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Edem d’Almeida « Il faut distiller un autre regard »

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LES CHIFFRES

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Africa

Global Recycling recycle des milliers de tonnes par an et éduque les écoliers du Togo et de Côte d’Ivoire à devenir ambassadeurs de l’économie circulaire à travers son ONG

Moi Jeu Tri. Son directeur général répond à nos questions. propos recueillis par Cédric Gouverneur

AM : Votre société, Africa Global Recycling (AGR), a désormais dix ans d’existence.

Edem d’Almeida : AGR dispose d’un centre de tri approvisionné en déchets divers (papier, carton, plastique, verre, métaux…) qui arrivent de tout le Togo, mais parfois aussi du Bénin, du Ghana et du Burkina Faso. L’entreprise compte une trentaine de salariés, contre 130 avant le Covid-19… La crise sanitaire avait provoqué l’arrêt des activités de nos clients et fournisseurs. Nous travaillons à reprendre le dessus en restructurant nos productions et nos projets, ancrés dans l’innovation sociale et l’économie circulaire, avec la mise en place de filières locales de transformation. Nous œuvrons également à nourrir nos ambitions panafricaines, affirmées dès notre création. Quelle quantité de déchets triez-vous ?

Depuis la création, plus de 15 000 tonnes ont été collectées et valorisées. Nos capacités de traitement actuelles sont d’environ 1 000 tonnes. Cela reste relativement modeste face à la quantité de déchets disponible. Le potentiel de développement est donc très important. Les matières valorisées sont rachetées et réutilisées par des industriels en Europe, au Moyen-Orient, en Extrême-Orient, en Amérique latine… Des papetiers récupèrent papiers et cartons pour en faire de la pâte. Les plastiques sont régénérés pour produire de nouveaux emballages, et différents produits vont à différentes industries comme l’automobile. Dispose-t-on d’une estimation de la quantité de déchets produite chaque jour à Lomé (qui compte environ 2 millions d’habitants) ?

Globalement, 900 tonnes par jour, dont 9 % de plastique estimés (soit environ 31 000 tonnes par an). Ce qui implique que si la production de plastique s’arrêtait demain, la quantité déjà produite pourrait alimenter la filière pendant des années ?

Oui, mais le problème n’est pas tant le plastique que la gestion de sa fin de vie. Prenez l’exemple d’un bâtiment à l’abandon : il ne viendrait à personne de soutenir l’idée que c’est sa faute s’il est dans le paysage. S’il y est, c’est que sa fin de vie n’a soit pas été prévue, soit pas été gérée. On trouverait une solution pour l’entretenir, le rénover, le convertir à un autre usage, ou le raser et réemployer ses matériaux. Il doit en être de même avec le plastique. Le problème est également d’ordre politique et économique : l’industrie de la plasturgie est l’une des plus pourvoyeuses d’emplois en Afrique (par exemple, 4 000 à 5 000 au Togo, et environ 40 000 au Maroc) et contribue à l’assiette fiscale. Le juste équilibre n’a toujours pas été trouvé entre les préoccupations politiques et les enjeux environnementaux, d’où la difficulté de la mise en œuvre des lois qui interdisent le plastique, comme au Togo depuis 2011. Une réglementation doit encadrer sa production et sa traçabilité : les producteurs doivent être dans une démarche incitative permettant d’organiser la récupération. Et le régulateur peut imposer une épaisseur minimum des films mis sur le marché : en effet, la faible densité de la plupart des sacs ne revêt aucun intérêt économique et industriel à leur recyclage ! La sensibilisation doit également faire en sorte que l’usage de ces plastiques ne puisse pas compromettre leur recyclage. Vous êtes acteur de ce secteur depuis plus de quinze ans : la prise de conscience s’est-elle améliorée ?

Il reste beaucoup à faire en matière de conscientisation. Chez nos dirigeants et les bailleurs de fonds internationaux, la prise de conscience est bien là. Des initiatives en ce sens sont prises, mais elles n’intègrent pas concrètement la mesure des enjeux de la valorisation. La question de la pollution et de l’incivilité demeure : comment dire à quelqu’un, préoccupé par sa survie au jour le jour, « ne jette pas ton emballage n’importe où, c’est mauvais pour la planète » ? Il faut faire en sorte que les priorités sociales de la population soient satisfaites, afin que la question environnementale s’impose comme un automatisme au quotidien. Il faut distiller un autre regard, à travers une approche anthropologique du déchet sur le continent. La culture africaine et nos traditions sont profondément écologiques, sociales, solidaires, et ancrées dans la circularité. Il faut donc démocratiser le sujet du déchet, changer d’approche et faire de l’environnement un sujet moins élitiste et plus accessible à la base.

C’est le sens de votre autre initiative, Moi Jeu Tri ?

En effet, en 2016, avec AGR, nous avons porté un programme d’éducation environnementale en milieu scolaire. Aujourd’hui, c’est une ONG présente au Togo, en Côte d’Ivoire et en France, que j’ai la chance de faire grandir avec Paul Testard (depuis 2020) et des équipes engagées. Notre philosophie est de faire de l’école un maillon essentiel de la chaîne de valorisation des déchets en Afrique, en faisant appel au rôle éducateur des enfants pour porter le changement dans les familles. Les bacs de tri sont placés dans les établissements partenaires du programme, et les déchets recyclables proviennent de la maison. L’enfant va constamment rappeler à ses parents l’impératif de trier les déchets, tout comme il va constamment leur rappeler, pour leur sécurité, de ne pas téléphoner en conduisant ! Il éduquera ainsi ses parents, et même les voisins ou les passants qui lui poseront des questions en le voyant apporter ses déchets à l’école. Moi Jeu Tri sensibilise aux enjeux du recyclage, aide des collectivités locales dans la transformation écologique ainsi que dans la formation et l’insertion professionnelle de jeunes éloignés de l’emploi, dans le domaine de l’économie circulaire. L’entité parisienne est une structure de soutien et de mobilisation de ressources qui accompagne le déploiement de nos différents programmes en Afrique, sous la direction de Paul Testard, délégué général. Nous travaillons à ouvrir une autre entité dans un nouveau pays cette année. C’est plus de 100 000 bénéficiaires, une dizaine de communes partenaires, et plusieurs entreprises et institutions engagées à nos côtés. Nous venons de signer avec l’Agence française de développement (AFD) une convention portant sur un financement de 1 million d’euros pour un projet de gestion de fin de vie des produits issus de la filière solaire et des équipements électriques et électroniques au Togo. Ce projet porte en son cœur l’éducation, l’innovation sociale, et l’inclusion des jeunes et des femmes. ■

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