Sénégal
L’ÉNIGME MACKY
SALL
Interview
ABDERRAHMANE SISSAKO «Anticiper un monde de plus en plus mélangé»
Il a acté le report de l’élection présidentielle. Une première, risquée, dans l’histoire du pays. Tentative de portrait et d’explication.
Enjeux
COUP DE CHAUD SUR LA CORNE Business
LA CHINE, NOTRE ASSOCIÉ EN PANNE
UNE SACREE CAN !
Organisation, suspense, qualité du jeu, polémiques aussi…
Voyage en Côte d’Ivoire
pour la meilleure des Coupes d’Afrique Fra n ce 4 , 9 0 € – Afriq u e d u S u d 49, 9 5 ra n d s (t axes incl .) – Alg é rie 320 DA – Alle m ag n e 6 , 9 0 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0
N °4 4 9 - F É V R I E R 2 0 2 4
L 13888 - 449 S - F: 4,90 € - RD
Melun 92.3 | Mantes-La-Jolie 87.6 | Abidjan 91.1
édito PAR ZYAD LIMAM
NOUVEAUX SUD, NOUVEAU MONDE? Paradoxalement, le concept est né aux ÉtatsUnis. Une nation dominatrice, mais souvent à l’avantgarde de la réflexion sur les évolutions du monde et moins empêtrée dans les certitudes eurocentrées. Le terme « Sud global » apparaît en 1969, porté par Carl Oglesby, une figure du mouvement étudiant qui s’oppose à la guerre du Vietnam, qui dénonce une domination et un ordre social injustes imposés par le «Nord». L’expression «Global South» revient dans des publications américaines à la fin des années 1990, actant la fin du paradigme est-ouest, pour en revenir à la dynamique finalement fondamentale nord-sud. Depuis, le terme s’impose. Nous serions ainsi passés de la pauvreté, du déclassement, du « tiersmonde » (expression inventée par Alfred Sauvy en 1952), pour aboutir à une sorte de force «globale» qui serait, du coup, à respecter. Les frontières du concept sont floues (la Chine est au nord, l’Australie au sud…), on a du mal à en extraire les facteurs d’unité géostratégiques. Et les chercheurs, très souvent occidentaux, sont nombreux à critiquer le terme : hétérogène, à géométrie variable, dissensions internes, avatar de la pensée postcoloniale naïve… Peut-être. Pourtant, au Sud, aux Sud, on y adhère naturellement, malgré les différences, malgré la confusion. Paradoxalement encore, cette dynamique du Sud global est largement le produit de la mondialisation, une mondialisation voulue et promue par «l’Occident». Cette vaste ouverture des marchés, la délocalisation de l’argent et du travail ont entraîné une modification profonde de l’équilibre économique. La Chine, empêtrée dans la misère de masse il y a à peine cinquante ans, se propose aujourd’hui comme un contre-modèle, le leader de ce Sud global, et vise la place de première puissance économique, face à la grande Amérique. L’Inde, même encore archaïque, n’est pas loin d’entrer dans le « top 5 » mondial. Mexique, Brésil, Turquie, Malaisie, Vietnam, Afrique du Sud, Thaïlande et d’autres encore… L’argent s’est déplacé d’une manière révolutionnaire. Les pays du G7 détenaient les deux tiers de la richesse mondiale au virage des années 1980. Aujourd’hui, ils représentent aux alentours de 35 %. Dans le process, des AFRIQUE MAGAZINE
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centaines de millions de pauvres se sont émancipés. L’émancipation a créé de la souveraineté, de l’indépendance, une prise de conscience. C’est ce qui rassemble ces Sud globaux. Le concept incarne une aspiration commune, sousjacente. La volonté militante de rééquilibrer l’ordre de l’humanité, avec un point commun tout à la fois confus et puissant: la remise en cause du règne de l’Occident, ce si long règne qui commence par l’exploration du monde, puis la colonisation, puis la libération dans la violence, puis l’avènement d’un ordre postcolonial inéquitable et qui perdure, en imposant la domination politique, financière, militaire, sociétale du tiers de l’humanité sur tout le reste… Et si l’Amérique n’a pas été une puissance coloniale, elle s’est tout de même installée comme puissance impériale, dictant ses choix et ses priorités à tous. Le Sud global n’existe peut-être pas vraiment dans son hypothétique unité, mais c’est une idée puissante (au point qu’elle recrute dans les sphères du «Nord», la jeunesse, les minorités raciales, chez une partie des «déclassés»…). Et elle se nourrit des réalités d’aujourd’hui. La formidable injustice du débat sur le changement climatique en est l’une des illustrations. Le tristement célèbre « deux poids, deux mesures », incarné par la guerre en Ukraine et la guerre à Gaza, en est une autre. L’alignement sans nuance, ou presque, de la grande majorité de l’Occident avec Israël, les yeux fermés sur l’immensité de la tragédie humaine à Gaza – un territoire rasé, déjà près de 30000 morts, dont au moins 6000 enfants, selon l’Unicef – ont mobilisé largement les Sud globaux. Et, après soixantequinze ans d’oppression, les Palestiniens sont devenus l’un des emblèmes de la lutte anticoloniale moderne. Le monde change, mais le chemin à parcourir est encore long. L’Occident est une réalité. Tout comme son intelligence, sa créativité, sa puissance. Sa décadence est toute relative. Il reste l’épicentre, là où se dessine une grande partie de ce que sera demain. Le Sud global émerge, l’émancipation est nécessaire, incontournable, mais ce monde-là doit encore composer avec la pauvreté, les inégalités, la fragilité, tout particulièrement en Afrique. ■ 3
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N °4 4 9 F É V R I E R 2 0 2 4 ÉDITO Nouveaux Sud, nouveau monde? par Zyad Limam
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ON EN PARLE C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN
1-54 dans ses terres 26
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TEMPS FORTS L’énigme Macky Sall
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Coup de chaud sur la corne
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PARCOURS Ousmane Goïta C’EST COMMENT ? CAN, trop bien! par Emmanuelle Pontié
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PORTFOLIO Kehinde Wiley: Affronter le silence qui entoure l’injustice par Catherine Faye
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Une sacrée CAN!
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Abderrahmane Sissako: «Black Tea anticipe un monde de plus en plus mélangé»
VIVRE MIEUX Le piège des tranquillisants
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VINGT QUESTIONS À… Mohamed Champion par Astrid Krivian
par Zyad Limam
par Jean-Marie Chazeau
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CE QUE J’AI APPRIS Olivia Elkaim
par Annick Beaucousin PHOTOS DE COUVERTURE: LÉA CRESPI/PASCO & CO - MOHAMED ALY/BACKPAGEPIX
Stéphanie Soubrier: Les «races guerrières», enquête sur une imposture coloniale
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par Astrid Krivian
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par Cédric Gouverneur et Zyad Limam
par Cédric Gouverneur
par Astrid Krivian
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par Zyad Limam
Christelle Bakima Poundza: «Porter la beauté au même titre que les autres» par Astrid Krivian
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Caryl Férey: «Les animaux sont un symbole et un modèle à suivre» par Catherine Faye
Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps. Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet: www.afriquemagazine.com 4
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AMINA REZKI/UNTITLED (2023)/COURTESY OF LOFT ART GALLERY - SADAK SOUICI
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FONDÉ EN 1983 (40e ANNÉE) 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél.: (33) 1 53 84 41 81 – Fax: (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com Zyad Limam DIRECTEUR DE LA PUBLICATION DIRECTEUR DE LA RÉDACTION zlimam@afriquemagazine.com Assisté de Laurence Limousin
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llimousin@afriquemagazine.com RÉDACTION Emmanuelle Pontié DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION epontie@afriquemagazine.com
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La Chine, un associé en berne Thomas Morand: «L’Afrique doit se tourner vers elle-même» OCP Africa inaugure une usine d’engrais au Rwanda Au Maroc, l’isolant en mode palmier-dattier La Namibie accroît le recyclage des eaux usées Au Kenya, de l’énergie à partir de vieux plastiques par Cédric Gouverneur
Isabella Meomartini DIRECTRICE ARTISTIQUE imeomartini@afriquemagazine.com Camille Lefèvre PREMIÈRE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION sr@afriquemagazine.com Amanda Rougier PHOTO arougier@afriquemagazine.com ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO
Jean-Marie Chazeau, Catherine Faye, Cédric Gouverneur, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Luisa Nannipieri, Sophie Rosemont.
VIVRE MIEUX Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF
avec Annick Beaucousin.
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AFRIQUE MAGAZINE EST UN MENSUEL ÉDITÉ PAR 31, rue Poussin - 75016 Paris. SAS au capital de 768200 euros. PRÉSIDENT : Zyad Limam. Photogravure: Philippe Martin. Imprimeur: Léonce Deprez, ZI, Secteur du Moulin, 62620 Ruitz. Commission paritaire: 0224 D 85602. Dépôt légal: novembre 2023.
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La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique Magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique Magazine 2023.
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ON EN PARLE C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage
AMINA REZKI/UNTITLED (2023)/COURTESY OF LOFT ART GALLERY
Amina Rezki, Untitled, 2023.
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ÉVÉNEMENT DR - HICHAM BENOHOUD/UNTITLED/SÉRIE «ACROBATIE » (2017)/COURTESY OF KATHARINA MARIA RAAB CONTEMPORARY/BERLIN
1-54 DANS SES TERRES La célèbre FOIRE D’ART CONTEMPORAIN revient pour son cinquième anniversaire à Marrakech. PENDANT TROIS JOURS, la foire 1-54 («1 continent, 54 pays») investit le célèbre hôtel de La Mamounia et, pour la première fois, la médina de la ville ocre, où l’espace expérimental DaDa accueille six galeries parmi les quatorze consacrées au continent. L’expansion de l’événement créé par Touria El Glaoui témoigne du succès de la manifestation, mais également de son indéfectible dévouement envers la scène créative marocaine. Avec 27 exposants, une sélection d’œuvres contemporaines révolutionnaires d’artistes émergents et établis, tels l’Ivoirien Armand Boua, connu pour sa technique de peinture sur carton, le peintre motard sud-africain Reggie Khumalo ou le Congolais voyageur Yvanovitch Mbaya, le dialogue entre les artistes et les institutions s’annonce fécond. Le programme comprend également des événements et des rassemblements à travers Marrakech, où la richesse du paysage culturel de la ville et les artistes marocains sont mis à l’honneur. ■ Catherine Faye
Hicham Benohoud, Untitled, série «Acrobatie», 2017.
«1-54 CONTEMPORARY AFRICAN ART FAIR», Marrakech,
du 8 au 11 février 2024. 1-54.com AFRIQUE MAGAZINE
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ON EN PARLE SOUNDS
À écouter maintenant !
❶ Témé Tan
Quand il est seul, Pias
MUSIQUE
sortie le 16 février 2024.
GIRL POWER
Les Amazones d’Afrique
Ce collectif d’ARTISTES FÉMININES issues du continent et de la diaspora revient avec un troisième album toujours aussi fédérateur, MUSOW DANSE. LES AMAZONES d’Afrique sont de retour avec un troisième album, Musow Danse – «la danse des femmes». Fondé par des figures incontournables de la scène malienne, telles que Mamani Keïta, Oumou Sangaré et Mariam Doumbia, et accompagné de Valérie Malot de l’agence française 3D Family, le collectif a vu d’autres artistes féminines africaines rejoindre ses rangs. Paru en 2017 sur Real World, le prestigieux label de Peter Gabriel, République Amazone intronisait cette volonté de faire danser tout en (r)éveillant les consciences. En 2020, Amazones Power confirmait leur charisme tant en studio que sur les scènes du monde entier. Leur troisième opus a été réalisé et mixé par un proche collaborateur de U2 et de REM, Jacknife Lee, et s’articule autour de voix mémorables et distinctes: celles de la Malienne Mamani Keïta, de la Béninoise Fafa Ruffino, de la Burkinabè Kandy Guira, de la Nigériane Nneka, de l’Ivoirienne Dobet Gnahoré et de la Congolaise Alvie Bitemo. Leur mantra: la puissance féminine, envers et contre le patriarcat. ■ Sophie Rosemont 8
❷ V.V. Brown
Am I British Yet?, YOY Records
C’est sur son propre label YOY Records que V.V. Brown publie Am I British Yet?, affirmant ainsi son indépendance. Sous l’influence de James Baldwin comme d’Erykah Badu et de Kendrick Lamar, la rappeuse britannique, d’origine jamaïcaine et portoricaine, cultive son identité noire et, mieux encore, la transcende avec ce nouveau disque attendu depuis dix ans. Et il vaut largement notre patience!
❸ Delgrès
Promis le ciel, Pias
Ici, l’auteur-compositeur et leader de Delgrès, Pascal Danaë, chante aussi bien en français qu’en créole et en anglais… Après un premier album traitant, via le parcours de Louis Delgrès, de l’histoire de l’esclavage, un second narre les méandres de l’exil et de l’immigration. Promis le ciel, quant à lui, explore la richesse des origines métissées, en dépit du contexte anxiogène. Salvateur! ■ S.R.
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KAREN PAULINA BISWELL - DR (4)
LES AMAZONES D’AFRIQUE, Musow Danse, Real World/Pias,
Le natif de Kinshasa et belge d’adoption revient avec un second album nourri des musiques qui l’ont biberonné ou qui ont participé à son apprentissage artistique. La rumba congolaise, le tropicalisme, la folk, le zouk ou encore la tradition griote, le tout fédéré par une belle ambition pop, habitent donc son enthousiasmant second album, Quand il est seul. À savourer en concert le 21 février au Hasard Ludique.
LA MÈRE DE TOUS LES MENSONGES (Maroc-Égypte),zde Asmae El Moudir. Avec Zahra, Mohamed El Moudir, Ouarda Zorkan. En salles.
D O C U M E N TA I R E
LA MAISON DE POUPÉES
INSIGHT FILMS - DR
Une page enfouie de l’histoire du Maroc se révèle dans la reconstitution en miniature d’un quartier de Casablanca, THÉÂTRE D’UN SECRET D’ÉTAT… mais aussi de famille. Un doc cathartique ! LORSQUE les lumières se sont rallumées à la fin de la projection du film de sa petite-fille, au dernier Festival de Cannes, Zahra s’est levée dans son beau caftan ourlé d’or et s’est mise à danser, la canne dans une main, une poupée à son effigie dans l’autre. La grand-mère de Asmae El Moudir était au cinéma pour la première fois de sa vie – dans une salle, mais aussi à l’écran! Elle venait pourtant de se voir à l’image sévère, souvent revêche, et porteuse d’un lourd secret qu’elle refusait de transmettre. Car c’est un peu elle, La Mère de tous les mensonges. Quant à la jeune cinéaste, pour nous partager la vérité, elle use d’artifices et fait construire en miniature le quartier de son enfance par son père, l’ex-maçoncarreleur le plus populaire de la médina de Casablanca! Et représente les membres de sa famille et ses voisins par des figurines en glaise, dont les costumes ont été confectionnés par sa mère, et que chacun s’approprie pour mieux raconter le passé tel qu’il l’a vécu et ressenti. Il s’agit de revenir dans une maison où les images AFRIQUE MAGAZINE
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étaient prohibées, à une période violente qui n’a pas été documentée: celle des «émeutes du pain» de 1981, ces manifestations contre l’augmentation du prix de la farine réprimées dans le sang par Hassan II (officiellement, 66 morts, dix fois plus selon les syndicats). La police entrait dans les maisons pour récupérer les cadavres et empêcher les enterrements publics, afin d’effacer toute trace du soulèvement. L’événement tragique s’est produit dans le quartier de la famille, qui a déménagé depuis. À travers les reconstitutions de la rue où a eu lieu le drame et des pièces de la maison, où chacun joue son propre rôle avec une marionnette artisanale, le tout mêlé de témoignages vidéo glanés il y a dix ans, une thérapie familiale au service de la mémoire historique se déroule sous nos yeux. Ce premier film bluffant est une enquête qui apporte aussi un grand soin à l’image, l’esthétique transcendant le tragique. Jusqu’à cette phrase inquiète à la fin du film: «On sait que le silence tue quand on le brise.» Là, c’est la mémoire qui répare. ■ Jean-Marie Chazeau 9
ON EN PARLE
ALBUM
RONISIA UN STATUT DE STAR
D’origine CAP-VERDIENNE, cette jeune chanteuse ULTRA-BUZZÉE depuis quelques saisons confirme avec son second album un R’n’B solaire et affirmé.
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«Atterrissage» – alors qu’il s’agissait plutôt d’un décollage! «Tout a commencé grâce à mon entourage, qui m’a encouragée à me lancer. Il croyait en moi. J’ai mis du temps à sauter le pas par manque de confiance en moi, et parce que j’étais très réservée. Pour moi, ça ne collait pas! Ce n’était pas possible d’être artiste et timide. Mais une fois que j’ai cassé cette barrière, j’étais très fière de moi.» Depuis, Ronisia n’est pas redescendue. Avec Era 24, elle explore ses racines musicales afrocaribéennes, incarnant «Sem Bo» en créole cap-verdien – et pas seulement parce qu’elle y raconte ses émois de jeune femme d’aujourd’hui, entre deux continents et moult émotions: «La culture cap-verdienne influence ma musique, notamment par certaines sonorités kizumba dont je m’inspire.» Sans oublier le R’n’B, «qui a pris beaucoup de place»: «C’est ce que j’écoute le plus au quotidien.»
RONISIA, Era 24,
Epic Records.
Là aussi, des duos alléchants, notamment avec le rappeur francilien Niska sur «I Got U», l’icône anglo-jamaïcaine de dancehall Amaria BB («Fêter ça») et le chanteur portugais Lisandro Cuxi («Chill»). Prochaine étape? Le Zénith de Paris le 2 mars. Le vol pourrait bien être un long-courrier… ■ S.R.
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PLUS DE 1,5 MILLION d’abonnés sur TikTok, 845000 followers sur Instagram, plus de 2 millions d’auditeurs gagnés par mois sur Spotify et le prix de la Révélation féminine de la cérémonie des Flammes en 2023: n’en jetez plus, l’artiste est un vrai phénomène! Après un premier album sobrement intitulé Ronisia et certifié Disque d’or, la chanteuse cap-verdienne vient de fêter ses 24 ans avec ce second effort logiquement baptisé Era 24. Née à Tarrafal, Ronisia Mendes Morges a grandi dans l’Essonne, et s’est très tôt intéressée à la pop musique, tout en étant bercée de zouk et de morna. Son idole? Rihanna, comme elle originaire d’une île ensoleillée, et qui l’influence sur son look et son attitude – au moins autant que la rappeuse belge Shay, sexy et cérébrale. Ronisia, elle, cultive un R’n’B malin et entraînant, qui rencontre le succès du jour au lendemain grâce au single
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ON EN PARLE ART
UNE AMBITION POUR TUNIS SELMA FERIANI inaugure une nouvelle galerie avec l’expo de Nidhal Chamekh, et réaffirme son rêve de faire de la capitale une plate-forme artistique internationale. LA GALERISTE TUNISIENNE Selma Feriani quitte les locaux qu’elle occupait à Sidi Bou Saïd depuis 2013, pour s’installer dans un nouveau lieu de 2000 m2 à La Goulette, près de Tunis. Dessiné par l’architecte Chacha Atallah, l’espace répond à la volonté de faire de la galerie – qui a aussi une antenne à Londres – un véritable hub culturel, capable de favoriser le développement d’un réseau d’artistes émergents et établis de Tunisie et d’ailleurs. Le lieu bénéficie de trois salles d’exposition sur 800 m², d’une bibliothèque, d’une librairie et d’un jardin attenant, qui sera bientôt animé par des œuvres d’art sur commande. Selma Feriani a confié l’expo inaugurale à un artiste qu’elle connaît bien: le dessinateur Nidhal Chamekh. Dans «Et si Carthage…/And What If Carthage…», il présente son travail autour d’une réflexion du poète Édouard Glissant sur les futurs possibles d’une Carthage qui n’aurait jamais été détruite. Ses dessins et ses montages semblent ici rassembler des fragments d’histoires inédites. L’expo est accompagnée de concerts, de projections et de performances qui anticipent les futurs programmes publics et éducatifs de la galerie. ■ Luisa Nannipieri «ET SI CARTHAGE…/AND WHAT IF CARTHAGE…»
Galerie Selma Feriani, Tunis (Tunisie), jusqu’au 24 mars. selmaferiani.com
L’artiste Nidhal Chamekh expose ses dessins dans le cadre de l’inauguration de la nouvelle galerie de Selma Feriani, réfléchissant à ce que serait devenue Carthage si elle n’avait pas été détruite.
R OA D - T R I P APRÈS L’Année des deux dames et un périple dans le désert mauritanien, nos deux auteures repartent à l’aventure – aux États-Unis, cette fois – sur les traces des héroïnes du film culte de Ridley Scott, Thelma et Louise. Sur 10000 kilomètres, au volant de leur Nissan, de l’Arkansas jusqu’au Grand Canyon, elles découvrent un pays des extrêmes à travers leurs rencontres avec des femmes étonnantes, obsédées par les armes ou militantes féministes. Le tout avec pour toile de fond une Amérique d’en bas, en proie aux violences policières, au racisme, au viol. Des serveuses paumées aux Navajos mormones, une série de face-à-face plutôt hauts en couleur inspire les road-tripeuses dans leurs réflexions sur l’Amérique profonde et, plus largement, sur la condition féminine, les relations aux hommes, l’injustice. Le nouveau roman coécrit par Catherine Faye, collaboratrice d’Afrique Magazine, se lit d’une traite et nous entraîne dans un voyage enrichissant. ■ Emmanuelle Pontié CATHERINE FAYE ET MARINE SANCLEMENTE, À la vie à la mort, Paulsen, 256 pages, 21 €. 12
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UNE AUTRE AMÉRIQUE
FILM
L’ÉTOFFE D’UNE HÉROÏNE
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Une couturière menacée par les inondations dans un bidonville de Douala : LA DOCUMENTARISTE BELGO-CAMEROUNAISE ROSINE MBAKAM nous immerge dans la réalité d’une femme forte. « RIEN NE ME SERA ÉPARGNÉ ! », s’exclame Pierrette en réponse au fonctionnaire qui lui fait la morale parce qu’elle n’est pas mariée, alors qu’elle lui confie recevoir les coups de son compagnon… C’est qu’elle doit affronter bien des catastrophes : elle vit sous des tôles en zone inondable, et ses provisions, les fournitures scolaires à la veille de la rentrée, et bientôt son atelier, sont peu à peu sous l’eau. Pourtant, Pierrette fait face. Ce portrait d’une mère courage est celui de la propre cousine de la documentariste et productrice belgo-camerounaise Rosine Mbakam, installée à Bruxelles où elle a tourné Les Prières de Delphine (2021), qui sort au cinéma en même temps que ce premier film de fiction. Une œuvre où Pierrette joue son propre rôle dans AFRIQUE MAGAZINE
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des situations scénarisées. De quoi mieux approcher un sacré personnage, et illustrer la résilience des femmes de toute une génération. La caméra lâche peu son héroïne et, à force de plans serrés, masque son environnement : un choix radical qui étouffe le récit, mais rend compte de la situation de bien des Camerounais, qu’ils habitent New Bell et Komondo (les «favelas » de Douala) ou ailleurs… ■ J.-M.C. MAMBAR PIERRETTE (Belgique-Cameroun), de Rosine Mbakam. Avec Pierrette Aboheu Njeuthat, Nancy Karelle Kenmogne Fondjo, Cécile Tchana. En salles. 13
ON EN PARLE CHRONIQUES
Écheveau perpétuel
IMA, jusqu’au 9 juin 2024.
PEINTURE
LOIN D’UN ORIENT FANTASMÉ À l’IMA, cadrage sur la passion de l’artiste ÉTIENNE DINET (1861-1929) pour l’Algérie, dans sa vie comme dans son œuvre.
C’EST L’UN DES SEULS peintres orientalistes qui échappe à l’écueil de l’exotisme et au procès fait au regard colonial. Artiste du Second Empire, il découvre l’Algérie en accompagnant un entomologiste parti à la recherche d’une espèce rare de coléoptère. Nous sommes en 1884, et c’est le coup de foudre. Peu intéressé par la révolution impressionniste qui s’opère à cette époque, notamment sous l’impulsion de Manet, ce passionné de photographie passe dès lors ses hivers en France et ses étés à peindre dans les oasis du sud algérien. Des portraits, des instantanés de la vie quotidienne, à la ville comme au désert. Dix ans plus tard, il renonce à toute source d’inspiration en dehors des sujets algériens, s’installe définitivement dans l’oasis de Bou-Saâda, puis se convertit à l’islam. Un tournant personnel manifeste, tant pour les choix esthétiques que l’engagement personnel de ce peintre français, musulman et mystique, à la destinée hors du commun. imarabe.org ■ C.F. 14
NINA BOURAOUI, Le Désir d’un roman sans fin, JC Lattès, 400 pages, 21,90€.
QU’ILS évoquent son adolescence, l’Algérie, Klaus Nomi ou l’écriture, les documents compilés ici composent un portrait intime et littéraire de Nina Bouraoui, autrice de La Voyeuse interdite, son premier roman, et de Mes mauvaises pensées, prix Renaudot 2005. Par touches et via une série d’instantanés, on découvre ses points de vue, ses goûts, ses quêtes. Plus de trente années de chroniques de la vie d’une écrivaine, dont le dix-neuvième roman,
Grand seigneur, paraît simultanément. Un puzzle qui définit en filigrane son œuvre, et où chaque article ou texte écrit pour des journaux ou présentations se répond dans une communauté de souvenirs, de sentiments, d’expériences. Un tout qui donne un éclairage sur une œuvre constante, le plus souvent autobiographique, où «l’art d’écrire ressemble à l’art d’aimer, dans sa grâce, dans ses abîmes et dans l’espoir qu’il fait naître». ■ C.F.
ROMAN
En mouvement Libre penseur et multiple, Felwine Sarr sonde les mutations du monde contemporain.
«C’EST la guerre. Elle a déjà commencé. Mais rassure-toi, nous n’utiliserons pas leurs armes. C’est à la ruine morale que nous allons nous attaquer.» En interrogeant l’intime, le religieux et l’invisible, l’économiste, poète et écrivain sénégalais invite à se tourner vers l’intérieur de soi. Via l’histoire de jumeaux aux chemins distincts – l’un reste dans son pays natal; l’autre part pour la France, où il travaille dans le secteur agricole pour payer ses études –, le texte explore son propre passé et s’érige contre le projet actuel de loi pour
FELWINE SARR, Les Lieux qu’habitent mes rêves, Zulma,
192 pages, 9,95€.
«contrôler l’immigration et améliorer l’intégration». Forgé à l’école de pensée de Nietzsche, de Dante, des philosophes indiens et chinois, et cofondateur, avec l’historien et politologue Achille Mbembe, des Ateliers de la pensée de Dakar et de Saint-Louis, cet intellectuel n’a de cesse de brandir l’étendard de l’esprit et des idées. ■ C.F.
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«ÉTIENNE DINET, PASSIONS ALGÉRIENNES »,
Un voyage en marge de l’œuvre littéraire de Nina Bouraoui, à travers des textes parus entre 1992 et 2022.
Artiste, militante et résistante, Joséphine Baker repose au Panthéon depuis 2021.
KEYSTONE PRESS AGENCY/ZUMA WIRE/BRIDGEMAN IMAGES
H O M M AG E
UNE FEMME INSPIRANTE À Berlin, JOSÉPHINE BAKER s’expose en photos et en clips d’archives.
TOUR À TOUR «Vénus noire», «Déesse créole» ou «Perle noire», la cinématographique Baker s’impose dès ses premières représentations à Paris dans les années 1920, et aujourd’hui encore, à travers mille facettes et stratégies de mise en scène. L’exposition qui lui est dédiée à la Neue Nationalgalerie explore l’impact artistique visuel de ce phénomène médiatique, la nature particulière de son style de danse et son rayonnement à l’écran – sensuel, dramatique et humoristique. Vedette du musichall et icône des Années folles, mais aussi résistante et AFRIQUE MAGAZINE
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figure phare de l’armée française de la Libération, cette Américaine et citoyenne française par choix est l’une des femmes les plus inspirantes de l’histoire. Devenue un symbole d’émancipation, elle fait son entrée au Panthéon en 2021, devenant ainsi la première femme noire à y reposer. Une vie d’art et d’engagement au service du spectacle, de la liberté et de l’égalité. ■ C.F. «JOSÉPHINE BAKER: ICÔNE EN MOUVEMENT»,
Neue Nationalgalerie, Allemagne (Berlin), jusqu’au 28 avril 2024. museumsportal-berlin.de 15
ON EN PARLE INTE RVIEW
BONIFACE MONGO-MBOUSSA «Le père du rêve congolais»
L’écrivain et critique littéraire retrace la vie du grand poète et romancier congolais Tchicaya U Tam’Si, auteur d’une œuvre intense, novatrice, écorchée, indissociable de son pays.
AM: En quoi Tchicaya U Tam’Si (1931-1988) était-il maudit? Boniface Mongo-Mboussa : Il s’inscrit dans la filiation
des poètes maudits (Rimbaud, Mallarmé, etc.): reconnus par leurs pairs, mais marginaux dans la société, en manque d’une estime populaire. Dès son premier recueil, Tchicaya a été célébré par les aînés: Césaire, Senghor, Damas, puis par la génération suivante. C’était le prince des poètes. Mais il ne jouissait pas du succès d’un romancier, et il en souffrait. C’est le paradoxe de ce solitaire, d’ailleurs mort en célibataire: le regard de l’autre lui importait beaucoup. Cet autodidacte est devenu romancier par dépit, pour tenter d’atteindre le grand public. Quel est son apport à la littérature?
Quel était son lien avec Patrice Lumumba?
Il le vénérait, et lui a consacré trois recueils. Il a été le grand amour de sa vie, dans le sens noble du terme. Tchicaya était journaliste quand on lui a présenté Lumumba. Rappelons qu’à l’état civil, le poète s’appelait Gérald-Félix Tchicaya, et que son père, Jean-Félix Tchicaya, fut député 16
Boniface Mongo-Mboussa, Tchicaya U Tam’Si : Vie et œuvre d’un maudit, Riveneuve éditions, 164 pages, 10,50 €.
de la République française. Entendant le nom du père, Lumumba fut très révérencieux à l’égard du poète. Lui, le bad boy, le mal aimé, le voilà respecté par l’homme politique le plus important du continent! Ça lui a aussi permis de se réconcilier avec son père, qui est mort un jour avant Lumumba. Tchicaya y a vu un signe du destin. Comment son œuvre dialogue-t-elle avec le présent?
Il reste éminemment actuel pour les Congolais. Sony Labou Tansi a écrit à son sujet: «C’est le père de notre rêve.» Sa poésie se confond avec le fleuve Congo. Dans l’histoire de la littérature mondiale, il est l’un des rares poètes à célébrer le fleuve plutôt que la mer. Il le glorifie tel un trait d’union entre les deux Congo. Pour lui, c’est le même pays. C’est très actuel: tout commence par le fleuve. C’est la seule chose qu’il nous reste aujourd’hui: avoir ne serait-ce qu’un pont. Il a eu cette vision avant tout le monde. ■ Propos recueillis par Astrid Krivian AFRIQUE MAGAZINE
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Tchicaya n’adopte pas le projet de la négritude – réhabiliter l’homme noir, l’histoire africaine. À ses yeux, c’est trop vaste, abstrait. Quand il entre en poésie, il est très insolent à l’égard de ce mouvement littéraire, comme en témoigne ce vers: «Sale tête de nègre/ Voici ma tête congolaise.» À cause de ces piques contre Senghor et Césaire, il fut boudé par les universitaires qui les célébraient, et considéré comme hermétique. Au «je» collectif de la négritude, il oppose un «je» individuel, avec son mal-être. C’est novateur. Et son «je» est indissociable du Congo. C’est à partir de lui-même et de son pays qu’il va vers l’universel. Puis, il apporte une syntaxe nouvelle: il use très peu d’adjectifs, emploie souvent des traits d’union, et ne hiérarchise pas le vocabulaire – il mixe les langages courant, ordinaire et sublime. Son verbe n’est pas haut perché. Cette syntaxe de juxtaposition crée de l’électricité. Personne ne l’a fait avant lui. D’une sensibilité extrême, il refuse les diktats, la révolte traverse son œuvre. C’est le plus grand poète africain.
DESIGN
L’OBJECTIF DE PAUL LEDRON, né en 1996, est de créer une marque de mobilier ouestafricaine capable d’allier design haut de gamme et pertinence culturelle, à travers des pièces à l’identité marquée. Fort tant de sa multiculturalité, liée à ses origines (martiniquaise, malienne et allemande) et à son amour pour la Côte d’Ivoire, où il a grandi, que des compétences techniques acquises pendant ses études en design industriel à Londres, puis en Bulgarie, il a présenté des créations qui ont déjà fait sensation. De retour à Abidjan en 2021, il intègre l’atelier de Jean Servais Somian pour une année de mentorat, qui s’est achevée par une brillante exposition à la Fondation Donwahi. Sa pièce phare, la table basse en bois d’Amazakoué Teri, y cartonne. Tout comme le vaisselier Otto et le paravent Fiyen, en bois de Yundé et rotin. Ledron crée ensuite Sama, présenté à la Design Week de Paris 2023. Un fauteuil imposant, composé de cercles en bois de Fraké laqués en noir, au look magnétique. Et les éclairages en Yundé Oko & Iko, dont les lignes simples évoquent l’architecture soudanaise. S’il envisage d’explorer d’autres matières, il met pour l’instant à l’honneur les essences locales. Peu connues mais vivantes, elles apportent une touche unique à chaque création. paulledron.com ■ Luisa Nannipieri
L’essence du pays Jeune talent ivoirien, Paul Ledron conçoit DES PIÈCES À L’ESTHÉTIQUE SIMPLE ET PUISSANTE, qui valorisent le patrimoine du pays.
DR (2)
Le designer a reçu le Prix du jeune créateur 2023 du Forum des métiers du luxe d’Abidjan.
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ON EN PARLE
De gauche à droite, Diana Hussein, Buthayna Abbas Hajo, Hanan Abbas Diab et Hiam Abbass.
T É M O I G N AG E
PALESTINIENNES: PARTIR, REVENIR…
Derrière le parcours de la comédienne HIAM ABBASS, quatre générations DE FEMMES DE GALILÉE racontées via des archives familiales et historiques, qui résonnent avec Gaza aujourd’hui.
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Abbass se laisse embarquer dans ce retour en arrière abrupt et poétique, qui en dit beaucoup sur la façon dont les Palestiniennes «ont appris à tout quitter et à tout recommencer». Des parents enseignants, dix frères et sœurs, mais ce sont les femmes de la famille – parmi lesquelles cette grand-tante bloquée dans un camp en Syrie depuis 1948, interdite de retour en Palestine – qui sont au cœur de ce récit. Une histoire de transmission à travers quatre générations de femmes, et tant pis si les hommes sont mis sur la touche. ■ J.-M.C. BYE BYE TIBÉRIADE (France-Palestine), de Lina Soualem. Avec Hiam Abbass. En salles. FRIDA MARZOUK/BEALL PRODUCTION - DR - COLLECTION LINA SOUALEM
AVANT DE TOURNER avec Steven Spielberg ou Patrice Chéreau, la comédienne Hiam Abbass a quitté tôt la Palestine et sa famille pour devenir actrice en Europe. Et voilà que sa fille la ramène à ses origines dans sa propre quête d’identité. Lina Soualem, dont le père est le comédien franco-algérien Zinedine Soualem, avait consacré son premier film à ses grands-parents kabyles (Leur Algérie, 2020). Cette fois, elle se penche sur la branche maternelle, aux racines palestiniennes. À Deir Hanna, près du lac de Tibériade, la maison familiale a été détruite par les Israéliens en 1948. Les images d’archives dénichées par la jeune réalisatrice montrent des dégâts et un exil sur les routes qui, forcément, résonnent avec la situation actuelle à Gaza. Elle puise aussi dans les cassettes du Caméscope de son père, qui avait enregistré le premier retour de Hiam Abbass dans sa famille pour y présenter leur fille, il y a 30 ans. Enfin, des images récentes, tournées en cinémascope à Paris et en Palestine, font ressurgir cette mémoire par la lecture de textes et le commentaire de photos. D’abord réticente, Hiam
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L I T T É R AT U R E
NOUVEAU MONDE
FRANCESCA MANTOVANI/GALLIMARD/OPALE PHOTO - DR
Boualem Sansal propose un nouveau ROMAN D’ANTICIPATION, où l’humanité est vouée à disparaître dans un compte à rebours saisissant.
BOUALEM SANSAL, Vivre: Le Compte à rebours, Gallimard,
240 pages, 19 €.
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APRÈS 2084: La Fin du monde, Grand Prix du roman de l’Académie française en 2015, ex aequo avec Hédi Kaddour pour Les Prépondérants, le romancier et intellectuel algérien nous entraîne dans un récit d’apocalypse, où la présence des hommes sur Terre doit prendre fin dans 780 jours précisément. Seuls quelques élus, «les Appelés», seront épargnés et transportés dans un vaisseau interstellaire vers un endroit sécurisé, hors de la planète. Leur mission, qui ressemble à celle de Noé, est sans concession. Pendant le temps qui leur a été fixé, ils doivent sélectionner les personnes méritant de prendre part à la création d’une nouvelle humanité. Un scénario de science-fiction et une parabole politique, où l’action et les réflexions adjacentes tentent de prendre en compte l’avenir d’une humanité qui bute contre ses limites et doit changer sa façon de vivre. Encore une fois, l’écrivain, censuré dans son pays pour ses positions critiques vis-à-vis du pouvoir en place, porte un regard réprobateur sur le monde présent. Dans ce récit dystopique, où passé, présent et futur s’intriquent, il interroge le pouvoir ou l’impuissance des religions et des sciences, les dérives politiciennes également, qui mènent le monde au chaos et à la destruction. «Si vous avez appris à mourir, alors profitez de cette lumière pour apprendre à vivre. Tous les fleuves vont à la mer et la mer n’est pas remplie»: l’auteur cite l’Ecclésiaste 1:7 en exergue, mettant séance tenante l’homme face à ses responsabilités. ■ C.F. 19
We Rest at the Bird’s Nest, Papa Omotayo et Eve Nnaji, 2023.
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LUISA NANNIPIERI
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E S PAC E S
LE SUD DES SOLUTIONS S’EXPOSE À SHARJAH
SHARJAH ARCHITECTURE TRIENNIAL FOUNDATION /DANKO STJEPANOVIC
Dans les Émirats, la commissaire nigériane TOSIN OSHINOWO invite à changer de paradigme, à travers une triennale qui met en avant une autre ARCHITECTURE DURABLE. JUSQU’AU 10 mars prochain, le petit émirat de Sharjah, à côté de Dubaï, accueille la deuxième édition de sa triennale d’architecture. Intitulée «The Beauty of Impermanence: An Architecture of Adaptability» («La beauté de l’éphémère: une architecture de l’adaptabilité»), elle fait des propositions concrètes issues du Sud global le cœur d’un événement qui ambitionne de changer notre perspective. «Le modèle actuel, basé sur l’abondance et la croissance infinie, est impossible», martèle la commissaire de l’exposition, l’architecte nigériane Tosin Oshinowo: «Ces solutions naissent, en revanche, d’un contexte de pénurie et prennent en compte les limites des ressources naturelles disponibles.» Murs de terre battue ou de pneus usagés, design éphémère, laboratoire de couture qui met en cause la fast fashion, réflexions artistiques sur les conséquences de la colonisation dans notre façon de concevoir les espaces… Les projets des 29 participants, issus de 25 pays, dont près de la moitié est d’origine africaine, sont largement ancrés dans le contexte local, mais ont aussi une portée globale. Répartis sur six sites différents, ils s’invitent dans l’ancienne école Al Qasimia, devenue le quartier général de la triennale sous l’impulsion de sa directrice, la sheikha Hoor Al Qasimi (déjà à la tête de la Sharjah Art Foundation et de l’Africa Institute), ou dans un AFRIQUE MAGAZINE
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Tashkent: Appropriating Modernism, Art and Culture Development Foundation of the Republic of Uzbekistan (ACDF), 2023.
passage arboré de la zone industrielle. Ici, Papa Omotayo et Eve Nnaji ont construit We Rest at the Bird’s Nest, un échafaudage qui cache 2300 nids réalisés à partir de déchets végétaux, offrant une oasis tant aux oiseaux migrateurs qu’aux travailleurs migrants. Du vieux marché couvert à l’ancien abattoir de la ville, occupé par le musée de l’Anthropocène du studio kényan Cave Bureau, en passant par le village fantôme d’Al Madam, à moitié enseveli sous
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les dunes, sans oublier l’immense et inabouti Sharjah Mall, que le studio Limbo Accra a choisi pour poursuivre sa réflexion sur le potentiel des espaces inachevés en Afrique de l’Ouest et ailleurs, l’architecture occupe le Tout-Sharjah. ■ L.N. «THE BEAUTY OF IMPERMANENCE : AN ARCHITECTURE OF ADAPTABILITY»
Sharjah (EAU), jusqu’au 10 mars. sharjaharchitecture.org
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ON EN PARLE
« Invitation to Ojude Oba » est présentée dans le cadre de la Fashion Week 2024.
Tout un Programme
MODE
DANS UNE GRANDE PIÈCE éclairée de la Galerie Basse du Palais de Tokyo, le designer Adeju Thompson passe en revue ses dernières créations d’un air décidé. Il n’en est pas à sa première participation au showroom SPHERE, qui accueille des jeunes designers émergents pendant la semaine de la mode parisienne depuis 2020. Mais à la fierté de présenter sa nouvelle collection dans la capitale, s’ajoute toujours une bonne dose de stress. Pourtant, le styliste originaire de Lagos et basé au Nigeria, 33 ans cette année, a déjà fait ses preuves. Après des études à Londres et quelques expériences dans le milieu, en 2018, il lance Lagos Space Programme pour créer une marque qui lui ressemble, capable de conjuguer savoir-faire traditionnel, esprit queer 22
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De passage à Paris pour la FASHION WEEK, Lagos Space Programme propose un style unisexe, qui revisite la tradition avec un regard non-binaire assumé.
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L’Ojude Oba est un festival du sudouest du Nigeria, qui célèbre la beauté et la royauté yorubas.
et modernité. Ses créations non-binaires, qui mettent à l’honneur la culture yoruba, tout en étant «totalement gay», font sensation. Et son talent lui permet de remporter le prix international Woolmark en 2023, l’un des plus prestigieux et anciens du secteur (la première édition, en 1954, avait vu sur le podium une robe d’Yves Saint Laurent). La récompense lui donne accès au réseau de partenaires de l’industrie et du commerce de détail du prix, ce qui lui permet d’expérimenter avec des laines d’exception. Comme celle utilisée pour une magnifique veste de sa dernière et neuvième collection: les motifs, des fleurs colorées sur fond sombre, s’inspirent des décors vus à Versailles lors d’un précédent voyage. Environ 65% des silhouettes conçues spécialement pour la Fashion Week ont été réalisées en laine, qu’il a associée entre autres à de la dentelle et à des motifs yoruba modernisés, imprimés à la main. Avec son équipe de sept couturiers et des artisans dénichés aux quatre coins du Nigeria, il a aussi retravaillé des coupes d’habits traditionnels pour en faire des jupes et des pantalons contemporains, et repris des tissus locaux en coton pour leur donner une nouvelle expressivité. Le plus souvent sur des tonalités de bleu, comme son adoré marine, obtenues grâce à la teinture naturelle à l’indigo. lagosspaceprogramme.com ■ L.N. AFRIQUE MAGAZINE
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La collection est un harmonieux mélange des héritages britannique et nigérian.
Les teintes bleutées, obtenues grâce à l’indigo, sont à l’honneur.
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ON EN PARLE Dans le très chic hôtel particulier de la rue d’Anjou, Mory Sacko livre une cuisine éclectique.
HÔTEL PARTICULIER OU FAIT MAISON ? De la nouvelle brasserie chic de Mory Sacko, à deux pas de l’Élysée, à la cantine-épicerie au bord du canal, l’AFRIQUE DE L’OUEST PASSE À TABLE. CETTE ANNÉE, Mory Sacko nous convie chez le marquis. Inaugurant le Lafayette’s, le chef ouvre les portes de l’hôtel particulier où le général de La Fayette a passé les dernières années de sa vie, entouré du Tout-Paris. Entièrement rénové pour accueillir 100 couverts, ce lieu historique a gardé son côté convivial. La déco fait dialoguer les anciennes tapisseries, les boiseries et le parquet d’origine avec des tapis chinés, des lampes twistées et des chaises contemporaines, tandis que la carte, qui témoigne de l’esprit universel du marquis, associe la gastronomie française aux cuisines africaines, avec un clin d’œil au continent américain. Du bar braisé cuit en feuille de bananier avec attiéké, plantain et sauce verte au curry de patate douce, citron vert, basilic et riz parfumé, en passant par un pâté en croûte avec pickles, qui évoque les saveurs du poulet yassa, le tout est servi dans de la vaisselle 24
en porcelaine chinée aux quatre coins de la France. On quitte la rue d’Anjou pour le canal Saint-Martin, où Sophie Coulibaly, un passé dans l’informatique, a ouvert fin 2022 deux locaux: une épicerie et une afro-cantine moderne de 22 couverts, dédiée aux plats faits maison d’Afrique de l’Ouest. Soré – «faire la cuisine» en langue soninké – assure la qualité d’un resto, mais emprunte l’esprit traiteur, avec la cuisine en continu et le service décontracté au comptoir, avec en fond une fresque signée par le street-artiste international Voxx Romana. Le thieb poulet, le saka-saka sauce gombo ou avec poisson, servi avec piment maison, ou le mafé (poulet, viande et végé) sont préparés en fonction des arrivages et des produits de l’épicerie. Une explosion de saveurs dans l’assiette pour un câlin gourmand à petit prix. lafayettes-restaurant.com epicerie-sore.com/fr ■ L.N.
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DR - SAINTAMBROISE - DR - DR
SPOTS
Soré, l’épiceriecantine du canal.
ARCHI
U:BIKWITI,
entre héritage et modernité
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Au Sénégal, la VILLA EXPÉRIMENTALE en pisé d’ID+EA réinterprète la tradition sérère et invite au dialogue sur les enjeux environnementaux.
LE CABINET SÉNÉGALAIS ID+EA a récemment livré un projet de villa expérimentale en terre battue et à très faible impact environnemental, dans la commune de Nguerigne, sur la Petite Côte, au sud de Dakar. Dessinée par l’architecte qui a fondé l’agence en 2015, Fatiya Diene Mazza, U:BIKWITI est une maison à l’esthétique contemporaine qui s’inspire des bâtiments traditionnels sérères, reprenant leurs formes simples, la fluidité des espaces intérieurs et la technique ancestrale AFRIQUE MAGAZINE
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de la construction en terre. Les volumes carrés de la villa évoluent sur un seul étage et les pièces sont interconnectées, de façon à composer un espace de vie que les habitants peuvent adapter à leurs besoins. Ce choix d’ouverture favorise la vie en communauté et fait écho à la tradition, où la maison est au cœur des liens sociaux. Les murs rugueux et texturés en pisé, comprenant seulement 4% de ciment, contrastent avec le toit plat de la maison, et sont ponctués par
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de grandes fenêtres qui favorisent un éclairage naturel et laissent les regards parcourir le paysage. Elles font aussi partie intégrante du système de ventilation naturelle, qui garantit le confort thermique de l’ensemble, conjointement à la masse des murs en terre construits par des artisans locaux. D’autres matériaux de la région, comme la paille et le bois, ont été utilisés pour les finitions et la déco, poursuivant le dialogue entre traditionnel et moderne, qui sous-tend tout le projet. ■ L.N. 25
PARCOURS
Ousmane Goïta
Avec sa série Faire, présentée au festival Planches Contact de Deauville, le photographe malien VALORISE LA FORCE DE TRAVAIL. À la rencontre d’immigrés en Normandie, il fait le portrait saisissant de leurs mains à l’ouvrage.
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propos recueillis par Astrid Krivian
a place de l’homme est là où il trouve du travail à faire. » Ce dicton malien est venu à l’esprit du photographe, alors qu’il arpentait la coquette station balnéaire de Deauville, en Normandie. Car derrière ses rues proprettes, ses villas élégantes, ses boutiques chics, ses palaces, sa plage longée par la célèbre promenade des Planches immortalisée par le cinéma, c’est une armée de travailleurs qui s’activent. Sa série Faire, réalisée dans le cadre du festival photographique Planches Contact, met en lumière ces gens de l’ombre, souvent venus d’ailleurs, à travers le cliché de leurs mains saisies dans l’action de leur métier. Mécanicien, poissonnier, marin, coiffeuse, agent de nettoyage… Ces images racontent avec force et éloquence une vie de labeur, des mains musclées par le geste quotidien, parfois burinées, parcheminées, creusées par les sillons du temps et de l’effort. «La main est une question d’identité: celle d’un maçon diffère de celle d’un employé de bureau», observe l’artiste, qui a aussi réalisé quelques portraits. «Certains sont passionnés par leur profession. C’est aussi ma manière de valoriser l’immigration, sans laquelle un pays ne peut se développer. Pour subvenir à ses besoins, il faut aller chercher son gagne-pain, même au-delà des frontières.» Né en 1993 à Bamako, il s’initie à la photo dès l’adolescence grâce à son père, reporter photo occasionnel pour des mariages et baptêmes. Ses études au Conservatoire des Arts et Métiers multimédia de Balla Fasséké Kouyaté lui ouvrent une plus grande perspective sur le 8e art, avec la découverte d’artistes comme Sarah Moon, Irving Penn, Helmut Newton, Omar Victor Diop, ou son professeur JeanMichel Fickinger. La manière dont il compose ses images et sa palette de techniques s’enrichissent. Membre de la Fédération africaine sur l’art photographique (FAAP), il expose ses œuvres au Sénégal en 2019, avec la coopération espagnole de Dakar, puis en Espagne, à Bilbao et Navarre, Faire, Tremplin Jeunes Talents en 2020 et 2021. Dans le studio collectif qu’il a créé à Bamako, l’artiste Planches Contact, Deauville (France). effectue des travaux de commande pour la mode, des ONG, des sociétés maliennes ou étrangères, des particuliers. Il forme également de jeunes photographes: «Je veux leur donner la chance d’apprendre. La photo peut nourrir son homme, mais il faut avoir une bonne formation.» Sur des tournages (télévision, publicité, cinéma), il est également photographe de plateau, directeur de la photographie ou cadreur. Son œil s’inspire, se nourrit de son pays qu’il sillonne, l’appareil en bandoulière, de la capitale à Mopti, de Ségou à Sikasso, passionné par sa cohésion sociale, ses habitants, son architecture. Son objectif capture la transmission de l’art divinatoire ou les portraits de travailleuses des champs, en hommage à leurs histoires de vie faite de résilience, de sacrifice, mais aussi de fierté d’avoir besogné pour élever leurs enfants. Il s’intéresse aussi aux différents acteurs de la chaîne de recyclage des déchets, depuis la collecte jusqu’au dépôt, en passant par le tri, la revente. «Ces gens dépassent leurs difficultés pour gagner leur croûte. Le travail libère l’homme, qui refuse de dépendre des autres.» @gusno_photography ■
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OUSMANE GOÏTA/TREMPLIN JEUNES TALENTS/PLANCHES CONTACT 2023
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«Certains sont VORTEXGROUPS
passionnés
par leur profession. C’est aussi ma manière de valoriser l’immigration.»
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C’ESTCOMMENT ?
PAR EMMANUELLE PONTIÉ
CAN, TROP BIEN! Franchement, les mecs, reconnaissons que les Coupes d’Afrique des nations, c’est bien plus passionnant que les tournois occidentaux! Car elles sont toujours pleines de rebondissements et d’inattendu. Ailleurs, les équipes tournent comme des horloges. Pros, certes, et sûrement sympas pour les spécialistes du ballon rond – dont je ne suis pas – mais bon, les surprises sont rares. Alors que cette CAN 2023, qui se déroule au moment où j’écris ces lignes, c’est un festival hors normes d’émotions! Déjà, les idées toutes faites sur les bonnes et les mauvaises équipes volent en éclat dès le début. Le Cameroun, poids lourd d’hier, ne brille plus que par la légende. Le Maroc, demi-finaliste de la dernière Coupe du monde, est éjecté dès les huitièmes de finale par l’Afrique du Sud! Des formations inattendues, comme le Cap-Vert ou la Guinée, se mettent tout à coup à briller. Faisant dire sur place: «Même Guinée était préparée à la CAN, oooooh!» Et, bien sûr, il y a les Éléphants du pays organisateur, éliminés comme des bien piteux en première partie, puis repêchés in extremis grâce à l’alchimie chanceuse des points des autres équipes, et confrontés à l’équipe archi-favorite des Lions de la Teranga en huitièmes de finale… Stupeur: ils gagnent aux tirs au but et sont qualifiés pour les quarts. Et encore pour les demi-finales! Quand vous lirez ces lignes, on saura s’ils sont allés en finale et ont gagné ou non. On leur souhaite la Coupe (déjà raflée deux fois, quand même, il y a longtemps), mais ce n’est même pas le propos. Le délire dans les rues d’Abidjan le soir du 3 février était déjà, en soi, le signe d’un méga-événement. Et, là encore, totalement contraire aux pronostics les plus fous. L’une des raisons de ces CAN à rebondissements, c’est bien entendu la gestion des équipes nationales, tantôt bonne, tantôt pas. Avec les hauts et les bas qui en découlent. Mais c’est aussi, paraît-il, la fraîcheur du jeu (moins pro, rodé, académique, railleront certains), qui ouvre un monde de tous les possibles. Justement. Et c’est ça qui est génial. Par ailleurs, j’ai commencé ce texte en disant «franchement, les mecs». Par réflexe d’hier, peut-être. Parce qu’aujourd’hui, on aurait pu dire «franchement, les filles». Les supportrices féminines, en transe le soir des victoires, DOM
sont de plus en plus légion sur le continent. Et ça aussi, c’est nouveau. Ça bouge, ça change, ça pulse. Vive la CAN 2023! Que le meilleur gagne. Mais, d’ores et déjà, merci pour l’émotion géante qu’elle nous a procurée. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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