CHANGEMENT CLIMATIQUE L’AFRIQUE AU DEFI
PA R ZYAD LI MAM
CLIMAT, LE CHALLENGE DU SIÈCLE
En moins de deux décennies, le changement climatique et ses conséquences sont devenus une question de première urgence pour l’Afrique. Nous sommes les plus pauvres, les plus fragiles, les moins déve lopp és, et nou s so mm es pour ta nt lourde me nt impactés [voir notre dossier pages 32-41].
Nous avons très peu « contribué » à ce dérèglement. Les chiffres varient, mais disons que le continent génère 3 à 9 % des gaz à ef fet de serre. Miroir de notre pauvreté, un milliard et quelques d’Africains « polluent » moins que 20 0 millions d’Américains (11 %), presque trois fois moins que la Chine et son 1,5 milliard d’habitants. Pour tant, le continent se réchauffe plus vite que la moyenne mondiale (+1,4 °C depuis l’ère préindustrielle contre +1,1 °C), en impor tant le réchauf fement des autres Les canicules, fortes pluies, inondations, cyclones tropicaux et sécheresses persistantes ont déjà des ef fets dévastateurs. La montée des océans et des mers menace de grandes conurbations : Tunis, Casablanca, Dakar, Abidjan- Lagos, Luanda, Maputo Les coûts des pertes et dommages dus au changement climatique en Afrique sont estimés entre 290 et 440 milliards de dollars sur la période 2020 -2030.
L’Afrique n’est pas soutenue – loin de là – à la hauteur du préjudice. Elle est victime d’une injustice climatique majeure Elle contribue peu au changement climatique, elle utilise peu d’énergie carbonée, elle paie déjà un e fa ct ure éc onom ique, so ci al e et hu main e disproportionnée Pour tant, elle est encore très peu aidée en matière de gestion des risques et de transition économique. Le financement de l’adaptation au climat ne représente qu’une gout te d’eau dans l’océan de ce dont a besoin le continent. Plus de 50 pays africains ont soumis leurs contributions au niveau national Pour mettre ces contributions en œuvre, il faudrait près de 2 80 0 milliards de dollars avant 2030. On en est loin, très loin Ce devrait être l’un des sujets principaux de la COP 29 à Bakou, en novembre prochain.
Les conséquences concernent en premier l’agriculture (à laquelle on doit ajouter l’élevage et la pêche), un secteur clé pour la stabilité sociale et l’économie du continent. L’ensemble fait vivre six Africains sur dix À cause du changement climatique, la croissance de la productivité agricole a chuté, selon
les Nations unies, de plus d’un tiers depuis 1961 (UN) L’im por ta ti on de prod uit s al im enta ires conna ît un e hausse co nt inue et la fa ct ure pourrait dé passe r les 110 milliards d’euros dès 2025 Les cultures de rente, com me le caca o, so nt au ta nt to uché es qu e le s cultures vivrières, qui constituent la base de la souveraineté alimentaire de l’Afrique.
Dans ce contexte, on lui demande de résoudre une impossible équation, comme par miracle. Elle doit com bi ne r cr oi ssanc e éc onomiqu e et dé mographique avec adaptation au changement climatique. Elle doit décarboner, alors que son besoin en énergie est vital si elle doit émerger de l’obscurité et du sous -développement. Elle doit devenir un acteur majeur des énergies renouvelables, sans bénéficier, pour le moment, d’un soutien financier et technique massif des pays riches, et tout en ayant à répondre à une multitude d’urgences en matière de santé, d’infrastructures, d’éducation, d’urbanisation… Il n’y aura pas de solution pour l’humanité, s’il n’y a pas de solution pour l’Afrique. Si, demain, le continent devait at teindre un niveau de développement comparable à celui de l’Inde ou du Vietnam, si nous devions tripler notre revenu par habitant et notre niveau de vie – ce qui serait un minimum –, si nous devions fournir de l’énergie à la grande majorité des Africains, à toutes les entreprises, et pour un coût raisonnable, et si cet ef fort nécessaire, urgent, devait se faire sans transition vers des modèles renouvelables et durables, alors l’Afrique deviendrait l’une des principales causes du réchauffement et de la catastrophe globale C’est l’une des donné es fondamental es du problème : le change me nt clima ti qu e, pa r dé finitio n, n’a pa s de frontières
Une partie de l’avenir est entre nos mains. Par la bon ne go uver nan ce, par la mob ili sa tio n de no s entreprises, de nos entrepreneurs, de nos créatifs, de nos ing énieurs, par le soutien acti f de la puissanc e publique, par la mise en place de projets réalistes et ba nc ab le s, par la re monté e de l’urge nc e dans le s circuits de financements multilatéraux, les fonds, les fo nd at ion s… C’es t po ss ib le. C’es t ce rtai ne me nt un fa cteu r de cro is sa nc e et de déve lopp em ent. Et de toute façon, nous n’avons pas le choix ■
3 ÉDITO
Cl imat, le défi du siècle par Zyad Limam
8 ON EN PARLE
C’EST DE L’ART, DE LA CU LT UR E, DE LA MODE ET DU DESIGN Nouveaux mondes
28 PA RCOURS
Nincemon Fallé par Astr id Kr ivian
31 C’EST COMM EN T ?
Un trafc ou blié par Emmanuelle Pontié
100 CE QU E J’AI APPRIS
Mohamed Abozek ry par Astr id Kr ivian
112 VI VR E MIEUX
Le foie, un pilier de votre santé par Annick Beaucousin
N° 45 3 JU IN 20 24 P.08
114 VI NGT QU ESTIONS À… AF FA par Astr id Kr ivian
TEMPS FORTS
32 Changement climatiq ue : C’est déjà demain par Cédr ic Gouver neur
76 Nawel Ben Kraïem : La conscience politique au serv ice de l’ar t par Luisa Nannipieri
82 Nabil Ayouch « C’est un flm miraculeux » par Jean-Mar ie Chazeau
88 Rachida Brakni
« Au nom de Kaddou r et des or ig ines » par Astr id Kr ivian
94 Saber Mansou ri : «Le roman se nou rr it du réel » par Astr id Kr ivian
P.76
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DÉCOUVERTE
43 Djibouti : Garder le cap par Zyad Limam, avec Rémy Darras et Emmanuelle Pontié
44 Envers et cont re tous
46 La st ratégie de l’adaptation
52 Mahamoud Ali Youssouf : « Nous voulons cont ribuer à la paix et à la sécu rité »
56 Doraleh-DP World : Djibouti ne ferme pas la porte à un accord
60 Le projet Damerjog
64 Le futu r en objectif
70 Port folio : Entre terres et mers
BUSINESS
102 Lithiu m : cont rôler le nouvel « or blanc »
106 Ngone Diop : « Sans l’Afrique, personne ne pourra développer sa transition énergétiq ue »
108 Le Sénégal veut faire preuve de souveraineté
109 Commerce for issant entre la Côte d’Ivoire et le Sahel
110 La Fondation OCP, opérateu r de changements
111 Au Nigeria, la mégaraff nerie
Dangote en exemple par Cédr ic Gouver neur
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ON EN PA RL E
C’est ma in te na nt , et c’est de l’ar t, de la cu ltu re , de la mo de , du de si gn et du vo ya ge
NOUVEAUX MONDES
Pa r l’anticipat ion, DI X-HU IT ARTIST ES AR ABES question nent et transg ressent le présent.
FASCINANTES, étranges, métaphoriques, visionnaires
Les œuvres contemporaines exposées à l’IM A proposent un voyage décentré au cœur d’une planète à la dérive – mondialisation, écologie, migration, genre, décolonisation –, afin de penser des univers alternatifs. Plasticiens, photographes, performeurs, vidéastes, tels Sophia Al-Maria, Fatima Al Qadiri ou Hicham Berrada, explorent ainsi les sphères oniriques de la science-fiction et les nouveaux imaginaires arabes. À l’image d’un laboratoire d’hy pothèses se déployant dans tous les territoires de la création Ici, une photographie où une
voiture volante (et violette) transporte sur son capot un personnage en djellaba à capuche ; là, une vidéo numérique où une exploratrice avance sur des reliefs inhospitaliers, cernée de soucoupes mi-porcelaine mi-raie manta. Le fantastique côtoie le dystopique, le chimérique joue avec le politique. Et l’on se met à rêver les mondes de demain, avec appréhension et expectative tout à la fois ■ Catherine Faye « ARABOFUTURS, SCIENCE-FICTION ET NOUVEAUX IMAGINAIRES », IM A, Paris (France), jusqu’au 27 octobre 2024 imarabe.org
RY TH ME S
SO UN DS
Àécouter maintenant !
Msak i& Tu batsi
Sy nt heti cHeart spar tI I,NoFor mat.
Un an seulementaprès la parution du premiervolet de Sy ntheticHearts,Msaki et Tubatsirev iennentavec un second chapitre tout aussiréussi, enregistré à Johannesburg.Entouré du violoncelle maîtrisé de ClémentPetit,leduo ici formépar Msak i(chanteuse dontsont fans DiploouPrinceKaybee) et Tubatsi Mpho Moloi (membredugroupe UrbanVillage) brilletantvocalement quesémantiquement. Hy pnotique.
ROCK ÀLADARIJA
AV EC SWAK EN,LEGROUPE
FR ANCO-M AROCAI N transfor me le coup d’essa i en électriq ue conf ir mation.
DÈSLES PR EMIÈRESMESUR ES,lavoixdeYousraMansour nous captiveimmédiatement,évoquantles grandesdivas orientales comme lesicônesdupunkféminin britannique façonA ri Up.D’ailleurs,l’album aété enregistrédansles studiosRealWorld de PeterGabriel,dans le Wiltshire. Parson hybriditésonore, quelquepartentre le rockà180° de LedZeppelin et la transe gnaoua, il respecte le cahier descharges du labelduchanteuranglais.Autourdelachanteuse, celuiqui a cofondéBab L’Bluz avecelle, le guitariste et joueur de guembrifrançais BriceBottin,ainsi queBrahim Terkemani et Jérôme Bartolome, tous bien déterminés àser virses litanies en darija.Ellen’hésitepas non plus àdénoncerles rouagespatriarcaux de la sociétémarocaine, en abordant de front les problèmesdesanté mentale. Un disque loind’être tiède, donc,qui méritait cetécrin rock’n’roll hantédonnant raison àson titre: en darija,« swaken »signifie être possédé… ■ Sophie Rosemont BABL’BLUZ, Swaken, Real World.
Flav ia Coel ho
Gin ga,PIA S.
Dans la lettre manuscrite quiaccompagne ce nouvel album, la chanteuse brésilienneexpliquesaquêteincessante d’unemusique toujourssincère,endépit d’un statut désormaisétabli, et sondésir de revenir auxsources :delamusique avec laquelle elle agrandi, de la sambaau G-funk,maisaussideson vécu personnel, adolescenteàR io de Janeiro. Avec une bonnedosed’amapiano, on tientun Ginga àlafoisdansant et fédérateur !
BallakéSissoko &DerekGripper
Ba lla k éS issoko &D er ek
Gr ipper,Platoon.
Décidément féru de collaborations, le célèbre musicien malien fait icidialoguer sa kora avec la guitareduSud-A fricain DerekGripper,etc’est absolument superbe. Les27cordesici réunies modulent leshumeurs et lesémotions, grâceàune écoute mutuelle desdeux musiciensetàune sensibilitéqui se déploie au fils dessepttitressensibles, de «Ninkoy» à« Basle».Unduo presque év ident, même si SissokoetGripper ne parlentpas la même langue. ■ S.R
SO AP -O PÉ RA
QUAND NOLLYWOOD S’INVITE À BOLLYWOOD !
Pour la prem ière fois, une série nigériane a été tour née en Inde. UN MÉTISSAGE COLORÉ, da ns lequel l’argent, la fa mi lle et l’amou r s’affichent comme des va leurs sû res. DA NS CET OR DR E…
UNE QUINQUAGÉNAIRE nigériane richement enturbannée quitte Lagos pour se faire soigner en Inde, où son frère a fait fortune. Elle ne sait pas que son fils, qui lui cache sa vocation artistique, a gagné un concours de danse pour tourner un clip à Mumbai… En six courts épisodes, cette série raconte, façon télénovela chic, les « hasards » qui vont permettre de recoudre des fils familiaux distendus. Du golfe du Bénin aux rives du Gange, le titre, Postcard s, colle bien à la mise en scène, qui n’offre que des images clichées et léchées des deux cités : autoroutes urbaines sans embouteillages dans la mégalopole africaine ; cliniques rutilantes loin des bidonvilles dans la cité indienne… Les difficultés d’intégration des Africains en Inde sont évoquées au détour des dialogues, mais aussi celles du métissage, à travers le couple indo-nigérian formé par un médecin et son épouse yoruba. En apparence progressiste, le scénario vante
un certain conformisme matérialiste (« On est riches, mais on n’est pas Elon Musk non plus ! »), voire moral, sur la famille et l’avortement Une femme est pourtant derrière la caméra : Hamisha Daryani Ahuja, qui est aussi une productrice et actrice nigériane d’origine indienne. Il y a quatre ans, dans un premier crossover, Namaste Wahala, déjà pour Netf lix, elle décrivait une love stor y à Lagos entre un banquier d’origine indienne et une avocate nigériane. Cette fois, c’est Nollywood qui s’est déplacé à Bollywood, scènes de chant et de danse à la clé (mention spéciale pour l’entêtante chanson du générique), en partageant un humour finalement très british. Car comme le dit l’un des personnages : « On parle la même langue, on a eu le même colonisateur ! » ■ Jean -Marie Chazeau POSTCARDS (Niger ia), de Hamisha Daryan i Ahuja. Avec Sola Sobowa le, Tobi Ba kre, Richard Mofe-Dam ijo. Su r Net f ix
AL BU M
LASS D’UN PAYS ÀL’AUTRE
Aprèsu npremier al bu mt rèsprometteu r, le chanteur sénéga la is signe Pa ssepor t,u nd isqueàlafoisGROOV YETCONSCIENT.
DÈS 2022, Bumayé imposait son talent. Né en banlieue de Dakar, inspiré par les voix d’Oumou Sangaré ou de Yandé Codou Sène, il asuimporter en France les mélopées ouest-africaines et la langue lingala. Produit par Jordan Kouby (qu’on avuaux côtés d’Imany, Keziah Jones ou Faada Freddy), ce second album réussit une fois encore le mélange des genres, entre ballades mélancoliques et afro-pop bien sentie. Côté collaborations, Lass est entouré du pianiste Roberto Fonseca, qu’il considère «comme un frère»,etdeDavid Walters :« Nous nous sommes rencontrés lors du projet de Voilaaa avec le producteur Bruno Patchworks, et nous sommes restés en contact depuis. Nous communiquons et collaborons fréquemment sur divers projets, et notre lien s’est transformé en amitié. » Loin d’être dévoré par son ego, il souhaite mettre sa créativité au service de ses convictions, sans en oublier le pouvoir réparateur. Àcommencerpar le titre même de l’album :« Il vise simplement àattirer l’attention sur
une injustice majeure entre les continents :certains ont le bon passeport, quand d’autres n’en ont pas.
Aujourd’hui, nous parlons de la mondialisation et de la manière dont le monde est devenu un petit village planétaire. Les échanges culturels, économiques et humains sont cruciaux. Il est incompréhensible qu’un Africain doive demander l’autorisation de voyager.
Pendant ce temps, les Européens, les Américains ou les Asiatiques n’ont qu’à acheter un billet pour explorer le monde. Les Africains restent confinés sur le continent. »
Àcesentiment claustrophobique, Lass répond par la musique la plus éclectique possible. Le très beau titre conclusif de Passeport,« Samba », témoigne de son éternelle curiosité :« En tant qu’artiste, je ne fixe pas de limites, j’explore toujours. Je m’inspire de nombreux de mes pairs africains, tels que Bembeya Jazz, Orchestra Baobab, Youssou N’Dour ou Salif Keita. Ce bassin diversifié d’artistes enrichit énormément mes horizons musicaux. » ■ S.R.
LASS, Passepor t, Wagram Music/ Chapter TwoRecords
Co nc er td onné su rl as cène de la plage, àE ssaouira.
ESPRIT FUSION
Pour sa 25e éd it ion, le Fest iva l Gnaoua et musiques du monde va ànouveau SECOUER L’ANCI EN NE MOGA DOR.
ESSAOUIR Arésonne encore desconcertsdeJimmy Page et Robert Plant(LedZeppelin)avecMaâlemBrahim El Belkani, de la prestation de Randy Weston avecAbdellahBoulk hair El Gourdou de celledeCarlosSantana avec MaâlemMahmoud Guinia. Àl’origine de cesrendez-vous culturelsdevenus cultes, il yalatradition d’uneconfrérie d’anciensesclavessubsahariens arrivésauMaroc parles caravanesde la traite négrière, au cours du XV Ie siècle.Puis,lafougued’une poignéed’amisqui lance, souslahoulettedeNeila Tazi,unfestivalavant-gardiste, guidé parl’urgence de sauvegarderunpatrimoineancestral menacé de disparition. L’idée ?Faire fusionnerpassé et présent, scène internationale et héritage immatériel.Lasymbiose et l’énergie sont telles qu’elles placentaujourd’hui Essaouirasur la carte mondiale desv illes musicales, au même titreque Montreux ou la Nouvelle-Orléans. Inscrit surlaliste du patrimoine immatériel de l’Unesco en 2019,lefestivalfêtecette année en grandunquart de siècle de passions musicale,patrimoniale et humaniste. Avec un programmeambitieux ■ C.F.
25E ÉDITION DU FESTIVAL GNAOUA ET MUSIQUES DU MONDE, Essaou ira, du 27 au 29 juin 2024. festival -gnaoua.net
FAUSSES PROMESSES
LI VR E Un textefor tetnécessa ire su rLAQUEST ION desSANS-PA PI ERS.
LA PHOTOENNOIRET BL ANCsur la couverture du livreest en elle-mêmeun actederésistance. On yvoitune jeunefemme,entre questionnement, colère et détermination,assisesur descouvertures entasséesaupiedd’une alcôve d’église. Àses côtés, un enfant dort.Librementinspiré desévénements de l’église Saint-BernarddelaGoutted’Or, occupée pardes étrangers «ensituation irrégulière » du 28 juin au 23 août 1996, le récit de Gauz remet surledevantdelascène lesacteurs de cettelutte Dans unelanguequi sonneetrésonne,l’auteur du remarqué Debout-payé (2014),finaliste du prix internationalBooker, redonne ainsi unevoixaux hommes et auxfemmesqui furent au cœur de la batailledes «sans-papiers ». ■ C.F.
GAUZ , Les Portes, Le NouvelAttila, 192pages,18,50 €
CI NÉ MA
LA TOILET TE DESMAURES
Pour év iter d’êt re EX PU LSÉDEFRA NCE, un jeu ne Algérien va travail lerpou rdes pompes fu nèbres musu lmanes et renouer avec lesracines qu’i lrejetait…
NÉ
ÀSÉTIF,filsdediplomatequi abeaucoupvoyagé, Sofianeest un étudiant algérien pastrèsintéressépar sesétudesenFrance, où il vitavecsafamille. Résultat :l’universiténerenouvellepas soninscription,etilest menacé d’expulsion. Pour rester,ilvadevoirtrouver un contratdetravail.Etc’est dans uneentreprise de pompes funèbres musulmanes qu’une possibilités’offre àlui.Pourlejeune homme, éloignédelareligion, venant d’un milieu plutôt aisé et rejetant sesracines, l’apprentissagevaêtredifficile.Bienqu’égocentriqueetunpeu fanfaron,ilva finir pars’intéresser auxautres… On découv re avec luides gestes ritualisés sur lescorps desdéf unts, rarement montrésdanslafiction,etonsuitl’évolution de sonpersonnage, longtemps indéchiffrable.Leréalisateur algéro-brésilien Karim Bensalah semble avoirmis beaucoup de luidanscepremier long-métrage, délicat et souventlumineux. S’il forceparfois un peules événements dans le scénario, sonportraitcomplexe d’un jeunearabe d’aujourd’huiest plutôt réussi. ■ J.-M.C
SIXPIEDS SU RTER RE (France),deKar im Bensalah. Avec Ham za Meziani,Kader Affa k, SouadA rsane. En sa lles
« ÉTHIOPIE, LA VALLÉE DES STÈLES », MUSÉE FENAILLE, Rodez (France)
Du 15 juin au 3 novembre musee- fenaille.rodezagglo.fr
Le mu sé e Fen aill e d’arché ologi e.
LA MAGIE DES STÈLES ÉTHIOPIENNES
LE
MUSÉE FENA ILLE présente des œuvres except ionnel les, issues d’un site un iq ue au monde, qu i fascine les archéologues depuis plus d’un siècle.
DA NS LA VA LLÉE du Rift éthiopien, sur les contreforts des hauts plateaux du sud-est, s’étend le pays gedeo, patrimoine culturel de l’Unesco depuis septembre 2023. Dans les forêts sacrées, au-dessus des pentes cultivées, on pratique encore les rituels traditionnels et, le long des crêtes, se dressent des milliers de monuments mégalithiques vénérés par les Gedeo.
Les chercheurs tentent de percer les secrets de ces mystérieuses stèles phalliques ou anthropomorphes depuis plus d’un siècle À l’occasion d’une nouvelle mission archéologique française sur place, le musée Fenaille présente « Éthiopie, la vallée des stèles » : plus de 90 pièces originales, une sélection unique de mégalithes provenant du site de Tuto Fela et dix stèles monumentales en pierre conser vées au Weltkulturen Museum de Francfort, exposées pour la première fois dans l’Hexagone Des objets collectés sur le terrain, croquis, vidéos et entretiens avec les habitants, complètent le parcours L’exposition sera déclinée dans un deuxième temps en Éthiopie, en collaboration avec le musée national d’Addis-Abeba. ■ Lu is a Na nnip ier i
INCESSANTS VA-ET-VIENT
UN E RÉFLEX ION SU R L’EX IL , l’ident ité, les or ig ines, la mémoi re, et le ta ngage entre deux pat ries, deux univers : la France
de la mère, l’Algérie du père.
« PETI TE , SI JE PR ENAIS L’AV ION EN HI VER, je voyais que l’Algérie était verte et que la France était grise. Mais si c’était l’été, je voyais que la France était verte et l’Algérie ocre » Aller, venir, part ir, revenir Pour Yasmina Liassine, comme pour beaucoup d’autres, les or igines et les frontières nour rissent un questionnement sans fin, permanent, laby rint hique. C’est d’ailleurs celui de la cathédrale du Sacré- Cœur d’Alger, matérialisé par une mosaïque composée de cinq carrés datant de 324 après J.- C., qui amorce le cheminement de l’auteure. Cette pièce unique de l’ar t chrétien antique est la plus ancienne représentation de l’Église sous forme de laby rint he Le dédale conduit au cent re, où l’on peut lire dans tous les sens : Sancta Ecclesia (« Sainte Église »). La pr imo-romancière, qui a signé deux essais sur les mathématiques voilà quelques années, s’est réapproprié cette image métaphor ique pour s’engager dans une déambulation intime à l’entour de ce qu’elle nomme sa Sancta Al geria : « J’ai pr is conscience de tenir quand même une sorte de fil d’Ar iane qui me permet trait, je l’espérais, non pas de sort ir du laby rint he, car ce laby rint he est ma place et je m’y trouve bien mieu x que dans toutes les rues rectilig nes du monde, mais du moins de m’y promener sans crainte. » Avec une voix sincère et cadencée, chargée de parf ums, de sons et de couleurs, cette fille issue d’un mariage franco -algérois, dans les années 1960, avance, er re, se perd, rev ient sur ses pas, scrute ses souvenirs, cherche à comprendre les dissonances entre l’histoire of ficielle et les histoires plur ielles d’une Algérie où cohabitent époques et communautés, décr ypte les liens mêlés de ce pays avec la France Elle nous entraîne dans un entrelacs d’émotions, de sensations et de conf idences, distille histoires de vies, destinées de femmes, relents de nostalgie, dénoue théorèmes, paradoxes et incohérences, lit et écrit, « car le décompte object if du temps passé dans un lieu ne ref lète pas vraiment le reste, le temps passé à rêver, se souvenir, espérer » Un récit fin et vrai Entre ombre et lumière. ■ C.F.
YASMINA LIASSIN E, L’Oiseau des Français, Sa bi ne Wespieser, 184 pages, 19 €.
L’Afri à Mi
Tour d’ hor iz DU CONT IN d’ inspirat ion,
rema rq uer lo SA LON DU
LES DESIGNERS les milanaise s’exposent au Salone Satellite, qui offre un véritable tremplin à de jeunes créatifs triés sur le volet. Cette année, la Tunisie a débarqué en force avec le projet Creative Tunisia et les œuv res de Hassene Jeljeli, qui présentait les nouvelles lampes en métal ajouré de sa marque JK lighting Faites à partir de feuilles de métal récupérées et artistiquement superposées, celles-ci diff usent une lumière changeante et douce, sublimant une matière négligée. La Marocaine Selma Lazrak, basée à Munich, a exposé son interprétation contemporaine des tables basses traditionnelles. Un travail épuré et minimaliste qui évoque, à travers les lignes fines du bois et du travertin, mais aussi un jeu d’ombres et de lumières, l’architecture du pays dans son essence. My riam Bouraga, quant à elle, a choisi de mettre en valeur le savoir-faire des artisans du Moyen Atlas, qui réalisent en laine locale les tapis uniques qu’elle dessine
Ta pis Cha nti lly
Drea m, de ch ez
Ma rmouc ha, c i- contre ; la ve rs io n made in Africa du Big Ea sy, pa r Ro n Arad , ci -d es sous
d’art tissée à l’image d’un tapis de la région de M’rirt, tout en nuances et contrastes doux. Chez l’Égy ptienne Rania Elkalla, ce sont les coquilles de noix et d’œufs qui sont à l’honneur, avec Shell Homage Le bioplastique bariolé est utilisé pour créer une incroyable variété d’objets : des coques de téléphones portables, des plateaux et même des tables Mais les designers du continent ont aussi leur place chez les grands. Dolce & Gabbana a inclus des œuvres de Thabisa Mjo (A frique du Sud) et Ella Bulley (Ghana) dans le deuxième volet du projet GenD, qui crée des ponts entre la tradition italienne et le reste du monde à travers le travail de dix designers. Et Moroso a travaillé avec Ron Arad pour proposer une version Made in Africa de son iconique Big Easy et rev isiter ses assises inspirées du continent, avec les collections Modou et M’Afrique. Toutes exposées dans le prestigieux cadre de la galerie Rossana Orlandi. ■ L.N.
TOM BUK-SWIEN T Y, La Lionne :Karen Blixen en Afrique, Gaïa Éditions, 912pages,33 €
UNEPASSION AFRICAINE
Un récitcaptiva nt su rlav ie de KA RENBLI XENauKenya,r ichement illustrépar 230photographies.
S’APPU YA NT surune correspondance et desdocuments d’archives inédits, le journaliste, historienetécrivain danois TomBuk-Swienty livreunportraitsaisissantdel’auteure de La Fermeafricaine (1937), romanautobiographique quiainspiré le film OutofAfrica (1985),de Sydney Pollack. Si nous gardonssurtout en mémoirelafolle passion quilie la future écrivaineàl’aristocrate anglaisDenys FinchHatton, incarnés parMer yl StreepetRobertRedford,ledestinde cette héroïnedela« vraievie »relèvepresque du my the. Celui d’unefemme libreetaventurière,passionnéeetsanslimites. De sa jeunesse danoise àson émancipation littéraire, sonparcours illustre et questionne une époque –colonisation, Première Guerre mondiale,relations entreles peuples,rapportsàl’autre et àlanature, etc. –, mais égalementune personnalité complexemarquée parlaforce du désiretlarésistance àlaperte et àl’échec.Pendant lesdix-sept annéesqu’elle passeau Kenya,mariéepuisdivorcéeaubaron suédoisBrorvon Blixen-Finecke –qui luitransmetuntitre de noblesse, mais aussilasyphilis–, KarenBlixendirige pendant dixans la Karen Coffee Company, une fermedecafécomptant plusieurs centaines d’employés.Devenue l’une despremièresdirigeantes de grande entreprise au monde, avantde tout perdre,elleconnaît surtoutune grande histoire d’amouravec l’Afriqueorientale britannique :« Un vasteunivers de poésie s’est ouvert àmoi et m’alaissée pénétrer en lui, ici, et je luiaidonné mon cœur.» Unemanière de trouverunéquilibre dans l’ailleurs,pourcelle queles hautsetles basn’auront cessédetourmenter. ■ C.F.
BA ND ED ES SI NÉ E
DANS LESMAILLES DU FILET
Un ouvragedocumenta ire implacable su rlav ie SACR IFIÉEDES EN FA NTSSOL DATS.
EN 2020,A nnePoiret, journaliste et réalisatrice de filmsdocumentaires, prépare un reportage surles enfants de l’État islamique. Troisans aprèslavictoire de l’Irak,elleveutanalyserl’après-guerre, le traumatisme, ce qu’ilreste du conf lit en eux. Parmices «lionceaux du califat», certainsYézidis sont parquésdansdes camps de déplacés.C’est au camp de Kadiaqu’elle recueilleletémoignagedeMahar,kidnappé àdix ansauKurdistan irakien. Dans lesrangs de Daech, il connaîtl’endoctrinement desécolescoraniques, la violence des centresd’entraînement, l’enferdes combats. Àdouze ans, il se batà Deir ez-Zor,enSyrie, et àMossoul,enIrak. Àtout cela, il asur vécu. Mais àquelprix? Saisissant ■ C.F.
AN NE POIR ET ET LA RS HORN EM AN, Mahar le lionceau,oul’enfanceperdue des jeunes soldatsdeDaech, Delcourt,144 pages, 18,95 €
L’a ct ric e Nisr in E rrad i incarn e ici u ne ar ti ste incom prise
LO NG -M ÉT RA GE
TRANSE IDENTITAIRE
Une chanteuse ma roca ine, héritière d’une trad it ion à l’odeu r de souf re, rêve de gloi re à Casa blanca. Na bi l Ayouch livre un sa isissa nt PORT RA IT DE FEMME, présenté en prem ière mond ia le au Fest ival de Ca nnes.
LA DERNIÈRE IM AGE du film nous cueille. On ne la racontera pas ici, mais la scène finale est à la hauteur des ambitions du nouveau scénario de Maryam Touzani et Nabil Ayouch : nous faire suivre le parcours d’une artiste venue des marges de la société et des confins du Maroc. Touda fait partie de ces femmes mal comprises, notamment par les hommes, issues d’une lignée de chanteuses : les cheikhat Parées de leurs plus beaux atours, leurs longs cheveux souvent lâchés, elles déclament des textes d’amour, de résistance ou d’initiation, souvent grivois et qui viennent du fond des âges Farouchement indépendantes, fardées et portant de lourds bijoux sur leurs robes somptueuses, les cheikhat ont souvent mauvaise réputation et payent cher leur amour pour ces chants immémoriaux et impudiques Touda, radieuse quand elle chante, au bord de la transe, doit rappeler brutalement à ceux qui prennent ses paroles au premier degré : « Je suis une chanteuse, pas une pute ! » Le malentendu est aussi artistique : on l’apprécie pour ses talents de chanteuse – « tout le monde aime Touda », comme le dit un animateur de soirée, donnant son titre un peu ironique au long-métrage. Mais elle veut surtout incarner ce cri des cheikhat, la aïta, un appel puissant et rugueux, assez éloigné des chansons taillées pour les mariages ou les cabarets
C’est alors qu’elle se met en tête de rejoindre Casablanca, où elle pourra prouver son talent et l’exposer sur les plus grandes scènes. Afin d’incarner un tel personnage, il fallait bien une actrice à poigne, capable de laisser exploser toutes ses émotions. Nisrin Erradi incarnait dans Adam (2020), de Maryam Touzani, une femme perdue, enceinte, qui parvenait à attendrir une veuve un peu revêche, pâtissière dans la médina Comme dans le cinéma italien en noir et blanc, elle a la trempe d’une Anna Magnani pour camper une femme du peuple qui ne se laisse pas faire. Mais son personnage est ici sublimé par la mise en scène colorée de Nabil Ayouch, qui avait su si bien montrer dans Much Loved (2015) le quotidien solidaire de prostituées de Marrakech confrontées à l’hy pocrisie morale de la société. Cette fois-ci, il n’est pas question de rapports tarifés, ni de soutien entre pairs : Touda est toute seule dans ses rêves, son ambition, et elle se raccroche à l’amour qu’elle porte à son petit garçon pour avancer et porter au sommet un art décrié qu’elle maîtrise avec fougue Sa destinée nous emporte avec elle, magnifiquement, jusqu’au dernier acte, bouleversant ■ J.-M.C EVERYBODY LOVES TOUDA (Maroc-France), de Nabil Ayouch. Avec Nisrin Erradi, Jalila Talemsi, Abdellatif Chaouqi En salles prochainement
TRAVEL.
Le voyage en s’habillant
Patrice Kouadio, DESIGN ER
IVOI RI EN nous pa rle de
Ma rrakech à travers ses CA RT ES
POSTAL ES VEST IM EN TA IR ES.
PLONGER DANS MARRAKECH, son architecture, ses couleurs, ses paysages, prendre des éléments de la culture ivoirienne et tout mélanger pour donner vie à un style particulier, où chaque pièce raconte une histoire. Patrice Kouadio a allié sa passion pour la mode et pour l’architecture à son histoire personnelle pour donner vie à TRAVEL. en 2023. Un label qui lui a permis de dessiner des vêtements qui lui ressemblent et de partager en même temps son amour pour la ville ocre. Telles des cartes postales vestimentaires uniques, ses silhouettes sont conçues pour évoquer des souvenirs de voyage et d’ailleurs. Ivoirien trentenaire
installé au Maroc depuis ses études en ingénierie marketing, Kouadio travaille sur ce projet depuis plusieurs années.
Over sized et confor ta ble s, le s coup es s’ad a pte nt à toutes le s mo rpho lo gi es.
Prenons cet élément dentelé, qui est une sorte de signature de sa marque et de son agence de création et arts visuels, Esthète studio. Ce symbole géométrique que l’on retrouve partout à Marrakech, il l’avait remarqué lors de ses flâneries estudiantines dans la médina, sur le minaret de la Koutoubia. Captivé, il en a fait le point de départ de son projet, le transformant en poche de chemise au départ, et par la suite en en faisant un motif ciselé sur ses boutons chrome et or de quatorze carats. Au fil des saisons et des capsules, réalisées en édition limitée par une ancienne petite main de Dior, le designer troque la laine bouclette pour le coton kéria local et pour la soie – des tissus provenant de fins de stocks des grandes marques, qu’il mélange parfois avec du pagne baoulé ivoirien déstructuré. Il garde, en revanche, toujours l’amour des coupes oversized, souples, décontractées et adaptées à toute morphologie. Dans la dernière collection, « Symphonie de l’été », ses Traftans (Travel+caftan) s’inspirent du coucher de soleil sur Marrakech, ou de la vue de la ville depuis l’avion. L’ensemble Dot archi-kech reprend le tracé des parcelles cultivées avec un motif à pois qui est un clin d’œil au point du logo. D’autres pièces élargissent la palette au reste du pays, évoquant le ciel d’Essaouira ou les pierres et le sable de la terre d’Agafay. @shop_travel ■ L.N.
mmage s à la vil le oc re, son arc hi te ct ure et ses pa ysag es, le s co ll ecti on s de Koua d io ra conte nt un e hi stoire.
BALADE AU CAP
TROIS SPOTS où s’arrêter pour savourer la ville dans un environnement culinaire
COSMOPOLITE ET MODERN E.
BOUILLONNA NT, le Cap est l’une des villes les plus vivantes de la scène gastronomique sud-africaine. Un panorama où Vadivelu occupe une place spéciale Avec le slogan « Indian With Attitude », ce resto à la déco jungle-contemporaine, inauguré en 2023 dans la très trendy Kloof Street, propose des plats 100 % sud-africains et indiens – c’est-à-dire les recettes de la diaspora, notamment tamoule, arrivée dans le pays à la fin du XIXe À la carte, vegan-friendly, de la streetfood, comme les Pop Cones (galettes farcies avec fromage panir, chou mijoté et oignons sautés) ou les bouchées de gambas tik ka, mais aussi les curr ys en tout genre. Y compris ceux de Durban, sans crème, lait, yogourt ou beurre Dans le centre-v ille, on peut s’arrêter chez Shuck + Scoop pour goûter les huîtres du Cap, parmi les meilleures au monde, que le chef pluri-primé Rikku O’Donnchu sert accompagnées de glaces crémeuses au sésame, au chou-f leur ou au yuzu, et autres mets croustillants Une expérience sensorielle multiple, qui va du sandwich Tempura Oyster Club aux huîtres pochées dans la bière, avec œufs brouillés aux algues nori et kimchi au concombre. Des combinaisons inédites dans un lieu
particulier : The Wiggle Room. Il s’agit d’un concessionnaire automobile, qui fait aussi bar, resto et boutique de luxe Loin du front de mer, dans le quartier métissé et bohémien d’Obser vatory, le biologiste reconverti à la food Tapiwa Guzha a ouvert en février 2020 Tapi Tapi, un café-glacier pas comme les autres Pour les ingrédients, des glaces et des plats avant tout. Et ils sont tous fièrement indigènes : des pousses de bident hérissées de rooibos au millet, en passant par le tamarin. Mais aussi pour la déco, qui célèbre l’héritage africain, et l’ambiance Dans une ville très blanche et hipster, ce café, dont le nom évoque tant les sucreries qu’une joie enfantine à ceux qui parlent le shona, est un lieu où tout le monde peut se sentir à l’aise. vadivelu.co. za/ wiggle.capetown/tapitapi.co. za ■ L.N.
À Accra, sur la terre de David Adjaye
L’ARCH IT ECTE BR ITAN NICO-GHA NÉEN a livré une résidence ar tist iq ue en terre, bois et béton qu i ma rq ue son retour su r la scène loca le.
LA RÉSIDENCE ARTISTIQUE Dot.ateliers, constr uite sur le front de mer d’Osu, à Accra, à la demande du Ghanéen Amoako Boafo, avait été partiellement inaugurée en fanfare début 2023. Le cabinet de David Adjaye, responsable du projet, a récemment annoncé avoir apporté les dernières touches au bâtiment carré de trois étages en terre et en bois, ponctué d’éléments en béton brut Il accueille un espace de cowork ing et une bibliothèque, mais aussi un café avec jardin, un studio et une galerie d’exposition Installée au dernier étage, cette dernière a été recouverte par un toit en dents de scie et des verrières qui l’inondent de lumière naturelle Chaque ouverture du bâtiment a été étudiée pour favoriser la transition intérieurextérieur, encadrant des vues de la ville et de l’océan, et éclairer doucement les espaces. Pour Adjaye, qui gère toujours la direction ar tistique du cabinet, mais a cédé la gestion de ses trois agences quelques mois après avoir été accusé d’agressions sexuelles par des anciennes salariées (accusations qu’il nie) et avoir perdu plusieurs commandes, ce projet annonce un retour. Un test en terrain sûr – son Ghana natal – avant de livrer en fin d’année le chantier du Museum of West Af rican Ar t, à Benin City. dotateliers.space ■ L.N.
Alassane et Do mi niqu e Oua ttara, avec, à ga uc he, Al ly Coul ib aly, gran d ch ancel ie r de l’ordre nat ional, et à droite, Da niell e Be n Ya hm ed, Fran ço is e Rem arck , mi nis tre de la Cu ltu re, et Zyad Li ma m.
À droi te, DBY ann onc e le lancem ent du prix.
Dans le cadre DU SALON DU LIVR E D’ABIDJA N,
un hommage a été rendu à BBY, avec l’annonce d’un prix à son nom.
JEUDI 16 MA I. Bienvenue au magnifique
Parc des expositions d’Abidjan, que l’on doit à l’architecte Pierre Fakhoury C’est la semaine du Salon international du livre (SIL A), quatorzième édition, le plus important de la région, avec une foule de passionnés, de curieux, d’étudiants et d’écoliers. Malgré la fragilité du secteur, l’écrit, le livre, ne se porte pas si mal en Côte d’Ivoire Pour Anges Félix N’Dakpri, président de l’Association des éditeurs de Côte d’Ivoire (A ssedi) et commissaire général du SILA, le secteur bouge, même si une grande part des publications relève encore du marché des livres scolaires. Ce 16 mai, c’est aussi une journée particulière pour nous Dans le cadre du SILA, un hommage est rendu à Béchir Ben Yahmed, fondateur de Jeune Af rique, l’homme qui a eu l’intuition improbable et révolutionnaire de créer et faire vivre un magazine indépendant pour tout le continent. Un hommage à celui qui nous a quittés il y a déjà trois ans, le 3 mai 2021, le même jour que celui de la liberté de la presse, comme dans un remarquable et ultime message. BBY aura été un entrepreneur déterminé, un journaliste convaincu, un militant des Suds, un observateur lucide, sans complexe, de la vie internationale. Cet hommage d’Abidjan, on le doit d’abord à son épouse
Danielle Ben Yahmed, bien décidée à faire vivre l’œuv re de BBY, à transmettre l’héritage aux nouvelles générations. On le doit au président Alassane Ouattara, et à la Première dame
Dominique Ouattara, des amis de BBY et de DBY, qui ont soutenu la démarche, et qui se sont associés à la cérémonie. Cet hommage, on le doit enfin à Ally Coulibaly, grand chancelier de l’ordre national. À Françoise Remarck, ministre de la Culture et de la Francophonie et ses collaborateurs. Et aussi à Anges Félix N’Dakpri et aux équipes du SILA Le moment
aura aussi donné l’occasion au président et à la Première dame de visiter les stands du SILA Une visite présidentielle chaleureuse, quasiment historique, la première depuis près de vingt ans. Alassane Ouattara et Béchir Ben Yahmed étaient amis de très longue date, l’un étant politique, l’autre étant journaliste et éditeur, ce qui ne manquait pas d’animer leurs conversations et leurs échanges. Et c’était normal de tous se retrouver à Abidjan. Les témoignages et les discours ont été de grande qualité, sincères, émouvants, vivants, et drôle parfois, avec l’anecdote nécessaire. Des amis, des anciens collaborateurs étaient venus d’un peu partout : de Paris, de Tunis, de Conakr y, de Casablanca, de Bamako, de Dakar, d’Abidjan év idemment, de Librev ille aussi. Des journalistes, des entrepreneurs, des auteurs, des professionnels de la presse sont présents dans la salle.
Au-delà de l’hommage, et de la réunion d’amies et d’amis, l’événement a permis à Danielle Ben Yahmed d’annoncer un moment fort : la création d’un prix de journalisme Béchir Ben Yahmed L’ambition sera de soutenir et distinguer ceux et celles, en Afrique, qui contribuent activement à ce métier si nécessaire, plus encore aujourd’hui. Le travail est en cours. Il s’agit de mettre en place le conseil de personnalités chargées de finaliser le projet, d’identifier clairement les catégories primées. Avec comme objectif l’attribution des prix, l’année prochaine, en mai 2025 Et avec certainement d’ici là une ou deux étapes intermédiaires. On en reparlera, év idemment ■ Zyad Limam
Nincemon Fallé
Lauréat
du prix
EST UNE JEUNE PLUME À SUIVRE
Voix d’Afriques, L’ÉCRIVAIN IVOIRIEN
. Son roman d’apprentissage Ces soleils ardents dépeint avec justesse et maturité l’entrée dans l’âge adulte de deux amis étudiants à Abidjan, entre aspirations, espoirs et difficultés. propos re cueillis par Astrid Krivian
En langue guéré, son prénom signif ie « le feu n’est pas éteint » : une philosophie qui traverse son premier roman, justement nommé Ces soleils ardents Nincemon Fallé narre le parcours de deux jeunes amis, Iro et Thierr y, étudiants en lettres à l’Université Félix Houphouët-Boigny, à Abidjan. Animés par la flamme de leurs aspirations, de leurs passions – l’écriture pour l’un, la couture pour l’autre –, désireux de se faire une place au soleil, ils font face à la précarité étudiante, aux perspectives d’avenir compromises, aux épreuves personnelles, aux injonctions sociétales, au poids de l’héritage familial. « Je voulais raconter la jeunesse ivoirienne, qui a des ambitions, soif de rêves, mais qui se trouve dans des situations difficiles, compliquées », déroule l’auteur Nourris de ses propres doutes, ses héros sont inspirés de ses observations lors de ses études dans cette même faculté. Pour eux, réussir est la seule option possible. « Ils n’ont pas de soutien familial ; la société ne se plie pas en quatre pour les aider. Il faut donc prendre des dispositions particulières. » Le goût amer de la défaite laisse vite place à l’espoir. « La résilience est intrinsèque aux Ivoiriens. On trouve une lueur dans l’obscurité. Mon roman transmet un message d’espoir : malgré notre situation, on va se battre et s’en sortir. » Ce récit d’apprentissage aborde aussi la transmission, le rappor t père-f ils – comment se constr uire quand le père est « défaillant » ? Iro et Thierr y vont s’affranchir de la norme, se libérer du rôle auquel on veut les assigner. « La société attend d’un homme qu’il étudie, travaille, gagne de l’argent, achète une maison, fonde une famille. Refuser ce schéma, ce canevas, est un travail de déconstr uction difficile, mais nécessaire, afin de creuser son propre chemin. » Le primo-romancier de 22 ans partage avec son personnage Iro une vision absolue de l’écriture. « Il faut s’y consacrer entièrement, tout donner de soi – ses sentiments, ses émotions », confie-t-il. En grandissant à Yopougon, « la commune populaire de la joie, de la fête, à Abidjan », il se passionne très tôt pour le dessin, qu’il pratique, le cinéma, la BD, la photographie. Les livres ? Un objet prétentieux à ses yeux. Mais quand son père et son grand-père l’incitent à lire, à découv rir des auteurs, il y prend goût. Premier coup de cœur : le palpitant Les Frasques d’Ébinto, d’Amadou Koné, dévoré en deux jours. À l’adolescence, il écrit des histoires cour tes publiées sur les réseaux sociaux. La saga L’Amie prodigieu se, d’Elena Ferrante, nourrit son désir de dépeindre une amitié tout en racontant en toile de fond un peuple, une ville. En parallèle de ses études de lettres modernes, il passe un BTS en communication visuelle, puis devient graphiste dans une agence de communication C’est le prix littéraire Voix d’Af riques, lancé par les éditions JC Lattès, RFI et la Cité internationale des ar ts, qui le pousse à écrire Ces soleils ardents « Je fonctionne beaucoup à la pression » Pari gagné : il est le lauréat 2024. « Un rêve éveillé ! », d’autant que l’écrivain sénégalais Mohamed Mbougar Sarr, prix Goncourt 2021, présidait le jury « Ses encouragements, ses félicitations m’ont réconforté », s’enthousiasme-t-il. Loin de se reposer sur ses lauriers, il planche déjà sur son prochain roman. ■ Ces soleils ardent s, JC Lattès, 306 pages, 20 euros
«Je
voulais raconter la jeunesse ivoirienne, qui a des ambitions, soif de rêves, mais qui se trouve dans des situations diffciles, compliquées.»
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PA R EM MAN UE LL E PON TI É
UN TRAFIC OUBLIÉ
C’es t un fl éa u au quot idien, qu i se dévelop pe, croî t et em pire tranquillement d’années en années. Entre les coups d’État, les guerres, le terrorisme, les sécheresses et autres actualités alarmantes qui frappent le continent, on l’a presque oublié Pour tant, le trafic de médicaments et les contrefaçons explosent en Afrique de l’Ouest, et font environ 50 0 000 victimes par an. Selon un rappor t de l’Of fice des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), entre 19 et 50 % des molécules qui circulent en Mauritanie, au Mali, au Niger ou au Tchad sont de qualité inférieure à la moyenne ou falsifiées Un chif fre qui grimpe à 80 % en Guinée ou au Burkina Faso, selon d’autres études menées par la Cedeao.
Ce trafic, selon certaines estimations, serait encore plu s lu cr at if que ce lu i de la dr og ue. Il rapportait déjà en 2019 autour d’un milliard de dollars. Et d’après les experts et enquêteurs, les faux médicaments et vaccins se sont multipliés depuis le Covid -19, palliant pour beaucoup la pénurie générale vécue pendant la pandémie Ces médicaments prolifèrent en toute impunité, faute d’un cadre juridique adapté, et proviennent de deux circuits qui se complètent. Ils peuvent être directement produits dans des usines clandestines de faux installées au Maroc, au Ghana, au Sénégal, au Nigeria, ou encore en Inde ou en Chine. Il pe ut au ss i s’ag ir de m éd ic ame nt s dé ro utés à pl usi eu rs en dr oi ts d’un e ch aîn e de pr od ucti on légal e. La corruption généralisée, depuis l’employé de labo au revendeur sur le marché, en passant par les transpor teurs et les agents de sécurité, se charge du reste. On se souvient par exemple qu’en 2022, 70 enfants gambiens mouraient brutalement après avoir ingéré un sirop contre la toux fabriqué en Inde… Entre les placebos, les médicaments périmés et les substances carrément toxiques, ce trafic tue en toute impunité.
En Af rique de l’Es t, cer taines in st it ution s exis tent, traq uent les fi lières, mai s di spos ent en co re de peu de leviers juridiques pour aller plus loin. Et on vient par exemple de faire retirer de la vente au Kenya, en Afrique du Sud ou au Nigeria un sirop pour enfants commercialisé par une marque américaine, pour surdosage en diéthylène glycol, qui peut être toxique, voire mor tel. Mais il est bien rare de voir le sujet des faux médicaments et des substances frelatées clairement mentionné dans les politiques de santé des pays d’Afrique de l’Ouest On le sait, tout trafic, international de surcroît, est très difficile à enrayer. Mais celui- ci touche particulièrement notre continent et prospère au vu et au su de tous, presque en silence. Il serait temps d’en faire une priorité. Aussi. ■
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