Découverte
DOSSIER SPÉCIAL DE 30 PAGES.
Interviews SEFA
Découverte
DOSSIER SPÉCIAL DE 30 PAGES.
Interviews SEFA
POLITIQUE,
Au moment où ces lignes sont écrites, nous n’avons pas encore les résultats du second tour des élections lé gis lat iv es anti cip ée s (7 ju ill et), provoq ué es pa r la dissolution de l’Assemblée, elle -même successive à la Bérézina des él ections europé ennes pour la majorité présidentielle. On ne cherchera plus à comprendre quel calcul alambiqué a pu pousser Emmanuel Macron à dissou dre, dan s la fo ul ée d’une lo urde dé fa ite, sa ns préparer ni mobiliser ses troupes, au début des vacances d’été, et à quelques semaines des Jeux olympiques
Quoi qu’il en soit, le calcul a mal tourné… L’extrême droite est aux por tes du pouvoir. Et l’af faire aura abouti à la quasi- dissolution d’Emmanuel Macron lui-même. Co mm e le disent le s Am ér icains, il devi ent un « lam e du ck », un canar d boi te ux , in él igi ble et co nd am né à d’ inc es sa nte s man œu vres po ur ex ist er da ns une forme ou une autre de cohabitation. Ses amis et alliés préparant activement sa succession…
Grâce aux désistements républicains, la victoire du Rassemblement national sera peut- être relative en nombre de sièges. Mais ce sera probablement le premier par ti de Fran ce Ma rin e Le Pe n est une vrai e fe mm e poli tiqu e. El le a acqu is de l’ex pé ri enc e, en ga gea nt avec habileté l’opération respectabilité. Elle tient à elle toute seule un par ti pauvre en ressources humaines. Ses chances de devenir présidente sont réelles
Le Rassembleme nt national n’est pas un part i comme les autres. C’est un pa rt i d’ex trêm e droite.
Se s ra cin es re monte nt à l’af fa ire Drey fus , aux li gu es nationalistes des années 1930, au régime de Vichy, aux théoriciens de la collaboration. Un parti né de Jean-Marie
Le Pe n et de ses outrances. Un par ti aux fond em ents identitaires et antisémites qui a fait des immigrés, des ét ra ng er s, des Arab es et des No ir s su rtou t, les boucs émissa ires de toutes les cr ises, qui acte la di fférence entre Français « de so uche » et Français « de pap ie r ».
Un par ti qui as su me so n an ti parl em en ta ris me , so n autoritarisme, son mépris des limites constitutionnelles
Un parti masculiniste, anti -avortem ent, anti-minorités sexuelles, pro- famille au sens conservateur du terme.
C’est con stern ant, mais un e par ti e non né gl ig ea ble de Français s’y retrouve nt, obsé dés par les qu estions sé cu rit ai re s, pa r la pe ur de l’Au tr e (e n par tic uli er musulman) et du déclassement social.
La France, pourtant, reste le pays occidental où l’adaptation sociale du libéralisme est allée le plus loi n, av ec un e re di st ribution ma ss iv e de s ric he sses par l’ im pô t et par un sy st èm e uniq ue de Séc uri té so cial e. C’est le pays de l’Union europé enne qui a le mi eu x né goc ié sa so rt ie de la pand é m ie du Covid , et don c l’ éc on omi e se mo de rnis e plus ra pid em e nt qu’en Allemagne ou au Royaume-Uni La « victoire » du Rassemblement national souligne l’échec retentissant de ce mod èl e, pe rç u com me un e mach in e éli ti ste, destructrice d’identité.
Sans contre-offre crédible, le coût pour la France sera très lourd. Les boucs émissaires ne régleront pas la question de la sécurité ni celle de l’immigration. Les plans fumeux de redressement économique ne permet tront pas de désendet ter la France Les marchés financiers vont jouer l’échec du pays. Les universités et la recherche vont souffrir de la fermeture de l’accès aux étrangers. Des pans entiers de l’économie (le tourisme, le bâtiment, le commerce, etc.) ne pourront plus compter sur ces petites mains venues d’ailleurs qui font tourner la machine (on l’a vu lors de la pandémie du Covid) La construction européenne, si précieuse, va entrer en crise La question des accointances avec la Russie va dominer l’agenda Il n’y aura plus véritablement de politique crédible vis-à-vis des Suds globaux, du Maghreb, de l’Afrique. La bataille n’est pas forcément perdue. Près de sept Français sur dix n’ont pas voté Rassemblement Les millions de binationaux expriment leur at tachement à la République. La France, c’est aussi un pays réactif par son histoire, sa complexité ethnique, culturelle, religieuse. C’est le pays de l’universalisme, du siècle des Lumières, de la pensé e révolutionnaire, de la résistance face à l’occup ati on et à la co ll ab orat ion, de la th ém at ique « liberté, égalité, fraternité ». Il y aura des contre-feux, avec des radicalités à gauche Mais aussi via les syndicats, les collectifs, une partie de la presse, de la justice, des jeunes, le monde de la culture. La main du RN ne sera pas facile.
En tout état de cause, la France va basculer dans un cycle long de crise politique, avec en ligne de mire la mère de toutes les batailles : l’élection présidentielle de 2027 Dans trois ans ! Ça va être très long. Mais la bataille en vaut la peine. ■
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La France au temps du « Rassemblement » par Zyad Limam
6 ON EN PARLE
C’EST DE L’A RT, DE LA CU LT UR E, DE LA MODE ET DU DESIGN Le Caire, à la hauteu r de l’histoire
26 PA RCOURS Azu Tiwaline par Astr id Kr ivian
29 C’EST COMMENT ? Mon vaccin ! par Emmanuelle Pont ié
96 PORTFOLIO
World Press Photo 2024 : Une hu manité en souffrance par Zyad Limam
112 VI VR E MIEUX
Bonnes vacances ! Heu reux et en bonne santé par Annick Beaucousin
114 VINGT QU ESTIONS À… Decothey par Astr id Kr ivian
TEMPS FORTS
30 LES NOUV EAUX LEADERS par Shiran Ben Abderrazak , Cédr ic Gouver neur, Zyad Limam, Luisa Nannipieri et Emmanuelle Pont ié
78 Meryem Sellami : « On ne se constr uit que dans l’altérité » par Astr id Kr ivian
84 Sefa Yeboah :
« Pour êt re soi, on a besoin des aut res » par Catherine Faye
90 Yeanzi : « La société est mon carburant » par Astr id Kr ivian
P.06
49 CÔTE D’IVOIRE : L’ÉMERGENCE SOCIALE par Emmanuelle Pontié, Zyad Limam, Philippe Di Nacera et Dominique Mobioh Ezoua
50 La mobilisation de tous
56 La jeunesse, au cent re des attentions
58 Mamadou Touré : « Il faut investir massivement su r la formation »
61 Ben Balla Koné : « Il faud ra passer à la vitesse supérieure »
62 Cap su r l’entreprise
63 Salimata Blanche Djité : Self-made-woman
64 L’évolution sans complexe
P.30
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P.49
66 Georgette Zamblé :
« Pour une politique nationale de l’égalité des chances »
68 Habitat, constr uction, urbanisme… Les grands moyens
72 Inondations : un combat diffcile
74 Parcou rs d’excellence
76 Connectées su r demain
102 Mu ltiChoice et Canal+ face au x plates-for mes amér icaines
106 Gianluca Tonolo :
« Des impacts négatifs bien au-delà de la santé et du climat »
108 Quel nouveau président pour la BAD ?
109 À Madagascar, la vanille dans la tourmente
110 Le four solaire pourrait en f n démarrer
111 Le Gabon relativise la dégradation de sa note par Cédr ic Gouver neur
P.84
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C’est ma in te na nt , et c’est de l’ar t, de la cu ltu re , de la mo de , du de si gn et du vo ya ge
La fa çad e du bâti me nt, orn ée de moti fs py ra mid au x.
ouvr ira bientôt ses portes. Il peut déjà se ta rg uer d’êt re pa rm i les plus du ra bles au monde. AR
LE PROJ ET EST – c’est le cas de le dire – pharaonique : le Grand Musée ég yptien du Caire a été imaginé en 1992, et est en chantier depuis 2012. Il a coûté près de 1 000 milliards de dollars, et s’étend sur une surface d’environ 500 000 m2. Son ouverture définitive n’a pas encore été annoncée – la date ayant été repoussée à plusieurs reprises ces dernières années –, mais le ministre ég yptien du Tourisme a assuré que les finitions des salles devraient être faites courant juillet Entre-temps, le public peut accéder à une exposition dédiée aux trésors de Toutânkhamon et monter le Grand Escalier, depuis lequel la vue donne sur les py ramides de Gizeh. Le musée vient de recevoir – et c’est une première dans la région MENA –la cer tification EDGE Advanced Green Building, décernée par l’International Finance Corporation. Imaginé par le cabinet dublinois Heneghan Peng, le bâtiment possède un toit réf léchissant et une double peau translucide, qui filtre la chaleur et la
lumière sur ses différents niveaux. L’approche durable des architectes permettra d’économiser plus de 60 % des coûts énergétiques et de réduire de 34 % la consommation d’eau par rappor t à un autre musée de ce ty pe et de cette taille ■ Luisa Nannipieri
Ex positi on im me rs ive déd ié e aux trésors de Toutânkhamon , en at te nda nt l’ou ve rt ure of fici ell e
L’HISTOI RE D’UN CA HI ER MAGIQU E da ns lequel il su ff it d’ inscri re un vœu pour q u’ il soit exaucé…Ànepas mett re entretoutesles
ma ins!
LESSTA RS du standupDriss et Mehdiavaient cassé la baraque l’an dernierauMaroc avec Jouj (« deux », en arabedialectal), qui lesmet tait en scènedansunmonde soudain désertépar leshommes, sauf eu x, et seulementpeupléde femmes…Une comédiepotache quiavait fait moucheaumomentduRamadan.Sor ti en France un an plus tard,lef ilm aattiréàpeine 200spectateurs entre av riletmai,avant de poursuivreune petite carrière dans de rares salles.Cen’est pasque le cinéma marocainadumal àpercer dans l’Hexagone : Reines,deYasmineBen kiran, sortile15mai, aréuni plus de 10 000 personnesenmoins de troissemaines Uneréalisatrice auxmanettesettrois actricesdansles rôlesprincipaux: encore plus fort quelescénariode Jouj ! ■ Jean-Marie Chazeau
JOUJ (Maroc), de RabiiChajid. Avec Dr isse Cha louh , Mehd iA zekr i, Am al El At rache. En sa lles
Àécouter maintenant !
Mi khal Anthony Mu se,R&S Re cord s.
Sy nthétisant tout ce qu’ilaimedansleR’n’B, l’afrobeat et la soul, ce poète très engagé, né dans le Missouri,a dy namisé la scènehiphopdeChicago avecses démonstrations àlafoisgroov yet politiques.Etson premieralbum,jolimentnommé Muse, estàlahauteur desattentes: mélodique, mais percussif,sensuel et avecdela suitedansles idées. Coup de cœur.
Bedoui n Bu rger
Ma Li Be it,Hél ic o.
Kayt ra nada
Ti me le ss,RCA
D’un côté,la chanteused’origine sy rienne Ly nn Adib, formée au Conser vatoire et passionnée de jazz.Del’autre,leproducteur libanais Zeid Hamdan,connu grâceà songroupeSoapkills, faiseurs de sons alternatifs. Dans leur viseur,laculture bédouine,danscequ’elle adeplus indépendantetenthousiasmant. Surcepremieralbum,les ry thmes sont efficaces, le chantcaptivant C’estleDJet producteur quetout le mondes’arrache depuis quelques années. Né LouisKevin Celestin, cemusiciencanado-haïtien revientavecuntroisième albumstudio, Timeless.Pas tout àfaitsolo, puisqu’il s’entoured’une ribambelle de talents,tels queChildishGambino,A nderson.Paak, Thundercat,Channel Tres…Etsigne encore un manifeste hybridedehip-hop, d’électroetdesoul. ■ Sophie Rosemont
UN FI LM D’ESPION NAGE très xx ie siècle, avec deux acteurs
rema
rq ua bles d’ intensité. Prenant et passionnant.
ENTR E 70 000 et 200 000 personnes ont disparu dans les prisons du régime de Bachar al-A ssad au début des années 2010. Hamid, jeune professeur à Alep, torturé pendant des semaines, a réussi à s’en sortir et à rejoindre l’Europe À Strasbourg, il tente de retrouver son bourreau, infiltré dans le flot de réf ugiés sy riens. Car les victimes s’organisent, montent des dossiers, enregistrent des témoignages, cherchent des preuves et repèrent ces sinistres personnages pour les livrer à la justice, qui peut les poursuivre pour crime contre l’humanité Peu médiatisés, ces réseaux souterrains offrent un matériau riche et inédit pour un film d’espionnage. Le réalisateur français Jonathan Millet, qui a parcouru le monde avec sa caméra et appris l’arabe en Sy rie, s’est inspiré de faits réels pour nous immerger dans cette traque fébrile, qui manque à chaque instant de déraper dans la vengeance immédiate… Avec cette question : est-ce la bonne personne ? Car Hamid n’a jamais vu l’homme qui lui maintenait la tête sous l’eau ou lui lacérait le dos. Il n’en garde qu’une photo floue, des témoignages douloureux qu’il écoute en boucle, et a pour seul souvenir personnel son
odeur. Une bande-son angoissante et omniprésente renforce le suspense, mais elle témoigne aussi d’une réalité : les rescapés des geôles de Damas, habitués à vivre de longs mois dans le noir, ont développé une capacité d’écoute, mais aussi des troubles auditifs, les tympans abîmés par de longues séances de tortures aquatiques… Adam Bessa, qui incarne Hamid, est impressionnant. On retrouve chez ce comédien tunisien, qui adopte l’accent sy rien pour ce rôle, le mystère et la puissance qui émanaient de lui dans Harka (2022), film inspiré de l’immolation qui avait déclenché la révolution de Jasmin Face à lui, le comédien palestinien Tawfeek Barhom, qui jouait le jeune pêcheur admis à l’université al-Azhar dans La Conspiration du Caire (2022), incarne cette fois un étudiant plus âgé et au passé potentiellement sanguinaire – un rôle pour lequel il a appris le français. Tous deux incarnent puissamment les fantômes d’un conf lit sanglant, et nous hantent longtemps après le visionnage ■ J.-M.C LES FANTÔMES (France), de Jonathan Millet. Avec Adam Bessa, Tawfeek Ba rhom, Julia Franz Richter. En salles
AV EC SON DEU XI ÈM E AL BU M, BU TU, le collecti f congolais revient plus en forme que ja ma is, la musique se muant en œuvre hybr ide, entre ancest ra les sonorités af rica ines, électro et kwaito…
AM : De quoi s’inspire Butu ?
KOKOKO! : « Butu » signifiant la nuit en lingala, le disque s’inspire de ce qu’il se passe à Kinshasa du coucher au lever du soleil. C’est une ville très animée, habitée par 18 millions de personnes, et la nuit tombe tôt toute l’année, vers 18 heures, car elle est proche de l’équateur Alors les sens sont en éveil, les sons semblent plus forts et une énorme quantité de personnes se précipitent pour faire les dernières courses ou activités avant qu’il ne fasse vraiment très sombre, à cause des fréquentes et longues coupures de courant. On voit beaucoup de silhouettes, des phares de voitures, des parasols colorés avec une ampoule çà et là Il y a du bruit partout : des vendeurs de rue qui disposent chacun de leurs propres alertes pour être entendus avant d’être vus, des boucles de mégaphone déformées, des klaxons de motos-taxis, des générateurs qui s’allument, etc. Butu reprend toutes ces sensations de la rue, ces fêtes qui se déroulent pendant la nuit. Il peut être surchargé, répétitif, comme un chaos organisé capable de susciter un sentiment de transe, d’excitation et plus encore !
En quoi l’hybridité sonore est- elle cruciale dans votre musique ?
Parce que sa combinaison d’ingrédients constitue notre originalité. Le mélange d’électronique, de sons saturés, d’enregistrements téléphoniques, de voix lingala et d’instruments DI Y, de larges influences Avec tout cela et l’énergie indéniable de Makara Bianko [performeur en chef de KOKOKO!, ndlr], elle doit être unique
Comment décririez-vous votre lien avec Kinshasa ?
Un mélange d’amour et de haine, de frustration et d’excitation
Même si elle est magique, la ville devient de plus en plus difficile à vivre : coupures de courant, mauvaises routes, manque d’argent… Elle peut devenir dangereuse à cause des kulunas (des gangs dont les membres sont reconnaissables à leur machette). En tant qu’artistes, on est en quelque sorte protégés, car les gens accordent de l’importance à la musique, mais la vie reste difficile C’est pourquoi les habitants de Kinshasa s’échappent à travers l’art et la performance. ■ propos recueillis par Sophie Rosemont
KOKOKO! Butu, Transg ressive/ Pias
TH RI LL ER
ALEX ANDR E DU MAS, Le Comte de Monte-Cristo, La Pléiade, 1504 pages, 70,50 €
Pour la rééd it iondu Comt e deMonte-Cristo da ns la prestigieuse Pléiade, retour su rles or ig ines mêlées D’ALEX ANDRE DU MAS.
MÉTIS, l’auteur des Troi sMou squetaires et de La ReineMargot alongtemps étéreprésentésousles traits d’unepersonneblanche.Eten2010, c’est Gérard Depardieuqui incarnecemonumentdelalittérature dans le film de Safy Nebbou, L’AutreDuma s.Unchoix polémique: le réalisateurest accusé de whitewashing.Pourtant, le romancierétait bienquarteron. Il se décrit lui-même dans ses Mémoires commeun« nègre»,avecdes «cheveux crépus »etun« accent légèrementcréole ». AlexandreDumas,néle 24 juillet 1802 àVillers-Cotterêts, d’unemère blancheetd’unpère mulâtre, le généralThomasA lexandre Davy de La Pailleterie,filsd’une esclave et d’un propriétairedelacolonie françaisedeSaint-Domingue, avaitdonc desoriginescaribéennes. Le portrait en noir et blancduphotographe et caricaturisteÉtienne Carjat livreune imagefidèledecelui quif ut le témoin engagé desplusgrandsbouleversements politiques du XIXe siècle Raressont lesouv ragesoùcelui-ciabordeses origines,mais Georges nous offrequelquesinformationsenfiligrane.Dumasyretrace l’histoire d’une familledemulâtresàl’île Maurice, confrontés àl’esclavage,auracisme, àl’assujettissement. Il ypeint la complexitédumétis,tirailléentre son identité blancheetson identiténoire.À l’occasion d’uneconférencedonnée àl’Universitédes Annales, en 1955,A ndré Mauroisraconte la jeunesse hybridedecet hommedelettres hors norme. Et comment, alorsâgé de 27 ans, sans fortune, sans protection, sans diplômeetsansinstruction solide,celui-cidev ient en uneseule soirée un hommeillustre. C’est jubilatoire. Commelesont lesaventures d’Edmond Dantès,alias le comte de Monte-Cristo, dans leur nouvel écrin. Le sixièmeécrivain,après Voltaire, Rousseau, Hugo,ZolaetMalraux,àavoir étéhonoréauPanthéonpar la «patriereconnaissante» n’en finitpas de nous fairev ibrer ■ CatherineFaye
Qu in ze ansaprès Go Fa st,ROSCH DY ZEMrenoueaveclef il m d’action,eni ncar na nt un mi lita iret raumat isépar la guer re en Afghan ista n.
PEUT-ON s’identifieràunhommeinsensible et prêt àtuer surcommande? C’est lepari de ce thrillerinspirépar cesfaits diversoùdes adolescentessontenlevées pour desmariages forcés dans les Émirats.Elyas, qui souffred’un stress post-traumatique àlasuite d’un sale moment passé en Afghanistan, est recruté pour assurer la sécurité d’un couple richissime du Moyen-Orient, venu passer quelques semainesdansunchâteau enFrance avec leur fillede13ans.Mais entredeux prisesde médicamentsetlemaniement de son couteau pliant (unMarlin qu’il ouvre et referme dans un cliquetis très énervant), Elyasvoit-il vraiment la réalité ou se fait-il desidées ?Saparano nous gagne, et la montée en puissance de la violence fonctionneplutôtbien. On atoutefois parfois l’impression de s’être égarédans une série Bqui louvoie entre esthétique de jeux vidéo et film d’action asiatique àlaJohn Woo. Heureusement, RoschdyZem insuffle de la subtilitéà cetex-soldat robotique, et n’hésite pas às’investir avec réalisme (il n’a pas été doublépour ses cascades) dans cette histoire improbable qui va leconduire jusqu’à Dubaï, avantunfinal au Maroc qui nous réconcilierait presque avec son personnage… ■ J.-M.C ELYAS (France),deF lorent-Emilio Siri. Avec RoschdyZem,Laetitia Eïdo,Sherwan Haji.Ensalles.
« ÉPIDÉMIES. PRENDRE SOIN DU VIVANT », Musée des Con fuences, Lyon (France), jusqu’au 16 février 2025 museedesconfluences.fr
Peste, va riole, choléra, gr ippe espagnole, sida, Covid-19… LES ÉPIDÉM IES touchent l’ensemble du monde viva nt.
INSPIRÉE PA R L’UNIVERS des laboratoires, la scénographie s’ouvre sur des sculptures de verre du plasticien britannique Luke Jerram représentant bactéries et virus pathogènes. Face à elles, des animaux naturalisés rappellent que les maladies transmissibles ne concernent pas seulement les hommes C’est en analysant les relations interespèces que peuvent se comprendre ces phénomènes complexes, à la fois biologiques et sociaux. En s’appuyant sur des collections d’ethnographie, de médecine, d’histoire naturelle, ainsi que sur la présentation d’œuvres contemporaines, l’exposition suit le fil diachronique de plusieurs grandes contagions. Elle remonte jusqu’au Néolithique, à la manière d’une enquête historique, mettant ainsi en lumière le lien étroit entre santé humaine, santé animale et santé environnementale. Le parcours débute dans l’Antiquité, se poursuit au Moyen Âge, puis dans une Europe frappée par les premières grandes « pestes ». La variole et la grippe dite « espagnole » changent d’échelle en touchant tous les continents. La reconstitution d’un laboratoire de microbiologie témoigne ensuite du tournant qui marque la fin du XIXe siècle : les microbiologistes étudient désormais l’infiniment petit, mettent au point des vaccins et des sérums Enfin, la dernière partie de l’exposition introduit les réactions politiques ou sociétales face aux maladies émergentes Publié en coédition avec le musée, l’ouvrage consacré à l’exposition ouvre le dialogue, en s’appuyant sur une réflexion pluridisciplinaire étoffée. Pour prendre soin de nous, prenons soin du vivant… ■ C. F.
Ci -d essus , Ve rtica lité s, d’Amahigu éré
Do lo
Ci -c ontre, Le La nc eu r, Ousma ne Sow.
Vu e d’ex positio n :
œu vres de Fredd y Ts im ba
en compag nie de vi ng t ar tistes et d’un collection neur.
POUR CÉLÉBR ER les vingt ans de la naissance de son centre d’art, la Fondation Blachère présente le travail de vingt figures de l’art contemporain en Afrique de l’Ouest, au cours des deux dernières décennies. Du Malien Amahiguéré Dolo, artiste phare de l’événement, au Sénégalais Ousmane Sow, en passant par le Congolais Freddy Tsimba, les artistes exposés sont aujourd’hui des références majeures de la scène artistique contemporaine. Leurs œuvres constituent ici un fonds de quelque 2 300 œuvres, contribuant ainsi au rayonnement de l’art contemporain africain. C’est au Mali que le collectionneur
Jean-Paul Blachère, à l’initiative de cette aventure artistique, développe un intérêt viscéral pour le continent face aux falaises de Bandiagara – d’où le nom de l’exposition. Une rencontre déterminante, au début des années 2000, pour l’entrepreneur, qui n’a dès lors cessé de défendre une approche sensible et passionnelle de la création. Cette exposition-anniversaire met en avant les pièces emblématiques des débuts de sa collection, ainsi que ses artistes coups de cœur ■ C. F. « BANDIAGARA, AU COMMENCEMENT DE LA COLLECTION », Fondation Blachère, Bonnieux (France), jusqu’au 21 septembre 2024 fondationblachere.org
L’AMOU RENT RE DEU X MA ROCA IN ES,àl ’épreuve du temps, desconvent ions et de l’effacement.
«CEQU’ON ne peut pasdire, il ne faut surtoutpas le taire, mais l’écrire.» En citant Jacques Derrida en exergue de sondernier ouvrage, Loubna Serraj, lauréate du prix Orange du livreenA frique en 2021 avec Pour vu qu’ilsoitdebonne humeur –roman abordant la question de la violence conjugale–, annonce la couleur. Unecouleur duale, qui incarnerait tout àlafoislamémoire et l’oubli, dans l’explorationdelapensée et le surgissement du non-dit, àl’aune de la théorieduphilosophedela déconstruction.A insi,à travers une brûlante histoire d’amour, l’écrivaine marocainesonde l’absenceetl’effacement –delamémoire,del’identité,d’un passé. Elle aborde encore unefoisla question du couple, entredeuxfemmescette fois-ci, invisibiliséespar le fait même que l’homosexualitéest un taboudanslasociété marocaine. Un amourimpossibleàcontenir,et encore plus àoublier, dévoilépar leslettres que Lamiss,jeune professeure de français dans un lycée, adresseàNidhalé,reporterphotographe issuedelabourgeoisie marocaine, sa bien-aimée, devenuecomme hors d’atteinte.Larelation aété brutalementinterrompue.Maispar quoi ?Pourquoi? Entrecette correspondance, despassages narratifs et desséquences dialoguées,l’histoire peuà peusedévoile.En demi-teinte. «Comme chaque fois,Lamisspliela lettre qu’ellevientderédigersansla relire. Ellea toujours eu du malà repasser surles mots qu’ellelui envoie.» Au fildeses missives, envoyées «quelque part », elle semble suppléer l’absencepar uneforme de matérialité. Toutefois, de ce grand amour, querestera-t-il? ■ C.F.
SERR AJ, Effacer, Au diable vauvert, 256pages, 19 €
GA ST RONOM IE
Un livresavou reux,q ui met en va leu rlet rava il deschefs et cheffesq ui RÉÉCRI VENT
LESCODES,puisa nt da ns leursracines afr icai nes.
LA GASTRONOMIE africaineenFrancenesetrouvepas uniquement àParis –bienaucontraire! Loin de la capitale et de sonobsession pour la performance, leschefs expriment davantageleurcréativ itéentoute liberté.C’est l’une desleçons quel’ontiredudernier ouvragede la réalisatrice de documentaires et journalisteVéraneFrediani,enlibrairie ce 12 juillet.Prèsde300 pagespoursillonnerlaFrance àlarencontre de vingtchefs originairesducontinent, dévoilantleurparcours, leur philosophie gastronomique, leur approche desingrédientsetd’une cuisinequi estentrain de s’inventer et se réinventer.Aufil de longuesinter views, de photographiesqui transmettent l’amourde la cuisine, mais ausside60recettesd’exception,dontcertaines créées pour l’occasion (coupdecœurpourles plantainsetoignons confits au mbongo d’Elis et VanessaBond),onperçoitlavariété et l’enthousiasme de cesfemmesetces hommes qui animent un mouvementculinaireenplein essor ■ L.N.
VÉRA NE FR ÉDIA NI, L’Afrique cuisine en France, Éd it ions de La Ma rt inière, 272pages, 29,90 €
DIBAKA NA MA NK ESSI, LePsychanalyste de Brazzaville, LesLettres mouchetées, 454pages,18 €
L’ÉCRI
revisite l’ histoi re du Congo-Brazzavi lle àt ravers la psyché.
«DEPUISplusd’unan, je rêved’une porte, d’une largeporte avecune massedevipèresàdeuxtêtes entrelaporte et moi. »Danslecarnetdenotes du docteurKaya, consultations, songes et pensées sont consignés. Commepournejamaisoublier la portée d’un mot,d’une interprétation
Figure sy mbolique de la libération de la parole, le psychanalystecongolais imaginépar Dibakana Mankessiest,danscetroisième roman, bien plus qu’unthérapeute. Carquelmeilleurendroit queleseulcabinetdeBrazzavillepourtâter le poulsd’une société? D’un pays ?Surtout lorsqu’il accueillesur sondivan la quasi-totalité de l’élitedelacapitale, dans lesannées1960, justeaprès l’indépendance. Et quel’undeses patients estsauvagement assassinédans descirconstances nonélucidées.Grand Prix Afrique2023des écrivainsdelanguefrançaise et prix Orange du livreenA frique 2024, ce récit foisonnant explorelaconstruction desconsciences individuellesetcollectives. Avec humour,tension narrativeetsubtilité ■ C.F.
SÉR IE
De g au ch e à droi te, Sh oki Mmo la, Sive nath i Ma buya, Bo hang Mo eko, Marjo ri e La ng a,
L’ar t et la ma nière de mett re en pièces une belle histoi re d’amou r entre un livreu r et une starlette de télénovela ! Da ns la même veine que How to Ruin Chri stma s, SUCCÈS AFRICA IN DE NETFLI X.
SÉDUCTIONS PÉCHERESSES : c’est le titre de la série à succès tournée à Johannesburg dans laquelle joue Zoleka, qui, dans la vraie vie, soupçonne justement son boyfriend d’aller voir ailleurs Il faut dire que plusieurs indices lui mettent la puce à l’oreille, et elle compte bien faire éclater la vérité En réalité, le (beau) garçon, ex-liv reur qui a créé une appli financièrement prometteuse, lui prépare une énorme surprise. Et elle va tout gâcher. On assiste ainsi au dy namitage d’une belle histoire, où vont s’affronter deux familles noires que tout oppose socialement, mais qui connaissent toutes les deux des problèmes de communication entre leurs membres, tous très haut en couleur. Les acteurs qui les incarnent sont déchaînés, ce qui suffit à faire passer quelques lourdeurs et répétitions scénaristiques ! Si l’histoire est souvent à l’eau de rose, sur fond d’anniversaires et de Saint-Valentin, quelques audaces
viennent pimenter l’histoire (dont une meilleure amie bisexuelle, qui nous rappelle que l’on se trouve dans le seul pays africain à avoir légalisé le mariage gay et lesbien). L’autodérision est la règle, n’épargnant aucun personnage, et ça va vite, en quatre épisodes très colorés, avec une attention particulière portée aux décors souvent délirants et aux vêtements très fashion de chacun des protagonistes ! Parmi eux, plus discrets, les membres d’une autre famille de la série à succès How to Ruin Christmas, dont l’action est censée se dérouler après cette mémorable demande en mariage (« The Proposal » du titre), faisant de ce nouveau How to Ruin le premier spin-off de l’histoire des séries africaines ! ■ J.-M.C HOW TO RUIN LOVE : THE PROPOSAL
(A fr iq ue du Sud), de Rethabile et Katleho
Ramaphakela. Avec Sivenath i Ma buya, Boha ng Moeko, Joh n Morapa ma Su r Net f ix
À traver s son travai l, la photo graph e, convo qu e l’intim e et le re nd u nive rs el
E ntre im ag es d’archive s coll ecté es en Itali e et photo graphi es pe rsonn ell es, l’ar ti ste dress e le por trait de la com munauté af ro -i ta li enn e.
SI LV IA ROSI mont re l’Ital ie à travers l’object if des fa mi lles afro-italien nes, entre cl ichés pr ivés et histoi res collectives.
LE TEMPS DU FESTIVAL de la jeune photographie européenne, une exposition autour des diasporas africaines en Italie occupe les espaces de la collection Maramotti, l’institution dédiée à l’art contemporain que le fondateur de Max Mara a créée dans l’ancien siège italien de la griffe. « Disintegrata » (désintégrée) est une personnelle de la photographe d’origine togolaise Silv ia Rosi, qui propose une vingtaine de clichés des personnes arrivées dans le pays avant les années 2000. Ces images ont été sélectionnées parmi des centaines d’instantanés et traversent différents univers, de l’album de famille au paysage habité par des corps noirs. Elles sont le point de départ d’un projet plus large, visant à constituer une archive familiale des citoyens afro-italiens. L’artiste, qui vit entre Lomé et Londres, explore ainsi de nouvelles façons de transmettre les connaissances visuelles, à travers des images de la vie quotidienne. Elle s’inspire tant de la pratique d’artistes comme Cindy Sherman et Gillian Wearing que du travail de photographes comme Seydou Keïta, Malick Sidibé et Samuel Fosso, restituant avec humour un autre imaginaire de « l’italianité » d’aujourd’hui, qui transforme des histoires personnelles en histoires collectives. ■ L. N.
« DISINTEGRATA », Collection Maramotti, Reggio d’Émilie (Italie), jusqu’au 28 juillet collezionemaramotti.org
T
AL BU M
Dotée d’une plume affûtée, d’un FLOW IM PA RA BLE et d’une grande richesse d’ in fluences, cette ar tiste ma rt in iq ua ise met le feu à la planète rap.
ELLE VIENT de Saint-Esprit, en Martinique, où elle a fait ses armes sur scène, influencée par le dancehall, le reggae, le slack, le kompa… et la pop ! Très vite, la crème de la planète rap francophone réclame sa plume,
et elle collabore aussi bien avec Shay qu’avec Soprano. Après deux EP (Jour avant caviar et Ozoror) et deux nominations aux Victoires de la musique, forte des millions de vues de tubes tels que l’imparable « Jack Sparrow », Meryl affirme son talent singulier avec un premier album plus que prometteur : Caviar I. Si le producteur Mike BGRZ (MHD, Damso, Mahmood, Franglish…) officie à ses côtés, c’est elle qui tient la barre haut Y sont narrés l’amour, le sexe, l’indépendance, la quête de gloire, mais aussi sa vacuité, l’importance de ses origines, dont elle est fière Avec la langue créole comme alliée de compétition. Une femme puissante pour un disque puissant ! ■ S.R.
MERYL, Caviar I, Ma ison Caviar
Héritier d’une cu lt ure nomade, l’auteur djiboutien est lauréat du pr ix Robert Ga nzo 2024 pour son recuei l Les Corps sales. Un chant poét iq ue qu i s’ indigne avec force cont re la violence du monde.
AM : Qu ’évoque votre recueil de poèmes Les Corps sales ?
Chehem Watta : Ma poésie marque l’indignation face à des problèmes réels, concrets de notre continent. Elle parle des violences contre les femmes, les migrants, les exilés, de la représentation de l’Autre que l’on dégrade, dénigre, déshumanise. Le corps est ici un lieu de violence, de destruction, de souffrance. Il faut combattre, démonter ces traditions inacceptables telles les mutilations génitales des femmes, à Djibouti, en Éthiopie, en Somalie. Les jeunes émigrés intracontinentaux sont humiliés par les Africains eux-mêmes : on les emprisonne, on les vend en Libye, on les maltraite en Ég ypte… Quelle est la force du chant poétique ?
La poésie est le genre majeur dans la Corne de l’Afrique. Les bergers poètes, les peuples nomades nous ont légué un important patrimoine poétique, littéraire, oral, un imaginaire issu du monde pastoral. C’est ma source d’inspiration et ma manière de m’ancrer dans la région Cet imaginaire est présent au quotidien, dans les chants, l’amour, le théâtre. Orale dans le passé, la poésie est de plus en plus écrite, déclamée à la radio. Les écrits de beaucoup d’écrivains djiboutiens transpirent la poésie Mes parents étaient pasteurs nomades, un mode de vie en difficulté, en danger même, aujourd’hui. Ils sont désormais semi-sédentaires.
Français : bientôt ses principaux locuteurs seront en Afrique. Elle est le pont de communication entre les différentes communautés à Djibouti, elle nous relie, nous cimente, même si nous appartenons à un monde arabo-musulman. Nous représentons fièrement la francophonie dans la Corne de l’Afrique. Djibouti est un îlot entouré de pays qui parlent l’arabe, l’anglais. Certes le colonialisme est passé par là, avec des effets sur la société, la culture, et les gens l’ont combattu Mais aujourd’hui, cela ne nous empêche pas d’évoluer dans le monde actuel. Il n’y a pas de rejet de la langue française. Elle ne se propage pas aux dépens de nos langues maternelles, nationales, entre lesquelles on circule. Comment présenteriez-vous votre pays ?
Le s Co rp s sa le s, su ivi de Ve ndu s co mm e pi èc es déta ch ée s de l’hu ma nité, Éd iti on s Du me rc hez, 72 pag es 19 €
Avec la création des États, les nomades ne peuvent plus se déplacer comme ils l’entendent sur les territoires. C’est de plus en plus difficile avec les conf lits, et aussi les sécheresses, le changement climatique. Quel est votre lien avec la langue française, dans laquelle vous écrivez ?
J’y suis très attaché. Je fais partie de ces enfants de nomades qui ont été scolarisés Cette langue est venue habiter notre bouche, elle nous a permis d’accéder à d’autres savoirs.
Elle porte aussi notre imaginaire, nous relie au monde, nous permet d’exprimer nos émotions. Elle n’est pas la langue des
De par son positionnement géographique, Djibouti est ouvert sur le monde. Les habitants de Djibouti ont des racines en Éthiopie, en Somalie, en Ér ythrée, au Kenya Nous sommes adossés à l’Afrique et ouverts sur l’océan Indien, l’Arabie, l’Inde. Cette richesse se reflète dans notre culture variée ; on veut la partager avec l’humanité Fiers de cette position sur la route du monde, les Djiboutiens forment un peuple très ouvert et très éveillé.
Que vous ont appris vos études de psychologie en France ?
En effectuant ma thèse de doctorat en ethnopsychiatrie, sous la direction de Tobie Nathan, j’ai découvert que, pour mieux soigner les migrants, il fallait connaître leur culture, leur religion, etc. Le complexe d’Œdipe est dans ce contexte inapproprié ! Cette approche m’a permis d’aller en profondeur des choses, d’avoir une compréhension plus fine des Africains, des problématiques, des stigmatisations auxquelles ils faisaient face. À Djibouti, j’ai travaillé au programme des Nations unies pour le développement J’ai compris que le sida n’était pas seulement un problème de santé publique, mais aussi de domination envers les femmes, de pauv reté, de développement ■ propos recueillis par Astrid Krivian
Ne lla Ag uessy, Untitl ed, « We Ca n’t
Brea th e », 20 22
Dédiée à la flor issa nte SCÈN E DU BÉNI N, la compét it ion qu i favorise la mobi lité des ar t istes émergents in nove, avec une ex position loca le inéd ite.
LE BÉNINOIS Nobel Koty a remporté la quatrième édition du Prix ellipse, organisé par le fonds Ellipse Art Projects depuis 2020. Il bénéficiera d’une bourse de production et exposera ses œuvres à Paris fin octobre, dans le cadre de la foire AK AA, partenaire du projet Ses peintures, des autoportraits sur fond blanc qui évoquent les différents états émotionnels qui animent l’être humain, sont accrochées jusqu’au 19 juillet à l’Hôtel Maison Rouge de Cotonou, aux côtés des œuvres des quatre autres artistes finalistes (Marcel Kpoho, Nauld Adjahuime, Nella Aguessy et Océane-Maria Adjovi). Une exposition inédite et gratuite, qui marque cette édition dédiée aux artistes africains résidant au Bénin et aux artistes béninois installés ailleurs en Afrique. Après avoir mis l’accent sur le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Togo, le Prix a ainsi souhaité renforcer son implication locale, dans un pays de plus en plus tourné vers l’art, qui participe cette année pour la première fois à la Biennale de Venise
Les finalistes ont été sélectionnés parmi 72 candidatures par un jury indépendant, composé de professionnels de l’art contemporain et de la scène béninoise. Ils ont produit des œuvres percutantes sur la thématique « Tradition contemporaine », qui vont des sculptures de Marcel Kpoho, autodidacte de Porto-Novo qui travaille avec des vieux pneus, aux photos très étudiées de Nella Aguessy, qui ambitionne de faire réagir les spectateurs sur des enjeux sociaux urgents. ellipseartprojects.org ■ L. N.
Le s ma illots col orés de la jeu ne créa tr ic e s’adapte nt à toutes les fo rm es
RA MA SW IM WEAR propose des MA IL LOTS DE BA IN et des PI ÈCES SPORTI VES adaptés au x morphologies méditerranéennes, qu i al lient confor t et qualité.
TROUVER DES MAILLOTS de bain et des vêtements de sport adaptés aux formes pleines, réalisés avec des matières de qualité, respectueux de l’environnement et fabriqués localement ? Pour la Tunisienne Rahma Segni, c’était presque mission impossible. De sa frustration et de son intérêt pour le monde de la mode, est née l’idée de créer sa propre marque, Rama Swimwear, qui propose depuis 2021 des pièces qui cochent toutes les cases. Segni a toujours prêté une attention particulière aux tissus et, après avoir utilisé des matières italiennes à ses débuts, elle a décidé de développer des fibres
La ma rq ue propose ég al em ent du sp or tswe ar
écotex produites en Tunisie à partir de tissus recyclés. Elle a d’abord travaillé sur ses collections de maillots de bain brillants, monochromes, aux lignes asymétriques et sexy, veillant avant tout au confort. Ses créations sont réalisées à partir d’une modélisation en 3D, qui permet de réduire les coûts et l’empreinte carbone du processus. Les collections comprennent tant des pièces uniques aux lignes sensuelles
Le s deux-p iè ce s ta ill e haute sont à la fo is flat te ur s et confor ta ble s.
que des deux-pièces taille haute, assortis de ceintures et détails ludiques. Elle a par la suite élargi le champ de la création aux accessoires et aux vêtements confortables pour la plage, des kimonos aux pantalons, en passant par la lingerie, les pyjamas et une joyeuse ligne de prêt-à-porter. Cette année, la styliste débarque également dans l’univers du sport, avec des vêtements réalisés en tissus stretch à haute performance, toujours créés à partir de matières recyclées. Les leggings sont notamment proposés dans une version mise en forme ou taille haute – une alternative chic, qui sculpte et allie souplesse et technologie anti-frottement, avec ceinture en style boxer et passepoil galbant qui flatte aux bons endroits. La jeune entrepreneuse pense déjà à la suite : sa marque vient d’intégrer un programme d’incubation sur trois ans, piloté par le Centre du commerce international, qui va l’aider à se positionner sur les marchés dans la durée. ramaswimwear.tn ■ L.N.
De s le gg ing s gainants po ur s’activer avec classe et sa ns entrave.
À BR AZZAVI LLE ET LI BR EV ILLE, deux ad resses où la haute gast ronomie permet de savourer une cu isine éq ui li brée et créative.
TORTUE EN CROÛ TE DE FEUILLETAGE, taboulé d’attiéké avec piment vert, légumes croustillants et crevettes Missala, bar pané avec chapelure de crevettes fumées ou sorbet de rose de porcelaine… Ce n’est qu’un aperçu des recettes que la cheffe Oliv ia Bumba propose chez La Pirogue, ouvert il y a neuf ans à Brazzaville. Née au Congo, à Kinshasa, formée auprès d’un chef normand traditionnel, elle a dû réapprendre à utiliser les ingrédients locaux Aujourd’hui, elle met les techniques de la gastronomie française au serv ice du terroir congolais Herbes, champignons, tubercules et crustacées (bientôt du crocodile) sont au cœur de ses étonnantes
Ol iv ia Bumb a utili se sa fo rm ation au x te chniq ue s de la gastro nom ie frança ise po ur honorer le s ingréd ie nt s loc au x.
Ch ez Le Ch ef O’miel, le s plats so nt mis en sc ène com me de vé rita ble s œuvres d’ar t.
cartes de saison Seule femme dans un milieu hy permasculin, elle s’est battue pour défendre une cuisine curieuse, jolie et innovante, et son resto est désormais incontournable pour les food-lovers de Brazzaville. Le terroir est aussi à l’honneur chez Le Chef O’miel, à Librev ille. Ici, le chef O’miel Moundounga dresse avec brio la cartographie culinaire du Gabon depuis 2019, après avoir fait son apprentissage en pèlerinage à travers le pays, ce dont témoigne un impressionnant mur de masques, et avoir créé sa propre plantation à la sortie de la ville. Autodidacte, il tire d’un chef burk inabé l’idée que cuisiner, c’est redonner la vie à une nature morte, et de son parcours le respect pour les produits Parmi ses recettes phare, assaisonné avec épices anciennes, ce filet de capitaine fumé en plein air mis en table avec son charbon de bois Ou cette toile de sanglier, cuit sous vide à basse température et serv i avec quatre sauces sur une assiette blanche devenue palette d’artiste. Pour un goût qui slalome dans tous les sens @restolapirogue/@chefomiel ■ L.N.
DE SI GN
La bout iq ue de la Fondat ion ZI NSOU, à Cotonou, a l’œi l pour le design et honore l’ tisa nat du pays.
E » SIGNIFIE « joie dans la maison », en ruba. Fidèle à son nom, la boutique de la Zinsou propose un large choix de produits déco de la maison, mais aussi pour l’art de la vie quotidienne. Tout ici incarne le made in tamment par le biais d’artisans et artisanes Parmi les produits de la maison, qui signe et contribue au choix du design, on trouve tables poufs et crapauds (avec pieds amovibles) des pagnes tissés ou indigo, mais aussi des ur le sodabi, l’eau-de-vie locale distillée du vin des plateaux et dessous de verre artisanaux age à la bière béninoise, des sacs et housses n en wax et percale de coton du pays, ainsi ste choix de poteries. Si les porte-savons, les et les assiettes en terre cuite – les mêmes ouve dans le café de la Fondation à Ouidah –à la main au fil des saisons par les célèbres de Sè, d’autres petits produits, comme des outeaux et des dessous de verre carrés, sortent du nouveau four de la Fondation. Construit but d’élargir le panel de produits disponibles, ment béninois @ayodele_coo ■ L.N.
à la fois dansante, atmosphérique et planante de l’artiste métisse, d’origine tunisienne et cambodgienne, fusionne l’électro, les sonorités du désert, comme les percussions de Côte d’Ivoire où elle a grandi.
propos recu eillis par Astrid Krivian
Un air pour danser, s’abandonner à l’ivresse de la transe, mais aussi pour planer les yeux fermés, faire un voyage intérieur, nourrir l’imaginaire. La musicienne et compositrice Azu Tiwaline s’adresse tant au corps qu’à l’esprit. Sa musique électronique expérimentale, « deep », minimaliste, fait bouger les scènes underground et alternatives du monde, de l’Australie au Sénégal. Comme sur son dernier EP, Fluids in Motion, avec Forest Drive West, elle crée des paysages sonores, installe une atmosphère, travaille sur les ambiances, les textures, les effets. « Je veux donner l’impression que l’on est dans un vrai espace physique », détaille-t-elle. Plutôt qu’une mélodie, elle met en avant les boucles ry thmiques, répétitives, hy pnotiques.
« Ma musique est une quête vers un état de conscience modifiée qui nous libère, nous soigne. Je partage ce sentiment essentiel à tous : aimer et être aimés. » Sa démarche artistique prolonge ainsi son chemin spirituel ; dès l’enfance, elle fut sensibilisée par ses parents au bouddhisme, au soufisme, à l’hindouisme, au magnétisme, à la sophrologie. Sa large palette, allant de l’ambient contemplative planante à une fièvre dancef loor, s’enracine dans la techno des années 1990, le dubstep, la bass music, mais aussi dans les musiques populaires africaines polyr ythmiques. Née à Paris d’une mère tunisienne et d’un père cambodgien, elle grandit en Côte d’Ivoire dès ses trois ans. « Mes racines sont là-bas » Photographe-réalisateur, son père l’emmène les week-ends dans les fêtes traditionnelles de villages, qu’il documente. Elle assiste fascinée aux cérémonies de transe, captivée par le dialogue entre musique et danse. « C’était le danseur qui guidait les musiciens. » À son adolescence, la famille déménage en France, dans la région de Montpellier Elle découvre alors les rave parties, s’éprend de musique techno « Ces effets de transe, de répétition, ces ry thmes hy pnotisant aux racines tribales ont complètement résonné en moi. C’était une continuité des tambours et percussions d’Afrique de l’Ouest. » Elle chasse ainsi son mal du pays et apprend en autodidacte passionnée. Telle une cheffe d’orchestre, elle se réjouit de composer, programmer de la musique avec des machines, des boîtes à rythmes, des samplers, et même avec son vieil Atari. Elle commence à se produire dans les fêtes, les clubs, et tisse ainsi sa toile au fil des années. Aujourd’hui, quand elle ne tourne pas, elle vit entre le sudouest de la France et la Tunisie. Chaque hiver, elle se retire dans un village aux portes du désert tunisien, pour se ressourcer et imaginer sa musique face à l’immensité. « Un petit coin de paradis. Au calme, je me reconnecte à l’essentiel – les meilleures conditions pour laisser venir l’inspiration. Cet environnement influe sur ma musique. Je joue avec le silence comme si c’était une vraie note », confie celle qui consigne toutes ses idées – mots, couleurs, dessins – dans son cahier de « brainstorming » créatif. Un jour, dans un livre, elle trouve une interprétation poétique en tamazight d’« azu tiwaline » (« les yeux du vent »), et le choisit comme nom de scène. « Le vent est un élément primordial dans le désert : c’est le seul son que l’on y entend. Sans lui, règne le silence absolu. » ■
Fl uids in Motion, avec Fo re st Dr ive We st, Livit y Soun d Re cording s, 20 24.
«Ma musique est une quête vers un état de conscience modifée qui nous libère, nous soigne.»
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L’événement, à Paris, est presque passé inaperçu. Survenu en pleine tourmente politique, au lendemain de la dissolution de l’Assemblée nationale par le chef de l’État français… Pour tant, ce 20 juin, s’est tenu dans la capitale de l’Hexagone le Forum mondial pour la souveraineté et l’innovation vaccinales, annoncé comme un grand pas vers une nouvelle indépendance du continent. Car, enfin, l’Afrique impor te à ce jour 99 % de ses vaccins ! Tous fabriqués à l’étranger et facturés à des prix exorbitants
C’es t sûr em ent la cr is e du Covi d qu i a enfoncé le clou en matière de dépendance hallucinante des pays pauvres. Jean Kaseya, patron de l’agence de santé publique de l’Union africaine, a rappelé un mauvais souvenir : « Quand la vague Omicron a déferlé sur l’Inde en 2022, le Serum Institute of India, auprès duquel les pays africains avaient commandé des millions de doses de vaccin anti -Covid, a suspendu ses livraisons pour servir d’abord la population indienne. » Fabriquer ses propres vaccins, en cas de panique, ça aide. Mais quand même, pour les campagnes contre la polio chez les enfants ou pour les doses utiles aux épidémies successives de choléra, dont on entend parler depuis des décennies, c’est pas mal de commencer à se réveiller Certes, l’Alliance du vaccin (Gavi), co -organisatrice du Forum, et qui aide les pays à faibles revenus à introduire du sérum contre vingt maladies, a immunisé un milliard d’enfants depuis 20 00 Mais selon son président, José Manuel Barroso, « il y a encore des millions d’enfants qui n’ont jamais été vaccinés contre une seule maladie ».
Résultat du Sommet de Paris : un fonds de plus d’un milliard de dollars a été créé et un nouveau mécanisme financier innovant, baptisé African Vaccine Manufacturing Accelerator (AVMA), doit être lancé afin de donner enfin les moyens de leur autonomie aux pays africains Le but ? Produire 60 % des doses qui leur seront nécessaires On ne sait pas si, ni quand, ce fonds sera alimenté, bien sûr. Mais lancer l’idée que les pays produisent leurs propres « anticorps » ou accueillent des usines locales de grands labos internationaux du Sud sur leur sol, comme le sud- africain Biovac ou le sud- coréen EuBiologics, tous deux présents à Paris, c’est déjà un premier pas. Qui mérite d’être salué. Remettre sur le tapis la question d’une des dépendances africaines les plus délirantes, c’est important. À suivre… ■
Business, nouvelles technologies, environnement, sciences, arts et cultures, médias, politique aussi… Elles et ils incarnent une nouvelle génération africaine de doers de tous les âges, décomplexés, en prise à la fois avec le continent et le monde global. Voici vingt portraits de ces personnalités symboliques, qui en inspirent des milliers d’autres !
InstaDeep, la société d’IA fondée par cet entrepreneur tunisien, est l’une des plus prometteuses du monde de la tech.
KA RIM BEGUIR, 47 ans, a grandi à Tataouine, aux portes du désert tunisien, près des lieux de tournage du Star Wars Fils d’un médecin tunisien et d’une prof d’histoire-géo française, il entre à la prestigieuse École poly technique, avant d’entamer une brillante carrière de financier au sein de J.P. Morgan, partageant sa vie entre Londres et New York. Mais… « “Comment veux-tu que les gens se souv iennent de toi ?”, me suisje dit. Alors j’ai tout lâché ! », a-t-il raconté à la rev ue de Poly technique, La Jaune et la Rouge. En 2014, il retourne à Tataouine et, avec son associée Zohra Slim, fonde InstaDeep, l’une des pionnières en matière d’intelligence artificielle InstaDeep travaille d’abord avec les chemins de fer allemands, la Deutsche Bahn. Puis en 2020, pendant la pandémie, avec BioNTech, le laboratoire allemand des vaccins à ARN messager : l’entreprise modélise les futurs variants du virus Covid-19 avant même qu’ils n’apparaissent ! « Je n’ai jamais eu peur de prendre des risques, et j’ai toujours voulu placer l’humain au cœur de tout projet scientifique. » En janv ier 2023, InstaDeep, qui avait été fondée avec deux ordinateurs et un capital de 2 000 dollars, est rachetée 700 millions de dollars par BioNTech ! Elle a ouvert des bureaux en Europe, aux États-Unis, aux Émirats, et bien sûr en Afrique : en Tunisie, à Lagos, Johannesburg et Kigali. « Une vraie méritocratie où chacun à sa place », estime-t-il. « Mettre des gens de cultures différentes ensemble est source de richesse et de grande créativité », souligne l’entrepreneur, qui entend bâtir « un monde où l’IA profite à tous ». Cédric Gouverneur
Une ingénieure au service de la durabili té et de la souveraineté alimentaire.
CHIMISTE de formation, elle travaille pour un très grand groupe marocain, l’OCP, qui est l’un des premiers producteurs mondiaux d’engrais phosphatés. Elle est la preuve vivante qu’une femme peut réussir dans des métiers dits d’hommes, et ce malgré les stéréoty pes. Et surtout, c’est une spécialiste reconnue des politiques de développement durable en milieu industriel. La production d’engrais, incontournable dans le monde agricole, nécessite de consommer de très grandes quantités d’eau et d’énergie. L’ammoniac fait également partie du processus. D’où l’importance quasi existentielle de s’adapter en matière d’écologie. Directrice exécutive de la durabilité et du développement vert au sein du groupe OCP, l’ingénieure est entièrement mobilisée par sa mission. En travaillant sur la question de la production propre, en investissant dans la technologie, la recherche ou encore l’innovation, on agit directement sur un sujet crucial pour un continent de plus de 1,2 milliard d’Africains. Celui de la production agricole et celui de la souveraineté alimentaire. Zyad Limam
Cette
journaliste de la BBC, née au Soudan, n’a de cesse de vouloir
améliorer la représentation du continent dans les médias occidentaux.
« L’HISTOIRE de l’Afrique mérite davantage de respect et d’attention que jusqu’ici », insiste Zeinab Badawi. À bientôt 65 ans, après une foisonnante carrière au sein de la vénérable BBC, cette journaliste anglaise née au Soudan publie son tout premier livre, avec l’ambition de renouveler le regard porté sur le continent : Hi stoire af ricaine de l’Af rique, de l’aube de l’humanité à l’indépendance (An Af rican Hi stor y of Af rica, non traduit) Son père était journaliste au Soudan, puis en Grande-Bretagne, à l’édition arabe de la Beeb. Quant à son grand-père, il avait combattu lors de la célèbre bataille anticoloniale d’Omdurman (1898) les envahisseurs britanniques, parmi lesquels se trouvait notamment un certain Winston Churchill ! Zeinab, qui petite rêvait d’être médecin, a finalement suiv i les traces de son père, d’abord à IT V Yorkshire, puis à Channel 4, et depuis 1998 à la BBC. L’un de ses premiers reportages lui a donné l’opportunité de passer plusieurs mois bouleversants dans son pays de naissance, à mener des interv iews et à rassembler des informations. Avec toujours en tête l’idée de présenter différemment l’actualité du continent, de la faire sortir de sa sinistre relégation occidentale – « dans l’angle putschguerre-famine », comme elle le résume Désormais présidente de la Royal African Societ y britannique et de l’Université londonienne des études orientales et africaines (School of Oriental and African Studies, SOAS), Zeinab Badawi a également produit et réalisé pour la BBC, et avec le soutien de l’UNESCO, une série documentaire exhaustive embrassant toute l’histoire de l’Afrique – neuf épisodes de 45 minutes, filmés dans une trentaine de pays, disponibles sur YouTube. C.G.
Un président de rupture à la recherche d’un nouveau modèle.
AU SÉNÉGA L, l’élection présidentielle du 24 mars dernier aura d’abord été, malgré toutes les péripéties, un acte de foi démocratique Et cela reste rare en Afrique. Le scrutin aura également acté une profonde rupture générationnelle, sociale et politique. Le rejet d’une élite traditionnelle, « libérale », « occidentalisée », pour une nouvelle équipe, jeune, comme étant à l’image du pays profond et réel. Une équipe déterminée à répondre aux exigences d’un pays en attente d’une véritable révolution sociale. Le nouveau président Bassirou Diomaye Faye (44 ans) et son mentor Ousmane Sonko (49 ans), devenu Premier ministre, sont des enfants de la méritocratie sénégalaise. Et les militants veulent croire que ce pays nouveau est possible, que les promesses ne sont pas un rêve ou de simples discours Il faudra donc changer, sans se fracasser sur le mur des réalités économiques et stratégiques. Il faudra prouver qu’une autre voie est possible pour un Sénégal complexe et fragile, difficile à gouverner. Quelque chose d’avant-gardiste se joue à Dakar, dans cette tentative de changer d’époque, de donner un sens nouveau aux mots « indépendance » et « gouvernance ». Z.L.
Le Camerounais
œuvre pour l’affranchissement de l’art et prône le multiculturalisme.
ÉCRI VA IN, curateur, professeur d’art, docteur en biotechnologie et en biophysique, il est une telle figure de la scène artistique mondiale qu’il a été nommé commissaire de la 36e Biennale de São Paulo, en 2025 Né à Yaoundé en 1977, il poursuit ses études en Allemagne, à l’Université technique de Berlin dès l’âge de 20 ans. En 2009, il y crée et dirige le centre d’art indépendant Sav vy, un laboratoire pluridisciplinaire et non commercial de la pensée des formes Sa vision plurielle de l’art contemporain, son approche à l’intersection de l’art et de la science, sa promotion d’une culture engagée lui ouvrent les portes d’événements de renommée mondiale : Documenta 14 (Cassel, Allemagne/Athènes, Grèce), Dak’Art, Biennale de Venise, sans oublier les Rencontres de Bamako. Son rôle sur la scène culturelle berlinoise, récompensé par une médaille de l’ordre du Mérite, lui vaut d’être nommé à la tête de la prestigieuse
Maison des cultures du monde (HKW ) en 2023, à travers laquelle il œuvre pour présenter la diversité de la création contemporaine avec un focus extra-européen Luisa Nannipieri
Oléiculteur passionné, il fait de l’huile tunisienne un pur produit de luxe.
IL NE PENSAIT pas que l’agriculture serait sa vocation. À 29 ans, Youcef Ben Becher se préparait à une solide carrière en communication après des études entre la France et le Canada. Mais à la faveur d’un retour à Tunis, l’huile d’olive cultivée depuis six générations par sa famille s’est imposée comme un défi à relever. Il lui fallait faire différemment de son père, Leith, qui avait, sans autres moyens que l’expérience, introduit cette huile du nord issue de la variété Chetioui – très prisée pour ses qualités organoleptiques – sur le marché européen. Il reprend le flambeau à sa façon et construit, à partir du savoir-faire de son père et une exigence esthétique héritée de sa mère, l’artiste Hela Ammar, sa propre histoire autour de Rebiaa, avec une séduisante touche de modernité et de minimalisme dans le traitement de la bouteille, de la marque et des visuels. Résultat : pour sa première sortie sur l’exigeant marché nippon, Rebiaa
rafle la médaille d’argent 2024 de la prestigieuse Olive Japan International Extra Virgin Oil Competition. Pragmatique, Youcef, qui parle japonais, considère comme une chance que la Tunisie soit le troisième exportateur d’huile d’olive, et souhaite faire rayonner Rebiaa sur d’autres marchés que l’Europe. Il poursuit son approche innovante : après les glaces à l’huile d’olive, il prépare des déclinaisons inattendues et gourmandes pour la prochaine saison Frida Dahmani
L’activiste climatique kényan motivé par l’optimisme de la volonté.
CE MILITA NT résolument positif exprime sa « lassitude de voir l’Afrique présentée uniquement comme victime » du changement climatique. « Quand j’observe le continent, je le vois comme une source d’action climatique », explique-t-il en insistant sur la jeunesse démographique du continent, son formidable potentiel en énergie solaire, ses capacités d’absorption et de capture des émissions carbone. Nommé dès 2013 sur la liste des Young Global Leaders du Forum économique mondial, James Irungu Mwangi, diplômé de Harvard et ancien salarié de McKinsey, a cofondé et dirigé pendant vingt ans le Dalberg Group, qui conseille les entreprises voulant investir dans des projets « socialement impactants » sur le continent. En 2021, il lance l’organisation Climate Action Platform Africa (C AP-A), ainsi qu’A frica Climate Ventures, afin d’identifier les opportunités climate-f riendly sur le continent : « La croissance climatique positive est une réelle opportunité pour l’Afrique. Au moyen des investissements et des politiques appropriés, le continent peut se hisser vers la prospérité bas carbone, devenir un hub des énergies propres et de la capture du carbone. » Un bond qui pourrait « significativement changer la trajectoire climatique, tout en fournissant aux jeunes africains dy namiques un mode de vie digne et la mission inspirante dont ils ont tant besoin ». Les efforts inlassables de James Irungu Mwangi afin de placer la croissance climatique africaine en tête des priorités lui ont valu le prix 2022 des Climate Breakthrough Awards « L’action climatique va redéfinir l’économie mondiale », prophétise-t-il. C.G.
Le PDG de MTN Group, géant sud- africain de la téléphonie mobile, élu patron de l’année.
RA LPH MUPITA est né en 1972 dans une famille modeste au Zimbabwe Enfant, il rêvait d’être astronaute et d’aller sur la Lune. Ses parents l’ont fait redescendre sur terre, mais l’ont encouragé à demeurer ambitieux. Et à croire en la force de l’instruction pour concrétiser ses ambitions. Il est donc parti étudier au Cap, où il a décroché un MBA en ingénierie, avant de réaliser une brillante carrière dans la finance. En septembre 2020, il devient PDG de MTN Group. L’opérateur mobile, créé en 1994 en Afrique du Sud, avec pour principaux actionnaires Standard Bank et le fonds de pension des fonctionnaires sud-africain, est présent dans une vingtaine de pays du continent, mais aussi en Iran – 48 millions d’abonnés, l’un de ses principaux marchés avec l’Afrique du Sud et le Nigeria ! Mupita a fait investir le groupe dans les nouvelles technologies, afin de concurrencer sur le marché africain les Gafam américains. Il a entrepris de diversifier les activités de l’opérateur mobile : désormais, plus de 72 millions de ses quelque 300 millions d’abonnés utilisent son application de paiement mobile MoMo. Mieux encore : il y a un an, Mupita est parvenu à convaincre le géant Mastercard d’entrer au capital de MTN Group Fintech. En mai dernier, le Africa CEO Forum de Kigali l’a désigné CEO of the Year 2024, devant le magnat nigérian Aliko Dangote. « Nous pensons qu’en conduisant l’inclusion numérique et financière, nous apportons aux Africains des opportunités, de la dignité et de l’espoir » C.G.
nouveau
LA CH ANTEUSE et mannequin sinocongolaise Winnie Zhong, plus connue sous le nom de Zhong Fei Fei, compte plus de 1,6 million d’abonnés sur le réseau social chinois Sina Weibo. Née en Chine en 1996, elle grandit en RDC jusqu’à ses cinq ans, quand la guerre pousse ses parents à la renvoyer chez sa grand-mère, à Shanghai Elle remet les pieds à Kinshasa à l’âge de 14 ans, avant de partir aux États-Unis et de se diplômer en sécurité internationale à l’Université Johns Hopk ins. De retour en Chine, celle qui rêvait de travailler dans une ONG passe les sélections pour une émission de téléréalité très suiv ie, Produce Camp 2020. Son succès retentissant, en tant que première candidate métisse noire, la
L’ar ti ste pe rform e su r la sc èn e de l’émi ssion Prod uce Ca mp 2020
convainc que cette carrière lui offre la possibilité d’influencer profondément la culture pop, célébrant son héritage et donnant de la visibilité à une communauté noire et asiatique encore très peu représentée. Elle sort alors un morceau hip-hop solo, « B.U.R.N. », et devient le premier mannequin afro-chinois à faire la une
de Vogue Chine, pour qui elle produit aussi, en 2022, la première campagne sur des créations congolaises, au Congo. Aujourd’hui, elle travaille tant pour des labels chinois, comme Private Policy, qu’occidentaux, comme Cartier et Fent y Beauty, et apparaît régulièrement dans les pages de Vogue Chine. L.N.
Porte- parole des victimes de l’injustice climatique, il est en première ligne dans les négociations internationales.
« LES SI X prochains mois seront cruciaux pour redresser la barre », a-t-il déclaré en juin dernier. Le directeur du think tank Power Shift Africa exprimait sa déception à l’issue de la conférence climatique de Bonn, où des centaines de délégués venus du monde entier s’étaient réunis afin de préparer le volet financier de la future COP 29, organisée en novembre prochain à Bakou. « Les leaders africains doivent coordonner leurs efforts, afin de remettre le monde sur les rails de son engament pour limiter le réchauffement à 1,5 °C », s’alarme l’activiste. En moins de dix ans, celui-ci s’est imposé comme l’une des principales voix de la lutte contre le changement climatique. Issu d’une communauté pastorale du nord du Kenya, il a vu les siens perdre leurs moyens de subsistance et devenir dépendants de l’aide humanitaire. Il a d’abord travaillé pour l’ONG Christian Aid, où il s’est imposé comme expert du changement climatique, du développement durable et de la transition énergétique « L’aide apaise la faim, mais ne tue pas le monstre, qui est l’injustice climatique et la marginalisation historique. » Il lance en 2020 l’Alliance panafricaine pour la justice climatique (PACJA), qui rassemble un millier d’organisations dans 48 pays du continent, afin de le faire parler d’une seule voix face aux chefs d’États africains et aux Occidentaux. C.G.
La vice -présidente d’OpenAI est l’une des femmes les plus influentes du globe.
SON PA RCOURS est unique : elle a grandi en Union soviétique, a vécu au Nigeria, au MoyenOrient, en Europe et aux États-Unis. Et elle officie depuis une quinzaine d’années dans les plus hautes sphères du pouvoir : entre politique, diplomatie, économie et technologie ! Après une enfance à Saint-Pétersbourg, elle suit sa mère au gré de sa carrière d’ingénieur, avant de s’établir aux ÉtatsUnis. Elle est repérée grâce à ses talents par l’administration de Barack Obama et conseille son vice-président, Joe Biden. Chassée en 2017 par l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche, elle entre au serv ice de Starlink, puis de Facebook En 2021, elle est recrutée par Open AI, et aide notamment son PDG, Sam Altman, à répondre aux questions légitimes du Congrès devant cette technologie aussi nouvelle qu’anxiogène. « Anna Makanju est de facto la ministre des Affaires étrangères de l’une des plus importantes compagnies du monde », souligne Michael McFaul, un proche d’Obama. Consciente des risques potentiels de l’intelligence artificielle, elle anticipe les crises en bâtissant un climat de confiance avec les institutions. « Notre but est que l’IA bénéficie à toute l’humanité, répète-t-elle. Et la jeunesse africaine aspire à ces technologies » C.G.
Ce Tunisien s’est vu décerner le prix Nobel de chimie 2023 pour ses recherches sur les nanomatériaux. Son message ? Persévérez !
PROFESSEUR au prestigieux MIT (Massachusetts Institute of Technology), Moungi Bawendi, 63 ans, a décroché l’an dernier (conjointement avec l’Américain Louis E. Brus et le Russe Alexeï Ek imov), le prix Nobel de chimie pour ses travaux sur la sy nthétisation des nanocristaux semiconducteurs colloïdaux Ces derniers, aussi connus sous le nom de « boîtes quantiques », pourraient connaître des applications concrètes, depuis les écrans de télévision jusqu’à la recherche contre le cancer. Fils d’un mathématicien tunisien émigré aux États-Unis, Moungi Bawendi a étudié la chimie à l’université de Harvard, puis à celle de Chicago. Après sa thèse de doctorat, il s’est intéressé aux nanoparticules et aux agrégats tubulaires, s’imposant dans les années 2000 comme l’une des références internationales en matière de nanochimie.
« Les scientifiques sont des explorateurs, nous posons les questions et nous cherchons afin de trouver les réponses au sujet du monde qui nous entoure », a-t-il déclaré lors de son discours de remise du prix Nobel, à Stockholm. Il a aussi raconté avec amusement qu’à son arrivée à l’université de Harvard, il avait obtenu
la note F à son tout premier examen : « J’étais dévasté. J’adorais la chimie, mais je n’avais jamais appris à répondre à un examen. »
Le message du prix Nobel à la jeune génération est limpide : « Persévérez ! Ne laissez pas les revers vous détruire » C.G.
Au service de l’art, d’Abidjan vers le grand monde.
QUELQUE CHOSE se passe sur la scène de l’art contemporain africain Cécile Fakhoury en est l’une des actrices majeures. En septembre 2012, poussée par les hasards de la vie et
la volonté de s’investir dans ce secteur, elle ouvre sa première galerie à Abidjan, un ambitieux cube de béton épuré dans la commune de Cocody. En 2018, c’est l’ouverture d’un espace à Dakar pour se rapprocher de ses artistes. Elle « ouvre » Paris en octobre 2021, participe aux plus grandes foires d’art contemporain. Réfléchit à d’autres formats d’exposition, à d’autres villes d’accueil. Au fil des ans, ce seront près de cinquante expositions majeures, avec toute une génération d’artistes emblématiques : Aboudia, Dalila Dalléas Bouzar, Jems Koko Bi, Vincent Michéa, Sadikou Oukpedjo, François-Xav ier Gbré, Frédéric Bruly Bouabré, sans oublier l’immense Ouattara Watts, et d’autres encore. Elle défend l’importance de l’art dans les sociétés émergentes, organise des espaces pour les jeunes. Mais l’objectif est de connecter l’art contemporain africain avec les grandes places mondiales. Pour accroître la visibilité des artistes et de leur créativité Construire leur cote et les faire entrer dans les grands musées, aussi. Une véritable aventure au long cours. Z.L.
Le brillant journaliste globe-trotteur de CNN présente désormais
l’émission où il a naguère été invité.
DEPUIS l’an dernier, Larry Madowo, 37 ans, correspondant international de CNN à Nairobi, présente de surcroît Af rican Voices Changemakers, l’émission qui présente au monde de jeunes talents africains. Le journaliste kényan connaît d’autant mieux cette émission que, en 2017, lui-même y a été invité afin de raconter son parcours fulgurant ! Entré dans le journalisme dès l’âge de 20 ans, il a d’abord été reporter et présentateur pour les chaînes kényanes KT V et NT V. Entre 2012 et 2018, il a présenté le show hebdomadaire
The Trend, sur NT V. Le mois dernier, il a d’ailleurs fait son retour sur le plateau de l’émission afin de coanimer un hommage à la chanteuse Mary Fyah Mummah Jahmby Koikai, décédée prématurément. En 2018, il est remarqué par la BBC, qui le nomme patron d’Af rica Bu siness : il se voit confier la responsabilité des équipes économiques de la Beeb sur le continent. Le trentenaire a l’opportunité de gérer deux douzaines de journalistes à Dakar, Lagos, Nairobi et Johannesburg, et de réaliser et superv iser des reportages – en anglais, en français et en swahili – depuis une quarantaine de pays ! En 2020, la BBC l’envoie aux États-Unis pour couv rir la pandémie, puis l’élection présidentielle. Intimidé en plein direct par des supporters de Trump contestant l’élection de Biden, le Kényan confiera sa stupeur devant l’étendue du racisme
et des inégalités au sein de la première puissance mondiale Jeune et brillant, rigoureux et sans concession, Madowo, recruté par CNN en 2021, a l’honneur de faire partie de la liste des Young Global Leaders 2020, dressée par le Forum économique mondial. C.G.
Cet entrepreneur franco -camerounais basé en Allemagne aide les start- up africaines à trouver des investisseurs.
NÉ EN 1975 au Cameroun, fils de diplomate, Erick Yong a passé son enfance à Bonn (alors capitale de l’Allemagne de l’Ouest), puis son adolescence en Éthiopie, terre du panafricanisme. « Cela m’a ouvert à d’autres cultures et d’autres perceptions », explique-t-il. Cet entrepreneur polyglotte, disposant d’un excellent réseau, en Afrique comme en Europe, consacre sa vie à aider « les petites sociétés du continent, qui représentent 80 % des entreprises et le plus gros vecteur d’emplois, mais n’arrivent pas à se financer », les investisseurs surestimant souvent le risque de placer leur argent dans de petites
structures africaines Erick Yong a donc cofondé en 2015 à Francfort, avec son associé allemand Thomas Festerling – ex-directeur de la Deutsche Bank –, GreenTec Capital Partners, dans le but d’accompagner les start-up lors de leur traversée de « la vallée de la mort », cette périlleuse étape où la jeune entreprise fraîchement sortie de l’incubateur doit, pour surv iv re, trouver son business model. GreenTec les met par exemple en contact avec des seniors riches d’expérience et av ides d’en faire profiter de jeunes entrepreneurs. Après avoir mis le pied à l’étrier à des dizaines de start-up en une décennie, le groupe a cofondé en 2022 avec le Nigérian TVC Lab une nouvelle structure, Zeitec Investment Office (ZIO), afin d’identifier les opportunités d’investissements dans les jeunes pousses de la tech africaine, et de les rendre davantage accessibles aux partenaires occidentaux. C.G.
Depuis 2013, elle déniche talents émergents et établis, au service d’une meilleure représentation de
l’art africain.
CETTE GA LERISTE tunisienne est invitée aux foires internationales les plus prestigieuses. Elle inaugure cette année un espace de 2 000 m2 dans le quartier d’affaires du Lac 3 à Tunis. Après sa galerie londonienne et sa galerie-résidence d’artistes de Sidi Bou Saïd, ce troisième espace est un trait d’union artistique entre le marché et le muséal, dans un pays où l’accès à l’art reste trop souvent le priv ilège de quelques-uns. Un défi qui donne un aperçu du calibre de cette dénicheuse de talents, qui accompagne et représente des artistes émergents et confirmés depuis 2013, avec l’objectif ambitieux de faire dialoguer l’Afrique et l’Europe à travers l’art. Après une carrière réussie dans la finance à la City de Londres, elle décide de reprendre le flambeau familial et de mettre ses compétences au serv ice des artistes qu’elle accompagne avec brio dans les étapes de leur carrière et parv ient à placer dans des collections prestigieuses, privées et institutionnelles, à travers le monde. Shiran Ben Abderrazak
Une designeuse à la recherche d’identités multiples, du Maroc à Munich.
ELLE INCA RNE la nouvelle vague du design et du meuble Selma Lazrak s’impose rapidement sur une scène où la créativité est toujours mouvante, mais où il faut aussi s’inscrire dans une durée esthétique. Ses collections de meubles, dont la dernière s’appelle « Sahara », s’appuient sur les fusions, l’entremêlement d’inspirations venues du Maroc – le pays où elle est née et où elle a grandi –, tout en s’ouvrant sur le désert, sur la Méditerranée, le Moyen-Orient. Après plusieurs années à vivre et créer tout autour de la Méditerranée, du sud de la France à la côte
turque, Selma est installée depuis 2018 à Munich, en Allemagne. Ses créations cherchent les liens entre le design, l’identité et le territoire. En 2023, elle est devenue membre associée de la World Design Organization (W DO). Et en 2024, Selma Lazrak a été invitée au prestigieux Salone del Mobile de Milan [voir AM 453], référence mondiale incontournable dans le domaine. Z.L.
Le conteur visuel ghanéen n’en finit pas de surprendre et de séduire avec ses créations.
LE GH ANÉEN Prince Gyasi Nyantaky i (29 ans), préfère l’appellation d’artiste visuel à celle de photographe. Autodidacte, il compose ses œuvres minutieusement, tel un peintre de la Renaissance. Ses clichés racontent sa génération et la communauté qui l’entoure, notamment dans son quartier de Jamestown, à Accra, et entendent redéfinir ou réinventer l’imaginaire africain contemporain, loin des narrations stéréoty pées et occidentalisés Dès ses premières photos – réalisées à l’aide d’un iPhone, pour briser les conventions artistiques et remettre en question l’élitisme du milieu –, il développe un st yle personnel et unique, caractérisé par des constructions en blocs de couleurs vifs et contrastés et par la mise en avant de la beauté des corps noirs. Son travail sy nesthésique, qui associe couleurs et sensations favorisant l’immersion dans son univers, a captivé Virgil Abloh et Oliv ier Rousteing (Balmain), avec qui il collabore depuis 2022. Ses photos apparaissent dans les collections de Jean Pigozzi et de la Fondation Pinault et, cette année, il a illustré la 50e édition du célèbre calendrier Pirelli avec des clichés dédiés à ses modèles intemporels – de sa mère au roi Osei Tutu II –, s’inscrivant dans la lignée d’artistes comme Helmut Newton ou Patrick Demarchelier. L.N.
Elle promeut avec ardeur les produits made in Africa. À 49 ANS, cette femme d’affaires et développeuse est à la tête du site de e-commerce Kwely. Diplômée en informatique et communication de l’Université de Miami en 1997, Birame Sock travaille pendant vingt-six ans aux États-Unis, où elle crée entreprises et start-up. En 2019, elle rentre au Sénégal et décide de lancer une plate-forme qui vend dans le monde entier des produits labellisés
made in Af rica, des cosmétiques aux produits alimentaires. Un constat qu’elle rapporte des États-Unis : les produits africains sont totalement méconnus. D’où l’envie de les promouvoir. « L’Afrique, c’est le futur, et si on ne profite pas de ce moment, d’autres le feront à notre place. » La start-up mise sur le rebranding, en proposant des produits fabriqués, testés et emballés en conformité avec les normes internationales. En parallèle, elle a lancé Tekki Challenge, un programme d’incubation qui sélectionne des producteurs chaque année en leur proposant un accompagnement afin d’élaborer leur stratégie marketing. Emmanuelle Pontié
L’infatigable avocat des Massaïs de Tanzanie incite les États africains et les Occidentaux à questionner leur rapport à la nature et à sa préservation.
LE 10 DÉCEMBRE dernier, la ville allemande de Weimar a décerné son prix des Droits humains au défenseur des Massaïs de Tanzanie, Joseph Moses Oleshangay. Âgé de 36 ans, il est l’un des seuls avocats issus de ce peuple traditionnel semi-nomade. Sa vocation découle de l’histoire familiale : en 1959, son clan a été expulsé par les autorités britanniques, qui entendaient créer le parc national du Serengeti. Au nom d’une conception très coloniale de l’Afrique, perçue comme un paradis originel qu’il faudrait préser ver de ses encombrants habitants… Un « colonialisme vert » qui n’a pas disparu à l’indépendance, malgré le fait que le mode de vie agropastoral des Massaïs participe à la préser vation de la biodiversité (non seulement ces éleveurs de bétail ne chassent pas, mais leurs pâtures entretiennent la savane). Depuis des années, Maître Oleshangay défend donc devant les tribunaux et les médias les droits de son peuple. La Tanzanie entreprend en effet de vider Ngorongoro (8 288 km2) et Loliondo (1 500 km2) de leurs habitants massaïs, prenant pour prétexte la conser vation de la faune, mais afin de laisser la place aux touristes occidentaux et aux chasseurs de trophées. En juin 2022 à Loliondo, l’expulsion s’est même traduite par des affrontements entre forces de l’ordre et Massaïs. Joseph Oleshangay a permis de faire connaître cette situation au monde entier Sa lutte conduit les États africains, les institutions internationales et l’opinion publique occidentale à questionner leurs conceptions de la protection de la biodiversité africaine. En mars, les Massaïs l’ont remercié en faisant de lui l’un de leurs chefs traditionnels (alaig wanani). C.G.
Compr en dr eu np ay s, un ev il le ,u ne ré gi on, un eo rg ani sati on
Le prési de nt Alassane Ou at ta ra lor sd el ’i nau gu ra tio ndup re mi er centred ’o nco lo gi em éd icale et de ra dioth érapi ed ’A bi dja n, au CH Ud eC ocod y, enti èrem ent f inanc ép ar le gouvernem ent.
Jeunesse,for mation,promotion desfem mes, invest issement da ns le capita l hu ma in,lasanté,l ’éducation,dansles transport s… L’object if estdelut tercontre la pauv reté et de proposer un vérita blemodèledecroissa ncei nclusive.
C’est le leitmotiv du président Alassane Ouat tara et de son équipe : le facteur humain est essentiel à une émergence durable. Les PND (Plan national de développement) 2015 -2020 et 2021-2025 placent la question sociale au cœur des priorités Avec des premiers résultats probants par Ph ili ppe Di Nacera
Dans son propos introductif au Plan national de développement 2021-2025, le président ivoirien, Alassane Ouattara, relevait à juste titre : « Le revenu par tête a doublé de 2012 à 2020 pour s’établir à 2 287 US dollars, correspondant à l’un des plus élevés en Afrique de l’Ouest. » De fait, les conditions de vie des Ivoiriens se sont améliorées et le taux de pauv reté (soit les personnes
vivant avec moins de 750 FCFA par jour) a fortement reculé depuis son accession au pouvoir : de 51,5 % de la population en 2011 à 44,4 % en 2015, puis 39,4 % en 2018 et 35 % en 2020. Et les objectifs restent ambitieux : 30 % en 2025 et moins de 20 % en 2030 L’objectif du chef de l’État, avec ce plan de 59 000 milliards de FCFA sur la période (attendus principalement du secteur privé), est « d’aller encore plus loin
Le prés i de nt
Alass ane Ou at ta ra ici au centre avec so n épou se D om in ique, a adressé un me ssage su r l’éta t de la natio n deva nt le Pa rl em ent réuni en C on grès le 18 ju in 20 24.
dans la transformation du pays et dans l’amélioration des conditions de vie de toutes les populations dans toutes les régions de la Côte d’Ivoire ». Ainsi, le gouvernement compte améliorer l’accès des populations à l’éducation, à l’eau potable, à l’électricité, aux soins de santé, à la protection sociale, à l’emploi, etc. Le cap social, qui est l’un des « six piliers » du PND 2021-2025, est bien l’un des axes prioritaires de l’action publique, qui se fixe comme objectif de doubler à nouveau le revenu par habitant entre 2020 et 2030, et de faire enfin entrer la Côte d’Ivoire dans le cercle des pays émergents, c’est-à-dire « au rang des pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure ».
« La Côte d’Ivoire solidaire », le thème choisi par Alassane Ouattara pour définir sa politique lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2020, se traduit par la recherche d’une certaine cohérence, à la fois dans le choix des priorités, la structuration de l’action du gouvernement et les politiques menées
PORTER UNE VISION DE LONG TERME
En matière de santé, par exemple, la qualité du serv ice est encore quelquefois discutée par les Ivoiriens, mais ils ne contestent pas l’effort d’investissements réalisé dans les infrastructures sanitaires sur l’ensemble du territoire : quatorze centres hospitaliers entièrement réhabilités, onze construits. CHU, CHR, hôpitaux généraux, spécialisés… Tous ont reçu des équipements dernier cri. Il en va de même à l’école. Le programme d’obligation scolaire, l’un des rares de ce ty pe sur le continent africain, lancé en septembre 2015, a permis la construction de milliers de classes dans l’enseignement primaire, de centaines de collèges (552 exactement), et le recrutement de dizaines de milliers de professeurs pour faire face au nombre d’enfants scolarisés. Ce sont 379,294 milliards de FCFA qui ont été investis dans l’éducation de 2011 à 2023 S’il est encore difficile d’absorber l’ensemble des
4 400 000 élèves accueillis (il n’est pas rare que les classes dans l’enseignement public soient surchargées), l’ambition affichée de scolariser tous les Ivoiriens, y compris les filles, semble aujourd’hui atteinte Les chiffres officiels parlent d’eux-mêmes : le taux brut de scolarisation (total des inscriptions à un niveau d’éducation donné) a atteint les 100 % (contre 89,6 % en 2014), et le taux d’achèvement à l’école primaire (pourcentage des élèves qui terminent leur formation primaire) est désormais de 80,5 % (contre 64 % en 2014 et 59,1 % en 2012). Une vision de long terme qui a pour ambition d’élever le niveau général d’instruction de la population L’enseignement technique a reçu une attention particulière. Il a connu la réhabilitation de 27 établissements d’enseignement professionnel (et sept sont en cours de rénovation). Quant au supérieur, cinq universités ont été réhabilitées et/ou agrandies, trois construites (à Man, San-Pédro et Bondoukou) et cinq nouvelles sont en projet. Afin d’atteindre ces objectifs, l’organisation mise en place pour piloter l’action publique se veut cohérente. En la matière, le gouvernement a innové Aux côtés des traditionnels ministères sociaux dédiés à la condition des femmes, l’éducation nationale, la formation professionnelle, la santé, le logement, deux ministères transversaux sont créés, consacrés pour l’un à l’emploi des jeunes, pour l’autre à la lutte contre la pauv reté. Par ordonnance du 8 av ril 2015, est fondée l’Agence emploi jeunes, chargée de les accompagner vers leur insertion professionnelle, y compris en promouvant l’entrepreneuriat et en octroyant des prêts remboursables pour lancer des activités rémunératrices. Dès le mois suivant, en mai 2015, c’est un ministère entier qui voit le jour, en charge de la « promotion de la jeunesse et de l’emploi des jeunes », pour coordonner toutes les stratégies mises en place par le gouvernement en vue de leur insertion. Ce ministère s’est trouvé sous les projecteurs depuis qu’A lassane Ouattara a décrété 2023 « année de la jeunesse », lors de ses vœux aux Ivoiriens en décembre 2022.
Objectif : doubler à nouveau le revenu par habitant entre 2020 et 2030, et faire entrer la Côte d’Ivoire dans le cercle des pays émergents.
En ha ut, le ca mpus d e l’Un iver si té Félix Houphouët- Bo igny, à Ab idja n. En b as, l’autorou te du nord, qui re li e dorénava nt la ca pi ta le éc onom iq ue à Boua ké
C’est en av ril 2021 qu’est créé un ministère de la Solidarité et de la Lutte contre la pauv reté Une innovation qui permet de concentrer tous les programmes de lutte contre la précarité dans ce portefeuille transversal, sur le même modèle, celui de coordonnateur, que le ministère de l’Emploi des jeunes
Au-delà des infrastructures indispensables, les programmes sociaux se multiplient Certains sont rassemblés dans le PND 2021-2025 sous l’appellation de PS-Gouv (Programme social du gouvernement), qui entend « mettre l’accent sur les zones de fragilité ». Il prend place aux côtés du PJ-Gouv (Programme de la jeunesse du gouvernement), qui est l’un des plus médiatisés par le pouvoir. De fait, celui-ci a suscité un net engouement dans la population cible, la jeunesse ivoirienne
SOUTENIR LES PLUS PRÉCAIRES
L’un des programmes les plus emblématiques du PS-Gouv, les « filets sociaux », lancé avec un appui technique de la Banque mondiale, consiste en l’octroi aux ménages vulnérables d’allocations trimestrielles non remboursables d’un montant de 36 000 FCFA (soit 144 000 FCFA par an) pendant trois ans. Le paiement est effectué directement sur les téléphones portables offerts aux bénéficiaires. Entré en vigueur en août 2015, il visait dans sa phase 1 (2015-2020) à l’amélioration des conditions de vie des familles les plus pauv res en milieu rural. Considéré comme « l’une des douze mesures phare à impact rapide » du PS-Gouv, il a été reconduit pour la période 2020-2024 et étendu au milieu urbain 227 000 ménages, répartis sur l’ensemble du territoire, ont effectivement bénéficié de ces allocations
La généralisation de la couverture maladie universelle (CMU) et la gratuité ciblée des soins pour les personnes les plus fragiles (notamment pour la mère et l’enfant) font partie de l’autre grand volet du PS-Gouv, dans le domaine de la santé. Plus de dix millions d’Ivoiriens et de travailleurs
étrangers ont été enrôlés fin 2023, et 1 685 304 actes médicaux ont été délivrés Chaque salarié contribue à hauteur de 1 000 FCFA par mois à la solidarité nationale. De plus, le Régime d’assistance médicale non contributif, à destination des plus pauv res, a touché 2,5 millions de personnes. Un programme tout aussi emblématique, car porté par la Première dame de Côte d’Ivoire, Dominique Ouattara : le Fonds d’appui aux femmes de Côte d’Ivoire. Doté
En ha ut, l’usi ne de La Mé, qui c ontri bu e à l’approv isi onn em ent en eau d’Abidja n.
En b as, un e consultatio n à l’hôp ital Mè re -E nfant de Bi ng er vill e.
d’un capital de 10 milliards de FCFA, il vise à l’autonomisation des Ivoiriennes. Mis en place dès l’arrivée d’Alassane Ouattara à la tête de l’État, il a permis de sortir des dizaines de milliers de femmes de la précarité, leur permettant de créer des activités rémunératrices. Il s’agit d’un fonds de crédit à taux réduit Les sommes prêtées, après examen des projets, sont souvent modestes, mais leur permettent de lancer une activité À ce jour, 365 000 femmes en ont bénéficié, et le taux de remboursement dépasse les 97 %. Le succès du programme en a fait, douze ans après sa création, un modèle dont l’Afrique s’inspire.
UN BILAN SOCIAL QUI COMPTE
« Faire de chaque Ivoirien, quelles que soient ses origines et ses conditions sociales, un acteur du développement », telle est l’ambition du chef de l’État À l’approche de l’élection présidentielle de 2025, Alassane
Ouattara a consolidé son « état de grâce » auprès de la population La victoire de la Côte
d’Ivoire à la Coupe d’Afrique des nations, en février dernier, avec ses émotions inédites, y a fortement contribué. Ses concitoyens lui en ont largement attribué le crédit, autant pour la victoire des Éléphants que pour l’organisation Et pour la nomination d’un nouveau Premier ministre, Robert Beugré Mambé, qui aura su relever le défi au pied levé Et qui s’est, depuis, imposé comme un rouage particulièrement opérationnel de la machine du pouvoir. Les obsèques nationales, en mai 2024, de celui qui a présidé aux destinées du pays de 1993 à 1999, Henri Konan Bédié, retourné dans l’opposition avec son parti, le vieux PDCI-R DA, ont donné lieu à un autre épisode de consensus national Le président a honoré comme il se doit « son aîné », comme il l’appelait, même si leurs relations, depuis le début des années 1990, avaient connu des hauts et beaucoup de bas. Un autre geste apprécié des Ivoiriens. C’est dans ce contexte apaisé que la perspective de l’élection présidentielle 2025 mobilise progressivement l’attention ■
Aujou rd ’hui, 70 % de s Ivoi ri ens ont accès à l’él ectri cité. Ici le ra cc orde ment de s central es de Ci prel 5 et Az ito 4 au ré se au 40 0 kV
La généralisation de la CMU et la gratuitéciblée des soins pour les personnes les plus fragiles font par tie des points clés du PS -Gouv, dans le domaine de la santé.
Ils re présente nt 75 % de la popula tio n. D’après la Constitu ti on, leur promotion et leur protection so nt des oblig ations d’État
Les 15 -3 5 ans so nt la cl é d’un e croissanc e forte, inclusive et durabl e.
par Ph ili ppe Di Nacera
J«e voudrais à présent m’adresser à nos jeunes, filles et garçons, car je suis convaincu que votre talent et votre énergie sont une chance pour notre pays Je crois fermement en votre capacité à contribuer au développement de la Côte d’Ivoire. C’est pourquoi j’ai décidé de faire de 2023 l’année de la jeunesse », déclarait le président Alassane Ouattara, lors de son message à la nation, le 31 décembre 2022
En une phrase, ce jour-là, le chef de l’État place les jeunes Ivoiriens et Ivoiriennes, et avec eux le ministre en poste depuis juillet 2018, Mamadou Touré, au centre de l’action gouvernementale jusqu’à la fin de son mandat Car le gouvernement a annoncé, fin 2023, le renouvellement du dispositif jusqu’en 2025. Logique, dans un pays où les jeunes représentent, selon le dernier recensement, 75 % de la population (22 millions d’Ivoiriens sur 29).
Il s’agit de réduire drastiquement le nombre de jeunes non scolarisés, sans emploi, ni formation, ni perspective. Mais le tableau politique complexe de la sous-région ouestafricaine n’est, selon le secrétaire général du Conseil national de la jeunesse (CNJCI), le docteur Ben Balla Koné, sûrement pas absent de la pensée du président de la République au moment où il s’exprime : « Aujourd’hui, la jeunesse est exposée à de nombreux fléaux, dont la poussée de l’extrémisme violent à nos
frontières nord, qui recrute parmi nos jeunes. Il est important d’agir pour occuper sainement cette jeunesse et l’orienter vers l’essentiel : le développement de la Côte d’Ivoire. »
L’initiative d’Alassane Ouattara s’appuie sur la base juridique la plus solide qui soit : la Constitution du 8 novembre 2016 Cette dernière consacre, dans son article 34, la protection et la promotion de la jeunesse comme obligations de l’État et des collectivités publiques. Leur engagement y est défini ainsi : « Créer les conditions favorables à l’éducation civique et morale de la jeunesse. […] Aider les jeunes à s’insérer dans la vie active en développant leurs potentiels culturel, scientifique, psychologique, physique et créatif. »
OFFRIR DES PERSPECTIVES
D’AVENIR
Conformément à la volonté du président de mettre le facteur humain au cœur des politiques publiques, l’objectif consiste à « permettre à la Côte d’Ivoire de disposer d’une jeunesse compétente, autonome, innovante, imprégnée des valeurs civiques, citoyennes et morales, et jouissant d’un bienêtre physique, mental et socio-économique, la rendant apte à participer aux processus décisionnels qui assurent le développement durable ». Cette orientation est déclinée en quatre principes, qui doivent guider
Selon les statistiques of ficielles, plus d’un million d’entre eux ont déjà été directement impactés en dix-huit mois et plus de 8 millions de façon indirecte.
l’action dans quatre secteurs d’activité : - le respect des droits humains fondamentaux reconnus aux jeunes par les conventions internationales et par la Constitution ; - une nécessaire équité et inclusivité dans les choix, les initiatives, les programmes initiés dans le cadre de la Politique nationale de la jeunesse (PNJ), afin que personne ne soit laissé-pour-compte ; - le respect, par les programmes engagés, de l’égalité entre les sexes ; - la durabilité, qui exige des actions mises en œuvre dans le cadre de la PNJ pour résoudre les problèmes des jeunes à court, moyen et long termes sans compromettre les chances des générations futures. Le programme de l’année de la jeunesse traduit ces principes à travers des actions engagées dans les domaines de l’éducation, de la formation et de l’entrepreneuriat, de l’engagement citoyen (par le biais, notamment, de la montée en puissance du serv ice civique) et de la santé. Cette politique, selon les chiffres du gouvernement ivoirien, mobilisera 1 118,115 milliards de FCFA, de 2023 à 2025. Une somme très importante, fruit de plusieurs apports. Le ministère de la Promotion de la jeunesse,
de l’Insertion professionnelle de la jeunesse et du Serv ice civique étant un ministère transversal au sein du gouvernement, il rassemble sous son égide les initiatives de tous les ministères en faveur de la jeunesse, réunies en un seul programme, augmenté de celles des partenaires au développement, parmi lesquels l’ONU ou la Banque mondiale
DES ABOUTISSEMENTS CONCRETS
Et les résultats sont particulièrement probants. Selon les statistiques officielles, plus d’un million de jeunes ont déjà été directement impactés en dix-huit mois et plus de 8 millions de façon indirecte. Dans le détail, des réalisations diverses ont vu le jour, comme la construction d’infrastructures (entre autres, quatorze établissements techniques professionnels, trois centres de service civique, ou encore 112 structures de formation), le recrutement de 200 jeunes handicapés, plus de 440 000 jeunes accompagnés dans leurs démarches administratives, 136 000 bourses distribuées, 209 000 jeunes insérés professionnellement, 86 000 bénéficiaires du programme d’entrepreneuriat, etc. L’objectif, à terme, est de permettre à 3,5 millions de jeunes « d’accéder et de se maintenir dans des emplois durables et décents ». ■
De s éc ol ier s à Gab iadji , dans le dé pa rtem ent de S an -Pédro.
Ministre de la Promotion de la jeunesse, de l’Inser tion professionnelle et du Service civique
Pour mobiliser, les autorités ont mis en place un PJ -Gouv 2023 -2025. Vingt- cinq ministères sont impliqués sur trois axes : insertion, engagement civique et bien -être. Point d’ étape avec le principal acteur du dossier. propos recueillis par Em manuelle Pont ié
AM : Combien de jeunes compte
la Côte d’Ivoire aujourd’hui et quelle est la tranche d’âge prise en compte ?
Mamadou Touré : Selon le dernier recensement de la population, qui date de 2021, nous comptons près de 30 millions d’habitants. Sur ces 30 millions, 75,6 % sont des jeunes, soit près de 22 millions de citoyens. Est considérée comme jeune toute personne qui a entre 15 et 35 ans. Selon le précédent recensement, ils représentaient 67 % de la population. Leur nombre augmente, év idemment.
La moyenne d’âge dans notre pays est de 21 ans. Et notre taux de croissance tourne autour de 2,5 points
La Côte d’Ivoire a mis en place un PJ -Gouv (Programme de la jeunesse du gouvernement) 2023 -2025, et 2023 a été l’« année de la jeunesse ». Quels sont les premiers résultats de votre politique ?
Le souhait du président Alassane Ouattara, en déclarant que 2023 serait l’année de la jeunesse, était d’amplifier les initiatives gouvernementales en faveur de cette frange de la population, en mettant en sy nergie les actions sectorielles dans le domaine du sport, de la culture, de l’entrepreneuriat, etc. Vingt-cinq ministères ont travaillé à l’élaboration du PJ-Gouv, avec un objectif de 1,7 million de jeunes à impacter à l’horizon 2025, pour un peu plus de 1,7 milliard d’euros (1 118 milliards de FCFA). Pour la seule année 2023, l’objectif était de 700 000 jeunes pour 361 milliards de FCFA, soit environ 500 millions d’euros Le bilan au 31 décembre 2023 souligne que nous avons largement dépassé cet objectif Nous avons pu toucher 1,105 million d’entre eux, pour 534 milliards de FCFA mobilisés.
Quand vous dites « toucher » ces jeunes, sur quels plans sont- ils impactés exactement ?
Le PJ-Gouv comporte trois axes Le premier concerne la formation, l’insertion professionnelle et l’entrepreneuriat ; le second porte sur l’engagement civique et citoyen ; enfin, le troisième axe consiste en l’amélioration du bien-être. En ce qui concerne le premier axe, 74 000 jeunes ont été impactés par le programme de formation ou de reconversion. Nous comptons un peu plus de 86 000 autres qui ont bénéficié de nos différents programmes d’aide à l’entrepreneuriat, en matière de financement. Et encore 209 000 autres ont pu trouver un emploi salarié. Par ailleurs, quatorze établissements de formation professionnelle ont été réhabilités ou sont en cours de réhabilitation Et si l’on considère l’axe 2 du programme, 30 000 volontaires bénévoles ont été mobilisés par le gouvernement pour participer au succès de la CA N 2023 ! Un peu plus de 2 000 autres sont passés dans des centres de serv ice civique. Par ailleurs, sept agoras, des centres multisectoriels où les jeunes peuvent faire du sport ou des activités culturelles, sont en cours de construction sur l’ensemble du territoire national. C’est également le cas de cinq institutions de formation destinées aux femmes, qui sont actuellement réhabilitées ou en cours de construction Pour résumer, près de 300 milliards de FCFA ont été dédiés aux infrastructures, et près de 200 milliards de FCFA ont été directement injectés dans les projets de formation, d’insertion ou d’entrepreneuriat. Et je ne parle pas des 42 collèges de proximité qui ont été construits sur la période, ni des dix lycées d’excellence de jeunes filles
Existe -t -il une problématique propre aux jeunes Ivoiriens ?
La problématique qui touche tous les jeunes des pays africains, c’est le niveau de qualification. En Côte d’Ivoire, nous bénéficions d’une forte dy namique économique, avec un taux de croissance qui tourne autour de 7 à 8 % depuis plus de dix ans, d’un secteur privé de plus en plus diversifié, avec beaucoup d’industries qui s’installent ou des serv ices qui naissent Le véritable problème auquel nous sommes confrontés, c’est le manque de maind’œuv re qualifiée. Nous essayons de régler ce point en investissant massivement dans la formation, qualifiante et professionnelle Vous avez parlé de collèges pour les jeunes filles. Justement, leur insertion demeuret- elle un souci ? Et pourquoi ?
C’est un souci. Au niveau de mon ministère, nous avons fait en sorte qu’au moins 40 % des bénéficiaires de tous les programmes d’insertion soient des jeunes filles Dans certains d’entre eux, tels que les travaux à haute intensité de main-d’œuv re, elles représentent plus de 60 % des impactés Au-delà de mon secteur, le ministère de l’Éducation nationale, selon l’orientation gouvernementale, a mis l’accent sur leur scolarisation.
Cette année, par exemple, pour le BEPC, nous avons plus de candidates que de candidats. Notre politique volontariste
de promotion de la jeune fille, menée par le président Alassane Ouattara depuis plus de dix ans, porte ses fruits
Vous avez déclaré mettre l’accent sur l’emploi salarié Comment comptez-vous vous y prendre ?
Nous avons déjà activé plusieurs leviers. Aujourd’hui, nous proposons des programmes en entrepreneuriat, mais tous les jeunes ne sont pas entrepreneurs. Pour répondre à la problématique de la main-d’œuv re qualifiée recherchée par les entreprises, de plus en plus nombreuses, nous avons estimé qu’il fallait prodiguer, en lien avec le ministère de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle, un enseignement qui permette aux jeunes de répondre aux besoins du secteur productif et de décrocher un emploi salarié. Avec un système d’adéquation formation -emploi ?
Absolument. D’ailleurs, la réforme de l’enseignement technique, mise en œuv re depuis plus de huit ans, place en priorité le partenariat avec le secteur privé. Il s’agit de définir des modules de formation en adéquation avec la demande. Notre économie est très structurée, nous connaissons les secteurs porteurs des prochaines années
Le numérique entre dans les mœurs et peut of frir des oppor tunités : création de richesses, de croissance et surtout d’emplois.
et ceux pour lesquels l’État mobilise des investisseurs. Que ce soit dans l’enseignement supérieur, technique ou professionnel, nous mettons en place des curricula pour que les jeunes formés trouvent facilement un travail Vous étiez à Paris pour le salon VivaTech. On parle d’une véritable révolution en matière de star t- up et de nouvelles technologies en Côte d’Ivoire. Pourquoi ?
Le pays fait un bond dans ce secteur. Nous avons même un ministère en charge de la Digitalisation et de la Transition numérique, géré par mon collègue Kalil Konaté, qui m’a accompagné sur le salon Le taux de pénétration internet aujourd’hui en Côte d’Ivoire augmente
Le numérique entre dans les mœurs et peut offrir des opportunités : création de richesses, de croissance et surtout d’emplois. Ainsi, le gouvernement a décidé de mettre l’accent sur ces start-up porteuses de projets innovants. L’une des mesures phare de l’année de la jeunesse, en 2023, a été l’adoption par le Parlement de la loi sur les start-up numériques, mais aussi la création du Start-up Boost Capital, un fonds mobilisé par mon ministère de près de 1 milliard de FCFA, et qui passera à 2 milliards cette année. Il accompagne les start-up dans l’accélération de leur développement Au 31 décembre 2023, près d’une trentaine d’entre elles a bénéficié de ces financements, et certaines ont pu venir à Paris pour nouer des partenariats. On parle beaucoup de l’émigration clandestine, qui touche aussi votre pays. Que faites -vous contre cela ?
Cette question nous préoccupe, bien sûr. Sur 22 millions de jeunes, environ 8 000 partent. Selon l’OIM (Organisation internationale pour les migrations), 85 % des jeunes candidats à l’émigration avaient un emploi en Côte d’Ivoire Ils partent généralement parce qu’ils croient en un avenir meilleur, et non parce qu’ils n’ont pas de perspectives. Ainsi, nous mettons l’accent sur la sensibilisation Et le gouvernement a pris des mesures contre les filières mafieuses clandestines qui organisent les départs. L’année dernière, à la suite de la crise en Tunisie, où beaucoup de ressortissants étrangers ont été victimes d’actions déplorables de racisme, la Côte d’Ivoire a vu le retour de nombreux migrants Ces personnes ont été profilées à travers mon ministère, et nous avons mis en place des mécanismes d’appui à leur insertion. Nous faisons de la sensibilisation chez les jeunes et de la répression contre les filières. Car aujourd’hui, vu notre dy namisme économique, rien ne justifie ces départs. Pour les mêmes montants dépensés par certains candidats à l’émigration, qui vont de 1 000 à 10 000 euros, énormément de jeunes chez nous entreprennent et arrivent à joindre les deux bouts.
En matière de lutte contre les passeurs, obtenez-vous des résultats ?
Le ministère responsable de la Sécurité agit en lien avec les pays qui accueillent les migrants Je sais qu’une vraie stratégie est en cours d’élaboration entre certains pays européens et le nôtre pour accentuer cette lutte – en tout cas, contre ceux qui se trouvent en Côte d’Ivoire
Vous êtes aussi président du Conseil régional du Haut- Sassandra, où vous avez mené des actions locales Y a-t- il des particularités qui touchent les jeunes de votre région ?
Daloa, le chef-lieu du Haut-Sassandra, est la deuxième ville de départs (6 %), après la capitale économique (60 %). Viennent ensuite Bouaké, Man et Korhogo, qui tournent autour de 3 à 5 %. Depuis quelques années, nous prêtons une attention particulière à la situation des jeunes dans le Haut-Sassandra En deux ans, près de 20 000 d’entre eux sont passés par nos différents programmes. Aujourd’hui, au niveau du Conseil régional, nous essayons d’amplifier l’action du gouvernement envers la jeunesse. Nous avons bénéficié de ressources considérables, dans le cadre du programme emploi-jeunes de la Banque mondiale et aussi de la part de l’Agence française de développement, qui permettent à la région d’avoir une vraie stratégie en vue de l’insertion des jeunes et de leur sédentarisation dans notre région Si vous aviez un souhait en lien avec votre activité, quel serait-il ?
Deux choses. D’abord, le programme de service civique. En dépit de tous les mécanismes mis en œuvre avec des résultats probants, nous savons que travailler sur le changement de mentalité des jeunes est le chantier le plus important. Nous sommes en train de parfaire et de faire gagner en volume ce programme civique, qui permet de transformer radicalement les mentalités, notamment chez ceux qui étaient considérés comme perdus Ensuite, nous avons mis en place des leviers d’insertion bien huilés. Aujourd’hui, le pays est pris en exemple pour l’efficacité des programmes que nous menons avec l’AFD ou la Banque mondiale, et mis en œuvre par le gouvernement depuis une dizaine d’années, comme ceux sur l’entrepreneuriat, sur les stages ou sur l’appui à l’insertion Quant au Projet emploi jeunes et développement des compétences (PEJEDEC), que nous menons avec la Banque mondiale, nous avons obtenu 50 millions de dollars pour chacune des deux premières phases en 2012 et en 2016. Et pour le troisième volet, nous passons à 150 millions, soit le triple. Je serai fier de laisser derrière moi ce dispositif crédible et efficace, qui puisse de façon pérenne accompagner l’insertion des jeunes Mais il faut continuer à mobiliser des ressources, au regard du nombre de jeunes que compte notre pays, car certains restent malheureusement en attente. Enfin, nous avons mis en place un ensemble d’actions avec les autres ministères sectoriels Les questions relatives à la jeunesse étant transversales, il n’est pas toujours évident de ne pas se marcher dessus Or, la Côte d’Ivoire a réussi une chose unique : favoriser cette sy nergie gouvernementale, qui est actée dans un arrêté signé par le Premier ministre, où plus d’une vingtaine de ministères se donnent la main pour agir dans un seul objectif : le bien-être des jeunes ■
Renc ontre avec le se crétaire gé néral du Co nseil na tio nal des jeun es de Côte d’Ivoire (CNJCI) Il souligne l’imp act positif des politiques jeun esse et souhaite un e monté e en puissanc e du dispositif d’accomp agnem ent.
par Ph ilippe Di Nacera
Il a le sourire franc quand il vous salue. Il annonce dès les premiers échanges qu’il est « médecin de formation ».
Mais l’horizon d’un cabinet médical en ville lui semble, à la fin de ses études, trop étroit « C’est peut-être là que mon engagement associatif a impacté mes choix. Très tôt, je voulais agir à un niveau beaucoup plus important que celui des quinze ou vingt patients que l’on voit dans un cabinet de santé. » Dès son entrée dans la vie active, il opte pour un groupe pharmaceutique britannique d’envergure mondiale, AstraZeneca. Directeur médical régional, il se sent utile. « Il y a la possibilité, avec des programmes structurants, à une échelle internationale, d’avoir un impact plus fort sur les populations. » Son engagement passe aussi par « l’activisme, ou le don de soi dans des activités extraprofessionnelles ».
Passé par la Mutuelle générale des étudiants de l’UFR des sciences médicales de l’Université Félix Houphouët-Boigny et membre de la jeunesse du Rotar y Club, dont il est devenu le président à Abidjan, il entre au bureau national du Conseil national des jeunes de Côte d’Ivoire. Un engagement constant : « Être utile à ma communauté et à ma société, c’est ce qui me permet de me lever tous les matins. »
la République, SEM Alassane Ouattara, le CNJCI a été saisi pour transmettre les aspirations des jeunes » Selon le docteur Koné, ils aspirent d’abord à pouvoir accéder à l’information qui les concerne : emploi, aide à l’entrepreneuriat ou santé. Ensuite, ils veulent se former pour trouver du travail. « Tous ne peuvent pas être entrepreneurs. Et ils ont besoin d’acquérir de l’expérience en entreprise. »
C’est d’abord grâce à son riche parcours associatif qu’Ibrahima Diabaté, président du CNJCI élu en 2021, coopte le docteur Koné au bureau exécutif national pour en faire son secrétaire général. Cet organe « consultatif et apolitique », créé en Côte d’Ivoire en 2017, est une courroie de transmission entre les pouvoirs publics et la jeunesse.
« Par exemple, pour le programme mis en place à la faveur de “l’année de la jeunesse” décrétée par le président de
L’annonce de l’« année de la jeunesse » a suscité de l’espoir « C’est important d’entendre le président de la République décider de consacrer toute une année à prendre soin des jeunes […]. Ils représentent autour de 75 % de la population Il est naturel qu’un gouvernement responsable cherche des réponses aux préoccupations d’une si grande partie de ses citoyens » À noter, toutefois, un fréquent malentendu : les budgets colossaux annoncés (1 118,115 milliards de FCFA, de 2023 à 2025) représentent en fait les efforts conjugués de l’État de Côte d’Ivoire et des partenaires au développement. « Les chantiers d’infrastructures (constructions d’écoles, d’universités, d’instituts de formation, de centres de serv ice civique) captent la majorité des fonds débloqués. Nous comptons plus de 22 millions de jeunes en Côte d’Ivoire. En matière d’impact direct, plus d’un million d’entre eux a bénéficié des différents programmes, et plus de 8 millions ont été touchés de façon indirecte […] Nous apprécions tous les efforts consentis, qui ont redonné des perspectives à la jeunesse ivoirienne, mais il faudra amplifier les dispositifs pour passer à la vitesse supérieure. » Son but : aider chaque jeune à trouver sa voie ■
Avec une croissance annuelle autour de 7 %, la Côte d’Ivoire a changé de visage en quinze ans. Pour soutenir ce ry thme et créer plus d’emplois, il faut maintenant fortement investir dans l’entrepreneuriat, l’industrialisation, la transformation et la valorisation des ressources nationales par Philippe Di Nacera
Le taux de chômage en Côte d’Ivoire était estimé à 9 % en 2022, dans les zones urbaines. Un chiffre soumis à de fortes variations selon les sources et les méthodes de calcul utilisées. Et si l’on tient compte des zones rurales et du nombre de personnes qui ne cherchent pas activement un emploi*, l’inactivité est beaucoup plus importante
Dès son arrivée au pouvoir, Alassane Ouattara a défini une stratégie de création d’emplois qui repose sur la croissance économique et s’appuie sur le développement du secteur privé. D’où la très forte ouverture aux investisseurs étrangers et l’action volontariste sur l’amélioration du climat des affaires (facilitation des démarches pour fonder des entreprises, création d’un guichet unique, mise en place d’un tribunal de commerce, etc.). De sorte que la Côte d’Ivoire a progressé dans le classement Doing Business de la Banque mondiale, passant de la 177e place sur 185 pays en 2012, à la 110e sur 190 pays en 2020
Cette stratégie a pour but la mise en œuv re d’une politique économique profilée pour l’emploi Il s’agit de renforcer le secteur de l’éducation et de la formation (école obligatoire, réforme de la formation professionnelle), d’encourager l’entrepreneuriat (notamment des jeunes et des femmes), de développer les infrastructures, de soutenir les secteurs en croissance, tout en s’appuyant sur les traditionnels points forts de l’économie : l’agriculture (16,7 % du PIB et 45 % de la population active), l’industrie (22 % du PIB et
10 % de la population active) et les serv ices (53,7 % du PIB et 44 % de la main-d’œuv re).
Le Plan national de développement 2021-2025 a clairement mis le cap sur l’industrialisation et la transformation sur place des matières premières. La découverte récente d’importants gisements de pétrole et de minerais rares devrait également soutenir la croissance à long terme et créer des emplois supplémentaires
Les PME qui, en Côte d’Ivoire comme ailleurs, pour voient le plus d’emplois, sont soignées par l’État Et elles seront 8 000 à être « accompagnées » en 2024, a annoncé le directeur général du Guichet unique de développement des PME (GUDE-PME) En clair, celui qui vise 80 000 PME sur cinq ans et la création de 705 000 emplois avec un financement de 160 milliards de FCFA annonce des financements et du coaching pour les petites et moyennes entreprises.
DES ABOUTISSEMENTS CONCRETS
En premier lieu, l’agro-industrie est, pour le premier producteur de cacao au monde, une év idence. Mais le gouvernement veut aussi développer les secteurs du textile et l’industrie manufacturière légère. Des mesures incitatives sont mises en place pour attirer les investissements, comme des réductions d’impôts, des facilités d’accès au crédit, ou encore des programmes de formation professionnelle pour améliorer les compétences des travailleurs Concrètement, le gouvernement a levé en juin 2024 un fonds de 108,2 milliards de FCFA pour le financement du programme
Une stratégie qui repose sur le développement du secteur privé. Et la définition de secteurs prioritaires, comme l’agroindustrie, le textile, le tourisme…
Diversification, accélération industrielle, compétitiv ité et emploi (DAICE).
Dans la pratique, l’action du gouvernement explore tous les secteurs d’activité. Par exemple, neuf projets d’agropoles, à savoir la création de pôles agro-industriels, sont prév us sur l’ensemble du territoire d’ici 2030. Il s’agit « d’atteindre la souveraineté alimentaire du pays et de créer de nombreux emplois », selon le ministère d’État, ministère de l’Agriculture, du Développement rural et des Productions. Deux sont déjà opérationnels (l’agropole du Bélier et l’agropole Nord). L’agropole Nordest sera finalisée en 2024 et deux autres, Nord-ouest et Daloa, feront l’objet d’études à partir de 2025. Dans le Bélier, le pôle a permis la réhabilitation de 25 barrages, la mise en valeur de 2 000 hectares de riz, de sept marchés ruraux, la création de 24 locaux d’entreposage, de deux centres de groupage, et la formation de près de 800 jeunes
De même, l’État ambitionne de faire de la Côte d’Ivoire un « hub régional intégré de l’industrie textile, à l’horizon 2030, pour générer 61 000 emplois qualifiés », a affirmé le porte-parole du gouvernement et ministre de la Communication, Amadou Coulibaly, à l’issue du Conseil des ministres, le 12 juin 2024 Le secteur du tourisme, qui contribue au PIB à hauteur de 7,3 %, est un autre axe prioritaire pour développer l’emploi. Déjà troisième destination de tourisme d’affaires en Afrique, après le Nigeria et le Maroc, la Côte d’Ivoire augmente largement ses capacités d’accueil – la Coupe d’Afrique des nations y a largement contribué – et souhaite développer le tourisme à l’intérieur du pays.
La volonté de diversification sectorielle va jusqu’à la culture : le gouvernement a lancé le 18 mai 2024 un fonds de financement de 1 milliard de FCFA dédié aux artistes, qui pourront bénéficier, via l’Agence emploi jeunes, de prêts de 1 à 20 millions de FCFA pour « donner vie aux projets des acteurs les plus prometteurs ». ■
* L’Organi sat ion internat ionale du travail (OIT) utilise troi s critères pour déf inir le chômage : la personne qui appart ient à la population active n’a pa s d’emploi, mais est en recherche active
À 26 ans, elle mène sa carrière avec brio et ne manque pas d’ambition.
par Ph ilippe Di Nacera
Aujourd’hui, Salimata est à la tête d’une supérette à Cocody-A ngré, où elle continue de vendre des produits frais locaux. Elle est aussi dans l’événementiel, et a créé les Journées de l’opportunité et de motivation de la jeunesse, visant à promouvoir l’entrepreneuriat et l’insertion des jeunes Et puis, elle a ouvert une boutique de vêtements à Treichville. La jeune femme affiche sa fierté à l’égard de son parcours de « self-made-woman ». Ses activités marchent bien. Une fois sa licence de journalisme en poche, elle qui se projetait dans le milieu des médias peine pourtant à s’y intégrer Alors, elle se lance dans ce qu’elle sait déjà faire : le commerce. Cela a-t-il été difficile de passer du secteur informel au secteur formel ? « Pas du tout, dit-elle, mon conseiller juridique s’est occupé de tout, je n’ai eu qu’à payer. C’était une démarche logique pour atteindre mes objectifs. » Comme en janv ier dernier, lors de la Coupe d’Afrique des nations, où l’entrepreneuse décroche un marché qui lui permet d’installer des stands nd bo dans les stades Félix « Il y a eu une forte marché », confie-t-e Aujourd’hui, Sali à temps plein. Il y a pour gérer les platef nouveaux contrats une équipe pendant organiser son événe recruter ? Pour elle, question de la qualif des employés, c’est si cherchent du travail Mais trouver les bonn personnes, c’est diff Un constat partagé d’entrepreneurs L’Ét avoir entendus et a programme de reva formation technique
Les femmes représentent la moitié de la population ivoirienne. Pour tant, le ch emin ve rs la parité économique, so ciale et politique reste ardu…
par Dom inique Mobioh Ezoua
Les chiffres sont parlants. La Côte d’Ivoire compte deux femmes présidentes de conseils régionaux et seize maires de commune. Par ailleurs, elles sont 34 députées (sur 255) et 24 sénatrices (sur un total de 99). Au regard de ce constat, les organisations sont nombreuses à agir pour plus d’autonomisation et de leadership, et ce sur plusieurs volets : la formation, le coaching, la capitalisation des bonnes pratiques, l’information et l’orientation des femmes Pour Women Caucus for
Lobbying-Côte d’Ivoire, comme pour d’autres structures de ce ty pe, le simple fait de voir des femmes occuper des postes de pouvoir, participer à des débats publics ou s’engager dans des activités sociales peut en inspirer d’autres, et ainsi encourager la diversité. Exclure les femmes de l’espace public, leur ôter le droit de se déplacer librement et en toute sécurité, de travailler, d’étudier et de participer à la vie publique, pour les confiner dans la sphère privée Tout cela limite leurs droits humains fondamentaux
La notion de genre, qui se définit comme une approche du développement, vise à réduire les inégalités sociales, économiques, politiques et culturelles entre les hommes et les femmes, entre les garçons et les filles. Dans le même temps, elle révèle les injustices et les discriminations qui sont encore tolérées dans divers contextes sociaux.
Les lois sur les violences faites aux femmes ont évolué dans le bon sens. Et l’on note également, à ce propos, un engagement plus fort et plus structuré des organisations au sein de la société civile.
Le gouvernement, avec ses partenaires nationaux et internationaux, dispose de programmes utiles, élaborés et déployés à travers des institutions financières. Les femmes qui en bénéficient sont essentiellement des personnes vulnérables, exclues des systèmes de financement des banques classiques
Des mécanismes importants ont été mis en œuv re. Dans le domaine de la scolarisation et de l’alphabétisation de la jeune fille, par exemple, avec des activités d’animation menées dans les instituts de formation et d’éducation féminines (IFEF), ou encore par la mise en place de Fonds spéciaux dédiés à l’entrepreneuriat. Citons, entre autres, le Fonds novateur femmes et développement (FNFD) du ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfant (MFFE), qui a dépensé jusqu’en 2018 près de 600 millions de FCFA, avec des montants moyens de prêts fixés à 180 000 FCFA. Ou encore le Fonds d’appui au développement des femmes entrepreneures et l’Agence emploi jeunes, avec ses démembrements spécifiques dédiés à la jeune femme. Surtout, deux structures emblématiques contribuent depuis quelques années à modifier le regard de la société sur le genre féminin Il s’agit en premier lieu du Fonds d’appui aux femmes de Côte d’Ivoire (FAFCI), fondé en 2012 par la Première dame Dominique Ouattara Ce fonds de crédits à taux réduit,
doté d’un capital de 26 milliards de FCFA, a permis à ce jour, à travers des systèmes financiers décentralisés, d’investir plus de 58 milliards de FCFA pour financer les activités génératrices de revenus (AGR) de plus de 500 000 femmes, avec un taux de remboursement de 98 %. En ce qui concerne le PGNFNFD (Projet de gestion novatrice de fonds national femmes et développement), logé au sein du MFFE de Nasseneba Touré, la mise à disposition des fonds répond aux mêmes critères. L’objectif étant de faciliter l’insertion socioéconomique des femmes démunies
Le MFFE travaille avec des systèmes financiers décentralisés. Entre l’année de sa création et 2023, ce fonds a distribué 14 764 prêts, et leurs bénéficiaires ont créé 7 302 emplois. Ce sont 8 907 femmes qui ont pu alimenter leur épargne, au total Et la plupart de celles qui sont passées par le PGNFNFD ont participé aux instances de décision, pu être bancarisées, participer à la scolarisation de leurs enfants, aux frais médicaux et aux charges du ménage. Et, tout comme le FA FCI, il propose des prêts ou des subventions aux femmes sans exiger épargne préalable, ni aval, ni garanties.
INVESTIR LA VIE PUBLIQUE
Aussi bien par la voix de la Première dame que par celle de la ministre Nasseneba Touré, un même credo est martelé à chaque occasion : plus elles auront le droit, autant que les hommes, de participer à la vie publique, d’influencer les décisions les concernant en s’exprimant, et plus elles seront présentes dans l’espace public
L’objectif étant de changer la perception que l’on a encore des femmes, souvent empreinte de stéréot ypes rétrogrades. Bien sûr, des défis restent à relever. Mais le temps est sans doute un allié. Car depuis quelques années, la femme ivoirienne a commencé à investir de nombreux secteurs de la vie publique, de manière intelligente, légale, institutionnelle et adaptée. Et surtout décomplexée. ■
He ad of Ex pl oration da ns le Prog ra mm e de s Na tion s uni es pour le développ em ent (PNUD)
Issu e de la so ci été ci vile et psychologue de formation, elle est sp écialiste du ge nre. Depuis plusieurs anné es, elle milite pour un plus grand le ad ership et un e meill eure auto nomisa tio n des fe mm es, en particuli er dans le monde rural. propos recueillis par Dom inique Mob ioh Ezoua
AM : Vous œuvrez à une plus grande représentativité de la femme dans l’espace public, tant en Côte d’Ivoire qu ’ailleurs en Afrique. Pourquoi est- il important de mener cette bataille ?
Georgette Zamblé : Le fait que les femmes soient représentées dans l’espace public est d’abord et avant tout un droit humain. Il est fondamental que la société dans son ensemble les accepte sans discriminations Il s’agit de la reconnaissance de leur valeur. Cela concerne aussi la participation active des femmes à la vie publique et au développement socio-économique. Ce qui suppose la déconstruction de stéréoty pes et autres clichés de genre, ainsi que des normes et limites qui leur sont imposées.
On parle de plus en plus d’égalité hommes- femmes dans le monde. Qu ’en est- il en Côte d’Ivoire ?
Le pays s’est engagé à faire élaborer une politique nationale de l’égalité des chances, de l’équité et du genre, applicable dans les programmes et les projets de développement, concernant tous les secteurs de la vie publique Cela s’était traduit dès 2007 par une déclaration solennelle des autorités ivoiriennes. Des textes et d’autres mesures ont été votés par la suite. C’est ainsi qu’un document de politique nationale sur l’égalité des chances a été rédigé, rappelant la nécessaire prise en compte de la dimension du genre à tous les niveaux du processus de développement du pays Cependant, les
pesanteurs socioculturelles sont toujours là, dominées par la pensée patriarcale Il faut noter également la faible capacité à intégrer la question du genre dans la planification du développement Cela nécessite, en effet, et au-delà des explications sur le plan national, le déploiement d’outils simples pour faciliter l’intégration des femmes. Afin qu’elles accèdent au contrôle des ressources, participent davantage aux instances de décisions, à la vie publique, etc. Le gouvernement ivoirien a mis en œuvre de nouvelles lois depuis 2019, dans le but de mieux protéger la femme. Notamment au niveau du mariage ou encore de sa représentativité dans l’espace public Selon vous, est- ce suffisant ? Dans le cas contraire, que reste-t- il à faire ?
Une juste représentation des femmes est essentielle pour une société plus équitable, plus durable, plus inclusive et démocratique.
Plusieurs lois existent d’ores et déjà. Elles ont été renforcées pour protéger les femmes et promouvoir leur égalité avec les hommes. Il s’agit notamment de la loi n° 2019-870, qui impose un quota de 30 % de femmes dans les listes de candidats aux élections législatives et locales. Mais également la loi du 26 juin 2019, qui offre aux femmes mariées la possibilité de ne pas porter le nom de leur mari, et qui interdit le mariage aux mineurs Et encore
la loi n° 2019-574, qui criminalise le viol avec des peines pouvant aller de cinq à vingt ans d’emprisonnement, voire la prison à vie dans certains cas. Et enfin, il faut citer la loi qui protège les droits des femmes enceintes sur leur lieu de travail. Je salue ici toutes les forces vives qui ont contribué à leur élaboration. La question reste de savoir comment ces dernières sont effectivement appliquées au quotidien. Car, malgré leur existence, des filles et des femmes continuent d’être victimes de diverses formes de discriminations. On assiste encore à la banalisation des violences, simplement parce qu’elles sont subies par des personnes de genre féminin Il faut admettre que les lois sont faites par des humains, pour des humains, et ce dans des contextes dy namiques Elles ne sont donc ni infaillibles ni figées, tout comme les traditions, et doivent en permanence être rev isitées pour s’adapter aux réalités du moment Dans la mesure où l’idée explicite est d’éradiquer des maux, certaines lois doivent par exemple être suiv ies de mesures d’application plus dissuasives et plus répressives Enfin, il faut continuer de vulgariser celles existantes par des canaux appropriés, pour davantage faire connaître les droits des femmes à tous les publics, y compris aux personnes du milieu rural.
D’après vous, quels sont, à ce stade, les combats menés dans ce sens qui ont abouti positivement ?
La loi fondamentale de Côte d’Ivoire a été rev isitée en 2016, dans le but d’intégrer la parité. Même si certains des aspects qui en découlent mériteraient encore d’être améliorés, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un exemple à suiv re. Et tout cela est bel et bien le résultat de plusieurs années de plaidoyers de la société civile, ainsi que de concertations entre les pouvoirs publics et le secteur privé. Vous avez lancé le réseau
LeadAfricaines. Dans quel but ?
J’ai fondé Lead Africaines en 2011. Par la suite, je l’ai dirigé pendant huit ans, avant de passer la main à Karidja Tanou, une consœur experte, et ce dans le but de bien marquer notre adhésion au leadership. C’est la vision d’une Afrique juste et équitable, où les femmes, qu’elles évoluent en milieu rural ou urbain, osent entreprendre avec dignité et ambition et participent à la gouvernance. La mission de ce réseau est d’apporter aux femmes et aux jeunes filles les plus défavorisées des opportunités qui leur permettent d’être autonomes, et ce afin qu’elles investissent les sphères de décision, puissent s’y réaliser et y demeurer, en vue d’une égalité de genre. ■
Georget te Zamblé est docteure en genre et en autonomisation durable en milieu rural. Titulaire, entre autres, d’une maî trise en psychologie, communication et leadership, elle cofonde, portée par son engagement, la communauté des Praticien·ne·s du genre en Côte d’Ivoire Elle est aussi experte au sein du programme OKS (Organizational Knowledge Sharing) de la Banque mondiale Depuis 2019, elle travaille pour le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Georget te Zamblé est également of ficier dans l’Ordre du mérite ivoirien, fondatrice de la plateforme LeadAfricaines et écrivaine. En mars dernier, elle a sor ti un ouvrage, La Femme de mes rêves, aux éditions Mouna, à Abidjan. ■ D. M. E.
L’obje ct if de l’État : mettre un to it sur la tête de ch aq ue hab itant. Ic i, de s constru ct io ns nouvell es à So ng on, en banli eu e d’Abidja n.
En déficit chroniqu e de 80 0 000 log em ents, le pays connaît un e frén ésie de chanti ers, long te mps au détriment des rè gl es d’urbanism e et de sé curité. Le ministre en charge du dossie r, Bruno Nabagné Koné, a lanc é un e politique énergiqu e d’assainisse ment des pratiques et d’accélération des proc édures.
par Ph ilippe Di Nacera
Le gros problème était, pour les acquéreurs d’un terrain, l’obtention de « l’arrêté de concession définitive » (ACD), le seul et unique document qui confère la propriété sur un domaine foncier acquis en zone urbaine. Une démarche qui pouvait durer des années, dans la plus grande opacité, et obligeait souvent les administrés à trouver des « interlocuteurs priv ilégiés » au sein du ministère pour faire avancer leur dossier.
La digitalisation de ce dernier, lancée par son responsable Bruno Nabagné Koné, arrivé à sa tête en juillet 2018, de même que l’informatisation des process ont changé la donne et considérablement accéléré les procédures. Aujourd’hui, quelques mois suffisent pour obtenir un ACD, si tout est en règle. D’autant plus – et c’est un véritable soulagement pour Bruno Koné – que depuis peu, celui-ci a fait adopter le système de la signature électronique. En 2020, il a signé à la main 17 000 ACD. « En Côte d’Ivoire, c’est le ministre lui-même qui signe tous les ACD. Je passais des soirées entières devant mes parafeurs », nous confie-t-il. Désormais, la signature électronique apposée, toujours par lui-même, au bas de chaque ACD, accélère considérablement le processus. De plus, cela permet davantage de sécurité juridique pour les propriétaires, rassure
L’inscription en rouge vif barre le mur d’enceinte de cette construction inachevée bâtie dans le nouveau quar tier Djorobité de Cocody, récemment sorti de terre dans le nord d’Abidjan : « PC ? » Manifestement, le propriétaire de cet ouvrage en construction n’est pas en mesure de produire un permis de construire (PC) à la brigade d’investigation et de contrôle urbain du ministère de la Construction, du Logement et de l’Urbanisme. « La procédure de demande de destruction est lancée auprès du cabinet, explique l’agent de ce ser vice qui monte en puissance Seul le ministre peut ordonner la destruction d’un ouvrage. » Créée en 19 92, cette brigade n’ef frayait guère les Ivoiriens, jusqu’à présent. Mais elle était également confrontée à un manque de moyens techniques et humains Les gens « avaient pris l’habitude de construire sans permis », nous indique le chef de cette brigade, Yao N’Goran. « Mais en 2020, onze ef fondrements d’immeubles se sont produits, dont un qui a fait douze mor ts. » Un véritable électrochoc. Depuis, la volonté politique est ferme. Il s’agit d’amener les Ivoiriens à respecter les règles en vigueur, notamment celles qui concernent le permis de construire, pour assurer la sécurité des personnes « Depuis 2022, nous avons reçu du matériel roulant, des motos pour ef fectuer les contrôles sur le terrain, des véhicules 4x4, et le personnel est passé de 39 agents à 20 0. » De fait, les destructions se sont multipliées : deux en 2020, 51 en 2021, 165 en 2022, 103 en 2023. « La baisse du nombre en 2023 tient au fa it qu e nous av io ns détr ui t be au coup de cons tru ctions dang ereu ses l’ann ée précé de nte » Ma i s le travai l est loi n d’être te rm in é : 122 000 con stru ctio ns ont été identi fi ée s dans le di stri ct d’Abidja n pa r la br igade, et to utes devront êt re co nt rô lé es Ab idja n est déc ou pé en 23 zo ne s de con structio n avec, à la tête de chacun e d’ell es, un ch ef d’ante nn e. El le s so nt ensui te su bd iv isé es en qu atre sou szo ne s de co nt rô le Ains i, la br ig ade, qu e lqu efois sa isi e par de s citoyens , ra ti ss e systé m ati qu em ent le te rrain. « La tâ ch e est im me nse ! », ajou te Yao N’Goran. « Notre objectif est d’arriver à zéro ef fondrement et d’amener nos concitoyens à obtenir un permis de construire avant de commencer leurs travaux Toutes les lois sont là, il faut simplement les respecter. Voilà notre grand défi ! » ■ P. D. N.
les opérateurs économiques et redonne au document sa valeur de « levier économique ». L’autre grand défi à relever était le respect des règles de construction. L’effondrement dramatique de plusieurs immeubles a mis en lumière la question des « constructions anarchiques ». Des lois ont rendu obligatoire l’obtention d’un permis de construire (aujourd’hui disponible en vingt et un jours), l’intervention d’un architecte pour toute construction en milieu urbain et celle d’un ingénieur conseil pour l’exécution des travaux de tout immeuble de plus de deux étages. Le but étant d’év iter les abus, comme les constructions sans permis, et de s’assurer qu’elles se font dans les règles de l’art et de la sécurité. L’assurance obligatoire du chantier est en cours de réflexion De fait, les contrôles se sont multipliés : 9 800 en 2021, 14 000 en 2022, près de 19 000 en 2023 Une brigade d’intervention interne au ministère, créée à cet effet, peut aller jusqu’à demander au ministre l’autorisation de démolir un ouvrage construit. Seulement deux démolitions ont été ordonnées en 2020, 51 en 2021, 165 en 2022. Pour la première fois en 2023, le nombre de démolitions a baissé – signe d’une certaine normalisation. Quant aux effondrements, leur nombre a drastiquement baissé (onze en 2020, trois en 2022, deux en 2023).
REPENSER LA VILLE DE FAÇON DURABLE
Faciliter la vie des usagers en simplifiant les règles et en accélérant les procédures, améliorer la sécurité juridique des actes administratifs produits, assurer la sécurité des personnes étaient les priorités de Bruno Koné quand il a pris les rênes de ce ministère. Il s’agissait d’assainir un secteur qui en avait besoin et de permettre aux opérateurs privés de la construction, notamment les promoteurs immobiliers, de travailler dans de bonnes conditions. Car l’objectif de mettre un toit décent sur la tête de chaque Ivoirien est encore hors de portée. Il faudra des années pour réduire le déficit cumulé de 600 000 à 800 000 logements, notamment dans la métropole d’Abidjan, qui devrait compter
10 millions d’habitants en 2040, et dans un pays dont le taux d’urbanisation est désormais de 52 %. C’est la ville elle-même qu’il faut repenser pour la rendre « inclusive, saine, résiliente et durable ». De fait, les schémas directeurs de 31 chefs-lieux, parmi lesquels figure Yamoussoukro, la capitale politique du pays, sont en cours de rév ision, et le ministre entend bien les faire strictement appliquer pour sortir le secteur de la construction de l’anarchie « Ce sont les questions d’habitat, de qualité de vie, d’énergie, de traitement des déchets et de mobilité qu’il faut repenser », assure Bruno Koné
DES LOGEMENTS POUR TOUS
Enfin, le ministère de la Construction contribue à l’orientation sociale de la politique du président Alassane Ouattara Le gouvernement a lancé un programme de construction de 150 000 logements sociaux neufs (le Programme présidentiel des logements sociaux) à l’horizon 2025, dont
l’objectif est de permettre à la classe moyenne de se loger à des prix abordables Mais ce programme s’est avéré complexe à mettre en œuvre. Il a pris du retard, tout l’enjeu étant de trouver un système de financement dans lequel les opérateurs privés, les banques et l’État se retrouvent Depuis, la Banque de l’habitat de Côte d’Ivoire a été recapitalisée, l’État a mis à disposition des promoteurs du « foncier sécurisé », leur a accordé des facilités fiscales et travaille à la création d’un fonds de garantie du logement social. Tout cela a permis de réduire de 30 à 40 % le coût final des logements construits dans le cadre de ce programme. Le ministre Bruno Koné affirme ainsi : « Le programme des logements sociaux a subi des retards importants, mais aujourd’hui, il est remis sur les rails. Plus que jamais il est d’actualité. » En mars 2023, le gouvernement faisait état de la construction de 30 000 logements sur plusieurs sites et a annoncé 75 000 nouvelles constructions dans la périphérie d’Abidjan, confiées à 25 promoteurs immobiliers. La remise en ordre du secteur de la construction, nécessaire pour qu’il prenne toute sa part dans le développement économique et social du pays, est en route… À marche forcée ■
Ab idja n po urra it c om pte r 10 mi llions d’hab itants en 20 40 Il est im pératif d’am énag er l’esp ace ur ba in pour te ni r com pte de c et te den sité Ic i, le nouvea u carrefou r de l’Indéni é.
Il s’agissait d’assainir un secteur qui en avait besoin et de permet tre aux opérateurs privés, notamment les promoteurs immobiliers, de travailler dans de bonnes conditions.
Conf rontée chaque anné e à des plui es de plus en plus ab ondantes, la Côte d’Ivoire ré plique avec des investisse me nts importants dans les infrastru ctures d’assainisse me nt Est- ce su ff isant fa ce à la monté e en puissanc e des averses saisonni ères ? par Ph ilippe Di Nacera
La saison des pluies est de plus en plus redoutée en Côte d’Ivoire. « On dirait que chaque année, c’est encore pire », se plaint Sylv ie, commerçante au marché de la Palmeraie, l’un des quartiers les plus touchés par les inondations. De fait, lors de son discours sur l’état de la nation, le 18 juin dernier, le président Alassane
Ouattara confirmait : « Les pluies sont quatre fois supérieures à la moyenne. Il y a des vies humaines emportées, des blessés, des dégâts matériels. C’est l’impact du changement climatique. Cela a des conséquences sur notre vie et le développement du pays. » Et le chef de l’État d’annoncer le lancement d’un programme avec le Fonds monétaire international (FMI) pour anticiper et limiter les dégâts, la poursuite de l’assainissement du pays et l’éloignement des populations des
zones à risque C’est David contre Goliath. Car les travaux d’assainissement engagés depuis plusieurs années par le ministre de l’Hydraulique, de l’Assainissement et de la Salubrité, Bouaké Fofana, sont colossaux. Et coûteux. Mais il en faudrait toujours plus Il ne ménage pas non plus, chaque année à l’approche de la saison des pluies, ses efforts sur le terrain pour sensibiliser, quelquefois tancer, les Ivoiriens, les exhortant à quitter les zones à risque, à ne pas jeter les détritus dans les caniveaux d’évacuation et à prendre soin de leur cadre de vie immédiat Mais ceux qui vivent dans ces zones à risque ne savent souvent pas où aller Alors, chaque année, les autorités procèdent à des déguerpissements pour sauver des vies. Constatant qu’Abidjan est de plus en plus vulnérable aux inondations, à l’érosion côtière
et aux risques de glissements de terrain, le gouvernement a élaboré en 2018, avec le soutien des partenaires au développement, comme la Banque mondiale, un projet de « Résilience urbaine à Abidjan ». Il s’agit d’investissements visant à réduire les risques d’inondation et à améliorer les systèmes de drainage et la gestion des déchets
Grâce à ce projet, 220 000 bâtiments ont été numérisés, une cartographie urbaine d’Abidjan a été entreprise, et un Atlas des quartiers d’Abidjan a été produit.
INVESTIR POUR ASSAINIR
C’est ainsi que d’importants investissements ont été faits dans le domaine de l’assainissement et du drainage, en particulier à Abidjan, à l’image de travaux de construction d’ouvrages de drainage des eaux pluv iales à Abobo (l’une des grandes communes d’Abidjan) pour un coût de 155 milliards de FCFA Dès 2021, 32 kilomètres de canalisations, représentant un investissement de 55 milliards de FCFA, ont été réalisés à Cocody et à Yopougon (deux autres grandes communes d’Abidjan).
Avec un coût estimé à 245 milliards de FCFA, le projet de gestion intégrée du bassin-versant du Gourou concernera les communes d’Adjamé, Abobo, Cocody et celle du Plateau : construction d’ouvrages de drainage, réalisation ou réhabilitation
de sept barrages écrêteurs de crue Il faut aussi citer le projet d’assainissement et d’amélioration du cadre de vie d’Abidjan, d’un coût de plus de 40 milliards de FCFA, qui doit contribuer au développement des serv ices d’assainissement « durables et innovants » dans le district autonome d’Abidjan. Il s’agit de renforcer le réseau d’évacuation des eaux usées dans six sous-quartiers, de réhabiliter les réseaux d’assainissement existants et d’assurer l’entretien du collecteur. Ce projet, qui prolonge les travaux du bassin-versant du Gourou, verra aussi la réalisation de 16,15 kilomètres de canaux de drainage des eaux pluv iales.
Enfin, le programme d’amélioration durable de la situation d’assainissement et du drainage de la capitale économique, d’un coût de 55 milliards de FCFA, couv re les zones de Cocody, Yopougon, Abobo, Adjamé, Anyama, Koumassi, Marcor y, Treichville. Il doit permettre, à terme, de maîtriser les eaux usées d’au moins 10 000 ménages
Ces « grands travaux », dont l’objectif consiste à améliorer la sécurité, à évacuer les eaux pluv iales, et surtout à réduire les inondations dans la Perle des lagunes, montrent la détermination des pouvoirs publics. Bien que le changement climatique, couplé aux habitudes ancestrales de constructions anarchiques, ne joue pas en leur faveur. ■
Le s sa peur s- po mpier s du Grou pe de re con nai ssanc e et d’inte rventi on en mi li eu pé rill eu x (G RI MP ) appar te nant à la deuxi è me com pagn ie d’inc endie et de secour s. Ic i, deva nt leur ca se rn e en Zo ne 4. Ils so nt su r le front pour tout sauvetag e d’urge nc e.
Les travaux engagés depuisplusieurs années par le ministre de l’Hydraulique, de l’Assainissement et de la Salubrité, Bouaké Fofana, sont colossaux. Et coûteux.
Nomb reux so nt les bénéficiaires des politiques publiques visant à fa vorise r l’intégra tio n par le travail. Form ations, stag es, aides à la créa tion d’entreprise, le gouvernem ent ente nd soute nir les citoye ns motivés Té moignag es par Dom iniq ue Mob ioh E zoua
« MERCI À L’ÉTAT de Côte d’Ivoire. L’intérêt du gouvernement à mon égard est manifeste, car le MFFE m’a aidée à aller à la rencontre de mon bonheur. » Yvonne Doua Bleu, originaire de Man, dans l’ouest montagneux de la Côte d’Ivoire, évolue dans le vivrier depuis plus de vingt ans. « La terre m’inspire toujours quelque chose de meilleur. Le vivrier, c’est ma passion », expliquet-elle Dans les années 1980, petite fille, elle rêvait déjà de travailler la terre et de prendre la daba À l’école primaire, elle découv re dans ses manuels scolaires ce qu’est une coopérative Elle s’accroche à cette idée et décide, à 20 ans, de ne travailler que dans le domaine des cultures vivrières. « Je touche un peu à tout, mais c’est le manioc qui m’inspire le plus », raconte-telle Et c’est ainsi que se constr uit sa fabrique d’attiéké, qui fournit également du gari et de l’amidon. Ses entrepôts se trouvent à Abobo, l’une des plus grandes communes d’Abidjan, ainsi qu’à Azaguié, située dans le département d’Agboville.
« C’est à Azaguié que l’on transforme le manioc en pâte, et c’est à Abobo qu’il est transformé en attiéké. » En 2001, à la tête de la COFEDA,
Coopérative des femmes d’Abobo, l’association qu’elle a créée et qui regroupe trente commerçantes travaillant sur le marché d’Abobo, elle décide de transformer l’association en coopérative, « af in que l’État de Côte d’Ivoire la prenne en compte ». En 2018, grâce au retentissement et au succès de la coopérative, le gouvernement ivoirien s’intéresse à la COFEDA. Belmonde Dogo, alors secrétaire d’État au ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfant (MFFE), se rend à Brofodoumé, au sud du pays, pour féliciter « ces femmes battantes » et leur octroyer
des dons, notamment une broyeuse d’une valeur de 1,5 million de FCFA Cette visite aura un impact positif sur les rendements de la structure.
« Avant de bénéficier de cette broyeuse, on travaillait à la main ou on en louait une. Cela nous obligeait à dépenser beaucoup d’argent… On s’en sortait difficilement », explique Yvonne En 2019, grâce au ministère, cette dernière peut suiv re une formation au FDFP. À ce jour, la COFEDA, qui a signé une convention avec le MFFE, possède sa fabrique d’attiéké, des entrepôts, ainsi que des magasins La coopérative a aussi bénéficié du fonds FA FCI et du fonds du MFFE, d’un montant de 22 millions de FCFA. Une subvention remboursable sur dix mois, accordée à un taux de 12 %, sans épargne préalable ni aval. Dans quelques mois, confie Yvonne, « un prochain fonds nous sera attribué, af in que chacune des membres de COFEDA bénéficie de prêts pour développer son propre business ». Depuis quatre ans, c’est essentiellement à Abobo que la commerçante exerce son activité. Elle vit, avec son époux et leurs enfants, à Azaguié, où elle est également conseillère municipale. Soucieuse de transmettre sa passion et son héritage, Yvonne Doua Bleu invite d’ores et déjà sa dernière fille, Amy Claudia Manuel, 22 ans, à suiv re ses pas.
OR ÉDIA CA BR EL A GUÉL ADÉO ZOUH, 23 ans, est assistante de direction. Malgré son jeune âge, elle af fiche rigueur et efficacité Après avoir obtenu son baccalauréat G1-secrétariat à l’ISTG Pierre-Marie de Yopougon Maroc, puis un BTS en option assistanat de direction au lycée technique de Cocody, elle plonge dans le grand bain du monde professionnel. La jeune ivoirienne a bénéficié des programmes de l’Agence emploi jeunes (A EJ), mis en œuv re par le gouvernement, en adhérant à l’un des dispositifs qui propose des conseils professionnels, des formations et des opportunités d’emploi. En se tournant vers l’AE J, Orédia a pu jouir d’une meilleure stabilité financière « En ce qui me concerne, le programme que j’ai suiv i avait pour but de me former correctement, af in que l’entreprise qui m’emploie envisage de me garder et de m’embaucher ! » Aujourd’hui, elle travaille depuis six mois au sein d’une société spécialisée dans plusieurs corps de métier, allant de l’immobilier à la communication par l’objet, et semble donner satisfaction à ses employeurs En effet, c’est après six mois que tout stagiaire peut espérer obtenir un CDD. La jeune femme, confiante, croise les doigts « Désormais, je me sens plus en sécurité sur le plan socio-économique, et je peux gérer quelques charges importantes », se réjouit-elle Ce n’est pas le cas de tous les jeunes, cependant. « Cela dépend sans doute de l’expérience et du destin de chaque
individu L’Agence emploi jeunes nous donne la possibilité d’acquérir des compétences et de trouver du travail. Ensuite, à chacun d’y mettre de la volonté Si un jeune se compor te mal ou n’a pas les compétences requises malgré le coaching, il est clair qu’il ne sera pas retenu », conclut-elle
EMPLOI JEUNES
NA RCISSE KOUASSI, 27 ans, vient d’être embauché dans l’entreprise les Nouvelles brasseries de Côte d’Ivoire (NBCI), à Bonoua, à 65 kilomètres au sud d’Abidjan. « C’est grâce à mon adhésion à l’Agence emploi jeunes, qui nous aide à trouver nos stages, et même un emploi après les formations professionnelles Elle nous forme et nous délivre des attestations reconnues par l’État, qui nous permettent aussi d’entreprendre. Les programmes que j’ai suiv is
m’ont permis de comprendre la fabrication de la boisson gazeuse. Aujourd’hui, je perçois de l’argent à chaque fin de mois, ce qui me permet de me prendre en charge Je ne dépends plus de mes parents Globalement, je suis satisfait. » Titulaire depuis 2020 d’un BTS en industrie agroalimentaire, option contrôle, de l’Institut Famah d’Abidjan, après un parcours scolaire classique – obtention du BEPC en 2013 et du baccalauréat en 2018 –, Narcisse Kouassi a rencontré quelques embûches sur son parcours Après avoir effectué un premier stage à la station de recherche technologique (SRT) du Centre national de recherche agronomique (CNR A) de Binger ville, sans jamais recevoir aucune rémunération, il décide de s’en aller au bout de trois mois. Il tente à nouveau sa chance et, cette fois, c’est la bonne adresse. Désormais résident de Bonoua, il gagnera 150 000 FCFA en guise de premier salaire. Pour lui, c’est un bon début. « Cela va changer ma vie. »
KOUAMÉ , DÉCORATEUR
« J’AI FAIT CONFIANCE
AU GOUVERNEMENT »
DEPUIS DEUX JOURS, il ne s’arrête pas. Les traits tirés, il tente de garder les yeux ouverts sur le trajet AbidjanYamoussouk ro, qu’il empr unte pour la deuxième fois en deux jours « Nous avons un événement à Yamoussouk ro en ce week-end de Tabask i ! » Bonaventure Kouamé ne jure que par l’événementiel Un mot à la mode en Côte d’Ivoire, qui fait référence à tous les événements, festifs ou non, des mariages aux enterrements Dans cet
univers professionnel, on rencontre hôtesses, fleuristes, chanteurs et musiciens… Mais le jeune homme, lui, est décorateur. En 2018, alors titulaire du baccalauréat, il ne peut poursuivre ses ét udes supérieures, faute de moyens financiers. Il va donc vivre de ses petits boulots, se spécialisant au fur et à mesure en décoration pour toutes sortes de festiv ités. Après avoir « galéré » quelques années, il adhère à l’Agence emploi jeunes : « J’ai fait conf iance au gouvernement, et je suis allé postuler dans le domaine de la gestion de projets et coordination de projets événementiels », dit-il, ajoutant que c’est à cause de sa réticence et de sa méfiance qu’il a postulé si tard Il le regrette, toutefois, considérant avoir perdu du temps. « C’est après avoir recueilli pas mal de témoignages positifs de jeunes comme moi que j’ai fini par y croire » À 28 ans, papa de deux enfants, Bonaventure est un battant. « Aujourd’hui, les choses vont mieux pour moi. » Après une formation de six mois, suiv ie d’un stage de six mois à l’entreprise Côte d’Ivoire Événements, celle-ci vient de l’embaucher. « Nous étions un certain nombre de stagiaires. Ils se sont tous désistés, car ce n’était pas rémunéré J’ai tenu bon, j’ai fait en sorte d’être toujours à l’heure. Et cela a payé : je viens de signer mon premier CDD avec la boîte ! » ■
Fo gnon Maïmouna Ko né, 34 ans, à la tête de Dy nE xcAf rica, montre un engag em ent passionné pour l’ éducation et la te chnolo gi e, à travers le ST EM Make rs Lab, dé di é aux jeun es fill es ivoiri ennes.
Maïmouna a un rêve : façonner une nouvelle génération de jeunes filles et de femmes leaders dans les domaines des STEM (science, technolog y, engineering, and mathematics). Pour donner vie à cette ambition, elle a bâti son parcours avec rigueur et passion Aussi, à 34 ans, s’affirme-t-elle comme une figure de proue de l’excellence féminine Reconnue parmi les 60 femmes qui changent le monde avec leurs initiatives technologiques, elle a été lauréate du prix Top 10 des acteurs du développement de l’entrepreneuriat jeune. Et son influence et son dévouement dans le domaine de l’innovation ont été reconnus lorsqu’elle a été classée parmi les vingt jeunes prometteurs de Côte d’Ivoire en 2023.
Originaire de Korhogo, Maïmouna a grandi dans un environnement où l’éducation était valorisée.
« Mes parents ont toujours insisté sur l’importance d’apprendre et de se dépasser », confie-t-elle. Elle poursuit ses études primaires, secondaires et universitaires en Côte d’Ivoire, son pays natal. Sa carrière débute modestement, mais décolle rapidement. Forte d’une formation
en droit privé, enrichie par des certifications en leadership, en développement personnel et en design thinking de l’Université de Californie, à Davis, elle a d’autres cordes à son arc : productrice audiov isuelle, animatrice, présentatrice radio et télé, coordonnatrice de projets PR & Communication, consultante en stratégie, et conceptrice d’activités pour les jeunes filles Elle travaille d’abord comme assistante en animation dans une radio FM, Radio Jam, ce qui lui permet d’affiner sa capacité à captiver l’attention de son auditoire.
Dans son parcours, où cohabitent passion pour la technologie et volonté de se munir d’une bonne instruction, se dégage aussi l’envie de s’attaquer aux conséquences causées par le fossé numérique. Promouvoir l’accès universel au savoir et aux outils technologiques devient son credo. Elle entreprend quelques initiatives novatrices pour l’émancipation des femmes et des filles, notamment avec le Young Women Digital Program, un dispositif visant à renforcer les compétences des jeunes femmes dans les domaines des outils informatiques, DR
collaboratifs et du marketing digital. En 2018, elle fonde Dy nExc Africa (DE A), qui signifie « dy namiques et excellentes d’Afrique ». L’objectif est de promouvoir les STEM parmi les femmes et les filles des quartiers populaires, tout en les formant gratuitement L’idée de cette ONG, qui fonctionne avec une petite dizaine de formatrices et formateurs, a germé dans l’esprit de Fognon Maïmouna Koné, à la fois fondatrice et directrice exécutive, lorsqu’elle a réalisé l’ampleur de la fracture numérique en Côte d’Ivoire et l’importance de l’inclusion technologique pour le développement de son pays
Dy nExc Africa, avec trente projets déjà mis en place, a un impact social important. « Nous formons et sensibilisons les filles et les femmes à travers le pays, en les préparant à être compétitives dans le domaine technologique », explique-t-elle. Très vite, l’un des objectifs a été de conceptualiser et de créer le premier STEM Makers Lab made in Côte d’Ivoire, lequel accueille cent femmes et jeunes filles chaque mois Cette initiative révolutionnaire, soutenue par l’État, entend favoriser l’émergence d’un esprit novateur au sein de la gent féminine. Et depuis sa création, elle connaît une belle croissance. En six ans d’existence, soit de 2018 à 2024, les chiffres sont encourageants. Dans le domaine de la formation, les programmes Girls STEM Academy ont accompagné près de 400 jeunes filles et environ 150 femmes. Et l’impact dans la vie des bénéficiaires est bien visible : 98 % de taux de réussite au BEPC et au baccalauréat, 90 % dans les filières scientifiques, 65 % avec un emploi Enfin, 100 % terminent leur parcours
scolaire ! Par ailleurs, ce ne sont pas moins de 9 000 jeunes filles qui ont été sensibilisées et initiées, dont 1 600 formées à la robotique, au code informatique ou au pilotage de drones. Proposé sous forme d’ateliers, de cours ou de concours, avec le Dy nExc Africa STEM Tour ou la First Lego League, par exemple, le programme de Dy nExc Africa a permis de développer plus de quarante applications à ce jour Il est devenu au fil des années « la référence ivoirienne de détection des jeunes talents au féminin de la robotique ». Rose Goyéli Tuo a bénéficié de cet accompagnement. Âgée de 15 ans, elle reçoit pour son application X-Market le prix spécial du Jury 2021 au Concours de robotique de l’Ambassade des États-Unis – récompense décernée par les Margaret Junior. Cet outil est dédié à la gestion des boutiques ambulantes en bordure de routes en Côte d’Ivoire, permettant de réduire accidents, querelles de voisinage, altercations entre vendeurs et autorités publiques…
Très tôt dans son cheminement, Fognon Maïmouna Koné a perçu l’importance de s’aligner avec les initiatives gouvernementales pour maximiser l’impact de son organisation. Également conférencière, elle est régulièrement sollicitée en Côte d’Ivoire et à l’étranger pour partager son expertise sur les STEM, le numérique et les questions liées aux femmes et aux jeunes filles Nommée ambassadrice de l’innovation par le ministère ivoirien de l’Économie numérique et de l’Innovation, elle a pu étendre l’influence de Dy nExc Africa à travers toute la Côte d’Ivoire, en accédant aux endroits les plus reculés et en apportant l’éducation STEM là où elle était auparavant inexistante. Grâce à cette collaboration, de nombreuses jeunes filles ont accès à des ressources et à des opportunités qui les préparent à un avenir dans les STEM. « À travers l’Agence emploi jeunes du ministère de la Jeunesse, la politique de l’État de Côte d’Ivoire pour accompagner les jeunes est réelle. Cet appui n’est pas simplement un soutien, mais la validation de notre travail, qui nous permet d’œuvrer dans différents établissements éducatifs sur l’ensemble du territoire », estime la jeune entrepreneuse.
À long terme, l’objectif de Dy nExc Africa, qui comptabilise déjà neuf distinctions, est de devenir une organisation stratégique de référence dans la promotion des STEM et de se déployer partout en Afrique. En se concentrant sur l’éducation et l’autonomisation des filles et des femmes, Fognon Maïmouna Koné ne se contente pas de défendre l’égalité entre les genres, elle bâtit bel et bien les fondations d’une société plus équitable et prospère ■ D. M. E.
La sociologue signe son premier roman : une passion amoureuse, charnelle, teintée de philosophie. Et une réfexion plus fondamentale sur l’émancipation féminine. propos recueillis par As tr id Kr iv ian
Ce sont une lutte intérieure et la nécessité de comprendre le ma la ise qu’el le éprouvait dans la société qui l’ont poussée vers la sociologie et l’anthropologie. À 18 ans, Meryem Sellami quit tait sa Tunisie nata le pour ét udier en France ces disciplines, à Strasbourg, puis Paris.
Aujourd’hui enseignante à la Faculté des sciences humaines et sociales de Tunis, chercheuse associée au CNRS/Université de St rasbourg, ses recherches portent sur le genre, les conduites à risque des adolescentes, le rapport au corps. « Interface entre la société et l’individu, le corps est mobilisé pour raconter son histoire, contester le pouvoir, les normes sociales, résoudre des problèmes de culpabilité », analyse la socioanthropologue, autrice d’Adolescentes voilées, du corps souillé au corps sacré (Hermann, 2014), codirectrice de l’enquête nationale sur la violence fondée sur le genre en Tunisie menée par le CR EDIF et l’ON U Femmes Celle qui
écrit de la poésie depuis l’enfance signe son premier roman, Je jalouse la brise du sud sur ton vi sage (Cérès, 2022). Elle narre le parcours de Hajar, une jeune tunisienne étudiante en philosophie en France, qui suit une psychanalyse avec le docteur H. Quand surv ient la révolution de Jasmin, elle arrête sa thérapie, retourne auprès des siens, emportée par l’euphorie d’un peuple qui se libère. Elle noue alors avec Azer, un psychiatre, une relation amoureuse passion nelle, dévastat rice, qui va ouvrir des blessures profondes, mettre à mal ses croyances sur la liberté, le féminisme, l’amour. Explorant la psyché de son héroïne, ses paradoxes, ses contradictions, ses traumas, ce roman charnel et philosophique sonde avec une grande finesse la complexité des affects et des relations. Par l’intime, il met au jour les schémas inconscients hérités du patriarcat qui demeurent des deux côtés de la Méditerranée, ainsi que les tiraillements culturels et identitaires. Hommage à l’altérité salvatrice, ce chemin d’émancipation féminine s’effectue par le pouvoir des mots, de la parole, de l’écriture.
AM : Votre roman est- il nourri de vos travaux sociologiques auprès des jeunes tunisiennes ?
Meryem Sellami : Mon travail de terrain constitue, en effet, la sève du roman. Les jeunes tunisiennes en souffrance, leur rapport au corps, constituaient l’objet de ma thèse. Au cours de mes stages en pédopsychiatrie, à l’hôpital, j’ai recueilli beaucoup de témoignages. J’ai toujours rêvé d’écrire une fiction, et j’avais besoin de trouver une autre manière de donner une voix à ces jeunes filles. Le domaine de la recherche est limité, assez rigide, on ne se lit qu’entre scientifiques. Alors que la littérature ouvre des portes insoupçonnables, touche un public plus large. J’avais lu le roman Sy ngué Sabour, pierre de patience, de l’écrivain afghan Atiq Rahimi En quelques pages, il disait ce que je développe dans une thèse de 400 pages ! C’est la magie de la littérature : elle offre une liberté incroyable, permet de faire parler des personnages, de mettre en œuvre notre propre sensibilité.
De quelle manière la relation amoureuse tumultueuse que vit votre héroïne, Hajar, avec Azer, son psychiatre, trouble-t- elle aussi son féminisme ?
Que provoque ce my the d’un homme qui viendrait « sauver » votre héroïne ? Cette croyance d’une existence féminine en attente d’une validation masculine ? Il mène à la catastrophe. Car on ne peut sauver que soimême On ne peut se reconstruire que seule. On ne peut pas demander à l’autre d’écrire notre histoire à notre place. Cette attente d’un sauveur, c’est vraiment le nœud de l’aliénation féminine Hajar, qui voulait être libre, tombe « dans le jardin de l’og re » – pour citer le titre du roman de Leïla Slimani. Au Maghreb, on grandit avec cette figure de l’ogre, un être monstrueux de sexe masculin qui attend une faille pour nous dévorer. À partir du moment où l’on érige quelqu’un en sauveur, il est presque condamné à se transformer en ogre Car il a lui-même ses faiblesses, il va nous décevoir, il ne va rien sauver, il va même empirer les choses.
La psychanalyse est au centre du roman, afin d’explorer la psyché, le rôle de l’inconscient, mais aussi le pouvoir de la parole…
Je voul ai s ab or de r le fé mini sme sous un an gle in co ns ci en t, ex pl or er ce s mé ca ni smes, qu i sont de s ob st ac le s au ssi import ants que les institutions, la loi, le patriarcat, le rappor t à l’espace publ ic . Ce s bloc ages inconscients sont liés à la manière dont on éduque les petites filles, des deux côtés de la Méditerranée. On nous rabâche l’histoire de la Belle au bois dormant, d’une femme toujours en at tente d’un homme. On n’inculque pas l’idée qu’une femme peut se su ffi re à el lemême. Souvent, on se défi nit par notre capacité à mener des re lation s amou re us es « ré ussies » avec les hommes. Ai nsi, le s fe mm es so uf fr en t bi en dava nt age après les rupt ures, les divorces, car elles se sentent plus coupables. Féministe, mon personnage Hajar étudie la philosophie – une discipline de réflexion, où l’on pense contre soi-même, où l’on se pose les bonnes questions, etc. Et elle se retrouve aliénée, parfois sous l’emprise de cet homme, dans une relation amoureuse qui la dépasse. Elle, qui ne voulait ni se marier ni avoir d’enfant, rev ient alors à une forme de soumission ; elle pense se réconcilier avec l’idée du mariage, du couple, de la maternité.
◗ Je jalouse la brise du sud sur ton visage, Cérès éditions, 272 pages, 28 TND.
◗ Adolescentes voilées, du corps souillé au corps sacré, Éditions Hermann, 234 pages, 25 €.
La psychanalyse est une quête de soi. Elle peut être libératrice, mais aussi aliénante si l’on est dépendante de son analyste. Au début, Hajar choisit ce mystérieux docteur Hirsch, très européen, qu’elle range dans la catégor ie freudien ne, en opposition à la cult ure méditerranéenne, plus ex pressive. La question de l’identité et de l’interculturalité dans ces relations est intéressante ; on communique aussi par ce que l’on est. Hajar a d’abord vécu cette analyse comme une dom inat ion, une al ié nation Un incons cient colonial persiste chez l’ex-colonisé : el le considérait que cet Européen se moquait d’elle Le silence de ce docteur va finalement s’avérer salutaire. On ne peut se constr uire, se connaître que dans l’altérité On a besoin de cette interculturalité, de se confronter à des personnes différentes pour mieux se comprendre. Ce roman est aussi un hommage à l’altérité.
Quand la révolution tunisienne éclate, votre héroïne Hajar décide d’arrêter sa thérapie. Pourquoi ?
On a beaucoup écrit sur la révolution tunisienne, mais pas sur la manière dont elle a été vécue de l’intérieur, à travers la subjectivité. Hajar s’est toujours vue comme une révolutionnaire ; partie en France étudier la philosophie, elle a refusé l’assignation des rôles au sein du couple, les normes sexuelles et sociales. Quand le « miracle tunisien » surgit, elle a envie de retourner vers les siens, qui se libèrent, de relier son histoire avec eux. En trois semaines, un peuple se soulève, prend la rue, chasse Ben Ali, exige la liberté hic et nunc, alors qu’il était silencieux, sous emprise. Et la diaspora tunisienne a vécu les
événements avec plus d’intensité peut-être : soudainement, il se passait quelque chose d’extraordinaire dans cette société qu’ils avaient fuie. On ne dormait pas la nuit, on se sentait proches les uns des autres, alors qu’avant, en Europe, on se fuyait un peu. Depuis son indépendance, ce pays avait vécu deux dictatures. Les Tunisiens n’avaient jamais été libres, et là, ils ont inspiré les Ég yptiens, les Libyens, les Sy riens. Les fins de ces révolutions ont, hélas, été désastreuses pour ces pays. En Tunisie, neuf mois après la révolution, c’était la claque douloureuse lors des premières élections : les islamistes arrivaient au pouvoir, les partisans de l’ancien régime aussi. La déconvenue amoureuse de mon héroïne Hajar est mise en parallèle avec la désillusion de tout un peuple. Mais aujourd’hui, en Tunisie, l’espr it de cette révolution demeure, elle n’est pas morte, elle est en phase de down. En quoi le corps de Hajar est- il otage de deux cultures, comme vous l’écrivez ?
J’ai aussi travaillé avec des Marocaines, des Algériennes, des Libanaises, qui m’af firmaient : je veux êt re libre ! Mais une culpabilité par rapport à la culture et à la famille persiste C’est encore une fois un blocage inconscient. On ne peut pas se libérer complètement, facilement, de choses inculquées depuis l’enfance par l’entourage, par la société. Il n’est pas anodin pour une jeune femme issue d’une culture patriarcale de faire sa révolution, du jour au lendemain Tiraillée, Hajar oppose deux « caricatures » : Muhammad, le prophète de l’islam, qui incarne une culture, une religion, et le philosophe Sartre – avec Simone de Beauvoir, ils se présentaient comme le sy mbole du couple libre. Mais Hajar découv re qu’il n’en est rien. Un vécu humain est plus compliqué qu’une belle théorie. C’est universel : l’humain est pétri de contradictions. Et la littérature les met au jour. En France, les femmes portent des talons, mais elles considèrent encore, selon les dernières enquêtes, que les hommes ont plus de besoins sexuels qu’elles Des préjugés, des biais dans l’inconscient collectif demeurent. L’inconscient individuel n’est pa s constitué seulement de l’histoire personnelle, il est aussi lié à l’inconscient collectif
Toutes les femmes, surtout celles qui se veulent modernes, sont prises dans ces contradictions, sans pouvoir mettre des mots dessus C’est un peu angoissant Est- ce aussi un livre sur le pouvoir des mots ?
Le langage est au centre de la psychanalyse, de la thérapie. Comme disait Freud, avec des mots, on peut sauver quelqu’un, mais aussi le pousser au désespoir. Je donne beaucoup d’importance au pouvoi r du la ngage et des mots. Ils peuvent détruire ou montrer un chemin
Le roman évoque aussi les agressions sexuelles, un problème très courant à l’échelle mondiale…
En effet, 80 % des jeunes filles que j’ai interrogées ont été victimes d’agressions sexuelles, d’inceste. C’est universel ; les violences sexuelles sont systémiques, font partie de la structure même du patriarcat. Les hommes les subissent aussi, mais
« Avec l’ écritu re, on peut ratu rer, on peut ef facer, reveni r en ar rière.
La métaphore du crayon est intéressante : c’est su iv re une vie da ns le ba lbut iement. »
les victimes sont en grande partie des femmes En France, une personne sur dix a été victime d’inceste, c’est ef frayant. Avec tous les récits troublants, ef froyables que j’ai entendus, la thématique s’est imposée d’elle-même. Ce vécu traumatique et douloureux forge également un rappor t au corps, à l’hom me et à la virg inité. La norme virginale est encore très prég nante en Tunisie ; la sexualité préconjugale relève toujours de la transg ression, elle est donc une source de culpabilité pour les jeunes femmes. Que fait-on quand on a été violée enfant ? Cette question n’est jamais posée. Hajar s’enfuit en France, pays qui « accueille les réf ugiées de l’hy men », comme je l’écris dans le roman. Mais elle va aussi se retrouver face à ses contradictions, à la complexité de son vécu, d’où les turbulences, les tumultes.
Votre héroïne est aussi tiraillée, partagée, entre l’intelligence intuitive et spirituelle de sa terre natale, et le rationalisme cartésien qui prévaut en France.
La France a une histoire très particulière avec les religions. Elles y sont presque diabolisées. D’où le rapport aux signes religieux dans l’espace public. Qui dit laïcité dit rationalisation et positivisme. C’est une société où la raison prime. Ce n’est pas un jugement de valeur, mais un constat. En Tunisie, dans les sociétés communautaires, les gens se mêlent d’histoires qui ne les regardent pas, l’individu n’est pas au centre, il n’est jamais vraiment libre. Mais il n’y a pas seulement du négatif. La théorie du complexe d’Œdipe est restrictive. S’il était né en Tunisie, Freud aurait-il été Freud ? Car dans nos sociétés, ce n’est pas juste la mère qui éduque, mais le groupe familial.
L’en fant a plusieurs figures parentales ; les grands-parents sont presque plus importants que les parents. Que fait-on de l’Œdipe dans de telles sociétés ?
En quoi la Tunisie est- elle une « terre chaude », pour citer vos mots ?
Chaque Tunisien regret te cette chaleur quand il pa rt. En Tunisie, on trouve cette connaissance intuitive. Il y a les cultes des saints, la voyance, des connaissances occultes qui sont aussi importantes que celles cartésiennes, scientifiques. Les Tunisiens sont parfois asphyx iés, écrasés par l’autre. Il faut avoir les nerfs solides pour dire non à la société. Mais ils se sentent moins seuls, et c’est aussi une manière de faire face à la souffrance. Alors qu’en France, j’ai vu des gens très seuls, même coupés de leur famille. Toutefois, on remarque un retour à la spiritualité – au chamanisme, par exemple –en France Ca r peut-on vivre sa ns spir it ua lité, sa ns cette intelligence intuitive ? Un être humain reste fragile et, par définition, ir rationnel. Même s’il vit dans la société la plus rationalisée qui soit C’est ce qui constitue notre humanité L’écriture est- elle ici une voie d’émancipation ? Oui. En Tunisie, la notion du mektoub – qui signifie l’écrit en arabe – est la croyance selon laquelle notre destin est écrit d’avance par Dieu. Cela permet de justifier la passivité, le fatalisme. C’est ce que Hajar a fui, elle veut construire sa destinée, c’est une manière de prendre le crayon à Dieu pour écrire sa
propre vie, pour s’en sortir Avec l’écriture, on peut raturer, on peut effacer, revenir en arrière. La métaphore du crayon est intéressante : c’est suiv re une vie dans le balbutiement. L’ouvrage explore tous les paradoxes d’une relation passionnelle amoureuse, entre dépendance et désir de liberté, euphorie et souffrance. Le personnage d’Azer avertit pourtant Hajar dès le début qu ’il a besoin d’exercer de l’emprise sur l’aimée, de la dominer… Je n’ai pas conçu le personnage d’Azer comme un pervers complet. C’est plus complexe Il est lui-même empêtré dans ses contradictions, pris à son propre piège. On peut être médecin, pétri d’une intelligence rationnelle, cartésienne, mais dans les relations amoureuses, l’irrationnel prime toujours Notre chaos intérieur ressort. Dès le début, Azer donnait pourtant des signes que l’histoire pouvait mal finir. Dans des relations consenties, on a toujours une part de responsabilité – pourquoi Hajar a-t-elle choisi de rester malgré tout ? Comme je l’écris, l’amour est un chaos magnifiquement ordonné. On l’idéalise, on l’apprête de beauté, de poésie S’il tourne au drame, c’est d’abord parce qu’il est un désordre. Citons Lacan : « L’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas. » Il part d’un malentendu, d’une illusion, on magnifie l’autre, et cela prend le pas sur notre lucidité, notre clair voyance. On se ment à soi-même, on fait semblant de ne pas voir des choses qui nous déplaisent Et un jour, cela nous explose à la figure.
Mais ce n’est pas toujours le cas, bien sûr. L’amour commence quand on a dépassé cette phase d’idéalisation, quand on commence à entrer dans l’autre, à le voir comme il est, et que malgré tout, on continue à l’aimer Qu ’est-ce qui se joue ici à travers les rapports sexuels ?
Le patriarcat est aussi une emprise exercée sur les corps. Je tenais à le montrer à travers la sexualité intense d’une passion amoureuse. Par certaines perversités, Azer traite Hajar comme un objet. C’est un problème répandu. Pour reprendre les bons mots de l’humoriste Blanche Gardin, les hommes et les femmes font l’amour de manière très archaïque, alors qu’ils vivent dans des sociétés libres, modernes. En France, la sexualité est l’un des derniers terrains où le patriarcat est le plus patent, le plus omniprésent. Il s’agit souvent pour un homme de pénétrer un corps, et pour une femme de se laisser faire. Dans la littérature, le désir et la jouissance féminine sont souvent décrits par des hommes. Il était central à mes yeux d’en parler du point de vue d’une femme, depuis sa perception, de décrire la manière dont elle le vit de l’intérieur.
En Tunisie, Hajar a entendu les femmes de sa famille répéter cette phrase au sujet des hommes : « Ce n’est qu ’un homme ! »
C’est un adage répa ndu en Tu nisie. Si un homme se conduit mal, s’il trompe sa femme, il ne faudrait pas y accorder trop d’importance car, par définition, il est immature. Ça permet aux hommes d’avoir plus de droits. On retrouve cette idée en France sous d’autres formes : « Le s mecs sont tous de s conn ards » ; « C’est un abr ut i de me c. » Peut- êt re que les femmes ont inventé ça pour se protéger, suppor ter les inégal ités, lâcher les revendication s – l’adversai re n’en vaudrait pa s la peine.
Co mment votre ro man a- t- il été reçu en Tu ni si e ?
Très bien. Il figu re pa rm i les meilleu res ventes en 2023 et 2024 Une nuance très import ante : il est éc rit en frança is, une la ng ue qu i devient minor it aire en Tu ni sie. Ce lectorat est très ouvert, et la francophon ie est ga ra nte de la liberté. Pa rce qu’elle n’est pa s ma la ng ue maternel le, el le me protège, me per met de penser plus librement. Lor s de vo s recherche s soci ologi qu es , qu ’est -ce qui vous marque dan s les propo s des jeu nes Tu ni si en nes aujourd’hu i ?
Je note une évolut ion claire pa r rappor t au x générations précédentes – celles que j’ai rencont rées au début de mes recherches il y a quinze ou vi ng t ans. Aujourd’ hui les jeunes Tu nisien nes ont une conscience, une lucidité beaucoup plus import ante su r les violences se xuel les, grâce au développement des réseau x sociau x, à la médiat isat ion de la violence, ma is su rtout grâce au mouvement #MeToo, qu i a tout de su ite pr is en Tu ni sie. Quelques mois après les Ét at s-Un is, la page Facebook EnaZeda [qui regroupe 110 000 followers aujourd’hui , nd lr] a été créée. On peut y li re de s cent aines de témoig nages de femmes, d’ hommes aussi, qu i ont subi
«Da ns la littérat ure, le dési r et la jouissance fémi ni ne sont souvent décr it s pa r des hommes.
Il ét ait cent ra l d’en pa rler du point de vue d’une femme.»
de s violence s, de s ag re ssion s se xuel le s, du ha rc èlement. Elles y trouvent le sout ien de s autres membres, ma is aussi d’avocates et avocat s, de jour na listes et de psyc hologues qui les or ientent da ns les procédures. On les encourage souvent à porter plainte. Les violence s sont décloi sonnées, el les ne sont plus vécues da ns l’espace inti me ma is devien nent un vrai sujet da ns l’espace publ ic. C’est très sa in et positif. Le s vi ol ences sont- el les désorm a is app réhen dées da ns leur d iver sité ?
E n ef fet, les jeunes femmes ont une connai ssance préci se, l ar ge e t rigour eu se de s di ff ére ntes formes de violence. On ne pa rle plus seulement de violences physiques ou se xuel le s comme le viol , ma is au ssi du ha rc èlement, de s violence s ve rba le s, sy mb ol ique s ou ps yc hologiques, qu i ét aient norm al is ée s av ant. Un nu mé ro ve rt pour le s victimes de ha rcèlement se xuel da ns les tran spor ts publ ic s a été créé, pa r exemple. Cette jeunesse post-révolut ion n’a pa s été éduquée à se soumet tre à un ordre tran scenda nt al, el le a compri s qu’elle avait un rôle à jouer da ns la société, à traver s un engagement politique. Les femmes se mobil isent et cr éent de s as so ci at ions, mè ne nt de s ac tion s conc rète s da ns le s ét abli ss ements scola ir es. L’éduc at ion se xuel le a été introduite à l’école, pour sensibil iser les en fa nt s su r la not ion de consentement, su r le corps. C’est un phénomène global, mondia l. Les jeu nes femmes sont plus éma nc ipées, el le s ont compri s qu’e lles ne pouv aient compte r que su r el les-même s, en travai llant, en ét ud ia nt Elles contestent les normes de genre et de se xe. Elles veulent se construire en tant qu’actrices dans la société, et privilégient leur carrière professionnelle. On ne peut que saluer cette nette évolution. ■
inte rv iew
C’était il y a un an. Sefa Yeboah, 23 ans, entrait à la prestigieuse Comédie-Française. Depuis, le pensionnaire au charme captivant et à la diction ciselée irradie sur scène, où il enchaîne les rôles. Un parcours fulgurant. Et prometteur. propos re cu eillis par Ca th er in e Fay e
À ga uche, le jeu ne com éd ien da ns
Le s Fourbe ri es de Scapi n, de Mo li ère, pa r De nis Po dal yd ès, La Co médie -Fra nçai se, 20 23 -2 024.
«D’ailleurs. » C’est son expression préférée. Au sens propre, elle signifie « d’un autre endroit », au figu ré « du re ste ». Ma is pour celui qui a traversé un quart de siècle dans un rapport au monde singulier, cette locution « cristallise un néant qui permet, comme le vide, d’attirer, de faire que les choses soient ensemble, et, en même temps, pas tout à fait ». Un concept à l’image du jeune comédien Quelque chose qui oscille entre la fougue et l’insaisissable. Et de fait, dans la vie comme dans ses rôles, tel un explorateur de l’inconscient, Sefa Yeboah émeut par son at ypisme et sa profondeur, habitant chacun de ses rôles comme une terre promise. Du troublant Lucrèce Borgia au monumental Soulier de satin, programmé à la fin de l’année, en passant par Troi s fois Ulysse, qui sonde la figure du héros, pas une narration n’altère le combat qui habite en filigrane celui qui allie des origines ghanéennes à une enfance strasbourgeoise, une solitude choisie à un partage de valeurs fortes et engagées. Plus encore, chaque incarnation attise un nouveau souffle.
AM : La devise de la Comédie -Française, Simul et Singulis, se traduit en français par « être ensemble et rester soi -même ». Que vous inspire- t- elle ?
Sefa Yeboah : Cette formule en latin résume la singularité de ce que signifie d’appartenir à une troupe pour un comédien C’est une posture qui me conv ient, car, aimant être seul, j’appréhende d’autant mieux ce que faire partie d’un groupe implique Lorsque je partage le quotidien et que je travaille avec d’autres comédiens, je m’investis totalement, en restant toujours moi-même et en cont ribuant à l’œuv re collective. Une fois isolé, non seulement je l’accepte, mais je l’apprécie D’ailleurs, enfant, je pensais que pour se construire, il fallait réf léchir en solitaire, fouiller à l’intérieur de soi. Mais, au fil des années et de quelques expériences de vie, je me suis rendu compte à quel point, pour être soi, on avait besoin des autres Nous avons beau nous raconter le contraire, dire qu’il n’y a que soi qui compte, qu’il faut avant tout savoir qui on est, en réalité, c’est inconcevable s’il n’y a pas les autres Qu’on le veuille ou non, nous sommes des animaux sociaux, ou alors il faut être Descartes – et ce n’est pas donné à tout le monde ! Quelle image illustrerait vos propos ?
Je pense à un proverbe : « La vache ne connaît la valeur de sa queue que lorsqu’elle la perd. » Je ne sais pas d’où vient cette formule, mais elle signifie qu’on n’a souvent pas conscience de la valeur des choses. Ce n’est que lorsqu’elles nous échappent que l’on se rend compte de leur utilité. Mais c’est aussi une métaphore pour dire que l’on ne peut pas être soi, ni former
« Le chemin est long vers un monde plus juste, et on a le devoir de le rendre plus facile pour ceux qui viendront après nous. »
une communauté ou une société, si on ne considère pas que chacun est essentiel et se complète, quel qu’il soit, et si l’on n’arrive pas à relativiser nos vies en prenant un peu de recul. À l’image d’une vache dans son ensemble, où les oreilles sont aussi nécessaires que la queue – qui lui permet de chasser les insectes –, qui est elle-même aussi importante que les sabots… Depuis le début de l’année, vous avez notamment joué dans Les Fourberies de Scapin, de Molière, et dans Lucrèce Borgia, de Victor Hugo, où l’idée de « ne pouvoir y échapper » règne en maître
En effet, dans la première pièce, il est question de mariage arrangé et, dans la seconde, de faute héréditaire. Mais, au-delà des idées véhiculées par une comédie ou une tragédie, je dirais que ce qui est intéressant, et l’un des atouts de l’art dramatique, c’est le rapport à la catharsis. Car il porte très fort ce « quelque chose » de l’ordre de la libération Presque comme s’il fallait regarder une pièce de théâtre « à l’envers », pour comprendre que si les personnages ne réussissent pas à se sortir d’une problématique, alors nous-mêmes pourrions en imaginer l’issue, l’assimiler, comme si on l’avait déjà vécue, ce qui nous év iterait peut-être d’avoir à vivre une telle situation. Le comédien est une espèce de miroir de la société et de la condition humaine, traversé par une force invisible, capable d’orienter la pensée et la vie des spectateurs. En théorie, bien sûr. Car, dans les faits, c’est plus compliqué. Quels sont vos dramaturges préférés ?
Je pense au comédien et metteu r en scène Jean-Luc Lagarce, l’un des auteurs contemporains les plus joués en France, mort du sida en 1995 Dans l’une de ses pièces de théâtre, il raconte comment le personnage principal fait des milliers de kilomètres pour annoncer à ses proches sa maladie et sa mort prochaine. Il repart finalement sans avoir rien
dit. Cette histoire est dominée par le thème de la difficulté à communiquer entre membres d’une même famille. Quelque chose de grave est là, prêt à être révélé, et pour tant, d’une visite qui se veut définitive, le fils repart sans un mot sur la raison de sa venue. Pourtant, pendant ce court séjour, chacun s’est dit l’amour qu’il se porte à travers les éternelles querelles familiales. Et c’est cela qui a compté C’est cette pièce qui a été adaptée en long-métrage, vingt ans plus tard, par le réalisateur Xavier Dolan, avec Gaspard Ulliel dans le rôle de Louis. Avez -vous déjà pensé au cinéma ?
Pourquoi pas ? Mais encore faut-i l en avoir le temps… J’aime beaucoup l’Américain Jordan Peele, notamment pour son film Get Out, qui traite du racisme et de l’aliénation dans un scénario terrifiant. On me dit parfois que je ressemble à l’acteur pr incipa l, Da niel Ka luuya : c’est l’une de mes références. Ce que j’aime beaucoup chez ce réalisateur, c’est qu’il crée un genre, un peu comme Christopher Nolan (Inception, Interstellar…), qui s’empare de thèmes un peu plus populaires, plus universels, alors que Peele prend en charge une pa rt ie de l’histoire moins glorifiante. D’ailleurs, j’ai une anecdote à raconter Après êt re allés voir Get Out, à sa sort ie en salles, avec une amie du lycée, nous ét ion s en su ite pa ss és ch ez ses grands-parents J’étais en T- sh ir t et son gr and-pèr e a passé le bout des doigts sur mon bras en disant combien il trouvait ma peau douce. C’était si étrange. Ce genre de détails qui en dit tellement long. Surtout après le film que nous venions de voir Un film qui mont re à quel point le vice peut être caché, et partout. En fin de compte, je pense que l’humanité est foncièrement mauvaise, c’est mon principe de vie. C’est pour cela que l’on doit s’efforcer d’être la meilleure version de soi-même Pour soi et pour les autres Et de quelle manière ?
sens le poids d’un bagage historique et de clichés dont je n’ai pas conscience, que j’ai appris à avoir l’impression de porter, parce qu’en même temps, on me dit que ça n’existe pas. Alors, ça existe ? Ou ce que je ressens est faux ? Qu’est-ce que je dois faire de tout ça, de cette violence, de cette souffrance ? Je me souv iens aussi d’un jour où j’étais au téléphone, en train de faire mes courses Quelqu’un m’a arrêté et m’a dit : « Mais vous parlez trop bien le français, j’aimerais bien vous emmener dans mon collège pour vous montrer à mes élèves » Je n’ai pas compris, cette personne est entrée dans mon espace comme une balle, je me suis senti comme une bête que l’on peut exposer. Pourtant, en même temps, je ne peux pas lui en vouloir, à ce monsieur, parce que je crois qu’en étant noir ou issu d’une minorité il faut que l’on soit visible, que l’on serve. Le chemin est long vers un monde plus juste, et on a peut-être aussi le devoir de rendre le chemin ou le travail plus facile pour ceux qui viendront après nous.
L'Op éra de qu at 's ou s, Fe stival d'Ai x- en -P rove nc e, 20 23.
Qu ’est -ce qui a déclenché chez vous le désir de devenir comédien ?
En prenant la parole Ma couleur de peau, c’est comme une carte que je porte et qui m’identifie avant même que j’ouvre la bouche. J’aimerais que les générations à venir ne soient plus prises dans l’éternel débat de l’identité, qu’elles n’aient plus à vivre ce genre de choses, que ce ne soit plus une tannée de se balader dans la rue. Expliquer par exemple qu’étant très sombre de peau, lorsque j’ar rive quelque part, ça crée presque une faille spatio-temporelle où je sais que les gens se demandent : « Mais qu’est-ce qu’il fait là, celui-là ? » Dans les institutions administratives, on me voit entrer, et tout de suite, on me parle mal, alors que je n’ai encore rien dit, rien fait Je
Je ne suis pas sûr de pouvoir répondre à cette question, mais je sais que je me suis retrouvé là non pas par hasard, mais au gré de rencontres et de textes. Comme avec Blandine Savetier, metteuse en scène, qui m’a attiré vers sa classe préparatoire du théâtre de Mulhouse. Ou, au moment du premier tour du Théâtre national de Strasbourg, où j’ai vécu quelque chose de magique, comme un feu qui s’allumait d’un coup, alors que ça faisait cinq ans que rien n’avait réussi à m’animer Je présentais Malcolm X, de Mohamed Rouabhi, un manifeste pour la liberté et l’égalité, écrit sous forme de monologue et ponctué de chants créés par des rappeurs de la banlieue parisienne. Soudain, je retournais à ces choses de la vie qui vous donnent envie de fouiller, encore et encore Les livres comptent -ils pour vous ?
Lu crèc e Borgi a, de Victo r Hu go par Den is Po dal yd ès, La Co médie -Fra nçai se, 20 23 -2 024.
J’ai été un en fa nt très triste et j’ai eu l’impression de grandir seul, comme une espèce d’étranger dans ma propre maison Comme je n’avais rien d’autre à faire, j’empruntais des livres à la bibliothèque. Le premier qui m’a marqué, c’est Le Lion, de Joseph Kessel Je suis tombé dessus dans le couloir d’une association strasbourgeoise où on allait faire nos devoirs. Il était là, dans une caisse remplie de livres : une édition très ancienne, avec la tête du lion dessinée, des pages cornées, déchirées et jaunies. Je l’ai ramené chez moi, mais j’étais encore tout petit et je n’ai rien compris. Quatre ans plus tard, en sixième, je l’ai relu. Et là, je suis entré dans l’histoire C’est l’un des premiers moments où je me suis rendu compte que je grandissais intellectuellement, que je me formais, que le cerveau prenait sa place. J’adore le début du livre, où le narrateur se réveille, avec ce petit singe dans sa chambre. Il ouvre ensuite la fenêtre et il voit le soleil qui se lève, les animaux paisibles. J’aime l’histoire de cet homme dans une réserve au Kenya, pris dans une histoire encore plus grande, une histoire de toute l’éternité.
Dans ce récit, il y a aussi l’amitié de la fillette et du lion…
Oui, et cela me rappelle un souvenir de ma toute petite enfance au Ghana. Celui d’une tort ue que j’avais et qui est tombée dans le feu. Je me rappelle avoir joué avec elle, être sorti, puis être revenu et l’avoir retrouvée dans les flammes du foyer. Je n’ai pas voulu demander à mes parents si cela était réellement arrivé, car j’avais peur de casser le my the. Peut-être n’y a-t-il jamais eu de tortue, ni de feu. Et la pièce dans laquelle je me trouvais me paraît beaucoup trop sombre pour être une pièce du vrai monde. Mais toutes ces bribes de souvenirs sont
« Le comédien est un miroir de la société et de la condition humaine, traversé par une force invisible, capable d’orienter la pensée et la vie des spectateurs. »
un peu la seule chose qui me relie à cette enfance-là. Un peu comme si cette tortue avait été ma meilleure amie, ou qu’elle l’était devenue, par le souvenir Quelque chose de vivant à quoi me raccrocher. Cette image très forte de la tort ue me fait penser à une forme de résilience, comme dans Le Lièvre et la Tort ue, de Jean de La Fontaine La capacité à toujours avancer. Quoi qu’il en coûte. Et c’est ce que je fais. Dans la vie comme sur scène ■ comedie-francaise.fr/f r/ar ti ste/sef a-yebo ah
ie n
Plasticien ivoirien emblématique et engagé, il s’immerge dans
son environnement,
dans les communautés, pour capter les
mutations de son pays. Et transmettre. propos recueillis par As tr id Kr iv ian
Son ar t est un moyen de saisir des phénomè ne s so ci au x et d’apporter de s réponses au x problématiques contempora ines, nota mment en matière de repères identitaires et de transmission mémorielle Saint-Étienne Yeanzi, plasticien, penseur et professeur des beauxar ts ivoirien, puise son inspiration dans la société ; il affûte son œil observateur en s’immergeant au cœur de s communautés, en s’imprég na nt de leur quot idien, pour capter au plus près, de l’intérieu r, les ef fervescences, les mutation s d’un pays Af fichant un pointillisme qui lui est propre, ses œuv res mêlent différentes techniques et matériaux, dont la peinture, et surtout sa marque de fabrique : le plastique fondu à partir de sacs usagés, transformant un fléau environnemental et un objet familier en outil créatif. Tandis qu’il est mû par sa volonté de constituer une mémoire collective, son esthé-
tique convoque des éléments graphiques issus de l’Ég ypte antique, de traditions ancestrales, et des personnages historiques emblématiques comme guides pour éclairer le présent. Sa récente exposition à la Galerie Farah Fakhri d’Abidja n, « Pa ndore », prend à rebours le my the de la célèbre boîte et délivre, à la place des maux, des propositions constr uctives face aux défis actuels. Né à Katiola, en 1988, Yeanzi dessine depuis l’enfance, nourri par les bandes dessinées et les livres d’ar t transmis par son père Portraitiste de rue à l’adolescence, il suit sa scolarité au lycée d’enseignement ar tistique de Cocody, puis ét udie à l’école des beau x-ar ts d’Abidjan, d’où il sort major de promotion en 2012. Depuis, son travail a été exposé dans le monde entier, des États-Unis à l’Af rique du Sud, en passant par le Maroc ou les Biennales de Venise et de Dakar. Rencontre avec un être engagé, qui croit profondément au rôle nécessaire et salutaire qu’un ar tiste peut et doit jouer dans une société, auprès des consciences.
AM : Quelles ont été vos inspirations pour cette nouvelle exposition, « Pandore » ?
Yean zi : Après avoir mené une ét ude sur la société ivoi rien ne, et plus la rgement celles d’Afrique de l’Ouest, j’ai identifié des problématiques de développement, notamment autour de la question de l’identité et de la transmission mémoriel le Cette génération ex trêmement jeune – la moyenne d’âge en Côte d’Ivoire est de 21 ans, et l’on retrouve cette jeunesse dans la plupart des pays du continent – fait face à des défis en matière d’éducation, de repères identita ires Il m’i mpor ta it de proposer un arsena l de réponses à ces problématiques à travers mon projet, « Pandore ». En plus de cette exposition, un mémorial sera réalisé dans les rues d’Abidjan sous peu, et une série de conférences seront orga nisées da ns les écoles et universités du pays Elles porteront sur l’intérêt d’utiliser la culture comme un support de développement. Face à l’urgence identitaire et mémorielle, nous devons constr uire un nouveau patrimoine culturel et l’introduire dans les habitudes de cette jeune société, des leaders de demain. Ils en ont besoin. Quelle forme ce mémorial prendra -t-il ?
Vé rita ble pi èc e maî tres se de l’ex positi on , ce ta ble au nous invite à pe nser le mo nd e à traver s le pr i sm e de l’Histoi re et de l’alté rité
desquelles les humains interagissent entre eux, créent le déclic chez moi.
Il sera décliné sous la forme d’un pant héon. Il est très important de constr uire cette mémoire en s’appuya nt sur l’histoire Cette génération a besoin de modèles. Nous allons extraire de l’histoire de ces pays toutes les personnalités qui ont contribué à l’émancipation, au développement, à l’évolution des sociétés Sur des murs, avec des matériaux mixtes, des supports modernes, contemporains – peinture, plastique, graffiti, etc. –, nous les immortaliserons. Ce sera une création participative, ouverte, je serai accompagné par d’autres personnes. En tant qu’artistes, nous devons aider au développement de notre société ; c’est mon engagement depuis mes débuts, il y a une dizaine d’années. Il s’agit ainsi de sortir l’art des musées pour investir l’espace public ?
C’est tout l’enjeu, car on ne peut pas espérer toucher des millions de personnes en exposant dans les galeries. En occupant les lieux publics, on contribue, on porte une volonté de rendre accessible cette production au maximum de personnes, on l’offre en partage.
Comment se déroulent vos recherches auprès de vos concitoyens ?
J’effectue une immersion en société, au sein des différents quar tiers d’Abidjan. J’ai besoin de cohabiter avec les gens, de les rencontrer, d’échanger. Leurs émotions au quotidien façonnent mon envie de créer. La société est mon carburant. Un match de foot, un bal poussière dans un quartier… Toutes ces atmosphères bouillonnantes, pleines d’actions, au cours
Quelle est cette carence de repères que vous identifiez auprès de la jeunesse ? En avez-vous manqué également à leur âge ?
Mon père était professeur de philosophie J’ai donc grandi dans cette discipline, en étant très proche du milieu universitaire. Connaître l’histoire et ses personnages marquants, lire des choses sur d’autres sociétés, ça a été très bénéfique pour moi. Ça m’a aidé à faire face aux problèmes rencontrés dans ma carrière, dans mon art, ça a guidé mon cursus universitaire. Aujourd’hui, en Côte d’Ivoire, le taux d’analphabétisme est de 47 %. Et cette jeune génération épouse, s’approprie maladroitement toutes les influences culturelles venues d’ailleurs, parce qu’elle ne sait pas à quoi se raccrocher Nous faisons face à un problème de mémoire collective. Les fondations sont très fragiles. En tant qu’historien, je veux essayer d’éduquer, de communiquer par les arts visuels, à travers une démarche pédagogique. Nous devons aussi puiser nos revendications identitaires dans le passé, constituer un réser voir de connaissances, convoquer des ar tistes, des figures, des personnalités historiques qui ont laissé un héritage intéressant. La culture peut-elle et doit- elle jouer un rôle dans le développement d’un pays ?
Complètement. Pour construire une société moderne, les pays doivent adopter des politiques culturelles fortes, af firmées, à travers une vraie volonté C’est une évidence Les pays africains devraient se doter de programmes ou de supports adaptés à leur réalité et à leurs revendications identitaires. La culture est nécessaire pour un peuple, aussi dans sa ren-
« Pa nd ore » s’inte rrog e su r le s di fférente s probl ématiques (é du ca tives , ide ntitaires, etc.) qui fre in ent le d éve loppem ent de la so ci été
cont re avec les autres Pour ne pas disparaître da ns cette rencontre avec l’autre, nous devons mener des politiques qui préser vent, afin d’être des contributeurs forts, d’être suffisamment audibles Il faut composer avec nos héritages divers Il ne s’agit pas de balayer du revers de la main une histoire, des faits, des influences, mais d’ajuster, de structurer au mieux notre identité, et se réapproprier notre mémoire. Pour l’instant, sur le continent, on fait face à une amnésie collective très importante.
À travers votre exposition, prenez-vous le contre -pied du my the de la boîte de Pandore ? Au lieu de déverser ses fléaux, celle -ci apporte des réponses ? En effet, c’est l’allégorie la plus proche de mon intention. Pandore est ici une boîte qui contient cet espoir, ces solutions à nos problématiques. Dans une société en pleine mutation, comment canaliser toute cette ébullition et en tirer du positif pour ces jeunes, qui ont besoin d’une identité culturelle stable et forte ? La série exposée ici à la Galerie Farah Fakhri s’intitule « Écosystème » : elle met en lumière l’écosystème bouillonnant de ces sociétés, et de quelle manière celui-ci impacte mes person nages, leur épa nouissement, leur person nalité, leur cheminement. Certaines personnes digèrent cette ébullition sociale, avec tout son lot de divertissements, ses activités sportives, ses productions musicales intenses ; certains le vivent bien, d’autres subissent cette atmosphère chaotique, peinent à évoluer dans un tel contexte. Ainsi, mes personnages s’inscrivent sur des fonds neutres, des grilles colorées ; chacun, en fonction de son ressenti sur cet écosystème, de la façon dont ce dernier le transforme ou ne le touche pas, est teinté d’une couleur précise, adoptant certaines post ures – déchir ures, réf lexions, liberté absolue, zénitude
« En occupant les lieux publics, on contribue, on porte une volonté de rendre accessible cette production au maximum de personnes, on l’offre en partage. »
Quel message souhaitez-vous délivrer à travers votre tableau représentant un personnage en pleine lecture, le globe terrestre, tel un soleil, sur l’épaule ?
En fond, on y aperçoit entre autres les figures de Socrate, Alpha Blondy, Cheikh Anta Diop… C’est la pièce maîtresse de l’exposition. Avec le livre et le globe terrestre sur l’épaule de mon personnage, cette œuv re est une invitation à penser notre société, son développement, en tenant compte de l’Histoire, de ceux qui ont laissé des traces, des impacts. Il y a matière à réfléchir en tenant compte
de toute temporalité, et à penser un modèle de développement qui nous est propre Ce n’est pas en nous privant de la connaissance des apports d’autres sociétés que l’on pourra produire un programme d’ajustement culturel Nous devons tenir compte de tout ce qui peut aider à construire un système efficace. Qu ’avez-vous à cœur de transmettre aux élèves des beaux- arts, où vous enseignez ?
L’une de mes motivations premières à devenir enseignant était d’amener la jeune génération d’ar tistes à prendre une place plus importante dans leur société. La concept ion de l’ar t tel qu’il est consom mé aujourd’hui et le rôle at tribué au x ar tistes sont trop accessoires. La société se développe, mais les plasticiens n’y prennent pas forcément part Ils sont dans des galeries, des musées, et la communauté ne profite pas de leur contribution, de leurs œuvres. Il ne s’agit pas de meubler, mais d’avoir un impact, d’apporter une contribution importante aux grandes décisions prises dans l’évolution du monde social. Ainsi, la formation que je leur donne vise à leur faire prendre conscience du rôle qu’un artiste peut jouer. Au-delà de l’aspect esthétique, de la production du beau, leurs œuvres peuvent contribuer véritablement à la critique, aux observations sociales, aux grands débats publics. Il faut qu’ils s’invitent avec un travail artistique puissant, fort, par ce processus enchanteur. À l’or igine, ces élèves viennent ét udier par passion, mais celle-ci peut aussi devenir un outil puissant d’aide au développement. Ainsi, dans mon enseignement, je m’appuie sur le rôle qu’a pu jouer Imhotep, vizir du roi, père de l’architecture des py ramides ég yptiennes. Avec ce sacerdoce de la pratique artistique, on peut dépasser ce rôle accessoire, secondaire, et devenir un pilier fondamental d’une société, de son évolution et – pourquoi pas ? – d’une civilisation en devenir. Chaque génération d’artistes a mené ses propres batailles. Je suis très respectueux de leurs productions. Il est plus que jamais nécessaire pour un artiste d’être engagé. Pourquoi ne leur a-t-on pas enseigné tout ça plus tôt ?
Comment est née votre passion pour les arts plastiques ?
Comme la plupart des artistes, j’ai commencé très tôt la pratique du dessin, à environ six ou sept ans. J’ai grandi avec cette passion. Mon père me ramenait des bandes dessinées, des livres d’art qui m’inspiraient, et je dessinais sans cesse. J’ai vécu de nombreux traumatismes, des situations difficiles, liées aux crises politico-militaires et aux coups d’État menés précédem ment da ns mon pays En 20 03, nous avons été contraints de quitter notre foyer de Katiola, près de Bouaké. Nous sommes devenus déplacés de guer re. C’était très dur pour moi de faire face à ma société. Les ar ts m’ont permis de me soigner, de me réparer, de me créer un univers où je me sentais en sécurité. J’ai utilisé cette pratique comme une thérapie personnelle. De quelle manière l’apprentissage des codes esthétiques, de l’académisme, a-t- il changé votre approche de l’art ?
L’ar ti ste s’ins pi re du c aractè re bouil lo nna nt de l a soc iété pour crée r.
J’ai eu deux vies artistiques. J’ai d’abord été portraitiste de rue à l’adolescence. Puis, étudier aux beaux-arts a complètement changé, bousculé ma vision Découv rir l’histoire de l’art, son apport pour l’humanité depuis ces 27 000 années, a été un choc. Ça m’a complètement transformé intellectuellement, et construit le socle de l’artiste et penseur que je suis Cette quête de connaissances m’a enrichi. Si tu veux comprendre ta société, il faut savoir ce qu’il s’est passé ailleurs – en Amérique, en Asie, au Moyen- Or ient, etc. De Raphaël à Rembrandt, de Michel-A nge aux stat uaires af ricaines, les créateurs ont accompagné l’humanité dans son devenir. Je me suis alors demandé ce que je pouvais faire de cet art, de ce talent, en lien avec mes engagements pour la société. Je voulais que ma démarche, que mon propos comptent. Apprendre les codes a donc tout changé Mon cheval de bataille, c’est l’éducation Un talent sans éducation ne vaut pas grand-chose, il reste accessoire. J’ai été marqué par certains de mes professeurs, comme Pascal Konan, par un artiste comme Bruce Clarke – notamment son travail sur le génocide des Tutsi au Rwanda. L’art baroque, à travers Rembrandt ou Le Caravage, m’a également beaucoup touché, ainsi que la civilisation ég yptienne – ses hiéroglyphes, pictogrammes, idéogrammes, ses py ramides, etc. – et le pop art d’Andy Warhol. Je suis un condensé d’influences multiples et diverses
Vous avez montré vos œuvres dans le monde entier : Venise, New York… Qu ’est-ce que cela vous a apporté ?
C’est certainement l’expérience la plus enrichissante que j’ai vécue. En tant qu’artiste, si tu ne confrontes pas ton travail, tes idées à d’autres sociétés, influences, sensibilités, tu ne pour ras jamais savoir ce qu’il vaut. Sans ces rencontres avec l’autre, cette démultiplication d’expériences humaines, je ne serais pas l’être que je suis Cela m’a surtout appris la résilience ; j’ai compris qu’elle était l’urgence dans mon pays. Mais chaque société doit livrer ses propres combats, affronter ses propres démons. Et il faut de la force, de la patience, de la sagesse pour construire avec le temps, sans brutaliser. En quoi exposer sur le continent est- il important pour vous ?
J’y ai mes sources, mes bases, mes premières influences ; ce sont mes repères Aussi loin que je peux dériver – car la rencontre avec l’autre peut facilement nous absorber, nous consumer –, revenir en Af rique, c’est toujours revenir à la source. Ça me permet de ne jamais oublier d’où je viens, de me remettre les idées en place quand je suis un peu perdu.
Comment avez-vous vu évoluer la scène de l’art contemporain africain depuis vos débuts, il y a douze ans ?
Les ar tistes af ricains sont devenus visibles et audibles. Avant, peu de plateformes leur permettaient de montrer leur travail. Il n’y avait pas de marché légitime, à proprement parler, pour leur of fr ir une reconnaissance. Aujourd’hui, on a par exemple la Foire d’art contemporain 1-54, à Marrakech, Paris, Londres, New York. C’est devenu la ruée vers l’or, depuis quelque temps. C’est bénéfique pour les artistes du continent, qui sont vraiment créatifs, qui ont des idées pertinentes. Quels sont les besoins des artistes en Côte d’Ivoire ?
Il faut une plateforme culturelle solide, efficace, qui leur permette de s’exprimer Il conv ient déjà de renforcer l’éducation : miser sur leur formation, pour qu’ils deviennent des professionnels dans un secteur en plein boom, porteur d’avenir, est la nécessité absolue. Un créateur bien formé peut aisément fonder des conditions de travail efficaces et montrer aux pouvoirs publics, à la communauté, qu’ils peuvent s’appuyer sur lui. Le domaine de l’art contemporain, dans son état actuel, est très récent, et cette jeune génération d’artistes doit bien comprendre le fonctionnement du marché, qui sont les collectionneurs, etc. Faire tourner la création artistique autour du génie créateur, de l’aspect onirique, c’est intéressant, mais face à l’urgence, à la nécessité, à l’état du monde, ce n’est pas suffisant Il faut se réinventer. On peut se passer d’un phénomène de mode, si l’art ne contribue pas à sa communauté. Plus qu ’à la réussite individuelle, vous croyez à la force du succès collectif ?
Oui. Le succès collectif a toujours plus d’impact sur le long terme que celui d’un seul individu. Il a des chances d’êt re péren ne Il devient un vrai projet, et non pas un heureu x
« Les ar ts m’ont permis de me soigner, de me réparer, de me créer un univers où je me sentais en sécurité.
Une vraie thérapie personnelle. »
hasard ou un coup de chance. Rêver seul, ça reste du rêve. Or, à plusieurs, on peut en faire une réalité. Plus on est nombreux, plus on est audibles. Je crois au succès collectif, à la réussite d’une génération. Les mouvements artistiques se sont construits ainsi. Si Claude Monet avait été seul, je ne crois pas que l’impressionnisme serait devenu ce qu’il est. C’était une école de pensée, un engagement, une volonté de révolutionner la peinture, de véhiculer leurs idées, d’avoir une influence sur la sensibilité de leurs contemporains.
Avez-vous ce désir de réinventer des formes, d’expérimenter des techniques ?
L’idée de s’acharner sur des techniques pour se faire valoir ou s’affirmer ne m’a jamais intéressé. Je respecte la démarche de ceux qui le font Mais pour moi, les arts, le talent, sont juste des outils pour partager, mettre en lumière mes idées, mes réf lexions sur le monde. Je peux ainsi passer d’une technique à l’autre ; elles sont importantes, et je me suis formé afin d’en apprendre beaucoup. Mais ce qui prime dans ma démarche est de faire triompher les idées – qui surv ivent beaucoup mieux que les techniques, et ont un impact beaucoup plus conséquent.
Vous explorez , néanmoins, des techniques originales, comme la fonte du plastique…
Je l’utilise parce qu’elle suscite la curiosité, elle attire l’attention des gens. Cette originalité permet aussi d’être audible. Une fois que le public est là, il reçoit ainsi mon message. L’emploi du plastique fait sens, bien sûr, dans un monde où il est un immense polluant. Cela amène le sujet sur la table. C’est une manière créative de proposer une solution, la parade est intéressante. Ce n’est pas un matériau noble, il est proche des gens, on le retrouve dans tous les ménages aujourd’hui. Tout le monde s’y identifie, ce qui rend ma démarche universelle. ■
présenté par Zyad Limam
C’est le plus grand concours mondial de photojournalisme. Les prix 2024 ont été sélectionnés parmi plus de 61 000 images, présentées par 3 851 photographes venus de 130 pays. Le concours souligne à quel point la photographie de presse reste précieuse, figeant le moment, dans un monde bouleversé par la vitesse des réseaux sociaux et de la communication digitale. Des instantanés qui témoignent du courage, du talent et de l’empathie dont font preuve les photographes des quatre coins de notre planète. Qui reflètent notre humanité, le désespoir, la guerre, la violence. Mais aussi la persévérance, l’amour, l’espoir. Au-delà du choix du jury, l’objectif du World Press est de récompenser des travaux qui ont une dimension universelle, qui nous touchent tous et toutes, indépendamment de nos a priori et de nos différences. Le photographe palestinien Mohammed Salem a remporté le prix de la photo de l’année grâce à cette image qui a fait le tour du monde. Celle d’une petite fille tuée dans un bombardement à Gaza dans les bras de sa tante. Oui, nous sommes à Gaza. Nous pourrions être ailleurs. C’est la photo d’un drame sans fin, celui de l’innocence brisée dans la guerre. ■ worldpressphoto.org
WORLD PR ESS
PHOTO OF TH E YEAR . A Palestinian Woman Embrac es the Body of Her Niec e, Moha mmed Sa lem, Pa le st ine, Reuter s.
In as Abu Ma am ar (36 an s) berc e le corps de sa nièce Sa ly (5 an s), tuée avec qu at re autres membre s de la fa mi lle lors d’un ra id israél ien à Kh an Youni s, à Ga za , le 17 oc tobre 2023 Une im age forte, comme une sc ulpt ure fi gé e da ns le temps, sy mbole de la souf france inou ïe de s Ga zaou is Depu is le 7 oc tobre, la guer re a fa it plus de 36 000 mort s da ns l’enclave, dont de s mi llier s d’en fa nt s. Le photog raphe Moha mmed Sa lem est à su iv re su r In st ag ra m : @mohammedsalem85.
REGIONAL WI NN ER S - AF RICA . SI NGLE S. Returnin g Home From War, Vi ncent Ha iges, Al lema gne, Republik, Real 21. Ét hiopie Kibrom Berh ane (24 an s) sa lue sa mère pour la prem ière fois depui s qu’il a rejoint le s Forc es de défense du Ti gré, deux an s plus tôt. Il a perdu une ja mbe da ns cette guer re trag iq ue, dont on pa rle fi na lement si peu.
STORY OF TH E YEAR . Valim-babena, Lee-An n Olwa ge, Af rique du Sud, pour GEO. Un travail émouva nt au long cour s, sur l’ir rupt ion de la ma ladie ment ale, la démenc e, da ns une fa mi lle ma lgache. Une hi stoi re qu i illustre le pr incipe lo ca l du va li m-babe na, soit le devoir de s en fa nt s d’aider leu rs pa rent s.
REGIONAL WIN NERS - AF RICA . LONG-T ER M PROJ ECTS.
The Escape, Zied Ben Romd ha ne, Tu nisie, Ma gnum Photos.
En Tu ni sie, à Ga fsa, tout près de s mi ne s de phosph ate.
En oc tobre 2015, la rég ion est ma rq ué e pa r un chôm age de ma sse.
Le photog raphe ex plore su r plusieur s an né es, da ns un noi r et blanc sy mbol iq ue, ce s paysages post-révolution na ires, ceux , au ssi, ha bité s pa r une jeu ne sse tuni sien ne en quête de sen s et d’opport un ités
BLE MENT IONS - AF RICA .
Survivors, Arlette Bashi zi, RDC, The Wa shin gton Post. Le s femmes da ns l’ hor reur du combat Shi la (32 an s), mère de troi s en fa nt s, tena it un sa lon de coif fu re avant l’ar rivé e de troupe s ér yt hréennes da ns sa vi lle. Violée à plusieur s repr ises pend ant de s moi s, el le a donné na issa nc e à un petit ga rç on Se s autres en fa nt s ne savent pa s que leur mère a été ag re ssé e. Sh ila ne sa it pa s si , un jour, el le pour ra leur di re la vérité
REGIONAL WI NN ER S - NORT H AN D CENT RA L AM ER ICA. LONG-T ER M PROJ ECTS.
The Two Walls, Alejandro Cega rra, Venezuela , The New York Times/Bloom berg.
Au Mexique, face au mu r constr uit su r la frontière ét at s-un ienne… In spiré pa r sa propre ex périence, le photog raphe a qu it té son Venezuel a nata l en 2017 Il cherche à rend re compte de la situ at ion cr it iq ue de ce s commun auté s mi grante s, vu lnérable s, ma is ré si liente s, dé cidé es à s’en sort ir à tout pr ix
Interv iew
Gianluca Tonolo
Quel nouveau président pour la BA D ?
À Mada gasca r, la va ni lle da ns la tour mente
Le four sola ire pou rrait en f n déma rrer
Le Ga bon relativi se la dégradat ion de sa note
En la nçant une OPA su r le Sud-Af rica in propriét ai re de DStv et Show ma x, le groupe audiov isuel frança is va donner na issa nce à un mastodonte de 50 mi llions d’abon nés, dont 30 mi llions su r le cont inent. Une bonne nouvelle pour la production audiovisuelle africaine. par Cédric Gouverneur
Au lieu de gaspiller leur énergie dans une vaine conf rontation, deux rivaux ont plus à gagner en unissant leurs forces contre l’adversaire commun. Canal+ et MultiChoice, tous deux aux prises avec la concurrence des plateformes de streaming américaines, l’ont compris : le groupe audiov isuel français (26 millions d’abonnés, dont 8 millions dans 25 pays du continent) va opérer une offre publique d’achat sur le Sud-Af ricain, propriétaire du bouquet satellite DSt v (23 millions d’abonnés, dont 9 en Af rique du Sud, dans seize pays d’Af rique anglophone et lusophone) et de la plateforme de streaming Show max (1,8 million). La société contrôlée par la famille
Bolloré détenait déjà 43,5 % du capital de MultiChoice. Le groupe français propose le rachat de chaque action pour 125 rands (6,30 euros), ce qui devrait lui coûter environ 1,54 milliard d’euros – Canal+, qui en 2023 a franchi le seuil des 6 milliards d’euros de revenus, dispose d’une trésorerie suffisante. Selon Bloomberg, l’homme d’affaires sudaf ricain Patrice Motsepe, patron de la Confédération af ricaine de football (C AN), serait « en discussion » avec Canal+ pour s’associer à son offre. Un collège d’exper ts désignés par MultiChoice pour évaluer l’offre française l’a jugée début juin « raisonnable », Canal+ entendant maintenir la cotation du groupe à la Bourse de Johannesburg (JSE).
La procédure de rachat devra toutefois attendre les autorisations étatiques sud-af ricaines. La presse nationale salue ce mariage, notant l’opulence de la dot française : le groupe Vivendi, maison mère de Canal+, possède « des éditeurs, Universal Music, des jeux vidéo, des parts dans la téléphonie mobile, etc. En faire partie peut ainsi constituer un énorme bonus pour MultiChoice, qui est en train d’effectuer sa transition, aussi rapidement que ses petites pattes peuvent le porter, d’un bouquet de chaînes satellite à un serv ice de streaming », écrit Tim Cohen dans The Daily Maverick, soulignant les possibilités de sy nergies. Ray Mahlaka, toujours dans le même journal, observe que « certains
La pla te -for me de stre am ing Sh ow max concur re nc e Netf lix en Af riqu e dep ui s fi n 20 23.
actionnaires voient [cette OPA] comme une bénédiction et une opportunité afin de se débarrasser de leur investissement dans MultiChoice », dont l’action a chuté de 22 % ces derniers mois Il ajoute que cette alliance « devrait booster le business de l’audiov isuel dans beaucoup de pays af ricains, en Af rique du Sud, au Nigeria, au Sénégal et au Cameroun ». Curieusement, nulle voix en Af rique du Sud ne semble s’inquiéter de la ligne éditoriale ultraconservatrice des médias français du groupe Bolloré, ni des conséquences que cet engagement politique pourrait avoir sur MultiChoice…
INVESTIR DANS LA PRODUCTION AUDIOVISUELLE MADE IN AFRICA « MultiChoice sera l’acquisition la plus ambitieuse de l’histoire de Canal+ », s’enthousiasme, de son côté, Maxime Saada, président du directoire du groupe audiov isuel dans une récente interv iew au journal français Le Figaro, anticipant la création d’« un formidable ensemble avec une base mondiale d’abonnés proche de 50 millions, dont 30 en Af rique ».
Une « consolidation » qui permettra à Canal+ d’investir davantage dans la production de contenus, en amor tissant ses investissements sur une base d’abonnés plus étendue.
Canal+ consacrant 3,5 milliards d’euros à la production, et MultiChoice 1,2 milliard, les investissements du groupe dans les contenus – séries et films – pourraient atteindre en 2026 les 5 milliards d’euros. « L’Af rique offre de grandes perspectives, avec des histoires riches et variées, des talents nombreux », a précisé Ma xime Saada. Les investissements de Canal+ dans les productions made in Af rica lui ont permis de capter de nouveaux clients au sein de la classe moyenne af ricaine. Le groupe français est actionnaire majoritaire de trois sociétés de production af ricaines (Plan A en Côte d’Ivoire, Roh Studios au Nigeria et Zacu Entertainment au Rwanda) et possède également des parts dans
Le marché de la télévision payante est en déclin partout dans le monde… sauf en Afrique !
L’o pé ra teur au diovi su el sud -a frica in est le lea der du dive rtiss em ent su r le contin ent.
le sénégalais Marodi TV. MultiChoice et Canal+ ont récemment coproduit Spinners, une série en huit épisodes sur les tow nships du Cap. Historiquement, l’Af rique est au cœur de l’essor du tentaculaire groupe fondé par Vincent Bolloré, omniprésent dans la logistique et les infrastr uctures portuaires du continent. Selon Franceinfo, la justice française entend demander un procès contre l’industriel breton, mis en examen depuis 2018 pour des soupçons de corruption au Togo et en Guinée Dans la stratégie de développement de Canal+, le continent prend une place de plus en plus importante : avec 8 millions d’abonnés, un tiers de sa clientèle s’y trouve déjà, contre un quart (6 millions) il y a à peine cinq ans. En 2028, Canal+ devrait compter 11 millions d’abonnés en Af rique, contre 1,6 seulement en 2014 ! Face à la concurrence des plateformes de streaming et de vidéo à la demande (VoD), le marché de la télévision payante est en déclin partout dans le monde… sauf en Af rique, où il parv ient à résister
Selon le cabinet spécialisé Digital TV Research, les recettes de la télévision payante devraient se situer à 6,5 milliards de dollars en 2028, contre 5 milliards en 2022 Quant au nombre d’abonnés, il devrait croître, et passer de 41 millions en 2022 à 57 millions en 2028
AUX PL ATES -FORMES DE STREAMING ÉTATS- UNIENNES
Canal+ ambitionne de prendre également le contrôle de la plateforme de streaming hongkongaise Viu, qui compte 13 millions d’abonnés en
Asie du Sud-Est, et dont il détient déjà 30 % du capital. Grâce à MultiChoice et Viu, Canal+ pourrait fin 2026 compter plus de 60 millions d’abonnés à travers le globe. Par cette politique d’expansion, le groupe français cherche à rivaliser avec les mastodontes américains du streaming et de la VoD : Netf lix (260 millions d’abonnés dans le monde), Amazon Prime (200 millions) et Disney+ (150 millions) La concurrence est rude : en Af rique, selon un rappor t de l’agence Ecofin Pro, ces plateformes pourraient connaître une croissance de 125 % en six ans, en passant de 8 millions d’abonnés en 2023 à 18 millions en 2029 ! Face au streaming, Canal+ comme MultiChoice tentent d’adapter leurs offres : Canal+ a transformé MyCanal, sa plateforme de replay, en une appli proposant de la VoD, du streaming et de la télévision sur Internet (IPT V) MultiChoice a ainsi investi dans la plateforme de streaming Show ma x :
« En proposant davantage de contenu local af ricain, le groupe a décidé de lutter contre la concurrence étrangère par sa connaissance de la demande continentale », souligne le rapport d’Ecof in Pro. Ce ne serait cependant « pas suffisant pour résister aux assauts des plateformes de streaming », le modèle de télévision payante demeurant plus coûteux, pour les abonnés, que celui des plateformes de streaming Dans cette bataille, l’arme tarifaire sera bel et bien cr uciale : en l’espace de six mois, DStv, le bouquet satellite de MultiChoice, a perdu 400 000 abonnés au sein de ses offres « premium » – les plus chères… Mais à l’inverse, Show max est passé devant Netf lix fin 2023, avec 1,8 million d’abonnés en Af rique, contre 1,6 pour la plateforme américaine ■
LA COMPAGNIE
ÉM IR ATIE DP WO RLD INVESTIR A 3 MILLIAR DS DE DOLL AR S DANS LES PORTS DU CONTINENT CES TROIS À CINQ PROCHAINES AN NÉES.
10 0 000 BARI L S PAR JOUR
seront ex traits de Sangomar, premier site pétrolier sénégalais exploité depuis juin par la firme australienne Woodside Energy.
44 milliards de dollars : le coût pour l’Éthiopie de la guerre du Tigré (novembre 2020 -novembre 2022).
183 mi llia rd s de do l la rs an nu el s : les besoins pour l’éducation des enfants africains, selon l’UNICEF.
LE FM I ES TI ME LA CR OI SSAN CE DE L’AF RI QUE SU BSAHAR IE NNE
PO UR 20 24 À 3,8 % (3 ,4 % EN 20 23).
750 mi llions de dollars : le montant du prem ier eu robond obtenu pa r le Sénéga l depu is l’alternance d’av ri l.
En Afrique subsaharienne, 80 % des foyers cuisinent encore au bois et au charbon de bois, ce qui entraîne des résultats catastrophiques sur la santé, les émissions carbone et la déforestation. Réunis mi-mai à Paris par l’Agence internationale de l’énergie (AIE), des donateurs publics et privés ont promis 2,2 milliards de dollars, sur les 4 milliards nécessaires, afin de résoudre le problème d’ici 2030. Expert de l’AIE, Gianluca Tonolo répond à nos questions. propos recueillis par Cédric Gouverneur
AM : Quelles conséquences ont les cuisines au bois et au charbon de bois ?
Gianluca Tonolo : Les conséquences de la cuisine au bois de chauffage et au charbon de bois représentent la deuxième cause de décès prématurés sur le continent, avant même le paludisme. De plus, c’est l’une des principales causes du rejet du « carbone noir », issu d’une combustion inachevée : il a une brève durée de vie dans l’atmosphère, mais un potentiel de réchauffement climatique très élevé. L’accès universel à une cuisine
propre d’ici 2030 pourrait donc permettre d’économiser jusqu’à 1,5 gigatonne d’équivalent CO2, en totalisant les émissions de méthane (et autres gaz à effets de serre) dues à la combustion imparfaite, plus la déforestation due à la récolte non durable de bois de chauffage. C’est comparable à une année d’émissions de l’av iation et du transport maritime ! Mais les impacts négatifs vont bien au-delà de la santé, de la déforestation et du climat Quels sont les impacts économiques et sociaux ?
En matière de qualité de vie, les femmes y consacrent beaucoup de temps : ramasser du bois de chauffage, allumer le feu et cuisiner dans des fourneaux traditionnels prennent des heures, voire une demi-journée. Et souvent, ce temps augmente à cause de la déforestation, qui les conduit à marcher toujours plus loin pour trouver du bois de chauffage. En Ouganda, les forêts se trouvent désormais principalement dans le nord du pays Tout ce temps pourrait être utilisé pour d’autres activités : travailler, sociabiliser, s’éduquer, se reposer, etc. Les avantages d’une cuisine propre sont donc multiples Considérer tous ces impacts donne une perspective plus large pour le développement, l’autonomisation et les questions de genre. Comment expliquer la persistance de ce mode de cuisson, malgré ses dommages ?
Le rythme de la croissance démographique est plus rapide que celui de la mise en œuv re des programmes de cuisson propre. Beaucoup de gens ne peuvent pas vraiment se permettre de cuisiner proprement : les familles rurales et pauv res qui collectent du bois de chauffage ne paient rien pour cela, elles ne perçoivent tout simplement pas les avantages à long terme qu’elles pourraient tirer de l’achat d’un poêle et/ou de combustibles modernes, qu’elles ne connaissent pas ! De nombreux efforts sont déployés en matière de campagnes de sensibilisation. Par exemple, la distribution de livres de recettes de
plats nationaux spécifiques, à cuisiner avec cette technologie, afin de surmonter les barrières culturelles. Quelles alternatives se présentent ?
Le gaz GPL (gaz de pétrole liquéfié), l’électricité (lorsqu’elle est disponible, compte tenu du fait que 600 millions d’Africains n’y ont pas accès, et que beaucoup d’autres n’ont accès qu’à une alimentation électrique limitée ou peu fiable), le bioéthanol, le biogaz… Les cuisinières à bois améliorées constituent également une solution intermédiaire, qui réduit considérablement la consommation de bois et de charbon. Le biogaz est principalement destiné aux agriculteurs, qui peuvent le produire avec un « biodigesteur », et même revendre l’engrais produit au cours du processus !
En Inde, Sistema.bio, une entreprise mexicaine de biogaz, travaille avec des coopératives laitières. Au Kenya, Koko Networks réduit les coûts pour les utilisateurs, qui peuvent recharger des bouteilles de bioéthanol dans les magasins locaux. En Afrique du Sud, les gens peuvent recharger seulement une fraction de leurs bidons de GPL dans les stations-ser vice, ce qui supprime l’obstacle du paiement pour une bouteille entière, plus chère. Quel est le coût pour les populations ?
« Les crédits-carbone, même s’ils suscitent certaines critiques, ont un potentiel pour l’accès à une cuisine propre, notamment dans la réduction des coûts d’accès. »
La cuisine propre peut être très sensible aux prix des carburants et de l’énergie. Le problème fondamental est que les gens ne sont parfois pas en mesure de payer le combustible pour cuisiner proprement. De nombreux programmes fournissant des fourneaux gratuits ont échoué, car les familles n’étaient plus en mesure de payer le combustible Généraliser l’accès à la cuisson propre ne saurait se limiter au financement des investissements en capital dans les infrastructures et les équipements de cuisson, qui représenteraient environ 4 milliards de dollars par an en Afrique pour résoudre le problème d’ici 2030. Il conv ient également de s’attaquer au coût du combustible utilisé – ce qui représente une dizaine de milliards de dollars par an en Afrique.
Comment financer l’acquisition de ces modes de cuisson propre ?
Des subventions étatiques pour déployer l’usage du gaz GPL peuvent être nécessaires : les incitations gouvernementales en faveur des personnes les plus pauv res pour qu’elles adoptent une cuisine propre ont donné de bons résultats en Inde et en Indonésie. Mais les gouvernements peuvent avoir d’autres priorités budgétaires, et la baisse des subventions a pu conduire les gens à revenir aux fourneaux traditionnels, faute de moyens. Le développement de la cuisson propre nécessite donc un financement externe, à la fois public et privé. Or, les investissements et la planification énergétique doivent viser une croissance à long terme, en intégrant la cuisine propre dans des plans et programmes énergétiques et de développement plus larges Tout en apportant un soutien financier pour l’acquisition de combustibles et de fourneaux, et en sensibilisant aux impacts du charbon de bois et aux avantages de la cuisine propre, il faut développer les infrastructures électriques et soutenir la création de nouvelles entreprises rurales. Il conv ient de penser sur le long terme, en développant l’accès à l’électricité, les infrastructures et les réseaux, afin de permettre aux entreprises de croître et aux familles de sortir de la pauv reté Le problème réside toutefois dans la difficulté d’atteindre certaines zones rurales, où les coûts opérationnels sont élevés. Les entreprises préfèrent se concentrer sur les endroits, souvent urbains ou périurbains, où il est plus facile de travailler et où les familles peuvent plus aisément payer pour des produits Pour cela, les investissements directs étrangers (IDE) et les donateurs sont indispensables Se focaliser sur les familles les plus pauv res implique des efforts de la part des institutions financières, telles que la Banque mondiale, la BA D, les ONG, mais aussi les marchés du carbone. Les crédits-carbone, même s’ils suscitent certaines critiques, ont un potentiel pour l’accès à une cuisine propre, notamment dans la réduction des coûts d’accès. Cela implique d’utiliser correctement ces crédits. Nous travaillons sur ce point, car il existe une demande croissante de crédits de haute qualité, avec un meilleur suiv i et une meilleure méthodologie d’évaluation ■
Le si ège de l a BA D, à Abidja n.
Abbas Mahamat Tolli, ex-patron de la BEAC, est le premier candidat déclaré pour succéder à Akinwumi Adesina, dont le second mandat s’achèvera en août 2025.
La Banque af ricaine de développement (BAD) et sa consœur panaméricaine la Banque interaméricaine de développement (BID) ont salué le feu vert du Fonds monétaire international (FMI) pour l’utilisation par les États membres de leurs « droits de tirage spéciaux » (DTS), af in d’acquérir des outils de financement émis par les banques multilatérales de développement (BMD). La BA D et la BID estiment que cette décision leur permettra de ma ximiser l’impact des DTS, et de
prêter « jusqu’à quatre fois leur valeur » en projets sociaux et climatiques. Face à l’urgence climatique et aux objectifs de développement durable, « la communauté internationale dispose désormais d’une approche innovante, permettant de mobiliser des financements au développement sans que cela ne coûte au contribuable, c’est le ty pe de solution dont nous avons besoin », estime Ak inwumi Adesina, président de la BA D. Cette concession du FMI est un succès pour le patron nigérian de la banque, aux commandes depuis 2015,
dont le second mandat s’achèvera l’an prochain – et qui, dit-on, aurait envisagé de rester aux commandes.
UN CANDIDAT TCHADIEN À LA TÊTE DE L’INSTITUTION FINANCIÈRE ?
La BA D, qui a tenu fin mai à Nairobi sa 59e assemblée générale, commence à lui chercher un successeur. Une règle tacite veut que la présidence tourne : le futur président ne pourrait donc pas être ouest-africain. Le Tchadien Abbas Mahamat Tolli, 52 ans, qui vient de quitter la tête de la Banque des États
de l’Af rique centrale (BEAC), est le premier candidat déclaré. Onze États de l’Af rique centrale lui ont apporté en mars leur soutien : les six pays de la zone BE AC (Tchad, République centrafricaine, Cameroun, Congo, Gabon, Guinée équatoriale), ainsi que la RDC, l’Angola, le Rwanda, le Burundi et Sao Tomé-et-Principe Or, il devra trouver d’autres appuis, l’expérience démontrant que le soutien régional ne saurait suffire : en 2015, son compatriote Kordjé Bédoumra, ex-v ice-président de la BA D, avait échoué à succéder au Rwandais Donald Kaberuka. Et il ne sera certainement pas le seul candidat La bataille sera rude Lorsque, en 1958, les présidents Kwame Nk rumah (Ghana), Sékou Touré (Guinée) et William Tubman (Liberia) ont lancé l’idée de la BA D, créée en 1963 et qui a tenu sa première session l’année suivante à Lagos, ils en avaient réservé l’actionnariat aux États af ricains indépendants Dans les années 1980, il a été ouvert au monde entier : elle compte désormais 81 États membres, dont 27 non af ricains (Europe, États-Unis, Asie et pays du Golfe). Et les actionnaires non régionaux pèsent lourd dans le processus de sélection d’un nouveau président. Félicitée par les sévères agences de notation américaines pour sa « gestion robuste » et récompensée dès 1984 par la cote « AAA », la BA D facilite par ses prêts la mise en place de la Zone de libre-échange continentale af ricaine (ZLECA f) et l’accélération de la transition énergétique La mission première de son prochain président sera de répondre aux défis imposés par l’accélération du choc climatique. Verdit attendu aux Assemblées annuelles, qui auront lieu à Abidjan fin mai 2025 ■
La
gousse, comme d’autres cultures à forte valeur
ajoutée africaines, pâtit du changement climatique.
En raison du cyclone Gamane, qui a frappé l’île et ravagé la moitié des cultures de gousses de vanille fin mars, le Groupement des exportateurs de vanille de Madagascar (GEV M) s’attend à ce que la production malgache stagne à 1 000 tonnes cette année, contre 2 000 à 2 700 tonnes en moyenne. Le prix au kilo, qui tourne actuellement autour de 60 dollars, devrait donc augmenter. Le président du GEVM, Georges Geeraerts, anticipe un retour à la normale pour 2025, du fait des stocks constitués en 2023. La situation des 80 000 producteurs malgaches s’avère compliquée depuis la fin de l’encadrement des prix : entre 2020 et mai 2023, les autorités avaient fixé un prix de vente à l’export à 250 dollars le kilo, avant de renoncer en raison du contournement
de cette régulation sur un marché parallèle où s’écoulait jusqu’à 80 % de la production. Le marché de la vanille, à l’instar de celui des autres cultures d’exportation à forte valeur ajoutée du continent implantées pendant la colonisation (cacao, café, thé, etc.), se voit fortement impacté par les phénomènes météorologiques, exacerbés du fait du changement climatique (sécheresses et inondations).
La gousse est également concurrencée par la vanilline de synthèse. Début juin, s’est tenu à La Réunion un congrès international de la vanille, afin d’entamer une réf lexion sur l’avenir du secteur, qui « souffre de crises récurrentes et manque de recherche dédiée », selon le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). ■
Ce di sp os it if pour ra it bie n incarn er l’avenir d e l a cu isson p ro pre su r le contin ent.
Il est l’alternative idéale au polluant charbon de bois, et les obstacles financiers et techniques à l’avènement de cette technologie sont en passe d’être surmontés.
Avec en moyenne
3 000 heures
d’ensoleillement par an, l’Afrique dispose à prof usion d’une énergie apte à remplacer la cuisson au bois et au charbon de bois, dont les impacts sur le climat, la déforestation et la santé sont catastrophiques [lire l’interview de Gianluca Tonolo sur la cuisson propre]. Un four solaire comprend des réflecteurs qui concentrent les rayons du soleil en un point focal, et atteint 200 à 300 degrés en environ 45 minutes. « La seule technologie
sur terre qui permette aux usagers d’utiliser gratuitement une énergie propre et inépuisable, sans coût additionnel ou caché », s’enthousiasme sur son site le fabricant sud-africain SunFire, l’un des leaders du secteur. En Inde, le gouvernement fait depuis 2023 la promotion des fours solaires, avec pour objectif de sauver 50 millions de tonnes de CO2 par an.
Au Sahel, chaque mètre carré exposé au soleil reçoit entre 4 à 6 kilowatts/heure par jour. L’usage des fours solaires demeure cependant marginal sur le continent, où 80 %
des foyers continuent de cuisiner au bois ou au charbon. Un four solaire peut pourtant sauvegarder l’équivalent d’une tonne de bois par an, et de 2 à 4 tonnes d’émissions de CO2…
Malgré la prof usion de fabricants, occidentaux et chinois, le soutien d’ONG et l’implication des autorités – notamment au Tchad –, force est de constater que ces solutions, élaborées dès les années 1980, ne décollent pas. Le principal obstacle à
la généralisation de ces technologies demeure le coût d’acquisition du four, prohibitif pour de nombreux ménages africains, ainsi que le temps de préchauffage. Mais le problème réside également dans la nature intermittente et imprév isible de l’énergie solaire. Et, bien entendu, dans l’impossibilité de cuisiner après la tombée de la nuit. Une solution serait de stocker la chaleur produite en journée dans une batterie qui pourrait être utilisée le soir. Des techniciens planchent sur ce problème : en Ouganda, le chercheur Jimmy Chaciga de l’université de Makerere, en collaboration avec l’université norvégienne NTNU, a mis au point un réservoir d’huile chauffé par énergie solaire et isolé pour un usage ultérieur.
Du fait de l’amélioration des performances et de la baisse des coûts de l’énergie solaire, le marché du four solaire est voué à décoller : selon le cabinet Mordor Intelligence, il pourrait croître de 7 % par an ces prochaines années. Un récent rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), rendu public lors du Sommet pour la cuisson propre organisé à Paris le 14 mai dernier, estime que, grâce à la « rapide baisse des prix », il ne faut plus désormais que « deux à quatre ans » pour amortir l’achat d’un four.
Le rapport des Nations unies estime que les crédits-carbone, critiqués par les ONG notamment pour leur manque de transparence, « disposent du potentiel pour générer une finance climatique » sur le marché des fours solaires. Ses auteurs en appellent à « forger de nouveaux partenariats avec le secteur privé et les institutions financières », afin de généraliser l’usage de ce mode de cuisson. ■ DR
Le régime de transition, qui veut rassurer ses partenaires commerciaux, conteste l’estimation du montant de sa dette.
Le ministre gabonais de l’Économie et des Participations, Mays Mouissi, s’est expliqué mi-juin au sujet de la récente dégradation de la note souveraine du pays par Moody’s : l’agence de notation américaine venait, en effet, de faire passer le pays de « Caa1 négatif » à « Caa2 stable », invoquant des « risques budgétaires » et des « risques de pertes pour les créanciers du secteur privé dans les années à venir », dus à « une situation budgétaire plus faible qu’annoncée initialement », adossée « à une politique budgétaire expansionniste » depuis le coup d’État du 30 août 2023. Le ministère de l’Économie conteste ainsi « le champ d’analyse de Moody’s », qui se base sur une dette souveraine estimée à 70,5 %, selon l’approche étendue du Fonds monétaire international (FMI). Mais les autorités gabonaises l’évaluent quant à elles à 58,2 %, invoquant le « lourd héritage », ainsi que « l’opacité budgétaire » du régime précédent. Le président de transition, le général Brice Oligui Nguema, avait effectué fin mai une visite officielle en France, afin de rassurer les investisseurs, de même que les défenseurs de l’environnement – le Gabon, dont le territoire est couvert à 88 % de forêts, est le premier État au monde rémunéré pour leur protection. Le régime de transition se targue de mettre en œuvre une politique de « patriotisme économique », laquelle fait grincer des dents en Occident : il avait fait valoir son droit de préemption afin de racheter la compagnie pétrolière nationale Assala, à la surprise – et au grand dam – des sociétés française Maurel & Prom et américaine Carlyle. ■
Et
si
vous prof it iezdecemomentpou rprend re soin de vous, de vot re corpsfat ig ué,devot re moral en berne? Ma is at tent ion,
DÉTENT EN EV EU TPAS DI RE EXCÈS
LA SA ISON ESTI VA LE estidéalepourrecharger sesbatteries et retrouverlesourire.Engénéral, nous arrivons en vacancesfatigués, parfoisépuisés psychologiquement. Réflexe: en profiter au maximum. Résultat :onmange sans restriction, on boit trop de boissons sucréesoualcoolisées, on se couche tard…Ou, au contraire, on se lancedansdes activitésàoutrance. Tout cela est déconseillépourune remiseenforme durable. En vacances,l’organismeabesoindegarder sesrepères, sous peinedevoirsurgirune fatigue paradoxale àlarentrée.Évitezles longues grasses matinées,etsuccombez plutôt au plaisird’une sieste de 20 à30minutes –avant 15 heures,depréférence. Lespremiersjours,ilfaudraitsemettre« sur pause».Celanesignifie pasdenerienfaire, mais de goûter sans contrainte àlajoie d’être en congés. Pour vous déconnecter de la frénésie du quotidien et du stress, soufflez,profitezdechaqueinstant en pleine conscience. Coupez lesportables et baladez-vous dans la nature ou surla plage: respirez,soyez attentif auxsons, aux couleurs,aux sensations dans votrecorps.
Chacun trouvera la parenthèsequi luiconvient pour se ressourcer.Lebénéfice: cela éloignela fatigue, ox ygènelecer veau et apportedelasérénité
C’estunmomentoùnousavons le temps et la possibilitédemangersainement. Exit lesproduits transformés,grasousucrés! Lesétals regorgentde produits frais–légumes,aromates, fruits,poissons,
etc. –, quivousincitentàpréparer desmetslégers pour fairele pleindenutrimentsessentielsàune santé de fer. Lessalades composéessont parfaitessielles associentféculents,légumineuses, légumes cuits, crudités (enexcès,ces dernièrespeuvent causer des ballonnementsdésagréables) et protéines (volaille, poisson, etc.). Très importantégalement :limitez le grignotageetpréparezdejoliesassiettes colorées, carprendre plaisiràmangerfaitdubien. Ainsi, vous écoutezvotre faim et pouvez jugerdevotre satiété. Celapermetde régulerson poidsdurablement,et incite àmangeréquilibré! Bien sûr, rien ne vous interdit desécartsgourmands de tempsàautre.
Aprèsune annéesédentaire, lesvacancessont l’occasion de bougerdavantage.L’activité physique entraîne la production d’endorphines,qui déclenchent un bien-être àlafoisphysiqueetpsychologique. Vous retrouverezunsommeil réparateur,pour uneremiseenforme rapide. Côté santé, cela réduitlerisquedemaladies cardiovasculaires et de cancers, soulageles douleurs,renforceles os. Vous n’êtes passportif ?Aucun problème :àportée de tous,marcher apporteaussi cesbienfaits.Tous lesjours,avancer d’un bonpas pendantaumoins 30 minutes, de préférence d’affilée, estrecommandé. Et en congés, il estfaciledefairemieux.Plusvous bougerez, plus vous en ressentirezles bienfaits ! Quelle quesoitvotre condition physique,lePilates est àdécouvrir :les exercices,penséspourêtredoux, permettent de se remettreenmouvement.Cette méthodetonifie,connectelecorps et l’esprit,etfait du bienaumental. Fautedecours àproximité,vous Pa ge sd iri
trouverez des séances en ligne. Vous pouvez également essayer le stretching ou le yoga. Dans la nature, partez en rando ou à vélo. Si vous souhaitez déloger assez vite un ou deux kilos, adoptez le fractionné, en alternant pics d’intensité et phases de récupération active pour que le corps puise dans ses réserves Par exemple, enchaînez marche rapide et marche plus tranquille ; quelques accélérations à vélo, avant de reprendre la promenade Enfin, pour continuer à bouger à la rentrée, pensez aux cours collectifs, qui permettent de rester motivé !
Attention aux piqûres de guêpe, abeille ou frelon, qui provoquent une réaction locale avec gonf lement, rougeur et douleur. Pour inactiver le venin, l’air chaud d’un sèche-cheveux ou de l’eau chaude pendant une minute peuvent aider. S’il y a un dard, retirez-le en glissant le bord non tranchant d’un couteau à la surface de la peau Nettoyez la piqûre à l’eau et au savon. Prenez si besoin un antihistaminique pour diminuer l’inflammation, et du paracétamol contre la douleur. En cas de piqûre dans la bouche ou la gorge, il est conseillé de sucer un glaçon, mais surtout de consulter rapidement. Les piqûres de méduses sont douloureuses : sensation de décharge électrique et de brûlure, vives démangeaisons. Rincez à l’eau de mer (l’eau douce libérerait davantage de venin), mettez du sable sur la plaie, puis raclez-le avec un carton rigide ou une carte pour retirer les filaments urticants. Rincez de nouveau à l’eau de mer. Enfin, désinfectez et appliquez une crème anti-inf lammatoire. En homéopathie, Cantharis 5 CH est particulièrement efficace. Méfiez-vous également des fortes chaleurs : il conv ient d’év iter de sortir aux heures les plus torrides et de boire au moins 1,5 à 2 litres d’eau par jour Priv ilégiez les vêtements amples de couleur claire, en coton ou en lin – des fibres qui laissent la sueur s’évaporer Se rafraîchir avec un brumisateur ou des douches non glacées est également utile. ■ Annick Beaucousin
POUR LA PREMIÈRE FOIS, une étude publiée dans le prestigieux New England Journal of Medicine démontre l’impact sur la santé cardiovasculaire des par ticules de micro et nanoplastiques (des composés microscopiques issus de la dégradation de ce matériau) Ces microparticules ont été retrouvées sur la paroi des ar tères carotides – qui font af fluer le sang jusqu’au cerveau – chez 60 % des 257 sujets opérés Par la suite, un suivi sur trois ans a révélé que les personnes ayant des particules de plastique dans leurs vaisseaux présentaient un risque multiplié par quatre d’être victime d’un infarctus ou d’un accident vasculaire cérébral, comparativement aux sujets indemnes. Le lien de cause à ef fet n’est pas connu pour l’heure, l’une des hypothèses évoquées étant cependant un état d’inflammation délétère Les microplastiques constituent une préoccupation croissante pour les professionnels de santé : d’infimes particules ont, en ef fet, été retrouvées dans d’autres organes (poumons, rate, foie, reins) Nous en ingérerions environ 5 grammes par semaine ! S’il est impossible de se prémunir contre ce polluant dans notre environnement, cela doit vraiment nous inciter à titre individuel à en limiter l’usage quotidien – par exemple, en troquant les bouteilles d’eau en plastique contre une gourde, en préférant des récipients en verre pour conserver les aliments ou pour les chauffer au micro-ondes, en réduisant l’utilisation de films d’emballage… ■ A. B.
Da ns son ém ission télévisée Garba
Choco, LE COMÉDI EN ET COMIQU E
IVOIRI EN croq ue à sa sauce l’actualité, avec son hu mour ir résistible et sa bonne hu meur. propos recu eillis par Astrid Krivian
1 Votre objet fétiche ?
Aucun. Mes porte-bonheur, ce sont mes enfants.
Ils m’encouragent à me battre, m’apportent la chance
2 Votre voyage favori ?
Dans mon village de Ziplignan, dans la région du Gôh, en Côte d’Ivoire. Je retrouve la grande famille, la chaleur humaine, l’ar t de la plaisanterie, la sincérité.
3 Le dernier voyage que vous avez fait ?
Au Congo-Brazzaville, pour un festival d’humour.
4 Ce que vous emportez toujou rs avec vous ?
Le rire, la bonne humeur, même dans les moments tristes. Dès le réveil, après ma prière, j’ai le sourire.
5 Un morceau de musique ?
Tous les morceaux de zouglou, un genre ivoirien. J’aime les musiques de revendication, d’éveil des consciences.
6 Un livre su r une île déserte ?
La Bible. Or phelin de père et de mère, ma foi chrétienne est d’un vrai secours
7 Un film inou bliable ?
La série de films Le Gendarme, Funès, mon acteur préféré !
8 Votre mot favori ?
« Que Dieu me pardonne » Je le je me trompe, quand je me moqu de quelqu’un ou d’une situation
9 Prodig ue ou économe ?
Je ne peux pas être économe. Mo c’est aussi pour la grande famil
Je suis content d’aider. Quand tu tu reçois. C’est la loi du karma
10 De jour ou de nuit ?
Les deux Le soir, j’écris mes sket dans mon petit studio d’enregistrement.
Les esprits se lèvent la nuit, comme on dit chez nous C’est le moment pour l’inspiration.
11 X, Facebook, W hatsApp, coup de f il ou lettre ?
WhatsApp, c’est rapide. Ma fille m’a poussé à utiliser les réseaux sociaux pour mon métier.
Mais ça rend paresseux, ça n’incite pas à réf léchir Ou les gens les utilisent mal.
12 Votre tr uc pour penser à autre chose, tout ou blier ?
Écouter de la musique ou regarder une comédie.
13 Votre extravagance favorite ?
Je n’en ai pas. Quand tu es un homme populaire, il faut faire très attention, car tu deviens un modèle, le miroir d’une société.
14 Ce que vous rêviez d’être quand vous étiez en fant ?
Je voulais passer à la télé À l’époque, nos leçons d’école y étaient aussi diff usées.
Je suis un enfant du petit écran.
15 La dernière rencontre qui vous a marqué ?
Le regretté comédien ivoirien Wintin Wintin Pierre. Il jouait brillamment avec le quiproquo.
16 Ce à quoi vous êtes incapable de résister ?
Le pop-corn !
17 Votre plus beau souvenir ?
La naissance de ma fille aînée
18 L’endroit où vous aimeriez vivre ? calme, us belle d’amou r ? le jour de notre m’a demandé de dire t oui ! [Rires.]
vous aimeriez que de vous au siècle ais un bon papa, un n grand-père, un bon comédien qui a porté le rire dans les cœurs. ■
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