Afrikadaa image en mouvement

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AFRO DESIGN & CONTEMPORARY ARTS

NOV-DEC-JAN N° 8

L’IMAGE EN MOUVEMENT Re- Inventing Narratives


Couverture : (Front et Back) images extraites de la vidéo “Haïti ground zero” © Michelange Quay Merci à tous ceux qui ont contribué à ce numero : Jay One Ramier, Michelange Quay, Karren D McKinnon, Galerie kamel mennour, Lionel Manga, Jean Pierre Bekolo, Mélissa Gélinas, Melissa Thackway, Valérie Osouf, Saad Chakali, Newton I Aduaka, Geordy Zodidat Alexis, Laure Malécot, Soufiane Adel, Truong Que Chi, Rehema Chachage, Les Ateliers Sahm, Job Olivier Ikama, Lotte Løvholm, Stéphane Malysse, Camille Henrot, Chassol, Laurra Nsengiyumva, Brice Ahounou, Ali Essafi, Teju Cole, Katia Gentric, Katia Kameli, Zeitz Foundation, Clarence Thomas Delgado, Baba Diop, Jenny Prytherch, Olfa Riahi, Nosana Sondiyazi, Tiwani Contemporary, Sean Hart. Direction de publication Carole Diop Pascale Obolo Rédactrice en Chef Pascale Obolo Direction de projet Louisa Babari Direction Artistique antistatiq™ Graphisme antistatiq™ Comité de rédaction Frieda Ekotto Olivia Anani Seloua Luste Boulbina Camille Moulonguet Patrick de Lassagne Djenaba Kane Anne Gregory Myriam Dao Sean Hart Photographe Alexandre Gouzou Tous droits de reproduction réservés. Contact: info@afrikadaa.com Novembre/Décembre/Janvier www.afrikadaa.com www.facebook.com/Afrikadaapage www.twitter.com/afrikadaa

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EDITO

Dans un contexte d’hétérogénéité culturelle, ouvert à des temporalités multiples ce numéro d’Afrikadaa questionne l’image en mouvement avec ses nouvelles narrations. Élément constitutif des salles de cinéma, puis des installations dans les galeries d’art, l’image en mouvement aujourd’hui, est en effet partout jusqu’à devenir partie intégrante de notre expérience quotidienne. Cette prolifération et l’élargissement de son champ obligent à décloisonner les disciplines et leurs méthodologies afin de repenser les dispositifs narratifs, le régime d’images ainsi que la manière de regarder ces images qui lui sont liés.

ent. ceux qui multiplient les formes discursives et narratives et s’emparent des possibilités de transmission des images pour concevoir, dans des formats et des circuits éloignés du cinéma commercial, d’autres critères de visibilité. L’objet scénaristique serait il obsolète ou mort pour ces cinématographes d’avant-garde. Le scénario tel qu’il est conçu aujourd’hui n’a plus sa place dans le cinéma du 21 eme siècle. Interroger l’Archive comme objet filmique mais aussi les films et vidéos d’artistes et de cinéastes qui travaillent aujourd’hui dans le contexte de l’histoire coloniale et post-coloniale et des différentes cultures qui s’y croisent.

À partir de la notion d’image en mouvement Afrikadaa cherchera à mettre en avant la convergence et les processus d’hybridation entre le cinéma, l’art contemporain et les médias pris dans une perspective de narration innovante. Plus précisément, il s’agira de questionner les artistes qui investissent les nouvelles écritures ou langage cinématographique et qui interrogent les espaces qui en résult-

Au moment où l’expression démocratique a repris une place importante et à la fois menacée, les artistes définissent leur propre échelle de visibilité et font circuler la parole à contre-courant d’une culture globalisée et consensuelle, mais aussi de toute revendication « identitaire » figée dans le temps et dans l’espace géopolitique. Les films, qui répondent dans leur manière de distribuer la parole individuelle et col-

Drawing from perspectives of cultural heterogeneity and multiple temporalities, this issue of Afrikadaa focuses upon the moving image and its modes of narrative. Once found in movie theaters, and then in art galleries, today the moving image has become an integral part of our everyday experiences. The proliferation and broadening of its domain forces us to decompartamentalize discipines and their methodologies, so that we can rethink its narrative appartuses and imagistic regimes, and the ways in which this a ects how we see these images.

it is presently known has no place in the cinema of the 21st century. We aim to interrogate the Archive as lm-object together with the lms and videos of contemporary artists and lmmakers who work in the context of colonial and post-colonial cultures and the currents that cross therein.

Starting with the idea of the moving image, Afrikadaa will foreground the convergence, and the processes of hybridization between, cinema, contemporary art and the media, all from the perspective of innovative narration. Or, to be more precise, we will consider artists who articulate new writings, or new cinematic language, and who then interrogate the spaces that result. Artists who multiply discursive and narrative forms, and who take possession of possibilities of transmission in order to conceive of, in formats and circuits distant from commercial cinema, other criteria of visibility. The scene-object is it obsolete? Is it dead for these avant-garde lmmakers? The storyline as

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lective, dans le traitement du consensus et de la divergence d’opinion pour mettre ensemble différentes manières de penser, seront abordés dans ce numéro. Il sera aussi question des nouvelles pratiques et des nouveaux usages de l’image via différents dispositifs d’écrans. Fonctionnant comme un laboratoire éditorial dans lequel différents formats d’écritures cohabitent, Afrikadaa produit un type d’expérience qui sonde une forme de narration textuelle imagée, proche de l’idée, que le cinéma réinvente la réalité. Faire des films. Matérialiser le réel. Montrer l’invisible. Il y a un cinéma à trouver. Un cinéma qui de front incarne le passé, le présent et le futur.

PASCALE OBOLO cinema is to materialize the real. In this issue we include the work of artists who reinvent and interrogate new forms of narration. There is cinema to discover. Cinema shows us the invisible. It incarnates the past, present and future.

At a time when democratic expression has taken a new place of importance—even as it is threatened—artists de ne their scale of visibility, circulating words that move against the grain of a globalized, consensual culture and o er an “identitary” revindication situated in a geopolitical time and place. In this issue we include lms that give space to individual and collective speech, which assemble consensus and divergence in order to create di erent ways of thinking. But we do not shy away from interrogating these new practices and uses of the image via alternative lmic apparatuses. Like a laboratory in which diverse screens cohabitate, this experience pushes textual/ imagistic narration to its limit, approaching the idea that cinema is reinventing reality. To make

PASCALE OBOLO


AFRIKADAA IMAGE EN MOUVEMENT / RE-INVENTING NARRATIVES ART TALK HISTOIRE(S) EN IMAGE, HISTOIRE(S) EN MOUVEMENT : OU QUAND LE CINÉMA RÉAPPROPRIE LES ARCHIVES - PAR MELISSA THACKWAY

6

RÉSONANCES DUCHAMPIENNES - PAR LIONEL MANGA

10

ENTRE-DEUX - PAR MYRIAM DAO

14

A CINEMA WITHOUT CONCESSIONS : SARA GÓMEZ’S DE CIERTA MANERA 1974 - BY MELISSA GÉLINAS

24

CINEASTE SANS CAMERA - PAR PASCALE OBOLO

28

L’ARCHIVE FILMÉE ET LA PÉRIODE COLONIALE SOUS DOMINATION FRANÇAISE EN AFRIQUE : D’OÙ REPARTIR POUR ROMPRE LE DÉNI ? - PAR VALÉRIE OSOUF

32

MOUVEMENT DES CORPS, SÉRIALITÉ DES IMAGES - PAR SELOUA LUSTE BOULBINA

38

PERFORMANCE IS PERHAPS A GHOST PERFORMING ALL THE TIME - BY LOTTE LØVHOLM

44

L’ANTHROPOLOGUE EN TRAVESTI : ÉTUDE DES SIGNES EXTÉRIEURS D’IDENTITÉ OU « COMMENT JOUER À ÊTRE UN AUTRE ». - PAR STÉPHANE MALYSSE

48

COUPÉ / DÉCALÉ - PAR MYRIAM DAO

52

CHASSOL : ECOUTER L’IMAGE ET VOIR LE SON - PAR CAMILLE MOULONGUET

58

CALYPSO ROSE : MOTHER OF ALL FLOWERS - BY FRIEDA EKOTTO

62

IMAGES EN MOUVEMENT AU CONGO BRAZZAVILLE - PAR JOB OLIVIER IKAMA

66

ALI ESSAFI : LA PARTITION DES BEAUX LENDEMAINS - PAR LOUISA BABARI

70

THINGS COME TOGETHER : A CONVERSATION WITH TEJU COLE - BY ANNE GREGORY

76

4° 3’ N, 9° 42’ O OU PLUS PRÉCISÉMENT 4° 0 43888’ N, 9° 742706’ O - PAR KATIA GENTRIC

80

PLACES ZEITZ MOCA : LE MUSÉE QUI VA PROPULSER LE CAP SUR LA CARTE MONDIALE DE L’ART CONTEMPORAIN - PAR CAROLE DIOP

84

CONCEPT LETTRE A SEMBÈNE - PAR CLARENCE THOMAS DELGADO

88

ONE MAN’S SHOW - PAR NEWTON I ADUAKA

90

SOUL TRAIN & BLACK PROUDNESS - PAR PATRICK DE LASSAGNE

92

SUNDUST - PAR SEAN HART

94

EN FOND DE COURT : DE LA MÉMOIRE ET DU TEMPS, L’IRONIE COMME AMORTIE - PAR SAAD CHAKALI

100

CORRESPONDANCE FILMIQUE ENTRE KATIA KAMELI: PHOTOGRAPHE /VIDÉASTE ET PASCALE OBOLO: RÉDACTRICE EN CHEF/CINÉASTE

102

FOCUS LES PORTES DE LA PERCEPTION. HAÏTI GROUND ZERO DE MICHELANGE QUAY - PAR LOUISA BABARI

106

PORTFOLIO “THE FLOWER - BY REHEMA CHACHAGE

112

“PARCE QUE ! BECAUSE !” ( MAKING OFF ) - PAR SEAN HART

114

PRAISES 2015 (WORK IN PROGRESS) - BY SEAN HART

118

ALTER - PAR LAURA NSENGIYUMVA

120

4


MCMO - PAR GEORDY ZODIDAT ALEXIS

122

FUTUR - PAR KATIA KAMELI

124

ARCHITECTE URBANITE ET CINEMA AFRICAIN : LE CAS DE DAKAR - PAR CAROLE DIOP

126

DESIGN L’OASIS URBAINE : UN AMENAGEMENT EPHEMERE ET MOBILE - PAR CAROLE DIOP

130

EXHIBITION REVIEW BAPTIST COELHO :UNDER MY SKIN... UNDER YOUR SKIN - BY NOSANA SONDIYAZI

134

FAST FORWARD : LOUISA BABARI IN CONVERSATION WITH OLIVIA ANANI

138

ROTIMI FANI-KAYODE (1955-1989)

144

RETURN OF THE RUDEBOY REVIEW - BY KAREN D MCKINNON

146

CARNET DE BORD BIENNALE DE DAK’ART 2014 : UN FOISONNEMENT VITAL - PAR LAURE MALECOT

148

DIS LE À HAUTE VOIX : LA LIBERTÉ D’EXPRESSION TELLE QU’ELLE EST PRATIQUÉE PAR OLFA RIAHI - PAR ANNE GREGORY

154

AFRIKADAA’S LIBRARY 158

AGENDA 160

AFRIKADAA PLAYLIST ELECTROVAUDOU MEDITATION BY MICHELANGE QUAY . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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ART TALK

Histoire(s) en image, histoire(s) en mouvement

ou quand le cinéma réapproprie les archives Par Melissa Thackway

Images : © Les Films du Raphia

Depuis la naissance des cinémas

dans le vent de Jean-Marie Teno (Cam-

torique. Depuis les Lumières, l’Occident,

d’Afrique subsaharienne dans les

eroon, 2013), The Nine Muses de John

dans son élan universaliste, impose un

années 60, la question de réappro-

Akomfrah (UK, 2010), et Juju Factory de

récit historique singulier, eurocentrique,

priation de l’histoire a traversé ses

Balufu Bakupa Kanyinda (RDC, 2007)

qui exclut et efface toute autre inter-

films avec constance, empruntant des

– qui, chacun à sa manière, revisitent

prétation ou mode d’étude. D’autre

écritures nouvelles. Associée à la quête

les images d’archives officielles pour

part, afin de légitimer la Traite négrière

d’identités « en devenir »! au cœur de

réécrire l’Histoire d’un point de vue afric-

et ensuite la colonisation, les théories

cette cinématographie postcoloniale, et

ain ou diasporique – nous examinerons

de race du 19e siècle établissent une

dans la droite lignée des penseurs tels

ici les écritures cinématographiques

hiérarchie qui justifie cette « mission

que Fanon, Cabral et Nkrumah, plusieurs

hybrides de ces films, ainsi que la portée

civilisatrice ». Selon cette logique, si

réalisateurs se sont saisis de l’histoire,

contestataire de cette contre-mémoire.

l’Afrique est restée dans les ténèbres,

"

ou plutôt de sa réinterprétation comme

elle est forcément dénuée d’histoire,

partie intégrante d’un nécessaire pro-

L’effacement de lectures africaines de

marqueur absolu de civilisation.#

cessus de décolonisation des esprits.

l’histoire auquel répondent ces films est

A travers trois films récents – Une Feuille

lui-même le résultat d’un processus his-

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De gaughe à droite : Extrait d’Une Feuille dans le vent de Jean-Marie Teno (2013). Le mélange des supports : prises de vue réelle : Ernestine Ouandié. © Les Films du Raphia Extrait d’Une Feuille dans le vent de Jean-Marie Teno (2013). Le mélange des supports : photos d’archives : Ernest Ouandié. © Les Films du Raphia Extrait d’Une Feuille dans le vent de Jean-Marie Teno (2013). Le mélange des supports et la déconstruction des images d’archives françaises ; la bande son de Teno vient en contrepoint aux images : ici l’utilisation ironique de la première (et tendancieuse) hymne nationale camerounaise. © Les Films du Raphia Extrait d’Une Feuille dans le vent de Jean-Marie Teno (2013). Le mélange des supports : les illustrations de Kemo Samba recréent la lutte de l’indépendantiste Ernest Ouandié là où les images manquent. © Les Films du Raphia

C’est ce long processus de dénigrement

des lectures africaines d’épisodes

prendre les complexités du présent. Les

qui placera la réécriture de l’histoire au

d’histoire coloniale auparavant gom-

approches formelles sont novatrices.

cœur de la décolonisation, et du cinéma

mées, mettant en lumière les effets

Certains s’inspirent des structures nar-

engagé africain dès sa naissance dans

déshumanisants de la colonisation, mais

ratives de l’oralité : superposition de fils

les luttes d’indépendance.

aussi des exemples jusque-là ignorés

narratifs, constructions non-linéaires,

de résistance africaine. Or à partir des

mélange de genres, de registres et

Les années 70 voient ainsi émerger une

années 90, émergent des films de

de supports. D’autres ont recours à la

première vague d’œuvres que Manthia

mémoire historique qui incarnent une

première personne, au « je » subjec-

Diawara appelle « les films de confron-

approche de plus en plus personnelle

tif, s’éloignant volontairement de la

tation coloniale »$ : les reconstitutions

de l’histoire, dont font partie les films

prétendu objectivité historique. Tous

historiques tels qu’Emitaï et Camp de

évoqués ici.

les films évoqués ici ont en commun

Thiaroye d’Ousmane Sembène (Sénégal,

de revisiter et de se réapproprier les

1971 et 1988) ou Sarraounia de Med

Ces films de contre-mémoire proposent

Hondo (Mauritanie, 1986), qui proposent

un questionnement, ou une nouvelle

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archives.

interprétation du passé. Ni célébra-

Après avoir plusieurs fois proposé

tion nostalgique, ni réification, ces

dans ses documentaires (Afrique je te

films situés résolument dans le présent

plumerai, 1991 ; Le Malentendu colonial,

revisitent l’Histoire pour mieux com-

2004…) ce que la voix-off de Jean-Marie


Teno décrit dans le premier comme

manquantes d’Ernest et d’Ernestine.

Akomfrah y retourne pour déterrer des

étant « une lecture de l’histoire du Cam-

Le film oscille ainsi entre les époques,

images de la vie des minorités ethniques

eroun de point de vue de l’indigène que

renforçant le lien entre passé, présent

britanniques. Il réarticule ces images,

je suis » – une lecture qui met en lumière

et futur. Les propos d’Ernestine et la

ré-interprétables à l’infini, dans des

l’imbrication des violence coloniales et

voix-off incisive de Teno, qui remplace

montages polyphoniques entrecoupés

des violences et dysfonctionnements

souvent les commentaires originaux

d’images contemporaines, de citations

actuels – Teno revient dans le très poign-

des images d’archives – tout comme le

et des témoignages, afin de questionner

ant Une Feuille dans le vent sur l’histoire

mixage qui déforme volontairement

ce qu’est le récit historique et la manière

tourmentée camerounaise et ses ramifi-

la bande-son originale – viennent en

dont il nous façonne.

cations contemporaines.

contrepoint de ces images, déconstruisant et contestant l’autorité de ces films

Dans The Nine Muses (UK, 2010), une

Parti rencontrer Ernestine Ouandié,

de propagande coloniale. Affirmer ainsi

méditation visuelle et sonore autour du

la fille du feu leader de l’Union des

sa voix, « speaking back », comme dirait

voyage, Akomfrah évoque la migration

Populations du Cameroun (l’UPC), le

bell hooks% – représente ainsi un acte

des populations africaines, antillaises

héros indépendantiste, Ernest Ouandié,

fondamental pour briser les silences et

et asiatiques vers la Grande-Bretagne

exécuté par les autorités camerounaises

rééquilibrer l’interprétation de l’histoire

post-‘45, la question de leur identité,

en 1971, Teno ne se doute pas qu’il va

pour constituer une autre mémoire.

et, partant, celle du Royaume Uni.

recueillir le bouleversant récit de cette

Mêlant images télévisuelles des années

femme qui n’a jamais connu son père.

L’histoire personnelle d’Ernestine

50/60 montrant l’arrivée, le travail et

Livré face caméra, en toute simplicité,

résonne ainsi avec l’Histoire du Cam-

les conditions de vie souvent rudes des

son témoignage relate son enfance

eroun. Celle qui choisira de mettre fin

migrants avec des séquences symbol-

malheureuse au Ghana confrontée à

à ses jours en 2009 décrit la douleur et

iques actuelles qui mettent en scène

l’absence du père, aux maltraitances

la frustration de ce silence qui entoure

des personnages solitaires et anonymes

de sa tante, et à la détestation d’une

la mémoire de son père au Cameroun,

perdus dans un paysage glacial d’Alaska

mère qui l’accable de l’abandon de ce

le refus du pays de regarder en face ce

ou dans un décor portuaire britan-

père. Pour inscrire la vie d’Ernestine

chapitre de l’histoire nationale, appelant

nique, les images sont accompagnées

dans le contexte tragique de la répres-

les Camerounais à enfin se confronter,

de lectures en voix-off de textes can-

sion coloniale et postcoloniale livrée

comme fait le film, à ce passé dou-

oniques qui entrent en résonance avec

contre l’UPC, Teno entrecoupe sa parole

loureux, car « Quand l’histoire sera écrite,

les images, coïncident par moments, et

de rares photos d’Ernest Ouandié, des

les âmes errantes trouveront enfin la

évoquent l’exil ou le voyage, notamment

images d’archives françaises de l’UPC,

paix. »

L’Odyssée de Homère, Beckett, Dylan

de la sanglante répression, et de la

La réappropriation et la réinterprétation

Thomas, Nietzsche, Joyce et Shake-

présence française au Cameroun, ainsi

d’images d’archives se trouvent égale-

speare.

que d’extraits de films de propagande

ment au cœur de l’œuvre du réalisateur

Autour du thème du déplacement, le

coloniaux. Devant l’absence d’images,

britannique d’origine ghanéenne, John

montage crée des associations et des

Teno utilise des dessins en encre noire

Akomfrah. Déjà dans Handsworth Songs

résonances visuelles entre époques

de l’illustrateur Kemo Samba, qui re-

(GB, 1986), son premier documen-

et lieux : images de bateaux, de mer,

imaginent les scènes de la vie familiale

taire expérimental réalisé au sein du

de trains, de voiture, mouvements de

d’Ernestine et du combat d’Ernest

Black Audio Film Collective, Akomfrah

caméra qui font écho. Rien n’est figé ;

Ouandié. A travers le montage de ces

avait commencé à explorer les images

les peuples, les identités sont en mou-

éléments, Teno reconstitue à la fois le

d’archives. Dans ses récents films,

vement. En s’appropriant ces images

contexte historique et les pièces de vie

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d’archives, et en les recomposant d’un

8


point de vue diasporique, Akomfrah

référence à l’Afrique, présent ou passé,

silences. Ce processus, ce retour, reste

réarticule l’histoire et l’identité et invite

Kongo et son éditeur sont hantés dans

nécessaire, car comme le rappelle bell

le spectateur à relire ces archives, à

des séquences oniriques par le spectre

hooks :

contester la manière dont l’histoire

de Patrice Lumumba, « un fantôme sans

diasporique est présentée, catégorisée

sépulture » […] dont l’ombre errante,

« Afin d’assumer le fardeau de la

et fixée dans la mémoire officielle du

écrit Kongo, « assombrit notre ciel et

mémoire, l’on doit accepter de revis-

pays. En recontextualisant l’histoire de

commente le chaos ». A partir de photos

iter des lieux longtemps inhabités, de

la migration, The Nine Muses incarne

superposées de Lumumba, des extraits

fouiller dans les débris de l’histoire à

aussi le désir du réalisateur d’inscrire

sonores de ses discours, mais aussi

la recherche de traces de l’inoubliable,

ces expériences exiliques au cœur de

d’extraits du documentaire Une mort de

dont toute connaissance a été effacée

l’histoire britannique et, comme Teno,

style colonial de Thomas Giefer (Alle-

[…] Pour les Noirs, reconstituer une

de prendre la parole. Car comme dit la

magne, 2000) où un viel inspecteur de

archéologie de la mémoire rend possi-

voix qui lit Molloy de Samuel Beckett

la police belge décrit fièrement son rôle

ble un retour. (»

: « Je dois parler. Je ne resterai jamais

macabre dans l’assassinat de Lumumba,

silencieux. Jamais. »

Juju Factory réexamine les époques

'

d’Indépendance et postindépendance. Dans un mélange d’humour caustique

Bruxelles, et par extension la Belgique,

et de poésie, Juju Factory de Balufu

sont dépeintes comme hantées par ce

Bakupa Kanyinda (RDC, 2007), une

passé colonial toujours pas assumé ; les

fiction qui brouille volontairement

sept tombes que visite Kongo Congo où

les frontières avec le documen-

reposent des sujets coloniaux congolais

taire, nous offre un dernier exemple

anonymes, morts durant leur exposition

d’interpénétration des temps où les fan-

à la Foire internationale de Bruxelles

tômes de l’histoire hantent le présent.

en 1897, symbolisent en effet cette présence trouble.

Empruntant une structure non-linéaire

Au final, Juju Factory pose ouvertement

« tissée » inspirée des formes de nar-

une question qui traverse tous ces films :

ration kasala des griots du Kasaï, la

qui parle ? Un conteur traditionnel mys-

région d’origine du réalisateur&, des

tique traverse ainsi le film, surgissant ici

prises de vue réelles filmées sur le vif

et là auprès de Kongo Congo, ou tout au

dans le quartier multiculturel bruxellois

moins dans son imagination. Son conte

Matonge ponctuent le fil narratif ; ces

enfin raconté se termine par le proverbe

séquences documentaires sont la mat-

: « Aussi longtemps que le lion n’aura

ière vive dans laquelle le personnage

pas de griot, toutes les histoires de

principal de la fiction, l’écrivain Kongo

chasse seront à la gloire du chasseur. »

Congo, puise son inspiration pour le

A travers ces différentes approches

livre qu’il écrit sur la communauté con-

hybrides et riches, les films évoqués

golaise de Bruxelles.

ici restaurent donc des perspectives

Enfermé dans un conflit créatif avec son

africaines ou diasporiques éminemment

éditeur autoritaire qui espère une sorte

contestataires. Remettant en cause

de guide exotique qui ne fait aucune

l’histoire eurocentrique, ils contrecar-

6 — Olivier Barlet: “Entretien de Olivier Barlet avec Balufu Bakupa Kanyinda”, Africultures, avril 1997, http://www.africultures.com/ php/?nav=article&no=2475

9

rent ces interprétations partiales et ces 7 — Thomas Giefer, Une mort de style colonial, Allemagne, 52’, documentaire, vidéo, couleur, 2001

Melissa Thackway est chercheur, enseignante en cinémas d’Afrique à l’INALCO Paris, documentariste et traductrice. Elle a notamment publié Africa Shoots Back: Alternative Representations in SubSaharan Francophone African Film (James Currey/ Indiana University Press/ David Philip, 2003) et de nombreux articles sur les cinémas d’Afrique subsaharienne. 8 — bell hooks, “Representations of Whiteness”, dans bell hooks, Black Looks: Race and Representation, Boston MA, South End Press, 1992, p. 172-173. [Traduit en française par l’auteur].


ART TALK

Résonances Duchampiennes Par Lionel Manga

Il y a cent douze ans, Nu descendant un

particulières, personnelles, d’une sensi-

symptôme aussi bien d’une transition

escalier N°2 suscitait un considérable et

bilité, voire d’une sensitivité.

entre deux époques et qui marque

historique émoi dans la communauté

Indice plus que certain d’une irréversible

un déplacement paradigmatique de

artistique internationale, à quelques

généralisation de la créativité rendue

l’entendement du réel, la crise des récits

encablures de la sanglante Grande

possible par le récent tournant numé-

a débarrassé le champ du dire de toutes

Guerre. Avec cette œuvre aussi radicale

rique et la miniaturisation incessante de

les statues imposantes qui donnaient de

qu’improbable selon les canons en

l’appareillage dédié à la fabrication des

la voix depuis les Lumières et ouvert ce

vigueur, Marcel Duchamp inaugurait

images, ce foisonnement de résonances

faisant la voie à la production autonome

une révolution esthétique qui allait

duchampiennes opérant à diverses

de subjectivité, telle que Toni Negri et

fonder l’art moderne en sonnant le

échelles de visibilité, de l’institutionnel à

Michael Hardt l’entendent dans Com-

glas de la figuration. Jusqu’à engend-

l’interstitiel, mérite assurément réflexion.

monwealth. En d’autres termes, la réalité

rer une postérité qui s’inscrit dans son

Ne serait-ce que pour se demander de

n’est plus l’apanage de qui que ce soit

sillage par sa posture contemporaine

quoi cette profusion d’images en mou-

en droit et de jure, chaque Terrien ou

au 21

vement est today le nom et le reflet dans

Terrienne éclairé(e) qui se sent capable,

dire, c’est que le legs du preux Duduche

cette saison de la civilisation du Specta-

qui en a les moyens intellectuels, est lois-

prospère et donne lieu à une floraison

cle et de l’Internet à tous les étages du

ible au moyen d’un smartphone today

de déclinaisons en ces temps crépus-

Palais de Cristal. Si ça se trouve, il y a de

de faire partager à des suiveurs en tout

culaires de fin des certitudes. L’espace

quoi faire se retourner dans son som-

genre sur les réseaux sociaux, sa vision

mondial de l’exhibition publique est

meil éternel le céleste dandy nommé

personnelle du monde. Il est défini-

truffé de gestes artistiques poursuivant

Duchamp qui n’en demandait pas tant et

tivement révolu, mort et enterré avec

le programme non-rétinien ouvert par

traversa la vie, dont deux guerres mondi-

tous les honneurs, muséifié, le temps

l’espiègle auteur de Fountain qui était

ales, sous le signe de la légèreté, voire de

où la pesante caméra 35 mm, la pel-

passionné de cinéma autant que de

l’impesanteur. Répugnant à tout encom-

licule celluloïd et les studios détenaient

paresse. De nouvelles grammaires et les

brement, les œuvres de son programme

le monopole exclusif de produire des

lexiques afférents surgissent tous azi-

non-rétinien sont autant d’anomalies

objets cinématographiques commercial-

muts, véhicules du désir de dire via des

discrètes à combustion complète bal-

isés sur les cinq continents en direction

récits se voulant des fenêtres singulières

isant une trajectoire pionnière, il s’est

de spectateurs passifs n’ayant aucune

ouvrant sur l’expérience humaine telle

défini lui-même comme un anartiste,

espèce d’idée de cette magie technique.

qu’éprouvée par les uns et les autres

espèce fort rare en l’occurrence.

L’Histoire passe par une phase de

dans diverses circonstances/circon-

Entre perte d’audience transgénéra-

démystification, l’autre nom possible de

scriptions d’espace-temps, expressions

tionnelle et réfutation philosophique,

la déconstruction, et de la déspécialisa-

ème

10

siècle. Le moins qu’on puisse


tion itou, qui se moque des clivages

des réalisateurs qui se la jouent géniaux

vont se démultiplier avec l’extension du

disciplinaires. L’image-en-mouvement

génies avec une équipe pachydermique

maillage digital de la planète par des

est tombée dans le domaine public

sur un plateau traversé par des star-

réseaux de plus en plus complexes qui

comme un brevet d’invention après un

lettes en nichons accessibles à toutes

l’enserreront dans un treillis électronique

nombre donné d’années ou un livre, sur

les demandes mâles, et encombré de

invisible nommé websphère, sous une

lequel le détenteur initial, l’éditeur et

matériel valant des centaines de mil-

houlette résolument capitaliste. Il y a des

l’auteur n’auraient plus aucun droit qui

lions d’euros. Chacun et chacune peut

hégémonies qui sont brisées et le décor

tienne à faire valoir dans son exploita-

dorénavant (se) raconter des histoires

ressemble sous certaine lumière à un

tion par un tiers, vénal ou non. De Fritz

en forgeant une grammaire et le lexique

tableau de Giorgio de Chirico.

Lang à Goddy Leye en passant par

afférent au fil de pièces parfois confi-

Puisque s’achève sous nos yeux une

Marcel Duchamp, le renversement ici

dentielles qui rencontrent un vif succès

histoire, parole de Michel Serres, une

est plus que copernicien, einsteinien :

parfois auprès d’un public exigeant

autre débute donc en ces jours d’ire

la théorie de la relativité est une liqui-

lassé des couleuvres en couleurs que la

israélienne sans recul lancée contre

dation théorique et radicale de toute

machine du Spectacle fait ingurgiter à

Gaza et de missile tiré contre un avion

centricité/centralité. Bienvenue dans

ses consentants captifs, au large du lisse

civil. Vous avez dit…fin des certitudes,

l’âge de l’excentricité, n’est-ce pas ? Cela

et du glamour qui envahissent l’espace

Mr Ilya Prigogine, prix Nobel de chimie

peut s’entendre sous tous les sens, des

public, qui le phagocytent.

pour ses travaux remarquables sur les

plus autorisés aux plus interdits et le

Cette multiplicité de points de vue

systèmes dissipatifs ? La dissertation

preux Duduche ne me contredirait pas,

tire un net avantage logistique de la

deleuzienne a ouvert fort opportuné-

qui fit de l’excentricité son dada favori

convergence numérique et de la com-

ment les yeux de l’esprit à une cohorte

avant que soit le mouvement éponyme.

munication nomade en ses diverses

d’activistes, opérant dans les interstices

Contingente à une accélération

modalités. La bataille sans bruit des

du monolithisme qui subsiste et rendant

technologique, cette profusion de

écrans fait rage chez les fabricants de

compte de ce qui se passe dans les replis

l’image-en-mouvement n’est pas sans

smartphones pour offrir à leurs utili-

de la réalité. Ce qui était caché a pour

rappeler l’expansion de l’écriture avec

sateurs de toutes les catégories une

destin d’être dévoilé et cette déferlante

l’avènement de l’imprimerie, tombant

définition graphique optimale au meil-

mondiale de l’image-en-mouvement y

là-aussi dans le domaine public au

leur rapport qualité/prix et ce n’est pas

contribue à sa façon quelque part, via

15ème siècle. Pour ceux qui en avaient le

pour des chimpanzés que ces améliora-

la nébuleuse Indymédia par exemple.

privilège et en usaient alors comme d’un

tions sont conçues dans le plus grand

De nouveaux francs-tireurs sont ainsi

pouvoir terrestre, ça leur fit l’effet d’un

secret, car les enjeux pèsent des milliards

lâchés, armés de caméscopes et autres

dessaisissement. Comme pour la caste

de dollars. Les possibilités d’exhibition

smartphones ultra-performants, témoins

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d’un monde en pleine mutation, saisis-

géostationnaire pour surveiller les faits

nelle, l’encensant comme la panacée

sant ses convulsions, captant son pouls

et gestes d’Omar Béchir, le président du

de l’humanité et la couvrant de fleurs

et engrangeant ses trépidations sur

Soudan, attendu à la Haye, au TPI, sous

parfumées. Le péril se trouve ailleurs et

des mémoires vives stockant plusieurs

le chef d’accusation de crimes contre

le temps est à cet égard un paramètre

Go, manipulables à volonté par le désir

l’humanité. Pour louable et salutaire

crucial.

artistique se faisant geste expressif,

qu’elle soit, cette dissémination n’a-t-

La coopération harmonieuse des entités

sémantique et repérable par sa singular-

elle pas un revers, comme une face pas

cellulaires composant mon organisme

ité, une sorte d’anomalie à combustion

nette, un tantinet sombre ?

est le résultat inouï de quatre milliards

complète. La poésie pointe vers une

Ce n’est pas excessif d’envisager la parti-

d’années en gros d’évolution biologique,

flamme bleue à certains moments.

tion de l’espace de diffusion isotrope

avec ce que cette odyssée comporte

Les régimes politiques brutaux

et continu d’antan en clusters fermés

de remaniements, de mélanges et de

les moins sympathiques de notre

et ouverts à la fois sur leur voisinage

raffinements à l’échelle moléculaire.

temps ont un mal fou à contenir ce

immédiat, constitués par centres

Les cultures humaines, pour sûr, ne

foisonnement et doivent composer

d’intérêts, par affinités esthétiques et

s’inscrivent point dans cette temporalité

avec un phénomène de civilisation

sélectives formant des communautés

fantastique, même celles des abo-

qui ne passera certainement pas de

d’esprit, des clubs de corps pensants, sur

rigènes. Une cellule du foie ne redoute

sitôt et qui ira vraisemblablement sur

le modèle biologique des organismes

rien de l’autre qui est du pancréas,

cette lancée en s’amplifiant, jusqu’à

multicellulaires complexes dont nous

toutes deux parties étant au service d’un

ses limites physiques intrinsèques,

sommes l’expression la plus achevée,

Tout. Or, il en va exactement de l’inverse

thermodynamiques. Aucun despote,

jusqu’à nouvel avis. En attendant, on

chez les Altriciels : l’Autre reste après

mal éclairé, bien éclairé, n’est plus

sait depuis Jules César que la division

deux cent mille ans lourd de menaces

du tout assuré que ses exactions

profite à celui qui veut régner indéfini-

comme un ciel d’orage pour celui qui

demeureront invisibles, cachées

ment et il l’organise à dessein autour de

n’est pas lui et apparaît dans son champ

dans une sombre cavité bardée

lui, savamment, utilisant les uns contre

visuel. Une nouvelle Babel émergerait

d’autoritarisme, d’obscurantisme et de

les autres et vice versa, au gré de son

de cette clustérisation prise de nombri-

violence exercée contre les réfractaires.

agenda politique. Les global players

lisme collectif, hantée par la tentation

Cette ‘’faveur’’ de l’éloignement est

et champions du capitalisme tiennent

du confinement dans un quant-à-soi

caduque désormais, lorsqu’on pense

conclave hivernal chaque année en

confortable, sans intrusions extérieures,

à un Georges Clooney investissant

Janvier, à Davos, pour réaffirmer leur

à l‘instar des enclaves urbaines fortifiées

ses cachets publicitaires dans un

credo néolibéral et consolider l’emprise

d’aujourd’hui. Bienvenue dans l’ère des

satellite d’observation placé en orbite

de cette rationalité clairement irration-

followers.

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ART TALK

Entre-Deux Interview croisée avec Soufiane Adel et Truong Que Chi réalisateurs

Propos recueillis par Myriam Dao

Entre deux pays, entre deux générations, - celle qui a connu les guerres, et puis celle qui «se fout pas mal de l’Histoire», là où s’entremêlent étroitement récit familial et Histoire, Soufiane Adel (né en 1981 en Kabylie) avec Go Forth, et Truong Que Chi (née en 1987 à Hanoï) avec Black Sun ont choisi de restituer la mémoire et de l’inscrire dans l’urbain. Go Forth, 64’ (2014) associe une histoire familiale à celle d’un territoire, à travers le récit de la grand-mère de l’auteur. Black Sun, 12’55 (2012) est un portait de ville, celle de Saigon où 50% de la population a moins de 25 ans. « Soleil noir » : celui d’une jeunesse pessimiste de la chanson éponyme d’avant la chute (la chute de Saigon en 1975, ou bien la réunification du pays, selon le point de vue)

Soufiane Adel - Go Forth, 2014 - Documentaire 64 min © Soufiane Adel - Courtesy the artist and Aurora films, Paris

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Comme outils, tous deux emploient du léger, du modeste. Les

qu’elle ne donne pas « d’angle de vue », et qu’elle évite le regard

allers-retours de la caméra entre sphère de l’intime et urbanité

biaisé, au sens propre comme au figuré, sur ces espaces souvent

disent les mouvements complexes des combats intérieurs pour

traités de façon caricaturale.

se situer dans cet entre-deux là. Mouvements qu’il a fallu suivre pour restituer les questionnements, et les bribes de réponse

Truong Que Chi nous offre un mini moment d’anthologie : après

parfois ténues, légères comme le souffle d’une chanson : « Black

avoir déambulé dans Saigon, sa caméra, dans un long plan

Sun », à laquelle Truong Que Chi emprunte son titre, et « Tabratt

séquence, s’immerge dans une plongée au cœur de l’intime,

i lehkam » de Lunes Mahtoub dont Go Forth cite quelques

dans l’appartement multi-générationnel, un moment, dit-elle,

paroles. La façon dont leurs réalisateurs placent les person-

où elle s’est finalement sentie « chez elle », après s’être sentie

nages dans un entre-deux spatio-temporel, littéralement « à la

une étrangère dans son propre pays. Ces errances urbaines

fenêtre », est manifeste dans les deux films, et révèle mieux que

sont rendues possibles grâce à un sens aigu du système D ; D

les discours les émotions qui les traversent. A la fois dedans et

comme Drone, que Soufiane Adel apprivoise tant par écono-

dehors…Regardants et regardés…Acteurs et surtout auteurs

mie de moyen que pour en faire un outil propre à servir son

de leur propre histoire. Mais quoi de mieux que ce cadrage pour

discours, tout comme le super 8, dont il fait usage. Quant à Chi,

résumer la position des deux jeunes cinéastes. Jamais l’on a filmé la banlieue (Champigny) de façon aussi charnelle, amoureuse… Sans pour autant que le regard soit nostalgique. C’est juste un regard « distancié », par la grâce du recours à un outil, le drone, car l’usage qui est fait de cet outil nous promène le long de la cité HLM, nous emmène comme « en ballon » audessus des toits-terrasses, des parkings, des franges périurbaines. En plan masse : c’est la vision de l’architecte-urbaniste que nous offre ici Soufiane Adel, une vision d’autant plus rare et appréciable

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Soufiane Adel - Go Forth, 2014 - Documentaire 64 min © Soufiane Adel - Courtesy the artist and Aurora films, Paris


elle s’entoure d’une équipe d’amis passionnés de cinéma. Une forme de militance, « On est les ART FIGHTERS ! ! », dit Truong Que Chi, dans un grand éclat de rire. Go Forth emprunte son titre à un slogan publicitaire. « Va de l’avant » nous dit la pub Levi’s en nous faisant rêver sur des images de contestations,

Forth où le drone «caresse» la façade et s’élève en oscillant, - jusqu’à frôler la grand-mère à sa fenêtre qui paraît alors si fragile, et continue son ascension ; et puis cette autre scène où l’on voit une jeune fille s’éloigner de la cité pour aller vers la lisière…

avant de nous vanter sans complexe le blue-jean, pur produit du capitalisme de masse, comme le fait remarquer ironique-

Soufiane : Le cinéma permet de s’approprier des outils pour se

ment Soufiane. Truong Que Chi s’est souvenue d’une chanson

réapproprier son histoire, et la raconter soi-même. Je me suis

«Black Sun», symbole d’une jeunesse désabusée de l’après-30-

toujours demandé pourquoi les classes dominantes «pensent»

avril-1975.

le prolétariat, et pourquoi le prolétariat ne pourrait pas penser les classes dominantes.

Afrikadaa : Quels sont vos parcours ? Soufiane : Je voulais dessiner des voitures, - mon père est mécanicien, j’ai fait des études de design industriel à ENSCI-les

Afrikadaa : Tu l’as dit : parce qu’ils n’ont pas les outils…Mais tu es maintenant dans la “classe dominante” et tu en as les outils .. !

Ateliers. J’ai découvert le cinéma dans cette école ; et parallèlement, le cinéma néoréaliste italien, dont deux films fondateurs

Soufiane : J’ai travaillé avec un drone, - l’histoire du drone est

pour moi «Allemagne Année Zéro» et «Rome ville ouverte».

intéressante car c’est un outil militaire, un petit objet fait pour

Ensuite, je suis passé du design au cinéma : un film peut être un

détruire et qui permet de faire la guerre de façon délocalisée.

objet diffusé, copié, multiple : inconsciemment, le design est

Werner Herzog a été le premier à utiliser un petit drone au

présent dans mon processus de cinéma.

cinéma en 2010 dans «La Grotte des Rêves Perdus» pour filmer la Grotte Chauvet. Il me semblait important de me l’approprier

Que Chi : Au Vietnam j’avais déjà une activité artistique dans

pour en faire un outil cinématographique. L’enjeu est économ-

l’écriture, la publication de poèmes (mon père travaille dans le

ique : un drone coûte 2400 euros la journée, alors qu’un plan

domaine du théâtre ainsi que pour le Ministère de la Culture

d’hélicoptère coûte 2000 euros l’heure ! Le drone permet une

et de la Communication du Vietnam) ; en France j’ai étudié la

économie de moyens.

médiation et la communication, avant de réaliser que j’avais plus envie de créer ; je me suis donc inscrite en licence de cinéma à l’Université de Lyon, puis à Paris 3, où je mène des

Afrikadaa : Des économies, mais aussi une prise de distance particulière…

recherches sur le cinéma contemporain vietnamien. Soufiane : La question de la distance à trouver avec ma grandFlotter au-dessus des toits, pour mieux revenir à soi

mère m’a été posée d’emblée. Au cours des 3 mois d’entretiens filmés, j’ai pu la connaître mieux en l’approchant progressive-

Dans Go Forth et dans Black Sun, on ressent la même volonté

ment. Il existe aussi un rapport d’échelle entre le bâtiment filmé

de traduire la distance, la prise de recul par des mouvements

et elle, comme entre la Grande Histoire et son histoire intime.

“ascendants” de la caméra : aller plus haut, plus loin, pour mieux

S’il y a rupture avec un milieu, pour moi, c’est pour mieux y

plonger dans l’intime. Parallèlement, il y a un enjeu sous-jacent

revenir, en un sens. Si mon travail existe aujourd’hui, c’est

à ces questions de point de vue : celui de la représentation de

que je m’interroge sur les phénomènes de rapports de classe

la banlieue, de la ville et de ses franges.

et de domination. Tu disais que je suis rentré dans la «classe dominante»…c’est un vrai enjeu. Karl Marx disait «pour qu’un

Afrikadaa : Le portrait de ville ou d’architecture n’est-il pas une façon de parler de soi ? Comme dans cette scène de Go

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individu pense sa condition, il faut qu’il prenne du recul par rapport à sa condition» ; Le drone permet cette prise de distance,


mais je tenais à ce que la fin du film se termine au sol : le pano-

en même temps : l’espace du contemporain, et celui de la

ramique sur les personnages qui portent des masques, puis, la

mémoire, par le témoignage de la grand-mère. Le mouve-

caméra fait un 360° sur eux, et ils redeviennent des individus

ment de caméra, qui est flottant, invisible, essaie de saisir cette

anonymes : « le masque est tombé du masque » (comme le dit

mémoire, immatérielle, invisible aussi. J’ai l’impression que

Mahmud Darwich)

nous, jeunes cinéastes, avons tous tendance à revisiter l’histoire officielle avec nos outils, nos moyens, nos petits budgets, on est

Afrikadaa : La vue « en plan de masse », sur les toits-terrasses de la cité de Champigny filmée dans Go Forth, nous restitue une vision d’architecte, très rare au cinéma.

les ART FIGHTERS ! ! Oui, on fait partie de la classe dominante, mais malgré tout, on appartient à une classe minoritaire, - celle des jeunes cinéastes, de par la modestie de ces moyens filmiques fragiles.

Soufiane : Oui, en drone c’est très rare, le Top Shot (angle à 90 degrés) n’est jamais utilisé, les télévisions le placent par exem-

« Qui suis-je ? C’est la question que les autres se posent, et elle est sans réponse ; moi, je suis ma langue, moi ; et je suis un, deux, dix poèmes suspendus » Mahmud Darwich Afrikadaa : Vos films parlent de vous ? Soufiane : J’ai toujours fait des films en m’inspirant de choses autobiographiques ; mais n’ayant pas accès à des figurants, je faisais jouer des membres de ma famille des scènes autobiographiques ; Go Forth complète une trilogie, sur l’identité,

Truong Que Chi - Black Sun, 2012 - Fiction 12 min 55 © Truong Que Chi - Courtesy the artist

l’immigration, et la vie en France. Je suis né en Algérie. Mon père est né en France, mes grands-parents, eux, vivaient entre la France et l’Algérie ; j’avais donc en tête de tracer l’histoire de ma

ple comme une caméra de surveillance, à 30 degrés, et il suit les

grand-mère sur 70 ans, prise entre ces deux pays, celle de son

manifestants, les gens, sans recherche formelle pour changer

mari, qui avait combattu en Indochine, et cette histoire famil-

de point de vue. Comment représenter aujourd’hui la banlieue

iale, prise dans la grande Histoire, celle des guerres. « L’Histoire

différemment des médias ? La seule façon consistait à prendre

populaire des Etats Unis » de Howard Zinn m’a inspiré. On y voit

de la hauteur pour donner une autre vision. Et le drone parle

comment le peuple opprimé peut raconter sa propre histoire :

aussi de l’émancipation et du déplacement géographique, se

ne pas laisser d’autres parler à notre place, mais le faire nous-

déplacer de son propre cadre. Le sociologue Abdelmalek Sayad,

mêmes. Dans Go Forth on entend plusieurs langues : français,

- dans «La double absence», évoque les rapports entre la France

arabe, kabyle, anglais.

et l’Algérie. Dans certains villages, l’immigration est une sorte d’initiation que l’individu doit expérimenter pour s’émanciper

Que Chi : J’ai gardé un lien très fort avec le Vietnam, - en particu-

et devenir adulte : avant d’être en quête d’argent ou d’un avenir

lier avec des participations au Nha San Collectif à Hanoi, bien

meilleur, l’individu fait un voyage pour découvrir le monde.

que je sois formée essentiellement en France. Aujourd’hui, avec le cinéma, la recherche, j’essaie d’établir un «pont» entre le Viet-

Que Chi : J’ai beaucoup aimé dans Go Forth cette recherche

nam et la France. Les questions post-coloniales et la théorie sont

« archéologique et topographique ». Deux espaces se calent

peu abordées au Vietnam, et pourtant c’est ce qui m’intéresse.

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Donc je reste « entre les deux ». Soufiane : Il y a dans Black Sun des plans très posés, on a l’impression que tout ce qui se passe avant c’est vraiment pour amener à la scène finale, la caméra qui s’en va, et je me suis

avec un « dehors », un « par delà »…Comme cette scène dans la boite, suivie de cette autre dans l’atelier d’artiste, très contrastée, par rapport à la scène précédente. Dans le petit café de rue, c’est encore une autre «tranche» de la société, avec ces femmes entre deux âges.

demandé où allait cette caméra : va-t-elle vers un autre film, un « après » ? Que Chi : Bonne question ! C’est un film très personnel, un retour au pays natal. Les premiers plans sont fixes : c’est comme si je me considérais toujours comme étrangère, extérieure, observatrice de ces scènes de vie sans être vraiment impliquée. Lors de la scène finale, au moment où la caméra rentre dans l’appartement, j’ai l’impression que je réintègre cette communauté que j’ai filmée à distance, cette jeunesse vietnamienne… Truong Que Chi - Black Sun, 2012 - Fiction 12 min 55 © Truong Que Chi - Courtesy the artist

Que Chi : J’ai essayé de saisir ces « couches de vie » différentes qui, en effet se superposent. Le caractère de Saigon, dont l’histoire est liée à celle du Vietnam (le fameux événement du 30 avril 1975) : cette ville qui a vu cohabiter partisans du régime du Nord et du Sud, ces derniers emprisonnés dans des camps de rééducation, une ville que des milliers de personnes ont dû fuir comme Boat people, qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Comment les habitants s’en accommodent-ils ? Les gens nés après Truong Que Chi - Black Sun, 2012 - Fiction 12 min 55 © Truong Que Chi - Courtesy the artist

Soufiane : Tu rentres à la maison …

ces événements s’en fichent, ce qui les intéresse c’est la culture occidentale…Coca-Cola…Etc.

Afrikadaa : Tu fais toi-même partie de cette génération née « après 1975 », qu’est-ce qui fait que tu t’intéresses à ce passé ?

Que Chi : Oui, je me réconcilie avec mon pays après une absence, et je vais sûrement continuer à faire des films sur le

Que Chi : Je ne m’y intéressais pas avant de venir en France ! Au

Vietnam contemporain, mais pour l’instant j’ai l’impression que

Vietnam, beaucoup de sujets ne sont pas abordés dans les livres

je ne peux pas faire autre chose, même si je tourne en France, il

scolaires. J’étais jeune communiste modèle ! On m’a appris à

y aura un lien avec mon pays ou mon histoire.

aimer mon pays. Le patriotisme…il n’y avait pas d’autre choix. J’ai appris plus de choses en France sur mon pays. Mes oncles et

Afrikadaa : Dans ton film, Que Chi, tes plans sont très architecturés, avec souvent plusieurs niveaux de lecture, premier, et second plan, très « construits », et arrière-plan

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ma tante, Boat people installés en Allemagne, ont été les premières personnes à qui j’ai posé des questions sur l’histoire de la famille. Mes grands-parents paternels étaient déjà des migrants


venus de Chine. Je me suis posé la question : suis-je vietnami-

Soufiane : Je me demandais quels étaient les personnages fic-

enne ou chinoise ? Et maintenant je suis en France…

tifs, et les personnages « réels »

Afrikadaa : La première scène tournée dans l’appartement, où l’on devine la télévision dans le reflet du miroir…On perçoit un message politique, critique.

Que Chi : Le film pose la question : à quel moment un film devient une fiction ? La dernière scène est tournée en décor naturel, dans l’appartement d’une personne de l’équipe de tournage parmi mes amis. Les deux seuls acteurs, - le couple qui répètent en costume d’époque, sont des amis. Cette proximité permet de capter les émotions.

Afrikadaa : Soufiane, parle-nous de la grande Histoire, qui sous-tend le récit de ta grand-mère, et de ton grand-père en Indochine Soufiane : Le fil rouge qui tient tout le film et relie les séquences entre elles, ce sont les images où ma grand-mère tisse la ceinture, cela tisse tout : les relations des cultures entre elles, de l’Histoire avec les histoires. Mon grand-père en Indochine, Truong Que Chi - Black Sun, 2012 - Fiction 12 min 55 © Truong Que Chi - Courtesy the artist

seul rescapé parmi 15 soldats, a survécu en se cachant sous un cadavre. Il en a été bouleversé et en est revenu invalide de guerre. Pour moi, il s’agit d’une tragédie ; les guerres ont pris

Que Chi : On voit juste le drapeau du Vietnam ; il s’agit d’une

une grande part dans l’histoire familiale. Il était orphelin : on

émission quotidienne, à la gloire du Parti Communiste ; on

lui offrait le choix entre combattre les Algériens en Algérie ou

voit les personnages « subir » plus qu’écouter, la propagande

les Vietnamiens en Indochine. Howard Zinn mentionne ces sol-

qu’ils ont l’habitude d’entendre ; l’ironie de cette scène, c’est le

dats Africains-Américains qui avaient refusé de combattre les

vieux monsieur, personnage réel, qui a travaillé pour le régime

Vietnamiens au Vietnam, mais il n’y a rien eu de tel, en tout cas

du sud : un monument vivant du régime qui a perdu. Il a été

officiellement, en Indochine, de la part des Maghrébins.(ndlr :

en camp de rééducation, et s’il reste aujourd’hui chez lui c’est

le film Oulad l’Viêt Nam de Yann Barte raconte la désertion

à cause des difficultés à s’insérer dans la société actuelle. On

de l’armée française en Indochine de centaines de Marocains,

entend le téléviseur : « tout le peuple vietnamien est réuni pour

entre 1947 et 1954, pour rallier le Viêt-minh, par solidarité anti-

défendre le Parti Communiste », et je n’ai pas voulu traduire

colonialiste)

cette phrase, tout le monde sait que ce sont des inepties. La vraie violence, elle est là dans ces mots, dans le fait que les gens sont obligés d’entendre ça.

Afrikadaa : Tu termines le film par un long plan séquence , dans ce mouvement de caméra on traverse non seulement l’appartement, mais aussi plusieurs générations. Que Chi : Oui, on y voit les grands-parents, les parents, le petitfils, et aussi les jambes d’un homme ancien toxico en phase de désintoxication, comme il y en a eu beaucoup à Saigon.

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Afrikadaa : Par ce récit familial, tu abordes des questions fondamentales, les guerres, le rapport de classes, le colonialisme. Je te cite : « Je n’ai pas le complexe du colonisé ; je n’ai pas le complexe du Maghrébin, de l’Algérien circoncis, je n’ai pas le complexe du musulman, du banlieusard : j’ai le complexe du prolétaire ». Lorsqu’on te voit tisser auprès de ta grand-mère qui te transmet les gestes, c’est un peu le moment où tu redeviens « prolétaire », artisan, et là tu n’es plus hors-champ, en voix-off, la distance s’abolit.


Soufiane : Qu’est-ce que c’est être prolétaire ? C’est travailler avec ses mains, c’est exister grâce à ce travail. Ce que j’ai compris à la fin du film, c’est que quand ma grand-mère tisse des ceintures traditionnelles kabyles pour ses petites-filles, c’est une manière de garder un lien avec l’histoire, Chez elle, comme chez mon père, mécanicien, l’importance de la parole, - dans une culture orale, prend tout son sens lorsqu’elle se transforme en actes : elle se concrétise. Il y a émancipation parce qu’il y a acte ; acte de ma grand-mère d’avoir eu 18 enfants, d’avoir participé à la libération de son pays, d’avoir fait en sorte que ses pères et ses grands-pères participent à la libération de la France. Etre prolétaire pour moi aujourd’hui c’est : comment j’arrive à me penser avec les outils avec lesquels j’ai grandi ; mais la question

Soufiane Adel - Go Forth, 2014 - Documentaire 64 min © Soufiane Adel - Courtesy the artist and Aurora films, Paris

du prolétariat n’est pas totalement résolue

Afrikadaa : Cela dit, la critique de la colonisation est fortement sous-jacente ! Soufiane : Les images d’archives en super 8 montrent aussi un déracinement, mis en parallèle à celui de ma grand-mère. Alexis Jenni, dans « L’Art français de la guerre » dit que la colonisation continue en banlieue, et pour moi, elle existe toujours, dans le racisme ordinaire, la domination. A la fin du film, je dis «le désir d’émancipation existe toujours en banlieue».

Afrikadaa : Ton film est assez engagé en ce sens. Les organismes qui t’ont aidé ont-ils exercé un droit de regard ? Soufiane Adel - Go Forth, 2014 - Documentaire 64 min © Soufiane Adel - Courtesy the artist and Aurora films, Paris

Soufiane : J’ai été présélectionné sur dossier pour le prix « HLM sur Court » (Union Sociale pour l’Habitat), et là, on m’a demandé de retirer la dernière phrase du film : « Ce que j’ai compris en faisant ce film, c’est que la guerre d’Algérie n’était pas un mouvement de haine envers la France, mais le désir d’un peuple pour son émancipation politique et sociale ; aujourd’hui ce désir existe toujours en particulier dans les banlieues françaises, il est un effet de la lutte des classes » Donc, cela m’a conforté encore plus dans ma volonté de faire ce film ; j’ai même ressenti, de la part du public pendant les projections, une sorte de déchirement, qui, je pense, existe aussi au Vietnam…

Afrikadaa : D’où viennent ces mises en abîmes, ces citations

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Soufiane Adel - Go Forth, 2014 - Documentaire 64 min © Soufiane Adel - Courtesy the artist and Aurora films, Paris


(l’usage des images d’archives en super 8, notamment) ?

qui refuse de réaliser un palais pour le Roi, un tyran qu’il critique ; une courtisane du Palais va le convaincre de travailler pour le

Soufiane : La citation «frappe ton ennemi, nulle autre issue,

Roi et ainsi de créer une œuvre de beauté. Pendant la construc-

(…) tombé le masque, le masque est tombé» est de Mah-

tion du Palais, des paysans meurent, d’autres se révoltent, puis

mud Darwich, poète palestinien parti en exil, qui lisait des

détruisent le palais, tuent le Roi et l’architecte. Pour moi cette

poèmes devant des assemblées de l’ONU. Qu’est-ce qu’un

pièce parle de la dictature, de la révolte, et de la position de

individu ? L’origine d’un individu, ce n’est jamais l’origine

l’artiste, partagé entre son rejet des souffrances de la société,

sociale ou même géographique, c’est le ventre de la mère.

et son désir de beauté.

Là, les questions de classes n’ont pas à être posées : mon origine, c’est ma mère et mon père, ceux qui m’ont fait. Par rapport aux images en super 8 : j’ai hérité d’une valise avec des films 8mm, tournés par le père d’une amie, fonctionnaire, de 1945 à 1964 dans différents pays d’Afrique subsaharienne. On y voit sa femme et ses filles, et ces images

Afrikadaa : La révolte, la destruction dont il est question dans la pièce, trouvent un écho dans tes images qui contiennent une violence sourde. Dans ce très beau plan dans les ruines de murs bleu et vert, avec ce bulldozer rouge au centre, qui inscrit sa violence dans la ville…

témoignent aussi d’un déracinement ; les plans sont quasi ethnographiques, des hommes et des femmes au travail,

Que Chi : A Saigon, les gens sont indifférents, ils ne sentent plus

des domestiques mis en scène…Pour moi ceci constituait

la violence qui découle de ces mutations urbaines. Saigon est

un parallèle avec l’histoire de ma grand-mère, mais sans porter de jugement, je ne voulais surtout pas porter à charge la colonisation Que Chi : Nguyen Huy Tung, révolutionnaire anti-français a écrit en 1941 sa pièce de théâtre «Vu Nhu Tô» que j’ai vu

Truong Que Chi - Black Sun, 2012 - Fiction 12 min 55 © Truong Que Chi - Courtesy the artist

un immense chantier. Partout on démolit, et on reconstruit. J’ai tourné sur la presqu’île de Thu Tiem, (ndlr : qui est l’équivalent Soufiane Adel - Go Forth, 2014 - Documentaire 64 min © Soufiane Adel - Courtesy the artist and Aurora films, Paris

du quartier Pudong de Shanghai, quartier d’affaires et de logements High Tech), qui va accueillir le grand projet urbain «Diamant Saigon» après complète démolition de l’actuel

dans le théâtre de mon père, et elle m’a beaucoup inspirée ;

quartier plutôt défavorisé. Les habitants ont été priés d’aller

(ndlr : c’est un dialogue de cette pièce qui est rejoué par les

s’installer ailleurs.

2 acteurs principaux en costume d’époque dans Black Sun). Je ressens une distance critique de cet auteur vis à vis du Parti Communiste, sans qu’il l’exprime ouvertement, à une époque où le Vietnam est colonisé par la France. Vu Tô est le nom d’un architecte d’une époque féodale (XVème siècle)

21

Afrikadaa : Ta caméra suit une jeune fille jusqu’à la lisière, et livre là une représentation très rare de la banlieue. On n’arrive même pas à imaginer que cela puisse exister. Et toi tu montres ces images, accompagnées de la phrase très


puissante « nos cadavres sont nos prénoms ». Des cadavres que tu laisses derrière toi, tu ouvres une page blanche, une friche, pour dessiner toi-même ta banlieue. La friche laisse de l’espace à l’imaginaire…

protocole particulier (il y a 8 batterie sur un drone, chacune permet 8 mn de vol, et les batteries coûtent très cher), donc, 8 vols de 8 mn, soit 48 mn de rush au total. J’ai utilisé Google Earth et Maps pour dessiner les plans de vol du drone car il fallait écrire très précisément.

Soufiane : Il est d’ailleurs plus facile de filmer la banlieue que de filmer Paris, sans tomber dans le cinéma bourgeois ; en banlieue, les grands espaces, comme dans le cinéma américain, laissent les rencontres possibles Que Chi : L’espace urbain a une relation intime avec le cinéma : Soufiane Adel - Go Forth, 2014 - Documentaire 64 min © Soufiane Adel - Courtesy the artist and Aurora films, Paris

“Know from whence you came. If you know whence you came, there are absolutely no limitations to where you can go.” James Baldwin Afrikadaa : Vous avez l’un comme l’autre le souci de dire le récit familial qui ne concerne plus vos parents mais vos grands-parents ; racontez-moi cette nécessité de transmettre, cette urgence, avant de vous ouvrir à d’autres projets. Soufiane, on voit en particulier ta fille à la fin du film, danser avec une des ceintures tissées par ta grand-mère. Que Chi : Dans le cinéma vietnamien à cause de la censure, et de l’ignorance des faits historiques dans laquelle elle laisse les gens, je n’arrive pas à trouver un film qui me touche, comme le ferai un film de Jia Zhang Ke, que j’ai découvert en France. La Chine a une société qui présente beaucoup de ressemblance avec la société vietnamienne. Sociétés toutes deux post com-

espace mental, espace invisible, fictif, se cale avec ces ruines

munistes, post socialistes. Dans ces conditions, je ressens une

visibles : ces combinaisons sont rendues possibles par la caméra

urgence à projeter ma propre vision du Vietnam, à faire du cinéma ou de l’art. «Faire une image, ce n’est pas seulement

Afrikadaa : La fluidité du passage des scènes fictionnelles aux scènes « urbaines »…

pour dire le beau, mais pour dire aussi l’intolérable» dit Georges Didi-Hubermann. J’ai un projet sur l’Hôtel Majestic à Paris, où on a signé les accords du Traité de Paris pour finir la Guerre du

Soufiane : Comment passe-t-on selon toi d’un espace docu-

Vietnam : voir ce qui reste de cette ruine invisible, liée pas seule-

mentaire à un espace fictionnel au cinéma ?

ment à l’histoire du Vietnam, mais aussi à celle de la France, puisque le Majestic a hébergé le commandement allemand

Que Chi : Pour moi, c’est au moment où l’on trouve le corps,

pendant l’occupation.

comme une graine, le corps de l’auteur, la parole, le dialogue. Je construis le film à partir de ça, dans l’espace réel. Lorsque

Soufiane : Quand j’ai commencé à faire des grandes études, on

l’acteur se déplace, on est dans la fiction, car c’est quelque

m’a interrogé sur l’histoire de l’Algérie ; mes parents ne connais-

chose qui est écrit. Dans la scène de rue, hormis les femmes

sent même pas l’histoire de leur propre pays. Ils m’ont raconté

au premier plan quelques personnes ont été dirigées, dont le

plutôt le combat du prolétariat. Ils étaient dans la survie au quo-

couple principal.

tidien, n’avaient pas le confort de se poser pour penser l’histoire.

Soufiane : Les plans avec le drone sont purement fictionnels,

Il n’était pas temps pour eux de raconter l’histoire du pays. Il

c’est la partie la plus écrite ; je n’avais droit qu’à 8 vols dans un

était d’autant plus vital d’interroger mon identité que l’on ne

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me l’avait pas transmise. Aujourd’hui seulement je commence à m’intéresser à d’autres figures dans le cinéma, - à la seconde guerre mondiale, à l’Holocauste, à des sujets pas directement liés à mon histoire, alors qu’avant j’étais dans des récits autobiographiques. C’était de la transmission, et pour mes enfants aussi. Pour ne pas rester dans le fantasme, que l’on rencontre en banlieue. Je suis né en Algérie, j’ai la double nationalité, mais le problème en banlieue, de jeunes nés en France, français, c’est qu’il existe pour eux un fantasme immense du pays d’origine. Il faut pourtant le dépasser, rester sur terre, et considérer les pays d’origine pris dans leur complexité politique, loin d’être des Eldorados. La question de l’histoire est importante, parce que l’histoire passée, c’est le futur.

FINANCEMENT ET CIRCUITS Soufiane : pour Go Forth il y a eu un rituel d’attente économique, de commissions. L’idée du film était déjà construite, sauf qu’il y a eu urgence en 2012 quand ma grand-mère a été très malade : on ne pouvait pas attendre les financements ; j’ai donc commencé tous les entretiens avec ma grand-mère (le début du film), étalés sur 3 mois, et les financements sont venus plus tard ; on a cherché de l’argent auprès d’un organisme public d’HLM, pour payer en partie l’opérateur drone, - la grosse dépense du film, l’argent est venu à la fin du tournage, au moment de la postproduction. J’ai eu l’aide au court-métrage du CNC, l’aide à la Diversité, et celle de la commission d’Architecture (ndlr : on voit dans le film les immeubles de l’architecte Edouard François). Le film a été sélectionné au Cinéma du Réel en 2014 Que Chi : un budget de 200 euros ; un tournage fait en 3 jours… Le jeune cinéma au Vietnam inspire beaucoup de personnes, qui travaillent juste parce qu’ils aiment le cinéma. Il y a seulement deux acteurs professionnels, tous les autres figurants sont des amis, le décor principal est la maison de mes amis. Mon film a été sélectionné aux Rencontres Internationales Nouveau cinéma et art contemporain à la Gaîté Lyrique en mars 2014, et grâce aux Années croisées Vietnam/France, programmé au Festival de film femmes de Créteil en 2014

23

Myriam DAO est une artiste plasticienne. Architecte de formation, son travail questionne l’histoire et la géographie pour confronter deux formes de vérité, celle du corps ou du lieu physique et celle de l’imaginaire, à partir d’images d’archives. Myriam Dao a reçu la Villa Medicis hors les murs pour une résidence en Chine. Dernière installation pour le parcours d’art contemporain “Chinafrique” en 2013.


ART TALK

A cinema without concessions Sara Gómez’s De cierta manera 1974 By Mélissa Gélinas PhD candidate - Comparative literature University of Michigan Ann Arbor, USA

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If there ever was a filmmaker who deployed the power of the moving image to represent a wide range of repressed and underrepresented voices, a filmmaker whose lenses “begged to differ,” begged to portray her society in all its diversity and dissensions; if such a filmmaker ever existed, then, surely it was Sara Gómez and her most emblematic work was certainly De cierta manera (“One Way or Another”). Born in Havana, in 1943, from a middle-class, Afro-Cuban family,

individual and social transformations. The film is about the

Gómez studied literature, piano, and ethnography. She joined

inhabitants of the neighbourhood of Miraflores, an estate in

the ICAIC (Cuban Institute of Cinematographic Art and Industry)

which the Revolution has recently resettled the inhabitants of

in 1961, two years after its foundation by the Revolution. She

Las Yaguas (one of the worst slums of Havana) in proper housing

worked as an assistant director under

conditions. De cierta

Tomás Gutiérrez Alea (probably Cuba’s

manera emphasises

most prominent filmmaker) and Agnès

the tensions and con-

Varda (a feminist filmmaker ; one of the

flicts amongst and

leading figures of the Nouvelle Vague).

within relocated indi-

From 1962 to 1973 she directed fourteen

viduals who struggle

documentaries on various themes

to reorient their sub-

related to Cuban cultural heritage, the

jectivities, in the new

Revolution, and national identity. In her

context created by

documentaries, a focus on gender and

the Revolution.

racial concerns is easily discernible, as

Still from the movie “De cierta manera” by Sara Gómez - Yolanda and Mario

well as the recurrence of topics related to marginality. All these aspects come

The film’s protago-

together in a profoundly critical and polished manner in her

nists, Yolanda and Mario, epitomise these tensions and conflicts.

first feature film De cierta manera. She remains to this day the

Yolanda is a white, middle-class teacher who is divorced and

first and only woman to have directed a full-length fiction film

who self-portrays as independent. She has recently been sent to

in Cuba. Gómez died of acute asthma, at the age of 31, shortly

teach in Miraflores. Mario is a mulatto factory worker who grew

after finishing editing the film.

up in the marginalised context of Las Yaguas. Mario embodies the typical Cuban machista whose manhood and ethics have

De cierta manera

been forged by the ambiente (street culture in marginalised areas). Yolanda and Mario can be envisioned as a microcosm of

Against the backdrop of early revolutionary Cuba’s re-articu-

the larger community and the issues that arise in the context

lation of spaces and national identities, the film interrogates

of their nascent relationship are by no means foreign to those

the discrepancies and tensions between spatial changes, and

arising within the relocated community in general. The film

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ART TALK amalgamates fiction and documentary in a manner cognate

confrontation between slaves and masters, between men and

to cinéma-vérité. Interviews, newsreel, reportage, biographical

women, and between revolutionaries and counterrevolutionaries,

synopses, montage, text on the screen, and excerpts from other

with hardly any other nuances or conflicts (322-3; my translation).

films are all included in it. The only professional actors are Mario, Yolanda, and Humberto (Mario’s friend). All others are real

This, surprisingly, is the cultural and institutional context in

people, whose real stories are weaved around the fictitious love

which De cierta manera was produced and released.

story in an almost undistinguishable manner. Gómez’s

Not so surprisingly, some would argue, as

ethnographic training may

Gómez was declaredly committed to the

account for the notable fact

Revolution...

that the main “real” characters in the film speak for

In an inter view with the magazine

themselves and represent

Pensamiento crítico (1970), Gómez indi-

their own stories in the film.

cated that “the Cuban filmmaker always expresses himself in terms of the Revo-

Gómez’s Cinema “within the Revolution”

lution.” “For Cubans and through them,” Still from the movie “De cierta manera” by Sara Gómez -Demolition Shot

Probably one of the most noteworthy contextualising

she was committed to making a “cinema without concessions,” a cinema that could

“express [the Cubans] in all their contradictions.”

details about the film is that it emerged in the Cuba of the 1970s. In 1961 Fidel Castro delivered the speech “Palabras

Yet, for all her commitment to “express herself in terms of

a los intelectuales” (Address to the intellectuals) in which he

the Revolution,” I argue that her vision transcended the

expressed his wish that all artistic production would coincide with the revolutionary ideology. It is from this speech that the quintessential mandate “Dentro de la Revolución todo, fuera de la Revolución nada” (Within the Revolution, everything; against the Revolution, nothing) stemmed. The challenges that this famous mandate posed for Cuban artists and intellectuals have fluctuated over time. Yet in the 1960s, Cuban cultural policies have been known to foster a wide range of creativities; yielding, among other things, the Golden Age of Cuban cinema. Along with the institutionalisation of the Revolution, and the eventual merging of (revolutionary) Cuban nationalism with (Soviet) socialism, came the “dark decade” of the 1970s. As indicated

Still from the movie “De cierta manera” by Sara Gómez - Last Frame

by Cuban writer Leonardo Padura in La cultura y la revolución

official rhetoric of her time. In L’audio-vision (1990), Michel

cubana (2002),

Chion demonstrates how the audio-visual combination that constitutes most films today affects the reception and

the 1970s have been considered a dark and repressive period

perception of their content: we do not see the same when we

characterised by the cultural marginalisation of important figures…

hear, and vice versa. The hegemony of the visual, although

and by the imposition, more or less visible, of artistic patterns

common to most approximations to the filmic medium, is thus

akin to the detrimental socialist realism. It is not accidental…

essentially an assumption. The moving image in sound film is

that in Cuban cinema the only dramatic conflicts left were the

always somewhat a part of the “audio-visual contract” posited

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by Chion. This observation leads Chion to coin the term “audio-

De cierta manera’s storyline is constantly interrupted by cut-

spectateur,” referring to the person who experiences film as an

away shots of old buildings in the process of demolition. The

audio-visual artifact.

dialectics between demolition and construction, the old and the new, the pre and the post Revolution is constantly being

In De cierta manera, Gómez’s acute ability to use the full

deployed audio-visually through the imagery of demolition and

leverage of this “audio-visual contract” allows her to capture

the accompanying booming sound produced by the impact

the disparate and polyphonic nature of early Revolutionary

of the wrecking iron ball on the old buildings. This booming

Cuban society. Considering the zeitgeist of the “dark decade,”

sound (which the audiospectator progressively learns to associ-

this deployment is truly distinctive. In what follows, I examine

ate with the leitmotiv of demolition) marks the rhythm of a film

two of the ways in which this idea can be supported.

which dialogues closely with the discrepancies between spatial reorganisation, and individual and communal transformations.

“Le jeu sur l’écart ” The final scene, a thirty-second dolly shot, initially reveals In L’épreuve à l’écran (2002), François Niney indicates that : « le

Mario and Yolanda walking in the street, visibly pursuing the

film a la capacité, que n’a pas l’écrit, de jouer sur l’écart entre

argument staged throughout the film; an argument deeply

ce qui se dit et ce qui se voit, entre ce que dit un témoin et

grounded in their multiple differences. The camera soon

comment il le dit ou contredit, de nous faire ressentir ce qui

pulls back, progressively producing an extreme long shot

se disait et montrait hier à la lumière de ce qu’on y entend

that reveals their surroundings. The protagonists walk off

résonner aujourd’hui » (251). This “jeu sur l’écart” is crucial to

energetically, amidst the newly erected buildings; symbols of

understand how Gómez’s characters (real and fictitious) express

the future to which revolutionary change paved the way. The

their various attempts to do away with or accommodate the

buildings symbolise the new context, the new structures, the

parts of their respective pre-revolutionary baggage which do

new possibilities that the Revolution allowed. As a counterpoint

not allow them to function well within the new national project.

to the neat, balanced composition of the last frame of the film, a simultaneous off-screen booming sound can be heard. The

For Yolanda, this battle hinges on class-based prejudices. For

uncomplicated demolition of old material structures thus

example, at the beginning of the film, the voice-over presents

seems to be contrasted with these individuals’ intricate and

the changes introduced in the housing picture (in the context

arduous struggle to adjust to the new realities introduced by

of the Revolution’s integration strategy), indicating that “edu-

the Revolution.

cation, that is ever more linked to work, constitutes our main tool [in bringing about the social integration of marginal sec-

In this sense, Sara Gómez’s film manages to artfully mobi-

tors].” This is quickly followed by a contrapuntal interview with

lise the “audio-visual contract” in ways that make its moving

Yolanda; one of the faces of “education as a tool for integra-

images interrogative, rather than simply affirmative or negative.

tion”. She expresses her malaise vis-à-vis the marginal world

Her successful shunning of binary aesthetics, in 1970s Cuba, is

she encounters now as a teacher in Miraflores; a malaise that

indeed surprising.

is also visually discernible in Yolanda’s composure, as she faces the camera. This interview, inserted right in the middle of the voice-over’s didactic speech, is precisely a “jeu sur l’écart.” It is an astute reminder that the discourses on revolutionary educational ideals coexist with the remaining class-based prejudices and conflicting worldviews which Yolanda’s speech illuminates.

Contrapuntal Audio-Visual Leitmotiv

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ART TALK

Cineaste sans camera Entretien avec le cineaste Jean Pierre Bekolo Propos recueillis par Pascale Obolo

Il se définit comme un témoin qui

d’écritures ou de narration filmique.

de gens regardent le cinéma comme

choisit son point de vue qu’il docu-

Si je prends mon cas et le livre que je

sociologues, journalistes ou littérai-

mente et justifie. Pour le cinéaste Jean

viens de finir d’écrire : « Cinéaste sans

res. Donc ils ont un background autre

Pierre Bekolo, la liberté du cinéaste est

caméra »

que le cinéma. Je réfléchis comme un

sans limite. Il ne doit rien à la réalité, rien à la vérité, sinon éventuellement à la

cinéaste et non comme un sociologue

Afrikadaa -Pourquoi ce titre ?

sienne. Pour lui « le cinéma est un point

ou anthropologue. J’ai voulu valoriser cette identité du point de vue de ma

Avant d’arriver à l’objet film, on part

discipline artistique qu’est le cinéma.

d’une histoire puis d’un texte, les gens

C’est par le cinéma que j’ai appris toutes

ont tendance à l’oublier. C’est le cinéma

les autres choses. Est ce que le cinéma

qui m’a appris l’écriture en général ;quel

et le cinéaste que je suis peut agir dans

que soit ce que j’écris quand bien

d’autres domaines tout en gardant cette

même ce n’est pas un film, je pense que

identité et cette formation de cinéaste ?

j’utilise toujours les principes acquis lors

C’est l’exercice auquel je me suis livré

de l’apprentissage d’écriture cinéma-

dans ce livre. Voir comment agir dans la

tographique, c’est à dire le scénario .

vraie vie. Le cinéma oblige à matérial-

En allant au delà de l’écriture, j’ai le sen-

iser l’action, à partir du réel pour mieux

timent aussi de réfléchir sur une espèce

théoriser l’invisible. C’est comme si tu

d’action politique, d’action réelle, com-

filmes d’abord des plans dans le cadre

Plusieurs aspects m’intéressent dans ta

ment changer les choses ? Comment

du documentaire, puis tu construis

question :

agir ?

quelque chose à partir du plan filmé. Tu

- Qu’est ce qu’on a de nouveau à pro-

Je pense que je vois l’action comme un

lui donnes un sens. Ta réflexion ne peut

poser aujourd’hui en tant que cinéaste ?

cinéaste, comme dans un film.

pas rester que théorique car il te faut

- Qu’est ce qu’il y a de différent de ce

Il y a une dynamique de l’action, des

une image pour dire ce que tu voulais

qu’on a déjà entendu ?

obstacles, des choses à surmonter. Le

dire conceptuellement.

- Qu’est ce qu’il y a de nouveau dans

cinéma c’est mon mode de vie. Il reste

Est ce que le cinéma n’est qu’une

tout ça ?

toujours dans ce sens une espèce de

image ?

- Est-ce par ce que ce sont des gens

guide. C’est un espace où j’ai appris

Est ce que le cinéma n’est pas une struc-

d’origine africaine ? Ou bien en terme

l’activisme, que ce soit à travers le

turation ?

de cinéma en général il y a une réflex-

cinéma engagé ou l’envie d’écrire

Est ce qu’on n’a pas envie de reproduire

ion qui n’a jamais eu lieu. En terme

des films engagés. Mon regard de

la timeline d’un film dans le réel quand

d’écriture filmique,

business ou de modèle économique

on veut résoudre des problèmes con-

le scénario tel qu’il est conçu, n’a plus sa

s’inspire du cinéma. Je suis un produit

crets ?

place dans le cinéma du 21eme siècle.

sur tous les plans du cinéma. Je n’ai

Est ce que l’identification qui est un

Nous devons repenser les formes

pas d’autre background. Beaucoup

souci du cinéaste n’est pas quelque

de vue documenté sur le réel ».

Afrikadaa - Penser la structure et la scénographie d’un film dans l’espace d’aujourd’hui est tout aussi important et peut représenter une 2eme forme de narration qui peut être complémentaire du récit filmique décidé. Faut-il repenser l’écriture filmique d’aujourd’hui pour le cinéma de demain ?

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chose qu’il faut accentuer ?

obstacles, il y a de l’héroïsme. Avant le

un film en attendant d’avoir les capacités

Je suis assez choqué de voir des intellec-

cinéma, il y a la vie, après le cinéma, il y

de changer des choses. Si je pouvais

tuels parler de leur société à leur peuple

a la vie. Le cinéma est au milieu. La vie

vraiment faire les choses, peut être que

comme si c’était des étrangers. Ils par-

nous inspire des histoires qu’on amène

le cinéma me serait inutile. Peut être que

lent dans un langage inaudible.

au cinéma et donc le cinéma peut ren-

je ferais un autre genre de film. Même

Le contenu n’est jamais suffisamment

dre quelque chose à la vie.

ma définition du cinéma serait autre.

diffusé ni même clair pour que les gens

Je me demande si je dois me contenter

Mais comme je ne me sens pas capable

se l’approprient et s’en saisissent. Et si

d’avoir fait un beau film ou pourquoi

de faire les choses, je les matérialise au

le cinéma est vulgarisation, pourquoi

ce beau film ne va pas jusqu’à changer

cinéma, avec tout ce que ça comporte.

ne pas vivre cette vulgarisation dans

la vie réelle. C’est comme un écran

C’est le mélange d’impuissance, le

un tout. Pourquoi ne pas aborder la

transpercé par la vie. Surtout dans

mélange de créativité et de projection ;

société avec l’idée de vulgarisation en

nos sociétés en Afrique car la société

c’est ça qui détermine finalement le

permanence sans forcement qu’il y ait

occidentale a vu et compris en quoi le

genre de cinéma que je finis par faire. Je

une caméra. Moi qui n’ai pas une for-

cinéma pouvait lui être utile.

suis pour l’idée que le cinéma, s’il reste

mation autre que le cinéma, je brosse

au cinéma, me pose un problème

certains principes du cinéma et j’essaie

Afrikadaa -- Pourquoi le cinéma en Afrique n’a-t-il pas eu un impact sur la vraie vie ?

de les emmener dans la vraie vie. Est ce qu’on peut envisager un cinéma qui se fait dans le réel, sans caméra ? Ce livre est une compilation des articles que j’ai écrit sur la société camerounaise avec

Il y a eu des tentatives d’essayer

des défauts sûrement mais j’assume

d’utiliser le cinéma pour autre chose. Au

totalement ma posture de cinéaste et de

Burkina et au Niger on a fait du cinéma

quelqu’un qui n’est pas forcement dans

populaire. Au Mozambique il y a eu le

le système et qui essaie de comprendre

Couchankanema qui était le cinéma

ce qui se passe dans son pays. C’est

mis en place par la révolution et son

comme ça que j’ai conçu ce livre.

président Samora Machel dans l’idée d’éduquer les masses, mais qui s’est

Afrikadaa - Tu penses le cinéma comme la vraie vie. Cette manière de penser que le cinéma est un tout, penses-tu pouvoir l’appliquer dans ton quotidien ? Le cinéma peut-il aider notre société à mieux fonctionner, et résoudre ou apporter des solutions ?

transformé en cinéma de propagande. Il y a eu aussi cette idée d’utiliser le cinéma comme forme de militantisme pour lutter contre le colonialisme chez

Afrikadaa -En quoi le cinéma peut-il t’être utile ?

certains pionniers comme Sembene Ousmane. Il y avait une volonté de changer la réalité. Nous étions des peu-

Je n’ai pas envie de m’arrêter seule-

ples aliénés, colonisés et il fallait qu’on

Oui le cinéma à beaucoup de qualités en

ment à l’écran. J’ai envie de traverser

s’émancipe. Ils ont pensé que le cinéma

tant que discipline. Il y a identification.

l’écran et d’arriver dans le réel. D’où un

était un bon outil d’émancipation. Les

Les gens peuvent se reconnaître dans

désir d’engagement, d’agir, d’être dans

systèmes politiques d’aujourd’hui qui

celui qui parle, dans l’histoire.

l’action. Je fais des films quand je me

sont des dictatures, veulent continuer à

Il y a une structuration, on sait qu’il y a

sens impuissant par rapport à une situa-

contrôler les masses. Ils ont peur d’un

un début, un milieu, une fin ; il y a des

tion. Comme je ne peux rien faire, je crée

cinéma d’émancipation. Tout reste dans

29


l’ordre de l’aliénation. On parle beau-

cinéma ou l’esthétique qui va avec.

où je sens une incapacité généralisée.

coup du cinéma nigérian comme un

Au jeune camerounais je dis ceci : tu n’as

On n’arrive à rien faire, rien ne marche.

cinéma de divertissement qui représente

pas besoin d’avoir une caméra pour être

Et c’est un angle pour réfléchir à cette

une cartographie de la société nigé-

cinéaste. Cultive un regard sur la société

incapacité. Ce livre interpelle tous ceux

riane. Mais ce cinéma n’a pas vu venir

et c’est ce regard que tu vas traduire

qui s’intéressent à l’Afrique et surtout à

le phénomène de boko haram. Et en

dans ton cinéma. Il faut avoir un regard

l’idée de son développement.

même tant le Nigeria a produit Fela,

sur le monde et il ne faut pas attendre

l’artiste idéal africain qui incarne à la fois

d’avoir la camera. Beaucoup de gens

l’esthétisme, le militantisme, le mod-

abordent ce métier pensant que c’est la

ernisme. Un visionnaire qui a parlé et

caméra qui fait le regard.

dénoncé la corruption dans les années

Alors que le cinéma, c’est reculer les

70 quand personne n’en parlait. Il a

frontières du visible d’un individu,

Certains de mes articles sont du cinéma

été arrêté et torturé pour cet engage-

montrer l’invisible. D’ailleurs il y a une

pur, par exemple j’ai écrit une lettre

ment politique. Ce même pays a crée

expression populaire qui dit « viens

directement au président : « puisque

Nollywood, une industrie qui produit

voir le cinéma d’ici dehors. » C’est

vous êtes si bon et nous si mauvais,

des espèces de sitcoms populaires qui

l’expérience visuelle qui crée le cinéma.

que faites-vous donc avec nous ? Vous

vendent une réalité déformée, très

Tout le monde a une camera via le

nous avez fait perdre du temps, rendez

éloignée du quotidien des nigérians et

portable est-ce pour autant qu’on a

nous notre jeunesse » C ‘est beaucoup

maintient la masse dans l’ignorance. Ce

des films ? Est-ce que toute image

d’images avec toujours des métaphores

cinéma de divertissement, avec l’idée

est cinéma ? Est ce que tout texte est

camerounaises qui ont une vraie réso-

de divertir, de faire diversion, nous

littérature ? Aujourd’hui on tend à dire

nance dans la tête des camerounais.

empêche de voir la réalité. Le cinéma

que toute image est cinéma, j’ai des

Suite à cette lettre, il y a eu beaucoup

radiologique que je défend est un

doutes. Parce que tout texte n’est pas

de réactions , car j’emprunte le langage

cinéma où on fait un scanner, on mon-

littérature !

populaire dans un contexte politique

tre une radio de sa société avec toutes

Dans ma relation avec le Cameroun je

hermétique. Je joue avec tout ça. J’utilise

les fantaisies du monde ; la fonction du

suis acteur et commentateur de la vie

la figure du président car il est omni-

cinéma c’est de montrer. Nous qui pen-

politique. Mais de mon point de vue de

présent dans le pays. Je m’amuse à faire

sions que Nollywood montrait la société

cinéaste. Quand j’écris dans les revues

ce type d expérience afin de pousser au

africaine, on voit les limites de cette idée

ou journaux, je signe toujours en tant

bout cette forme de narration textuelle

de cinéma tel qu’il est pratiqué dans

que cinéaste. Cette activité de com-

imagée proche de cette idée de fabrica-

le continent. On pense que les films

menter, de regarder la société est une

tion de cinéma sans caméra.

engagés ne se vendent pas ; selon nos

activité de cinéaste qui se pratique sans

contextes, notre cinéma reste à trouver.

caméra.

On doit imaginer un cinéma en fonction du vécu, des paramètres, des données,

Afrikadaa - A qui s’adresse ce livre ?

des besoins. Peut-être qu’il faut créer un

Afrikadaa - Comment projettes- tu ton cinéma dans la société camerounaise ?

Afrikadaa - Dans cette nouvelle forme de narration que tu reformules, tu nous proposes un récit filmique visuel où l’on n a plus besoin de caméra.

cinéma spécifique avec l’esthétique cor-

C’est une interrogation sur l’action. Com-

respondant à chaque pays.

ment agir ? Je ne suis pas un politique.

Je n’écris jamais si je n’ai pas d’image.

J’ai la motivation d’un cinéaste qui voit

Chaque texte doit avoir une image. Ce

Afrikadaa -Qu’entends-tu par « cinéaste sans caméra » ?

les choses, qui veut changer la société.

sont les images que je raconte dans

Mais je n’ai que le cinéma. Je pose quand

le texte. Par exemple pour le texte sur

Je dois partir du contexte pour créer le

même des questions sur cette société

Abdoulaye Wade, j’ai titré ça : « à la

30


recherche des héros perdus » car il a dit

des medias camerounais où on dit tout

Jean-Pierre Bekolo Obama est

aux cinéastes africains de faire des films

et n’importe quoi. On est dans un con-

écrivain, producteur, réalisateur,

sur nos héros. Je lui ai répondu que lui

texte où rien n’est figé. Je raconte une

éditeur, conférencier. Bekolo

et ses collègues chef d’états devaient

histoire en cours. Or, on te dit qu’un film

Obama a remporté de nom-

être des exemples. On n’arrive pas à

doit avoir un début, un milieu, une fin.

breux prix internationaux. Son

faire des films sur des héros car nos chef

Il y a du camerounisme, car c’est nourri

premier film “Quartier Mozart”

d’états ne sont pas des héros on fait

par ce qui se passe ici uniquement au

a reçu le Prix Afrique en Créa-

des films pour le prix d’une voiture de

Cameroun. Le fait de vivre au Cameroun

tion au Festival de Cannes 1992.

leur cortège présidentiel. Le cinéma est

me motive pour faire ce genre de film. Je

Son deuxième film “Le complot

très présent dans tous ces textes là ; car

travaille en ce moment sur un film avec

d’Aristote” a été commandée

il est important que le citoyen lambda

l’écrivain Mudimbé, un concentré de

par le British Film Institute pour

comprenne et s’approprie cette forme

l’invention de l’Afrique. On fantasme sur

célébrer le 100e anniversaire

d’écriture imagée .Je raconte simple-

l’Afrique. Mais Mudimbé permet de nous

du cinéma. Son nouveau livre

ment ça sous forme d’essai sans le

resituer dans la mondialisation. Pour lui,

“Africa for the future” a été pub-

transformer en fiction.

l’Afrique est une invention occidentale.

lié en 2009 aux Editions Dagan,

Comment se réinventer sachant qu’on

Paris. En 2005 Il réalise “Les

a été inventés par les Occidentaux ?

Saignantes”. Ce long métrage

Ce sont ces questionnements que

a remporté L’Etalon d’Argent et

j’interroge en ce moment dans mon

le prix d’interprétation au Fes-

cinéma.

paco 2007 à Ouagadougou.

Pour moi, le cinéma est possible sans

Comprendre le sens d’être un africain

Son installation video “Une

l’image. Le cinéma c’est la meilleure

dans le monde. L’Afrique est pauvre

femme africaine dans l’espace”

image qu’on se fabrique soi même. Il y a

et riche à la fois. Quand on veut filmer

fut exposée au Musée du Quai

un cinéma à trouver. Est-ce que l’image

en Afrique on va chercher l’argent en

Branly à Paris en 2008. Il a

doit être redondante ?

Europe alors qu’on a des richesses

étudié la sémiotique du cinéma

Il faut écrire des romans comme on écrit

naturelles, alors que l’argent n’est

à Paris avec Christian Metz et a

des films et faire des films comme on

qu’un système de valeur. Je trouve très

enseigné à Chapel Hill, Univer-

écrit un roman. J aime cette idée de ne

absurde qu’on aille chercher de l’argent

sity of North Carolina et Duke

pas répéter les choses. Le Cameroun

en Europe pour produire de l’art alors

University. Lors de son passage

m’a permis d’aiguiser mon regard de

qu’on a des diamants, de l’or et des

à la Clinton School of Public

cinéaste sans forcement filmer. J’en sors

richesses minières. Dans mon cinéma

Service, il a développé une méth-

un genre cinématographique propre à

je veux proposer un monde qui n’existe

ode d’enseignement des médias

mon univers.

pas. Une Afrique repensée et réinventée

dénommée “Auteur Learning”

par les africains eux-mêmes. Les Afric-

qu’il expérimente dans les Uni-

ains n’imaginent pas assez leur avenir.

versités noires-Américaines.

Ils laissent leur futur être inventé par

“Auteur Learning” qui a été

d’autres.

utilisé au Philander Smith College

Afrikadaa -Cette forme de narration que tu expérimentes en ce moment peut-il tuer ton cinéma ?

Afrikadaa -Parle nous de tes derniers films Le film « Le Président » est un aboutisse-

en Arkansas. Il est aussi le Secré-

ment de cette façon de faire du cinéma.

taire général de la Guilde des

C est l’exemple type de cette définition

cinéastes africains et membre

de repenser le cinéma au Cameroun. Sa

fondateur de la World Cinema

forme ne ressemble à rien. Je m’inspire

Alliance.

31


ART TALK

L’archive filmée et la période coloniale sous domination française en Afrique : d’où repartir pour rompre le déni ? Par Valérie Osouf

Portrait de Valérie Osouf par Alexandre Gouzou

Réalisatrice de documentaires attachée à

l’intentionnalité de produire une image

ont poursuivi la production des archives

une ré-adresse de l’historiographie colo-

qui fera archive modifie en profondeur

officielles des États de l’ancien Empire plu-

niale de mon pays, la notion d’image en

sa composition. Ainsi, une exploration à

sieurs années après les Indépendances et

mouvement m’évoque naturellement

l’intérieur du cadre de l’archive amateure

que celles-ci sont jusqu’à présent acces-

l’archive filmique.

ouvre-t-elle souvent l’accès au sensible,

sibles à Saint-Ouen, plutôt qu’à Yaoundé,

grâce à l’absence de maîtrise du filmeur

Dakar, Niamey, Bamako, Libreville,

De là, quelques enjeux concrets et théor-

qui laisse ainsi échapper des traces de

Yamoussoukro, Antananarivo, Lomé, Ban-

iques se dégagent aussitôt, liés pour la

vérité, mais aussi à sa subjectivité assumée

gui, Cotonou, Nouakchott, Ndjamena ou

plupart d’entre eux à la spécificité du cor-

comme telle et donc ouverte dans son

Ouagadougou. Bien entendu, tel n’est pas

pus :

essence même à la mise à distance. Ce

le cas pour la Guinée Conakry de Sékou

double-mouvement de distanciation et

Touré, ou l’Algérie d’Abderrahmane Farès,

de spontanéité lui confère toute sa den-

de Ferhat Abbas et d’Ahmed Ben Bella.

sité. À ce titre, il importe donc de répéter

Ainsi, la question de l’appropriation de

la nécessité déterminante de la collecte

sa propre image – officielle – par les

d’archives amateures et familiales pro-

nouveaux États indépendants perdure-

duites durant la période coloniale.

t-elle jusqu’à la création des chaînes de

Quels sont les différents statuts des archives coloniales ? Qui compare les archives officielles et les archives amateures durant la période coloniale relève d’emblée la rich-

À contrario, l’archive officielle ne

télévision nationales, renforcée par une

esse des secondes – quoique plus rares

révèle en général l’intérêt de sa substance

très longue période – notamment avec

et/ou peu inventoriées - par rapport aux

interprétative qu’avec le recul temporel.

l’apparition de la vidéo – durant laquelle

premières.

Elle représente bien entendu une source

les fonds des chaînes n’étaient ni con-

Bien que les archives amateures

passionnante pour le/la documentariste,

servés, ni inventoriés.

aient dans leur écrasante majorité été pro-

marqueur du point de vue d’un État à une

duites par les colons eux-mêmes et que

époque donnée.

Malgré la mainmise gouvernementale en amont comme en aval

les sources proviennent donc d’un point

Soulignons à ce propos que les

de la production et de la diffusion des

de vue non-antagoniste et dominant,

agences françaises (Pathé Gaumont)

archives officielles, on peut être surpris

32


par la liberté de ton de certains éléments

ou militantes, etc.. En fixant ces sources

l’instar des États-Unis (Nara, National Con-

de l’ORTF (pourtant fortement contrôlée

par l’enregistrement (pellicule ou vidéo)

gress Library...), considérer que les fonds

par le pouvoir gaulliste) mais aussi de

qui permet de les inscrire dans le mouve-

publics appartiennent au public et que

l’ECPAD (le fonds d’archive des armées),

ment du film, elles sont érigées de manière

les coûts de production des archives ont

images créés par des réalisateurs talen-

plus ou moins élastique au rang d’archives.

déjà été assumés par le contribuable. Ou

tueux, qui tendent à être plus séditieuses

Mais quand je filme aujourd’hui un objet

encore envisager une grille tarifaire bien

(explicitement ou non) que nombre de

ou un document produit hier, produis-je

plus étendue et proportionnelle à chaque

reportages produits à l’ère de la multiplic-

une archive ? Et si oui, à quel niveau et à

budget de production. En effet, la cherté

ité démocratisée des médias numériques

partir de quand ? Je dois alors demander

des archives publiques et/ou officielles

actuels. C’est ainsi que dans mon long-

à mon spectateur d’admettre comme

filmées prive de fait nombres documen-

métrage, L’Identité Nationale - qui ne

archive toute source pouvant instruire un

taristes d’un matériau précieux, générant

traite pas directement de l’Histoire colo-

point de vue marqueur d’une historicité.

ainsi une forme de censure larvée, exercée

niale mais plutôt de la xénophonie d’État

L’alternative – passionnante - à

encore plus fortement sur les cinéastes

-, j’ai choisi d’intégrer l’extrait d’un docu-

cette quasi-absence d’images d’archives

issus de l’ancien pré-carré, cinéastes dont

mentaire d’Igor Barrère et Étienne Lalou

filmées, du point de vue de ceux qui subis-

les voix sont plus que jamais nécessaires

(diffusé le 19 octobre 1959) sur la prison

sent est de travailler autour d’une béance,

pour atteindre la polyphonie indispensa-

de Fresnes, film destiné à la télévision qui

à l’instar de Claude Lanzmann ou de Chan-

ble à une historiographie digne de ce nom

questionne dans ses fondements, par sa

tal Akerman qui creusent cette question

de la période 1884-1962.

voix-off comme sa mise en scène, la fonc-

éthique, esthétique et politique tout au

tion sociale de l’Institution pénitentiaire ;

long de Shoah ou Sud, par exemple. Ce

point de vue autrement plus subversif que

faisant, c’est le spectateur lui-même qui

les nombreux éléments télévisuels con-

produit alors l’archive, convoquant une

temporains, qui se cantonnent en général

série d’images mentales situées aux carre-

Là, s’ouvre toute la question du

à la question des conditions de détention.

fours de la parole des films, de sa mémoire

hors-champ (Pendant que le cameraman

et de son imaginaire.

filmait telle ou telle cérémonie officielle

Devant le manque d’archives film-

Qu’est-ce qui est considéré comme digne d’être filmé à l’époque ?

iques qualifiées comme telles, produites

orchestrée au millimètre, les gendarmes

par les anciens sujets de l’Empire et pour

Quel accès aux archives officielles ? frappaient les manifestants à coups de

opérer un travail qui viserait à croiser les

baïonnette juste derrière le stade ; Quelle

faits comme les enjeux de perception,

Au-delà de la restriction de nombreux élé-

images de fins de journées des expositions

on peut être amené à ouvrir la notion

ments, au titre du secret d’État ou du secret

coloniales, après le départ des visiteurs ?)

d’archive. Ainsi, doit-on inclure d’autres

défense (qui peut en France s’étendre

mais aussi celle du rapport de classes (cer-

éléments en leur attribuant cette fonction.

jusqu’à 120 ans, soit le temps de l’oubli),

taines catégories de population n’étaient

Des lieux, des objets, des œuvres d’Art, des

un entre enjeu mériterait débat : celui du

jamais filmées, y compris dans l’hexagone).

enregistrements de chansons populaires

coût des archives. En effet, on pourrait, à

Aujourd’hui, avec la démocratisa-

33


ART TALK

Image extraite du film “Venezia 70 Future Reloaded “ de Haile Gerima

tion des outils d’enregistrement sonores

points de vue ?

En général, cette modification n’était

et filmiques, s’opère une modification pro-

On doit également s’interroger

pas prévue. C’est cet accident qui ouvre

fonde des sources et par conséquent, de

sur la manière dont ces images – une

la voie à une interprétation dialectique

la nature des documentaires historiques à

mémoire surdimensionnée, numérique

de l’archive et il faut donc emprunter au

venir. Cette ouverture exponentielle offre

donc éminemment fragile – vont être

regard de « l’Autre » (celui d’avant comme

aux documentaristes de films d’Histoire de

stockées, traitées et travaillées dans les

celui d’ailleurs), et adresser sa position.

demain un choix inextinguible de sources,

décennies à venir.

Or, les moyens techniques, la répression

un éventail produit par la quasi-totalité des couches de la société mondiale. Mais à

et le pillage économique ont privé la

Qui regarde qui, pour qui ?

l’heure de l’omniprésence des caméras de

majeure partie du globe de produire ses propres archives, ce durant des décen-

surveillance en parallèle à la prolifération

La sous-image (comme le sous-

nies. De cette partialité de fait, il résulte

de millions de selfies, ce flot implique-t-il

texte) surgit en effet quant le destinataire

que pour réaliser un documentaire tout

intrinsèquement une réelle diversité de

change (dans le temps ou dans l’espace).

en archives qui se déroulerait sous le joug

34


35


colonial, le recours à la voix-off, aux effets,

compter sur l’impossibilité de contrôle

recours à l’archive news s’avère plus prob-

à la surimpression de textes ou à un usage

total des archives écrites et sur le travail

lématique, souvent restreint à sa fonction

très interprétatif de la musique s’avèrerait

remarquable accompli par les historiens,

illustrative.

quasiment incontournable. Dans ce

en commençant par Achille MBembe

J’aurais aussi voulu évoquer

champ, il faut absolument revoir La Rab-

et Richard Joseph, plus tard relayés par

l’évolution de mon rapport à l’utilisation

bia, de Pasolini (1963), un film exceptionnel

d’autres confrères. Quant au pouvoir cam-

des archives dans le documentaire, ma

de montage d’archives d’actualités des

erounais d’Ahmadou Ahidjo, il censurait

tentative de fabrication d’une archive en

années 50 tendu de tout son long par la

lui aussi l’iconographie politique de cette

16mm dans mon premier film, Sans Com-

voix-off du cinéaste, monument de 100

période et tout individu trouvé en posses-

mentaire (1997), la difficulté plastique sur

minutes qui contient un chapitre mag-

sion d’une photographie d’un des leaders

laquelle j’ai butée en tentant de tordre à

nifique sur la répression des mouvements

de l’UPC était passible des camps (Tchol-

l’image ou au son une archive du discours

d’Indépendance.

liré, Mantoum, Mokolo...). Dans le cadre

de Grenoble de Nicolas Sarkozy, la notion

d’un film et devant un tel effacement sys-

de contrepoint, les différents rôles que les

tématique des traces, on est donc poussé

archives peuvent revêtir en fonction du

à travailler avec le hors-champ, à recueillir

montage et de ce qu’il convoque en terme

Lors de la recherche d’archives

de la parole (sachant que les témoins sont

de sous-image, variations explorées avec

que nous avons menée durant 2 ans avec

en train de disparaître) ou encore à envis-

ma monteuse Valérie Pico dans mon dern-

Gaëlle Le Roy pour la réalisation de notre

ager la fiction pour dire le réel.

ier court-métrage, Je te le Rappelle, Tu t’en

Quid de l’effacement des traces ?

documentaire Cameroun, Autopsie d’une

Souviens, mon addiction aux archives et

Dans quelle temporalité et quelle température géopolitique revoit-on les images ?

l’écueil de ce penchant, mais ce sera pour

ment. Directement et via de nombreux

Aujourd’hui, chacun perçoit ai-

relais, de New-York à Moscou, en pas-

sément la fonction propagandiste des

sant par Conakry, Alger, Belgrade, Pékin,

archives d’actualités coloniales, dans les

Karthoum, Accra, Londres, Vincennes, Aix-

sujets traités, certes (en général ethno-

en-Provence et Paris, nous n’avons trouvé

graphico-folkloriques ou journaux du pas-

aucune archive filmée des bombarde-

sage des représentants de la puissance

ments au Sud et à l’Ouest du Cameroun sur

coloniale qui viennent inaugurer tel ou

la période 1955-1971. De même, les trois

tel accomplissement, ou célébrer tel ou

discours de Ruben Um Nyobè au siège des

tel anniversaire) ; mais aussi dans les axes

Nations-Unies ont-ils « disparus ». Seul un

choisis et la composition des plans elle-

enregistrement sonore subsiste, conservé

même. De même, un sujet du journal

par un ancien résistant. Les autorités colo-

télévisé nord-coréen sera dans le reste du

niales et leurs relais avaient ainsi planifié

monde instinctivement regardé à distance

que sans archives iconographiques, dans

critique. En revanche, cette acuité du re-

leur première fonction de preuve, la dif-

gard et de la perception tend à s’effacer

fusion du massacre physique et politique

dès lors qu’on entre dans son propre

du mouvement nationaliste camerounais

champ, géographique et temporel. Ainsi,

passerait tout simplement à la trappe de

en travaillant non plus sur l’Histoire colo-

l’Histoire : un « trou d’Histoire ». C’était sans

niale mais sur ses échos contemporains, le

Valérie Osouf est réalisatrice de documentaires. - Sans Commentaire (1996) - Verbotonal (2000) - Cameroun, Autopsie d’une Indépendance (coréalisation - 2008) - L’Identité Nationale (2012) - Je te le Rappelle, Tu t’en Souviens (2014) Ses deux derniers films sont produits par Granit, structure cofondée avec les cinéastes Newton I. Aduaka et Alain Gomis.

Indépendance (produit pour France télévisions), nous avons cerné la conscience immédiate que les autorités coloniales avaient du pouvoir de l’image en mouve-

36

une autre fois...


Ci-dessus et page précédente : Retour de Ruben Um Nyobè d'un voyage à New-York dans le cadre d'une plaidoirie pour l'indépendance et la réunification du Kamerun aux Nations-Unies.

37


ART TALK

Mouvement des corps, sérialité des images Entretien réalisé par Seloua Luste Boulbina

Dessins de Ernest Breleur Courtesy maëlle galerie - photographies jean-luc de laguarigue

Ernest Breleur (1945-) vit et travaille en

art, j’ai copié certains maitres. Je pense

En 1984, j’étais membre du

Martinique. Il a repris la pratique du

notamment à Rembrandt et ses têtes de

groupe Fwomajé (recherche d’une esthé-

dessin après avoir, pendant des années,

nègres. Pour ma série peinte « Mythologie

tique Caribéenne) et déjà la question du

travaillé la sculpture et l’installation.

de la lune », j’avais réalisé de nombreuses

désir de la vie et même du désir tout

L’entretien a été réalisé en juillet 2014 à

études au crayon et au feutre. Le dessin

court se faisait sentir. Je peux citer deux

Fort-de-France.

est pour moi une pratique majeure dans

œuvres importantes de cette période : ma

le champ des arts plastiques pouvant

première peinture exécutée en tant que

permettre l’émergence d’œuvres de tout

membre du groupe est de forme totém-

SLB : Les dessins sont-ils pour toi un complément de ton travail, mené en parallèle, ou une nouvelle voie que tu explores ? Car, aujourd’hui, tu travailles sur une gigantesque série que tu as nommé « L’Énigme du désir ». Elle montre un mouvement dans ton travail. Celui-ci prend des directions variées qui se développent de façon rhizomatique. On dit du reste que le rhizome a une fonction de réserve d’énergie qui permet la multiplication végétative de la plante et à l’aération du sol.

premier ordre. J’envisage cette pratique

ique et pourrait être intitulée “l’oiseau et

graphique en cherchant ses limites par

l’œuf” ; la seconde, de la même période,

rapport à la peinture. Dans la derniere

est “le mariage du soleil et de la lune“ qui

série, quelques uns de mes dessins peu-

vont engendrer la terre.

1

vent être considérées comme étant des

L’œuvre dessinée récente que je

peintures. La question de la limite du des-

développe depuis plus d’un an fait suite

sin est d’importance. Je crois que l’artiste

à la série de sculptures colorées que j’ai

doit être critique de son propre travail et

réalisées durant les années 2010 en me

envisager une remise en cause de ce sur

posant la question du vivant. J’ai écrit

quoi il travaille.

pour cette série un texte intitulé : “le

Du point de vue du sens, sen-

vivant de questions en questions”.

sualité, érotisme, désir, sont véhiculés

Comme tu le constates, certains

dans ma pratique actuelle du dessin. Je

aspects de mon travail actuel partent de

dois te dire que ces questionnements ne

loin et interrogent le corps, la sensualité,

J’ai toujours pratiqué le dessin

sont pas si nouveaux dans mon œuvre

l’érotisme, le désir. Je peux dire que j’ai

et, quand j’étais tout jeune étudiant en

plastique, ils sont apparus lors de mes

eu très tôt et progressivement une con-

premières réalisations en peintures.

science de toutes ces notions incluses

1 ² 9RLU SDU H[HPSOH © 'HVVLQV GH WUDQVLWLRQ ª

38


dans mon travail plastique. Une certaine

nouveaux dessins.

considération que la peinture. Il est à mes

accélération s’est produite à la suite d’une

Je comprends tout à fait les rai-

yeux une pratique majeur et autonome.

visite dans mon atelier de l’écrivain Milan

sons de ta question J’ai été mû par une

Je cherche à faire émerger une expres-

Kundéra qui, à cette occasion, a mis en

profonde volonté de repasser à la pein-

sion sensible et poétique amplifié avec

évidence la présence d’une sensualité et

ture. Cela me travaillait au corps depuis

une “pauvreté” de moyens, mais aussi

d’un puissant érotisme dans mes pein-

quelques temps. Elle me me manquait.

l’expression d’une extrême exubérance,

tures. Cette observation formulée allait

Quant il s’est agi de revenir à la peinture,

et de mouvement. Dans cette affirmation

me conforter et même dans une certaine

s’est imposée à moi l’idée que je devais

du mouvement et de l’exubérance com-

mesure orienter ma pratique.

passer par le dessin. Passer par le dessin

ment ne pas rejoindre A. Masson ?

Aborder, inscrire ces préoccu-

incluait aussi l’obligation de considérer

L’idée du vivant et du désir est

pations dans le corps des œuvres ne se

tout mon travail pictural. Ce retour au

un moteur de ma création, il ne s’agit à

fait pas sans impunité dans mon lieu très

dessin se fait après une absence de pra-

aucun moment de trouver réponses à

fortement judéo-chrétien. Ce qui peut

tique de vingt ans. Je me dois de dire

mes questionnements au travers de ma

expliquer le nombre très réduit d’artistes

qu’une circonstance extraordinaire va

peinture, mais trouver là cette possibil-

abordant le corps avec ce cortège de

aussi déterminer mon travail actuel. Le

ité de faire œuvre. Je voudrais avant de

questionnements. Hormis le travail de

désir de faire une œuvre graphique se

conclure ce petit paragraphe te prendre

mon ami Michel Rovelas en Guadeloupe,

réalise aussi par une sublime rencontre.

un peu à témoin, comme tu le vois, il y

notamment ses dessins récents. Com-

Celle de mon ami José Hayot qui m’invite

a dans mon travail une absence de lieu.

ment ne pas relever un paradoxe de

à passer quelques jours sur l’ilet Long et

Le lieu est celui de la plastique où les élé-

taille ancré dans ce pays issu de la société

m’offre la possibilité de faire comme tous

ments formels se disputent une place

de plantation ? Elle est moralisante et

les artistes de passage sur l’ilet d’exécuter

dans leur désir de présence dans l’espace

pourtant simultanément offre à travers la

quatre dessins qui viendront compléter

de l’œuvre. Il ouvre sur la singularité

mode des corps parés, laissant apparaitre

sa collection d’œuvres de ses amis. Ceci

de l’artiste. L’animation de l’espace, je la

un extraordinaire érotisme et une sensu-

avec l’approbation complice de mes

nomme mise en mouvement des con-

alité exacerbée.

deux autres amis présents à savoir Patrick

stituants de l’œuvre.

SLB : Tu as choisi d’abandonner les suspensions que tu as développées durant plusieurs années et qui composent la – très nombreuse - population de ton atelier. Le moindre souffle d’air les anime, les fait harmonieusement bouger. Elles sont filiformes. Dans ton travail actuel, tu as opté pour une forme fixe qui, dans le même temps, montre systématiquement des corps de femmes – rondes – en mouvement, elles aussi, il est vrai, suspendues dans un élément indéterminé : air ou eau. Pourrais-tu préciser l’articulation entre tes dernières sculptures et tes

39

Chamoiseau et Jean Luc de Laguarigue.

Je cherche dans l’expérience

Après avoir passé en revue mes

esthétique à donner à voir une présence

différentes périodes artistiques je con-

des corps dans la matière graphique,

sidère que mon travail de dessin est une

l’affirmation d’une poétique sans pathos,

suite logique de mes dessins entamés

en même temps qu’une grande finesse

lors de la période de la mythologie de la

expressive.

lune (les dessins préparatoires), mais aussi

Je ressens à travers tes questions

des peintures de la série blanches. Mon

tout l’intérêt que tu portes à la question

œuvre graphique d’aujourd’hui reprend

du mouvement dans mes dessins, comme

tout un ensemble de questionnements

tu as raison le mouvement évoque pour

antérieurs en les amplifiant. Il est nette-

moi le bing bang, l’explosion qui a créé

ment plus baroque. De ce baroque

une fulgurance génératrice de l’univers.

Edouard Glissant disait qu’il est un mode

Le tableau dessiné est pour moi une

de connaissance qui procède par circon-

métaphore de ce fameux bing bang où

volution alors que la science procède de

tout grouille et s’entrelace.

manière directe. J’aborde le dessin avec la même

Je peux aussi te répondre concernant ma manière de travailler, il s’agit,


à partir de mes premières idées, de réal-

qu’artistique. Je peux dire qu’il pratiquait

fraction du champ social. Ces libertés

iser une petite série puis d’élaborer un

la relation entre éthique et esthétique.

acquises par la révolution romantique

court texte de manière à concentrer et

Son origine du monde scandaleux à

assurent l’émancipation du sujet pensant,

coucher mes idées sur le papier. Ce texte

l’époque a certainement répugnée à la

avec, comme conséquence une libéra-

est ouvert, c’est l’œuvre qui dans son

bourgeoisie. En réalité cette peinture en

tion du corps.

surgissement agit aussi sur mon état de

dit plus que ce que l’on en dit. En effet

Avant Courbet, le néo-classique

créateur, il n’est jamais l’illustration du

dans la part d’ombre de cette œuvre se

montre des corps presque toujours asex-

texte. Cette façon de procéder permet la

cachent les non-représentés par l’artiste.

ués. La nudité apparaît sans sexe, un peu

conduite de l’expérience esthétique, qui

Je perçois cette œuvre de manière par-

comme les anges. « L’Origine du monde »

d’ailleurs m’enseigne et me rend disponi-

ticulière et j’en mesure autrement la

est un choc esthétique et un choc moral

ble à l’inattendu. Le philosophe Héraclite

portée. Du coup je peux supposer que

même pour une fraction de la bourgeoi-

disait qu’il faut s’attendre à l’inattendu. La

les “entrailles” de cette femme mon-

sie de l’époque. Cette peinture n’est pas

conduite de l’expérience esthétique est

trent avant tout le lieu du surgissement

hyperréaliste mais presque, elle n’est pas

source de plaisir quand elle se déroule

du désir, de la vie et simultanément la

non plus photographique mais presque.

dans la liberté. Cela revient à dire que la

présence du désir-plaisir, désir aveuglant

L’insupportable présence de cette frac-

contrainte et la liberté sont inhérentes à

provocant chez le regardeur un insouten-

tion de corps est jetée au visage du

l’exécution de l’objet artistique. La con-

able regard de la chose en question. Je ne

regardeur. Courbet est l’artiste qui met

trainte relève de la voie et des moyens

sais trop si c’est un artiste ou un philos-

en exhibition le caché du corps, l’intime

utilisés pour l’apparition de l’œuvre.

ophe qui disait qu’en regardant l’œuvre

de l’être féminin, il montre en gros plan

elle nous regarde je cite approximative-

l’objet du désir, la source du désir, la

ment : “lorsque nous peignons le paysage

fontaine du désir, le réceptacle de la

lui aussi nous regarde”.

première goute de la vie. Bien évidement

SLB : Tu fait référence à « L’Origine du monde », de Courbet. En montrant un sexe de femme, de face, le peintre a pointé non seulement un lieu mais aussi un lieu de vie. Quel sens Courbet a-t-il pour toi ?

Ce chef-d’œuvre est contempo-

Cela me fascine. Je peux encore ajouter

rain d’un autre chef-d’œuvre le “Déjeuner

qu’il met en évidence la source de la vie,

sur l’herbe“ de Manet, qui est en relation

la source du désir de vie, et enfin la fon-

avec l’évolution des mœurs. Aux liber-

taine du désir. Je reprends ici l’idée que

tés acquises correspond une évolution

cette peinture a sa part d’ombre d’où

Courbet a été un artiste sub-

des mœurs : nous voyons apparaitre la

sa puissance énigmatique comparable à

versif tant du point de vue politique

naissance du nudisme qui traverse une

celle de l’énigme du désir.

40


Je considère que la vie est l’objet

manifestations. Il est dévolu aux oiseaux

dans la conscience de tout le vivant?

d’un désir puissant. Je l’ai affirmé dans

la réalisation de la sexualité entre fleurs

L’origine du monde et la question du désir

un texte avant mes récentes sculptures.

mâles et fleurs femelles. C’est dans le désir

soulèvent toutes les grandes questions

Dans “Le vivant de questions en ques-

de butiner certaines couleurs cachées

métaphasiques inlassablement posées.

tions”, je soutiens l’idée d’une volonté

par les ultra-violets que les oiseaux et

Mon ambition n’est pas de résoudre ces

forte de l’infiniment petit pour l’accès à la

les insectes vont amorcer le processus

énigmes mais avant tout avoir une pen-

vie c’est-à-dire à l’animation et au mouve-

de pollinisation. En butinant ils opèrent

sée qui m’accompagne pour l’émergence

ment.

une sexualité indirecte. Les fleurs sont

d’œuvres significatives.

Ma fascination pour cette ques-

fécondées par des armées d’oiseaux et

SLB : Tu dessines exclusivement des chez toutes les espèces. Le désir de la pas la chance d’être butinées vont offrir corps féminins, des séries de femmes reproduction, de la dissémination, la pro- leurs graines au vent pour pénétrer au en mouvement. L’animation traverse création chez le vivant est commun. Il est cœur de la fleur femelle. ton travail. Dans la « Mythologie extraordinaire de constater que toutes La vie ne peut se transmettre de la lune », on reconnaît bien les les espèces sont pourvues des moyens sans désir, en premier lieu le désir sexuel. corps qui sont les tiens. Elles étaient afin de provoquer le désir. Concernant La perpétuation de la vie est une con- sans tête mais déjà assez aériennes. les humains, et les espèces animales, les séquence du désir sexuel. Je ne vais pas Aujourd’hui, tes femmes sont entières. dotations se ressemblent. aborder ici l’énigme des énigmes: Qui a Elles ne sont pas pour autant reconConcernant la flore, le désir inscrit ces mécanismes si complexes et si naissables. tion du désir vient du fait qu’il existe

d’insectes. Certaines plantes qui n’ont

relève d’un autre processus dans ses

efficaces et si judicieusement distribués


Je te dois effectivement une explication

ma présence au monde. Je me sens con-

l’idée de la mythologie de la lune. Chaque

concernant les corps sans tête, c’est man-

stamment dans une relation entre grand

toile est un “événement”: l’accession à

ifestement l’expression d’une absence,

et petit contexte. A ce propos, Glissant

la lune. A cette époque je pratiquais la

une absence d’identité en même temps

disait souvent que c’est dans la démesure

peinture en m’appuyant sur des dessins

que la présence d’un tragique. Cette

que l’on trouve la mesure.

préparatoires, je me souviens d’avoir

absence me permettait de représenter

croqué des enfants qui faisait une ronde

SLB : Il faudrait parler de la « ronde absence demeure encore dans mon tra- », ou de la « rondeur », qui interpelle vail actuel, alors que la tête est présente, dans tes dessins. Leur univers est celui elle est maintenant anonyme, sans aucun de la prolifération, de la multiplicité. trait. Tes femmes ne se tiennent pas propreLes corps que je soumets à ment par la main mais elles « dansent l’expérience esthétique sont caracté- » et sont toujours en contact les unes ristiques de mon travail artistique, ils avec les autres.

dans la cour de récréation se situant non

sont singuliers. Là aussi se manifeste

sens à la notion de désir. Dessiner c’est

des corps de femmes du monde. Cette

loin de moi . Cette ronde deviendra par la suite un motif déterminant dans mon travail de peinture et de dessin. Ce motif deviendra de plus en plus complexe. La notion d’entrelacs est constante dans les œuvres dessinées les constituants se touchent, se frôlent comme pour donner

l’expression d’un paradoxe: leur rondeur

Ce n’est pas celle de Matisse, qui

donner à voir l’impression de mouvement

et leur flottaison. C’est cette tension entre

d’ailleurs s’intitulait la danse. En 1989 je

qui instaure une relation intime entre les

rondeur (poids) et impression de flottai-

vais entamer une série de toiles autour de

corps, de par leur positionnement dans

son qui confère un caractère singulier à mes compositions actuelles. Un autre paradoxe est décelable dans ces dessins, il se manifeste dans la relation entre le poids supposé des corps et le sentiment de mouvement. Mes premières œuvres offraient déjà au regardeur une forte présence féminine, mais en scrutant toutes les périodes nous percevons l’existence du masculin. Disons que la présence des corps féminins est prépondérante. C’est bien que je considère le féminin comme porteur de la vie Le corps féminin est le lieu de cette extraordinaire alchimie qui précède la vie. Tu as du constater une certaine démesure dans les grands dessins, la démesure se trouvait déja dans mes grandes installations. Cette démesure est affirmée certainement comme une opposition à l’étroitesse de mon lieu-île mais aussi ce désir persistant d’embrasser le monde, une affirmation avant tout de

42


l’espace du tableau. Le dispositif qui con-

l’impression d’être dans un gouffre, un

struit l’espace et les éléments formels des

lieu sombre. En sortir est aussi un plaisir

compositions sont dédiés à l’émergence

presque incommensurable : c’est comme

de l’idée de désir.

un accès à la lumière, et, métaphorique-

La prolifération certainement

ment, l’inscription de la vie dans l’être.

issue de ma fréquentation assidue des

Avant de clore cet entretien je

fonds marins, elle évoque certainement

voudrais indiquer que j’ai longtemps tra-

ces bancs de poissons tourbillonnants

vaillé sur la question de la mort l’autre

qui m’entourent très souvent. J’éprouve

versant de la vie. C’est en fréquentant ce

un plaisir inouï à me retrouver au cen-

versant que progressivement je me suis

tre de ces tourbillons que provoque le

installé sur le versant de la vie. J’ai aussi

déplacement rapide de ces poissons.

un peu fréquenté une petite partie de

J’aime pénétrer au cœur de ces bancs

l’œuvre du philosophe Levinas notam-

de poissons de lumière. Pour moi, incon-

ment Le temps et la mort et j’ai retenu

sciemment, c’est revenir au confort et à la

que dès la naissance la naissance la mort

protection de la matrice maternelle. Cer-

est inscrite dans le vivant. Curieusement

tains bancs de poissons sont quelquefois

plus mon temps s’écoule plus la question

d’une densité incroyable et me donnent

du vivant se pose à moi.

Seloua Luste Boulbina est directrice du programme “ La décolonisation des savoirs “ au Collège international de philosophie à Paris et chercheuse associée HDR au LCSP, université Paris Diderot, Paris VII. Elle a publié: “Grands Travaux à Paris”, La Dispute, 2007, “ Le singe de Kafka et autres propos sur la colonie “ éditions Sens public, 2008. “ Les Arabes peuvent-ils parler ? “ éditions Black Jack, 2011, Payot Poche 2014.


ART TALK

Performance is Perhaps a Ghost performing All the Time Decolonial Aesthetics through Nigerian Performance Art in Dialogue with Video By Lotte Løvholm

Following the footsteps of a red

mance by Nigerian artist Jelili Atiku

mummy-like creature covered in bal-

called In the Red #16: Obaranikosi. It

loons, 80 audience members force their

was performed at Kunsthal Charlot-

way through the entrance of a small

tenborg in Copenhagen, Denmark, in

exhibition space. As they enter the space

January 2014 as part of Atiku’s six-years

a video of the mummy is projected into

long performance project In the Red

the corner, hitting two walls simultane-

that investigates the human tendency

ously. The mummy lies in the middle of

towards self-destruction. It was a parallel

a busy street in Lagos where cars and

performance that was first performed in

tuk-tuks are passing by. Pedestrians

Lagos and then translated into a Danish

stare curiously at the mummy, and the

context. Atiku is concerned with “deco-

mummy rises to walk. Meantime the

lonial aesthetics” in his art and in this

mummy lies before the video projection

particular performance it manifests itself

encircled by balloons in the corner.

in the form of a distortion of time.

Suddenly, it starts rolling around

In Western philosophy time is

on the floor dragging the attached

often based on chronology and we use

balloons with it. The mummy then

time as a way of measuring our lives (e.g.

leaves the room through a door from

how productive we are), which suggests

where the video is being projected.

an objective timeliness. Atiku challenges

The mummy re-appears. It is now at

this concept of time through his use of

sea standing at the bow of a wooden

video as part of the performance. The

boat. Again, it disappears. A 5-year old

video showing the performance from

boy walks towards the video projection

Lagos is already playing when the audi-

and stops where the two walls meet. He

ence enters the room.

looks intensely at the projected mummy and at his own shadow. The video loops.

As Atiku enters the room with the video projection, he faces himself in

The above is a description of a perfor-

44

a 14 minute compressed version of his


Photographer Rine Rodin, performance “Obaranikosi” by Jelili Atiku at Kunsthal Charlottenborg, Copenhagen, 25/01/14

45


Photographer Rine Rodin, performance “Obaranikosi” by Jelili Atiku at Kunsthal Charlottenborg, Copenhagen, 25/01/14

Photographer Deji Ajose, performance “Obaranikosi” by Jelili Atiku on Third Mainland Bridge, Lagos, 12/12/13

Lagos performance. The video follows

again and the audience therefore sat for

movements become unpredictable as

Atiku as he sets off in a rowboat in the

quite sometime looking at the projected

she will be jumping in one spot one

high-density area Makoko. He uninten-

video from Lagos, which looped twice

second, and the next she will appear ten

tionally falls into the polluted water,

during their time inside the installation.

meters further away from the camera.

reaches land, leaves Makoko in a tuk-

Videos that loop and do not have end

The distortion of her movements makes

tuk, crosses the Third Mainland Bridge.

titles or other ways of easily determining

her look like a bird, and the speed of

He then lies on a busy street on Lagos

a beginning and an end tend to confuse.

her jumps is condensed, making her

Island, enters the Federal Government’s

Time here becomes unreliable since it

fly. The video’s location looks like a pit

Printing Press building and cuts off the

is difficult to know how long the video

with mountains of sand and gravel. It

balloons. He then finally removes his

is. And in relation to Atiku’s body being

could have been shot anywhere and her

red garments. Atiku leaves the printing

present next to the video, the notion

movements in relation to the sand make

press factory building and leaves the

of time becomes even harder to main-

the place seem alien or extra-terrestrial.

balloons behind on the floor. The bal-

tain because the narrative of the video

The possible meeting between her and

loons are the memory of his body and

gets intertwined with the narrative of

her father is staged in a familiar yet

as they are lying on the floor, it looks as

“reality”. The narrative of the end is chal-

strange place, which refers to their own

if they are still attached to his body; that

lenged.

cultural journey: her father originally

his body is still to be found somewhere

Like Atiku, American/Nigerian

being an immigrant to American culture

underneath. Then the video loops and

performance artist Wura-Natasha Ogunji

and Ogunji herself born and raised in

starts over again. Atiku left the audience

challenges the concept of time in her

America, being an alien to Nigerian cul-

at one point in Kunsthal Charlottenborg

video “My father and I dance in outer

ture. Ogunji’s performative self becomes

when they were inside the installa-

space” (2010). In the artwork, Ogunji

a migrant in the video; a migrant into

tion and then came back to hand out

uses stop-motion technique to distort

the other world.

handwritten red notes referring to the

the concept of time and the temporality

history of Danish warfare. When he left

she produces is an attempt to pursue

sense of time is nothing new in video

the installation the second time, there

the impossible: she is trying to dance

art. Dutch cultural theorist Mieke Bal

was an anticipation of him returning

with her deceased Nigerian father. Her

presents the term migratory aesthet-

46

Challenging the chronological

M W


My father and I dance in outer space: Photographer Darcie Book, video work by Wura-Natasha Ogunji, 2011

Photographer Abdurasheed K. Adeola, performance “Obaranikosi” by Jelili Atiku in Makoko, Lagos, 12/12/13.

ics to explain different concepts of time(s), speed and movement. She connects migration to video through multi-temporality and she adapts the term “heterochrony” from biology as an analytical tool to approach migratory aesthetics. Heterochrony is the distortion of time making it condensed, wider or thicker and it challenges the ontological separation between past and present. The negotiation between past and presents in the two art works presented suggests transcendence into something untimely. Atiku’s red mummy and Ogunji’s bird like creature are mediums for what seems to no longer be. They are neither women nor men, neither black nor white, “not ghosts, not, not ghosts”. They perform the memory of gruesome events or of a man that once lived. Their concept of time mediates disappearance. Performance is perhaps a ghost performing all the time.

47

Lotte Løvholm is an independent writer and curator based in Copenhagen. She has done research in the field of contemporary performance art across the African continent. She co-curated the mentioned Jelili Atiku performance at Kunsthal Charlottenborg with Danish curator Rine Rodin.


ART TALK

L’Anthropologue en Travesti

L’Anthropologue en Travesti (13)

Malysse VII, Roi du BÉNIN.

2014

(a) Fine Art Print on aluminium 50x75cm, serie of 20 (b) Fine Art Print on aluminium 135x 100cm, serie of 20

Étude des signes extérieurs d’identité ou « comment jouer à être un autre » Par Stéphane Malysse, professeur en Anthropologie et Art à l’Université de São Paulo / EACH-USP Photos : © Stéphane Malysse

L’Anthropologue en Travesti (20)

Malysnowski, anthropométrie.

2014

Fine Art Print on aluminium 50x50cm, serie of 20

« Le je de l’anthropologue entrevoit la

projet “L’Anthropologue en travesti”,

d’autre” (Berliner, 2013).

possibilité de devenir autre, de trans-

j’ai crée des apparences bi-culturelles

En entrant temporairement dans la

gresser les limites de l’af f irmation

qui ne correspondent ni à mon identité

peau et les vêtements de douze person-

identitaire et de réaliser, provisoirement,

culturelle, ni à mon genre, ni à ma fonc-

nages de recherches ethnographiques,

et de manière fragmentaire, le je est un

tion sociale... mais dans lesquelles mon

mon intention est d’évoquer la tradition

autre de Rimbaud. » Berliner.

identité « diluée » est à la fois présente

de la photographie ethnographique

et masquée. Ces expériences TRANS-eth-

qui se déploie à l’Époque coloniale,

« Les travestis sont des chasseurs de

niques sont motivées par les réflexions de

teintée par une peur de la contagion

vérité: ce qui leur fait le plus horreur, c’est

deux collègue anthropologues : dans ces

inhérente au racisme de l’époque qui

précisément d’être déguisé. » Roland Bar-

travestissements « bi-culturels » (Tedlock,

instaure des frontières étanches entre

thes, Aziyadé.

2003), je cherche à incorporer l’Autre à la

colonisateur et colonisés: « l’angoisse

figure « séparée » de l’anthropologue, «

du going native, de devenir indigène,

Synonyme de « déguisement » composé

non que l’anthropologue soit, en toutes

s’empare des colons qui sont invités à

à partir du préfixe latin « trav- » sig-

circonstances, cet homme-caméléon

ne pas entretenir des contacts prolongé

nifiant « déplacer » et du radical de «

que Zelig incarne, mais, dans le répertoire

avec les locaux et surtout à éviter les res-

vêtement », le terme désigne à l’origine

des postures de recherche qu’il déploie

semblances vestimentaires... » (Fontaine,

l’usurpation d’identité par le port de

régulièrement f igure une quête

2001).

vêtements n’appartenant pas à ses fonc-

expérientielle, emblématique de notre

En montrant qu’un anthropologue

tions ou à son sexe, que ce soit dans un

discipline: tenter de se mettre tempo-

français peut devenir un autre; un mas-

but festif ou de tromperie. Dans mon

rairement dans la peau de quelqu’un

sai, un touareg, une péruvienne de Cuzco

48


L’Anthropologue en Travesti(2)

Maliyé, Indien Ashaninka, Brésil.

2014

Fine Art Print on aluminium 50x75cm, serie of 20

L’Anthropologue en Travesti (7)

Malys-Massai, KENYA.

Fine Art Print on aluminium 90x65cm, serie of 20

L’Anthropologue en Travesti (3)

L’Anthropologue en Travesti (8)

Malys, le Dogon, MALI.

Malysse, Musulmane de Marrakesk, MAROC.

2014

2014

Fine Art Print on aluminium 50x75cm, serie of 20

Fine Art Print on aluminium 50x65cm, serie of 20

Stéphane Malysse (1971) Carcassonne, France. Travaille et vit à São Paulo, Brazil Research Fellow in Anthropology of Contemporary Art, Goldsmith College,

ou un indien ashaninka brésilien; mon

identifier, nous substituer aux faibles et

Department of Anthropology, London,

intention est detravailler le post-coloni-

qui nous procurerait du plaisir, le ‘nous’

England.2008-2010

alisme de façon autobiographique et de

désignant ici les gens privilégiés social-

Post-Doctorant / Post-PHD in Art &

mettre en évidence le fait que les appar-

ement et économiquement que sont la

Multimidia, Art Institute, UNICAMP, SP,

ences sont des productions culturelles

plupart des anthropologues.

Brazil. 2003

profondément hybrides et donc rela-

Docteur en Anthropologie Culturelle,

tives... Outre la question de l’authenticité

La discipline anthropologique serait

École des Hautes Études en Sciences

(centrale en anthropologie), cette série

motivée par un désir réprimé de pou-

Sociales, Paris, France. 1999

évoque également l’existence d’un cer-

voir (colonial et capitaliste). Comme

Master en littérature française,

tain plaisir masochiste dont l’essence est

les masochistes décrits par Freud, une

Université de la Sorbonne, Paris IV,

la substitution de soi par un autre qui

telle répression du désir de pouvoir se

Paris, France. 1991-1996

souffre : « à relire les textes de Freud sur

manifesterait par une substitution fan-

Actuellement professeur en Anthropolo-

le masochisme, il existerait une structure

tasmamique d’être à la place de l’autre

gie et Art à l'Université deSão Paulo /

libidinale qui nous pousserait à nous

faible... » (Don Kulick, 2006.)

EACH-USP

49


L’Anthropologue en Travesti (1)

Malyx, le Gaulois, FRANCE.

2014

Fine Art Print on aluminium, 50x75cm, serie of 20

L’Anthropologue en Travesti (12)

Malysse au PÉROU.

2014

50

Fine Art Print on aluminium 50x70cm, serie of 20


L’Anthropologue en Travesti (15)

Malysse, le Touareg (MAURITANIE).

2014 Fine Art Print on aluminium 50x50cm, serie of 20

L’Anthropologue en Travesti (18)

Malysnowski sur son terrain.

51

Fine Art Print on aluminium 50x30cm, serie of 20


ART TALK

Coupé / Décalé une conversation avec Camille Henrot et Brice Ahounou Propos recueillis par Myriam Dao Images extraites de Coupé/Décalé, 2010 Vidéo, 3 min 54 © ADAGP Camille Henrot Courtesy the artist and kamel mennour, Paris

Pour ce numéro d’Afrikadaa sur l’image en mouvement,

enance. Le regard subjectif de Camille Henrot sur la pratique

j’ai pensé à croiser films expérimental et ethnographique.

rituelle du saut au Vanuatu, par sa forme radicale, nous en

L’idée d’une conversation autour du film « Coupé/Décalé » de

révèle en quelque sorte les universaux. Que peuvent nous

Camille Henrot, entre elle et Brice Ahounou, anthropologue,

apporter les clés de lecture de Brice Ahounou qui s’attachait

s’est imposée naturellement. J’avais découvert au Louvre

récemment à présenter, au Palais de la Porte Dorée, le rituel

en 2011 le travail de Camille Henrot dans l’exposition « Les

dogon du Sigui dans un cycle de films ethnographiques «Jean

musées sont des mondes », où J.M.G. Le Clézio avait choisi d’y

Rouch, une passion Dogon » ?

présenter des cultures et des traditions absentes du musée. Camille Henrot y présentait son film expérimental « Coupé/ Décalé », réalisé après un séjour au Vanuatu à partir d’images de jeunes hommes sautant dans le vide, geste inspiré du rituel

Afrikadaa : Comment situez-vous aujourd’hui le film Coupé/Décalé, à la lumière des travaux que vous avez accomplis depuis ?

initiatique du Gol. Camille : Quand j’ai réfléchi au projet Coupé/Décalé, je me suis posé beaucoup de questions sur l’idée de voyager à Vanuatu, de filmer ce rituel, (qui est une destination touristique). Donc quand je repense à ce projet aujourd’hui, la notion de culpabilité et de suspicion, - par rapport aux images ethnographiques et à la manière dont elles sont reçues et interprétées, est présente. Le dernier projet en cours, « le Renard Pâle », parle de la curiosité un peu maladive et aussi de la culpabilité que l’on peut éprouver au cours de ces voyages. Un anthropologue m’avait déconseillé d’aller là-bas pour ne pas encourager le tourisme dans cette île, mais selon les institutions locales Le point de vue anthropologique nous est donné par Brice

«c’est un rituel pour touristes ». J’étais partagée par un senti-

Ahounou. Il me semblait intéressant de croiser leurs points

ment ambivalent, qui m’a donné envie d’y aller pour réfléchir

de vue, d’autant que ce film hybride, - entre geste artistique

au statut de l’image, à la position de l’artiste, ambivalente

et constitution d’une archive, semble jouer de l’ambiguïté du

elle aussi, ni complètement un touriste, ni un scientifique, cet

statut de ses images, et conduit à s’interroger sur leur prov-

entre-deux intéressant d’un point de vue éthique et artistique.

52


Il y a aussi la dimension esthétique, car en même temps ces

séquence où l’on voit une jeune fille manipuler un appareil

images sont belles.

photo. Je l’ai alors vu comme une composition dans laquelle elle introduit de l’art, elle coupe dans ces images et décale les

Afrikadaa : Au sujet de cette ambivalence, qu’en pensez-vous Brice, parce que le statut même des images est ambigu…

choses : Coupé/Décalé. En somme, elle fabrique le cadre d’un décentrement. Ce film est un objet hybride, qui vient pardessus un autre objet hybride, la musique coupée-décalée,

Brice : J’ai cru comprendre que vous vous intéressez à des

pour devenir un objet autonome et nous parler de tout autre

objets hybrides, ce film-là en est visiblement un pour moi.

chose, d’un rituel devenu touristique qui pose question. C’est

D’emblée, ce qui m’interpelle c’est le titre du film : « Coupé/

donc une œuvre critique.

Décalé». Sans avoir vu le film, si on vous parle de «coupé décalé », vous pensez à une musique africaine d’aujourd’hui, elle-même hybride, née d’échanges musicaux sur le continent. Petit rappel : dans les faubourgs d’Abidjan, les musiciens ivoiriens ont ajouté au Soukouss congolais des éléments de rythmes générés par ordinateur et ont baptisé l’ensemble : « coupé-décalé ». Appellation qui fait référence aussi au terme informatique de « copier-coller ». Depuis les années 2000, cette musique urbaine « samplée » a remué les dance floors et innervé la scène mondiale. Magic System est à cet égard un groupe emblématique. Donc quand j’entends « coupé-décalé », c’est ce qui me vient à l’esprit en premier. Mais en regardant le film de Camille Henrot, je suis confronté à autre chose. A quelque chose qui m’est beaucoup plus familier : des images de type ethnographique.

Camille : En fait, il n’y a pas d’images d’archives, toutes les images sont filmées par moi. Cela peut ressembler à des images vues sur Internet, c’est d’ailleurs comme cela que j’ai découvert un film qui représentait ces rituels. Cela m’avait attirée car cela ressemblait au saut de Yves Klein, (rue GentilBernard à Fontenay-aux-Roses). En même temps il y avait quelque chose d’assez pathétique à voir ce rite important se répéter pour satisfaire la curiosité des touristes. Une exagération du côté folklorique. J’apprécie l’analyse de Brice sur l’idée d’utiliser « coupé-décalé » dans le titre. Quand j’ai fait le film, peu de gens connaissaient cette musique. Le film et la musique coupé-décalé partagent un même concept : faire quelque chose qui n’est pas complètement identifiable, qui est tout le temps en mouvement,

Afrikadaa : Brice, quelles sont vos premières impressions sur le film, en particulier sur la provenance de ces images ? Brice : Ayant vu pas mal d’images sur ce rituel Gol de l’île de Pentecôte, je me suis d’abord demandé : « qui est l’auteur du film ? » J’avais l’impression que Camille n’avait filmé que la

53

qui emprunte à différentes formes et se nourrit d’échanges. J’ai moi aussi d’abord rencontré cette musique et eu envie d’éveiller la curiosité sur ce mouvement, de montrer que l’échange et le décalage, c’est l’essence même de tout mouvement culturel.


Afrikadaa : Le décalage justement : dans la présentation du film, il est dit «les images sont décalées d’une seconde». Or, j’ai perçu ce décalage comme une espèce d’amplification des anachronismes, celui que l’on ressent à la toute fin du film, lorsque vous filmez cette jeune femme qui tient un appareil numérique. L’image glisse lentement de la jeune fille vers une dame qui pourrait être sa mère ou sa grand-mère, et c’est là que l’on perçoit le véritable décalage. Etait-ce aussi votre intention de montrer ce décalage perceptible entre des générations de Mélanésiens eux-mêmes ?

Camille : Je n’ai pas cherché intentionnellement cet effet. J’ai filmé au ralenti avec un Canon 7D. Les images, - qui n’étaient pas de très bonne résolution, ont été «shootées» sur une bobine 35mm. Quand j’ai coupé la pellicule en deux pour faire le décalage, avant de recoller avec du scotch, il y avait des poussières. Le film est devenu sale au cours de cette manipulation, de manière plutôt involontaire, ce qui peut laisser croire que ce sont des images d’archives. Si je l’avais fait numériquement, la ligne entre les images n’aurait pas «dansé», et je n’aurais pas obtenu cette vibration. Souvent dans mes projets il y a cet aspect « tour de force » lié à des inventions artisanales. Je voulais me situer dans la tradition du cinéma expérimental des années 70 (Paul Sharits, Stan Brackage par exemple). Travailler sur le matériau du film lui-même, - pour rendre perceptible la question du support, c’est poser la question « Qu’est-ce que faire un film, matériellement ? ». J’aimais bien l’idée de mélanger cinéma expérimental et film ethnographique, je ne l’avais pas vu ailleurs, hormis peut-être chez Jean Rouch, qui a été une influence importante dans mon travail.

Camille : Exactement, c’est très juste. La jeune fille qui filme est du village. La performance qui est jouée devant elle lui

Afrikadaa : Votre regard d’artiste est-il proche de celui de Claude Lévi-Strauss, - avec «Le Regard Eloigné», qui nous amène notamment à considérer notre propre culture avec les yeux de l’Autre ?

est aussi destinée : il n’y a pas d’un côté un peuple primitif, et de l’autre, les touristes. Je voulais restituer cette complexité,

Camille : Non, je ne me sers pas de la distance pour regarder

et les subtilités qui existent entre les différentes générations.

notre propre culture…Et je n’ai pas non plus le même bagage

On peut remarquer que la dame porte la « Mother-Hub-

philosophique et scientifique : je me considère avant tout

bard -Dress», robe que les missionnaires avaient imposée.

comme une artiste, et mon matériau à moi, c’est le désir,

(ndlr : au XIXe siècle en lieu et place du costume traditionnel

le fantasme, et l’imaginaire. Je n’adopte pas la posture de

qu’ils jugeaient peu pudique, ils imposèrent la «robe-mission»

l’anthropologue pour avoir un discours critique sur les choses.

dans toute l’Océanie)

Pour un projet avec les Native Americans, le fait que je ne sois pas scientifique et dépourvue de l’idée de les représenter

Brice : Je parlais d’une accumulation d’images de ce type dans

de manière objective m’a permis de vraies rencontres, en

le monde de l’ethnologie et notamment de l’anthropologie

confiance, parce que je ne représentais pas « l’autorité ». Mes

visuelle, tant et si bien que j’ai cru reconnaître ces images-là

images n’ont à aucun moment une «autorité», ceci est très

comme provenant d’un film existant au préalable. Il semble

clair. La coupure dans Coupé/Décalé est là pour le rappeler,

que Camille ait travaillé toutefois sur le « vieillissement » de

et dire «Attention, ceci n’est pas un film ethnographique, c’est

ses images, pour qu’elles ressemblent à s’y méprendre à des

un film expérimental». Je me dérobe à la nature des images, et

images d’époque. Avez-vous travaillé techniquement sur le

j’introduis une forme de suspicion, pour mettre les gens dans

grain de l’image pour lui donner cet aspect ?

un état d’alerte.

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Afrikadaa : Votre objectif est atteint, c’est exactement ce que j’ai ressenti. C’est ce léger décalage qui nous permet de douter de ce que nous voyons. Cette juxtaposition aiguise notre circonspection et nous restons attentifs aux images, à ce qui va surgir. Peut-être plus que s’il s’était agit d’un énième film d’archives que l’on a l’impression de connaître ou de reconnaître, comme Brice l’a fait remarquer.

problématiques de l’image ethnographique et des questions de l’anthropologie. Malgré tout, l’image du saut est tellement forte, archétypale, elle relève du sacrifice et touche là quelque chose d’universel, qui fascine. C’est l’image de l’abandon, du risque, de l’expérience mystique, et c’est cela que les gens voient, sans avoir besoin de connaître l’anthropologie. Brice : Absolument. La dimension spectaculaire de ce que

Brice : Le film questionne la perception : un artiste délivre

l’on voit à l’écran ramène tout spectateur à la puissance

un signe, et comme nous sommes déjà chargés d’images

du saut dans le vide. Et le risque de mourir, lui, parle à tout

venant d’ailleurs, par accumulation, alors on pense au film

être humain, même si ce saut risqué est calculé. Quant à

ethnographique. Puis, il y a le décalage qui se produit, du

l’anthropologie, ses codes ont bien changé de nos jours. A

fait des lames qui ont été introduites dans le film par l’artiste,

l’heure du monde global, elle s’est considérablement renou-

comme un principe de remise en cause, pour produire une

velée. L’art a entièrement sa place : les artistes formulent de

œuvre critique. Cela montre que c’est la longue accumula-

façon visuelle certaines questions que les anthropologues se

tion d’images dans une société comme la nôtre, par strates,

posent de leur côté : artiste et anthropologue, presque même

qui donne cette résonance ethnographique à laquelle nous

combat !

n’avions pas échappé. Ce que ces « lames » viennent couper, c’est ce que nous avions accumulé ou empilé jusque-là. C’est un tour de force d’avoir introduit la suspicion par une opération de «laminage». Tout est déplacé par ce détournement astucieux et créatif.

Afrikadaa : Brice et moi avons eu une lecture de votre film en référence au cinéma ethnographique, mais peut-on apprécier ces images sans ces clés de lecture… Finalement Camille : est-ce que vous faites des films pour les anthropologues ?

Afrikadaa : A la projection « Jean Rouch une passion Dogon », le réalisateur Guy Seligman faisait remarquer que Rouch partageait ses droits d’auteur avec les Dogons…Une façon de reconnaître cet Autre et de se démarquer de la fabrication de cet « être-pour-autrui » dont parlait Sartre. L’Autre, non plus comme objet, mais comme sujet, comme acteur, et même comme auteur… Qu’est-ce que cela vous inspire ? Camille : Au Vanuatu, ces questions m’ont beaucoup préoccupée. Fallait-il que je verse des droits ? J’ai posé la question

Camille : Je suis très contente de cette conversation, la façon

au centre culturel sans obtenir de réponse, puis à un anthro-

dont vous avez noté Myriam cette histoire de génération entre

pologue qui considérait que non, car ce n’était pas un «vrai»

les femmes, et l’analyse de Brice sur ce qu’il appelle le «lami-

rituel. J’ai proposé mon film pour leurs archives, et ils ont

nage» du film, manière pour moi de l’isoler des références

accepté. Le film est projeté sur la plage chaque année au cours

qui préexistent…C’est rare que les gens soient capables de

d’une « Nuit Blanche ». Mais je n’ai pas résolu toutes ces ques-

formuler si bien ce que j’ai essaie de faire dans ce film. Car il est

tions. Il serait hypocrite que je dise «mon film n’est pas le mien,

vrai que c’est un film qui peut être mal compris, mal interprété,

mais le leur». Je suis une artiste, le visage que je dessine, c’est

et qui se heurte parfois, non seulement aux références qui

mon tableau, et ensuite il circule avec mon nom. C’est comme

préexistent, mais aussi à des préjugés ou à une méconnais-

ça que font les artistes : ils voient le monde, le représentent,

sance de la culture du pacifique. Il pourrait ne pas être perçu

l’objectivent forcément, et donnent à réfléchir dessus. Il faut

dans sa dimension la plus complexe sans une certaine réflex-

assumer ce rôle qui comporte une part de captation, une part

ion sur l’anthropologie, le post colonialisme. Car de tous les

d’appropriation, voire de vol, avec ce que cela peut avoir de

films que j’ai faits c’est celui qui touche le plus au cœur des

dimension coupable. La décision de Jean Rouch, - c’est un

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geste, ne peut pas être prise pour modèle, elle est personnelle

Camille : Je n’ai pas de méthode, je ne m’identifie pas à la

et liée à la manière collaborative dont il a travaillé.

posture scientifique. Par contre, ce que je retiens et c’est ce que Brice disait, c’est que l’anthropologie fait son autocritique

Brice : Sur la question des droits d’auteur, Rouch réagit ici

en permanence, modifie, se pose des questions. Ce que l’on

comme cinéaste. Anthropologue, il a travaillé sur le terrain

voit avec Jean Rouch, c’est la relation avec le monde artistique,

depuis ses débuts (50 ans) et a tissé une relation avec les gens

sur les questions de l’image et de la représentation. Il y a une

filmés. Mais pour lui, entre documentaires et fictions, entre

honnêteté intellectuelle dans cette discipline que je trouve

le réel et l’imaginaire, il n’y a pas vraiment de distance. Pour

assez belle, elle me nourrit autant que la littérature, et plus

ses trois films de fiction par exemple - Cocorico Monsieur

que la philosophie et l’histoire de l’art, qui sont traditionnelle-

Poulet, Jaguar, Petit à Petit - co-écrits avec ses compagnons

ment le fil que suivent les artistes. La vulnérabilité, la mise en

de «Dalarou», il a partagé les droits avec son équipe, à la

danger, la manière dont les questions éthiques sont posées,

fois acteurs fétiches et assistants, qu’il a considérés comme

- et pas entièrement résolues, l’acceptation de la complexité

co-auteurs, c’était quelque chose de tout à fait nouveau. De

des relations humaines : c’est ce que je trouve beau dans

même lorsqu’il a réalisé au Mali les films sur le rituel du Sigui

l’anthropologie. La manière dont Jean Rouch pense à la resti-

(1967-1974) avec Germaine Dieterlen, cette cérémonie qui a

tution aux Dogons, donnant quelque chose en échange en est

lieu tous les soixante ans, ils ont décidé d’un commun accord

un exemple.

qu’une partie des droits seraient versée aux Dogons. Une sorte de reconnaissance et de «droit à l’image» pour des personnes

Brice : C’est une attitude qui est de l’ordre de la réflexivité

considérées en réalité comme co-auteurs. Ainsi, ces personnes,

aujourd’hui. Cette dimension de questionnement, de critique,

qui sont les inventeurs de leur propre rituel pouvaient rece-

est manifeste dans le travail de Camille.

voir quelque chose, sur décision du réalisateur. Ce que Mme Jocelyne Rouch continue à perpétuer. Cette notion - du partage des droits avec les personnes filmés ou qui co-écrivent les films d’un documentariste - ne met pas à l’aise tout le monde en France. Elle est parfois discutée.

Afrikadaa : On peut comprendre que cette notion de partage ne mette pas à l’aise, car elle pourrait sous-tendre une notion de culpabilité, ce sentiment dont vous parliez Camille.

Afrikadaa : une sorte d’interactivité avec l’Autre, qui semble vous subjuguer : le Mali avec les « Espèces Menacées » en 2010, l’Inde dans le Songe de Poliphile en 2011, est –ce que vous continuez sur cette voie avec le « Renard Pâle » ? Camille : de la même manière, qu’avec « Coupé/Décalé », le titre est une mise en erreur, à la fois une fausse et une vraie piste. Dans l’exposition le « Renard Pâle », il n’y a pas du tout d’images des Dogons, ni d’objet dogon. Rien non plus qui fasse référence à Germaine Dieterlen et Marcel Griaule

Brice : Je ne pense pas que Rouch se soit senti coupable, mais

(ndlr : les auteurs de « Renard Pâle : ethnologie des Dogons

plutôt redevable aux Dogons qui lui ont permis de filmer des

», 1965). La raison pour laquelle cette exposition s’appelle le “

rituels extraordinaires, puisqu’il avait l’œil et l’esprit ouverts. A

Renard Pâle”, c’est tout d’abord la beauté du titre, sa poésie,

sa disparition, la communauté des «voleurs rituels» l’a adopté

et puis la manière dont il peut être interprété de multiples

et célébré en pays dogon. Ce n’est pas rien.

façons. L’expression se «faire porter pâle» peut faire penser à un renard malade. Le renard est aussi l’animal qui peut

Afrikadaa : On note dans l’art contemporain un « tournant ethnographique », pour reprendre la formulation du critique d’art Hal Foster. Camille, vous reconnaissez-vous dans cette formulation, et est-ce que vous considérez que vous faites partie d’un mouvement ?

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représenter la curiosité. Et l’association des deux pourrait être interprétée comme «la curiosité maladive». L’idée sousjacente de punition, de sentiment de culpabilité, par rapport au fait de se déplacer dans des pays exotiques, et d’y faire des images que l’on rapporte. Mais avant tout, c’est le livre


«Renard Pâle», que j’ai trouvé fascinant et il continue de me faire réfléchir. Entre autre, il concentre les questions de la fascination pour une culture, de l’interprétation, du point de vue, l’étroite relation entre les idées scientifiques et les mythes, la codification de la connaissance… Mon travail «Le Renard Pâle» (The Pale Fox), se donne également cette ambition : chacun des murs de l’exposition représente un principe de Leibniz associé à un des quatre éléments : le mur nord avec «le principe de l’être» (où tout commence : naissance et enfance), et de l’eau ; l’est, la loi de continuité et la terre ; puis le mur de la «raison suffisante» qui correspond à l’âge adulte ; et le dernier, «principe des indiscernables» (comment les choses vieillissent et disparaissent). La nécessité pour l’homme de construire un environnement et sa rencontre avec l’échec : car on a beau construire un jardin, il y a toujours un renard qui vient y grignoter. En somme, toujours un élément perturbateur. Ce sont les questions posées dans le livre «Renard Pâle» qui nourrissent mon travail. Brice : Renard «pâle» certes, mais jamais mort ! Toujours créatif et échappant sans arrêt aux pièges ou dangers qui le guettent. On continue…

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Camille Henrot, (née en 1978 en France) vit et travaille à New York. Son travail a été présenté au cours d’expositions solos au New Museum, New York (2014), au Schinkel Pavillon, Berlin (2014), et chez Kamel Mennour, Paris (2012). Elle a également participé à «Intense Proximity» au Palais de Tokyo, Paris (2013). Camille Henrot a reçu le Lion d’argent à la 55ème Biennale de Venise en 2013. Elle expose jusqu’en décembre 2014 à Bétonsalon «The Pale Fox», projet nourri d’un partenariat avec le Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris. Brice Ahounou, anthropologue. Il a travaillé étroitement avec l’ethnologue cinéaste Jean Rouch dont il a été l’assistant et avec lequel il a réalisé plusieurs films.


ART TALK

Chassol ecouter l’image et voir le son Propos recueillis par Camille Moulonguet Images courtesy of Chassol

Chassol compose aussi bien la musique que l’image dans des œuvres poignantes et complètes : ça commence par « Nola Chérie » puis « Indiamore » et maintenant « Big Sun ». L’image devient partition et la musique paysage, Chassol lui nous fait planer par son étrange langage.

De la Nouvelle Orléans à l’Inde jusqu’aux Antilles, lieux de fantasmes, paradis perdus, aussi familiers qu’exotiques, dans quelle direction va ce road trip ? Ce chemin suit la direction de mes envies musicales, des liens qu’entretiennent ces lieux avec mes diverses réflexions et interrogations, qu’elles soient politiques, sociologiques ou métaphysiques... Mais aussi des propositions qui me sont faites (centres d’art, salles de concert, artistes plastiques, institutions). Un ami me faisait remarquer qu’il n’y avait que des Noirs dans chacun de ces films. Ce n’est pas une volonté très consciente et j’aurais peut-être envie dans un futur proche de regarder vers le Japon. En tous cas, ce «road trip» comme tu dis essaie surtout de faire sens, de combler des envies harmoniques et esthétiques et (comme Kant, qui

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n’a jamais quitté son village) pourrait faire une halte à Paname.

bruits concrets de ce que nous filmons, mais elles sont au service de la musique et pas au service d’une démonstration. En bref, je

La musique savante et la musicalité de la vie, comment cela s’articule dans ton travail ?

ne cherche pas à perdre l’auditeur, même si j’aime écouter une

La musique concrète développée par des gens comme Pierre

Pourquoi dans ton travail sons et images vont de pair ? Peux-tu nous raconter comment est-ce arrivé ?

Henry ou Pierre Schaeffer dans les années 50 ou même plus tôt

tapisserie complexe parce que je trouve cela beau à voir.

par Varèse dans «Amériques» est une musique savante. Elle utilise des sons d’usine, de train, de la vie, etc. On la dit concrète par

Il n’existe, selon moi, pas d’image muette. Même la vision d’une

opposition à la musique abstraite, celle qui passe par un système

télé dont on couperait le son se fait dans un endroit où des sons

de notation, qui n’est pas «directe».

sont émis (cf John Cage 4’33’’). J’ai regardé West Side Story en

Cela est paradoxal, mais cette musique se dit savante. J’imagine

boucle étant petit et cela a sans doute façonné mon envie de

que pour en arriver à être un compositeur qui utilise des sons

contempler les milliards de points de synchro qui existent entre

concrets, il faut avoir pratiqué pas mal de musique «normale» pour

un son et un mouvement dansé. Puis, adolescent, je me souviens

chercher autre part que dans un piano ou une guitare la source de

avoir bondi sur un magnétophone pour enregistrer le générique

son matériau musical.

de la Tour infernale qui passait à la télévision. C’est ainsi que j’ai

J’ai commencé tôt la musique et ne suis venu qu’assez tard à uti-

voulu puis fait de la musique pour le cinéma, en commençant

liser les sons concrets, ceux qui m’entourent, les sons et les bruits

par la publicité. Je travaille depuis longtemps avec des vidéos

directs . Cependant, c’est aussi grâce au cinéma, et au cinéma

que je synchronise à mes enregistrements dans mes logiciels de

d’horreur donc assez populaire que j’ai pu entendre de la musique

musique. À l’arrivée de Youtube, j’ai eu pléthore de vidéos à ma

«savante». Via notamment Ennio Morricone, Jerry Goldsmith,

disposition au même endroit que mes logiciels d’édition musicale

Giorgy Ligeti etc. J’essaie donc de penser la musique et l’art sans

et de montage vidéo. Tout cela est donc très naturel et très fluide

trop de hiérarchies, même si cela est difficile... Je regardais des

et évident pour moi. La synchronisation, je veux dire, qu’elle soit

clips de variétés à la tv de l’hôtel l’autre nuit et étais consterné.

exacte ou plus approximative et poétique.

Dans mon travail, beaucoup de notions musicales complexes et sophistiquées entrent en jeu, et dialoguent avec les sons et

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Big Sun, d’où vient ce titre ?


ART TALK

60


Tu le comprendras en voyant le film et le

capot...Plein soleil, nous saisissons la

concert, mais en gros, mon père aimait

caméra et je savais que c’était un bon

observer les étoiles, j’aime la métaphysique

moment de cinoche. J’ai choisi cette image

même de comptoir et la science-fiction.

parce qu’esthétiquement elle me plait. Elle

Il y a aussi un peu d’ironie avec l’image que

m’évoque la Planète des Singes de 1969,

l’on se fait des Antilles et un hommage à

des films d’épouvante et bien sur Christi-

un album de Miles Davis.

ane Taubira.

Qu’es-tu venu chercher dans ce voyage et qu’as-tu finalement trouvé ?

Peux-tu nous citer trois de tes réalisateurs préférés et trois de tes compositeurs préférés? Et peut-être associer la musique des uns avec les images des autres ?

Je cherchais du matériau pour pouvoir écrire de la musique. Je savais que cela pourrait être des bruits, du son, de la musique, des images, des idées ou du sens.

Brian de Palma dans les années 70.

J’ai trouvé tout cela et plus.

Sergio Leone ou Stanley Kubrick. Et le documentariste Johan Van der Keuken.

Quel fut le moment le plus fort du voyage, et comment l’as tu retranscrit musicalement ?

La musique de Jerry Goldsmith, immense compositeur de cinéma pourrait nourrir chacun des films de ces réalisateurs. Les compositions du pianiste Chick Corea ne

Ce fut pendant le carnaval, une parade

matcheraient pas forcément en revanche.

de singes et gorilles aux percussions. Un

J’imagine assez bien la période électrique

gorille était en treillis militaire et fumait sa

de Miles Davis (1968 - 1976) sur certaines

cigarette complètement saoul en dansant.

scènes de 2001 ou sur un montage savant

Une vraie attitude de nihiliste. J’avais avant

d’Hermann Slobbe (un film sur un enfant

de partir un motif pianistique d’une trist-

aveugle de Van der Keuken).

esse infinie que j’ai déployé sur toute cette séquence...Et en arrivant sur ce gorille, j’ai ralenti l’image et divisé par deux le tempo de ce motif comme pour une exploration

Qu’est-ce que l’harmonisation que tu pratiques ? Et comment la lies-tu à la boucle visuelle que tu mets en place ?

intense de ce nihilisme dans une nostalgie extrême.

Il s’agit de dégager l’exacte mélodie qui se dégage du son d’une séquence filmée. De

L’affiche, pourquoi avoir choisi cette image ?

mettre ensuite cette séquence en boucle avec cette mélodie en jouant à chaque fois, qu’elle se répète avec un accord dif-

Nous étions en voiture sur la route vers

férent.

le nord de l’île et surgissent cette bande

Cela permet de donner à cette image

de kids en mode Halloween masques

loopée un statut de tableau: identique et

de singes, d’Obama, de Michaël et de

pourtant grâce à ce nouvel accord différent

Sarkozy... Ils nous arrêtent mains sur le

à chaque fois.

61

Dates de tournée 2014-2015: Le 3 octobre, Indiamore, au Festival 1066, à Lausanne Le 15 octobre, Indiamore, à la Cigale, Paris Le 13-14-15 novembre, Nola Chérie, Indiamore, Big Sun, The Spin Festival, à Epinal Le 16 novembre, Indiamore, au Queen Elizabeth Hall, Londres Le 12 décembre, Indiamore et Big Sun, Le Tap, Poitiers Le 18 décembre, Indiamore, Le Tetris, Le Havre Le 14 janvier, Big Sun, Théatre du Vivat, Armentières Le 15 janvier, Big Sun, La Gaité Lyrique, Paris Le 16 janvier, Indiamore et Big Sun, L’estran, Guidel Le 23 janvier, Big Sun, Le Comptoir, Fontenay Sous Bois Le 28 janvier, Big Sun, Le Gallia, Saintes Le 30 janvier, Big Sun, Halles de Sharbeek, Bruxelles Le 25 mars, Big Sun, Onyx, Saint Herblain Le 10 avril, Indiamore, Scène Nationale, Bayonne Le 16 mai, Big Sun, Nuit des Musées, Lens


ART TALK

calypso rose mother of all flowers

Frieda Ekotto The University of Michigan All images coustesy of Pascale Obolo

“I did not become a Calypso singer. I

beautifully and insightfully written with

personal story, her groundbreaking

was born in Calypso.”

many modalities, and both the visual

musical achievements, her commitment

Calypso Rose

and textual offer a rich resource from

to defend women’s rights, her faith,

which to begin our discussion of the

her worries and fears, and above all her

“Movement no longer measures time

image in movement. The film incorpo-

strong love of life and people. Rose is

but is folded into time.”

rates several images of Rose dancing

well aware of the fact that women are

Gilles Deleuze

with joy as she glides from one end

forced to be silent before that silence

of the stage to the other. In Deleuzian

itself is explored: “In a way Calypso has

Calypso Rose: The Lioness of the Jungle

terms, we can understand these images

saved me. Because the lyrics which I

by Pascale Obolo (2011) is a documen-

of movement as showing movement as

have written, which I could not speak,

tary about Rose, a dynamic female

time. Rose’s expertise not only con-

bring it out by speaking, I put it in song.

Calypso singer whose performances

secrates her as a musical icon but it

Let them know who I am by song.”

explode with a passion and graceful

also substantiates her recuperation of

Therefore, she made the stage her

energy that exquisitely personify the

agency as a female subject. Indeed,

project, a space where she could affect

beauty of a rose. Throughout the film,

Calypso Rose is also the woman who

female social norms, knowing that she

Rose’s ability to embody all flowers

paved the way for women performers

works from the culture of oppression.

allows her to offer magic and mag-

in the world of Calypso music; a world

She transforms that stage into a culture

nificence in her Calypso performances.

Winston Peters –Trinidad and Tobago’s

of protest. Thus, apart from featuring a

We are taken by this first shot of great

Minister of Arts and Multiculturalism

female musical icon who considers that

beauty as the film opens with Rose

– describes in the documentary as a

“calypsonians are reporters in song,”

standing in front of the sea, speaking to

historically “male-dominated art form.”

this documentary also weaves together

the waves in movement. In this scene,

Rose is, as introduced to the crowd at

many relevant social and political issues.

water symbolizes her limitlessness, she

the 2010 Soca Monarch Competition,

Through a close reading of the

is free, engaging, and she is a moving

“the woman responsible for all the

film, audiences can see that Pascale

splendor on stage. Her music moves

women in the industry singing.”

Obolo’s “monumental” camera work

people to love her unconditionally. In

The entire documentary is a

defies typically construed possibilities

particular, she transmits integrity, love,

road movie, which moves from Trinidad

for activities in the social context of

and the ethics of being a female Calypso

and Tobago to New York, Paris, and

contemporary West Indies. As a female

singer to the young women that idolize

back to Ouidah, Benin in Africa as the

filmmaker, Pascale Obolo chooses

her within the West Indies diaspora.

point of departure, where the story of

this perspective, I argue, to force the

The story of Calypso Rose is

her ancestors begins. Rose tells us her

spectator to be seduced into belief at

62


the remarkable yet unorthodox life

narrator of her own story.

mingles with newly created one. The

of Rose, as she challenges and under-

The film as a documentary

mines the limited possibilities for female

further asserts it experimental character

today’s, as Rose summons them with a

performers. We should also consider

by quirkily framing a series of proxim-

mighty: “come on up.” A few minutes

possible political meanings for this

ities with places, people, and institutions

into the film, an artful sound bridge also

positioning, particularly its status as a

that have had a lasting influence in

creates an effect of continuity between

diasporic African film that reimagines

Rose’s life. Indeed, frequent close-ups

two performances (past and present)

the position of women through an

and extreme close-ups, the correlate

of Rose’s famous song A Man is a Man.

insistence on the agency and power of

choice of leaving many elements off-

By constructing such “crystal-images,”

Calypso Rose. This is evident even in the

screen, and the deliberately unbalanced

Pascale Obolo effectively elaborates

scene in which Rose confides that, at the

composition of many shots create a

a cinema in which, as Deleuze puts

age of eighteen, she was raped by three

sense of closeness (e.g. with Rose or the

it, “time is no longer the measure of

men who then left her to die. Despite

interviewees), at the same time as they

movement, but movement is the per-

the persistent toll this trauma took on

seem to insist on signifying a subject-

spective of time.” (21) Calypso Rose’s

her life, she did survive this tragedy,

ive standpoint. The camera restlessly

complex and multi-faceted engage-

as well as two cancers and three heart

changes framing and perspectives.

ment with movement thus constitutes

attacks. Her faith is also what moves

This unsettling camera work not only

a cinema of time: the time of a Rose,

her to produce great music. This monu-

generates a constant manifestation

“mother of all flowers.”

mentalizing of Rose performs the act

of movement, but it also serves as a

of questioning the authority of men in

constant reminder that the frame is not

Calypso music.

a neutral border; it imposes a certain

The absence of voice-over com-

vantage point. Such self-reflexivity and

mentary in the documentary confers

introspection (a cinema that draws

an important aural dimension to this

attention to the mechanisms of its own

monumentalizing effect, while further

ideological apparatus) is little common

empowering Rose as a female subject.

in a cinematic genre (i.e. the documen-

In The Voice in the Cinema (1985) Mary

tary form) that has a long history of

Ann Doane, a pioneer of the study of

camouflaging its subjectivity.

gender in film, tells us that the voice-

Pascale Obolo’s film establishes

over is generally a disembodied voice

yet another important relationship with

which, in the history of the documen-

movement. In Cinema 2: The Time-

tary, has been for the most part male

Image (1989) Deleuze develops the

and the site of power. A (predomin-

concept of the “crystal-image,” a shot

antly male) voice-over indeed generally

that combines (often in an indiscernible

possesses knowledge and the privilege

manner) the pastness of a recollection

of interpretation. In contrast, Pascale

with the presentness of its experience.

Obolo chooses to displace the trad-

The crystal-image is the keystone of

itional authority of the voice-over,

Deleuze’s “time-image,” or cinema as

replacing it instead with the authority of

a direct image of time. Calypso Rose

female experience. In the absence of a

contains a variety of magnificent “cristal-

voice-over commentary, Rose becomes

images”. When Rose visits the land of

both the protagonist and the direct

her ancestors in Benin, past footage

63

waves of yesterday blend in with


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ART TALK

Images en mouvement au Congo Brazzaville Par job Olivier Ikama (texte et photos)

Une oeuvre de Francis Tenda

Au Congo, l’apparition d’une nouvelle

Dak’art en mai 2014, six artistes ont

image permettent-ils une lecture

génération d’artistes exerçant dans l’art

présenté leurs vidéos, dans le pavil-

globale des images ? Ou renforcent-ils

visuel donne lieu à une hétérogénéité

lon congolais installé à la biscuiterie

plutôt la singularité de chaque image ?

culturelle. Vidéo d’art et installations

de la médina. L’ensemble des œuvres

Cet article vise aussi à lire les œuvres de

sont les principales disciplines partici-

exposées à Dakar a ensuite été montré

ces sept artistes à la lumière des réflex-

pant au décloisonnement des pratiques

à Brazzaville aux ATELIERS SAHM du 08

ions de Walter Benjamin.

artistiques. Le recours à ces médiums,

Juin aux 08 Juillet 2014. Ori Uchi Kozia,

Kozia explore dans Névrose (11’33) la

s’appréhendant comme de nouvelles

Pierre-Man’s, Jussi N’tsana, Paul-Alden

question de la folie individuelle et col-

formes d’expressions, reste encore

N’vout, Ange Swana et Fransix Tenda

lective. Il pense la psychose collective

timide. Mais l’on peut admirer, dans

sont les vidéastes qui ont pris part à

qui régit tout groupe social comme le

cette lente prolifération, des œuvres

l’aventure congolaise lors du Dak’art

pont qui unit les différentes sphères de

d’une valeur expressive et esthétique

2014.

la vie sociale : religion, politique, art,

profonde.

Aussi pour parler d’images en mou-

tradition, morale, histoire, etc. « La folie,

C’est aux ATELIERS SAHM, centre d’art

vement, faut-il se demander quelles

dit-il en citant Nietzsche, est l’exception

contemporain crée par la plasticienne

images sont en mouvement ? Quel(s)

chez un homme, mais pour un groupe,

Bill Kouélany, qu’a cours l’actualité du

mouvement(s) est mis en œuvre par

un parti, un peuple, une époque, c’est

mettre en mouvement des images.

elles? Les langages traduits par les

la règle ». Les névroses posent des

Ainsi, lors de la onzième édition du

mouvements mis en œuvre par chaque

problèmes transcendants qui constitu-

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Oeuvre de Jordy Kissy Moussa

Une oeuvre de Eddy kamuanga

ent aussi la réalité la plus immédiate de

Ephémère débute par un plan large et

à l’urgence permettent de voir la rose

l’homme. Les différentes métaphores

fixe sur un pigeon agonisant au sol. Une

sur la croix du présent. Ori appelle au

de l’œuvre Névrose traduisent la crise

deuxième séquence montre un sachet

repli sur la personnalité, le moi intérieur

irréversible et perpétuelle du moi.

plastique en train de planer, une sorte

pourtant lui-même soumis aux injonc-

Il explique la névrose par le fait que

d’errance, au gré des vents, fussent-ils

tions des subterfuges et des alibis.

chaque personnalité se caractérise par

favorables ou non. L’artiste exprime

Cette ambiguïté qui ressortit à Névrose

des fuites en avant, autant de subter-

la légèreté de la vie, l’insignifiance de

et à Ephémère signées de Ori Uchi Kozia

fuges qui nous permettent d’errer dans

nos attaches, la vanité de nos défis. Il

dénote un appel au désir de vivre la vie,

des bulles intimes, et font de chacun un

réduit tout ce qui peut avoir un intérêt

d’en jouir pour soi. Névrose et Ephémère

névrosé. La vie n’est qu’un alibi. « Rien de

quelconque au cadavre d’un oiseau aussi

de Ori Uchi Kozia, une manière de « chi-

grand ne s’est fait sans passion » disait

fragile qu’un pigeon.

aler comme William Sheller : « je veux

en son temps Hegel. « Toute attitude

Tout est éphémère parce que tout ne

être un homme heureux », ou du moins

est soustraction à une réalité interne ou

tient à rien, car le seul socle de tout

un bon vivant.

externe » affirme Kozia. Névrose montre

est l’abîme, le néant. Mais n’est-ce pas

Like a diamond de Pierre-Man’s a été

dans ses premières minutes ainsi qu’à la

l’attitude qui consiste à déduire de tout

réalisé dans le cadre de la première ren-

fin, un plan fixe sur un chemin dont on

que tout est éphémère qui est porteuse

contre internationale d’art contemporain

ne voit pas l’issue et bordé de verdure,

de ruine? Sagesse de Salomon décréta

des ATELIERS SAHM. Cette rencontre a

un univers paisible. Une manière pour

que tout est vain, règne de Salomon

porté sur le thème de l’eau. L’artiste fut

l’artiste de dire le confort dont on jouit

vint à sa fin.

l’un de ceux distingués du prix spécial du

dans cette absence d’objectivité. Je

L’artiste appelle t-il à se départir du

jury. Avec Like a diamond, Pierre-Man’s a

suis humain, que le désarroi m’en soit

désarroi ? Il reste néanmoins le silence :

répondu à l’exigence de la rencontre de

témoin.

« à voir ce que l’on fut sur terre et ce

ne point borner les créations à l’aspect

que l’on laisse, seul le silence est grand,

de la précarité sociale relative aux

Ori Uchi Kozia a présenté une deux-

tout le reste n’est que faiblesse », Alfred

problèmes d’accès à l’eau potable. Like a

ième vidéo intitulée Ephémère. Cette

de Vigny cité par Kozia. Le silence donc

diamond aborde abstraitement le thème

œuvre semble avoir été réalisée dans la

seul est source de vitalité. Tous ces

de l’eau. L’œuvre est portée par un tra-

continuité réflexive par rapport au ques-

instants où l’on opère un retour sur soi,

vail sur le reflet éblouissant de la lumière

tionnement de la première dite Névrose.

où l’on est capable de recul par rapport

sur une eau qui coule paisiblement et

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ART TALK

Paul-alden M'vout

luisante au travers de pierres jonchant

Les personnages défilent, tournoyant,

Des personnages circonscrits entre le

son cours. L’artiste fait flotter des bulles

habités par ce ressouvenir nourri par une

réel et le fantastique. Une manière de

d’eau à peine perceptibles sur un fond

mélodieuse berceuse. Une poésie de la

saisir l’intemporel dans le moment

de nuages. Pierre-Man’s interroge le

nostalgie, de l’irréversibilité du temps.

présent ». L’univers très enchanté de

précieux. Qu’est ce qui vaut d’être con-

Un cantique de la souffrance de voir se

Paul-Alden se métamorphose sans

sidéré comme inestimable ? Si nos rêves

détériorer un patrimoine qui représente

cesse, fort de l’imagination de l’artiste.

peuvent se regarder comme des reflets

pour l’artiste plus que de l’immobilier.

Paul-Alden voit donc en l’imagination

d’une terre promise, ils restent, Like a dia-

Un appel, à préserver les repères. Nous

l’issue pour rendre possible de nouveaux

mond, irremplaçables. S’articule ici l’idée

suggérerait-elle des interrogations ?

rapports entre l’homme et la nature,

que rien n’est éphémère. S’il est vrai que

Celle de savoir : quels sont les repères

des rapports qui rendent à la nature sa

tout ce qui brille n’est pas un diamant,

de la génération à laquelle appar-

santé.

tout peut avoir néanmoins présence et

tient Jussie ? Quels critères définissent

incidence dans l’existence.

l’appartenance à un milieu ?

Poule mouillée, peuple mouillé d’Ange Swana est une œuvre circonscrite entre

Jussie N’Sana a présenté l’œuvre qu’elle

Paul-Alden N’vout est peintre, graphiste,

le besoin de l’artiste de s’exprimer et

a appelée Bibamboukila ou le ressou-

et vidéaste. Son œuvre, Asphyxie, est

l’exigence s’imposant à toute la société

venir (en lari). Des personnages de tout

empreinte de subtilité. Elle montre une

de se prononcer sur son avenir. Elle tra-

âge virevoltent sur des murs, tantôt

lampe luciole dont le verre représente le

duit le mutisme où, « au plus noir » des

de nouvelles constructions, tantôt de

globe terrestre. Sur ce verre se dessinent

silences, on se condamne aux flammes

vieilles bâtisses. Parce que les murs ont

les continents du monde s’embrasant

des peines qui nous consument au-

des oreilles, parce qu’ils connaissent

du fait de la montée de la flamme. Le

dedans. L’artiste interprète l’espérance

nos secrets les mieux gardés, ce qui se

feu se propage dans le verre ou le globe,

comme vertu de l’esclave, mais l’espoir

raconte dans l’intimité des coins des

à mesure qu’une main surgissant du

comme action de prendre ce qui vous

rues, les amitiés se nouant au fil des

néant va et revient vers le régulateur de

est dû. Se meut dans cette œuvre l’appel

gaies combines bambines derrière les

flamme. Le travail de Paul-Alden aborde

à investir l’espace public pour en remod-

murs et à l’abri de l’attention parentale

les questions des changements clima-

eler les instances figées. Poule mouillée,

quelque fois agaçante, N’sana exploite

tiques. Il a exposé, aux ATELIERS SAHM,

peuple noyé a été réalisé aux ATELIERS

la mémoire. Elle dit son attachement

en Juillet 2013 des œuvres présentées

SAHM en 2013 à l’occasion de la rési-

affectueux à l’environnement qui l’a

sous le titre Nature San-té. « Mes sujets,

dence de création d’Ange Swana.

vu grandir, faire ses quelques coups.

dit-il, illustrent des créatures imaginaires.

Yakamba, ou ballade en kongo, est la

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création de Francis Tenda Lomba, dit

et peuple sont pourvus d’imagination,

Fransix. Il filme la course d’une boite

toute sphère de la vie est portée par le

de conserve sur la voie goudronnée. La

rêve. Et si nous vivons de nos rêves et

promenade s’arrêtent quand un véhicule

que nous rêvons nos vies, c’est que rien

vient heurter et aplatir la boite. Yakamba

n’est éphémère. C’est ainsi que, dans

a été réalisée en 2012 dans le cadre de

l’acceptation de soi, nous pouvons inve-

la première rencontre internationale

stir en conséquence l’espace public.

d’art contemporain des ATELIERS SAHM.

Dans les pas de Walter Benjamin,

Ces peintures sur aluminium, des boites

auteur de L’œuvre d’art à l’époque de sa

de produits manufacturés, mettent en

reproductibilité technique, comment se

évidence la semi-destruction de ses

prononcer sur le contenu esthétique

objets à travers leurs crevasses. Elles tra-

des œuvres présentées ci-dessus ? Du

duisent les vicissitudes qui ressortissent

point de vue du potentiel de repro-

à la quête où chaque individualité se

ductibilité de toute œuvre de vidéo,

construit. A travers cet apparent mal en

nous pouvons voir, dans les créations

point, Fransix peint l’acceptation de soi

présentées ci-dessus, la désesthétisa-

et le fait de se reconnaître, dans ce qui,

tion de la sphère de l’art contemporain.

de sa personne, a survécu à l’épreuve du

Néanmoins, certaines œuvres sont

pèlerinage intérieur.

dépourvues d’engagement politique

Au terme de cette présentation, force est

et sociaux, et recherchent plutôt une

de constater la singularité thématique

posture esthétique. Ceci dit, il y a dans

de chaque œuvre ou image mise en

la nouvelle génération d’artistes con-

mouvement par les sept artistes con-

golais la volonté de ne pas soumettre

golais. Particularité qui tient aussi à la

leur activité créatrice à une visibilité

différence de points vues et démarches

sans frontière, mais de l’orienter vers

où se circonscrit chaque propos. Il y a

l’existence de l’objet.

Biographie de l’auteur : Jeune journaliste de presse écrite, étudiant en philosophie, Job construit son expérience de critique d’art depuis deux ans. Il accompagne de ses textes les œuvres des artistes qui exposent aux ATELIERS SAHM depuis l’ouverture du Centre. Pratiquer la critique d’art est une manière pour lui de se consacrer à sa passion de l’écriture.

le point de vue de l’individu et celui du groupe social. Les images se meuvent tantôt abstraitement, tantôt de façon plus empirique. Néanmoins, individu

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Ange Swana et Doctrovée Bansimba


ART TALK

Ali Essafi : la partition des beaux lendemains Propos recueillis par Louisa Babari Images coustesy of the artist

Né au Maroc en 1963, Ali Essafi étudie la psychologie en France et se dirige ensuite vers le cinéma d’art et d’essai et le documentaire. Ses films « Général nous voilà ! », « Le silence des champs de betteraves » « Ouarzazate Movie » ont été primés dans divers festivals du circuit international du cinéma d’art. De retour au Maroc, il anime des ateliers d’écriture de films documentaire et occupe le poste de directeur artistique de la SNRT. Commissionné par la 10e Biennale d’Art de Sharjah, « Wanted », sa dernière production a été sélectionnée dans diverses manifestations d’Art à travers le monde. « Halakat Nord africaines », installation vidéo présentée en mai 2014 à la biennale de Dakar, est conçue comme un hommage à trois œuvres pionnières de la jeune histoire de la cinématographie africaine. Cette œuvre crée une tension entre deux dispositifs de monstration, l’installation vidéo et l’autre plongé dans la profonde mémoire nord-africaine du cercle de la liberté « la Halka ». Ali Essafi vit et travaille au Maroc. (Source : Dak’art 2014) 70


Page de gauche : Image extraite du film “Wanted” , Ali Essafi , 2011 Ci-dessous : Vue de l’instalation “Halakat nord-africaines”, présentée à la Biennale de Dakar 2014

AFRIKADAA: Pensez-vous que votre pratique filmique rentre dans une convergence, un processus d’hybridation entre le cinéma, l’art contemporain et les médias ? Je pense notamment à votre film «Wanted» et à votre installation vidéo présentée à la dernière Biennale de Dakar en mai 2014.

suis perçu comme un intrus dans chacun d’entre eux, mais moi je me sens chez moi partout… « Pourvu qu’il y ait l’ivresse ! ». Au départ, je voulais juste essayer de faire des films comme tout le monde. Malgré le bon accueil qu’ont reçu les premiers, je n’y voyais moi-même que des bouts d’essais peu satisfaisants. Et comme je ne savais plus où j’allais, il fallait que je me

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Ali Essafi : Personnellement, je ne sais pas

souvienne d’où je viens. Je suis revenu

comment définir mon travail filmique ! Je

au Maroc pour tenter de comprendre ma

ne cherche jamais ni à le définir ni à faire

propre histoire, personnelle et collective,

partie d’une catégorie précise. Je sais en

avec l’image. Le manque endémique des

revanche que je suis animé par une sereine

références et l’inaccessibilité des docu-

détermination pour franchir toutes les

ments m’ont amené à entreprendre un

frontières, s’il le faut en clandestin, afin

chantier de recherches. J’ai été surpris

d’exprimer mon regard ou partager mes

que ces recherches aient trouvé davan-

émotions ! J’ai commencé mon processus

tage d’échos dans le monde de l’art

de création, relativement tard, suite à un

contemporain plutôt que dans le milieu

cursus universitaire en psychologie et à

du cinéma… C’est le cas de « Wanted »

une thérapie (inachevée)… Ceux-ci plus

qui a été crée pour la Biennale de Sharjah

la philosophie en général, m’ont défini-

et de « Halakat Nord-Africaines » que j’ai

tivement instillé le goût de la critique

présenté à la dernière Biennale de Dakar.

et de l’insoumission ! Par conséquent,

Je ne sais pas où ce vent de désir de créa-

je me retrouve toujours, sans le vouloir,

tion m’emportera par la suite… Et je me

à la périphérie des autres médiums. Je

réjouis de ne pas le savoir !


Image extraite du film “Ouarzazate movie” , Ali Essafi , 2001

AFRIKADAA: Etes-vous, dans vos films, dans une perspective de recherche de narration innovante ? D’une nouvelle écriture ? D’absence d’écriture ? D’un autre régime des images ? Comment travaillez vous ?

Vue de l’instalation “Halakat nord-africaines”, présentée à la Biennale de Dakar 2014

voire aussi par la peinture… Au Maroc,

du conteur de « Halka » au traitement des

les formes narratives écrites datent à

archives. Ce sont ces travaux pionniers

peine de quelques décennies ! Une

qui m’ont inspiré pour l’expérimentation

bonne partie de ceux qui s’y aventurent

de « Wanted » que je suis entrain de

empruntent le chemin le plus court

développer plus avant.

en tentant d’imiter celles qui ont déjà

Grâce aux travaux de recherches que j’ai

été standardisées ailleurs. L’unique

entrepris, je sens enfin que je suis entrain

Ali Essafi : Je dois avouer que l’écriture

réservoir naturel de la narration locale

d’échapper à la condition d’artiste du

littéraire est mon background de base.

est consigné dans la tradition orale

monde post-colonial condamné à errer

J’ai glissé vers le cinéma en y cherchant

(Contes et légendes, chants, rituels…)

dans les sphères de la création, décon-

un refuge capable de conjurer le

Mais ayant été dévalorisés, comme tout

necté de son patrimoine et de son histoire

sort qui m’a dépourvu d’une langue

ce qui a trait à la culture populaire, rares

(de l’Art) locale. Je crois que je sais mieux

maternelle écrite, à l’instar de la majorité

sont ceux qui ont entrepris de l’explorer

maintenant d’où je viens. Je crois donc

des Marocains. Je suis pourtant un vrai

afin d’en extraire d’éventuels nouveaux

que je peux aller où je veux.

bilingue Arabe - Français ! Mais le dialecte

minerais… L’absence d’écriture n’est

marocain qui est ma vraie langue de

pas un handicap ! Au contraire, il y a

globe, on a cheminé vers la narration

AFRIKADAA: Siham Weigant, de la lieu d’espérer que ce terreau vierge revue, Dyptik évoquait dans un texte puisse laisser fleurir de nouvelles formes libre, le sentiment de l’impossibilité, d’écritures tant au niveau littéraire qu’au de l’inutilité, d’écrire dans son propre niveau filmique. C’est une entreprise pays. Elle posait ainsi la question de la de longue haleine, mais le jeu en vaut réception, peut-être aussi la question la chandelle ! Ma dernière installation du public. Avez-vous le même senti« Halakat… » a pour but de donner de la ment ?

cinématographique en accumulant les

visibilité à des cinéastes maghrébins de la

acquis depuis les contes et légendes,

première génération qui ont amorcé ce

Ali Essafi : Pour répondre clairement à

en passant par le théâtre et le roman

processus de recherche en mêlant l’esprit

cette question, il convient de distinguer

cœur n’est pas une langue écrite. Au vu de cela, les formes narratives sont forcément au centre de mes intérêts. Mais à condition, d’en trouver des nouvelles et des bien enracinées dans mon contexte culturel. Dans une bonne partie du

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Image extraite du film “Ouarzazate movie” , Ali Essafi , 2001

l’acte d’écrire de celui de l’édition et de la

Depuis, au moins deux générations de

caste bourgeoise se sera anéantie, on

publication. J’ai appris moi-même à faire

cinéastes marocains (dont je fais partie)

s’apercevra qu’il ne s’est rien passé depuis

cette distinction grâce à l’expérience

n’ont pas réussi à bénéficier du fruit de

l’indépendance, et qu’il faut repartir à

de mon modèle feu Ahmed Bouanani

ce travail. Mais aujourd’hui, 30 ans plus

zéro. » Fanon à écrit cela, en 1961, au

(autour duquel je prépare un film), l’un

tard, des éditeurs commencent enfin à

tout début de la « décolonisation » en

des plus brillants cinéastes, poètes et

s’y intéresser ! Et sachant ce que ce travail

Afrique. Aujourd’hui, après les fêtes du

écrivains marocains… Bien qu’il ait été

à lui seul pourrait apporter au monde du

cinquantenaire de l’indépendance, quand

censuré et marginalisé jusqu’à la fin de

cinéma marocain présent et futur, je peux

on évalue le chemin parcouru, force est de

sa vie en 2011, il n’a jamais cessé d’écrire

enfin mesurer la portée de la vision de

constater que cette caste bourgeoise est

et de dessiner. A force, sa main droite en

Bouanani. Cette « Histoire du cinéma… »

toujours aux commandes, hypothéquant

était toute tordue ! Il m’a assuré que pour

est juste un exemple. Quand un travail de

les possibilités d’un développement sain

lui écrire c’est d’abord un acte de survie

création apporte quelque chose de nou-

et durable ! Soulignons que Fanon ne

et de résistance ! Mais quand on évolue

veau, il résiste à l’usure du temps. Et par

parlait pas de la « classe » bourgeoise

en pays dominé, c’est également l’espoir

conséquent il rencontrera son public tôt

qui, comme en Occident, a joué plutôt

de léguer ces écrits aux générations

ou tard.

un rôle déterminant pour s’émanciper

futures qui en temps voulu en auraient

du féodalisme. Ici il s’agit plutôt d’une

AFRIKADAA: Pensez-vous que votre qui a ravagé une partie de sa production, travail s’inscrit inévitablement dans un sa fille Touda Bouanani n’a toujours pas statut post colonial du cinéma ?

« caste » déculturée et totalement

fait le tour de l’inventaire de ses manu-

impossible d’accéder au monde de la

grandement besoin. Malgré un incendie

décalée par rapport à son contexte. Au Maroc, par exemple, il est quasi

scrits (romans, scénarios, poésies, contes,

Ali Essafi : Votre question me renvoie

création sans maîtriser convenablement

travaux de recherches…) Parmi eux, une

spontanément à un passage de Frantz

la langue française… Ceci, alors même

magnifique « Histoire du cinéma au

Fanon dans « Les damnés de la terre »

que le système éducatif public, en

Maroc » ! Un travail colossal et combien

où il disait que : « La phase bourgeoise

grande faillite, ne permet la maîtrise

indispensable terminé dans les années

dans l’histoire des pays sous-développés

d’aucune langue qu’elle soit locale ou

80, que personne n’avait cru bon d’éditer.

est une phase inutile. Quand cette

étrangère. Je pense que cette « caste »,

73


ART TALK

Image extraite du film “Wanted” , Ali Essafi , 2011

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dont le règne caractérise la période post

Si processus il y a, c’est celui de la vie des

coloniale, est entrain de « s’anéantir »

humains sur terre et je ne pense pas pou-

de façon inexorable. Le malheur c’est

voir en arriver un jour à bout !

qu’elle est en passe d’être supplantée

Au-delà de ces préoccupations, je ne

par une nébuleuse obscurantiste portée

prétends surtout pas défendre la veuve

par la déculturation et la faillite de l’école

et l’orphelin. Tout ce que j’entreprends

que le système de cette caste avait lui-

répond d’abord à mes émotions, mes

même semé… Et ainsi, nous sommes

désirs, mes interrogations… Avant de

aujourd’hui, tous menacés de régression,

se transformer (ou non) en matière à

de passer d’une situation post coloniale

partager avec les autres. Il s’agit donc du

à l’avènement d’un obscurantisme d’un

processus de ma vie. Malgré moi, je me

autre âge. Celui-là même qui sévissait

sens chaque instant à l’affût des liens

avant la colonisation.

tissés entre mon travail d’introspection

Mon travail tente également d’impliquer

personnel et le contexte dans lequel

les ex-colonisateurs et les sociétés dites

j’évolue. J’effectue des va-et vient entre

civilisées... Une démarche empathique

le centre et la périphérie. Je traque tout

qui les invite à se regarder sous un autre

signes de convergence entre le détail du

angle. Cela concerne la plupart de mes

quotidien et l’infini du cosmos… Depuis

films dont Général, nous voilà !, Le silence

la nuit des temps, il y a très peu de choses

des champs de betteraves, Ouarzazate

qui n’ont pas déjà été dites ou montrées.

Movie…

La création est un prisme mystérieux qui permet de les exposer sous angles

AFRIKADAA : Vos films sondent les traces mémorielles, le patrimoine politique, les revendications sociales et culturelles, une recherche d’équité et de justice. Etes vous arrivé au bout de ce processus ?

différents, angles à l’infini... Comme je l’ai dit plus loin, j’ai commencé mon processus de travail sur le tard. Et avec le chantier de recherches que j’ai entamé ces dernières années, j’ai l’impression d’avoir enfin délié les nœuds… Ou peutêtre d’avoir nouer les liens. Je sens que

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Ali Essafi :Vu les thématiques que vous

je commence tout juste à développer un

citez, et tous les aspects de la vie que

point de vue mûr, capable de raconter et

celles-ci impliquent, je ne pense pas qu’il

de montrer les choses d’une manière plus

s’agisse d’un processus qu’il faille boucler.

singulière.

Liens films Wanted! (Eng.V ) http://www.dailymotion.com/ video/k5bagv8huy5tH83XOvE Ouarzazate movie (Eng.V) http://www.dailymotion.com/video/ k2zwzZmetK5sIX3Y34b Ouarzazate movie (French.V) http://youtu.be/3mszhlZ3NM Blues des Shikhats (French.V) http://www.dailymotion.com/video/ k2Ngv4LH5ZCexh3XCpB Le silence des champs de betteraves (French.V) http://www.dailymotion.com/video/ k6ZlL5DYWAcRNQ3XfVH Général, nous voilà ! (French.V) http://www.dailymotion.com/video/ k23Rf8TuvEFqFC3XPNd


ART TALK

Things come together: a conversation with Teju Cole By Anne Gregory

Teju Cole, Nigerian-American writer,

these words to me is the fact that one’s

artistic energy has to be spent reiterat-

photographer, and art historian is promi-

acts of self-preservation are not always

ing fundamentals. Almost as if you have

nent among the “new wave of African

understood or taken seriously. We are

to go back and prepare the ground on

writers”.1 His novel, Open City, won the

constantly being asked why race has to

which you place your work.

PEN/Hemmingway Award. His novella,

be part of the conversation or why gen-

So that’s right, you carry the sun with

Everyday is for the Thief, published

der has to be part of the conversation?

you, illuminating your own way forward.

from Salman Rushdie. Cole is the Dis-

This is a gap that is immensely difficult

tinguished Writer in Residence at Bard

to bride. The one between the outsider

College, lectures extensively, and main-

who thinks do we really have to bring

tains a provocative presence on Twitter.

up those difficult conversations and the

AG : When it comes to publishing your work you have many options, from literary magazines like Granta to big league publications like the New Yorker, yet you chose to publish the short story Hafiz on Twitter. Why ?

in Nigeria and the US, received praise

person who is experiencing it from the

AG : Teju, thank you for talking with Afrikadaa. Let’s start with something to set the tone for discussing your work.

inside and thinks actually we do have to bring up those conversations because in the absence of that conversation my

TC On one hand, I was published in

experience of the world gets completely

traditional venues. It doesn’t get more

erased. That is a pretty good frame for

traditional than having a novel pub-

TC I can begin with a quotation by the

thinking about the kind of work I try to do.

lished by Random House and then

late African American poet, Audre Lorde.

AG That brings to mind this passage by

reviewed by the NY Times. It’s straight

It says: “Caring for myself is not self

Frantz Fanon: “Our history takes place

forward, the way it’s done for the writer

indulgence. It is self-preservation. And

in obscurity and the sun I carry with me

who gets their work out there. One way

that is an act of political warfare.”

must lighten every corner.”

of telling that story is to say I had that

Audre Lorde was certainly writing from

happen to me. Then I parleyed that into

outside the larger social and cultural

TC Absolutely. Fanon becomes one

mainstream. She was a black lesbian

of those essential thinkers and writers.

poet. What was so resonant about

That particular quote is one that is vital

But the other story, the deeper and truer

to me. It’s interesting just how much

story, is that I was actually taking online

1! !"##$!%#&'(')!*+!!,-./0$!123#!-45+!!6#7!8)9#!:;! <;='()3!8='>#=?!7'>@!)3!A3>#=3)>':3)&!B#3>+!!6#7!C:=D!E'F#?+

76

things like writing on Twitter.


seriously for publication before I ever

only seven pages long.

published anything in print. Once the online interaction became real, I never doubted it as a way to reach audiences.

AG : It’s about drinking, or not drinking, a bottle of coke.

It came very naturally to me. I simply wrote the story, took it through its

TC Exactly. She read it and wrote back

twelve drafts as best as I could, then I

to me and said you’ve got it; you’ve

put it online.

arrived now. Something clicked in my head that what I’m saying has not been

I thought, why not spend that energy

said in quite the same way.

on writing really good and present it to

That vote of confidence was not a big

twelve of my friends or to twenty read-

review or a prize, but it helped me push

ers? That was actually the early strategy.

forward in the book. It marked the

Writing for a very small audience, but a

moment when I felt myself transition-

steady one and a serious one, an audi-

ing from being an ordinary citizen of

ence of good writers. I began to create

the Republic of Letters into somebody

the body of work so that when I did

who was actually participating in pro-

have the opportunity to present work

ducing the material, into someone who

to a publisher, I actually had something

was doing literature.

to show. Online is where the audience

All said and done, I feel very fortunate.

is. It is where your work can be seen.

But none of that whole long history

And it is where it has a chance to make

changes anything when I sit down at

an impact.

my desk, facing an empty document. I still have to create a coherent sentence.

AG : Was there a seminal moment in your development as a writer – something or someone that helped propel you along your path ? TC In Open City, about half way through the book, Chapter 10. I had already sold the book and written

AG : In Everyday Is For The Thief the emotional level is almost visceral – it’s like a love story about Lagos. However, Open City, set in New York, is more intellectual. There is an emotional distance. What accounts for the difference ?

Everyday is for the Thief – I was sort of well on my way, but I had not published

TC I’ll speak about the difference

a book in the US yet. I was definitely

between the two narrators, because

having the ongoing conversation with

that’s what it really comes down to.

myself about whether I had a writing

There are two narrators whom I’ve

ability, whether I had talent, or whether

drawn close to each other and then at a

it was all just smoke. I remember the

slightly greater distance from myself –

day I wrote the tenth chapter of Open

close to me, but not me.

City and I showed it to one good friend.

Everyday Is For The Thief was about a

We’re talking about a chapter that is

guy exploring the experience of return-

77


From the left to the right : Jerusalem 2014. Photo credit Teju Cole

ing [to Lagos] in a more raw way. It is

reading and the films they are watching.

It’s like when you are printing something

clearly about a disenchanted love for a

It always seems that characters are too

you need cartridges of different colored

city. In Open City, there was a different

busy dealing with big stuff to actually

inks. Each of those thematic points is

kind of agenda at work.

read books and watch movies and do

like different colored ink so that if you

Open City is about mourning. It’s more

all the things that we do in our lives.

printed with just one ink you would get

like shell shock. I wanted to maintain

So I always try to include that texture

a vague outline of the picture. But if you

that mood all through the book. I

into my fiction. Just regular things like

print with all the inks together, that’s

wanted it to be kind of uncomfortable

names of books and names of authors.

when you get a fully fleshed out picture.

to read. You are immersed inside this

Sometimes I invent the name of a book

Cosmopolitanism itself hits at the main

world. There are a lot of beautiful things

or a film or a writer. For example, in

concerns of the book. But most of the

in it, but at the same time it is not fun

Open City one important book cited was

book, politically, does not attempt to

to be with someone who is mourning.

one called The Monster of Amsterdam,

come to a conclusion. It does not give

Then towards the end of the book we

which was written by Julius’s patient.

instructions about how to think. This is

also realize that not only has he been

It’s totally plausible – an academic book

a book that is shrouded in doubt. It’s

mourning but he has also been the

about early New York history – except

not in the business of giving a political

source of a certain grief to others. So the

that it doesn’t exist. Though it has

agenda.

emotional register I was exploring in the

occurred to me that I might now go back

books was different.

and attempt to write such a book. As far as Cosmopolitism goes, I just thought of

AG : You often reference books in your fiction. One you mention in Open City is Cosmopolitanism. Does its idea of universal plus difference reflect on a theme in the novel ?

all those books in general as creating an

AG : You are a photographer as well as a writer. Does one discipline influence the other ?

alternative shape of the story being told inside Open City itself. There is Gas-

TC I find a lot of the photography I’m

ton Bachelard, Tahar Benjelloun, Peter

doing these days does try to catch

Altenberg and Kwame Anthony Appiah

what is illusive. There is a feeling in my

-- almost as if they are dots that you

photographs that might be described

TC First, I have a certain interest in real-

can trace together and get an outline

as poetic -- something seen from the

ism -- a realism that has the texture of

of what is in the book. There are other

corner of your eye that is kind of blurred.

contemporary life. I notice a lot of nov-

motifs that recur in the novel -- passages

On the other hand, my writing is very

els leave out the books that people are

about birds, and passages about music.

descriptive, listing the facts of a situa-

78


tion in which there is not a lot happening in terms of big events. I’m not a war photographer or a wedding photographer or a portraitist. It’s observation about very small things.

AG : What seems especially relevant to you at this point in time ? TC What feels important to me at this moment right now is that all the work we are doing, all the discourse, all our arguments, all our efforts to make the world better – everything can be looked at from the point of view of having been finished already. In other words, a hundred years from now none of us is going to be remembered. We will be in somebody’s distant past. I don’t find this depressing. I find it kind of a relief because we get so caught up in thinking whatever is going on right now is the most important thing in the history of the universe. And it simply is not.

79

Teju Cole photo credit: Retha Ferguson


ART TALK

4° 3’ N, 9° 42’ O ou plus précisément 4° 0 43888’ N, 9° 742706’ O

Par Katja Gentric

Deux routes se croisent ici. Nous voyons

puisqu’un autre vient lui couper la

ne fait-on rien pour trouver une solution

le carrefour d’en haut : un poids lourd

trajectoire, détourne le regard. De temps

contre les embouteillages intermina-

de convoi exceptionnel, un camion

à autre une deuxième image vient

bles qui paralysent ainsi la plus grande

transportant du bois, camion-benne,

s’interposer : une hache tranchant du

ville camerounaise ? Pourquoi les gens

camion-citerne, bus, Land-Rover, mini

bois. Cette deuxième reste translucide,

sont-ils obligés de risquer leur vie pour

bus taxi-brousse, voitures avec porte-

parait se poser comme une ombre

traverser la ville d’un bout à l’autre ?

bagage sur le toit, un gigantesque

diaphane sur le remue-ménage sous-

Pourquoi tous ces pousse-pousse, ces

chargement de bois en pousse-pousse,

jacent. La vidéo porte le titre “Précarité”,

vélos, ces piétons porteurs de charges?

mobylette portant deux passagers,

elle est tournée en 2006.

Les voitures parviennent même à faire

vélos, vendeurs, leurs marchandises

demi-tour au beau milieu de ce fourmil-

sur la tête, piétons, enfants. Tous

L’intersection se trouve au cœur de

s’entrecroisent dans un flux ininter-

Douala . Achille Komguem , dont cette

rompu, rythmé, sans apparente règle de

vidéo porte la signature, s’interroge : “A

Alors que la précarité dans ce premier

priorité. Leurs trajectoires semblent les

chaque fois je me demande pourquoi il n’y

cas est traduite par le mouvement, le

amener fatalement à la collision, mais

a pas d’échangeur ici ” - le danger de ce

rythme, l’oscillation, Achille Komguem

ils s’évitent d’un fragment de millimè-

carrefour est pour lui signe de la plus

sait rendre cette même qualité percep-

tre à la dernière seconde. L’image est

grande précarité économique : pourquoi

tible dans des images immobiles, ou

rythmée, saccadée, oscillante, précaire,

1 — Il s’agit du tristement célèbre carrefour de Ndokoti à Douala

presque. Une bassine émaillée emplie

les mouvements sont rapides... Impossible de suivre des yeux un véhicule tout au long de sa traversée de l’écran,

80

1

lement!

2

3

2 — Katja Gentric, Allgemeines Künstlerlexikon, Band 81, Walter de Gruyter, Berlin, p.241. 3 — Achille Komguem, propos recueillis lors de l’échange du 10 juillet 2014, Espace Khiasma.

de bananes, observée au passage du temps, guettant les premiers signes du processus de pourriture, évoque para-


Pascale Obolo, La femme invisible, vidéo, 5’45, 2008 © Pascale Obolo

doxalement la même instabilité. Ces

la même année, 2006.

une position vertigineuse de change-

fruits gâchés lui inspirent avec tristesse

Ces courtes séquences nous conduisent à

ment simultané en trois dimensions

les enfants qui pendant les vacances

l’essentiel du nœud philosophique de l’image

: L’espace entre les choses est le plus

scolaires se font vendeurs de rue afin de

mouvement . Rythme, précarité, oscillation

instable de tous, s’étirant, se com-

gagner de quoi poursuivre leur cursus

deviennent le moteur qui entraîne et

pactant, s’effaçant. Dans la circulation

scolaire. Komguem reprend chaque

structure ce travail artistique, donne la

de la route, il peut se faire enveloppe

jour la même image, un lent zoom

pulsation initiale de l’image en mouve-

de protection (le carambolage évité

approche les bananes ayant entamé

ment . La précarité s’arme ici de toute

grâce à un espace maintenu entre deux

leur processus d’altération. Irrévocable-

l’inextricable complexité de sa significa-

voitures). Dans d’autres contextes, cet

ment nous sommes aspirés par leur

tion sociopolitique pour se faire principe

espace “entre”, volatile, devient lui-même

présence matérielle, se faisant progres-

artistique : sans incertitude point

véhicule de tout échange. Les paroles,

sivement plus décomposée, alors que

d’innovation. L’obstacle incontournable

les regards, les émotions s’échangent

l’enveloppe, cette peau épaisse, semble

impose sans pitié l’invention.

“entre” deux individus, dans l’espace

4

rester immuable en dehors du change-

entre deux visages, par exemple5 .

ment de couleur. Le rythme de cette

Faisons l’essai, pensons ces mêmes

Tout mouvement est ici réciproque : le

séquence est hypnotique, la continuelle

images “en creux” : tentons non pas de

mouvement dans un sens est déterminé

dégradation semble impeccable. Le seul

voir mobylettes et porte tout en tout

par ce qui vient en retour, un incessant

mouvement vif et aléatoire est le va-et-

genre mais les espaces entre ces véhi-

terrain de traduction.

vient furtif des mouches qui se posent

cules. Nous nous trouvons alors dans

sur les fruits en décomposition. La vidéo porte le titre “100 remords”, elle date de

81

4 — Gilles Deleuze, Cinéma, I. L’image-mouvement, Les Éditions de Minuit, Paris, 1996. Rappelons-le. Deleuze relit ici pour le cinéma Henri Bergson, Matière et Mémoire (1896)

5 — Cette idée a récemment été adoptée comme thème fédérateur pour une publication collective dédiée à la création artistique venant d’Afrique éditée par Marie-Hélène Gutberlet, The Space between us, (2013, Kerber Verlag, Bielefeld)


Toujours la circulation, le travail d’Achille

travail avec Samuel Fosso. Elle montre

tour”. Les sept artistes participants vivent

Komguem interpelle alors celui d’une

un court film avec le titre «Téléportation”,

alors les multiples aventures de la réalité

autre artiste, Pascale Obolo. L’ambiance

fait à l’occasion de l’invitation de Samuel

des restrictions administratives. Ce

a changé. Il pleut : jeux de reflets dans

Fosso à la Tate Gallery de Londres. Les

faisant ils inscrivent leurs actions artis-

l’eau, rideau de pluie, pan vitré couvert

œuvres de l’artiste (une série de photog-

tiques dans les villes qu’ils traversent

de gouttes, rendu opaque par la buée.

raphies, autoportraits en “ayant adopté

: de Douala à Cotonou en passant par

Une femme marche sur l’asphalte et les

l’esprit de” grandes personnalités venant

Lagos, de Lomé à Ouagadougou en pas-

pavés mouillés, nous sommes à Paris.

d’Afrique “African Spirits”, 2008) passent

sant par Accra, de Bamako à Douala en

Les bus et panneaux publicitaires se

sans problèmes les douanes. L’artiste en

passant par Dakar. Komguem reprend

glissent, se chevauchent comme des

chair et en os se voit pourtant refuser

la problématique dans une installation

couches superposées d’images. “La

le visa, nécessaire pour se rendre à

de 2009 “Visa-ge7 ” , une structure en fil

femme invisible” (2008), un film dans

Londres où son travail et ses multiples

de fer, une tête gigantesque, qui devient

lequel les surfaces sont amovibles, les

autoreprésentations peuvent être vus.

visage par l’incrustation de deux moni-

masques se frôlent, s’entre changent. La

Fosso élabore alors une mise en scène,

teurs de télévision, sur chacun est visible

bande son nous entraîne dans les pen-

une conférence de presse, comme s’il

un œil. Par le jeu de mots du titre, les

sées de la jeune femme sur le cinéma,

était à Londres. Selon sa démarche

deux possibilités restent ouvertes : le

et la possibilité d’un cinéma “africain”

habituelle, le déclencheur de l’appareil

visage comme lieu d’individuation d’une

dans un univers où l’industrie média-

à la main, il adopte la pose de “Samuel

personnalité et l’obtention ou non d’un

tique ne prévoit pas de place pour un

Fosso lors de la conférence de presse

visa, qui signifie liberté de déplacement.

visage venant d’Afrique. Tout se joue

à Londres”. Il se montre au moment de

Les deux possibilités improbables sont

ici dans l’espace à traverser entre deux

prendre la parole. Pascale Obolo qui

pesées.

visages : par exemple le mien et celui

accompagne cette performance avec sa

que le monde peut voir. Mais aussi le

caméra, filme un homme qui s’apprête

Les deux artistes Obolo et Komguem

mien et celui d’un autre que j’interpelle.

à parler, mais dont on n’entend jamais

frôlent avec chaque nouveau travail de

La précarité règne dans l’espace entre

les propos : un moment entre-deux,

cinéaste, de vidéaste le moment crucial

deux visages. L’interrogation de Pascale

intense, muet, d’une grande tristesse.

où le vécu bascule à l’image. Ils initient

Obolo est provoquée par le sentiment

L’image doit suffire pour parler à sa

ainsi le jeu entre précaires équilibres

que son visage, venant d’Afrique, ne

place.

et déséquilibres flagrants. Une fragilité

semble pas être vu en Occident. Elle ne

et une précarité comme un doute, un

trouve pas son double parmi les affiches

Achille Komguem a fait l’expérience

espace ouvert à l’invention. Ils captent

de l’industrie cinématographique, faut-il

des multiples précarités autour de

ainsi l’essentiel de ce que signifie

conclure sur l’invisibilité ? Sur le senti-

l’obtention d’un visa entre états africains

ment d’exil ?

à l’occasion d’une performance en 2006

l’expression “image en mouvement”.

6

dans le cadre de la Biennale de Dakar.

Ce texte est écrit suite à une rencontre-

Les deux artistes, Pascale Obolo et

Avec sept artistes associés au centre de

laboratoire conduite à l’Espace Khiasma

Achille Komguem ont chacun à leur

création ArtBakery, le voyage de Douala

le 10 Juillet 2014. Avec Achille Komguem,

façon réfléchi à la problématique de la

à Dakar est entrepris sous forme d’art

Pascale Obolo, Dominique Malaquais et

place de l’individu et sa dépendance

itinérant, sous forme d’action artistique

Dinah Douieb (voir http://www.khiasma.

administrative, qui restreint ses déplace-

performative, le projet s’appelle “Exit-

net/rdv/10-36’-n-14-20’-o/)

6 — Ce travail en réseau est le sujet de son intervention aux 3e Rencontres des Études Africaines en France en juillet 2014. L’étude de Komguem porte le titre “Exitour : Performance artistique itinérante : A pied et en bus, de Douala à Dakar, 07 artistes à la conquête de 07 pays”

7 — Dossier pour “Barrières, Une exposition d’Achillekà KOMGUEM Galerie MAM Douala Cameroun juin – Juillet 2009” transmis par l’artiste en 2013 : “Visa-ge”, Sculpture vidéo, fil de fer, cordes, fer, 02 téléviseurs incrustés, masques 350 x 250 cm, 2009

ments, qui détermine où il peut aller, qui il peut être aux yeux des autres. Pascale Obolo y donne expression dans son

82


Achille Komguem (Achillekà), Précarité, vidéo, 1’ 30, 2006. © Achille Komguem

83


PLACES

Zeitz MOCAA

le musée qui va propulser le cap sur la carte mondiale de l’art contemporain. Par Carole Diop Images : Courtesy of Heatherwick Studio

Bien qu’il n’ouvrira ses portes qu’à la

acquisitions.

lumière grâce à un toit de verre, selon

fin de l’année 2016, le futur Musée d’art

En plus de la collection permanente, le

les concepteurs du projet. Certains

contemporain d’Afrique Zeitz (Zeitz

Zeitz MOCAA abritera des expositions

compartiments des silos seront ouverts

MOCAA) fait déjà parler lui. Après le

temporaires. Il comprendra des centres

au niveau du sol et aménagés en

Bénin, avec le Musée d’Art Contempo-

éducatifs pour les enfants des écoles et

galeries d’exposition, tandis que d’autres

rain de Ouidah ouvert en novembre

les jeunes conservateurs de musées, et

logeront des ascenseurs. Communiquant

dernier à l’initiative de la Fondation

bien sûr les habituelles boutiques, librai-

avec le Waterfront, un amphithéâtre

Zinzou, c’est aujourd’hui l’Afrique du Sud

ries et cafétérias.

permettra d’accueillir des événements

qui est cette fois à l’honneur.

C’est sur le Waterfront, le vieux port

extérieurs devant le musée et un jardin

du Cap devenu un pôle commercial et

perché sur le toit du bâtiment offrira une

S’il existe en Afrique du Sud de nom-

touristique majeur où se retrouvent tous

vue imprenable sur la ville.

breux musées d’art, le Zeitz MOCAA

les visiteurs du pays, que sera implanté

Le plus difficile pour les concepteurs a

fera figure d’exception. Le bâtiment

le futur musée. L’architecte britannique

été de préserver le caractère historique

qui s’étend sur 9500 m2 répartis sur

Thomas Heattherwick a été choisi pour

des silos tout en créant un espace d’art

neuf étages, dont 6000 m2 de surfaces

relever le défi de transformer 42 anciens

répondant aux critères internationaux.

d’exposition, sera le plus grand musée

silos à grains (construits en 1921, et

Ils ont réussi à réinventer un musée dans

au monde dédié à l’art contemporain

hauts de 57 mètres) en un écrin pour

un contexte africain. L’architecture du

africain.

la création contemporaine africaine et

Zeitz MOCAA célèbre une Afrique qui

diasporique. Pour accomplir cette tache

préserve son propre héritage culturel,

Jochen Zeitz, homme d’affaire allemand,

dantesque Heattherwick a pu compter

écrit sa propre histoire et se définit selon

ancien président de Puma et aujourd’hui

sur le concours de partenaires locaux,

ses propres termes.

administrateur de Kering (ex-PPR) a cédé

Van Der Merwe Miszewski Architects,

sa collection d’art africain accumulée

Rick Brown & Associates et Jacobs Parker.

depuis 2002 pour les besoins de

En attendant l’ouverture du musée, une sélection d’œuvres de la Collection Zeitz

l’exposition et s’est engagé à prendre

Un espace en forme d’ellipse sera

sera exposée au Pavillon Zeitz MOCAA,

en charge les coûts de fonctionnement

creusé au centre du bâtiment pour créer

un espace d’exposition temporaire situé

du musée et à financer de nouvelles

un grand atrium qui sera inondé de

sur le port.

84


85


ART TALK

86


87


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© Alexandre Gouzou

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Né en 1966 à Ogidi, Nigéria. À la fin de la guerre du Biafra, en 1970, sa famille s’installe à Lagos. En 1985, il est admis à la London International Film School, d’où il sort diplômé en 1990. En 2001, Rage, son premier long-métrage, est le premier film totalement indépendant de l’Histoire du cinéma britannique réalisé par un cinéaste noir à être distribué sur l’étendue du territoire national. Avec Ezra, en 2007, Newton I Aduaka remporte l’Étalon d’or de Yennenga au Fespaco, la plus grande récompense pour un cinéaste africain, puis il est invité à donner une Master class au festival de Cannes. One Man’s Show, le troisième long-métrage de Newton, qui vit actuellement à Paris, où il a cofondé la société de production Granit Films, avec Alain Gomis et Valérie Osouf. * Visionner la bande annonce : http:// vimeo.com/ondemand/onemansshow/76363848 Le mot de passe pour accéder à la video est : !"#$"%

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CONCEPT

SUNDUST Par Sean Hart Images extraites du court-métrage © Sean Hart

AVERTISSEMENT : Les entretiens et commentaires contenus dans ce programme constituent des éléments de divertissement. Les points de vue et opinions exprimés sont ceux des intervenants et représentent nécessairement ceux de MYDRIASIS ENTERTAINMENT, de l’une ou l’autre de ses filiales ou employés.

GENÈSE : Le 15 février 2013, à l’amphithéâtre de l’Université Marien Ngouabi, à Brazzaville au Congo, Sean Hart va à la rencontre de l’ écrivain sud-africain, André Brink, qui est invité par le festival international « Étonnants voyageurs » pour parler de son dernier livre « Mes Bifurcations ». Sean Hart veut créer une situation et l’enregistrer : une conversation entre son ami congolais : Ori Huchi Kozia et André Brink. Cette discussion aura lieu le 17 février 2013, de 11h15 à 11h45, avec pour point de départ une citation d’Angela Davis ( «Walls turned sideways are bridges» / «Les murs renversés deviennent des ponts» ). De cette conversation, Sean Hart va en garder 15 minutes, qui constituent la voix off de son court-métrage “SUNDUST”.

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RETRANSCRIPTION : ANDRÉ BRINK: Un mot qui peut m’accompagner n’importe où dans la vie. Parce que j’ai grandi entre les murs. Les murs de toutes sortes. Les murs... construits érigés par mes parents par ma société blanche au milieu de l’Afrique du Sud où il y avait toute sorte d’interdictions

endroit.

de restrictions

Atteindre quelques buts.

à tous les cotés

Je veux toujours aller plus loin.

pour m’indiquer qu’il est défendu d’entrer ici

Et pour ça il faut

de faire ça

pour retourner à notre point de départ

d’aller là

casser les murs.

et comment se comporter

Pour découvrir que les murs

afin de rester

qui étaient des limites

entre les murs.

qui étaient au début des barrières

On m’a donné toujours dès le début toutes sortes

des restrictions

d’indications de la destruction

qui m’imposaient

de l’horreur

une parcelle de la Terre

qui suivait

et essayaient de m’y confiner

si jamais

d’y rester

j’ose

en voulant

j’oserai

aller

transgresser

plus loin

sortir hors des murs.

en voulant

Et maintenant que j’ai presque 80 ans

passer outre

je continue toujours

pour moi c’est

je cherche toujours

une sorte de «moto»

et ça me donne une sorte de

pour une vie de

c’est plus que

de signifiances

impatience

je recherche toujours ce que je peux trouver signifiant

mais c’est quelque chose qui me pousse à l’intérieur

quelque chose qui n’est pas seulement ce qu’elle est

de ne rester jamais sur place

mais ce qui évoque

de n’accepter jamais que

la possibilité

je suis arrivé à n’importe quel...

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d’une autre vérité

qui t’ empêche d’aller vers autrui.

une vérité plus ample

Mais paradoxalement

une vérité

ça c’est la relativité de toute chose

une distance plus loin.

paradoxalement

Et c’est comme ça que j’ai continué

chez nous quand on met un mur c’est...

et comme je l’ai dit je l’ai déjà fait pendant des décennies

effectivement pour séparer deux zones

pendant toute ma vie en effet

pour séparer deux mondes

ça me donne cette impatience oui

pour bien les distinguer

mais aussi cet espoir

mais aussi pour se protéger

de pouvoir continuer

et la plupart de ceux qui érigent des murs

parce que je sais que

ce sont les riches

on peut toujours aller plus loin

qui ont des crocs

on n’arrive jamais à un but

qui ont des grands murs

à un point final

et qui se cachent derrière ces murs là.

chaque point où on arrive

Donc, ils se cachent aux yeux de qui ?

dessine et «défine»

Pourquoi ?

les possibilités d’autres points.

Et comment ?

C’est pas une angoisse,

Donc la notion même du mur...

c’est quelque chose de très positif

Mais ce que je n’arrive pas à bien saisir

c’est même...

c’est le fait que quand un mur est retourné, est renversé

c’est un enthousiasme

il devient un pont.

c’est une joie.

En quoi est-ce que un mur renversé peut devenir un pont ?

Pour trouver les raisons et les possibilités

ANDRÉ BRINK:

d’aller plus loin, de chercher plus loin

Vous avez dit : Pourquoi ?

d’arriver là où on n’a jamais été auparavant.

Parce qu’il est là.

Pour moi ça porte une sorte de satisfaction

Ces murs, ces limites

très spéciale

qui nous sont imposés de l’extérieur

très particulière

le plus souvent

et c’est ce qui m’aide à vivre.

ils ne vont pas de l’intérieur...

KOZIA : Si j’ai bien compris votre pensée au début les murs étaient un élément de coercition de limites sociales. ANDRÉ BRINK: C’est bien ça oui. KOZIA : Un élement d’interdiction. Un élement de limite

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ils peuvent être aussi des murs construits par la volonté de soi

finalement, ces même peuples les ont dépassés ou les ont

même

détruits.

de ne pas vouloir aller plus loin...

Donc ces murs deviennent à la fois

de vouloir s’imposer des restrictions, des limites.

des barrières physiques

Mais pour moi dès qu’il y a un mur

mais aussi des barrières psychiques

ça veut aussi dire la tentation

des barrières psychologiques.

d’aller plus loin ANDRÉ BRINK: Absolument KOZIA: De le franchir, de le dépasser ANDRÉ BRINK: Franchir, exactement KOZIA: De le dépasser. ANDRÉ BRINK: Et de voir ce qui se trouve à l’autre côté. C’est cette... curiosité... qui me pousse et c’est pas toujours plaisant, c’est pas toujours quelque chose de... de bien même. Mais c’est quelque chose d’inévitable, quelque chose de nécessaire sans cela il n’y aura plus de... de tentations. Il n’y aura plus de... de sentiment de vouloir pousser sa curiosité dans d’autres directions et comme je l’ai déjà dit plusieurs fois...

KOZIA: Donc, si... Qu’est ce qu’il faut d’abord détruire d’après vous ? Il faut d’abord détruire la barrière psychologique, psychique. La barrière abstraite ? Ou il faut d’abord détruire la barrière physique ? Qu’est qui précède ?

d’aller plus loin.

ANDRÉ BRINK:

KOZIA:

Parce que dès qu’on prend conscience

L’Histoire est pleine d’exemples qui prouvent, qui montrent de façon objective que les murs qui ont été bâtis qui ont été construits qui ont été érigés par telle nation, tel groupe, tel peuple

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Les deux. Et surtout, surtout les barrières abstraites. des restrictions, des murs, de n’importe quel genre pour moi ce qui est important c’est la volonté d’aller plus loin. De dépasser. De franchir. Et c’est justement dans l’acte de franchir des murs de les détruire


qu’on découvre que ce qui avait que ce qui créait au début l’illusion d’une limite d’une restriction peut devenir le moyen par lequel et au travers duquel on découvre d’autres espaces chaque fois quand un mur est détruit ça devient un pont c’est la destruction, c’est la franchise de... Spatiale

de ce que l’on ne connait pas encore

et les espaces pour moi sont toujours

et c’est là pour moi le dynamisme qui définit

posent toujours les défis à l’individu.

le mouvement primordial de la vie, d’être vivant.

La volonté d’aller plus loin.

Etre vivant ça veut dire que l’on est pas content de rester sur

La volonté de voir ce qui se passe de l’autre coté

place

et donc ...

et c’est pour ça que le mur renforce ce...

assez souvent on peut peut-être être déçu

ce besoin de confort, ce besoin de...

ces déceptions viennent de la découverte du fait que ce que l’on voit maintenant

KOZIA : Sécurité ?

ce n’est peut être pas tellement remarquable comme on le pensait auparavant

ANDRÉ BRINK :

mais

Oui

c’est l’acte de...d’aller plus loin.

Et le moment pour moi le moment où il y a sécurité

L’acte de franchir les murs.

où il y a certitude

L’acte de transformer des murs dans des ponts

où il y a la possibilité de...

qui...

d’accepter ce qu’il y a...

insère

d’accepter les limites

plus de...

ça veut dire en même temps

dynamisme

la nécessité de passer outre

d’énergie

de tester la validité des restrictions.

dans n’importe quelle situation parce que ce n’est pas

C’est pour ça que pour moi les murs ne sont là

pas toujours facile de franchir des murs.

que pour me rappeler toujours que

De se servir des murs comme des ponts.

ils sont là pour

Pour aller ailleurs

imposer des restrictions

afin d’explorer des espaces auparavant inconnus

mais ça veut dire en même temps

afin de...

la nécessité de trouver les moyens de...

de trouver

d’aller plus loin, de les dépasser

ce qui n’a pas encore un nom, ce qui n’a pas encore été défini

de se servir d’eux

et quand ça n’a pas encore été défini ça veut dire qu’on..

pour aller plus loin plutôt que d’accepter de rester sur place.

doit, qu’on peut

Les murs sont là parce qu’il y a quelqu’un d’autre qui essaie de

qu’il doit y avoir la possibilité

me contrôler

d’aller un petit peu plus loin afin de faire la découverte

de m’imposer des limites.

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Et c’est ça que je ne peux pas accepter. Parce que ce qui me rend être humain c’est ce qui définit mon humanité. Et c’est pour ça que je ne peux pas accepter la position de cet... Dès qu’il y a limite, dés qu’il y a mur je veux le tester, je veux voir si c’est nécessaire si c’est littéralement incontournable et je n’ai pas la mentalité de me résigner, d’accepter...

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CONCEPT

En fond de court de la mémoire et du temps, l’ironie comme amortie

Par Saad Chakali

« Je te le rappelle, tu t’en souviens » de Valérie Osouf

Image extraite du film : © Valérie Osouf

100


Deux verbes pronominaux, le premier transitif (rappeler), le second intransitif (souvenir) : comment une histoire donc passe et ne passe pas, transite ou non, directement ou indirectement, entre une femme (la réalisatrice) et sa grand-mère atteinte de la maladie d’Alzheimer. Et la première se trouve alors de fait à en savoir probablement un peu plus que la seconde sur des pans entiers de son existence personnelle. D’où que Valérie Osouf ait intelligemment privilégié dans son court-métrage le fait de parler et de poser ses questions dans l’éloignement physique d’un cadre occupé par le visage de sa grand-mère filmé en gros plan. Si loin dans l’espace et le hors-champ mais si proche d’un temps échappant à sa grand-mère en gros plan. Comme s’il fallait rendre perceptible le fait que, depuis une bouche à l’extérieur du cadre jusqu’à une oreille dans le cadre, la voix traversait autant un espace domestique que le temps en ses fractures coinçant l’objectif dans le subjectif (les dénis personnels entrant plus ou moins lointainement en écho avec les trous de la mémoire collective concernant les rapports conflictuels entre la France et l’Algérie) et ses béances impossibles (la maladie de la mort au travail qui surgira peu de temps après le tournage du film). Comme si, pour filer la métaphore tennistique chère à Serge Daney, les échanges en fond de court permettaient de rendre manifeste le terrain de jeu paradoxal de cette image-temps : celui d’une histoire longue divisée en deux par un filet qui est celui du cadre et qui partage le champ de l’entretien entre d’un côté la petite-fille sans visage qui se trouve au plus loin d’une expérience qu’elle n’a pas vécue mais dont elle rappelle des fragments entiers et de l’autre la grand-mère à l’extrême et troublante visagéité qui s’en trouve au plus près sans plus vraiment réussir à s’en souvenir. Sauf que cette dernière procède parfois par coupes intempestives, accomplissant de véritables amorties qui sèchent en laissant sur place autant son interlocutrice que le spectateur, par blague volontaire (par exemple ses moqueries concernant les prénoms familiaux qu’elle mélange) ou bien par fulgurance mémorielle ou mnésique (par exemple le numéro précis de la rue Michelet à Alger où elle a habité). Le terrible paradoxe voulant que la maladie d’Alzheimer elle-même détermine l’usage erratique et obscur d’une ironie qui autant coupe court aux échanges (de fond de court qui est donc celui du temps) qu’elle témoigne par contrecoup de l’absence de toute ironie caractérisant l’autre série filmique du court-métrage constituée d’images d’archives livrées en conséquence à leur plus accompli gâtisme. Alors que, dans Je te le rappelle, tu t’en souviens, le gros plan de visage d’une femme malade emportait avec lui le risque de saturer l’image d’un grain d’obscénité paralysant, l’ironie des renvois de balle en amortit la possibilité tout en la déplaçant du côté de la débilité sénescente du registre propagandaire du siècle dernier dont la série se joue sur le cours parallèle du film. Le caractère irrésolu dans l’usage de l’ironie ouvrant alors au visage lumineux et affaibli de la grand-mère de Valérie Osouf, littéralement filmé dans la phase ultime de son évanouissement, sur la blanche dimension dreyerienne de l’Esprit, ce grand Dehors dont on ne peut séparer de manière catégoriquement figée la part de conscience de celle qui appartient à l’impensé d’une subjectivité matelassée des disjonctions du siècle passé. Une subjectivité en grande proximité de celle d’Odette Robert, la grand-mère de Jean Eustache filmée par ce dernier dans Numéro zéro (1970).

Saad Chakali est assistant de conservation à la médiathèque du Blanc-Mesnil en Seine-Saint-Denis. Auteur sur Internet de plusieurs analyses sous le titre Des nouvelles du front cinématographique, il a été publié dans Vertigo, les Cahiers du cinéma, Images documentaires, Éclipses et Trafic.

« Je te le rappelle, tu t’en souviens » (2013) de Valérie Osouf Lien video ; https://vimeo.com/89479742 mot de passe : !"##$%"&$!#

101


CONCEPT

Correspondance filmique Entre Katia Kameli: photographe /vidéaste Et Pascale Obolo: rédactrice en chef/cinéaste

Arrivée au Frioul. Photo : Katia Kameli

Le Botanique à Bruxelles lors du festival de film ellestournent. Photo: Pascale Obolo

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Le Botanique à Bruxelles lors du festival de film ellestournent. Photo: Pascale Obolo

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Tara vue du zodiac. Photo : Katia Kameli


FOCUS

Les portes de la perception. Haïti ground zero de Michelange Quay Par Louisa Babari Images : courtesy of the artist

« Ceci est l’histoire d’un homme marqué par une image d’enfance » ainsi débute le film de Chris Marker, « La jetée ». Le dernier film de Michelange Quay, « Haïti ground zéro1 » évoque subrepticement une référence au film de Marker. Il est là le transport temporel, incarné non pas par un diaporama d’images mais par un travelling vertical de plans qui rappellent l’expérience sensorielle d’une descente dans les bas-fonds de la conscience, antichambre de la condition humaine, sous-sol cher au grand écrivain du ravin de l’âme, Fédor Dostoïevski. Iconographie politique haïtienne du XVIIIe, dessins et gravures de la période de l’Esclavage, patrimoines humains et bâtis des mégalopoles du XXI siècle (fourmilières humaines, architectures concentrationnaires) partagent un commun dans le labyrinthe vertical. Comme dans le film de Marker, les souvenirs ou plutôt ici les visions viennent dans le désordre, dans les sauts du temps, jetant le voile d’un 1 Haïti ground zéro, film disponible en sur vimeo. Pour accéder à la vidéo utilisez le mot de passe trailer.

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fort contenu poétique qui est aussi le « brouillard des âmes ». Film court, « Haïti ground zero » est l’histoire d’un homme marqué par la question de l’origine et de l’existence d’Haïti. La question reste posée comme si elle était une genèse de la représentation et directement celle du régime des images. Suis-je ? Ai-je été ? Qui suis-je et que suis- je dans la matrice technologique, dans l’œil de la caméra de surveillance posée dans le couloir de la ville. La bande son sert cette œuvre d’anticipation. Voix off, bits electrorocks, electrovaudous d’une science fiction contribuent à ouvrir les portes de la perception. A Haïti, l’après-séisme ouvre une porte, ou plutôt une béance. Le vent fait entrer les spectres du passé et les démons de demain. Michelange Quay s’interroge : « Après un premier film et vu les limites et les possibilités du film d’Art et d’Essai, que peut-on encore dire et faire avec le séisme ? L’idée est là. Quand on parle des limites de l’Art et de l’Essai, c’est la question du public qui est évoquée. A qui parle-t-on d’Haïti ? Ghettoïsation d’Haïti et de sa culture. Je veux faire un film populaire. Je me pose la question moi-même : qu’entends-je par « film

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populaire ? ». L’arrivée du séisme annonce une nouvelle ère. Les institutions sont devenues des coquilles. La ville est appréhendée par la question de la reconstruction. Je ne sais plus au juste ce qui est évoqué encore. Le pays d’Haïti ou la situation du pays, son état ? Je pose la question de l’existence même d’Haïti. Qu’est- ce qu’Haïti ? Est- ce un épicentre comme l’Ukraine aujourd’hui ? Est- ce cela la Ville ? Dans mon précédent film « Mange, ceci est mon corps », la terre haïtienne ne s’émancipe pas de l’ère post coloniale. Haïti ne parle qu’une seule langue : la langue urbaine. Sur les réseaux sociaux, la campagne « SOS Haïti » utilise un langage urbain. La vie de la pensée et de la culture est abordée globalement par l’urbain. Les pays se mélangent et partagent leurs labyrinthes, quels que soient leurs territoires. L’ancienne colonie a un rapport avec le « Pays » dans un parfait tohu bohu. S’il y a quelqu’un que l’on cherche, c’est le lecteur du film. Réalité virtuelle et charnelle.

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Où est donc la chair ? Qu’est- elle devenue dans ces bidonvilles rendus mégalopoles. Le smartphone contemple le désastre. Dans le film, le réel du sujet est une invitation au démantèlement, l’image hypnotique invite à la transe, l’image de la route produit une perte de sens. Le rapport à une verticalité de l’image s’oppose au rapport d’acquisition, de débat que produit l’image horizontale. Le travelling vertical du film construit son propre labyrinthe. Le titre « Haïti ground zéro » ne se rapporte pas seulement à l’île mais au complexe tendu entre le pays riche et le pays pauvre. Chris Marker prend l’image comme un document dialectique, une science-fiction, une hypnose volontaire, voulue. J’utilise la musique comme un élément du débat qui questionne le ressenti du spectateur. Musique fusion-musique d’anticipation qui interroge l’essentialisme du rock ? Du vaudou ? Qu’est- ce que le présent ? Comme dans le prologue de « Mange ceci est mon corps », l’énigme perdure.

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LABRAIRY

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Michelange Quay

Né en 1974, de nationalité américaine et d’origine haïtienne, Michelange Quay, obtient sa licence de cinéma à l’Université de New York, ainsi que sa licence d’Anthropologie à l’Université de Miami. Il est diplômé en réalisation à la prestigieuse Tisch School of Arts. En 2002, il est le réalisateur lauréat de la Résidence Ciné fondation du festival de Cannes, où il commence l’écriture du film Mange, ceci est mon corps. En 2004, il réalise L’Evangile du cochon créole, un court-métrage de 35 minutes, présenté dans la sélection officielle du festival de Cannes en 2004. Il reçoit aussi le prix du meilleur court-métrage au festival de Locarno, Stockholm, Milan, Rio de Janeiro, Sao Paulo et au festival de Tokyo CON-CAN Movie. En 2008, sort son premier long-métrage, Mange ceci est mon corps. Le film est sélectionné aux festivals de Sundance 2008, Tokyo Filmex 2007, Toronto 2007 et Edinburgh 2008. Il obtient le Grand prix au Festival International du film de Miami. Haïti ground zéro est son dernier projet avec lequel il réalise un prologue de cinq minutes qui amorce la composition de son prochain long-métrage. 111


PORTFOLIO

“The flower” by Rehema Chachage

This artwork uses the motif of ritual performances to

‘The flower’ takes (visual) inspiration from the ritual of

explore nuances in gender, generation, and sexuality. My

Henna, -a ritual mostly found in the coastal regions of

curiosity with rituals started with a personal interest in

Tanzania, and rooting from the Swahili coast history of

historical (herstorical rather) narratives that rooted from

being crisscrossed for centuries by merchant vessels bearing

personal stories of my mother’s, grandmothers’, and great

traders and adventurers from the oriental and the middle

grandmother’s generation of hardship due to discriminatory

east and later on intermarrying with the natives, fusing their

social, economic, and political systems. They used cultural

own traditions with the Swahili. Henna’s traditional decorat-

and spiritual ritual and performances such as rites of pas-

ing purposes vary from culture to culture, closely tied with

sage—birth, marriage, death, etc. as mediums for molding,

rituals around weddings, circumcision, pregnancy, and birth;

resisting and subverting the status quo. One can easily look

for good luck and protection from the ‘evil eye’ and ‘jinis’

for clues in ritual performances, where factors such as class,

(malignant spirits, or “genies”); female camaraderie and

generation, gender construction and other identity forma-

beauty.

tions are inscribed and demonstrated.

Rehema Chachage (b. 1987, Dar es Salaam, Tanzania) graduated in 2009 from Michaelis School of Fine Art, University of Cape Town where she received a Bachelors of Arts in Fine Art degree. Solo shows include Mshanga, Nafasi Art Space, Tanzania (2013); Orupa Mchikirwa/Mshanga, Akiyoshidai International Art Village, Japan (2012); Chipuza, Goethe Institute Tanzania (2010); Haba na Haba, Michaelis School of Fine Art (2009). Group shows include Where we’re at! Other voices on gender, Bozar, Brussels (2014); STILL FIGHTING IGNORANCE & INTELLECTUAL PERFIDY: Video Art from Africa, Ben Uri Museum, London (2014); Featured in Africa Masters: Rising Stars (Tanzania). The African Channel, UK (2014); 18th International Contemporary Festival VIDEOBRASIL, Sao Paolo (2013); Malmo Konsthall, Sweden; 28th edition of VIDEOFORMES, Clermont-Ferrand, France; Motorenhalle, Dresden, Germany; Kunsthalle Sao Paulo, Brasil (2013); WOMAN, Nafasi Art Space, Tanzania (2013); Dak’Art African Contemporary Art Biennale, Dakar, Senegal (2012); Story on Story, Akiyoshidai International Art Village, Japan (2012); East African Art Biennale, Tanzania (2011), Global City-Local Identity, Ebrahim Building, Dar es Salaam, Tanzania (2011)

112


8*+#&.)-'%3'%2+'+E+'E3,$'9+.*+('1#".*.#$'$+)(+$+(',)@+F G)3H) >'@*#)G+%'31'63*3$'&3'&),-*E'2,--.)-'#&'.1'.%'H+$+'E3,$' &+63)('&G.)' :+#,%.1,**E'/#%%+$)&'%$#6+('3)'E3,$'*."@&'#G.)'%3'%2+' @*33".)-'31'#'6$++/.)-'9.)+ I#$@+('#&'#'&+)&,3,&'H$#//+$'31'"3(+&%E'%3'H2.62'E3,' #$+'/#$%.#**E'@+23*(+) J3'%2+'$.%,#*'31'/*+#&.)-4'#'H+(-+'13$'%2$.9.)-'.)'#'H3"#)0&' &%#%.3)'

113


PORTFOLIO

“Parce que ! Because !” ( making off )

!"#$%&"'$("#) *+$%,#&&'%(-)%$.#-/$)(&$ 012&-$3$4!"#,&$56&$78$9$:+*;$ !&#.-#/"',&$2&$<6'1-#$"/"'=" >1&6$3$?#"@@"01>>&$A$,-'=!#-26,)1-'3$$%&"'$("#)$B$ /C2#1"%1%$&')&#)"1'/&')

de cette image et l’amène à s’interroger

Cette œuvre n’ayant pu exister sans

sur la nature de celle-ci mais également

la rencontre entre Sean Hart et Junior

à se poser la question du «Pourquoi».

Amanga il a également été convenu que

En mars 2013, à Brazzaville, au Congo,

Sean Hart reverse à Junior Amanga 50%

Sean Hart rencontre Junior Amanga, un

des bénéfices tirés du prix de vente de

sculpteur natif de Kinshasa ( appelée

cette œuvre ».

Léopoldville entre 1881 et 1960, sous l’ Empire colonial Belge ), et lui passe commande d’une statue en bois à l’image de l’oeuvre «Parce que!». Il va filmer le processus de fabrication et en réaliser un « making off » musical. SEAN HART (1981) MIXED MEDIA ARTIST : Extrait de la « Lettre d’Engagement

En quelques années, Sean Hart, a con-

Morale», signée en deux exemplaires

struit une œuvre poétique et intrigante,

de bonne foi entre Sean Hart et Junior

aux limites de l’art conceptuel et de l’art

Amanga à la date du 20 mars 2013 à

urbain. C’est “à visage et à nom décou-

Brazzaville, au Congo :

vert” qu’il travaille majoritairement

« Moi, Sean Hart, auteur de l’œuvre «

illégalement et en indépendant dans

Parce que! » ( Dessin original représent-

les villes du monde entier. En flâneur et

ant « Tintin au Congo » mort ), créée en

voyageur il se forge hors des frontières,

2004, atteste sur l’honneur avoir passé

qu’elles soient physiques et/ou mentales.

30x40cm.

commande à Junior Amanga, d’une

Son travail embrasse une multitude de

sculpture en bois à l’image de l’oeuvre

médias (photographie, installations,

En 2004, avec un travail au titre énigma-

originale « Parce que! ». J’ ai remis à

performances, vidéo) et se nourrit de

Junior Amanga la somme de 40.000

ses voyages et rencontres, proposant un

francs CFA pour la réalisation de cette

univers oscillant entre poésie et politique,

sculpture. Il a été convenu entre Junior

fiction et registre documentaire.

Amanga et moi, Sean Hart, que cette

L’ensemble de sa démarche, à travers tous

sculpture constitue une œuvre d’Art

ces dispositifs sensibles insérés dans le

originale créée en collaboration artis-

réel, réunit les pages fragmentées d’un

tique. Cette œuvre d’Art originale est

journal intime. Un carnet de route qui

donc signée à juste titre des noms de

questionne, partage et incite à la flânerie,

leurs deux auteurs, à savoir le nom de

invite au voyage.

Installation 1 Sculpture en bois d’Or ( Forêt du Mayombe) peinte. 1 Vidéo HD. ( Couleur / son ). 5:12min 1 Dessin encadré. 30x40cm. 1 Lettre d’engagement morale encadré.

tique, « Parce que! » Sean Hart donne à voir sous forme de coloriages géants qu’il colle dans l’espace public, la mort d’une icône de la culture populaire, le personnage de « Tintin » lors de ses aventures au Congo. Le dessin reprend le style du belge Hergé, dessinateur et auteur de « Tintin ». Ce choix stylistique, volontaire, contribue à créer chez le spectateur une confusion dans la lecture

114

Junior Amanga et le nom de Sean Hart.


115


116


117


PORTFOLIO

Praises 2015

(work in progress) !"#$%&'#(&)*

improviser Dominique Lentin ) are so

physical and/or mental borders. His work

++#$,)%%'$(-*#.)-/#*(%##

many elements moving the video of a

covers a multitude of media (Photogra-

012%-#3#4)&1$%$#+567#89-):#

strict documentary observation, towards

phy, Installations, Performances, Video)

1'#4)-;)%$$<##

a dreamlike composition. The shooting

and feeds on its journeys and meetings,

of « Praises » took place in November,

proposing a universe oscillating between

4%).-)/%2#!"#$&=1/#>#$%?$(#># 2012 in a building abandoned in the «

poetry and politics, fiction and docu-

)--*$#%/41)%

Hillbrow ». In the 1970s Hillbrow was a

mentary. Its whole approach, through

=-,&*1-'#3#$%'%;&=#>#2&:&)@

rich and indicated district « whites-only

all sensitive devices inserted into reality,

=&';?&;%#3#!-2"#=&';?&;%

». In thirty years, this become white dis-

combines pages coming from a personal

4)-2?,%2#!"#$%&'#(&)*#A#

trict « grey-area », promising crossroads

diary. A log book which questions, shares

/"2)1&$1$#%'*%)*&1'/%'*

of new South-Africa, was transformed

with others and incites to the “Flânerie”* (

one « no-go zones » eaten away by the

strolling ) , invites for a journey.

Praises (2013)- 12:57min

criminality. Poor, it is considered in all

*”Flânerie” refers to the act of stroll-

Video projection : HD (B&W / Sound)

South-Africa as one of the most danger-

ing, with all of its accompanying

Language : Englis / Subtitle : French

ous districts of country but it is before

associations.”Flâneur”, from the French

any a « planet » shaped by the History

noun “ flâneur “, means “stroller”,

« Praises 2013 » Begin with a warning:

of the country. It is dangerous certainly,

“lounger”, “saunterer”, or “loafer”. It car-

« The footage in this film has not been

but fascinating and under estimated,

ried a set of rich associations: the man of

sped up in any way ». The precision is

because it is livened up of there one

leisure, the idler, the urban explorer, the

considerable because during the movie,

overflowing energy. « Praises » raises

connoisseur of the street. Charles Baude-

the virtuosity and the speed with which

up a portrait of this energy by focusing

laire wrote : “ For the perfect stroller, for

the dancers run leave stunned. Some

on the personality of 7 young people «

the passionate observer, it is an immense

moments were even slow to appreciate

Krumpers » of Hillbrow: Slad, Kardelo,

enjoyment that to take up residence in

better the beauty of the movements

Betrothed, Sifuye, Lens, Nemie and

the number, in the rippling, in the move-

which compose « Krump ». Inspired by

Achie.

ment, in the fugitive and the infinity.

African dances, this dance was born in

« Praises 2015 » shoot in Dakar is the

Be away from one and nevertheless feel

the low districts of Los-Angeles during

sequel « Praises 2013 »

everywhere at home; see the world, be in

1990s by the young people of ghettos to

the center of the world and remain hidden

escape the violence, the drugs and the

SEAN HART (1981) MIXED MEDIA ARTIST :

from the world “. Associating the stroll has

gangs. At first sight, the fervent chain

In a few years, Sean Hart, has built a poetic

an independent, passionate, impartial

of jerky movements, which moves the

and intriguing work, at the limits between

spirit.

whole body, seems improper, close to

Conceptual Art and the Urban Art. It is “

the epileptic fit. The situation scenario in

on face and on bare name “ that he works

a space destroyed and loaded of History,

mainly illegally and in independent in the

the framing, as well as the disturbing

cities of the whole world. As a stroller and

music and arrhythmic ( of the musician

traveler he builds up himself outside the

118

www.seanhart.org


119


PORTFOLIO

ALTER

Par Laura Nsengiyumva Alter (2012), c’est la reconstitution et la déconstruction d’un geste. Toujours en jouant sur la part universelle des événements autobiographiques de ma vie, cette installation-vidéo reconstitue le moment précédent une altercation avec l’un de mes professeurs. Dans une démarche thérapeutique, les deux protagonistes décortiquent le geste ayant déclenché le différend. L’image est déconstruite, accélérée ralentie, et exprime la violence ressentie et l’affection à l’origine de ce geste. Ce portrait questionne l’invisibilité d’une majorité et les actes créant de l’altérité. “Ce triptyque de vidéos joue sur la décomposition et la répétition d’un geste. Les 10 secondes choisies prennent comme point de départ le drapeau belge, part de mon identité troublée par cette main qui s’introduit dans le cadre. Le geste peut paraître tendre, violent, ou neutre selon les différentes vitesses. Mais toujours, renvoie-t-il à une altérité supposée par l’auteur de ce geste.” Laura Nsengiyumva Laura est une artiste rwando-belge. Née à Bruxelles en 1987, elle commence à explorer la technique de vidéo d’art en 2011 durant ses études d’architecture. « Je suis la première consommatrice de mon art, c’est cathartique. Mais je peux dire que mon désir secret est de commencer par mon individualité pour atteindre l’universalité, à la recherche de ce qui nous rassemble. »

120


121


PORTFOLIO

MCMO

PAR GEORDY ZODIDAT ALEXIS !&#.-#/"',&$!6?>156&

tion. Cependant, au fur et à mesure que

Geordy Zodidat Alexis

!#-<&,)1-'$012D-$3*E/1'FG

s’approche du cou le plan de machette

a bâti son travail autour de pratiques

- qui est considéré comme véritable

artistiques protéiformes, en utilisant des

McMo (2013) aborde la question de la

par l’œil - s’esquisse un mécanisme de

médiums tels que la danse, la musique et

mondialisation à travers des éléments

survie. Ce dernier est l’état d’urgence

l’installation, le dessin et la performance.

qui sont inscrits dans l’imaginaire col-

de l’instinct, il se manifeste dans l’acte

Diplômé de l’École Supérieur des Beaux- Arts

lectif. L’image est sans aucun doute un

par la colère psychique et physique.

de Montpellier en 2011, ses expériences artis-

outil de propagande pour nombre de

Vêtu d’un long Tee-shirt jaune et d’un

tiques sont portées par son héritage culturel

multinationales. Nous évoluons dans

pantalon rouge, couleurs chargées en

mixte issu des mœurs de vie de l’Europe et

une société où les détenteurs d’un pou-

symbole, le corps vibre. Il se tient droit,

des Caraïbes. Né en 1986 en Guadeloupe

voir nous inculquent des idées, que nous

rigide, immobile sur un tissu noir, tel le

et résidant actuellement à Montpellier, sa

digérons comme vérité au fil du temps

signe d’un deuil ou encore celui d’une

pratique confronte les idées de plusieurs

; c’est ainsi que naît le formatage. Cette

immense tristesse.

cultures pour en faire émerger de nouvelles

performance s’intéresse à la relation que

«J’ai fait ce choix pour la mise en

pensées. Son regard ouvert et conscient

nous avons, ou pouvons avoir avec la

lumière de l’action, sa progression qui

sur le monde dans lequel nous évoluons

mort sous différentes formes. Comme

laisse croire à un point de non retour.

nous questionne sans cesse sur la mémoire,

être l’acteur passif d’une mise à mort, ou

L’expression du visage et l’évolution du

l’histoire, comme autant d’éléments qui nous

encore, être empoisonné donc soumis

geste qui nous ramènent sans doute à

guident dans notre rapport au monde actuel.

à une perte de vie lente, et être consci-

notre caractère le plus humain, à une

Son travail fait l’objet d’une présentation

ent de se donner la mort. L’orchestration

certaine fébrilité, fragilité de la notion de

sur la scène nationale et internationale : La

de la parole et du geste est inévitable-

vie. » Geordy Zodidat Alexis

Panacée en 2008, Galerie Aperto en 2013,

ment reconduite encore et encore, elle

Palazzo Barone Ferrara, Mediterráneo Cen-

relève du machinal, joue de la répéti-

tro Artístico en 2014...

122


123


PORTFOLIO

Futur

Par Katia Kameli Futur (2014), est une dérive psychogéographique conçu à partir de la perception de leur territoire des employés de Futur Telecom, une entreprise basée Marseille. Il s’agit d’une interprétation non linéaire de leur environnement social et urbain qui nous mène de Gardanne à Martigues en passant par la mythique plage du Prophète.

Katia Kameli vit et travaille à Paris.

En 2012, un reçoit un prix de Delfina Foun-

Son travail exprime l’entre-deux,

dation pour une résidence à Londres.

l’intermédiaire où le signe d’appartenance est rejeté au profit de la multiplicité. Son

Son travail a trouvé une visibilité et une

positionnement est celui de l’hybridité,

reconnaissance sur la scène artistique et

le « tiers-espace » qui rend possible

cinématographique nationale et interna-

l’émergence d’autres visions, de positions,

tionale : Centre Georges Pompidou (2008),

de formes. Ce tiers-espace dérange les his-

Cinémathèque Française (2007), Centre

toires qui le constituent, il les place en état

d’art contemporain de Tel Aviv, Galerie

critique, il permet donc une réécriture,

Anne de Villepoix, Rotunda Gallery, New

des allers-retours entre « l’Histoire » et les

York, Biennale de Seville (2008), Mani-

« narrations ». Les formes hétérogénes

festa 8 (2010), Cornerhouse, Manshester,

qu’elle manipule, vidéo, photographie,

Rencontres de Bamako (2011), Biennale

installation, dessin, participent aussi à ce

de Marrakech, Biennale de Dakar (2012),

déplacement.

Musée d’Art Contemporain de Marseille (2013), Taymour Grahne Gallery NY, Bozar

En 2007-08, elle est lauréate du programme, Paris-New York, CulturesFrance et part en résidence à Location One, NY.

124

Bruxelles (2014)


125


ARCHITECTURE

Urbanite et cinema africain le cas de Dakar

Par Carole Diop

« Une ville finit par être une personne »

Les grandes métropoles occidentales

Robert Christian et Paulin Soumanou

disait Victor Hugo. Il ne croyait pas si

sont donc largement représentées au

Vieyra). Dans cette œuvre, la question

bien dire, en effet pour certains réalisa-

cinéma, mais qu’en est-il de la représen-

de la représentation du continent se

teurs, la ville n’est pas un simple décor

tation des métropoles africaines ? Quel

pose d’emblée, les réalisateurs sont

mais un personnage à part entière.

regard les cinéastes africains ou étrang-

confrontés à un paradoxe déconcer-

ers portent-ils sur les villes africaines ?

tant: montrer l’Afrique avec des images

Tout le monde se souvient du New York

tournées à Paris.

de Woody Allen dans Manhattan, de

Pour répondre à ces questions, il faut

S’il est vrai que le cinéma existait en

celui de Martin Scorsese (Taxi driver,

d’abord remonter aux origines du

Afrique bien avant cette expérience, le

Gangs of New York, Les affranchis) ou

cinéma africain.

encore celui des Spiderman de Sam

Selon la généalogie d’Andrée Gardies ,

Occidentaux, entre cinéma colonial et

Raimi. Paris, la ville lumière, a aussi été

l’aventure cinématographique africaine

cinéma ethnographique. Deux genres

filmée sous tous les angles. La capitale

naît en 1955, avec le film Afrique sur

que l’on peut qualifier de « paternalistes

française est d’ailleurs la ville la plus

Seine. Tourné à Paris ce film est issu de

et prosélytes » et qui ont contribué à

filmée au monde. De François Truffaut à

la collaboration de quatre réalisateurs

une « falsification de l’histoire juste des

Cédric Klapisch, en passant par Jean-Luc

(Mamadou Sarr, Jacques Melo Kane,

peuples », pour citer un commentaire du

Godard, nombre de réalisateurs en ont fait le décor privilégié de leurs films.

126

continent n’est alors filmé que par les 1

1! "#$%&!'(%$)*+,!!"#$%&'()*+,-"./0(#1"-0(,-&#21341#05( 6*0'3&20(%"-1"-,!-./(%0(11(#,!2(%)+,!34546!

film Afrique sur Seine. Il faut attendre 1963 pour que Ousmane


Image extraite du film "Borom Sarret"- Vue d'ensemble de Dakar

Sembène réalise Borom Sarret, marquant

les films du début des années 60 con-

concentrer l’attention sur les acteurs ?

le vrai début du cinéma africain car

stituent une réponse au cinéma colonial,

Les ensembles (vues aériennes ou cav-

tourné en Afrique. Les cinématogra-

la jeune génération de cinéastes elle,

alières) sont très peu présents. Mais des

phies africaines se développeront dans

a délaissé le style proche de l’essai des

scènes de rue permettent de satisfaire

presque tous les jeunes Etats d’Afrique

précurseurs (Ousmane Sembène, Paulin

ces besoins d’espace. Certains scénarios

de l’Ouest. Le cinéma sénégalais

Soumanou Vieyra, Djibril Diop Mam-

se construisent autour d’un itinéraire

représente depuis cette époque l’une

béty) au profit de fictions répondant aux

au cours duquel le héros franchit

des cinématographies africaines les plus

standards occidentaux comme Dakar

des épreuves. Ces films promenades

riches. C’est précisément, sur les ciné-

trottoir, sorti en 2013, réalisé par Hubert

donnent de la ville, une description par-

astes sénégalais, que nous allons nous

Laba Ndao.

ticulièrement intéressante.

miner comment le regard qu’ils portent

Une chose cependant n’a pas changé au

Parfois, enfin, l’espace se traduit par des

sur leur pays et plus particulièrement

fil des années. La manière dont les ciné-

symboles : rues, voitures, bordures de

sur la ville de Dakar a évolué depuis les

astes expriment l’espace, les paysages

trottoirs signifiant les déplacements. Les

indépendances.

sont peu utilisés, les plans généraux sont

buildings symbolisent le centre-ville,

En 50 ans, Dakar est devenue une métro-

rares. Les cinéastes y renoncent-ils pour

avec son activité tertiaire, les villas et

pole de plusieurs millions d’habitants. Le

des raisons techniques, par manque

leurs beaux jardins, le luxe bourgeois.

cinéma sénégalais a lui aussi changé. Si

d’intérêt pour le paysage, par souci de

Si certains films décrivent une ville

concentrer. Nous tenterons de déter-

127


ART TALK

Ci-dessus :Image extraite du film "Borom Sarret"- Plan sur un bidonville Page de droite, de haut en bas : Images extraites des films “Touki Bouki” et “Badou Boy”

bourgeoise de quartiers riches, d’autres

peinture de la vie quotidienne, dans

prostituées dealers, et malfrats en tout

abordent la pauvreté, comme Borom

les bidonvilles de Dakar des années

genre.

Sarret. Si les dernières séquences du

postindépendance. Le contraste est

S’il ne dissimule pas les conditions

film offrent une vue d’ensemble sur

saisissant. Près de 10 ans après Borom

précaires de certains habitats, le cinéma

les immeubles du plateau, centre ville

Sarret, Djibril Diop Mambety sonde la

proclame la richesse de la ville.

de la capitale sénégalaise, Sembène

même problématique avec Badou Boy.

ne montre pas uniquement ce quartier

Dans ce film, les plans des bidonvilles

L’architecture tient également une place

riche où se dressent des immeubles,

dakarois sont pris avec le recul des

importante. A en juger par les contre-

dignes des constructions occidentales.

ruelles. Dakar trottoir d’Hubert Laba

plongées magnifiant les buildings de

Son film, chronique d’une journée

Ndao dresse lui aussi un tableau plutôt

Dakar dans Touki-Bouki de Mambety

d’un pauvre transporteur qui véhicule

sombre de la ville. Le réalisateur dévoile

ou dans Borom Sarret de Sembène, le

clients et marchandises dans une

au spectateur un « Dakar by night »

plan de demi-ensemble du porche de

charrette attelée à un cheval, offre une

en proie à la violence, où évoluent

l’Assemblée nationale dans Badou Boy.

128


129


DESIGN

L’oasis urbaine

un amenagement ephemere et mobile Par Carole Diop Photos : © Sandrine Dole

Imaginée par Sandrine Dole, « l’Oasis

à Madagascar, chambres à air usagées et

deux types de format :

urbaine » est un îlot de bancs publics

chutes de sangles de voiture au Maroc).

- petits et bas pour une assise près du

végétalisés. Elle offre aux passants un

sol courante au Maroc et accessible aux

moment de détente, de poésie et de

Les carcasses en bois des bobines de

enfants, avec une végétalisation légère ;

convivialité au milieu du tumulte urbain

câbles (tourets) sont le matériau princi-

- grands et hauts pour une station assis-

et explore une forme d’aménagement

pal de « l’Oasis ». Ces bobines se trouvent

debout plus immédiate, avec un large

éphémère qui prend en compte les pra-

dans les chantiers de construction et de

espace pour la végétalisation.

tiques sociales locales.

voirie, très nombreux au Maroc et en par-

Les plantes sont sélectionnées pour leur

L’installation interagit avec les sites loin

ticulier à Marrakech. Les dimensions des

signification dans la culture locale, leurs

d’une disposition rectiligne systéma-

bobines sont variables, les plus impres-

qualités plastiques (feuillage, ombrage,

tique et exploite les différentes vertus

sionnantes dépassent deux mètres de

couleur…), leurs dimensions permettant

de la végétation au-delà de leur simple

diamètre, mais le principe de transforma-

une utilisation confortable des bancs et

fonction décorative. Lorsque « l’Oasis »

tion est simple et rationalisé. En fonction

leur robustesse (manipulation, climat,

disparaît, son souvenir invite les autorités

de l’état des bobines récupérées, elles

arrosage…).

locales à revisiter l’aménagement d’un

ont été soit vernies pour laisser le bois

site en particulier, et des espaces verts en

apparent, soit peintes en vert pour rester

« L’Oasis urbaine » était installée pour la

général, dans une approche multidiscipli-

dans l’idée du jardin et faire un clin d’œil

première fois dans le cadre de deux festi-

naire approfondie.

aux bancs publics. La disposition des

vals internationaux :

bancs dans « l’Oasis » permet à la fois

- La clôture de la 5e édition de la

Ephémère et facile à réaliser, l’ « Oasis

de créer une touffeur de plantes et une

Biennale de Marrakech. Festival inter-

urbaine » s’adapte quel que soit le site.

impression d’aléatoire qui rompent avec

disciplinaire associant arts visuels, arts

Les matériaux nécessaires à sa réalisation

l’environnement urbain, d’offrir des zones

vivants, cinéma-vidéo et littérature, cette

se trouvent localement (bobines de chan-

de convivialité entre les utilisateurs mais

édition demandait : « Où sommes-nous

tiers). La designer est une habituée du

aussi des espaces plus intimes, et enfin de

maintenant ? »

recyclage et du détournement dans ses

faciliter la circulation au sein de l’espace

- L’ouverture de la 8e édition des rencon-

projets (palettes au Burkina Faso, cageots

et autour. Les bancs se présentent dans

tres d’Awaln’art.

130


Designer française, Sandrine Dole exerce

bois, des matières nobles aux matériaux

dans une logique de développement

recyclés.

durable qu’elle a dénommée « Design in

Elle met son grain de sel partout : objets

situ ». Elle rayonne depuis 1999 en Afrique,

de ville, de maison, du corps… Elle tisse

d’abord à partir du Cameroun, puis du

le lien avec d’autres disciplines créatives,

Maroc où elle s’est installée en 2006. Elle

de l’architecture aux arts du spectacle.

se focalise sur l’humain en se nourrissant

En 2012, elle a lancé sa propre marque,

des coutumes ancestrales comme des

ALINFINI, qui transforme les ceintures de

mouvances actuelles, sans pour autant

voiture en accessoires haute couture.

oublier les enjeux environnementaux et les contraintes économiques. Spécialisée

Plus d’informations sur :

en artisanat, elle explore ce secteur avec

http://sandrinedole.free.fr/

une curiosité insatiable et une rigueur toute industrielle. Elle fait feu de tout

131


ART TALK

132


133


ART TALK REVIEW EXHIBITION

Baptist Coelho under my skin... under your skin a selection of video works 2006 — 2011 curated by Lina Vincent Sunish By Nosana Sondiyazi

In March 20th, 2014, the screening of “under my skin... under your skin” took place at Greatmore Studios, in the heart of Woodstock, here in Cape Town. The screening was followed by a public discussion with the artist and moderated by Nosana Sondiyazi, a poet based in Cape Town. Greatmore Studios hosts an eclectic array of art & artists and was established in 1998 as a base for local and international arts practitioners from a broad range of cultural backgrounds. The studios have a long history of collaborative arts practices, social innovation and outreach projects. When visiting artists share their work, it’s an opportunity for us to learn…often unexpected things about others & ourselves. 134


DVD Still “Beneath it all… I am human…”, 2009 Audio/video running time: 11 minutes 5 seconds loop

Public discussion with the artist and moderated by Nosana Sondiyazi Greatmore Studios Cape Town

Baptist Coelho’s work “under my skin... under your skin” was

is only Cured by the constant reminder of how not alone we

an occasion to view the unexpected. Using various video tech-

really are.

niques to illustrate the most fluid & simple of movements as well

Baptist Coelho confronts everyday situations in a non-threaten-

as more staged scenarios, the audience was intimately placed in

ing subtle way; using the familiar skin that we are all living in,

the Artist’s skin. Baptist looks different in person than on screen.

on the shared surface of this planet. Curator Lina Vincent Sunish

I was often not sure if it was him or another actor; which was

states that Coelho has an ability to focus on integral aspects

pleasantly bewildering to watch. I imagine that as the subject

of life that go unnoticed and opens them up for interpretation

and the object in one’s own video work it would be ideal to

and questioning. The notion of ‘skin’ is used in both a literal

not always appear as yourself. In conversation with Baptist after

and metaphorical sense; exploring parallel notions of identity

the screening I shared my own Vedic knowledge, explaining

and anonymity; corporeality and impermanence; reality and

how I’m aware that in Vedic philosophy it is regarded that one’s

pretense; as well as self and the other.

karma resides at one’s feet. So when Baptist explained how tired he was at the end of the feet washing recordings, it made sense

“under my skin... under your skin” has been shown at the fol-

to me because he had taken & carried so much karma from

lowing locations: Nepal Bharat Library in Kathmandu, Nepal;

other people.

LAMO - Ladakh Arts and Media Organisation in Leh, India; Palais

As people, the best we can be in life is ourselves. So therefore

Bleu in Trogen, Switzerland; Commune Image in Saint-Ouen,

our best covers many categories of our individuality. The way

France; S.a.L.E. Docks in Venice, Italy; Corner College in Zurich,

we often define ourselves is through our gender. The video

Switzerland; DWIH New Delhi, in Ahmedabad, India; Hyderabad

clips of the crossing of the legs & trying on shoes were a direct

Literary Festival in Hyderabad, India and Fotogalleriet in Oslo,

engagement with the sexes, the loneliness of our separateness

Norway.

135


DVD Still “Four attempts to understand static and dynamic air”, 2006 2 channel audio/video running time: 3 minutes loop

136


DVD Still Cross-Legged, 2008 Audio/video running time: 1 minute loop

137


ART TALK REVIEW EXHIBITION

Fast forward

Louisa Babari in conversation with Olivia Anani Photos : Olivia Anani

How did you come to the idea of this project in Beijing ?

as a crucial step on the way to under-

over again... Art was a way to reply to

standing… It’s two sides of the same

these questions, using a language that

coin, and coming to the realization of

would raise even more questions, all

I was always fascinated by the quest

lacking knowledge means I’m already

while giving enough visual, auditive and

for knowledge and the deciphering of

on the journey. I see African languages

mental stimulation to motivate these

signs, the process of journeying towards

and dialects in the same way as I see

new “initiation candidates” to move

understanding. Understanding of what?

Asian languages, as I have a firsthand

forth after the exhibition was over. One

That’s a question I cannot respond to

experience of how both areas have a

of the main texts that has been at the

myself, but the process seemed appeal-

deep connection with signs, coded

back of my mind all these years, is the

ing, also linked to how I felt a connection

knowledge and the strong belief in

book by Amadou Hampâté Bâ, the tale

to ancient cultures and languages

mysticism that extends into contempo-

of a Peulh initiatic journey to meet the

from an early age. I remember try-

rary life today. So when I was devising

deity “Kaïdara”, whose name means

ing to learn hieroglyphs in junior high

a way of presenting a project involving

“Here you must stop” (for this is a place

school, and starting writing Japanese

contemporary African artists, I sponta-

beyond which knowledge is given, and

Kanji at 7, learning the language at 11,

neously chose to address the inherent

to which access is limited to those with

before eventually moving to Mandarin

lack of knowledge about the continent,

knowledge only). You can say that in

as a university student… Within this

the misunderstandings about its art that

this regard, FAST FORWARD was con-

subject matter of amassing extensive,

one finds there. You see all these carica-

ceived as a sort of 21st century “voyage

ancient knowledge, the idea of lacking

tures at “cultural festivals”, the surprising

initiatique”, from me to the Asian audi-

knowledge was also intriguing to me,

questions asked by taxi drivers over and

ence it was conceived for. A game that

138


I played with them, since even as I am writing these words, I cannot tell you what “Africa” or “Art” is… Lerato’s piece, “Selogilwe” was a perfect illustration of this narrative. In the video, the subject is only present through her hands, and sings in a quiet voice two Setswana folktales, all while breaking a slice of cake into pieces. There’s an idea of transformation, and allegory for the journey each individual goes through regardless of their place of origin, but also the one cities, cultures and great civilizations go through at the hands of time. And it’s also a very good allegory of the exhibition itself, where the videos, shown in a loop, end how they started, in a city. You start in Lagos, and you end in Johannesburg before going back to Lagos where it starts all over again...

Fast Forward. Why this title ?

have a common artistic heritage in your opinion ? Can we talk about a generation that transcends contextualization ? I think it’s not so much about where the artists come from, than it is about who they are as a result of the environments they experienced, and how the work they produce allows us to address specific concerns, in relation to the topics and places that are in question in this project. You pick, in art as in life, works and personalities that appeal to you and that you find relevant in a specific context. You draw parallels, you find a way to make things resonate with each other. When you look at important milestones and key events of the century, if I take for example the Cultural Revolution, or the Chinese Economic Reform (Gaige Kaifang), you see they actually happened after we gained our

At the heart of FAST FORWARD you have

independence in countries like Benin

the idea of speed, the issue of pace, that

or Côte d’Ivoire. It’s interesting to think

is inherent to the telling of a journey,

about those things, and draw parallels

and that’s what inspired the name. The

between the different periods mark-

pace at which people move within a

ing the recent history of our respective

specific environment, and the pace at

continents, and about our respective

which they move through the “initiatic”

conditions today.

journey that is life. The exhibition itself revolves and operates according to pace

One of the obvious starting points in this

or a change of pace, that can be a “sign”

would be cities and the pace at which

in itself, as it indicates a change from

they develop, with urbanization being

one step of the journey to the next. It’s

an important part of the landscape

also an allusion to the need we have in

that I wanted to address. In Beijing as in

modern society to reach our destination

Abidjan, Lagos or Johannesburg, cities

faster, faster, and I’m wondering, how

grow, buildings are sprouting up like

fast can we go? Can we go from 2x to 4x

mushrooms, old buildings destroyed,

to xx?

and we see the way people react to

You have selected African artists and artists working in Africa. Do they

139

these changing environments. I wanted to bring the viewers to experience those

changes, in a sort of updated portrait seen from the point of vue of the individual, which is by definition subjective and limited. In this aspect, video was a medium of choice for providing the kind of experience I was looking for, beyond budget constraints that were also part of the equation. I find that recalling memories from one’s past sometimes seems very much akin to watching a film, as if these moments were staged, excerpts of a story that one sees unfolding before their eyes. I can take the example of my hometown, Abidjan, which I saw turning from a relatively safe bubble of prosperity nested in the middle of West Africa into a warzone, and then progressively back again, the ongoing “restoration” happening mostly at a time when I was not there anymore. Later on, moving to Asia was like going through the other side of the screen of movies that I might have watched as a child: I’m thinking about being in Hong Kong and thinking about these flicks from the 80s… It’s a sort of movie that never stops playing, a tale with no end. And for me, this was a way for the Chinese public to experience what I wanted to say, in a manner that would be different from what they’re used to when it comes to be introduced to the continent. I just wanted to put them in the “movie”, right from the start. If I take the example of those kung-fu films, we did not receive any introduction to them, the movie would just play on TV, and we would be entering it directly, with no prior speech about the environment, the economics, the local customs, the regional history etc. This


ART TALK

was all information that we would pick

put a piece by Emeka Ogboh and not

mation, that video and sound allow you

up along the way and decipher our-

only do they get the message, they also

to present within a short time, in a way

selves, as we were watching. We would

get to see what it looks like, they get the

that anyone can receive it.

see what the rural areas, what the cities

“movie” of it. They will see the number

looked like. We would learn on the spot

of cars, which will tell them that a car

Something else I wanted to explore with

what the country was and what people

is not an extraordinary thing, a “metal

this project was the representation of

looked like in that country, we would

horse” appearing in a village and that

emotions and social dynamics, as they

see different types of faces, of bodies,

the people are yet to get acquainted

hold another “sign” to be deciphered.

we would see the relation between

to… which is what some of them still

This is especially true with the pieces

people, rich and poor, elders and

think. Yes, this is true in some remote

by Michèle Magema “The Kiss of Nar-

youngsters, with all the power struggles

areas, but this is not what I was exposed

cisse” and Donna Kukama “The Swing”.

and romantic relationships, friendships,

to growing up. I was exposed to hav-

What I love in these pieces, is how, by

how people interacted with each other.

ing cars everywhere, to this loud public

displaying a range of contradictory

The hero, the landlord, the mob boss,

transportation with the minicars and

emotions and positions, of the subject

the little peasant, the girl working at

their young boys shouting for clients. In

in relation to self, and of the subject in

the tea shop, the kid from the street. All

Abidjan we call these minicars “gbaka”,

relation to the other, they contribute to

these characters and their stories gave

and Emeka Ogboh made an incredible

its humanization. The question of self,

you information, biased, staged, partial

project in New York this September,

the opposition between, “desired self”,

information, but information still.

involving those “danfo” buses, as they’re

“projected self” and “real self” could

called in Lagos. The street vendors,

not be more on point in our societies

I think it was much more efficient than

hordes of students going to school,

were image and social representation

posing the clichés like “You know there

trying to be fancy etc. With videos, you

are so crucial. And yet, what Michele’s

are cities in Africa too!” and then debat-

don’t need to explain that, because

piece does, is asking questions, without

ing them. I do not need to explain to

it’s all on the screen. This is what I find

responding to them. We are left with

them that there are cities in Africa, I just

fascinating. It’s such a wealth of infor-

the task of interpreting and finding our

140


own way of dealing with that other, the

So by addressing such difficult and

streets of Port-of-Spain for the Jouvert

self, which remains an enigma. We can’t

contemporary issues, we are able to

festival, dressing up, dancing, painting

just walk away, like her subject does...

shatter the idea of the postcard, which

themselves up, showing off… And right

By positioning the artist as a mysteri-

I find tragically static. One anecdote

next to these flamboyant characters,

ous character in a white dress, swinging

explains that very well: On the first day

you will see some people that are more

above a crowd to which she dispels

of the exhibition, one of the visitors told

calm, dressed in almost everyday wear

banknotes, Donna’s piece touched on

me that she’d heard about the event on

staring, peeking, gaping, cheering. There

a global topic, particularly sensitive

a popular “What to do this weekend”

is vanity and an exacerbated sensuality,

to Chinese society today. When the

app. When I went to check the app, I

especially towards the last minute of the

swing breaks, you can’t help but draw

saw that the event was illustrated with

piece, and I wanted to take the audience

a parallel with our cracked economic

pictures of giraffes and a classic Afri-

out of this comfortable position of dis-

system, a “game” of monetary transac-

can sunset landscape... No sign of the

tanced onlookers, of “voyeurs”, because

tions, and the inequalities it produces.

original poster or images. Because that’s

as they’re watching, they can see the

We can reference the tragic events of

what people have in their minds, a static

crowd watching too. So we all become

2010, where elementary school children

image “Africa looks like this”. So I wanted

viewers, we’re all “voyeurs”. As an African

were murdered in several Chinese cities,

to show movement, to show things in

woman, I’m a voyeur too. It was also

by isolated criminals claiming that their

motion. Because people look different

important to bring them to that. This

actions were motivated by their resent-

seen from one angle or the other, and

is not a postcard, this is real life, even if

ment towards China’s social inequalities.

because the points of vue, the attitude,

it looks like a fantastic, surreal “rite de

And yet, beyond the ideological “class

are constantly shifting. What is their

passage”.

struggle” so dear to communism,

state of mind, how do they go from

I think that thanks to this direct, intimate

beyond the serious implications of the

excited to hesitant, from loud to silent?

approach, we were able to establish a

scene, what you see is the excitement

This now, is what you see in Pascale’s

real contact with the public. Limits of

of the crowd as they rush to get their

film, “Deambulation Carnavalesque”, all

control resonated quite strongly with

hands on a bill.

these people going to celebrate in the

the audience, as they were very recep-

141


© Lerato-Shadi

What is in your opinion, the place of African artists in China?

tive to this visual tale of breaking free,

identity cards, that are used in China to

which is one of the things I see in the

contain the exodus to big cities such as

video. As Sean described himself, “The

Beijing and Shanghai, about the strong

line turns from a frontier, into a land-

idea of Chinese diaspora “huaren”. In

There’s a potential to create a dialogue.

scape”, as you see the body altering

China, you’re considered a “huaren” as

As far as creating a market and a base for

the aspect of this imposed, apparently

long as you have Chinese roots, even

collecting is concerned, it needs to go

fragile but hypnotically commanding

with an Indonesian nationality like col-

through the way of educating the public

force, that is this simple line running

lector Budi Tek, who fully embraces this

and art institutions first, which will take

across the screen. Maybe they saw in it a

“huaren” tag. You can see references

many years... But that’s also a project that

representation of the social and paren-

to this idea of maintaining the link, or

I have in mind, to find a way to create a

tal pressure that brings some of those

re-claiming the link to your initial vil-

favorable environment for that. On the

golden, “little emperors” Asian children

lage, sometimes dating back several

short term, what I would love for FAST

to attempt suicide because of the high

generations, in the work of Wang Haiyan

FORWARD, would be to take it to other

expectations bestowed upon them at

“The Memory Project”, which was also

Asian cities. I think the project was the

birth. “The child must become a dragon.”

shown at Zajia Lab. Zajia Lab, the art

start of a discussion that I want to pur-

What I find interesting is the fact that

space I collaborated with in hosting Fast

sue, and maybe extend the dialogue to

while the line is altered, the struggle has

Forward, is itself located in an old Taoist

other artistic mediums as well.

no end, and the body never leaves the

temple near Gulou, the old Drum tower.

wall it’s placed against… One does not

Rumors are that the building, along with

erase his past, and for most people, the

surrounding neighbourhood, will be

struggle is still played out in the very

destroyed by the city government to be

FAST FORWARD, exhibition at Zajia Lab

spot it started from. I’m thinking about

rebuilt. Again, a hint at this initiatic tale

Beijing

the question of hukous, or regional

that keeps repeating itself.

August 22-26th 2014

142


143


ART TALK REVIEW EXHIBITION

Rotimi Fani-Kayode (1955-1989)

“On three counts I am an outsider: in

Fani-Kayode (1955-1989), a solo retro-

Curated by Mark Sealy and Renée Mussai

matters of sexuality; in terms of geo-

spective of the work of this seminal and

of Autograph ABP, whose co-founder

graphical and cultural dislocation and in

highly influential figure in 1980s black

and first Chair was Rotimi Fani-Kayode,

the sense of not having become the sort

British and African contemporary art.

the exhibition marks the 25th anniver-

of respectably

Although his career was cut short by his

sary of the photographer’s death. It will

married professional my parents might

untimely death at the age of 34, Fani-

feature a selection of his most important

have hoped for...” (Rotimi Fani-Kayode)

Kayode nonetheless remains one of the

photographic works produced between

most significant names in the history of

1985-1989, including large-scale colour

black photography.

works and arresting

Tiwani Contemporary, in partnership with Autograph ABP, presents Rotimi

144

black and white images.


Fani-Kayode’s photographic portraits explore complex personal and politically-engaged notions of desire, spirituality and cultural dislocation. They depict the black male body as a focal point both to interpret and probe the boundaries of spiritual and erotic fantasy, and of cultural and sexual difference. Ancestral rituals and a provocative, multi-layered symbolism fuse with archetypal motifs from European and African cultures and subcultures - inspired by what Yoruba priests call “the technique of ecstasy”. Hence Fani-Kayode uses the medium of photography not only to question issues of sexuality and homoerotic desire, but also to address themes of diaspora and belonging, and the tensions between his homosexuality and his Yoruba upbringing. This exhibition coincides with the introduction in 2014 of new punitive legislation in Nigeria, as well as other countries in Africa, outlawing same-sex relationships and membership of gay rights organisations.

Page de gauche : Bronze Head, 1987 © Rotimi Fani-Kayode, courtesy Autograph ABP & Tiwani Contemporary, London From the left to the roght : Dan Mask, 1989 © Rotimi Fani-Kayode, courtesy Autograph ABP & Tiwani Contemporary, London

Tiwani Contemporary 16 Little Portland Street London W1W 8BP tel. +44 (0) 20 7631 3808 www.tiwani.co.uk

Half Opened Eyes Twins, 1989 © Rotimi FaniKayode, courtesy Autograph ABP & Tiwani Contemporary, London Nothing to Lose VIII (Bodies of Experience), 1989 © Rotimi Fani-Kayode, courtesy Autograph ABP & Tiwani Contemporary, London Nothing to Lose I, 1989 © Rotimi Fani-Kayode, courtesy Autograph ABP & Tiwani Contemporary, London Umbrella, 1987 © Rotimi Fani-Kayode, courtesy Autograph ABP & Tiwani Contemporary, London

145


EXHIBITION REVIEW

Return of the rudeboy review

By Karen D McKinnon

Sam Lambert – Art Comes First © Dean Chalkley

Daniel @ We Are Cuts © Dean Chalkley

A Rudeboy turns the head of people

Harris Elliott. A series of portraits

take some iconic photos of music stars.

who are in no doubt about the

enchant our gaze into the world of

Elliot has been a top creative fashion

individuality and vision that he or she

the Rudeboy. It was a beautiful and

consultant with some of the world's

projects. The Return of the Rudeboy

seductive sight as the charisma of

top photographer and stylist to music

graced the halls of Somerset House

each portrait defied us to see them

royalty. His passion for luggage design

with its stunning portraits set against

any different than the stunning figures

can be seen in the installations in the

the backdrop of Somerset's ornate

they cut in the London streets. Chalkley

show.

halls. The Rudeboy projects himself

and Elliot photographed the portraits

into the 3D space, brought to life in

of these "Rudies" over the past year.

The original Rudeboy originates from

his proper element by photographer

Chalkley spent a short time training

the streets of Kingston, Jamaica tied into

Dean Chalkley and creative director

as a trouser maker. He has gone on to

the music scene where your look was a

146


Bevan Agyeman - Creative Director of Dxpe and To-Orist © Dean Chalkley

Ayishat Akanbi - Style Creator © Dean Chalkley

statement about what you meant and

of the Windrush generation in the late

her look.

what you are about. The attention to

1940s.

The exhibition captures the spirit of

detail is crucial to the Rudeboy. Nothing

Rudeboys will use the finest elements

Rudeboys and makes us all aspire to

is overlooked in setting style that will

available turning to tailors of Saville

be one. But, for some of us, we can be

influence the rest of fashion and popular

Row, but a straightforward suit made or

grateful for this insight and just stand

culture. The Return of the Rudeboy looks

bought from the tailor would not give

back and admire when we see one of

at the influence of these individuals, cap-

entry into the ranks of the Rudeboy. This

this tribe on the streets. We now have a

tured on the streets of London. England

is the start, the genesis, the canvas to

little more insight into their world and

is steeped in the history of the dandy

create the magic, the Rudeboy will find

can admire the heights they elevate the

but Rudeboys rocked a new influence

an exquisite way to mix material with

artistry of fashion and individuality.

as Britain transformed with the arrival

instinct and artistic vision to create his or

147


CARNET DE BORD

Biennale de Dak’art 2014 Un foisonnement vital par Laure Malécot (texte et photos) Photo Afrikadaa street publication © Afrikadaa

Les artistes, les galeries, et l’équipe de la biennale, préparaient l’événement depuis plusieurs mois dans une ferveur palpable. Puis les artistes étrangers ont débarqué, certains pour créer sur place. Pour certains, c’était la première fois sur le continent ou au Sénégal, pour d’autres c’est presque une habitude d’être de cette fête-là. La ville venait d’être décorée, dans plusieurs quartiers, par les graffeurs du Festigraph. L’ambiance était posée. Les journalistes étrangers sont arrivés, et le bal a commencé. Rendre compte de la biennale de Dak’art dans son ensemble (In et Off réunis, 500 exposants, environs 350 lieux d’exposition) est pratiquement impossible. J’ai donc pris le parti de vous raconter ma biennale, ce que j’en ai vu de plus marquant.

148

Installation avec 17 WC en céramique, 700x300x50cm, 2012, © Faten Rouissi. Photo : Laure Malécot


Au Village des Arts. Photo : Laure Malécot

Exposition à Ngor, avec Bouna Medoune Seye et Marie-claire Garnier . Photo : Laure Malécot

A l’exposition internationale du Village de la Biennale, à peu

perles que fabriquent les femmes ici, et ce satané «palu» dont

près tous les styles d’art contemporain étaient présentés. Les

on se protège comme on peut. Une certaine peur diffuse,

prix, attribués aux œuvres de Olu Amoda (Nigeria) et Faten

enrobée de grande douceur, m’étreint.

Roussi (Tunisie) ont résumé le propos général. Le thème

Dans la maison accueillante de Kër Thiossane, dédiée à l’art

annoncé, choisi par les 3 commissaires d’exposition, «pro-

et au multimédia, une vidéo à double-écran. Des femmes

duire le commun», pouvait se comprendre dans un esprit

dans un désert, à la recherche de l’eau. Cadrages osés, et sons

d’engagement citoyen. L’artiste, catalyseur et relais d’émotion,

d’ambiance poignants, impossible de rester insensible. Forcé-

d’idées, témoin des Révolutions politiques (cf. Faten Roussi) et

ment partager un peu de cette urgence-là. De l’eau, au moins,

technologiques, exprime les valeurs et sentiments que nous

pour tous, à l’époque où les idées circulent à la vitesse de la

partageons. L’art, ici, n’est pas replié sur la personnalité et

lumière !

l’expérience du créateur seul, mais exprime sa conscience de la

Le lendemain, c’est le jour des Maîtres sénégalais. Le regretté

condition humaine contemporaine.

Moustapha Dimé avait droit, à la Galerie Nationale, à une rétrospective un peu chargée, mais bien mise en espace. On

Un énorme serpent se dresse devant l’Hôtel de Ville, accom-

pouvait voir l’évolution du travail, en saisir la globalité. Quand

pagné par des scènes fantasmagoriques forgées, sous la

chaque œuvre est mot, qu’une série est une phrase. L’émotion

direction de Soly Cissé, par une équipe de ferronniers locaux.

qui s’en dégage résume une vie entière… Résume nos vies

Interrogation, étonnement. Ces monstres issus de ses toiles

aussi, dans ces alliages de matières récupérées, de bois flottés,

où ils apparaissaient en filigrane, pourraient aussi surgir d’un

de morceaux de pirogues…

conte. Au son d’une cora, trois femmes, vêtues d’un costume

Forcément, un tour vers la Fondation Eiffage et les œuvres

traditionnel, traversent l’esplanade, entre les sculptures, en

d’Ousmane Sow. Se souvenir de l’étonnement par les dimen-

hommage à la tradition. Tradition du savoir-faire aussi me

sions et la texture de ses sculptures, lors de ses premières

suis-je dis en regardant de près le travail parfait des artisans

expositions. Aurait-on pris l’habitude de l’extraordinaire ? Se

qui, aux côtés de l’artiste, ont donné forme à ses rêves. En face,

dire que c’est sûrement œuvre utile que ces impressionnants

dans une salle plongée dans une demi-obscurité (le KAO), les

personnages circulant de part le monde. Comme pour le

installations de Viyé Diba, un de nos Grands. Courts tubes de

respect de l’Humain, qui prend tellement de place d’ailleurs

plastiques enfermant des messages secrets, vaporeuses et

qu’il va bientôt étouffer la Terre qui l’héberge !

incisives pointes élancées couvertes d’éclats de tissus enserrés dans des morceaux de moustiquaires, petites boules, comme

Parlons-en de la Terre. Direction Dak’art Campus, à la cité

des milliers de cadeaux, disposées en tableaux, rappellent les

universitaire. Des artistes de divers horizons ont créé avec

149


des matières naturelles. Un habitué des

et de sable...

vernissage de la galerie qu’il a ouvert

biennales dakaroises, le Camerounais

A la Galerie du Manège, Abdoulaye

avec le cinéaste et peintre Moussa Sene

Barthélémy Toguo, a tracé en pleine

Konaté (Mali) expose des œuvres tex-

Absa à Popenguine. L’artiste allemande

terre du jardin botanique une carte

tiles dont le message clair, d’actualité, se

Ulrike Arnold, qui travaille avec la terre

d’Afrique, y a planté des haricots, et

passe de discours pour être éloquent :

des lieux dans lesquelles elle crée, y

parle d’un continent qui pourrait large-

Génération biométrique (2008) / Non à

participe. L’organisation de l’événement

ment subvenir à ses besoins. Panafricain

la charia à Tombouctou. (2013)

est au point, des bus affrétés pour un

convaincu, l’un des artistes africains

vernissage qui sera un succès. Zulu

les plus cotés, a fondé au Cameroun

Puis c’est le tourbillon créatif de la

fut, au début des biennales, le « père

dans les montagnes verdoyantes, le

Biscuiterie, où plane encore la belle

du off », et un des premiers artistes

centre artistique de Bandjun, entouré

énergie de la fête de la veille. Le collectif

sénégalais à comprendre que l’union

de champs qu’il cultive et dont il donne

d’artistes des deux Congo présente des

faisait la force. Il n’hésite pas à partager

les récoltes à la population. Un homme

œuvres acides et presque brutales, à

régulièrement ses réflexions par écrit

de concept, combattant actif pour un

l’esthétique aboutie, et non dénuées

sur l’évolution de cette manifestation

monde meilleur. A côté de son œuvre,

d’humour. Dans une des salles, Afrikadaa

qui lui tient à cœur, même s’il en

Serigne Mbaye Camara (Sénégal) a érigé

propose son projet curatorial, Street

remet en question, parfois même, les

une paroi de rouleaux de kinkéliba se

Publication, qui représente l’extension

fondements. Zulu est un électron libre

reflétant dans un miroir rectangulaire au

des contenus de la revue sous forme

penseur, toujours membre du comité

sol. T’y vois-tu, avec à l’arrière plan, ces

d’un acte éditorial live, concept proposé

d’organisation, un pilier.

feuilles réputées curatives, apaisantes,

par la revue Afrikadaa pour dialoguer

imbriquées les unes aux autres en un

dans un espace d’art avec le public. Des

En sortant du Village des Arts, petit

harmonieux patchwork de couleurs

segments d’articles, des textes et des

détour vers l’immeuble d’à-côté, au

fauves ?

photos sont ainsi exposés sous différents

sous-sol, une exposition de design. Un

Miroir, que dis-tu de mon humanité ?

formats (posters, écrans, affiches...).

moment calme, de silence, un apaise-

Question que pose aussi Mame Diara

Afrikadaa s’expose également sur les

ment dans les formes et les couleurs…

Niang (France-Sénégal) lors d’une

murs de Dakar à travers les œuvres de

L’évidence que ces matières et ces lignes

performance, en plein après-midi, à la

Sean Hart, un artiste multidisciplinaire

sont pleinement art contemporain, et le

Galerie Aissa Dione, entre autres œuvres

qui a peint des textes issus de la revue à

regret du peu de place donnée à cette

délicates. Sur la pelouse, accompagnée

travers la ville. Parmi les artistes invités

discipline dans cette biennale…

par une création musicale relaxante,

par Afrikadaa il y a aussi Alexis Peskine,

Fin d’après-midi, pile à l’heure pour

Mame Diarra Niang plie des papiers, les

qui trace de la pointe de ses clous

le vernissage de la Fondation Total, à

pose à côté d’elle, appelle d’un geste

dorés, des ombres humaines, en points

Ngor. Mais là, on en est encore à poncer,

deux personnes à venir s’allonger et

lumineux et discrets sur fond noir.

enlever le papier kraft des œuvres, laver

écouter simplement. Entre elle et eux,

Petit tour par le Village des Arts, la

le sol. Trente minutes après, le terme de

une sorte de fosse tapissée de miroirs,

galerie où les occupants de ces ateliers,

« vernissage » n’était pas un vain mot.

dans laquelle elle laisse tomber son mes-

mis à disposition des artistes dans les

Là encore, hommage au travail collectif

sage plié, que le participant récupère,

années 96, exposent. Dans la galerie, on

avec la Galerie Fakhoury d’Abidjan, pour,

se découvrant en un clin d’œil acteur

tourne un court métrage. Les ateliers

de l’avis général, une des plus belles

de la performance. Le dessin déplié

sont ouverts, c’est l’occasion pour les

expositions de la Biennale, introduite

représente l’anatomie d’un cœur, orné

artistes de recevoir plus de visiteurs

par les photographies poignantes de

de photos de Dakar, comme un attache-

que tout au long de l’année. Je croise

Fabrice Monteiro. Sur fond blanc, de

ment viscéral à cette ville bordée de mer

Zulu Mbaye, occupé à l’organisation du

simples portraits, dans une lumière

150


Afrikadaa Street Publication à la BDM. Photo : Afrikadaa

151

La performance de Mae diarra Niang à la Galerie Aissa Dione.Photo : Laure Malécot


Les graffeurs du Festigraph. Photo : Laure Malécot

Tierno Seydou Sall - Sakhal’Art à la médina. Photo : Laure Malécot

douce et spirituelle, en un presque noir

littéral du terme de Marie-Claire Garnier.

ont prêté leurs lieux d’habitation, embel-

et blanc doux au regard. Comme un halo

Petite balade en se rappelant le temps

lis pour l’occasion. Tierno Seydou Sall,

autour des personnages… Juste à côté,

où nous autres artistes étions excessifs,

dit « le poète errant », a tracé sur le mur

en contraste complet, une salle saturée

jeunes, désordonnés et créatifs, jusqu’à

d’une cour ce texte émouvant. Toujours

des couleurs vives des photos de Paul

l’épuisement. Beaucoup sont partis, cer-

à la Médina on pouvait également pro-

Sika, encadrées et lumineuses, comme

tains sont décédés (Moussa Baydy, Pape

fiter du « Street Art Museum », véritable

hommage à des mythologies urbaines,

Coulibaly, que la Terre vous soit légère).

musée à ciel ouvert, un des nombreux

instantanés un peu hystériques, quasi

Mais dans ce lieu de villégiature pour

évènements organisés par le collectif Les

schizophrènes. Notre monde, simple-

classe aisée, une « allée des peintres »

Petites Pierres.

ment. L’exposition «Présence africaine»

rend hommage à ceux que « l’esprit de

est une heureuse surprise. Initiée au

l’île » a inspirés.

Et puis, un soir, au détour d’une rue,

Musée du Quai Branly à Paris, devenue

L’initiative la plus populaire de cette

j’ai revu Jogo, un rouleau de toiles à la

itinérante, elle retrace l’âpre histoire de

biennale a été l’exposition collective

main. Depuis des années, il ne peint

la lutte pour l’expression des Africains

Sakhal’art, organisée dans le quartier

plus, mais pour l’occasion…Il déroule

et de leurs descendants, dont la presse,

mythique de la Médina. De nombreux

des portraits torturés, avec l’air timide de

du Negro World de Marcus Garvey, à

artistes sénégalais y ont grandit, en ont

celui qui ne sait plus trop s’il fait encore

Présence africaine fondée par Alioune

été inspirés. Au Sénégal, décorer les rues

partie de la danse. Jogo Maye Thiam

Diop, fut un vecteur essentiel. Une

n’est pas un délit. Les maisons s’ornent

est l’un des peintres sénégalais les plus

étrange résonance avec le rôle de la

depuis longtemps de dessins de graph,

talentueux de sa génération. Il y a dix

presse aujourd’hui, nos ambitions de

de phrases poétiques, cela fait partie

ans, une de ses toiles m’avait beaucoup

journalistes, des valeurs, des informa-

du quotidien des dakarois, particulière-

impressionnée. De grands tracés dans

tions que nous relayons… Traversons

ment à la Médina. Sakhal’art a ramené

les bleu-nuit, emplis de force, les lumi-

le bras de mer de Ngor vers l’île, pour

l’art à son essence. En investissant une

ères fracassantes de ce que pouvait être

une charmante exposition d’artistes

vingtaine de cours, pour y exposer les

une ville, de l’émotion pure et arrachée

sénégalais et français, qui va des sil-

œuvres d’artistes de divers horizons, le

à la vie. Jogo a fait les Beaux-arts de

houettes tracées par Bouna Medoune

dialogue avec la population a été ferme-

Genève, il a presque eu son heure de

Seye, à des créations plastiques au sens

ment rétabli. Les habitants, très réceptifs,

gloire. Et d’un coup, Jogo est sorti de la

152


ligne des étoiles. Depuis des années il ne vit que de caricatures. Il croque, souriant et attentif à vos traits de caractère, rapide, efficace. Jogo, qui a une grande famille à nourrir, ne sait que peindre ou dessiner. C’est difficile. Je le quitte en me demandant si cette Biennale aura été lucrative pour les artistes, rentable pour les habitants, profitable pour le pays. On a beaucoup glosé sur les dépenses occasionnées par l’événement (700 millions de CFA), alors que le Sénégal transpire de ses manques à tous les coins de rue. Mais des rencontres se sont faites entre acteurs culturels du monde entier. Dakar affirme à chaque Biennale son aura de capitale culturelle. Des artistes sont mis en lumière. Les hôtels, restaurants, taxis et commerçants, ont senti l’impact financier de l’événement. Mais si l’on vise un niveau d’exigence tel que les biennales de Venise ou de Dubaï, des efforts restent à faire, de l’accueil des visiteurs, la concertation des acteurs en présence afin de mieux ordonner les événements, à la mise en place d’un système de repérage dans la ville. La sélection devrait-elle être plus resserrée, y a-t-il

Le garage à meubles. Photo : Laure Malécot

trop d’expositions ? Je ne crois pas. La dimension foisonnante de l’événement fait son charme. Tout l’enjeu est d’en faciliter l’accessibilité pour les éditions à venir, afin de lui donner toujours plus d’impact.

153

“The last supper” par Barthelémi Toguo - Dak’art Campus. Photo : Laure Malécot


ART TALK CARNET DE BORD

Dis le à haute voix La liberté d’expression telle qu’elle est pratiquée par Olfa Riahi

Par Anne Grégory avec la contribution de Sidy Touré

154


Olfa Riahi a contribué à faire bouger les lignes et à faire tomber les barrières dans son pays. La blogueuse tunisienne, a toujours été à la pointe du journalisme d’investigation, en particulier dès le début du Printemps arabe. Connue pour avoir révélé le “Sheraton-Gate”, - scandale impliquant le Ministre tunisien des Affaires Etrangères contraint de démissionner, Riahi est aussi co-auteur du livre ”Le Syndrome de Siliana”, qui dénonce la pratique de la peine de mort notamment dans les régions les plus pauvres de Tunisie. Nous l’avons rencontrée en avril dernier aux Etats-Unis , a l’occasion de son passage à l’université de Duke. L’impact des réseaux sociaux sur le Printemps arabe en Tunisie ne peut pas être sous estimé. Quand avez vous commencé à prendre part au cyber espace ?

d’une génération qui en avait marre, j’ai décidé d’agir.

femmes utilisent Internet pour résister et communiquer leurs idées, cela ne veut par dire qu’elle soient plus à l’aise derrière un écran que dans l’action. Vous êtes à l’origine d’une affaire qui a fait couler beaucoup d’encre et qui a contribué à votre notoriété, connue aujourd’hui sous le nom de “Sheraton-Gate”. Cette affaire implique le Ministre tunisien des Affaires Etrangères, pouvez-vous nous en dire plus ? L’Affaire Sheraton débute en décembre 2012 suites à des révélations faites sur

Je travaillais à cette époque pour une

mon blog. Cette affaire a pris une très

radio, Express fm, lancée quatre ou cinq

grande ampleur en Tunisie mais aussi

En effet, les réseaux sociaux ont joué un

mois avant la révolution. Nous étions

à l’international, car la personne con-

rôle très important dans le Printemps

jeunes, pas encore corrompus par le

cernée par cette investigation sur la

arabe et surtout dans la révolution

système. Cette radio était probablement

corruption n’est autre que le Ministre

tunisienne. Nous étions en dictature,

le seul média local qui a couvert, dès

tunisien des Affaires Etrangères.

les médias étaient muselés, il n’y avait

les premières heures, les événements

Suite à cette affaire, j’ai été interdite

donc aucune possibilité de transmet-

de Sidi Bouzid. Je me suis ainsi retrou-

de quitter le territoire pendant huit

tre la réalité à l’écran et dans les médias

vée très impliquée dans la révolution,

mois. J’ai du répondre de huit chefs

traditionnels.

de part mes activités avec la radio, les

d’inculpations, allant de la diffama-

réseaux sociaux, en particulier Face-

tion à la falsification de documents en

book.

passant par l’atteinte à l’ordre public et

Il y avait avant la révolution des mouvements sur le net, des bloggeurs très connus qui ont critiqué le régime. Il y a eu beaucoup d’opérations de censure du web à cette époque. Ce phénomène n’a fait que s’amplifier. Pour ma part, j’ai intégré cet espace, comme de nombreux Tunisiens en décembre 2010, après l’immolation de Mohamed Bouazizi. La nouvelle s’est répandue sur Twitter, puis sur Facebook et c’est à partir de là que la jeunesse tunisienne s’est sentie concernée. Les images des premières manifestations, violemment réprimées, ont fait le tour des réseaux sociaux et notamment sur Facebook. En tant que jeune Tunisienne, faisant partie

155

Pensez-vous que l’anonymat et la sécurité qu’offre Internet encourage la participation des femmes à la révolution ? L’engagement des femmes tunisiennes au quotidien est très important et cela n’a rien à voir avec Internet. Les Tunisiennes sont très courageuses, elles n’ont pas besoin de protection. Elles sont braves, peut-être plus que les hommes. D’ailleurs plusieurs évènements importants en Tunisie ont été portés par des femmes. La présence des femmes est donc aussi importante sur le terrain que dans la sphère virtuelle, ni plus ni moins que celle des hommes. Même si beaucoup de


l’usurpation de la fonction de journaliste. J’ai la chance d’avoir un comité de défense très important composé d’une trentaine d’avocats, tous militants, démocrates, qui militent pour des causes nobles comme la transparence, la lutte anti-corruption, l’indépendance de la justice. Ils me défendent gratuitement. Après moult difficultés, nous avons finalement obtenu en janvier dernier une première victoire, avec l’inculpation du Ministre pour corruption et détournement de fonds publics. Ce dernier a fait appel et a eu gain de cause en demandant à ce que le dossier soit retiré au juge en charge de l’affaire. Cependant, nous avons appris que le juge en question refuse cette décision et veut poursuivre son enquête. L’espoir est donc encore permis.

156

Dans une Tunisie post-révolution, les journalistes traditionnels (télévision, radio, presse écrite) jouissent-ils de la même liberté d’expression que les bloggers ?

l’Etat (plaintes contre les journalistes,

La Tunisie est passée par deux dictatures

réside dans le fait que ces derniers ont

après l’indépendance. Dans ce contexte, la presse n’a jamais été libre. Après la révolution, les journalistes se sont enfin libérés. Mais sans formation et n’ayant jamais été confrontés à un processus démocratique en gestation. Il y a donc eu des errements mais aussi une grande effervescence qui aujourd’hui est en train de conduire petit à petit à la structuration du domaine des médias. S’il y a un acquis indéniable suite à la révolution, c’est la liberté d’expression, que la société civile protège farouchement malgré les tentatives d’intimidations de

arrestations) Aujourd’hui, la seule différence entre journalistes traditionnels et bloggers leur propre ligne éditoriale ce qui leur offre effectivement plus de liberté. Ils ne sont soumis à aucune pression hiérarchique et traitent leurs sujets librement.

La levée de l’interdiction de quitter le territoire prononcée à votre encontre vous permet d’être aujourd’hui à l’université de Duke en qualité de Media Fellow au sein du Centre DeWitt Wallace pour les médias et la démocratie de la Sanford School of Public Policy. Quels projets avez -vous initié ou exploré ?


Je suis ravie d’avoir été accueillie dans

Je mets un point d’honneur à ne pas

sont les mots qui expriment le mieux

cette université prestigieuse, où la

me prendre au sérieux. Je pars du

ma perception de la révolution. La

recherche académique et le système

principe qu’on ne sait pas de quoi

Liberté c’est l’aspiration à plus de liberté

des ressources sont incomparables. J’ai

sera fait l’avenir. Il faut donc vivre le

et le soulèvement contre la dictature.

beaucoup de projets, pas forcement

moment présent. Si je fais ce que je fais

l’Empathie fait référence à la connexion

ceux que j’avais en tête en arrivant.

aujourd’hui, c’est parce je rêve (comme

émotionnelle qui a lié les plus riches et les

J’envisage entre autre de revenir à

tous les autres activistes) d’un avenir

plus pauvres. la Justice car pour moi il n’y

Duke pour un PhD (Doctorat) sur les

meilleur pour la Tunisie, Toutefois je

a pas de révolution sans justice et enfin

connections sociales qui conduisent

prends la vie avec beaucoup de phi-

la Dignité qui représente l’aboutissement

aux révolutions. Il y a eu beaucoup de

losophie.

de tout. Le but ultime de la Liberté,

travaux réalisés sur l’impact des réseaux sociaux mais très peu sur les connections sociales en dehors du net et cet aspect m’intéresse beaucoup.

Même si votre travail est extrêmement sérieux, comment parvenez-vous à garder une attitude positive ?

Vous vous êtes fait un tatouage au cours de votre séjour, quatre mots, pouvez- vous nous expliquer ce qu’il signifie ? “Freedom Empathy Justice Dignity #Tunisia Dec 17h, 2010”. Je me suis fait tatouer ces quatre mots, Liberté, Empathie, Justice et Dignité car pour moi ce

de l’Empathie et de la Justice c’est de vivre avec Dignité. Le #Tunisia est un hommage aux réseaux sociaux et en particulier à Twitter. Quant au 17 décembre 2010 c’est la date à laquelle Mohamed Bouazizi s’est immolé, le jour où tout à commencé. J’ai gravé ces mots dans ma chair pour ne jamais oublier, même dans les moments de doute.

Le tatouage de Riahi, quatre mots qui incarnent la révolution. photo crédit Anne Gregory

157


ARIKADAA’S LIBRARY

THE WONDROUS MACHINE.SUN ON THE EN ATTENDANT LE VOTE DES BÊTES SAUVAGES - Ahmadou Kourouma, Editions du Seuil, 2000. L’Histoire est racontée par Ahmadou Kourouma de manière littéraire comme une histoire. De politique, de société et de civilisations il est question un peu comme dans un mythe restituant ainsi la subjectivité inhérente à ces matières. L’écriture multidimensionnelle d’Ahmadou Kourouma bouleverse les attentes légitimes et les sciences de la vérité dans un chatoiement littéraire qui fait apparaitre que seul l’art peut approcher l’Histoire. Le livre est un chant, six veillées sont organisées pour l’anniversaire du Président Koyaga au cours desquels sont parcours est raconté en un retentissant pamphlet hagiographique.

MAXWELL PATERNOSTER, Cabeza de Chorlito, 2014. Maxwell Paternoster’s book, publicated by the publishing house Cabeza de Chorlito, is a compilation of his sketchbook’s drawings. Tigers wearing pompadour and sideburns. Dogs roller skating on a deadman’s face. A record player with Yeti’s feet. Skulls coming straight from hell. A skate-boarding squirrel. Wheelbarrows full of « amazing shit », chilis and brain juice. Weird creatures beheading themselves with chain saws. Wild bikers heading back home on the longest detour. Inside Maxwell’s studio sketchbooks are piling up. From each one the drawings overflow. Leaving very little place for white space. As the book made by Cabeza de Chorlito. Editions Cabeza de chorlito / Frédérique Bangerter & Alberto Garcia Alix, Madrid, Spain. www.cabezadechorlito.net

158

FLAG - Assaf Iglesias, Cabeza de Chorlito, 2014. A delicate book, full of unknown, composed of images and texts. A story told with polaroïds and drawings that have in common the same delicacy and passion for details. A book to be read inbetween the lines. Nothing is vaporous enough, the images and the texts are lines of approach allowing us to enter into the artist’s intimate tale ; playing on words, beautifully sad melancholy, and the machine or machines eternally present at the background of a journey where both dreamlike and tough reality merge together. The Wondorous Machine. The sun on the flag. An open window on Assaf’s world in the shape of a book. Editions Cabeza de chorlito / Frédérique Bangerter & Alberto Garcia Alix, Madrid, Spain. www.cabezadechorlito.net


ART AND POLITICS NOW – Anthony

ROUTES DU JAZZ – Samue Nja Kwa,

Downey, Thames & Hudson, 2014.

Editions Duta, 2014.

JAPAN DRUG - António Júlio Duarte,

Why have so many artists turned to political

ROUTE DU JAZZ relate les traces et

Pierre von Kleist Editions, 2014.

subject matter in the last decade? Can art

empreintes du jazz. Le liver est né d’une

not only question but also reinvigorate the

synthèse entre la création européenne et

“It was 1997 and the new millennium was

social, civic, and political imagination? Art

la tradition africaine rendue possible sur le

imminent, one could feel the tense anticipation

and Politics Now offers a brilliant survey of

sol américain. Un beau livre où l’histoire

about what was to come next.

artists engaged with “the political,” whether

musicale des Africains nous est contée en

I was alone in Japan, a place I had never been

in providing commentary, questioning social

noir et blanc et en couleur.

before. During the day I would go out looking

structures, or actively responding to the

A travers des portraits et entretiens, le

for my own sense of the place, photographing,

world around them.

photographe Samuel Nja Kwa retrace le

exploring notions of center, a place of

Art and Politics Now highlights the radical

voyage du rythme. Des anecdotes, des

convergence, as the world expanded before me

changes in the approaches and techniques

témoignages personnels, un hommage aux

in its uncertain course.

used by artists to communicate their ideas,

acteurs de cette épopée.

Many years have passed and I felt a need to go

from the increase in collaborative, artist-

La sortie du livre s’accompagne d’une

back to these images.

led, and participatory projects to activism

exposition photos itinérante, de l’Afrique

The millennium is long gone but the vertigo of

and intervention, documentary and archive

aux Caraïbes, en passant par les Amériques.

uncertainty is yet to disappear.”

work. Many high-profile artists are featured,

Des villes et festivals projettent d’accueillir

António Júlio Duarte

including Chantal Ackerman, Ai Weiwei,

l’exposition : Douala, en novembre

Francis Alys, Harun Farocki, Omer Fast,

2014, Jazz à Tournai en Février 2015,

Subodh Gupta, Teresa Margolles, Walid

Johannesburg, Cap Town Jazz Festival

Raad, Raqs Media Collective, Doris Salcedo,

en avril 2015, Martinique, Guadeloupe,

BrunoSerralongue, and Santiago Sierra.

Haïti, Sainte Lucie, Guyane, NYC, Montréal,

http://www.pierrevonkleist.com/

Toronto, La Havane... http://routedujazz.free.fr/index.html

159


AGENDA AFRIQUE

déplacements, en Europe et

« AFRICAN SPIRITS »

aux Etats-Unis. A trente ans « ABOUDIA : NOUCHI CITY »

seulement, c’est un artiste mondialisé à l’image de sa ville multiculturelle, et tandis que son travail s’enrichit de ses nombreuses expériences, l’esprit nouchi persiste dans ses œuvres. Aboudia, vit et travaille entre New York et Abidjan. Né en

Il y a deux ans tout

1983 et diplômé du CTAA (Centre

« African Spirits » est la

juste, la galerie ouvrait

Technique des Arts Appliqués)

concrétisation d’un projet

son espace au public avec

de Bingerville, Aboudia a acquis

élaboré par Samuel Fosso

une exposition des œuvres

son style à l’école de la rue.

depuis plusieurs années. Le

issues de la collaboration de

Il a choisi de devenir peintre,

déclic s’est produit lorsqu’il

Frédéric Bruly Bouabré, figure

contre l’avis de ses parents

a découvert le visuel du 1er

tutélaire de l’art en Côte

et de ses enseignants qui lui

Pavillon Africain de la Biennale

d’Ivoire, et d’Aboudia, jeune

prédisaient une carrière de

de Venise 2007, présenté par

artiste ivoirien. Aujourd’hui

“street artist”.

la Collection Sindika Dokolo

son travail intéresse

Bien qu’il ait été révélé à

(Luanda, Angola). C’est alors

collectionneurs et musées du

la communauté internationale

que le photographe a décidé de

monde entier, fascinés par

des critiques d’art et des

réinterpréter en autoportraits

l’énergie qui se dégage de ses

journalistes par ses travaux

des icônes photographiques

gestes, flux incontrôlable que

relatant les affrontements à

des grands leaders des

ses toiles semblent peiner à

Abidjan, Aboudia refuse d’être

Indépendances africaines, du

contenir.

considéré comme un “peintre

Mouvement des Droits Civiques

Au cœur de la galerie, surgit

de guerre”. Son œuvre, qu’il

aux États-Unis ou des monuments

un extrait d’une construction

qualifie de “nouchi”, est un

culturels.

précaire, reflet d’un quotidien

hommage à l’essence des rêves

Après une errance douloureuse

de la débrouille, d’un paysage

et du langage. Les matériaux

du Cameroun au Nigéria, Samuel

commun. Cet habitacle est

qu’il choisit lui permettent

Fosso s’installe à Bangui à

remplit d’objets usuels donnant

d’exprimer le maximum de choses

l’âge de dix ans. Il devient

la possibilité à chacun de s’en

avec le minimum de ressources.

apprenti photographe avant

servir pour s’élever. Appelant

d’ouvrir lui-même son propre

la vitalité et l’originalité des

« ABOUDIA : NOUCHI CITY » -

studio. A ses heures perdues,

vendeurs de rue et des petits

ABOUDIA

il commence à se mettre en

marchants, ici Aboudia nous

Du 26/09 au 15/11/2014

scène seul ou avec des amis.

ramène aux rêves simples d’une

GALERIE CÉCILE FAKHOURY

Aujourd’hui, ses autoportraits

génération urbaine.

06BP6499 ABIDJAN 06

sont connus dans le monde

Aboudia emmène la ‘’Nouchi

galerie@cecilefakhoury.com

entier. Sa dernière série,

City’’ dans tous ses

http://cecilefakhoury.com/

« African Spirits », rend

160


hommages aux héros noirs.

d’Afrique. La biennale a lieu

édition, c’est bien le signe

à l’Académie des Beaux-arts ,

d’une vie difficile dans

« African Spirits », Samuel

l’Institut Français de Kinshasa,

laquelle nous tenons à avancer,

Fosso

le Centre Wallonie Bruxelles et

afin de garder vivantes les

Du 20/09 au 29/11/2014

la place de la Gare centrale.

potentialités de la scène

Fondation Charles Donwahi pour

culturelle dakaroise.

l’art contemporain

Yango permettra de connecter

Des lieux se mettent en

06 BP 228 Abidjan 06

les artistes qui viendront avec

attente, certains ferment leur

Boulevard Latrille, face Eglise

l’énergie créatrice de Kinshasa,

portes. Mais aussi de nouvelles

Saint Jacques

l’une des futurs mégalopoles.

collaborations s’installent

Abidjan II Plateaux

et de nouvelles alliances se

http://fondationdonwahi.org/fr/

« YANGO »

forment : nous savons que les

home.html

Du 21/11/2014 au 19/12/2015

qualités sont là, il ne nous

Plus d’infos http://

reste qu’à les mettre en valeur.

yangobiennale.org/

Dans cette édition nous

« YANGO »

tenons aussi à annoncer des « PARTCOURS 2014 »

manifestations qui ne font pas partie du Partcours mais se déroulent aux mêmes dates : Partcours est un espace de partage. Évènement qui se déploie sur un itinéraire de découverte de l’art contemporain, Partcours est une invitation à la rencontre et au réveil

Kinshasa a vu naître les

des énergies qui font bouger

artistes tels que, Chéri

Les espaces d’art contemporain

les arts à Dakar et sur le

Samba, Jean Dépara , etc. Elle

de Dakar se fédèrent depuis

Continent.

accueille enfin sa première

trois ans pour créer un mapping

Un effort commun que nous

biennale d’art contemporain.

des lieux constants dans leur

voulons présenter au public

Avec d’autres artistes venus

programmation et permanents

comme acte de résistance !

des quatre coins du globe.

dans leur existence. Cette initiative et ses

« Partcours 2014 »

Sous le thème «Avancer», la

résultats correspondent bien à

Dakar - Sénégal

première édition de la biennale

la diversité de ces porteurs de

Consulter le programme

«Yango» va questionner les

liberté d’expression qui, malgré

caractéristiques expressives

leur équilibre précaire, luttent

qu’offre le Congo. Dotée

pour pérenniser leur existence.

d’incroyables ressources,

Partcours est un espace

la RDC offre l’une des plus

évolutif : si nous avons

grandes diversités culturelles

moins de présences pour cette

161


AGENDA FRANCE & EUROPE

Modern.

« SPHÈRES 7 »

L’artiste a créé un drapeau « MUSÉE DE L’ART CONTEMPORAIN

annonçant le Musée de l’Art

AFRICAIN »

Contemporain Africain à Berlin. Gaba a commencé à travailler sur ce projet entre 1996 et 1997, pendant ses études en Europe avec la bourse de la Rijksakademie à Amsterdam. La motivation pour créer son propre musée découle en partie de l’idée répandue selon laquelle l’art africain

Pour la septième édition de

contemporain n’existait tout

Sphères, GALLERIA CONTINUA est

simplement pas.

heureuse d’inviter les galeries

Dans le même esprit que des

313 Art Project, ATHR Gallery,

artistes associés à « Relational

Thomas Brambilla, Chatterjee

Aesthetics », comme l’artiste

& Lal, Cécile Fakhoury, Mor

américain Felix Gonzalez-Torres

Charpentier, Xippas à exposer

et l’artiste thaï, Rirkrit

dans l’ancienne usine des

Tiravanija, Gaba utilisait déjà

Moulins. Ce sont ainsi les

« Mon musée n’a aucun mur, »

le contexte d’exposition comme

œuvres de 32 artistes qui

dit Meschac Gaba ce n’est, «

une occasion de créer des

composent ce nouveau parcours

pas un modèle … c’est seulement

situations et des endroits pour

international. Le projet Sphères

une question ».

des rencontres sociales ;

réunit ainsi une nouvelle fois

Son installation de douze

la signification dun objet est

plusieurs galeries de différents

pièces, acquise en 2012, est le

« activée » par son interaction

endroits du globe, guidées

plus grand travail solo que le

avec le visiteur.

par la volonté d’unir leurs

Tate Modern a acheté jusqu’à

Dans le contexte de

diverses énergies autour d’une

présent.

l’exposition, quelques pièces

expérience inédite et commune

Le Musée de l’Art Contemporain

de cette installation peuvent

d’exposition au sein du Moulin

Africain 1997-2002 n’a aucun

être activées pour et par des

de Boissy-le-Châtel.

emplacement permanent, mais a

visiteurs.

Sphères est aussi l’occasion de

été exposé temporairement dans

“Musée de l’art contemporain

découvrir, ou de redécouvrir

des variations différentes dans

africain” - Meschac Gaba

les long-term projects de

des musées

du monde entier.

Du 20/09 au 16/11/2014

Daniel Buren, Marcelo Cidade,

Maintenant, sept pièces de ce

Unter den Linden 13/15

Leandro Erlich, Antony Gormley,

travail séminal seront montrées

10117 Berlin

Gu Dexin, André Komatsu,

pour la première fois

www.deutsche-bank-kunsthalle.de

Lucy+Jorge Orta, Michelangelo

à

Berlin

ici

pour marquer le début d’une

Pistoletto, Pascale Marthine

coopération entre la Deutsche

Tayou et Sislej Xhafa.

Bank KunstHalle et le Tate

«Spères 7»

162


GALERIA CONTINUA - LES MOULINS

avec les artistes sont

19/10/2014 - 21/12/2014

Les vidéos sélectionnées

programmées en parallèle.

46 rue de la Ferté Gaucher,

explorent, avec plus ou moins

77169, Boissy-le-Châtel, FRANCE

d’humour ou de sens tragique,

Les artistes invités :

/ T. +33 (0)1 64 20 39 50

notre perplexité face à

Edgardo Aragón Díaz ; Yto

lemoulin@galleriacontinua.fr /

l’échec des utopies de la

Barrada ; Eric Baudelaire ;

www.galleriacontinua.com / www.

modernité et aux tentatives

Ursula Biemann ; Wim Catrysse

spheres-lemoulin.com

de réévaluation qui se sont

; Martin Le Chevallier ;

succédées jusqu’à la fin du XXe

Declinación Magnética ; Theo

siècle. Cette seconde édition

Eshetu ; Mahdi Fleifel ; Yang

« INVENTER LE POSSIBLE

de la vidéothèque nous invite

Fudong ; Sirah Foighel Brutmann

UNE VIDÉOTHÈQUE ÉPHÉMÈRE »

ainsi à nous demander si l’on

et Eitan Efrat ; Peter Friedl

peut encore, dans ce contexte,

; Pauline Horovitz ; Marine

trouver d’éventuels modèles

Hugonnier ; Hayoun Kwon ; Naeem

de rechange. Conçu comme un

Mohaiemen ; Wendy Morris ;

dispositif mixte et ouvert, elle

Carlos Motta ; Els Opsomer ;

permet au public de visionner

Daniela Ortiz & Xosé Quiroga ;

librement des vidéos sur

Anxiong Qiu ; Khvay Samnang ;

des écrans individuels ou de

Allan Sekula ; Hito Steyerl ;

découvrir ces mêmes œuvres sur

Atsushi Wada ; Artur Zmijewski.

grand écran. En proposant au spectateur de

« Inventer le possible - Une

créer sa propre programmation

videothèque éphémère »

En 2010, le Jeu de Paume

et de revenir gratuitement

Du 14/10/14 au 08/02/2015

a présenté « Faux Amis »

dans les salles dédiées au

Au Jeu de Paume

la première édition de la

projet, ce second volet de

1 place de la Concorde

« Vidéothèque éphémère »,

la « Vidéothèque éphémère »,

75008 Paris

dédiée à la représentation

se positionne avant tout

de l’histoire dans l’art

comme une archive provisoire

« VIDEOs D’ARTISTES DES 5

contemporain, au travers des

des vidéos réalisées ces dix

CONTINENTS »

questions de mémoire, d’identité

dernières années à travers des

et de perte. La seconde

contextes et des territoires

édition, intitulée « Inventer le

très variés : du désert du

possible », est tournée « vers

Koweït à la forêt amazonienne,

l’après » pour interroger

en passant par le nord du

l’invention d’un avenir possible

Canada, le Bengladesh, le

ou d’un futur utopique. « Nous

Sénégal, l’Indonésie… Une

rêvions d’utopie et nous nous

sélection de ces vidéos est

sommes réveillés en hurlant »,

également proposée au jeune

Le bar du Bristol, à Paris,

déclarait l’écrivain chilien

public dans l’espace éducatif

donne carte blanche à

Roberto Bolaño, dans son

du Jeu de Paume, tandis que des

la très pointue Galleria

« manifeste infraréaliste ».

projections et des rencontres

Continua, grande galerie

163


AGENDA d’art contemporain italienne

« KADER ATTIA BEGINNING OF THE

se heurte au statu quo que

(San Gimignano, Pékin, Les

WORLD »

maintient l’ordre politique.

Moulins) pour y projeter des

L’exposition donne alors à

vidéos d’artistes des cinq

penser sur l’activité humaine de

continents. Ainsi, l’automne

réparation, quand tout ce que

et l’hiver seront plus doux,

nous faisons est conduit par un

si vous poussez la porte à

instinct de lutte pour notre

tambour du palace parisien

survie. Ce comportement est un

pour y découvrir dans cette

rêve moderne, et par exemple

atmosphère feutrée ces oeuvres

les émeutes ont toujours été

programmées tous les soirs de

motivées par cette utopie

19h à 21h. Autour d’une coupe

GALLERIA CONTINUA / Les Moulins

révolutionnaire d’améliorer

de champagne ou d’un soft drink

a le plaisir d’accueillir les

le monde par le changement.

vous pourrez admirer les images

œuvres de Kader Attia pour

Basée sur le principe du

des plus grands noms de l’art

une exposition personnelle au

besoin infini des civilisations

contemporain: d’Etel Adnan,

Moulin de Boissy. Le titre de

humaines à se battre pour

Ai Weiwei, Kader Attia, Daniel

l’exposition, « Beginning of

leur survie, et sur l’émeute

Buren, Loris Cecchini, Nikhil

the World », fonctionne sur

comme outil de rédemp-tion

Chopra, Leandro Erlich, Meschac

l’ironie, ce « commencement

sociale, l’exposition présente

Gaba, Carlos Garaicoa, Gu Dexin,

du monde » apparaissant

une sorte d’apogée inversé où

Subodh Gupta, Kan Xuan, Anish

métaphoriquement comme sa

le principe d’élévation cor-

Kapoor, Jorge Macchi, Sabrina

propre fin, le point de départ

respond à la raréfaction de

Mezzaqui, Moataz Nasr, Hans

de tous les problèmes qui

œuvres et de leur matérialité.

Op de Beeck, Giovanni Ozzola,

pourraient précipiter le monde

Du chaos à l’immatériel, l’on

Sun Yuan ou bien encore Peng

vers sa disparition.

passe au travers d’une curieuse

Yu, Pascale Marthine Tayou et

Le principe de l’exposition

et absurde dialectique entre

enfin Sislej Xhafa. Le Bristol

fait suite à une longue

opposés.

ou quand la culture rime avec

période de recherches, au

luxe, calme et volupté.

cours de laquelle Kader

« Beginning of the World »

Attia a consciencieusement

GALERIA CONTINUA - LES MOULINS

« Vidéos d’artistes des 5

examiné les différentes

19/10/2014 - 21/12/2014

continents »

significations couvertes par

46 rue de la Ferté Gaucher,

20/10/2014 - 11/01/2015

le binôme « réparation » et «

77169, Boissy-le-Châtel, FRANCE

Le bar du Bristol,

réappropriation ».

/ T. +33 (0)1 64 20 39 50

112 rue du Faubourg Saint-

L’idée politique du commencement

lemoulin@galleriacontinua.fr /

Honoré, 75008 Paris,

possède un lien étroit avec

www.galleriacontinua.com / www.

celle du « rêve révolution-

spheres-lemoulin.com

naire », et peut en vérité apparaître comme une forme de « non-évolution », en ce sens que le changement attendu vers un monde meilleur

164


En mai dernier la revue AFRIKADAA présentait à la Biscuiterie de la Médina son projet curatorial Street Publication, dans cadre du Off de la biennale de Dakar, Dak'art 2014. AFRIKADAA tient à remercier tous les généreux donateurs* qui ont soutenu notre campagne de crowdfunding sur Indiegogo, les artistes (Jay One, Sean Hart, Louisa Babari, Joël Andrianomearisoa, Vieux Cissé, Ousmane Mbaye, Bouna Medoune Seye, Alexis Peskine), Les Studios More Human, nos sponsors et toutes les personnes qui ont contribué à la réalisation de notre projet. Rien n'aurait été possible sans vous! Last May, AFRIKADAA Magazine presented a curatorial project, Street Publication, at the Biscuiterie de Medina, in the framework Off the Dakar Biennale, Dak'art 2014. AFRIKADAA like to thank all the generous donors* who have supported our crowdfunding campaign on Indiegogo, the artists (Jay One, Sean Hart, Louisa Babari, Joël Andrianomearisoa, Vieux Cissé, Ousmane Mbaye, Bouna Medoune Seye, Alexis Peskine), More huma Studios, our sponsors and all those who contributed to our project. Nothing would have been possible without you! * Anne sophie Jessel, Gladys Okatakyie, Florence Tedajo, Carmélita De Souza, Alexandre Gouzou, Annick Lemonnier, Laurence Leblanc, Didier Martin, Catherine Laval, Isabelle Gourmelon, Frieda Ekotto, Emily Goedde, Maxime Chevillotte Catherine Wallace, Maria Bonga, Dasha Nicoué, Chantal Epee, Gérard Akindes, Ibrahima Barry, Janine Gomez, Edem Allado, Juliette Diogo, Sylviane Diop, julie Crenn, Elisabeth Lebovici, Arnaud Goujon, Sandrine Ebène de Zorzi, Ohiniko Couao-Zotti, Julie Lassissi, Adele Grellet, Azania Steady, Demba Makalou, Sibi Letourneux, Minia Biabany, Elisabeth Gomis, Maguy Touré, Fatou Ndiaye, Francis Louis, Saïdou Dicko MERCI !!!!!!! THANK YOU!!!!!!! 165


AFRIKADAA PLAYLIST

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Michelange Quay Né en 1974, de nationalité américaine et d’origine haïtienne, Michelange Quay, obtient sa licence de cinéma à l’Université de New York, ainsi que sa licence d’Anthropologie à l’Université de Miami. Il est diplômé en réalisation à la prestigieuse Tisch School of Arts. En 2002, il est le réalisateur lauréat de la Résidence Ciné fondation du festival de Cannes, où il commence l’écriture du film Mange, ceci est mon corps. En 2004, il réalise L’Evangile du cochon créole, un court-métrage de 35 minutes, présenté dans la sélection officielle du festival de Cannes en 2004. Il reçoit aussi le prix du meilleur court-métrage au festival de Locarno, Stockholm, Milan, Rio de Janeiro, Sao Paulo et au festival de Tokyo CON-CAN Movie. En 2008, sort son premier longmétrage, Mange ceci est mon corps. Le film est sélectionné aux festivals de Sundance 2008, Tokyo Filmex 2007, Toronto 2007 et Edinburgh 2008. Il obtient le Grand prix au Festival International du film de Miami Haïti ground zéro est son dernier projet. Il réalise un prologue de cinq minutes qui amorce la composition de son prochain longmétrage.

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Portrait de Michelange Quay par Alexandre Gouzou


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AFRO DESIGN & CONTEMPORARY ARTS

NOV-DEC-JAN N° 8

L’IMAGE EN MOUVEMENT Re- Inventing Narratives


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