ALLY IPUPA
enfantdeKinshasas’est imposé comme unestar internationale,dépassantdeloinles frontières de son pays et du continent.Une success-story musicale et personnelleunique.
PA R ZYAD LI MAM
LE RETOUR DE LA PAUVRETÉ ?
Il y a eu presque trois décennies magiques entre le milieu des années 1980 et le début des années 2010. Poussés par la mondialisation, le libre- échange, le commerc e international, la re che rche de délocalisations « prod uctives », le s pays pa uvres so nt deve nu s mo in s pa uvres. De s na tio ns so nt deve nu es ém erge nte s, la Chine et l’Inde, d’autres, se sont hissées dans l’échelle de s rich esses du mond e. Le s éc ar ts de PI B entre le s No rd s et les Su ds se so nt ré du it s. Les pays non OC DE sont passés de moins de 30 % du PIB mondial à près de 60 % aujourd’hui. Des centaines de millions de gens sont sortis de la précarité. La pauvreté ex trême a chuté, la santé publique et l’éducation se sont améliorées, avec une forte diminution des décès dus aux maladies endémiques. Des classes moyennes sont nées, l’urbanisation a entraîné la modernisation des mentalités, l’explosion de la créativité culturelle. Une véritable révolution à l’échelle de l’humanité.
Depuis le courant des années 2010, ce mouvement transformateur a pourtant fortement ralenti. Les plus défavorisés ont cessé de croî tre plus rapidement que les plus riches, voire prennent à nouveau du retard. Les indicateurs de santé publique se sont dégradés après la pand ém ie de Co vi d-19. Le pal ud is me a tu é pl us de 60 0 000 pe rson ne s par an da ns le s an né es 2020, revenant au niveau de 2012 La mor talité infantile, qui avait chuté entre 20 00 et 2012 de 53 à 35 décès pour 1 000 naissances, plafonne aujourd’hui à 28
Pour les 3,5 milliards de personnes restant statistiq uemen t pauvres (l a mo it ié de l’ hu ma nité), le s pe rs pectives de lib érat ion s’ él oig nent… L’Af riqu e su bs aha ri en ne es t la zo ne la plus to uché e pa r ce ra le nt is se me nt, re pr ése nt an t pl us de la mo it ié de la pa uv ret é ex tr êm e mon di al e (3 89 mi lli on s de personnes) – tendance alimentée, entre autres, par une démographie insuffisamment maîtrisée.
Les causes de ce « retour de la pauvreté » sont nombreuses . Évidemment, il y a l’impact du Covid et ses conséquences. Et puis, la faiblesse structurelle de l’aide internationale au développement, qui bénéficie aux pa ys fr ag il es En 20 23 , l’ai de de s me mbr es de l’OCDE s’est, certes, élevée à un montant historique de 224 mi ll ia rd s de do ll ar s. Ma is ce chif fre re prése nte à peine 0,4 % du revenu national brut combiné de ces pays
(et l’enveloppe inclut l’appui à l’Ukraine) Les secteurs comme la santé publique et l’éducation (dont les retours sur investissement sont longs) sont ceux qui souf frent le plus de ce manque de capitaux « concessionnels ».
Les manifestations de plus en plus évidentes du changement climatique, en particulier dans des pays à faibles émissions, aggravent le phénomène. Tout comme le refus des pays riches d’assumer leurs responsabilités Et une ju st e par t de l’ én or me in ve sti ss em en t de transformation né cessaire pour les pays des Suds La compétition pour les capitaux sera brutale : les pays des Nords chercheront avant tout à sauver leur peau…
Globalement, la mondialisation, qui avait largement alimenté le développement des économies des Suds, connaî t une spectaculaire régression. Depuis 20 09-2010, le commerce international ne progresse plus Les pays riches cherchent à se réindustrialiser et se réapproprier les lignes de production, en particulier dans des secteurs décrits comme « stratégiques » (pharmacie, technologies digitales, mobilités, etc.). Et les investissements vers les Suds baissent mécaniquement.
Ces mêmes pays riches multiplient les barrières ta ri fa ir es et les normes d’acc ès à leurs marchés Les réglementations prévues sur la déforestation impactent des diza in es de productio ns ag ricol es (c aca o, ca fé, élevage, etc.) sans véritable compensation La patronne de l’OMC, Ngozi Okonjo -Iweala, a dénoncé la croissance continue des restrictions et barrières à la globalisation des échanges – dix fois plus impor tantes aujourd’hui que dix ans plus tôt. De nouveaux « murs » qui par ticipent directement à ce nouvel appauvrissement de l’humanité. L’une des clés pour sort i r de la na sse serai t évidemment de re construire l’architecture financière internationale. Mais en at tendant ce miracle, plus de justice mondiale, chaque pays des Suds a aussi sa part de re sp on sa bi li té À chacun de mai nte nir le ry thm e de la ré fo rm e, de pari er su r le dé ve lopp em en t, la modernisation, d’encourager l’entreprise, la concurrence et la créativité À chacun de lutter contre les prébendes, le s pr ote ct ion s, le s su bv en tio ns in uti le s. À ch ac un de m et tre la go uver nanc e au ce nt re de s polit iq ue s publiques. Et d’ou vrir aussi le champ des id ées et du dé ba t po ur êt re, mê m e à petits pas, au cœur de ce siècle. ■
3 ÉDITO
Le retour de la pauv reté ? par Zyad Limam
6 ON EN PARLE
C’EST DE L’A RT, DE LA CU LT UR E, DE LA MODE ET DU DESIGN Entre deux mondes vaudous
28 PA RCOURS
Fabrice Ng uena par Astr id Kr ivian
31 C’EST COMMENT ?
Molière vs Shakespeare par Emmanuelle Pont ié
56 PORTFOLIO
Visa pour l’image 2024 : Dans l’œil de ceux qui voient l’horreu r par Zyad Limam
86 CE QU E J’AI APPR IS Abdoulaye Kouyaté par Astr id Kr ivian
98 VINGT QU ESTIONS À… Souad Massi par Astr id Kr ivian
TEMPS FORTS
32 Corne de l’Afrique : Les passages en force d’Abiy Ahmed par Cédr ic Gouver neur
42 Fally Ipupa : Une histoire congolaise par Zyad Limam et Emmanuelle Pontié
50 Joseph Oleshangay : L’injustice faite au x Massaïs par Cédr ic Gouver neur
62 Alaa El Aswany : La révolution continue par Catherine Faye
P.50
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68 Am ira Ghen im :
« L’histoire est écrite par ceux qui osent en raconter des frag ments » par Astr id Kr ivian
74 Gaël Faye :
« La littérat ure est mon pays » par Astr id Kr ivian
80 Jacky Ido :
« Le slam fait avant tout partie d’une famille qui aime les mots » par Emmanuelle Pontié
BUSINESS
88 L’inexorable croissance du e-commerce
92 Francis Du fay :
« Notre business model est conçu pour s’adapter »
94 Au Nigeria, la raff nerie Dangote manq ue de pétrole
95 Sauver la rivière Falémé des or pailleu rs au Sénégal
96 Le virus Mpox pourrait impacter le tour isme en Afrique
97 La première raff nerie d’or bientôt certifée au Ghana par Cédr ic Gouver neur
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ON EN PA RL E
C’est ma in te na nt , et c’est de l’ar t, de la cu ltu re , de la mo de , du de si gn et du vo ya ge
RE ND EZ -V OU S
ENTRE DEUX MONDES VAUDOUS
Voyage da ns les LI MBES DU VISI
BLE
et de l’invisi ble, au x sources du my the du zomb
LOIN DES ÂMES errantes du cinéma et de la pop culture, de La Nuit des morts-vivants à World War Z, en passant par la série The Walking Dead ou le clip Thriller de Michael Jackson, les zombis vont et viennent entre l’ici et l’ailleurs, déambulent dans les rues haïtiennes lors de fêtes religieuses et païennes, hantent l’œuvre de Dany Laferrière, se livrent aux interrogations de scientifiques Que nous disent-ils sur nous-mêmes, et surtout d’où viennent-ils ? Si le mot « zombi » (nzambi en langue bantoue) désigne un mort-v ivant ou le fantôme d’un défunt, sa signification évolue considérablement en traversant l’Atlantique lors de la traite des esclaves, portée par la combinaison des croyances traditionnelles africaines, caribéennes et catholiques En Haïti – territoire exclusif de ces figures à la croisée des chemins entre le monde des vivants et celui des trépassés ou de leurs esprits –, ce mot recouvre de nombreux sens, à la fois anthropologiques et sociologiques. Entre savoir et fiction, l’exposition donne ainsi à voir les réalités qui se cachent derrière la peur de ce
troublant « non-mort ». Et part sur les traces d’un my the, le vaudou haïtien, à la fois une religion à part entière, mais aussi une culture, une façon de vivre. Une exploration à la fois universelle et intime, à l’aune des mots de Philippe Charlier, médeci légiste, anthropologue et commissaire de l’exposition : « Le monde est rempli d’une énergie circulante, de courants et de forces qui naviguent, et quelques autres qui sont cristallisés » Passionnant. ■ Catherine Faye
Musée du Quai Branly-Jacques Chirac, Paris (France), jusqu’au 16 février 2025. quaibranly.fr
DELPHIN E MINOUI, Badjens, Seui l, 160pages, 18 €
POINGLEVÉ
La révolte d’unejeu ne fi lle iran ienneracontéesousfor me de MONOLOGUE INT ÉR IEUR.
IL YA NEUF ANS, DelphineMinoui, grandreporterau Figaro, spécialisteduProche et Moyen-Orient,racontait sesannées iraniennes,de1997à 2009,souslaforme d’unelettreposthume àson grand-père (Je vous écrisdeTéhéran,Seuil). Elles’y remémorait cesversdeHafez,poète persan :« Celui quis’attache àl’obscurité apeurdelavague./Le tourbillon de l’eaul’effraie./Et s’il veutpartagernotre voyage,/Il doit s’aventurer bien au-delàdu sablerassurant du rivage.» En 2017,son récit LesPasseurs de livres de Daraya filait la métaphoreducourage et donnaitlaparoleà de jeunesrévolutionnaires sy riensayant fait le pari de créer une bibliothèqueclandestine.Dansson nouveauroman,ellenous plonge au cœur de la révolte« Femme, Vie, Liberté»,menée à l’automne2022pourprotestercontrelamorttragiquedeMahsa Amini, arrêtéepour« port du voilenon conforme àlaloi », où une Iraniennede16ans escalade unebenne àordures,prête àbrûler sonfoulard en public.L’héroïnes’appelle Bad-jens :littéralement, mauvaisgenre.Enpersandetousles jours :espiègle ou effrontée. De nouveau, la lauréate du prix Albert-Londresen2006, qui prônelepouvoir desmots, dans desrégions où ilssont souvent étouffés,célèbrel’audaceetlarésistance. Un texteféministeet politiquecontre le poidsdelareligion et le patriarcat. Pour porter le combat d’unenouvellegénération en pleine ébullition ■ C.F
SO UN DS
Àécouter maintenant !
TheLijadu Sisters
Hor iz on Un li mi te d, Nu meroGroup/Modulor
On ne présente plus lesjumellesnigérianes
TaiwoetKehinde Lijadu,dont le mélangedes st yles,entre af robeat, funk et reggae saupoudré de yoruba, fait date,endépit d’un dommageable manque de reconnaissance. Ce que prouve cettecollection de rééditions remastérisées, s’ouvrantaveccelle de Hor izon Unlimited,par ue en 1979 Féministe, rev igorant, exigeant!
El Khat
Mute, Gl it terbeat /Modulor
Avec ce troisième album, le groupe mené parlev ioloncelliste(et inventeur d’instruments, commele gallon bleu !) israéliend’origine yéménite
Eyal el Wahab, désormaisbaséà Berlin, confirme la puissancedeses mélodies, inspiréespar lesorigines de sonleader. Clav iers,percussions et cuiv res, arrangements somptueux, propos immédiat : Mute estunappel à l’ouvertureetàlaliberté de l’esprit
Áf rica Negra
Ant ol og ia volume 2, Le sD isques Bongo Joe/ L’Autred istribut ion.
Fondée au débutdes années 1970 parHoracio et Emidio Pontes,lavaleursûredeSão Tomé est revenue,dotéed’undifférentline-up, surscène àlafin desannées2000. Le second voletdel’anthologieconsacrée àÁ fricaNegra parles bons soinsdu labelBongo Joepropose desinédits datant de 1979 et 1990,oùl’onentend lesvoixdeJoãoSeria ou encore Sergio Fonseca. Must have ! ■ SophieRosemont
SU SP EN SE
LE LIVREUR DE MENSONGES
UN SA NS-PAPIERS GU IN ÉEN pa rv iend ra-t-i l à obteni r l’asile politique ? L’acteur est bouleversa nt da ns ce rôle de semi-composition.
« C’EST PLUS COMPLIQU É de tour ner à Paris qu’à Bang ui ! », ex pliquait Boris Lojk ine en présentant son film au dernier Festival de Cannes, récoltant au passage le pr ix du jury et le pr ix d’interprétation masculine pour son acteur pr incipal dans la section Un certain regard Le cinéaste français a d’abord été documentar iste avant de réaliser des fictions, parmi lesquelles Camille (2019), portant sur une photorepor ter en Centraf rique incarnée par Nina Meur isse, que l’on retrouve dans son nouveau film en agent de l’Ofpra, l’organisme chargé d’accueillir les réf ug iés en France Et ce nouvel opus, dans la droite ligne de Hope (2014), qui traitait des migrants, s’im merge avec réalisme dans la capitale française, au x côtés d’un des nombreu x livreurs à vélo qui la sillonnent dans le fracas des klaxons et des sirènes. Souley mane, Guinéen qui utilise l’identité d’un Camerounais pour pouvoir réaliser des courses à la sueur de son front, livre toujours plus vite un repas chaud au x clients qui n’ont pas le temps (ou ont la flemme…) de sortir ou de se faire à manger… Son objectif : obtenir l’asile politique et régulariser sa situation pour pouvoir travailler plus facilement en
France. La caméra ne le lâche pas au milieu du flot de la circulation et le suit pendant les deux jours précédant l’entretien qui doit lui permet tre d’obtenir le stat ut de demandeur d’asile. Il doit apprendre par cœur les détails de la fausse histoire d’un migrant persécuté dans son pays, puisés dans un dossier four ni par un intermédiaire af ricain plus ou moins véreux… Le suspense est maintenu jusqu’au bout, à un ryt hme qui nous embarque et év ite tous les pièges du film militant : le héros, plutôt taiseu x, ne cherc he pas à être sy mpat hique, entièrement tour né vers sa quête du précieux sésame, au pr ix de mensonges qu’il doit intég rer entre deux livraisons Face à lui, peu d’hostilité, il n’est pas vict imisé. Pour l’incarner, Abou Sangare, jeune Guinéen de 23 ans lui-même sans-papiers, découver t dans la rue lors d’un casting sauvage, est comme une év idence, et sa présence rayonnante rend l’épopée de son person nage bouleversante. À chacun de se demander si Souley mane a choisi la bonne voie et s’il mérite qu’on lui accorde l’asile politique. ■ Jean -Marie Chazeau
L’HISTOIRE DE SOULEYMA NE (France), de Boris Lojk ine. Avec Abou Sa ngare, Ni na Meurisse, Alpha Ou ma r Sow. En sa lles
MUSTAFA LE FOLK CONSCIENT
Remarqué dès l’enfance pour ses poèmes, CET ARTISTE CA NA DIEN issu de la diaspora soudanaise raconte, avec Dunya, son rapport à la foi.
« LE MONDE dans tous ses états » : c’est ce que signifie Dunya en arabe. Un monde dans ce qu’il a de plus bouleversant, de la passion au deuil, en passant (surtout) par une indéfectible foi en Dieu et en l’humain, malgré tout C’est ce que raconte Mustafa Ahmed dans ce nouveau disque, délicat entrelacs de folk imaginé aux côtés de pointures de la scène nord-américaine – Nicolas Jaar ou encore Aaron Dessner, collaborateur de Taylor Swift, du groupe The National L’important étant, d’après le chanteur, « d’être en compagnie de gens qui ne se soucient pas d’être populaires et qui ne se trahiront pas pour avoir du succès » : « J’ai besoin que l’on partage mes valeurs artistiques, que mon équipe et mes amis croient en ce que je crée. » S’il n’a que 27 ans, il a déjà plus de quinze ans de carrière derrière lui. Il rentrait à peine au collège
MUSTAFA, Dunya, Jagjag uwa r. Sort i le 27 septem bre.
qu’il faisait ses débuts sur scène, à Toronto, comme apprenti poète. En 2021, son premier album, When Smoke Rises, impose la subtilité de sa narration musicale. En anglais, mais aussi en arabe, volontiers accompagné d’un oud, l’artiste narre
de sa superbe voix ses ressentis, rendant hommage à ses racines. Une grande partie de sa famille est encore établie au Soudan, bouleversée par la tragique situation actuelle. « Ils me disent qu’ils ne perdent pas espoir, parce qu’ils croient en l’espace qui les attend au-delà de cette existence », commente Mustafa, qui explore tout au long de Dunya son rapport à l’islam. Quant à la conclusion, « Nouri », elle rend hommage à sa mère : « Elle a toujours été très pudique sur sa vie avant de venir vivre au Canada, elle répond peu à nos questions. Ma mère souffre d’une profonde anxiété sociale, dont je ne sais si elle a toujours été présente ou si elle s’est développée à son arrivée dans le monde occidental Cette chanson, je l’ai écrite comme si je voulais en savoir plus sur elle… Et sur les rêves qu’elle aurait laissés là-bas, au Soudan » ■ S.R.
HOM MA GE
L’AFRIQUE CÉLÈBRE WOLE SOYINK A AU MAROC
Le 9 ju illet, à Ra bat, l’Académ ie du royaume du Ma roc a fêté LES 90 ANS DU PR IX NOBEL DE LI TT ÉR AT UR E 1986.
COLLOQUES, SÉMINA IR ES, journées d’étude rythment l’année académique sur des enjeux tels que l’historiographie du continent, les perspectives de l’espace méditerranéen… L’ambition panafricaine de l’Académie s’illustre aussi au sein de la Chaire des littératures et des arts africains, qui a célébré Wole Soyinka cet été. Lancée en 2022, administrée par l’écrivain et universitaire camerounais Eugène Ébodé, sa mission est de décloisonner les aires linguistiques, géographiques et culturelles sur le plan continental. AM : Que représente pour vous cet anniversaire au sein de l’Académie du royaume du Maroc ?
Wole Soyinka : Je suis ému par l’esprit de cet événement. Quand Léopold Sédar Senghor a fêté ses 90 ans, je l’ai rencontré à Paris lors de l’hommage qui lui était fait : « Un jour, ce sera ton tour ! », m’avait-il dit. Ce n’est pas un choc, mais c’est difficile à assimiler. Nous, écrivains, artistes, servons à tisser des liens entre les cultures, les nations. Un tel événement nous rappelle que des relations autres que politiques ou économiques existent entre les
peuples À mes yeux, le Maroc constitue un pont entre les Africains noirs et la civilisation arabe.
Qu ’aviez-vous à cœur d’exprimer dans votre dernier roman, Chroniques du pays des gens les plus heureux du monde ?
En tant qu’écrivains, nous devons parfois dénoncer la société. Nous accusons les États, réfutons leur leadership, les traduisons en justice, et il le faut Or, les dirigeants ne sont pas les seuls coupables. Le peuple, très souvent, est un criminel envers lui-même Il est crucial de tendre un
L’ACADÉMIE DU ROYAUME DU MAROC :
UNE INSTITUTION DE SAVOIRS ET D’ÉCHANGES INTERNATIONAUX
LÉOPOLD SÉDA R SENGHOR ou Neil Armstrong en sont des membres éternels. Créée en 1977 par le roi Hassan II, l’Académie du royaume du Maroc n’est pas qu’un cénacle de penseurs ; elle est aussi un lieu d’intelligence collective, de production de savoirs, de publications, de dialogues interculturels et multidisciplinaires (sciences humaines, économie, arts…) dédié aux grandes questions contemporaines Impulsée par le roi Mohammed VI, l’implication de la jeunesse est au cœur de ses actions, permettant une transmission intergénérationnelle. Constituée de trente académiciens marocains et de trente membres du monde entier, tissant des partenariats avec des instances étrangères pour échanger les expertises, l’Académie est dotée de divers instituts pour réaliser ses missions, soutenir la recherche, mener des projets communs, tels l’Instance supérieure de traduction, l’Institut royal de l’histoire du Maroc, ou encore l’Institut des arts, chacun œuvrant à la promotion de son sujet sur le continent et à l’international. ■ A.K.
miroir à la société, aux citoyens, et de dire : regarde ce que tu es devenu, ce que tu fais aux autres, à toi-même, regarde l’héritage que tu laisses. L’humanité se détériore, le cy nisme se répand et n’est pas l’apanage du pouvoir. En quoi l’écriture oscille -t -elle entre douleur et libération ?
L’écriture s’apparente à un processus d’exorcisme pour les auteurs. Toute personne sensible évolue entre la douleur et l’effort pour s’en délivrer, ou au moins la mettre à distance pour continuer à vivre avec Raconter ne serait-ce qu’une fraction de ce qu’il se passe dans notre environnement est une source de soulagement et de liberté. Quelles différences y a-t- il entre les combats de votre génération et la nouvelle ?
Le présent n’est pas pire que le passé. Mais ce qui demeurait dans l’ombre hier est aujourd’hui exposé au grand jour. Prenez l’exemple des réseaux sociaux : ils sont à la fois un outil de libération, mais aussi le théâtre de cruautés et de mensonges. Pour la jeunesse en particulier, il est difficile de s’y retrouver entre les faits et la fiction, la manipulation. Quelque chose a été perdu, et j’accuse la société d’avoir détruit la valeur positive de ce nouveau média, qui a été utilisé de manière constructive lors des Printemps arabes, par exemple. Mais lorsqu’il tombe entre les mains de ceux que j’appelle les brutes, il devient un instrument de tromperie, de terreur. Et la dignité humaine est défiée par d’autres forces que celles du pouvoir étatique
Où avez-vous puisé cette force pour combat tre le racisme, le colonialisme, la corruption au fil de votre vie ?
La réponse peut sembler ironique, mais j’ai un besoin viscéral d’avoir l’esprit tranquille. C’est une quête perpétuelle. Je ne peux pas me sentir en paix si mon environnement est violent, brutal Pour être soi-même, il faut s’exposer, s’engager. Quelle place tient la spiritualité dans votre vie ?
Je crois en l’humanité. Mais quand la spiritualité devient religion, laquelle est parfois employée comme un instrument de domination, de cruauté, contre l’émancipation, elle devient un ennemi. Je trouve ma spiritualité en forêt, où je me sens en paix avec moi-même et avec l’univers. ■ propos recueillis par Astrid Krivian
FI CT ION
ABDELLAH TAÏA, Le Bastion des larmes, Ju lliard, 224 pages, 21 €.
RETOUR AUX SOURCES
EN
LICE
POUR LE
GONCOU RT, le nouveau roma n d’Abdellah Ta ïa cont inue d’ex plorer son en fa nce au Ma roc.
BORJ ADOUMOUE est une place forte sur la rive droite de l’embouchure du Bouregreg. En 1260, la population, alors qu’elle célébrait l’Aïd al-Fitr, y fut victime d’un massacre perpétré par des guerriers castillans. Les remparts de la vieille ville sy mbolisent la frontière entre le passé révolu et le présent troublé C’est ici que Youssef, le héros d’Abdellah Taïa, Prix de Flore pour son livre Le Jour du roi en 2010, fit autrefois une promesse à Najib, son ami et amant de jeunesse au destin tragique : un pacte d’amour et de fidélité Ce professeur marocain exilé en France depuis un quart de siècle revient à sa ville natale pour liquider l’héritage familial, qui est aussi celui d’une enfance terrible, d’un amour absolu, pour ses sœurs, à qui il dédie l’ouvrage, et pour sa mère disparue Tout un passé ressurgit, où se mêlent les contradictions et les tensions qui ont marqué sa vie. Comme souvent dans les récits de l’auteur, il est ici question d’homosexualité, de famille, de pauvreté Et des faux-semblants d’une société entravée. ■ C.F
RY TH ME S
AYOM DU SACRÉET DE LA LIBERTÉ
Le groupe mené par la CH ARISMATIQU EJABU MORALESrevient avec un nouvel album, commeune odeàlavie.
«SAGRA DO »(SACR É),« Liberdade» (liberté et amour), «Valentía» (courage): de cestrois motsest né l’acrony me titrantlenouvelalbum du groupe poly national basé àLisbonne, mené parlachanteuse et percussionniste brésilienneJabuMorales.Composéentrois grands chapitres, il racontecomment,endépit desv iolences racistes,colonialesetmisog ynes,lav ie vaut la peine d’être vécue, pleinement.Toujours sous influence latine et lusitanienne,généreusement habillée d’accordéon(assuré parA lberto Becucci), la musique épouse le propos,del’ouverture «Oxala, PromessaDo Migrante »à« Io Sono Il Vento»,majestueuxduo avec le chanteur portugaisSalvador Sobral,auplusprès desémotions.Ondanse aussisur «Fuzuê Funana » et «Vestido De Fogo ». Enthousiasmant ! ■ S.R
« MEHDI QOTBI, UNE VIE, UNE ŒUVRE », Instit ut du monde arabe, Paris (France), du 15 octobre 2024 au 5 janvier 2025 imarabe.org/fr
À l’oc casio n de c et te rétros pe ct ive, le s éditi on s As souli ne pu bl ie nt un be au livre con sa cré à l’œu vre de l’ar ti ste.
EX PO
MEHDI QOTBI, TISSEUR D’ÉCRITURE
L’IM A présente une rétrospect ive su r cet acteur majeur de l’ar t contempora in FR ANCO-M AROCAIN, ma ît re des signes et de la ca ll ig raph ie arabe.
LA FINESSE de ses œuvres épate et hy pnotise. Face à ces toiles où la beauté et le mysticisme de la calligraphie arabe s’allient à un trait moderne et abstrait, on a presque l’impression d’assister à une danse envoûtante du pinceau, qui invite à la méditation Mehdi Qotbi, né en 1951 à Rabat, est un maître de son art, dans la lignée du mouvement hurufiyya – ce courant artistique qui réinterprète les signes de l’écriture arabe dans un langage pictural contemporain, en poursuivant une tradition qui les charge d’une signification intellectuelle et ésotérique (à partir des mots, on dessine le monde) Pour la première fois, l’Institut du monde arabe consacre à cette figure majeure de l’art une belle rétrospective, qui explore son évolution artistique à travers une centaine d’œuv res créées entre le milieu des années 1960 et aujourd’hui. Elle aborde aussi les collaborations avec des écrivains et amis, tels qu’A imé Césaire, Léopold Sédar Senghor, Octavio Paz et Nathalie Sarraute, dont les textes s’entremêlent aux œuvres. Des partitions à quatre mains où l’alphabet de l’âme met en relation imaginaires et cultures « Explorant la fluidité culturelle d’identités en constante renégociation, son œuvre distille autant de questionnements, d’insaisissables et d’indéterminations », souligne la commissaire de l’exposition, Nathalie Bondil Son œuvre, commente le critique Philippe Dagen, « s’offre et se dérobe. S’offre à la délectation chromatique. Se dérobe à l’interprétation critique Elle se laisse admirer et ne se laisse pas saisir ». ■ Lu is a Na nni pi er i
CO MÉ DIE DR AMA TI QUE
BLED FANTÔME À PANAME
Un Franco-A lgér ien em ménage à Ba rbès… UN FI LM sola ire, en forme de déclarat ion d’amou r au x bi nationau x et à tout un quar t ier de Pa ris.
L’EX-R APPEUR FI ANSO (Sofiane Zermani, qui a annoncé en août qu’à 38 ans, il préférait « laisser la place aux plus jeunes ») incarne Malek, un informaticien franco-algérien arrivé de banlieue pour s’installer au pied de la butte Montmartre Avec son jeune neveu tout juste débarqué d’Alger, il va découv rir le quartier de Barbès, où la communauté algérienne se serre les coudes tout en s’ouvrant aux autres Ce premier film est signé Hassan Guerrar, attaché de presse bien connu depuis plus de trente ans dans le milieu du cinéma français, qui a décidé de passer derrière la caméra pour rendre hommage à tous ceux qui, comme lui, partagent leur identité entre deux pays. L’occasion d’une belle galerie de portraits, avec deux comédiens bien connus en Algérie : Khaled Benaïssa dans le rôle de Préfecture, bouffon de ce petit village, et Adila Bendimerad, réalisatrice et incarnation de La Dernière Reine (2023), souveraine dans son café Côté binationaux, la Franco-Malienne Eye Haïdara et la comédienne française et princesse italienne Clotilde
Courau ! Filmé par temps de Covid et de confinement, le quartier ressemble souvent à un décor vide, d’où une
ambiance assez fantomatique, à l’image de l’ancien magasin Tati, fermé depuis trois ans et dont la célèbre enseigne trône toujours sur les toits, aussi iconique dans le film que le Sacré-Cœur ! C’est d’ailleurs dans une église du quartier que s’organise une authentique distribution de colis alimentaires par des bénévoles, souvent musulmans, que Malek vient aider. La comédie humaniste va virer au drame au fil d’un scénario assez prév isible et fataliste, mektoub oblige, avec ses secrets de famille et ses emportements virilistes. Mais Sofiane Zermani réussit à incarner avec beaucoup d’allure et de magnétisme un homme qui parv ient à réconcilier ses deux cultures d’origine. À l’image de son metteur en scène. ■ J.-M.C BARBÈS, LITTLE ALGÉRIE (France), de Hassan Guer rar. Avec Sofane Zermani, Eye Ha ïdara, Clot ilde Courau En sa lles
RESTAURATION D’UN FILM ICONIQUE
Une remastér isat ion qu i donne l’occasion de revoir le prem ier long d’Ousmane Sembène.
EM BLÉM AT IQUE et nécessai re.
C’EST LE FILM qui a fait du grand réalisateur sénégalais le « père du cinéma africain ». Premier long-métrage (d’à peine une heure) d’un cinéaste d’Afrique subsaharienne, il raconte les préjugés mutuels entre Noirs et Blancs, en suivant dans le sud de la France la domestique d’un couple de Français rentré du Sénégal et qui a fait venir sa bonne à Antibes. Film dénonçant en 1966 les méfaits du néocolonialisme et les inégalités de classe, c’est formellement un superbe conte en noir et blanc. D’une grande élégance, il est considéré comme
LA NOIR E DE (FranceSénégal), d’Ousmane Sembène.
Avec Thérèse M’Bissine Diop, An ne-Marie
Jel inek, Moma r
Na r Sene
En sa lles
le premier film afroféministe, car il souligne, au-delà du racisme, le sexisme dont est victime Diouana, la jeune héroïne débarquée de Dakar sans parler français et qui va sombrer dans la dépression. Son arrivée dans le port de Marseille, très chic en débarquant d’un paquebot blanc, est devenue une image iconique de l’histoire du cinéma mondial. À (re)découv rir dans sa version tout juste restaurée par la Film Foundation de Martin Scorsese avec l’aide d’Alain Sembène, le fils du réalisateur disparu en 2007 ■ J.-M.C
DANS LES COULISSES DE L’HISTOIRE
L’odyssée d’UN E FEMME
D’EXCEPT ION, Gert rude Bell, qu i a cont ribué à la création du Moyen-Or ient d’aujourd’ hu i.
OLIVIER GU EZ , Mesopotamia, Grasset, 416 pages, 23 €
IL Y A DES NOMS DE LIEU X qui font rêver. Le territoire où nous convie Olivier Guez dans son nouveau roman est une région historique du Moyen-Orient : la Mésopotamie. Une région qui n’a longtemps pas intéressé et qui redevient l’épicentre géopolitique au début du XXe siècle. Cette période charnière constitue, dans une lutte pour la domination internationale, les prémices de notre monde moderne. Le récit commence à Bassora, au début de la Première Guerre mondiale. Les Britanniques y sont arrivés de l’empire des Indes dès novembre 1914 pour protéger le carburant de la seconde révolution industrielle, à savoir les puits de pétrole du sud de la Perse. Pour raconter cet épisode essentiel dans la création du MoyenOrient moderne, l’auteur a centré l’intrigue sur Gertrude Bell, une femme au parcours exceptionnel. Archéologue, écrivaine, espionne, alpiniste, cette aventurière au tempérament complexe fut la femme la plus puissante de l’empire britannique dans les années 19101920 Une personnalité à l’aune du légendaire Lawrence d’Arabie, dont la renommée l’éclipsa, alors qu’ils eurent des rôles assez comparables. Deux figures aux manettes de l’histoire, dont les rêves aboutirent à des revers géopolitiques aux conséquences toujours d’actualité. Olivier Guez rend hommage à celle qui joua un rôle majeur d’agent de liaison lors de la grande guerre, et dont l’influence ne fut pas des moindres dans la création du royaume d’Irak Passionnant ■ C.F.
To p à capu ch e en je rs ey ins pi ré de s si lhouettes toua rè gu es
Entre passé et présent
Avec From Me to You, ISIS-CHR ISTA NA MBANGO ET KH UMO MOROJELE ex plorent le potent iel des tissus recyclés, tout en célébrant les photos et la mode des an nées 1960.
QU’EST-CE QUI LIE une étudiante d’art française formée à l’école de mode de la Casa93, à Montreuil, et un créateur autodidacte d’Afrique du Sud ? Tout d’abord, un programme de mentorat, True Fashion, Tr y On Green, financé par l’Institut français et le Goethe Institut, qui les a conduits à échanger d’un hémisphère à l’autre et à réaliser ensemble des créations pour un défilé au Palais de Tokyo pendant la Fashion Week 2022 Le feeling est tellement bien passé entre Isis-Christana Mbango et Khumo Morojele qu’ils ont continué à travailler ensemble en parallèle de leurs autres projets personnels. Cette année, ils ont sorti leur première collection femme pour le concept store sudafricain Merchants on Long From Me to You comprend six ensembles réalisés en tissus de seconde main – du denim
au cuir, en passant par le mohair – inspirés des portraits et des tenues des années 1960 en Afrique de l’Ouest et du Sud. En jouant avec l’harmonie et la discordance entre passé et présent, les st ylistes ont voulu connecter les époques et rendre hommage aux techniques et aux silhouettes de la culture vestimentaire du continent. Voici donc un haut sans manches en tricot torsadé avec capuche, qui évoque les foulards des femmes touarègues, assorti d’une jupe en jean et cuir inspirée du kanga liputa, le tissu drapé porté par les femmes au Congo Un classique avec un twist : l’insert en pantalon qui lui donne un aspect contrasté. Ce travail sur les formes plaît particulièrement à Morojele, qui a travaillé à la déconstruction et à la reconstruction des vêtements. Le défi majeur a été pour lui de trouver un équilibre entre fonctionnalité, créativité et approche conceptuelle – par exemple, dans le cas de cette jupe en tissu militaire qui se transforme en veste poncho. Le travail complémentaire d’Isis sur les techniques et les tissus a été fondamental pour créer des silhouettes structurées, mais fluides et confortables. Une collaboration créative parfaite, qui nous réserve sans doute encore de belles surprises. khumomorojele.com/work/frommetoyou ■ L.N.
Ve ste et ju pe longu e en den im et cu ir re cycl és. Cette de rni ère s’in sp ire du ka ng a li puta cong olais
Ro be drap ée agrém enté e d’une é ch arp e à frang es
IN TE RV IE W
Victoria Mann et Benjamin Hélion : AK AA cherche un nouvel élan
Cette éd it ion de Also Know n As Af rica accuei llera à Pa ris, DU 18 AU 20 OCTOBR E, 78 ar tistes et 36 ga leries, avec pour thème la scène ultramar ine.
LA NEUV IÈME ÉDITION d’AK AA peut compter sur une équipe en partie renouvelée depuis le départ de l’historique directrice artistique Armelle Dakouo Nous avons fait le point avec la directrice de la foire, Victoria Mann, et le nouveau directeur associé, Benjamin Hélion.
AM : Il y a eu beaucoup de changements au sein de l’équipe d’AK AA , cette année. Que s’est- il passé ?
Victoria Mann : Avec Armelle Dakouo, qui a quitté Paris il y a quelques années, nous sommes arrivées à la fin d’une histoire. Mais c’est à elle que l’on doit la direction artistique, cette année encore Benjamin, qui a toujours travaillé avec nous en coulisses, est arrivé en renfort après son départ Benjamin Hélion : Je travaille avec AK AA depuis six ans. Je connais déjà les partenaires, les exposants et le marché de l’art contemporain africain. Très actif dans le secteur culturel, j’ai, entre autres, cofondé l’agence de communication Sisso, le salon Urban Art Fair et la H Galler y. Mon expertise était déjà à disposition d’AK AA, et il nous a semblé logique de prendre quelqu’un en interne pour assurer cette période de transition. Il convenait notamment de finaliser le choix de l’installation monumentale.
pas la même langue. Il s’interroge : dans quel monde vit-on ?
Comment considère-t-on les matériaux ? Que va-t-on laisser derrière nous ?
Vous mettez le focus sur les territoires ultramarins et les Caraïbes Pour quelle raison ?
VM : Nous poursuivons notre idée d’ouverture sur d’autres scènes internationales et, aujourd’hui, on se penche naturellement sur les territoires ultramarins et les scènes caribéennes. Notre nouvelle chargée de production, Ngemba Tina Mpondani, a beaucoup collaboré avec l’association La Créole Nous avons trouvé des sy nergies, et nous pouvons compter sur la participation de nouvelles galeries de ces régions. Parmi les nouveaux participants, des galeries de Guadeloupe, de Martinique, d’Ouganda, mais moins d’exposants issus du continent Pourquoi, d’après vous ?
Elle a été créée par le Camerounais Malam, à l’avant- garde de l’art contemporain africain, avec des matériaux de récupération. Comment l’avez-vous choisie ?
BH : Nous la voulions aussi monumentale que possible, et nous sommes tombés amoureux de cette œuvre. On choisit toujours des projets produits pour l’événement, ou alors qui n’ont pas encore été montrés en France En l’occurrence, elle est en cours de production dans l’atelier de l’artiste, à SaintDenis.
VM : L’année dernière, un artiste américain d’origine jamaïcaine proposait une installation sobre, subtile, qui parlait d’immigration et d’héritage. Cette année, on a sollicité un artiste qui travaille de manière différente, n’est pas de la même génération, pas de la même culture, ne parle
VM : Notre comité de sélection s’intéresse aux propositions, pas à la provenance géographique. Et nous travaillons avec chacun de nos exposants pour recentrer les projets des galeristes, raconter des histoires, faire plonger les visiteurs dans des univers, dans des dialogues avec des artistes et des œuvres qui se répondent depuis chaque espace. AK AA est aussi une foire de design Quel espace pour ce dernier ?
VM : Nous avons une galerie de design et nous travaillons sur un projet avec l’Ivoirien Jean Servais Somian Aux côtés du curateur franco-r wandais Roger Karera, il a conçu une expérience artistique intitulée ABLA KASSA. La première édition en Côte d’Ivoire a rassemblé plus de 35 artistes émergents et confirmés. AK AA accueillera deux artistes issus de ce premier chapitre : Aboudramane Doumbouya, qui participera à l’exposition blockbuster du Centre Pompidou en 2025, et Yvanovitch Mbaya. Avec le design, les frais de transport sont importants, limitant nos possibilités, alors que l’on tient à cet aspect et que les pièces de design dialoguent bien avec les œuvres. ■ Propos recueillis par Luisa Nannipieri
LA CRÉATIVITÉ ARABOFUTURE, D’APRÈS L’IMA
L’INST IT UT DU MONDE
AR ABE a récompensé quat re designers de la rég ion MENA avec un pr ix et une ex position qu i mettent en lu mière leurs ta lents et savoir-fai re.
LE PR IX DU DESIGN de l’IM A naît en 2023 dans le but de récompenser les designers émergents et confirmés qui font la richesse créative du Maghreb et du Moyen-Orient Parmi les nombreux participants à l’appel à candidatures, placé cette année sous le thème « Arabofuturs », dans le cadre de l’exposition éponyme présentée à l’IM A jusqu’au 27 octobre, une trentaine a été retenue et quatre récompensés par un jury international. La Franco-A lgérienne Zineb Kertane, 25 ans, remporte le prix Talent émergent avec son système d’arrivée et de sortie d’eau en carreaux de céramique Bayt el Ma, qui redonne une valeur esthétique à la tuyauterie en utilisant le vocabulaire décoratif du Maghreb. Franco-soudanais originaire de Bordeaux, le st yliste Abdel El Tayeb gagne dans la catégorie talent confirmé, avec sa collection basée sur l’artisanat arabo-soudanais. Le prix Talent impact, qui récompense la capacité à développer des projets qui ont une implication sociale et économique, a été décerné au protot ype de maison antisismique en terre de l’architecte marocaine Aziza Chaouni [lire notre article Archi, ci-après] Le jury a également voulu saluer avec un Grand Prix d’honneur le parcours remarquable des architectes palestiniens Elias et Yousef, du cabinet Aau Anastas. Tous les projets des candidats sélectionnés ont été exposés à Paris courant septembre. ■ L.N.
Zin eb Ker ta ne a re mp or té le pri x Ta le nt ém erge nt avec son systèm e d’ar rivé e et de sor ti e d’ea u Bayt el Ma
VOYAGES CU LI NAI RES AU PAYS DU JASM IN
À La Ma rsa ou dans le Ma ra is , ce s mets ins pi ré s de s dé lic es tun i s ie ns sati sferont toutes le s pa pi ll es.
Ci -c ontre, le d ess er t ch oc olat et ta gète Ci -d essous , la ta rte au citro n dé stru ct urée Atom ic Le mo n.
Deux ta bles où savourer une cu isine moderne et invent ive capa ble de fa ire le lien entre LA FR ANCE, LA TU NISI E et le reste du MONDE.
Aldehyde, du nom de la molécule de la coriandre, est la première adresse de Youssef Marzouk, déjà chef de partie dans le restaurant étoilé de Tomy Gousset et sous-chef au Tout-Paris Dans cette nouvelle table en plein Marais où se mélangent gastronomie française et influences tunisiennes, la cuisine s’ouvre sur une salle élégante et chaleureuse, entre pierres apparentes et murs d’un vert apaisant, et sert des plats étonnants et faussement simples, qui célèbrent les vinaigres (maison), les herbes et les épices Inspiré par ses racines tunisiennes et ses voyages, le chef joue tout
en fraîcheur avec le sucré et le salé Le canapé carotte et cumin, l’agneau en deux façons – rôti rosé, puis laqué d’un suc d’anguille au barbecue – ou le dessert chocolat fumé et tagète invitent à découv rir son univers singulier Les voyages et les racines tunisiennes inspirent également Slim Douiri, qui a inauguré en 2021 le Cult Bistro à La Marsa, inscrit dans la liste 50 Best de la région Dans ce resto qui profite d’une vue à 180° sur la ville, l’ancien finaliste de Top Chef MENA crée une carte qui change au gré de ses inspirations et des disponibilités Originaire du Sud, il s’appuie sur un patrimoine culinaire tunisien moins connu (comme l’assida à la chakchouka) et sur ses expériences en Tanzanie, au Liban et en Arabie saoudite pour imaginer des plats dressés tels des œuvres d’art. Du chou-f leur rôti sauce tahini, miso et graines de courge à l’Atomic Lemon, une tarte au citron déstructurée, en passant par le pain perdu avec chutney de champignons, caramel au beurre salé et noisettes, ses créations sont des explosions de goût et de fantaisie. ■ L.N.
LA TERRE QUI TREMBLE ET QUI BÂTIT
Da ns la RÉGION MA ROCA IN E D’AL HAOUZ, dévastée pa r le séisme, AZIZA CH AOUN I livre un chantier collaborat if de ma ison en terre sû re, in nova nte et à bas pr ix.
À LA SUITE du tremblement de terre du 8 septembre 2023 dans le Haut Atlas marocain, l’un des enjeux majeurs liés à la reconstruction est de proposer des solutions à des prix abordables, qui respectent l’habitat traditionnel de la région et les normes antisismiques. L’architecte marocaine Aziza Chaouni, à la tête du cabinet éponyme connu pour ses projets durables, diplômée de Harvard et chercheuse à l’Université de Toronto, a relevé le défi En un temps record, elle a constitué une équipe de bénévoles – chose exceptionnelle au Maroc – et, aux côtés de l’ingénieure de LafargeHolcim Amal El Abdi Alaoui et du préfabriquant Amine Maachi-Haddou, a réalisé le prototy pe d’une maison en terre battue antisismique à très faible bilan
carbone. Livrée au printemps et déjà multiprimée, la structure de 70 m2 en rez-de-chaussée, qui comprend chambre, salon, cuisine, salle de bains et trois cours internes, a coûté environ 20 000 euros – fosse septique écologique et gestion raisonnée des eaux grises comprises. Le recours au système Durabric d’Holcim (95 % de terre battue), modulé en briques emboîtables, ainsi qu’aux poutres en bois, a réduit drastiquement les besoins en béton, tout en garantissant la sécurité. L’équipe a beaucoup appris au fil du chantier et travaille déjà sur une nouvelle structure avec l’ONG locale Amal Biladi. La « maison des étoiles » de Tajgalt, un centre communautaire pour les enfants et adolescents, sera dédiée aux 22 jeunes morts dans le village lors du séisme ■ L.N.
DE ST IN AT IO N
LE DERNIER MONDE PERDU DE MADAGASCAR
Un SPLENDIDE LA BY RI NTHE de profonds canyons qui cachent une biod iversité unique, loin de toute présence hu maine.
MADAGASCA R est un paradis de biodiversité. Au cours de ses millions d’années d’isolement, la Grande Île a donné naissance à une faune et une flore fabuleuses. Le massif vierge du Makay, avec ses 4 000 km2 de canyons spectaculaires et forêts humides, steppes et hauts plateaux, est l’un des coffres-forts de cet écosystème unique Ce laby rinthe naturel du sud-ouest, grand comme la moitié de la Corse et classé aire protégée
depuis 2017, abrite encore plus d’une centaine d’espèces endémiques, telles que lémuriens, fossas, propithèques de Verreaux ou tortues à cou caché. S’y trouvent aussi les premières peintures rupestres de Madagascar, découvertes lors de récentes explorations scientifiques. Longtemps considérées comme impénétrables et inexplorées, les montagnes n’ont pas encore été entièrement cartographiées, et y accéder demeure, aujourd’hui encore,
Vu e su r le mas si f du Ma ka y, vé rita ble bijo u de l’éc osys tè me mal ga che
complexe. Il est donc recommandé de faire appel à un professionnel du tourisme et de s’appuyer sur les porteurs et guides locaux avant de s’aventurer dans ce sanctuaire écologique, paradis du trek et de la vie en plein air. Ici, pas de lodge ni d’hôtel de luxe : les opérateurs proposent des randonnées avec bivouac de plusieurs semaines, entre les dômes et les sommets érodés par les éléments, les plages de sable blanc et les innombrables ruisseaux. Ils ont tous signé l’ambitieuse charte de l’écotourisme rédigée par l’association Naturevolution, née en 2009 dans le but de préser ver l’écosystème et de développer un
tourisme écoresponsable, qui profite aux populations locales installées à la périphérie de ce château d’eau naturel. Parmi les projets récents de l’asso, on trouve l’initiative des Sentinelles du Makay, qui vise à mettre en place un système d’écogardes dans le massif, et qui est partiellement financé par les recettes du tourisme Et l’un de ses fondateurs, le grand explorateur Ev rard Wendenbaum, est directement impliqué dans l’organisation de certains séjours exclusifs Comme la traversée intégrale du nord au sud, avec descente du Mangoky en pirogue, proposée par Nomade Aventure L’occasion de partir avec un guide d’exception makay.org ■ L.N.
Fabrice Nguena
DANS
AFROQUEER, le militant pour les droits humains met en lumière la trajectoire de 25 personnes LGBTQI+ africaines et afrodescendantes engagées. Narrant leur vécu, leurs luttes, cet ouvrage nécessaire déconstruit les préjugés. propos re cueillis par Astrid Krivian
«C
AfroQ uee r éd iti on s Éc oso ci été, 216 pages, 18 €
’est la différence faite dans la vie des autres qui définit le sens de la vie que nous avons menée. » Ce propos de Nelson Mandela, le militant Fabrice Nguena l’a adopté Dans Af roQueer, il brosse le portrait de 25 personnes LGBTQI+ noires évoluant dans les espaces francophones (A ntilles, France, Québec, Afrique subsaharienne, etc.). Ces profils divers sont tous engagés dans la défense des minorités et le combat contre les discriminations. Dédié aux victimes assassinées en raison de leur orientation sexuelle ou leur identité de genre, cet ouvrage fait entendre la voix de personnes que la société invisibilise, marginalise. « En Occident, elles subissent à la fois le racisme et la queerphobie – stigmatisées au sein même des communautés noires. Dans les pays criminalisant l’homosexualité, elles sont la cible d’agressions, de ly nchages, parfois de meurtres. Leurs récits de vie brisent l’ignorance, contribuent à sensibiliser et à éduquer. L’orientation sexuelle n’est pas un choix », rappelle l’auteur. Af roQueer est aussi un outil d’émancipation adressé aux jeunes noirs et LGBTQI+, afin qu’ils disposent enfin de modèles et s’inspirent de leur histoire. Né en Suisse, Fabrice Nguena grandit au Cameroun, pays de ses parents. Au sein de sa famille, il ne subit pas d’homophobie, au contraire. Son oncle le soutient et le pousse à réussir sa vie professionnelle. « Aujourd’hui, j’encourage les jeunes LGBTQI+ à s’investir dans leurs études ou professionnellement pour acquérir l’autonomie financière. Cela aide grandement à échapper à la violence. » À 24 ans, il découvre la philosophie bouddhiste, qui l’aide à s’accepter « Catholique, je demandais sans cesse pardon à Dieu. Grâce au bouddhisme, je me suis enfin senti respecté, accueilli dans mon entièreté, ma singularité. » Après des études de gestion d’entreprise au Maroc, il travaille au Gabon pendant dix ans en tant qu’ingénieur technico-commercial. Il s’installe ensuite à Montréal, où il s’engage au sein de l’ONG Arc-enciel d’Afrique en parallèle de son emploi dans les assurances Aujourd’hui militant à temps plein, il est gouverneur de la Fondation émergence à Montréal pour les droits des LGBTQI+. Cet inconditionnel de James Baldwin s’insurge contre la croyance selon laquelle l’homosexualité aurait été importée en Afrique par les Occidentaux. « Or, c’est plutôt l’homophobie qui a été introduite par la colonisation, avec ses religions monothéistes, ses lois (code napoléonien, common law). Les sociétés précoloniales étaient plus inclusives Par exemple, au Sénégal, les góor-jigéen [« homme-femme », ndlr] n’étaient pas inquiétés et avaient un rôle social reconnu » Le durcissement législatif récent de certains pays à ce sujet inquiète La montée de l’homophobie contraint de plus en plus de jeunes à s’exiler au péril de leur vie. « Il faut absolument que des personnalités publiques africaines sensibilisent les opinions publiques, qu’il s’agisse de droits fondamentaux, de respect de la dignité humaine. » Fabrice Nguena dénonce l’instrumentalisation de l’homosexualité à des fins politiques, ainsi que la propagande religieuse américaine sur le continent. Il prône l’Ubuntu, philosophie zouloue et bantoue d’interdépendance et de solidarité, aux valeurs humanistes, qui dit en substance : « Je suis, parce que nous sommes. » ■
«Il faut absolument que des personnalités publiques africaines sensibilisent les opinionspubliques. »
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PA R EM MAN UE LL E PON TI
MOLIÈRE VS SHAKESPEARE
Au moment où nous écrivons ces lignes , le XIXe sommet de la francophonie se prépare pour les 4 et 5 octobre. Le grand raout a lieu cette année entre le Grand Palais à Paris et la Cité internationale de la langue française au château de Villers- Cotterêts, dans le dépar tement de l’Aisne Cela fait trente -trois ans que l’événement n’avait plus eu lieu dans l’Hexagone.
Au -delà du rassemblement géant, auquel la plupar t des 88 chefs d’État et gouvernements adhérents de l’Organisation internationale de la francophonie répondront présents, cette nouvelle édition donne l’occasion de se pencher sur la vitalité et l’influence de la langue française dans le monde Et lorsque l’on regarde les stats de l’OIF, on est surpris de constater qu’elles sont plutôt joyeuses. Contrairement aux dires des fossoyeurs chroniques, qui égrènent des propos sempiternellement alarmistes, arguant à qui veut l’entendre que la langue de Molière se meur t peu à peu depuis des décennies, engloutie par celle de Shakespeare
Le saviez -vous ? Il existe 321 millions de francophones dans le monde, dont 47,2 % vivent en Afrique subsahari enne et dans les Caraï bes. Un chi ffre en hausse de 14 % de pu is 2018, nota mm ent chez les jeunes de 15 à 24 ans. Au global, 93 millions d’élèves et étudiants reçoivent un enseignement en français. La langue française est la cinquième mondiale, après l’anglais, le chinois, l’hindi et l’espagnol Et, depuis 2022, la quatrième sur Internet, après l’anglais, l’espagnol et l’arabe. Elle est en hausse chez les jeunes, elle remonte d’un cran sur la toile… Deux indicateurs de bon augure. Certes, les dernières statistiques datent d’il y a deux ans et, depuis, on sait que le sentiment anti -français, en Afrique de l’Ouest par exemple, pourrait jouer en faveur d’un rejet de la langue au profit de l’anglais – ce dernier continuant à caracoler en tête du hit-parade des polyglottes, et raflant la vedette dans la plupar t des grands meetings, érigé depuis longtemps comme la langue du business international
Pour ta nt, ri en ne mont re que le frança is au ra it perd u des plumes (de coq !) sur les dernières années. Au contraire. Ce qui réjouira le franchouillard, mais aussi les Africains, au final. Puisque, même s’il s’agit d’une langue héritée de la colonisation, elle leur facilite les échanges transrégionaux, commerciaux ou autres, et leur permet de faire par tie intégrante de l’une des plus grandes communautés linguistiques au monde. Ce qui compte aussi. ■
fo cu s
CORNE DE L’AFRIQUE
LES PASSAGES EN FORCE D’ABIY AHMED
Quête d’un accès à la mer via le Somaliland sécessionniste, souveraineté énergétique grâce au grand barrage sur le Nil… Le Prem ier minist re éthiopien, prix Nobel de la paix 2019, veut réaff rmer la puissance de son pays et redonner un idéal commun à son peuple, mortellement divisé. Au risq ue d’êt re lâché par les investisseurs, de se fâcher avec ses voisins… et d’em braser toute la région. par Cédric Gouverneur
Le 29 octo bre 2019, dans so n bureau d’Ad dis -A be ba
Dif ficile d’imag iner que l’ homme qu i tient ce ty pe de discours est le même qui fut lauréat du prix Nobel de la paix en 2019 pour son éphémère réconciliation avec l’Ér ythrée et sa non moins éphémère ouverture à la démocratie : « Nous ne négocierons avec personne la souveraineté et la dignité du peuple éthiopien. Nous ne permettrons à personne de nous nuire, et nous humilierons quiconque ose nous menacer. Tout pays devrait réfléchir non pas une, mais dix fois avant d’agresser l’Éthiopie », a prévenu Abiy Ahmed, plus martial que jamais, le 9 septembre, à l’occasion du jour de la Souveraineté éthiopienne.
Di x mois après la signat ure, le 1er janv ier, du protocole d’accord avec le Somaliland afin de créer un débouché maritime éthiopien sur la côte de cette prov ince sécessionniste de Somalie, Abiy Ahmed persiste et signe : il veut en finir avec l’enclavement du pays Sa mission historique est d’affranchir son peuple de ce qu’il a qualifié de « prison géographique ». Peu lui importe que la Somalie – qui n’a jamais accepté la sécession de l’ex-« Somalie britannique » – se sente ag ressée et s’allie militairement avec l’Ég ypte, en froid avec l’Éthiopie depuis la construction du mégabarrage sur le Nil. Malgré les menaces de guerre, il ne semble prêt à aucune concession : l’Éthiopie entend obtenir des facilités navales, marchandes, mais aussi militaires sur la côte de la mer Rouge Quitte à reconnaître l’indépendance du Somaliland et à créer un fâcheux précédent sur le continent – au grand dam de l’Union africaine, qui siège pourtant à Addis-Abeba !
Cette déterm inat ion s’adresse auta nt à l’ Ég ypte, à la Somalie et à l’Ér ythrée (avec laquelle l’Éthiopie est de nouveau en froid) qu’aux 120 millions d’Éthiopiens, à qui le Premier ministre veut redonner un sentiment d’unité nationale, au-delà des divisions ethnico-religieuses. Abiy Ahmed redoute sans doute moins une guerre ouverte avec ses voisins qu’une aggravation des troubles intérieurs du pays Des insurrections qui pourraient entraîner sa dislocation… Car près de deux ans après la fin de l’effroyable guerre du Tigré, l’unité éthiopienne demeure plus menacée que jamais Pour rappel, le conf lit avec le Front de libération du peuple du Tigré (FLPT, dont les élites avaient dominé le pays des années 1990 jusqu’à la prise du pouvoir d’Abiy en 2018) a provoqué la mort d’au moins 600 000 personnes entre novembre 2020 et novembre 2022, pour un coût de 28 milliards de dollars L’armée fédérale éthiopienne s’était alors alliée non seulement avec l’Ér ythrée
de l’autocrate Issayas Afewerki (frontalière du Tigré au nord), mais également avec les milices nationalistes de la région Amhara (qui borde le Tigré au sud) : les Fanos, dont le nom, « combattants volontaires », vient des Amharas mobilisés dans les années 1930 par le négus afin de résister à l’envahisseur italien. Or, ces Fanos ont refusé, en av ril 2023, de désarmer, de crainte de perdre les gains territoriaux réalisés au détriment des Tigréens, notamment dans la zone contestée du Wolqayt Les miliciens nationalistes ont pris les armes contre les fédéraux, s’emparant même brièvement (en mars) de la capitale régionale Bahir Dar, vidant la prison de ses détenus et attaquant l’aéroport de Lalibela. L’armée fédérale réplique aux insurgés par des bombardements de drones et des arrestations, voire des exécutions sommaires de jeunes amharas suspectés de rejoindre la guérilla (une centaine de morts à Merawi le 29 janv ier, selon l’ONG Human Rights Watch). Une stratégie contre-insurrectionnelle dont les excès renforcent le soutien aux rebelles, qui ont reçu l’appui d’opposants populaires, tels que le journaliste dissident Eskinder Nega.
La situation paraît inextricable : cœur historique de l’Éthiopie, la rég ion Am ha ra (30 mil lion s d’ habita nt s) éc happe au pouvoir cent ral. Cette insurrection s’ajoute à celle, plus ancien ne, de l’OL A, l’Ar mée de libération oromo, da ns la région Oromia (35 millions d’habitants) Lors de la guerre du Tigré, l’OL A avait conclu une alliance de circonstance avec les Forces de défense du Tigré (FDT). Désormais, l’OL A se tourne opport unément vers les Fanos – malg ré les revendications antinomiques des deux mouvements rebelles ! « Les populations amharas installées sur le sol oromo sont perçues par les Oromos plus radicaux comme des colons de l’intérieur, nous explique Éloi Ficquet, spécialiste de la Corne de l’Afrique et maître de conférences à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Les Amharas estiment qu’il leur est légitime de s’installer hors de leur région d’origine. Les Oromos sont plus localistes et ont pour but la conquête locale du pouvoir. Davantage qu’un État indépendant oromo, ils aspirent surtout à contrôler les ressources de l’économie locale. »
LUTTE ARMÉE ET BANDITISME
Aidés par la prof usion d’armes légères (le célèbre AK-47), les groupes armés prolifèrent, oscillant souvent entre revendications politiques et grand banditisme (barrages routiers, kidnappings et rackets). « Ce mode d’action suscite des vocations, poursuit Éloi Ficquet. Les groupes armés qui s’y livrent reçoivent des contreparties en échange de la cessation de leurs exactions. » Leur pouvoir de nuisance est tel qu’env iron un tiers du territoire éthiopien n’est plus sous contrôle étatique Avec, év idemment, des impacts sur l’économie : « La libre circulation des investisseurs, des commerçants et des étudiants constituait l’argument fort de la pacification apportée par le régime fédéral », rappelle Éloi Ficquet Il souligne qu’un repli
Aucune concession : le pays entend obtenir des facilités navales, marchandes et militaires sur la côte de la mer Rouge.
identitaire est constaté aujourd’hui, les gens ne se sentant pas en sécurité hors de leur territoire ethnique. « Le régime fédéral avait rétabli de façon autoritaire un niveau de contrôle état ique profond, aujourd’ hui évanoui. Le rétabl issement de l’autorité souveraine constituera un défi Mais le régime peut bénéficier de cette situation chaotique en se présentant comme le seul rempart apte à restaurer l’ordre. »
EN AT TENDANT LA REFONTE DU FÉDÉRALISME…
L’Éthiopie n’échappera pas, à terme, à un débat sur son avenir instit utionnel. Abiy a su donner satisfaction au sud, avec la région Sidama (juin 2020) et l’État régional du sudouest (novembre 2021), qu i après des référendums sont devenus autonomes pa r rappor t à la Région des nations, nationalités et peuples du Sud (Southern Nations, Nationali-
ties, and Peoples Region, SNNPR). « Les discussions quant à la possibilité d’une réforme institutionnelle évoquent le morcellement de la carte fédérale, avec une échelle territoriale remise au premier plan par rapport à l’échelle ethnique », souligne Éloi Ficquet « On observe un morcellement territorial et la reconfiguration d’un fédéralisme qui n’apparaît plus fondé sur un territoire à base ethnique large, mais davantage sur des territorialités correspondant à des identités parfois très anciennes », explique-t-il. Cette évolution permettrait à AddisAbeba de rebattre les cartes en sa faveur : « On peut envisager une forme de réémergence de cette carte ancienne du pouvoir, afin de satisfaire (et de contrôler) certaines élites locales. Cela peut avoir l’avantage, pour Abiy, de disloquer les identités des groupes traditionnellement dominants (A mharas, Oromos, Afars, etc.) en donnant satisfaction à des groupes politiques,
qui peuvent ainsi espérer monter en puissance dans le jeu politique local ». Une stratégie qui n’est pas nouvelle, précise l’expert : « On retrouve ici le vieux jeu politique de l’empire éthiopien. »
En attendant une refonte du fédéralisme, face à l’urgence du risque de dislocation, le Premier ministre veut proposer aux Éthiopiens un projet national rassembleur. Leur démontrer que ce qui peut les réunir – l’idée nationale éthiopienne, la souveraineté, le développement économique – dépasse ces divisions ethnico-religieuses, dont la violence met en péril leur sécurité physique comme leur bien-être économique. D’où son obsession de faire retrouver à l’Éthiopie un accès à la mer, perdu en 1993 lors de l’accession de l’Ér ythrée à l’indépendance. « C’est, là aussi, une stratégie ancienne de la politique éthiopienne : raviver la fibre nationaliste dans une situation
Face à l’urgence du risque de dislocation, le Premier ministre veut proposer aux Éthiopiens un projet national rassembleur.
de conf lits régionau x, rappelle Éloi Ficquet. Faire appel au sentiment national supérieur, qui serait partagé par les différentes ethnies – et notamment les Amharas, population au socle du projet national Le rétablissement d’un accès à la mer, légitimé par des frontières historiques anciennes, est un vieil argument des nationalistes éthiopiens. » Lors du conf lit avec l’Ér ythrée (1998-2000), ces derniers voulaient reconquérir le port d’Assab. La revendication d’un accès à la mer « était déjà une question mobilisatrice des opposants à Meles Zenawi », Premier ministre de 1991 à 2012 Et ils font « partie du cercle du pouvoir autour d’Abiy, notamment Berhanu Nega », ancien opposant, cofondateur du Ginbot 7 et leader du CUD (Coalition pour l’unité et la démocratie), qui avait revendiqué la victoire en 2005 aux élections à Addis-Abeba.
DE L’ÉLECTRICITÉ POUR LES USINES DE BITCOINS
La déterm inat ion d’Abiy à mett re en œuv re le GE RD (Gra nd Ba rrage de la Renaissa nce ét hiopien ne) répond à la même logique que celle de regagner un accès maritime Lancé sous Zenawi, ce barrage de 145 mètres de hauteur sur 1,8 kilomètre de long « doit donner à l’Éthiopie les moyens d’une politique industrielle réellement indépendante », rappel le Éloi Ficquet. Les ba illeu rs de fonds internat ionau x n’ayant pas voulu souscrire au mégaprojet, jugé déstabilisateur pour la Corne du fait de l’opposition farouche de l’Ég ypte et du Soudan, sa réalisation, à coups de conscriptions plus ou moins volontaires, est fièrement présentée comme un acte de souveraineté.
« Le GERD doit offrir à la jeunesse diplômée des emplois, et répondre au x fr ustrations qui s’expriment sur le terrain ethnique Une forme de confort moderne qui correspond aux très fortes ambitions af fichées par le Parti de la prospérité (PP), au nom sans équivoque », explique Éloi Ficquet. Fin août, l’Éthiopie a annoncé le doublement de la production du GERD, grâce à la mise en serv ice de deux turbines de 400 mégawatts chacune, qui s’ajoutent aux deux turbines de 375 MW mises en route en 2022 La production élec tr ique est désormais de 1 550 MW, et devrait à terme dépasser 5 000 MW avec treize turbines Ma lg ré le risque de guer re, la pr ior ité est au développement économique et à la souveraineté énergétique, face à une demande de produits pétroliers en hausse de 10 % chaque année, qui coûte à l’Éthiopie environ 6 milliards d’euros en importations de carburants Le pays est le premier au monde à interdire l’importation de véhicules à moteur thermique. Abiy Ahmed veut, à moyen terme, faire rouler l’ensemble des citoyens dans des véhicules électriques – environ 100 000 aujourd’hui, mais le nombre devrait quadr upler d’ici 2030, nota mment grâce au x importat ions de l’allié chinois. Peu lui importe que le pays ne compte pour le
moment qu’« une seule borne de rechargement publique », et que les pièces détachées pour véhicules électriques restent « introuvables », selon le constat du journal Le Monde (10 septembre) ! « L’État éthiopien est coutumier de ce ty pe de décisions abruptes, à la concrétisation plus que problématique », souligne Éloi Ficquet. Un Éthiopien sur deux n’a pas d’électricité. Mais la généralisation de l’accès à l’électricité ne semble guère la priorité du Premier ministre : l’Éthiopie s’est en effet ouverte aux « fermes de bitcoins ». Une vingtaine de sociétés – pour la plupar t venues de Chine, où elles sont interdites depuis 2021 – s’installent dans le pays afin de « miner » des cr yptomonnaies au moyen de supercalculateurs, très gourmands en électricité. Le paradoxe est que l’usage des cr yptomonnaies est théoriquement interdit aux Éthiopiens ! Mais qu’impor te, il s’ag it avant tout de faire entrer des devises
ét ra ngères da ns un pays que Washington a exclu, depuis janv ier 2022, en raison des « violations flagrantes des droits humains » au Tigré, de l’AGOA (loi sur la croissance et les opportunités af ricaines – Af rican Grow th and Opportunit y Act), l’accord de libre-échange américano-africain
L’étoile du pr ix Nobel de la paix 2019 a donc considérablement pâli à Washington, comme auprès des bailleurs internationau x… En av ril 2018, l’ar rivée au pouvoir de ce jeune Premier ministre inconnu avait pourtant suscité maints espoirs dans les chancelleries, du fait de sa levée de l’état d’urgence et de l’amnistie alors accordée aux détenus politiques
Abiy Ahmed, 41 ans à l’époque, était cependant ar rivé au pouvoir par défaut, faute d’autre candidat. Alors confronté à une insurrection des Oromos autour d’Addis-Abeba, le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDR PE,
Malgré le risque de guerre, la priorité est au développement économique et à la souveraineté énergétique.
coalition au pouvoir depuis la chute de Mengistu en 1991) recherchait un Oromo modéré, qui calmerait les contestataires sans faire imploser le pays. Abiy Ahmed, Oromo pentecôtiste de père musulman, marié à une Amhara, ancien ministre des Sciences, lieutenant-colonel dans le renseignement, vétéran de la guérilla contre Mengistu dès son adolescence, puis de la guerre contre l’Ér ythrée, semblait répondre à tous les critères recherchés par le FDRPE, afin que tout change sans que rien ne change Après avoir purgé le pouvoir des élites tigréennes (avec l’assentiment de la population, qui les détestait), il « a su s’entourer d’une élite politique et économique qui avait émergé durant l’ère Zenawi Une clientèle politique et économique, notamment oromo, qui s’est renforcée dans ses moyens et ses priv ilèges ces dernières années », souligne Éloi Ficquet. « Abiy Ahmed a promu des gens dans l’administration civile et militaire, qui depuis lui doivent leur carrière et lui sont totalement dévoués », explique l’historien Gérard Prunier, spécialiste de la Corne. « Même si une grande partie du pays se disloque, le contrôle de la capitale et des régions centrales leur suffit, estime Éloi Ficquet Le système actuel de pouvoir repose sur une py ramide dont le ciment est la prédation, l’extorsion et la corruption Py ramide transactionnelle, car chaque échelon auquel est donné le pouvoir de s’enrichir doit reverser une partie de ses gains à l’échelon supérieur, et ainsi de suite », conclut le chercheur
SURMONTER TOUS LES OBSTACLES
Abiy, pour tant issu d’un milieu modeste, se fait constr uire un pa lais pharaonique de 500 hectares sur la montagne Entoto qui surplombe Addis-Abeba. La capitale, qui a doublé sa superficie en trente ans, voit se multiplier les expropriations de petits propriétaires, sans préavis ni compensations adéquates, au mépris des lois éthiopiennes Le pentecôtiste Abiy « a toujours défendu dans ses discours une vision messianique, guidée par des idéaux religieu x », explique Éloi Ficquet Il sa it que son idéa l de prospér ité ne se fera pa s sa ns di ff ic ulté, ma is insiste sur sa capacité à traverser les tempêtes On l’observe da ns les invest issements colossau x réalisés à Addis-Abeba, af in d’ér iger un modèle étincelant, censé convaincre l’ancien monde d’y adhérer. Le guide, qui s’estime visionnaire et oint par le Tout-Puissant, sait où il va et doit poursuivre son œuvre… même si celle-ci est momentanément incomprise !
dy namique de conf lit ». Cela aide à comprendre la réaction singulière d’Abiy Ahmed face aux menaces de guerre ouverte brandies depuis 2020 par l’Ég ypte du maréchal al-Sissi en raison du GERD, et depuis janv ier dernier par la Somalie en raison du rapprochement d’Addis-Abeba avec le Somaliland sécessionniste Les tensions ne cessent de grimper : Abdel Fattah al-Sissi et Hassan Sheikh Mohamoud ont signé le 14 août au Caire un accord d’assistance militaire. Le maréchal-président a aussitôt envoyé deux premiers av ions militaires gros porteurs à Mogadiscio, remplis d’armes et d’officiers instructeurs, et promet d’intervenir pour « défendre la souveraineté » de son nouvel allié La Somalie veut, quant à elle, expulser les milliers de soldats éthiopiens présents sur son sol depuis 2007, afin de l’aider à combattre les djihadistes shebab – au risque
de créer un vide sécuritaire Djibouti s’inquiète également de ce regain de tensions régionales : « L’enclave éthiopienne au Somaliland fait face au refus des populations de la région, nous confie une source haut placée à Djibouti. Cela peut dégénérer C’est également un problème pour notre pays, qui se retrouverait avec une nouvelle frontière éthiopienne. »
Ce mode de pensée, explique le chercheur Éloi Ficquet, « est une dialectique du dépassement, quitte à intégrer une
La portion de côte du Somaliland, où les autorités d’Addis-Abeba entendent constr uire un port commercial et une base nava le, serait connec tée à l’Ét hiopie pa r un corr idor routier « très proche de la frontière », s’inquiète notre source djiboutienne « Historiquement, les ports de la mer Rouge ont toujours négocié différents ty pes de priv ilèges fiscaux, afin d’obtenir des accès priv ilégiés aux routes caravanières », rappelle Éloi Ficquet. Les experts interrogés ne croient cependant AFP
guère à l’hy pothèse d’une guerre ouverte. « L’Ég ypte n’est pas en mesure de le faire, estime Gérard Prunier. Elle aimerait s’impliquer, mais ne dispose pas de capacités de projection de troupes à distance Quant à la Somalie, le gouvernement de Mogadiscio ne contrôle qu’une centaine de kilomètres de territoire autour de la capitale. Abiy sait donc qu’il n’y a rien à craindre… »
LA MENACE
DES GUERRES DE PROXY
Éloi Ficquet déclare : « Je ne vois pas la Somalie se lancer dans une guerre. Mogadiscio n’a déjà aucun moyen de dicter sa volonté aux autorités du Somaliland », de facto indépendant depuis plus de trois décennies. De même, « je ne vois pas non plus l’Éthiopie entrer en guerre, alors qu’elle n’arrive pas à
L’Éthiopie a franchi fin août une nouvelle
étape vers la reconnaissance formelle de l’indépendance du Somaliland.
contenir les rébellions dans les régions Amhara et Oromia ». Or, « le conf lit régional est déjà là, estime Éloi Ficquet Le risque est de le voir s’aggraver ».
Les ex per ts penc hent plutôt du côté des guer res de « prox y », dont les États de la Corne sont coutumiers : il s’agit de financer des insurgés dans le pays adverse, afin de le déstabiliser… « Ces groupes armés peuvent semer le désordre, mais ils ne sont pas en mesure d’établir une administration parallèle, et à plus forte raison de renverser le pouvoir central. La Somalie, plutôt qu’inter venir militairement en Ét hiopie, peut la déstabiliser via des groupes ar més sur le sol ét hiopien. » L’Ét hiopie compte environ 4 % de citoyens soma lis.
« L’Ér yt hrée, qui appuie des groupes oromos et am haras, a souvent soutenu des groupes armés somaliens af in de dés-
tabiliser l’Éthiopie » La Turquie d’Erdogan, fort présente en Somalie, cherche une solution diplomatique pour désamorcer cette poudrière. Ha kan Fidan, le minist re des Af faires étrangères turc, se félicitait début août de « progrès notables » dans ces négociations. Mi-septembre, avait lieu à Ankara un troisième round de négociations (Grand Mediation and Peace in the Horn of Africa). Une des pistes explorées serait que la Somalie elle-même se pose en alternative, court-circuitant le Somaliland rebelle en offrant des facilités portuaires à l’Éthiopie ! « Je ne suis pas certain que la Somalie puisse concéder une complète autonomie de l’Ét hiopie sur le plan militaire naval, souligne Éloi Ficquet L’Éthiopie veut être considérée comme un acteur global, elle a rejoint les BR ICS. Elle veut retrouver une marine de guerre. » « Un plan sur la comète », tranche Gérard Prunier quand on évoque la porte de sortie somalienne L’historien souligne que les ÉtatsUnis, ancien allié de l’Éthiopie du temps de Zenawi, « pour raient interven ir diplomat iquement, mais ils sont paralysés par les élections. Rien ne bougera avant l’investiture présidentielle du 20 janv ier 2025 à Washington » L’Éthiopie a franchi fin août une nouvelle étape vers la reconnaissance formelle de l’indépendance du Somaliland : un diplomate a présenté ses « lettres de créances » aux autorités somalilandaises à Hargeisa, la capitale de facto de l’État autoproclamé « Si les Éthiopiens avaient voulu reconnaître le Somaliland, ils l’auraient déjà fait », relativise notre source officielle à Djibouti, qui souligne que « la reconnaissance du Somaliland créerait aussi un précédent. Cela pourrait affecter en rebond l’Éthiopie avec des sécessions internes ! »
Djibouti est un autre acteur essentiel à l’échelle régionale. La république se positionne comme un carrefour d’échanges et de stabilité dans un environnement fracturé. Et pour les autorités, le maintien d’un minimum d’équilibres régionaux est un impératif L’Éthiopie est un partenaire incontournable La ville portuaire assure 90 % des importations éthiopiennes et perçoit environ 1,5 milliard de dollars de droits de port Mais les Djiboutiens ne cachent pas en parallèle leur scepticisme sur le projet de corridor prév u au Somaliland – 20 kilomètres de littoral loués pour un demi-siècle, où les autorités d’Addis-Abeba entendent construire un port commercial et une base navale, et qui serait connecté à l’Ét hiopie par un corridor routier. Outre que ce dernier serait particulièrement proche de leur frontière, le projet, souligne-t-on à Djibouti, est fortement contesté par les populations locales, qui évoquent une dépossession illégale, comme l’a souligné avec fracas la démission du ministre de la Défense somalilandais, natif de la région. ■
FALLY IPUPA
UNE HISTOIRE
CONGOLAISE
Il s’est imposé au sommet de la rumba, un univers musical ultracompétitif et souvent brutal. En jouant la synthèse entre les traditions et les modernités, en inventant son propre style, DiCap la Merveille a conquis son pays, l’Afrique, et une bonne partie du monde. Portrait d’un chanteur planétaire. par Zyad Li m am et Emma nu ell e Po nt ié
C’est lui, l’enfant de Kinshasa, de son nom d’état civil Faustin Ipupa Nsimba, qui chantait dans les écoles et dans les églises. C’est lui, avec sa voix suave, le corps qui chaloupe, l’attitude souvent énigmatique, qui fut repéré par l’incontournable Koffi Olomidé et intégra le non moins célèbre Quar tier Lati n, avant de prendre la décision finalement très audacieuse de le quitter. C’est lui, devenu Fally Ipupa, alias DiCap la Merveille, alias l’Aigle, qui va conquérir le « Congo Kin », l’Afrique, puis le monde. À 46 ans, il est clairement au sommet dans ce monde compétitif – parfois violent – de la rumba congolaise et de son business. Son dernier album Formule 7, sorti fi n 2022 , a été un véritable ca rton Avec 31 titres (carrément !) répartis en trois volumes, l’opus est décrit comme une véritable célébration de la rumba congola ise mad e by Fa lly. De s morceau x comme « Mayday », « Marlène », « De La Renta » ou « Afsa na » ont fa it danser toute l’Afrique, et bien au-delà. Son succès est également confirmé par des chif fres impressionnants. L’album a déjà cumulé plus de 120 millions de vues sur les plates-formes. Et c’est aussi le premier disque de rumba congolaise à recevoir une certification or à l’export par le SNEP. Cet album porte une tournée assez mémorable, aux États-Unis et en France, notamment avec le concert événement à Paris La Défense Arena le 25 novembre 2023, devant 40 000 spectateurs. L’artiste contrôle la longévité de l’album, sa commercialisation, en produisant des clips de qualité au fil des
mois – le dernier en date, « Alliance », est sort i en ma rs 2024 « Je pr éf èr e êt re le guide plutôt que le suiveu r », reconnaissait-il avant le concer t de La Défense.
Mais le succès ne date pas de Formule 7 Avec Koffi Olomidé et le Quartier Latin, Fally avait déjà rempli Bercy. En 2006, il se lance en solo. Et en 2007, il devient le premier artiste congolais de sa génération à jouer à guichets fermés à l’Olympia (Paris). Di x ans plus tard, il voyait son quatrième album, Tokooos, être certifié Disque d’or Une première, encore une fois, pour un chanteur de RDC. Clairement, le prodige kinois a de l’ambition et du talent Et une forme de courage. Car le succès ne vient pas sans heur ts La scène musica le congolaise est connue pour ses riva lités pa rfois br utales. Fa lly n’y éc happe pas. Koffi Olomidé n’accepte pas d’avoir été abandonné par « son jeune fils ». La rivalité devient féroce, exacerbée par la popularité croissante de DiCap la Merveille et son ambition de s’affranchir de l’ombre de son maît re. Les éc hanges houleu x par médias interposés ont alimenté la presse people congolaise pendant des années. D’autres grands noms, comme Ferre Gola, son ancien compagnon de route da ns Quar tier Latin, ont également croisé le fer avec lui. Les querelles et les invectives personnel les ont été amplifiées et alimentées par les réseaux sociau x, où les fa ns de chaque bord interpellent et se mobilisent Ces rivalités quasi consubstantielles à la rumba participent, bien sûr, à la construction de person nages, à leur légende Mais el les cont ribuent aussi, et pa radoxalement, à dy na mi ser la scène musicale En ef fet, chaque ar tiste cherc he constamment à se surpasser, à innover, dans le but de terrasser la concurrence, et ce au grand bénéfice du public et de la créativité. À cet exercice, Fally Ipupa
a su, peut-être, se montrer plus talentueux et plus habile.
Il cherc he à li re le s te ndance s, scrute son marché, identifie l’intersection entre les anciens et les modernes. Le Congo règne, mais il doit faire face à l’émergence de formidables sonorités contempora ines, avec l’af robeat s, le coupé-décalé, l’afropop ou l’afrotrap. Il faut toucher les nouvelles générations. Et la force de Fally, c’est la sy nthèse. Il travaille sur les racines, sur la rumba classique aussi, tout en s’ouvrant au
De la musique urbaine qui puise dans l’histoire, dans les rues et les ruelles de Kinshasa.
Lo rs du co n ce rt my th iqu e à Pa ri s La Dé fe ns e Aren a, e n nove mbre 20 23, deva nt pl us de 40 000 sp ecta teur s. monde moderne. L’un des plus grands hits du chanteur est « Eloko Oyo », une version rev isitée du folk lore congolais, la reprise d’un titre de feu Mabele Elisi, considéré comme l’amba ssadeu r des Anamongo, l’un des grands groupes de population bantoue de la RDC.
L'ENVOL MAJESTUEUX DE L'AIGLE
Fally, tout en chantant souvent en lingala, vise le grand large. Il est Kinois, c’est sa ville, son pays. Il veut porter le son et la culture congolaise aux quatre
coins de la planète. Du coup, il mi xe, il méla nge. Il invente et impose un st yle, le Tokooos, un mot de son invention, dérivé du lingala Kitoko qui signifie « beau », « positi f ». De la musique urba ine congola ise, qu i pu ise da ns l’ histoi re, da ns les rues et les ruel les de Kinshasa, tout en se connectant aux nouveaux sons de Lagos, d’Abidjan de Dakar, et jusqu’au hip-hop amér icain. En ajoutant une bonne dose de « show » su r scène, da ns les clips, et en invoquant bien souvent et d’une voix suave
le langage de l’amour, celui des belles histoires, des histoires tristes, celui de la séduction et des trahisons… Br ef, en vi ng t an s, il es t pa ssé de jeu ne pr otégé de Koff i Olom idé à super st ar i nter nation ale. Capable de sé du ir e de s publ ic s af rica in s et non-africains. Aux côtés du duc Booba, de la diva Aya Nakamura, du maître de l’afrotrap MHD ou de son ami, légende de l’af ropop, Wizk id, il transcende les ge nr es avec ai sa nce, en fonç ant le s portes de l’industrie musicale pour pla-
Le stade de la rumba et de tous les martyrs
Il est là, au centre de Kinshasa, ville de près de 15 millions d’habitants, à quelques encablures du non moins fameux palais du Peuple, tous deux monuments urbains et témoignages de la coopération avec la Chine. Le stade des Mart yrs de la Pentecôte (nom officiel) est le quatrième d’Afrique, avec sa capacité de 80 000 places assises. Et même, faute d’exister, s’il n’a pas abrité le légendaire Rumble in the Jungle, le combat entre Mohamed Ali et George Foreman en 1974, ni la première épopée footballistique des Léopards (vainqueurs de la CA N en 1968 et en 1974 et premiers de l’Afrique subsaharienne à se qualifier pour la Coupe du monde), la « Grande Marmite », comme l’appellent les Kinois, est au cœur de l’histoire et de la vie du pays. C’est là que les présidents prêtent serment, là que le pape François à fait sa messe le 2 février 2023. Et c’est surtout l’épicentre de la musique congolaise, où les stars obtiennent la reconnaissance, la vraie, celle du public de Kinshasa Réussir à Paris, même à l’Olympia, où Fally s’est produit, à New York ou ailleurs ne suffit pas. Pour être consacré, il faut prendre le stade des Mart yrs. Comme un rite de passage qui confirme son statut de star authentique. Étonnante histoire dans la grande histoire de ce stade.
Sa construction démarre le 14 octobre 1988, date d’anniversaire du maréchal-président Mobutu Sese Seko. Un chantier sur les décombres de Culturana, salle culturelle my thique des années 1960 à 1980, détruite pour la circonstance. Le chantier est livré par la Chine en 1994 Mobutu baptise le stade Kamanyola, du nom d’une ville du Sud-Kivu où ses troupes matèrent la rébellion Simba en 1964 Il nommera aussi son bateau, ancien courrier colonial belge, le Kamanyola. Le navire était souvent amarré sur les berges du majestueux Congo, dans le parc présidentiel de la Nsélé, où le maréchal aimait recevoir sur le pont arrière, soleil couchant sur le fleuve, coupe de champagne à la main
THE PL ACE TO BE
Le 17 mai 1997, l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (A FDL), appuyée par le Rwanda et l’Ouganda, traverse sans coup férir le pays d’est en ouest, et fait tomber le régime à bout de souffle de Mobutu Sese Seko Laurent-Désiré Kabila renomme l’enceinte stade des Mart yrs de la Pentecôte, comme pour réécrire l’histoire du pays Les faits remontent à 1966. Un an plus tôt, Mobutu a renversé le président Kasa-Vubu et son Premier ministre Patrice Lumumba. Le 1er juin 1966, le futur maréchal décide de faire
pendre en public, sur les lieux du futur stade, les conjurés de la Pentecôte, Jérôme Anani, Évariste Kimba, Alexandre Mahamba et Emmanuel Bamba, quatre ministres du gouvernement de Lumumba devenus « opposants » à celui qui s’appelle encore Joseph-Désiré Mobutu Le 30 juin 1997, LaurentDésiré Kabila choisit le stade pour faire son premier grand discours… Avec la montée en puissance de la musique congolaise, le stade des Mart yrs s’impose rapidement comme un véritable défi à relever pour imposer son leadership. Papa Wemba jette le gant en organisant en août 1999 le festival Fula Ngenge pour marquer ses cinquante ans d’âge, dont trente de carrière. Le succès phénoménal sonna comme une provocation pour le milieu compétitif de la rumba congolaise. Quelques mois plus tard, Wenge Musica Maison Mère, avec comme porte-flambeau Werrason ou Bill Clinton Kalonji, emboîte le pas pour remplir le my thique stade. Koffi Olomidé, au sommet, se lance en 2003 avec son my thique groupe Quartier Latin, déjà rythmé par la voix d’un certain Fally Ipupa, pour confirmer qu’il est désormais le premier dans la cour des grands. Le groupe Wenge Musica, amené par JB Mpiana et Werrason, disloqué en 1997, choisit « les Mart yrs » pour sceller sa réconciliation
avec l’orchestre Wenge Musica BCBG 4x4 le 30 juin 2022. Fally Ipupa, devenu maître de sa carrière solo, a relevé le défi en 2022 pour imposer son st yle, son rythme, le Tokooos, au stade des Mart yrs.
La nuit sera magique. Près de 120 000 spectateurs en extase. Un événement musical historique. L’écrivain congolais
Alain Mabanckou écrit sur TikTok : « Ce concert devient comme un élément de légitimation officielle et irréfragable de sa puissance artistique » La nuit sera tragique aussi. Onze personnes vont mourir dans des bousculades autour et à l’intérieur du stade. Neuf spectateurs et deux policiers. Enceinte saturée, billets contrefaits, défaillance des organisateurs et de la police
On se renvoie la responsabilité.
Après son année 2023 euphorique, Fally veut revenir, doit revenir à Kin, aux Mart yrs, pour un double concert les 10 et 11 août.
Ferre Gola, de son côté, prépare la première édition du festival Festigola du 2 au 4 août au stade Tata Raphaël de Kinshasa La tension monte. Les fans se livrent à des défis sur la toile pour mobiliser les troupes.
Le 27 juillet, neuf personnes trouvent la mort lors d’un concert organisé par Mike Kalambay, l’un des chanteurs gospel les plus célèbres du pays. Les gradins étaient surchargés, la bousculade tragique Les autorités annoncent l’ouverture d’une enquête pour déterminer les circonstances de la tragédie Le ministère de l’Intérieur déclare que toutes les activités extrasportives sont désormais interdites ici, ainsi qu’au Tata Raphaël.
Les concerts de Fally sont annulés. Le silence retombe sur le stade des Mart yrs. Ceux du 1er juin 1966. Et ceux qui sont morts ici au nom de la musique. ■ Z.L.
cer le Congo, et par extension l’Afrique, sur le devant de la scène.
Show ma n conv aincu, il as su me un st yle opulent. Il cultive son look , avec ses éter nelles lunettes noires et un sens de la mode af fûté. Une at tirance particulière pour les montres de luxe, parfois serties de diamants, aussi. Gamin, quand il commence à Kinshasa, il ne rêve pas d’être une superstar ou de devenir super riche, il veut des basket s et une voit ure. La passion pour les baskets est restée. Celle pour les voit ures aussi. Pour son prem ier clip solo, l’artiste utilise une Bentley Continental, son modèle préféré. Son garage en comptera it deux aujourd’ hui. Son sm ar tphone est un outi l de tr av ai l essent iel, qu'i l soit au sol, en av ion, en déplacement. Il dicte ses notes, ses pensées, écrit ses chansons, stocke de la musique, ses albums, des sons qui l’inspirent. Et le téléphone aussi est looké. Il aime les coiffes et les bérets, en particulier ceux d’une grande maison italienne. Il a lancé une marque de st reetwear, At titude, des jogg ings et T-shir ts qu’il porte lui-même Les fa shion maga zines s’intéressent à lui, et on le voit régulièrement dans les présentations de haute couture, notamment à Paris. Et même
À Abidja n, au x côté s de la Premi ère dam e de Côte d' Ivoire, Do m ini qu e Oua ttara, lor s du 8 e dî ner de ga la de la fo ndation Ch ildren of Africa, e n 20 22
Il le dit et le répète : il veut avoir de l’impact, faire bouger les choses, agir sur le terrain, surtout en RDC.
da ns la mode, le cha nteur anime les réseaux et les commentaires. Cer tains le trouvent au top de la tendance quand d’autres estiment que le recours, plus récent, au x grandes marques a tué le st yle audacieux des premières années… Ch anteur, bu si ne ss ma n, fa shion ad di ct… Fa lly cherc he également à sortir du portrait stéréot ypé de baron de la rumba congolaise. Le personnage qu’i l s’est constr uit se veut sociét al, impliqué Il participe et défend, représente son pays Il est reçu par Barack
Obama en 2012 da ns le cadre de la Young African Leaders Initiative Il est invité au sommet État s-Un is –A fr ique en décembre 2022, en présence du chef d’État Féli x Tshisekedi Il rencontre le président Joe Biden lors d’un dîner de ga la à Wash ington Il dialog ue avec d’autres, comme Albert II de Monaco. En février 2022, il croise Paul Kagame lors d’un déjeuner à la présidence sénégalaise (avec d’autres stars de la musique africaine). Les deux hommes se serrent la ma in, Fa lly ga rdant une cert aine raideur. Il y a photo. Et un torrent de réactions sur les réseaux sociau x. Les pro et les anti, compte tenu du contexte pa rt ic ulièrement compliqué entre le Rwanda et la RDC. Il est proche à Abidjan de la Première dame Dominique Ouattara et de sa fondation Children of Africa. Autant de contacts, de relations, d’ex plications et de plaidoyers qui lui ont permis, dit-il, de mener à bien des projets pour la fondation qui porte son nom à lui, qui agit sur le terrain, et qui fêtait ses dix ans le 13 av ril 2023 avec un grand concert à Kinshasa.
RESTER INTÈGRE
Touc he r à la politique peut se révéler risqué En févr ier 2023, Fa lly Ipupa est reç u à l’ Élysée pa r Em manuel Macron, juste avant la tour née du président français en Af rique centrale. La rencont re donne lieu à des éc ha nges sur la situat ion au pays. À Ki n, le contex te est boui llon na nt et l’image du président français particulièrement dégradée. Dès le lendemain de l’audience, une voiture du chanteur et l’une de ses maisons de Kinshasa sont incendiées. L’Aigle ne recule pas pour autant Il pose à nouveau avec le chef d’État français lors d’une soirée kinoise, un mois plus tard. Le cliché fait polémique, mais la colère se calme vite, et Fally peut annoncer de nouvelles dates de concert au célèbre stade des Mart yrs [voir encadré] L’artiste le dit et le répète, il ne fa it ca mpag ne pour per sonne, ne soutient personne. Il veut avoir de l’impact, fa ire bouger les choses, en
particulier en RDC. Malgré tout, s’approc her de la politique tout en étant star, c’est devenir un enjeu, parfois une cible. Depuis des an nées, Fa lly Ipupa est da ns le collimateur des « combattants » – une nébuleuse de la diaspora, des opposants congolais radicaux, aux af filiations complexes, et qui l’accuse, avec d’autres stars du pays, de se compromettre avec le pouvoir. En 2017, sa date à La Cigale avait été annulée par la préfecture de police de Paris en raison du risque de manifestations. Trois ans plus tard, en février 2020, son concert à l’Accor Arena, à Bercy, avait déclenché de violentes échauffourées et un spectaculaire incendie à la Gare de Lyon, à deux pas de la sa lle de concer t. Un coup dur pour l’image internationale de la rumba congolaise. Un concert aussi très particulier, qui se tient alors que l’épidém ie de Covid s’in stal le, et qui restera gravé comme l’une des toutes de rn iè re s gr an de s ma nif es ta ti on s publiques avant que le virus n’impose un confinement à toute la France (et ailleurs). Face aux « combattants », Fally ne cède pas à la pression Lors d’un entretien avec le mensuel frança is Jeune Af rique, à la veille du concer t événement du 25 novembre 2023, il persiste et il signe : « J’ai des amis combattants,
En ha u t, Fo rmul e 7 (2 022) et To kooos (2 017) En ba s, Power Ko sa Le ka (2 013) ; Arsenal de bell es mélodi es (2 00 9) ; Droit che min (2 00 6).
mais des vrais, pas des gens qui s’autoproc la ment combat ta nt s pour leur propre intérêt, qui prennent le combat pour un fonds de commerce, accuse-t-il. Eux, je ne les respecte pas. Je respecte les vrais combat ta nt s qui prônent la paix au Congo et en Afrique. »
Le ch a nteu r impl iqué ma intient donc ses concerts, ses programmes, ses actions. Il aura été l’un des panélistes de la conférence organisée par le Globa l Af rica Busi ness In it iative (GABI) lors de l’événement Unstoppable Africa, qui s’est tenu du 25 au 26 septembre en marge de la 79e réunion de l’Assemblée générale des Nations unies à New York. Orchestré par le GA BI, cet événement s’est déroulé parallèlement au Sommet du futur organisé par les Nations unies. Fa lly a pa rt icipé également à l’Af rica Day, une jour née de discussions et de débats, qui s’est tenue le 3 oc tobre à Paris. Il prépare également une tournée en France avec des dates à Marseille, Lille et Nantes pour la fin de l’année. Il écrit sûrement aussi, il prépare certainement ses prochains morceaux, son prochain album. Toujours soucieux de rester au sommet La position la plus difficile, celle où il faut tenir, se réinventer en permanence, pour être sûr de rester, de conser ver sa place. ■ Z.L.
L’AigledeKinshasa
Ilenafaitduchemin, en quarante-six ans, le petitFaustin Ipupa Nsimba…Ilnaîtle 14 décembre1977dans unefamillenombreuse àK inshasa et granditdanslequartierde Bandalungwa– fief du groupe my thique Wenge Musica,roi du soukous. Àl’époque,larumba et lesr ythmes dansants scandésen lingalafontragedanslacapitale. Il chante àl’égliseavecsamère et sa sœur,jouedes congas,delaguitare. Il admireles aînés :Franco, Tabu LeyRochereau,Lokua Kanza, mais aussiGeorge Benson.Trèsv ite, il débute dans lesorchestresderue, malgré la désapprobationdeson père.Jusqu’au jour où le producteur ivoirien DavidMonsohlerepère et le présente àlastarKoffi Olomidé.Ce dernierl’embauchedansson groupe Quartier Latin,oùilrestera sept ans. Il danse, chante,prend le surnom d’Anelka (comme le footballeur).Le tempsdesix albums,souslahoulette de sonpatron. Jusqu’en 2006,où c’estlarupture.IlquitteKoffi,et décide de volerde sespropres ailes. Uneondedechocdanslemilieude la rumbacongolaise. Àl’époque, on ne pariepas surlejeune protégéqui décide de s’affranchir –etessuiele courroux de sonmentor. Or,letitre du premieralbum de FallyIpupa, quisortlamêmeannée,présagede l’avenir :ils’intitule Droitchemin
La suite, on la connaît. L’ascensiondel’A igle,aussi surnommé DiCaplaMer veille (lechanteurest un aficionadode Leonardo DiCaprio), ou encore l’Empereur 200K,enréférence aux200 millionsdestreams recueillis parson dernieralbum, estvertigineuse. Sonquatrième
albumsolo, Tokooos,sorti en 2017, estcertifié Disque d’or en 2022 par le Sy ndicat national de l’édition phonographique (SNEP) en France. Première historique pour un artiste congolais. Fallya réussi le tour de forcedesortirlarumba du «ghetto» de Kinshasa, en la mêlant auxsonsurbains. Il invite desstars internationalessur la plupartdeses albums,comme les Français BoobaouM.Pokoraou le Nigérian Wizkid. Il mélangele lingala, le français et l’anglais. En résulteunafropop quicartonne, entreritournellesd’amours déçues et ry thmesendiablés,etqui fait danser dans le mondeentier.
DÉTERMINATION ET ENGAGEMENT
Autreclé du succès,lecôté ultrabosseurdeFally, selon ceux quile côtoient dans le milieumusical.Ilest vrai quelastarcongolaisemultiplie lesconcertsetles prestations dans le mondeentieràunr ythme très soutenu. ÀParis,après des débuts àl’Oly mpia ou au Zénith, il s’estproduit au ParisLaDéfense Arenaennovembre2023, devant 40 000 spectateurs.Ilatournéau
Tchad, en Zambie,enA ngola, en AfriqueduSud,auNigeria, en Côte d’Ivoire,auCameroun,auGabon, au Niger… Et aussiauDanemark, àDubaï,àLondres.Làencore, il estattendu pour unetournée aux États-Unis débutnovembre. Il a fait entrer la rumbacongolaise, parailleurs inscrite au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco en 2021,dansleson mondial. Mais la particularitédeFally, c’estderester profondément congolais,malgréson succès planétaire. Il séjourne autant àParis qu’à Kinshasa, où il ason studio et la FallyIpupa Foundation, quis’occupenotamment de soutenir lesmèresdéfavorisées. Il est depuis 2018 ambassadeurdebonne volontédelamission desNations uniesauCongo (MONUSCO) dans la luttecontre le recrutement d’enfants parles groupesarmés en RDC. ÀK in,c’est unestarmonumentale, au pointque sesshows finissent parfoisendrames, tant sesfansse bousculent.Comme au stadedes Mart yrs [voirencadré].Le16août dernier,unconcert prév uàGoma adûêtreannulé: lesforcesde l’ordreétaient dans l’incapacité d’assurer la sécuritédelastaret desspectateurs…Car en RDC, on idolâtre lesvedettesdelarumba.On suit leurs actualités surlatoile,qui expose lesbrouilles et lesjalousies Commeles relationstoujours tenduesentre Koffi Olomidé et Fally, malgré quelques photos, où chacun essaie de fairebonne figure.Lors d’uneconférence de presseà Paris en 2023,ildéclarait :« J’ai toujours la rage,comme si je n’avaisrien fait !» Au vu du parcours incroyable déjà accompli,onpeutdonc s’attendre àdenouvelles prouesses. Pour le bonheurdes fans ■ E.P.
ré si stan ce
Joseph Oleshangay
L’INJUSTICE FAITE AUX MASSAÏS
Depuis plus de deux ans, ce peuple pastoral est chassé de ses terres ancestrales.
Les raisons sont politiques, essentiellement liées au tourisme et à un accord entre le gouvernement et la société émiratie OBC.
Face à la spoliation, l’avocat est déterminé à défendre la voix de son peuple.
propos recueillis par Cé dric Go uver ne ur
Au nom de la conser vation de la faune, le s autorité s ta nz an ie nn es ch er ch en t depuis 2022 à ex pu lser les Massaïs de leurs terres pour les relocal iser da ns l’est du pays. Ce p euple, qu i pratique l’ag ropa stor al isme et ne chasse pas, dénonce une politique menée au profit du tourisme de masse et de la chasse de luxe, et notamment d’une société de chasse émiratie, OBC, avec qui la présidence tanzanienne entretient d’étroites relations. L’avocat massaï Joseph Oleshangay était en septembre de passage en Europe, afin de plaider la cause de son peuple. Nous l’avons rencontré dans les locaux parisiens de l’ONG Surv ival International, qui défend les droits des peuples autochtones à travers le monde.
AM : Il y a un peu plus de deux ans, en juin 2022 , démarraient l’expulsion des Massaïs de Loliondo et leur transfert vers l’est du pays. Quelle est la situation, désormais ?
Jo se ph Ol es hang ay : Le s ex pu lsion s se pour su ivent à Loliondo – 1 500 km2 transfor més en réserve de chasse au seul bénéfice de la société émiratie OBC. Nous sommes allés devant les tribunaux pour essayer de récupérer nos droits sur ces terres. En juillet, la commission électorale a cherché à exclure Ngorongoro, au prétexte que les habitants sont supposés vider les lieux et s’installer à Msomera [situé 600 km à l’est, ndlr]. Ainsi, des villages entiers ont été rayés des listes électorales. Nous avons donc mobilisé la population et organisé des manifestations pendant six jours Les autorités ont finalement abandonné ce projet de refonte des listes électorales. Mais cette tentative de nous exclure du vote confirme que nous sommes considérés comme des citoyens de seconde zone. À Ngorongoro, des écoles ont déjà été détruites et des dispensaires de santé rendus inopérants [l’avocat nous montre sur son té léphone la photo d’une cla sse bondée , le s écoliers étant cont raints de s’y enta sser, ndlr]. Depuis octobre 2023, les véhicules garés devant les bomas [les villages traditionnel s ma ssaï s, ndlr] sont verbalisés Les gens ont pourtant besoin de moyens de locomot ion da ns leur vie quot idienne pour des serv ices divers, comme l’ambulance ou le transport des courses Les commerçants qui livraient de la nourriture ont dû augmenter leurs prix pour compenser les amendes. C’est un nouveau moyen de pression, afin de rendre la vie quotidienne impossible à Ngorongoro
Le s man ifestations contre l’év iction tourne nt à l’af fronte me nt, à Lo liond o, en ju in 2022 .
Combien de Massaïs de Loliondo et Ngorongoro ont jusqu’ici été déplacés à Msomera ?
Il s sont envi ron 9 000 à avoir été déplacés Ma is les terres appartiennent déjà à d’autres personnes, ce qui crée des conf lits avec les nouveaux arrivants. Huit personnes de Msomera, dont les terres ont été attribuées par les autorités à DR
des déplacés de Ngorongoro, ont entamé des poursuites judiciaires. Mais ces dernières sont depuis menacées et harcelées par la police et les autorités. À Loliondo, en juin 2022, les affrontements avaient été violents, il y avait eu des tirs [plusieurs di zaines de Ma ssaï s avaient alors été blessés par les forces de l’ordre, et un policier tué d’une flèche, ndlr]. Et à Ngorongoro, où il y a beaucoup de tourisme, les actions sont plus subtiles : ils tentent de réduire les gens au silence en rétribuant leur déplacement à Msomera – l’équivalent de 3 000 dollars pour une famille. Ensuite, à Msomera, l’armée est chargée de maintenir l’ordre [la zone est fortement militari sée, comme ont pu le constater les rares journali stes qui se sont rendus di scrètement sur place, ndlr] Dans la zone de Ngorongoro, au moins, nous avons encore la possibilité de faire entendre notre voix. Des expulsions ont aussi eu lieu en mai dernier dans neuf villages massaïs autour de l’aéroport international du Kilimandjaro [près d’Arusha et Moshi, ndlr].
Les liens entre la présidente et OBC sont-ils questionnés par la classe politique, les médias et la société civile de Tanzanie ?
L’influence des Émirats arabes unis (E AU) sur les autorités tanzaniennes fait l’objet d’un débat public La Tanzanie a
Sa m ia Sul uhu Ha ss an inspe cte une gard e d’honn eu r de s fo rc es arm ée s après êt re deve nu e la prem iè re fe mme présid ente de son pays le 19 mar s 20 21, à Da r es Sa laam
« Les autorités engrangent d’importants revenus grâce au tourisme, mais c’est un développement injuste. »
« Nous voulons développer un modèle de conser vation de la nature sans violence envers les personnes, sans saisie de terres. »
conclu un accord plaçant tous ses ports sous la responsabilité de la société émiratie DP World. Il y a eu des protestations à ce sujet, et certaines personnes qui appelaient à manifester ont été ar rêtées et accusées de trahison, y compris des avocats qui contestaient devant les tribunaux l’accord avec DP World. L’influence d’OBC est devenue plus év idente que jamais : son directeur a tenu ouvertement un appel Zoom avec les ministres et les hauts fonctionnaires du gouvernement au sujet de la réserve de chasse d’OBC à Loliondo.
Avez-vous des contacts avec la présidente de la République unie de Tanzanie, Samia Suluhu Hassan ?
Nous av ions tenté, mais nos appels étaient demeurés sans réponse. La condition posée pour pouvoir être reçus était au préalable de cesser les manifestations. Mais au x dernières nouvelles, elle serait prête à nous recevoir.
Le tourisme est en forte croissance en Tanzanie : le pays annonce avoir reçu deux millions de visiteurs l’an dernier.
Deux millions de visiteurs dont, semble-t-il, un million à Ngorongoro Les autorités engrangent d’importants revenus grâce au tourisme, mais cela ne se traduit pas concrètement dans la vie des communautés massaïs. C’est un développement injuste et déséquilibré.
Les communautés massaïs plaident pour une « vision massaï de la préservation de la nature et de la souveraineté des terres », différente de ce que les peuples autochtones et les ONG, telles Survival International, taxent de « colonialisme vert »…
En effet, nous autres, Massaïs, connaissons la nature et nous en prenons soin. Contrairement à la chasse aux trophées, l’agropastoralisme massaï n’est pas l’ennemi de la faune sauvage, il lui est complémentaire Nous voulons développer un
Un gu er ri er mass aï en hab it tradi ti on ne l dans le cratère du Ng orong oro.
modèle de conser vation de la nature sans violence envers les personnes, sans saisie de terres. Dans notre vision idéale de la conser vation, la chasse aux trophées serait interdite – elle est immorale et incompatible avec l’écologie Nous demandons aussi que les décisions soient prises par les communautés locales, et non par le gouvernement, afin d’év iter l’affairisme, comme c’est le cas aujourd’hui avec OBC. Le modèle tanzanien de conser vation en « forteresse », avec des réserves vidées de leur population humaine, est contesté aujourd’hui non seulement par les Massaïs, mais aussi par des personnalités
de l’opposition, comme Tundu Lissu, candidat à la présidentielle de 2020 pour le parti Chadema [les prochaines élections sont programmées pour octobre 2025, ndlr]. En août dernier, l’Église catholique a condamné la radiation de villages massaïs des listes électorales, et la Tanganyika Law Societ y (l’A ssociation des avocats de la Tanzanie continentale) a demandé à une équipe d’enquêter sur la situation à Ngorongoro Depuis 2023, une société émiratie, Blue Carbon LLC, signe des accords de crédits -carbone avec des États africains, y compris, semble -t-il, en Tanzanie.
Beaucoup de villages dans le dist rict de Long ido, da ns la région d’Ar usha, font désormais l’objet de projets de crédits-carbone. Les accords sont signés par les autorités sans concer tation avec les communautés loca les, qui seront pourtant les premières concer nées. On parle de millions d’hecta res – 8 mil lions en Tanzanie ! – sans aucun détail sur le contenu de ces accords. Les villageois sur place n’osent guère en pa rler. Ils sont intimidés, ig norent tout du contenu des accords, et redoutent une future modification du stat ut foncier de leurs terres ■
VISA POUR L’IM AGE 2024 Dans l’œil de ceux qui
voient l’horreur
par Zyad Lim am
LE 36E FESTIVA L international de photojournalisme,
« Visa pour l’image », qui se tient chaque année à Perpignan, n’a pas pu échapper à la violence du monde, et en particulier à la tragédie sans fin de Gaza. Depuis les attaques meurtrières du Hamas, le 7 octobre 2023, l’enclave est sous le feu indiscriminé de l’armée israélienne. Destruction complète, populations civiles déplacées, bombardées, au moins 40 000 victimes, parmi lesquelles un nombre stupéfiant et sans précédent d’enfants… L’enclave, Gaza Cit y, qui f ut aussi la plus grande v ille palestinienne au monde, est un immense champ de ruines, son histoire et sa culture comme effacées. Les journalistes et photographes palestiniens, témoins de l’horreur, auront payé un lourd tribut à la guerre. À ce jour, au moins 170 d’entre eux ont été tués. C’est leur travail, leurs témoignages à la fois tragiques et historiques que Visa a voulu mettre en avant dans un contexte particulièrement tendu. Mahmud Hams (A FP) a reçu le Visa d’or news. Loay Ayyoub (Wa shington Post) le prix de la ville. Et Samar Abu Elouf (New York Times) le Visa d’or de la presse quotidienne.
LOAY AY YOUB
(The Wa sh ington Post)
« VISA » N’AURA PAS ÉCHAPPÉ aux tensions et aux divisions liées à la guerre. Le maire Rassemblement national (extrême droite) a ref usé de remettre le Visa d’or de la ville de Perpignan Rémi Ochlik au photographe gazaoui Loay Ay youb. Le correspondant du Wa shington Post, aujourd’hui réf ugié en Ég ypte, n’a pas obtenu son visa pour la France sous prétexte que « les conditions de son séjour n’étaient pas fiables ». Loay Ay youb était début septembre toujours en attente d’un permis de travail en Ég ypte.
Ga za City, le 8 oc tobre 2023
La tour Al-A klou k, on ze ét ages, est détr uite pa r un ra id aérien. Depu is, la vi lle a été rayé e de la ca rte, et l’enclave a su bi un nombre de bombardement s inéd it depui s la Se conde Guer re mond ia le.
Une Pa le st inien ne blessé e de la fa mil le Ba ra ka , entourée de se s en fa nt s à l’ hôpita l Na sser de Kh an Younès, au sud de la ba nde.
MAHMUD HAMS (AFP)
Le jou rn ali ste pa le st inien a obtenu le Vi sa d’or news Il travaille avec l’Agence France-P re sse depui s 20 03 Une en fa nc e à Ga za , vi ng t-et-u n an s de conf lits et de drames. Au be au mi lieu de ru ines.
Ma hmud Ha ms a qu it té Ra fa h en févr ier 2024 avec sa fa mi lle. Il travaille aujourd’ hu i depui s le Qata r. Le s « déla is d’obtent ion » d’un vi sa pour la France ne lu i ont pa s perm is de se rend re à Perpig na n pour re cevoir son pr ix
Ci-c ontre, Kh aled Joudeh ,9a ns, pleu re sa jeu ne sœur tuée da ns le sbom ba rdements
Ci-dessous, de senfants réfu giés da ns uneé cole de sNat ions unies crai gnentu ne frappe israél ienne.
SAMARABU
ELOUF (TheN ew York Ti mes) Unefem me témoi n de la guer re. Photog raphe depui s2010, Sa ma r AbuE louf vitàGaza et travailleave cle grandq uot id iennewyorkai sdepui s2021. El le mont re sa vi lle di sparue, s’at tache àdes port ra it s de Ga zaou is, at rava illésur la question de sfem me s da ns l’encl ave. Vi sa d’or de la presse quot id ienne.
en tr ev ue
Alaa El Aswany LA RÉVOLUTION CONTINUE
Observateur attentif, il décrit avec fnesse les aspérités sociétales et les complexités politiques de son pays d’origine, l’Égypte. Ses livres y sont censurés. Aussi, l’acte d’écrire pour lui, fervent défenseur de la liberté et de la démocratie, prend une véritable dimension de résistance. Rencontre. propos recueillis par Ca th er in e Fa ye
On le connaît su rtout pour son succè s littéraire L’Immeuble Yacoubian, traduit dans 34 langues et adapté à l’écran par Marwan Hamed en 2006 Dans cet édifice du cent re du Ca ire autrefois grandiose, les habita nt s fa isaient face à la corr uption oppressante du régime et à la montée de la pression islamiste. Dans son cinquième roman, porté par une bande d’amis qui se retrouvent régulièrement au ba r d’un restau ra nt d’Alexandr ie pour de longues soirées de discussions, il explore la complexité de l’Ég ypte des années 1960, sous le régime de Gamal Abdel Nasser, parvenu au pouvoir après avoir renversé le roi Farouk Si x ans après J’ai cour u vers le Nil, où il narrait la révolution ég yptienne de 2011 – dont il fut l’un des piliers –, il observe la transformation sociale et politique de la cité portuaire méditerranéenne Le roman explore les effets de la dictature sur les habitants d’or ig ine eu ropéen ne de la vi lle-monde my th ique, qui se trouvent progressivement exclus de la société ég yptienne Et questionne, à travers des destins singuliers qui se croisent, la nature du cosmopolitisme, la continuité des régimes autoritaires jusqu’à aujourd’hui et la manière dont la répression façonne les identités personnelles et collectives. Romancier, nouvelliste et essay iste, Alaa El Aswany vit aujourd’hui en exil aux États-Unis, où il enseigne la littérature. Interdit de publication et d’expression dans son propre pays, l’Ég ypte, il défend ardemment les valeurs de la démocratie et n’a de cesse de dénoncer les dérives politiques
AM : Entretenez-vous une relation particulière avec Alexandrie ?
Alaa El Aswany : J’ai toujours vécu au Caire, mais j’entretiens avec cette ville comme un rapport de séduction Je parle souvent d’elle comme de « l’autre femme ». Celle qui a tout ce que la femme officielle n’a pas. J’en suis tombé amoureux très tôt. Mon père était originaire du sud de l’Ég ypte Son nom, et donc le mien, Aswany, signifie « celui qui vient d’Assouan ». Mais ma mère et la moitié de ma famille sont issues d’Alexandrie. J’y ai donc passé toutes mes vacances, et mes amis étaient pour la plupar t d’or igine européenne, comme mes personnages. Très jeune, je les ai vus partir les uns après les autres, quitter l’Ég ypte, sans comprendre ce qu’il se passait. Qu’ils soient d’ascendance juive, grecque, française, ar ménien ne ou italienne, ils étaient pourtant tous Ég yptiens. Alexandrie, longtemps célébrée comme la capitale du cosmopolitisme, une ville où tout le monde était accepté, avec sa diversité d’identités, de langues, de cultures, se vidait de ceux et de ce qui faisaient sa singularité. Peu à peu, j’ai compris que c’était le fait de la dictature, qui s’appuie sur la théorie du complot et la xénophobie. J’ai donc choisi le début des années 1960 pour mon récit, parce que c’est à ce moment-là que les Ég yptiens d’origine européenne ont commencé à être considérés comme des étrangers. Et qu’un changement s’est opéré. Entre 1964 , date à laquelle vous situez votre roman, et aujourd’hui, quelles transformations ont marqué la ville ?
Sous l’ère nassérienne, Alexandrie s’est pr og re ssivement tr an sformée e n ba na le cité balnéaire, avec des constructions d’une grande laideur, où la créativité architecturale de l’époque, les palais, les villas et les places haussmanniennes ont été rasés ou sont tombés en ruines Ne subsistent que de ra res vestiges de sa beauté. La corniche n’est plus qu’une sorte d’autoroute qui sépare la ville de la mer. Une trace cosmopolite demeure – même si, d’un côté, la dictature militaire ne comprend pas ce que cela signifie, et que, de l’autre, les islamistes ne conçoivent pas du tout que quelqu’un puisse être différent. Au cœur de votre récit, il y a le spectre de Nasser. Qui était cet homme à la fois idolâtré et craint ?
« Malgré la proscription, je suis lu dans mon pays et je suis en contact avec les jeunes. Je leur fais confiance.
Ils sont l’épine dans le pied du régime. »
qui éveillait l’exaltation du sentiment national et qui a choisi l’idéologie. En 1964, où je situe mon roman, il est au pouvoir depuis douze ans et le régime autoritaire est en place. Mes personnages débattent de cela. Ils sont divisés face au leader, à l’actualité nationale, et les points de vue se conf rontent. Dans mon livre Le Sy ndrome de la dictat ure, paru en 2019, j’ai essayé de comprendre ce phénomène, que ce soit en Italie, en Allemagne, en Amérique latine… La plupart des dictateurs du XXe siècle ont été vénérés par leur peuple. Je pense que c’est un besoin psychologique de vouloir se sentir protégé. Le dictateur devient le « père », celui qui veille sur nous Ce n’est pas la personnalité du dictateur qui compte, c’est le régime dictatorial. Je donne toujours l’exemple d’une voiture cassée, hors serv ice. Il ne sert à rien de discuter avec le chauffeur pour essayer de la faire fonctionner, car elle est irréparable. Dans cette métaphore, la voiture est le régime politique : la dictature. Et le chauffeur, c’est le président. Nasser avait beau avoir beaucoup de qualités, le véhicule était inutilisable. Aujourd’hui, l’homme au pouvoir est différent – et Abdel Fattah al-Sissi est le pire des dictateurs –, mais le régime est le même.
Alaa E l Aswa ny, Au so ir d’Al exandrie, Acte s Sud, 38 4 pages, 23,5 0 €
Nasser aimait son pays et son peuple. Il détestait l’injustice, était honnête et courageux. Il avait un charisme exceptionnel, une grande influence sur les gens. Adulé après la nationalisation du canal de Suez, il a réussi une certaine politique sociale et est devenu le leader du panarabisme, dont il s’est fait, à part ir de 1954, le héros et le sy mbole. Sa popularité débordait des frontières de l’Ég ypte, dans tout le monde arabe. Mais c’était un dictateur,
Quelle serait l’une des explications de cette mainmise ?
La dictat ure a pour but de constr uire ce que j’appelle le « bon citoyen », celui qui s’intéresse avant tout à sa famille et en fait son projet personnel principal : « Mes enfants, ma femme, ma maison ou mon appartement, mon boulot… Le reste, je m’en fiche. » Avec cette façon de vivre, comme on le voit dans le roman, la dictature se faufile partout et arrive chez soi. D’ailleurs, lorsque l’on met en prison ceux qui pensent ou agissent différemment, on leur demande : « Vous avez des enfants ?
Gam al Ab del Nas se r ac cu eill e le s trou pe s de retour du Yé me n à Al exa ndri e, le 12 ao ût 1963
Comment s’appellent-ils ? Pourquoi ne vous occupez-vous pas plutôt d’eux ? Vous leur gâchez la vie avec vos idées… » Or, aujourd’hui, les Ég yptiens sont plus divisés que jamais, car la nouvelle génération – celle qui a fait la révolution de 2011 –commence à lire et à comprendre que l’époque nassérienne était une dictature, avec beaucoup de choses négatives, et qui perdure. Tout le contraire de leurs parents, qui vénéraient le leader Il ne faut pas oublier que 60 % de la population ont en dessous de trente ans. Les jeunes ont une vision différente et essaient de réévaluer l’histoire d’une autre manière. Ont- ils accès à vos livres et êtes -vous en contact avec eux ?
Tous me s ouvr ages sont inte rd it s en Ég ypte. Ma is aujourd’hui, on ne peut plus faire obstacle : les textes circulent, je reçois chaque jour des messages sur ce que j’écris. Malgré la proscription, je suis très lu dans mon pays et je suis en contact avec les jeunes Je leur fais confiance. Ils sont l’épine dans le pied du régime, l’élément que les autorités en place n’arrivent pas à comprendre, parce qu’ils sont différents et qu’ils ne sont pas politiques Ils veulent vraiment un changement, quitte à en payer le prix. Les militaires, les mêmes que sous Moubarak, n’ont toujours pas compris ce qu’il s’est passé lors de la révolution. Ils pensaient que les Ég yptiens étaient un peuple soumis et qu’ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient. Et tout à coup, il y a eu des millions de personnes dans les rues. Alors, ils sont allés raconter que les jeunes avaient été payés par le
Mossad, que c’étaient quelques intellectuels qui avaient joué un rôle majeur dans cette révolution et que la solution serait de les faire taire ou de les mettre en prison. Mais, malgré la répression et l’accession au pouvoir de M. Sissi à la faveur d’un coup d’État, ces di x-huit jours ont changé l’Ég ypte Et tous ces manifestants, même s’ils ne parlent plus, au risque d’être envoyés en prison, sont forcément toujours là. Pensez-vous qu ’à un moment donné, quelque chose va se passer ?
Absolument, le mouvement continue. Il y a comme des vagues Si l’on prend la Révolution française pour modèle, cela a pris beaucoup de temps. Il y a eu des phases, des bouleversements politiques et sociaux, des périodes de grande violence, le chaos, mais à la fin, il y a eu l’abolition de l’Ancien Régime et l’établissement définitif de la République. Je suis optimiste et je pense que la révolution se poursuit. Néanmoins, je ressens de la tristesse pour mon pays, parce que quel que soit mon désaccord avec le régime, j’aimerais qu’il sorte de l’impasse. L’Ég ypte est en grave crise économique, à tel point que deux tiers des 106 millions d’habitants vivent en dessous ou juste au-dessus du seuil de pauv reté. Le conf lit entre Israël et le Hamas, qui a démarré le 7 octobre 2023, a eu un impact externe sur l’économie, qui est dégradée conjoncturellement et fragile structurellement. De plus, le pays est fortement endetté. Et c’est le serpent qui se mord la queue, car il faut toujours s’endetter plus pour payer les intérêts des
prêts précédents À cela, s’ajoute le fait que M. Sissi lance des projets très chers pour la gloire, comme la construction de la mosquée Al-Fattah Al-A lim à l’entrée de la nouvelle capitale administrative, à environ 45 kilomètres à l’est du Caire, en plein désert Cette mosquée est considérée comme l’une des plus grandes du monde arabe et du Moyen-Orient. Alors que la population n’a même pas de quoi nourrir ses enfants. Vous voyez, il y a deux Ég ypte. Celle qui a de la chance, qui est sous la lumière, celle des élites, à laquelle M. Sissi appartient. Et il y a malheureusement la grande Ég ypte, dans l’ombre. De quelle manière l’Occident se prononce -t-il ?
Dès que les gens se révoltent, toute la formule internationale est bousculée. Mais pas dans le sens que l’on pourrait souhaiter Je me souv iens de Nicolas Sa rkoz y pa rlant de la sagesse de Hosni Moubarak, de sa stature de grand leader Je l’ai entendu en personne à l’ambassade de France au Caire. Dès que la révolution est arrivée, il a changé son fusil d’épaule et annoncé son soutien aux jeunes révolutionnaires, qui écrivent et réécrivent l’histoire de l’Ég ypte Les gouvernements occidentaux parlent de principes, prononcent les plus belles phrases, mais ne s’intéressent qu’à leurs intérêts. Comment faites -vous pour continuer à y croire, à être optimiste ?
J’ai trouvé cette force place Tahr ir, en étant témoin de choses inoubliables J’ai vu des gens prêts à se faire tuer pour la liberté. C’était l’hiver, et je me souv iens de ces personnes pauv res qui apportaient de la nourriture pour les manifestants. De ce vieil homme, surtout, qui déposait chaque jour 400 sandwichs, comme ça, alors que lui n’avait même pas de chaussures. Alors, oui, je crois en ce peuple. Vous êtes parti en exil à New York en 2018. Qu ’est-ce qui vous manque le plus de l’Égypte ?
Je ne veu x pas de l’Ég ypte de M. Sissi, mais mon pays libéré, oui. La dictat ure a commencé en 1952 ; la version actuelle est pire que jamais. J’ai dû partir, car je suis interdit de publier, d’écrire, d’apparaître à la télévision, de faire des rencontres littéraires J’animais un séminaire cult urel hebdomadaire, et ceux qui venaient y assister ont commencé à être arrêtés. Chaque fois que je voyageais, on me gardait à l’aéroport deux ou trois heures Il n’y a pas eu de décision officielle pour que je quitte le territoire, mais on m’a rendu la vie impossible. Il m’a fallu cinq ans – entre 2013, quand M. Sissi a renversé le président Mohamed Morsi par un coup d’État militaire, et 2018 – pour décider de quitter mon pays. Ce n’était plus possible. Je suis parti avec ma famille, parce que je ne peux pas vivre dans un pays où l’on m’interdit d’écrire Êt re écrivain est pour moi la chose la plus importante. Ce qui me manque, bien sûr, ce sont mes amis, ma maison – j’ai travaillé pendant trente ans pour pouvoir la faire construire Mais la situation en Ég ypte ne me manque pas. Il est impossible, inconcevable, pour moi de rester dans un pays où les conditions sont inacceptables.
« Le rôle de la littérature est de décrire l’histoire humaine. Sous la politique, il y a les histoires d’amour, individuelles et collectives. »
Cependant, aux États-Unis, où vous vivez , la censure des livres n’a jamais été aussi importante. Cela vous inquiète -t-il ?
C’est vrai, des milliers de livres ont été interdits et retirés des écoles, des facultés, des bibliothèques… Je vous répondrai une fois de plus par une analogie. Si je n’ai pas de voiture, pas de vélo, aucun moyen de locomotion, et que je dois marcher quatre heures par jour pour arriver à mon travail, et si, de votre côté, vous avez une voiture et que vous mettez quinze minutes pour vous rendre au bureau, mais que vous m’expliquez que votre véhicule est d’occasion, a une petite défaillance électrique, que cela vous ennuie… Vous ne pouvez pas me dire que nous avons des problèmes tous les deux, parce que ce n’est pas vrai : vous avez une voiture et pas moi. La voiture, c’est la démocratie.
Vous parlez d’Alexandrie et de ces personnes aux racines européennes qui doivent en partir.
Cela ne parle-t- il pas de ce qu’il se passe ailleurs, aujourd’hui, la peur de l’autre, en Europe ou aux États-Unis ?
Bie n sû r. Le co s mopoliti sme qu ’i nc ar na it Alex andr ie à l’époque est le cont raire de ce qu’il se passe de nos jours. Lorsque j’étais au lycée frança is du Ca ire, da ns les années 1960, on fêtait encore toutes les religions. Et rappelez-vous, dans mon roman, Tony, le chocolatier, fait fabriquer des friandises spécifiques pour chaque fête religieuse. Jusqu’à ce que le régime s’emploie à effrayer les hommes et les femmes aux origines diverses, avec l’introduction d’espions, de délateurs, l’instauration de vagues de xénophobie et de propagande. Maintenant, lorsque l’on présente les autres comme des ennemis, en disant qu’ils sont différents, qu’ils nous détestent à cause de notre liberté, cela met le monde et les gens dans une situation très difficile et déroutante, car les êtres humains ont besoin les uns des autres Effrayer ses concitoyens est une ar me, un argument terr ible qu’utilisent les puissants pour accéder au pouvoir ou le conser ver. Voyez Donald Trump, qui raconte que les immigrés mangent les chiens et les chats des
Américains Avec de telles inepties, encore une fois, il tire profit de ce qui se rapporte à la famille – en l’occurrence, les animaux domestiques. C’est misérable. Je me rappelle aussi avoir entendu M. Zemmour, qui se présentait comme émigré et fils d’émigrés, exprimer son opposition aux prénoms d’origine étrangère. Cet homme d’extrême droite, xénophobe et autoritaire, est allé jusqu’à dire que Zinedine Zidane aurait dû s’appeler Jean. Et puis quoi, encore ?
Autrefois, pour imaginer vos personnages, vous puisiez dans les rencontres que vous faisiez au Caire, dans votre cabinet dentaire ou au coin de la rue.
À New York, comment cela se passe-t- il ?
J’ai toujours pas mal de personnages en tête Et puis, je fais des rencontres partout, où que j’aille Je vis près de Brookly n, où j’ai mon bar préféré : le Rullo’s, sur la 5e avenue. J’y passe du temps, et c’est en grande partie ici que j’observe. Les clients qui y viennent sont très intéressants, et le propriétaire, un intellectuel américain de gauche, est devenu mon ami Le barman, qui est mexicain, aussi. C’est vraiment un endroit qui m’inspire, et sur lequel je pense d’ailleurs écrire un jour Le rôle de la littérature est de décrire l’histoire humaine. Sous la politique, il y a les histoires d’amour, les histoires individuelles et collectives. Les livres sont le produit d’un art sur les gens et pour les gens. Alors je dois être avec eux, qu’ils soient Amér icains, Ég yptiens ou Français
Une grande leçon de la littérature, c’est que malgré nos différences – de couleur de peau, de croyances, d’habitudes… –, nous sommes finalement tous des êtres humains, avec les mêmes sentiments, des rêves similaires. Il m’est donc essentiel d’être avec les autres Vous parlez d’amour dans votre roman.
Peut-il changer le monde ?
pas. Cela a duré plus d’une semaine. Pour une seule scène. Il m’était impossible de trouver les mots. Quelle musique ou chanson pourrait être la bande -son de votre roman ?
Ya Mustapha, « Chéri je t’aime, chéri je t’adore », que mes personnages écoutent à l’occasion d’un dîner festif. Le choix de cette chanson franco-arabe très populaire n’est pas le fait du hasard. Elle a été composée par Bob Azzam, un jeune Alexandr in d’or igine libanaise, et porte la marque du cosmopolitisme de cette ville, de ces millions de francophones qu’il y avait en Ég ypte à l’époque de la tolérance… Mais ce que peu de gens savent, c’est qu’elle a été interdite pendant un an par le pouvoir, à sa sortie en 1959, pensant qu’elle faisait référence à Mustapha Nahas, le leader du Wafd, l’un des plus anciens partis politiques ég yptiens – avec lequel Nasser avait des soucis D’après l’officier chargé de la censure, Bob Azzam
Au Ca ire, en 2013, un e fe mme brandit le drap ea u égypti en deva nt la p lac e Ta hr ir, après le coup d’État contre le présid ent Mo rs i.
Absolument Chaque histoi re d’amour est un mirac le Parce que c’est quelque chose que l’on ne décide pas – et c’est ce qui arrive à quelques-uns de mes personnages. L’expression française « tomber amoureux » est d’ailleurs très explicite. Cette affinité, ce sentiment, pas seulement entre un homme et une femme, est un principe d’union universel et figure une solution humaine. Il est très facile de créer des conf lits Ce qui est dur, c’est de dépasser cela grâce à l’amour, qui permet de devenir un être humain plus tolérant et ouvert. L’écriture d’un livre est elle-même une histoire d’amour. On vit à travers ses personnages. Les scènes qui font parfois pleurer mes lecteurs m’ont fait pleurer, moi-même, tandis que je les écrivais. La scène de torture dans mon roman J’ai cour u vers le Nil m’a demandé beaucoup de temps, parce qu’il m’a fallu dépasser la douleur que j’avais en la rédigeant. Je vivais déjà en Amérique, je me réveillais chaque matin pour écrire et je n’y ar rivais
sous-entendait qu’il regrettait celui qui avait été sept fois Premier ministre Le choix de cette chanson est particulièrement significatif.
Le titre de votre dernier roman, Au soir d’Alexandrie, et ce que vous nous contez ont quelque chose de nostalgique…
La nostalgie a toujours été une motivation littéraire très forte, qu’elle soit liée à l’enfance, à l’amour, à des lieux. Elle sous-tend l’écriture, comme une émotion du retour, du regret, auquel on associe des sensations agréables ou non. À la fin de mon roman, Tony, qui doit quitter Alexandrie, fond en larmes
Cet émoi du départ traverse d’une manière ou d’une autre tous mes personnages, qui aiment profondément Alexandrie. À l’aune du poète Constantin Cavafis, qui se considérait comme Alexandrin grec, et que je cite en exergue : « Toujours à cette ville tu aboutiras. Et pour ailleurs – n’y compte pas – il n’y a plus pour toi ni chemin ni navire » ■
en tr et ie n
Amira Ghenim
L’histoire est écrite par ceux qui osent en raconter des fragments »
«
L’intellectuelle tunisienne réhabilite la fgure méconnue de Tahar Haddad pour mieux raconter la Tunisie, celle d’hier comme d’aujourd’hui. Et surtout pour paver la voie de celle de demain. propos recueillis par As tr id Kr iv ian
Pour son deuxième roman, Le Désastre de la maison des notables (Philippe Rey, 2024), l’éc riva ine tu ni sien ne place Ta ha r Haddad, personnal ité historique, au cœur de son intrigue. Da ns le Tu ni s de s an né es 1930, da ns un pays en plei ne ef fervesce nce politique, so ciale et cu lt urelle, deux familles bourgeoises, les Naifer, conser vateurs, et les Rassaa, progressistes, s’af frontent. Une nuit, Zbeida Rassaa, mariée à Mohsen Na ifer, est soupçonnée d’avoir une liaison avec Tahar Haddad. Chacun leur tour, à différentes époques, les membres des familles et leurs domestiques vont raconter leur propre version de l’histoire, narrant les événements et leurs conséquences désastreuses selon leur point de vue, plongeant à la fois dans leur passé comme dans celui du pays. Ce roman choral captivant embrasse plus de cinquante ans d’histoire tunisienne et de combats pour les droits des femmes Dans cette saga fa mi liale, secret s, mensonges et vérités s’entremêlent, laissant au lecteur la liber té de rassembler les pièces du puzzle Agrégée d’arabe, Amira Ghenim enseigne la linguistique à l’université de Sousse, où elle est née en 1978. Elle est aussi jour naliste et chroniqueuse radio, autr ice d’essais universitaires et d’un premier roman Le Dossier jaune (2021) Aujourd’hui traduit en français, Le Désa st re de la maison des notables a été finaliste de l’Arabic Booker Prize, et a reçu le prix Comar d’or en Tunisie en 2021.
AM : Avec ce roman, vous payez votre dette au militant et auteur progressiste Tahar Haddad, dites-vous. Amira Ghenim : Avant-gardiste, féministe, ce grand homme a été le premier à défendre les droits des femmes tunisiennes. Publié en 1930, mal compris, son essai révolution naire Notre femme dans la légi slat ion islamique et la société a fait couler beaucoup d’encre. Ta ha r Haddad y défendait nota mment l’égalité dans l’héritage, l’abrogation de la polygamie, la suppression de la répudiation au prof it de la légalisation du divorce via la Cour magist ra le. Pour ces ra isons, il a été ostracisé, persécuté, les chei khs de la mosquée Zitouna ont tenté d’empêcher la publication de l’ouvrage. Ils ont même démis Tahar Haddad de ses fonctions de notaire. En tant que femme tunisienne, je lui suis très redevable. De même, Habib Bourguiba, premier président tunisien, s’est inspiré de ses idées émancipatrices en établissant le Code du statut personnel, promulgué en 1956, alors qu’il était Premier ministre du bey, avant même la proclamation de la République tunisienne
« La Tunisie a une législation très forte en faveur des femmes, mais un travail de fond doit être mené au niveau des mentalités. »
Pourquoi l’évoquer aujourd’hui ?
Les grands débats des années 1930 ont été rouverts après la révolut ion tunisien ne – du moins l’événement que l’on nomme comme tel. Toute la législation concernant les droits des femmes, que l’on croyait acquise, a été remise en question avec la montée des islamistes en 2013, 2014. Heureusement, ces mouvements n’ont pas abouti Les femmes tunisiennes ont été un vrai rempart contre ces idées rétrogrades, elles ont su préser ver leurs droits. En 2015, la statue érigée à la mémoire de Tahar Haddad dans sa ville, à Gabès, a été vandalisée, sa tombe a été profanée. À l’époque, je sentais le danger venir par cette volonté de salir ce personnage et d’abolir ses idées avant-gardistes. Pour les islamistes, lui et Bourguiba sont les causes de la dégradation de la société islamique en Tunisie. J’ai ainsi pensé à réhabiliter Tahar Haddad, car les jeunes ne le connaissent pas. Ils ne savent pas qui est cet homme donnant son nom à des amphithéâtres de la faculté, à des rues de Tunis.
D’un point de vue narratif, mais aussi social et historique, j’ai trouvé pertinent de faire entrer ce personnage dans le monde romanesque.
En quoi les années 1930 ont-elles été cruciales politiquement et culturellement en Tunisie ?
Riche en débats sur les questions épineuses concer na nt la religion, la soc iété, cette période histor ique très fr uc tueuse a permis la naissance des premières tentatives et réf lexions pour obtenir l’indépendance Beaucoup de sujets abordés à cette époque demeurent d’actualité en Tunisie, et ailleurs da ns le monde arabe, nota mment concernant les droits et la place des femmes. Dans mon roman, deux familles se disputent au sujet de l’éducation des femmes Pour les Naifer, il n’est pas nécessaire d’éduquer les filles, leur vraie place se situe à la maison. Selon les Rassaa, leur éducation est très importante, à
l’école, mais aussi en ayant recours à un précepteur à domicile
Cette question centrale de l’émancipation féminine persiste : avec la crise économique en Tunisie, de plus en plus de filles sont déscolarisées, encore davantage dans les régions rurales. Vous déclarez que la promotion féminine constitue « le titre de gloire de la société tunisienne dans le monde arabe », mais qu ’il y a encore du chemin à faire.
Exactement Par exemple, la femme rurale ne bénéficie pas des mêmes avantages que la femme citadine. Même si elles ont le droit d’hériter, beaucoup de femmes rurales se voient confisquer leur héritage ou ont des salaires inférieurs à ceux des hommes. En ville, la femme émancipée travaille, est indépendante financièrement, mais continue à effectuer tous les travaux au sein du foyer. Peu de familles pratiquent un partage équitable des tâches domestiques. La charge pèse sur les femmes, qui ont plusieurs fonctions en même temps – dans le monde du travail, la tenue de la maison, l’éducation des enfants, les repas, les soins, etc. Les hommes, quant à eux, se contentent bien souvent d’exercer leur travail à l’extérieur. Par ailleurs, les ennemis des femmes ne sont pas seulement les islamistes conser vateurs. Certains hommes en costume-cravate tiennent des conférences pour promouvoir l’émancipation féminine, mais adoptent un comportement machiste dès qu’ils sont de retour au foyer. Cela concerne toutes les classes sociales En Tunisie, pays qui se veut progressiste, le sexisme persiste.
Comment avez-vous eu l’idée de cette saga sur deux familles aux destins liés avec, au cœur de l’intrigue, la figure de Tahar Haddad ?
Le président défunt Béji Caïd Essebsi avait, en 2017, proposé au Parlement une loi pour l’égalité dans l’héritage entre l’homme et la femme. J’étais invitée à écrire un ar ticle de presse au sujet de cette proposition, qui émanait de Tahar Haddad. J’ai donc lu son œuv re complète et découvert ses poèmes – ils ne sont pas très bons, mais certains vers ont retenu mon attention. L’un évoquait l’amertume liée à l’absence d’un être cher – un homme ou une femme, on ne sait pas, car la langue arabe peut cacher le genre. J’ai eu l’impression qu’il s’adressait à une femme. De là m’est venue l’idée d’une idylle improbable entre Tahar Haddad et une fille de notables de Tunis, Zbeida Rassaa. Ces familles représentent les deux forces qui se disputaient le pouvoir dans les années 1930, deux visions du monde qui s’affrontent encore aujourd’hui : les progressistes d’un côté, les Rassaa, les conser vateurs de l’autre, les Naifer. Des conflits minent aussi les relations entre proches. La famille est- elle le lieu des rancunes, des haines, des jalousies ? Et donc un potentiel dramatique intéressant pour une romancière ?
La fa mille est une microsoc iété Toutes le s tension s socia les se retrouvent da ns la fa mille. Au sei n d’une fratrie, elles peuvent être liées à la jalousie, à l’impartialité des parents, aggravées dans Le Désa stre de la maison des notables
Tahar Haddad, pionnier en son pays
C’est un personnage historique incontournable dans l’évolution de la société tunisienne Né en 1899 dans la région de Gabès, d’origine modeste, Tahar Haddad est un intellectuel et militant politique aux idées progressistes et féministes, qui a combattu en faveur des plus démunis et des opprimés. Défenseur de la souveraineté tunisienne, engagé pour l’indépendance et la libération nationale contre le protectorat français, il suit des études supérieures en droit à l’université prestigieuse de la mosquée Zitouna, à Tunis Œuvrant pour les droits syndicaux des travailleurs tunisiens – son ouvrage Les Travailleurs tunisiens et l’émergence du mouvement syndical (1927) fut censuré par les autorités –, il défend aussi l’émancipation féminine, s’appuyant sur une interprétation moderne et égalitaire du Coran. Dans Notre femme dans la législation islamique et la société (1930), il prône l’accès à l’éducation, à la vie active et publique, propose la réglementation du divorce, l’égalité dans l’héritage, condamne la polygamie, le mariage forcé, la répudiation. Ostracisé pour ses thèses révolutionnaires, Tahar Haddad meurt en 1935 dans le dénuement. Mais ses idées avant- gardistes inspireront le premier président de la République tunisienne Habib Bourguiba dans la constitution du Code du statut personnel, promulgué en 1956, garantissant des droits fondamentaux aux femmes ■ A. K.
La Na i s sa nc e du mouvem ent synd ica l tu nis ie n, 2013, éditi on s L’Ha rm at ta n, 22 4 page s, 24 €
par les événements de cette nuit tragique À mes yeux, tout roman repose essentiellement sur des conf lits, et le mien est construit sur des strates – entre générations, époques, classes sociales, membres d’une même famille…
Comment avez-vous imaginé cette construction narrative en gigogne, où chaque personnage livre sa propre version de l’histoire ?
J’ai trouvé cette technique productive, car elle tient le lecteur en haleine, le captive à travers des mini-récits. C’est aussi une manière de dire que la vérité n’est pas absolue, qu’elle dépend du point de vue de chacun ; elle reste évasive, très subjective. C’est au lecteur de faire son propre cheminement. Selon chaque personnage, chaque narrateur, la vérité peut changer. Qui la détient ? Elle n’appartient à personne, elle est une construction mentale et personnelle. La seule qui aurait pu faire démentir tous les récits, c’est le personnage de Lalla Zbeida, que j’ai choisi de faire taire. Est- ce aussi un livre sur le pouvoir du narrateur ?
Oui, c’est une très belle lect ure. L’histoi re de tous les peuples repose sur cette question : qui est le narrateur ? Qui raconte l’histoire ? On dit souvent que l’histoire est écrite par les vainqueurs, et c’est vrai Mais elle est aussi écrite par ceux qui osent en raconter des fragments. Dans ce roman, certains ont osé : disent-ils la vérité ou des mensonges ? La réponse est laissée à la bienveillance et à la perception du lecteur. Ces deux familles font preuve de snobisme, d’arrogance, de mépris de classe…
Les familles de notables de Tunis se croient supérieures au reste du peuple. Cette arrogance, soulignée dans le roman, est le point commun entre les progressistes et les conser vateurs. Cette mentalité ne se limite pas aux années 1930, elle persiste au fil des décennies, jusqu’à aujourd’hui. Le snobisme s’exerce aussi envers ceux issus de l’intérieur et du sud du pays. Tahar Haddad était originaire du sud, mon personnage Ali Rassaa ref use de lui accorder la main de sa fille pour cette raison. De même qu ’elles manifestent un racisme envers leurs domestiques noires.
Bien sûr, même la famille progressiste n’est pas complètement débarrassée de ces idées rétrogrades. La Tunisie a été le premier pays du monde arabo-musulman à abolir l’esclavage par un document officiel, en 1846. Mais les mentalités n’ont pas toujours suiv i, les servantes noires ont été considérées pendant longtemps comme des esclaves, souvent maltraitées. La violence que subit Zbeida, accusée d’adultère, est- elle plus virulente parce qu ’elle est une femme ?
Dans les sociétés conser vatrices, l’adultère commis par une femme est vu comme un acte terrible, qui touche à la respectabilité de la famille. La violence se déchaîne alors sur la femme, car elle a osé défier les carcans imposés. Mais quand c’est l’homme qui est infidèle, la doxa détourne les yeux.
Le livre souligne aussi les différentes revendications pour l’indépendance qui s’affrontaient alors…
« Pour comprendre ce que nous vivons, il est fondamental de savoir ce que nous avons vécu dans le passé, notre histoire. »
C’est un conf lit au début des années 1950, juste avant l’indépendance, entre Bourguiba et Salah Ben Youssef – pour ce dernier, l’indépendance interne ne voulait rien dire, il voulait l’indépendance complète. Bourguiba savait qu’il fallait prendre un peu, pour ensuite avoir plus gros. Il a accepté l’indépendance interne, une parcelle du pouvoir tunisien, puis a milité pour l’indépendance totale. La crise de Bizerte en 1961 pour faire sortir les derniers soldats français du territoire tunisien a acté de manière ultime l’indépendance totale du pays. À l’image de votre personnage Hend, qui enquête sur son histoire familiale, un pays doit-il chercher dans son passé pour se construire ?
En effet, pour comprendre ce que nous vivons aujourd’hui, il est fondamental de savoir ce que nous avons vécu dans le passé, de bien connaître notre histoire. Pour moi, ce roman, c’est comme se regarder dans un miroir pour voir les belles choses comme les blessures, les cicatrices du peuple tunisien. Il est important de considérer aussi cet aspect moins reluisant pour prendre des décisions de manière éclairée concernant l’avenir du pays.
De quelle manière faut-il faire évoluer les mentalités, et pas seulement les lois, concernant les droits des femmes ?
La Tu nisie a une lég islation très forte en faveu r des femmes, mais ce n’est malheureusement pas suffisant Par exemple, bien que des lois punissent très sévèrement les violences conjugales, et toute atteinte physique faite aux femmes, très peu de magist rats les appliquent à la lett re Une fois devant le juge, des circonstances at ténuantes sont souvent invoquées pour minimiser la punition contre l’auteur des violences Le problème se situe donc au niveau des mentalités
Un travail de fond doit être mené à ce sujet.
Tahar Haddad proposait une lecture moderne du Coran, assurant que le texte sacré ne contenait pas de prescription contre l’émancipation de la femme…
C’était le fond de sa pensée : toutes les lois coraniques doivent être rev ues en tenant compte du progrès historique,
du changement, afin que le texte soit adapté à tout temps et à tout lieu
Ca r ces lois avaient été édic tées à la période où le Coran a été conçu, dans un contexte datant de plusieurs siècles. Tahar Haddad est le fruit de la mosquée Zitouna, il a reç u une éducation islamique ; il a essayé de changer les choses non pas de l’extérieur, mais en se référant au texte sacré, avec une lecture progressiste, en prenant en compte cette aspiration à la liberté et à l’égalité au cœur du Livre. Pour lu i, l’émancipation féminine n’était pas seulement au prof it des femmes, mais aussi de l’islam et du Coran, af in qu’ils soient véritablement adaptés au progrès, à la modernité.
Le 25 jui ll et 1957, Jalil a Ha fsi a, jou rnali ste et autric e mil itante, sa lu e le présid ent Bourgui ba au pa la is du Ba rd o, lor s de la proc lamati on de la R ép ubliqu e.
Partisan pour l’indépendance, il était également engagé pour la défense des travailleurs tunisiens…
Tahar Haddad a toujours milité en faveur des plus fragiles, des plus démunis au sein de la société. Le sy ndicat était français, il a bataillé pour créer un sy ndicat tunisien afin de défendre les droits des travailleurs tunisiens. Car sous le protectorat, les travailleurs français étaient beaucoup plus privilégiés que les Tunisiens, qui étaient mal payés, ne jouissaient pas des mêmes droits. Cette entreprise n’a, hélas, pas vu le jour. Comment avez-vous trouvé la justesse pour chaque voix, chaque personnage ?
J’ai effectué une recherche sur la langue, en changeant de st yle, de registre selon les protagonistes. Par exemple, la domestique n’utilise pas le même langage qu’un juge La traductrice Souad Labbize a aussi travaillé en ce sens. Et j’essaie à chaque fois de transmettre une vision du monde qui appartient au personnage, selon sa personnalité, son vécu, sa condition, son histoire. Concernant la narration de cette nuit désastreuse, chaque narrateur reprend le récit au point où le précédent personnage s’est arrêté On ne raconte pas deux fois la même chose. Cette technique év ite la redondance et laisse le lecteur captivé par les événements. Le roman évoque aussi les émeutes du pain en 1984 et la répression menée alors par le régime de Bourguiba…
Ce s événements sont très import ants da ns l’ hi stoi re tunisienne Bourguiba a toujours été autoritaire, mais c’était nécessaire pour la construction du pays après l’abolition du protectorat, à l’indépendance. Dans les années 1980, alors qu’il était affaibli par l’âge, la maladie, ses décisions n’étaient pas toujours bien pensées. Son ministre a proposé d’augmenter le prix du pain, ce qui a provoqué des manifestations. Bourguiba s’est alors adressé au peuple : « On revient au prix initial. » C’est d’ailleurs devenu une expression en Tunisie : « Revenons tel que nous étions avant les augmentations. » Malgré cette dérive autoritaire, il a toujours été apprécié par son peuple
Professeure à l’université, qu ’observez-vous auprès de vos étudiantes, cette nouvelle génération de femmes ?
Je ne parv iens pas à me prononcer sur cette question : la jeune génération est-elle plus émancipée que la mienne ? Je crois qu’il y a un fossé entre deux groupes aujourd’hui. Certaines jeunes femmes sont assurément plus émancipées que celles de ma génération, d’autres beaucoup moins. Parfois, dans ma classe, je suis la seule à ne pas porter de foulard sur la tête. Je ne dis pas que porter le foulard est anti-progressiste, et je respecte parfaitement les libertés individuelles en matière d’accoutrement. Mais je trouve que l’augmentation signif icative du nombre de femmes voilées en Tunisie peut révéler des changements importants au niveau des mœurs en vigueur. Nous traversons une période très importante de l’histoire sociale de notre pays. J’espère qu’elle aboutira à une vision progressiste.
Comment Le Désastre de la maison des notables a-t- il été reçu en Tunisie ?
Très bien. J’ai été agréablement surprise. C’est la première fois qu’un livre écrit en langue arabe classique atteint un tel nombre d’exemplaires vendus en Tunisie. On est un petit pays de 11 millions d’habitants, et pour combien de lecteurs ? Or, cette idée répandue que les Tunisiens ne lisent pas s’est avérée fausse. Il suffit d’écrire un livre qui les touche pour que sa réception soit bonne.
Quelles lectures ont forgé votre goût littéraire ?
J’ai vécu une enfance sans tablette ni smartphone, avec une seule chaîne nationale à la télévision. Donc j’ai beaucoup lu ! Des classiques français – je suis une grande fan de Flaubert, Balzac, Zola, Hugo… Et arabes – Naguib Mahfouz, Ta ha Hussei n, Ha nna Mi neh, Tawfiq al-Hak im, Al-Jah iz, Attawhidi… Un jour, pendant mes études, lassée d’écrire ma thèse de doctorat, j’ai refermé le fichier pour ouvrir celui de mon premier roman, Le Dossier jaune. C’était une écriture acharnée, passionnelle. L’aventure a commencé ainsi. ■
in te rv ie w
GAËL FAYE
« La littérature est mon pays »
Après un premier roman unanimement salué en 2016, l’auteur raconte aujourd’hui ses racines. Il parvient à mett re en mots l’indici ble histoi re rwanda ise, sa mémoi re, ses ha bita nts, sa reconstr uction. Une ode à l’altérité, un hommage à la résilience.
propos recueillis par As tri d Kr iv ian
Son premier roman Petit pays (Grasset, 2016) fut un succès publ ic et cr it ique, vendu à plus de 1,5 million d’exemplaires, traduit en 40 lang ues, couronné du prix Goncourt des lycéens, adapté au cinéma et en bande dessinée. Inspiré en partie de son histoire, le chanteur, compositeur et écrivain narrait l’enfance au Burundi d’un gamin franco-r wandais à l’innocence brisée par la guerre civile, le génocide des Tutsi au Rwanda voisin, puis l’exil en France Aujourd’hui, Gaël Faye signe le bouleversant Jacaranda (Grasset) – nom de cet arbre majestueux aux fleurs mauves, qui a aussi baptisé l’un de ses albums. Car il y est question de racines, de mémoire, de transmission Nourri de sa fine observation de la société rwandaise, vivant à Kigali depuis 2014, il entrelace histoire intime et collective, explore de sa plume juste et sensible le passé et le présent, ex humant
les blessures d’un peuple qui tente de se reconstr uire et de vivre ensemble après un massacre Justes et attachants, ses personnages aux destins croisés, de quatre générations différentes, tentent chacun de trouver leur place et de panser leurs plaies. Le jeune Milan, français né d’une mère rwandaise, poursuit une quête des or ig ines. Claude, rescapé du génocide, essaie de cheminer dans un pays où vivent ses anciens bour reau x. Surv ivante également, Eusébie se jet te à corps perdu dans le travail, quand sa fille Stella, née après le génocide, souffre du silence recouvrant les traumas de l’histoire familiale. Née à la fin du XIX e siècle, Rosalie transmet tra à cette jeune génération l’histoire du pays depuis la colonisation allemande, puis belge, qui a instauré ce processus mortifère de racialisation entre Tutsi et Hutu.
AM : Quel malentendu souhaitiez-vous dissiper avec Jacaranda ?
Gaël Faye : On a beaucoup ramené mon premier roman, Petit pays, au Rwanda, au détriment du Burundi sur lequel j’écrivais pourtant C’était un malentendu, car le Rwanda représentait un écho dans cette histoire, il n’était pas central. Cette invisibilisation du Burundi était certainement due à l’envie du lectorat de connaître l’histoire du Rwanda, de comprendre ce qu’il s’était passé. Ça m’a poussé à préciser quel était mon rapport, mon histoire avec ce pays : il s’agit plutôt de la tentative de compréhension d’une société en reconstruction, alors que le Burundi est pour moi un souvenir d’enfance, un paradis perdu. Petit pays racontait l’histoire avant la violence ; Jacaranda explore la manière dont on refait société après la haine, comment on réapprend à s’aimer, à vivre ensemble, à être amis, à constituer une famille. Plusieurs générations se côtoient dans ce roman.
Pourquoi ?
J’ai eu la chance de connaître mon arrière-grand-mère, née dans un Rwanda qui n’était pas encore racialisé, où les cartes d’identité ethniques n’existaient pas. J’ai aussi le priv ilège de voir mes filles grandir dans un Rwanda post-ethnique, où elles n’ont pas à se définir en tant que Hutu ou Tutsi. Elles n’ont pas cette grille de lecture des générations précédentes. C’était intéressant de les faire converser ; cela soulève la question de la transmission, des racines, parce qu’une histoire de génocide rompt aussi le cycle de la mémoire. Sy mbole de la transmission, témoin silencieux de la grande histoire comme de l’histoire familiale de mes personnages, l’arbre jacaranda porte le secret, demeure un point d’ancrage. Rosalie va transmettre cette mémoire à la nouvelle génération – une société nouvelle, débarrassée de tous les formatages du XXe siècle. Né en France d’un père français et d’une mère rwandaise, Milan est en quête de ses origines. Est- ce nourri de vos propres questionnements, de votre volonté de briser des silences ? Vous dites qu ’il y a eu une rupture de transmission avec votre mère rwandaise…
«Les Rwandais ont été dépossédés de leur histoire, et on leur en a inculqué une autre à laquelle ils ont fini par adhérer.
On nous a déracinés.»
Dans beaucoup de familles rwandaises, on trouve cette incapacité à parler Je l’ai vécue, mais c’est assez généralisé. De plus, mon personnage Milan ignore qu’il porte en lui l’histoire du Rwanda, parce que sa mère ne l’évoque pas du tout. Il va découv rir le Rwanda comme tous les Français, en 1994, à travers ces images af freuses déversées chaque jour dans les postes de télévision. Ça restera pour lui une abstraction, jusqu’à l’arrivée de Claude, rescapé du génocide, qui va incarner ce pays lointain.
À l’époque, le récit du génocide par les médias occidentaux coïncide avec cette représentation de l’Afrique, qui serait « le cœur des ténèbres ».
Le traitement médiat ique et politique va sc iemment, ou inconsciemment, rendre l’événement impossible à comprendre. Le s termes employés pour décr ire la situat ion empêchent complètement d’en saisir les enjeux. On nous parle d’affrontements interethniques, de guerre tribale, de barbarie. Ce spectre de formules éloigne l’événement de l’Occident, de façon à dire : c’est lointain, ça se passe ainsi là-bas, ce sont d’autres mœurs, d’autres façons de régler les problèmes. Tout ça anesthésie not re compassion. Ça nous horr if ie, mais ça ne génère pas d’empathie. Et puisque les autorités françaises soutenaient un régime génocidaire, et qu’elles en avaient conscience, il fa llait rendre incompréhensible la situation. C’est aussi la difficulté pour Milan : on lui présente les choses ainsi et sa mère reste silencieuse, aussi rien ne le pousse à s’y intéresser. C’est le cas pour beaucoup de Français, je pense. Beaucoup de lecteurs me confient que le roman les a éclairés sur ces événements, qu’ils n’avaient pas compris à l’époque Votre famille, réfugiée au Burundi, vous parlait du Rwanda comme d’une terre idyllique…
C’est la nostalgie de l’ex ilé, qui fabr ique un pays idéal, bien qu’il en ait été banni. Et la vie au Burundi était difficile.
La société était dure avec les réf ugiés rwandais, qui vivaient une forme de stigmatisation, de marginalisation. Ça a aussi
cultivé ce my the du retour Quand je suis arrivé au Rwanda en 1994 pour la première fois, j’avais envie de m’enfuir. Ce n’était pas le « pays du lait et du miel », c’était un enfer. J’ai mis beaucoup de temps à me sentir appartenir à cet endroit, à l’apprivoiser – encore aujourd’hui, la société évolue si vite qu’il n’est pas év ident de fixer le Rwanda dans sa réalité. Je ne me suis pas tant attaché à la terre, aux paysages, mais aux personnes, à leur histoire C’est le lien aux autres qui m’a donné envie d’y revenir, puis de m’y installer. L’écriture permet- elle de combler les silences, de restituer la mémoire ?
L’éc riture per met surtout de ne pas rester dans la frustration du silence. Face à ce dernier, j’oppose une histoire, que je crée et qui devient la mienne. C’est de la fiction, mais elle devient mienne, et finalement ma réalité. Je l’assume complètement Quand on nie une part de soi, soit on porte la souffrance éternellement, soit on trouve un subterfuge pour se sentir appartenir. Pour moi, c’est l’écriture, les livres La littérature est mon pays En quoi la pièce Rwanda 94, cocréée par Dorcy Rugamba, vous a-t- elle donné des clés de compréhension sur le génocide, à l’adolescence ?
J’étais passé à côté de l’événement quand il se déroulait. Comme la guer re au Burundi sévissait au même moment, et qu’il était aussi question de Hutu et de Tutsi, je pensais que ces groupes avaient toujours été en conf lit. Je n’avais pas conscience que ces entités raciales avaient été fabriquées, que la colonisation et l’Église catholique ét aient respon sables. Je ne sava is pa s pourquoi les Tutsi avaient fui le Rwanda, dans quelles circonstances. Au Burundi, je voyais des Rwandais fuir le génocide, mais c’était en grande majorité des Hutu qui avaient massacré… Tout était mélangé dans ma tête. Et les adultes ne nous disaient rien. Puis, à 17 ans, j’ai vu cette pièce de théâtre, Rwanda 94, et l’histoire m’est apparue de façon claire. C’était une invitation à considérer cette histoire comme la mienne. Cette pièce m’a autorisé à écrire à ce sujet J’ai aussi compris qu’un ar tiste pouvait être un passeur de mémoire, transmettant une réalité historique, sociale, avec pédagogie et émotion. Quelles vérités fallait- il révéler ?
L’histoire est trompeuse, fallacieuse, pleine de my thes, de fausses croyances. Cette hiérarchisation des « races », ce racisme scientifique du XIXe siècle a été plaqué sur une société africaine. Donc un lourd travail d’éclaircissement, de déconst ruction était à ef fect uer, auta nt pour les Rwanda is, les Africains, que pour le regard européen, qui a créé cet autre. Le Rwanda du XXe siècle est le produit d’une idéologie européenne. Les Rwandais ont été dépossédés de leur histoire, et on leur en a inculqué une autre à laquelle ils ont fini par
Ja ca ra nda, 20 24 , éd iti on s Grasset, 28 8 pages , 20,9 0 €
Petit pays, 2016, éd itio ns Grasset, 22 4 page s, 18 €
Le Si le nc e des mots 20 21 avec Mi ch aë l Szan ke, Ar te, Ba be l doc, IYU GI , 50 mi n.
adhérer. D’où, là aussi, cette sy mbolique de l’arbre : on nous a déracinés. Une fois que cette idéologie raciste de l’inégalité, de la stigmatisation est utilisée politiquement et qu’un bouc émissaire est désigné, le crime est sans limite. Or, le génocide aurait pu être arrêté Prendre un autre chem in ét ait possible. Mais la communauté internationale a abandonné les victimes Nombre d’observateurs affirment qu’il aurait fallu très peu de choses pour stopper ce chaos. Les contingents des Nations unies, de Belgique et de France étaient suffisants pour arrêter ces tueurs munis de machettes. D’ailleurs, dans les rares endroits où les Casques bleus ont fait usage de leurs armes, les massacres ont été empêchés. Qui vous a inspiré Eusébie, la mère de Stella, rescapée du génocide, qui se jette à corps perdu dans le travail ?
Ce sont ces femmes qui ont relevé le pays, depuis la fin du génocide Elles se sont occupées des enfants, des vieillards, quand les hommes étaient soit à la guerre, soit morts, soit en prison. Elles travaillaient dans les champs, à la maison, exerçaient un autre métier en même temps, prenaient des cours du soir, faisant des sacrifices qui dépassent l’entendement. La société rwandaise leur doit tout. Eusébie représente ça. Elle est une surv ivante, elle a traversé le génocide, elle a perdu son mari, ses enfants, et malgré tout, elle tente de construire à nouveau un pays avec la conscience des générations futures. C’est bouleversant Ces femmes ne se sacrifient pas pour elles,
pour améliorer leur vie, mais pour les générations d’après. Elles nous donnent une grande leçon de vie. Eusébie a aussi cette difficulté à parler à sa propre fille, à réaliser cette transmission directe, alors qu’elle témoigne de son histoire devant des milliers de personnes à la télévision, dans des stades, à l’occasion de cérémonies mémorielles. Ce sont de vraies situations, troublantes. C’était présent dans mon documentaire, Rwanda : le silence des mots (2021). Concessa, une femme Tutsi qui a été violée, et pendant le génocide et par des militaires français, ne pouvait pas raconter son histoire devant sa fille. Cette dernière l’a donc apprise en regardant le film. Vous avez échangé avec de jeunes Rwandais pour nourrir vos personnages de cette jeune génération, comme votre héroïne Stella. Qu ’avez-vous observé ?
J’ai ressenti chez eu x une pression Car le pays s’est reconstruit rapidement, que l’on vient d’une situation terr ible, il faut préser ver les acquis Et le Rwanda actuel veut poursuiv re ses efforts. Ces jeunes font face à une at tente : seront-i ls à la hauteu r des aînés extraordinaires qui ont traversé la nuit ? De même, ils se questionnent sur leur place dans une société qui va très vite. La mémoire n’est-elle pas trop lourde pour se projeter dans l’avenir ?
Un tel événement traumatique couplé à ces valeurs crée une situation de Cocotte-Minute à l’intérieur des gens. Mais, pétris de respect et de pudeur, les jeunes ne s’opposent pas frontalement Au contraire de la France, qui valorise la rébellion, la dissension, le Rwanda s’appuie sur une culture du collectif, du consensus, où l’individu n’existe que par le groupe. C’est ce que j’essaie de faire transpirer dans mon texte : cette société se construit dans le lien, dans les échanges intimes, c’est là qu’on saisit la vérité des cœurs, qui ne se dit pas publiquement. Ça peut sembler très corseté d’un point de vue occidental, mais c’est simplement une politesse, une autre manière d’être. Certains films japonais me donnent l’impression de voir du cinéma rwandais, dans cette intériorisation des sentiments, ce respect de la hiérarchie, des aînés.
«Les mots sont autant des formules
magiques
qui sauvent que des armes qui détruisent. Chacun a son importance, son poids.»
Dans ces débats aux vents contraires, les réponses sont multiples. Les jeunes ont aussi d’autres angoisses. Face au dérèglement climat ique, à l’augmentation de la démog raph ie, aura-t-on su ffisa mment de ressou rces ? Ils ne parlent pas de cette anxiété aux aînés, qui sortent des charniers et du maquis, et pour qui le confort matériel importe – les routes, l’électricité On observe aussi cette incapacité à parler de l’intime au sein de la famille. C’est comme s’il s’était passé cent ans depuis le génocide. Les jeunes se sentent profondément éloignés des réalités de leurs parents au même âge.
Pourtant, les traumas se transmettent. Votre héroïne Stella rencontre des difficultés psychologiques...
Les parents gardent tout en eu x, mais ils transmet tent malgré leur silence. Beaucoup de jeunes portent le trauma du génocide, parfois sans en avoir conscience En tout cas, ils prennent en compte leur santé mentale. Sur les réseaux sociaux, ils osent confier qu’ils ne vont pas bien, qu’ils sont en dépression Pour la génération d’avant, c’était inconcevable ! Aller voir un psy, c’était être fou. De plus, la culture rwandaise valorise beaucoup la réserve, une forme de stoïcisme. On ne s’éner ve pas, on garde les émotions en soi, on sauve la face
Les jeunes qui partiront à l’étranger seront-ils contraints de se faire porte- parole du Rwanda ?
Comme c’est lointain, complexe, et qu’i l y a peu de re pr és enta nt s, ceux qu i pa rt iront seront forcément reliés à cette hi stoi re – qu i n’est pa s te rm inée. Le Rw anda es t toujou rs au cœ ur de l’ac tu al it é : ave c le s conf lits en RDC, il est accusé, mi s en caus e. C’es t comme s’il y av ait pour ce s jeunes une injonc tion à se position ner pa r rappor t à l’ hi stoi re qui continue C’est une charge
Pour Claude, un autre de vos personnages, rescapé, les survivants ont payé le plus lourd tribut, mais ont été oubliés.
Vous entendez cette parole chez certains ?
Oui. Parce que la société va vite, on leur demande de vivre avec leurs bour reau x. La charge de la reconstr uction est sur leurs épaules. Pour un génocidaire, vivre à côté de son ancienne victime n’est pas compliqué. Mais pour une survivante, être à côté de l’homme qui a tué ses enfants, ses parents, c’est une souffrance chaque jour. Toutefois, les rescapés ont bien conscience que le parti au pouvoir est celui sans lequel ils ne seraient plus là – le FPR a mis fin au génocide
Est- ce toujours une société de défiance, comme le regrette Claude ?
Les gens sont toujours un peu méfiants On vit avec des génocidaires, mais aussi des personnes au parcours trouble, qui n’assument pas leur passé. Dans une société touchée par un génocide, la suspicion demeure. On se demande toujours : que faisais-tu au printemps 1994 ? Au sein de la nouvelle génération, on va demander : qui étaient tes parents ? Que faisait ta famille ? Où sont tes oncles, en prison ou morts ? Ceux que
l’on appelle les « Justes » sont ambigus : ils ont sauvé des vies et, en même temps, ils étaient aux barrières et massacraient – ce qui empêchait les soupçons de sauvetage par ailleurs. Certains ont joué sur deux tableaux, et cela donne lieu à des situations troubles Quel est votre rapport avec ce pays, où vous vivez ?
Complexe. La société s’est normalisée. Parfois, face à la banalité du quotidien, à la beauté du paysage, au calme, il est presque impossible de croire qu’une telle violence ait pu exister. Les choses allant très vite, il est difficile d’avoir des points de repère, de fixer une réalité : 70 % des Rwandais sont nés après le génocide ; en plus du kinyar wanda, le pays est passé du français à l’anglais ; des exilés rwandais sont arrivés d’Ouganda, de l’ex-Zaïre, du Burundi, de Tanzanie, de diasporas plus lointaines… Ces chamboulements ont créé de la conf usion, de l’instabilité. La force de ceux qui ont pris le pouvoir est d’avoir réussi à normaliser, à stabiliser, à redonner un sens de la nation et de l’appartenance, une dignité. Les Rwandais ont conscience de l’amélioration de leurs conditions de vie. Le Rwanda d’avant 1994 et celui d’aujourd’hui sont très différents, mais le pays continue de faire face à de nombreux défis. Sur une base où chacun a été frappé dans sa chair, dans son intimité, il est difficile d’aller à un rythme aussi soutenu. En quoi écrire ce livre était- il un travail d’archéologue parfois douloureux ?
Éc ri re dema nde d’êt re en empath ie avec ses per son-
nages, de se mettre à leur place. Quand j’écris une scène, je me replonge dans ces témoignages recueillis auprès de personnes réelles. C’est difficile, douloureux. J’avais peur de ne pas être à la hauteur, de mal dire. La question de la légitimité me travaillait : depuis quel endroit j’écris ? Je ne veux pas trahir, mais transmettre. Au cours de l’écriture, j’étais en apnée. Toute cette souffrance, cette histoire trop dense, c’est vertigineux Mes personnages m’ont donné la force de continuer : leur lumière, leur envie d’être meilleurs, de se relever, d’espérer, d’être ensemble. Mais leur vécu me tirait aussi vers le bas.
C’était une lutte permanente entre deux tensions.
Comment abordez-vous les mots ?
Je suis dans une quête infinie du mot juste. Chacun a son importance, son poids, sa polysémie. Les mots sont autant des formules magiques qui sauvent que des armes qui détruisent.
L’expérience génocidaire, qui dévoie le langage et construit une propagande, nous apprend à nous méfier des mots – ceux qui stigmatisent, marginalisent – parce qu’ils peuvent tuer.
La culture joue un rôle important dans Jacaranda – livres, musique… Pourquoi cet hommage ?
C’est la culture qui a permis aux exilés de rester Rwandais. Ils se retrouvaient lors de soirées de poésie, de danse, de chant. La culture demeure quand tout a disparu. C’est aussi s’ouvrir à l’ailleurs, inviter le vaste monde à soi. Elle peut ranimer l’humanisme par l’ouverture, la connaissance de l’autre.
Je crois en cette métaphore : la culture est une lumière. ■
re nc ontre
JACKY IDO
« Le slam fait avant tout partie pa d’une famille qui aime les mots »
Des plateaux de cinéma hollywoodiens aux planches de La Scala, en passant par les scènes slam parisiennes… L’artiste est plein de ressources. Et de surprises, puisque son premier album, iDO donc je suis, paraîtra en janvier prochain. propos recueillis par Emm an ue ll e Po nt ié
Il naît à Ouaga, où son enfance est bercée par les rêves de liberté de Sankara. Puis grandit en France, à Stains, dans le 9-3. Il se fait des potes qui deviendront célèbres, scande des textes sur du slam, jusqu’au jour où le cinéma le repère. Il tourne pour Tarantino, Lelouch, Luc Besson, joue da ns les séries The Catch ou Ta xi Brookly n. Il voyage, séjour ne en Al le magne, au x États-Unis Au moment du Covid, il décide de rentrer en France, pour être plus proche de ses quatre enfants, et fait une pause avec son métier de comédien. Il en prof ite pour remonter une scène slam, le Slamaleikoum, et se produit tous les mois avec son groupe les Choco’Latés. Son premier album est prêt, il s’appelle iDO donc je suis et sortira en janv ier prochain À 47 ans, passionné par les mots et l’écriture, Jacky raconte son chemin et cette nouvelle étape, et nous livre aussi son regard sur le monde et son actualité. En Af rique, aux États-Unis, en France Ses trois cultures
Avec so n grou pe, le s Ch oc o’La té s.
AM : On vous connaî t d’abord pour votre carrière de comédien : vous avez tourné avec des grands comme Lelouch, Dupeyron, Tarantino, et bien d’autres, dans les séries télé Engrenages ou Taxi Brooklyn. Au théâtre aussi, dans Bérénice, avec Carole Bouquet, il y a deux ans. Et aujourd’hui, on vous découvre en slameur. C’est un retour à vos premières amours ?
Jack y Ido : Le problème, c’est que j’ai toujours eu… plein d’amours ! La littérature et le cinéma ont de tout temps été au cœur de mes passions. Comme le sport, et en particulier le basket, qui m’a fait connaître, quand j’étais môme, des potes devenus de grandes vedettes aujourd’hui. C’est au début des années 2000 que nous avons monté Slamaleikoum au Café Cult urel de Saint-Denis, avec Grand Corps Ma lade, après avoir nous-mêmes exploré plein de scènes slam parisiennes, à l’époque où ça commençait à proliférer un peu – notamment après le film Slam, de Marc Levin, sorti en 1997. C’était en parallèle de mes activités cinématographiques. Je trouvais que c’était l’endroit où on pouvait se passer d’intermédiaires, pour parler directement au public et faire grandir son moi artistique. Parce qu’on ne peut pas se cacher derrière le masque d’un personnage, le public, qui vous regarde et vous accueille avec bienveillance, devient une sorte de catalyseur qui booste la créativité. Donc on est tombés amoureux de ça, on a monté cette scène mensuelle. Elle a attiré beaucoup de gens qui ont
découvert de nombreux talents en herbe. Cette scène a été le terreau de beaucoup de velléités artistiques. Pas forcément des slameurs. Le slam, c’est 7 milliards d’êtres humains qui ont 7 milliards de voix différentes et uniques, pouvant scander à leur manière, selon leur bagage personnel. On a catégorisé cet art avec les succès des albums de Grand Corps Malade, Abd al Malik ou Souley mane Diamanka Le slam a été étiqueté comme du rap qui parle. Je pense qu’il fait avant tout partie d’une famille de gens qui aiment les mots. Slamaleikoum s’est arrêté, puis vous l’avez remonté récemment ?
Oui, ça a marché de 2004 à 2011. On avait été rejoints par le slameur Ami Karim, qui est devenu le troisième larron de la bande, venu nous seconder et animer la scène. Fabien, alias Grand Corps Malade, et moi-même av ions une grosse actualité. J’avais beaucoup de tournages. On n’avait plus le temps de s’occuper du Slamaleikoum. Et le Café Culturel de Christina Lopes qui nous avait accueillis à l’époque a dû fermer. Le slam a continué dans beaucoup de bars avec plein d’activistes pendant des années. Moi, j’étais loin de tout ça, à cette époque. Et en revenant en France, juste avant le confinement, j’ai commencé à refaire des scènes pour kiffer un peu. Pour reprendre la quête de sens, retrouver le lien avec les gens. Et puis, je jouais avec Carole Bouquet à La Scala dans Bérénice, mis en scène par Muriel Mayette en 2022 Un jour, elle m’a
En 20 22 , au x côté s de Carol e Bouq uet, da ns Bérén ice, ci -d es su s. À l’oc casion de la prem i è re de Django U nc ha in ed, avec Cl aude Le louc h, le 7 ja nvie r 2 013, ci -d essous.
« J’adore ces lieux où on déplace l’objet de la culture pour se désinhiber, se guérir par la parole. »
chalengé ! Elle m’a dit : « À New York, dans les années 1990, j’allais avec mes deux petits garçons au Nuyorican Cafe ! » Je connaissais, c’est une scène my thique de slam. Et elle a ajouté : « Depuis que je suis revenue à Paris, je n’ai jamais retrouvé ça » J’ai décidé de lui organiser une scène à la Scala avec Frédéric Biessy. On l’a appelée Scalamaleikoum. Et ça a relancé un truc, un petit mouvement, avec une nouvelle communauté de gens qui n’étaient pas spécialement liés à la scène slam avant. Ils ont découvert cette bulle hors du temps, intime et vraiment humaine. En très peu de temps, la mayonnaise a pris On a continué au 360 Music Factor y à la Goutte d’Or. Ça avait du sens d’être dans un tel lieu. On a fait venir des personnalités connues, des inconnues. Au-delà du slam, j’adore ces lieux conv iv iaux où on déplace l’objet de la culture pour permettre à tout le monde de se désinhiber et de se guérir par la parole. On a remonté Slamaleikoum en février 2022
Vous définissez votre style de néo- slam. Qu ’est-ce que ça veut dire ?
C’est un genre de pied de nez ! Pour moi, le slam, c’est la diversité, la multiplicité des propositions On a autant de gens qui viennent avec leur bagage de poésie classique, de lettres modernes, que de personnes qui feront du rap a cappella. D’autres encore vont décliner de la prose, certains viennent même réciter des recet tes de cuisine en y mettant d’eu xmêmes, ce qui peut créer quelque chose de passionnant. La parole est vraiment libre. Chacun vient avec son authenticité et sa manière de parler, d’écrire, d’aimer, de partager. Notre plus jeune slameur avait 4 ans et le plus vieux 95 ans. Le slam, ça brasse large, ça permet de décloisonner entre catégories sociales, entre générations, etc. À qui s’adressent vos textes ?
À tout le monde. Une parole authentique, c’est une parole originale, clivante J’explore tous les champs musicaux que j’aime, qui vont du classique au rock, en passant par le hip-hop ou la musique subsaharienne – notamment celle du Burk ina, dont je suis originaire. Je cultive l’éclectisme, et je crois que le temps est venu de permettre aux gens d’être tout ce qu’ils sont à la fois Et de ne pas avoir à faire un choix. J’en ai souffert moi-même, à une époque, parce que j’ai plusieurs arcs à ma corde [rires]. Et plutôt que de me réduire à une seule expression, j’ai décidé d’assumer le fait que j’étais tout ça à la fois Et que « tout ça », ce sont autant d’outils différents pour raconter la même chose. Ainsi, une vraie sy nergie de tous les champs que j’explore se crée
La sortie de votre premier album, iDO donc je suis, sur le label Brooklynfaso, est prévue pour janvier prochain. En effet, et nous allons sortir des singles d’ici là Comme « Épouse ta cause », que l’on peut déjà écouter depuis la rentrée. Un titre censé pousser les gens à se lever et changer leur destin !
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Oh, il y en a tellement… En littérature, je citerais Mark Twain, Balzac, Dumas. En cinéma, mes goûts vont de Kubrick au x comédies les plus loufoques. Et côté musique, j’écoute autant Mahler que les Nég resses vertes, par exemple. Tout dépend de l’humeur Enfin, le capitaine Sankara a beaucoup compté. Il a fait germer en moi une conscience politique rebelle, libre.
Vos autres casquettes sont mises de côté, en ce moment ? Je parle du cinéma et du théâtre.
Pendant des années, j’ai répondu aux offres que l’on me faisait à l’étranger J’apprenais de nouvelles langues pour jouer des rôles. Ça m’a longtemps fait du bien, et puis je suis rentré en France juste avant le confinement pour être près de mes enfants. Tout s’est arrêté pendant cette période Je me suis alors découver t un côté sédentaire que j’ignorais jusque-là.
Ça m’a aussi permis de faire des choses ici, car je me suis toujours étonné par le passé de donner plus envie à l’étranger.
« La plupart des textes de mon album ont été écrits il y a une vingtaine d’années –preuve qu’ils sont toujours d’actualité. »
J’ai jeté mon filet là, et j’attends de voir comment ça prend. Et le disque, c’est moi dans tout mon éclectisme qui raconte mon histoire à la France. J’espère retourner à l’étranger plus tard. J’ai dit à mes agents que je faisais une grande pause. Et j’ai l’intention, après la sortie de l’album, de me remettre à faire du cinéma, bien sûr !
Vous vivez donc en France, mais vos racines burkinabè comptent. Vous continuez à y retourner régulièrement ?
Ma lheu reusement, je n’y suis pa s retour né depuis le Fespaco de 2015. J’avais d’ailleurs dû quitter le festival précipitamment pour aller à Austin, où je venais d’êt re choisi pour jouer dans la série The Catch. J’avais prév u d’y revenir quelques mois après, mais j’ai été bloqué à Los Angeles un bon moment Et je n’y suis pas retourné Ce qui a créé une frustration, que l’on retrouve dans la dernière chanson de mon album, qui s’appelle « Ouaga doux goût », où je dis à quel point les pulsations de mon cœur me ramènent là-bas.
Je suppose que vous suivez l’actualité du Burkina.
Quel est votre avis sur l’évolution du pays sous la transition menée par le capitaine Ibrahim Traoré ?
Les Burkinabè qui peuvent quitter le pays régulièrement et que je rencontre sont très résilients. Les témoignages recueillis auprès d’eux sont très différents de ceux de mes amis français expatriés qui se sont fait chasser. Ils sont beaucoup plus positifs. Ils sont très conscients de la difficulté sur le plan international, mais en même temps, j’ai l’impression que le sang versé de Sankara est une sorte d’engrais qui a fait pousser une conscience politique très forte dans le pays. La jeunesse a l’impression d’avancer vers un ailleurs, vers cette autre chose dont elle a tant rêvé et qui est possible aujourd’hui. Bien sûr, l’histoire nous dira si on ne quitte pas la proie pour l’ombre. Mais ils sentent qu’ils avancent vers l’autonomie. Ils retrouvent un peu le rêve de Sankara. Il est peut-être illusoire, peut-être réel – quoi qu’il en soit, on sent et on entend un espoir. Vous avez longtemps vécu aux États -Unis, pays que vous connaissez bien. Quel est votre avis sur la campagne présidentielle, les chances de l’un ou l’autre camp à la veille du scrutin qui
opposera le mois prochain Donald Trump et Kamala Harris ?
Je suis resté ci nq ans à New York, en faisant des allers-retours en France, puis trois ans à Los Angeles. J’ét ai s déjà au x Ét at s-Un is à l’époque où Trump a été élu. J’ai l’impression que la même situation est en train de se produire Comme quoi, on n’apprend pas de l’histoire Tout le monde le donnait perda nt à l’époque Et à la surprise générale, il a été élu. Les Américains sont derr ière Tr ump, beaucoup plus qu’on ne le pense. L’Amérique profonde d’abord, mais le phénomène commence à transpirer sur les communautés hispaniques, noires, etc. Adopter un discours si mpliste et cont inuer à utiliser les mêmes éléments de langage qu’hier pour le décrédibi liser sera it une er reur. Si on pense comme ça, on est très loin de la réalité. Et franchement, Kamala Harris gagnante, je n’y crois pas beaucoup. J’espère me tromper, mais… Je sais aussi que Trump est très soutenu.
Pourquoi l’est- il autant, selon vous ?
Depuis son arrivée dans le paysage politique, le clivage entre démocrates et républicains n’est plus aussi clair qu’avant
Les cartes se mélangent. Le post-Cov id a changé la donne aux États-Unis. Les Américains ont pris un coup. Il y a eu un important exode, par exemple de gens qui ont quitté Los Angeles pour le Texas ou autres, et qui ont complètement changé de mentalité. Des démocrates purs et durs que je connaissais, fortunés, ont basculé chez les républicains Et pas plus pour les idées républicaines que pour Trump. Et puis, il s’est pris une balle dans l’oreille [rires] ! Dans ce pays, on adore ce genre d’histoires, on adule les héros fantaisie…
Et la situation politique en France, où vous vivez , vous l’analysez comment ? Avec, entre autres nouveautés, le Rassemblement national qui est aujourd’hui le premier parti de France.
Nous n’avons rien à envier aux Américains ! Nous aussi, on a nos histoires rocambolesques. En 1993, à l’époque de Touche pas à mon pote, une émanation du Parti socialiste, on a été formatés pour rejeter les idées du Front national. Et quelque part, on les a vivifiées. On a mené une politique paresseuse qui a consisté, depuis quarante ou cinquante ans, à faire du FN un épouvantail. Au lieu d’aller tacler les vraies questions et enjeux auxquels sont confrontés les Français Résultat, avec le temps, ça a pété. Et le RN est aujourd’hui devenu le maître du jeu. L’épouvantail est passé d’un mannequin de bois à une vraie person ne dont les idées plaisent au x Français On a
L’a cteu r à la carri ère inte rna tio na le apparaî t nota mment dans Bu nker (S ch apira) et In gl orious Ba sterds (Tarantino).
perdu tellement de pouvoir d’achat que toutes les classes sociales sont touchées de près ou de loin par la précarité. J’habite à Saint-Ouen, et je passe devant un marché où l’on vend depuis des années des produits à un euro Il était fréquenté par les pauv res. Aujourd’hui, des classes moyennes s’y rendent. Et j’ai l’impression que l’élec torat français est devenu plus exigeant par rapport au discours qu’on lui tient, même si ça balbutie et que ça se perd dans des miroirs aux alouettes. Le RN n’est pas forcément la réponse, mais il ne faut pas négliger l’élan qu’il y a derrière lui. Sinon, ce serait infantiliser ses élec teurs. Et on n’est pas si loi n de ce qu’i l se passe aux États-Unis Les gens veulent que le s régi me s ch an ge nt et pren nent dava ntage en compte leurs attentes urgentes Revenons sur vos projets personnels à cour t terme. Après les concer ts du 31 août au Stade de France pour les Jeux paralympiques et du 30 septembre à l’Européen avec votre groupe les Choco’Latés, quelle est la suite ?
L’aventure continue de se dérouler On prépare un spectacle pour 2025, avec le MA AD 93, un organisme œuv rant pour le rayonnement des territoires, qui s’appellera Les Belles Âmes du 93 Et puis, après la sortie de mon album, je serai de nouveau disponible pour le cinéma. J’ai eu vent de jolis projets pour l’année prochaine, donc je rev iendrai sûrement à l’écran. Mais j’ai aussi envie de passer derrière la caméra J’ai commencé comme réalisateur avant même de jouer la comédie. Et là, raconter mes propres histoires me démange. Pour finir, votre premier single est titré « Épouse ta cause ». À 47 ans, quelle est votre cause à vous ?
L’idée du si ngle, c’est de faire entendre l’ histoi re d’un gamin de quar tier qui est allé tutoyer un plafond de verre pour mieux en exploser l’illusion. Les deux tiers des textes de mon album sont des textes que j’ai écrits il y a une vingtaine d’années, à l’époque où je commençais à jouer dans des films internationaux – preuve qu’ils sont toujours d’actualité. J’ai envie de partager mon parcours et de permet tre au x gens de suiv re le leur, de me rejoindre de l’autre côté de la rive Et j’ai l’impression, aujourd’hui, que ma quête de sens rev ient à dire mon message ici, dans l’album, où je suis à la confluence de l’Afrique, des États-Unis, de l’Europe C’est une caisse de résonance plus forte, me semble-t-il. Je veux juste dire que ce plafond de verre n’existe pas, qu’il est illusoire. Si on ne nous donne pas le pouvoir, il faut le prendre soi-même ■
AbdoulayeKouyaté
APRÈSAVOIR ACCOMPAGNÉ DESARTISTESTELSQUE
BA CISSOKOOUJAIN, le Guinéensigne Fefany i,unbel albumnourri de traditionnel mandingue, de jazz,defunk, de coupé-décalé,dezouk. Il raconte sa jeunesseàConakry,prodigueses leçons de sagesse, célèbreles bienfaiteurs. proposrecueillispar AstridKrivian
Descendant de griot, j’ai étébercé de musiquesdès l’enfance –cubaine, tzigane, reggae, jazz,funk, mandingue, zouk…Mon père,Sékou Kouyaté, jouait de la kora et de la guitare, il m’atransmiscet amour. Cheminot,mécanicien, il conduisait lestrainsdemarchandisesdepuislaGuinéeConakry vers la Sierra LeoneetleLiberia, où il restaitdes semaines en attenteduchargementdes denrées. C’estdansces pays qu’il apu apprendrel’anglais.En1969, la chanteusesud-africaineetmilitante anti-apartheidMiriamMakebas’est réfugiée en Guinée.Unjour, en quêtedemusiciens pour l’accompagner, elle arepéré monpère quijouaitauclubLaPaillotte àConakry :ilest alorsdevenuson guitariste pendantdix ans! J’ai grandi en assistantàleurs répétitions. Àlamaison, ma mèreinterdisait àmon père de ramener sesinstruments : elle voulaitque je fassedes études.J’étais bonàl’école,car j’aimelacompétition,çatetireversl’avant. Mais ma passion pour la musiqueétait plus forte. J’avaisdes mélodies pleinlatête. Tous lesweek-ends, je sillonnais le quartier àlarecherche de musiciens; ilsm’ont ouvert leurs portes.J’aieuaccèsàune guitare, et j’ai appris ainsi. Ilsappréciaient monoreillemusicale, monjeu.Puismon père acomplétémon apprentissage.Avecmon groupe,onseproduisaitdansunhôtel; lesexpatriés nous commandaientdes morceaux viades cassettes,etonles apprenait àl’oreille. Monpèrem’a appris àtoujours persévérer, ànepas se décourager, àaller jusqu’au bout desprojets,àles faireaveclecœur, avec envie; et ànepas hésiterà demander auxautresdenousapprendre, caronne peut pastout savoir.Unjour, il esttombé malade et je l’ai remplacéàlakora au seindelatroupeCircusBaobab. Noussommespartisentournée pendant sixmoisenEurope. J’ai alorsdécouvert le froid, la galère,puis je me suis adapté Jenecomprenais pasl’écart si grandentre monpaysetle« vieuxcontinent» J’ai eu la chance de sortir de chez moipourdécouvrir l’ailleurs.Une fois revenu en Guinée,jeneperdais plus montemps àtraîner,àmener desdiscussions inutiles.Jevoyaisles choses avec plus de hauteur.
En plus de monpère, j’ai aussiété influencépar lesguitaristes SékouDiabaté,Foxy’s Camara, George Benson. La musiqueguinéenne esttrèsriche,jerêvequ’elle soit plus écoutée en Europe.
Le rôle du griotest d’honorerlamémoiredes personnes, de célébrer leurs hautsfaits,leur mérite,d’encouragerleurs actions, de lesf latter.Onchanteceuxqui se sont battuspourlibérer le pays,vaincreles envahisseurs ;ceuxengagés aujourd’huipourleprogrès,l’approvisionnement en eaudansles villages,etc.Mon album Fefanyi (« le bienfait»)rendhommage auxbienfaiteurs,aux gens de bonnevolonté quiaidentlajeunesse guinéenne, le pays,encréantdes emplois, desterrainsdefoot, dessallesdeformation.Entantque griot,jesuis aussiunpacificateuràtravers desleçonsdesagesse, deschansonsqui font réfléchir,éveillentles consciences.
La musique estunlieuoùjepeuxme cacher. Quandjejoue, je me sens vraimentbien, tous messoucis disparaissentsur-le-champ. Mais il suffitque je pose l’instrument et mesennuismedisent: «Bonjour Abdoulaye !» ■
«Entantque griot, je suis un pacifcateur àtravers desleçons de sagesse,des chansons quiéveillent lesconsciences.»
Interv iew
Franci s Du fay
BUSINESS
Au Nigeria, la ra f f nerie Da ngote ma nq ue de pétrole
Sauver la rivière
Fa lémé des or pa il leu rs au Sénéga l
Le vi rus Mpox pour ra it impacter le touri sme en Af rique
La prem ière ra f f nerie d’or bientôt cert i fée au Ghana
L’inexorable croissance du e-commerce
Malgré l’inflation et les défis logistiques, la demande des consommateurs et la généralisation de l’Internet mobile poussent le secteur de l’achat en ligne.
Le précurseur Jumia se restructure, tandis que le géant Amazon investit à partir de l’Afrique du Sud. par Cédric Gouverneur
Jumia, pionnier et leader du e-commerce en Afrique, rev ient de loin. Fondée en 2012 à Lagos et Berlin, et présente aujourd’hui dans onze pays du continent (Tunisie, Maroc, Algérie, Ég ypte, Sénégal, Côte d’Ivoire, Nigeria, Ghana, Kenya, Ouganda et Afrique du Sud), elle a été en 2019 la première entreprise africaine cotée à la Bourse de New York La start-up a suscité maints espoirs… sa ns pour auta nt encore at teindre la rent abil ité. Ces dern ières an nées, face à l’accu mu lation de per tes, le groupe s’ét ait résigné à rédui re la voilure, se retirant de troi s ma rc hés majeurs : le Ca meroun, le Rwanda et la Ta nzanie. À l’in st ar de tous les acteu rs du e- commerce en Af rique,
Ju mia af fronte les di ff ic ultés in hérentes au x spéc if ic ités du cont inent : au budget souvent lim ité de s consom mateur s, qu i réduit les ma rges de s sites de e- commerce comme des vendeu rs pa rtenai res, s’ajoutent souvent le mauvai s ét at de s routes et l’ampleu r des emboutei llages urba in s, sa ns omet tre l’éc ueil que constituent les ad resses pa rfoi s vagues ou non formal isées, qu i égarent les livreu rs à domici le… Et pour ta nt, le ma rché est là : « Il e xi ste une véritable dema nde, y compri s en zone ru ra le, nous conf ie Abde ssla m Ben zitoun i, respon sable de la com mu nication de Ju mia. Les consom mateurs af rica in s ont besoin d’ac heter en ligne cert ai ns produits qu’i ls ne trouvent
pa s ai lleu rs Il faut donc adapter le e- commerce au x pays af rica in s. » Di recteu r généra l de Ju mia depu is novembre 2022 , le Franco -Ivoir ien Franci s Du fay a opté pour « un retour au x fondamentaux » af in de red resser l’entrepri se, convaincu de la pert inence et de la pérenn ité du busi ness model [voi r son interv ie w pa ge s suivante s] Face au x di ff ic ultés d’ad ressage qu i pert urbent encore les livrai sons, Ju mia table su r le déploiement d’un réseau de points relai s, où le consom mateur vient cherc her son ac hat. L’entrepri se opte aussi pour la cent ra li sation de ses produits : deux nouveaux entrepôts, respectivement de 30 000 et 5 000 mètres carrés, ont été inaugurés en juin à Lagos et à Bouskoura.
BUSINESS
Car malgré l’inflation et les difficultés logistiques, tous les voyants sont au vert pour une croissance soutenue, à moyen et long termes, du e-commerce en Af rique.
VOYANTS AU VERT
POUR
UN SUCCÈS À TERME
Selon les estimations du département du Commerce américain, plus de 40 % des habitants du continent réaliseront des achats en ligne fin 2025, contre seulement 13 % en 2017. Les plateformes de e-commerce actives en Af rique ont vu leur fréquentation grimper de 140 % entre 2017 et 2021. Différentes études évaluent la hausse de leur fréquentation de 34 % entre 2022 et 2025, puis de 49 % entre 2024 et 2028 Le chiffre d’affaires du e-commerce sur le continent devrait donc grimper de 10 % chaque année, au moins jusqu’en 2027 La croissance démographique, la jeunesse de la population, le phénomène urbain, l’appétence pour les produits de consommation – et les difficultés pour les dénicher chez les détaillants locaux – constituent autant de
facteurs qui garantissent une hausse continue du nombre d’acheteurs en ligne af ricains, qui plus est sur un continent de mieux en mieux connecté : dans un récent rapport, le groupe suédois Ericsson prévoit 320 millions d’abonnements 5G d’ici à 2029 en Af rique subsaharienne, contre 11 millions aujourd’hui ! L’essor des paiements numériques, des banques en ligne et des solutions de paiement différé (BNPL, buy now, pay later) tend également à faciliter les achats en ligne. Enfin, la mise en place de la zone de libre-échange continentale af ricaine (ZLECA f) promet l’atténuation progressive des contraintes logistiques, aussi bien tarifaires que matérielles. Le défi de la résolution des obstacles au e-commerce génère aussi de nouvelles activités : ainsi en est-il du marché de la logistique du
La croissance démographique, la jeunesse de la population, l’appétence pour les produits de consommation sont autant de facteurs garantissant une hausse du nombre d’acheteurs en ligne.
« dernier kilomètre » (la st mile delivery market), où des microentreprises s’efforcent d’acheminer les colis aux acheteurs. Estimé en 2023 à 1,34 milliard de dollars sur le continent, ce marché du dernier kilomètre devrait croître en moyenne de 8,45 % par an, pour s’élever à au moins 2,78 milliards de dollars en 2032, selon un récent rapport de Straits Research. Ce cabinet d’études indien souligne que la clientèle, en Af rique comme ailleurs, est de plus en plus exigeante :
« Les consommateurs s’attendent à être livrés le jour même, alors qu’ils patientaient auparavant cinq à six jours » Au Congo-Brazzaville, la start-up Noki Nok i a achevé en juin dernier une levée de fonds de 3 millions de dollars. Fondée en 2021 par le jeune entrepreneur franco-congolais Jonathan Yanghat, Nok i Nok i (qui signifie « vite, vite » en lingala) revendique un flux de transactions d’environ 1 milliard de FCFA en 2023 (1,5 million d’euros) à Brazzaville, Pointe-Noire (capitale économique du Congo-Brazzaville), Librev ille, Dakar et Abidjan. Nok i Nok i affiche son ambition de devenir la référence dans la livraison de proximité sur le continent, avec des serv ices de livraison, mais aussi une interface de paiement sur mobile, Nok i Pay. À l’instar de Nok i Noki, un total de 129 start-up af ricaines grav itant dans le monde du e-commerce (plates-formes, sites marchands, solutions de paiement…) ont cumulé, entre janv ier 2019 et juin 2023,
près de 1 milliard de dollars de levées de fonds (948,5 millions). Cer taines de ces « jeunes pousses » ont mis la clé sous la porte ces dernières années, d’autres ont dû licencier, mais l’écosystème est bel et bien en constr uction.
AMAZON À LA CONQUÊTE DE L’AFRIQUE DU SUD
Après tout, il a fallu une dizaine d’années à Amazon (au départ simple star t-up fondée à Seattle en 1994 pour l’achat et la vente de livres) pour devenir rentable, avant de s’imposer comme un empire tentaculaire. Signe que le e-commerce a de l’avenir en Af rique : l’arrivée en mai dernier d’Amazon en Af rique du Sud, deuxième économie du continent, où le nombre de clients du e-commerce devrait doubler les cinq prochaines années, passant de 11,7 à plus de 21 millions. La multinationale américaine a annoncé vouloir investir 3,5 milliards de dollars d’ici 2029 dans la nation « arc-en-ciel ». Elle s’attaque à un marché jusque-là dominé par Takealot, le principal site marchand sud-af ricain Propriété du conglomérat local Naspers (fondé en 1915), Takealot, lancé dès 2011, revendique 4 millions de clients et 33 000 emplois directs et indirects via ses trois platesformes de vente en ligne (Takealot, Superbalist et Mr D) Entre le leader local et la firme de Jeff Bezos, la concurrence promet d’être sans pitié : selon des témoignages recueillis par le journal sud-af ricain spécialisé dans les technologies MyBroadband, des commerçants et des particuliers sudaf ricains proposant leurs produits à la fois sur Amazon et sur Takealot dénoncent l’obligation qui leur aurait été faite par la multinationale américaine d’aligner leurs prix, donc de réduire leurs marges ■
LES CH IFFR ES
LA PRODUCTI ON MO ND IALE DE CACAO DE L’AN NÉ E 20 24 DE VR AIT CO NNAÎTR E UN DÉ FICIT DE 462 000 TO NNE S PAR RAPP OR T À LA DE MAN DE .
Près de 10 0 % : l’augmentation des recettes de TVA au Nigeria en un an, après les réformes économiques drastiques et douloureuses menées par le président Tinubu
22 %
des médicaments vendus en Afrique subsaharienne s’avèrent de qualité inférieure, voire falsifiés.
LE COÛT DU COMME RCE entre pays d’Afrique est en moyenne 20 % plus élevé qu’entre l’Afrique et les autres continents
UN DIAMANT DE 2 49 2 CARATS , DE LA TAILLE
D’UN PO IN G, A ÉTÉ DÉCO UVE RT FI N AO ÛT AU BOTSWANA . IL S’AG IT DU DE UXIÈ ME PLUS GR OS JAMAI S EX TR AIT AU MOND E.
Environ 50 % des crédits demandés par les petites entreprises africaines sont refusés par les banques, contre 7 % des crédits aux multinationales.
Francis Dufay « Notre business model est conçu pour s’adapter »
Jumia, pionnier du e-commerce en Afrique, remonte la pente. Le Franco-Ivoirien Francis Dufay, son PDG depuis deux ans, estime que les contraintes macroéconomiques peuvent être dépassées. La croissance comme la demande des consommateurs sont réelles – y compris, et surtout, dans les petites villes et en zone rurale. propos recueillis par Cédric Gouverneur
AM : Comment se porte Jumia, à présent ?
Francis Dufay : Jumia a, certes, traversé des moments difficiles, mais nous avons mené une transformation complète de l’entreprise depuis maintenant deux ans. Nous nous sommes recentrés sur notre cœur de business, le e-commerce en Afrique, et avons diminué nos coûts variables et fixes Par exemple, les dépenses de marketing ont été divisées par quatre en deux ans. Nous avons aussi fermé notre siège de Dubaï – avoir des bureaux dans le Golfe était peu pertinent pour une entreprise travaillant en Afrique. Nous avons travaillé notre proposition de valeur : nous recentrer sur une offre pertinente destinée aux classes moyennes africaines, dont le pouvoir d’achat est peu élevé, et à qui nous devons donc proposer une offre accessible financièrement. Simplification, efficacité et amélioration de notre proposition de valeur améliorent
nos résultats, trimestre après trimestre, en matière de volumes d’achats et de valeur de vente. Récemment, nous avons réalisé une levée de fonds de 96 millions de dollars, afin d’aborder sereinement les challenges à venir. Combien de visiteurs mensuels et de partenaires commerciaux comptez-vous désormais ?
En 2023, nous recensions un total de 868 millions de visiteurs sur nos sites, et environ 64 000 vendeurs actifs. Nous sommes une « marketplace » : nous travaillons avec tout le monde, du microentrepreneur revendeur de chaussures au distributeur national marques comme Samsung.
Envisagez-vous de vous déployer dans d’autres pays africains ?
À long terme, tout est possible, car nous sommes plus solides. Mais le potentiel de croissance est déjà extraordinaire dans les onze pays où nous sommes présents – ils cumulent 600 millions d’habitants ! Avec 2 millions de clients chaque trimestre, la marge de progression potentielle est phénoménale. Développer le e-commerce à l’intérieur du Nigeria, par exemple, représente déjà beaucoup de travail. Cherchez-vous également à vous développer en zone rurale et dans les petites villes ?
Tout le monde ne vit pas dans la capitale. Dans les villages, des gens qui ont un budget de 150 à 200 dollars par mois font déjà partie de la classe moyenne, ils ont des besoins mal desser vis par le réseau de commerces de détail existant La question n’est pas de savoir si les petites villes et les zones rurales africaines sont prêtes pour le e-commerce, mais à l’inverse si le e-commerce est prêt pour ces zones rurales ! Jumia y fonctionne très bien, car nous leur apportons la bonne offre, au bon prix, près de chez eux. C’est une clientèle très fidèle, qui représente un grand potentiel de croissance L’inflation a-t- elle encore un impact sur vos activités ?
En tant que marketplace, nous nous trouvons à la croisée entre l’offre et la demande. L’inflation et son
corollaire, la dévaluation des monnaies nationales, ont un impact sur l’offre – les firmes étrangères expédient moins de marchandises –, mais également sur la demande – le pouvoir d’achat est impacté, les consommateurs se concentrent sur les besoins essentiels. Mais cette inflation reste un événement temporaire, qui n’inf lue en rien la tendance de fond : la population cherche une meilleure offre, à un meilleur prix, et est prête à passer au commerce en ligne si l’opportunité se présente. Notre business model est résistant à ces problèmes macroéconomiques conjoncturels. Au Ghana, nous avons réalisé 100 % de croissance de nos ventes, alors que le pays subit une très forte inflation : nous avons pu nous y développer, car nous avons su nous adapter au contexte particulier. La demande est là, il nous faut du stock pour la satisfaire, en priv ilégiant l’entrée de gamme compte tenu du pouvoir d’achat de nos clients, et en nous concentrant sur nos fournisseurs afin de sécuriser les stocks, de remplir nos entrepôts en prenant en compte les difficultés logistiques. Notre business model est bâti pour résister Amazon a débarqué en Afrique du Sud en mai. Quels défis ce concurrent représente-t- il pour Jumia ?
Qu ’en est- il de votre par tenariat avec Starlink ?
Au Nigeria et au Kenya, nous sommes distributeurs de Starlink, et nous le serons bientôt dans d’autres pays Nous vendons leur kit de réception qui permet aux clients d’accéder à Internet. C’est pertinent pour des particuliers et des petites entreprises qui auraient besoin d’une connexion rapide en zone rurale.
Comment se structure votre réseau de points relais ?
Nous adaptons notre offre de serv ices au pouvoir d’achat de nos clients : ils préfèrent souvent se déplacer plutôt que de dépenser un demi-dollar supplémentaire pour être livré à domicile
Si Amazon s’intéresse au e-commerce en Afrique, cela valide l’idée que ce marché est pertinent. Il n’en demeure pas moins que le marché sud-africain est déjà très concurrentiel. Dans ce pays, Jumia est présent via Zando, filiale spécialisée dans la mode, un secteur sur lequel n’est pas présent Amazon. Notons que le marché sud-africain est très spécifique du fait de sa maturité sur le retail (le marché de détail) et sa logistique : les leçons qu’en tirera Amazon ne lui seront donc guère profitables pour partir à l’assaut du Nigeria ou du Kenya
Si Amazon s’intéresse au e-commerce en Afrique, c’est que ce marché est pertinent.
Les points relais sont aussi très pertinents pour atteindre les clients des villes secondaires, où les volumes de ventes seraient trop faibles pour des livraisons à domicile. Enfin, ils constituent un puissant outil marketing pour faire découv rir le e-commerce dans des petites villes, lui donner une réalité tangible aux yeux de consommateurs peu familiers de ce mode d’achat. Nous construisons notre réseau avec plus de 400 partenaires qui connaissent parfaitement leur région. Nous disposons d’environ 1 400 points relais. Notre objectif n’est pas d’en compter un maximum, mais de bénéficier d’une densité adaptée aux besoins, permettant de concentrer les volumes avec les prix les plus bas pour nos clients. Qu ’attendez-vous de la ZLECAf ?
Sa mise en œuv re serait une révolution, car nous avons de gros coûts fixes, d’importants volumes, mais de petites marges. Si notre base logistique à Abidjan pouvait desser vir toute l’Afrique de l’Ouest grâce à la ZLEC Af, cela aurait un impact phénoménal sur nos volumes de ventes, et constituerait un grand avantage pour nos activités, nos vendeurs, nos partenaires et les populations ! Cela peut toutefois prendre du temps… ■
Ina uguré en mai 20 23, l’éta bl issem ent pe in e à tour ner à plei n ré gi me
Au Nigeria, la raffinerie Dangote manque de pétrole
Les livraisons sont en deçà des capacités du complexe de Lekki, opérationnel depuis janvier. Son patron demande la fin des importations de carburants.
La raffinerie géante du groupe Dangote éprouve des difficultés à tourner à plein régime. D’une capacité de 650 000 barils par jour – plus du double de la consommation quotidienne de carburant du pays –, la mégaraffinerie ne parv ient toujours pas à s’approv isionner suffisamment en pétrole brut, dix mois après sa mise en serv ice.
La compagnie pétrolière nationale nigériane NNPC est supposée fournir chaque jour 325 000 barils de brut
à la nouvelle raffinerie, située à Lekk i, près de Lagos. Mais ses livraisons s’avèrent bien inférieures.
En mai 2023, lors de l’inauguration officielle de ce complexe industriel de 2 500 hectares, qui représente au total un investissement de près de 20 milliards de dollars, le PDG Aliko Dangote, fondateur du conglomérat éponyme et homme le plus riche du continent, s’était montré confiant : « Dans l’année qui vient, nous allons proposer un produit raffiné de qualité, et ainsi nous pourrons éliminer notre
dépendance, mettre fin une bonne fois pour toutes à l’essence frelatée qui envahit notre marché. » Faute de capacités de raffinage, le Nigeria, premier exportateur de pétrole brut du continent avec 1,2 million de barils par jour, doit importer la majeure partie de son carburant. La raffinerie Dangote a pour objectif d’en finir avec ce paradoxe et d’assurer la souveraineté énergétique de la nation la plus peuplée du continent.
Le PDG de la NNPC, Mele Kyari, avait renchéri lors de l’inauguration : « Il est
très clair que notre pays deviendra un exportateur net de carburants dans un laps de temps très bref »
DÉTOURNEMENT ET LOBBYING
Mais l’équation s’avère plus complexe à résoudre, du fait de l’intensité des vols, des détournements et de la corruption qui frappent la production pétrolière. Les autorités estiment que 400 000 à 450 000 barils de brut sont dérobés chaque jour, soit l’équivalent des productions pétrolières du Gabon et du Congo réunies. Des centaines de millions de dollars sont ainsi perdues chaque mois. Le président Bola Tinubu, élu en 2023, est pressé d’agir, le journal nigérian The Punch lui demandant dans un éditorial de « refonder l’architecture militaire du Delta » du Niger, la principale zone de production pétrolière, où l’action des forces armées contre le banditisme s’avère manifestement peu efficace Les vols ne sont pas les seuls responsables de cette situation : les experts du secteur pétrolier pointent aussi le rôle du lobby des traders de carburant, qui ont tout intérêt à la perpétuation des importations Afin d’obtenir des produits à raffiner à Lekki, le groupe Dangote se voit désormais contraint d’importer du pétrole brut venu des États-Unis. Le vice-président du groupe, Devakumar Edwin, fait aussi part de tractations avec la Libye. Selon l’agence Bloomberg, Aliko Dangote a demandé en juillet aux autorités de suspendre les importations de diesel et de kérosène. Le magnat se trouve confronté à l’opposition des importateurs de carburant : l’association nigériane des négociants de dépôts et produits pétroliers (DAPPM A), comme l’agence gouvernementale de régulation des produits pétroliers (NMDPR A) ont publiquement dénoncé sa requête ■ DR
Sauver
Le c ou rs d’ea u, obs tru é et boueux , est pol lu é du fa it de s ex pl oita ti on s ill éga le s.
la rivière Falémé des orpailleurs au Sénégal
Trop polluantes, les activités minières sont désormais interdites sur ce fleuve.
Un décret du président Bassirou Diomaye Faye interdit, au moins jusqu’au 30 juin 2027, toute activité minière dans un rayon de 500 mètres sur la rive gauche de la rivière Falémé, près de la ville de Kédougou, dans l’est du pays. La délivrance des titres miniers est également suspendue par les autorités. Affluent du fleuve Sénégal, auquel elle apporte environ un quart de son eau, la Falémé est polluée depuis deux décennies par les activités de milliers d’orpailleurs artisanaux, venus de toute l’Afrique de l’Ouest. Principale réserve d’eau pour la population du Sénégal oriental et son bétail, elle est à l’agonie du fait des produits chimiques qui s’y déversent. La pêche dans la rivière et le maraîchage sur ses rives sont
devenus impossibles, et le bétail s’empoisonne en buvant son eau. L’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) et les associations de défense de l’environnement ouest-africaines dénonçaient depuis des années les conséquences catastrophiques de l’orpaillage sur la Falémé et, au-delà, sur le fleuve Sénégal. La décision présidentielle est donc bienvenue, mais semble encore peu suiv ie d’effets : « Sur le terrain, aucun signe de respect de la décision n’a lieu », souligne un reportage de nos confrères de SenePlus réalisé sur place début septembre, observant que « la non-interdiction au territoire malien compromet la volonté sénégalaise de sauver la Falémé », la rivière délimitant la frontière entre les deux États sur plusieurs kilomètres. ■
Le virus Mpox pourrait impacter le tourisme en Afrique
Tout dépendra cependant de l’ampleur et de la durée de l’épidémie, souligne l’agence de notation Fitch Ratings, se basant sur le précédent d’Ebola en 2014.
«Une accélération potentielle de la propagation du Mpox en Afrique subsaharienne pourrait accroître le risque que le virus, ainsi que les efforts pour contrer son impact, nuisent à l’activité économique et affaiblissent les mesures fiscales » des pays concernés, analyse l’agence de notation britannique Fitch Ratings dans une note publiée le 28 août. Endémique depuis 2022, le virus
Mpox a été classé le 14 août par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme « urgence de santé publique de portée internationale », à la suite d’une flambée des cas en Afrique centrale, principalement en République démocratique du Congo (R DC), avec env iron 20 000 contaminations et 600 décès, notamment dans les camps de réfugiés et les villes minières de l’est du pays. En juillet et août, quelques cas ont été répertoriés en Côte d’Ivoire, en
République centrafricaine, au Kenya, en Afrique du Sud, au Rwanda, au Burundi, en Ouganda. Plusieurs de ces pays n’avaient jamais été affectés par cette maladie auparavant. Selon l’agence de notation, « le tourisme pourrait être affecté, un facteur potentiellement significatif au Kenya, au Rwanda et en Ouganda, où selon les données des Nations unies le tourisme compte respectivement pour 11 %, 20 % et 19 % des recettes d’exportations ». Et en effet, le secteur
africain du tourisme, notamment en Afrique du Sud, s’alarme de recevoir des demandes d’annulation de séjours de la part de clients occidentaux effrayés sans raison : « Dépeindre le cont inent tout entier comme une zone à haut ri sque en ra ison d’une épidém ie loca li sée est non seulement faux , ma is cela nu it à l’économie du tour isme da ns toute l’Af rique », déplore David Frost, président de l’Associat ion de s profession nels du tour isme d’Af rique aust ra le (SATSA) da ns Travel Weekly, magazine en ligne des professionnels du tourisme. « L’Afrique n’est pas un pays, rappelle-t-il, c’est un continent géographiquement plus grand que les États-Unis, l’Europe et la Chine combinés. » Le Sud-Africain dénonce la couverture médiatique occidentale, souvent sensationnaliste, de la mal nommée « variole du singe ».
La Mpox peut être douloureuse et laisser des cicatrices, mais les rares décès concernent en majeure partie des personnes au préalable affectées par un VIH non soigné.
L’OMS a annoncé fin août un plan stratégique mondial de préparation et d’intervention de 135 millions de dollars contre le Mpox, de septembre 2024 à février 2025
Le Japon a promis d’acheminer 3,5 millions de doses de vaccin sur le continent, les États-Unis et l’Espagne un demi-million chacun. Fitch Ratings souligne par ailleurs l’importance de l’aide internationale : « Tout impact budgétaire pourrait être partiellement contrebalancé par des financements additionnels de la part de donateurs et de partenaires multilatéraux. » Les conséquences « dépendront de la sévérité et de la longév ité des impacts économiques et fiscaux du virus, de la disponibilité et de l’ampleur du soutien des donateurs ». ■
La première raffinerie d’or bientôt certifiée au Ghana
Premier producteur d’or du continent, le pays vient d’inaugurer une raffinerie où l’État détient 20 % des parts.
La Royal Ghana Gold Refinery, inaugurée le 8 août à Accra, recev ra prochainement la certification de la puissante London Bullion Market Association (LBM A), qui fait autorité sur le marché mondial de l’or. La raffinerie ghanéenne deviendrait ainsi la deuxième habilitée sur le continent, avec la Rand Refinery sud-africaine. Premier producteur de métal jaune en Afrique avec 4,5 millions d’onces estimées extraites en 2024, le Ghana (que les Britanniques avaient dénommé Gold Coast) s’efforce d’accroître ses revenus issus de l’extraction aurifère. Le nouvel établissement, fruit d’un partenariat public-privé entre l’État (20 % des parts) et la société indienne Rosy Royal Minerals, pourra traiter jusqu’à 400 kilos d’or
par jour, tout d’abord auprès des « galamsey » (mineurs artisanaux) et des petites entreprises, puis des grandes sociétés « Une nouvelle ère qui freinera la contrebande et augmentera les revenus du Ghana », s’est félicité le vice-président Mahamudu Bawumia. Le gouverneur de la Banque centrale du Ghana, Ernest Addison, a déclaré que la certification par la LBMA permettra de « diversifier et accroître les réserves de devises étrangères » et « moins dépendre des emprunts extérieurs ». Le Ghana, qui s’est déclaré en défaut de paiement en décembre 2022, remonte la pente : le pays a obtenu un accord de restructuration de sa dette extérieure, et la croissance économique, de 2,9 % en 2023, a dépassé les prév isions du Fonds monétaire international (FMI). ■
S 20 QU ES TI ON S
Souad Massi
Da ns son al bu m Sequana, avec sa folk tissée de rock, de caly pso ou de blues sa hélien, la CH AN TEUSE ET GU ITAR ISTE FR ANCO-A LGÉR IENN E chante ses révoltes face au x injust ices, tout en cult iva nt l’espoir et la résistance propos recu eillis par Astrid Krivian
1 Votre objet fétiche ?
Un livre, une tasse de café et une guitare. Et si je dois en choisir un seul : la guitare.
2 Votre voyage favori ?
L’Australie, découverte lors d’une tournée.
J’ai été profondément marquée par les paysages et cette impression d’espaces infinis.
3 Le dernier voyage que vous avez fait ?
À Montpellier, pour le Festival Arabesques.
4 Ce que vous emportez toujou rs avec vous ?
Un livre. Les moments de lecture font partie des rares où je parv iens à m’extraire du réel et à plonger dans un autre monde. Elle me coupe du quotidien.
5 Un morceau de musique ?
La chanson « Now We Are Free », de Hans Zimmer et Lisa Gerrard, extraite du film Gladiator. Elle traduit à elle seule deux sentiments très profonds : la sérénité et, bizarrement, une forme de tristesse apaisée.
6 Un livre su r une île déserte ?
Les sept tomes d’À la recherche du temps perdu de Marcel Proust. Ses réflexions psychologiques sur la littérature, la mémoire et le temps m’ont beaucoup interpellée.
7 Un film inou bliable ?
Dune, de Denis Villeneuve, pour l’intensité des images, les expressions des visages, les silences éloquents et les références aux religions – à la fois perturbantes et intrigantes.
8 Votre mot favori ?
« Paix. » J’ai l’impression grandissante qu’il n’y a hélas plus de place pour ce mot, alors j’aime le revendiquer et le proclamer.
9 Prodig ue ou économe ? Économe.
10 De jour ou de nuit ?
De jour, parce que la nuit est sy nony me de repos et de ressourcement, sauf pendant mes concer ts.
11 X, Facebook, WhatsApp, coup de fil ou lettre ?
J’aime les lettres et le récit, mais j’utilise le coup de fil par obligation C’est le moyen le plus rapide. Je n’ai rien contre les technologies, mais elles ne sont pas mon point fort.
12 Votre tr uc pour penser à autre chose, tout ou blier ?
Une balade en pleine nature
13 Votre extravagance favorite ?
Monter sur scène et faire le métier que j’aime.
14 Ce que vous rêviez d’être quand vous étiez en fant ?
Présidente de mon pays ! Je voulais être la première femme à exercer cette fonction, être en quête de justice, incarner le changement J’idéalisais alors cette responsabilité, mais la réalité nous rattrape vite avec l’âge…
15 La dernière rencontre qui vous a marquée ?
Une femme de loi, procureure de la République J’étais impressionnée par son charisme, son calme et la justesse de ses mots.
16 Ce à quoi vous êtes incapable de résister ?
Au sommeil.
17 Votre plus beau souvenir ?
Une balade au bord de la mer en très bonne compagnie.
18 L’endroit où vous aimeriez vivre ?
Un chalet au milieu de la forêt.
Sequana, 2022 , Back ingTrack Produc tion /V irgi n Mu sic LA S.
19 Votre plus belle déclaration d’amou r ?
Ma chanson « Enta Wena », dédiée à l’être aimé.
20 Ce que vous aimeriez que l’on retien ne de vous au siècle prochain ?
Ma sincérité. ■
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