couleurs du monde a été tourné à Lagos, l’autre personnage de cette histoire. propos recueillis par Jean -M ar ie Ch az ea u
En ma i 2014, le pa rlement nigérian a adopté à l’unanimité une loi prévoya nt une peine de quatorze ans de prison en cas de mariage homosexuel, et dix ans d’emprisonnement pour les person nes de même se xe af fichant publ iqueme nt leur relation C’est dire si le choix du sujet du premier long-métrage de Babatunde Apalowo est audacieux. Après avoir raconté l’indécision d’un homme entre deux femmes dans un cour t pr imé da ns de nombreux festivals (A Place of Happiness, 2017), il s’attache à la vie d’un célibataire qui ref use les avances de sa voisine et tombe amoureux d’un homme, à son corps défendant… Un scénario qui a évolué quand ce réalisateur de 37 ans a constaté la violence de l’homophobie dans son pays. Un film, aussi, qui n’a pu être tourné in extremis que lorsqu’un acteur a enfin été trouvé pour le rôle principal : Tope Tedela, remarqué dans la série nigériane Blood Si sters sur Netf lix il y a deux ans [voir AM 430] L’occasion pour le cinéaste d’évoquer les fondements de la discrimination des homosexuels en Afrique, mais aussi les conditions de tournage dans les rues de l’une des plus grandes mégalopoles au monde…
AM : Lagos, 20 millions d’habitants, est au cœur de votre film. Vous montrez une mégalopole calme : est- ce un fantasme, ou une façon de combattre les clichés ?
Babatunde Apalowo : Elle est différente pour tout le monde. La plupart des gens ont une vision unilatérale. Mon Lagos est tranquille et chaotique à la fois. Je voulais montrer un peu de mon Lagos.
Vous y vivez toujours ?
Je n’ai pas grandi à Lagos, mais dans une petite ville du sud-ouest du Nigeria, où il n’y avait pas de cinéma – il n’y en a toujours pas. J’ai déménagé à Lagos après mes études universitaires. Je me souviens du sentiment que j’ai ressenti en arrivant, sûrement le même que celui des gens qui arrivent dans toute autre grande ville. Pour moi, c’était Lagos. J’ai été époustouflé, surpris par son ampleur et son dy namisme.
Je l’ai quittée un an après le tournage, et je vis désormais en Europe, mais je retourne régulièrement au Nigeria.
Ce n’est pas un film habituel de Nolly wood. Son esthétique est plus artistique et il traite d’un sujet difficile en Afrique : l’homosexualité. Qu ’est-ce qui vous a poussé à raconter cette histoire ?
Au départ, c’était un hommage à Lagos. C’était censé être l’histoire d’un photographe qu i pa rcou rt la vi lle pour en capt urer la mémoire. Puis, il s’est passé quelque chose : j’ai repris contact avec un ami de l’université, avec qui j’ai vécu dans un foyer public, où je m’étais lié d’amitié avec mon voisin de couchette. Or, mon ami m’a raconté que, depuis, ce garçon a été ly nché parce qu’il est homosexuel. Je ne savais pas qu’il était gay, et j’ai ressenti un sentiment de culpabilité : il n’avait pas eu assez conf iance en moi pour se conf ier. Bien sûr, j’avais entendu parler de cette discrimination au Nigeria, à la télévision, par des amis, mais ça ne m’avait jusque-là jamais touché sur le plan personnel. Aujourd’hui, je vois ces gens qui harcèlent quelqu’un dans la rue parce qu’il est habillé d’une certaine façon… Je suis allé voir un autre ami, qui venait de battre quelqu’un, et je lui ai demandé pourquoi il s’en était pris à lui. Il m’a répondu : « Parce qu’il est gay. » Cela lui suffisait pour se justifier, et en plus je devais le comprendre. Ce n’était pas satisfaisant… Et ça m’a incité à changer de scénario. J’ai senti que c’était l’histoire qui devait être racontée, car personne n’allait le faire, même si le phénomène est très répandu à Lagos… Aviez-vous des références de films gays ? Les films d’Afrique subsaharienne sur ce thème sont plutôt rares… Non. L’une des choses qui était très importante pour moi, c’était d’essayer de ne pas raconter une histoire d’homosexuels. Parce que je ne suis pas qualifié pour ça. Je voulais raconter une histoire d’amour entre deux personnes qui ne peuvent pas être ensemble. Ce qui m’aide à traiter un sujet, c’est d’avoir
« Avec mon producteur, nous avons parlé
à
presque
tous
les
acteurs de
Nollywood ! Tous ont refusé le rôle. »
To pe Te de la et Ri yo Davi d incarn ent le s protagoni stes du lon g- métrage.
été dans la situation des personnages. Or, j’ai aimé quelqu’un qui ne m’aimait pas en retour, et je suis sûr que quelqu’un m’a aimé alors que je ne l’aimais pas. Je n’ai pas essayé d’obtenir des références auprès d’amis africains homosexuels. Vous montrez l’attirance qu ’un homme éprouve pour un autre homme. À l’image, il y a beaucoup de pudeur. Avez-vous réfléchi à la manière de montrer une relation homosexuelle naissante, dans un contexte d’homophobie sur le continent ?
Les gens pensent que c’est à cause de l’homophobie en Afrique qu’on ne voit pas de rapports physiques dans le film Mais j’ai décidé très tôt que j’allais me concentrer sur le voyage émotionnel, sur les sentiments. Parce qu’au Nigeria, lorsque les gens parlent de l’amour gay, ils parlent surtout de sexe – toujours de sexe. Réduire cet amour au sexe est une manière de le déshumaniser. Le sexe fait partie de l’amour, mais il est souvent montré de façon envahissante J’ai choisi de montrer que l’on peut être amoureux sans que ce soit très sexuel. Comment avez-vous trouvé vos acteurs ? Ont- ils facilement accepté de jouer ces deux personnages ?
C’est l’une des choses les plus difficiles que j’aie jamais faites, et l’une des périodes les plus dures de ma vie, car j’ai cru à un moment donné que le film n’allait pas se faire. Avec mon producteur, nous avons parlé à presque tous les acteurs de Nollywood ! Tous ont refusé, disant : « J’ai d’autres projets. »
C’était bizarre. Personne n’a dit : « Je ne prends pas ce rôle
parce qu’il est inapproprié. » C’était souvent : « J’aime vraiment le scénario, mais je ne pense pas qu’il soit fait pour moi. » C’est devenu urgent, et nous avons choisi quelqu’un de la télévision, avec qui nous avons fait des lectures : l’alchimie a opéré Deux semaines avant le tournage, il a annulé Finalement, c’est un ami du producteur, le comédien Tope Tedela, qui a accepté, et ça a débloqué la situation J’ai dû changer la dy namique de l’histoire, car au départ, Bambino était plus jeune. J’ai passé trois mois à parler avec Tope, et il a fallu voir comment la relation avec Riyo David, qui jouait Bawa, allait évoluer.
Comment avez-vous réussi à tourner dans les rues de Lagos ?
Tour ner un fi lm, quel qu’il soit, est di ffici le À Lagos, encore plus Et dans les rues de Lagos, presque impossible ! Il a fallu ruser… Nous avons demandé des autorisations pour certains endroits, mais en raison de la bureaucratie et du temps, nous avons dû tour ner en mode guér illa !
On changeait de voiture, on bougeait très vite, on discutait avec les gens… On ne savait jamais à l’avance comment ça allait se passer. Il y a certains lieux pour lesquels nous avons obtenu l’autorisation, comme le Lekki Conservation Garden, mais on s’est souvent contenté de courir et de filmer au fur et à mesure !
Comment expliquer l’homophobie en Afrique ?
Géniale ! La première du film a eu lieu en février 2023, à Berlin. Nous avons voyagé pendant près de dix mois, puis nous sommes rentrés à la maison en novembre. La réaction a été surprenante, car nous n’avions pas eu beaucoup de presse au Nigeria, mais les gens voulaient voir le film Nous avons eu des problèmes avec les organisateurs de l’AFRIFF, qui n’ont cessé de repousser les dates et les heures de la projection Finalement, le film a été projeté sur le plus grand écran de Lagos. La salle était bondée. C’est le meilleur accueil que j’ai eu de toute l’année, parce que le film est fondamentalement nigérian Beaucoup de nuances, qui passaient inaperçues ailleurs, ont été vues ici. Les Nigérians réagissaient, criaient, applaudissaient pendant la projection C’était interactif, et inattendu.
Love story gay à Lagos
Bambino, chauffeur livreur à moto dans les rues de Lagos, est un célibataire solitaire, à un âge où on est marié et père de famille. Une de ses voisines, Ifeyinwa, lui fait des avances, sans que cela suscite de l’intérêt chez lui. Un jour, il rencontre Bawa, un photographe, et des sentiments, qu’il va combattre, commencent à naître en lui… Sur un sujet particulièrement délicat en Afrique, ce premier film fait un double pari : raconter sans impudeur la naissance du désir entre deux hommes, et adopter un style éloigné des effets appuyés de Nollywood. La réalisation est épurée : les cadres sont fixes, Bambino est souvent mutique, les visages des rôles secondaires n’apparaissent pas à l’image… Une gageure dans une mégalopole – véritable « personnage » du film – grouillant de 20 millions d’habitants ! Ce focus sur les trois protagonistes permet de se concentrer sur leurs émotions, leur évolution, dans une esthétique graphique et un ry thme maî trisé. Et de voir, en arrièreplan, toute l’homophobie d’une société Le film n’hésite pas non plus, dans cette rencontre très masculine, à passer un subtil message en faveur de l’émancipation des femmes. ■ J. -M .C
Toutes les coul eu rs du monde (N igeria), de Baba tund e Apalowo Avec To pe Te de l a, Ri yo Davi d, Mar tha Ehin om e Or hi ere. En sa ll es , et en DVD à la fi n de l’anné e.
Je pense que c’est le résultat de l’influence de la culture et de la religion. Pour ta nt, l’ homose xual ité est documentée en Afrique aussi loin que l’on puisse remonter. Il y a surtout un sent iment d’ homophobie en Af rique depu is le début de s année s 20 00, lié à la tentative de se dépa rt ir des influences occidentales. Mais c’est en majorité dû à la religion : la moralité est définie à partir de la Bible, du Coran. Et c’est aussi dû à des problèmes économiques : quand on est désespéré, on agit contre ce que l’on ne comprend pas. Longtemps, l’homosexualité était rejetée, mais on ne faisait rien contre, et soudain, depuis dix ans, dans beaucoup de pays, des lois sont adoptées ciblant spécifiquement les homosexuels. C’est aussi une façon de détourner l’attention pour certains leaders politiques : il est plus facile de diviser les gens. Les leaders africains sont des maîtres en la matière, et s’ils peuvent le faire à travers la sexualité ils le font
Votre film a reçu de nombreux prix depuis la Berlinale, et même dans un grand festival nigérian : l’AFRIFF.
Quelle a été la réaction du public à Lagos ?
Le film sort au cinéma et en streaming en France. Comment peut-on le voir en Afrique ?
Nous y travaillons encore. Nous avons eu quelques conversations avec les diff useurs, et nous essayons de voir comment il s’intègre dans le marché africain Nous sommes optimistes ; ça prend juste un peu de temps. Mais nous sommes en Afrique et nous parlons d’homosexualité, il faut donc s’attendre à tout. Vous préparez une nouvelle histoire d’amour ?
Je repars au Nigeria pour tourner. Il s’agit également d’un film sur l’amour, traitant cette fois d’un mariage qui s’effondre après qu’on a diagnostiqué une maladie fatale chez l’enfant du couple. Il parle de problèmes sociopolitiques auxquels nous sommes confrontés au Nigeria, notamment la façon dont la société traite les enfants de genre féminin ■
Au cœur desservicessecrets
Espionnage,rivalités,coups fourrés, coupsdemain, formation, recrutement… L’ancien colonelaété pendant vingtans auxpremières logesdelaFrance-Afrique etdeses recoins. Un témoignage rare,qui nous plonge dans un passépas si lointain,etqui éclairetoutaussi bien lesdifficultés du présent. par EmmanuellePontié
Lecolonel Jean-PierreAugé a étédurantv ingt ansofficier en poste au SR /N,lesecteur Afriquenoire de la Direction générale de la sécurité extérieure de la France, lafameuse DGSE.Dansunouv rage passionnant de 335pages quise lisent d’unetraite, il publie sesmémoires, truffésd’anecdotesincroyables surle fonctionnement desdernières annéesdelasulfureuse France-A frique.Onapprendcomment la «grande maison »fonctionne, commentonyest forméetrodé auxtechniquesd’espionnagepar d’étonnantsstages dans deslieux publics, où l’on estcensé abordern’importequi et obtenir le maximumd’informations. On découv re aussilarivalitéqui règneentre lesser vices de renseignements au plus haut niveau de l’État.Et l’évolutiondeleurs missions ou de leur poidspolitique en fonction du pouvoirenplace, depuis la droite chiraquiennejusqu’àl’arrivée de François Mitterrand. L’auteur ad’abord étéenposte au Nigercomme officier de liaisondes autoritéslocales,puis conseiller du président tchadien Idriss Déby,et enfinchargédemission àlaprésidenceivoiriennesousles mandats successifs d’HenriKonan Bédié,RobertGueïetLaurentGbagbo. Il rapporteses multiples entrev uesavecles chefsd’État, ainsiqu’avec lespersonnalités françaises quiv iennent lesrencontrer.Onentre aussidanslesecretdelages-
Jean- Pierre Augé, Afriqueadieu : Mémoires d’unofficier dusecteur Afriquenoire de a DGSE.Mareuil Éditions, 21,90 €.
tion parl’Hexagonedeplusieurs momentsd’actualité mouvementés, commeleconflit tchado-lybiensous Hissène Habréoularébellion touarègueauNiger menéepar Mano Dayak. Sessouvenirsetson témoignagemontrentindirectement comment« la France a peuàpeu perdul’A frique ». Un récit particulièrement édifiant,àl’heure où l’ancienne puissancecoloniale, soninf luence et sesméthodessont rejetées tour àtour parplusieurs pouvoirs africains d’aujourd’huietv ilipendéespar lesjeunesgénérationsducontinent ■ l DR
Extraits
Le stage A
« Revenons à votre légende. Je m’adresse aux officiers. Pour vos proches et amis qui connaissent votre appartenance aux armées, faites simplement état d’une affectation parisienne, au ministère de la Défense ou à l’état-major des Armées Prenez néanmoins la précaution de reconnaître les lieux, les stations de métro et lignes de bus les plus proches, l’identité des directeurs et chefs de serv ice sous les ordres desquels vous êtes censés serv ir
« Il vous faudra procéder différemment avec ceux et celles qui ignorent tout de votre passé, et là je m’adresse à vous tous, civils et militaires Déclarez une activité professionnelle qui colle à votre personnalité, votre expérience, vos connaissances, et qui, dans la mesure du possible, justifiera l’intérêt que vous porterez ultérieurement à vos sources et contacts.
« Retenez qu’il est inutile de trop parler de soi. Vous risquez notamment, à la différence de vos interlocuteurs, de ne plus vous rappeler la nature exacte des mensonges que vous leur aurez serv is N’anticipez pas dans ce domaine des questions qui ne vous seront la plupart du temps jamais posées, pour la simple raison que vos occupations du moment et votre passé n’intéressent en réalité pas grand monde, à l’exception il est vrai des serv ices de renseignement étrangers…
« Proposez-moi dans les quinze jours une résidence fictive, de préférence dans un arrondissement excentré et dans un quartier non attractif. En un mot, un lieu où personne n’aura véritablement envie de vous rendre visite, pas davantage le jour du Seigneur qu’en semaine. Je vous invite à repérer les lieux et à me remettre une proposition d’adresse pour la confection prochaine de vos vrais-faux papiers d’identité Vous me proposerez également trois patronymes. Sauf rejet des trois par le serv ice de Sécurité, car déjà empruntés ou inopportuns, un seul d’entre eux sera retenu Vous conser verez votre prénom usuel. Cette précaution peut év iter d’éveiller les soupçons d’une source, d’un honorable correspondant, ou de tout autre contact vous connaissant sous une identité d’emprunt et qui découv re, lors d’une rencontre fortuite, qu’une tierce personne vous prénomme différemment. Ce genre d’incident est susceptible d’intervenir dans les lieux publics, aéroports, halls d’hôtels, quais de gare ou cafés.
« Vos photos d’identité seront prises par le laboratoire de la Centrale dans un mois. Cela devrait laisser le temps à la chevelure de certains d’entre vous de repousser et ainsi, de vous faire ressembler plus à de jeunes cadres qu’à
des commandos marine en goguette. Proscrivez barbe, moustaches, favoris, collier. Pas davantage de crâne rasé, autant de fantaisies pileuses propres à attirer l’attention, et le cas échéant, à faciliter votre identification.
« Votre apparence, vestimentaire notamment, ne doit pas non plus enfreindre cette règle. Suivez la mode sans être à l’avant-garde ! En effet, votre aspect, vos manières, et la façon de vous exprimer inspireront d’emblée confiance, étonnement, voire défiance, et de ce fait risquent fort d’influer sur le résultat de votre mission. Év itez tant l’extravagance qu’un classicisme suranné.
[…]En ce début d’après-midi, c’est au tour du lieutenantcolonel Valade, chef du secteur Afrique noire, assisté de ses deux grands collaborateurs, le lieutenant-colonel Viol*, chef du bureau Recherche, et M. Beurtin*, chef du bureau Exploitation, de présenter SR /N. Il laisse à ce dernier le soin de commencer l’exposé :
« En dépit de sa dévalorisation stratégique consécutive à la fin de la guerre froide et de sa faible contribution aux échanges économiques mondiaux, l’Afrique francophone participe activement à la reconnaissance internationale de la France. Vous n’êtes pas sans savoir qu’au sein de l’ONU, la France dispose en sa faveur des votes de ses anciennes colonies. Ce fut notamment le cas pour la poursuite contestée de ses essais nucléaires.
« L’Afrique demeure encore une zone d’intérêts divergents pour les puissances occidentales L’actualité met en lumière l’activisme américain dans cette partie du monde. Nul gisement pétrolifère qui ne nous expose à la concurrence américaine, que ce soit au Gabon, en Angola, au Tchad, au Nigéria ou au Cameroun…
« De manière générale, l’hostilité à notre présence et à notre influence gagne du terrain. Nous, les anciens colonisateurs, sommes tenus pour responsables de tous les maux dont l’Afrique souffre, au premier rang desquels une instabilité politique chronique. Celle-ci est essentiellement due à bien d’autres facteurs internes, rivalités ethniques, népotisme des dirigeants, corruption à tous les échelons de décision, confiscation des ressources naturelles par une poignée d’affairistes, urbanisation effrénée à l’origine d’une insécurité grandissante À titre d’exemple, Abidjan et Kinshasa ont vu leur population passer de 200 000 habitants au début des années cinquante à 2 000 000 en 1975. Trente pour cent de la population africaine vit désormais dans les villes À l’heure où je vous parle, vingt-cinq d’entre elles atteignent ou dépassent le million d’habitants. Les pouvoirs en place sont incapables de contenir cette invraisemblable migration citadine, elle-même nourrie par une croissance démographique démesurée. Le banditisme
Extraits
recrute aisément parmi ces milliers de jeunes désœuv rés qui échappent à l’autorité de leur famille restée au village. De plus, les États ne font plus peur La faiblesse croissante de leur autorité se traduit par une décomposition des encadrements territoriaux, la prolifération des bandes armées et autres “coupeurs de routes” dans les campagnes, de milices armées dans les villes.
« L’extrême jeunesse de la population constitue un facteur d’instabilité permanente. Soixante pour cent d’entre elle a moins de 20 ans et 45 % moins de 15. À cela s’ajoute une crise de l’enseignement, associée à un véritable effondrement du système éducatif francophone – crise accentuée par l’exode des élites africaines en Europe et aux États-Unis d’Amérique. Dans certaines régions du Sahel, on assiste même à un recul de l’apprentissage du français au profit de l’enseignement coranique. La jeunesse, confrontée à une absence de débouchés professionnels, manifeste de plus en plus son hostilité à l’égard des expatriés, ces Blancs qui étalent sans vergogne leur richesse sur son propre sol, vivent dans de somptueuses villas climatisées avec piscine, roulent dans de coûteux véhicules tout-terrain et “exploitent” leur personnel de maison…
« Si la pénétration arabo-islamique n’est pas nouvelle, la montée en puissance d’un islam conquérant, vindicatif, soucieux d’attiser la haine du Blanc, participe grandement dans certaines contrées au développement d’une xénophobie jusque-là contenue. Cet islam politique affiche clairement ses visées expansionnistes. Qu’il soit sunnite, chiite ou wahhabite, il est importé d’États hostiles à l’Occident, l’Iran via le Soudan, l’Arabie saoudite, le Pakistan, le Qatar… Le développement du salafisme témoigne de sa volonté affirmée d’exercer son emprise sur les sociétés instables du tiers-monde.
Le Niger en effervescence
(1989-1993)
Pour ce qui concerne la « facilitation » du Service dans le règlement de la question touarègue, je ne transmets au Secteur aucun compte rendu des actions et avancées en cours, y compris par le canal du téléphone cr ypté. Durant cette période, nous découvrons que Mano Dayak est informé de la teneur de bien des messages échangés entre Paris et l’attaché de Défense. L’homme est habile, il a noué en toute discrétion une relation affectueuse avec la secrétaire de ce colonel, ellemême épouse d’un gendarme de l’ambassade…
Autre déconvenue de taille : le Service intercepte un message échangé entre une ambassade du Maghreb
établie à Niamey et son ministère de tutelle. La stratégie du préfet Silberzahn y est dévoilée dans son intégralité Une source particulièrement fiable, alors en poste à Niamey sous l’autorité de Lunven, me confirme bien des années plus tard que ce dernier révéla le plan de la DGSE à l’ambassadeur dudit pays avec lequel il entretenait des relations suivies, en échange d’une étude sur la montée de l’islamisme dans la sous-région
L’aventure tchadienne (1994-1996)
Je me prévaux d’être le premier étranger informé des résultats officieux du scrutin. Et pour cause… Timan Erdimi me demande de gagner son bureau situé à quelques pas du mien Il m’accueille avec un large sourire, comportement inhabituel, voire suspect pour ce personnage taciturne.
« Le président a gagné les élections dès le premier tour avec plus de 60 % des voix.
Formidable, c’est une très belle victoire Il ne pouvait pas en être autrement. Le peuple s’est clairement prononcé en faveur du Patron. » Sur ces entrefaites, je quitte dare-dare le palais présidentiel et recours au téléphone cr ypté pour transmettre au seul chef N ce « scoop ». « Mon colonel, Timan Erdimi vient de m’apprendre la victoire au premier tour d’Idriss Déby avec plus de 60 % des suffrages exprimés Ces résultats sont encore confidentiels. Je ne suis d’ailleurs pas certain que le dépouillement soit achevé !
Ne quittez pas votre bureau On vous rappelle »
C’est chose faite dans la demi-heure qui suit
« Allô, vous êtes invité à convaincre le président Déby d’organiser un second tour de scrutin. Sa victoire n’en sera que plus crédible, notamment aux yeux de la communauté internationale. Vous comprenez ?
J’ai bien compris. Je vous rendrai compte de notre entretien. »
Ce n’est pas sans appréhension que je pénètre dans le bureau de Déby Sachant la conclusion hasardeuse d’une démarche aussi singulière, il importe de trouver les bons mots. De convaincre, sans nullement le froisser, un chef d’État du bien-fondé et de la pertinence d’une « suggestion » de Paris pour le moins osée Il n’est pas homme à se soumettre à un quelconque diktat. Le ministre français de la Défense l’apprendra bientôt à ses dépens lorsqu’il tentera vainement de le faire renoncer à l’expulsion de l’attaché de Défense, le colonel Guillou.
« Bonjour, monsieur le Président. Je vous adresse mes plus sincères félicitations pour cette victoire dont je n’ai
jamais douté. Inutile de vous préciser que Paris s’en félicite et vous assure de son plein soutien. Néanmoins, compte tenu des réserves exprimées par Washington, l’ONU et l’Union européenne sur le déroulement du scrutin, Paris vous suggère d’organiser un second tour qui validera sans conteste votre accession démocratique à la tête de l’État Si vous me le permettez, l’idée me semble bonne, excellente même. L’opposition est tellement divisée qu’aucun de ses leaders n’est susceptible de vous inquiéter au deuxième tour Nul pays, nulle organisation internationale, ne pourra alors raisonnablement contester la légitimité de votre victoire » Impassible, mon vis-à-vis est tout à ses pensées. Un silence pesant s’installe. Que va-t-il décider ? Et si la fierté de cet intrépide guerrier le conduisait à ignorer cette ingérence de l’ancien colonisateur dans les affaires tchadiennes ! Je sais cet autocrate clair voyant, aussi déterminé à présider aux destinées du Tchad que soucieux de le préser ver des guerres intestines, des conf lits ethniques, des manœuvres déstabilisatrices du colonel Kadhafi. Lucide, il est conscient de ne compter au sein de la communauté internationale que peu d’alliés hors la France. S’il faut un deuxième tour de scrutin pour se préser ver des critiques des grandes démocraties et gagner l’adoubement de Paris, qu’il en soit ainsi !
« Jean-Pierre, je vais organiser un deuxième tour de scrutin. »
Je me garde de tout commentaire. J’éprouve un profond soulagement. À qui d’autre pouvait-on confier au débotté cette mission à plus d’un titre contestable et à l’issue incertaine ? Au Tchad, ce jour, la France-A frique est bien vivante, et mon poste de conseiller « spécial » pleinement justifié !
Les jours suivants, soit près de trois semaines après leur tenue, la cour d’appel de N’Djamena annonce le résultat des élections. Idriss Déby l’emporte avec 43,8 % des suffrages exprimés. Il devance large- ment son challenger, le général sudiste Abdelkader Kamougué, crédité de 12,4 % des voix.
Le 3 juillet 1996, Idriss Déby devient le premier chef d’État tchadien élu au suffrage universel. Il remporte avec 69 % des voix cette victoire cautionnée par Paris.
Turbulences ivoiriennes (1999-2002)
Le chef du tout nouveau SR P/N (secteur Afrique du service de renseignement politique récemment créé) annonce sa venue à Abidjan et son souhait de rencontrer le général Gueï Égal à lui-même, toujours aussi chaleureux et plein de vie, Jean-Yves me fait part, à peine débarqué
de l’avion, de son souhait d’assister à une représentation de mapouka L’érotisme primitif débridé de cette danse traditionnelle du peuple des lagunes lui vaut d’être interdite de diff usion depuis deux ans par le Conseil national de la communication audiov isuelle. Sa chorégraphie suggestive repose sur un balancement frénétique des hanches d’avant en arrière, spectacle habituellement magnifié par de callipyges danseuses-interprètes. Soucieux de répondre aux attentes de mon présumé chef, je recours aux serv ices d’un honorable correspondant dont la connaissance de la vie nocturne d’Abidjan est notoire. Aussi assistons-nous la nuit venue, à notre intention exclusive, dans un bouge de la Zone 4 proche de la « rue Serpent » (les prostituées locales y ont pour coutume d’émettre un siff lement reconnaissable à l’endroit de potentiels clients), à une démonstration de danse mapouka dont l’obscénité n’a d’égale que la laideur de l’artiste ! Je ne manque cependant pas, au terme de cette surprenante expérience culturelle, de complimenter et défrayer la diablesse, lui sachant gré d’avoir ravi Jean-Yves bien au-delà de mes espérances !
L’év iction de Konan Bédié et le rejet de la candidature d’Alassane Ouattara pour ses origines voltaïques positionne de facto Laurent Gbagbo comme l’unique challenger sérieux de Robert Gueï C’est la raison pour laquelle je prends l’initiative, dans les semaines qui précèdent l’élection présidentielle, « d’approcher » Gbagbo en qualité de cousin germain d’un ethnologue-anthropologue de renom, Marc Augé, qui lui vint en aide lors de son exil parisien sous le règne d’Houphouët-Boigny. Ces deux partisans de l’idéologie socialiste s’étaient précédemment liés d’amitié à Abidjan lorsque l’africaniste issu de la rue d’Ulm menait des recherches sur les sociétés lagunaires. Le chef du Front populaire ivoirien me reçoit à son domicile L’entretien est détendu, les propos spontanés L’homme ne manque pas d’humour et rit volontiers de bon cœur Je le sens déterminé et confiant en l’avenir Il est clair qu’il entend présider dans les meilleurs délais aux destinées de la Côte d’Ivoire. L’entrev ue se tient en l’absence de son épouse Simone, connue pour sa force de caractère, son influence au sein du FPI, et le soutien précieux qu’elle apporte au combat politique de son mari. Ce contact se révèle suffisamment prometteur pour que je décide de lui révéler sans plus attendre mon appartenance au « serv ice politique » de la DGSE. Je prends la liberté de lui confier que « le Serv ice est d’ores et déjà convaincu de sa prochaine accession à la magistrature suprême ». Mon interlocuteur est suffisamment madré pour comprendre qu’il peut tirer parti de notre relation Aussi décidons-nous de garder le contact. ■
BUSINESS
Interv iew
Joh n Kwame Gyan
Au Ghana, les OGM de la di scorde
Le dollar US
ca sse le Zi mbabwe
Gold (ZiG)
Interv iew
Ta hi rou Ba rr y
Coba lt : Ki nsha sa envi sa ge des quot as d’ex port at ion
Le cours du thé s’envole
Cacao : s’adapter à del’explosion s cours
10 000 dollars la tonne : la fève bat des records historiques. La Côte d’Ivoire et le Ghana ont relevé les prix, mais les planteurs demeurent insatisfaits. Et le changement climatique, qui perturbe les récoltes, implique une réflexion à long terme. par Cédric Gouverneur
Àce stade, ce n’est plus une hausse, c’est une envolée à la verticale : début av ril, le cours du cacao a dépassé les 10 000 dollars la tonne ! En janv ier, lorsque celle-ci frôlait les 5 000 dollars, les commentateurs avaient déjà épuisé leur liste de superlatifs (« vertigineux », « spectaculaire », « stratosphérique », « du jamais-v u »). L’agence Bloomberg remarque que les performances boursières du vénérable cacao – à l’origine, une friandise aztèque acclimatée en Afrique par les colons – surpassent celles de Nv idia, le leader de l’intelligence artificielle ! Et rien n’empêche ces cours de continuer à grimper, les prochains mois, comme nous le confie un spécialiste ghanéen du
secteur, John Kwame Gyan [voir interview pages suivantes] La demande occidentale en chocolat n’a aucune raison de baisser, alors même que l’offre s’avère insuffisante. De mauvaises conditions météorologiques en Afrique occidentale, entraînant des récoltes décevantes en Côte d’Ivoire et au Ghana – deux pays qui cumulent 60 % de la production mondiale, avec respectivement 45 et 15 % –, ont créé une spirale incontrôlable. En Côte d’Ivoire, la récolte 2023, d’un peu moins d’un million de tonnes (951 710), est de 37 % inférieure à la précédente Les achats massifs des spéculateurs, telle la multinationale américaine de l’agroalimentaire Cargill, solidifient cette tendance haussière
« De mauvaises conditions météorologiques, entraînant des récoltes décevantes en Côte d’Ivoire et au Ghana, ont créé une spirale incontrôlable. »
BUSINESS
Le paradoxe est que les planteurs ivoiriens et ghanéens profitent peu de l’envolée. Dans ces deux pays, les prix dits « bord champ », payés aux planteurs, sont encadrés par l’État.
En Côte d’Ivoire, depuis le décret du 17 octobre 2012, le prix d’achat du cacao est fixé par anticipation avant chaque campagne de récolte, d’après les résultats des récoltes précédentes. Ce système de vente anticipée et de prix plancher a le mérite de garantir, face aux intermédiaires et aux multinationales, un revenu décent aux petits cultivateurs ouestafricains en cas d’effondrement du cours (comme ce fut le cas en 2000, où il ondulait aux alentours de 7 à 800 dollars la tonne). Mais dans le cas inverse d’une flambée, ce contrôle des prix comporte aussi le défaut de restreindre les gains des paysans. Il paraît cependant difficile d’imaginer qu’en 2012, les concepteurs de ce système de prix administrés aient pu envisager un instant le scénario actuel d’un cacao caracolant à 10 000 dollars la tonne : à l’époque, les impacts du changement climatique faisaient figure d’hy pothèse catastrophiste à long terme… Désormais, les épisodes imprév isibles de sécheresses et de
fortes pluies rendent bien hasardeuse toute estimation des volumes de production d’une année sur l’autre. Or, c’est à partir de ces estimations qu’est vendu 80 % du cacao ivoirien sur les marchés internationaux, par anticipation, bien avant d’être récolté, auprès d’exportateurs et au moyen d’enchères électroniques.
Fin mars, les principaux sy ndicats de cultivateurs de cacao ivoiriens ont déposé un préavis de grève, suspendu dès le lendemain à la suite de la promesse des autorités d’agir rapidement. Le président Alassane Ouattara a en effet annoncé, dès le 2 av ril, une hausse sans précédent de 50 % du prix minimum garanti pour la « campagne intermédiaire », qui court d’av ril à fin septembre : le prix bord champ du kilo de fèves passe donc de 1 000 à 1 500 francs CFA (de 1,52 à 2,30 euros). Deuxième producteur d’Afrique, le Ghana a logiquement suiv i la décision de son voisin : le Cocobod (Cocoa Board, l’instance en charge de la commercialisation
La crise démontre l’urgence pour la filière de mettre un terme à la dépendance envers des marchés volatiles.
du cacao ghanéen) a annoncé une augmentation de 58 % des prix bord champ payés aux planteurs, à 33 120 cedis, soit 2 462 dollars la tonne. Réunis le vendredi 12 av ril, les sy ndicats de planteurs ivoiriens ont toutefois demandé au gouvernement de procéder à une nouvelle hausse : « Les délégués des producteurs remercient le président de la République pour l’augmentation du prix du cacao à 1 500 FCFA. Cependant, [ils] souhaitent une rev ue à la hausse, dont 2 500 FCFA (soit 3,81 euros), compte tenu de la grande hausse du coût mondial », ont déclaré les délégués du Sy napci (Syndicat national agricole pour le progrès en Côte d’Ivoire), de l’Anaproci (A ssociation nationale des producteurs de Côte d’Ivoire) et du Conasaci (Conseil national des sy ndicats agricoles de Côte d’Ivoire).
Car dans les pays où le système est libéralisé, les cultivateurs se frottent les mains : au Cameroun, ils revendent le kilo de fèves pas moins de 5 000 francs CFA ! Les sy ndicats demandent donc un « réexamen » de ce système
Les sy ndicats déplorent par exemple que soient fixés « un prix minimum d’achat pour le planteur et un prix maximum d’achat pour l’exportateur ».
Le ministère de l’Agriculture et le Conseil café-cacao (CCC) ivoiriens mettent en garde contre une libéralisation des prix, rappelant « les montants dérisoires » auxquels étaient rémunérés les producteurs au début des années 2000, lorsque les cours étaient au plus bas. Car si la régulation des prix restreint les gains, elle limite aussi les pertes. « Le système bénéficie aux planteurs onze ans
sur douze », nous confie une source ivoirienne. Les cultivateurs ivoiriens pourraient, de plus, profiter à moyen terme de ces cours astronomiques : les ventes de la récolte 2024 -2025 se feront en effet sur la base du cours qui se trouvera en vigueur au terme de l’actuelle campagne intermédiaire, c’est-à-dire le 1er octobre 2024
Mais au-delà de ce débat quant à la rémunération des planteurs, la crise actuelle démontre l’urgence pour la filière cacao africaine de contrôler sa chaîne de valeur, afin de mettre un terme à cette dépendance envers des marchés internationaux volatiles : à l’instar de la plupart des matières premières africaines (pétrole, lithium, etc.), le cacao est, trop souvent encore, exporté à l’état brut pour être transformé dans les usines de broyage occidentales (notamment aux Pays-Bas), qui le revendent aux chocolatiers, bénéficiaires de la majeure partie de la valeur ajoutée de l’« or brun »… En Côte d’Ivoire, les autorités mettent tout en œuvre pour s’extirper de ce modèle inégalitaire, hérité de l’ère coloniale : elles se sont donné pour objectif la transformation sur place de la moitié de la production dès 2025, puis de son intégralité à l’horizon 2030, contre un quart à un tiers à l’heure actuelle. Financées par les Émirats et la Chine, les usines de broyage se multiplient, notamment au port de San-Pédro. En 2015, a été inaugurée la première usine de chocolat made in Côte d’Ivoire, à Yopougon, près d’Abidjan. La chocolaterie Cémoi, qui emploie un millier de salariés et travaille avec un réseau de 60 000 planteurs, transforme chaque année 70 000 tonnes de fèves en 10 000 tonnes de produits chocolatés.
L’idéal serait que l’Afrique exporte non pas des fèves, mais des tablettes. ■
LES CH IFFR ES
+5 ,7 % LA CROI SSANCE ÉCONOM IQUE EN RÉ PU BLIQUE DÉ MOCR ATIQUE DU CONGO (R DC).
4 milliards de rands (210 millions de dollars) : les investissements annoncés par Volkswagen pour développer son usine du Cap- Oriental, en Afrique du Sud.
L’inflation au Nigeria a dépassé 33 % en mars, du jamais -vu depuis 28 ans.
-4 0 % : LA CONTRACTION DU PIB DU SOUDAN, RAVAGÉ PAR UNE ANNÉE DE GUERRE CIVILE. + 4 % : la croissance économique en Afrique de l’Ouest en 2024.
15 milliards de dollars : le montant des projets d’infrastructures autour du gisement de fer de Simandou en Guinée.
John Kwame Gyan
«
On peut s’attendre à une augmentation durable des prix »
Les récoltes de cacao ouest-af rica ines ba issent, alors que la dema nde ne cesse de croît re : la hausse des pr ix est donc inév itable, d’après l’économiste ghanéen. En poste à l’Un iversité des sciences viva ntes de Poznan, en Pologne, il estime qu’i l est urgent d’établi r des politiques capa bles d’adapter la production cacaoyère au x nouvel les cond it ions dictées pa r le dérèglement cl imat iq ue.
propos recueillis par Cédric Gouverneur
AM : Le cours du cacao at teint le prix sans précédent de 10 000 dollars la tonne. Peut -il encore grimper, ou a- t- il at teint une limite ?
John Kwame Gyan : Le principal moteur de cette hausse est la mauvaise récolte dans les principaux pays producteurs d’Afrique de l’Ouest, la Côte d’Ivoire et le Ghana. Le changement climatique constitue un problème mondial, et les producteurs de cacao n’y échappent pas : les vents de l’harmattan ont été plus violents qu’à l’accoutumée en Côte d’Ivoire et au Ghana. Le temps sec n’est pas favorable à la production de cacao, il entraîne de faibles rendements Cette hausse sans précédent des prix du cacao découle de la loi de l’offre et de la demande : si la demande d’un bien dépasse l’offre, le prix augmentera En toute logique, si la situation climatique ne s’améliore pas (ce qui est peu probable, au moins dans les deux prochaines années), on peut s’attendre à ce que les prix du cacao continuent à augmenter. Les impacts du changement climatique pourraient donc conduire à une hausse constante des cours du cacao ?
Le changement climatique a, en effet, un impact significatif sur la production de cacao en raison de la hausse des températures, de la modification des régimes de précipitations, de l’augmentation de la fréquence des sécheresses et de la pression accrue des insectes ravageurs et des maladies Des températures plus élevées que la plage optimale aux cacaoyers entraînent une diminution des rendements, une perturbation des cycles de floraison et une vulnérabilité accrue aux parasites et aux maladies. Des précipitations irrégulières et des périodes de sécheresse prolongées exacerbent le stress hydrique dans les régions productrices, tandis que des précipitations excessives peuvent déclencher des inondations, l’érosion des sols et favoriser les épidémies. Il apparaît ainsi aujourd’hui nécessaire que les parties prenantes mettent en œuv re des pratiques agricoles intelligentes, avec des variétés de cultures résilientes, des stratégies de gestion durable des terres, et qu’elles investissent dans les infrastructures d’irrigation, dans le but d’atténuer les impacts du changement climatique et de garantir la viabilité à long terme du secteur du cacao.
Le Ghana, et la Côte d’Ivoire ont mis en place des politiques d’encadrement des prix. Dans d’autres États , tels le Cameroun, les prix sont libres. Actuellement, les planteurs camerounais bénéficient donc davantage de la hausse des cours. Les deux systèmes ont -ils leurs avantages ?
Les systèmes de prix à la production libéralisés et fixes ont bien leurs avantages et leurs inconvénients : une comparaison entre le Cameroun, le Ghana et la Côte d’Ivoire donne un aperçu des différents résultats de ces approches. Au Cameroun, où le marché du cacao est libéralisé, sans prix fixes au départ de l’exploitation, les planteurs peuvent bénéficier davantage des fluctuations des prix sur le marché mondial du cacao : lorsque ces prix grimpent, les planteurs camerounais profitent potentiellement de la hausse des prix du marché, et voient leurs revenus augmenter. Or, ce système les expose mécaniquement à la volatilité des marchés : en cas de baisse, leurs revenus dégringolent.
Il apparaît nécessaire de mettre en œuvre des pratiques agricoles intelligentes, pour atténuer les impacts du changement climatique.
Le Ghana et la Côte d’Ivoire ont mis en place des prix fixes au départ de l’exploitation pour stabiliser les revenus des producteurs, les protégeant de la volatilité des prix mondiaux Ces deux pays s’assurent ainsi que leurs agriculteurs reçoivent leur juste part de la hausse des cours du cacao sur les marchés internationaux Ces prix fixes au départ de l’exploitation leur assurent un prix minimum garanti pour les fèves, et donc la stabilité et la prév isibilité de leurs revenus Toutefois, les prix fixes peuvent également décourager les investissements dans l’amélioration de la productivité et de la qualité : les agriculteurs peuvent se contenter des prix garantis et ne pas être incités à innover
En résumé, le système libéralisé offre des avantages potentiels en matière de flexibilité et de réactivité à la dy namique du marché, permettant aux agriculteurs de bénéficier de prix plus élevés lors des flambées des prix, mais les expose aussi aux risques de la volatilité du marché
Les prix fixes assurent la stabilité et la sécurité des revenus
des agriculteurs, mais peuvent poser des problèmes d’efficacité. Équilibrer ces compromis nécessite un examen attentif du contexte et des objectifs spécifiques de chaque pays producteur
Comment les économies africaines pourraient- elles mieux profiter de leurs ressources en cacao et développer la chaîne de valeur de cette production ?
Les stratégies suivantes, visant à améliorer la productivité, la qualité, la capacité de transformation et l’accès au marché, devraient être mises en place. Investissement dans la productivité agricole : l’amélioration de la productivité du cacao grâce à de meilleures pratiques agricoles, à l’accès à des intrants de haute qualité et à l’adoption de nouvelles technologies peut augmenter les rendements et les revenus des agriculteurs Initiatives d’amélioration de la qualité : l’amélioration de la qualité des fèves de cacao, grâce à des techniques appropriées de manipulation après récolte, de fermentation et de séchage, est essentielle pour accéder aux marchés haut de gamme et obtenir des prix plus élevés. Infrastructure de transformation à valeur ajoutée : le développement des capacités de transformation au sein des pays producteurs de cacao permet la transformation des fèves de cacao brutes en produits à plus forte valeur ajoutée, tels que le beurre de cacao, la poudre de cacao et les produits chocolatés. Les investissements dans les installations de transformation du cacao, les améliorations technologiques et les techniques de transformation à valeur ajoutée peuvent créer des opportunités d’emploi, générer des revenus supplémentaires et capter une plus grande part de la chaîne de valeur. Diversification et accès aux marchés : les pays africains peuvent explorer des stratégies de diversification pour élargir leurs marchés de cacao au-delà des exportations de fèves brutes. Développer les industries nationales de fabrication de chocolat et promouvoir la consommation locale de produits à base de cacao peuvent créer une valeur supplémentaire au sein de l’économie nationale, tout en réduisant la dépendance à l’égard des marchés internationaux volatils ■
Au Ghana, les OGM de la discorde
Un agricul teur en pl ein e ré co lte dans une fe rm e bi ologique à Bo lg atang a, dans le nord du G hana
L’autorisation de quatorze nouveaux OGM fait polémique. Le continent recourt de plus en plus aux organismes génétiquement modifiés, toujours controversés.
La décision de l’Autorité nationale de biosécurité (NBA) d’approuver la mise sur le marché de quatorze nouveaux produits à organismes génétiquement modifiés (OGM) suscite la colère de l’Association des paysans du Ghana (Peasant Farmers Association of Ghana, PFAG). En effet, la NBA autorise depuis fin février la commercialisation de huit nouvelles variétés de maïs et de six variétés de
soja OGM. Pour rappel, une semence OGM comporte un gène étranger qui est intégré à son code génétique, afin par exemple d’accroître sa résistance à la sécheresse ou de l’immuniser contre un parasite. Dans un communiqué publié le 9 av ril, la PFAG appelle ses « membres à rejeter toute semence OGM », et exhorte la NBA à procéder à l’« étiquetage » des produits génétiquement modifiés, et ce afin d’informer producteurs et consommateurs.
Le Ghana, suivant le Nigeria, avait déjà autorisé en 2022 la culture du niébé génétiquement modifié Sampea 20-T, afin de lutter contre le foreur des gousses (Maruca vitrata), un insecte ravageur. La PFAG estime que cette introduction s’était effectuée sans information suffisante des producteurs et des consommateurs. Elle considère que, sous couvert d’aider les paysans à lutter contre les parasites, les OGM ont pour objet de « promouvoir les intérêts de quatre
multinationales », Bayer-Monsanto, Corteva, Sy ngenta et Limagrain, « qui contrôlent plus de 50 % du marché mondial des semences ». Le recours aux OGM, selon la PFAG, « marque le début de la perte de contrôle par le Ghana de son système agricole indigène au profit d’une poignée de multinationales ».
Weipa Addo Adug wala, président de la PFAG, rappelle aussi l’engagement du précédent ministre de l’Agriculture Owusu Afriyie Akoto (en poste jusqu’en 2023), qui avait déclaré que le Ghana pouvait « compter sur ses chercheurs pour développer des variétés résistantes à haut rendement » et « n’aurait pas besoin d’OGM pour les cent prochaines années ».
Le marché croît de 5 % par an sur le continent, où les OGM sont présents depuis les années 1990 : dès 1996, l’Afrique du Sud a autorisé le maïs OGM, puis le coton et le soja Désormais, 80 % du maïs sudafricain produit et 100 % de son coton sont OGM. Outre l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Burkina Faso, le Soudan et l’Ég ypte commercialisent des produits OGM. Plusieurs autres pays africains procèdent à des essais ou autorisent leur importation.
Au Kenya, le président William Ruto a, peu après son élection en 2022, levé l’interdiction des OGM, afin de surmonter la crise alimentaire provoquée par la sécheresse historique frappant le nord du pays.
Une étude de l’université américaine de Yale, publiée en avril 2023, estime cependant que la banalisation des OGM en Afrique du Sud est demeurée « sans effet sur la sécurité alimentaire, la faim et la pauvreté ». Intitulée « Africa and the Monopolization of GM Technology », elle souligne le risque de dépendance des petits exploitants agricoles envers les semenciers et l’agrobusiness ■
Le dollar US casse
le Zimbabwe Gold (ZiG)
Le lancement chaotique de cette nouvelle monnaie a contraint la population à s’en remettre au billet vert américain.
De grosses coupures abandonnées dans les rues sans que personne ne se donne la peine de les ramasser, et des queues de plusieurs centaines de mètres devant les agences bancaires : telles furent les premières images de l’introduction du Zimbabwe Gold (ZiG) le lundi 8 av ril à Harare La banque centrale zimbabwéenne a officiellement lancé cette nouvelle monnaie, adossée à ses réserves d’or et « de minerais » – dont elle n’a précisé ni la nature ni la valeur –, au taux officiel de 1 dollar américain pour 13,56 ZiG. L’ancienne monnaie, le dollar zimbabwéen, luimême lancé en 2019 seulement, n’a plus cours. Les autorités espèrent ainsi juguler l’hy perinf lation qui sape l’économie de ce pays d’Afrique australe depuis le début des
années 2000 (55 % en mars) Or, les banques et les magasins refusant l’ancienne monnaie et ne disposant pas encore des nouvelles coupures de ZiG, les Zimbabwéens n’ont eu d’autre choix que de recourir au billet vert dans l’intervalle, y compris pour de simples trajets en bus. Le dollar américain pourrait donc, en pratique, s’imposer dans les transactions, et tuer dans l’œuf cette nouvelle monnaie, qui inspire peu confiance aux acteurs économiques : « Le secteur privé va probablement rejeter le ZiG », estime Moses Msebele, analyste financier interrogé par la chaîne nationale Bulawayo24 News. Le Zimbabwe avait déjà « dollarisé » son économie entre 2009 et 2019 Le lancement chaotique du ZiG pourrait se traduire par une nouvelle dollarisation, cette fois-ci involontaire ■
Tahirou Barry « Grâce au Groupe MSC,
nous allons être au cœur des transformations de
l’Afrique »
La di rect rice fi na ncière des ports et term inau x d’Af rica Global Logist ics nous ex pl iq ue les enjeux qu i se présentent à l’entreprise depuis son incorporation à MSC. propos recueillis par Emmanuelle Pontié
AM : Il y a un an, Africa Global Logistics (AGL) a remplacé Bolloré Africa Logistics, à la suite de la cession des activités africaines de transpor t et de logistique du groupe Bolloré à MSC. Qu ’est -ce que cela a changé ?
Tahirou Barr y : Il s’agit d’un changement dans la continuité, consistant à s’adapter aux évolutions de notre secteur depuis la pandémie de la Covid-19 Grâce à notre savoirfaire historique en Afrique, nous restons un acteur de confiance pour nos clients et nous assurons la stabilité de nos équipes, avec qui nous avons bâti le premier réseau intégré de logistique en Afrique. Aujourd’hui, adossé au premier armateur mondial, MSC, AGL a de nouvelles ambitions pour le continent. En effet, comme l’a dit notre président Philippe Labonne, notre priorité est d’élargir nos activités portuaires, et d’améliorer l’efficacité et la productivité de nos installations Bien entendu, nous restons des opérateurs multi-usagers, et sommes capables de charger les marchandises sur les navires de plusieurs compagnies et de travailler avec différents partenaires logistiques dans l’intérêt de nos clients. Nous souhaitons être le partenaire logistique priv ilégié de l’Afrique, en contribuant à son développement et en l’accompagnant dans ses enjeux importants, comme la croissance démographique, le développement du commerce intraafricain, la transition énergétique et la digitalisation
AGL est donc une entité autonome au sein du groupe MSC – une position peut -être pas si facile à gérer. Concrètement, qui fait quoi ?
AGL est une entité autonome adossée au leader mondial du transport maritime, le Groupe MSC. Cette autonomie ref lète la transition d’un groupe familial à un autre, assurant une gestion indépendante, tout en bénéficiant d’un cadre de collaboration étroit avec le Groupe MSC. Notre actionnaire partage la passion de nos métiers et croit en l’Afrique. Il a exprimé sa volonté affirmée de soutenir la croissance d’AGL en tant qu’opérateur logistique de référence en Afrique. C’est à ce titre que le Groupe MSC a procédé à l’augmentation de 600 millions d’euros du capital social d’AGL. Ce renforcement des fonds propres offre des opportunités de financement des projets de développement et de croissance. Un conseil de surveillance permet une communication régulière et efficace avec notre actionnaire et favorise le partage d’une vision commune et le soutien mutuel dans la mise en œuv re de nos stratégies. Quels sont les avantages de cette nouvelle situation pour AGL ?
Les avantages sont multiples. Tout d’abord, en rejoignant le Groupe MSC, nous bénéficions de son expertise mondiale dans le transport maritime et la logistique, ce qui nous permet d’améliorer nos normes et standards de serv ice. L’amélioration de la productivité de nos terminaux
portuaires va bénéficier à l’ensemble des lignes maritimes qui desser vent les installation s qu i nous sont conf iées pa r les autorités. De plus, AGL bénéficie d’invest issement s ma ssif s consenti s pa r le Groupe MSC, not am ment un plan d’inve st issement de plus de 650 mill ion s d’eu ros en 2024 Ce sout ien fi na nc ier renforce notre capacité fi na nc ière et reflète la pr iorité accordée pa r le Groupe MSC au développement d’un opérateu r log istique de référence engagé su r le long terme su r le cont inent.
Y a- t- il un ch an ge me nt majeu r ent re vo tr e ac ti on na ir e ac tue l, le Gr ou pe MS C, et vo tr e pr éc éd en t ac ti on na ir e, le Gr ou pe Bo lloré ?
Comme je vous l’ai indiqué, AGL est un changement dans la continuité Nous passons d’un groupe familial à un autre avec une vision de long terme. Le Groupe MSC est un pure player de la logistique, qui consent l’ensemble de ses investissements au développement d’un écosystème logistique performant. Être désormais adossé au réseau du premier armateur mondial est un atout indéniable pour AGL et le développement de solutions logistiques pertinentes pour nos clients. Mais il est indéniable que notre précédent actionnaire a joué un rôle majeur dans l’amélioration de la connectivité sur la façade ouest-africaine.
Parlons de l’actualité d’AGL. Quels sont vos principaux projets ?
Nous avons également engrangé de nouvelles concessions portuaires en Afrique australe, avec le port de Malindi à Zanzibar, le port de Lobito en Angola, le port de São Toméet-Principe et Walvis Bay en Namibie. Côté logistique et solutions maritimes, nous travaillons avec nos clients sur des projets logistiques dans l’agrobusiness, la transition énergétique, la chaîne du froid et la digitalisation Le rail est, par ailleurs, l’un de nos axes de développement, avec le concours des États et des bailleurs de fonds multilatéraux. Parlons enfin de votre entrée au Conseil d’administration du Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN), début août 2024. Qu ’est -ce que cela appor te à AGL ?
Grâce au Groupe MSC, AGL s’est donné pour ambition d’« être au cœur des transformations de l’Afrique ». Notre continent va faire face à des changements structurels d’ici 2050. Quant à nous, nous avons l’ambition de soutenir, aux côtés des États, cette croissance durable, à travers la mise en place de capacités logistiques et portuaires adaptées aux défis du continent. Avec le soutien de notre actionnaire, nous avons engagé la modernisation et/ou l’extension de nos concessions portuaires au Bénin (Cotonou), au Cameroun (K ribi) en Guinée (Conak ry) et au Congo (Pointe-Noire).
« Être désormais adossé au réseau du premier armateur mondial est un atout indéniable pour AGL et le développement de solutions logistiques pertinentes pour nos clients. »
Je précise que je reprends un siège qui était déjà occupé par Philippe Labonne. C’était important d’avoir de la diversité et d’apporter une autre voix au sein du CI AN, que ce soit pour eux ou pour nous. Philippe Labonne m’a proposé cette place au Conseil d’administration, et je l’ai acceptée. Vous êtes l’une des premières femmes africaine à y siéger ?
En effet, je suis honorée d’être l’une des premières femmes africaines à occuper un siège dans cette instance, en tant que représentante d’AGL. Premiers opérateurs de logistique intégrée en Afrique, nous sommes confrontés à des défis spécifiques dans un environnement en constante évolution. Notre présence sur le terrain, dans toutes les régions d’Afrique, nous confère une perspective priv ilégiée pour faciliter les échanges entre le CI AN et les entreprises françaises désireuses de s’implanter et de prospérer sur le continent. Je suis convaincue que cet échange mutuel de bonnes pratiques contribuera à renforcer les liens et à promouvoir le développement économique durable en Afrique. ■
Cobalt : Kinshasa envisage des quotas d’exportation
La RDC, d’où proviennent les trois quarts du cobalt mondial, pourrait restreindre les exportations afin de faire remonter le cours du minerai.
Le président congolais Félix
Tshisekedi a demandé, d’après Bloomberg, d’examiner « la nécessité d’introduire des quotas d’exportation ou toute autre mesure permettant d’obtenir un prix équitable pour le cobalt, en chargeant un organisme de régulation d’aider à concevoir des stratégies possibles ». L’offre mondiale de cobalt est en effet supérieure de 8 % à la demande, ce qui exerce mécaniquement une pression à la baisse sur les prix de ce
minerai, qui ont chuté de deux tiers en deux ans. La production minière de cobalt, qui entre 2018 et 2020 s’était maintenue à des niveaux stables d’environ 145 000 tonnes, a depuis grimpé en flèche pour atteindre 230 000 tonnes en 2023, soit une hausse de 58 %. La République démocratique du Congo (R DC), qui avait extrait 104 000 tonnes en 2018, en produit 170 000 tonnes, soit une hausse vertigineuse de 63 % en l’espace de seulement cinq ans. Plusieurs grands projets
miniers sont en effet récemment entrés en serv ice au sein du géant d’Afrique centrale, notamment celui de Kisanf u (3,1 millions de tonnes de réserves estimées), exploité par le chinois CMOC. En une décennie, les exportations de cobalt de la RDC ont donc augmenté en moyenne de 7,48 % par an. Le minerai bleu trouve ses applications principalement dans les batteries de voitures électriques (98 000 tonnes, soit 46 %), les batteries d’autres équipements électriques
(41 000 tonnes, soit 19 %) et les superalliages (57 000 tonnes, soit 27 %) Dopée par le marché en pleine expansion des véhicules électriques, corollaire de la transition énergétique vers la sortie des énergies fossiles, la consommation mondiale de cobalt ne cesse de croître : elle a quasiment doublé en l’espace de cinq années, passant de 123 000 tonnes en 2019 à 213 000 en 2023 ! Néanmoins, la production, notamment congolaise, croît à un rythme encore plus soutenu, ce qui provoque mécaniquement une baisse des cours… Les analystes estiment que cette surabondance du cobalt pourrait perdurer pendant au moins deux années
La part de la RDC dans la production mondiale ne ce sse de se renforcer, at teig na nt désormai s 74 %, cont re 72 % en 2023 et 70 % en 2018. L’ Indonésie, deuxième produc teur mondia l, est très loi n derrière, avec seulement 7,5 %, soit 17 000 tonnes en 2023. La RDC, forte de cette position ultradom inante su r ce ma rché hautement stratégique, s’interroge donc sur la pertinence d’instaurer des quotas afin de provoquer de la rareté, de gonf ler les prix, et de mieux profiter de cette manne. Le risque est qu’une hausse artificielle rende le cobalt moins intéressant, alors qu’apparaissent des batteries sans cobalt En octobre 2023, l’entreprise française
Tiamat a en effet réalisé une première mondiale : la commercialisation d’une visseuse munie d’une batterie électrique utilisant une technologie dite « sodium-ion ». Une batterie se passant donc de cobalt comme de lithium, deux minerais qui, aux yeux des consommateurs occidentaux, comportent des implications géopolitiques et aux impacts environnementaux non négligeables. ■
Le cours du thé s’envole
La forte demande occidentale a fait grimper le prix de 30 % en un an, au grand bénéfice des producteurs africains, notamment kenyans.
Le kilo de thé atteint 3,41 dollars à la bourse de Mombasa (Kenya), soit le cours le plus haut depuis trois décenn ies. L’Associat ion est-af rica ine du commerce du thé (E AT TA), qu i regroupe di x pays af rica in s produc teur s, observe une hausse de près de 30 % de s cour s en un an Elle s’ex pl ique pa r la croi ssance régu lière, esti mée à 2 % pa r an selon la FAO, de la dema nde occident ale pour une boisson perç ue comme sa ine et bénéfique pour la sa nté, et qu i sera it même la plus bue au monde après l’eau. Les autorités kenyanes, au x pr ises avec de s di ff ic ultés économ iques (endet tement, séc heresse, etc.), se félicitent de cette hausse de s cour s :
« Les perspectives d’amél iorat ion des ex port at ion s de thé en 2024
sont excellentes », a commenté le gouver neur de la Ba nque cent ra le, Ka mau Thugge. En ef fe t, av ec 52 3 000 tonn es ex po rt ée s en 2023 pour 1,2 milliard de dollars, le Kenya est le deuxième exportateur de thé au monde, derrière la Chine et devant le Sri Lanka. Conséquence de cette hausse, les 600 000 petits producteurs de thé kenyans affiliés à l’Agence kenyane de dé ve lop pe me nt du th é (K TDA) ont pu rec ev oi r l’an dern ier un bonus esti mé à envi ron 34 0 mil lion s de dollar s. Un répit bienvenu pour un secteur qui doit affronter les impacts grandissants du changement climatique : hausse des températures, pluies erratiques Selon un rapport publié en 2021, un quart des zones de production de thé du pays seraient menacées à moyen terme. ■
Pa ge s diri
Protégez vos yeux
ILS SONT PR ÉCIEUX MA IS FR AGIL ES. Dès le plus jeune âge, l’ hygiène ocu la ire est import ante.
Soyez vigi la nt et préser vez-les de tout ce qu i
peut leu r nu ire : poussière, courant d’ai r, mauva ise lu mière, fat ig ue…
LES YEUX SONT DES ORGA NES très sensibles à certaines agressions, notamment la lumière du soleil. Celle-ci provoque un éblouissement désagréable, pouvant être dangereux (au volant, par exemple). Quant aux rayons ultrav iolets, ils ont des effets néfastes sur le long terme, contribuant à une apparition précoce de la cataracte : le cristallin devient opaque, ce qui gêne la vision. En arrivant jusqu’à la rétine, les UV risquent de favoriser une dégénérescence maculaire, ou DMLA : cette maladie en progression est due au vieillissement du centre de la rétine, appelé macula Quand elle évolue, elle peut gêner la vue du fait d’une tache noire au milieu.
Le soleil n’est pas votre ami
Pour se préser ver, des lunettes solaires de qualité sont indispensables La protection ne dépend ni de la teinte, ni de verres plus ou moins foncés, mais d’une filtration 100 % UV Le plus sûr est de s’équiper chez un opticien Attention aux contrefaçons qui peuvent être vendues sur les plages ou les marchés… Des verres teintés filtrant mal sont plus dommageables pour les yeux que de ne rien porter : derrière, la pupille se dilate et davantage d’UV atteignent la rétine ! Une attention particulière doit être portée aux enfants, dont les yeux sont encore plus vulnérables : le cristallin, totalement transparent, laisse passer de fortes doses d’ultrav iolets jusqu’à la rétine
À cause des écrans, omniprésents, nous sommes de plus en plus exposés à la lumière bleue qu’ils émettent de façon invisible. Celle-ci participe à la fatigue visuelle. Plus grave, elle accélère le vieillissement de la rétine, et apparaît comme un facteur de risque de DMLA. En prévention, il existe différentes solutions. Porter des verres anti-
lumière bleue est une option, qui peut être demandée à l’opticien lors du renouvellement de lunettes correctrices. Cette formule existe aussi en verres neutres pour les personnes sans trouble visuel. Une autre astuce est d’apposer un filtre-écran sur les ordinateurs, téléphones portables et tablettes. Enfin, il est possible d’utiliser la fonction « night shift », ou « filtre de lumière bleue », sur ses divers écrans pour limiter l’agression oculaire
Lumière bleue et tabac : facteurs de risque de DMLA
Le tabac représente un véritable danger pour les yeux. En baissant le taux d’ox ygène dans le sang, il tend à diminuer l’acuité visuelle Il est, d’autre part, un grand facteur de risque de DMLA : cette affection apparaît plus tôt et progresse plus vite chez les fumeurs Le tabagisme favorise aussi la survenue de la cataracte, des particules toxiques volatiles s’accumulant dans le cristallin, et est lié à un risque plus élevé de rétinopathie diabétique, pouvant conduire à la cécité.
À l’inverse, certains nutriments protecteurs freinent le vieillissement oculaire de façon importante Ils aident au maintien d’une vision normale, et diminuent le risque de DMLA et de cataracte. Il s’agit des acides gras oméga 3 dans les poissons gras (saumon, hareng, sardine), dans les huiles de colza et de noix, les substances antiox ydantes – lutéine, zéaxanthine, poly phénols –présentes dans les fruits et légumes verts, jaunes et oranges, les vitamines A (produits laitiers, abats, œufs) et C (agrumes, kiwis, etc.).
Chez les enfants, le dépistage des troubles visuels est souvent trop tardif. Tous devraient bénéficier
d’au moins six examens ophtalmologiques au cours de leurs douze premières années
Le premier doit avoir lieu avant trois ans : la prise en charge d’un strabisme, par exemple, permet de récupérer une vision normale. Et avec une surveillance régulière, il est possible de freiner l’évolution d’une myopie.
Dépistage et contrôle conseillés
Chez les adultes, jusqu’à 40 ans, un contrôle tous les cinq ans en l’absence de défaut visuel suffit. Toutefois, à partir de 45 ans, il en faut un tous les deux à trois ans. Outre la survenue de la presby tie, c’est aussi l’âge à partir duquel certaines affections oculaires s’installent sans sy mptôme d’alerte. En particulier le glaucome, dû à un excès de tension dans l’œil : s’il est diagnostiqué à temps, un traitement par collyres stoppe son évolution et év ite une perte de vision handicapante à terme. À partir de 65 ans, des contrôles tous les ans sont préconisés, là encore pour détecter de façon précoce des problèmes plus courants avec les années. Dans certains cas – diabète, maladie oculaire dans la famille, etc. –, un suiv i plus rapproché est conseillé.
En dehors de ces visites de routine, des sy mptômes doivent amener à consulter : une fatigue visuelle importante, pour rechercher un trouble ignoré ou mal corrigé ; une intolérance à la lumière, surtout avec les écrans, pouvant être causée par une sécheresse oculaire, parfois par une atteinte des nerfs de la cornée, une maladie de la rétine Et certaines situations imposent un examen urgent, comme la perception de « mouches volantes » sous forme de points, cercles, filaments : si c’est souvent sans grav ité, ce peut être le premier signe d’un décollement de rétine, nécessitant un rapide traitement au laser pour guérir sans baisse de vision L’apparition d’éclairs lumineux, de lignes droites déformées, une baisse brutale de la vue, ou encore un œil rouge et douloureux sont également des urgences. ■ Annick Beaucousin
Avoir du ventre :
mauvais
pour la santé
AVOIR du ventre n’est pas synonyme de bonne santé La graisse abdominale contient des cellules qui provoquent une inflammation permanente à bas bruit, cause majeure de pathologies chroniques Elle est désormais reconnue comme un facteur de risque déterminant dans le développement du diabète, des af fections cardiovasculaires, de la maladie du foie gras, des cancers les plus fréquents, et même de troubles neurodégénératifs comme Alzheimer. À par tir de quand s’inquiéter ? Selon l’OMS, le risque métabolique est très élevé pour un tour de taille supérieur à 88 cm chez la femme et 102 cm chez l’homme Il est préférable de faire un bilan médical dès que le tour de taille féminin dépasse 80 cm, et le masculin 94 cm. C’est parce que le corps ne dépense pas ce qu’on lui donne, à cause d’une mauvaise alimentation, ou parfois lors d’un bouleversement hormonal (ménopause) que la graisse abdominale est stockée Si l’idéal est de ne pas la laisser s’installer, il n’est jamais trop tard pour agir. Par chance, cette graisse n’est pas trop récalcitrante à disparaître Elle est très sensible à l’activité physique. Il faut faire de la marche rapide au moins 30 minutes par jour et pratiquer une autre activité deux à trois fois par semaine : vélo, natation, séances de cardio, musculation… L’alimentation doit être variée, le gras et le sucre limités, et ceux d’origine industrielle (plats préparés, fast-foods, boissons sucrées) complètement bannis Si le tour de taille excessif résiste, une aide médicale est nécessaire ■ A. B.
LE S 20 QU ES TI ON S
Mamane
Da ns son nouveau spectacle
Hi stoire pas drôle de l’Af rique, l’ hu moriste nigérien donne UN E LEÇON
SU R LE PASSÉ du cont inent pour m ieu x éclairer le présent, et fait une cr it iq ue mordante du langage. propos recueillis par Astrid Krivian
1 Votre objet fétiche ?
Les cadeaux offerts par mes enfants.
2 Votre voyage favori ?
Un road-trip familial en Espagne. J’ai aimé les paysages désertiques de western en Andalousie, l’influence de la culture arabe, le rythme de vie nocturne des gens.
3 Le dernier voyage que vous avez fait ?
Le Cameroun, où j’ai passé une partie de mon enfance. J’ai retrouvé des copains d’école, visité des lieux où j’ai vécu. J’ai hâte d’y retourner.
4 Ce que vous emportez toujou rs avec vous ?
Mon ordinateur, pour écrire dès qu’une idée jaillit.
5 Un morceau de musique ?
« My Favorite Things », de John Coltrane.
Le jazz m’aide à me concentrer
6 Un livre su r une île déserte ?
Un ouvrage d’histoire Ça aide à comprendre le présent.
7 Un film inou bliable ?
Le Bon, la Br ute et le Tr uand, de Sergio Leone.
L’histoire, la musique d’Ennio Morricone, les regards, l’atmosphère… Du grand cinéma !
8 Votre mot favori ?
« Génial ! », pour dire mon enthousiasme quand j’ai trouvé un angle drôle, ou quand je regarde le foot !
9 Prodig ue ou économe ?
Prodigue Je n’aime pas compter. Les chiffres et moi, ça fait deux !
10 De jour ou de nuit ?
Je me couche tôt et me lève aux aurores, à 4 h 30
Je travaille jusqu’à 6 heures, puis je vais courir.
Et une sieste, obligatoire en début d’après-midi !
11 X, Facebook, WhatsApp, coup de fil ou lettre ?
X, à fond ! Je tweete sans cesse. Facebook, aussi, très utilisé en Af rique. Et WhatsApp, très pratique en voyage
12 Votre tr uc pour penser à autre chose, tout ou blier ?
Garder un œil sur l’actualité m’aide à relativiser. Et la course, bénéfique pour le corps et l’esprit.
13 Votre extravagance favorite ?
Aucune. Je suis du Sahel – un climat dur, chaud, sec. Tout est intériorisé. Notre musique est contemplative, méditative On n’est pas exubérants
14 Ce que vous rêviez d’être quand vous étiez en fant ?
Docteur en pharmacie. Mais l’apprentissage par cœur m’a rebuté J’ai donc choisi d’étudier la physiologie
15 La dernière rencontre qui vous a marqué ?
Les retrouvailles avec mes potes d’enfance, au Cameroun.
16 Ce à quoi vous êtes incapable de résister ?
Une tasse de café fumant !
17 Votre plus beau souvenir ?
La naissance de mes enfants.
18 L’endroit où vous aimeriez vivre ?
Nomade, j’aime changer de lieux de vie : la Côte d’Ivoire, le Niger, la France, le Canada
19 Votre plus belle déclaration d’amou r ?
Les témoignages de gratitude, de reconnaissance du public. On fait ce métier pour rendre les gens heureux.
20 Ce que vous aimeriez que l’on retien ne de vous au siècle prochain ?
Ma gentillesse, mon empathie, mon ouverture aux autres, ma sincérité, ma générosité.
Je veux que mon humour marque les consciences, quitte à déranger ■
Hi stoi re pa s drôle de l’Af rique , à Bama ko le 8 jui n, à Abidjan le 13 jui n, à Ki nsha sa le 15 jui n, à Lu bumbashi le 17 jui n, à Bu ka vu le 19 jui n, à Goma le 20 jui n.
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La montre Breguet Type XX, accompagne les pilotes les plus expérimentés depuis 1954. Elle devrait donc pouvoir se poser sur votre main avec une parfaite délicatesse.
Faisons l’Histoire ensemble.