60 % des Africains ont moins de 25 ans et sont nés à l’ère des réseaux sociaux. La Gen Z, trop souvent contrainte au chômage ou à l’exil, prend conscience de sa puissance. Avec une interview de la star ivoirienne DIDI B.
YES WE KAM ! KAMALA HARRIS
s’engage dans la lut te contre Donald Trump.
Et pourrait devenir la première femme présidente des États- Unis.
DE L’ART À VENISE
Et un entretien sans tabou avec Bonaventure Ndikung.
AMADOU ET MARIAM
Rencontre avec un couple iconique et musical.
ET AUSSI :
Faïza Guène et Mati Diop
LA FRANCE, AUSSI, A DE L’AVENIR
Au moment où ces lignes sont écrites, et on croise les doigts pour que cela perdure, la France vit des Jeux olympiques hors normes. Malgré le négativisme et les prédictions catastrophistes des uns, les récriminations idéologiques des autres, de ceux qui défendent une France « authentique » – qui n’existe d’ailleurs plus –, le pays accueille le monde avec classe Et ef ficacité. La cé ré monie d’ou ve rt ure a glo ba le me nt marqu é les es prits, y compris avec ses « provo cations ». Il y avait de l’ambition, de l’audace, du talent, une mixité authentique des identités, avec la performance d’Aya Nakamura et celle de Céline Dion Et s’il y a eu débat, c’ était au ssi un si gne de vi ta lité et de dé mo cratie, chacun ayant sa liberté d’appréciation. Depuis, le public est là, la foule vibre et chante, les décors sont magnifiques, les transports fonctionnent, et même la Seine, malgré les caprices de la météo, est baignable (un chantier titanesque, et pour tant objet de railleries bien faciles…). L’af faire dépasse la politique. Ce ne so nt pas le s Je ux d’Em ma nu el Ma cron , ou ce ux du gouvernement. Derrière les images, il y a un État fo nctio nn el, de s mi ll ie rs de p er so nn es im pliq ué es dans l’organisation, la préparation, la sécurité, des vo lontaires, des ar tistes, du public, des spo rtifs, il y a une France par ticulière, iconoclaste, inclassable, créative, enthousiaste.
L’idée n’ est pas de défe ndre la Franc e à tout prix. Ou i, le pay s fa it fa ce à un e cris e mu ltiform e, politique, avec une absence de majorité et la montée de s ex tr êm es , un e cr is e dé mocr at iqu e av ec un besoin de renouvellement des institutions, une crise financière avec des déficits publics abyssaux. Oui, la France n’est plus une grande nation impériale (ça fait longtemps, d’ailleurs, depuis la Seconde Guerre mo ndi al e, le s dé fa ites su cc essi ve s en I nd oc hi ne, en Al gé ri e…). Ou i, la Fr an ce es t re de ve nu e un e puissanc e interm édiaire et elle a du mal – comme d’autres, et non des moindres – à redéfinir un corpus dipl om ati qu e op ér at io nn el Ou i, co mm e to ut e l’Europe riche, la France a du mal à se couer cette gangu e de conformisme et d’embourg eoisement, elle a du mal à changer, à optimiser, à entrer de plainpied dans l’avenir Oui, enfin, les fractures sociales et
identitaires pèsent lourdement, entre les centres et les périphéries, entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas, entre ceux qui sont en prise avec le monde qui vient et ceux qui se sentent à la fois enracinés, délaissés et dépassés. Fractures, aussi, entre les Français dits « de souche », les nouveaux Français, les descendants d’immigrés, les Français musulmans, ceux des cités et ceux des centres-villes… Oui, il y a de la pauvreté, du ra cis me, de la so litu de, une pe rte d’ef f i c acité de s se rv ic es pu bl ic s, mai s ri en no n pl us de pl us spectaculaire que dans les grands pays voisins.
La théorie du déclassement et celle de la paupérisation alimentent surtout le discours politique. C’est plus efficace de jouer sur l’anxiété que de souligner les vérités positives Avec près de 70 millions d’habitants, la France reste la septième puissance économique du mond e (m algr é la mon té e en pu is sa nc e de s grands pays émergents) Elle est, au cœur de l’Union européenne, l’espace le plus riche et le plus protecteur du globe. Elle se modernise plus vite qu’on ne le croit, en s’appuyant à la fois sur de grandes entreprises de rang mondial, mais aussi sur un tissu de star t- up de pointe, sur les acteurs du futur. La French Tech est une réalité, avec l’émergence de licornes comme Mistral, l’un des leaders mondiaux de l’IA Paris, sous l’ef fet des JO, connaît une métamorphose rare, avec de nouvelles infrastructures, l’intégration programmée entre la ville et ses banlieues Le pays s’adapte plus rapidement que ses voisins au changement climatiqu e. L’immigration, source de tensions, fait par tie aussi des richesses du pays dans tous les domaines : le business, le spor t, l’ar t… Et la France peut s’appuyer sur une culture et une créativité foisonnantes, c’est une véritable puissance soft, qui peut rivaliser avec les États-Unis. Sans parler de son ar t de vivre. Contrairement au paysage atomisé que décrit une classe politique dépassée et enkystée dans des modèles dépassés, la France est un pays singulier, et qui a de l’avenir Il manque certainement quelques hommes et quelques femmes politiques de bonne vo lon té , capab le s de dé pas se r le s fr on ti èr es idéologiques éculées, pour enclencher un nouveau cercle vertueux ■
3 ÉDITO
La France, aussi, a de l’aven ir par Zyad Limam
6 ON EN PARLE
C’EST DE L’A RT, DE LA CU LT UR E, DE LA MODE ET DU DESIGN En trois temps
26 PA RCOURS
Siân Pottok par Astr id Kr ivian
29 C’EST COMMENT ? Faites vos jeux ! par Emmanuelle Pontié
56 DOCUMEN T
Katanga : quand la Françafr iq ue et l’OAS faisaient la guer re à l’ON U… par Cédr ic Gouver neur
68 CE QU E J’AI APPRIS Zora Snake par Astr id Kr ivian
112 VI VR E MIEUX
Digestion diffcile, votre corps réag it par Annick Beaucousin
114 VINGT QU ESTIONS À… Rakidd par Astr id Kr ivian
TEMPS FORTS
30 La révolution jeune par Cédr ic Gouver neur
38 Didi B : « Donnez-vous les chances de réussir ! » par Jihane Zorkot
42 Hippolyte Fofack : « Tenir compte de notre plus bel atout » par Cédr ic Gouver neur
46 Zied Boussen : « Une génération individualiste » par Fr ida Dahmani
48 Yes We Kam ! par Cédr ic Gouver neur
70 L’A fr iq ue à Venise par Catherine Faye et Zyad Limam
78 Bonavent ure Soh Bejeng Ndikung : « L’ar t ne peut êt re que politique » par Zyad Limam
84 Faïza Guène : « Je refuse l’élitisme associé à l’écritu re » par Astr id Kr ivian
90 Amadou et Mariam : « Prendre la vie telle qu’elle est » par Sophie Rosemont
96 Mati Diop : « À travers mes flms, je réhabilite ma dimension africaine » par Astr id Kr ivian
Afrique Magazine est interd it de diffusion en Algér ie depuis mai 2018. Une décision sa ns aucu ne just ifcation. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lect ure) à exercer une mesure de censure d’un autre temps. Le maintien de cette interd iction pénalise nos lecteu rs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos am is algér iens peuvent nous retrouver su r notre site Internet : www.afriquemagazine.com
C’est ma in te na nt , et c’est de l’ar t, de la cu ltu re , de la mo de , du de si gn et du vo ya ge
Asto n, Le Vo ili er du te mp s, Co ll ecti on Galeri e Va ll ois, 2016
ÉV ÉN EM EN T
« RÉVÉLATION !
ART CONTEMPORAIN DU BÉNIN », Conciergerie de Paris, Paris (France), du 4 octobre 2024 au 5 janvier 2025 paris -conciergerie.fr
EN TROIS TEMPS
DU DI VI N AU TERR ESTR E, en passant pa r la royauté, l’ar t contempora in béninois s’ex pose à Pa ris.
PLUS D’UNE CENTAINE d’œuvres, certaines inédites Une quarantaine d’artistes, parmi lesquels figurent Ishola Akpo, Moufouli Bello et Chloé Quenum – trois plasticiens qui représentent le pavillon du Bénin à la 60e Biennale d’art contemporain de Venise, cette année. Cette exposition itinérante, qui s’installe bientôt au cœur du palais royal de la Cité – siège du pouvoir capétien, faisant écho aux palais royaux de l’ancien Danxomé –, souligne combien l’inspiration et l’originalité des artistes contemporains du Bénin et de sa diaspora trouvent leur ancrage dans la tradition et l’histoire du pays Présentée initialement au palais de la Marina à Cotonou en 2022, puis au musée Mohammed VI à Rabat au Maroc et à la Fondation Clément en Martinique en 2023, cette mise en lumière a été l’occasion de révéler l’art classique du Bénin et les vingt-six trésors royaux restitués par la France Et surtout de réaffirmer la dy namique engagée par la République du Bénin dans la valorisation et l’inscription dans les circuits internationaux de sa création contemporaine. L’événement montre, dans un premier temps, la métamorphose des déesses et des
dieux qui animent le culte vodun, puis la puissance et la gloire terrestre des reines et des rois d’Abomey restés dans les mémoires, avant de s’intéresser aux femmes et aux hommes qui vivent et qui luttent aujourd’hui dans un monde globalisé. À travers une diversité de médiums et de supports, « Révélation ! » – titre d’exposition prometteur –, vient en préfiguration du futur musée d’Art contemporain de Cotonou (M ACC). ■ Catherine Faye
Sofia, Iraw, Moufou li Be llo, Collectio n par ti cul iè re 20 24
17E FESTIVAL DU FILM
FR ANCOPHON E D’ANGOULÊME (France), du 27 août au 1er septem bre
ANGOULÊME: HONNEUR AU MAROC
La cité desValoisaccueille chaq ue an néeles amateu rs de ci néma francophone. Et cette fois,oncélèbre le PATR IMOI NE MA ROCA IN.
TR EMPLIN du succès avantchaquerentrée,leFestivaldufilm francophoned’A ngoulêmedérouleson tapisrouge au Maroc cette année. Avec en avant-première Radia,deuxièmelong-métragede la journalisteetcinéasteK haoula AssebabBenomar,et Ever ybody LovesTouda,que NabilAyouchavait présenté àCannes [A M453] et quisera en salles en décembreauMaroc et en France. Deux autres filmsdu cinéaste – Much Loved (2015) et AliZaoua,prince de la rue (2000) –sont égalementauprogrammed’une rétrospective patrimonialequi présentera le tout premierfilm 100% marocain – Le Fils maudit (1958),deMohamed Osfour –, un docu-fiction très engagé et longtempsclandestindeMostafa Derkaoui– De quelques événementssanssignification (1974) –et desfilmsplusrécents comme Adam (2019) de Maryam Touzani, égalementmembredujur yprésidé parK ristin ScottThomas. filmfrancophone.fr ■ Jean -Marie Chazeau
SO UN DS
Àécouter maintenant !
MauvaisŒil
Pr em ière Esca le,Virg in /Universal.
Ilsaimentautantl’icône françaiseCharles Aznavour queladivaalgérienneWarda Al-Jazairia.Et ça s’entend dans ce nouvel EP qui, avant un albumannoncé pour 2025, rappelle l’amourdelaMéditerranéeque partagentSarah et Alexis,formant le duo MauvaisŒil.Letimbresuave de la première estser vi parladextérité musicale du second, forméauConservatoire.Entre popf renchy et raï, on ne résistepas longtemps àleurs chansons,aussisolaires quesalavatrices.
Ah medMalek
Mu si qu eori gi nal ed e f lm s, volu me 3,H abibiFunk
Quedev iendrait-onsans Habibi Funk,cefabuleux labelexhumantdes bijoux de la musiquepop (ausenslarge)orientale ? Huit ansaprès avoirsorti le premiervolet desmusiquescomposéespar l’artiste algérien AhmedMalek (1931-2008)pour le cinéma,voiciunsecondopustoutaussi réjouissant,àlariche instrumentation nourriedemélodiesentêtantes. Et,tout logiquement,promptaux récits imagés…
Nala Si neph ro
En dl essn ess,War p. Sort ie le 6septembre.
Depuis sonpremier album studio Space1.8,paru en 2021,la(bonne) réputation de cette jeunejazzwoman cruciale de la nouvelle scènebritannique ne fait quecroître.Et ce deuxièmealbum, Endlessness,confirme sontalent. Enregistrés entreLondres et le Brésil, bénéficiantdel’apportde musiciensissus de formations de référence, commeSonsofKemet ou KOKOROKO,ces dixmorceauxdejazzambient richement orchestrés sont maîtrisésdeboutenbout parNalaSinephro. ■ Sophie Rosemont
FUIR L’ENFER DU FOUET
Une épopée de résistance au temps de l’esclavage. En fi n un grand fi lm en France su r ce cr ime cont re l’ hu ma nité. IN ÉDIT ET TR AGIQUE.
APRÈS HOL LY WOOD, avec Amistad (1997), de Steven Spielberg, Django Unchained (2012), de Quentin Tarantino, ou 12 Years a Slave (2013), de Steve McQueen, la France af fronte enfin son passé esclavag iste dans une production ambitieuse. Un thème très peu abordé par le cinéma hexagonal, en dehors de Ca se départ (2011), comédie déca lée et cont roversée de Lionel Steketee, Fabr ice Éboué et Thomas Ng ijol, ou du plus conf identiel Le Pa ssage du milieu (1999), du Martiniquais Guy Deslauriers. C’est un Franco -Béninois, scénariste à succès (Boîte noire lui a valu une nomination au x César en 2022), qui relève le défi haut la main Simon Moutaïrou, avec d’importants moyens et une vraie caution scient if ique (v ia la Fondat ion pour la mémoire de l’esclavage) raconte une histoire, située en 1759 sous le joug colonial français, du point de vue de deux esclaves. Il mont re ainsi ce qu’était le marron nage, ou comment ces Af ricains déracinés et ex ploités sous le fouet pour récolter la canne à sucre et serv ir leurs maît res ont trouvé les moyens de résister par la fuite dans la forêt, où ils ont reconstit ué une société para llèle avec toute la force spir it uelle de leurs croyances. Le film ne se déroule pas au x
Antilles, mais dans l’océan Indien, sur l’isle de France (aujourd’hui Maur ice), où de très nombreu x Sénégalais ont des ancêtres – sans parfois le savoir. Tour né en grande partie sur les lieu x mêmes d’une révolte d’esclaves au XV IIIe siècle (ce qui ajoute à l’aura mystique qui nimbe souvent les images et la bande-son), le film est porté par des comédiens impression nants, à commencer par Ibra hima Mbaye (g rand acteur du théâtre sénégalais) dans le rôle du père qui a appr is la lang ue et la cult ure des esclavag istes français, et qui va tenter de protéger sa fille menacée de viol, incarnée par l’incandescente An na Diak here Thiandoum. Côté Blancs, Benoît Magimel joue les planteurs paternalistes, mais appliquant à la lett re l’impitoyable Code noir de Colber t, et Camille Cott in est une magnétique chasseresse d’esclaves à cheval, personnage moderne et cr uel que l’on pour rait croire anac hronique s’il n’avait réellement ex isté ! Ce film, nécessaire, embarque le spectateur dans une fuite en avant spectaculaire et habitée, qui, au-delà de sa violence, participe à la réconciliat ion des mémoires ■ J.-M.C
NI CHAÎNES NI MAÎTRES (France), de Simon Moutaï rou. Avec Ibra hima Mbaye, An na Diak here Thiandoum, Ca mi lle Cott in En sa lles
MUS IQ UE
MESHELL NDEGEOCELLO Le feu sur sillons
Avec NO MORE WATE R, l’autr ice-composit rice et bassiste soul amér icai ne rend hommage à la verve littérai re et politique de JA MES BA LDWI N.
C’EST SUR SCÈNE qu’est né ce disque, en 2016, lors d’une performance collective à la gloire de James Baldwin (19241987) à laquelle participait Meshell Ndegeocello. Et qui l’a incitée à œuv rer de longues années sur ce magnifique album explorant la prose de l’écrivain américain. Ayant subi l’oppression dès son enfance passée dans la plus grande précarité à Harlem, celui-ci aura env isagé d’être pasteur avant de se consacrer à l’art, et uniquement à l’art, au sein de la scène new-yorkaise, puis sur les terres françaises, où il poussera son dernier soupir Entre-temps, Baldwin aura publié des livres cruciaux, dont la romance gay La Chambre de Giovanni (1956), ov ni assumé d’un corpus farouchement engagé où l’on trouve entre autres La Conversion (1953), Un aut re pays (1962) et La Prochaine Fois, le feu (1963). Sous forme de lettre à son neveu, il y déconstruit le schéma de violence imposé à la population noire américaine. Proche de Medgar Evers, Malcolm X et Martin Luther King, célébré par des 2Pac et Jay-Z, il est, cent ans après sa naissance, une icône de la cause noire. Et de Ndegeocello qui, après le succès de
son dernier album en date, The Omnichord Real Book, qui lui a valu un Grammy, s’est plongée corps et âme dans le propos de La Prochaine Fois, le feu « C’est comme s’il y était question de ma famille, particulièrement le premier chapitre, explique-t-elle dans la note d’intention du disque J’ai grandi entourée d’hommes noirs qui ne voulaient pas être vus comme doux, et c’est ce dont il parle dans la lettre à son neveu. »
Du baptême à la résurrection, décr yptant mille nuances émotionnelles, dont la colère et l’espoir, No More Water convoque le Black Power sur un terreau sonore hybride et savant, entre jazz, soul et spoken word. Le tout serv i par une équipe resserrée autour de l’autrice-compositrice, multiinstrumentiste et productrice : le guitariste Chris Bruce, la poétesse jamaïcaine Staceyann Chin, remarquée pour son recueil Crossf ire: A Litany for Survival, la chanteuse Kenita-Miller Hicks ou encore le saxophoniste Josh Johnson. Album foisonnant et activiste, No More Water: The Gospel of James Baldwin est l’un des manifestes sociaux les plus groovy qui nous a été proposé cette année. ■ S.R.
MESHELLNDEGEOCELLO, No More Water: TheG ospel of JamesBaldwin, Blue Note.Sor tiele2août. Les12et13novem bre au NewMor ni ng,Paris.
RÉ CI T
GAËL FAYE, Jacaranda, Grasset, 288pages, 20,90 €.
LA FORCE DESMOTS
L’auteur de Petitpays
REND LA PA ROLE au x dispar us et au xsilences du génocide tutsi.
APPELÉ également« flamboyant bleu », le jacaranda– titreduroman de Gaël Faye –estlesymbole de la sagesseetdelachance. De la renaissance,aussi. Il yadeuxans,le rappeur-chanteur-poète-écrivain livraitunEPde cinqtitres, nommé Mauve Jacaranda.L’arbre aux fleurs violettesqui tapissaitles rues de Bujumbura, au Burundi, où il agrandi, marquant et parfumant ainsi autant sa musiqueque sestextes. Dans son nouveaurécit,ilrevientsur l’histoire de sonpays àtravers le regard de Stella, uneRwandaise de douze ans, et de Milan, un jeuneFrançaismétis. «[…] l’indicible, ce n’estpas la violence du génocide,c’est la forcedes survivants àpoursuivre leur existencemalgrétout»,écrit-ildanscette ode àl’humanitéetàses paradoxes. En cetteannée de commémorationdugénocider wandais, l’histoire nationaleetfamiliale, surquatre générations, qu’ilnouscontevientouvrirlavoie au dialogue et au pardon ■ C.F.
ROM AN
CE QUI SUBS ISTE
Le cheminementintérieur d’une femmepourdireles années de guerre civile algérienne «DEHORS, je suis unemuette. J’utiliseàpeine quelques mots pour parler.Maisici, dans ma tête,entre toietmoi, desmotsse proposentpour presquetoutesles choses de ma mémoire. »Aube, jeune Algérienne,rêved’une greffe de voix.Les tragédiesqui ont marqué sonpays, notamment la guerre d’indépendance et la guerre civile desannées1990, sont rivées surson corpssous la formed’une cicatrice au cou, séquelled’une tentative d’égorgement.Ellecompte se servir de cettepreuve pour raviverune mémoire collective défaillante surcette
BA ND ED ES SI NÉ E LA BOUCLE ESTBOUCLÉE
Findes Cahiersd’Esther,par l’auteur de l’autobiographique Arabeduf utur
EN 2015, Le NouvelObs commande àR iadSattouf une page hebdomadaire, qu’il décide de consacrer aux aventuresd’une filled’amis, alorsécolière. GrandPrixdu Festival d’Angoulêmeen2023 pour l’ensemble de sonœuv re, l’auteur et réalisateursigne ici le derniertomedes péripéties d’Esther.L’enfantdedix ans, devenueado,puis majeure, est désormaisune jeunefemme prêteàselancerdanslav ie étudiante. Si,aufil des volumes, elle n’aeu de cesse d’observer sescongénères attentivement, dépeignant avec authenticité et drôlerie le
KAMELDAOUD, Houris, Gallimard, 416pages,23 €
périodemeurtrière. Mais, sonhistoire, elle ne peut la raconter qu’àlafillequ’elle porte dans sonventre. Elleserend alorsdansson villagenatal pour questionnerles morts, interrogeant sondroit de garder l’enfant àvenir.PrixGoncourt du premierroman en 2015 avec Meursault,contre-enquête, KamelDaoud signeunrécit politique, misenlumière par la dure condition de viedes femmes,maisaussileurpouvoir de résilience. ■ C.F.
RIAD SATTOUF, Les Cahiersd’Esther. Histoiresdemes 18 ans, Allary Éditions,56pages, 17,90 €
quotidien de la jeunesse contemporaine, elle nous émeut cettefoisavecses réf lexionssur la vie, lesorigines, l’amour… «Avez-vous parfoisl’impression de vivreaveclefantôme de vous-même? Parceque moi, oui»,amorce-t-elle en guise d’introduction.L’épilogue,lui, laisse songeur, avec quelques motsgriffonnéssur la dernière page :« Au loin, le futurqui nous attend (oupas). » ■ C.F.
DO CU ME NT AI RE
COMMENT RENDRE À CÉSAR…
OU RS D’OR à la Berl inale, ce fi lm de MATI DIOP donne à entend re les voix de trésors pi llés et ta rd ivement rendus au Bénin. Et celles des nouvel les générations qu i s’ interrogent su r ces rest it ut ions. Passionnant.
MATI DIOP dit avoir voulu faire un « documentaire fantastique ». Dahomey l’est à plus d’un titre… Sur le fond, la cinéaste réussit à faire comprendre les enjeux de la restitution par la France au Bénin, en novembre 2021, de 26 objets royaux pillés lors de l’invasion du Dahomey en 1892 On les voit à Paris mis en caisse au musée du quai Branly, puis accueillis en fanfare à Cotonou. Sur la forme, le recours à des images nocturnes et à une voix off futuriste donne vie à ces objets inanimés, qui ont donc bien une âme. Mais au-delà de ce transfert politique et poétique, la réalisatrice d’Atlantique (2019), son premier long-métrage, où des « revenants » hantaient déjà une fiction quasi documentaire, met en scène la réalité pour mieux la faire vivre. Elle a même organisé deux débats au sein de l’université d’Abomey Calavi : des étudiants y confrontent leurs points de vue sur ce passé longtemps
occulté, la façon de se le réapproprier, de se comporter face à ce premier pas timide, des milliers d’objets pillés en Afrique occupant toujours les vitrines et les réser ves des musées européens. La nouvelle génération découvre des pages de son histoire, et les questions qui se posent sont souvent vertigineuses : faut-il tout réclamer ? Comment gérer et protéger ces trésors une fois récupérés ? Le concept occidental de musée est-il adapté à l’Afrique ? Comment la population peut-elle se reconnecter à ces objets et ces œuv res ? Entre chaque séquence, les voix de ces trésors font entendre, traduits en fon ancien, les mots troublants de l’écrivain haïtien Makenzy Orcel sur des musiques du Béninois Wally Badarou et du Nigérian Dean Blunt. Fantastique. ■ J.-M.C DAHOMEY (Bén in-France-Sénégal), de Mati Diop. En sa lles
Ma nn mit Grün er We ste (H omme au gil et ve rt), Ma rwan Ka ssab Bac hi, dit Ma rwan, 1967
CÔTÉ PILE, CÔTÉ FACE
Un siècle d’ interact ions entre L’ART MODER NE AR ABE et Pa ris.
À TR AV ERS une sélection de plus de 200 œuvres de 130 plasticiens, pour la plupart jamais exposées en France, l’exposition met en lumière la relation des artistes arabes avec la capitale française, tout au long du XXe siècle. Peintures, sculptures et photographies, aux côtés d’archives sonores et audiov isuelles, racontent, à travers le prisme politique, une partie moins connue et non occidentale de l’histoire de l’art moderne, ainsi que des créateurs sous-représentés de la région. Parmi eux, Mahmoud Saïd, Amy Nimr, Fatma Arargi ou Jaber El Mahjoub, et des artistes plus connus à l’échelle internationale, comme la peintre algérienne Baya, révélée par André Breton, ou la Franco-Turque Nil Yalter, sacrée lors de la dernière Biennale de Venise. Présenté de manière chronologique, le parcours débute en 1908, année de l’arrivée du poète libanais Khalil Gibran à Paris, de l’ouverture de l’école des beaux-arts du Caire, mais aussi de la création d’une Société coloniale des artistes français Il se termine en 1988, avec la première exposition consacrée à des plasticiens contemporains arabes à l’Institut du monde arabe (IM A), inauguré quelques mois plus tôt Une exploration et un parti pris inédits. ■ C. F. « PRÉSENCES ARABES, ART MODERNE ET DÉCOLONISATION, PARIS 1908-1988 », Paris (France), jusqu’au 25 août 2024 mam.paris.fr
Sa ns pa ro le Anto in e Ma llia ra ki s, dit Ma yo 1946
Fe mm e en ro be orange et ch eval b leu, Ba ya , ve rs 1947
TÉ LÉ RÉ AL ITÉ
PROFESSEURE NAKAMURA
UN SHOW PA LPITAN T, qu i fa it rayonner le rap frança is.
ADAPTÉE du succès américain Rythm + Flow, la troisième saison du télécrochet français du rap est portée par le Marseillais SCH, seul membre du jury présent depuis le début, désormais entouré d’un autre rappeur, SDM, fils du producteur de Koffi Olomidé, et d’Aya Nakamura. Face à ces trois pros, défilent des jeunes (parmi lesquels beaucoup de femmes) de tous horizons, aux flows et aux looks plus ou moins originaux, qui doivent prouver leur talent pour empocher les 100 000 euros de la finale « L’amour du game, l’amour du gain », rappe l’un d’eux lors des auditions, qui voient apparaître d’autres célébrités des musiques urbaines, comme le pianiste Sofiane Pamart Même les noninitiés seront embarqués par ce show efficace Si Aya Nakamura admet ne pas s’être sentie légitime au début, « parce que les gens disent que je ne suis pas une rappeuse », elle est une prof à la fois bienveillante et délicieusement « bad bitch ». ■ J.-M.C
NOUVELLE ÉCOLE, SAISON 3 (France), avec SC H, Aya Na ka mu ra , SDM. Su r Net f ix
DE SS IN AN IMÉ LA CHINAFRIQUE À HAUTEUR D’ENFANT
UN PETI T PA NDA pa rt sauver son am ie dragon ne des gr iffes des lions de la sava ne. Un rapprochement des cont inents et des imag inai res rondement mené…
PETIT PA NDA EN AFRIQU E (FranceAllemagnePays-BasDanemark), de Richard Claus et Karsten Kiiler ich. En sa lles
CORÉA LISÉ par un néerlandais installé depuis longtemps en Afrique du Sud, ce film en 3D n’est pas une tentative de Pékin pour illustrer son soft power, mais une production européenne esthétique et drôle qui milite pour le rapprochement des peuples… sous forme d’animaux ! C’est l’histoire du petit Pang, jeune panda qui vit dans un village en Chine avec son amie Jielong, une dragonne qui a encore du mal à voler. Jusqu’au jour où des émissaires venus du lointain continent africain traversent l’océan Indien pour capturer la gentille diablesse et l’offrir comme un jouet au lionceau qui s’apprête à régner sur la savane. Pang va alors remonter sa trace. Richard Claus explique volontiers qu’il a conçu son adorable héros comme un modèle d’ouverture aux autres : « Ma femme étant kényane et nos enfants métisses, la tolérance joue un rôle majeur dans notre vie. » Un message qui irradie toute l’histoire, au fil de ses nombreux rebondissements, dans un environnement graphique très réussi (on caresserait presque la fourrure du protagoniste) et au son d’une musique mêlant harmonieusement ry thmes et chœurs africains aux sonorités asiatiques ■ J.-M.C
LOSSAPARDO Du pinceauaumicro
Ma ît risa nt aussibienlamusiq ue quelapei nt ure, ceta rt iste transcende sa sensibil itéavecu npremier al bu m très réussi, IF IW ER ETOPAI NT IT. Coup de cœur !
S’IL FA IT PA RTIE du palmarès du prix Joséphine, nouvelle récompense hexagonale décernée àdes talentsleplus souventémergents,cen’est pasunhasard. Le mélange de folk et de soul interprété tantôt en anglais, tantôt en français parLossapardo(«salopard» en verlan !) témoigne d’unesensibilité àf leur de peau,maisqui n’en oublie pas le groove pour autant.Néd’une mère antillaise et d’un père sénégalais,élevé en Seine-et-Marne,ils’est très tôt intéresséànombredemédiasartistiques,delapeinture àlamusique,delacomposition àlaproduction.Cedont témoigne ce premieralbum,oùl’onentendaussibien de la soul,duR’n’B,dufolkque dessonorités électroniquesmultiréférentielles, au serv ice d’unemélancoliebienplusancienne queses 28 années ■ S.R.
LOSSAPARDO, If IWere to PaintIt, RocheMusiq ue/ Un it y.
IN TE RV IE W
Gazelle Guirandou : transmettre l’amour de l’art
Figu re de la scène ivoi rien ne, el le di rige la ga lerie LouiSi mone Gu irandou, qu’elle a créée avec sa mère en 2015, et s’enga ge da ns la promot ion des ar tistes.
AM : Votre mère, Simone Guirandou, est une pionnière parmi les galeristes abidjanais. Aujourd’hui, vous avez pris le relais Comment s’est faite cette transmission ? Ga zelle Guirandou : Pendant les vacances, ma mère emmenait toute la famille dans les musées et galeries. Petite, je le vivais comme une contrainte. Mais j’étais curieuse, je voulais en savoir plus Je me suis prise au jeu, et l’art est devenu ma passion. Dans les années 1990, les artistes du monde entier venaient rencontrer mes parents : on a grandi comme ça Donc, quand ma mère a songé à réinvestir le jardin où l’on recevait les artistes autrefois, j’ai trouvé l’idée magnifique Je voulais rentrer à Abidjan, et c’était l’occasion d’avoir un espace à soi, où l’on pouvait s’amuser, avoir un contact direct avec les artistes. On s’est associées, puis j’ai pris la direction à temps plein en 2018 Comment choisissez-vous les ar tistes à présenter ?
Avant, ma mère et moi choisissions ensemble. Aujourd’hui, avec mon équipe, presque entièrement féminine, on discute beaucoup J’ai souvent des coups de cœur. Quand je rencontre des artistes, j’instaure le dialogue : c’est fondamental. Ils doivent se sentir à l’aise avec nous De mon côté, je dois visiter leur atelier, sentir et vivre les œuv res. Par exemple, j’ai rencontré Oumar Ball à Dakar et lui ai proposé son premier solo show en Côte d’Ivoire après avoir été chez lui, en Mauritanie J’ai découvert le Malien Ange Dakouo grâce à un ami. Cette année, nous avons fait beaucoup de solo : la photographe Aida Muluneh, que l’on expose en septembre, ou Alun Be pour Africa Foto Fair en fin d’année. Je cherche à faire dialoguer les œuv res et les artistes Et pas seulement Africains, car j’aime construire des ponts. Vous organisez aussi des expositions collectives, comme « Découver tes », dédiée aux ar tistes émergents « Découvertes » est née pour leur donner une chance de montrer leur travail. La galerie attire particulièrement les visiteurs en été, et nous voulions en profiter pour donner de la visibilité aux jeunes talents. On peut voir les réactions du public, des collectionneurs, des artistes… C’est l’occasion d’envisager l’avenir avec eux, et de leur côté, de comprendre comment faire évoluer leur travail C’est enrichissant Là,
par exemple, nous avons Juju Lago, qui photographie des personnes atteintes d’albinisme – un projet fort et touchant Pour exposer chez nous, le travail doit en valoir la peine. Ce qui est facile avec les artistes confirmés. Mais tout artiste majeur a d’abord été émergent Et je crois que c’est à nous de les encourager, de les pousser, de les accompagner. Vous observez la scène ar tistique locale depuis toujours. Comment a-t- elle évolué ? À l’époque de ma mère, c’était vivant, même si on ne parlait pas encore d’art contemporain africain. Aujourd’hui, le mouvement a bien repris Beaucoup de personnes s’intéressent à la production artistique Et les jeunes du continent sont talentueux, curieux, ont un message à transmettre. Ils dépeignent des aspects positifs de la vie quotidienne à travers leurs peintures, leurs sculptures, leurs tapisseries… Mais traitent aussi de sujets comme la santé mentale, les traditions, la famille, avec une interprétation métissée ou locale C’est riche, ça fonctionne bien. Les foires, comme celles de Joburg ou de Cape Town, mais aussi 1-54, se multiplient C’est encourageant pour les jeunes Un travail doit encore être mené, bien sûr, notamment au niveau des impôts. Les gouvernements ne comprennent pas qu’une galerie n’est pas une boutique Les œuvres ne nous appartiennent pas et l’artiste doit être rémunéré. Nous devons les sensibiliser à notre métier Lentement, mais sûrement, on y arrivera ■ propos recueillis par Luisa Nannipieri
La gal e ri e est mitoye nne à la ré sid en ce fa mil ial e, à Abidja n.
DÉTOUR EN FRANCE
Cadeau x présidentiels et BI JOUX AFRICA INS
À
L’HON NEUR da ns le fief corréz ien ch iraq uien.
À SA RR AN, 274 habitants, il y a d’abord le château de Bity, propriété des Chirac depuis 1969. Reconstruit au début du XV IIe siècle après avoir brûlé en 1579, il aurait abrité Léon Trotsky entre 1933 et 1935, puis des résistants lors de la Seconde Guerre mondiale, avant d’être transformé en hôpital. À Sarran, il y a aussi le musée du vingtdeuxième président de la République française, conçu en 2000 par l’architecte Jean-Michel Wilmotte et rassemblant les cadeaux reçus entre 1995 et 2007 (il en recevait jusqu’à quatre par jour), dans l’exercice de ses fonctions. La galerie présidentielle, un nouvel espace dédié aux présidents de la Ve République, a été inaugurée cette année. L’enfilade de salles, dont la copie du « salon doré » du palais de l’Élysée, retrace certains déplacements des chefs de l’État, leurs rencontres, leurs rôles, leurs pouvoirs et un panel inédit de cadeaux diplomatiques, de Charles de Gaulle à Emmanuel Macron. Point d’orgue de l’été, une exposition inédite présente 150 bijoux africains issus d’une collection privée, témoignant de leur rôle social et spirituel. ■ C. F. « BIJOUX D’AFRIQUE. LE LANGAGE DES FORMES », musée du président Jacques-Chirac, Sarran (France), jusqu’au 24 novembre 2024 museepresidentjchirac.fr
Da nsez le twist, Ma lick Si dib é, 1965
Sa ns titre, Ma law i Ki ng, 20 21
Le s Deux Fi ll ette s au Stud io XL , Sa nl é So ry, 1975
CLICHÉS D’AFRIQUE
Cet été, la GA LERI E PA RISI EN NE Ar t-Z invite à Arles les grands photog raphes contempora ins issus du cont inent.
OLIVIER SULTAN, directeur de la Galerie Art-Z et du Studio Art-Z, un espace dédié à la photo contemporaine africaine récemment inauguré à Paris, a choisi d’investir la ville française de la photographie pendant l’été avec une exposition-événement dédiée à neuf grands artistes issus du continent. Dans le cadre des Rencontres d’Arles, deux lieux en plein centre-v ille accueillent les œuvres des Maliens Malick Sidibé et Seydou Keïta ou du Burk inabè Sanlé Sory, mondialement connus pour leurs magnifiques portraits, mais aussi l’art visuel urbain de Mouhamadou Diop, les photocollages de Bruce Clarke, la photo de rue de Marina Burnel, les détails et la matière de Mamadou Konaté et les clichés artistiques de Nyaba Ouedraogo. L’expo met en avant le travail de Mabeye Deme, né en 1979 à Tokyo dans une famille sénégalaise et aujourd’hui établi entre la France et Dakar. Sa série « Wallbeuti – L’envers du décor » incarne son rapport à la ville sénégalaise, familière et distante à la fois Les tentes et voiles qui filtrent ses prises de vue, faisant du quotidien dakarois quelque chose de transcendant et d’onirique, racontent aussi l’usure du temps, les ruptures et la distance de l’exilé avec une ville qui se dérobe toujours à son présent. ■ Lu is a Na nn ip ier i « REGARDS D’AFRIQUE », 28 rue de la Li berté et 16 rue Jouvène, Arles (France), jusqu’au 10 septembre. ar t-z.net
ALAA EL ASWA NY, Au soir d’Alex andrie, Actes Sud, 384 pages, 23,50 €.
ION
FI CT
UN KALÉIDOSCOPE HUMAIN
AU
CŒUR DE LA CITÉ PORTUAIRE
Les di fférentes facettes du peuple ég yptien à l’époq ue de Nasser, sous la plume d’Alaa El Aswa ny, AU SOMM ET DE SON ART…
« AL EX ANDR IE avait quelque chose de particulier, d’impossible à définir, sinon par sa chaleur humaine. À Alexandr ie on n’était jamais seul Il était impossible de s’y sentir marginalisé ou rejeté. » C’est dans la ville my thique du littoral méditerranéen ég yptien, longtemps célébrée comme la capitale du cosmopolitisme, que l’auteur de L’Immeuble Yacoubian (2002), best-seller traduit dans 34 langues et porté à l’écran par Marwad Hamed en 2006, assoie son nouveau roman. Une fresque humaine et histor ique, où une bande d’amis explore la complex ité de l’Ég ypte de la fin des années 1950, sous le régime de Gamal Abdel Nasser, parvenu au pouvoir quatre ans après avoir renversé le roi Farouk. Unis par leur at tachement profond à leur pays, les personnages se retrouvent le soir dans le bar-restaurant Ar tinos de la cité port uaire, expr imant chacun ses opinions et ses questionnements, à la lumière de ses or igines, de sa personnalité et de son quotidien. Se divisant aussi quant à leur nouveau leader,
l’un des hommes d’État les plus influents du XX e siècle, avec sa politique socialiste et panarabe, mais également ses dérives autoritaires et la répression féroce qu’il imposa à ses adversaires. Au fil des chapitres, le lecteur s’installe d’abord dans la lang ueur et les char mes d’Alexandr ie, s’immisce dans la vie de chaque protagoniste, ainsi que dans l’histoire ég yptienne, puis bascule dans un quasithriller politique, tandis que le régime se durcit : réfor mes, surveillance, incarcérations… Passé maît re dans l’ar t de révéler ses personnages, de les réunir ou de les diviser, Alaa El Aswany, s’est toujours emparé des enjeux sociau x de son pays d’or igine. Si x ans après J’ai cour u vers le Nil (2018), où il narrait la révolution ég yptienne de 2011 à travers une panoplie de personnages liés les uns au x autres, il continue de défendre ardemment les valeurs de la démocratie Romancier, nouvelliste et essay iste, celui qui fut l’un des piliers de la révolution ég yptienne vit aujourd’hui au x États-Unis, où il enseigne la littérature ■ C.F.
RICH MNISI, COURONNÉ PAR AFRICA FASHION UP
Le créateur sud-af rica in a fa sciné ju ry et pu bl ic lors du défi lé AF UP, pendant la FA SH ION WEEK PA RISI EN NE.
LE CRÉATEUR sud-africain Rich Mnisi est le grand gagnant de la quatrième édition d’Africa Fashion Up, initiative créée par l’ancien mannequin Valérie Ka pour promouvoir les jeunes talents de la mode et qui est devenue un véritable tremplin. Le fondateur de la marque éponyme, lancée en 2014 et basée à Johannesburg, a remporté le prix Best Designer Africa avec une collection avant-gardiste intitulée « Mihloti » (larmes), qui mélange des silhouettes exagérées et colorées avec des coupes ironiques inspirées des vestes et tenues de travail
Ses créations ont défilé dans le cadre prestigieux du musée du quai Branly lors de la dernière Fashion Week parisienne, aux côtés de celles du Marocain Mohamed Youss, qui, avec ses mélanges de toile de jute et tapisserie, a obtenu le prix du Designer Éco-Responsable, de la Sud-Africaine Gugu Peteni, prix du Jeune Designer avec ses pièces en laine mérinos et
Le s si lhouettes bi ga rrée s de la coll ectio n « Mi hloti ».
Ri ch Mn is i, lau ré at d u pr ix Be st De si gner Af rica, entouré de Lu divi ne Po nt (à ga uc h e), Ch ie f Ma rket ing Of fic er chez Bale nci ag a, et de Va lé ri e Ka (à droi te), à l’initiative d’Af rica F ash ion Up.
mohair, qui fusionnent le streetwear de luxe avec l’héritage africain, et de la Mauritano-Sénégalaise Kadiata Diallo.
Les quatre lauréats ont été sélectionnés parmi 200 candidats et bénéficieront d’un accompagnement pro personnalisé. Organisé pour la deuxième fois dans les jardins du musée, décorés par le sculpteur de papier Junior Fritz Jacquet, le défilé a attiré plus de 700 personnes, entre personnalités du secteur (Balenciaga, Guerlain, etc.), de la culture et de la politique (l’ancienne ministre Élisabeth Moreno, le rappeur JoeyStarr, l’actrice Aïssa Maïga, etc.). Sur le podium, on a pu voir les nouvelles collections de Anjali Borkhataria (EKANTIK), Mina Binebine, Muftau Femi Ajose (Cute Saint), Eric Raisina, Ibrahim Fernandez, Nyny Ryke et Kwaku Bediako (Chocolate), récompensés les éditions précédentes. Le partenariat d’AFUP avec les Galeries Lafayette a permis de présenter le travail de ces créateurs, sélectionnés par Valérie Ka, dans un pop-up store du magasin parisien. Une expérience très positive, d’après les responsables du showroom, qui pourrait devenir un rendez-vous régulier. ■ L.N.
NOIR LUMINEUX
Inspiré pa r l’ar t du Bu rundi, du Congo et du Rwanda, MW IN DA propose des pièces au x lignes si mples et text urées, qu i jouent avec l’om bre et la lu mière.
« MWINDA » signifie lumière en lingala. Mais pour l’artiste multidisciplinaire Chris Schwagga, ce terme est avant tout le sy nony me d’une approche nouvelle de l’art et de l’artisanat traditionnels de la région à cheval entre le Congo, le Burundi et le Rwanda D’où le choix d’en faire le nom de sa marque à l’esthétique minimaliste et lourde de sens en même temps. Basé à Kigali depuis 2015, le Rwandais et Burundais natif du Congo lance officiellement le label en 2020, avec des premières pièces en bois, tourné et taillé à la main, et en laiton, récupéré des tonneaux d’huile et martelé à la main. À rebours de l’idée reçue d’un continent très coloré, il puise son inspiration dans l’art sobre local, notamment l’Imigongo, une pratique ancestrale au Rwanda Le noir intense de ses pièces devient, sous ses mains et celles des artistes et artisans qui travaillent à ses côtés, un canevas aux infinies possibilités. Il les habille d’éléments complexes et lumineux, en corne de vache et métal, ou il joue avec les textures et les motifs pour créer des surfaces éclatantes et envoûtantes. En attendant d’ouvrir son propre atelier, il travaille sur deux lampes inédites Fonctionnelles et artistiques, elles évoquent un bouclier traditionnel et les grands bracelets ty piques de la région mwinda.design ■ L. N.
BISTROT
Entre mets cin qéto il es et stre et -food d é li c ieus e, la cu isin e du contine nt a le ve nt en po up e à Pa ri s.
PARISIEN OU GHANÉEN ?
TA BLE DU CH EF OU REPAS
SU R LE POUCE : deux nouvelles adresses à découv rir dans la capitale française. Am biance décontractée et accueillante garantie.
INSTALLÉ dans une ruelle discrète du vibrant quartier des Batignolles, Le Petit Boutary a le charme d’un bistrot familial. La Table du Chef de la maison Boutar y – réputée aussi pour sa production de caviar – est depuis cette année portée par Roméo Agbodjan. Puisant dans ses origines africaines – du Bénin à l’Éthiopie – et dans les produits du marché, il propose chaque jour des menus bistronomiques surprises, pour quatre à six assiettes. Le soir, place à la carte spéciale Tchigan (« prestige » en langue mina), qui valorise les produits de la mer, dont le chef, qui s’adonne parfois à la pêche pour le loisir, raffole. Ses créations ? Sole aux herbes avec purée de banane plantain, fumet de poisson au lait
de coco, ou encore tarama au cognac et baies roses. Quant au dessert, il est tout autant incroyable : une tarte chocolatcaviar, sorbet goyave et crumble avec poiv re de Penja fumé. Version moderne des chop bars ghanéens, aussi iconiques que les bistrots parisiens, Kuti attend les gastronomes cosmopolites dans le quartier des Faubourgs. La streetfood bien balancée du chef franco-camerounais Antoine Joss Lecocq a fait ses preuves à Montreuil et, dès cet été, saura séduire les Parisiens avec une joyeuse cantine le jour et des boissons inédites (comme le Penja Wanda, avec gin au poiv re) couplées à des assiettes à partager le soir. Instruit par les mamas au Cameroun, au Ghana, au Nigeria et au Sénégal, le chef crée une cuisine panafricaine urbaine : du Banga, le Kuti Fried Chicken, signature nappée de sauce BBQ-baobab maison, les beignets Beef Plantain Balls, en passant par toutes les déclinaisons de massa, la galette nigérienne à la farine de riz fermenté, serv ie avec sauce moyo béninoise, poulet frit et même beurre de cacahuète, banane et sauce chocolat petitboutary.com @kutifood ■ L.N.
Sèmè City, l’écocité consacrée à l’innovation
L’AGENCE HA RDEL LE BI HA N coordonne l’un des projets phare des inst it ut ions béninoises, qu i devrait accélérer l’essor des fi lières loca les de la construct ion.
LA PR ÉSIDENCE DU BÉNIN a récemment validé l’avant-projet définitif de la phase 1 de Sèmè City, la future écocité dédiée à l’innovation made in Af rica, qui verra le jour dans la commune de Ouidah, nichée entre baobabs centenaires, champs et manguiers. L’initiative a été présentée par un consor tium de cabinets : les Catalans de Ricardo Bofill, l’agence béninoise Cobloc et les paysagistes de Niez Studio, chapeautés par les équipes de Hardel Le Bihan.
Il s’ar ticulera autour d’un immense campus pensé pour accueillir 30 000 étudiants et chercheurs, cinq clusters de formation et des incubateurs de star t-up et entreprises locales. L’agence parisienne Hardel Le Bihan a été choisie pour coordonner le projet à la suite de son travail sur les nouvelles résidences du campus de l’université dakaroise Cheikh Anta Diop, et notamment son implication avec les filières locales. Elle réalisera l’Académie des
spor ts, l’incubateur-makerspace, le centre de conférences, des bâtiments académiques et des logements pour les étudiants, mais aussi la maison du projet, avec son belvédère – l’un des premiers bâtiments à voir le jour Pensé avec une approche bioclimatique et résiliente, le projet permettra d’activer et de renforcer les filières béninoises, notamment celles qui travaillent avec la terre cuite, les fibres végétales et autres matières biosourcées qui seront employées sur le chantier hardel- lebihan.com
Siân Pottok
Le cœur battant de sa musique pop hybride et métissée est le kamele n’goni, une harpe-luth du Mali. LA CHANTEUSE ET MUSICIENNE, qui a grandi entre l’Amérique, l’Europe et l’Asie, tisse ainsi un lien spirituel avec ses origines africaines.
par Astrid Krivian
Elle n’a pas grandi en Afrique, mais elle s’y sent « enracinée, à la maison », éprouvant un sentiment « mystique ». Née en Floride d’une mère indo-congolaise et d’un père belgo-slovaque, la chanteuse et musicienne Siân (« Jeanne » en gallois) Pottok a vécu son enfance entre Singapour, l’Indonésie, les États-Unis et la Belgique, bercée notamment par les musiques du continent (Papa Wemba, Miriam Makeba…).
Aujourd’hui, les cordes de son kamele n’goni, harpe-luth du Mali, sont autant de fils qui la relient à ses racines africaines Il y a quelques années, quand le maître malien Abou Diarra lui a fait découvrir l’instrument au son cristallin et délicat, ce fut le coup de foudre « C’est un partenaire de vie. Le kamele n’goni mélange l’harmonie et le ry thme ; d’un point de vue spirituel, il me connecte à ce continent, à la fois étranger et familier Quand je joue, je me sens libre » Si elle apprend le répertoire traditionnel et projette de s’immerger au Mali pour se perfectionner, ses compositions s’inspirent de son jeu à la guitare folk Métissage musical réussi, riche en textures et ambiances, son premier album Deep Waters – prév u en novembre prochain, et dont quelques titres sont déjà sortis – mêle l’acoustique de cette harpe à des sons électro, des couleurs pop, ou encore un quintet à cuivres classique. Se livrant à l’introspection, explorant une palette d’émotions, l’artiste honore la force guérisseuse de l’eau ; dans « Rain », elle célèbre la danse sous la pluie, « cet état d’euphorie, d’insouciance ». « Kuwa Mbali Sana », qui signifie « être très loin » en swahili – la langue de sa mère, originaire de l’est de la RDC –, évoque la nécessité « de rompre les frontières en soi pour avancer ». Élevée dès son plus jeune âge aux quatre coins du monde, Siân Pottok a développé une capacité d’adaptation, un sens de la débrouillardise. Ses parents lui ont appris la tolérance, l’acceptation de l’autre, de la différence. Aux côtés des musiques africaines, la variété française, le folk et le rock anglo-saxons tournent sur la platine familiale. À 6 ans, elle apprend le violon à l’école publique américaine. « Aux États-Unis, l’art et la musique font partie du cursus scolaire. C’est ainsi qu’un enfant peut vraiment s’exprimer. » Après le violoncelle et le piano, le chant s’impose à l’adolescence – ry thmée par les voix soul et R’n’B de Toni Braxton ou Whitney Houston. Après des études de langues en Belgique, elle étudie le jazz vocal à Paris au conser vatoire Nadia et Lili Boulanger. En 2005, elle réalise son rêve d’enfant : jouer dans une comédie musicale, avec Attention ! Mesdames et Messieurs, de Michel Fugain, puis Piaf, je t’aime en 2007. De retour outre-Atlantique, à New York, elle apprend la guitare en autodidacte. Voie d’expression, de libération, aux vertus thérapeutiques, la musique lui permet de partager et d’échanger avec les autres. Aussi, elle mène des actions culturelles pour des ONG ou d’autres structures (Ehpad, écoles, etc.). Elle a ainsi sillonné l’Afrique australe à la rencontre d’enfants et de femmes de quartiers défavorisés, pour un projet croisant atelier musical et exposition photographique. « C’est très émouvant d’échanger avec des personnes qui n’ont pas forcément accès à l’art. On apprend tellement d’elles. » ■
Dee p Wate rs sor tira en nove mb re 20 24
«C’est très émouvant d’échanger avec des personnes qui n’ont pas forcément accès à l’art. On apprend tellement d’elles.»
PA R EM MAN UE LL E PON TI
FAITES VOS JEUX !
Les Jeux olympiques de Paris seront en tr ai n de s’ac heve r au mom ent où vo us li rez ces lig nes. Et l’on espère déjà que le continent africain aura largement dépassé la moisson de 37 médailles glanées lors des Jeux de Tokyo. Après la Tunisie au sabre individuel, l’Afrique du Sud au rugby à VII ou l’Égypte à l’épée Mais au -delà du spor t et des records auxquels l’Afrique nous a habitués – notamment du côté de l’est, dans le domaine de la course à pied –, comme le dit l’adage : « L’impor tant, c’est de par ticiper. » Cinquante -quatre nations représentées, cer ta ines su r de tout petit s ba teaux défi lant sur la Seine lors de la cérémonie d’ouverture, avec parfois un seul athlète à bord, por teur fier d’un drapeau. Des pays africains engagés dans 329 épreuves et 32 disciplines.
Le s JO so nt un e fo rm ida ble vitrin e, où les guerres, les différends, les inégalités, durant quelque 17 jours, semblent oubliés. Seuls les performances, le travail et la recherche de l’excellence comptent. La réussite personnelle prend le pas sur la pauvreté d’un pays et sur le manque criant de financements dans certaines nations. Car, entre autres, le spor t fait par tie de l’ADN du continent. Les JO sont un outil diplomatique hors normes. Douze chefs d’État africains ont fait le déplacement. Kigali profite habilement du spor t pour faire une campagne de promotion de sa destination : le slogan « Visit Rwanda » s’af fiche sur les maillots C’est, enfin, un moment magique où tous les racismes et les replis identitaires sont comme suspendus, au profit de l’esprit olympique.
La Fr ance l’a illu st ré de manière cl airement mi li ta nte, en cho is is sant de fa ire ch anter Aya Nakamura , star originaire du Mali, au son de l’orchestre de la Garde républicaine devant l’Académie française À l’heure où l’Hexagone a voté massivement pour un par ti d’ex trême droite aux dernières élections législatives, voilà un symbole ultime d’intégration, de par tage et de diversité. Et après les JO, place aux Jeux paralympiques où, là encore, l’Afrique sera présente. Avec des athlètes marocains ou sénégalais en parataekwondo ou encore tunisiens en para -athlétisme, parmi beaucoup d’autres On leur souhaite, à eux aussi, une belle récolte de médailles Et de rappeler que l’Afrique, avec tous les autres champions, regorge de talents et de tickets gagnants. Bravo à tous ! ■
LA RÉVOLUTION
JEUNE
60 % des Africains ont moins de 25 ans. Elles et ils sont nés à l’époque des réseaux sociaux, elles et ils sont connectés au monde. Elles et ils ont besoin de formations, d’emplois, d’avoir une voix dans le processus politique. La génération Z, frustrée d’être trop souvent contrainte au chômage ou à l’exil, prend conscience de sa puissance.
par Cé dric Go uver ne ur
Au Kenya , rien ne se ra plus comme avant : le 26 juin, au terme de huit jours d’émeutes ayant provoqué la mort de près d’une vi ng ta ine de ma ni festants, et plus de 300 blessés, le président William Ruto a dû abandonner son projet de loi de finances controversé. Élu en septembre 2022, Ruto, self-made-man qui se veut pour tant le chantre des hu stlers (les débrouillards de l’économie informelle), voulait imposer des ta xes sur les produits de la vie courante – le pain, les œufs, les transactions via mobile, les voitures, et même les protections périodiques féminines –, afin de faire entrer de l’argent dans les caisses de l’État [lire notre cahier AMB sur la dif ficulté de lever des impôts en Af rique]. Le 18 juin, jour où l’examen du projet de loi démarrait devant le
Parlement, la jeunesse s’est mobilisée sur les réseaux sociaux – TikTok, X, Instagram – derrière le hashtag #RejectFinanceBill2024. Les Kényans ont dit non à l’amputation de leur pouvoir d’achat, exigeant des autorités qu’elles luttent plutôt contre la corruption et réduisent leur fastueux train de vie. La jeunesse ne veut pas payer la fact ure de l’endettement, aggravée par la boulimie d’infrastructures du président précédent, Uhuru Kenyatta, et de son vice-président, un certain William Ruto…
Pour la première fois, les jeunes kényans se sont soulevés hors de tout cadre ethnique : des vidéos, traduites dans les différentes langues du pays, expliquaient le projet de loi et
Au so mm et de la tour KI CC su rplom ba nt la vil le de Nairo bi.
LA RÉVOLUTION JEUNE
ses impacts sur le budget des ménages, déjà malmené par l’in flat ion. Autre si ng ular ité : ces ma nifestation s se sont organisées sans les partis politiques. La jeunesse semble ne pas se faire d’illusion sur ces derniers, perçus comme interchangeables, du fait des alliances et des trahisons à répétition entre politiciens… La Gen Z [voir encadré] s’est relevée, et elle n’est pas près de se recoucher ! « Ils nous ont tués, ils ne peuvent plus nous gouverner », résumait un manifestant, début juillet, auprès de l’agence Reuters. « Un mouvement de protestation comme l’Af rique n’en avait jamais vu », estime le jour naliste Charles Onyango-Obbo dans l’hebdomadaire régional The Ea st Af rican (6 juillet 2024), soulignant l’alliance entre les rejetons de la classe moyenne, des classes laborieuses et de leurs parents.
Ayant obtenu gain de cause, les jeunes kényans s’interrogeaient, courant juillet, sur la suite à donner à leur mouvement. Une chose est sûre : ils ne se tairont plus. Car si le projet de loi de finances fut l’étincelle ayant mis le feu aux poudres, provoquant les pires troubles qu’ait connus le pays depuis les violences post-électorales de fin 2007, force est de constater que le feu couvait sous les braises depuis des années : les jeunes kényans – à l’instar de la jeunesse de nombreux pays du continent – bouillonnent, frustrés de ne pas pouvoir s’insérer dans un pays où la croissance économique ne parv ient pas à rattraper la croissance démographique : le Kenya gagne quasiment un million de nouveaux habitants par an : 22 millions d’habitants en 1989, 30 en 1999, 40 en 2009, 56 millions aujourd’hui… La plupart des pays africains sont confrontés à la même équation démographique [voir encadré]. « Les progrès en matière de santé publique et d’éducation sont tels que l’espérance de vie augmente continuellement, soulignait Lionel Zinsou, économiste et ancien Premier ministre béninois, en août 2023, dans un débat sur le site français Vie publique « Les populations de certains pays d’Afrique centrale gagnent actuellement un an d’espérance de vie par an. » Sur le continent, l’âge médian est de 19 ans. Et cette jeunesse exige désormais la place qu’elle estime mériter, sans attendre que ses aînés daignent la lui laisser… La Gen Z kényane ne constituera « pas une exception au XXIe siècle », estime Onyango -Obbo, qui prédit « un mouvement de réfor me af ricaine piloté par les réseaux sociaux ».
UN TSUNAMI SOCIÉTAL
Le soulèvement de la jeunesse kényane n’est que le dernier épisode d’une série de mouvements sociopolitiques ayant secoué le continent ces dernières années, et qui devraient se poursuiv re, à mesure que les jeunes prennent conscience de leur force et convertissent celle-ci en raz-de-marée. Un tsunami sociétal dont la puissance est amplif iée par les traits propres à cette génération Z : connex ion au monde global, frustration face au manque de perspectives, détermination à décider de son avenir Et exigence envers les gouvernants.
Ou sma ne Son ko au x côté s de Bass irou Di om aye Fa ye, lor s d’un e conférenc e de presse, le 15 mar s 20 24 , à Da ka r.
Au Soudan, en av ril 2019, la jeunesse a fait tomber le régime mil it ar o-isla mi ste de Om ar el-B éc hir, en pl ace depu is trois décennies. Au Nigeria, en octobre 2020, elle s’est mobilisée contre les violences policières avec le mouvement EndSA RS, du nom d’une unité devenue le sy mbole de la violence et de la morgue d’un État incapable d’apporter la sécurité économique et matérielle au pays le plus peuplé du continent, et ce ma lg ré la ma nne pétrolière Au Sénéga l, les jeunes ont suiv i Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye, deux anciens inspecteurs des impôts qui leur promet tent souveraineté, transparence et intégrité à travers leur parti panafri-
caniste Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité). Ces déferlantes ont, certes, rencontré diverses fort unes. Elles ont même plus souvent heur té des écueils qu’abordé d’accueillants rivages… Le « vieux monde » (comme l’appelaient les soixante-huitards français en parlant du pouvoir gaulliste vieillissant) n’a pas dit son dernier mot. Les réseaux sociau x et les hashtags ne sauraient suffire à triompher des puissantes structures en place depuis les indépendances, qu’il s’agisse des partis politiques ou des forces armées, dans le cas du Soudan. À Khartoum, les officiers hostiles à el-Béchir ont utilisé le soulèvement de la jeunesse pour
Le 16 ju ill et 2024 , à Na irob i, au Ke nya , lor s d’une ma ni fe statio n ma ssive contre la loi de financ es du gouver ne me nt
se débarrasser du président finissant… avant de répr imer les protestataires (juin 2019), puis de procéder à un putsch (octobre 2021). Depuis un an et demi, une guerre civile entre deux factions armées ravage le pays Au Nigeria, la jeunesse révoltée du mouvement EndSA RS a par la suite souvent milité, lors de l’élection présidentielle de 2023, pour le travailliste Peter Obi, un candidat qui promettait le renouveau démocratique… mais battu par le vétéran de la politique Bola Tinubu. Ce n’est qu’au Sénégal que la mobilisation de la Gen Z a trouvé sa traduction dans les urnes : en av ril, Bassirou Diomaye Faye a été élu président dès le premier tour, désignant Ousmane Sonko Premier ministre.
OFFRIR DES PERSPECTIVES AUX PESSIMISTES
La jeunesse ne devrait pas êt re considérée comme une menace ou un obstacle pour le continent, mais au contraire comme une force. L’Agenda 2030 des Nations unies comme l’Agenda 2063 de l’Union africaine s’accordent sur le rôle vital des jeunes comme « catalyseurs d’une gouver nance et d’un développement durables et transformateurs en Afrique », rappelle le dernier rappor t Af robarometer, réseau panafricain qui, depuis 1999, procède à des sondages dans une quarantaine de pays. Le continent a « tout à gagner de sa jeunesse », à condit ion que « l’énerg ie et les compétences » de celle- ci soient mises en valeur, qu’elle puisse « disposer des moyens et opportunités nécessaires afin de contribuer à l’élaboration des politiques publiques et à la pr ise de décision ». Or, les jeunes africains restent « nettement minoritaires dans les instances formelles de gouvernance et dans le débat politique ».
L’Afrique « abrite la population la plus jeune au monde, mais certains des dirigeants les plus âgés », du fait d’une « combinaison d’obstacles et de normes juridiques » compromettant la participation active des jeunes. « Ce décalage se traduit par une gouvernance et des politiques qui ne répondent pas aux besoins et aux attentes des jeunes. » Sur le continent, entre un tiers et deux tiers de ces derniers, selon les pays, sont au chômage Une effrayante proportion (32 %) admet même ne plus chercher d’emploi… C’est même le cas de 11 % des étudiants ! Ces désespérés forment les cohortes les plus susceptibles d’emprunter les voies mortifères de l’exil, par-delà les déserts et les mers – phénomène surnommé « Japa » au Nigeria. Ou de succomber au x sirènes de l’extrémisme, comme c’est hélas le cas avec les djihadistes du Sahel et du nord-est nigérian « Cabri mort n’a plus peur du couteau », résume un fameux proverbe ivoirien.
Et la situation tend à se dégrader Car si les jeunes africains sont en moyenne plus instruits que leurs aînés (deux tiers ont fait au moins des études secondaires, contre un tiers des plus de 56 ans), ce dont on ne peut que se féliciter, ils sont davantage susceptibles de se retrouver sans emploi. « Ces jeunes sont de plus en plus formés, et donc de moins en moins attirés par le secteur informel ou par l’agriculture », analyse Lionel Zin-
1,3 MILLIARD DE
JEUNES AFRICAINS EN 2050
La population de certains pays croît de plusieurs millions d’habitants chaque année. Insérer cette jeunesse permettrait de provoquer le fameux dividende démographique, l’une des clés de la réussite chinoise dans les années 1980.
« LE XX IE SIÈCLE sera Africain », rappelle le FMI, qui estime que « la transformation démographique de l’Afrique pourrait remodeler le continent, voire le monde ». L’âge médian y est, en effet, de moins de 19 ans, contre plus de 40 ans en Europe (qui jamais n’aura autant mérité son surnom de « vieux continent ») L’Afrique devrait compter 2,5 milliards d’habitants en 2050, dont plus de la moitié aura moins de 25 ans, contre 1,4 milliard en 2022 – et 140 millions en 1900 ! L’Afrique, 18 % de l’humanité aujourd’hui, en représentera 40 % à la fin du siècle. L’Ég ypte, déjà surpeuplée au regard de ses surfaces arables, gagne environ un million d’habitants par an En Tanzanie, où 60 % des habitants ont moins de 25 ans, la population a doublé depuis l’an 2000, passant de 35 à 68 millions Au Niger, où l’âge médian est de 15 ans, la population a crû de 17 à 25,4 millions d’habitants en une décennie. Depuis l’an 2000, le Nigeria a gagné près de 100 millions d’habitants, et l’Éthiopie plus de 50 millions ! Cette démographie galopante résulte de l’effet conjugué de la chute du taux de mortalité et d’un taux de fécondité encore élevé. Le poids des traditions n’est pas seul en cause : l’absence de système de retraite peut inciter les parents à fonder des familles nombreuses, afin d’assurer leurs vieux jours Or, de nombreux États mènent des politiques de sensibilisation (telle, en Ég ypte, la campagne « Deux enfants suffisent », Itnein Kifaya). Insérer professionnellement et économiquement cette jeunesse est un défi. Et le remporter sera d’autant plus payant que l’élévation du niveau de vie se traduit mécaniquement par une chute de la fécondité, comme le montre l’histoire des pays méditerranéens européens au XXe siècle. L’insertion de la jeunesse permettrait dès lors au continent d’accéder au fameux « dividende démographique » – lorsque les ménages, ayant peu d’enfants et de parents à charge, peuvent investir et consommer davantage. Un mécanisme qui constitua une clé du décollage économique de la Chine à partir des années 1980… ■
Le jeu ne mi litant Athenkosi Fa ni d evant l’unive rs ité
Ne lson -M andela , en Af riqu e du Su d, en avril 20 24
sou dans Vie publique. Et d’ajouter : « En Afrique, si vous avez le niveau du certificat d’études, vous avez une chance d’être mal employé, mais employé quand même, alors que si vous avez un diplôme supérieur de physique, vous n’avez aucune chance de trouver un emploi à la hauteur de votre qualification… En plus d’être de plus en plus qualifiés et éduqués, les jeunes af ricains sont désormais de plus en plus connectés, et ont donc une forte conscience de ce que pourraient être leurs droits et leur avenir ailleurs. » Conséquence : ils sont « nettement plus pessimistes que leurs aînés », constatent les enquêteurs d’Afrobarometer, deux tiers estimant même que leur pays va « dans la mauvaise direction ».
La jeunesse baigne donc dans le sentiment, à la fois diff us et frustrant, de ne pas être à sa place… Un décalage invivable au quotidien, et susceptible à la moindre étincelle (v iolence policière au Nigeria, nouvel impôt au Kenya, arrestation d’un opposant charismatique au Sénégal…) de se transformer en brasier. Car les jeunes africains d’aujourd’hui ref usent de se résigner à leur sort : par rapport aux générations précédentes, « ils font moins conf ia nce au x inst it utions et responsables politiques », perçus comme « corrompus ». Sans surprise, « le chômage » et « la gestion de l’économie » arrivent en tête de leurs priorités. Seulement un sur cinq juge son gouvernement « performant pour créer des emplois ». Et s’ils sont pour les deux tiers « at tachés à la démocratie », ils sont tout autant à se dire « insatisfaits de l’état de la démocratie » – au point d’être susceptibles, en majorité (56 %), de soutenir un putsch qui mett rait fin à un abus de pouvoir de dirigeants élus !
Une « découver te inquiétante, compte tenu de l’importance numérique » de la jeunesse, mettent en garde les auteurs de l’enquête. Ce qui expliquerait l’attrait, chez une partie de la jeunesse sahélienne, pour les juntes putschistes du Mali, du Burk ina Faso et du Niger… Enfin, les jeunes s’abstiennent davantage aux élections, et militent moins au sein de partis politiques À l’inverse, ils sont plus enclins à participer à des « mobilisations et des mouvements sociaux », plus vaporeux, souvent sans leaders clairement identifiables, moins aptes que les partis et les sy ndicats à négocier avec le pouvoir… mais, au contraire, plus susceptibles de recourir à la radicalité, voire à l’action violente. À noter aussi que les revendications de cette jeunesse sont socio-économiques (emploi et pouvoir d’achat) et transcendent ces divisions politico-ethniques qui ont fait tant de dégâts sur le continent au cours des dernières décennies. Alors que la montée des populismes et de la xénophobie menace les fondements démocrat iques en Europe (R N en France, néofascistes en Italie, etc.) ou aux États-Unis (Trump 2), leur recul en Afrique constituerait, s’il se confirme, un motif de satisfaction.
L’IMPÉRATIF DES RÉVOLUTIONS AGRICOLE , INDUSTRIELLE ET NUMÉRIQUE
Satisfaire cette génération, qui constitue l’Af rique d’aujourd’hui et représentera bientôt l’Afrique de demain, impose une mobilisation de ses aînés, encore aux commandes dans les sphères politiques et économiques. Début juillet, après un énième naufrage ayant entraîné la mort de 89 candidats
à l’ex il, le Premier minist re sénéga lais Ousma ne Sonko a exhorté les jeunes : « Votre solution ne se trouve pas dans les pirogues », a-t-il déclaré à l’université Gaston-Berger de SaintLouis « L’avenir du monde est en Afrique… Le seul continent qui a encore une marge de progression et de croissance importante », a-t-il insisté. « La croissance économique est largement supérieure à la croissance démographique, souligne Lionel Zinsou, ce qui permet en théorie de redistribuer les revenus. » En théorie seulement : « Cette croissance est essentiellement capitalistique, intensive en capital, et non en travail. Les États af ricains investissent principalement dans des secteurs qui génèrent peu d’emplois », déplore-t-il.
RÉPONDRE AU SENTIMENT D’URGENCE
Trois révolutions créatrices d’emplois doivent être menées sur le continent. Une révolut ion ag ricole, d’abord, af in de mettre en place la souveraineté alimentaire, que la pandémie de Covid-19, l’urgence climatique et la guerre en Uk raine ont rendue plus impérative que jamais « Avec un milliard de jeunes, soit deux milliards de bras, l’Af rique peut aisément soulever des montag nes, et notamment se transfor mer en grenier du monde », écrit dans Vie publique l’ancien ministre des Affaires étrangères sénégalais Cheikh Tidiane Gadio, cinglant l’absurdité de la dépendance de l’Afrique aux exportations de blé et d’huile de tournesol « d’un petit pays européen en guerre », l’Uk raine… Une révolution industrielle, ensuite : les initiatives en matière d’industrialisation et de création de chaînes de valeur intégrées, observables partout sur le continent – du Maroc à la Côte d’Ivoire, en passant par l’Éthiopie, le Nigeria (mégaraffinerie de Lekki), ou l’usine de batteries élec triques en constr uc tion à front ière ent re la RDC et la Za mbie, etc. –, doivent être va lor isées et généra lisées. La transition énergétique et la lutte contre le changement climatique offrent l’opportunité historique d’une industrialisation créatrice d’emploi et neutre en carbone. Une révolution numérique, enfin : le Zimbabwéen Tatenda Magetsi, fondateur d’Open Mind Initiative Africa, appelle à « préparer la jeunesse africaine à l’économie numérique et aux emplois de demain ». L’Afrique n’est-elle pas le continent du leapfrog, la pionnière du paiement sur mobile et de la créativité débridée ?
Mais cette triple révolution de l’économie africaine, déjà amorcée par endroits, prendra du temps – dix ans de travaux et un investissement de vingt milliards de dollars ont ainsi été nécessaires à la mégaraffinerie Dangote de Lekk i, au Nigeria… Or, la jeunesse, confrontée aux difficultés du quotidien et frustrée de voir sa vie s’écouler sans perspective tangible, bouillonne d’impatience. Elle n’a qu’une vie. Elle demande des comptes, dès maintenant, à ses dirigeants Y compris à ceux qu’elle vient d’élire dans le but de renverser la table : le 30 juin, à Dakar, au marché de Colobane, Ousmane Sonko lui-même s’est fait huer par des milliers de jeunes qui protestaient contre le harcèlement policier envers les vendeurs ambulants… ■
LA « GEN Z », NÉE AVEC LES RÉSEAUX SOCIAUX
Les moins de 30 ans, en Afrique et dans le reste du monde, sont accros à Internet. Ce qui stimule leur réactivité, mais a des conséquences sur leurs pratiques politiques comme sur leur psychologie.
LA GÉNÉRATION Z (née après 1995) succède aux générations Y (née entre 1980 et 1995) et X (née entre 1966 et 1980). Ces digital natives étaient adolescents lorsque sont apparus – à partir de Facebook en 2004 – les réseaux sociaux : ils likent et cliquent comme ils respirent. Barack Obama fut l’un des premiers responsables politiques à comprendre la capacité de mobilisation des outils numériques, qui ont porté sa victorieuse campagne de 2008. Et la récente révolte antifiscale au Kenya démontre leur prégnance dans la vie politico-sociale Près de la moitié des Africains (47 %), en particulier les citadins et les jeunes, consultent les réseaux sociaux et Internet, contre seulement un sur cinq (21 %) il y a dix ans. La proportion varie de 14 % à Madagascar à 74 % au Maroc, de 79 % au Gabon à 82 % à Maurice. Selon les psychologues, leur usage quotidien et l’exposition aux écrans n’est pas sans effet : les moins de trente ans développent une zone de leur cortex préfrontal, afin d’améliorer leur rapidité de décision – au détriment d’une autre partie de ce cortex préfrontal, qui favorise la prise de recul et la résistance aux émotions. D’où le surinvestissement émotionnel pouvant conduire un jeune à passer des heures à se disputer sur Internet avec un parfait inconnu à cause d’un commentaire en ligne. Comportement incompréhensible pour leurs parents et grands-parents, qui se seraient contentés d’ignorer l’importun. La « Gen Z » est parfois déconsidérée par ses aînés. Or, percevoir les plus jeunes que soi comme ingrats et irrespectueux est une constante dans l’histoire de l’humanité. « Lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus, au-dessus d’eux, l’autorité de rien et de personne, alors c’est là, en toute beauté et en toute jeunesse, le début de la ty rannie. » Ces mots auraient pu être prononcés par un père ou un grand-père issu des générations X ou Y. Cette citation a en réalité plus de deux millénaires, et elle est signée de Platon (Athènes, vers 427-vers 348 avant notre ère). ■
Didi B « Donnez-vous les chances de réussir ! »
Le rappeur ivoirien a imposé son tempo, mélange de beats hip-hop et de ry thmes traditionnels. Et il entretient un dialogue permanent avec une « fanbase » mobilisée. propos recueillis par Ji ha ne Zo rkot
Àl’occasion de la sortie prochaine de son album Diyilem, prév ue pour 2025, nous avons rencontré
Didi B, le rappeur ivoirien désormais Disque d’or. C’est dans les locaux du Majestic Ivoire qu’il nous donne rendez-vous, en plein tournage du clip de « C’est ton jour », une nouvelle chanson dédiée à la jeunesse ivoirienne et une ode à la célébration de la vie. Né dans une famille d’artiste, d’un père producteur et pianiste et d’une mère chorégraphe, Bassa Zérehoué Diyilem, de son vrai nom, nourrit depuis l’enfance le rêve de faire carrière dans le milieu artistique. Ancien membre du groupe Kiff No Beat, il se lance en 2019 dans une carrière solo avec le single « Assinie », en référence à la station balnéaire prisée de la jeunesse ivoirienne. Puis les succès s’enchaînent. Il coproduit l’album Mojo Trône – qui dépassera les 50 000 millions de streams – avec 92i, le label du rappeur français Booba, et reçoit le prestigieux Disque d’or en juillet 2023 Avec une fanbase bien solide, ce jeune papa ne souhaite pas se cantonner à un genre défini, et se donne pour objectif d’explorer différents univers musicaux
AM : Quelle est votre perception de la jeunesse ivoirienne ?
Didi B : J’aimerais qu’elle soit plus libre, plus entreprenante, et qu’elle arrive à vivre de ses passions Chaque personne doit développer son état d’esprit au regard de son business et de ses talents. Il ne faut pas attendre des autres, que ce soit les dirigeants ou l’État, qu’ils nous aident Nous savons combien il est difficile de recevoir un soutien externe. Il est très important pour nous autres, artistes, de montrer l’exemple : c’est l’un de mes combats quotidiens. Montrer à la jeunesse qu’elle peut monter son propre business avec une équipe structurée et dy namique, portée par une vision claire et définie. Il ne faut surtout pas tâtonner. La jeunesse ivoirienne recèle de pépites : vidéastes, réalisateurs, photographes, créateurs de mode, artistes, stars, qui ont souvent moins de vingt-cinq ans. Les miss ivoiriennes sont de plus en plus déterminées à représenter les couleurs du pays, de même que les sélections de football et de basket-ball, de taek wondo, et tous les autres domaines sportifs, artistiques et même scientifiques. Cette nouvelle génération offre un plus par rapport aux précédentes : elle entend faire rayonner le pays sur la scène internationale
« Cette nouvelle génération offre un plus par rapport aux précédentes : elle entend faire rayonner le pays sur la scène internationale. »
Lo rs du tour nag e du clip de sa ch a ns on « C’est to n jour », déd ié e à la jeun esse ivoir ie nne, dans le cin ém a le Maje stic Ivoire.
Quel message aimeriez-vous faire passer aux jeunes ?
Avant toute chose, il faut s’armer ! Avant que Dieu leur offre le succès, ils doivent avoir plusieurs cordes à leur arc, car le véritable défi vient après. Lorsque l’on a réussi, il faut être constant, redoubler d’efforts et prouver que l’on n’est pas un artiste ou une personne éphémère, mais bien positionné La jeunesse offre le temps de se former à plusieurs métiers, de se perfectionner : apprendre à écrire, réaliser, développer des talents. Même si vous jouez au football, il est important d’exceller dans d’autres domaines. Il est primordial, avant la trentaine, d’avoir pu se perfectionner dans différents secteurs. N’attendez rien des institutions étatiques ; donnez-vous la chance
de réussir. Et pour cela, il faut abolir la honte. Il n’y a pas de sous-métiers, vous pouvez commencer en tant que serveur, gagner votre vie, et demain, devenir patron d’établissement. Aussi, il ne faut pas négliger Internet et les métiers du digital. Aujourd’hui, grâce au numérique, tout le monde a la chance de réussir. Il suffit de trouver un bon concept, et surtout persévérer ! Vous considérez-vous comme un modèle de réussite pour vos fans ?
Je n’ai pas cette prétention Mais je me considère comme un bon exemple, surtout pour mes admirateurs, qui me suivent de près et comprennent le sens de mes chansons Ceux-là savent que je suis en train de réussir
relation s ma lsaines et que vous êtes entouré de fa inéa nt s, vous serez ti ré vers le ba s. Il ne faut pa s non plus se jeter da ns le vide, il faut avoi r une vi sion et un objecti f clair s. Qu el le es t votre ch an son la pl us célèbre et pou rq uo i, selon vous ?
DIYI LE M , Di di B, sor ti e en 20 25
BE FO RE OLYM PIA , Di di B, Rep at Ag en cy, 20 24
BLEDAR D IS TH E NEW FR ES H , avec Kif f No Be at Univer sa l Musi c Af rica, 2019
et d’accomplir ce dont je parlais dans certains de mes textes. J’essaie d’être le plus authentique possible, de rester moi-même, sans aucun filtre. Mes fans qui ont suiv i mon parcours savent que pour arriver là où j’en suis aujourd’hui, j’ai dû travailler dur et faire des sacrifices. Quelle est, selon vous, la clé du succès ?
C’est avant tout le travail, mais ce qui fait la différence, c’est le chemin que nous prenons pour réussir. Il faut se donner toutes les chances, évoluer dans un environnement favorable et s’entourer de person nes qu i ont les mêmes aspi ration s que nous. Si votre cerc le est composé de person nes entreprenantes, in spirantes, alor s vous serez ti ré vers le haut Ma is si vous n’entretenez que de s
Ma cha nson la plus célèbre est « En haut », produite en 2022 Sa pa rt ic ular ité, c’est qu’el le est le croi sement de deux génération s – la mien ne et celle de Jr Low et Ta m Si r –, ce qu i nous a perm is à tous les troi s d’avoi r un publ ic plus la rge. El le reprend également les codes d’un nouveau mouvement musica l, le ma ïmou na [style mu sical dansant et fluide , dérivé du rap ivoire, ndlr], qui à l’époque venait tout juste d’éclore en Côte d’Ivoire. Mais c’est principalement le thème qu’elle aborde qui a touché le public « En Haut » signifie qu’il faut s’en remettre à Dieu, toujours persévérer, peu importent les obstacles, car la réussite est au bout du chemin. Je raconte également mon parcours, les différents défis que j’ai dû surmonter pour arriver où j’en suis, et je pense que beaucoup de personnes ont pu s’identifier à cela. Indépendamment de notre identité, de nos origines, la vie est faite d’embûches, et cette musique est un message d’espoir. Avec sa mélodie entraînante et ses rythmes, elle me permet de faire passer mon message de manière puissante et accrocheuse. Quelle place le public occupe -t- il dans votre vie ?
Le public fait partie intégrante de ma vie. Sur les réseaux sociaux ou dans le monde réel, je suis sans cesse en contact avec mes fans Nous avons un vrai lien de connexion. C’est grâce à eux et à leur soutien inconditionnel que je fais tous ces grands concerts Ils sont toujours là pour moi, et que ce soit en Afrique ou en Europe, leur amour est indéfectible. Ils sont ce qui m’est arrivé de mieux, c’est la plus grande bénédiction de ma carrière. Ma fanbase s’appelle « La Conspiration », et c’est ma première armée, toujours prête à prendre ma défense. Je les consulte avant de lancer de nouveaux projets, avant de sortir un album, et même pour organiser mes concerts. C’est important pour moi d’être à la hauteur de leurs attentes. Avant de conquérir un nouveau public, je souhaite avant tout qu’ils soient satisfaits de mon travail ■
«Hippolyte Fofack
«Tenir compte de notre plus bel atout »
L’économiste camerounais, chercheur associé au Réseau de solutions de développement durable des Nations unies (U NSDSN) et ex-économiste en chef de la Banque africaine d’import-export (Afreximbank), souligne l’impératif d’investir massivement dans le capital humain. Les fux démographiques sont une opportunité pour le continent (la ZLECAf pourrait y contribuer), mais aussi pour un monde riche vieillissant. Sans la mise au point d’un modèle effcace, inclusif, porteur d’espoir, les risques d’explosion sont avérés. propos recueillis par Cé dric Gouvern eu r
AM : Comment la démographie africaine pourrait- elle représenter un avantage ?
Hippoly te Fofack : C’est l’atout le plus important dont dispose l’Afrique, et une opportunité offerte au monde. L’avenir du développement du continent – et peut-être de l’économie mondiale – dépend de la dy namique démographique de la région et de l’évolution de son capital humain. Alors que dans un nombre croissant de pays, les taux de fécondité tombent en dessous du point de bascule démographique de 2,1 naissances par femme – dont la France (1,8), la Chine (1,7), les États-Unis (1,7), le Japon (1,3) et la Corée du Sud (0,7) –, la jeunesse de la population de l’Afrique offre des avantages considérables Investir dans cette jeunesse, afin de développer une maind’œuv re compétitive à l’échelle mondiale et maîtrisant parfaitement les technologies de pointe, constitue l’acompte le plus important pour parvenir à une croissance économique rapide et à une convergence du PIB par habitant avec celui des pays à revenu élevé. Cela peut aider l’Afrique à récolter les dividendes économiques de sa forte poussée de jeunesse, grâce à une transformation structurelle, et à soutenir la croissance mondiale
La population constitue donc un facteur de croissance économique ?
Malgré l’accent mis sur la finance et le capital dans les modèles de croissance, la population reste le principal moteur économique, représentant jusqu’à la moitié du PIB. Au cours des dernières années, la mondialisation et l’intégration croissante de l’économie mondiale ont vu la population stimuler l’expansion de la production par un nombre croissant de canaux, notamment la productivité du travail, les flux d’investissements directs étrangers (IDE) et la consommation. Dans un monde où la croissance démographique diminue et où le vieillissement s’accélère, en particulier dans les économies les plus riches, les exportations joueront un rôle encore plus crucial dans la croissance mondiale. Par exemple, le Japon est confronté à de fortes difficultés démographiques : sa population, en baisse pour la treizième année consécutive, a diminué de 595 000 habitants en 2023. Dans ce contexte, l’Afrique, dont la population devrait doubler dans les décennies à venir, pourrait être le prochain marché-frontière pour des pays comme le Japon et bien d’autres en Asie, en Europe et en Amérique du Nord, où la baisse de la DR
fécondité et le vieillissement de la population dépriment la consommation Outre l’investissement dans le capital humain, l’attractivité du marché africain en pleine croissance dépend du pouvoir d’achat de la population et de la taille de la classe moyenne. Même si cette dernière s’est développée, cela reste insuffisant par rapport à d’autres régions, où la transformation structurelle et l’industrie manufacturière ont conduit à des améliorations spectaculaires du niveau de vie. Cela a abouti à une répartition asymétrique de la pauv reté globale : l’Afrique, qui représente 17 % de la population mondiale, abrite 60 % des personnes extrêmement pauv res du globe. Existe-t- il des exemples de pays ayant misé sur leur population pour se développer ?
La Corée du Sud constitue un excellent exemple de pays ayant surmonté le piège du revenu intermédiaire grâce au développement du capital humain, augmentant considérablement sa classe moyenne et accélérant l’éradication de la pauv reté Dans les années 1960, la Corée du Sud était plus pauv re que le Ghana, avec un PIB par habitant d’environ 40 % inférieur. Conscient que la jeunesse était son atout de développement le plus important, le gouvernement sudcoréen a investi dans le capital humain, permettant aux jeunes Coréens de maîtriser les technologies modernes et de les déployer efficacement, afin de stimuler la production manufacturière et industrielle. Aujourd’hui, ce pays est un leader mondial dans les secteurs de l’automobile, de la construction navale, de l’électronique, des obus d’artillerie et de l’industrie manufacturière Le PIB par habitant de la Corée du Sud est désormais six fois supérieur à celui du Ghana. Son PIB de 1 700 milliards de dollars est supérieur à ceux, combinés, de l’Ég ypte, de l’Éthiopie, de l’Algérie, du Nigeria et de l’Afrique du Sud, les cinq plus grandes économies du continent. Comment l’Afrique pourrait- elle suivre la même voie ? L’Afrique, où l’indice de fécondité est en moyenne de 4,1 naissances par femme, ne connaît pas encore ce problème structurel auquel sont confrontés un nombre croissant de pays industrialisés. Grâce à l’immigration, la population africaine atténue déjà les pressions démographiques et jouera un rôle encore plus important à l’avenir, à mesure que le continent accroît sa prospérité pour soutenir la consommation intérieure et renforcer son intégration dans l’économie mondiale Cependant, le continent doit investir de manière agressive et soutenue dans sa jeunesse pour former des ingénieurs et des scientifiques de classe mondiale, capables de
tirer parti de l’industrialisation basée sur les matières premières, afin de se repositionner en tant que puissance manufacturière. La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA f), passeport d’industrialisation de la région, devrait catalyser la jeunesse africaine pour réaliser son potentiel au profit du continent et du monde. À travers le continent, plusieurs événements montrent la profondeur de la crise. Sommes -nous à l’aube d’une vaste révolution de la jeunesse africaine ?
En zone subsaharienne, seuls trois millions d’emplois sont créés chaque année pour 18 millions d’entrants.
La jeunesse africaine est confrontée à des défis importants : de nombreuses personnes risquent leur vie en tentant de traverser la Méditerranée à la recherche de pâturages plus verts en Europe Selon l’Organisation internationale des migrations, 3 968 migrants africains sont morts ou ont disparu en tentant de traverser la Méditerranée l’année dernière Cet appétit pour le risque élevé reflète un écart grandissant entre la croissance réelle et potentielle du continent, ainsi que les opportunités d’amélioration du bien-être. Les enfants africains naissent sur le continent le plus riche en ressources naturelles, mais connaissent un avenir sombre dans des pays qui manquent d’ingénieurs et de volonté politique pour transformer ces ressources, accroître la prospérité ou créer suffisamment d’emplois bien rémunérés. En Afrique subsaharienne, seuls trois millions d’emplois sont créés chaque année, ce qui est insuffisant pour absorber les 18 millions de nouvelles entrées annuelles sur le marché du travail La plupart des jeunes Africains sont cantonnés aux activités du secteur informel – une forme déguisée de chômage, qui représente plus de 80 % des emplois sur le continent. Ces derniers mois, les jeunes engagés dans ces activités informelles peu rémunérées et très volatiles ont été touchés de manière disproportionnée par les pressions inflationnistes. Au Kenya, le mécontentement qui a déclenché des protestations contre les mesures d’austérité dans le projet de loi de finances a mis en év idence la vulnérabilité de la jeunesse. Au Nigeria, la dissolution de la Special Anti-Robbery Squad (SARS), responsable de violations des droits humains, et au Sénégal, les sacrifices consentis par les jeunes pour le Pastef, ref lètent une tendance plus large de la jeunesse exigeant de meilleures conditions de vie, similaires à celles de leurs pairs dans d’autres parties du monde. Au Sénégal, Bassirou Diomaye Faye, porté à la présidence par le soutien de la jeunesse, a déclaré : « Je garderai toujours à l’esprit les lourds sacrifices consentis pour ne jamais vous décevoir », signe d’une reconnexion avec les jeunes Sénégalais.
Comment les gouvernements africains doivent-ils appréhender ces mouvements ?
La réponse aux revendications croissantes des jeunes Africains ne doit pas être la confrontation ou la brutalité policière Les gouvernements devraient plutôt soutenir la jeunesse, qui est l’atout le plus important dont ils disposent, en investissant massivement dans le capital humain et en élargissant les opportunités, pour permettre une transition démographique réussie. Sans ces mesures, le continent pourrait en effet être au bord d’une révolution, d’autant que les politiciens de droite en Europe resserrent les politiques d’immigration. L’explosion démographique de la jeunesse représente une opportunité de croissance majeure pour l’Afrique et le monde, mais elle pourrait aussi être une bombe à retardement. Les jeunes talents ne trouvant pas d’opportunités d’emploi en Afrique s’efforcent d’émigrer…
L’exode observé en Afrique ces dernières années marque un changement important par rapport à la période qui a suiv i l’indépendance, lorsque la plupart des jeunes Africains qui étudiaient à l’étranger rentraient chez eux après avoir obtenu leur diplôme. Ils étaient attirés par une vision commune d’une renaissance africaine et par un engagement à contribuer au développement du continent, émergeant de siècles d’oppression sous l’esclavage et le colonialisme. Malgré l’histoire récente et douloureuse de marginalisation et de pauv reté intergénérationnelle dans la région, la plupart des Africains souhaitent toujours faire partie du voyage vers la prospérité Il faut leur donner la chance de découv rir leur mission dans la quête collective du développement et de la transformation structurelle à travers le serv ice public Comme l’écrivait Frantz
des entrepreneurs et des leaders industriels africains, afin de soutenir l’accumulation de richesses au fil du temps. Nous devons également nous efforcer d’égaliser l’accès aux opportunités et de parvenir à une prospérité partagée. Cette approche approfondira le sentiment d’appropriation, renforcera le concept d’État-nation, fondement de la paix et de la sécurité nationale, et l’engagement à long terme à placer la région dans un cycle vertueux de croissance et de continuité intergénérationnelle sur la voie du développement. Comme le disait Samora Machel [19331986, ex-président du Mozambique, ndlr] : « Pour que la nation vive, la tribu doit mourir. » Trop longtemps, une mentalité tribale a compromis le progrès de chacun, ainsi que le progrès collectif et le développement national. Quelles réformes les gouvernements africains devraient-ils mettre en œuvre ?
La ZLECAf serait alors au centre d’un nouveau contrat social entre les pouvoirs et les jeunes.
Fanon : « Chaque génération doit découv rir sa mission, la remplir ou la trahir, dans une relative opacité. »
Comment les convaincre de rester sur le continent ?
Nous n’avons pas besoin de convaincre les jeunes Africains de rester sur le continent. Nous devrions plutôt articuler une nouvelle vision transcendant les contraintes à court terme imposées par les crises de balance des paiements et les mesures d’austérité, qui dominent la politique économique dans la région Cette projection doit inspirer et captiver leur esprit, renforcer leur capacité d’action et les responsabiliser en tant que principaux moteurs du développement africain, dans le cadre d’un solide partenariat public-privé qui ne soit pas affecté par les transitions démocratiques. Un tel modèle favoriserait la croissance endogène et soutiendrait la montée en puissance
L’accord de la ZLEC Af est l’une des réformes les plus importantes et les plus prometteuses jamais entreprises par les gouvernements africains, en raison de son potentiel à augmenter considérablement les flux d’investissement, en les orientant vers la création à forte intensité de maind’œuv re, tandis que les entreprises profitent des économies d’échelle, de la compétitiv ité et des gains de productivité associés à la réduction des risques d’investissement sur des marchés plus petits. En plus d’élargir les opportunités d’emploi, la diversification des sources de croissance et des échanges catalysée par la ZLEC Af renforcera la résilience aux chocs et atténuera l’exposition du continent à la volatilité des matières premières. Cela élargira également l’assiette fiscale, permettant aux gouvernements d’investir de manière durable dans l’expansion du capital humain et infrastructurel, afin de soutenir la croissance économique et d’accélérer la convergence mondiale, en tenant compte des avantages de l’éducation pour la croissance de la productivité et le développement de l’entrepreneuriat, ainsi que des percées technologiques. La ZLEC Af représente une opportunité historique pour le continent de réaliser tout son potentiel. Des estimations préliminaires montrent qu’elle pourrait catalyser les flux d’IDE entre 111 et 159 % et stimuler les exportations de l’Afrique vers le reste du monde de 32 % d’ici 2035 Le défi majeur est maintenant d’en faire bénéficier la jeunesse africaine, l’ensemble du continent, et le monde. Pour cela, les gouvernements africains devraient envisager les réformes et mesures suivantes.
1. Supprimer les mesures non tarifaires : compléter l’élimination des droits de douane dans le cadre de la ZLEC Af en supprimant les mesures non tarifaires,
qui représentent un droit d’importation de 18 %. Ces barrières ont maintenu le commerce intra-africain à un niveau lamentablement bas (15 % des échanges, contre 58 % pour les échanges en Asie et 67 % en Europe).
2. Accélérer la mise en œuv re complète des « règles d’origine », afin de développer des chaînes de valeur régionales robustes, renforcer l’intégration dans les chaînes de valeur mondiales et promouvoir les produits fabriqués en Afrique, pouvant circuler en franchise de droits au sein de la zone de libre-échange continentale, afin de stimuler le commerce intra-africain et conser ver les emplois en Afrique.
3. Investir de manière agressive dans les infrastructures : combler les lacunes en matière d’infrastructures physiques et numériques et de capital humain, en particulier dans les sciences et l’ingénierie, afin de stimuler la productivité et d’améliorer l’environnement des affaires. La priorité doit aller aux infrastructures énergétiques, et ce pour lutter contre la pauv reté énergétique, facteur majeur de pauv reté intergénérationnelle, compromettant l’industrialisation et la croissance (les lacunes du secteur de l’électricité coûtent aux pays africains entre 2 et 4 % de leur PIB par an).
4. Soutenir les sciences humaines : s’il est important de favoriser une main-d’œuv re instruite en technologie et possédant une expertise en sciences, cultiver la connaissance de l’histoire et de la philosophie est tout aussi crucial pour mettre fin à l’héritage colonial de discontinuité, qui a éloigné les Africains de leur propre culture et sapé le processus de développement économique.
5. Réformer les systèmes monétaires et financiers : améliorer l’accès à un financement abordable à long terme et réduire les taux d’emprunt élevés. Pendant trop longtemps, la répression financière a freiné l’essor de l’entrepreneuriat, et les taux d’emprunt prohibitifs et induits par le défaut de paiement des prêts souverains ont réduit l’espace budgétaire de
l’Afrique, sapant les investissements publics. La réforme du système monétaire, afin de soutenir l’intégration régionale et d’atténuer les risques de dévaluation compétitive, est essentielle au succès de la ZLEC Af.
6. Transcender les frontières coloniales : éliminer les divisions de l’ère coloniale pour renforcer l’intégration régionale, améliorer les économies d’échelle et soutenir l’efficacité de la ZLEC Af La balkanisation de l’Afrique doit être surmontée, afin que la région puisse parler d’une seule voix et renforcer son pouvoir de négociation dans les pourparlers internationaux. Comme aurait pu le dire Samora Machel, afin que l’Afrique prospère dans le cadre de la ZLEC Af, les frontières coloniales doivent s’effondrer En élargissant les opportunités d’emploi et en développant les chaînes de valeur régionales, la ZLEC Af peut bel et bien établir un nouveau contrat social entre les gouvernements africains et leurs jeunes Investir dans l’éducation et le développement des compétences de cette nouvelle génération est crucial pour la mise en œuv re réussie de la ZLEC Af et la réalisation des objectifs de développement durable (ODD), en particulier à l’ère du changement climatique et de la crise environnementale
Cet investissement aura également des implications économiques mondiales, en atténuant les pressions migratoires et en positionnant l’Afrique comme le prochain marché-frontière, moteur de la croissance mondiale
Le Réseau de solutions de développement durable des Nations unies (SDSN) soutient la ZLEC Af et d’autres initiatives visant à accélérer la transition verte et la transformation structurelle des économies africaines. Au cours de la dernière décennie, le SDSN a collaboré avec des universités africaines, des gouvernements et des institutions financières et de développement régionales et internationales, convaincu que l’avenir de la jeunesse africaine et celui du monde sont de plus en plus liés ■
Le 21 ma rs 2018 le s lea de rs de 44 pa ys de l’Unio n af ricain e se réuni ssent au Rwanda p ou r signer l’acc ord créa nt la ZLECAf.
« Zied Boussen « Une génération individualiste »
Auteur d’un rappor t sur la génération Z et ses aspirations en Tunisie, le chercheur auprès de l’institut Pandora Consulting apporte un éclairage utile pour appréhender les priorités des Tunisiens de 18 à 26 ans, leur perception de l’environnement, leur relation à la société et à la politique qui, souvent, les distinguent de leurs aînés, les millen nials de la génération Y. propos recueillis par Fr ida Da hm an i
AM : Qu ’est-ce qui distingue la génération Z des millennials en Tunisie ?
Zied Boussen : Les différences sont complexes et reposent sur des facteurs géographiques, sociaux, économiques, mais également individuels. Globalement, cette génération se caractérise par son usage d’Internet. Mais il conv ient d’abord de faire une distinction entre les représentants de la génération Z dans les grands centres urbains, qui pour la plupart sont hy perconnectés, évoluent dans une bulle priv ilégiée, suivent les influenceurs vedettes des médias, et ceux des autres zones, qui sont aussi de grands utilisateurs de TikTok, Discord, Reddit, Twitch, ainsi que des réseaux plus participatifs et ludiques, et qui, en même temps, sont en prise directe avec leur environnement et un principe de réalité. Quant à la génération Y, elle considère qu’elle diffère de ces jeunes par son mode de vie, son langage, ses références culturelles et son rapport aux nouvelles technologies. Mais en Tunisie, les facteurs socio-économiques et géographiques ont plus d’incidence qu’une différence d’âge ou de génération Y aurait- il un passage de relais entre la génération Y et la génération Z ?
Pas du tout La génération Z est assez surprenante. Elle conv ient, par exemple, que la situation politique actuelle n’est pas idéale, mais associe la période Ben Ali à des indicateurs positifs, tels que la sécurité et la prospérité, comme si elle ignorait la situation du pays avant 2011 – contrairement à ses aînés, plus nuancés dans leur estimation
Est- ce une question de perception ?
Leur perception se rapproche beaucoup de celle de la population dans son ensemble. La vie publique n’est pas le moteur essentiel du changement. Ils ont grandi avec la révolution de 2011, mais ne la perçoivent pas de la même façon que les millennials. Ils sont plus individualistes, ne trouvent rien de positif à la vie politique, qu’ils considèrent comme un environnement dégradé, auquel ils n’accordent aucune confiance. Il faut préciser que cette perception vaut pour la politique nationale, qui leur semble floue et vague, mais diffère dès qu’il s’agit de politique locale Pour quelles raisons ?
Leur discours est lié au fait qu’ils n’ont jamais été approchés par la machine politique des grands partis Ainsi, s’ils ont entendu parler de certains ténors et connaissent leur nom, ils ont du mal à identifier les acteurs du monde politique. Ils s’identifient d’autant moins à ces figures que les partis ont négligé la promotion des jeunes, bien que cette génération constitue un vivier de nouveaux électeurs. Ils regardent peu la télévision et n’écoutent pas la radio, mais constatent qu’ils sont sans réelle influence. Ils considèrent la politique comme un mécanisme en dehors de leur vie. Et qu ’en est- il de la vie politique locale ?
Dans les régions moins connectées, la vie politique menée à l’échelle locale interpelle davantage les jeunes, car elle est le fait de personnalités qu’ils connaissent, et qui sont parfois des proches. Dans certaines localités, une politique en faveur des jeunes est menée, et cela contribue à leur intégration Ils partagent un sens commun DR
Ils sont pugnaces, détachés de la politique et, contrairement à leurs aînés, ils sont moins enclins à quitter le pays.
et se sentent appartenir à un collectif. Ainsi, dans le gouvernorat de Kairouan, les jeunes de la génération Z, par le biais d’un réseau associatif, ont mené une campagne de plaidoyer auprès de la société de transport public Cette action a dy namisé les relations entre citoyens, et a permis d’obtenir une rotation de bus supplémentaires. Quelle est leur tendance ? Sont-ils plutôt réactionnaires ou conservateurs ?
Ils sont le reflet de la société. Ils font aussi une évaluation négative du marché du travail, des systèmes
L’une de s ph otos emb lé ma ti q ue s de la pé riod e révo lu tio nn aire (th aoura), avec la grève gé né ra le à Re gue b, en ja nv ie r 2 011.
de santé et d’éducation, mais reconnaissent que la fonction publique n’est plus un choix de carrière attractif. Contrairement à leurs aînés, ils sont moins enclins à quitter le pays : 90 % de la génération Y souhaitent migrer, mais moins de 50 % de la génération Z l’envisagent. En revanche, l’idée de départ est abordée sans complexe ni jugement par les plus jeunes qui, plus individualistes, se rendent bien compte que leur avenir dépend de leur pugnacité et qu’il leur faudra faire des choix. Ils savent que la révolution de 2011 a eu des conséquences assez radicales dans le pays, mais ils étaient trop jeunes pour y participer et y sont assez indifférents aujourd’hui. Ils sont aussi paradoxaux ; ils prônent la responsabilité et la conscience comme valeurs de la vie publique, qu’ils souhaitent moraliser dans le respect d’autrui et des institutions, mais expriment une nostalgie de la période Ben Ali qu’ils n’ont pas connue ■
por trait
YES WE
JoeBiden,rat trapépar lesexigences de l’âge, apassé la main.PourKamalaHar ris, le défi estdetaille: barrer en quelques semaines la routeà Donald Trumpetàsamachine. Elle pour rait surtoutdevenir la première femmeprésidente desÉtats-Unis. Unerévolution! par Cédric Gouverneur
KAM !
Un im mense soulagement. Telle fut la réac tion im médiate des anti-Trump lorsque, le dimanche 21 juillet, le président en poste a enfin renoncé à se représenter. Biden, 81 ans, s’est épargné une probable défaite devant Trump, plus combatif que jamais depuis la tentative d’assassinat dont il a miraculeusement réchappé le 13 juillet Qu’il ait fallu trois semaines au président, après son débat cataclysmique, pour accepter l’év idence confirme cruellement sa quasi-sénilité : le 27 juin, en direct sur CNN, Biden (que Tr ump et ses partisans surnomment Sleepy Joe, Joe l’Endormi…) s’était avéré incapable de terminer ses phrases. « Je n’ai aucune idée de ce qu’il a voulu dire, et je crois que lui non plus », s’était moqué Trump (son cadet de trois années seulement !) en toisant son adversaire, avec un sourire de matou lacérant de ses griffes une souris agonisante Sans surprise, l’écar t entre les deux candidats s’était aussitôt creusé dans les sondages…
UNE COURSE À LA PRÉSIDENCE INAT TENDUE
Ma is le matc h retour Biden-Tr ump n’au ra pas lieu. À la grande déception de Tr ump, son adversaire favori a jeté l’éponge, mis K.O. par le poids des années. Face à l’ancien président se dresse une challenger beaucoup plus redoutable : Kamala Harris, qui fêtera ses 60 ans en octobre. La vice-présidente incarne désormais un immense espoir pour tous les électeurs du parti démocrate, mais aussi du camp républicain opposés aux outrances et à la brutalité du magnat de l’immobilier Le lendemain de l’annonce du renoncement de Biden, Kamala Harris recevait, en une seule journée, plus de 80 millions de dollars de dons pour sa campagne éclair (une centaine de jours seulement) Et ralliait prestement un nombre suffisant de délég ués démocrates pour être, arit hmétiquement, désignée mi-août of ficiellement candidate par le parti. Ses soutiens, qui se surnomment la « K-Hive » (la ruche Kamala), font circuler sur les réseaux sociaux des dessins la représentant en statue de la Liberté ou en superhéroïne. Et aussi ce slogan, inspiré de celui de Barack Obama en 2008 : YES WE KA M! La dy namique est lancée : les sondages fin juillet la donnaient au coude-à- coude ou même devant Tr ump dans les États indécis – les célèbres swing States, historiquement acquis ni aux démocrates ni aux républicains : Arizona, Wisconsin, Mich igan, Pennsylvan ie Les inst it ut ions démocrat iques américaines vont peut-être échapper à la menace existentielle que constituerait le retour d’un président climatosceptique, xénophobe, qui méprise les faits autant que l’argumentation rationnelle, ment sans vergogne, n’a jamais admis sa défaite de novembre 2020… et menace explicitement de se venger en cas de retour à la Maison-Blanche ! Lors de son premier meeting, fin juillet, dans le Wisconsin, Kamala Harris a donné le
Le 10 ju in 20 24 , à Wa shin gton D C, Jo e Bi den et Ka mala Ha rri s orga nisent une cé l ébratio n du Jun ete enth (19 ju in), qui m arqu e of fici ell em ent la fi n de l’esclavag e au x État s- Un is
ton : « la liberté » en votant pour elle, ou « le chaos » en votant pour Trump. Ce dernier a laissé entendre lors d’un meeting fin juillet qu’après avoir voté pour lui, les Américains n’auront plus à se rendre aux urnes…
La responsabilité pesant sur les épaules de Kamala Harris est historique Personne n’aurait sans doute imaginé un tel scénario lorsque cette sénatrice démocrate de Californie s’est lancée, en janv ier 2019, dans la course à la primaire du parti. Les trumpistes – coutumiers des propos racistes – prennent un malin plaisir à écorcher son prénom qui, insiste l’intéressée, se prononce Koma-lah Ce qui signif ie « lotus » en sanskrit : « Une fleur posée sur l’eau, qui n’est jamais mouillée et trouve ses racines dans la boue. Il est important de savoir d’où l’on vient », ex plique-t-elle. Son second prénom, Dev i, sign if ie « déesse ». Tout un programme En 2019, la candidate à la primaire démocrate avait cependant rapidement jeté l’éponge. Avant de revenir sur le devant de la scène lorsque le candidat désigné Joe Biden a décidé de la nommer colistière, pour
d’év identes raisons de marketing électoral. Une femme. Une Noire Deux marqueurs identitaires susceptibles de rallier les suffrages féminins comme ceux des minorités à la candidature de Biden, vieux mâle blanc dans la pure tradition des présidents américains depuis 1776
Le samedi 7 novembre 2020, lorsque la victoire électorale de Biden sur Tr ump fut enfin conf ir mée après un interminable dépouillement de quatre jours, la colistière du candidat démocrate, vêt ue d’un jogging et aussi souriante et décontractée que possible, s’était mise en scène devant les caméras en train de téléphoner à son boss : « Nous l’avons fait, Joe ! » (We did it, Joe!), annonçait-elle Ce « nous », addition de deux « je » déterminés, n’avait rien d’év ident. Car lors de la course à l’investiture démocrate, Joe et Kamala ne s’étaient pas fait de cadeau Preuve, s’il en fallait, de la dureté impitoyable de la politique américaine… tout comme de la détermination de Kamala ! Biden a ensuite précisé « ne pas porter rancune » à celle qui est devenue sa vice-présidente Mais avait-il le choix ?
Un immense espoir pour les électeurs du parti démocrate, mais aussi chez certains républicains opposés aux outrances de Trump.
Le s pa re nt s de la cand i da te : Do nal d Ha rri s, professe ur d’éc onom ie à Stanford, et Shya mala Go palan, endocrin ologu e.
PÈRE JAMAÏCAIN ET MÈRE TAMOULE
Ses parents se sont rencontrés à l’université de Berkeley (Califor nie), lors des boui llon na ntes si xt ie s Cel les des luttes pour les droits civiques et contre la guerre du Vietnam. Un creuset qui fut « l’occasion pour de jeunes étudiants af ro-américains descendants d’esclaves de rencontrer des étudiants étrangers venus de colonies tout juste émancipées », rappelait en 2020 The New York Times En 1962, Donald Harris, doctorant jamaïcain en économie (et amateur de jazz, goût qu’il a transmis à sa fille), livre une conférence sur le racisme à l’œuvre dans le colonialisme britannique Au terme de son intervention, une étudiante vêtue d’un sari l’aborde : Shyamala Gopalan, scientifique issue d’une famille brahmane du Tamil Nadu (sud-est de l’Inde). Une idylle prend forme. Sur le campus, les amoureux vont fréquenter la gauche noire américaine. Ils sy mpathisent notamment avec Huey Newton, l’un des fondateurs du Black Panther Part y, et avec l’intellectuel Cedric Robinson, auteur en 1983 du livre Black Marx ism. C’est là, dans ce maelström intellectuel de Berkeley, que serait même apparu le mot « Afro-A méricain ». Avec l’affirmation de soi et la fierté retrouvée qu’implique ce terme – de la lutte contre la ségrégation au mouvement Black Lives Matter, en passant par l’élection et la réélection de Barack Obama (2009-2017).
De
père
jamaïcain,
de mère indienne, mariée à un avocat de confession juive, elle incarne
la
diversité d’une nation multiforme.
Son père est ensuite devenu professeur d’économie à l’université de Stanford, et sa mère endocrinologue spécialiste du cancer du sein. Lorsque la candidate a sept ans, ses parents divorcent. Elle et sa sœur Maya suivent leur mère Shyamala au Québec – Kamala y a d’ailleurs effectué sa scolarité en français Elle rev ient aux États-Unis pour suiv re des études en science politique et en droit, puis intègre le Barreau de Californie. Elle est d’abord adjointe au procureur de district du comté d’Alameda, puis g ravit un à un les éc helons À 29 ans, elle a une liaison avec Willie Brown, homme politique af ro-américain de trente ans son aîné, et futur maire de San Francisco. « J’ai sans doute influencé sa carrière en la nommant dans deux commissions étatiques », a par la suite admis Brown. En 2004, elle est élue procureur de San Francisco, puis procureur général de Californie (20112017) : elle est alors à la fois la première femme et la première Afro-A méricaine à diriger l’administration judiciaire de l’État le plus peuplé du pays. Harris, 60 ans le 20 octobre, n’a pas eu d’enfant Un point moqué par les républicains, apôtres de la famille traditionnelle : J. D. Vance, le colistier de Trump, l’avait en 2021 traitée de « femme à chats misérable dans sa vie », qui sans descendance n’aurait « pas d’intérêt » au futur du pays. C’est oublier que l’ancienne chancelière allemande Angela Merkel n’avait, elle non plus, pas d’enfant. Ce qui lui a permis au contraire de se consacrer pleinement aux intérêts de la nation.
Même si elle reconnaît l’influence de ses parents activistes dans sa formation intellectuelle et dans sa prise de conscience des réalités politiques et sociales, Kamala se présente comme DR (2)
moin s à gauc he qu’eux : « Je ne tente pa s de rest ruct urer la société, j’essaie simplement de résoudre les problèmes qui réveillent les gens en pleine nuit » Une modération qui lui est reprochée par certains Afro-A méricains… mais qui pourrait s’avérer décisive lors du scrutin de novembre, en rassurant les électeurs centristes Aux ÉtatsUn is, êt re à la fois proc ureu r et af ro -a méricaine est lourd de sens Non seulement les USA détiennent le record du plus fort taux d’incarcération au monde (1,7 million de détenus), mais la justice y est terriblement inégalitaire : un prévenu n’ayant pas les moyens de rémunérer un bon avocat doit « plaider coupable », et se résigner à accepter une peine d’incarcération « minimum ».
En toute logique, les minorités ethniques, situées en bas de l’échelle sociale, sont surreprésentées en détention Les chif fres sont ef farants : selon les données de l’association The Sentencing Project, les Afro-A méricains représentent 13 % de la population totale, mais 40 % des détenus. Parmi les enfants af ro -américains, 11,4 % ont l’un de leurs parents incarcéré, contre 1,8 % des enfants blancs Un Afro-A méricain né en 2001 a statistiquement une probabilité sur trois de séjourner derrière les barreaux au cours de sa vie, contre une sur dix-sept pour un Américain blanc !
TROP « FLIC » ET PAS AS SE Z « AFRO »
She’s a cop (« C’est une flic »). Voici comment ont réagi certains militants afro-américains après que Kamala Harris, élue sénatrice de Californie en 2017, s’est lancée en 2019 dans la course à l’investiture démocrate. Là où Tr ump et l’extrême droite ont tenté de la caricaturer comme un sous-marin de l’extrême gauche, cette dernière l’a présentée au cont raire comme le bras du racisme judiciaire ! Politiquement, Kamala est tout simplement une centriste pragmatique : « J’ai tenté de réformer le système de just ice péna le en sachant qu’il est profondément imparfait et a besoin d’être réparé », a dû se défendre l’ancienne procureur. Elle rappelle avoir lancé, en 2005, le programme Back on Track (« De retour sur les rails »), afin d’év iter la prison aux primo-délinquants Après la crise des subpr imes, elle a aussi lutté contre les abus des banques, et fait passer en Californie une loi af in de protéger les petits propriétaires des expulsions (homeowner bill of rights). Et si elle a pu se montrer impitoyable, c’est avec les puissants : Bret t Kavanaugh est bien placé pour le savoir… En septembre 2018, ce juge conser vateur, nommé à la Cour suprême par Trump, est auditionné par la commission judiciaire du Sénat. Mécontente de ses réponses évasives, l’opiniâtre procureur Harris lui pose quinze fois la même question en huit minutes, mettant le juge au supplice.
Accuser cette fille d’activistes des sixties, première Asiatique et deuxième Afro-Américaine élue au Sénat, d’être insensible aux inégalités raciales est donc un non-sens. Son mari Douglas Emhoff – un avocat juif new-yorkais réputé, divorcé et père de deux enfants – a ainsi raconté comment Kamala lui a « fait prendre conscience du priv ilège d’être Blanc », qui passe par exemple par le simple fait de « ne pas être systématiquement fouillé par les douanes en sortant de l’aéroport » ! Malgré cela, Kamala Harris, née de l’union d’une Tamoule et d’un Jamaïcain, s’est vu reprocher de ne pas être authentiquement afro-américaine, c’est-à-dire descendante d’esclaves amenés de force sur le sol des États-Unis et affranchis en 1865. La militante Yvette Carnell, du Mouvement des Américains descendants d’esclaves (A DSM), avait en 2019 relevé non sans mépris que Kamala Harris n’avait « pas ça dans son lignage ». Faux : les ancêtres de son père étaient des esclaves africains déportés dans les plantations de Jamaïque Elle a aussi rappelé l’engagement de ses parents auprès du mouvement des droits civiques et ses « premières manifs en poussette ». Sa mère Shyamala Gopalan, « à partir du moment où elle est arrivée d’Inde, a choisi la communauté noire. Ma mère a très bien compris qu’elle éduquait deux petites filles noires, et que son pays d’adoption verrait ma sœur Maya et moi comme des Au x côté s de so n m ar i
Dougla s Emhoff
lor s de la Va ni ty Fa ir Oscar Pa rty, en 2015
Noires… Je suis née Noire et je mourrai Noire, je ne vais pas m’excuser auprès de gens qui ne comprennent pas ça », a-telle dû se justifier. Ces polémiques avaient pourtant contribué à plomber sa campagne aux primaires : en décembre 2019, « faute de moyens financiers », la sénatrice de Californie s’était retirée de la course à l’investiture démocrate, les intentions de vote en sa faveur plafonnant à 3 %…
En mars 2020, lorsque Joe Biden a annoncé qu’il choisirait « une femme pour colistière », trois noms se trouvaient da ns l’esca rcelle : ceux d’ El izabet h Wa rren (sénatrice du Massachusetts), d’Amy Klobuchar (sénatrice du Minnesota) et de Kamala Harris. En août suivant, l’ancien vice-président d’Obama a opté pour la sénatrice afro-américaine. Joel Payne, un stratège démocrate proche d’Hillar y Clinton, calculait que ce choix permettrait à Biden « d’unifier la coalition démocrate au-delà des lignes raciales et générationnelles », et « de stimuler l’enthousiasme de la base ». En 2020, Kamala avait notamment pour mission de séduire les jeunes, les femmes et les minorités
Entourée de sa sœur Maya (ex-conseillère d’Hillar y Clinton) et de sa directrice de campagne Karine Jean-Pierre (A méricaine d’origine haïtienne, qui avait travaillé en 2008 pour le candidat Obama), elle a su cultiver son image de femme moderne et assurer le show. Toujours chaussée de Converse All Star (modèle Chuck Taylor) bon marché et populaires, elle incarnait le tonus qui manquait si cruellement au vieillissant Biden… Fan de hip-hop, elle n’avait pas hésité à danser sous la pluie devant les caméras au son de « Work That », de la rappeuse Mary J. Blige, lors d’un meeting en Floride. Une légèreté qui ne l’empêche pas de se montrer inébranlable, par exemple lors d’un débat télévisé contre le vice-président de Tr ump, Mike Pence, le 7 octobre 2020 : I’m speaking! (« Je parle ! »), lui avait-elle asséné à seize reprises alors que son contradicteur s’acharnait à lui couper la parole Cette stratégie s’était avérée payante en 2020 : 87 % des Afro-A méricains, 62 % des jeunes et 56 % des femmes avaient voté pour le « combo » Biden/Harris. Le raz-de-marée démocrate dans les mégapoles largement afro-américaines de Philadelphie (Pennsylvanie), Milwaukee (Wisconsin), Détroit (Michigan) ou Atlanta (Géorgie) s’était notamment avéré décisif pour vaincre Trump.
« UNE CINGLÉE », SELON TRUMP
Dè s novembre 2020, de s pa nc ar te s « Ka ma la 2024 » avaient fleuri dans les rassemblements fêtant la victoire du camp démocrate. La colistière s’était pourtant gardée de manifester quelque velléité Elle a désormais rendez-vous avec le destin Trump la traite de « cinglée » – qualificatif qu’il attribue à toute femme osant lui faire front – et profère les pires mensonges à son encontre, l’accusant de vouloir « exécuter des bébés après leur naissance » ! Car depuis le début de l’année, Harris fait de la défense du droit à l’avortement l’un des principaux leviers de la mobilisation contre le retour de Trump. Le 24 juin 2022, la Cour suprême, entraînée par le juge Cla-
Même si elle devait l’emporter en novembre, sa victoire ne mettrait pas fin à la formidable guerre sociétale entre deux idées de l’Amérique.
rence Thomas – Afro-A méricain, mais ultraréactionnaire [lire son port rait dans Afrique Magazine de septembre 2022] – a abrogé le droit constitutionnel à l’avortement, laissant le soin aux États de décider. Pour les femmes qui habitent les États républicains, avorter s’est depuis transformé en traumatisant calvaire… La question de l’interr uption volontaire de grossesse (I VG) pourrait faire la différence le 5 novembre : selon les sondages, 60 à 70 % des Américains se disent favorables au droit à l’avortement. À l’automne 2022, lors des élections de mi-mandat (midterm), la vague républicaine annoncée n’avait finalement pas eu lieu : la défense du droit à l’IVG avait largement contribué à la mobilisation de l’électorat.
Reste à savoir si s’avérera suffisante cette mobilisation des femmes, des diplômés, des minorités ou tout simplement des Américains qui constatent chaque jour la réalité du changement climatique : Tr ump se contref iche de la défense de l’environnement (il a un jour suggéré de raser les forêts pour éviter les incendies…), et promet de « forer, forer, forer » des puits de pétrole en cas de victoire. En novembre 2016, Trump l’avait emporté contre Hillar y Clinton à la surprise générale Et en novembre 2020, les résultats s’étaient avérés bien plus serrés que prév u, dévoyés par le mode de scrutin indirect (les électeurs votent dans chaque État pour de « grands électeurs »), dont le découpage favorise outrageusement les États ruraux – là où, justement, foisonne l’électeur trumpiste typique : Blanc, non diplômé, fondamentaliste chrétien, volontiers xénophobe, parfois suprémaciste, souvent complotiste (la plupart reste persuadé que Trump a gagné en 2020 et que sa victoire lui a été volée…). Des Blancs modestes, surnommés avec mépris rednecks (« nuques rouges », en référence à un coup de soleil
derrière la tête), frappés de plein fouet, dans les années 1990 et 2000, par la désindustrialisation, les délocalisations et la concurrence induite par la mondialisation Trump, avec son slogan MAGA (Make America Great Again), leur vend le rêve d’un retour au « monde d’avant ». Sa grossièreté, sa haine des autres, son mépris de la science font écho aux colères et aux frustrations de cet électorat, qui s’identifie à ce candidat qui lui ressemble… Et Trump ne rate aucune occasion de le flatter : le 13 juillet, quelques secondes après avoir frôlé la mort, il s’est relevé, ensanglanté, et a brandi le poing en hurlant : Fight! Fight! Fight! (Luttez !), tel un cow-boy coriace dans un vieux western hollywoodien. Dès le lendemain, ses équipes vendaient des T-shirts illustrés de cette photo historique…
PRÉSERVER LA DÉMOCR ATIE
Face à l’ogre Trump, Kamala Harris va devoir se surpasser. Surmonter la discrétion qu’elle s’était imposée pendant quatre ans, en raison du rôle sy mbolique du vice-président, dont la tradition dit qu’il se trouve « à une respiration du pouvoir » : historiquement, cette fonction n’a d’autre mission que de remplacer le chef de l’État en cas de décès ou d’incapacité Harris n’a qu’une centaine de jours pour renverser la table. La responsabilité de ce handicap incombe à Biden, qui aurait dû accepter son âge et renoncer, dès 2021 ou 2022, à envisager un second mandat… Mais aussi à Barack et Michelle Obama, et aux caciques du parti démocrate, qui ont trop tardé à la soutenir Face à l’urgence et au péril, tous ceux qui redoutent un retour de Trump font désormais front derrière la candidate de 59 ans. Surtout, les sondages publiés fin juillet montrent que les électeurs démocrates, mais aussi « indépendants » (qui ne se disent ni démocrates ni républicains), expriment un vote d’adhésion pour Kamala, et non un simple vote contre Trump. La perspective de la voir à la Maison-Blanche suscite bien plus
d’enthousiasme et de curiosité que celle de la reconduction d’un Biden af faibli En quelques jours, 170 000 nouveaux bénévoles ont contacté le parti démocrate pour participer à la campagne de Kamala Harris, tandis que s’accumulent dans les caisses des dizaines et des dizaines de millions de dollars de dons, pour beaucoup versés par des particuliers. Des militants de fraîche date évoquent un « effet Obama ». Signe de la fébrilité du camp Trump : le magnat de l’immobilier refuse pour le moment de débattre avec la candidate démocrate, le 10 septembre prochain. Donald Trump, qui a fêté ses 78 ans en juin et a des soucis avec la justice, sait qu’il a tout à perdre dans une confrontation face à Kamala Harris, ancienne procureur opiniâtre, de près de vingt ans sa cadette… La campagne sera féroce, les pro-Trump sont prêts à tout : le 26 juillet, Elon Musk a diffusé sur son réseau social X (ex-Twitter) une vidéo ridiculisant Harris, se gardant de préciser qu’il s’agissait d’une parodie générée par IA Mais même si elle l’emporte le 5 novembre, la guerre politico-culturelle entre ces deux Amérique risque de se poursuivre. Il y aura d’autres Trump : des politiciens d’extrême droite capables de surfer sur les peurs, les aigreurs et le ressentiment des petits Blancs Barack Obama (2009-2017) a vu juste dans ses mémoires, A Promised Land* : selon l’ancien président, la crise que traverse la démocratie américaine « trouve ses racines da ns la lutte fondamenta le entre deux visions opposées de ce qu’est l’Amérique et de ce qu’elle devrait être… Cette lutte n’est pas nouvelle », précise-t-il, évoquant notamment la guerre de Sécession (1861-1865) et le mouvement des droits civiques des années 1950 et 1960. « Au cœur de cette bataille de longue durée repose une question simple : a-t-on le souci d’accorder la réalité américaine avec ses idéaux », ou veut-on les « réserver à une poignée de priv ilégiés ? » ■
* Une Terre promi se, Barack Obama (éditions Fayard, 2020).
Na ti on al Ha rb or Ma ry land , le 24 févri er 20 24 De pu is , Do nal d Tr ump et sa ca mpag ne so nt dé stab ili sé s par le retrait de Bi de n.
Le se crétaire gé néral de l’ONU,
Da g Ha mmar skjö ld, re çu à Lé op old vil le par le p ré sident de la Répu bl iqu e du Co ng o, Jose ph Ka sa -Vubu
Au mi li eu , Ra lp h Bun ch e, re présenta nt sp éci al de l’ONU au Cong o.
En 1960, à l’au be de l’indépendance du Congo, le Katanga décide de faire sécession. Peu de temps après, les Casq ues bleus des Nations unies interv iennent. Le conf it est brutal. L’éphémère régime minier pro-occidental est soutenu en sousmain par des agents français plus ou moins obscurs.
Maurin Picard raconte cet épisode digne des plus grands romans d’espion nage. par Cé dric Go uver ne ur do cu me nt
Katanga Quand la Françafrique et l’OAS faisaient la guerre à l’ONU…
En 1961, les Nat ions un ies veulent cont ra indr e le Kata ng a sépa rati ste à reven ir da ns le gi ron du Congo Of ficiellement, la France sout ient l’intégrité de l’ex-Congo bel ge , tout ju ste indé penda nt . Ma is en sous-m ai n, le s réseau x de la « França fr ique » convoitent les richesses minières de la provi nce sépa ratiste. Des cent aines de mercenaires français, pour la plupar t vétérans de la lutte anti-indépendantiste en Algérie et proches des colons extrémi stes de l’OA S, vont se mett re au se rv ice de Go de froid Mu nongo, le redouté mini st re de l’ Inté rieu r du Kata ng a – impl iqué da ns l’assassinat du Prem ier minist re congolais Patrice Lumumba. Les combats entre Français et gendar mes katangais, d’une part, et Casques bleus (indiens, éthiopiens, suédois et irla ndais…), d’autre pa rt, seront féroces. Cette cr ise a même probablement coûté la vie au sec réta ire généra l de l’ON U Dag Hammarskjöld – mort dans un douteu x crash d’av ion ! L’ hi stoi re de ce conf lit, au scéna rio digne d’un film d’espionnage, est racontée dans le livre haletant du jour naliste Maur in Picard, Katanga ! La guer re oubliée de la Françafr ique cont re l’ON U (éditions Perr in).
MAURIN PICARD
« ILS VOULAIENT CRÉER UNE BASE ARRIÈRE POUR L’OAS EN AFRIQUE CENTRALE »
AM : Vous montrez que les services secrets français, qui portaient le nom de SDECE jusqu’en 1982 , ont agi au Katanga dans le dos du ministre des Affaires étrangères ! Maurin Picard : En ef fet, le ministère français des Af faires étrangères a été tenu en dehors de l’opération La cellule des Affaires africaines et malgaches de l’Élysée de Jacques Foccart et le ministre des Ar mées Pier re Messmer ont géré la question katangaise. Le Premier ministre Michel Debré entretenait un af frontement larvé avec le chef de la diplomatie, Maurice Couve de Murv ille, partisan d’un Congo unifié. Cette action clandestine allait à l’encontre de la position officielle de la France, qui soutenait un Congo indépendant et unifié
Le SDECE, à l’époque, était pénétré par des éléments acquis à la cause de l’Algérie française, qui jouaient un double jeu. De Gaulle était- il au courant ?
Peu d’in format ions sont dispon ibles. Il au ra it déclaré devant témoins : « Il est bien, ce Tshombé. Il faudrait faire quelque chose. » Mais nous n’avons pas de trace écrite. On suppose que de Gaulle a donné à Foccar t un « feu orange » (en cas de capture d’un Français, Paris démentit tout lien…). Aucun document sur le Katanga ne figure dans les archives de Foccart, ce qui suppose que les traces écrites ont été détruites ou restent classifiées. Ce dernier percevait le Katanga comme une opportunité pour la France de prendre la relève de la Belgique. Le but était de s’emparer des richesses géologiques de la province sécessionniste, et de tailler des croupières aux deux superpuissances De Gaulle redoute alors l’influence de l’Union soviétique en Afrique, mais aussi celle des États-Unis de John Fitzgerald Kennedy, favorable à l’unité du Congo. L’objectif était de soutenir un État pro-occidental, anticommuniste, riche en minerais… mais également allié aux régimes suprémacistes blancs sud- africain et rhodésien !
Les intérêts de Pretoria et de Paris se recoupent alors face au « péril rouge », que les deux États cherc hent à contenir. Le bras droit de Foccar t, Jean Mauricheau-Beaupré, transite régulièrement par Johannesburg, afin de faciliter l’acheminement des armes et du matériel au Katanga. Les liens militaires et financiers se sont discrètement resserrés entre Paris et Pretoria : en 1959, l’état-major français a même accueilli des stagiaires militaires sud-af ricains en Algérie, af in de les former. Parmi eux, figurait un certain Magnus Malan, qui deviendra ministre de la Défense ! Et lorsque les Nations unies réclament pour les Casques bleus des hélicoptères Alouet te III, Paris ref use… mais fournit ces appareils à l’Af rique du Sud. En fi n, en septembre 1961, penda nt les combat s entre les rebelles katangais et les Casques bleus, les mercenaires frança is seront épaulés pa r quelques sn ipers sud-af rica ins – à l’év idence, des membres des forces spéciales en mission –, qui infligeront des pertes au contingent éthiopien. Vous montrez l’implication de l’UMHK , mais aussi de la société britannique TANKS. Londres et Bruxelles étaient favorables aux séparatistes ?
Paris est bien conscient des intérêts industriels et miniers anglo-belge s en Af rique au st ra le, ma is sous-e st ime leur influence. Tout ce qui se décide au Katanga est en fait décidé à Londres et Br uxelles par ce groupe industriel qui pour voit 70 % du budget de la prov ince sécessionniste. L’idée que la France vienne contrôler le Katanga est év idemment insupportable pour les hommes d’af faires britanniques et belges Godefroid Munongo, ministre de l’Intérieur katangais, apparaî t dans votre livre plus dangereux et déterminé que le président Moïse Tshombé, qui semble davantage enclin au compromis avec Léopoldville/Kinshasa.
Moïse Tshomb é est encore popu la ire en Républ ique démocrat ique du Congo aujourd’ hui. En 1961, il n’est pas celui qui tire les ficelles. Godefroid Munongo – le petit-fils du célèbre roi M’Siri ! – est bien plus redoutable. Il prof ite de l’incarcération prov isoire du chef de l’État par les autorités congolaises, entre av ril et juin 1961, pour prendre les commandes et hâter le recrutement d’of ficiers français Retraité dans le Zaïre de Mobutu, il mourra en 1992 dans des circonstances étranges
Vous soulignez également le rôle joué par les présidents Fulbert Youlou (Congo -Bra zzaville) et Félix Houphouët- Boigny (Côte d’Ivoire) dans la crise katangaise.
Féli x Houphouët-Boigny et l’abbé-président Fulber t Youlou soutiennent la sécession du Kata nga. Youlou est l’ homme de Paris en Af rique cent rale. C’est par Brazzaville que transitent les mercenaires et le matériel. Houphouët-Boigny aurait même voulu qu’au Kata nga, le s Ca sques bleu s soient remplacés par des troupes af ricaines émanant de pays alliés à la France.
En face, se trouvent l’Inde de Nehru, le Ghana de Nkrumah, l’Éthiopie du négus Haïlé Sélassié Ier et la Tunisie de Bourguiba
La Tunisie, l’Éthiopie et l’Inde fournissent une bonne partie du contingent de l’opération des Nations unies au Congo (ONUC), fort d’environ 16 000 hommes. Ces pays donnent de la voix à l’Organisation des Nations unies, afin de favoriser les intérêts des non-alignés. De leur point de vue, la crise au Congo sy mbolise la lutte contre les colonisateurs européens, sur un continent encore en voie d’émancipation. Ces États expriment une vraie volonté de s’opposer aux intérêts néocolonialistes de Paris, incarnés par les réseaux Foccart et la « Françafrique ». Rappelons que la crise katangaise est concomitante de celle de Bizerte [en juillet 1961, la question de la rétrocession de la ba se navale de Bi zerte tour ne à l’af frontement entre la France et la Tuni sie La Tuni sie est alors indépendante depuis cinq an s, et la guerre d’indépendance de l’Algérie voisine n’est pa s achevée, ndlr] Le président Habib Bourguiba représente, face à la France, l’un des meilleurs alliés de « Monsieur H », le secrétaire général des Nations unies Dag Hammarskjöld, mort le 18 septembre 1961 dans un douteux crash aérien en Rhodésie du Nord (actuelle Zambie), en bordure du Katanga.
Vous expliquez dans ce livre, et dans votre précédente enquête publiée en 2019*, que des mercenaires français sont vraisemblablement impliqués dans le crash de l’avion du secrétaire général de l’ONU.
J’ai recueilli en parallèle deux témoignages : celui d’un Sud-A fricain et celui d’un Belge, qui ne se sont jamais rencon-
trés Tous deux évoquent la présence, à proximité du crash, de Blancs portant des treillis inconnus et, surtout, des casquettes très particulières, qu’ils n’avaient jamais vues auparavant, avec un protège nuque. À l’époque, en 1961, seuls les paras français en Algérie portaient ce ty pe de couv re-chefs, surnommés « casquettes Bigeard ».
Vous indiquez que les Français déployés au Katanga sont souvent proches de l’OAS.
En les utilisant, Paris faisait d’une pierre deux coups. En premier lieu, envoyer au Katanga ces militaires favorables à l’OAS permettait de les éloigner de l’Algérie, où ils auraient pu jouer un rôle déstabilisateur. En second lieu, Paris retournait ses adversaires potentiels en les faisant serv ir la politique étrangère de la France en Af rique ! Les Nations unies
se méfiaient particulièrement des officiers français Contrairement au x autres mercenaires ét rangers, ils n’étaient pas venus au Katanga uniquement pour l’argent ; ils avaient un véritable agenda politique et voulaient créer une base arrière pour l’OAS en Afrique centrale, afin de serv ir de recueil aux supporters déçus de l’Algérie française et d’y mener une lutte idéologique, avec pour voisins des régimes amis – le Katanga séparatiste, l’Afrique du Sud de l’apartheid, la Rhodésie suprémaciste blanche… Ils étaient au Katanga afin de combattre l’influence des puissances afro-asiatiques – à leurs yeux, des « communistes ». Le 28 août 1961, les Nations unies sont donc intervenues militairement contre eux. Il faudra quinze mois supplémentaires pour que les Casques bleus réduisent la sécession katangaise.
L’Union minière du Haut- Katanga (UMHK) a fini par lâcher les séparatistes…
La compagnie a compris que la cause idéologique défendue par Roger Faulques et ses hommes, proches de l’OA S, allait finir par nuire à ses intérêts financiers Tshombé a donc lâché Faulques. L’UMHK finira par rentrer dans le giron et s’accommoder d’un Congo unifié Elle sera nationalisée en 1967 par Mobutu, qui en év ince les Belges, et prendra le nom de Gécamines.
Aujourd’hui, soixante ans après cette crise, l’est du Congo demeure la proie d’ingérences extérieures…
La continuité historique avec la crise du Katanga en 19601963 est év idente La malédiction de la RDC et l’at trait de ses richesses géologiques se poursuivent. La convoitise que suscite cette manne fait apparaître de nouveaux acteurs extérieurs Aux anciennes puissances coloniales européennes se sont substitués le Rwanda, l’Ouganda … et surtout la Chine, qui achève de mett re la « Copperbelt » (ceint ure de cuiv re) sous coupe réglée. ■
Ex tr ai ts
Introduction.
Ils étaient vingt-cinq
Il y eut au début des années 1960 une brève expérience sécessionniste au cœur de l’Afrique noire, un petit État indépendant et prospère, convoité pour ses fabuleuses richesses géologiques et âprement disputé par les grandes puissances, au point de devenir, deux années durant, l’un des points chauds de la guerre froide. Aujourd’hui encore, le Katanga demeure un my the à part entière. Ce territoire situé sur le flanc sud-est du Congo vivait sous la férule belge depuis la fin du XIXe siècle. Anomalie géologique, pour ses précieuses ressources minières, « pédicule » s’enfonçant dans la
savane rhodésienne, il marquait à l’époque le point d’avancement extrême du monde francophone aux portes de l’Afrique australe. Il faisait bon vivre, du moins pour les colons européens, dans cet éden industriel avec ses coquettes résidences, ses jardins proprets et ses larges avenues bordées de jacarandas. Un universitaire belge, René Clémens, avait ratifié une Constitution de ty pe occidental. L’hymne national, calqué sur La Marseillaise, assumait crânement ce plagiat et se nommait La Katangaise. Le président Moïse Tshombé s’entourait d’une garde républicaine rappelant les cuirassiers napoléoniens, casqués d’argent et chevauchant de rutilantes motos Guzzi. Il appréciait surtout l’argent fourni par le véritable propriétaire de la région, la puissante Union minière du Haut-Katanga (UMHK), aux capitaux anglo-belges, et en hériterait un sobriquet : « Monsieur Tiroir-Caisse ». […]
Guérilla
En échouant à neutraliser les « chiens de guerre » du Katanga, l’ONU a raté une occasion en or Une vicieuse guérilla urbaine se déclenche : dès 11 heures, les combats reprennent aux quatre coins d’Éville. Au camp Massart, les gendarmes de Muké sont envoyés reprendre la Poste, mais sont refoulés par trois fois, tandis que les Casques bleus mettent des mortiers en batterie Depuis son PC improvisé, la villa 524 au croisement des avenues Kambove et Léopold, le commandant Faulques dirige les opérations, fumant des cigarettes à la chaîne et usant d’un talkiewalkie pour coordonner l’action de petites unités mobiles. Il est épaulé de François Hetzlen et Yves de La Bourdonnaye. Les trois hommes organisent des raids éclair contre les Casques bleus, exploitant le labyrinthe des jardins bordés de haies, disparaissant aussi vite qu’ils ont surgi. Face aux vétérans de la jungle indochinoise, les soldats de l’ONU refluent en désordre. À 14 heures, Joseph Lambroschini voit les para-commandos katangais investir sa résidence « pour la transformer en point d’appui ». Il est contraint de se réfugier dans l’appartement de ses adjoints Patrice Franceschi et Roland Agostini4. […] ■
4. Rapport N.49/A L du consul Lambroschini, Élisabethville, 30 septembre 1961, La Courneuve (A MA E AL/44QO/30).
* Maurin Picard, Il s ont tué Mon sieur H : Congo 1961 – Le complot des mercenaires français contre l’ONU, Le Seuil, 2019
JEUX OLYMPIQUES DE LA JEUNESSE
DAKAR ET LE SÉNÉGAL
ACCUEILLENT LES JOJ
Une candidaturehistorique
La quatrième édition des Jeux olympiques d’été de la jeunessesedérouleraàDakar,au Sénégal, du 31 octobreau13novembre2026.C’est la premièrefois qu’une compétition olympique se tient en Afrique. Un événement véritablement historique, àlamesuredel’émergence du continent,en témoignage de la force, du dynamisme et de la foi en l’avenir,delapar tdelajeunesseafricaine.
50 %des Africains ont moins de 25 ans. Ces Jeuxseront les leurs!
Retour en arrière, le 8octobre2018,à Buenos Aires, lors de la 133e session du Comité international olympique (CIO). Dakar est choisie comme ville hôte pour les Jeux en 2022. L’impact mondial du Covid-19,les conséquences opérationnelles et fnancières de la pandémie, le bouleversement du calendrier olympique aveclerepor tdes Jeux de Tokyod’un an, mèneront àune nouvelle date, en 2026.
Ce décalage aété mis àproftpar toutes les par ties prenantes, le CIO,leCOJOJ Dakar2026,l’État du Sénégal, les Comités nationaux olympiques et les Fédérations internationales, pour s’engager àorganiserdes Jeux exceptionnels. Le plan d’édition pour Dakar 2026, feuille de route pour la livraison des Jeux, aété repensé et élaboré, dans une démarche de cocréation entreleCOJOJ et le CIO.
Ce travail concer té apermis d’introduiredes idées innovantes et des solutions adaptées,detenir compte des spécifcitésduterrain. Une expérience par ticulièrement enrichissante pour le CIO, pour le Sénégal, mais aussi pour les futurs pays hôtes des Jeux olympiques. Après l’élection àla présidence de la République de Bassirou Diomaye Diakhar Faye en mars 2024, l’État du Sénégal a confrméson engagement et sa mobilisation pour la réussitedes Jeux en 2026.
Le compte àrebours est bien lancé !
Le chef d’État Bassirou Diomaye Faye
Le président du CIO,Thomas Bach, en visite àDakar,avecdefuturs judokas.
Concourir,apprendreetpartager
Les Jeux olympiques de la jeunesse sont une compétition multispor tréservéeaux jeunes athlètes âgés de 15 à18ans venant du monde entier.L’ambition des JOJ est de contribuer àpromouvoir l’idéal et les valeurs olympiques, d’inciter au par tage et àl’échange. Sur les terrains de compétition et en dehors, les athlètes vont àlarencontredelajeunessedupayshôte dans une ambiance festive
Le programme spor tif s’appuie principalement sur celui des Jeux olympiques, avec des adaptations au contexte local, notamment l’introduction de nouvellesdisciplines. Auxcompétitions,s’ajoutent des activités culturellesetéducatives. C’est une occasion unique pour les jeunes spor tifs de découvrir d’autres cultures, d’améliorer leurs méthodes d’entraînement –etleurs performances –par un par tage d’expérience, et de devenir les meilleurs ambassadeurs de leur spor t.
Les JOJ rassemblentégalement des jeunes journalistesformés spécialement pour l’événement, des ambassadeurs des JOJ et des athlètes modèles sélectionnés,stars spor tives de différentes nationalités par tageant leur expérience.
Le Palais des spor ts de Diamniadio, autrement appelé Dakar Arena.
Le stade Abdoulaye Wade,à Diamniadio.
DAKAR 2026
UNE DYNAMIQUE DE TRANSFORMATION
Au Sénégal, l’âge moyenest de 18 ans.
Le Sénégal aune tradition, celle de la Teranga :l’hospitalité, l’accueil et l’ouver tureàl’autre.
Avec Dakar 2026, on entreàlafois dans l’ héritage et le changement, dans cette formidable dualité africaine. Ici, la culture, l’échange et la pratique spor tivesont ancrés dans l’ histoireetdans la modernité.
Des investissements impor tants sont réalisés dans les infrastructures spor tives, les transpor ts, le tourisme et la formation, stimulant ainsi la croissance économique. De plus, des programmes éducatifs et de sensibilisation sont mis en place pour promouvoir les valeurs olympiques –« Excellence, Amitié, Respect »–,mais également l’inclusion.
Avec Dakar 2026, les Jeux sont placés au cœur de la transformation du Sénégal, de cette transformation por tée par la jeunesse. Les JOJ ne seront pas seulement une célébration spor tive; ils se veulent aussi un catalyseur pour le développement du Sénégal. Il faudraparler aux nouvelles générations, laisser un héritage positif qui perdurerabien après les Jeux.
Le Sénégal s’engage àorganiser des Jeux responsablesenminimisant leur empreinteécologique. Des initiatives, telles que la réduction des déchets aveclastratégie «zérodéchet », l’utilisation d’énergies renouvelablesetlaprotection des écosystèmes locaux, seront mises en œuvrepour préserverl’environnement et promouvoir la conscience écologique. L’économie circulaireseramise en valeur grâce au développement, impulsé par l’entrepreneuriat, de chaînes de valeur àpar tir des matières recyclables et recyclées.
Des investissements impor tants ont permis la construction ou la rénovation de nombreuses infrastructures. Ici, le complexeTour de l’œuf, aveclapiscine olympique.
Dakar 2026, ce seront aussi les Jeux de la parité. Pour la premièrefois dans l’ histoiredes Jeux olympiques, il yauralemême nombred’athlètes femmes et hommes, mais aussi un nombre identique d’épreuves par genre.
Dakar 2026 seraune source d’inspiration pour la jeunesse sénégalaise, africaine et mondiale.
LesJOJ Dakar 2026, c’est:
Environ 3000 athlètes
206 comités nationaux olympiques
8000 volontaires
35 spor ts, dont 25 en compétition et 10 en engagement
Une parité parfaite flles/garçons à 50/50
3 villes :Dakar -Saly -Diamniadio
Le COJOJ/Dakar 2026
DU 31 OCTOBRE
AU 13 NOVEMBRE 2026
Date de création : 28 février 2020
Membres fondateurs : État du Sénégal –Ville de Dakar –CNOSS –CIO
Membres associés : Commune de Diamniadio–Commune de Saly
Diagna Ndia ye ,p ré sident du CN OSS et du COJOJ.
LES SITES ET LES SPORTS
Lesprincipaux sites des compétitions
POURQUOI S'ABONNER ?
To ut le co nt en u du ma gazine en ve rs io n di gi tale di sp onib le su r vo s éc ra ns .
De s ar ti cles en av ant- pr emiè re, av ant le ur pu blic at io n da ns le ma gazine.
Être en Afrique et être dans le monde. S'informer, découvrir, comprendre, s'amuser, décrypter, innover… À tout moment et où que vous soyez, accédez en illimité à afriquemagazine.com ! www.afriquemagazine.com
Des contenus exclusif s afriquemagazine.com pour rester connecté au ry thme de l’Afrique et du monde.
De s an al ys es et de s po in ts de vu e in édit s.
L’ac cè s au x ar chives .
Zora Snake
LE CHORÉGRAPHE ET PERFORMEUR
CAMEROUNAIS crée des spectacles à la fois politiques, poétiques et spirituels, en croisant les disciplines. Il puise dans l’ancestralité, les rituels ou le hip-hop pour interpeller sur les questions de justice, de liberté, d’histoire coloniale. propos re cueillis par Astrid Krivian
Je suis né à l’ouest du Cameroun, au sein de la communauté des Bamilékés, qui ont bataillé pour l’indépendance du pays. La danse se transmet de génération en génération. Il s’agit d’un langage universel, un moyen de communiquer avec les ancêtres, avec le monde invisible, insaisissable, immatériel, sans frontière. La mort est le prolongement de la vie. Nous sommes véritablement liés à la nature, à l’univers. Je pense mes œuvres à partir de mon village pour parler de l’humanité et de ses blessures. L’ancestralité est très ancrée dans mon esthétique, mon travail, mon rituel. Elle me protège et m’accompagne. C’est aussi un guide, un fil conducteur pour serpenter dans l’univers.
Je me suis forgé en pratiquant dans la rue le hip-hop, une danse liée à l’histoire de l’esclavage, mais aussi à la libération, la fierté, et dont l’essence est en Afrique. J’aborde l’art comme la boxe Ma danse est un combat Il faut travailler d’abord sur soi, sur son idéologie, avant de boxer à l’extérieur les conf lits, les crises, les injustices, les discriminations, tenter de les panser C’est aussi inspiré de la philosophie de l’Américain Mohamed Ali – la boxe pour s’affirmer en tant que Noir. Qu’est-ce que cela représente en tant que Camerounais de danser sur une scène contemporaine européenne ? Danser est ma manière de tacher le visible, d’incarner avec fierté ce serpent. Le combat devient spirituel, transcende le politique.
Mon corps absorbe les inepties et les rêves de l’univers, ses crises et ses espoirs. Le corps mue pour s’ouvrir davantage aux questions qui nous préoccupent. Pourquoi existe-t-on dans un monde si violent ? Pourquoi résistons-nous par la non-violence, en laquelle on croit ? Le corps est ce médium, ce médiateur, cet espace d’éclatement de toutes ces préoccupations, ces informations. Il est sacré, et c’est une matière politique, mais aussi poétique, ondoyante, omnipotente – corps-esprit, corps-âme, corps-physique.
Dans mes spectacles, tels L’Opéra du villageois ou Le Départ, je travaille les frontières, j’entremêle danse, performance, théâtre – des entrelacs situés dans ce basculement violent du monde. Je suis un serpent-caméléon, je n’entre pas dans les cases. Je torpille l’espace scénique : c’est là où je me sens le plus libre.
La transmission est essentielle. Aussi, j’ai créé le festival Modaperf (Mouvements, danses et performances) au Cameroun, un espace de rencontres pour éveiller les consciences, activer des réflexions sur l’état du monde, du pays, du vivre-ensemble, des frontières. Les thématiques émanent d’une discussion profonde avec la jeunesse. On mène une enquête d’analyse populaire, afin de comprendre les préoccupations de la société civile, sentir leurs besoins, leurs rêves, pour ensuite les amener poétiquement sur scène. Le dialogue s’active, les liens sociaux se renforcent. On rassemble, on réfléchit ensemble, on solidifie notre résistance – ce que le politique n’arrive pas à faire. Il faut l’implication des populations pour bâtir cet espace de réflexion, afin qu’il devienne un patrimoine camerounais. Modaperf est une plateforme de résistance, mais aussi d’élévation de l’esprit, le rêve d’un autre monde possible. Le continent bouillonne d’une envie folle de changement, de renouveau. C’est cette Afrique que l’on veut bâtir dès à présent. zorasnake.com ■
«La danse est un langage universel, un moyen de communiquer avec le monde invisible, insaisissable, immatériel, sans frontière.»
L’AFRIQUE À VENISE
La 60e édition du rendez-vous mondial de l’art s’interroge sur les réalités de la migration, de l’altérité et de l’exil. Une rencontre en clair-obscur, où le continent est particulièrement présent.
par Ca th er in e Faye et Zyad Lim am
Des Gi ardi ni à l’Ar se na l, en passant par le Lido, le rendez-vous ar tist ique le plus prestigieux et le plus couru de la planète donne une nouvelle fois le pouls de la création Quelque chose de pa lpitant et de mouvant, à l’image de la fragilité lacust re de la cité vénitienne Comme si les œuvres provocatrices et novatrices des artistes contemporains, exposées dans un cadre idyllique, et dont le thème central ex plore souvent les idées sociales, économiques et politiques de notre époque, venaient bousculer bien des certitudes.
Cette année, la soi xantième édition, « Étrangers pa rtout », avec 331 ar tistes et collec tifs de 88 pays, a quelque chose de particulier. La thématique donne l’occasion d’explorer les récits d’intersectionnalité culturelle, de déplacement et de mondia lisation. Au- delà de sonner comme une provocation à l’encont re du gouver nement d’ex-
trême droite au pouvoir en Italie depuis 2022, elle questionne. Car choisir de faire allusion à l’idée de se sentir ou de voir des « étrangers partout » désigne de fait la différence et la non-appartenance. Pourquoi ne pas avoir opté pour une désignation plus optimiste et inclusive ? Une telle dissonance revêt une signification particulière à Venise, actrice de premier plan dans une histoire des migrations de longue durée. En effet, la ville italienne a montré au Moyen Âge des capacités étonnantes d’accueil et de sédentarisation des migrants et des étrangers en nombre et en diversité, construisant et entretenant ainsi le my the de « ville-monde ». Difficile toutefois de ne pas penser aux milliers de naufragés au large des côtes italiennes
On peut donc s’interroger sur la visée d’une telle thématique dans le contexte actuel. Sa bizarrerie s’illustre d’ailleurs par le flou politique et artistique autour de l’événement. D’un côté, le nouveau directeur, Pietrangelo Buttaf uoco, intellectuel sicilien et anticonformiste converti à l’islam, a été nommé par le gouver nement de Giorgia Meloni, dont il
PROV IDENCE , 2, 3, 4, François Xavier-Gbré, pavi llon de Côte d’Ivoi re. Le photog raphe travail le aujourd’ hu i entre Abidja n et La Ro chel le Il se pa ssionne pour le la ngage de l’arch itec ture comme témoi n de s mémoi re s et de s ch an gement s so ciau x. Da ns se s ti ra ge s su r papier, il vi site la Prov idence, une école de Di mbok ro, abandonnée d an s le s an né es 20 00. Le s ta bleaux noir s s’ef facent et se fondent da ns le s mu rs…
est un soutien et dont le part i post fasciste Fratelli d’Italia condamne les migrants, les militants LGBT+ et l’antiracisme. De l’autre, le curateur brésilien Adriano Pedrosa, directeur artistique du Musée d’art de São Paulo Assis Chateaubriand (M ASP), a rappelé qu’il était « le premier commissaire ouvertement homosexuel » de la Biennale, et que « quel que soit l’endroit où vous vous trouvez, vous êtes toujours au fond de vous un étranger ».
UN RAYONNEMENT INTERNATIONAL POUR LE CONTINENT
Qu’à cela ne tienne La Biennale, elle, garde son cap. Créée en 1895 et initialement pensée pour promouvoir l’art contemporain italien, elle a évolué au fil des éditions pour devenir un événement renommé, où des artistes confirmés ou émergents des quatre coins du globe présentent, tous les deux ans, leurs réalisations dans toute la cité insulaire, pendant sept mois Avec des centaines de milliers de visiteurs à chaque édition (plus de 800 000 en 2022), elle diffère des foires d’art et des expositions classiques, car les œuvres ne sont généralement pas disponibles à la vente. Mais y exposer apporte une visibilité mondiale et dessine des carrières internationales. En se concentrant cette fois-ci sur les artistes « étrangers, immigrés, expatriés, diasporiques, exilés ou réfugiés, en particulier ceux qui se déplacent entre le Sud et le Nord », tel que l’a fait savoir le commissaire d’exposition, la manifestation en cours met notamment l’art contemporain africain à l’honneur. Une aubaine et un jeu d’équilibriste. En effet, pour ceux qui y font leurs débuts, le plus grand défi peut être parfois de revenir
Afin de comprendre le fonctionnement de cette rencontre, où s’opère une cristallisation des tendances et du marché, il faut savoir que chaque pavillon national est organisé par son propre pays et approuvé par la fondation qui gère la Biennale. La majorité des pavillons reçoit une participation gouvernementale, souvent par le biais d’un financement et de la sélection de la proposition d’exposition gagnante. Ainsi, d’après la rev ue d’ar t américaine de référence ARTnews, lorsque le Nigérian Azu Henr y Nwagbogu, fondateur de l’African Artists’ Foundation, a accepté de devenir commissaire du nouveau pavillon du Bénin, le chef d’État béninois Patrice Talon lui a assuré « qu’il ne se mettrait pas en travers de son chemin et qu’il pourrait travailler de manière indépendante ». Un moyen pour le pays de mettre en avant ses ambitions culturelles à travers une stratégie d’influence plus large, et – pourquoi pas ? – à long terme. Or, même lorsque les artistes et les galeristes d’un pays réussissent à installer leur premier pavillon, ils ont souvent du mal à convaincre les responsables gouvernementaux de poursuiv re sur leur lancée et d’organiser un pavillon tous les deux ans. Trop coûteux. Pas assez rentable Les pavillons af ricains ont beau être organisés par les États, ils reposent presque systématiquement sur une mise de fonds privée.
Historiquement, il a fallu attendre les « Magiciens de la terre », au Centre Pompidou et à la Grande Halle de la Villette
« Témoigner, dénoncer.
C’est tout ce dont l’art est capable pour réenvisager le monde. Transcender les frontières et favoriser des connexions. »
en 1989, pour que la scène internationale s’ouvre véritablement aux artistes africains, marquant ainsi un tournant dans la reconnaissance de leur talent et de leur diversité créative L’engagement d’Okwui Enwezor à la direction de la Biennale de Venise en 2015 – il avait apporté un souffle nouveau avec « Tous les futurs du monde » et la présence de 35 artistes africains sur la cité – et celui de Bisi Silva, commissaire d’exposition nigériane et fondatrice du Centre for Contemporary Art, à Lagos, ont permis d’asseoir la reconnaissance de la création artistique africaine. 2024 à Venise en est la consécration.
TR ANSCENDER LES FRONTIÈRES
Dissém inée jusqu’au mois de novembre da ns toute la Biennale, avec douze nation s du cont inent représentées (neuf en 2022), la participation af ricaine est cette année la plus importante dans l’histoire du festival. Seule l’Ég ypte a un pavillon permanent à Venise depuis 1952. S’y rallient le Nigeria, la Côte d’Ivoire, le Cameroun, l’Ouganda, la République démocratique du Congo, les Seychelles et le Zimbabwe – tous présents à des éditions précédentes. Le Bénin, la Tanzanie, le Sénégal et l’Éthiopie sont les nouveaux venus et ont pour la première fois leur propre pavillon. L’Angola, qui avait remporté le Lion d’or en 2013, Madagascar et le Ghana ont déserté l’Arsenal et les jardins Quant au Maroc, il a déclaré forfait. Le Bénin frappe fort avec le pavillon « Tout ce qui est précieux est fragile », organisé par le critique d’art nigérian Azu Nwagbogu Réunissant des artistes de différentes géné-
rations – Romuald Hazoumé, Chloé Quenum, Moufouli Bello et Ishola Akpo –, le curateur explore le féminisme af ricain à travers la figure de l’Amazone, la traite négrière et la spiritualité vodun. De son côté, la Côte d’Ivoire est venue avec une délégation officielle autour de la ministre de la Culture, Françoise Remarck, pour inaugurer son pavillon Sous le titre « The Blue Note », il a été entièrement financé par l’État. La commissaire Illa Ginette Donwahi et le co-commissaire Simon Njami ont fait appel aux artistes Jems Koko Bi, François-Xavier Gbré, Sadikou Oukpedjo, Franck Abd-Bakar Fanny et MarieClaire Messouma Manlanbien pour di re la rési lience et l’espoir da ns l’adve rsité à tr ave rs l’ex pr ession ar ti st ique Le Sénéga l a choi si de présenter un seul ar ti ste, avec l’appu i de la ga lerie Templon, qu i ex pose le peintre Al ioune Diagne. Da ns « Bokk – Li mites », ses œuv res ex plorent le rôle de s femmes, la di sc ri minat ion, le souc i envi ronnementa l et le tr an sfert intergénér at ion nel du patri moine. Chac un s’éver tuant, da ns un jeu politique subt il, à of fr ir un rega rd un ique su r l’identité , l’ hé rita ge et l’in nov at ion af rica in s. En pr ise di rec te avec la réal ité, les br ûlantes question s du colonial isme ou de la guer re af fleu rent aussi. À l’exemple du pavi llon ég yptien, où les sc ulpt ures spec tacu la ires et la comédie musica le de Wael Shawk y rev iennent su r la révolution national iste d’ Urabi Témoig ner, dénoncer Une telle perspective met en exergue tout ce dont l’ar t est capable pour réenv isager le monde. Tran scender le s frontières et favori ser des connex ions C’est sû rement l’idée la plus forte
qui se dégage des instal lation s et des œuvres. Et la présence en plein essor de l’Afrique à la Biennale comprend une représentation au sein de dix-huit autres pavillons nationaux d’Europe et d’Amérique du Nord, qui présentent des artistes du continent ou de la diaspora. Parmi les nombreux participants à l’exposition principale, Kudzanai Chiurai, connu pour son travail en techniques mixtes, aborde les problèmes sociopolitiques de son Zimbabwe natal. Quant au peintre soudanais Ibrahim El-Salahi, âgé de 93 ans, il combine des motifs de l’art africain, islamique et occidental.
L’ALTÉRITÉ
AU CENTRE
Point d’orgue d’une exploration métissée et multiple, le pavillon français livre une métaphore onirique de ce paradoxal « Étrangers partout ». En clair-obscur Accompagné de Cindy Sissok ho et Céline Kopp, le Franco -Car ibéen Julien Creuzet, qui a grandi en Martinique et entretient un rapport intime avec l’eau, rend hommage à Aimé Césaire et Édouard Glissant, grands poètes de la créolisation. Au milieu des installations, des strophes et des vers sur le monde marin dans plusieurs langues. Sur un grand écran, la vidéo d’une sculpture classique coulant dans les abysses. De ses yeux de pierres jaillissent des torrents de larmes. Comme dans un ressac, la grande question de l’altérité va et vient ici de l’infinité à la réalité, de la réciprocité à la quête identitaire. Une traversée incertaine, au fil des vagues. Où l’autre nous renverrait le ref let de nous-même. ■
Le pavil lo n ce nt ra l, a u cœur de s Giardi ni.
A.I. M - AFRICA IN MOTION SER IE, Franck Abd-Ba kar Fa nny, pavi llon Côte d’Ivoi re.
Né en 1970 à Abidja n, en Côte d’Ivoire, Franck Abd-Ba ka r Fa nny, photog raphe très contempora in , colore et redi mensionne la ré al ité.
L’ im age devient une peinture conc eptuel le Ta lent ueux et inclassa ble, il nous a qu it té s le 2 ju illet 2021. Au sommet de son regard.
MA RÉE, CORPS, AU RA 2024, Ma rieCla ire Me ssou ma Ma nlan bien, pavi llon Côte d’Ivoi re.
À cheval entre Pa ri s et Abidja n, l’ar ti ste travaille le s matières, la sc ulpt ure, le de ssin , le s text iles, le s photos El le crée de s lien s entre le s cu lt ures, le s générat ions, mêlant da ns se s œuvres le naturel et l’i ndustriel , le précieu x et le commun
REFUGEE
ASTRONAU T VIII, Yi nka Shon ibare, pavi llon Nigeria. De Lond re s (où il est né) à New York, en pa ssant pa r La gos, c’est une st ar mond ia le de s ar ts plastiques. Cont ra int de se déplacer en fauteu il roulant, l’ar ti ste estime que son ha nd ic ap est au cœur de son identité Il pa st iche avec hu mour et pl ai si r le s code s de l’Oc cident en le s afr ic an isant.
NE MO PROF ETA IN PATR IA, Franco Ma zz ucchel li, pavi llon Ca meroun.
Nu l n’est prophète en son pays ! Da ns une Bien na le portée pa r la thém at iq ue de l’ ét ra nger, le Ca meroun a voulu s’ouvr ir su r de s ar ti stes lo caux et intern at ionaux Franco Ma zz uc chel li est un plasticien né en It alie en 1939. Il crée avec se s œuvres de s la by rinthes de formes et de contenus, renversant ou réin it ia li sa nt toutes le s cert it udes et le s points de référenc e.
BOKK – BOUN DS, Al ioune Diag ne, pavi llon Sénéga l.
En wolof, « bokk » si gni fie « ce qu i est pa rt agé ».
Le pavi llon propose une séle ct ion de peintures mosa ïq ue s de qu at re mètres su r douze, appela nt à l’unité et à l’entret ien de s lien s.
Le s sc ènes de vie joyeu se s perc utent le thème de s mi grat ions clande st ines en Méditerranée, l’esca lade de la pauv reté, le rac isme et la dépenda nc e mutuel le
SOUL TR AI N, Jems Koko Bi, pavi llon Côte d’Ivoi re.
On ne présente plus ce ma gicien de la matière et de la sc ulpt ure. La fi gure cent ra le de l’i nsta llat ion Soul Tr ai n est celle du « coloni sé ». Sa robu stesse, sa forc e im mobi le cont ra stent avec le vide intérieu r d’un homme démembré Le travail su r le bois fa it au ssi écho à l’urgenc e écologique.
ASE, Romuald Ha zou mè, pavi llon Béni n.
L’ in st allat ion oc cupe le deva nt de la sc ène da ns le tout prem ier pavi llon béninoi s de la Bien na le de Veni se Le mot « ase » si gni fie « pouvoi r ». L’ar t de Ha zoumè ré sonne profondément da ns le ti ssu so cial , politique et cu lt urel du Béni n. Tout en s’ouvrant la rgement au monde.
inte rv iew
Bonaventure Soh Bejeng Ndikung « L’ART NE PEUT ÊTRE QUE POLITIQUE »
À la tête de la prestigieuse Maison des cultures du monde de Berlin, il milite pour une création authentiquement africaine, ancrée sur ses terres, puissamment contemporaine, pour faire partie du monde. Entretien franc et direct.
propos recueillis par Zyad Lim am
Son métier, c’est commissaire, curateur, animateur C’est l’art, dans la mu lt ipl ic ité de ses or ig ines, da ns sa diversité politique et radica le Mont rer « l’autre » dans son dy namisme, sa créativité, son apport à un monde « plur i-universel ». L’enfant de Yaoundé (où il est né) et de Limbé (dont il est or iginaire), au Cameroun, dirige depuis septembre 2023 la célèbre Maison des cult ures du monde. Une institution berlinoise qui a pour mission, justement, de présenter la création contemporaine « d’ailleurs », dans une ville où l’on ne rencontre pas moins de 170 nationalités Bonaventure Soh Bejeng Ndikung a de la bouteille. Il a participé, entre autres, à la Documenta 2014, à la Biennale de Dakar, à celle de Venise (en 2019, au pavillon finlandais), aux rencontres de Bamako. Il fait le tour du monde en permanence, à la recherche d’ar tistes, de créateurs, de concepts. Il avait déjà ouvert en 2009, toujours à Berlin, SAVV Y, un véritable laboratoire culturel sur la mixité artistique. Installé en Allemagne depuis 1997 – où il est venu pour ses études, car il est docteur en biotechnologie médicale et en biophysique aussi –ce pays est un espace de grande liberté pour un curateur bien décidé à faire dialoguer les œuvres occidentales, af ricaines et asiatiques La prochaine étape, en octobre 2025, sera la Biennale de São Paulo, la plus grande biennale du Sud. Il en est, év idemment, le curateur. Entretien.
AM : On ne parle pas d’art contemporain européen ou américain. Peut-on vraiment parler d’art contemporain africain, ou l’art devrait- il s’inscrire dans l’universel ? Bonaventure Soh Bejeng Ndikung : Je ne crois pas à l’universalisme. Selon moi, il existe de nombreux universalismes dans différentes zones géographiques, qui peuvent interagir, êt re tissés les uns avec les autres, mais qui ont des points d’origine et d’ancrage différents. L’universalisme singulier est un concept imposé par l’Occident. Nous préférons la notion de « pluriversalisme ». L’art contemporain européen s’appelle juste « art contemporain », alors qu’il émane d’une essence régionale Or, comme c’est l’universalisme, on veut nous imposer son caractère global. Bien sûr que l’art contemporain africain existe. Bili Bidjocka a réalisé une pièce en 2007, à la Biennale de Venise, avec pour titre L’art af ricain, pourquoi faire ? Il s’agit d’une provocation essentielle. Et nous avons beaucoup réf léchi à cette thématique depuis quinze ou vingt ans. Pour moi, c’est simple : comme il y a l’art contemporain européen, américain, l’art contemporain africain existe également. Ce qui nous tient ensemble, c’est la contemporanéité, un même espace-temps d’idées, de références, le fait de « vivre » au même moment
« La véritable indépendance commence avec la culture.
Il faut créer, exposer, travailler en Afrique.
Ensuite, se pose la question de l’international. »
Parle-t- on de l’art contemporain africain ou d’une multitude d’arts contemporains ?
Comme le concept des fractales af ricaines, la partie est dans le tout et le tout est la partie. Les multitudes sont une év idence. Au Cameroun, nous avons deux cent trente langues, et donc autant d’expressions artistiques Cette diversité constitue une richesse. L’art existe au même titre que les différentes épistémologies. Et s’il y a une pluralité d’épistémologies africaines, alors il existe aussi une pluralité d’expressions artistiques. Qu ’est-ce qui caractérise l’Afrique face aux autres expressions culturelles dans le monde ?
Il serait trop simpliste de se concentrer sur les différences. Mais si je devais souligner quelque chose de précis, ce serait la question de l’urgence. C’est une thémat ique que vous retrouverez d’ailleurs en Amérique latine, en Asie, au MoyenOrient, et que l’on nomme en anglais agenc y et urgenc y. Le rapport à toutes les crises qui nous cernent – l’environnement, les guer res, la violence… Et la forte compréhension que la beauté et l’esthétique sont aussi politiques. Notre singularité réside également dans la relation avec l’épistémologie indigène. Un ar tiste, disons yoruba ou ewe, s’inspirera souvent de sa voix indigène – pas systématiquement, mais le lien est possible Prenons Olu Oguibe, et son travail réalisé pour la Documenta 14, en 2017. Il a proposé Biaf ra Time Capsule, une installation particulièrement puissante, qui nous rappelait la crise, la guerre, la lutte et l’indépendance du Biafra, au Nigeria. Il a utilisé du son, des images, ce qu’il a trouvé dans les archives. C’est un travail contemporain sur l’urgence, mais aussi un travail qui se situe dans une histoire spécifique
Comment faire pour que cet art contemporain africain soit mieux connu ailleurs que sur le continent ?
Dans un premier temps, il est nécessaire que cet art soit reconnu en Afrique. Et après, nous verrons… L’un des aspects du néocolonialisme, c’est que les Af ricains ont tendance à accepter de prendre ce qui vient du monde extérieur et qu’ils se fichent de ce qu’il se passe chez eux. Et le piège du capitalisme vous pousse vers un modèle industriellement riche.
Mais la véritable indépendance commence pa r la culture.
C’est pour cette raison qu’A mí lcar Cabral soulignait que la culture se tient au cœur de l’émancipation Il expliquait qu’il faut créer, exposer, travailler en Afrique. C’est vraiment tout ce qui compte. Dans un second temps, se pose la question de l’international.
Donc l’art est forcément politique ?
L’ar t ne peut pas êt re autrement que politique. Toute expression est politique. Cette interv iew aussi est politique.
On oppose souvent art traditionnel et contemporain. Quelle est votre vision à ce sujet ? Les deux sont- ils liés, selon vous ?
Voilà encore un problème colonial. Nous avons été déconnectés, mais les liens sont puissants, ils existent Une artiste comme Amina Agueznay, au Maroc, travaille les tapis et le tissage dans ses sculptures, et fait le lien avec les tissages anciens des femmes berbères. Il n’y a pas de rupture entre traditionnel et contemporain, parce que la tradition existe aussi maintenant, à tout instant. Elle n’appartient pas seulement au passé. Nous sommes porteurs de nos traditions, et vouloir distinguer l’ancestral et le moderne est une distraction.
Je pense en particulier aux galeries d’art traditionnel, qui peuvent avoir un certain succès…
Il y a de la place pour tout le monde. Des gens font du commerce avec ce qui a été fait au XV e et XVIe siècle, et c’est très bien Moi, je parle des artistes Ce qui m’intéresse, ce sont
Le 2 ju in 20 23, à Be rlin, à l’occa si on de la ré ou ve rture de la Ma ison de s cu ltu re s du m ond e.
ceux qui font le lien entre le passé et le présent, et qui comprennent que le prem ier ex iste da ns le second Pa r exemple, Sa mmy Ba loji, ar ti ste congola is, a travai llé avec les signes, le s moti fs Kuba Show a, qu’i l ut il is e ég alement da ns se s pièces contempora ines Il essaie de comprendre ce que tous ce s sy mb oles, toutes ce s formes géomét riques sign if ie nt. Et voilà le problème : on veut divi ser le temps, alors même qu’il est indivisible.
Parvenez-vous à réaliser ce travail de jonction en Allemagne, depuis une institution occidentale, financée par un État occidental ?
Il ne faut pas oublier que Berlin est à jamais lié au continent, depuis que l’Afrique y a été divisée en 1884 Je considère donc mon travail à HK W comme faisant partie d’une mission plus large de compréhension et de promotion des connaissances et des histoires africaines Cela peut et doit être fait depuis le Cameroun et d’autres pays. L’Allemagne dispose de moyens, elle propose des financements et elle donne la possibilité de promouvoir la culture. L’État a la responsabilité de financer la culture… Je dirige le plus grand centre d’art en Allemagne, je dispose de moyens publics. Et le mandat consiste à développer une Maison des cultures du monde. J’ai la possibilité d’inviter des artistes qui viennent de partout et, si le concept veut que je montre une pièce qui a deux cents ans, oui, je peux le faire et je vais la montrer
Est- ce que nos amis occidentaux sont imperméables à votre couleur de peau (colorblind) ? Est- ce qu’ils vous voient comme un curateur tout court ou comme un curateur camerounais chez eux ?
Eh bien… C’est clair : ils voient un Af ricain, un Camerounais. C’est normal D’ailleurs, depuis que j’ai été nommé à la tête de cette institution, en 2021, les polémiques n’ont pas cessé. L’extrême droite, et d’autres figures aussi, a tout fait pour que je n’accède pas à cette position Sans oublier tous les prétextes utilisés pour m’év incer. Mais, comme Toni Morrison le disait, le racisme est une distraction. Je n’ai pas le temps de m’en préoccuper J’ai du travail. Je dois agir, être le médium qui montre que nous avons des savoirs, des cultures ancestrales, puissantes et contemporaines. Nous ne sommes pas restés figés dans le passé. Nous existons maintenant Malgré le colonialisme, nous sommes présents, nous participons à la culture et aux sciences du monde. En Europe, une grande part ie de la scène cult urelle est devenue tellement redondante. Il faut voir ce qui a lieu à São Paulo, à la Biennale de Lubumbashi, à Dakar et à Bamako. Ce qu’il se passe dans ces lieux dits « périphériques » est plus important, plus contemporain, plus intéressant que ce qu’il se passe dans les supposés centres… Il faut dire cette vérité.
Mais à Venise, cette année, une ouverture a été tentée. La thématique de la 60e édition, « Étrangers partout », correspond à une volonté de s’ouvrir sur le monde, ne pensez-vous pas ?
« Ce qu’il se passe dans les lieu x dits “périphériques” est plus important, plus contemporain, plus intéressant que ce qu’il se passe dans les supposés centres… »
Cette Biennale permet d’exposer des ar tistes venus des quatre coins du monde. C’est très bien, mais ce n’est pas la question Il y a des pavillons béninois, nigérian, sénégalais, ivoirien… Mais la question demeure : le musée national de Lagos fonc tion ne-t-i l ? Et le musée national d’Abidja n ? Je rev iens à l’essentiel : le processus doit commencer chez nous Si nous faisons en Af rique, nous pouvons aller ailleurs. Je peux donner l’exemple du Zimbabwe. Malgré les difficultés du pays, la galerie nationale à Harare fonctionne bien sous la direction de Raphael Chikuk wa. C’est l’un des seuls pays africains, avec l’Ég ypte, qui effectue un travail cohérent. Ils cherchent à solidifier la base chez eux, à structurer leurs institutions, et après, ils disent : « S’il y a une biennale qui veut représenter les nations, nous y allons aussi », comme pour les Jeux olympiques Je me répète : cela doit commencer chez nous. S’il n’y a pas d’électricité dans les galeries nationales des grandes villes en Af rique, mais qu’il faut dépenser une montagne d’argent pour se rendre à Venise, je ne trouve pas cela très productif.
Mais la Biennale reste un facteur fort de visibilité.
Cela vaut le coup, justement, de participer « aux JO »…
Cela légitime -t-il l’investissement ?
Oui, à condition de travailler aussi à domicile. Cela vaut le coup, car nous existons dans le monde. Édouard Glissant disait : nous sommes en relation et nous devons créer une relation poétique. Nous devons montrer ce que nous faisons. On ne se connaît pas. Et l’art et la culture donnent la possibilité aux autres de nous connaître, et à nous de connaître les autres. On ne peut pas vivre sépa rés ; le concept d’indépenda nce n’ex iste pas. Les biennales du monde, que ce soit à Dakar, Bamako, Venise, São Paulo, donnent à voir l’art, permettent de se rencontrer. Ce sont des structures de l’interdépendance. Notre savoir est dépendant de celui des autres Ils sont liés
Quelle est la différence principale avec São Paulo, dont vous êtes le curateur en chef pour cette édition (septembre 2025) ? En quoi cette biennale est- elle différente du circuit traditionnel ?
C’est une biennale comme les autres La différence réside dans le fait qu’il s’agit de la plus grande du Sud. Et dans son aspect pédagogique. El le a été créée pour transmet tre la culture et le savoir aux différentes démographies de la ville de São Paulo. Cela a commencé un peu comme à Venise, avec des pavillons nationaux. Mais avec l’édition de Lisette Lagnado en 2006, ils sont sortis de la représentation à travers l’idée d’État-nation La Biennale de São Paulo est ouverte. Je peux inviter des artistes de Chine, du Cameroun, d’Afrique du Sud, de Scandinavie, des quatre coins du monde. Ils ne seront pas là pour représenter leur pays, mais pour mont rer l’ar t et la cult ure… Si c’est lié à leur pays, tant mieux et peu importe. Et y a-t- il des ponts entre les Suds ?
Cette idée de ponts est majeure. D’où l’importance de São Paulo, la plus gr ande biennale de s Suds. Mon idée, l’ambition, c’est de multiplier les liens entre nos artistes et nos institutions, de renforcer notre pouvoir et notre in fluence. Parce qu’il y a quand même un gradient of power global, une éc helle su r laquelle nous devons progresser. Quelles seront les différentes étapes entre maintenant et l’ouverture de la Biennale de São Paulo ?
Celui qui pose cette question ne connaît pas mon travail. S’il s’y intéressait, il saurait que j’ai exercé du Caire au Cap, de Dakar à Antananarivo, que j’ai fait deux biennales à Bamako, en 2019 et en 2022 J’ai été cocurateur à la Biennale de Dakar, j’ai travaillé à Accra, au Cap avec la Zeitz MOCA A, a Antananarivo avec la Fondation H… On a créé une institution à Limbé, au Cameroun, où la violence est permanente, qui s’appelle SAVV Y Kwata, avec 6 000 livres. C’est l’une des seules institutions culturelles à Limbé. Chaque année, je donne des conférences dans plus d’une douzaine d’universités à travers
Le vernissage aura lieu le 5 septembre 2025. En octobre 2024, nous annoncerons la thématique et les lieux de collaboration de la Biennale. Puis, nous mènerons ce que l’on appelle nos invocations : des réunions en Asie, en Amérique latine, en Afrique, où nous invitons les artistes d’Asie, d’Afrique, d’Amérique, les poètes, les écrivains, les activistes, à échanger autour de la thématique. Le concept d’archives m’intéresse beaucoup. Pour moi, maintenant, c’est : how to di srupt and reinvent archives (« comment déranger et réinventer les archives ») ? C’est la première des choses, l’autre étant d’en créer de nouvelles. Que répondriez-vous à celui qui dit : « Bonaventure est sympathique avec ses théories, mais pourquoi n’investit-il pas chez lui ? Pourquoi ne met- il pas une partie de son argent, son savoir, au Cameroun ? »
tout le continent. Et en travaillant aux quatre coins du monde, je fais rayonner aussi, à mon échelle, l’Afrique aux quatre coins du monde.
Aujourd’hui, dans quel état d’esprit êtes -vous ?
Je suis, comme on le dit en anglais, hopelessly optimistic (désespérément optimiste). Je suis trop optimiste, au risque de ne pas être capable d’effectuer mon travail Être désespéré est un luxe. Et je n’ai pas ce luxe. Je viens d’une partie du Cameroun où la guerre sévit depuis huit ans. Mes parents sont partis en exil Mon papa est mort loin de chez lui. Donc je n’ai pas le luxe de pleurer. Non, je fais. Car l’on doit faire. Non seulement pour notre génération, mais surtout pour la postérité. ■
Le pa vil lo n Ci ccillo Ma ta ra zzo, accue illa nt le mu sé e d’ar t conte mpo ra in de São Pa ulo, si tu é dans le p arc d’Ib irapue ra
entret ie n
FAÏZA GUÈNE
« JE REFUSE L’ÉLITISME ASSOCIÉ À L’ÉCRITURE »
Vingt ans après Kiffe kif fe demain, l’autrice convoque à nouveau son héroïne Doria, qui lui permet de lutter avec les mots contre le racisme, le patriarcat, le classisme, qui gangrènent la société. propos recueillis par As tri d Kr iv ia n
Publié en 2004, son premier roman Kiffe kif fe demain apport ait un souf fle nouveau da ns la littératu re frança i se, dépeig na nt des réalités et des personnages alors très absents de ce paysage. Véritable phénomène, il fut vendu à plus de 400 000 exemplaires et traduit en 26 langues. Avec un st yle moderne, qui n’appartient qu’à elle, Faïza Guène, du haut de ses 19 ans, relatait le quotidien de Doria, adolescente française d’origine marocaine, dans un quartier populaire. Avec son œil caustique d’observatrice av isée, son héroïne brossait le portrait d’une galerie de personnages aussi justes qu’attachants. L’autrice, née à Bobigny, signe aujourd’hui la suite de ces aventures avec Kif fe kiffe hier ?, son septième roman. Vingt plus tard, Doria ne s’est pas départie de son humour irrésistible, de sa lucidité, de son fracassant sens de la formule pour raconter le monde actuel, en pointer les travers et les paradoxes. À 35 ans, les désillusions sur la vie de couple sont passées par là. Mère célibataire, elle doit faire face aux diktats de la société. Son quar tier, accusa nt les éc hecs des « plan s ba nl ieue » successi fs, est en proie à une gent ri fication ga lopante, ta ndis que le pays semble de plus en plus fr ac tu ré , divi sé, le s st ig mati sation s plus ex acerbées que ja ma is Comment trouver l’espoir, cu lt iver les rêves, ma lg ré tout ? Ét ait- ce vraiment mieu x avant ? À tr aver s la voix et le pa rc ou rs de son hé roïne, l ’é cr iv aine soulève de nombreuses question s su r la transm ission, l’éducation, l’éma ncipat ion, évoqua nt des sujets qui traversent la société frança ise actuelle – le féminisme, l’école républicaine, les discriminations, la réussite sociale, l’histoire coloniale Faïza Guène est notamment l’autrice des romans Millénium blues (Fayard, 2018), La Di scrétion (Plon, 2020) et est coscénariste de la série Ou ssekine, diff usée sur Disney+.
AM : Comment la suite de votre premier roman, Kiffe Kiffe demain, s’est- elle imposée à vous vingt ans après ? Et en quoi votre héroïne Doria se situe -t-elle à un carrefour, à l’image de la France, entre nostalgie et espoir ?
« Nous faisons encore face à de nombreux défis pour faire exister nos histoires, nos réalités de classes populaires, d’enfants de la diaspora… »
On ne remet jamais en question cette notion. Qu’est-ce qu’êt re heureu x, en dehors de l’accomplissement matériel, parental ? On est arrivés au bout de cette réussite sociale qui nous écrase, cette injonction à la perfection, à la performance – pour les femmes, notamment, qui doivent être parfaites en tout point, réussir dans tous les domaines… Or, on a vu les limites de ce modèle de la femme accomplie, très à la mode dans les années 1980 Je souhaitais réinterroger tout ça À la suite de désillusions dans sa vie amoureuse, d’une séparation, Doria, qui rappelle que 75 % des femmes sont à l’origine des demandes de divorce en France, a désormais « la flemme des hommes »…
Il s’agit de remettre les enjeux à la bonne place, de prendre du recul sur l’absurdité du modèle patriarcal que l’on nous impose – lequel crée de grandes at tentes, donc des déceptions. Doria me permet ce pas de côté, elle est toujours à son poste d’observation, quasi philosophique. Une fois que l’on a interrogé et compris le système patriarcal, sa mécanique, un tour très astucieux qui marche depuis bien longtemps, on trouve cette arnaque pas tellement impressionnante, et pas si complexe.
Pourquoi une honte sociale envers les mères célibataires comme Doria persiste -t-elle ?
Tout s’est fait naturellement. Les vingt ans de ma première publication correspondent aussi à un cycle. Faire une sorte de bilan en réanimant le personnage de Doria me plaisait Alors que l’on vit un moment compliqué, j’avais envie de retrouver de la légèreté, et c’est l’un des rares personnages qui me le permet Le défi était de retrouver sa voix et, en me lançant, j’ai eu la sensation de l’avoir récupérée. Une métaphore de la séquence actuelle dans le pays traverse le roman ; depuis quelques années, s’exprime une nostalgie de la France d’avant, fantasmée, le désir de retrouver une grandeur perdue. Cette narration est très présente et entretenue dans le discours d’extrême droite Elle raconte surtout la nostalgie d’une France blanche, sans immigrés. Donc oui, il y a cette idée d’être à un carrefour, avec la possibilité de regarder les choses autrement. Le roman pose cette question : qu ’est-ce que réussir sa vie ?
De s fé mini st es cons ac rent de s travau x à la question de la maternité de pu is long te mp s, ma is be aucoup d’idées n’ont pas encore infusé dans la société. Les mères sont encore culpabilisées. Doria est la cible de regards peu bienveillants de la part des autres mères d’élèves devant l’école de son fils ; cela confronte la théorie à l’épreuve du réel, et montre à quel point il est parfois compliqué de s’emparer concrètement des questionnements féministes da ns des mi lieu x moins favorisés. Il est plus facile de s’interroger sur son rappor t au genre, d’êt re anti se xi ste quand on a une femme de ménage, une nour rice pour ses en fa nt s ; pour une femme précaire, racisée, c’est plus difficile Certaines personnes n’ont pas l’espace pour questionner ces choses-là parce qu’elles doivent gagner leur vie. Et la galère prend du temps ! C’est également da ns cet état d’espr it que j’éc ris la ph rase suivante, dans le roman : « Les femmes des classes populaires sont des crash test grandeur nature. » Ce sont les catégories les plus fragiles. Une femme issue d’une immigration récente qui veut divorcer, qui ne maîtrise pas la langue, qui n’a pas idée de ses droits, hésitera plus à quitter un mari violent qu’une femme éduquée, disposant de ressources. Le roman est très critique envers le système scolaire. L’école reste-t- elle le lieu de la reproduction sociale, qui ne donne pas les mêmes chances à tous les élèves ? Complètement Il y a une hy pocrisie autour d’une prétendue neutralité républicaine de l’institution scolaire – comme judiciaire, d’ailleurs. Il faut briser ce my the. À travers Doria, j’interroge aussi la vision très problématique de la laïcité en France : à part ne pas être musulman, en quoi consiste ce principe ? À chaque débat, comme sur le port de l’abaya, on sait qui est visé. On stigmatise une partie de la population, c’est de l’islamophobie qui ne dit pas son nom. C’est dommage d’avoir manipulé une institution comme l’école pour faire de la ségrégation, de la discrimination en France. L’année 2024 marque aussi les vingt ans de la loi contre le port du voile à l’école : quels en sont les résultats concrets ? C’est triste de lutter ainsi à travers des sy mboles ; on gagnerait plutôt à s’interroger sur nos valeurs, requestionner le bien-fondé de certains principes. Le racisme ne disparaît pas quand on entre dans une institution républicaine. Au contraire, les problématiques sociétales
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
◗ Kiffe kiffe demain, Hachette (2004).
◗ Kiffe kiffe hier ?, Fayard (2024).
s’exacerbent, parce qu’on est dans le déni On est en train d’abîmer un magnifique modèle, cet idéal de la République. Mais n’êtes -vous pas un exemple de la méritocratie, de la réussite par l’école républicaine ?
Je ne suis pas un produit de la réussite scolaire, mais plutôt une anomalie dans ce système. Je dois ma réussite à mes parents, non pas à la République ni à l’école françaises Je suis une preuve que l’école ne sait pas reconnaître ses talents et ses compétences. Je n’étais pas une élève épanouie, alors que j’adorais apprendre, que j’ai rencontré des professeurs extraordinaires. Je dois la publication de mon premier roman à un professeur au sein d’une association, en dehors des murs de l’établissement scolaire. Il n’a pas obtenu l’approbation, la validation pour mener un atelier d’écriture cinématographique – sa proposition n’était pas suff isamment académique au x yeux de la hiérarchie On lui reprochait d’être démagogue. Or, il nous a appris à nous exprimer librement. À 13 ans, ma conseillère d’orientation tentait de m’inciter à me tourner vers la filière sanitaire et sociale, les métiers du soin, comme toutes les filles noires et arabes. Je me suis défendue – ce n’était pas facile à cet âge-là face à une adulte – en arguant que j’avais la moyenne dans de nombreuses matières. Elle m’a répondu :
« Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois » En résumé, je devais me contenter de peu, puisque les autres collégiens de ce quartier difficile avaient des résultats médiocres. Une telle phrase peut vous briser Vous devez donc tout à vos parents, à cette « charité miraculeuse », pour citer James Baldwin, que vous affectionnez ?
Oui Je suis le fruit du miracle de l’éducation transmise par un certain nombre de parents. Avec le peu de codes qu’ils maîtrisaient, le peu de moyens dont ils disposaient, la précarité dans laquelle ils nous ont élevés, ils ont réussi à nous donner le goût de l’apprentissage, la force de nous en sortir, de devenir des gens bien. Je dois tout à mes parents, à leur abnégation, à leur courage. Et ce sont mes tantes, ma grand-mère, ma mère, qui m’ont appris à raconter des histoires.
Avez-vous, comme votre héroïne, la nostalgie de la France « Black-blanc-beur » de 1998 ?
C’était comme une parenthèse enchantée pour beaucoup d’entre nous Nous avons mis de côté des choses qui coinçaient déjà à l’époque, comme le rapport problématique de la France à son immigration postcoloniale – l’expression « Black-blanc-beur » était déjà un problème en soi. Mais cette idée a incarné un socle commun possible. Elle s’est malheureusement effritée avec le temps. Et ce n’est pas une question d’assimilation, de volonté de s’intégrer, de faire partie du collectif, d’appartenir à la nation ou non. En vérité, il faut renverser le regard. Que l’on tente de ressembler au Français modèle ou que l’on refuse de le faire, notre salut dépend de la perception de la majorité dominante. Si l’un de nos « représentants » marque un but en Coupe du monde, on devient acceptables. Et si un attentat est commis, on doit s’en excuser et on devient inacceptables. Il est temps de renvoyer la question à l’expéditeur. Ce n’est pas à nous de la prendre en charge. Encore une fois, je ne peux pas commencer l’histoire en 1998. Et cette histoire impérialiste continue de nous impacter On convoque encore l’imaginaire colonial sur le port du voile, par exemple : cette crispation spécifiquement française rappelle la fantasmagorie incitant les femmes à se dévoiler lors de la colonisation en Algérie. L’intention, le regard, la perception n’ont pas changé… Ce sont les mêmes ressorts. La vie d’un homme arabe en France est- elle un long tunnel sombre, humide et sinueux, comme vous l’écrivez en évoquant l’ami d’enfance de Doria, Hamoudi ? Hamoudi s’estime chanceux à 48 ans d’être en vie, statistiquement, vu le nombre d’interactions qu’il a eues avec la police. Les résultats du premier tour des élections législatives [où le parti d’extrême droite du Rassemblement national est arrivé en tête, ndlr] ont provoqué chez moi une colère, un sentiment dévorant d’injustice, de l’inquiétude. Je nous trouve bien miraculeux de continuer à faire preuve de dérision, à créer, à donner de l’amour, à cultiver l’espoir. C’est presque nous qui rassurons les autres.
Encore une fois, il faut renvoyer les questions. Étrangement, on prend en charge des choses que l’on subit. Nous avons tant de
« Le racisme, le mépris de classe sont très bien faits : on n’a même plus besoin de nos oppresseurs.
On intériorise ces croyances, on en devient le relais. »
potentiel, et nous ne le regardons même plus. Pendant que l’on parle de l’identité, des valeurs, de la religion des autres en permanence, on ne s’intéresse pas à ce qui constitue le « nous », au collectif, à la nation. J’ai envie de dire aux fachos : on est là, on ne peut plus revenir en arrière ! Autant faire quelque chose avec cette histoire complexe L’immigration est un drame pour les racistes, mais surtout pour les concernés, pour nos familles. On fait le deuil de nos langues, on est déracinés, séparés, la douleur en nous est comme un héritage ; pour enterrer nos proches, on les place dans des cercueils dans des soutes à bagages… À Adam, le fils de Doria, il ne sera pas demandé de s’intégrer, mais de s’adapter ?
C’est aussi pour disqualifier à tout jamais l’assimilation et l’intégration – notions caduques depuis le départ. L’échec de ce système a été démontré La question qu’il faut maintenant aborder est celle de la cohérence. Il ne s’agit même pas d’être d’accord avec un modèle, de chercher à imposer une manière d’être français La plupart des gens, notamment ceux ciblés par ces violences, ces discriminations, veulent juste que les valeurs républicaines soient appliquées à tous de la même manière. L’égalité, la justice, la fraternité On voudrait les éprouver dans le réel. On est sans cesse rappelés à nos devoirs, mais qu’en est-il d’avoir les mêmes droits que les autres ?
Vous regrettez aussi que l’on ne vous autorise pas la complexité ?
Nous ne sommes pas uniquement définis par le groupe. Nos complexités individuelles, notre sing ularité, sont inenvisageables ; c’est un impensé. Comme si seuls les Blancs en France avaient le droit d’être citoyens du monde, universalistes, universels
Faut-il miser sur un meilleur apprentissage de l’histoire ?
Dans le champ médiatique, mais aussi politique, le thème de l’immigration n’est quasi jamais associé à l’histoire coloniale…
Bien sûr. Mais on ne va pas demander à CNews de nommer les choses correctement. Plus que de la méconnaissance, c’est de la propagande Ça n’arrangerait personne d’éduquer les gens à la réalité de l’histoire Il y a une volonté politique de les laisser dans cette ignorance. Parce que sans ça, qu’est-ce qu’ils présentent comme programme ? Quelle est la France qu’ils aimeraient ? Dans leur monde merveilleux de racistes, s’ils avaient la gomme magique anti-musulmans, anti-A rabes, anti-Noirs, quel modèle proposeraient-ils ?
Leur projet est absurde. Quel manque d’ambition pour le pays ! Pendant ce temps, on ne parle pas du capitalisme, de l’écrasement des gens précaires par le libéralisme forcené – et cela pose problème depuis trente ans ! Si je quitte la France, le prix de l’essence ne va pas baisser. Par contre, il n’y aura plus person ne pour s’occuper des person nes âgées dans les Ehpad – ça, oui !
Comment abordez-vous l’écriture ?
Aujourd’hui, j’assume de parler de ce processus Avant, je ne voulais pas contribuer à la sacral isat ion de l’éc ritu re, je n’osais pas évoquer le rappor t my st ique que j’ai avec elle Je ref use l’élitisme associé à ce métier. J’ai envie de parler de l’écriture comme d’une chose accessible à tous. On n’est pas obligé d’avoir cette culture littéraire, d’avoir lu tout Proust ou Chateaubriand pour avoir le droit d’écrire. Ce moyen d’expression doit être démocratisé, au sens noble du terme. Le talent n’est pas une question de classe sociale. Pour moi, l’écriture est comme un cadeau, un héritage, un don qui m’a été transmis. Ce n’est pas un fardeau, je n’ai pas un lien thérapeutique avec elle Elle m’accompag ne, m’aide à dire le monde, à rendre les choses moins floues, à exprimer une colère, mais le processus reste très instinctif. C’est d’abord une intuition ou une sensation qui me traverse. Et parfois, une voix ou une situation arrive de manière spontanée. Je me perçois plus comme un canal. Si je n’ai pas d’idée, je ne vais pas me torturer devant mon ordinateur ou mon carnet L’angoisse de la page blanche m’est inconnue.
drais jamais un certain niveau, mais c’était déjà pas mal par rapport à mes camarades » ? Le racisme, le mépris de classe sont très bien faits : on n’a même plus besoin de nos oppresseurs On intériorise ces croyances, on en devient le relais Et cela ne nous quitte jamais tout à fait. J’essaie toujours de combattre cette petite voix qui me guette, parfois. Au-delà de la légitimité, c’est l’amour de soi qui peut être ébranlé Pourquoi est- ce obsessionnel pour vous de laisser des traces ?
Y a-t- il aussi des obstacles à lever pour s’autoriser à écrire, quand on fait face aux assignations, notamment professionnelles ?
Liés au x disc ri minat ions de classe, de genre, de race, les empêchements sont nombreux. Le découragement peut venir de cette fausse croyance très ancrée : « Ce n’est pas pour nous ! » La phrase de la conseillère d’orientation m’avait tellement imprégnée. Combien de fois me suis-je dit : « Je n’attein-
Quelque chose en moi désire profondément réparer une injustice – celle du silence, de l’ef facement, tout ce que les miens ont vécu avec l’histoire coloniale, qui est récente. Mes parents sont nés pendant la colonisation en Algérie. Ils étaient des sujet s coloniaux, quand moi, je suis une citoyenne française. Ce n’est pas anodin Dans mon histoire familiale, écrire, c’est inédit. Mon père – paix à son âme –, arrivé en France en 1952, travaillait en tant que mineur dans la Loire. Aujourd’hui, je suis autrice. Et il ne s’agit pas que d’un écart de classe, car je suis aussi franco-algérienne C’est d’une grande complexité. Vous avez coécrit le scénario de la série Oussekine : elle retrace le drame de Malik Oussekine, étudiant d’origine algérienne, battu à mort par des policiers le 5 décembre 1986 à Paris… Pour l’éducation de notre jeunesse, ces histoires doivent être mises en lumière, au risque de disparaître. Le lien entre violences policières et histoire coloniale est év ident. La série Ou ssekine est sortie en mai 2022. Un an après, surv ient le meurtre de Nahel [le 27 juin 2023, à Nanterre, Nahel Merzouk, 17 ans, est tué par un policier après avoir reçu une balle à bout portant, ndlr]. Des téléphones ont filmé ce moment, l’ont relayé sur les réseaux sociaux ; ça ne se passe pas dans le hall d’un immeuble, à l’abri des regards, comme pour Malik Oussek ine. Pour tant, le résultat est quasiment le même Non seulement la justice relaxe l’assassin, mais en plus, il en sort avec une cagnotte de plus d’un million d’euros. L’émotion générale du pays n’a pas été à la hauteur de mes espoirs. Pour moi, il y a un avant et un après. Quelque chose a été brisé. Pour écrire la série, j’avais effectué un travail colossal de documentation, épluchant toute la presse de l’époque, les procès-verbaux Et je n’en croyais pas mes yeux de voir les mêmes mécanismes se répéter. Je ne me limite pas à ces sujets, mais quand j’écris une série ou un roman, l’histoire doit avoir un lien avec le réel, contenir un aspect social, historique Car nous faisons encore face à de nombreux défis pour faire exister nos histoires, nos réalités de classes populaires – nos réalités d’enfants de la diaspora, en particulier. ■
ry th me s
AMADOU
« PRENDRE LA VIE TELLE QU’ELLE EST »
À l’occasion de la sortie de leur compilation réellement historique, rencontre avec un couple aimant et iconique. propos recueillis par So phi e Ros emon t
ET MARIAM
Qua nd on écoute « Mog ulu » (« le s gens », en bambara) et sa mi xt ure atemporelle d’organique et de sy nthétique, pas de doute, on sait que l’on est chez Amadou Bagayoko et Ma ri am Doumbi a. Une sonorité familière pour un titre inédit, donc, qui trouve naturellement sa place dans La vie est belle, best of témoignant du travail accompli en studio ces deux dernières décennies par le couple malien le plus connu au monde. Que l’on rencontre dans un café parisien, entre un jus de pomme et une daurade. Le st yle est affûté, souligné d’éblouissantes lunettes de soleil et de bijoux dorés chez Mariam… Depuis leur coup de foudre, en 1975, à l’Institut des jeunes aveugles de Bamako, ils n’ont jamais cessé de chanter et de jouer ensemble, ajoutant à cette passion pour la musique un mariage et des enfants. Un conte de fées doublé d’une notoriété internationale acquise par le succès de Dimanche à Bamako en 2004, fruit d’une collaboration étroite avec Manu Chao, échappé du groupe Mano Negra, tombé sous le charme de l’alliance hybride artistique formée par Amadou et Mariam. On n’est donc guère étonnés d’entendre dans La vie est belle plusieurs morceaux du disque, comme « Beau x dimanches » et « La Réalité ». Ainsi que des témoignages de leur projet Éclipse, qui fait référence au nom du groupe dans lequel le couple officiait à l’Institut des jeunes aveugles, mais aussi à une performance – mémorable – à la Cité de la musique en 2012, où l’assistance avait profité d’un concert dans l’obscurité : « Nous souhaitions faire comprendre au public, nous explique Amadou, que tout n’est pas basé sur le visuel, que l’on peut visionner dans sa tête et ressentir d’autant plus les notes. Les bruits comme la pluie, les poules qui piaillent au lever du jour, les enfants qui jouent… » Audibles ou non, ces sons du quotidien infiltrent cette compile, condensé de vingt ans d’associations avec des pointures de la pop internationale (Damon Albarn, TV on the Radio, Scissor Sisters ou Santigold), qui n’ont cependant pas fait oublier à Amadou et Mariam leur amour indéfectible pour leur pays natal, le Mali
La vie est belle, voilà un joli titre de best of…
Et votre mantra ?
Amadou : En effet, l’objectif est de rappeler à tout un chacun qu’il ne faut pas, en dépit des mauvaises nouvelles incessantes, perdre de vue la beauté de la vie. Il faut la prendre telle qu’elle est.
Mariam : Et la préser ver, quoi qu’il arrive. Év idemment, il y a des moments où l’on n’est plus aussi sûrs de la valeur de cette vie. Le monde actuel est plus anxiogène qu’avant La joie, il
La base de notre relation, c’est la musique. Nous sommes fidèles l’un à l’autre comme on reste fidèle au x messages que nous voulons faire passer, depuis nos débuts.
en a toujours manqué, mais particulièrement ces jours-ci… Alors, il faut s’accrocher aux petites sources de bonheur que l’on peut trouver, çà et là
La vie est belle rappelle aussi les paroles d’une de vos plus belles chansons, « Sabali », composée par Damon Albarn pour l’album Welcome to Mali, qui ouvre ce disque…
Mariam : « Saba li », c’est un morceau qui pa rle surtout de patience. C’est sans doute cette qualité qui m’a le plus serv ie au long de mon existence. Je suis devenue aveugle tôt, et il m’en a fallu beaucoup… Heureusement, je chante depuis que j’ai six ans. Chez moi, j’écoutais la radio avec mon père. Nana Mouskouri, Johnny Hallyday… Je fredonnais Sheila pendant mes vacances. C’est ce qui me faisait rêver, me donnait envie d’aller en France !
Au point de vous y installer avec Amadou, depuis de longues années, sans perdre de vue l’universalité de votre musique – que vous avez toujours envisagée à la croisée des genres ?
Amadou : Absolument ! Lorsque je jouais da ns l’orchestre Les Ambassadeurs du Motel de Bamako, dans les années 1970, on allait au-delà de la variété française. J’ai grandi avec des chansons cubaines et la musique malienne, mais on s’inspirait également de ce qui se faisait du côté anglo-saxon. Plus tard, nos rencontres avec Manu Chao, Matthieu Chedid et Damon Albarn nous ont confirmé qu’il faut jeter des ponts, sans cesse, entre les artistes musicaux
Da ns leur ma ison, à Ba ma ko
On ne peut atteindre l’universalité qu’avec la sincérité. Nous chantons la paix, l’amour, le soleil…
Mariam : Tous les deux, nous écoutons du blues, de la musique cubaine, du rap, des groupes psychédéliques à la Pin k Floyd. Nous ne comprenons pas la lang ue anglaise, mais c’est ce que nous aimons, ce qui nous anime tous les deux, ce qui nous a rapprochés, et il a semblé év ident qu’il fallait inclure ces influences dans nos compositions
Cette alchimie musicale, que l’on ressent tout au long de votre carrière, a-t- elle été évidente dès le début ?
Mariam : Dès not re premier concer t ensemble, avec Amadou. C’était le 20 ja nv ier 1976. Le publ ic était hy per enthousiaste, dansait, chantait, pleurait, jeta it des pièces ! Cela nous a beaucoup encouragés
Amadou : Nous avons beaucoup joué au Mali, mais nous nous sommes aussi produits au Bu rk in a Fa so, en Côte d’Ivoire, où se trouvaient des st udios d’enregistrement qui n’ex istaient pas vraiment au Mali. Nous y étions de parfaits inconnus, et lors de notre premier live à Abidjan, il devait y avoir deux personnes dans la salle. Nous n’avons pas baissé les bras. Un jour, un producteur nous a entendus, et nous a aidés à sortir des cassettes de nos chansons Nous sommes restés six ans en Côte d’Ivoire – six années cruciales, car elles nous ont donné confiance en nous. Aujourd’hui, quel est votre rappor t au Mali ?
Mariam : Nous l’aimons profondément, et nous considérons que nous sommes parmi ses porte-parole. C’est une fier té, d’autant plus que le Mali est une terre riche de musiques, que ce soit en peul, en soninké, en bambara…
Amadou : Nous avons toujours essayé de transmet tre les valeurs maliennes hors de nos frontières. Notre influence a permis à de jeunes artistes, aussi bien des rappeurs que des guitaristes folks, de se lancer. Je me souv iens du lendemain des Victoires de la musique, en 2005 [lors desquelles Amadou et Mariam ont été récompen sés de la Victoire du meilleur album world de l’année, ndlr], où on nous a félicités de représenter l’Afrique. Avant nous, tout le monde connaissait Fela Kuti, bien sûr. Mais il nous semble que notre travail a permis de voir au-delà de la simple étiquette de world music… C’est ce dont essaie humblement de témoigner ce best of.
Lorsque l’on est Amadou et Mariam, comment préserver tant son couple que son duo musical ?
Mariam : Nous nous écoutons ! Nous sommes mariés depuis le 8 juillet 1980 On a dansé des heures, les invités étaient sur leur trente-et-un, nous étions tous très heureux. Ce souvenir, nous le chérissons. On ne peut pas vivre quarante-cinq ans sans se bagarrer, mais il a fallu surmonter les problèmes, gérer
DISCOGRAPHIE SÉLECTIVE
◗ La vie est belle –best of (2024)
◗ La Confusion (2017)
◗ Folila (2012)
◗ Dimanche à Bamako (2004)
◗ Sou ni ti lé (1998)
not re fa mi lle, cont inuer de travailler tout en veillant sur nos enfants. C’est ce qu’il y a de plus précieux.
Amadou : Je pense à la voix de Mariam, qui m’a fait tomber amoureux d’elle. La base de notre relation, c’est la musique, que nous adorons manipuler ensemble en st udio, avant de lui donner vie sur scène Nous sommes fidèles l’un à l’autre comme on reste fidèle aux messages que nous voulons faire passer, depuis nos débuts.
Des messages de paix et de partage… Et parfois quelques mises au point concernant les politiques actuelles, notamment sur le morceau « C’est pas bon » ?
Mariam : On ne peut atteindre l’universalité qu’avec la sincérité. Nous chantons la paix, l’amour, le soleil… Sans oublier ceux et celles qui nous écoutent, aussi, avec des disques comme La Conf usion, que nous av ions publié en 2017, une année particulièrement difficile au Mali.
Amadou : « C’est pas bon » rappelle que la société ne fonctionne pas toujours comme elle le devrait : elle oublie le respect de l’autre, la justice élémentaire. Finalement, on partage le même message que les rappeurs… mais on ne l’exprime pas de la même manière ! ■
re nc ontre
Mati Diop
« À travers mes films, je réhabilite ma dimension africaine »
La cinéaste franco-sénégalaise, récompensée cette année à la Berlinale pour son documentaire fantastique, souhaite rendre la parole non seulement aux œuvres injustement dérobées à l’époque coloniale, mais aussi aux jeunes, devant être acteurs du devenir de ces trésors une fois ceux-ci restitués au continent. propos recueillis par As tri d Kr iv ian
En novembre 2021, 26 trésors du royaume du Dahomey ont été rapatriés depuis la France vers le Bénin, leur terre d’origine, répondant à la demande officielle du président béninois Pa tri ce Ta lon , fo rm ul ée en 2016, et conformément à la promesse faite en 2017 par son homologue fr ança is Em manuel Macron. Avec des milliers d’autres, ces œuvres furent pillées en 1892 lors de l’invasion pa r les troupes françaises d’Abomey, siège de ce royaume – alors sous le règne du roi Béhanzin – fondé au XV IIe siècle dans le sud de l’actuel Bénin. Commandant de cette expédition coloniale, le colonel Dodds avait confié ces biens culturels au musée d’Ethnographie du Trocadéro à Paris, devenu ensuite musée de l’Homme ; puis ils furent conser vés et exposés au musée du quai Branly-Jacques Chirac à partir de 2000 C’est ce retour des œuvres au pays natal que la réalisatrice franco-sénégalaise Mati Diop raconte dans Dahomey, lauréat de l’Ours d’or au Festival international du film de Berlin cette année. Le départ des trésors depuis le musée du quai Branly, le voyage en avion-cargo, leur installation à Cotonou dans l’espace d’exposition du palais présidentiel, leur rencontre avec les Béninois et les émouvants « constats d’état » effectués par les conser vateurs… Toutes ces étapes témoignent avec délicatesse et sensibilité de ce moment historique, chargé d’enjeux politiques, culturels, spirituels.
La cinéaste, qui considère son film comme un « documentaire fantastique », personnifie les œuv res, notamment en leur donnant la parole, laquel le fa it le récit de leur déplacement, de le ur ég ar em ent gé og raph iq ue , cu lt ur el , ex is te nt ie l, depu is le lieu de l’oubl i ju squ’au retour : d’objets dépo ssé dé s, el le s de vien ne nt sujets de leur hi stoi re, évoqua nt aussi la di mension sacrée dont el les sont dotées. Autre axe pu issa nt du fi lm : à travers la tenue d’un débat au sein de l’un iver sité d’Ab omey Ca lavi, prè s de Cotonou, Da homey rend compte de la fécondité des di sc ussions entre les étudiants béninois au sujet de cette rest it ut ion : celle- ci soulève de profonde s ré flex ion s su r la tr an sm is sion de l’ hi stoi re, la mé moir e, l’identité cu lt ur el le, et soul ig ne la né ce ssité pour le peuple de se ré appr oprier ce s ques tion s. La jeunesse popu la ire de l’Af rique de l’Ouest figu re au cœur du ci néma de Mati Diop, hybride, à la croisée des genres et des écritures. Née en 1982 à Paris d’une mère photographe et d’un père musicien, Wasis Diop, nièce du regretté comédien et cinéaste Djibril Diop Mambét y, elle est déterminée à restituer les récits manquants et à nourrir les imaginaires du continent en posant sa caméra au Sénégal, depuis son premier court-métrage en 2008 jusqu’à son long-métrage de fiction Atlantique, distingué par le Grand Prix du Festival de Cannes en 2019
AM : Comment aviez-vous réag i à l’annonce d’Emmanuel Macron en 2017, à Ouagadougou, d’une restitution prochaine par la France d’œuvres du patrimoine africain ?
Mati Diop : J’ai eu un choc, car j’ai réalisé que la question de la restitution était restée dans un angle mort de mon imaginaire Jusqu’alors, je n’avais pas pris conscience de l’importance de ce sujet. Face à cette sensation inconfortable d’impensé, j’ai eu l’intuition que j’y consacrerai un film, un jour – je terminais alors l’écriture de mon long-métrage Atlantique. Par ailleurs, ce terme « restitution » m’a beaucoup interpellée : j’ai compris que cette démarche avait toujours été au cœur de mon travail. Depuis 2008, j’ai fait le choix d’engager mon cinéma à Dakar, en y réalisant un premier cour t-métrage, Atlantiques, puis Mille soleils, suiv i du long-métrage. Tous ces films prennent soin de restit uer ce qui, à un moment donné, a été perdu, dépossédé ou stéréoty pé par l’Occident. À travers ces films, il était aussi question d’une démarche intime consistant en une réhabilitation de ma dimension africaine.
Aviez-vous déjà en tête un « documentaire fantastique », comme vous présentez Dahomey ?
l’origine, j’imaginais plutôt une fiction d’anticipation sur le retour d’une œuvre en pays natal – à mes yeux, les restitutions n’auraient pas lieu avant plusieurs décennies. Mais en 2021, quand j’apprends dans la presse que 26 œuvres du royaume d’Abomey vont être rapatriées au Bénin, la fiction devient réalité. D’abord, il m’a semblé urgent de documenter ce moment, de garantir une trace de ce voyage de retour jusqu’à Cotonou. En tant que cinéaste franco-sénégalaise, il m’a semblé fondamental que le cinéma soit garant de cette archive, pour l’Afrique, pour le Bénin en l’occurrence. Pour moi, deux axes s’imposaient dans le film : le point de vue des œuvres et celui de la jeunesse béninoise Étrangement absente du débat, on ne l’avait pas encore entendue. C’était essentiel de l’interroger : elle devait absolument faire partie de l’équation. Dahomey s’ouvre à Paris sur cette image d’objets touristiques – des tours Eiffel miniatures –, souvent vendus à la sauvette par des ressortissants africains. Que suggère ce premier plan ?
Avant la séquence au musée du quai Bran ly, il fa llait contextualiser, poser les bases d’une géographie parisienne, d’un quartier en particulier Ces images évoquent la tour Eiffel, construite peu après la Conférence de Berlin, à l’époque des zoos humains. Elles font aussi référence à l’histoire coloniale, que l’on tend à oublier. Et ce plan témoigne surtout de ce qu’il y a hors champ : ces travailleurs sont réduits à la clandestinité. C’est une manière de rendre leur présence palpable et de les lier directement à cette histoire coloniale de pillage. À travers le récit que l’on entend ensuite depuis les sous-sols du musée, il ne s’agit pas seulement des trésors royaux, mais aussi de ces exilés Ils font partie d’une même histoire
«Dansles musées, la violence de l’histoire coloniale esteffacée et rendue inaccessible au public.A insi, on ne s’interroge passur le contexte du pillage. »
Comment avez-vousabordélaséquence au muséeduquaiBranly, où les œuvres sont numérotées,traversent dessous- solsaustères ?
La dimensioncarcérale de cesmusées, en particulier de leurs sous-sols, estune métaphoreassez convenue pour les universitaires travaillantsur la question.Maisilm’importait de sensibiliser le grandpublic àcet imaginaire.Dansces musées, la violence de l’histoire coloniale estminutieusement effacéeetrendueinaccessible au public.A insi,onnes’interroge pasassez surlecontextedupillage. Je voulaismontrer ce lieu commeunespacecarcéraletmortifère.Faireparlerces œuvres depuis la nuit,l’obscurité,l’oubli,l’effacement, depuis ce lieu de négation.Ensuite,avecJoséphineDrouin-Viallard, la cheffe opératrice, nous avonsfilméledépart de cesœuv res dans un contexte quel’onnemaîtr isaitpas,avecdes tech nicien s, descon servateu rs en plei nc ha nt ier. Il fa llaitsuivre lesopération ssan sjamai srenonceràfai re du ci néma ;ne pa ssel imiteràenreg istrer de l’in format ion, ma is rendre se ns ible splu sieu rs di me ns ions .E nm at iè re de mi se en scène, l’axedeg ravité consista it àf ilmer ce dépa rt du point de vuedes œuvres,àles rend re na rrat ricesetact ricesde leur propre hi stoi re.R acontercerapat riementdepuis une per sp ec tive af rica ineaus si. Au quai Br anly, Joséph ineet moiavion sc hacu ne unec améra.Jef ilmai sles œuvres de très près pour offrir uneexpérienceintérieureetsensorielle au spectateur.D’unpoint de vueplusspirituel,j’avais besoin de lesréinvestirdeleurpuissance; lesregarder, lesf ilmer, c’étaitaussiles recharger de leur force.
Le conservateur béninoisCalixteBiah fait presque figuredemédecin auprès de cesœuvres,dansla délicatessedeses constats,leregardposésur elles. Était- ce plus qu ’une opération technique?
Pour moi, oui. Pour Calixteaussi. Missionné pour suiv re lesopérationsdepuis le musée du quai Branlyetpourvoya-
Da ho mey,d eM atiD iop,L es Fi lm sd uLosa ng e. So rtie en Fran c el e11s epte mbre2 02 4.
geravecles œuvres,ceconservateurm’est apparu d’emblée commel’undes personnagesclésdu film.Àmes yeux, il était commelegardien de cesœuv res, entretenant un dialog ue secretavecelles.J ’étais très touchéepar sa façonderegarder et de manipulerles œuvres.J’avais l’impression qu’illes rassurait.Plustard, dans le film,auseindumusée reconstituédans le palais de la Marina àCotonou, un autrehomme de l’équipe desconservateurs,DidierDonatien, s’adresseàson tour àces trésors, leur chante unechanson,leursouhaitelabienvenue.
Le récitdes œuvres,leurs paroles,témoignent d’un sentiment d’égarement lorsdeleurretour au Bénin. Quelle dimension s’ouvrealorspourelles,etpourceux qui lesregardent ?
C’étaitpourmoi uneexpériencetrèsforte de suiv re ces trésors, quitraversentdes espaces sy mboliquesaussi variés queles sous-sols, lesv itrines, lescaisses,les cargos,àtravers ce parcours depuis la France jusqu’àleursol natal. C’étaittrès émouvant d’assister àleurredécouvertepar cesconservateurs béninois, de lesvoirentourées. Assister àces retrouvailles, àcette métamorphose, fairecetrajetavecelles,c’était une
expérience physique, sensible, philosophique, politique exceptionnelle. J’ai vraiment eu la sensation de traverser l’espace et le temps avec elles. Lors des constats où les conser vateurs décr ivaient les traces physiques du temps sur ces stat ues, témoignant du pillage, du voyage, de la déportation – elles sont restées 130 ans en France –, la dimension multiséculaire était vraiment palpable et vertigineuse. J’ai conçu Dahomey comme un voyage dans le temps, tout en étant au présent avec les œuvres. Aussi, quand les conser vateurs et techniciens français les enlevaient des vitrines pour les mettre en caisse, j’avais l’impression de voir une reconstitution du pillage, mais à l’envers. La dimension cathartique était très troublante. Comment avez-vous conçu la parole des œuvres, en fon ancien, avec les mots du poète haïtien Makenzy Orcel ?
Le choix du fon ancien est politique, mais aussi pleinement cohérent : réhabiliter ces œuvres, c’est aussi leur faire parler la langue qui était en usage quand elles ont été arrachées à leur terre. Ensuite, les ancêtres des Haïtiens sont des hommes et des femmes déportés pendant l’esclavage, notamment du golfe du Bénin. Je tenais donc à confier l’écriture de ce récit à une écrivaine ou un écrivain qui porte la trace de cette histoire, de cette mémoire. Quand Makenzy Orcel est intervenu, le film était abouti au montage, structuré. Il fallait veiller à ce que les mots ne soient pas redondants avec le propos existant des plans. J’ai partagé à Makenzy toutes mes intentions par chapitre. Puis, à partir d’un texte très dense qu’il a écrit, j’ai choisi des fragments, que j’ai parfois réadaptés aux plans, au rythme. À travers une esthétique futuriste, la voix de la statue du roi Ghézo incarne l’ensemble de celles des œuvres, mais aussi celles de toute une communauté d’âmes : des hommes et des femmes déportés pendant l’esclavage, mais aussi des travailleurs exilés aujourd’hui.
Comment avez-vous organisé les débats sur la restitution entre des étudiants béninois de l’université d’Abomey Calavi ? La question était : comment mesurer la perte de ce dont on n’a pas conscience d’avoir perdu, pour citer vos mots ?
J’ai mené de nombreu x entret iens avec des jeunes sur le campus, avec des professeurs d’université aussi, af in de prendre connaissance du contexte Au cours d’un casting, j’ai choisi des profils de jeunes portant un point de vue singulier, particulier, sur la question de la restitution, et qui pouvaient aussi assumer une parole libre. J’ai établi un fil de questions sur la transmission de leur histoire, sur la mémoire, l’amnésie : qu’est-ce que grandir sans avoir conscience d’être séparés de ce patrimoine ? Beaucoup se sont rendu compte de cette faille au moment du retour des trésors. Il y a un problème dans la transmission de l’histoire. Déjà, un héritage colonial persiste dans le système éducatif ; des éléments occidentaux continuent à être considérés comme étant l’unique référence. C’est désastreux, il est vraiment temps d’acter une refondation totale de l’enseignement en Afrique. Les jeunesses africaines
« Les jeunesses africaines doivent pouvoir accéder à la richesse de leur histoire, qui doit leur être enseignée à partir d’un paradigme africain, et non occidental. »
doivent pouvoir accéder à la richesse de leur histoire, qui doit leur être enseignée à partir d’un paradigme africain, et non occidental. À mon sens, cela devrait constituer l’une des priorités des gouvernements africains.
Le retour des œuvres soulève ainsi la question éducative ?
La restitution doit aller de pair avec une nouvelle manière d’enseigner l’histoire aux jeunes Africains. Pour moi, l’un ne va pas sans l’autre. On ne peut pas d’un côté rest it uer un patrimoine africain, et, de l’autre, rester dans un paradigme d’éducation occidentale. C’est une contradiction. La restitution passe à côté de son enjeu si elle écarte la jeunesse, si les questions d’éducation à l’histoire africaine ne sont pas fondamentalement remises en cause. À mon av is, Le travail de restitution commence là : interroger la jeunesse. Il y a un vrai état des lieux à faire à partir d’elle Entendre des intellectuels africains poser des diagnostics, c’est une chose. Mais cela a ses limites. On n’entend jamais cette jeunesse ; elle n’est jamais sollicitée, interrogée. On la considère peu, alors qu’elle représente plus de 60 % du continent, dont elle est le futur. C’est à partir d’elle qu’il faut réinterroger l’éducation, en premier lieu. L’avenir de l’Afrique passe avant tout par une révolution du système éducatif, depuis l’enfance jusqu’à l’université. C’est fondamental. J’ai aussi voulu, le temps de ce film, faire de l’université un espace qui se réinvente, telle une agora.
Au fil des débats, les propos des jeunes sont contrastés. Certains portent un regard critique sur cette restitution, destinée selon eux à redorer le blason de la France.
Pour d’autres, c’est une véritable insulte : sur des milliers d’œuvres pillées, seules 26 sont retournées…
L’idée était de donner à voir l’intelligence collective en action. Ces jeunes ne sont pas dupes, mais bien lucides sur les enjeux diplomatiques entre la France et l’Afrique, sur la tentative de séduction du président français C’était important que
toutes ces réflexions soient portées par eux à l’écran, à travers le cinéma, pour diff user cette parole et cette pensée à l’international. Pour leur tendre un miroir aussi. Il fallait placer cette jeunesse en acteur principal de sa propre histoire Ce dispositif est comme une table de conseil des ministres, où la jeunesse est à cette place de réflexion, d’interrogation, de débats. C’est à elle de prendre en charge son propre destin J’ai fait ce que j’aimerais que les gouvernements fassent : qu’ils écoutent avec considération cette jeunesse, son analyse, son récit d’expérience, ses besoins Encore une fois, si on restitue un patrimoine, mais qu’il y a un manque criant de considération pour la jeunesse, c’est contradictoire. La vocation de Dahomey était de réhabiliter le débat, de rééquilibrer la question Sinon, elle reste la mainmise des gouvernements français et africains. On passe totalement à côté de l’enjeu de l’identité culturelle africaine. Au cours des échanges, certains se demandent si la restitution est vraiment une priorité dans ce pays, quand la plupart des Béninois doivent se battre pour obtenir trois repas par jour Et il faut le dire : face au x urgences, si le minimum en mat ière d’alimentation, de soins, de logement n’est pas assuré, la restitution peut sembler secondaire. En réalité, elle est tout aussi importante, à condition que le peuple soit impliqué.
Le retour de ces œuvres suscite de multiples questions : faut-il les exposer dans un musée à l’occidentale, où elles ont été coupées de leur fonction spirituelle ? Comment se les réapproprier, les réinvestir de leur potentiel ?
Cette question m’intéresse beaucoup : quel lien social recréer avec ces œuv res ? Elle a été moins soulevée dans le débat, car elle est nouvelle, plus sophistiquée, et appartient plutôt aux experts, aux chercheurs Là aussi, il faut impliquer la société civile. En fonction des différents pays africains et des spécificités historiques, le problème se pose différemment Au Bénin, le rapport au vaudou est assez contradictoire : ainsi, une jeune femme témoigne qu’elle n’a pas envie de recharger ces œuvres de leur dimension sacrée vaudoue, effrayée par cette spiritualité – une crainte héritée de l’histoire coloniale. Le gouvernement a décidé de placer ces œuvres du royaume d’Abomey dans des musées à l’occidentale C’est une manière de les faire entrer en pays républicain : elles appartiennent à toute la nation, à tous les Béninois. Lors de la discussion, un jeune homme estime que l’institution des musées n’appartient pas à leur cult ure. C’est la richesse de ce débat : il ouvre les questions, plutôt que de les figer. Mon intention était d’en faire un chantier de réflexions. J’espère que la population sera invitée au débat sur le devenir des musées, que les décisions seront prises en concertation entre les conser vateurs et la société civile, en faisant preuve de créativité Il y a beaucoup à inventer
Vous avez créé votre société de production de films
Fanta Sy à Dakar, afin de coproduire Dahomey. Avez-vous l’intention de développer des projets avec d’autres cinéastes ?
J’avais envie de coproduire Dahomey depuis le Sénégal, afin qu’il soit porté par une production française et africaine. Fanta Sy a été fondée avec le producteur sénégalais Fabacary Assy mby Coly En effet, dans un deuxième temps, nous avons vocation à accompagner de jeunes auteurs et autrices, cinéastes sénégalais, en mettant à leur disposition des outils, des moyens. Je réf léchis encore à ce que j’ai spécifiquement envie de proposer à travers cette structure, qui ne sera pas seulement une société de produc tion classique. L’une des ambitions d’Atlantique était de relancer une dynamique, de faire exister un certain cinéma africain sur la scène mondiale. Cela ne ref lète pas pour autant la réalité du cinéma sénéga-
Le f i l m met en sc ène un d é b at avec le s ét udia nt s de l’unive rs ité Abom ey Cal avi su r la fa ço n d’appréhender la re stitu tio n.
lais local où, structurellement, les moyens manquent encore pour une plus grande autonomie du secteur. Mes films tournés au Sénégal ont tous bénéficié du système français, sans lequel nos films n’existeraient pas. Toutefois, aujourd’hui, un cinéaste sénégalais ne parv iendrait pas à réaliser un film avec le seul soutien du Fopica [Fond de promotion de l’indu st rie cinématographique et audiovi suelle du Sénégal, ndlr]. Ce que des cinéastes comme Alain Gomis et moi avons réussi à faire, nous devons à notre tour le rendre possible pour d’autres. La diaspora a un rôle à jouer dans le développement d’un cinéma local, dans une mise en partage de moyens, d’outils et de réseaux. À Dakar, Alain a fondé Yennenga, principalement voué à la post production son. Ladj Ly a ouvert une école Kourtrajmé Adama Diop se lance dans une école d’art dramatique. En plus des collectifs sénégalais qui existaient déjà, comme CinéBanlieue, une nouvelle vague d’initiatives a pris forme et porte déjà ses fruits ■
BUSINESS
Interv iew
Edem d’Al meida
Af rique du Sud : la coalition ra ssure les ma rchés
Au Béni n, on pa sse du coton au text ile
IMPÔTS
La noix de cajou ivoi rien ne cherche sa tran sfor mation
L’Ét hiopie s’or iente vers le véhicu le élec tr iq ue
La douloureuse nécessité
L’Afrique est le continent où « l’assiette fiscale » est la plus faible. Face à la hausse de la dette, des taxations équilibrées pallieraient les revenus fluctuants générés par les ressources naturelles. L’éruption de colère récente au Kenya souligne toute la difficulté du processus. Et le besoin d’équité au bénéfice des plus modestes par Cédric Gouverneur
Près de quarante morts. Tel est l’effroyable bilan de la révolte, principalement motivée par l’instauration de nouvelles taxes – mais pas seulement [lire not re dossier sur la Révolution jeune] –, qui a balayé le Kenya fin juin. Le président William Ruto a dû se résoudre à abandonner son projet de loi de finances, qui était destiné à « assurer une transformation socio-économique durable » du pays. Dans le but de faire passer le déficit budgétaire de 5,7 à 3,3 % du PIB, Ruto voulait instaurer une série de taxes sur l’alimentation (16 % sur le pain),
les véhicules, les pneus, les piles, les smartphones, et même les protections périodiques (déjà trop chères pour deux tiers des Kényanes…). Élu il y a deux ans, le chef d’État kényan se targue d’avoir, dans sa jeunesse, travaillé comme vendeur de rue, et avait promis lors de sa campagne d’être le chantre des hu stlers (« débrouillards ») de l’économie informelle. Le voilà affublé du surnom infamant de « Zakayo », traduction swahilie de « Zachée », percepteur biblique qui s’engraisse aux dépens des pauv res ! Son goût ostentatoire pour les montres de luxe n’a certes pas
contribué à l’acceptation sociale de ce tour de vis fiscal… Il se voit ainsi confronté aux contradictions de son programme (Bottom-Up Economic Transformation Agenda 20222027), qui promettait de « réduire le coût de la vie », mais en même temps d’« élargir l’assiette fiscale ».
LES IMPÔTS, LA PROMESSE DE REVENUS STABLES
L’Afrique aurait pourtant besoin d’impôts Le ratio impôt/PIB n’y est que de 18 % en moyenne, contre 21 % en Asie et 33,4 % dans les pays occidentaux, selon le Forum des
De s ma ni fe stants dé fil ent à Na irob i, le 2 0 ju in 2024 , contre le s me su re s de la loi de financ es.
BUSINESS
administrationsfiscalesafricaines (ATA F),qui regroupe lesser vices fiscauxde43paysducontinent. Le ratioest assez élevéauMaroc, en Tunisie(32,5 %) et en Afriquedu Sud, mais insignifiant dans lespays producteurs de pétrole(seulement 5,5% au Nigeriaen2020!). Les revenus desmatièrespremières, les investissementsdirects étrangers (IDE) et la coopération internationale ne peuventpourtantpas suffire àrépondreaux besoins.Aussi impopulaires soient-ils,« lesimpôts constituentlaprincipalesourcede recettespubliques », et sont «essentiels au développement économique et àlacréationd’emplois»,rappelle en préambule du rapportannuelde l’ATAF sonprésident Philippe Tchodié, parailleurs commissairegénéral de l’Office togolaisdes recettes. «Lanécessitédefavoriser unestratégie efficace et solide de mobilisation desressources» représente «une composante essentiellepourtout État du continent»,insiste-t-il. D’autant queles Étatsafricains se trouvent confrontés àlacrise de la dette, auxbesoins croissants engendrés parle changement climatique et le qu’au fluctu défi démographique, ainsi x imprév isibles ations des
cours desmatièrespremières, qui fragilisentles prév isions budgétaires (auTchad,entre 2013 et 2015,la chutedes cours du pétrolea divisé partrois le ratioimpôt/PIB…).Ce contexte rendles autoritésdeplus en plus conscientesdelanécessité d’améliorer lesrecettesfiscales. D’autant,analyse Arthur Minsat, chef de l’unitéA frique du Centre de développement de l’OCDE,que «dansuncontexte macroéconomique d’incertitudegénéralisée, alorsque les primes de risque en Afrique connaissentdes niveauxrecord, unebonne administration fiscale peut réduire la perception du risque pour lesinvestisseurs ».
LE DÉFI DE L’INFORMALITÉ
Le principe de l’imposition implique un contratsocialque les deux parties–lecitoyen taxé comme l’État percepteur–sedoivent de respecter. Leverdes taxesoblige donc l’État àrendredes comptesquant àl’utilisation desdépenses
Le principe de l’imposition implique un contratsocial queles deux partiesdoivent respecter. Leverdes taxes oblige donc l’État àrendre descomptes.
publiques… Dans lespaysoùabonde le pétrole(ou touteautre matière première assurant desentrées de devises),les autoritésont pu préférer user de cettemannede façondiscrétionnaire,sanssesentir redevablesenvers lescitoyens… L’ATAF soulignepar ailleursque l’évasion et l’optimisation fiscale coûtentchaqueannée au continent 88 milliardsdedollars.LeGhana,qui s’est déclaréendéfautdepaiementen décembre2022, apriéles principales multinationalesactives dans le pays de régler sesarriérésd’impôts(évalués, parexemple,à773 millions de dollars en ce quiconcernel’opérateur mobile sud-africain MTN,qui abataillépour réduire la note).Ladigitalisation de l’économie complexifieencore davantagel’équationfiscale :« La transformationnumérique dispense lesentreprises multinationalesde présence physique dans lespaysoù ellesœuv rent»,soulignel’Agence françaisededéveloppement (A FD)dansson dernier rapport, ce quiconstitue «un défi importantentermesde fiscalitéetdepertesderevenus pour leséconomies africaines ». LesÉtats africainssont cependantconfrontésàundéfi majeur :comment fairepayer desimpôtssur le revenulorsque 90 %delamain-d’œuv re travaillentdansl’économie informelle, et sont doncprivés de couverturesociale (17% des Africainsont uneprotection sociale, contre unemoyenne mondiale de 47 %) ?L’idée serait d’inciterles travailleurs àsedéclarer, àpayer un impôtprogressif surle revenuenéchange d’uneprotection sociale, commec’est déjàlecas au Maghreb: «Sitousles pays africains taxaient commelefaitlaTunisie,
cela représenterait 500 milliards de dollars de revenus supplémentaires par an », écrit l’économiste Sébastien Mark ley dans L’Économie af ricaine 2023 (éditions La Découverte).
Divers outil s se présentent au x Ét at s af rica ins af i n de trouver des solution s fi sc ales. En 2015, lors de la troi sième conférence internat iona le pour le fi na ncement du développement du rable, qu i se déroulait en Ét hiopie, a été la ncée la Addi s Ta x In it iative (AT I), un pa rtena riat qu i réun it les Ét at s du cont inent, af in de « promouvoir des serv ices fi sc au x au serv ice des popu lation s » et de cont ribuer à la réal isat ion de s objecti fs de développement du rable (ODD) 2030.
VERS UNE INFLEXION DES MENTALITÉS
La Commi ssion de s Nat ions un ies pour l’Af rique (U NECA) travai lle ac tuel lement à l’opti mi sation de la ta xation da ns les sec teur s du nu mérique et des tech nolog ies. « En 2023, l’ATA F a en regi st ré une hausse sign if ic at ive des dema ndes de prog ra mmes d’assi st ance tech nique, et une plus grande pa rt ic ipat ion au x événements dest inés au renforcement des capacités (con férences, webi na ires, etc.), ce qu i témoig ne de besoi ns u rgents », éc rit son di rec teur généra l, Ph il ippe Tc hodié, observant que le ratio impôt/ PIB est en hausse dans neuf pays membres. L’assistance technique a facilité l’émission de nouveaux av is d’imposition, totalisant 1,41 milliard de dollars en 2023, et les contrôles fiscaux promus par l’ATAF ont généré 620 millions de recettes. Des résultats certainement modestes au regard des besoins, mais qui sont annonciateurs d’une inflexion des mentalités ■
LES CH IFFR ES
SEULEMENT 13 % DES NIGÉRIANS BÉNÉFICIENT D’UN ACCÈS FIABLE À L’ÉLECTRICITÉ.
3 mi llion s d’Af rica in s vont être formés à l’intelligence ar tificielle (IA) par la Banque africaine de développement (BAD) et la société Intel.
1,5 million de smartphones ont déjà été assemblés au Kenya depuis le démarrage de la production fin 2023.
10 0 tonnes d’or devraient être ex traites de la future mine ivoirienne de Koné, exploitée par le canadien Montage Gold
LE S RECE TTES
D’EXPOR TATION DE CAFÉ ÉTHIOPIE N S’ÉLÈVENT À 1,43 MILLIARD DE DOLL AR S, EN HAUS SE DE 10 % EN UN AN.
Les 280 millions d’euros versés par Londres au Rwanda pour accueillir des migrants ne seront pas remboursés, annonce Kigali, le gouvernement britannique nouvellement élu ayant abandonné ce projet controversé.
Edem d’Almeida « L’économie circulaire peut créer onze millions d’emplois en Afrique »
Fondateur de la société Africa Global Recycling en 2013, à Lomé, et de l’association de sensibilisation au recyclage Moi Jeu Tri en 2016, il est l’un des pionniers de la valorisation des déchets et de l’économie circulaire sur le continent. L’entrepreneur franco-togolais répond à nos questions sur les impacts de la révolution numérique, et bientôt de l’IA, sur ce secteur prometteur. propos recueillis par Cédric Gouverneur
AM : En une décennie, comment a évolué la perception du déchet en Afrique ? Edem d’Almeida : Le déchet est désormais perçu davantage comme un potentiel levier de développement et d’innovation. Or, pour les pouvoirs publics, sa gestion reste enfermée dans une approche de la collecte à son transfer t dans un centre d’enfouissement ou une décharge dite « contrôlée ». Cette approche est favorisée, dans certains cas, par un manque de vision, de moyens ou d’expertise, par la carence de politiques publiques adéquates. Mais aussi par l’influence des institutions occidentales d’aide au développement et de coopération, dont les projets favorisent, en pratique, les entreprises de leur pays. Par ailleurs, il faut noter un réel engouement des jeunes du continent et de la diaspora pour le déchet, désormais objet de projets d’études supérieures, de
recherche, sujet de thèses et de mémoires. Des initiatives se multiplient partout sur le continent, tant sur le plan de la sensibilisation que de l’éducation ou de l’entrepreneuriat Comment la valorisation des déchets et l’économie circulaire peuvent -elles créer des emplois ?
La production de déchets en Af rique est estimée par les Nations unies à 244 millions de tonnes, dont 4 % seulement intègrent une filière de rec yclage. Dans un contexte de sous-emploi, le déchet doit devenir le catalyseur de nouveaux métiers, formations et emplois, qualif iés et non qualifiés. Quelques pistes peuvent constituer le début de la solution Un, l’application de l’arsenal juridique déjà existant en matière de gestion et de traitement des déchets. Deux, l’amélioration du cadre réglementaire avec des mesures incitatives pour les entreprises, industriels et associations opérant dans la filière collecte, tri, valorisation et rec yclage. Trois, le développement d’un cadre juridique favorable à l’essor des nouveaux modèles économiques que porte le concept de l’économie circulaire (et, par extension, ceux des économies verte, sociale et solidaire). Ces trois premières pistes devront être soutenues par des outils et mécanismes financiers adaptés. Aussi, les multinationales présentes sur le continent ont une responsabilité à assumer : habituées dans leurs pays d’origine à payer a minima le coût de la collecte et du traitement du déchet, elles ref usent de faire de même sur le continent, contraignant bien souvent les acteurs locaux à réaliser des prestations qui mettent en péril leur équilibre économique, à céder les déchets valorisables contre rémunération… Plutôt que d’être à l’affût d’actions humanitaires servant d’éléments de communication, elles pourraient, au nom de leur politique de responsabilité sociale, se muer en catalyseurs pour la structuration des filières de valorisation La Banque af ricaine de développement (BAD) estime que l’économie circulaire en Af rique pourrait créer onze millions d’emplois, avec un accroissement de 2,2 % du PIB pour le continent.
Comment la transformation numérique impacte cette économie circulaire ?
La gestion des déchets n’est plus une question de petites mains qui grattent les décharges, et l’économie circulaire n’est pas une économie des pauv res. Ce sont, aujourd’hui, des domaines clés appelant à des expertises clés en économie, sociologie, logistique, droit, politiques publiques, ingénierie, finance, industrie, formation ou encore génie mécanique et électrique. Des domaines tous impactés par la transformation numérique. Cette dernière ouvre de réelles perspectives pour l’économie circulaire, dont les principes disr uptifs « partager, réparer, réutiliser, rec ycler » interpellent nos modes de consommation et de production La sensibilisation des parties prenantes, le partage des bonnes pratiques, le développement de projets communautaires, l’engagement citoyen, le troc, le développement des circuits cour ts, la production et la consommation responsables, l’identification de zones polluées ou à restaurer en sont de parfaites illustrations. Nous pouvons aussi noter les solutions qu’appor te le numérique par les financements alternatifs. Mais des défis de taille restent à relever face à certains freins culturels et institutionnels
Quelles pourraient être les applications de l’intelligence ar ti ficielle (IA) dans le tri et la valorisation des déchets ?
Un tri automatisé, rapide et plus fiable, une collecte et une analyse pointues des données sur les flux, une traçabilité plus efficace, la prédiction des quantités de déchets qui aiderait à une meilleure planification et une optimisation des ressources à allouer, la possibilité de développer de nouvelles solutions de rec yclage pour des matériaux complexes non valorisables pour l’heure… Les champs d’application de l’IA pourraient être illimités.
L’IA ne risque -t -elle pas, justement, de supprimer de potentielles créations d’emplois ?
La production de déchets en Afrique est estimée par les Nations unies à 244 millions de tonnes, dont 4 % seulement intègrent une filière de recyclage.
Ce serait une aberration d’investir dans des chaînes de tri équipées de robots, ou d’avoir des camions sans chauffeur… Nous devons avoir une démarche stratégique, qui ne perde pas de vue que la filière déchet doit créer des emplois en masse et que l’innovation technologique représente une aubaine pour rendre attractif notre écosystème entrepreneurial, capable de compétir sur l’échiquier mondial. Nous avons la capacité de faire de l’IA une arme d’opportunités économiques : tout dépendra de la volonté et de la vision politique. Vous remarquez qu ’il est souvent plus compliqué de commercer avec les pays voisins qu ’avec les autres continents !
La ZLECAf tarde- t- elle trop à se concrétiser ? En effet, cela est plus facile et moins coûteux. Plus simple de se déplacer en Af rique depuis le MoyenOrient ou l’Europe que depuis le continent, de voyager sur le continent en étant étranger que ressor tissant d’un pays af ricain Tout ce qui concourt à lever ces barrières doit être encouragé. Mais je m’interroge sur la concrétisation de la ZL EC Af. Comment réussira-telle là où les organisations sous-régionales ont échoué ?
Comment relever le défi des politiques commerciales et douanières ? Nos frontières sont gangrenées par la corr uption, les infractions tarifaires, et nous ne disposons pas d’infrastr uctures logistiques favorables à des échanges fluides. Il faudra que nos dirigeants apportent des réponses concrètes à ces préoccupations. ■
Joh n Stee nhuisen, le ade r de l’Al li anc e dém ocratiqu e (DA), est rejo int su r sc ène p ar les me mb re s du par ti après un di scou rs au Wi ll ow moore Stadi um, à Be noni, le 26 mai 20 24.
Afrique du Sud : la coalition rassure les marchés
Faute de majorité absolue, l’ANC est contrainte de partager le pouvoir avec les libéraux de l’Alliance démocratique (DA). Reste à redémarrer une économie atone.
Malgré la diversité idéologique de ses composantes, le gouvernement d’union nationale (GNU) formé début juillet par le président Cy ril Ramaphosa rassure les marchés et les investisseurs. « Les entreprises sud-africaines cherchant à accéder aux capitaux internationaux pourraient bénéficier de la nouvelle stabilité économique », estime ainsi Andrew Murphy, analyste au cabinet Freshfields. Pour rappel, lors des élections fin mai, l’A NC a perdu la
majorité absolue, avec seulement 159 sièges sur 400 au Parlement. Après trois décennies d’hégémonie, le mouvement de libération nationale a donc dû chercher des alliés pour gouverner. Ramaphosa a préféré se tourner vers l’Alliance démocratique (DA, libéraux, 87 sièges) plutôt que vers le parti de son rival, l’ancien président Jacob Zuma, uMkhonto we sizwe (MK, gauche, 58 sièges), ou vers les Combattants pour la liberté économique (EFF, extrême gauche, 39 sièges). Après des semaines d’âpres négociations, le président a dévoilé début juillet un cabinet de 32 membres, où l’ANC se taille la part du lion : vingt portefeuilles, les autres ministères étant attribués à la DA et à de petits partis communautaires (minorités musulmane, indienne, afrikaner…).
TR ANSFORMER LE PAYS
EN UN IMMENSE CHANTIER
L’Alliance démocratique n’a obtenu que six ministères sur les onze convoités. Son leader, John Steenhuisen, occupe cependant le portefeuille de l’Agriculture – ce qui ne
peut que rassurer le secteur agricole, largement dominé par les fermiers afrikaners, qui auraient eu tout à perdre de la réforme agraire radicale promise par les partis EFF et MK. La DA décroche aussi le portefeuille des Infrastructures et des Travaux publics : « Nous sommes absolument engagés à accélérer les investissements dans les infrastructures, afin de transformer l’Afrique du Sud en un immense chantier qui pilotera la croissance économique et créera des emplois », a annoncé le ministre Dean Macpherson La question se pose aussi du devenir d’Eskom, l’entreprise publique d’électricité devenue sy nony me d’inefficacité et de corruption, et que DA rêverait de privatiser… Le secteur minier, principale richesse du pays, voit en effet ses capacités de développement restreintes par les pannes électriques quasi quotidiennes « Nous estimons que ce gouvernement d’union nationale ouvre la possibilité de réformes structurelles favorisant la croissance et des choix macroéconomiques prudents », a déclaré David Faulkner, de HSBC, à l’agence Reuters, tout en s’inquiétant du « risque de fractures » au sein de l’ANC. Des fractures idéologiques qui pourraient, à moyen terme, faire imploser la majorité parlementaire indispensable au gouvernement : beaucoup de militants de l’ANC ont davantage de sy mpathie pour le parti de leur ancien président, Jacob Zuma, que pour l’Alliance démocratique, souvent perçue comme le « parti des Blancs ». À l’inverse, beaucoup d’électeurs de DA avaient voté pour renverser l’ANC, qu’ils perçoivent comme inefficace et corrompue, et non pour que Cy ril Ramaphosa partage le pouvoir avec le parti d’opposition libéral. ■
Au Bénin, on passe du coton au textile
Le premier producteur d’Afrique entend fabriquer de plus en plus de vêtements sur place.
L’essai est transformé. Depuis 2020, les autorités du Bénin – premier producteur de coton africain, avec près de 600 000 tonnes –favorisent la création d’usines de prêtà-porter dans la zone industrielle de Glo-Djigbé (GDIZ), près de Cotonou, afin de transformer sur place les fibres plutôt que de les exporter en Asie (notamment vers le Bangladesh). Il y a un an, une première cargaison de 70 000 vêtements made in Benin était exportée aux États-Unis, pour la marque The Children’s Place (TCP).
En juin dernier, la GDIZ a annoncé l’exportation de 80 000 pièces pour la marque française Kiabi (près de 600 magasins dans le monde).
« D’ici fin 2024, nous produirons 2 millions de vêtements pour Kiabi, afin de démontrer notre capacité à satisfaire les exigences internationales,
tout en maintenant un standard de qualité élevé », se félicite Létondji Beheton, en charge du développement de la GDIZ. À terme, le Bénin entend transformer localement la majorité de son coton. La Société des textiles du Bénin (STB) vient d’obtenir d’un consortium de quatre banques un financement de 52,3 milliards de francs CFA (86 millions d’euros), afin de bâtir trois nouvelles usines employant 15 000 salariés et traitant 40 000 tonnes de fibres par an.
« Nous sommes fiers de participer à ce projet transformateur qui positionne le Bénin comme un leader de l’industrialisation durable en Afrique et dans le monde », a déclaré Arsène Dansou, directeur général de la Banque internationale pour l’industrie et le commerce (BIIC).
Et la FIFA a déjà passé commande pour des maillots de football ■
La noix de cajou ivoirienne cherche sa transformation
Après la crise de surproduction de l’an dernier, les autorités tablent sur la restriction des exportations de noix brutes, afin de favoriser les usines à l’échelle locale.
Les autorités veulent, à l’horizon 2030, que la moitié de la production de noix de cajou soit transformée sur le sol ivoirien, contre env iron 21 % aujourd’hui. Avant leur consommation, les noix de cajou doivent en effet être séchées, chauffées, décortiquées et torréfiées. Or, la grande majorité est exportée brute vers l’Inde, le Vietnam et le Brésil, et valorisée sur place. En 2023, 265 863 tonnes ont été torréfiées en Côte d’Ivoire, au sein de la trentaine d’usines que
compte le pays, et dont la capacité combinée est estimée à environ 350 000 tonnes – soit un quart de la production nationale, estimée à 1,2 million de tonnes Plusieurs usines ivoiriennes ont même dû fermer ces dernières années, dépassées par la concurrence asiatique.
Le ministère ivoirien de l’Agriculture a donc annoncé, début mai, la suspension temporaire des exportations de noix de cajou brutes, afin de favoriser le développement de l’industrie de transformation
nationale, en garantissant l’approv isionnement des usines locales (une mesure en partie allégée un mois plus tard). Une nouvelle usine a même été inaugurée en début d’année à Loukoukro, non loin de Yamoussoukro, par le groupe Afcott Cashew, avec le soutien de la Banque mondiale. Employant 1 250 personnes (dont 80 % de femmes), elle devrait traiter environ 20 000 tonnes de noix par an, puis 50 000 d’ici 2027.
En dix ans, la Côte d’Ivoire s’est imposée comme premier producteur
mondial, avec une part de marché de 40 %. La production devrait cependant retomber à environ 1 million de tonnes cette année (contre 1,25 million prév u), compte tenu des aléas climatiques ayant impacté les récoltes. Originaire de l’Amérique tropicale, la noix d’anacardier est devenue le deuxième produit agricole du pays, juste après le cacao. Elle est désormais considérée comme un « produit stratégique », la filière contribuant à 8 à 9 % du PIB. La production n’était pourtant que de 400 000 tonnes en 2011 Cette expansion rapide s’est traduite par une crise de surproduction : les prix avaient atteint un sommet historique entre 2016 et 2018, stimulant l’extension des cultures. Les excédents de stocks ont par la suite provoqué, avec la pandémie, puis la guerre en Uk raine, une brutale chute des prix Et en juin 2023, les récoltes étaient invendables.
« La filière a été cruellement secouée ces dernières années », déplore le président de l’Association des exportateurs de cajou ivoirienne (A EC-CI), Assouman Alex N’Guettia.
UN AVENIR PROMETTEUR
Le prix d’achat bord champ subit encore les impacts de cette crise : il est fixé à 275 FCFA le kilo pour 2024, contre 315 en 2023 Mais les perspectives à moyen terme sont encourageantes : le cabinet Mordor Intelligence table sur un marché de 9,2 milliards de dollars en 2029, contre 7,8 en 2024. La noix de cajou, du fait de ses propriétés diététiques et nutritives, est plébiscitée par le régime alimentaire végan, en pleine expansion dans les pays occidentaux. La résine de sa coque est également employée en cosmétique, et même dans l’industrie aéronautique ■
L’Éthiopie s’oriente vers le véhicule électrique
C’est un début. Addis-Abeba inaugure une usine d’assemblage et va ouvrir 60 stations de recharge.
Le géant de la Corne (125 millions d’habitants) entend développer le marché des véhicules électriques, afin de réussir sa transition énergétique. Les autorités éthiopiennes ont inauguré en juin, à Debre Berhan, dans la région Amhara, une usine où seront assemblés chaque année environ un millier de véhicules électriques (minibus, bus, autocars, camions). Financée par l’entrepreneur local Belayneh Kindie pour un coût de 52 millions de dollars (3 milliards de birrs), l’usine de 9 000 m2 doit permettre la création d’un millier d’emplois. L’an dernier, dans le cadre du Plan décennal de développement Éthiopie 2030 (Perspective Development Plan 2021-2030), Addis-Abeba a même officiellement interdit l’importation de véhicules
thermiques, tout en favorisant l’importation de véhicules électriques (notamment des marques chinoises Jetour et BY D), sur lesquels les taxes ont été diminuées. Dans la capitale, 60 bornes de recharge doivent être installées au sein des stations-ser vice. Confrontée à de récurrentes pénuries de devises étrangères, l’Éthiopie entend non seulement diminuer son empreinte carbone, mais également réduire ses coûteuses importations de carburants (estimées par les autorités à 6,4 milliards de dollars par an). Les autorités misent sur le Grand Barrage de la Renaissance (GER D), qui a commencé à produire de l’électricité en 2022, pour fournir l’énergie nécessaire. Situé sur le Nil Bleu, le GERD est cependant la source de vives tensions avec le Soudan et surtout l’Ég ypte, situés en aval ■
VI VR E MI EU
Digestion difficile, votre corps réagit
Il n’ai me pas ce que vous lu i donnez. Trop d’al iments gras, trop de sucre, des produits la it iers inadaptés ou encore l’alcool peuvent entraî ner UN E SÉRI E DE DÉSAGR ÉM EN TS : ba llon nements, flat ulences, br ûlures d’estomac… Que fa ire ?
UN CHA NGEMENT alimentaire peut vous apporter le bien-être recherché Il suffit de priv ilégier les aliments sains et de renoncer aux nuisibles. Le grand coupable reste l’excès de matières grasses : plus difficiles à digérer, elles séjournent durablement dans l’estomac. Par ailleurs, une alimentation riche en graisses tend à modifier le microbiote (f lore intestinale), ce qui peut entraîner une intolérance à certaines denrées, couplée à des troubles digestifs. Modérez les aliments frits, les plats en sauce, les charcuteries et les viandes grasses. Veillez à ne pas cumuler les graisses lors d’un même repas : par exemple, avec un mets déjà onctueux à cet égard, nul besoin d’ajouter frites ou fromage !
Boire sa nourriture
Certains év itent de boire de l’eau en mangeant pour ne pas trop remplir leur estomac. C’est une erreur ! L’eau est bénéfique à la digestion. Bue gorgée par gorgée, elle participe à la dilution des aliments. Sans elle, le bol alimentaire est plus compact, et l’estomac ralentit sa vidange pour se donner le temps de le liquéfie Enfin, n’oubliez pas que la digest commence dans la bouche. Bien mas les aliments permet à l’estomac de se plus vite. Si cette étape est négligée, faire un travail de brassage par le bi de contractions musculaires Autre atout de la mastication : elle mélange ce que vous mangez avec la salive Et les enzy mes de celle-ci démarren la dégradation des nutriments : la digestion s’en trouve boostée !
Mal à l’estomac ? Préparez-vous une tisane de mélisse, gingembre, menthe poiv rée, anis étoilé, ou prenez un médicament à base de citrate de bétaïne, qui favorise la motricité de l’estomac et les sécrétions digestives Si vos troubles sont fréquents et persistent malgré des mesures hygiénodiététiques, il est recommandé de consulter.
Les remontées acides
Venant de l’estomac, remontant parfois jusqu’à la gorge et la bouche, elles peuvent s’associer à des sensations de brûlure derrière le sternum, à une toux… Ce sont les sy mptômes d’un ref lux.
Ce problème est causé par un mauvais fonctionnement du muscle, ou sphincter, en bas de l’œsophage. En principe, ce clapet s’ouvre pour laisser passer les aliments vers l’estomac, puis se referme. En cas de ref lux, il se relâche de façon anormale, entraînant la remontée d’une partie du contenu acide de l’estomac dans l’œsophage. D’où les sy mptômes désagréables, voire douloureux, car la muqueuse de ce conduit n’ conçue pour résister à cette acidité. rce qu’il augmente la pression sur men, un surpoids favorise le reflux. es habitudes alimentaires sont également e. Attention d’abord à l’excès de graisses encore lui ! –, qui ralentit la vidange de l’estomac, et empêche le sphincter de fonctionner normalement. Manger de grosses portions, en avalant vite, est une habitude dont il faut se débarrasser.
Tout comme la consommation de sucres pides, qui accroît la quantité de reflux
Plusieurs mets et boissons peuvent déclencher ces troubles : le chocolat, les agrumes et leur jus, les aliments frits, les plats épicés, l’ail, l’oignon, le piment, le chou, la tomate et ses déclinaisons (jus, ketchup, sauces), les produits conser vés dans le vinaigre, le café et le thé, les sodas, la bière Pour savoir ce qui vous dérange, munissez-vous d’un carnet et notez pendant une semaine tout ce que vous mangez. En fonction des résultats obtenus, éliminez ce qui vous est néfaste et priv ilégiez le reste. À l’inverse, en effet, certains aliments, consommés régulièrement, peuvent être source d’amélioration : le persil, le gingembre, l’anis, le fenouil, la carotte, le concombre, la cannelle La réglisse, en tisane ou bonbons, est excellente : cette plante stimule la production de mucine, une substance qui forme une barrière protectrice dans l’œsophage contre l’acidité. Elle est toutefois contre-indiquée en cas d’hy pertension À tester : le magnésium après les repas (50 mg) pour diminuer les brûlures. Sur une courte durée, il est possible de recourir à un médicament contre les ref lux gastriques, permettant de neutraliser l’acide, ou d’empêcher sa formation avec un IPP (inhibiteur de la pompe à protons). Mais en cas de troubles chroniques, une consultation médicale s’impose.
Recommandations
N’avalez pas à la va-v ite, bannissez l’eau gazeuse à table et faites attention aux excès de crudités, qui font gonf ler ; éliminez les édulcorants – polyol, maltitol, sorbitol, xylitol – se trouvant dans les produits sans sucres ajoutés, dans les bonbons et chewing-gums ; vérifiez que vous tolérez bien les fibres dures (son de blé, pain complet ou de seigle, légumes secs).
Pour soulager ponctuellement un inconfort important, vous pouvez prendre un médicament à base de siméticone ou de charbon. Une cure de probiotiques peut aussi améliorer l’équilibre de la flore intestinale et réduire la gêne Et surtout, no stress en mangeant. Enfin, n’hésitez pas à en parler à votre médecin : des ballonnements sont parfois liés à un intestin irritable, à une intolérance au lactose, aux sucres dits FODM AP Ils peuvent aussi cacher une hy persensibilité au gluten ■ Annick Beaucousin
Protéger les enfants des écrans
TÉLÉVISION, tablet te, smar tphone… Un usage excessif des écrans entraîne des ef fets néfastes, notamment chez les plus jeunes. Les recherches scientifiques ont mis en évidence la survenue de nuisances dans le développement de l’at tention et de la concentration chez le petit enfant De même, cela peut retarder l’acquisition du langage, du fait d’un manque d’interactions avec les adultes La santé est aussi concernée, puisque cette mauvaise habitude peut causer des troubles du sommeil ; une sédentarité, favorisant l’obésité, et plus tard des maladies chroniques ; un risque accru de myopie lié au manque d’activités en plein air et au temps passé en vision de près Il est recommandé de proscrire tout usage avant 3 ans. Certes, la télévision peut occuper quand les parents manquent de temps et la tablette calmer lors de longs trajets en voiture Cela doit toutefois rester occasionnel et limité en temps. Entre 3 et 6 ans, l’accès doit être contrôlé, mais des contenus éducatifs peuvent être proposés sous la supervision d’un adulte – à éviter le soir Chez les ados, les experts pointent le caractère addictif des jeux vidéo et des réseaux sociaux. Ces derniers peuvent exposer à des contenus inadaptés (pornographie, violence, etc.), et générer une anxiété ou un état dépressif. Il est illusoire de vouloir les interdire aux ados : mieux vaut discuter pour qu’ils ne subissent pas de dérives sans pouvoir en parler Enfin, il est recommandé d’éviter les écrans dans la chambre après le coucher. ■ A. B.
LE S 20 QU ES TI ON S
Rakidd
Da ns le SAVOUREUX Petit Rachid, l’auteur et dessinateu r pa rtage ses souven irs d’enfa nce et brosse le port rait d’une époque, EN TR E NOSTALGI E ET DÉRISION. propos recueillis par Astrid Krivian
1 Votre objet fétiche ?
Ma vieille montre Casio et mes baskets. Elles ont accompagné chacune de mes heures, chacun de mes pas.
2 Votre voyage favori ?
Le Liban, pour l’entremêlement des cultures chrétienne et musulmane. Et le Maroc : pays de mes parents, il est devenu mien Séjourner dans le Moyen Atlas m’apaise.
3 Le dernier voyage que vous avez fait ?
À Casablanca, où j’ai codirigé une résidence ar tistique pour créer une BD marocaine.
4 Ce que vous emportez toujou rs avec vous ?
Mes écouteurs, af in de pouvoir m’isoler.
5 Un morceau de musique ?
« Till I Collapse », d’Eminem : quand j’étais en école d’ar t, sa rage m’a beaucoup motivé pour réussir. Et « Ines Ines », de Rouicha, l’emblème de la culture amazighe.
6 Un livre su r une île déserte ?
L’un des plus longs au monde : À la recherche du temps perdu, de Marcel Proust. J’aurais alors le temps de le découv rir !
7 Un film inou bliable ?
Retour vers le futur 2 : il me donnait une vision prometteuse, optimiste de l’avenir lorsque j’étais enfant.
8 Votre mot favori ?
L’amusant « esperluette », qui nomme le signe « & ».
9 Prodig ue ou économe ?
Entre les deux
10 De jour ou de nuit ?
J’aime écrire à l’aube : l’air est différent, on est peu nombreux. Et je dessine dans le calme de la nuit.
11 X, Facebook, WhatsApp, coup de fil ou lettre ?
WhatsApp, qui a malheureusement remplacé le SMS. On livre nos messages à une plateforme privée
12 Votre tr uc pour penser à autre chose, tout ou blier ?
Écouter le feuilleton humoristique
Kaamelott dans le noir, jouer aux jeux vidéo, regarder de vieilles séries
13 Votre extravagance favorite ?
Les chaussettes neuves, rigolotes.
14 Ce que vous rêviez d’être quand vous étiez en fant ?
Ar tiste, dessinateur de BD, peintre, écrivain…
15 La dernière rencontre qui vous a marqué ?
Les œuvres solaires de l’ar tiste Hiroshi Nagai.
Dans un st yle pop ar t, ses toiles aux grands à-plats de couleurs offrent une vision idéalisée – des plages, des voitures anciennes, etc. –, un mélange entre nostalgie et réalité.
16 Ce à quoi vous êtes incapable de résister ?
Une pastèque bien fraîche.
17 Votre plus beau souvenir ?
L’été dernier, entouré de mes proches, dans une maison au Maroc. Un souvenir
« carte postale », magique.
18 L’endroit où vous aimeriez vivre ?
Une demeure avec une porte donnant sur les montagnes d’Auvergne de mon enfance, et une autre sur la mer au Maroc.
19 Votre plus belle déclaration d’amou r ?
La lueur dans les yeux de ma mère, quand elle me voit dessiner, réussir
20 Ce que vous aimeriez que l’on retien ne de vous au siècle prochain ?
Un ar tiste qui a essayé d’apporter un vent nouveau dans son domaine, d’ouvrir des portes, et qui a apporté de la douceur aux gens ■ DR (2)
Le Petit Rachid, Éd it ions Lapi n, 80 page s, 14 €