AFRO DESIGN & CONTEMPORARY ARTS
NOV-DEC-JAN N° 8
L’IMAGE EN MOUVEMENT Re- Inventing Narratives
Couverture : (Front et Back) images extraites de la vidéo “Haïti ground zero” © Michelange Quay Merci à tous ceux qui ont contribué à ce numero : Jay One Ramier, Michelange Quay, Karren D McKinnon, Galerie kamel mennour, Lionel Manga, Jean Pierre Bekolo, Mélissa Gélinas, Melissa Thackway, Valérie Osouf, Saad Chakali, Newton I Aduaka, Geordy Zodidat Alexis, Laure Malécot, Soufiane Adel, Truong Que Chi, Rehema Chachage, Les Ateliers Sahm, Job Olivier Ikama, Lotte Løvholm, Stéphane Malysse, Camille Henrot, Chassol, Laurra Nsengiyumva, Brice Ahounou, Ali Essafi, Teju Cole, Katia Gentric, Katia Kameli, Zeitz Foundation, Clarence Thomas Delgado, Baba Diop, Jenny Prytherch, Olfa Riahi, Nosana Sondiyazi, Tiwani Contemporary, Sean Hart. Direction de publication Carole Diop Pascale Obolo Rédactrice en Chef Pascale Obolo Direction de projet Louisa Babari Direction Artistique antistatiq™ Graphisme antistatiq™ Comité de rédaction Frieda Ekotto Olivia Anani Seloua Luste Boulbina Camille Moulonguet Patrick de Lassagne Djenaba Kane Anne Gregory Myriam Dao Sean Hart Photographe Alexandre Gouzou Tous droits de reproduction réservés. Contact: info@afrikadaa.com Novembre/Décembre/Janvier www.afrikadaa.com www.facebook.com/Afrikadaapage www.twitter.com/afrikadaa
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EDITO
Dans un contexte d’hétérogénéité culturelle, ouvert à des temporalités multiples ce numéro d’Afrikadaa questionne l’image en mouvement avec ses nouvelles narrations. Élément constitutif des salles de cinéma, puis des installations dans les galeries d’art, l’image en mouvement aujourd’hui, est en effet partout jusqu’à devenir partie intégrante de notre expérience quotidienne. Cette prolifération et l’élargissement de son champ obligent à décloisonner les disciplines et leurs méthodologies afin de repenser les dispositifs narratifs, le régime d’images ainsi que la manière de regarder ces images qui lui sont liés.
ent. ceux qui multiplient les formes discursives et narratives et s’emparent des possibilités de transmission des images pour concevoir, dans des formats et des circuits éloignés du cinéma commercial, d’autres critères de visibilité. L’objet scénaristique serait il obsolète ou mort pour ces cinématographes d’avant-garde. Le scénario tel qu’il est conçu aujourd’hui n’a plus sa place dans le cinéma du 21 eme siècle. Interroger l’Archive comme objet filmique mais aussi les films et vidéos d’artistes et de cinéastes qui travaillent aujourd’hui dans le contexte de l’histoire coloniale et post-coloniale et des différentes cultures qui s’y croisent.
À partir de la notion d’image en mouvement Afrikadaa cherchera à mettre en avant la convergence et les processus d’hybridation entre le cinéma, l’art contemporain et les médias pris dans une perspective de narration innovante. Plus précisément, il s’agira de questionner les artistes qui investissent les nouvelles écritures ou langage cinématographique et qui interrogent les espaces qui en résult-
Au moment où l’expression démocratique a repris une place importante et à la fois menacée, les artistes définissent leur propre échelle de visibilité et font circuler la parole à contre-courant d’une culture globalisée et consensuelle, mais aussi de toute revendication « identitaire » figée dans le temps et dans l’espace géopolitique. Les films, qui répondent dans leur manière de distribuer la parole individuelle et col-
Drawing from perspectives of cultural heterogeneity and multiple temporalities, this issue of Afrikadaa focuses upon the moving image and its modes of narrative. Once found in movie theaters, and then in art galleries, today the moving image has become an integral part of our everyday experiences. The proliferation and broadening of its domain forces us to decompartamentalize discipines and their methodologies, so that we can rethink its narrative appartuses and imagistic regimes, and the ways in which this a ects how we see these images.
it is presently known has no place in the cinema of the 21st century. We aim to interrogate the Archive as lm-object together with the lms and videos of contemporary artists and lmmakers who work in the context of colonial and post-colonial cultures and the currents that cross therein.
Starting with the idea of the moving image, Afrikadaa will foreground the convergence, and the processes of hybridization between, cinema, contemporary art and the media, all from the perspective of innovative narration. Or, to be more precise, we will consider artists who articulate new writings, or new cinematic language, and who then interrogate the spaces that result. Artists who multiply discursive and narrative forms, and who take possession of possibilities of transmission in order to conceive of, in formats and circuits distant from commercial cinema, other criteria of visibility. The scene-object is it obsolete? Is it dead for these avant-garde lmmakers? The storyline as
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lective, dans le traitement du consensus et de la divergence d’opinion pour mettre ensemble différentes manières de penser, seront abordés dans ce numéro. Il sera aussi question des nouvelles pratiques et des nouveaux usages de l’image via différents dispositifs d’écrans. Fonctionnant comme un laboratoire éditorial dans lequel différents formats d’écritures cohabitent, Afrikadaa produit un type d’expérience qui sonde une forme de narration textuelle imagée, proche de l’idée, que le cinéma réinvente la réalité. Faire des films. Matérialiser le réel. Montrer l’invisible. Il y a un cinéma à trouver. Un cinéma qui de front incarne le passé, le présent et le futur.
PASCALE OBOLO cinema is to materialize the real. In this issue we include the work of artists who reinvent and interrogate new forms of narration. There is cinema to discover. Cinema shows us the invisible. It incarnates the past, present and future.
At a time when democratic expression has taken a new place of importance—even as it is threatened—artists de ne their scale of visibility, circulating words that move against the grain of a globalized, consensual culture and o er an “identitary” revindication situated in a geopolitical time and place. In this issue we include lms that give space to individual and collective speech, which assemble consensus and divergence in order to create di erent ways of thinking. But we do not shy away from interrogating these new practices and uses of the image via alternative lmic apparatuses. Like a laboratory in which diverse screens cohabitate, this experience pushes textual/ imagistic narration to its limit, approaching the idea that cinema is reinventing reality. To make
PASCALE OBOLO
AFRIKADAA IMAGE EN MOUVEMENT / RE-INVENTING NARRATIVES ART TALK HISTOIRE(S) EN IMAGE, HISTOIRE(S) EN MOUVEMENT : OU QUAND LE CINÉMA RÉAPPROPRIE LES ARCHIVES - PAR MELISSA THACKWAY
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RÉSONANCES DUCHAMPIENNES - PAR LIONEL MANGA
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ENTRE-DEUX - PAR MYRIAM DAO
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A CINEMA WITHOUT CONCESSIONS : SARA GÓMEZ’S DE CIERTA MANERA 1974 - BY MELISSA GÉLINAS
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CINEASTE SANS CAMERA - PAR PASCALE OBOLO
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L’ARCHIVE FILMÉE ET LA PÉRIODE COLONIALE SOUS DOMINATION FRANÇAISE EN AFRIQUE : D’OÙ REPARTIR POUR ROMPRE LE DÉNI ? - PAR VALÉRIE OSOUF
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MOUVEMENT DES CORPS, SÉRIALITÉ DES IMAGES - PAR SELOUA LUSTE BOULBINA
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PERFORMANCE IS PERHAPS A GHOST PERFORMING ALL THE TIME - BY LOTTE LØVHOLM
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L’ANTHROPOLOGUE EN TRAVESTI : ÉTUDE DES SIGNES EXTÉRIEURS D’IDENTITÉ OU « COMMENT JOUER À ÊTRE UN AUTRE ». - PAR STÉPHANE MALYSSE
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COUPÉ / DÉCALÉ - PAR MYRIAM DAO
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CHASSOL : ECOUTER L’IMAGE ET VOIR LE SON - PAR CAMILLE MOULONGUET
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CALYPSO ROSE : MOTHER OF ALL FLOWERS - BY FRIEDA EKOTTO
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IMAGES EN MOUVEMENT AU CONGO BRAZZAVILLE - PAR JOB OLIVIER IKAMA
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ALI ESSAFI : LA PARTITION DES BEAUX LENDEMAINS - PAR LOUISA BABARI
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THINGS COME TOGETHER : A CONVERSATION WITH TEJU COLE - BY ANNE GREGORY
76
4° 3’ N, 9° 42’ O OU PLUS PRÉCISÉMENT 4° 0 43888’ N, 9° 742706’ O - PAR KATIA GENTRIC
80
PLACES ZEITZ MOCA : LE MUSÉE QUI VA PROPULSER LE CAP SUR LA CARTE MONDIALE DE L’ART CONTEMPORAIN - PAR CAROLE DIOP
84
CONCEPT LETTRE A SEMBÈNE - PAR CLARENCE THOMAS DELGADO
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ONE MAN’S SHOW - PAR NEWTON I ADUAKA
90
SOUL TRAIN & BLACK PROUDNESS - PAR PATRICK DE LASSAGNE
92
SUNDUST - PAR SEAN HART
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EN FOND DE COURT : DE LA MÉMOIRE ET DU TEMPS, L’IRONIE COMME AMORTIE - PAR SAAD CHAKALI
100
CORRESPONDANCE FILMIQUE ENTRE KATIA KAMELI: PHOTOGRAPHE /VIDÉASTE ET PASCALE OBOLO: RÉDACTRICE EN CHEF/CINÉASTE
102
FOCUS LES PORTES DE LA PERCEPTION. HAÏTI GROUND ZERO DE MICHELANGE QUAY - PAR LOUISA BABARI
106
PORTFOLIO “THE FLOWER - BY REHEMA CHACHAGE
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“PARCE QUE ! BECAUSE !” ( MAKING OFF ) - PAR SEAN HART
114
PRAISES 2015 (WORK IN PROGRESS) - BY SEAN HART
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ALTER - PAR LAURA NSENGIYUMVA
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4
MCMO - PAR GEORDY ZODIDAT ALEXIS
122
FUTUR - PAR KATIA KAMELI
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ARCHITECTE URBANITE ET CINEMA AFRICAIN : LE CAS DE DAKAR - PAR CAROLE DIOP
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DESIGN L’OASIS URBAINE : UN AMENAGEMENT EPHEMERE ET MOBILE - PAR CAROLE DIOP
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EXHIBITION REVIEW BAPTIST COELHO :UNDER MY SKIN... UNDER YOUR SKIN - BY NOSANA SONDIYAZI
134
FAST FORWARD : LOUISA BABARI IN CONVERSATION WITH OLIVIA ANANI
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ROTIMI FANI-KAYODE (1955-1989)
144
RETURN OF THE RUDEBOY REVIEW - BY KAREN D MCKINNON
146
CARNET DE BORD BIENNALE DE DAK’ART 2014 : UN FOISONNEMENT VITAL - PAR LAURE MALECOT
148
DIS LE À HAUTE VOIX : LA LIBERTÉ D’EXPRESSION TELLE QU’ELLE EST PRATIQUÉE PAR OLFA RIAHI - PAR ANNE GREGORY
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AFRIKADAA’S LIBRARY 158
AGENDA 160
AFRIKADAA PLAYLIST ELECTROVAUDOU MEDITATION BY MICHELANGE QUAY . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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ART TALK
Histoire(s) en image, histoire(s) en mouvement
ou quand le cinéma réapproprie les archives Par Melissa Thackway
Images : © Les Films du Raphia
Depuis la naissance des cinémas
dans le vent de Jean-Marie Teno (Cam-
torique. Depuis les Lumières, l’Occident,
d’Afrique subsaharienne dans les
eroon, 2013), The Nine Muses de John
dans son élan universaliste, impose un
années 60, la question de réappro-
Akomfrah (UK, 2010), et Juju Factory de
récit historique singulier, eurocentrique,
priation de l’histoire a traversé ses
Balufu Bakupa Kanyinda (RDC, 2007)
qui exclut et efface toute autre inter-
films avec constance, empruntant des
– qui, chacun à sa manière, revisitent
prétation ou mode d’étude. D’autre
écritures nouvelles. Associée à la quête
les images d’archives officielles pour
part, afin de légitimer la Traite négrière
d’identités « en devenir »! au cœur de
réécrire l’Histoire d’un point de vue afric-
et ensuite la colonisation, les théories
cette cinématographie postcoloniale, et
ain ou diasporique – nous examinerons
de race du 19e siècle établissent une
dans la droite lignée des penseurs tels
ici les écritures cinématographiques
hiérarchie qui justifie cette « mission
que Fanon, Cabral et Nkrumah, plusieurs
hybrides de ces films, ainsi que la portée
civilisatrice ». Selon cette logique, si
réalisateurs se sont saisis de l’histoire,
contestataire de cette contre-mémoire.
l’Afrique est restée dans les ténèbres,
"
ou plutôt de sa réinterprétation comme
elle est forcément dénuée d’histoire,
partie intégrante d’un nécessaire pro-
L’effacement de lectures africaines de
marqueur absolu de civilisation.#
cessus de décolonisation des esprits.
l’histoire auquel répondent ces films est
A travers trois films récents – Une Feuille
lui-même le résultat d’un processus his-
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De gaughe à droite : Extrait d’Une Feuille dans le vent de Jean-Marie Teno (2013). Le mélange des supports : prises de vue réelle : Ernestine Ouandié. © Les Films du Raphia Extrait d’Une Feuille dans le vent de Jean-Marie Teno (2013). Le mélange des supports : photos d’archives : Ernest Ouandié. © Les Films du Raphia Extrait d’Une Feuille dans le vent de Jean-Marie Teno (2013). Le mélange des supports et la déconstruction des images d’archives françaises ; la bande son de Teno vient en contrepoint aux images : ici l’utilisation ironique de la première (et tendancieuse) hymne nationale camerounaise. © Les Films du Raphia Extrait d’Une Feuille dans le vent de Jean-Marie Teno (2013). Le mélange des supports : les illustrations de Kemo Samba recréent la lutte de l’indépendantiste Ernest Ouandié là où les images manquent. © Les Films du Raphia
C’est ce long processus de dénigrement
des lectures africaines d’épisodes
prendre les complexités du présent. Les
qui placera la réécriture de l’histoire au
d’histoire coloniale auparavant gom-
approches formelles sont novatrices.
cœur de la décolonisation, et du cinéma
mées, mettant en lumière les effets
Certains s’inspirent des structures nar-
engagé africain dès sa naissance dans
déshumanisants de la colonisation, mais
ratives de l’oralité : superposition de fils
les luttes d’indépendance.
aussi des exemples jusque-là ignorés
narratifs, constructions non-linéaires,
de résistance africaine. Or à partir des
mélange de genres, de registres et
Les années 70 voient ainsi émerger une
années 90, émergent des films de
de supports. D’autres ont recours à la
première vague d’œuvres que Manthia
mémoire historique qui incarnent une
première personne, au « je » subjec-
Diawara appelle « les films de confron-
approche de plus en plus personnelle
tif, s’éloignant volontairement de la
tation coloniale »$ : les reconstitutions
de l’histoire, dont font partie les films
prétendu objectivité historique. Tous
historiques tels qu’Emitaï et Camp de
évoqués ici.
les films évoqués ici ont en commun
Thiaroye d’Ousmane Sembène (Sénégal,
de revisiter et de se réapproprier les
1971 et 1988) ou Sarraounia de Med
Ces films de contre-mémoire proposent
Hondo (Mauritanie, 1986), qui proposent
un questionnement, ou une nouvelle
)9(."-/"'-/,%"*%".&920%"%(,9&%"/2"*%2+-")%"-8;+*.9+&%"2(+0%&< VHOOH ª )ULHGULFK +HJHO /D 5DLVRQ GDQV O¶+LVWRLUH WUDG IU ]9*./*"b/'/+9/((924"b/&+*4"b-9("!OV!M4"!LJT4"'>"PcT> c"#"Q/(.;+/"d+/F/&/4"?Y7&+,/("@+(%:/"R9)/BD4")/(*" E&/:%F9&G"=(H"INK4"!LML4"'>"!!O<!PM>
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archives.
interprétation du passé. Ni célébra-
Après avoir plusieurs fois proposé
tion nostalgique, ni réification, ces
dans ses documentaires (Afrique je te
films situés résolument dans le présent
plumerai, 1991 ; Le Malentendu colonial,
revisitent l’Histoire pour mieux com-
2004…) ce que la voix-off de Jean-Marie
Teno décrit dans le premier comme
manquantes d’Ernest et d’Ernestine.
Akomfrah y retourne pour déterrer des
étant « une lecture de l’histoire du Cam-
Le film oscille ainsi entre les époques,
images de la vie des minorités ethniques
eroun de point de vue de l’indigène que
renforçant le lien entre passé, présent
britanniques. Il réarticule ces images,
je suis » – une lecture qui met en lumière
et futur. Les propos d’Ernestine et la
ré-interprétables à l’infini, dans des
l’imbrication des violence coloniales et
voix-off incisive de Teno, qui remplace
montages polyphoniques entrecoupés
des violences et dysfonctionnements
souvent les commentaires originaux
d’images contemporaines, de citations
actuels – Teno revient dans le très poign-
des images d’archives – tout comme le
et des témoignages, afin de questionner
ant Une Feuille dans le vent sur l’histoire
mixage qui déforme volontairement
ce qu’est le récit historique et la manière
tourmentée camerounaise et ses ramifi-
la bande-son originale – viennent en
dont il nous façonne.
cations contemporaines.
contrepoint de ces images, déconstruisant et contestant l’autorité de ces films
Dans The Nine Muses (UK, 2010), une
Parti rencontrer Ernestine Ouandié,
de propagande coloniale. Affirmer ainsi
méditation visuelle et sonore autour du
la fille du feu leader de l’Union des
sa voix, « speaking back », comme dirait
voyage, Akomfrah évoque la migration
Populations du Cameroun (l’UPC), le
bell hooks% – représente ainsi un acte
des populations africaines, antillaises
héros indépendantiste, Ernest Ouandié,
fondamental pour briser les silences et
et asiatiques vers la Grande-Bretagne
exécuté par les autorités camerounaises
rééquilibrer l’interprétation de l’histoire
post-‘45, la question de leur identité,
en 1971, Teno ne se doute pas qu’il va
pour constituer une autre mémoire.
et, partant, celle du Royaume Uni.
recueillir le bouleversant récit de cette
Mêlant images télévisuelles des années
femme qui n’a jamais connu son père.
L’histoire personnelle d’Ernestine
50/60 montrant l’arrivée, le travail et
Livré face caméra, en toute simplicité,
résonne ainsi avec l’Histoire du Cam-
les conditions de vie souvent rudes des
son témoignage relate son enfance
eroun. Celle qui choisira de mettre fin
migrants avec des séquences symbol-
malheureuse au Ghana confrontée à
à ses jours en 2009 décrit la douleur et
iques actuelles qui mettent en scène
l’absence du père, aux maltraitances
la frustration de ce silence qui entoure
des personnages solitaires et anonymes
de sa tante, et à la détestation d’une
la mémoire de son père au Cameroun,
perdus dans un paysage glacial d’Alaska
mère qui l’accable de l’abandon de ce
le refus du pays de regarder en face ce
ou dans un décor portuaire britan-
père. Pour inscrire la vie d’Ernestine
chapitre de l’histoire nationale, appelant
nique, les images sont accompagnées
dans le contexte tragique de la répres-
les Camerounais à enfin se confronter,
de lectures en voix-off de textes can-
sion coloniale et postcoloniale livrée
comme fait le film, à ce passé dou-
oniques qui entrent en résonance avec
contre l’UPC, Teno entrecoupe sa parole
loureux, car « Quand l’histoire sera écrite,
les images, coïncident par moments, et
de rares photos d’Ernest Ouandié, des
les âmes errantes trouveront enfin la
évoquent l’exil ou le voyage, notamment
images d’archives françaises de l’UPC,
paix. »
L’Odyssée de Homère, Beckett, Dylan
de la sanglante répression, et de la
La réappropriation et la réinterprétation
Thomas, Nietzsche, Joyce et Shake-
présence française au Cameroun, ainsi
d’images d’archives se trouvent égale-
speare.
que d’extraits de films de propagande
ment au cœur de l’œuvre du réalisateur
Autour du thème du déplacement, le
coloniaux. Devant l’absence d’images,
britannique d’origine ghanéenne, John
montage crée des associations et des
Teno utilise des dessins en encre noire
Akomfrah. Déjà dans Handsworth Songs
résonances visuelles entre époques
de l’illustrateur Kemo Samba, qui re-
(GB, 1986), son premier documen-
et lieux : images de bateaux, de mer,
imaginent les scènes de la vie familiale
taire expérimental réalisé au sein du
de trains, de voiture, mouvements de
d’Ernestine et du combat d’Ernest
Black Audio Film Collective, Akomfrah
caméra qui font écho. Rien n’est figé ;
Ouandié. A travers le montage de ces
avait commencé à explorer les images
les peuples, les identités sont en mou-
éléments, Teno reconstitue à la fois le
d’archives. Dans ses récents films,
vement. En s’appropriant ces images
contexte historique et les pièces de vie
² EHOO KRRNV 7DONLQJ %DFN WKLQNLQJ IHPLQLVW WKLQNLQJ W-/,G4"\9*.9(4"192.;"e()"b&%**4"!LLP>
d’archives, et en les recomposant d’un
8
point de vue diasporique, Akomfrah
référence à l’Afrique, présent ou passé,
silences. Ce processus, ce retour, reste
réarticule l’histoire et l’identité et invite
Kongo et son éditeur sont hantés dans
nécessaire, car comme le rappelle bell
le spectateur à relire ces archives, à
des séquences oniriques par le spectre
hooks :
contester la manière dont l’histoire
de Patrice Lumumba, « un fantôme sans
diasporique est présentée, catégorisée
sépulture » […] dont l’ombre errante,
« Afin d’assumer le fardeau de la
et fixée dans la mémoire officielle du
écrit Kongo, « assombrit notre ciel et
mémoire, l’on doit accepter de revis-
pays. En recontextualisant l’histoire de
commente le chaos ». A partir de photos
iter des lieux longtemps inhabités, de
la migration, The Nine Muses incarne
superposées de Lumumba, des extraits
fouiller dans les débris de l’histoire à
aussi le désir du réalisateur d’inscrire
sonores de ses discours, mais aussi
la recherche de traces de l’inoubliable,
ces expériences exiliques au cœur de
d’extraits du documentaire Une mort de
dont toute connaissance a été effacée
l’histoire britannique et, comme Teno,
style colonial de Thomas Giefer (Alle-
[…] Pour les Noirs, reconstituer une
de prendre la parole. Car comme dit la
magne, 2000) où un viel inspecteur de
archéologie de la mémoire rend possi-
voix qui lit Molloy de Samuel Beckett
la police belge décrit fièrement son rôle
ble un retour. (»
: « Je dois parler. Je ne resterai jamais
macabre dans l’assassinat de Lumumba,
silencieux. Jamais. »
Juju Factory réexamine les époques
'
d’Indépendance et postindépendance. Dans un mélange d’humour caustique
Bruxelles, et par extension la Belgique,
et de poésie, Juju Factory de Balufu
sont dépeintes comme hantées par ce
Bakupa Kanyinda (RDC, 2007), une
passé colonial toujours pas assumé ; les
fiction qui brouille volontairement
sept tombes que visite Kongo Congo où
les frontières avec le documen-
reposent des sujets coloniaux congolais
taire, nous offre un dernier exemple
anonymes, morts durant leur exposition
d’interpénétration des temps où les fan-
à la Foire internationale de Bruxelles
tômes de l’histoire hantent le présent.
en 1897, symbolisent en effet cette présence trouble.
Empruntant une structure non-linéaire
Au final, Juju Factory pose ouvertement
« tissée » inspirée des formes de nar-
une question qui traverse tous ces films :
ration kasala des griots du Kasaï, la
qui parle ? Un conteur traditionnel mys-
région d’origine du réalisateur&, des
tique traverse ainsi le film, surgissant ici
prises de vue réelles filmées sur le vif
et là auprès de Kongo Congo, ou tout au
dans le quartier multiculturel bruxellois
moins dans son imagination. Son conte
Matonge ponctuent le fil narratif ; ces
enfin raconté se termine par le proverbe
séquences documentaires sont la mat-
: « Aussi longtemps que le lion n’aura
ière vive dans laquelle le personnage
pas de griot, toutes les histoires de
principal de la fiction, l’écrivain Kongo
chasse seront à la gloire du chasseur. »
Congo, puise son inspiration pour le
A travers ces différentes approches
livre qu’il écrit sur la communauté con-
hybrides et riches, les films évoqués
golaise de Bruxelles.
ici restaurent donc des perspectives
Enfermé dans un conflit créatif avec son
africaines ou diasporiques éminemment
éditeur autoritaire qui espère une sorte
contestataires. Remettant en cause
de guide exotique qui ne fait aucune
l’histoire eurocentrique, ils contrecar-
6 — Olivier Barlet: “Entretien de Olivier Barlet avec Balufu Bakupa Kanyinda”, Africultures, avril 1997, http://www.africultures.com/ php/?nav=article&no=2475
9
rent ces interprétations partiales et ces 7 — Thomas Giefer, Une mort de style colonial, Allemagne, 52’, documentaire, vidéo, couleur, 2001
Melissa Thackway est chercheur, enseignante en cinémas d’Afrique à l’INALCO Paris, documentariste et traductrice. Elle a notamment publié Africa Shoots Back: Alternative Representations in SubSaharan Francophone African Film (James Currey/ Indiana University Press/ David Philip, 2003) et de nombreux articles sur les cinémas d’Afrique subsaharienne. 8 — bell hooks, “Representations of Whiteness”, dans bell hooks, Black Looks: Race and Representation, Boston MA, South End Press, 1992, p. 172-173. [Traduit en française par l’auteur].
ART TALK
Résonances Duchampiennes Par Lionel Manga
Il y a cent douze ans, Nu descendant un
particulières, personnelles, d’une sensi-
symptôme aussi bien d’une transition
escalier N°2 suscitait un considérable et
bilité, voire d’une sensitivité.
entre deux époques et qui marque
historique émoi dans la communauté
Indice plus que certain d’une irréversible
un déplacement paradigmatique de
artistique internationale, à quelques
généralisation de la créativité rendue
l’entendement du réel, la crise des récits
encablures de la sanglante Grande
possible par le récent tournant numé-
a débarrassé le champ du dire de toutes
Guerre. Avec cette œuvre aussi radicale
rique et la miniaturisation incessante de
les statues imposantes qui donnaient de
qu’improbable selon les canons en
l’appareillage dédié à la fabrication des
la voix depuis les Lumières et ouvert ce
vigueur, Marcel Duchamp inaugurait
images, ce foisonnement de résonances
faisant la voie à la production autonome
une révolution esthétique qui allait
duchampiennes opérant à diverses
de subjectivité, telle que Toni Negri et
fonder l’art moderne en sonnant le
échelles de visibilité, de l’institutionnel à
Michael Hardt l’entendent dans Com-
glas de la figuration. Jusqu’à engend-
l’interstitiel, mérite assurément réflexion.
monwealth. En d’autres termes, la réalité
rer une postérité qui s’inscrit dans son
Ne serait-ce que pour se demander de
n’est plus l’apanage de qui que ce soit
sillage par sa posture contemporaine
quoi cette profusion d’images en mou-
en droit et de jure, chaque Terrien ou
au 21
vement est today le nom et le reflet dans
Terrienne éclairé(e) qui se sent capable,
dire, c’est que le legs du preux Duduche
cette saison de la civilisation du Specta-
qui en a les moyens intellectuels, est lois-
prospère et donne lieu à une floraison
cle et de l’Internet à tous les étages du
ible au moyen d’un smartphone today
de déclinaisons en ces temps crépus-
Palais de Cristal. Si ça se trouve, il y a de
de faire partager à des suiveurs en tout
culaires de fin des certitudes. L’espace
quoi faire se retourner dans son som-
genre sur les réseaux sociaux, sa vision
mondial de l’exhibition publique est
meil éternel le céleste dandy nommé
personnelle du monde. Il est défini-
truffé de gestes artistiques poursuivant
Duchamp qui n’en demandait pas tant et
tivement révolu, mort et enterré avec
le programme non-rétinien ouvert par
traversa la vie, dont deux guerres mondi-
tous les honneurs, muséifié, le temps
l’espiègle auteur de Fountain qui était
ales, sous le signe de la légèreté, voire de
où la pesante caméra 35 mm, la pel-
passionné de cinéma autant que de
l’impesanteur. Répugnant à tout encom-
licule celluloïd et les studios détenaient
paresse. De nouvelles grammaires et les
brement, les œuvres de son programme
le monopole exclusif de produire des
lexiques afférents surgissent tous azi-
non-rétinien sont autant d’anomalies
objets cinématographiques commercial-
muts, véhicules du désir de dire via des
discrètes à combustion complète bal-
isés sur les cinq continents en direction
récits se voulant des fenêtres singulières
isant une trajectoire pionnière, il s’est
de spectateurs passifs n’ayant aucune
ouvrant sur l’expérience humaine telle
défini lui-même comme un anartiste,
espèce d’idée de cette magie technique.
qu’éprouvée par les uns et les autres
espèce fort rare en l’occurrence.
L’Histoire passe par une phase de
dans diverses circonstances/circon-
Entre perte d’audience transgénéra-
démystification, l’autre nom possible de
scriptions d’espace-temps, expressions
tionnelle et réfutation philosophique,
la déconstruction, et de la déspécialisa-
ème
10
siècle. Le moins qu’on puisse
tion itou, qui se moque des clivages
des réalisateurs qui se la jouent géniaux
vont se démultiplier avec l’extension du
disciplinaires. L’image-en-mouvement
génies avec une équipe pachydermique
maillage digital de la planète par des
est tombée dans le domaine public
sur un plateau traversé par des star-
réseaux de plus en plus complexes qui
comme un brevet d’invention après un
lettes en nichons accessibles à toutes
l’enserreront dans un treillis électronique
nombre donné d’années ou un livre, sur
les demandes mâles, et encombré de
invisible nommé websphère, sous une
lequel le détenteur initial, l’éditeur et
matériel valant des centaines de mil-
houlette résolument capitaliste. Il y a des
l’auteur n’auraient plus aucun droit qui
lions d’euros. Chacun et chacune peut
hégémonies qui sont brisées et le décor
tienne à faire valoir dans son exploita-
dorénavant (se) raconter des histoires
ressemble sous certaine lumière à un
tion par un tiers, vénal ou non. De Fritz
en forgeant une grammaire et le lexique
tableau de Giorgio de Chirico.
Lang à Goddy Leye en passant par
afférent au fil de pièces parfois confi-
Puisque s’achève sous nos yeux une
Marcel Duchamp, le renversement ici
dentielles qui rencontrent un vif succès
histoire, parole de Michel Serres, une
est plus que copernicien, einsteinien :
parfois auprès d’un public exigeant
autre débute donc en ces jours d’ire
la théorie de la relativité est une liqui-
lassé des couleuvres en couleurs que la
israélienne sans recul lancée contre
dation théorique et radicale de toute
machine du Spectacle fait ingurgiter à
Gaza et de missile tiré contre un avion
centricité/centralité. Bienvenue dans
ses consentants captifs, au large du lisse
civil. Vous avez dit…fin des certitudes,
l’âge de l’excentricité, n’est-ce pas ? Cela
et du glamour qui envahissent l’espace
Mr Ilya Prigogine, prix Nobel de chimie
peut s’entendre sous tous les sens, des
public, qui le phagocytent.
pour ses travaux remarquables sur les
plus autorisés aux plus interdits et le
Cette multiplicité de points de vue
systèmes dissipatifs ? La dissertation
preux Duduche ne me contredirait pas,
tire un net avantage logistique de la
deleuzienne a ouvert fort opportuné-
qui fit de l’excentricité son dada favori
convergence numérique et de la com-
ment les yeux de l’esprit à une cohorte
avant que soit le mouvement éponyme.
munication nomade en ses diverses
d’activistes, opérant dans les interstices
Contingente à une accélération
modalités. La bataille sans bruit des
du monolithisme qui subsiste et rendant
technologique, cette profusion de
écrans fait rage chez les fabricants de
compte de ce qui se passe dans les replis
l’image-en-mouvement n’est pas sans
smartphones pour offrir à leurs utili-
de la réalité. Ce qui était caché a pour
rappeler l’expansion de l’écriture avec
sateurs de toutes les catégories une
destin d’être dévoilé et cette déferlante
l’avènement de l’imprimerie, tombant
définition graphique optimale au meil-
mondiale de l’image-en-mouvement y
là-aussi dans le domaine public au
leur rapport qualité/prix et ce n’est pas
contribue à sa façon quelque part, via
15ème siècle. Pour ceux qui en avaient le
pour des chimpanzés que ces améliora-
la nébuleuse Indymédia par exemple.
privilège et en usaient alors comme d’un
tions sont conçues dans le plus grand
De nouveaux francs-tireurs sont ainsi
pouvoir terrestre, ça leur fit l’effet d’un
secret, car les enjeux pèsent des milliards
lâchés, armés de caméscopes et autres
dessaisissement. Comme pour la caste
de dollars. Les possibilités d’exhibition
smartphones ultra-performants, témoins
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d’un monde en pleine mutation, saisis-
géostationnaire pour surveiller les faits
nelle, l’encensant comme la panacée
sant ses convulsions, captant son pouls
et gestes d’Omar Béchir, le président du
de l’humanité et la couvrant de fleurs
et engrangeant ses trépidations sur
Soudan, attendu à la Haye, au TPI, sous
parfumées. Le péril se trouve ailleurs et
des mémoires vives stockant plusieurs
le chef d’accusation de crimes contre
le temps est à cet égard un paramètre
Go, manipulables à volonté par le désir
l’humanité. Pour louable et salutaire
crucial.
artistique se faisant geste expressif,
qu’elle soit, cette dissémination n’a-t-
La coopération harmonieuse des entités
sémantique et repérable par sa singular-
elle pas un revers, comme une face pas
cellulaires composant mon organisme
ité, une sorte d’anomalie à combustion
nette, un tantinet sombre ?
est le résultat inouï de quatre milliards
complète. La poésie pointe vers une
Ce n’est pas excessif d’envisager la parti-
d’années en gros d’évolution biologique,
flamme bleue à certains moments.
tion de l’espace de diffusion isotrope
avec ce que cette odyssée comporte
Les régimes politiques brutaux
et continu d’antan en clusters fermés
de remaniements, de mélanges et de
les moins sympathiques de notre
et ouverts à la fois sur leur voisinage
raffinements à l’échelle moléculaire.
temps ont un mal fou à contenir ce
immédiat, constitués par centres
Les cultures humaines, pour sûr, ne
foisonnement et doivent composer
d’intérêts, par affinités esthétiques et
s’inscrivent point dans cette temporalité
avec un phénomène de civilisation
sélectives formant des communautés
fantastique, même celles des abo-
qui ne passera certainement pas de
d’esprit, des clubs de corps pensants, sur
rigènes. Une cellule du foie ne redoute
sitôt et qui ira vraisemblablement sur
le modèle biologique des organismes
rien de l’autre qui est du pancréas,
cette lancée en s’amplifiant, jusqu’à
multicellulaires complexes dont nous
toutes deux parties étant au service d’un
ses limites physiques intrinsèques,
sommes l’expression la plus achevée,
Tout. Or, il en va exactement de l’inverse
thermodynamiques. Aucun despote,
jusqu’à nouvel avis. En attendant, on
chez les Altriciels : l’Autre reste après
mal éclairé, bien éclairé, n’est plus
sait depuis Jules César que la division
deux cent mille ans lourd de menaces
du tout assuré que ses exactions
profite à celui qui veut régner indéfini-
comme un ciel d’orage pour celui qui
demeureront invisibles, cachées
ment et il l’organise à dessein autour de
n’est pas lui et apparaît dans son champ
dans une sombre cavité bardée
lui, savamment, utilisant les uns contre
visuel. Une nouvelle Babel émergerait
d’autoritarisme, d’obscurantisme et de
les autres et vice versa, au gré de son
de cette clustérisation prise de nombri-
violence exercée contre les réfractaires.
agenda politique. Les global players
lisme collectif, hantée par la tentation
Cette ‘’faveur’’ de l’éloignement est
et champions du capitalisme tiennent
du confinement dans un quant-à-soi
caduque désormais, lorsqu’on pense
conclave hivernal chaque année en
confortable, sans intrusions extérieures,
à un Georges Clooney investissant
Janvier, à Davos, pour réaffirmer leur
à l‘instar des enclaves urbaines fortifiées
ses cachets publicitaires dans un
credo néolibéral et consolider l’emprise
d’aujourd’hui. Bienvenue dans l’ère des
satellite d’observation placé en orbite
de cette rationalité clairement irration-
followers.
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13
ART TALK
Entre-Deux Interview croisée avec Soufiane Adel et Truong Que Chi réalisateurs
Propos recueillis par Myriam Dao
Entre deux pays, entre deux générations, - celle qui a connu les guerres, et puis celle qui «se fout pas mal de l’Histoire», là où s’entremêlent étroitement récit familial et Histoire, Soufiane Adel (né en 1981 en Kabylie) avec Go Forth, et Truong Que Chi (née en 1987 à Hanoï) avec Black Sun ont choisi de restituer la mémoire et de l’inscrire dans l’urbain. Go Forth, 64’ (2014) associe une histoire familiale à celle d’un territoire, à travers le récit de la grand-mère de l’auteur. Black Sun, 12’55 (2012) est un portait de ville, celle de Saigon où 50% de la population a moins de 25 ans. « Soleil noir » : celui d’une jeunesse pessimiste de la chanson éponyme d’avant la chute (la chute de Saigon en 1975, ou bien la réunification du pays, selon le point de vue)
Soufiane Adel - Go Forth, 2014 - Documentaire 64 min © Soufiane Adel - Courtesy the artist and Aurora films, Paris
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Comme outils, tous deux emploient du léger, du modeste. Les
qu’elle ne donne pas « d’angle de vue », et qu’elle évite le regard
allers-retours de la caméra entre sphère de l’intime et urbanité
biaisé, au sens propre comme au figuré, sur ces espaces souvent
disent les mouvements complexes des combats intérieurs pour
traités de façon caricaturale.
se situer dans cet entre-deux là. Mouvements qu’il a fallu suivre pour restituer les questionnements, et les bribes de réponse
Truong Que Chi nous offre un mini moment d’anthologie : après
parfois ténues, légères comme le souffle d’une chanson : « Black
avoir déambulé dans Saigon, sa caméra, dans un long plan
Sun », à laquelle Truong Que Chi emprunte son titre, et « Tabratt
séquence, s’immerge dans une plongée au cœur de l’intime,
i lehkam » de Lunes Mahtoub dont Go Forth cite quelques
dans l’appartement multi-générationnel, un moment, dit-elle,
paroles. La façon dont leurs réalisateurs placent les person-
où elle s’est finalement sentie « chez elle », après s’être sentie
nages dans un entre-deux spatio-temporel, littéralement « à la
une étrangère dans son propre pays. Ces errances urbaines
fenêtre », est manifeste dans les deux films, et révèle mieux que
sont rendues possibles grâce à un sens aigu du système D ; D
les discours les émotions qui les traversent. A la fois dedans et
comme Drone, que Soufiane Adel apprivoise tant par écono-
dehors…Regardants et regardés…Acteurs et surtout auteurs
mie de moyen que pour en faire un outil propre à servir son
de leur propre histoire. Mais quoi de mieux que ce cadrage pour
discours, tout comme le super 8, dont il fait usage. Quant à Chi,
résumer la position des deux jeunes cinéastes. Jamais l’on a filmé la banlieue (Champigny) de façon aussi charnelle, amoureuse… Sans pour autant que le regard soit nostalgique. C’est juste un regard « distancié », par la grâce du recours à un outil, le drone, car l’usage qui est fait de cet outil nous promène le long de la cité HLM, nous emmène comme « en ballon » audessus des toits-terrasses, des parkings, des franges périurbaines. En plan masse : c’est la vision de l’architecte-urbaniste que nous offre ici Soufiane Adel, une vision d’autant plus rare et appréciable
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Soufiane Adel - Go Forth, 2014 - Documentaire 64 min © Soufiane Adel - Courtesy the artist and Aurora films, Paris
elle s’entoure d’une équipe d’amis passionnés de cinéma. Une forme de militance, « On est les ART FIGHTERS ! ! », dit Truong Que Chi, dans un grand éclat de rire. Go Forth emprunte son titre à un slogan publicitaire. « Va de l’avant » nous dit la pub Levi’s en nous faisant rêver sur des images de contestations,
Forth où le drone «caresse» la façade et s’élève en oscillant, - jusqu’à frôler la grand-mère à sa fenêtre qui paraît alors si fragile, et continue son ascension ; et puis cette autre scène où l’on voit une jeune fille s’éloigner de la cité pour aller vers la lisière…
avant de nous vanter sans complexe le blue-jean, pur produit du capitalisme de masse, comme le fait remarquer ironique-
Soufiane : Le cinéma permet de s’approprier des outils pour se
ment Soufiane. Truong Que Chi s’est souvenue d’une chanson
réapproprier son histoire, et la raconter soi-même. Je me suis
«Black Sun», symbole d’une jeunesse désabusée de l’après-30-
toujours demandé pourquoi les classes dominantes «pensent»
avril-1975.
le prolétariat, et pourquoi le prolétariat ne pourrait pas penser les classes dominantes.
Afrikadaa : Quels sont vos parcours ? Soufiane : Je voulais dessiner des voitures, - mon père est mécanicien, j’ai fait des études de design industriel à ENSCI-les
Afrikadaa : Tu l’as dit : parce qu’ils n’ont pas les outils…Mais tu es maintenant dans la “classe dominante” et tu en as les outils .. !
Ateliers. J’ai découvert le cinéma dans cette école ; et parallèlement, le cinéma néoréaliste italien, dont deux films fondateurs
Soufiane : J’ai travaillé avec un drone, - l’histoire du drone est
pour moi «Allemagne Année Zéro» et «Rome ville ouverte».
intéressante car c’est un outil militaire, un petit objet fait pour
Ensuite, je suis passé du design au cinéma : un film peut être un
détruire et qui permet de faire la guerre de façon délocalisée.
objet diffusé, copié, multiple : inconsciemment, le design est
Werner Herzog a été le premier à utiliser un petit drone au
présent dans mon processus de cinéma.
cinéma en 2010 dans «La Grotte des Rêves Perdus» pour filmer la Grotte Chauvet. Il me semblait important de me l’approprier
Que Chi : Au Vietnam j’avais déjà une activité artistique dans
pour en faire un outil cinématographique. L’enjeu est économ-
l’écriture, la publication de poèmes (mon père travaille dans le
ique : un drone coûte 2400 euros la journée, alors qu’un plan
domaine du théâtre ainsi que pour le Ministère de la Culture
d’hélicoptère coûte 2000 euros l’heure ! Le drone permet une
et de la Communication du Vietnam) ; en France j’ai étudié la
économie de moyens.
médiation et la communication, avant de réaliser que j’avais plus envie de créer ; je me suis donc inscrite en licence de cinéma à l’Université de Lyon, puis à Paris 3, où je mène des
Afrikadaa : Des économies, mais aussi une prise de distance particulière…
recherches sur le cinéma contemporain vietnamien. Soufiane : La question de la distance à trouver avec ma grandFlotter au-dessus des toits, pour mieux revenir à soi
mère m’a été posée d’emblée. Au cours des 3 mois d’entretiens filmés, j’ai pu la connaître mieux en l’approchant progressive-
Dans Go Forth et dans Black Sun, on ressent la même volonté
ment. Il existe aussi un rapport d’échelle entre le bâtiment filmé
de traduire la distance, la prise de recul par des mouvements
et elle, comme entre la Grande Histoire et son histoire intime.
“ascendants” de la caméra : aller plus haut, plus loin, pour mieux
S’il y a rupture avec un milieu, pour moi, c’est pour mieux y
plonger dans l’intime. Parallèlement, il y a un enjeu sous-jacent
revenir, en un sens. Si mon travail existe aujourd’hui, c’est
à ces questions de point de vue : celui de la représentation de
que je m’interroge sur les phénomènes de rapports de classe
la banlieue, de la ville et de ses franges.
et de domination. Tu disais que je suis rentré dans la «classe dominante»…c’est un vrai enjeu. Karl Marx disait «pour qu’un
Afrikadaa : Le portrait de ville ou d’architecture n’est-il pas une façon de parler de soi ? Comme dans cette scène de Go
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individu pense sa condition, il faut qu’il prenne du recul par rapport à sa condition» ; Le drone permet cette prise de distance,
mais je tenais à ce que la fin du film se termine au sol : le pano-
en même temps : l’espace du contemporain, et celui de la
ramique sur les personnages qui portent des masques, puis, la
mémoire, par le témoignage de la grand-mère. Le mouve-
caméra fait un 360° sur eux, et ils redeviennent des individus
ment de caméra, qui est flottant, invisible, essaie de saisir cette
anonymes : « le masque est tombé du masque » (comme le dit
mémoire, immatérielle, invisible aussi. J’ai l’impression que
Mahmud Darwich)
nous, jeunes cinéastes, avons tous tendance à revisiter l’histoire officielle avec nos outils, nos moyens, nos petits budgets, on est
Afrikadaa : La vue « en plan de masse », sur les toits-terrasses de la cité de Champigny filmée dans Go Forth, nous restitue une vision d’architecte, très rare au cinéma.
les ART FIGHTERS ! ! Oui, on fait partie de la classe dominante, mais malgré tout, on appartient à une classe minoritaire, - celle des jeunes cinéastes, de par la modestie de ces moyens filmiques fragiles.
Soufiane : Oui, en drone c’est très rare, le Top Shot (angle à 90 degrés) n’est jamais utilisé, les télévisions le placent par exem-
« Qui suis-je ? C’est la question que les autres se posent, et elle est sans réponse ; moi, je suis ma langue, moi ; et je suis un, deux, dix poèmes suspendus » Mahmud Darwich Afrikadaa : Vos films parlent de vous ? Soufiane : J’ai toujours fait des films en m’inspirant de choses autobiographiques ; mais n’ayant pas accès à des figurants, je faisais jouer des membres de ma famille des scènes autobiographiques ; Go Forth complète une trilogie, sur l’identité,
Truong Que Chi - Black Sun, 2012 - Fiction 12 min 55 © Truong Que Chi - Courtesy the artist
l’immigration, et la vie en France. Je suis né en Algérie. Mon père est né en France, mes grands-parents, eux, vivaient entre la France et l’Algérie ; j’avais donc en tête de tracer l’histoire de ma
ple comme une caméra de surveillance, à 30 degrés, et il suit les
grand-mère sur 70 ans, prise entre ces deux pays, celle de son
manifestants, les gens, sans recherche formelle pour changer
mari, qui avait combattu en Indochine, et cette histoire famil-
de point de vue. Comment représenter aujourd’hui la banlieue
iale, prise dans la grande Histoire, celle des guerres. « L’Histoire
différemment des médias ? La seule façon consistait à prendre
populaire des Etats Unis » de Howard Zinn m’a inspiré. On y voit
de la hauteur pour donner une autre vision. Et le drone parle
comment le peuple opprimé peut raconter sa propre histoire :
aussi de l’émancipation et du déplacement géographique, se
ne pas laisser d’autres parler à notre place, mais le faire nous-
déplacer de son propre cadre. Le sociologue Abdelmalek Sayad,
mêmes. Dans Go Forth on entend plusieurs langues : français,
- dans «La double absence», évoque les rapports entre la France
arabe, kabyle, anglais.
et l’Algérie. Dans certains villages, l’immigration est une sorte d’initiation que l’individu doit expérimenter pour s’émanciper
Que Chi : J’ai gardé un lien très fort avec le Vietnam, - en particu-
et devenir adulte : avant d’être en quête d’argent ou d’un avenir
lier avec des participations au Nha San Collectif à Hanoi, bien
meilleur, l’individu fait un voyage pour découvrir le monde.
que je sois formée essentiellement en France. Aujourd’hui, avec le cinéma, la recherche, j’essaie d’établir un «pont» entre le Viet-
Que Chi : J’ai beaucoup aimé dans Go Forth cette recherche
nam et la France. Les questions post-coloniales et la théorie sont
« archéologique et topographique ». Deux espaces se calent
peu abordées au Vietnam, et pourtant c’est ce qui m’intéresse.
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Donc je reste « entre les deux ». Soufiane : Il y a dans Black Sun des plans très posés, on a l’impression que tout ce qui se passe avant c’est vraiment pour amener à la scène finale, la caméra qui s’en va, et je me suis
avec un « dehors », un « par delà »…Comme cette scène dans la boite, suivie de cette autre dans l’atelier d’artiste, très contrastée, par rapport à la scène précédente. Dans le petit café de rue, c’est encore une autre «tranche» de la société, avec ces femmes entre deux âges.
demandé où allait cette caméra : va-t-elle vers un autre film, un « après » ? Que Chi : Bonne question ! C’est un film très personnel, un retour au pays natal. Les premiers plans sont fixes : c’est comme si je me considérais toujours comme étrangère, extérieure, observatrice de ces scènes de vie sans être vraiment impliquée. Lors de la scène finale, au moment où la caméra rentre dans l’appartement, j’ai l’impression que je réintègre cette communauté que j’ai filmée à distance, cette jeunesse vietnamienne… Truong Que Chi - Black Sun, 2012 - Fiction 12 min 55 © Truong Que Chi - Courtesy the artist
Que Chi : J’ai essayé de saisir ces « couches de vie » différentes qui, en effet se superposent. Le caractère de Saigon, dont l’histoire est liée à celle du Vietnam (le fameux événement du 30 avril 1975) : cette ville qui a vu cohabiter partisans du régime du Nord et du Sud, ces derniers emprisonnés dans des camps de rééducation, une ville que des milliers de personnes ont dû fuir comme Boat people, qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Comment les habitants s’en accommodent-ils ? Les gens nés après Truong Que Chi - Black Sun, 2012 - Fiction 12 min 55 © Truong Que Chi - Courtesy the artist
Soufiane : Tu rentres à la maison …
ces événements s’en fichent, ce qui les intéresse c’est la culture occidentale…Coca-Cola…Etc.
Afrikadaa : Tu fais toi-même partie de cette génération née « après 1975 », qu’est-ce qui fait que tu t’intéresses à ce passé ?
Que Chi : Oui, je me réconcilie avec mon pays après une absence, et je vais sûrement continuer à faire des films sur le
Que Chi : Je ne m’y intéressais pas avant de venir en France ! Au
Vietnam contemporain, mais pour l’instant j’ai l’impression que
Vietnam, beaucoup de sujets ne sont pas abordés dans les livres
je ne peux pas faire autre chose, même si je tourne en France, il
scolaires. J’étais jeune communiste modèle ! On m’a appris à
y aura un lien avec mon pays ou mon histoire.
aimer mon pays. Le patriotisme…il n’y avait pas d’autre choix. J’ai appris plus de choses en France sur mon pays. Mes oncles et
Afrikadaa : Dans ton film, Que Chi, tes plans sont très architecturés, avec souvent plusieurs niveaux de lecture, premier, et second plan, très « construits », et arrière-plan
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ma tante, Boat people installés en Allemagne, ont été les premières personnes à qui j’ai posé des questions sur l’histoire de la famille. Mes grands-parents paternels étaient déjà des migrants
venus de Chine. Je me suis posé la question : suis-je vietnami-
Soufiane : Je me demandais quels étaient les personnages fic-
enne ou chinoise ? Et maintenant je suis en France…
tifs, et les personnages « réels »
Afrikadaa : La première scène tournée dans l’appartement, où l’on devine la télévision dans le reflet du miroir…On perçoit un message politique, critique.
Que Chi : Le film pose la question : à quel moment un film devient une fiction ? La dernière scène est tournée en décor naturel, dans l’appartement d’une personne de l’équipe de tournage parmi mes amis. Les deux seuls acteurs, - le couple qui répètent en costume d’époque, sont des amis. Cette proximité permet de capter les émotions.
Afrikadaa : Soufiane, parle-nous de la grande Histoire, qui sous-tend le récit de ta grand-mère, et de ton grand-père en Indochine Soufiane : Le fil rouge qui tient tout le film et relie les séquences entre elles, ce sont les images où ma grand-mère tisse la ceinture, cela tisse tout : les relations des cultures entre elles, de l’Histoire avec les histoires. Mon grand-père en Indochine, Truong Que Chi - Black Sun, 2012 - Fiction 12 min 55 © Truong Que Chi - Courtesy the artist
seul rescapé parmi 15 soldats, a survécu en se cachant sous un cadavre. Il en a été bouleversé et en est revenu invalide de guerre. Pour moi, il s’agit d’une tragédie ; les guerres ont pris
Que Chi : On voit juste le drapeau du Vietnam ; il s’agit d’une
une grande part dans l’histoire familiale. Il était orphelin : on
émission quotidienne, à la gloire du Parti Communiste ; on
lui offrait le choix entre combattre les Algériens en Algérie ou
voit les personnages « subir » plus qu’écouter, la propagande
les Vietnamiens en Indochine. Howard Zinn mentionne ces sol-
qu’ils ont l’habitude d’entendre ; l’ironie de cette scène, c’est le
dats Africains-Américains qui avaient refusé de combattre les
vieux monsieur, personnage réel, qui a travaillé pour le régime
Vietnamiens au Vietnam, mais il n’y a rien eu de tel, en tout cas
du sud : un monument vivant du régime qui a perdu. Il a été
officiellement, en Indochine, de la part des Maghrébins.(ndlr :
en camp de rééducation, et s’il reste aujourd’hui chez lui c’est
le film Oulad l’Viêt Nam de Yann Barte raconte la désertion
à cause des difficultés à s’insérer dans la société actuelle. On
de l’armée française en Indochine de centaines de Marocains,
entend le téléviseur : « tout le peuple vietnamien est réuni pour
entre 1947 et 1954, pour rallier le Viêt-minh, par solidarité anti-
défendre le Parti Communiste », et je n’ai pas voulu traduire
colonialiste)
cette phrase, tout le monde sait que ce sont des inepties. La vraie violence, elle est là dans ces mots, dans le fait que les gens sont obligés d’entendre ça.
Afrikadaa : Tu termines le film par un long plan séquence , dans ce mouvement de caméra on traverse non seulement l’appartement, mais aussi plusieurs générations. Que Chi : Oui, on y voit les grands-parents, les parents, le petitfils, et aussi les jambes d’un homme ancien toxico en phase de désintoxication, comme il y en a eu beaucoup à Saigon.
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Afrikadaa : Par ce récit familial, tu abordes des questions fondamentales, les guerres, le rapport de classes, le colonialisme. Je te cite : « Je n’ai pas le complexe du colonisé ; je n’ai pas le complexe du Maghrébin, de l’Algérien circoncis, je n’ai pas le complexe du musulman, du banlieusard : j’ai le complexe du prolétaire ». Lorsqu’on te voit tisser auprès de ta grand-mère qui te transmet les gestes, c’est un peu le moment où tu redeviens « prolétaire », artisan, et là tu n’es plus hors-champ, en voix-off, la distance s’abolit.
Soufiane : Qu’est-ce que c’est être prolétaire ? C’est travailler avec ses mains, c’est exister grâce à ce travail. Ce que j’ai compris à la fin du film, c’est que quand ma grand-mère tisse des ceintures traditionnelles kabyles pour ses petites-filles, c’est une manière de garder un lien avec l’histoire, Chez elle, comme chez mon père, mécanicien, l’importance de la parole, - dans une culture orale, prend tout son sens lorsqu’elle se transforme en actes : elle se concrétise. Il y a émancipation parce qu’il y a acte ; acte de ma grand-mère d’avoir eu 18 enfants, d’avoir participé à la libération de son pays, d’avoir fait en sorte que ses pères et ses grands-pères participent à la libération de la France. Etre prolétaire pour moi aujourd’hui c’est : comment j’arrive à me penser avec les outils avec lesquels j’ai grandi ; mais la question
Soufiane Adel - Go Forth, 2014 - Documentaire 64 min © Soufiane Adel - Courtesy the artist and Aurora films, Paris
du prolétariat n’est pas totalement résolue
Afrikadaa : Cela dit, la critique de la colonisation est fortement sous-jacente ! Soufiane : Les images d’archives en super 8 montrent aussi un déracinement, mis en parallèle à celui de ma grand-mère. Alexis Jenni, dans « L’Art français de la guerre » dit que la colonisation continue en banlieue, et pour moi, elle existe toujours, dans le racisme ordinaire, la domination. A la fin du film, je dis «le désir d’émancipation existe toujours en banlieue».
Afrikadaa : Ton film est assez engagé en ce sens. Les organismes qui t’ont aidé ont-ils exercé un droit de regard ? Soufiane Adel - Go Forth, 2014 - Documentaire 64 min © Soufiane Adel - Courtesy the artist and Aurora films, Paris
Soufiane : J’ai été présélectionné sur dossier pour le prix « HLM sur Court » (Union Sociale pour l’Habitat), et là, on m’a demandé de retirer la dernière phrase du film : « Ce que j’ai compris en faisant ce film, c’est que la guerre d’Algérie n’était pas un mouvement de haine envers la France, mais le désir d’un peuple pour son émancipation politique et sociale ; aujourd’hui ce désir existe toujours en particulier dans les banlieues françaises, il est un effet de la lutte des classes » Donc, cela m’a conforté encore plus dans ma volonté de faire ce film ; j’ai même ressenti, de la part du public pendant les projections, une sorte de déchirement, qui, je pense, existe aussi au Vietnam…
Afrikadaa : D’où viennent ces mises en abîmes, ces citations
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Soufiane Adel - Go Forth, 2014 - Documentaire 64 min © Soufiane Adel - Courtesy the artist and Aurora films, Paris
(l’usage des images d’archives en super 8, notamment) ?
qui refuse de réaliser un palais pour le Roi, un tyran qu’il critique ; une courtisane du Palais va le convaincre de travailler pour le
Soufiane : La citation «frappe ton ennemi, nulle autre issue,
Roi et ainsi de créer une œuvre de beauté. Pendant la construc-
(…) tombé le masque, le masque est tombé» est de Mah-
tion du Palais, des paysans meurent, d’autres se révoltent, puis
mud Darwich, poète palestinien parti en exil, qui lisait des
détruisent le palais, tuent le Roi et l’architecte. Pour moi cette
poèmes devant des assemblées de l’ONU. Qu’est-ce qu’un
pièce parle de la dictature, de la révolte, et de la position de
individu ? L’origine d’un individu, ce n’est jamais l’origine
l’artiste, partagé entre son rejet des souffrances de la société,
sociale ou même géographique, c’est le ventre de la mère.
et son désir de beauté.
Là, les questions de classes n’ont pas à être posées : mon origine, c’est ma mère et mon père, ceux qui m’ont fait. Par rapport aux images en super 8 : j’ai hérité d’une valise avec des films 8mm, tournés par le père d’une amie, fonctionnaire, de 1945 à 1964 dans différents pays d’Afrique subsaharienne. On y voit sa femme et ses filles, et ces images
Afrikadaa : La révolte, la destruction dont il est question dans la pièce, trouvent un écho dans tes images qui contiennent une violence sourde. Dans ce très beau plan dans les ruines de murs bleu et vert, avec ce bulldozer rouge au centre, qui inscrit sa violence dans la ville…
témoignent aussi d’un déracinement ; les plans sont quasi ethnographiques, des hommes et des femmes au travail,
Que Chi : A Saigon, les gens sont indifférents, ils ne sentent plus
des domestiques mis en scène…Pour moi ceci constituait
la violence qui découle de ces mutations urbaines. Saigon est
un parallèle avec l’histoire de ma grand-mère, mais sans porter de jugement, je ne voulais surtout pas porter à charge la colonisation Que Chi : Nguyen Huy Tung, révolutionnaire anti-français a écrit en 1941 sa pièce de théâtre «Vu Nhu Tô» que j’ai vu
Truong Que Chi - Black Sun, 2012 - Fiction 12 min 55 © Truong Que Chi - Courtesy the artist
un immense chantier. Partout on démolit, et on reconstruit. J’ai tourné sur la presqu’île de Thu Tiem, (ndlr : qui est l’équivalent Soufiane Adel - Go Forth, 2014 - Documentaire 64 min © Soufiane Adel - Courtesy the artist and Aurora films, Paris
du quartier Pudong de Shanghai, quartier d’affaires et de logements High Tech), qui va accueillir le grand projet urbain «Diamant Saigon» après complète démolition de l’actuel
dans le théâtre de mon père, et elle m’a beaucoup inspirée ;
quartier plutôt défavorisé. Les habitants ont été priés d’aller
(ndlr : c’est un dialogue de cette pièce qui est rejoué par les
s’installer ailleurs.
2 acteurs principaux en costume d’époque dans Black Sun). Je ressens une distance critique de cet auteur vis à vis du Parti Communiste, sans qu’il l’exprime ouvertement, à une époque où le Vietnam est colonisé par la France. Vu Tô est le nom d’un architecte d’une époque féodale (XVème siècle)
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Afrikadaa : Ta caméra suit une jeune fille jusqu’à la lisière, et livre là une représentation très rare de la banlieue. On n’arrive même pas à imaginer que cela puisse exister. Et toi tu montres ces images, accompagnées de la phrase très
puissante « nos cadavres sont nos prénoms ». Des cadavres que tu laisses derrière toi, tu ouvres une page blanche, une friche, pour dessiner toi-même ta banlieue. La friche laisse de l’espace à l’imaginaire…
protocole particulier (il y a 8 batterie sur un drone, chacune permet 8 mn de vol, et les batteries coûtent très cher), donc, 8 vols de 8 mn, soit 48 mn de rush au total. J’ai utilisé Google Earth et Maps pour dessiner les plans de vol du drone car il fallait écrire très précisément.
Soufiane : Il est d’ailleurs plus facile de filmer la banlieue que de filmer Paris, sans tomber dans le cinéma bourgeois ; en banlieue, les grands espaces, comme dans le cinéma américain, laissent les rencontres possibles Que Chi : L’espace urbain a une relation intime avec le cinéma : Soufiane Adel - Go Forth, 2014 - Documentaire 64 min © Soufiane Adel - Courtesy the artist and Aurora films, Paris
“Know from whence you came. If you know whence you came, there are absolutely no limitations to where you can go.” James Baldwin Afrikadaa : Vous avez l’un comme l’autre le souci de dire le récit familial qui ne concerne plus vos parents mais vos grands-parents ; racontez-moi cette nécessité de transmettre, cette urgence, avant de vous ouvrir à d’autres projets. Soufiane, on voit en particulier ta fille à la fin du film, danser avec une des ceintures tissées par ta grand-mère. Que Chi : Dans le cinéma vietnamien à cause de la censure, et de l’ignorance des faits historiques dans laquelle elle laisse les gens, je n’arrive pas à trouver un film qui me touche, comme le ferai un film de Jia Zhang Ke, que j’ai découvert en France. La Chine a une société qui présente beaucoup de ressemblance avec la société vietnamienne. Sociétés toutes deux post com-
espace mental, espace invisible, fictif, se cale avec ces ruines
munistes, post socialistes. Dans ces conditions, je ressens une
visibles : ces combinaisons sont rendues possibles par la caméra
urgence à projeter ma propre vision du Vietnam, à faire du cinéma ou de l’art. «Faire une image, ce n’est pas seulement
Afrikadaa : La fluidité du passage des scènes fictionnelles aux scènes « urbaines »…
pour dire le beau, mais pour dire aussi l’intolérable» dit Georges Didi-Hubermann. J’ai un projet sur l’Hôtel Majestic à Paris, où on a signé les accords du Traité de Paris pour finir la Guerre du
Soufiane : Comment passe-t-on selon toi d’un espace docu-
Vietnam : voir ce qui reste de cette ruine invisible, liée pas seule-
mentaire à un espace fictionnel au cinéma ?
ment à l’histoire du Vietnam, mais aussi à celle de la France, puisque le Majestic a hébergé le commandement allemand
Que Chi : Pour moi, c’est au moment où l’on trouve le corps,
pendant l’occupation.
comme une graine, le corps de l’auteur, la parole, le dialogue. Je construis le film à partir de ça, dans l’espace réel. Lorsque
Soufiane : Quand j’ai commencé à faire des grandes études, on
l’acteur se déplace, on est dans la fiction, car c’est quelque
m’a interrogé sur l’histoire de l’Algérie ; mes parents ne connais-
chose qui est écrit. Dans la scène de rue, hormis les femmes
sent même pas l’histoire de leur propre pays. Ils m’ont raconté
au premier plan quelques personnes ont été dirigées, dont le
plutôt le combat du prolétariat. Ils étaient dans la survie au quo-
couple principal.
tidien, n’avaient pas le confort de se poser pour penser l’histoire.
Soufiane : Les plans avec le drone sont purement fictionnels,
Il n’était pas temps pour eux de raconter l’histoire du pays. Il
c’est la partie la plus écrite ; je n’avais droit qu’à 8 vols dans un
était d’autant plus vital d’interroger mon identité que l’on ne
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me l’avait pas transmise. Aujourd’hui seulement je commence à m’intéresser à d’autres figures dans le cinéma, - à la seconde guerre mondiale, à l’Holocauste, à des sujets pas directement liés à mon histoire, alors qu’avant j’étais dans des récits autobiographiques. C’était de la transmission, et pour mes enfants aussi. Pour ne pas rester dans le fantasme, que l’on rencontre en banlieue. Je suis né en Algérie, j’ai la double nationalité, mais le problème en banlieue, de jeunes nés en France, français, c’est qu’il existe pour eux un fantasme immense du pays d’origine. Il faut pourtant le dépasser, rester sur terre, et considérer les pays d’origine pris dans leur complexité politique, loin d’être des Eldorados. La question de l’histoire est importante, parce que l’histoire passée, c’est le futur.
FINANCEMENT ET CIRCUITS Soufiane : pour Go Forth il y a eu un rituel d’attente économique, de commissions. L’idée du film était déjà construite, sauf qu’il y a eu urgence en 2012 quand ma grand-mère a été très malade : on ne pouvait pas attendre les financements ; j’ai donc commencé tous les entretiens avec ma grand-mère (le début du film), étalés sur 3 mois, et les financements sont venus plus tard ; on a cherché de l’argent auprès d’un organisme public d’HLM, pour payer en partie l’opérateur drone, - la grosse dépense du film, l’argent est venu à la fin du tournage, au moment de la postproduction. J’ai eu l’aide au court-métrage du CNC, l’aide à la Diversité, et celle de la commission d’Architecture (ndlr : on voit dans le film les immeubles de l’architecte Edouard François). Le film a été sélectionné au Cinéma du Réel en 2014 Que Chi : un budget de 200 euros ; un tournage fait en 3 jours… Le jeune cinéma au Vietnam inspire beaucoup de personnes, qui travaillent juste parce qu’ils aiment le cinéma. Il y a seulement deux acteurs professionnels, tous les autres figurants sont des amis, le décor principal est la maison de mes amis. Mon film a été sélectionné aux Rencontres Internationales Nouveau cinéma et art contemporain à la Gaîté Lyrique en mars 2014, et grâce aux Années croisées Vietnam/France, programmé au Festival de film femmes de Créteil en 2014
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Myriam DAO est une artiste plasticienne. Architecte de formation, son travail questionne l’histoire et la géographie pour confronter deux formes de vérité, celle du corps ou du lieu physique et celle de l’imaginaire, à partir d’images d’archives. Myriam Dao a reçu la Villa Medicis hors les murs pour une résidence en Chine. Dernière installation pour le parcours d’art contemporain “Chinafrique” en 2013.
ART TALK
A cinema without concessions Sara Gómez’s De cierta manera 1974 By Mélissa Gélinas PhD candidate - Comparative literature University of Michigan Ann Arbor, USA
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If there ever was a filmmaker who deployed the power of the moving image to represent a wide range of repressed and underrepresented voices, a filmmaker whose lenses “begged to differ,” begged to portray her society in all its diversity and dissensions; if such a filmmaker ever existed, then, surely it was Sara Gómez and her most emblematic work was certainly De cierta manera (“One Way or Another”). Born in Havana, in 1943, from a middle-class, Afro-Cuban family,
individual and social transformations. The film is about the
Gómez studied literature, piano, and ethnography. She joined
inhabitants of the neighbourhood of Miraflores, an estate in
the ICAIC (Cuban Institute of Cinematographic Art and Industry)
which the Revolution has recently resettled the inhabitants of
in 1961, two years after its foundation by the Revolution. She
Las Yaguas (one of the worst slums of Havana) in proper housing
worked as an assistant director under
conditions. De cierta
Tomás Gutiérrez Alea (probably Cuba’s
manera emphasises
most prominent filmmaker) and Agnès
the tensions and con-
Varda (a feminist filmmaker ; one of the
flicts amongst and
leading figures of the Nouvelle Vague).
within relocated indi-
From 1962 to 1973 she directed fourteen
viduals who struggle
documentaries on various themes
to reorient their sub-
related to Cuban cultural heritage, the
jectivities, in the new
Revolution, and national identity. In her
context created by
documentaries, a focus on gender and
the Revolution.
racial concerns is easily discernible, as
Still from the movie “De cierta manera” by Sara Gómez - Yolanda and Mario
well as the recurrence of topics related to marginality. All these aspects come
The film’s protago-
together in a profoundly critical and polished manner in her
nists, Yolanda and Mario, epitomise these tensions and conflicts.
first feature film De cierta manera. She remains to this day the
Yolanda is a white, middle-class teacher who is divorced and
first and only woman to have directed a full-length fiction film
who self-portrays as independent. She has recently been sent to
in Cuba. Gómez died of acute asthma, at the age of 31, shortly
teach in Miraflores. Mario is a mulatto factory worker who grew
after finishing editing the film.
up in the marginalised context of Las Yaguas. Mario embodies the typical Cuban machista whose manhood and ethics have
De cierta manera
been forged by the ambiente (street culture in marginalised areas). Yolanda and Mario can be envisioned as a microcosm of
Against the backdrop of early revolutionary Cuba’s re-articu-
the larger community and the issues that arise in the context
lation of spaces and national identities, the film interrogates
of their nascent relationship are by no means foreign to those
the discrepancies and tensions between spatial changes, and
arising within the relocated community in general. The film
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ART TALK amalgamates fiction and documentary in a manner cognate
confrontation between slaves and masters, between men and
to cinéma-vérité. Interviews, newsreel, reportage, biographical
women, and between revolutionaries and counterrevolutionaries,
synopses, montage, text on the screen, and excerpts from other
with hardly any other nuances or conflicts (322-3; my translation).
films are all included in it. The only professional actors are Mario, Yolanda, and Humberto (Mario’s friend). All others are real
This, surprisingly, is the cultural and institutional context in
people, whose real stories are weaved around the fictitious love
which De cierta manera was produced and released.
story in an almost undistinguishable manner. Gómez’s
Not so surprisingly, some would argue, as
ethnographic training may
Gómez was declaredly committed to the
account for the notable fact
Revolution...
that the main “real” characters in the film speak for
In an inter view with the magazine
themselves and represent
Pensamiento crítico (1970), Gómez indi-
their own stories in the film.
cated that “the Cuban filmmaker always expresses himself in terms of the Revo-
Gómez’s Cinema “within the Revolution”
lution.” “For Cubans and through them,” Still from the movie “De cierta manera” by Sara Gómez -Demolition Shot
Probably one of the most noteworthy contextualising
she was committed to making a “cinema without concessions,” a cinema that could
“express [the Cubans] in all their contradictions.”
details about the film is that it emerged in the Cuba of the 1970s. In 1961 Fidel Castro delivered the speech “Palabras
Yet, for all her commitment to “express herself in terms of
a los intelectuales” (Address to the intellectuals) in which he
the Revolution,” I argue that her vision transcended the
expressed his wish that all artistic production would coincide with the revolutionary ideology. It is from this speech that the quintessential mandate “Dentro de la Revolución todo, fuera de la Revolución nada” (Within the Revolution, everything; against the Revolution, nothing) stemmed. The challenges that this famous mandate posed for Cuban artists and intellectuals have fluctuated over time. Yet in the 1960s, Cuban cultural policies have been known to foster a wide range of creativities; yielding, among other things, the Golden Age of Cuban cinema. Along with the institutionalisation of the Revolution, and the eventual merging of (revolutionary) Cuban nationalism with (Soviet) socialism, came the “dark decade” of the 1970s. As indicated
Still from the movie “De cierta manera” by Sara Gómez - Last Frame
by Cuban writer Leonardo Padura in La cultura y la revolución
official rhetoric of her time. In L’audio-vision (1990), Michel
cubana (2002),
Chion demonstrates how the audio-visual combination that constitutes most films today affects the reception and
the 1970s have been considered a dark and repressive period
perception of their content: we do not see the same when we
characterised by the cultural marginalisation of important figures…
hear, and vice versa. The hegemony of the visual, although
and by the imposition, more or less visible, of artistic patterns
common to most approximations to the filmic medium, is thus
akin to the detrimental socialist realism. It is not accidental…
essentially an assumption. The moving image in sound film is
that in Cuban cinema the only dramatic conflicts left were the
always somewhat a part of the “audio-visual contract” posited
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by Chion. This observation leads Chion to coin the term “audio-
De cierta manera’s storyline is constantly interrupted by cut-
spectateur,” referring to the person who experiences film as an
away shots of old buildings in the process of demolition. The
audio-visual artifact.
dialectics between demolition and construction, the old and the new, the pre and the post Revolution is constantly being
In De cierta manera, Gómez’s acute ability to use the full
deployed audio-visually through the imagery of demolition and
leverage of this “audio-visual contract” allows her to capture
the accompanying booming sound produced by the impact
the disparate and polyphonic nature of early Revolutionary
of the wrecking iron ball on the old buildings. This booming
Cuban society. Considering the zeitgeist of the “dark decade,”
sound (which the audiospectator progressively learns to associ-
this deployment is truly distinctive. In what follows, I examine
ate with the leitmotiv of demolition) marks the rhythm of a film
two of the ways in which this idea can be supported.
which dialogues closely with the discrepancies between spatial reorganisation, and individual and communal transformations.
“Le jeu sur l’écart ” The final scene, a thirty-second dolly shot, initially reveals In L’épreuve à l’écran (2002), François Niney indicates that : « le
Mario and Yolanda walking in the street, visibly pursuing the
film a la capacité, que n’a pas l’écrit, de jouer sur l’écart entre
argument staged throughout the film; an argument deeply
ce qui se dit et ce qui se voit, entre ce que dit un témoin et
grounded in their multiple differences. The camera soon
comment il le dit ou contredit, de nous faire ressentir ce qui
pulls back, progressively producing an extreme long shot
se disait et montrait hier à la lumière de ce qu’on y entend
that reveals their surroundings. The protagonists walk off
résonner aujourd’hui » (251). This “jeu sur l’écart” is crucial to
energetically, amidst the newly erected buildings; symbols of
understand how Gómez’s characters (real and fictitious) express
the future to which revolutionary change paved the way. The
their various attempts to do away with or accommodate the
buildings symbolise the new context, the new structures, the
parts of their respective pre-revolutionary baggage which do
new possibilities that the Revolution allowed. As a counterpoint
not allow them to function well within the new national project.
to the neat, balanced composition of the last frame of the film, a simultaneous off-screen booming sound can be heard. The
For Yolanda, this battle hinges on class-based prejudices. For
uncomplicated demolition of old material structures thus
example, at the beginning of the film, the voice-over presents
seems to be contrasted with these individuals’ intricate and
the changes introduced in the housing picture (in the context
arduous struggle to adjust to the new realities introduced by
of the Revolution’s integration strategy), indicating that “edu-
the Revolution.
cation, that is ever more linked to work, constitutes our main tool [in bringing about the social integration of marginal sec-
In this sense, Sara Gómez’s film manages to artfully mobi-
tors].” This is quickly followed by a contrapuntal interview with
lise the “audio-visual contract” in ways that make its moving
Yolanda; one of the faces of “education as a tool for integra-
images interrogative, rather than simply affirmative or negative.
tion”. She expresses her malaise vis-à-vis the marginal world
Her successful shunning of binary aesthetics, in 1970s Cuba, is
she encounters now as a teacher in Miraflores; a malaise that
indeed surprising.
is also visually discernible in Yolanda’s composure, as she faces the camera. This interview, inserted right in the middle of the voice-over’s didactic speech, is precisely a “jeu sur l’écart.” It is an astute reminder that the discourses on revolutionary educational ideals coexist with the remaining class-based prejudices and conflicting worldviews which Yolanda’s speech illuminates.
Contrapuntal Audio-Visual Leitmotiv
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ART TALK
Cineaste sans camera Entretien avec le cineaste Jean Pierre Bekolo Propos recueillis par Pascale Obolo
Il se définit comme un témoin qui
d’écritures ou de narration filmique.
de gens regardent le cinéma comme
choisit son point de vue qu’il docu-
Si je prends mon cas et le livre que je
sociologues, journalistes ou littérai-
mente et justifie. Pour le cinéaste Jean
viens de finir d’écrire : « Cinéaste sans
res. Donc ils ont un background autre
Pierre Bekolo, la liberté du cinéaste est
caméra »
que le cinéma. Je réfléchis comme un
sans limite. Il ne doit rien à la réalité, rien à la vérité, sinon éventuellement à la
cinéaste et non comme un sociologue
Afrikadaa -Pourquoi ce titre ?
sienne. Pour lui « le cinéma est un point
ou anthropologue. J’ai voulu valoriser cette identité du point de vue de ma
Avant d’arriver à l’objet film, on part
discipline artistique qu’est le cinéma.
d’une histoire puis d’un texte, les gens
C’est par le cinéma que j’ai appris toutes
ont tendance à l’oublier. C’est le cinéma
les autres choses. Est ce que le cinéma
qui m’a appris l’écriture en général ;quel
et le cinéaste que je suis peut agir dans
que soit ce que j’écris quand bien
d’autres domaines tout en gardant cette
même ce n’est pas un film, je pense que
identité et cette formation de cinéaste ?
j’utilise toujours les principes acquis lors
C’est l’exercice auquel je me suis livré
de l’apprentissage d’écriture cinéma-
dans ce livre. Voir comment agir dans la
tographique, c’est à dire le scénario .
vraie vie. Le cinéma oblige à matérial-
En allant au delà de l’écriture, j’ai le sen-
iser l’action, à partir du réel pour mieux
timent aussi de réfléchir sur une espèce
théoriser l’invisible. C’est comme si tu
d’action politique, d’action réelle, com-
filmes d’abord des plans dans le cadre
Plusieurs aspects m’intéressent dans ta
ment changer les choses ? Comment
du documentaire, puis tu construis
question :
agir ?
quelque chose à partir du plan filmé. Tu
- Qu’est ce qu’on a de nouveau à pro-
Je pense que je vois l’action comme un
lui donnes un sens. Ta réflexion ne peut
poser aujourd’hui en tant que cinéaste ?
cinéaste, comme dans un film.
pas rester que théorique car il te faut
- Qu’est ce qu’il y a de différent de ce
Il y a une dynamique de l’action, des
une image pour dire ce que tu voulais
qu’on a déjà entendu ?
obstacles, des choses à surmonter. Le
dire conceptuellement.
- Qu’est ce qu’il y a de nouveau dans
cinéma c’est mon mode de vie. Il reste
Est ce que le cinéma n’est qu’une
tout ça ?
toujours dans ce sens une espèce de
image ?
- Est-ce par ce que ce sont des gens
guide. C’est un espace où j’ai appris
Est ce que le cinéma n’est pas une struc-
d’origine africaine ? Ou bien en terme
l’activisme, que ce soit à travers le
turation ?
de cinéma en général il y a une réflex-
cinéma engagé ou l’envie d’écrire
Est ce qu’on n’a pas envie de reproduire
ion qui n’a jamais eu lieu. En terme
des films engagés. Mon regard de
la timeline d’un film dans le réel quand
d’écriture filmique,
business ou de modèle économique
on veut résoudre des problèmes con-
le scénario tel qu’il est conçu, n’a plus sa
s’inspire du cinéma. Je suis un produit
crets ?
place dans le cinéma du 21eme siècle.
sur tous les plans du cinéma. Je n’ai
Est ce que l’identification qui est un
Nous devons repenser les formes
pas d’autre background. Beaucoup
souci du cinéaste n’est pas quelque
de vue documenté sur le réel ».
Afrikadaa - Penser la structure et la scénographie d’un film dans l’espace d’aujourd’hui est tout aussi important et peut représenter une 2eme forme de narration qui peut être complémentaire du récit filmique décidé. Faut-il repenser l’écriture filmique d’aujourd’hui pour le cinéma de demain ?
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chose qu’il faut accentuer ?
obstacles, il y a de l’héroïsme. Avant le
un film en attendant d’avoir les capacités
Je suis assez choqué de voir des intellec-
cinéma, il y a la vie, après le cinéma, il y
de changer des choses. Si je pouvais
tuels parler de leur société à leur peuple
a la vie. Le cinéma est au milieu. La vie
vraiment faire les choses, peut être que
comme si c’était des étrangers. Ils par-
nous inspire des histoires qu’on amène
le cinéma me serait inutile. Peut être que
lent dans un langage inaudible.
au cinéma et donc le cinéma peut ren-
je ferais un autre genre de film. Même
Le contenu n’est jamais suffisamment
dre quelque chose à la vie.
ma définition du cinéma serait autre.
diffusé ni même clair pour que les gens
Je me demande si je dois me contenter
Mais comme je ne me sens pas capable
se l’approprient et s’en saisissent. Et si
d’avoir fait un beau film ou pourquoi
de faire les choses, je les matérialise au
le cinéma est vulgarisation, pourquoi
ce beau film ne va pas jusqu’à changer
cinéma, avec tout ce que ça comporte.
ne pas vivre cette vulgarisation dans
la vie réelle. C’est comme un écran
C’est le mélange d’impuissance, le
un tout. Pourquoi ne pas aborder la
transpercé par la vie. Surtout dans
mélange de créativité et de projection ;
société avec l’idée de vulgarisation en
nos sociétés en Afrique car la société
c’est ça qui détermine finalement le
permanence sans forcement qu’il y ait
occidentale a vu et compris en quoi le
genre de cinéma que je finis par faire. Je
une caméra. Moi qui n’ai pas une for-
cinéma pouvait lui être utile.
suis pour l’idée que le cinéma, s’il reste
mation autre que le cinéma, je brosse
au cinéma, me pose un problème
certains principes du cinéma et j’essaie
Afrikadaa -- Pourquoi le cinéma en Afrique n’a-t-il pas eu un impact sur la vraie vie ?
de les emmener dans la vraie vie. Est ce qu’on peut envisager un cinéma qui se fait dans le réel, sans caméra ? Ce livre est une compilation des articles que j’ai écrit sur la société camerounaise avec
Il y a eu des tentatives d’essayer
des défauts sûrement mais j’assume
d’utiliser le cinéma pour autre chose. Au
totalement ma posture de cinéaste et de
Burkina et au Niger on a fait du cinéma
quelqu’un qui n’est pas forcement dans
populaire. Au Mozambique il y a eu le
le système et qui essaie de comprendre
Couchankanema qui était le cinéma
ce qui se passe dans son pays. C’est
mis en place par la révolution et son
comme ça que j’ai conçu ce livre.
président Samora Machel dans l’idée d’éduquer les masses, mais qui s’est
Afrikadaa - Tu penses le cinéma comme la vraie vie. Cette manière de penser que le cinéma est un tout, penses-tu pouvoir l’appliquer dans ton quotidien ? Le cinéma peut-il aider notre société à mieux fonctionner, et résoudre ou apporter des solutions ?
transformé en cinéma de propagande. Il y a eu aussi cette idée d’utiliser le cinéma comme forme de militantisme pour lutter contre le colonialisme chez
Afrikadaa -En quoi le cinéma peut-il t’être utile ?
certains pionniers comme Sembene Ousmane. Il y avait une volonté de changer la réalité. Nous étions des peu-
Je n’ai pas envie de m’arrêter seule-
ples aliénés, colonisés et il fallait qu’on
Oui le cinéma à beaucoup de qualités en
ment à l’écran. J’ai envie de traverser
s’émancipe. Ils ont pensé que le cinéma
tant que discipline. Il y a identification.
l’écran et d’arriver dans le réel. D’où un
était un bon outil d’émancipation. Les
Les gens peuvent se reconnaître dans
désir d’engagement, d’agir, d’être dans
systèmes politiques d’aujourd’hui qui
celui qui parle, dans l’histoire.
l’action. Je fais des films quand je me
sont des dictatures, veulent continuer à
Il y a une structuration, on sait qu’il y a
sens impuissant par rapport à une situa-
contrôler les masses. Ils ont peur d’un
un début, un milieu, une fin ; il y a des
tion. Comme je ne peux rien faire, je crée
cinéma d’émancipation. Tout reste dans
29
l’ordre de l’aliénation. On parle beau-
cinéma ou l’esthétique qui va avec.
où je sens une incapacité généralisée.
coup du cinéma nigérian comme un
Au jeune camerounais je dis ceci : tu n’as
On n’arrive à rien faire, rien ne marche.
cinéma de divertissement qui représente
pas besoin d’avoir une caméra pour être
Et c’est un angle pour réfléchir à cette
une cartographie de la société nigé-
cinéaste. Cultive un regard sur la société
incapacité. Ce livre interpelle tous ceux
riane. Mais ce cinéma n’a pas vu venir
et c’est ce regard que tu vas traduire
qui s’intéressent à l’Afrique et surtout à
le phénomène de boko haram. Et en
dans ton cinéma. Il faut avoir un regard
l’idée de son développement.
même tant le Nigeria a produit Fela,
sur le monde et il ne faut pas attendre
l’artiste idéal africain qui incarne à la fois
d’avoir la camera. Beaucoup de gens
l’esthétisme, le militantisme, le mod-
abordent ce métier pensant que c’est la
ernisme. Un visionnaire qui a parlé et
caméra qui fait le regard.
dénoncé la corruption dans les années
Alors que le cinéma, c’est reculer les
70 quand personne n’en parlait. Il a
frontières du visible d’un individu,
Certains de mes articles sont du cinéma
été arrêté et torturé pour cet engage-
montrer l’invisible. D’ailleurs il y a une
pur, par exemple j’ai écrit une lettre
ment politique. Ce même pays a crée
expression populaire qui dit « viens
directement au président : « puisque
Nollywood, une industrie qui produit
voir le cinéma d’ici dehors. » C’est
vous êtes si bon et nous si mauvais,
des espèces de sitcoms populaires qui
l’expérience visuelle qui crée le cinéma.
que faites-vous donc avec nous ? Vous
vendent une réalité déformée, très
Tout le monde a une camera via le
nous avez fait perdre du temps, rendez
éloignée du quotidien des nigérians et
portable est-ce pour autant qu’on a
nous notre jeunesse » C ‘est beaucoup
maintient la masse dans l’ignorance. Ce
des films ? Est-ce que toute image
d’images avec toujours des métaphores
cinéma de divertissement, avec l’idée
est cinéma ? Est ce que tout texte est
camerounaises qui ont une vraie réso-
de divertir, de faire diversion, nous
littérature ? Aujourd’hui on tend à dire
nance dans la tête des camerounais.
empêche de voir la réalité. Le cinéma
que toute image est cinéma, j’ai des
Suite à cette lettre, il y a eu beaucoup
radiologique que je défend est un
doutes. Parce que tout texte n’est pas
de réactions , car j’emprunte le langage
cinéma où on fait un scanner, on mon-
littérature !
populaire dans un contexte politique
tre une radio de sa société avec toutes
Dans ma relation avec le Cameroun je
hermétique. Je joue avec tout ça. J’utilise
les fantaisies du monde ; la fonction du
suis acteur et commentateur de la vie
la figure du président car il est omni-
cinéma c’est de montrer. Nous qui pen-
politique. Mais de mon point de vue de
présent dans le pays. Je m’amuse à faire
sions que Nollywood montrait la société
cinéaste. Quand j’écris dans les revues
ce type d expérience afin de pousser au
africaine, on voit les limites de cette idée
ou journaux, je signe toujours en tant
bout cette forme de narration textuelle
de cinéma tel qu’il est pratiqué dans
que cinéaste. Cette activité de com-
imagée proche de cette idée de fabrica-
le continent. On pense que les films
menter, de regarder la société est une
tion de cinéma sans caméra.
engagés ne se vendent pas ; selon nos
activité de cinéaste qui se pratique sans
contextes, notre cinéma reste à trouver.
caméra.
On doit imaginer un cinéma en fonction du vécu, des paramètres, des données,
Afrikadaa - A qui s’adresse ce livre ?
des besoins. Peut-être qu’il faut créer un
Afrikadaa - Comment projettes- tu ton cinéma dans la société camerounaise ?
Afrikadaa - Dans cette nouvelle forme de narration que tu reformules, tu nous proposes un récit filmique visuel où l’on n a plus besoin de caméra.
cinéma spécifique avec l’esthétique cor-
C’est une interrogation sur l’action. Com-
respondant à chaque pays.
ment agir ? Je ne suis pas un politique.
Je n’écris jamais si je n’ai pas d’image.
J’ai la motivation d’un cinéaste qui voit
Chaque texte doit avoir une image. Ce
Afrikadaa -Qu’entends-tu par « cinéaste sans caméra » ?
les choses, qui veut changer la société.
sont les images que je raconte dans
Mais je n’ai que le cinéma. Je pose quand
le texte. Par exemple pour le texte sur
Je dois partir du contexte pour créer le
même des questions sur cette société
Abdoulaye Wade, j’ai titré ça : « à la
30
recherche des héros perdus » car il a dit
des medias camerounais où on dit tout
Jean-Pierre Bekolo Obama est
aux cinéastes africains de faire des films
et n’importe quoi. On est dans un con-
écrivain, producteur, réalisateur,
sur nos héros. Je lui ai répondu que lui
texte où rien n’est figé. Je raconte une
éditeur, conférencier. Bekolo
et ses collègues chef d’états devaient
histoire en cours. Or, on te dit qu’un film
Obama a remporté de nom-
être des exemples. On n’arrive pas à
doit avoir un début, un milieu, une fin.
breux prix internationaux. Son
faire des films sur des héros car nos chef
Il y a du camerounisme, car c’est nourri
premier film “Quartier Mozart”
d’états ne sont pas des héros on fait
par ce qui se passe ici uniquement au
a reçu le Prix Afrique en Créa-
des films pour le prix d’une voiture de
Cameroun. Le fait de vivre au Cameroun
tion au Festival de Cannes 1992.
leur cortège présidentiel. Le cinéma est
me motive pour faire ce genre de film. Je
Son deuxième film “Le complot
très présent dans tous ces textes là ; car
travaille en ce moment sur un film avec
d’Aristote” a été commandée
il est important que le citoyen lambda
l’écrivain Mudimbé, un concentré de
par le British Film Institute pour
comprenne et s’approprie cette forme
l’invention de l’Afrique. On fantasme sur
célébrer le 100e anniversaire
d’écriture imagée .Je raconte simple-
l’Afrique. Mais Mudimbé permet de nous
du cinéma. Son nouveau livre
ment ça sous forme d’essai sans le
resituer dans la mondialisation. Pour lui,
“Africa for the future” a été pub-
transformer en fiction.
l’Afrique est une invention occidentale.
lié en 2009 aux Editions Dagan,
Comment se réinventer sachant qu’on
Paris. En 2005 Il réalise “Les
a été inventés par les Occidentaux ?
Saignantes”. Ce long métrage
Ce sont ces questionnements que
a remporté L’Etalon d’Argent et
j’interroge en ce moment dans mon
le prix d’interprétation au Fes-
cinéma.
paco 2007 à Ouagadougou.
Pour moi, le cinéma est possible sans
Comprendre le sens d’être un africain
Son installation video “Une
l’image. Le cinéma c’est la meilleure
dans le monde. L’Afrique est pauvre
femme africaine dans l’espace”
image qu’on se fabrique soi même. Il y a
et riche à la fois. Quand on veut filmer
fut exposée au Musée du Quai
un cinéma à trouver. Est-ce que l’image
en Afrique on va chercher l’argent en
Branly à Paris en 2008. Il a
doit être redondante ?
Europe alors qu’on a des richesses
étudié la sémiotique du cinéma
Il faut écrire des romans comme on écrit
naturelles, alors que l’argent n’est
à Paris avec Christian Metz et a
des films et faire des films comme on
qu’un système de valeur. Je trouve très
enseigné à Chapel Hill, Univer-
écrit un roman. J aime cette idée de ne
absurde qu’on aille chercher de l’argent
sity of North Carolina et Duke
pas répéter les choses. Le Cameroun
en Europe pour produire de l’art alors
University. Lors de son passage
m’a permis d’aiguiser mon regard de
qu’on a des diamants, de l’or et des
à la Clinton School of Public
cinéaste sans forcement filmer. J’en sors
richesses minières. Dans mon cinéma
Service, il a développé une méth-
un genre cinématographique propre à
je veux proposer un monde qui n’existe
ode d’enseignement des médias
mon univers.
pas. Une Afrique repensée et réinventée
dénommée “Auteur Learning”
par les africains eux-mêmes. Les Afric-
qu’il expérimente dans les Uni-
ains n’imaginent pas assez leur avenir.
versités noires-Américaines.
Ils laissent leur futur être inventé par
“Auteur Learning” qui a été
d’autres.
utilisé au Philander Smith College
Afrikadaa -Cette forme de narration que tu expérimentes en ce moment peut-il tuer ton cinéma ?
Afrikadaa -Parle nous de tes derniers films Le film « Le Président » est un aboutisse-
en Arkansas. Il est aussi le Secré-
ment de cette façon de faire du cinéma.
taire général de la Guilde des
C est l’exemple type de cette définition
cinéastes africains et membre
de repenser le cinéma au Cameroun. Sa
fondateur de la World Cinema
forme ne ressemble à rien. Je m’inspire
Alliance.
31
ART TALK
L’archive filmée et la période coloniale sous domination française en Afrique : d’où repartir pour rompre le déni ? Par Valérie Osouf
Portrait de Valérie Osouf par Alexandre Gouzou
Réalisatrice de documentaires attachée à
l’intentionnalité de produire une image
ont poursuivi la production des archives
une ré-adresse de l’historiographie colo-
qui fera archive modifie en profondeur
officielles des États de l’ancien Empire plu-
niale de mon pays, la notion d’image en
sa composition. Ainsi, une exploration à
sieurs années après les Indépendances et
mouvement m’évoque naturellement
l’intérieur du cadre de l’archive amateure
que celles-ci sont jusqu’à présent acces-
l’archive filmique.
ouvre-t-elle souvent l’accès au sensible,
sibles à Saint-Ouen, plutôt qu’à Yaoundé,
grâce à l’absence de maîtrise du filmeur
Dakar, Niamey, Bamako, Libreville,
De là, quelques enjeux concrets et théor-
qui laisse ainsi échapper des traces de
Yamoussoukro, Antananarivo, Lomé, Ban-
iques se dégagent aussitôt, liés pour la
vérité, mais aussi à sa subjectivité assumée
gui, Cotonou, Nouakchott, Ndjamena ou
plupart d’entre eux à la spécificité du cor-
comme telle et donc ouverte dans son
Ouagadougou. Bien entendu, tel n’est pas
pus :
essence même à la mise à distance. Ce
le cas pour la Guinée Conakry de Sékou
double-mouvement de distanciation et
Touré, ou l’Algérie d’Abderrahmane Farès,
de spontanéité lui confère toute sa den-
de Ferhat Abbas et d’Ahmed Ben Bella.
sité. À ce titre, il importe donc de répéter
Ainsi, la question de l’appropriation de
la nécessité déterminante de la collecte
sa propre image – officielle – par les
d’archives amateures et familiales pro-
nouveaux États indépendants perdure-
duites durant la période coloniale.
t-elle jusqu’à la création des chaînes de
Quels sont les différents statuts des archives coloniales ? Qui compare les archives officielles et les archives amateures durant la période coloniale relève d’emblée la rich-
À contrario, l’archive officielle ne
télévision nationales, renforcée par une
esse des secondes – quoique plus rares
révèle en général l’intérêt de sa substance
très longue période – notamment avec
et/ou peu inventoriées - par rapport aux
interprétative qu’avec le recul temporel.
l’apparition de la vidéo – durant laquelle
premières.
Elle représente bien entendu une source
les fonds des chaînes n’étaient ni con-
Bien que les archives amateures
passionnante pour le/la documentariste,
servés, ni inventoriés.
aient dans leur écrasante majorité été pro-
marqueur du point de vue d’un État à une
duites par les colons eux-mêmes et que
époque donnée.
Malgré la mainmise gouvernementale en amont comme en aval
les sources proviennent donc d’un point
Soulignons à ce propos que les
de la production et de la diffusion des
de vue non-antagoniste et dominant,
agences françaises (Pathé Gaumont)
archives officielles, on peut être surpris
32
par la liberté de ton de certains éléments
ou militantes, etc.. En fixant ces sources
l’instar des États-Unis (Nara, National Con-
de l’ORTF (pourtant fortement contrôlée
par l’enregistrement (pellicule ou vidéo)
gress Library...), considérer que les fonds
par le pouvoir gaulliste) mais aussi de
qui permet de les inscrire dans le mouve-
publics appartiennent au public et que
l’ECPAD (le fonds d’archive des armées),
ment du film, elles sont érigées de manière
les coûts de production des archives ont
images créés par des réalisateurs talen-
plus ou moins élastique au rang d’archives.
déjà été assumés par le contribuable. Ou
tueux, qui tendent à être plus séditieuses
Mais quand je filme aujourd’hui un objet
encore envisager une grille tarifaire bien
(explicitement ou non) que nombre de
ou un document produit hier, produis-je
plus étendue et proportionnelle à chaque
reportages produits à l’ère de la multiplic-
une archive ? Et si oui, à quel niveau et à
budget de production. En effet, la cherté
ité démocratisée des médias numériques
partir de quand ? Je dois alors demander
des archives publiques et/ou officielles
actuels. C’est ainsi que dans mon long-
à mon spectateur d’admettre comme
filmées prive de fait nombres documen-
métrage, L’Identité Nationale - qui ne
archive toute source pouvant instruire un
taristes d’un matériau précieux, générant
traite pas directement de l’Histoire colo-
point de vue marqueur d’une historicité.
ainsi une forme de censure larvée, exercée
niale mais plutôt de la xénophonie d’État
L’alternative – passionnante - à
encore plus fortement sur les cinéastes
-, j’ai choisi d’intégrer l’extrait d’un docu-
cette quasi-absence d’images d’archives
issus de l’ancien pré-carré, cinéastes dont
mentaire d’Igor Barrère et Étienne Lalou
filmées, du point de vue de ceux qui subis-
les voix sont plus que jamais nécessaires
(diffusé le 19 octobre 1959) sur la prison
sent est de travailler autour d’une béance,
pour atteindre la polyphonie indispensa-
de Fresnes, film destiné à la télévision qui
à l’instar de Claude Lanzmann ou de Chan-
ble à une historiographie digne de ce nom
questionne dans ses fondements, par sa
tal Akerman qui creusent cette question
de la période 1884-1962.
voix-off comme sa mise en scène, la fonc-
éthique, esthétique et politique tout au
tion sociale de l’Institution pénitentiaire ;
long de Shoah ou Sud, par exemple. Ce
point de vue autrement plus subversif que
faisant, c’est le spectateur lui-même qui
les nombreux éléments télévisuels con-
produit alors l’archive, convoquant une
temporains, qui se cantonnent en général
série d’images mentales situées aux carre-
Là, s’ouvre toute la question du
à la question des conditions de détention.
fours de la parole des films, de sa mémoire
hors-champ (Pendant que le cameraman
et de son imaginaire.
filmait telle ou telle cérémonie officielle
Devant le manque d’archives film-
Qu’est-ce qui est considéré comme digne d’être filmé à l’époque ?
iques qualifiées comme telles, produites
orchestrée au millimètre, les gendarmes
par les anciens sujets de l’Empire et pour
Quel accès aux archives officielles ? frappaient les manifestants à coups de
opérer un travail qui viserait à croiser les
baïonnette juste derrière le stade ; Quelle
faits comme les enjeux de perception,
Au-delà de la restriction de nombreux élé-
images de fins de journées des expositions
on peut être amené à ouvrir la notion
ments, au titre du secret d’État ou du secret
coloniales, après le départ des visiteurs ?)
d’archive. Ainsi, doit-on inclure d’autres
défense (qui peut en France s’étendre
mais aussi celle du rapport de classes (cer-
éléments en leur attribuant cette fonction.
jusqu’à 120 ans, soit le temps de l’oubli),
taines catégories de population n’étaient
Des lieux, des objets, des œuvres d’Art, des
un entre enjeu mériterait débat : celui du
jamais filmées, y compris dans l’hexagone).
enregistrements de chansons populaires
coût des archives. En effet, on pourrait, à
Aujourd’hui, avec la démocratisa-
33
ART TALK
Image extraite du film “Venezia 70 Future Reloaded “ de Haile Gerima
tion des outils d’enregistrement sonores
points de vue ?
En général, cette modification n’était
et filmiques, s’opère une modification pro-
On doit également s’interroger
pas prévue. C’est cet accident qui ouvre
fonde des sources et par conséquent, de
sur la manière dont ces images – une
la voie à une interprétation dialectique
la nature des documentaires historiques à
mémoire surdimensionnée, numérique
de l’archive et il faut donc emprunter au
venir. Cette ouverture exponentielle offre
donc éminemment fragile – vont être
regard de « l’Autre » (celui d’avant comme
aux documentaristes de films d’Histoire de
stockées, traitées et travaillées dans les
celui d’ailleurs), et adresser sa position.
demain un choix inextinguible de sources,
décennies à venir.
Or, les moyens techniques, la répression
un éventail produit par la quasi-totalité des couches de la société mondiale. Mais à
et le pillage économique ont privé la
Qui regarde qui, pour qui ?
l’heure de l’omniprésence des caméras de
majeure partie du globe de produire ses propres archives, ce durant des décen-
surveillance en parallèle à la prolifération
La sous-image (comme le sous-
nies. De cette partialité de fait, il résulte
de millions de selfies, ce flot implique-t-il
texte) surgit en effet quant le destinataire
que pour réaliser un documentaire tout
intrinsèquement une réelle diversité de
change (dans le temps ou dans l’espace).
en archives qui se déroulerait sous le joug
34
35
colonial, le recours à la voix-off, aux effets,
compter sur l’impossibilité de contrôle
recours à l’archive news s’avère plus prob-
à la surimpression de textes ou à un usage
total des archives écrites et sur le travail
lématique, souvent restreint à sa fonction
très interprétatif de la musique s’avèrerait
remarquable accompli par les historiens,
illustrative.
quasiment incontournable. Dans ce
en commençant par Achille MBembe
J’aurais aussi voulu évoquer
champ, il faut absolument revoir La Rab-
et Richard Joseph, plus tard relayés par
l’évolution de mon rapport à l’utilisation
bia, de Pasolini (1963), un film exceptionnel
d’autres confrères. Quant au pouvoir cam-
des archives dans le documentaire, ma
de montage d’archives d’actualités des
erounais d’Ahmadou Ahidjo, il censurait
tentative de fabrication d’une archive en
années 50 tendu de tout son long par la
lui aussi l’iconographie politique de cette
16mm dans mon premier film, Sans Com-
voix-off du cinéaste, monument de 100
période et tout individu trouvé en posses-
mentaire (1997), la difficulté plastique sur
minutes qui contient un chapitre mag-
sion d’une photographie d’un des leaders
laquelle j’ai butée en tentant de tordre à
nifique sur la répression des mouvements
de l’UPC était passible des camps (Tchol-
l’image ou au son une archive du discours
d’Indépendance.
liré, Mantoum, Mokolo...). Dans le cadre
de Grenoble de Nicolas Sarkozy, la notion
d’un film et devant un tel effacement sys-
de contrepoint, les différents rôles que les
tématique des traces, on est donc poussé
archives peuvent revêtir en fonction du
à travailler avec le hors-champ, à recueillir
montage et de ce qu’il convoque en terme
Lors de la recherche d’archives
de la parole (sachant que les témoins sont
de sous-image, variations explorées avec
que nous avons menée durant 2 ans avec
en train de disparaître) ou encore à envis-
ma monteuse Valérie Pico dans mon dern-
Gaëlle Le Roy pour la réalisation de notre
ager la fiction pour dire le réel.
ier court-métrage, Je te le Rappelle, Tu t’en
Quid de l’effacement des traces ?
documentaire Cameroun, Autopsie d’une
Souviens, mon addiction aux archives et
Dans quelle temporalité et quelle température géopolitique revoit-on les images ?
l’écueil de ce penchant, mais ce sera pour
ment. Directement et via de nombreux
Aujourd’hui, chacun perçoit ai-
relais, de New-York à Moscou, en pas-
sément la fonction propagandiste des
sant par Conakry, Alger, Belgrade, Pékin,
archives d’actualités coloniales, dans les
Karthoum, Accra, Londres, Vincennes, Aix-
sujets traités, certes (en général ethno-
en-Provence et Paris, nous n’avons trouvé
graphico-folkloriques ou journaux du pas-
aucune archive filmée des bombarde-
sage des représentants de la puissance
ments au Sud et à l’Ouest du Cameroun sur
coloniale qui viennent inaugurer tel ou
la période 1955-1971. De même, les trois
tel accomplissement, ou célébrer tel ou
discours de Ruben Um Nyobè au siège des
tel anniversaire) ; mais aussi dans les axes
Nations-Unies ont-ils « disparus ». Seul un
choisis et la composition des plans elle-
enregistrement sonore subsiste, conservé
même. De même, un sujet du journal
par un ancien résistant. Les autorités colo-
télévisé nord-coréen sera dans le reste du
niales et leurs relais avaient ainsi planifié
monde instinctivement regardé à distance
que sans archives iconographiques, dans
critique. En revanche, cette acuité du re-
leur première fonction de preuve, la dif-
gard et de la perception tend à s’effacer
fusion du massacre physique et politique
dès lors qu’on entre dans son propre
du mouvement nationaliste camerounais
champ, géographique et temporel. Ainsi,
passerait tout simplement à la trappe de
en travaillant non plus sur l’Histoire colo-
l’Histoire : un « trou d’Histoire ». C’était sans
niale mais sur ses échos contemporains, le
Valérie Osouf est réalisatrice de documentaires. - Sans Commentaire (1996) - Verbotonal (2000) - Cameroun, Autopsie d’une Indépendance (coréalisation - 2008) - L’Identité Nationale (2012) - Je te le Rappelle, Tu t’en Souviens (2014) Ses deux derniers films sont produits par Granit, structure cofondée avec les cinéastes Newton I. Aduaka et Alain Gomis.
Indépendance (produit pour France télévisions), nous avons cerné la conscience immédiate que les autorités coloniales avaient du pouvoir de l’image en mouve-
36
une autre fois...
Ci-dessus et page précédente : Retour de Ruben Um Nyobè d'un voyage à New-York dans le cadre d'une plaidoirie pour l'indépendance et la réunification du Kamerun aux Nations-Unies.
37
ART TALK
Mouvement des corps, sérialité des images Entretien réalisé par Seloua Luste Boulbina
Dessins de Ernest Breleur Courtesy maëlle galerie - photographies jean-luc de laguarigue
Ernest Breleur (1945-) vit et travaille en
art, j’ai copié certains maitres. Je pense
En 1984, j’étais membre du
Martinique. Il a repris la pratique du
notamment à Rembrandt et ses têtes de
groupe Fwomajé (recherche d’une esthé-
dessin après avoir, pendant des années,
nègres. Pour ma série peinte « Mythologie
tique Caribéenne) et déjà la question du
travaillé la sculpture et l’installation.
de la lune », j’avais réalisé de nombreuses
désir de la vie et même du désir tout
L’entretien a été réalisé en juillet 2014 à
études au crayon et au feutre. Le dessin
court se faisait sentir. Je peux citer deux
Fort-de-France.
est pour moi une pratique majeure dans
œuvres importantes de cette période : ma
le champ des arts plastiques pouvant
première peinture exécutée en tant que
permettre l’émergence d’œuvres de tout
membre du groupe est de forme totém-
SLB : Les dessins sont-ils pour toi un complément de ton travail, mené en parallèle, ou une nouvelle voie que tu explores ? Car, aujourd’hui, tu travailles sur une gigantesque série que tu as nommé « L’Énigme du désir ». Elle montre un mouvement dans ton travail. Celui-ci prend des directions variées qui se développent de façon rhizomatique. On dit du reste que le rhizome a une fonction de réserve d’énergie qui permet la multiplication végétative de la plante et à l’aération du sol.
premier ordre. J’envisage cette pratique
ique et pourrait être intitulée “l’oiseau et
graphique en cherchant ses limites par
l’œuf” ; la seconde, de la même période,
rapport à la peinture. Dans la derniere
est “le mariage du soleil et de la lune“ qui
série, quelques uns de mes dessins peu-
vont engendrer la terre.
1
vent être considérées comme étant des
L’œuvre dessinée récente que je
peintures. La question de la limite du des-
développe depuis plus d’un an fait suite
sin est d’importance. Je crois que l’artiste
à la série de sculptures colorées que j’ai
doit être critique de son propre travail et
réalisées durant les années 2010 en me
envisager une remise en cause de ce sur
posant la question du vivant. J’ai écrit
quoi il travaille.
pour cette série un texte intitulé : “le
Du point de vue du sens, sen-
vivant de questions en questions”.
sualité, érotisme, désir, sont véhiculés
Comme tu le constates, certains
dans ma pratique actuelle du dessin. Je
aspects de mon travail actuel partent de
dois te dire que ces questionnements ne
loin et interrogent le corps, la sensualité,
J’ai toujours pratiqué le dessin
sont pas si nouveaux dans mon œuvre
l’érotisme, le désir. Je peux dire que j’ai
et, quand j’étais tout jeune étudiant en
plastique, ils sont apparus lors de mes
eu très tôt et progressivement une con-
premières réalisations en peintures.
science de toutes ces notions incluses
1 ² 9RLU SDU H[HPSOH © 'HVVLQV GH WUDQVLWLRQ ª
38
dans mon travail plastique. Une certaine
nouveaux dessins.
considération que la peinture. Il est à mes
accélération s’est produite à la suite d’une
Je comprends tout à fait les rai-
yeux une pratique majeur et autonome.
visite dans mon atelier de l’écrivain Milan
sons de ta question J’ai été mû par une
Je cherche à faire émerger une expres-
Kundéra qui, à cette occasion, a mis en
profonde volonté de repasser à la pein-
sion sensible et poétique amplifié avec
évidence la présence d’une sensualité et
ture. Cela me travaillait au corps depuis
une “pauvreté” de moyens, mais aussi
d’un puissant érotisme dans mes pein-
quelques temps. Elle me me manquait.
l’expression d’une extrême exubérance,
tures. Cette observation formulée allait
Quant il s’est agi de revenir à la peinture,
et de mouvement. Dans cette affirmation
me conforter et même dans une certaine
s’est imposée à moi l’idée que je devais
du mouvement et de l’exubérance com-
mesure orienter ma pratique.
passer par le dessin. Passer par le dessin
ment ne pas rejoindre A. Masson ?
Aborder, inscrire ces préoccu-
incluait aussi l’obligation de considérer
L’idée du vivant et du désir est
pations dans le corps des œuvres ne se
tout mon travail pictural. Ce retour au
un moteur de ma création, il ne s’agit à
fait pas sans impunité dans mon lieu très
dessin se fait après une absence de pra-
aucun moment de trouver réponses à
fortement judéo-chrétien. Ce qui peut
tique de vingt ans. Je me dois de dire
mes questionnements au travers de ma
expliquer le nombre très réduit d’artistes
qu’une circonstance extraordinaire va
peinture, mais trouver là cette possibil-
abordant le corps avec ce cortège de
aussi déterminer mon travail actuel. Le
ité de faire œuvre. Je voudrais avant de
questionnements. Hormis le travail de
désir de faire une œuvre graphique se
conclure ce petit paragraphe te prendre
mon ami Michel Rovelas en Guadeloupe,
réalise aussi par une sublime rencontre.
un peu à témoin, comme tu le vois, il y
notamment ses dessins récents. Com-
Celle de mon ami José Hayot qui m’invite
a dans mon travail une absence de lieu.
ment ne pas relever un paradoxe de
à passer quelques jours sur l’ilet Long et
Le lieu est celui de la plastique où les élé-
taille ancré dans ce pays issu de la société
m’offre la possibilité de faire comme tous
ments formels se disputent une place
de plantation ? Elle est moralisante et
les artistes de passage sur l’ilet d’exécuter
dans leur désir de présence dans l’espace
pourtant simultanément offre à travers la
quatre dessins qui viendront compléter
de l’œuvre. Il ouvre sur la singularité
mode des corps parés, laissant apparaitre
sa collection d’œuvres de ses amis. Ceci
de l’artiste. L’animation de l’espace, je la
un extraordinaire érotisme et une sensu-
avec l’approbation complice de mes
nomme mise en mouvement des con-
alité exacerbée.
deux autres amis présents à savoir Patrick
stituants de l’œuvre.
SLB : Tu as choisi d’abandonner les suspensions que tu as développées durant plusieurs années et qui composent la – très nombreuse - population de ton atelier. Le moindre souffle d’air les anime, les fait harmonieusement bouger. Elles sont filiformes. Dans ton travail actuel, tu as opté pour une forme fixe qui, dans le même temps, montre systématiquement des corps de femmes – rondes – en mouvement, elles aussi, il est vrai, suspendues dans un élément indéterminé : air ou eau. Pourrais-tu préciser l’articulation entre tes dernières sculptures et tes
39
Chamoiseau et Jean Luc de Laguarigue.
Je cherche dans l’expérience
Après avoir passé en revue mes
esthétique à donner à voir une présence
différentes périodes artistiques je con-
des corps dans la matière graphique,
sidère que mon travail de dessin est une
l’affirmation d’une poétique sans pathos,
suite logique de mes dessins entamés
en même temps qu’une grande finesse
lors de la période de la mythologie de la
expressive.
lune (les dessins préparatoires), mais aussi
Je ressens à travers tes questions
des peintures de la série blanches. Mon
tout l’intérêt que tu portes à la question
œuvre graphique d’aujourd’hui reprend
du mouvement dans mes dessins, comme
tout un ensemble de questionnements
tu as raison le mouvement évoque pour
antérieurs en les amplifiant. Il est nette-
moi le bing bang, l’explosion qui a créé
ment plus baroque. De ce baroque
une fulgurance génératrice de l’univers.
Edouard Glissant disait qu’il est un mode
Le tableau dessiné est pour moi une
de connaissance qui procède par circon-
métaphore de ce fameux bing bang où
volution alors que la science procède de
tout grouille et s’entrelace.
manière directe. J’aborde le dessin avec la même
Je peux aussi te répondre concernant ma manière de travailler, il s’agit,
à partir de mes premières idées, de réal-
qu’artistique. Je peux dire qu’il pratiquait
fraction du champ social. Ces libertés
iser une petite série puis d’élaborer un
la relation entre éthique et esthétique.
acquises par la révolution romantique
court texte de manière à concentrer et
Son origine du monde scandaleux à
assurent l’émancipation du sujet pensant,
coucher mes idées sur le papier. Ce texte
l’époque a certainement répugnée à la
avec, comme conséquence une libéra-
est ouvert, c’est l’œuvre qui dans son
bourgeoisie. En réalité cette peinture en
tion du corps.
surgissement agit aussi sur mon état de
dit plus que ce que l’on en dit. En effet
Avant Courbet, le néo-classique
créateur, il n’est jamais l’illustration du
dans la part d’ombre de cette œuvre se
montre des corps presque toujours asex-
texte. Cette façon de procéder permet la
cachent les non-représentés par l’artiste.
ués. La nudité apparaît sans sexe, un peu
conduite de l’expérience esthétique, qui
Je perçois cette œuvre de manière par-
comme les anges. « L’Origine du monde »
d’ailleurs m’enseigne et me rend disponi-
ticulière et j’en mesure autrement la
est un choc esthétique et un choc moral
ble à l’inattendu. Le philosophe Héraclite
portée. Du coup je peux supposer que
même pour une fraction de la bourgeoi-
disait qu’il faut s’attendre à l’inattendu. La
les “entrailles” de cette femme mon-
sie de l’époque. Cette peinture n’est pas
conduite de l’expérience esthétique est
trent avant tout le lieu du surgissement
hyperréaliste mais presque, elle n’est pas
source de plaisir quand elle se déroule
du désir, de la vie et simultanément la
non plus photographique mais presque.
dans la liberté. Cela revient à dire que la
présence du désir-plaisir, désir aveuglant
L’insupportable présence de cette frac-
contrainte et la liberté sont inhérentes à
provocant chez le regardeur un insouten-
tion de corps est jetée au visage du
l’exécution de l’objet artistique. La con-
able regard de la chose en question. Je ne
regardeur. Courbet est l’artiste qui met
trainte relève de la voie et des moyens
sais trop si c’est un artiste ou un philos-
en exhibition le caché du corps, l’intime
utilisés pour l’apparition de l’œuvre.
ophe qui disait qu’en regardant l’œuvre
de l’être féminin, il montre en gros plan
elle nous regarde je cite approximative-
l’objet du désir, la source du désir, la
ment : “lorsque nous peignons le paysage
fontaine du désir, le réceptacle de la
lui aussi nous regarde”.
première goute de la vie. Bien évidement
SLB : Tu fait référence à « L’Origine du monde », de Courbet. En montrant un sexe de femme, de face, le peintre a pointé non seulement un lieu mais aussi un lieu de vie. Quel sens Courbet a-t-il pour toi ?
Ce chef-d’œuvre est contempo-
Cela me fascine. Je peux encore ajouter
rain d’un autre chef-d’œuvre le “Déjeuner
qu’il met en évidence la source de la vie,
sur l’herbe“ de Manet, qui est en relation
la source du désir de vie, et enfin la fon-
avec l’évolution des mœurs. Aux liber-
taine du désir. Je reprends ici l’idée que
tés acquises correspond une évolution
cette peinture a sa part d’ombre d’où
Courbet a été un artiste sub-
des mœurs : nous voyons apparaitre la
sa puissance énigmatique comparable à
versif tant du point de vue politique
naissance du nudisme qui traverse une
celle de l’énigme du désir.
40
Je considère que la vie est l’objet
manifestations. Il est dévolu aux oiseaux
dans la conscience de tout le vivant?
d’un désir puissant. Je l’ai affirmé dans
la réalisation de la sexualité entre fleurs
L’origine du monde et la question du désir
un texte avant mes récentes sculptures.
mâles et fleurs femelles. C’est dans le désir
soulèvent toutes les grandes questions
Dans “Le vivant de questions en ques-
de butiner certaines couleurs cachées
métaphasiques inlassablement posées.
tions”, je soutiens l’idée d’une volonté
par les ultra-violets que les oiseaux et
Mon ambition n’est pas de résoudre ces
forte de l’infiniment petit pour l’accès à la
les insectes vont amorcer le processus
énigmes mais avant tout avoir une pen-
vie c’est-à-dire à l’animation et au mouve-
de pollinisation. En butinant ils opèrent
sée qui m’accompagne pour l’émergence
ment.
une sexualité indirecte. Les fleurs sont
d’œuvres significatives.
Ma fascination pour cette ques-
fécondées par des armées d’oiseaux et
SLB : Tu dessines exclusivement des chez toutes les espèces. Le désir de la pas la chance d’être butinées vont offrir corps féminins, des séries de femmes reproduction, de la dissémination, la pro- leurs graines au vent pour pénétrer au en mouvement. L’animation traverse création chez le vivant est commun. Il est cœur de la fleur femelle. ton travail. Dans la « Mythologie extraordinaire de constater que toutes La vie ne peut se transmettre de la lune », on reconnaît bien les les espèces sont pourvues des moyens sans désir, en premier lieu le désir sexuel. corps qui sont les tiens. Elles étaient afin de provoquer le désir. Concernant La perpétuation de la vie est une con- sans tête mais déjà assez aériennes. les humains, et les espèces animales, les séquence du désir sexuel. Je ne vais pas Aujourd’hui, tes femmes sont entières. dotations se ressemblent. aborder ici l’énigme des énigmes: Qui a Elles ne sont pas pour autant reconConcernant la flore, le désir inscrit ces mécanismes si complexes et si naissables. tion du désir vient du fait qu’il existe
d’insectes. Certaines plantes qui n’ont
relève d’un autre processus dans ses
efficaces et si judicieusement distribués
Je te dois effectivement une explication
ma présence au monde. Je me sens con-
l’idée de la mythologie de la lune. Chaque
concernant les corps sans tête, c’est man-
stamment dans une relation entre grand
toile est un “événement”: l’accession à
ifestement l’expression d’une absence,
et petit contexte. A ce propos, Glissant
la lune. A cette époque je pratiquais la
une absence d’identité en même temps
disait souvent que c’est dans la démesure
peinture en m’appuyant sur des dessins
que la présence d’un tragique. Cette
que l’on trouve la mesure.
préparatoires, je me souviens d’avoir
absence me permettait de représenter
croqué des enfants qui faisait une ronde
SLB : Il faudrait parler de la « ronde absence demeure encore dans mon tra- », ou de la « rondeur », qui interpelle vail actuel, alors que la tête est présente, dans tes dessins. Leur univers est celui elle est maintenant anonyme, sans aucun de la prolifération, de la multiplicité. trait. Tes femmes ne se tiennent pas propreLes corps que je soumets à ment par la main mais elles « dansent l’expérience esthétique sont caracté- » et sont toujours en contact les unes ristiques de mon travail artistique, ils avec les autres.
dans la cour de récréation se situant non
sont singuliers. Là aussi se manifeste
sens à la notion de désir. Dessiner c’est
des corps de femmes du monde. Cette
loin de moi . Cette ronde deviendra par la suite un motif déterminant dans mon travail de peinture et de dessin. Ce motif deviendra de plus en plus complexe. La notion d’entrelacs est constante dans les œuvres dessinées les constituants se touchent, se frôlent comme pour donner
l’expression d’un paradoxe: leur rondeur
Ce n’est pas celle de Matisse, qui
donner à voir l’impression de mouvement
et leur flottaison. C’est cette tension entre
d’ailleurs s’intitulait la danse. En 1989 je
qui instaure une relation intime entre les
rondeur (poids) et impression de flottai-
vais entamer une série de toiles autour de
corps, de par leur positionnement dans
son qui confère un caractère singulier à mes compositions actuelles. Un autre paradoxe est décelable dans ces dessins, il se manifeste dans la relation entre le poids supposé des corps et le sentiment de mouvement. Mes premières œuvres offraient déjà au regardeur une forte présence féminine, mais en scrutant toutes les périodes nous percevons l’existence du masculin. Disons que la présence des corps féminins est prépondérante. C’est bien que je considère le féminin comme porteur de la vie Le corps féminin est le lieu de cette extraordinaire alchimie qui précède la vie. Tu as du constater une certaine démesure dans les grands dessins, la démesure se trouvait déja dans mes grandes installations. Cette démesure est affirmée certainement comme une opposition à l’étroitesse de mon lieu-île mais aussi ce désir persistant d’embrasser le monde, une affirmation avant tout de
42
l’espace du tableau. Le dispositif qui con-
l’impression d’être dans un gouffre, un
struit l’espace et les éléments formels des
lieu sombre. En sortir est aussi un plaisir
compositions sont dédiés à l’émergence
presque incommensurable : c’est comme
de l’idée de désir.
un accès à la lumière, et, métaphorique-
La prolifération certainement
ment, l’inscription de la vie dans l’être.
issue de ma fréquentation assidue des
Avant de clore cet entretien je
fonds marins, elle évoque certainement
voudrais indiquer que j’ai longtemps tra-
ces bancs de poissons tourbillonnants
vaillé sur la question de la mort l’autre
qui m’entourent très souvent. J’éprouve
versant de la vie. C’est en fréquentant ce
un plaisir inouï à me retrouver au cen-
versant que progressivement je me suis
tre de ces tourbillons que provoque le
installé sur le versant de la vie. J’ai aussi
déplacement rapide de ces poissons.
un peu fréquenté une petite partie de
J’aime pénétrer au cœur de ces bancs
l’œuvre du philosophe Levinas notam-
de poissons de lumière. Pour moi, incon-
ment Le temps et la mort et j’ai retenu
sciemment, c’est revenir au confort et à la
que dès la naissance la naissance la mort
protection de la matrice maternelle. Cer-
est inscrite dans le vivant. Curieusement
tains bancs de poissons sont quelquefois
plus mon temps s’écoule plus la question
d’une densité incroyable et me donnent
du vivant se pose à moi.
Seloua Luste Boulbina est directrice du programme “ La décolonisation des savoirs “ au Collège international de philosophie à Paris et chercheuse associée HDR au LCSP, université Paris Diderot, Paris VII. Elle a publié: “Grands Travaux à Paris”, La Dispute, 2007, “ Le singe de Kafka et autres propos sur la colonie “ éditions Sens public, 2008. “ Les Arabes peuvent-ils parler ? “ éditions Black Jack, 2011, Payot Poche 2014.
ART TALK
Performance is Perhaps a Ghost performing All the Time Decolonial Aesthetics through Nigerian Performance Art in Dialogue with Video By Lotte Løvholm
Following the footsteps of a red
mance by Nigerian artist Jelili Atiku
mummy-like creature covered in bal-
called In the Red #16: Obaranikosi. It
loons, 80 audience members force their
was performed at Kunsthal Charlot-
way through the entrance of a small
tenborg in Copenhagen, Denmark, in
exhibition space. As they enter the space
January 2014 as part of Atiku’s six-years
a video of the mummy is projected into
long performance project In the Red
the corner, hitting two walls simultane-
that investigates the human tendency
ously. The mummy lies in the middle of
towards self-destruction. It was a parallel
a busy street in Lagos where cars and
performance that was first performed in
tuk-tuks are passing by. Pedestrians
Lagos and then translated into a Danish
stare curiously at the mummy, and the
context. Atiku is concerned with “deco-
mummy rises to walk. Meantime the
lonial aesthetics” in his art and in this
mummy lies before the video projection
particular performance it manifests itself
encircled by balloons in the corner.
in the form of a distortion of time.
Suddenly, it starts rolling around
In Western philosophy time is
on the floor dragging the attached
often based on chronology and we use
balloons with it. The mummy then
time as a way of measuring our lives (e.g.
leaves the room through a door from
how productive we are), which suggests
where the video is being projected.
an objective timeliness. Atiku challenges
The mummy re-appears. It is now at
this concept of time through his use of
sea standing at the bow of a wooden
video as part of the performance. The
boat. Again, it disappears. A 5-year old
video showing the performance from
boy walks towards the video projection
Lagos is already playing when the audi-
and stops where the two walls meet. He
ence enters the room.
looks intensely at the projected mummy and at his own shadow. The video loops.
As Atiku enters the room with the video projection, he faces himself in
The above is a description of a perfor-
44
a 14 minute compressed version of his
Photographer Rine Rodin, performance “Obaranikosi” by Jelili Atiku at Kunsthal Charlottenborg, Copenhagen, 25/01/14
45
Photographer Rine Rodin, performance “Obaranikosi” by Jelili Atiku at Kunsthal Charlottenborg, Copenhagen, 25/01/14
Photographer Deji Ajose, performance “Obaranikosi” by Jelili Atiku on Third Mainland Bridge, Lagos, 12/12/13
Lagos performance. The video follows
again and the audience therefore sat for
movements become unpredictable as
Atiku as he sets off in a rowboat in the
quite sometime looking at the projected
she will be jumping in one spot one
high-density area Makoko. He uninten-
video from Lagos, which looped twice
second, and the next she will appear ten
tionally falls into the polluted water,
during their time inside the installation.
meters further away from the camera.
reaches land, leaves Makoko in a tuk-
Videos that loop and do not have end
The distortion of her movements makes
tuk, crosses the Third Mainland Bridge.
titles or other ways of easily determining
her look like a bird, and the speed of
He then lies on a busy street on Lagos
a beginning and an end tend to confuse.
her jumps is condensed, making her
Island, enters the Federal Government’s
Time here becomes unreliable since it
fly. The video’s location looks like a pit
Printing Press building and cuts off the
is difficult to know how long the video
with mountains of sand and gravel. It
balloons. He then finally removes his
is. And in relation to Atiku’s body being
could have been shot anywhere and her
red garments. Atiku leaves the printing
present next to the video, the notion
movements in relation to the sand make
press factory building and leaves the
of time becomes even harder to main-
the place seem alien or extra-terrestrial.
balloons behind on the floor. The bal-
tain because the narrative of the video
The possible meeting between her and
loons are the memory of his body and
gets intertwined with the narrative of
her father is staged in a familiar yet
as they are lying on the floor, it looks as
“reality”. The narrative of the end is chal-
strange place, which refers to their own
if they are still attached to his body; that
lenged.
cultural journey: her father originally
his body is still to be found somewhere
Like Atiku, American/Nigerian
being an immigrant to American culture
underneath. Then the video loops and
performance artist Wura-Natasha Ogunji
and Ogunji herself born and raised in
starts over again. Atiku left the audience
challenges the concept of time in her
America, being an alien to Nigerian cul-
at one point in Kunsthal Charlottenborg
video “My father and I dance in outer
ture. Ogunji’s performative self becomes
when they were inside the installa-
space” (2010). In the artwork, Ogunji
a migrant in the video; a migrant into
tion and then came back to hand out
uses stop-motion technique to distort
the other world.
handwritten red notes referring to the
the concept of time and the temporality
history of Danish warfare. When he left
she produces is an attempt to pursue
sense of time is nothing new in video
the installation the second time, there
the impossible: she is trying to dance
art. Dutch cultural theorist Mieke Bal
was an anticipation of him returning
with her deceased Nigerian father. Her
presents the term migratory aesthet-
46
Challenging the chronological
M W
My father and I dance in outer space: Photographer Darcie Book, video work by Wura-Natasha Ogunji, 2011
Photographer Abdurasheed K. Adeola, performance “Obaranikosi” by Jelili Atiku in Makoko, Lagos, 12/12/13.
ics to explain different concepts of time(s), speed and movement. She connects migration to video through multi-temporality and she adapts the term “heterochrony” from biology as an analytical tool to approach migratory aesthetics. Heterochrony is the distortion of time making it condensed, wider or thicker and it challenges the ontological separation between past and present. The negotiation between past and presents in the two art works presented suggests transcendence into something untimely. Atiku’s red mummy and Ogunji’s bird like creature are mediums for what seems to no longer be. They are neither women nor men, neither black nor white, “not ghosts, not, not ghosts”. They perform the memory of gruesome events or of a man that once lived. Their concept of time mediates disappearance. Performance is perhaps a ghost performing all the time.
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Lotte Løvholm is an independent writer and curator based in Copenhagen. She has done research in the field of contemporary performance art across the African continent. She co-curated the mentioned Jelili Atiku performance at Kunsthal Charlottenborg with Danish curator Rine Rodin.
ART TALK
L’Anthropologue en Travesti
L’Anthropologue en Travesti (13)
Malysse VII, Roi du BÉNIN.
2014
(a) Fine Art Print on aluminium 50x75cm, serie of 20 (b) Fine Art Print on aluminium 135x 100cm, serie of 20
Étude des signes extérieurs d’identité ou « comment jouer à être un autre » Par Stéphane Malysse, professeur en Anthropologie et Art à l’Université de São Paulo / EACH-USP Photos : © Stéphane Malysse
L’Anthropologue en Travesti (20)
Malysnowski, anthropométrie.
2014
Fine Art Print on aluminium 50x50cm, serie of 20
« Le je de l’anthropologue entrevoit la
projet “L’Anthropologue en travesti”,
d’autre” (Berliner, 2013).
possibilité de devenir autre, de trans-
j’ai crée des apparences bi-culturelles
En entrant temporairement dans la
gresser les limites de l’af f irmation
qui ne correspondent ni à mon identité
peau et les vêtements de douze person-
identitaire et de réaliser, provisoirement,
culturelle, ni à mon genre, ni à ma fonc-
nages de recherches ethnographiques,
et de manière fragmentaire, le je est un
tion sociale... mais dans lesquelles mon
mon intention est d’évoquer la tradition
autre de Rimbaud. » Berliner.
identité « diluée » est à la fois présente
de la photographie ethnographique
et masquée. Ces expériences TRANS-eth-
qui se déploie à l’Époque coloniale,
« Les travestis sont des chasseurs de
niques sont motivées par les réflexions de
teintée par une peur de la contagion
vérité: ce qui leur fait le plus horreur, c’est
deux collègue anthropologues : dans ces
inhérente au racisme de l’époque qui
précisément d’être déguisé. » Roland Bar-
travestissements « bi-culturels » (Tedlock,
instaure des frontières étanches entre
thes, Aziyadé.
2003), je cherche à incorporer l’Autre à la
colonisateur et colonisés: « l’angoisse
figure « séparée » de l’anthropologue, «
du going native, de devenir indigène,
Synonyme de « déguisement » composé
non que l’anthropologue soit, en toutes
s’empare des colons qui sont invités à
à partir du préfixe latin « trav- » sig-
circonstances, cet homme-caméléon
ne pas entretenir des contacts prolongé
nifiant « déplacer » et du radical de «
que Zelig incarne, mais, dans le répertoire
avec les locaux et surtout à éviter les res-
vêtement », le terme désigne à l’origine
des postures de recherche qu’il déploie
semblances vestimentaires... » (Fontaine,
l’usurpation d’identité par le port de
régulièrement f igure une quête
2001).
vêtements n’appartenant pas à ses fonc-
expérientielle, emblématique de notre
En montrant qu’un anthropologue
tions ou à son sexe, que ce soit dans un
discipline: tenter de se mettre tempo-
français peut devenir un autre; un mas-
but festif ou de tromperie. Dans mon
rairement dans la peau de quelqu’un
sai, un touareg, une péruvienne de Cuzco
48
L’Anthropologue en Travesti(2)
Maliyé, Indien Ashaninka, Brésil.
2014
Fine Art Print on aluminium 50x75cm, serie of 20
L’Anthropologue en Travesti (7)
Malys-Massai, KENYA.
Fine Art Print on aluminium 90x65cm, serie of 20
L’Anthropologue en Travesti (3)
L’Anthropologue en Travesti (8)
Malys, le Dogon, MALI.
Malysse, Musulmane de Marrakesk, MAROC.
2014
2014
Fine Art Print on aluminium 50x75cm, serie of 20
Fine Art Print on aluminium 50x65cm, serie of 20
Stéphane Malysse (1971) Carcassonne, France. Travaille et vit à São Paulo, Brazil Research Fellow in Anthropology of Contemporary Art, Goldsmith College,
ou un indien ashaninka brésilien; mon
identifier, nous substituer aux faibles et
Department of Anthropology, London,
intention est detravailler le post-coloni-
qui nous procurerait du plaisir, le ‘nous’
England.2008-2010
alisme de façon autobiographique et de
désignant ici les gens privilégiés social-
Post-Doctorant / Post-PHD in Art &
mettre en évidence le fait que les appar-
ement et économiquement que sont la
Multimidia, Art Institute, UNICAMP, SP,
ences sont des productions culturelles
plupart des anthropologues.
Brazil. 2003
profondément hybrides et donc rela-
Docteur en Anthropologie Culturelle,
tives... Outre la question de l’authenticité
La discipline anthropologique serait
École des Hautes Études en Sciences
(centrale en anthropologie), cette série
motivée par un désir réprimé de pou-
Sociales, Paris, France. 1999
évoque également l’existence d’un cer-
voir (colonial et capitaliste). Comme
Master en littérature française,
tain plaisir masochiste dont l’essence est
les masochistes décrits par Freud, une
Université de la Sorbonne, Paris IV,
la substitution de soi par un autre qui
telle répression du désir de pouvoir se
Paris, France. 1991-1996
souffre : « à relire les textes de Freud sur
manifesterait par une substitution fan-
Actuellement professeur en Anthropolo-
le masochisme, il existerait une structure
tasmamique d’être à la place de l’autre
gie et Art à l'Université deSão Paulo /
libidinale qui nous pousserait à nous
faible... » (Don Kulick, 2006.)
EACH-USP
49
L’Anthropologue en Travesti (1)
Malyx, le Gaulois, FRANCE.
2014
Fine Art Print on aluminium, 50x75cm, serie of 20
L’Anthropologue en Travesti (12)
Malysse au PÉROU.
2014
50
Fine Art Print on aluminium 50x70cm, serie of 20
L’Anthropologue en Travesti (15)
Malysse, le Touareg (MAURITANIE).
2014 Fine Art Print on aluminium 50x50cm, serie of 20
L’Anthropologue en Travesti (18)
Malysnowski sur son terrain.
51
Fine Art Print on aluminium 50x30cm, serie of 20
ART TALK
Coupé / Décalé une conversation avec Camille Henrot et Brice Ahounou Propos recueillis par Myriam Dao Images extraites de Coupé/Décalé, 2010 Vidéo, 3 min 54 © ADAGP Camille Henrot Courtesy the artist and kamel mennour, Paris
Pour ce numéro d’Afrikadaa sur l’image en mouvement,
enance. Le regard subjectif de Camille Henrot sur la pratique
j’ai pensé à croiser films expérimental et ethnographique.
rituelle du saut au Vanuatu, par sa forme radicale, nous en
L’idée d’une conversation autour du film « Coupé/Décalé » de
révèle en quelque sorte les universaux. Que peuvent nous
Camille Henrot, entre elle et Brice Ahounou, anthropologue,
apporter les clés de lecture de Brice Ahounou qui s’attachait
s’est imposée naturellement. J’avais découvert au Louvre
récemment à présenter, au Palais de la Porte Dorée, le rituel
en 2011 le travail de Camille Henrot dans l’exposition « Les
dogon du Sigui dans un cycle de films ethnographiques «Jean
musées sont des mondes », où J.M.G. Le Clézio avait choisi d’y
Rouch, une passion Dogon » ?
présenter des cultures et des traditions absentes du musée. Camille Henrot y présentait son film expérimental « Coupé/ Décalé », réalisé après un séjour au Vanuatu à partir d’images de jeunes hommes sautant dans le vide, geste inspiré du rituel
Afrikadaa : Comment situez-vous aujourd’hui le film Coupé/Décalé, à la lumière des travaux que vous avez accomplis depuis ?
initiatique du Gol. Camille : Quand j’ai réfléchi au projet Coupé/Décalé, je me suis posé beaucoup de questions sur l’idée de voyager à Vanuatu, de filmer ce rituel, (qui est une destination touristique). Donc quand je repense à ce projet aujourd’hui, la notion de culpabilité et de suspicion, - par rapport aux images ethnographiques et à la manière dont elles sont reçues et interprétées, est présente. Le dernier projet en cours, « le Renard Pâle », parle de la curiosité un peu maladive et aussi de la culpabilité que l’on peut éprouver au cours de ces voyages. Un anthropologue m’avait déconseillé d’aller là-bas pour ne pas encourager le tourisme dans cette île, mais selon les institutions locales Le point de vue anthropologique nous est donné par Brice
«c’est un rituel pour touristes ». J’étais partagée par un senti-
Ahounou. Il me semblait intéressant de croiser leurs points
ment ambivalent, qui m’a donné envie d’y aller pour réfléchir
de vue, d’autant que ce film hybride, - entre geste artistique
au statut de l’image, à la position de l’artiste, ambivalente
et constitution d’une archive, semble jouer de l’ambiguïté du
elle aussi, ni complètement un touriste, ni un scientifique, cet
statut de ses images, et conduit à s’interroger sur leur prov-
entre-deux intéressant d’un point de vue éthique et artistique.
52
Il y a aussi la dimension esthétique, car en même temps ces
séquence où l’on voit une jeune fille manipuler un appareil
images sont belles.
photo. Je l’ai alors vu comme une composition dans laquelle elle introduit de l’art, elle coupe dans ces images et décale les
Afrikadaa : Au sujet de cette ambivalence, qu’en pensez-vous Brice, parce que le statut même des images est ambigu…
choses : Coupé/Décalé. En somme, elle fabrique le cadre d’un décentrement. Ce film est un objet hybride, qui vient pardessus un autre objet hybride, la musique coupée-décalée,
Brice : J’ai cru comprendre que vous vous intéressez à des
pour devenir un objet autonome et nous parler de tout autre
objets hybrides, ce film-là en est visiblement un pour moi.
chose, d’un rituel devenu touristique qui pose question. C’est
D’emblée, ce qui m’interpelle c’est le titre du film : « Coupé/
donc une œuvre critique.
Décalé». Sans avoir vu le film, si on vous parle de «coupé décalé », vous pensez à une musique africaine d’aujourd’hui, elle-même hybride, née d’échanges musicaux sur le continent. Petit rappel : dans les faubourgs d’Abidjan, les musiciens ivoiriens ont ajouté au Soukouss congolais des éléments de rythmes générés par ordinateur et ont baptisé l’ensemble : « coupé-décalé ». Appellation qui fait référence aussi au terme informatique de « copier-coller ». Depuis les années 2000, cette musique urbaine « samplée » a remué les dance floors et innervé la scène mondiale. Magic System est à cet égard un groupe emblématique. Donc quand j’entends « coupé-décalé », c’est ce qui me vient à l’esprit en premier. Mais en regardant le film de Camille Henrot, je suis confronté à autre chose. A quelque chose qui m’est beaucoup plus familier : des images de type ethnographique.
Camille : En fait, il n’y a pas d’images d’archives, toutes les images sont filmées par moi. Cela peut ressembler à des images vues sur Internet, c’est d’ailleurs comme cela que j’ai découvert un film qui représentait ces rituels. Cela m’avait attirée car cela ressemblait au saut de Yves Klein, (rue GentilBernard à Fontenay-aux-Roses). En même temps il y avait quelque chose d’assez pathétique à voir ce rite important se répéter pour satisfaire la curiosité des touristes. Une exagération du côté folklorique. J’apprécie l’analyse de Brice sur l’idée d’utiliser « coupé-décalé » dans le titre. Quand j’ai fait le film, peu de gens connaissaient cette musique. Le film et la musique coupé-décalé partagent un même concept : faire quelque chose qui n’est pas complètement identifiable, qui est tout le temps en mouvement,
Afrikadaa : Brice, quelles sont vos premières impressions sur le film, en particulier sur la provenance de ces images ? Brice : Ayant vu pas mal d’images sur ce rituel Gol de l’île de Pentecôte, je me suis d’abord demandé : « qui est l’auteur du film ? » J’avais l’impression que Camille n’avait filmé que la
53
qui emprunte à différentes formes et se nourrit d’échanges. J’ai moi aussi d’abord rencontré cette musique et eu envie d’éveiller la curiosité sur ce mouvement, de montrer que l’échange et le décalage, c’est l’essence même de tout mouvement culturel.
Afrikadaa : Le décalage justement : dans la présentation du film, il est dit «les images sont décalées d’une seconde». Or, j’ai perçu ce décalage comme une espèce d’amplification des anachronismes, celui que l’on ressent à la toute fin du film, lorsque vous filmez cette jeune femme qui tient un appareil numérique. L’image glisse lentement de la jeune fille vers une dame qui pourrait être sa mère ou sa grand-mère, et c’est là que l’on perçoit le véritable décalage. Etait-ce aussi votre intention de montrer ce décalage perceptible entre des générations de Mélanésiens eux-mêmes ?
Camille : Je n’ai pas cherché intentionnellement cet effet. J’ai filmé au ralenti avec un Canon 7D. Les images, - qui n’étaient pas de très bonne résolution, ont été «shootées» sur une bobine 35mm. Quand j’ai coupé la pellicule en deux pour faire le décalage, avant de recoller avec du scotch, il y avait des poussières. Le film est devenu sale au cours de cette manipulation, de manière plutôt involontaire, ce qui peut laisser croire que ce sont des images d’archives. Si je l’avais fait numériquement, la ligne entre les images n’aurait pas «dansé», et je n’aurais pas obtenu cette vibration. Souvent dans mes projets il y a cet aspect « tour de force » lié à des inventions artisanales. Je voulais me situer dans la tradition du cinéma expérimental des années 70 (Paul Sharits, Stan Brackage par exemple). Travailler sur le matériau du film lui-même, - pour rendre perceptible la question du support, c’est poser la question « Qu’est-ce que faire un film, matériellement ? ». J’aimais bien l’idée de mélanger cinéma expérimental et film ethnographique, je ne l’avais pas vu ailleurs, hormis peut-être chez Jean Rouch, qui a été une influence importante dans mon travail.
Camille : Exactement, c’est très juste. La jeune fille qui filme est du village. La performance qui est jouée devant elle lui
Afrikadaa : Votre regard d’artiste est-il proche de celui de Claude Lévi-Strauss, - avec «Le Regard Eloigné», qui nous amène notamment à considérer notre propre culture avec les yeux de l’Autre ?
est aussi destinée : il n’y a pas d’un côté un peuple primitif, et de l’autre, les touristes. Je voulais restituer cette complexité,
Camille : Non, je ne me sers pas de la distance pour regarder
et les subtilités qui existent entre les différentes générations.
notre propre culture…Et je n’ai pas non plus le même bagage
On peut remarquer que la dame porte la « Mother-Hub-
philosophique et scientifique : je me considère avant tout
bard -Dress», robe que les missionnaires avaient imposée.
comme une artiste, et mon matériau à moi, c’est le désir,
(ndlr : au XIXe siècle en lieu et place du costume traditionnel
le fantasme, et l’imaginaire. Je n’adopte pas la posture de
qu’ils jugeaient peu pudique, ils imposèrent la «robe-mission»
l’anthropologue pour avoir un discours critique sur les choses.
dans toute l’Océanie)
Pour un projet avec les Native Americans, le fait que je ne sois pas scientifique et dépourvue de l’idée de les représenter
Brice : Je parlais d’une accumulation d’images de ce type dans
de manière objective m’a permis de vraies rencontres, en
le monde de l’ethnologie et notamment de l’anthropologie
confiance, parce que je ne représentais pas « l’autorité ». Mes
visuelle, tant et si bien que j’ai cru reconnaître ces images-là
images n’ont à aucun moment une «autorité», ceci est très
comme provenant d’un film existant au préalable. Il semble
clair. La coupure dans Coupé/Décalé est là pour le rappeler,
que Camille ait travaillé toutefois sur le « vieillissement » de
et dire «Attention, ceci n’est pas un film ethnographique, c’est
ses images, pour qu’elles ressemblent à s’y méprendre à des
un film expérimental». Je me dérobe à la nature des images, et
images d’époque. Avez-vous travaillé techniquement sur le
j’introduis une forme de suspicion, pour mettre les gens dans
grain de l’image pour lui donner cet aspect ?
un état d’alerte.
54
Afrikadaa : Votre objectif est atteint, c’est exactement ce que j’ai ressenti. C’est ce léger décalage qui nous permet de douter de ce que nous voyons. Cette juxtaposition aiguise notre circonspection et nous restons attentifs aux images, à ce qui va surgir. Peut-être plus que s’il s’était agit d’un énième film d’archives que l’on a l’impression de connaître ou de reconnaître, comme Brice l’a fait remarquer.
problématiques de l’image ethnographique et des questions de l’anthropologie. Malgré tout, l’image du saut est tellement forte, archétypale, elle relève du sacrifice et touche là quelque chose d’universel, qui fascine. C’est l’image de l’abandon, du risque, de l’expérience mystique, et c’est cela que les gens voient, sans avoir besoin de connaître l’anthropologie. Brice : Absolument. La dimension spectaculaire de ce que
Brice : Le film questionne la perception : un artiste délivre
l’on voit à l’écran ramène tout spectateur à la puissance
un signe, et comme nous sommes déjà chargés d’images
du saut dans le vide. Et le risque de mourir, lui, parle à tout
venant d’ailleurs, par accumulation, alors on pense au film
être humain, même si ce saut risqué est calculé. Quant à
ethnographique. Puis, il y a le décalage qui se produit, du
l’anthropologie, ses codes ont bien changé de nos jours. A
fait des lames qui ont été introduites dans le film par l’artiste,
l’heure du monde global, elle s’est considérablement renou-
comme un principe de remise en cause, pour produire une
velée. L’art a entièrement sa place : les artistes formulent de
œuvre critique. Cela montre que c’est la longue accumula-
façon visuelle certaines questions que les anthropologues se
tion d’images dans une société comme la nôtre, par strates,
posent de leur côté : artiste et anthropologue, presque même
qui donne cette résonance ethnographique à laquelle nous
combat !
n’avions pas échappé. Ce que ces « lames » viennent couper, c’est ce que nous avions accumulé ou empilé jusque-là. C’est un tour de force d’avoir introduit la suspicion par une opération de «laminage». Tout est déplacé par ce détournement astucieux et créatif.
Afrikadaa : Brice et moi avons eu une lecture de votre film en référence au cinéma ethnographique, mais peut-on apprécier ces images sans ces clés de lecture… Finalement Camille : est-ce que vous faites des films pour les anthropologues ?
Afrikadaa : A la projection « Jean Rouch une passion Dogon », le réalisateur Guy Seligman faisait remarquer que Rouch partageait ses droits d’auteur avec les Dogons…Une façon de reconnaître cet Autre et de se démarquer de la fabrication de cet « être-pour-autrui » dont parlait Sartre. L’Autre, non plus comme objet, mais comme sujet, comme acteur, et même comme auteur… Qu’est-ce que cela vous inspire ? Camille : Au Vanuatu, ces questions m’ont beaucoup préoccupée. Fallait-il que je verse des droits ? J’ai posé la question
Camille : Je suis très contente de cette conversation, la façon
au centre culturel sans obtenir de réponse, puis à un anthro-
dont vous avez noté Myriam cette histoire de génération entre
pologue qui considérait que non, car ce n’était pas un «vrai»
les femmes, et l’analyse de Brice sur ce qu’il appelle le «lami-
rituel. J’ai proposé mon film pour leurs archives, et ils ont
nage» du film, manière pour moi de l’isoler des références
accepté. Le film est projeté sur la plage chaque année au cours
qui préexistent…C’est rare que les gens soient capables de
d’une « Nuit Blanche ». Mais je n’ai pas résolu toutes ces ques-
formuler si bien ce que j’ai essaie de faire dans ce film. Car il est
tions. Il serait hypocrite que je dise «mon film n’est pas le mien,
vrai que c’est un film qui peut être mal compris, mal interprété,
mais le leur». Je suis une artiste, le visage que je dessine, c’est
et qui se heurte parfois, non seulement aux références qui
mon tableau, et ensuite il circule avec mon nom. C’est comme
préexistent, mais aussi à des préjugés ou à une méconnais-
ça que font les artistes : ils voient le monde, le représentent,
sance de la culture du pacifique. Il pourrait ne pas être perçu
l’objectivent forcément, et donnent à réfléchir dessus. Il faut
dans sa dimension la plus complexe sans une certaine réflex-
assumer ce rôle qui comporte une part de captation, une part
ion sur l’anthropologie, le post colonialisme. Car de tous les
d’appropriation, voire de vol, avec ce que cela peut avoir de
films que j’ai faits c’est celui qui touche le plus au cœur des
dimension coupable. La décision de Jean Rouch, - c’est un
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geste, ne peut pas être prise pour modèle, elle est personnelle
Camille : Je n’ai pas de méthode, je ne m’identifie pas à la
et liée à la manière collaborative dont il a travaillé.
posture scientifique. Par contre, ce que je retiens et c’est ce que Brice disait, c’est que l’anthropologie fait son autocritique
Brice : Sur la question des droits d’auteur, Rouch réagit ici
en permanence, modifie, se pose des questions. Ce que l’on
comme cinéaste. Anthropologue, il a travaillé sur le terrain
voit avec Jean Rouch, c’est la relation avec le monde artistique,
depuis ses débuts (50 ans) et a tissé une relation avec les gens
sur les questions de l’image et de la représentation. Il y a une
filmés. Mais pour lui, entre documentaires et fictions, entre
honnêteté intellectuelle dans cette discipline que je trouve
le réel et l’imaginaire, il n’y a pas vraiment de distance. Pour
assez belle, elle me nourrit autant que la littérature, et plus
ses trois films de fiction par exemple - Cocorico Monsieur
que la philosophie et l’histoire de l’art, qui sont traditionnelle-
Poulet, Jaguar, Petit à Petit - co-écrits avec ses compagnons
ment le fil que suivent les artistes. La vulnérabilité, la mise en
de «Dalarou», il a partagé les droits avec son équipe, à la
danger, la manière dont les questions éthiques sont posées,
fois acteurs fétiches et assistants, qu’il a considérés comme
- et pas entièrement résolues, l’acceptation de la complexité
co-auteurs, c’était quelque chose de tout à fait nouveau. De
des relations humaines : c’est ce que je trouve beau dans
même lorsqu’il a réalisé au Mali les films sur le rituel du Sigui
l’anthropologie. La manière dont Jean Rouch pense à la resti-
(1967-1974) avec Germaine Dieterlen, cette cérémonie qui a
tution aux Dogons, donnant quelque chose en échange en est
lieu tous les soixante ans, ils ont décidé d’un commun accord
un exemple.
qu’une partie des droits seraient versée aux Dogons. Une sorte de reconnaissance et de «droit à l’image» pour des personnes
Brice : C’est une attitude qui est de l’ordre de la réflexivité
considérées en réalité comme co-auteurs. Ainsi, ces personnes,
aujourd’hui. Cette dimension de questionnement, de critique,
qui sont les inventeurs de leur propre rituel pouvaient rece-
est manifeste dans le travail de Camille.
voir quelque chose, sur décision du réalisateur. Ce que Mme Jocelyne Rouch continue à perpétuer. Cette notion - du partage des droits avec les personnes filmés ou qui co-écrivent les films d’un documentariste - ne met pas à l’aise tout le monde en France. Elle est parfois discutée.
Afrikadaa : On peut comprendre que cette notion de partage ne mette pas à l’aise, car elle pourrait sous-tendre une notion de culpabilité, ce sentiment dont vous parliez Camille.
Afrikadaa : une sorte d’interactivité avec l’Autre, qui semble vous subjuguer : le Mali avec les « Espèces Menacées » en 2010, l’Inde dans le Songe de Poliphile en 2011, est –ce que vous continuez sur cette voie avec le « Renard Pâle » ? Camille : de la même manière, qu’avec « Coupé/Décalé », le titre est une mise en erreur, à la fois une fausse et une vraie piste. Dans l’exposition le « Renard Pâle », il n’y a pas du tout d’images des Dogons, ni d’objet dogon. Rien non plus qui fasse référence à Germaine Dieterlen et Marcel Griaule
Brice : Je ne pense pas que Rouch se soit senti coupable, mais
(ndlr : les auteurs de « Renard Pâle : ethnologie des Dogons
plutôt redevable aux Dogons qui lui ont permis de filmer des
», 1965). La raison pour laquelle cette exposition s’appelle le “
rituels extraordinaires, puisqu’il avait l’œil et l’esprit ouverts. A
Renard Pâle”, c’est tout d’abord la beauté du titre, sa poésie,
sa disparition, la communauté des «voleurs rituels» l’a adopté
et puis la manière dont il peut être interprété de multiples
et célébré en pays dogon. Ce n’est pas rien.
façons. L’expression se «faire porter pâle» peut faire penser à un renard malade. Le renard est aussi l’animal qui peut
Afrikadaa : On note dans l’art contemporain un « tournant ethnographique », pour reprendre la formulation du critique d’art Hal Foster. Camille, vous reconnaissez-vous dans cette formulation, et est-ce que vous considérez que vous faites partie d’un mouvement ?
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représenter la curiosité. Et l’association des deux pourrait être interprétée comme «la curiosité maladive». L’idée sousjacente de punition, de sentiment de culpabilité, par rapport au fait de se déplacer dans des pays exotiques, et d’y faire des images que l’on rapporte. Mais avant tout, c’est le livre
«Renard Pâle», que j’ai trouvé fascinant et il continue de me faire réfléchir. Entre autre, il concentre les questions de la fascination pour une culture, de l’interprétation, du point de vue, l’étroite relation entre les idées scientifiques et les mythes, la codification de la connaissance… Mon travail «Le Renard Pâle» (The Pale Fox), se donne également cette ambition : chacun des murs de l’exposition représente un principe de Leibniz associé à un des quatre éléments : le mur nord avec «le principe de l’être» (où tout commence : naissance et enfance), et de l’eau ; l’est, la loi de continuité et la terre ; puis le mur de la «raison suffisante» qui correspond à l’âge adulte ; et le dernier, «principe des indiscernables» (comment les choses vieillissent et disparaissent). La nécessité pour l’homme de construire un environnement et sa rencontre avec l’échec : car on a beau construire un jardin, il y a toujours un renard qui vient y grignoter. En somme, toujours un élément perturbateur. Ce sont les questions posées dans le livre «Renard Pâle» qui nourrissent mon travail. Brice : Renard «pâle» certes, mais jamais mort ! Toujours créatif et échappant sans arrêt aux pièges ou dangers qui le guettent. On continue…
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Camille Henrot, (née en 1978 en France) vit et travaille à New York. Son travail a été présenté au cours d’expositions solos au New Museum, New York (2014), au Schinkel Pavillon, Berlin (2014), et chez Kamel Mennour, Paris (2012). Elle a également participé à «Intense Proximity» au Palais de Tokyo, Paris (2013). Camille Henrot a reçu le Lion d’argent à la 55ème Biennale de Venise en 2013. Elle expose jusqu’en décembre 2014 à Bétonsalon «The Pale Fox», projet nourri d’un partenariat avec le Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris. Brice Ahounou, anthropologue. Il a travaillé étroitement avec l’ethnologue cinéaste Jean Rouch dont il a été l’assistant et avec lequel il a réalisé plusieurs films.
ART TALK
Chassol ecouter l’image et voir le son Propos recueillis par Camille Moulonguet Images courtesy of Chassol
Chassol compose aussi bien la musique que l’image dans des œuvres poignantes et complètes : ça commence par « Nola Chérie » puis « Indiamore » et maintenant « Big Sun ». L’image devient partition et la musique paysage, Chassol lui nous fait planer par son étrange langage.
De la Nouvelle Orléans à l’Inde jusqu’aux Antilles, lieux de fantasmes, paradis perdus, aussi familiers qu’exotiques, dans quelle direction va ce road trip ? Ce chemin suit la direction de mes envies musicales, des liens qu’entretiennent ces lieux avec mes diverses réflexions et interrogations, qu’elles soient politiques, sociologiques ou métaphysiques... Mais aussi des propositions qui me sont faites (centres d’art, salles de concert, artistes plastiques, institutions). Un ami me faisait remarquer qu’il n’y avait que des Noirs dans chacun de ces films. Ce n’est pas une volonté très consciente et j’aurais peut-être envie dans un futur proche de regarder vers le Japon. En tous cas, ce «road trip» comme tu dis essaie surtout de faire sens, de combler des envies harmoniques et esthétiques et (comme Kant, qui
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n’a jamais quitté son village) pourrait faire une halte à Paname.
bruits concrets de ce que nous filmons, mais elles sont au service de la musique et pas au service d’une démonstration. En bref, je
La musique savante et la musicalité de la vie, comment cela s’articule dans ton travail ?
ne cherche pas à perdre l’auditeur, même si j’aime écouter une
La musique concrète développée par des gens comme Pierre
Pourquoi dans ton travail sons et images vont de pair ? Peux-tu nous raconter comment est-ce arrivé ?
Henry ou Pierre Schaeffer dans les années 50 ou même plus tôt
tapisserie complexe parce que je trouve cela beau à voir.
par Varèse dans «Amériques» est une musique savante. Elle utilise des sons d’usine, de train, de la vie, etc. On la dit concrète par
Il n’existe, selon moi, pas d’image muette. Même la vision d’une
opposition à la musique abstraite, celle qui passe par un système
télé dont on couperait le son se fait dans un endroit où des sons
de notation, qui n’est pas «directe».
sont émis (cf John Cage 4’33’’). J’ai regardé West Side Story en
Cela est paradoxal, mais cette musique se dit savante. J’imagine
boucle étant petit et cela a sans doute façonné mon envie de
que pour en arriver à être un compositeur qui utilise des sons
contempler les milliards de points de synchro qui existent entre
concrets, il faut avoir pratiqué pas mal de musique «normale» pour
un son et un mouvement dansé. Puis, adolescent, je me souviens
chercher autre part que dans un piano ou une guitare la source de
avoir bondi sur un magnétophone pour enregistrer le générique
son matériau musical.
de la Tour infernale qui passait à la télévision. C’est ainsi que j’ai
J’ai commencé tôt la musique et ne suis venu qu’assez tard à uti-
voulu puis fait de la musique pour le cinéma, en commençant
liser les sons concrets, ceux qui m’entourent, les sons et les bruits
par la publicité. Je travaille depuis longtemps avec des vidéos
directs . Cependant, c’est aussi grâce au cinéma, et au cinéma
que je synchronise à mes enregistrements dans mes logiciels de
d’horreur donc assez populaire que j’ai pu entendre de la musique
musique. À l’arrivée de Youtube, j’ai eu pléthore de vidéos à ma
«savante». Via notamment Ennio Morricone, Jerry Goldsmith,
disposition au même endroit que mes logiciels d’édition musicale
Giorgy Ligeti etc. J’essaie donc de penser la musique et l’art sans
et de montage vidéo. Tout cela est donc très naturel et très fluide
trop de hiérarchies, même si cela est difficile... Je regardais des
et évident pour moi. La synchronisation, je veux dire, qu’elle soit
clips de variétés à la tv de l’hôtel l’autre nuit et étais consterné.
exacte ou plus approximative et poétique.
Dans mon travail, beaucoup de notions musicales complexes et sophistiquées entrent en jeu, et dialoguent avec les sons et
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Big Sun, d’où vient ce titre ?
ART TALK
60
Tu le comprendras en voyant le film et le
capot...Plein soleil, nous saisissons la
concert, mais en gros, mon père aimait
caméra et je savais que c’était un bon
observer les étoiles, j’aime la métaphysique
moment de cinoche. J’ai choisi cette image
même de comptoir et la science-fiction.
parce qu’esthétiquement elle me plait. Elle
Il y a aussi un peu d’ironie avec l’image que
m’évoque la Planète des Singes de 1969,
l’on se fait des Antilles et un hommage à
des films d’épouvante et bien sur Christi-
un album de Miles Davis.
ane Taubira.
Qu’es-tu venu chercher dans ce voyage et qu’as-tu finalement trouvé ?
Peux-tu nous citer trois de tes réalisateurs préférés et trois de tes compositeurs préférés? Et peut-être associer la musique des uns avec les images des autres ?
Je cherchais du matériau pour pouvoir écrire de la musique. Je savais que cela pourrait être des bruits, du son, de la musique, des images, des idées ou du sens.
Brian de Palma dans les années 70.
J’ai trouvé tout cela et plus.
Sergio Leone ou Stanley Kubrick. Et le documentariste Johan Van der Keuken.
Quel fut le moment le plus fort du voyage, et comment l’as tu retranscrit musicalement ?
La musique de Jerry Goldsmith, immense compositeur de cinéma pourrait nourrir chacun des films de ces réalisateurs. Les compositions du pianiste Chick Corea ne
Ce fut pendant le carnaval, une parade
matcheraient pas forcément en revanche.
de singes et gorilles aux percussions. Un
J’imagine assez bien la période électrique
gorille était en treillis militaire et fumait sa
de Miles Davis (1968 - 1976) sur certaines
cigarette complètement saoul en dansant.
scènes de 2001 ou sur un montage savant
Une vraie attitude de nihiliste. J’avais avant
d’Hermann Slobbe (un film sur un enfant
de partir un motif pianistique d’une trist-
aveugle de Van der Keuken).
esse infinie que j’ai déployé sur toute cette séquence...Et en arrivant sur ce gorille, j’ai ralenti l’image et divisé par deux le tempo de ce motif comme pour une exploration
Qu’est-ce que l’harmonisation que tu pratiques ? Et comment la lies-tu à la boucle visuelle que tu mets en place ?
intense de ce nihilisme dans une nostalgie extrême.
Il s’agit de dégager l’exacte mélodie qui se dégage du son d’une séquence filmée. De
L’affiche, pourquoi avoir choisi cette image ?
mettre ensuite cette séquence en boucle avec cette mélodie en jouant à chaque fois, qu’elle se répète avec un accord dif-
Nous étions en voiture sur la route vers
férent.
le nord de l’île et surgissent cette bande
Cela permet de donner à cette image
de kids en mode Halloween masques
loopée un statut de tableau: identique et
de singes, d’Obama, de Michaël et de
pourtant grâce à ce nouvel accord différent
Sarkozy... Ils nous arrêtent mains sur le
à chaque fois.
61
Dates de tournée 2014-2015: Le 3 octobre, Indiamore, au Festival 1066, à Lausanne Le 15 octobre, Indiamore, à la Cigale, Paris Le 13-14-15 novembre, Nola Chérie, Indiamore, Big Sun, The Spin Festival, à Epinal Le 16 novembre, Indiamore, au Queen Elizabeth Hall, Londres Le 12 décembre, Indiamore et Big Sun, Le Tap, Poitiers Le 18 décembre, Indiamore, Le Tetris, Le Havre Le 14 janvier, Big Sun, Théatre du Vivat, Armentières Le 15 janvier, Big Sun, La Gaité Lyrique, Paris Le 16 janvier, Indiamore et Big Sun, L’estran, Guidel Le 23 janvier, Big Sun, Le Comptoir, Fontenay Sous Bois Le 28 janvier, Big Sun, Le Gallia, Saintes Le 30 janvier, Big Sun, Halles de Sharbeek, Bruxelles Le 25 mars, Big Sun, Onyx, Saint Herblain Le 10 avril, Indiamore, Scène Nationale, Bayonne Le 16 mai, Big Sun, Nuit des Musées, Lens
ART TALK
calypso rose mother of all flowers
Frieda Ekotto The University of Michigan All images coustesy of Pascale Obolo
“I did not become a Calypso singer. I
beautifully and insightfully written with
personal story, her groundbreaking
was born in Calypso.”
many modalities, and both the visual
musical achievements, her commitment
Calypso Rose
and textual offer a rich resource from
to defend women’s rights, her faith,
which to begin our discussion of the
her worries and fears, and above all her
“Movement no longer measures time
image in movement. The film incorpo-
strong love of life and people. Rose is
but is folded into time.”
rates several images of Rose dancing
well aware of the fact that women are
Gilles Deleuze
with joy as she glides from one end
forced to be silent before that silence
of the stage to the other. In Deleuzian
itself is explored: “In a way Calypso has
Calypso Rose: The Lioness of the Jungle
terms, we can understand these images
saved me. Because the lyrics which I
by Pascale Obolo (2011) is a documen-
of movement as showing movement as
have written, which I could not speak,
tary about Rose, a dynamic female
time. Rose’s expertise not only con-
bring it out by speaking, I put it in song.
Calypso singer whose performances
secrates her as a musical icon but it
Let them know who I am by song.”
explode with a passion and graceful
also substantiates her recuperation of
Therefore, she made the stage her
energy that exquisitely personify the
agency as a female subject. Indeed,
project, a space where she could affect
beauty of a rose. Throughout the film,
Calypso Rose is also the woman who
female social norms, knowing that she
Rose’s ability to embody all flowers
paved the way for women performers
works from the culture of oppression.
allows her to offer magic and mag-
in the world of Calypso music; a world
She transforms that stage into a culture
nificence in her Calypso performances.
Winston Peters –Trinidad and Tobago’s
of protest. Thus, apart from featuring a
We are taken by this first shot of great
Minister of Arts and Multiculturalism
female musical icon who considers that
beauty as the film opens with Rose
– describes in the documentary as a
“calypsonians are reporters in song,”
standing in front of the sea, speaking to
historically “male-dominated art form.”
this documentary also weaves together
the waves in movement. In this scene,
Rose is, as introduced to the crowd at
many relevant social and political issues.
water symbolizes her limitlessness, she
the 2010 Soca Monarch Competition,
Through a close reading of the
is free, engaging, and she is a moving
“the woman responsible for all the
film, audiences can see that Pascale
splendor on stage. Her music moves
women in the industry singing.”
Obolo’s “monumental” camera work
people to love her unconditionally. In
The entire documentary is a
defies typically construed possibilities
particular, she transmits integrity, love,
road movie, which moves from Trinidad
for activities in the social context of
and the ethics of being a female Calypso
and Tobago to New York, Paris, and
contemporary West Indies. As a female
singer to the young women that idolize
back to Ouidah, Benin in Africa as the
filmmaker, Pascale Obolo chooses
her within the West Indies diaspora.
point of departure, where the story of
this perspective, I argue, to force the
The story of Calypso Rose is
her ancestors begins. Rose tells us her
spectator to be seduced into belief at
62
the remarkable yet unorthodox life
narrator of her own story.
mingles with newly created one. The
of Rose, as she challenges and under-
The film as a documentary
mines the limited possibilities for female
further asserts it experimental character
today’s, as Rose summons them with a
performers. We should also consider
by quirkily framing a series of proxim-
mighty: “come on up.” A few minutes
possible political meanings for this
ities with places, people, and institutions
into the film, an artful sound bridge also
positioning, particularly its status as a
that have had a lasting influence in
creates an effect of continuity between
diasporic African film that reimagines
Rose’s life. Indeed, frequent close-ups
two performances (past and present)
the position of women through an
and extreme close-ups, the correlate
of Rose’s famous song A Man is a Man.
insistence on the agency and power of
choice of leaving many elements off-
By constructing such “crystal-images,”
Calypso Rose. This is evident even in the
screen, and the deliberately unbalanced
Pascale Obolo effectively elaborates
scene in which Rose confides that, at the
composition of many shots create a
a cinema in which, as Deleuze puts
age of eighteen, she was raped by three
sense of closeness (e.g. with Rose or the
it, “time is no longer the measure of
men who then left her to die. Despite
interviewees), at the same time as they
movement, but movement is the per-
the persistent toll this trauma took on
seem to insist on signifying a subject-
spective of time.” (21) Calypso Rose’s
her life, she did survive this tragedy,
ive standpoint. The camera restlessly
complex and multi-faceted engage-
as well as two cancers and three heart
changes framing and perspectives.
ment with movement thus constitutes
attacks. Her faith is also what moves
This unsettling camera work not only
a cinema of time: the time of a Rose,
her to produce great music. This monu-
generates a constant manifestation
“mother of all flowers.”
mentalizing of Rose performs the act
of movement, but it also serves as a
of questioning the authority of men in
constant reminder that the frame is not
Calypso music.
a neutral border; it imposes a certain
The absence of voice-over com-
vantage point. Such self-reflexivity and
mentary in the documentary confers
introspection (a cinema that draws
an important aural dimension to this
attention to the mechanisms of its own
monumentalizing effect, while further
ideological apparatus) is little common
empowering Rose as a female subject.
in a cinematic genre (i.e. the documen-
In The Voice in the Cinema (1985) Mary
tary form) that has a long history of
Ann Doane, a pioneer of the study of
camouflaging its subjectivity.
gender in film, tells us that the voice-
Pascale Obolo’s film establishes
over is generally a disembodied voice
yet another important relationship with
which, in the history of the documen-
movement. In Cinema 2: The Time-
tary, has been for the most part male
Image (1989) Deleuze develops the
and the site of power. A (predomin-
concept of the “crystal-image,” a shot
antly male) voice-over indeed generally
that combines (often in an indiscernible
possesses knowledge and the privilege
manner) the pastness of a recollection
of interpretation. In contrast, Pascale
with the presentness of its experience.
Obolo chooses to displace the trad-
The crystal-image is the keystone of
itional authority of the voice-over,
Deleuze’s “time-image,” or cinema as
replacing it instead with the authority of
a direct image of time. Calypso Rose
female experience. In the absence of a
contains a variety of magnificent “cristal-
voice-over commentary, Rose becomes
images”. When Rose visits the land of
both the protagonist and the direct
her ancestors in Benin, past footage
63
waves of yesterday blend in with
64
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ART TALK
Images en mouvement au Congo Brazzaville Par job Olivier Ikama (texte et photos)
Une oeuvre de Francis Tenda
Au Congo, l’apparition d’une nouvelle
Dak’art en mai 2014, six artistes ont
image permettent-ils une lecture
génération d’artistes exerçant dans l’art
présenté leurs vidéos, dans le pavil-
globale des images ? Ou renforcent-ils
visuel donne lieu à une hétérogénéité
lon congolais installé à la biscuiterie
plutôt la singularité de chaque image ?
culturelle. Vidéo d’art et installations
de la médina. L’ensemble des œuvres
Cet article vise aussi à lire les œuvres de
sont les principales disciplines partici-
exposées à Dakar a ensuite été montré
ces sept artistes à la lumière des réflex-
pant au décloisonnement des pratiques
à Brazzaville aux ATELIERS SAHM du 08
ions de Walter Benjamin.
artistiques. Le recours à ces médiums,
Juin aux 08 Juillet 2014. Ori Uchi Kozia,
Kozia explore dans Névrose (11’33) la
s’appréhendant comme de nouvelles
Pierre-Man’s, Jussi N’tsana, Paul-Alden
question de la folie individuelle et col-
formes d’expressions, reste encore
N’vout, Ange Swana et Fransix Tenda
lective. Il pense la psychose collective
timide. Mais l’on peut admirer, dans
sont les vidéastes qui ont pris part à
qui régit tout groupe social comme le
cette lente prolifération, des œuvres
l’aventure congolaise lors du Dak’art
pont qui unit les différentes sphères de
d’une valeur expressive et esthétique
2014.
la vie sociale : religion, politique, art,
profonde.
Aussi pour parler d’images en mou-
tradition, morale, histoire, etc. « La folie,
C’est aux ATELIERS SAHM, centre d’art
vement, faut-il se demander quelles
dit-il en citant Nietzsche, est l’exception
contemporain crée par la plasticienne
images sont en mouvement ? Quel(s)
chez un homme, mais pour un groupe,
Bill Kouélany, qu’a cours l’actualité du
mouvement(s) est mis en œuvre par
un parti, un peuple, une époque, c’est
mettre en mouvement des images.
elles? Les langages traduits par les
la règle ». Les névroses posent des
Ainsi, lors de la onzième édition du
mouvements mis en œuvre par chaque
problèmes transcendants qui constitu-
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Oeuvre de Jordy Kissy Moussa
Une oeuvre de Eddy kamuanga
ent aussi la réalité la plus immédiate de
Ephémère débute par un plan large et
à l’urgence permettent de voir la rose
l’homme. Les différentes métaphores
fixe sur un pigeon agonisant au sol. Une
sur la croix du présent. Ori appelle au
de l’œuvre Névrose traduisent la crise
deuxième séquence montre un sachet
repli sur la personnalité, le moi intérieur
irréversible et perpétuelle du moi.
plastique en train de planer, une sorte
pourtant lui-même soumis aux injonc-
Il explique la névrose par le fait que
d’errance, au gré des vents, fussent-ils
tions des subterfuges et des alibis.
chaque personnalité se caractérise par
favorables ou non. L’artiste exprime
Cette ambiguïté qui ressortit à Névrose
des fuites en avant, autant de subter-
la légèreté de la vie, l’insignifiance de
et à Ephémère signées de Ori Uchi Kozia
fuges qui nous permettent d’errer dans
nos attaches, la vanité de nos défis. Il
dénote un appel au désir de vivre la vie,
des bulles intimes, et font de chacun un
réduit tout ce qui peut avoir un intérêt
d’en jouir pour soi. Névrose et Ephémère
névrosé. La vie n’est qu’un alibi. « Rien de
quelconque au cadavre d’un oiseau aussi
de Ori Uchi Kozia, une manière de « chi-
grand ne s’est fait sans passion » disait
fragile qu’un pigeon.
aler comme William Sheller : « je veux
en son temps Hegel. « Toute attitude
Tout est éphémère parce que tout ne
être un homme heureux », ou du moins
est soustraction à une réalité interne ou
tient à rien, car le seul socle de tout
un bon vivant.
externe » affirme Kozia. Névrose montre
est l’abîme, le néant. Mais n’est-ce pas
Like a diamond de Pierre-Man’s a été
dans ses premières minutes ainsi qu’à la
l’attitude qui consiste à déduire de tout
réalisé dans le cadre de la première ren-
fin, un plan fixe sur un chemin dont on
que tout est éphémère qui est porteuse
contre internationale d’art contemporain
ne voit pas l’issue et bordé de verdure,
de ruine? Sagesse de Salomon décréta
des ATELIERS SAHM. Cette rencontre a
un univers paisible. Une manière pour
que tout est vain, règne de Salomon
porté sur le thème de l’eau. L’artiste fut
l’artiste de dire le confort dont on jouit
vint à sa fin.
l’un de ceux distingués du prix spécial du
dans cette absence d’objectivité. Je
L’artiste appelle t-il à se départir du
jury. Avec Like a diamond, Pierre-Man’s a
suis humain, que le désarroi m’en soit
désarroi ? Il reste néanmoins le silence :
répondu à l’exigence de la rencontre de
témoin.
« à voir ce que l’on fut sur terre et ce
ne point borner les créations à l’aspect
que l’on laisse, seul le silence est grand,
de la précarité sociale relative aux
Ori Uchi Kozia a présenté une deux-
tout le reste n’est que faiblesse », Alfred
problèmes d’accès à l’eau potable. Like a
ième vidéo intitulée Ephémère. Cette
de Vigny cité par Kozia. Le silence donc
diamond aborde abstraitement le thème
œuvre semble avoir été réalisée dans la
seul est source de vitalité. Tous ces
de l’eau. L’œuvre est portée par un tra-
continuité réflexive par rapport au ques-
instants où l’on opère un retour sur soi,
vail sur le reflet éblouissant de la lumière
tionnement de la première dite Névrose.
où l’on est capable de recul par rapport
sur une eau qui coule paisiblement et
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ART TALK
Paul-alden M'vout
luisante au travers de pierres jonchant
Les personnages défilent, tournoyant,
Des personnages circonscrits entre le
son cours. L’artiste fait flotter des bulles
habités par ce ressouvenir nourri par une
réel et le fantastique. Une manière de
d’eau à peine perceptibles sur un fond
mélodieuse berceuse. Une poésie de la
saisir l’intemporel dans le moment
de nuages. Pierre-Man’s interroge le
nostalgie, de l’irréversibilité du temps.
présent ». L’univers très enchanté de
précieux. Qu’est ce qui vaut d’être con-
Un cantique de la souffrance de voir se
Paul-Alden se métamorphose sans
sidéré comme inestimable ? Si nos rêves
détériorer un patrimoine qui représente
cesse, fort de l’imagination de l’artiste.
peuvent se regarder comme des reflets
pour l’artiste plus que de l’immobilier.
Paul-Alden voit donc en l’imagination
d’une terre promise, ils restent, Like a dia-
Un appel, à préserver les repères. Nous
l’issue pour rendre possible de nouveaux
mond, irremplaçables. S’articule ici l’idée
suggérerait-elle des interrogations ?
rapports entre l’homme et la nature,
que rien n’est éphémère. S’il est vrai que
Celle de savoir : quels sont les repères
des rapports qui rendent à la nature sa
tout ce qui brille n’est pas un diamant,
de la génération à laquelle appar-
santé.
tout peut avoir néanmoins présence et
tient Jussie ? Quels critères définissent
incidence dans l’existence.
l’appartenance à un milieu ?
Poule mouillée, peuple mouillé d’Ange Swana est une œuvre circonscrite entre
Jussie N’Sana a présenté l’œuvre qu’elle
Paul-Alden N’vout est peintre, graphiste,
le besoin de l’artiste de s’exprimer et
a appelée Bibamboukila ou le ressou-
et vidéaste. Son œuvre, Asphyxie, est
l’exigence s’imposant à toute la société
venir (en lari). Des personnages de tout
empreinte de subtilité. Elle montre une
de se prononcer sur son avenir. Elle tra-
âge virevoltent sur des murs, tantôt
lampe luciole dont le verre représente le
duit le mutisme où, « au plus noir » des
de nouvelles constructions, tantôt de
globe terrestre. Sur ce verre se dessinent
silences, on se condamne aux flammes
vieilles bâtisses. Parce que les murs ont
les continents du monde s’embrasant
des peines qui nous consument au-
des oreilles, parce qu’ils connaissent
du fait de la montée de la flamme. Le
dedans. L’artiste interprète l’espérance
nos secrets les mieux gardés, ce qui se
feu se propage dans le verre ou le globe,
comme vertu de l’esclave, mais l’espoir
raconte dans l’intimité des coins des
à mesure qu’une main surgissant du
comme action de prendre ce qui vous
rues, les amitiés se nouant au fil des
néant va et revient vers le régulateur de
est dû. Se meut dans cette œuvre l’appel
gaies combines bambines derrière les
flamme. Le travail de Paul-Alden aborde
à investir l’espace public pour en remod-
murs et à l’abri de l’attention parentale
les questions des changements clima-
eler les instances figées. Poule mouillée,
quelque fois agaçante, N’sana exploite
tiques. Il a exposé, aux ATELIERS SAHM,
peuple noyé a été réalisé aux ATELIERS
la mémoire. Elle dit son attachement
en Juillet 2013 des œuvres présentées
SAHM en 2013 à l’occasion de la rési-
affectueux à l’environnement qui l’a
sous le titre Nature San-té. « Mes sujets,
dence de création d’Ange Swana.
vu grandir, faire ses quelques coups.
dit-il, illustrent des créatures imaginaires.
Yakamba, ou ballade en kongo, est la
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création de Francis Tenda Lomba, dit
et peuple sont pourvus d’imagination,
Fransix. Il filme la course d’une boite
toute sphère de la vie est portée par le
de conserve sur la voie goudronnée. La
rêve. Et si nous vivons de nos rêves et
promenade s’arrêtent quand un véhicule
que nous rêvons nos vies, c’est que rien
vient heurter et aplatir la boite. Yakamba
n’est éphémère. C’est ainsi que, dans
a été réalisée en 2012 dans le cadre de
l’acceptation de soi, nous pouvons inve-
la première rencontre internationale
stir en conséquence l’espace public.
d’art contemporain des ATELIERS SAHM.
Dans les pas de Walter Benjamin,
Ces peintures sur aluminium, des boites
auteur de L’œuvre d’art à l’époque de sa
de produits manufacturés, mettent en
reproductibilité technique, comment se
évidence la semi-destruction de ses
prononcer sur le contenu esthétique
objets à travers leurs crevasses. Elles tra-
des œuvres présentées ci-dessus ? Du
duisent les vicissitudes qui ressortissent
point de vue du potentiel de repro-
à la quête où chaque individualité se
ductibilité de toute œuvre de vidéo,
construit. A travers cet apparent mal en
nous pouvons voir, dans les créations
point, Fransix peint l’acceptation de soi
présentées ci-dessus, la désesthétisa-
et le fait de se reconnaître, dans ce qui,
tion de la sphère de l’art contemporain.
de sa personne, a survécu à l’épreuve du
Néanmoins, certaines œuvres sont
pèlerinage intérieur.
dépourvues d’engagement politique
Au terme de cette présentation, force est
et sociaux, et recherchent plutôt une
de constater la singularité thématique
posture esthétique. Ceci dit, il y a dans
de chaque œuvre ou image mise en
la nouvelle génération d’artistes con-
mouvement par les sept artistes con-
golais la volonté de ne pas soumettre
golais. Particularité qui tient aussi à la
leur activité créatrice à une visibilité
différence de points vues et démarches
sans frontière, mais de l’orienter vers
où se circonscrit chaque propos. Il y a
l’existence de l’objet.
Biographie de l’auteur : Jeune journaliste de presse écrite, étudiant en philosophie, Job construit son expérience de critique d’art depuis deux ans. Il accompagne de ses textes les œuvres des artistes qui exposent aux ATELIERS SAHM depuis l’ouverture du Centre. Pratiquer la critique d’art est une manière pour lui de se consacrer à sa passion de l’écriture.
le point de vue de l’individu et celui du groupe social. Les images se meuvent tantôt abstraitement, tantôt de façon plus empirique. Néanmoins, individu
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Ange Swana et Doctrovée Bansimba
ART TALK
Ali Essafi : la partition des beaux lendemains Propos recueillis par Louisa Babari Images coustesy of the artist
Né au Maroc en 1963, Ali Essafi étudie la psychologie en France et se dirige ensuite vers le cinéma d’art et d’essai et le documentaire. Ses films « Général nous voilà ! », « Le silence des champs de betteraves » « Ouarzazate Movie » ont été primés dans divers festivals du circuit international du cinéma d’art. De retour au Maroc, il anime des ateliers d’écriture de films documentaire et occupe le poste de directeur artistique de la SNRT. Commissionné par la 10e Biennale d’Art de Sharjah, « Wanted », sa dernière production a été sélectionnée dans diverses manifestations d’Art à travers le monde. « Halakat Nord africaines », installation vidéo présentée en mai 2014 à la biennale de Dakar, est conçue comme un hommage à trois œuvres pionnières de la jeune histoire de la cinématographie africaine. Cette œuvre crée une tension entre deux dispositifs de monstration, l’installation vidéo et l’autre plongé dans la profonde mémoire nord-africaine du cercle de la liberté « la Halka ». Ali Essafi vit et travaille au Maroc. (Source : Dak’art 2014) 70
Page de gauche : Image extraite du film “Wanted” , Ali Essafi , 2011 Ci-dessous : Vue de l’instalation “Halakat nord-africaines”, présentée à la Biennale de Dakar 2014
AFRIKADAA: Pensez-vous que votre pratique filmique rentre dans une convergence, un processus d’hybridation entre le cinéma, l’art contemporain et les médias ? Je pense notamment à votre film «Wanted» et à votre installation vidéo présentée à la dernière Biennale de Dakar en mai 2014.
suis perçu comme un intrus dans chacun d’entre eux, mais moi je me sens chez moi partout… « Pourvu qu’il y ait l’ivresse ! ». Au départ, je voulais juste essayer de faire des films comme tout le monde. Malgré le bon accueil qu’ont reçu les premiers, je n’y voyais moi-même que des bouts d’essais peu satisfaisants. Et comme je ne savais plus où j’allais, il fallait que je me
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Ali Essafi : Personnellement, je ne sais pas
souvienne d’où je viens. Je suis revenu
comment définir mon travail filmique ! Je
au Maroc pour tenter de comprendre ma
ne cherche jamais ni à le définir ni à faire
propre histoire, personnelle et collective,
partie d’une catégorie précise. Je sais en
avec l’image. Le manque endémique des
revanche que je suis animé par une sereine
références et l’inaccessibilité des docu-
détermination pour franchir toutes les
ments m’ont amené à entreprendre un
frontières, s’il le faut en clandestin, afin
chantier de recherches. J’ai été surpris
d’exprimer mon regard ou partager mes
que ces recherches aient trouvé davan-
émotions ! J’ai commencé mon processus
tage d’échos dans le monde de l’art
de création, relativement tard, suite à un
contemporain plutôt que dans le milieu
cursus universitaire en psychologie et à
du cinéma… C’est le cas de « Wanted »
une thérapie (inachevée)… Ceux-ci plus
qui a été crée pour la Biennale de Sharjah
la philosophie en général, m’ont défini-
et de « Halakat Nord-Africaines » que j’ai
tivement instillé le goût de la critique
présenté à la dernière Biennale de Dakar.
et de l’insoumission ! Par conséquent,
Je ne sais pas où ce vent de désir de créa-
je me retrouve toujours, sans le vouloir,
tion m’emportera par la suite… Et je me
à la périphérie des autres médiums. Je
réjouis de ne pas le savoir !
Image extraite du film “Ouarzazate movie” , Ali Essafi , 2001
AFRIKADAA: Etes-vous, dans vos films, dans une perspective de recherche de narration innovante ? D’une nouvelle écriture ? D’absence d’écriture ? D’un autre régime des images ? Comment travaillez vous ?
Vue de l’instalation “Halakat nord-africaines”, présentée à la Biennale de Dakar 2014
voire aussi par la peinture… Au Maroc,
du conteur de « Halka » au traitement des
les formes narratives écrites datent à
archives. Ce sont ces travaux pionniers
peine de quelques décennies ! Une
qui m’ont inspiré pour l’expérimentation
bonne partie de ceux qui s’y aventurent
de « Wanted » que je suis entrain de
empruntent le chemin le plus court
développer plus avant.
en tentant d’imiter celles qui ont déjà
Grâce aux travaux de recherches que j’ai
été standardisées ailleurs. L’unique
entrepris, je sens enfin que je suis entrain
Ali Essafi : Je dois avouer que l’écriture
réservoir naturel de la narration locale
d’échapper à la condition d’artiste du
littéraire est mon background de base.
est consigné dans la tradition orale
monde post-colonial condamné à errer
J’ai glissé vers le cinéma en y cherchant
(Contes et légendes, chants, rituels…)
dans les sphères de la création, décon-
un refuge capable de conjurer le
Mais ayant été dévalorisés, comme tout
necté de son patrimoine et de son histoire
sort qui m’a dépourvu d’une langue
ce qui a trait à la culture populaire, rares
(de l’Art) locale. Je crois que je sais mieux
maternelle écrite, à l’instar de la majorité
sont ceux qui ont entrepris de l’explorer
maintenant d’où je viens. Je crois donc
des Marocains. Je suis pourtant un vrai
afin d’en extraire d’éventuels nouveaux
que je peux aller où je veux.
bilingue Arabe - Français ! Mais le dialecte
minerais… L’absence d’écriture n’est
marocain qui est ma vraie langue de
pas un handicap ! Au contraire, il y a
globe, on a cheminé vers la narration
AFRIKADAA: Siham Weigant, de la lieu d’espérer que ce terreau vierge revue, Dyptik évoquait dans un texte puisse laisser fleurir de nouvelles formes libre, le sentiment de l’impossibilité, d’écritures tant au niveau littéraire qu’au de l’inutilité, d’écrire dans son propre niveau filmique. C’est une entreprise pays. Elle posait ainsi la question de la de longue haleine, mais le jeu en vaut réception, peut-être aussi la question la chandelle ! Ma dernière installation du public. Avez-vous le même senti« Halakat… » a pour but de donner de la ment ?
cinématographique en accumulant les
visibilité à des cinéastes maghrébins de la
acquis depuis les contes et légendes,
première génération qui ont amorcé ce
Ali Essafi : Pour répondre clairement à
en passant par le théâtre et le roman
processus de recherche en mêlant l’esprit
cette question, il convient de distinguer
cœur n’est pas une langue écrite. Au vu de cela, les formes narratives sont forcément au centre de mes intérêts. Mais à condition, d’en trouver des nouvelles et des bien enracinées dans mon contexte culturel. Dans une bonne partie du
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Image extraite du film “Ouarzazate movie” , Ali Essafi , 2001
l’acte d’écrire de celui de l’édition et de la
Depuis, au moins deux générations de
caste bourgeoise se sera anéantie, on
publication. J’ai appris moi-même à faire
cinéastes marocains (dont je fais partie)
s’apercevra qu’il ne s’est rien passé depuis
cette distinction grâce à l’expérience
n’ont pas réussi à bénéficier du fruit de
l’indépendance, et qu’il faut repartir à
de mon modèle feu Ahmed Bouanani
ce travail. Mais aujourd’hui, 30 ans plus
zéro. » Fanon à écrit cela, en 1961, au
(autour duquel je prépare un film), l’un
tard, des éditeurs commencent enfin à
tout début de la « décolonisation » en
des plus brillants cinéastes, poètes et
s’y intéresser ! Et sachant ce que ce travail
Afrique. Aujourd’hui, après les fêtes du
écrivains marocains… Bien qu’il ait été
à lui seul pourrait apporter au monde du
cinquantenaire de l’indépendance, quand
censuré et marginalisé jusqu’à la fin de
cinéma marocain présent et futur, je peux
on évalue le chemin parcouru, force est de
sa vie en 2011, il n’a jamais cessé d’écrire
enfin mesurer la portée de la vision de
constater que cette caste bourgeoise est
et de dessiner. A force, sa main droite en
Bouanani. Cette « Histoire du cinéma… »
toujours aux commandes, hypothéquant
était toute tordue ! Il m’a assuré que pour
est juste un exemple. Quand un travail de
les possibilités d’un développement sain
lui écrire c’est d’abord un acte de survie
création apporte quelque chose de nou-
et durable ! Soulignons que Fanon ne
et de résistance ! Mais quand on évolue
veau, il résiste à l’usure du temps. Et par
parlait pas de la « classe » bourgeoise
en pays dominé, c’est également l’espoir
conséquent il rencontrera son public tôt
qui, comme en Occident, a joué plutôt
de léguer ces écrits aux générations
ou tard.
un rôle déterminant pour s’émanciper
futures qui en temps voulu en auraient
du féodalisme. Ici il s’agit plutôt d’une
AFRIKADAA: Pensez-vous que votre qui a ravagé une partie de sa production, travail s’inscrit inévitablement dans un sa fille Touda Bouanani n’a toujours pas statut post colonial du cinéma ?
« caste » déculturée et totalement
fait le tour de l’inventaire de ses manu-
impossible d’accéder au monde de la
grandement besoin. Malgré un incendie
décalée par rapport à son contexte. Au Maroc, par exemple, il est quasi
scrits (romans, scénarios, poésies, contes,
Ali Essafi : Votre question me renvoie
création sans maîtriser convenablement
travaux de recherches…) Parmi eux, une
spontanément à un passage de Frantz
la langue française… Ceci, alors même
magnifique « Histoire du cinéma au
Fanon dans « Les damnés de la terre »
que le système éducatif public, en
Maroc » ! Un travail colossal et combien
où il disait que : « La phase bourgeoise
grande faillite, ne permet la maîtrise
indispensable terminé dans les années
dans l’histoire des pays sous-développés
d’aucune langue qu’elle soit locale ou
80, que personne n’avait cru bon d’éditer.
est une phase inutile. Quand cette
étrangère. Je pense que cette « caste »,
73
ART TALK
Image extraite du film “Wanted” , Ali Essafi , 2011
74
dont le règne caractérise la période post
Si processus il y a, c’est celui de la vie des
coloniale, est entrain de « s’anéantir »
humains sur terre et je ne pense pas pou-
de façon inexorable. Le malheur c’est
voir en arriver un jour à bout !
qu’elle est en passe d’être supplantée
Au-delà de ces préoccupations, je ne
par une nébuleuse obscurantiste portée
prétends surtout pas défendre la veuve
par la déculturation et la faillite de l’école
et l’orphelin. Tout ce que j’entreprends
que le système de cette caste avait lui-
répond d’abord à mes émotions, mes
même semé… Et ainsi, nous sommes
désirs, mes interrogations… Avant de
aujourd’hui, tous menacés de régression,
se transformer (ou non) en matière à
de passer d’une situation post coloniale
partager avec les autres. Il s’agit donc du
à l’avènement d’un obscurantisme d’un
processus de ma vie. Malgré moi, je me
autre âge. Celui-là même qui sévissait
sens chaque instant à l’affût des liens
avant la colonisation.
tissés entre mon travail d’introspection
Mon travail tente également d’impliquer
personnel et le contexte dans lequel
les ex-colonisateurs et les sociétés dites
j’évolue. J’effectue des va-et vient entre
civilisées... Une démarche empathique
le centre et la périphérie. Je traque tout
qui les invite à se regarder sous un autre
signes de convergence entre le détail du
angle. Cela concerne la plupart de mes
quotidien et l’infini du cosmos… Depuis
films dont Général, nous voilà !, Le silence
la nuit des temps, il y a très peu de choses
des champs de betteraves, Ouarzazate
qui n’ont pas déjà été dites ou montrées.
Movie…
La création est un prisme mystérieux qui permet de les exposer sous angles
AFRIKADAA : Vos films sondent les traces mémorielles, le patrimoine politique, les revendications sociales et culturelles, une recherche d’équité et de justice. Etes vous arrivé au bout de ce processus ?
différents, angles à l’infini... Comme je l’ai dit plus loin, j’ai commencé mon processus de travail sur le tard. Et avec le chantier de recherches que j’ai entamé ces dernières années, j’ai l’impression d’avoir enfin délié les nœuds… Ou peutêtre d’avoir nouer les liens. Je sens que
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Ali Essafi :Vu les thématiques que vous
je commence tout juste à développer un
citez, et tous les aspects de la vie que
point de vue mûr, capable de raconter et
celles-ci impliquent, je ne pense pas qu’il
de montrer les choses d’une manière plus
s’agisse d’un processus qu’il faille boucler.
singulière.
Liens films Wanted! (Eng.V ) http://www.dailymotion.com/ video/k5bagv8huy5tH83XOvE Ouarzazate movie (Eng.V) http://www.dailymotion.com/video/ k2zwzZmetK5sIX3Y34b Ouarzazate movie (French.V) http://youtu.be/3mszhlZ3NM Blues des Shikhats (French.V) http://www.dailymotion.com/video/ k2Ngv4LH5ZCexh3XCpB Le silence des champs de betteraves (French.V) http://www.dailymotion.com/video/ k6ZlL5DYWAcRNQ3XfVH Général, nous voilà ! (French.V) http://www.dailymotion.com/video/ k23Rf8TuvEFqFC3XPNd
ART TALK
Things come together: a conversation with Teju Cole By Anne Gregory
Teju Cole, Nigerian-American writer,
these words to me is the fact that one’s
artistic energy has to be spent reiterat-
photographer, and art historian is promi-
acts of self-preservation are not always
ing fundamentals. Almost as if you have
nent among the “new wave of African
understood or taken seriously. We are
to go back and prepare the ground on
writers”.1 His novel, Open City, won the
constantly being asked why race has to
which you place your work.
PEN/Hemmingway Award. His novella,
be part of the conversation or why gen-
So that’s right, you carry the sun with
Everyday is for the Thief, published
der has to be part of the conversation?
you, illuminating your own way forward.
from Salman Rushdie. Cole is the Dis-
This is a gap that is immensely difficult
tinguished Writer in Residence at Bard
to bride. The one between the outsider
College, lectures extensively, and main-
who thinks do we really have to bring
tains a provocative presence on Twitter.
up those difficult conversations and the
AG : When it comes to publishing your work you have many options, from literary magazines like Granta to big league publications like the New Yorker, yet you chose to publish the short story Hafiz on Twitter. Why ?
in Nigeria and the US, received praise
person who is experiencing it from the
AG : Teju, thank you for talking with Afrikadaa. Let’s start with something to set the tone for discussing your work.
inside and thinks actually we do have to bring up those conversations because in the absence of that conversation my
TC On one hand, I was published in
experience of the world gets completely
traditional venues. It doesn’t get more
erased. That is a pretty good frame for
traditional than having a novel pub-
TC I can begin with a quotation by the
thinking about the kind of work I try to do.
lished by Random House and then
late African American poet, Audre Lorde.
AG That brings to mind this passage by
reviewed by the NY Times. It’s straight
It says: “Caring for myself is not self
Frantz Fanon: “Our history takes place
forward, the way it’s done for the writer
indulgence. It is self-preservation. And
in obscurity and the sun I carry with me
who gets their work out there. One way
that is an act of political warfare.”
must lighten every corner.”
of telling that story is to say I had that
Audre Lorde was certainly writing from
happen to me. Then I parleyed that into
outside the larger social and cultural
TC Absolutely. Fanon becomes one
mainstream. She was a black lesbian
of those essential thinkers and writers.
poet. What was so resonant about
That particular quote is one that is vital
But the other story, the deeper and truer
to me. It’s interesting just how much
story, is that I was actually taking online
1! !"##$!%#&'(')!*+!!,-./0$!123#!-45+!!6#7!8)9#!:;! <;='()3!8='>#=?!7'>@!)3!A3>#=3)>':3)&!B#3>+!!6#7!C:=D!E'F#?+
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things like writing on Twitter.
seriously for publication before I ever
only seven pages long.
published anything in print. Once the online interaction became real, I never doubted it as a way to reach audiences.
AG : It’s about drinking, or not drinking, a bottle of coke.
It came very naturally to me. I simply wrote the story, took it through its
TC Exactly. She read it and wrote back
twelve drafts as best as I could, then I
to me and said you’ve got it; you’ve
put it online.
arrived now. Something clicked in my head that what I’m saying has not been
I thought, why not spend that energy
said in quite the same way.
on writing really good and present it to
That vote of confidence was not a big
twelve of my friends or to twenty read-
review or a prize, but it helped me push
ers? That was actually the early strategy.
forward in the book. It marked the
Writing for a very small audience, but a
moment when I felt myself transition-
steady one and a serious one, an audi-
ing from being an ordinary citizen of
ence of good writers. I began to create
the Republic of Letters into somebody
the body of work so that when I did
who was actually participating in pro-
have the opportunity to present work
ducing the material, into someone who
to a publisher, I actually had something
was doing literature.
to show. Online is where the audience
All said and done, I feel very fortunate.
is. It is where your work can be seen.
But none of that whole long history
And it is where it has a chance to make
changes anything when I sit down at
an impact.
my desk, facing an empty document. I still have to create a coherent sentence.
AG : Was there a seminal moment in your development as a writer – something or someone that helped propel you along your path ? TC In Open City, about half way through the book, Chapter 10. I had already sold the book and written
AG : In Everyday Is For The Thief the emotional level is almost visceral – it’s like a love story about Lagos. However, Open City, set in New York, is more intellectual. There is an emotional distance. What accounts for the difference ?
Everyday is for the Thief – I was sort of well on my way, but I had not published
TC I’ll speak about the difference
a book in the US yet. I was definitely
between the two narrators, because
having the ongoing conversation with
that’s what it really comes down to.
myself about whether I had a writing
There are two narrators whom I’ve
ability, whether I had talent, or whether
drawn close to each other and then at a
it was all just smoke. I remember the
slightly greater distance from myself –
day I wrote the tenth chapter of Open
close to me, but not me.
City and I showed it to one good friend.
Everyday Is For The Thief was about a
We’re talking about a chapter that is
guy exploring the experience of return-
77
From the left to the right : Jerusalem 2014. Photo credit Teju Cole
ing [to Lagos] in a more raw way. It is
reading and the films they are watching.
It’s like when you are printing something
clearly about a disenchanted love for a
It always seems that characters are too
you need cartridges of different colored
city. In Open City, there was a different
busy dealing with big stuff to actually
inks. Each of those thematic points is
kind of agenda at work.
read books and watch movies and do
like different colored ink so that if you
Open City is about mourning. It’s more
all the things that we do in our lives.
printed with just one ink you would get
like shell shock. I wanted to maintain
So I always try to include that texture
a vague outline of the picture. But if you
that mood all through the book. I
into my fiction. Just regular things like
print with all the inks together, that’s
wanted it to be kind of uncomfortable
names of books and names of authors.
when you get a fully fleshed out picture.
to read. You are immersed inside this
Sometimes I invent the name of a book
Cosmopolitanism itself hits at the main
world. There are a lot of beautiful things
or a film or a writer. For example, in
concerns of the book. But most of the
in it, but at the same time it is not fun
Open City one important book cited was
book, politically, does not attempt to
to be with someone who is mourning.
one called The Monster of Amsterdam,
come to a conclusion. It does not give
Then towards the end of the book we
which was written by Julius’s patient.
instructions about how to think. This is
also realize that not only has he been
It’s totally plausible – an academic book
a book that is shrouded in doubt. It’s
mourning but he has also been the
about early New York history – except
not in the business of giving a political
source of a certain grief to others. So the
that it doesn’t exist. Though it has
agenda.
emotional register I was exploring in the
occurred to me that I might now go back
books was different.
and attempt to write such a book. As far as Cosmopolitism goes, I just thought of
AG : You often reference books in your fiction. One you mention in Open City is Cosmopolitanism. Does its idea of universal plus difference reflect on a theme in the novel ?
all those books in general as creating an
AG : You are a photographer as well as a writer. Does one discipline influence the other ?
alternative shape of the story being told inside Open City itself. There is Gas-
TC I find a lot of the photography I’m
ton Bachelard, Tahar Benjelloun, Peter
doing these days does try to catch
Altenberg and Kwame Anthony Appiah
what is illusive. There is a feeling in my
-- almost as if they are dots that you
photographs that might be described
TC First, I have a certain interest in real-
can trace together and get an outline
as poetic -- something seen from the
ism -- a realism that has the texture of
of what is in the book. There are other
corner of your eye that is kind of blurred.
contemporary life. I notice a lot of nov-
motifs that recur in the novel -- passages
On the other hand, my writing is very
els leave out the books that people are
about birds, and passages about music.
descriptive, listing the facts of a situa-
78
tion in which there is not a lot happening in terms of big events. I’m not a war photographer or a wedding photographer or a portraitist. It’s observation about very small things.
AG : What seems especially relevant to you at this point in time ? TC What feels important to me at this moment right now is that all the work we are doing, all the discourse, all our arguments, all our efforts to make the world better – everything can be looked at from the point of view of having been finished already. In other words, a hundred years from now none of us is going to be remembered. We will be in somebody’s distant past. I don’t find this depressing. I find it kind of a relief because we get so caught up in thinking whatever is going on right now is the most important thing in the history of the universe. And it simply is not.
79
Teju Cole photo credit: Retha Ferguson
ART TALK
4° 3’ N, 9° 42’ O ou plus précisément 4° 0 43888’ N, 9° 742706’ O
Par Katja Gentric
Deux routes se croisent ici. Nous voyons
puisqu’un autre vient lui couper la
ne fait-on rien pour trouver une solution
le carrefour d’en haut : un poids lourd
trajectoire, détourne le regard. De temps
contre les embouteillages intermina-
de convoi exceptionnel, un camion
à autre une deuxième image vient
bles qui paralysent ainsi la plus grande
transportant du bois, camion-benne,
s’interposer : une hache tranchant du
ville camerounaise ? Pourquoi les gens
camion-citerne, bus, Land-Rover, mini
bois. Cette deuxième reste translucide,
sont-ils obligés de risquer leur vie pour
bus taxi-brousse, voitures avec porte-
parait se poser comme une ombre
traverser la ville d’un bout à l’autre ?
bagage sur le toit, un gigantesque
diaphane sur le remue-ménage sous-
Pourquoi tous ces pousse-pousse, ces
chargement de bois en pousse-pousse,
jacent. La vidéo porte le titre “Précarité”,
vélos, ces piétons porteurs de charges?
mobylette portant deux passagers,
elle est tournée en 2006.
Les voitures parviennent même à faire
vélos, vendeurs, leurs marchandises
demi-tour au beau milieu de ce fourmil-
sur la tête, piétons, enfants. Tous
L’intersection se trouve au cœur de
s’entrecroisent dans un flux ininter-
Douala . Achille Komguem , dont cette
rompu, rythmé, sans apparente règle de
vidéo porte la signature, s’interroge : “A
Alors que la précarité dans ce premier
priorité. Leurs trajectoires semblent les
chaque fois je me demande pourquoi il n’y
cas est traduite par le mouvement, le
amener fatalement à la collision, mais
a pas d’échangeur ici ” - le danger de ce
rythme, l’oscillation, Achille Komguem
ils s’évitent d’un fragment de millimè-
carrefour est pour lui signe de la plus
sait rendre cette même qualité percep-
tre à la dernière seconde. L’image est
grande précarité économique : pourquoi
tible dans des images immobiles, ou
rythmée, saccadée, oscillante, précaire,
1 — Il s’agit du tristement célèbre carrefour de Ndokoti à Douala
presque. Une bassine émaillée emplie
les mouvements sont rapides... Impossible de suivre des yeux un véhicule tout au long de sa traversée de l’écran,
80
1
lement!
2
3
2 — Katja Gentric, Allgemeines Künstlerlexikon, Band 81, Walter de Gruyter, Berlin, p.241. 3 — Achille Komguem, propos recueillis lors de l’échange du 10 juillet 2014, Espace Khiasma.
de bananes, observée au passage du temps, guettant les premiers signes du processus de pourriture, évoque para-
Pascale Obolo, La femme invisible, vidéo, 5’45, 2008 © Pascale Obolo
doxalement la même instabilité. Ces
la même année, 2006.
une position vertigineuse de change-
fruits gâchés lui inspirent avec tristesse
Ces courtes séquences nous conduisent à
ment simultané en trois dimensions
les enfants qui pendant les vacances
l’essentiel du nœud philosophique de l’image
: L’espace entre les choses est le plus
scolaires se font vendeurs de rue afin de
mouvement . Rythme, précarité, oscillation
instable de tous, s’étirant, se com-
gagner de quoi poursuivre leur cursus
deviennent le moteur qui entraîne et
pactant, s’effaçant. Dans la circulation
scolaire. Komguem reprend chaque
structure ce travail artistique, donne la
de la route, il peut se faire enveloppe
jour la même image, un lent zoom
pulsation initiale de l’image en mouve-
de protection (le carambolage évité
approche les bananes ayant entamé
ment . La précarité s’arme ici de toute
grâce à un espace maintenu entre deux
leur processus d’altération. Irrévocable-
l’inextricable complexité de sa significa-
voitures). Dans d’autres contextes, cet
ment nous sommes aspirés par leur
tion sociopolitique pour se faire principe
espace “entre”, volatile, devient lui-même
présence matérielle, se faisant progres-
artistique : sans incertitude point
véhicule de tout échange. Les paroles,
sivement plus décomposée, alors que
d’innovation. L’obstacle incontournable
les regards, les émotions s’échangent
l’enveloppe, cette peau épaisse, semble
impose sans pitié l’invention.
“entre” deux individus, dans l’espace
4
rester immuable en dehors du change-
entre deux visages, par exemple5 .
ment de couleur. Le rythme de cette
Faisons l’essai, pensons ces mêmes
Tout mouvement est ici réciproque : le
séquence est hypnotique, la continuelle
images “en creux” : tentons non pas de
mouvement dans un sens est déterminé
dégradation semble impeccable. Le seul
voir mobylettes et porte tout en tout
par ce qui vient en retour, un incessant
mouvement vif et aléatoire est le va-et-
genre mais les espaces entre ces véhi-
terrain de traduction.
vient furtif des mouches qui se posent
cules. Nous nous trouvons alors dans
sur les fruits en décomposition. La vidéo porte le titre “100 remords”, elle date de
81
4 — Gilles Deleuze, Cinéma, I. L’image-mouvement, Les Éditions de Minuit, Paris, 1996. Rappelons-le. Deleuze relit ici pour le cinéma Henri Bergson, Matière et Mémoire (1896)
5 — Cette idée a récemment été adoptée comme thème fédérateur pour une publication collective dédiée à la création artistique venant d’Afrique éditée par Marie-Hélène Gutberlet, The Space between us, (2013, Kerber Verlag, Bielefeld)
Toujours la circulation, le travail d’Achille
travail avec Samuel Fosso. Elle montre
tour”. Les sept artistes participants vivent
Komguem interpelle alors celui d’une
un court film avec le titre «Téléportation”,
alors les multiples aventures de la réalité
autre artiste, Pascale Obolo. L’ambiance
fait à l’occasion de l’invitation de Samuel
des restrictions administratives. Ce
a changé. Il pleut : jeux de reflets dans
Fosso à la Tate Gallery de Londres. Les
faisant ils inscrivent leurs actions artis-
l’eau, rideau de pluie, pan vitré couvert
œuvres de l’artiste (une série de photog-
tiques dans les villes qu’ils traversent
de gouttes, rendu opaque par la buée.
raphies, autoportraits en “ayant adopté
: de Douala à Cotonou en passant par
Une femme marche sur l’asphalte et les
l’esprit de” grandes personnalités venant
Lagos, de Lomé à Ouagadougou en pas-
pavés mouillés, nous sommes à Paris.
d’Afrique “African Spirits”, 2008) passent
sant par Accra, de Bamako à Douala en
Les bus et panneaux publicitaires se
sans problèmes les douanes. L’artiste en
passant par Dakar. Komguem reprend
glissent, se chevauchent comme des
chair et en os se voit pourtant refuser
la problématique dans une installation
couches superposées d’images. “La
le visa, nécessaire pour se rendre à
de 2009 “Visa-ge7 ” , une structure en fil
femme invisible” (2008), un film dans
Londres où son travail et ses multiples
de fer, une tête gigantesque, qui devient
lequel les surfaces sont amovibles, les
autoreprésentations peuvent être vus.
visage par l’incrustation de deux moni-
masques se frôlent, s’entre changent. La
Fosso élabore alors une mise en scène,
teurs de télévision, sur chacun est visible
bande son nous entraîne dans les pen-
une conférence de presse, comme s’il
un œil. Par le jeu de mots du titre, les
sées de la jeune femme sur le cinéma,
était à Londres. Selon sa démarche
deux possibilités restent ouvertes : le
et la possibilité d’un cinéma “africain”
habituelle, le déclencheur de l’appareil
visage comme lieu d’individuation d’une
dans un univers où l’industrie média-
à la main, il adopte la pose de “Samuel
personnalité et l’obtention ou non d’un
tique ne prévoit pas de place pour un
Fosso lors de la conférence de presse
visa, qui signifie liberté de déplacement.
visage venant d’Afrique. Tout se joue
à Londres”. Il se montre au moment de
Les deux possibilités improbables sont
ici dans l’espace à traverser entre deux
prendre la parole. Pascale Obolo qui
pesées.
visages : par exemple le mien et celui
accompagne cette performance avec sa
que le monde peut voir. Mais aussi le
caméra, filme un homme qui s’apprête
Les deux artistes Obolo et Komguem
mien et celui d’un autre que j’interpelle.
à parler, mais dont on n’entend jamais
frôlent avec chaque nouveau travail de
La précarité règne dans l’espace entre
les propos : un moment entre-deux,
cinéaste, de vidéaste le moment crucial
deux visages. L’interrogation de Pascale
intense, muet, d’une grande tristesse.
où le vécu bascule à l’image. Ils initient
Obolo est provoquée par le sentiment
L’image doit suffire pour parler à sa
ainsi le jeu entre précaires équilibres
que son visage, venant d’Afrique, ne
place.
et déséquilibres flagrants. Une fragilité
semble pas être vu en Occident. Elle ne
et une précarité comme un doute, un
trouve pas son double parmi les affiches
Achille Komguem a fait l’expérience
espace ouvert à l’invention. Ils captent
de l’industrie cinématographique, faut-il
des multiples précarités autour de
ainsi l’essentiel de ce que signifie
conclure sur l’invisibilité ? Sur le senti-
l’obtention d’un visa entre états africains
ment d’exil ?
à l’occasion d’une performance en 2006
l’expression “image en mouvement”.
6
dans le cadre de la Biennale de Dakar.
Ce texte est écrit suite à une rencontre-
Les deux artistes, Pascale Obolo et
Avec sept artistes associés au centre de
laboratoire conduite à l’Espace Khiasma
Achille Komguem ont chacun à leur
création ArtBakery, le voyage de Douala
le 10 Juillet 2014. Avec Achille Komguem,
façon réfléchi à la problématique de la
à Dakar est entrepris sous forme d’art
Pascale Obolo, Dominique Malaquais et
place de l’individu et sa dépendance
itinérant, sous forme d’action artistique
Dinah Douieb (voir http://www.khiasma.
administrative, qui restreint ses déplace-
performative, le projet s’appelle “Exit-
net/rdv/10-36’-n-14-20’-o/)
6 — Ce travail en réseau est le sujet de son intervention aux 3e Rencontres des Études Africaines en France en juillet 2014. L’étude de Komguem porte le titre “Exitour : Performance artistique itinérante : A pied et en bus, de Douala à Dakar, 07 artistes à la conquête de 07 pays”
7 — Dossier pour “Barrières, Une exposition d’Achillekà KOMGUEM Galerie MAM Douala Cameroun juin – Juillet 2009” transmis par l’artiste en 2013 : “Visa-ge”, Sculpture vidéo, fil de fer, cordes, fer, 02 téléviseurs incrustés, masques 350 x 250 cm, 2009
ments, qui détermine où il peut aller, qui il peut être aux yeux des autres. Pascale Obolo y donne expression dans son
82
Achille Komguem (Achillekà), Précarité, vidéo, 1’ 30, 2006. © Achille Komguem
83
PLACES
Zeitz MOCAA
le musée qui va propulser le cap sur la carte mondiale de l’art contemporain. Par Carole Diop Images : Courtesy of Heatherwick Studio
Bien qu’il n’ouvrira ses portes qu’à la
acquisitions.
lumière grâce à un toit de verre, selon
fin de l’année 2016, le futur Musée d’art
En plus de la collection permanente, le
les concepteurs du projet. Certains
contemporain d’Afrique Zeitz (Zeitz
Zeitz MOCAA abritera des expositions
compartiments des silos seront ouverts
MOCAA) fait déjà parler lui. Après le
temporaires. Il comprendra des centres
au niveau du sol et aménagés en
Bénin, avec le Musée d’Art Contempo-
éducatifs pour les enfants des écoles et
galeries d’exposition, tandis que d’autres
rain de Ouidah ouvert en novembre
les jeunes conservateurs de musées, et
logeront des ascenseurs. Communiquant
dernier à l’initiative de la Fondation
bien sûr les habituelles boutiques, librai-
avec le Waterfront, un amphithéâtre
Zinzou, c’est aujourd’hui l’Afrique du Sud
ries et cafétérias.
permettra d’accueillir des événements
qui est cette fois à l’honneur.
C’est sur le Waterfront, le vieux port
extérieurs devant le musée et un jardin
du Cap devenu un pôle commercial et
perché sur le toit du bâtiment offrira une
S’il existe en Afrique du Sud de nom-
touristique majeur où se retrouvent tous
vue imprenable sur la ville.
breux musées d’art, le Zeitz MOCAA
les visiteurs du pays, que sera implanté
Le plus difficile pour les concepteurs a
fera figure d’exception. Le bâtiment
le futur musée. L’architecte britannique
été de préserver le caractère historique
qui s’étend sur 9500 m2 répartis sur
Thomas Heattherwick a été choisi pour
des silos tout en créant un espace d’art
neuf étages, dont 6000 m2 de surfaces
relever le défi de transformer 42 anciens
répondant aux critères internationaux.
d’exposition, sera le plus grand musée
silos à grains (construits en 1921, et
Ils ont réussi à réinventer un musée dans
au monde dédié à l’art contemporain
hauts de 57 mètres) en un écrin pour
un contexte africain. L’architecture du
africain.
la création contemporaine africaine et
Zeitz MOCAA célèbre une Afrique qui
diasporique. Pour accomplir cette tache
préserve son propre héritage culturel,
Jochen Zeitz, homme d’affaire allemand,
dantesque Heattherwick a pu compter
écrit sa propre histoire et se définit selon
ancien président de Puma et aujourd’hui
sur le concours de partenaires locaux,
ses propres termes.
administrateur de Kering (ex-PPR) a cédé
Van Der Merwe Miszewski Architects,
sa collection d’art africain accumulée
Rick Brown & Associates et Jacobs Parker.
depuis 2002 pour les besoins de
En attendant l’ouverture du musée, une sélection d’œuvres de la Collection Zeitz
l’exposition et s’est engagé à prendre
Un espace en forme d’ellipse sera
sera exposée au Pavillon Zeitz MOCAA,
en charge les coûts de fonctionnement
creusé au centre du bâtiment pour créer
un espace d’exposition temporaire situé
du musée et à financer de nouvelles
un grand atrium qui sera inondé de
sur le port.
84
85
ART TALK
86
87
CONCEPT !"#$%""&'()'*'+",-.%*/"0'1"!*2%'*1 -H SUR¿WH GH WRQ DQQLYHUVDLUH GH GpFqV WRL O¶$vQp GHV DQFLHQV ¿JXUH HPEOpPDWLTXH GX FLQpPD GX FRQWLQHQW WX UHVWHV XQ SKDUH OXPLQHX[ TXL FRQVWLWXH XQH UpIpUHQFH SRXU OD SOXSDUW GHV UpDOLVDWHXUV DIULFDLQV 3RqWH KRPPH G¶KRQQHXU LQGLYLGXDOLVWH IDURXFKH PDLV GpIHQVHXU GH OD FRPPXQDXWp LQWUDQVLJHDQW VXU WD GLJQLWp HW WHV SULQFLSHV HW SRXUWDQW GpWHQGX HW MRYLDO TXDQG OH PRPHQW V¶\ SUrWDLW " 3HUPHWWH] PRL GH YRXV UDSSHOHU DXMRXUG¶KXL DYHF QRVWDOJLH OH WHPSV R QRV VDOOHV REVFXUHV DX 6pQpJDO YLEUDLHQW DX[ U\WKPHV GHV DYHQWXUHV GX µ¶0DQGDW¶¶ ¶¶;DOD¶¶ RX GH µ¶&HGGR¶¶ &¶pWDLW O¶kJH G¶RU GX FLQpPD VpQpJDODLV R ELHQ G¶DXWUHV j F{Wp GH OXL RQW SRUWp KDXW OH ÀDPEHDX GX FLQpPD VpQpJDODLV /¶(WDW IRUW HW SOHLQ GH FXOWXUH pWDLW Oj SRXU VRXWHQLU HW DFFRPSDJQHU O¶HVVRU GX VHFWHXU FLQpPDWRJUDSKLTXH VpQpJDODLV FH TXL OXL D YDOX VRQ U{OH GH SKDUH GX FLQpPD DIULFDLQ HW DXVVL j QRWUH SD\V XQH UHFRQQDLVVDQFH LQWHUQDWLRQDOH GDQV OH GRPDLQH GHV DUWV HW GH OD FXOWXUH $XMRXUG¶KXL FHV VRXYHQLUV DXUDLHQW XQ IRUW JR W G¶DPHUWXPH HW GH IUXVWUDWLRQV VL SURIRQGHV VL FH Q¶pWDLHQW HQFRUH OHV EHOOHV PRLVVRQV GH QRWUH FLQpPD ORUV GHV -RXUQpHV &LQpPDWRJUDSKLTXHV GH &DUWKDJH 7XQLV 1RYHPEUH HW GX )HVWLYDO 3DQDIULFDLQ GX &LQpPD HW GH OD 7pOpYLVLRQ GH 2XDJDGRXJRX )(63$&2 )pYULHU 0DUV 2XVPDQH WX FRQVWLWXHV VDQV QXO GRXWH XQ UHSqUH V U SRXU OD MHXQHVVH HW XQH ¿HUWp SRXU WRXWH O¶$IULTXH 7X pWDLV XQ +RPPH GH FXOWXUH WUqV HQJDJp YpULWDEOH FKHYDOLHU GHV WHPSV PRGHUQHV HW XQ GHV PRQXPHQWV GX FLQpPD HQ $IULTXH HW GDQV OH PRQGH 2XVPDQH WX DYDLV DWWHLQW OH VRPPHW OH SDUR[\VPH GH WRQ DUW DYHF WHV PXOWLSOHV GLVWLQFWLRQV 7X PpULWHV G¶rWUH IrWp SDU WRXW XQ SHXSOH WRXWH XQH QDWLRQ
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© Alexandre Gouzou
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Né en 1966 à Ogidi, Nigéria. À la fin de la guerre du Biafra, en 1970, sa famille s’installe à Lagos. En 1985, il est admis à la London International Film School, d’où il sort diplômé en 1990. En 2001, Rage, son premier long-métrage, est le premier film totalement indépendant de l’Histoire du cinéma britannique réalisé par un cinéaste noir à être distribué sur l’étendue du territoire national. Avec Ezra, en 2007, Newton I Aduaka remporte l’Étalon d’or de Yennenga au Fespaco, la plus grande récompense pour un cinéaste africain, puis il est invité à donner une Master class au festival de Cannes. One Man’s Show, le troisième long-métrage de Newton, qui vit actuellement à Paris, où il a cofondé la société de production Granit Films, avec Alain Gomis et Valérie Osouf. * Visionner la bande annonce : http:// vimeo.com/ondemand/onemansshow/76363848 Le mot de passe pour accéder à la video est : !"#$"%
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CONCEPT
SUNDUST Par Sean Hart Images extraites du court-métrage © Sean Hart
AVERTISSEMENT : Les entretiens et commentaires contenus dans ce programme constituent des éléments de divertissement. Les points de vue et opinions exprimés sont ceux des intervenants et représentent nécessairement ceux de MYDRIASIS ENTERTAINMENT, de l’une ou l’autre de ses filiales ou employés.
GENÈSE : Le 15 février 2013, à l’amphithéâtre de l’Université Marien Ngouabi, à Brazzaville au Congo, Sean Hart va à la rencontre de l’ écrivain sud-africain, André Brink, qui est invité par le festival international « Étonnants voyageurs » pour parler de son dernier livre « Mes Bifurcations ». Sean Hart veut créer une situation et l’enregistrer : une conversation entre son ami congolais : Ori Huchi Kozia et André Brink. Cette discussion aura lieu le 17 février 2013, de 11h15 à 11h45, avec pour point de départ une citation d’Angela Davis ( «Walls turned sideways are bridges» / «Les murs renversés deviennent des ponts» ). De cette conversation, Sean Hart va en garder 15 minutes, qui constituent la voix off de son court-métrage “SUNDUST”.
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RETRANSCRIPTION : ANDRÉ BRINK: Un mot qui peut m’accompagner n’importe où dans la vie. Parce que j’ai grandi entre les murs. Les murs de toutes sortes. Les murs... construits érigés par mes parents par ma société blanche au milieu de l’Afrique du Sud où il y avait toute sorte d’interdictions
endroit.
de restrictions
Atteindre quelques buts.
à tous les cotés
Je veux toujours aller plus loin.
pour m’indiquer qu’il est défendu d’entrer ici
Et pour ça il faut
de faire ça
pour retourner à notre point de départ
d’aller là
casser les murs.
et comment se comporter
Pour découvrir que les murs
afin de rester
qui étaient des limites
entre les murs.
qui étaient au début des barrières
On m’a donné toujours dès le début toutes sortes
des restrictions
d’indications de la destruction
qui m’imposaient
de l’horreur
une parcelle de la Terre
qui suivait
et essayaient de m’y confiner
si jamais
d’y rester
j’ose
en voulant
j’oserai
aller
transgresser
plus loin
sortir hors des murs.
en voulant
Et maintenant que j’ai presque 80 ans
passer outre
je continue toujours
pour moi c’est
je cherche toujours
une sorte de «moto»
et ça me donne une sorte de
pour une vie de
c’est plus que
de signifiances
impatience
je recherche toujours ce que je peux trouver signifiant
mais c’est quelque chose qui me pousse à l’intérieur
quelque chose qui n’est pas seulement ce qu’elle est
de ne rester jamais sur place
mais ce qui évoque
de n’accepter jamais que
la possibilité
je suis arrivé à n’importe quel...
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d’une autre vérité
qui t’ empêche d’aller vers autrui.
une vérité plus ample
Mais paradoxalement
une vérité
ça c’est la relativité de toute chose
une distance plus loin.
paradoxalement
Et c’est comme ça que j’ai continué
chez nous quand on met un mur c’est...
et comme je l’ai dit je l’ai déjà fait pendant des décennies
effectivement pour séparer deux zones
pendant toute ma vie en effet
pour séparer deux mondes
ça me donne cette impatience oui
pour bien les distinguer
mais aussi cet espoir
mais aussi pour se protéger
de pouvoir continuer
et la plupart de ceux qui érigent des murs
parce que je sais que
ce sont les riches
on peut toujours aller plus loin
qui ont des crocs
on n’arrive jamais à un but
qui ont des grands murs
à un point final
et qui se cachent derrière ces murs là.
chaque point où on arrive
Donc, ils se cachent aux yeux de qui ?
dessine et «défine»
Pourquoi ?
les possibilités d’autres points.
Et comment ?
C’est pas une angoisse,
Donc la notion même du mur...
c’est quelque chose de très positif
Mais ce que je n’arrive pas à bien saisir
c’est même...
c’est le fait que quand un mur est retourné, est renversé
c’est un enthousiasme
il devient un pont.
c’est une joie.
En quoi est-ce que un mur renversé peut devenir un pont ?
Pour trouver les raisons et les possibilités
ANDRÉ BRINK:
d’aller plus loin, de chercher plus loin
Vous avez dit : Pourquoi ?
d’arriver là où on n’a jamais été auparavant.
Parce qu’il est là.
Pour moi ça porte une sorte de satisfaction
Ces murs, ces limites
très spéciale
qui nous sont imposés de l’extérieur
très particulière
le plus souvent
et c’est ce qui m’aide à vivre.
ils ne vont pas de l’intérieur...
KOZIA : Si j’ai bien compris votre pensée au début les murs étaient un élément de coercition de limites sociales. ANDRÉ BRINK: C’est bien ça oui. KOZIA : Un élement d’interdiction. Un élement de limite
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ils peuvent être aussi des murs construits par la volonté de soi
finalement, ces même peuples les ont dépassés ou les ont
même
détruits.
de ne pas vouloir aller plus loin...
Donc ces murs deviennent à la fois
de vouloir s’imposer des restrictions, des limites.
des barrières physiques
Mais pour moi dès qu’il y a un mur
mais aussi des barrières psychiques
ça veut aussi dire la tentation
des barrières psychologiques.
d’aller plus loin ANDRÉ BRINK: Absolument KOZIA: De le franchir, de le dépasser ANDRÉ BRINK: Franchir, exactement KOZIA: De le dépasser. ANDRÉ BRINK: Et de voir ce qui se trouve à l’autre côté. C’est cette... curiosité... qui me pousse et c’est pas toujours plaisant, c’est pas toujours quelque chose de... de bien même. Mais c’est quelque chose d’inévitable, quelque chose de nécessaire sans cela il n’y aura plus de... de tentations. Il n’y aura plus de... de sentiment de vouloir pousser sa curiosité dans d’autres directions et comme je l’ai déjà dit plusieurs fois...
KOZIA: Donc, si... Qu’est ce qu’il faut d’abord détruire d’après vous ? Il faut d’abord détruire la barrière psychologique, psychique. La barrière abstraite ? Ou il faut d’abord détruire la barrière physique ? Qu’est qui précède ?
d’aller plus loin.
ANDRÉ BRINK:
KOZIA:
Parce que dès qu’on prend conscience
L’Histoire est pleine d’exemples qui prouvent, qui montrent de façon objective que les murs qui ont été bâtis qui ont été construits qui ont été érigés par telle nation, tel groupe, tel peuple
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Les deux. Et surtout, surtout les barrières abstraites. des restrictions, des murs, de n’importe quel genre pour moi ce qui est important c’est la volonté d’aller plus loin. De dépasser. De franchir. Et c’est justement dans l’acte de franchir des murs de les détruire
qu’on découvre que ce qui avait que ce qui créait au début l’illusion d’une limite d’une restriction peut devenir le moyen par lequel et au travers duquel on découvre d’autres espaces chaque fois quand un mur est détruit ça devient un pont c’est la destruction, c’est la franchise de... Spatiale
de ce que l’on ne connait pas encore
et les espaces pour moi sont toujours
et c’est là pour moi le dynamisme qui définit
posent toujours les défis à l’individu.
le mouvement primordial de la vie, d’être vivant.
La volonté d’aller plus loin.
Etre vivant ça veut dire que l’on est pas content de rester sur
La volonté de voir ce qui se passe de l’autre coté
place
et donc ...
et c’est pour ça que le mur renforce ce...
assez souvent on peut peut-être être déçu
ce besoin de confort, ce besoin de...
ces déceptions viennent de la découverte du fait que ce que l’on voit maintenant
KOZIA : Sécurité ?
ce n’est peut être pas tellement remarquable comme on le pensait auparavant
ANDRÉ BRINK :
mais
Oui
c’est l’acte de...d’aller plus loin.
Et le moment pour moi le moment où il y a sécurité
L’acte de franchir les murs.
où il y a certitude
L’acte de transformer des murs dans des ponts
où il y a la possibilité de...
qui...
d’accepter ce qu’il y a...
insère
d’accepter les limites
plus de...
ça veut dire en même temps
dynamisme
la nécessité de passer outre
d’énergie
de tester la validité des restrictions.
dans n’importe quelle situation parce que ce n’est pas
C’est pour ça que pour moi les murs ne sont là
pas toujours facile de franchir des murs.
que pour me rappeler toujours que
De se servir des murs comme des ponts.
ils sont là pour
Pour aller ailleurs
imposer des restrictions
afin d’explorer des espaces auparavant inconnus
mais ça veut dire en même temps
afin de...
la nécessité de trouver les moyens de...
de trouver
d’aller plus loin, de les dépasser
ce qui n’a pas encore un nom, ce qui n’a pas encore été défini
de se servir d’eux
et quand ça n’a pas encore été défini ça veut dire qu’on..
pour aller plus loin plutôt que d’accepter de rester sur place.
doit, qu’on peut
Les murs sont là parce qu’il y a quelqu’un d’autre qui essaie de
qu’il doit y avoir la possibilité
me contrôler
d’aller un petit peu plus loin afin de faire la découverte
de m’imposer des limites.
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Et c’est ça que je ne peux pas accepter. Parce que ce qui me rend être humain c’est ce qui définit mon humanité. Et c’est pour ça que je ne peux pas accepter la position de cet... Dès qu’il y a limite, dés qu’il y a mur je veux le tester, je veux voir si c’est nécessaire si c’est littéralement incontournable et je n’ai pas la mentalité de me résigner, d’accepter...
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CONCEPT
En fond de court de la mémoire et du temps, l’ironie comme amortie
Par Saad Chakali
« Je te le rappelle, tu t’en souviens » de Valérie Osouf
Image extraite du film : © Valérie Osouf
100
Deux verbes pronominaux, le premier transitif (rappeler), le second intransitif (souvenir) : comment une histoire donc passe et ne passe pas, transite ou non, directement ou indirectement, entre une femme (la réalisatrice) et sa grand-mère atteinte de la maladie d’Alzheimer. Et la première se trouve alors de fait à en savoir probablement un peu plus que la seconde sur des pans entiers de son existence personnelle. D’où que Valérie Osouf ait intelligemment privilégié dans son court-métrage le fait de parler et de poser ses questions dans l’éloignement physique d’un cadre occupé par le visage de sa grand-mère filmé en gros plan. Si loin dans l’espace et le hors-champ mais si proche d’un temps échappant à sa grand-mère en gros plan. Comme s’il fallait rendre perceptible le fait que, depuis une bouche à l’extérieur du cadre jusqu’à une oreille dans le cadre, la voix traversait autant un espace domestique que le temps en ses fractures coinçant l’objectif dans le subjectif (les dénis personnels entrant plus ou moins lointainement en écho avec les trous de la mémoire collective concernant les rapports conflictuels entre la France et l’Algérie) et ses béances impossibles (la maladie de la mort au travail qui surgira peu de temps après le tournage du film). Comme si, pour filer la métaphore tennistique chère à Serge Daney, les échanges en fond de court permettaient de rendre manifeste le terrain de jeu paradoxal de cette image-temps : celui d’une histoire longue divisée en deux par un filet qui est celui du cadre et qui partage le champ de l’entretien entre d’un côté la petite-fille sans visage qui se trouve au plus loin d’une expérience qu’elle n’a pas vécue mais dont elle rappelle des fragments entiers et de l’autre la grand-mère à l’extrême et troublante visagéité qui s’en trouve au plus près sans plus vraiment réussir à s’en souvenir. Sauf que cette dernière procède parfois par coupes intempestives, accomplissant de véritables amorties qui sèchent en laissant sur place autant son interlocutrice que le spectateur, par blague volontaire (par exemple ses moqueries concernant les prénoms familiaux qu’elle mélange) ou bien par fulgurance mémorielle ou mnésique (par exemple le numéro précis de la rue Michelet à Alger où elle a habité). Le terrible paradoxe voulant que la maladie d’Alzheimer elle-même détermine l’usage erratique et obscur d’une ironie qui autant coupe court aux échanges (de fond de court qui est donc celui du temps) qu’elle témoigne par contrecoup de l’absence de toute ironie caractérisant l’autre série filmique du court-métrage constituée d’images d’archives livrées en conséquence à leur plus accompli gâtisme. Alors que, dans Je te le rappelle, tu t’en souviens, le gros plan de visage d’une femme malade emportait avec lui le risque de saturer l’image d’un grain d’obscénité paralysant, l’ironie des renvois de balle en amortit la possibilité tout en la déplaçant du côté de la débilité sénescente du registre propagandaire du siècle dernier dont la série se joue sur le cours parallèle du film. Le caractère irrésolu dans l’usage de l’ironie ouvrant alors au visage lumineux et affaibli de la grand-mère de Valérie Osouf, littéralement filmé dans la phase ultime de son évanouissement, sur la blanche dimension dreyerienne de l’Esprit, ce grand Dehors dont on ne peut séparer de manière catégoriquement figée la part de conscience de celle qui appartient à l’impensé d’une subjectivité matelassée des disjonctions du siècle passé. Une subjectivité en grande proximité de celle d’Odette Robert, la grand-mère de Jean Eustache filmée par ce dernier dans Numéro zéro (1970).
Saad Chakali est assistant de conservation à la médiathèque du Blanc-Mesnil en Seine-Saint-Denis. Auteur sur Internet de plusieurs analyses sous le titre Des nouvelles du front cinématographique, il a été publié dans Vertigo, les Cahiers du cinéma, Images documentaires, Éclipses et Trafic.
« Je te le rappelle, tu t’en souviens » (2013) de Valérie Osouf Lien video ; https://vimeo.com/89479742 mot de passe : !"##$%"&$!#
101
CONCEPT
Correspondance filmique Entre Katia Kameli: photographe /vidéaste Et Pascale Obolo: rédactrice en chef/cinéaste
Arrivée au Frioul. Photo : Katia Kameli
Le Botanique à Bruxelles lors du festival de film ellestournent. Photo: Pascale Obolo
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Le Botanique à Bruxelles lors du festival de film ellestournent. Photo: Pascale Obolo
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Tara vue du zodiac. Photo : Katia Kameli
FOCUS
Les portes de la perception. Haïti ground zero de Michelange Quay Par Louisa Babari Images : courtesy of the artist
« Ceci est l’histoire d’un homme marqué par une image d’enfance » ainsi débute le film de Chris Marker, « La jetée ». Le dernier film de Michelange Quay, « Haïti ground zéro1 » évoque subrepticement une référence au film de Marker. Il est là le transport temporel, incarné non pas par un diaporama d’images mais par un travelling vertical de plans qui rappellent l’expérience sensorielle d’une descente dans les bas-fonds de la conscience, antichambre de la condition humaine, sous-sol cher au grand écrivain du ravin de l’âme, Fédor Dostoïevski. Iconographie politique haïtienne du XVIIIe, dessins et gravures de la période de l’Esclavage, patrimoines humains et bâtis des mégalopoles du XXI siècle (fourmilières humaines, architectures concentrationnaires) partagent un commun dans le labyrinthe vertical. Comme dans le film de Marker, les souvenirs ou plutôt ici les visions viennent dans le désordre, dans les sauts du temps, jetant le voile d’un 1 Haïti ground zéro, film disponible en sur vimeo. Pour accéder à la vidéo utilisez le mot de passe trailer.
106
fort contenu poétique qui est aussi le « brouillard des âmes ». Film court, « Haïti ground zero » est l’histoire d’un homme marqué par la question de l’origine et de l’existence d’Haïti. La question reste posée comme si elle était une genèse de la représentation et directement celle du régime des images. Suis-je ? Ai-je été ? Qui suis-je et que suis- je dans la matrice technologique, dans l’œil de la caméra de surveillance posée dans le couloir de la ville. La bande son sert cette œuvre d’anticipation. Voix off, bits electrorocks, electrovaudous d’une science fiction contribuent à ouvrir les portes de la perception. A Haïti, l’après-séisme ouvre une porte, ou plutôt une béance. Le vent fait entrer les spectres du passé et les démons de demain. Michelange Quay s’interroge : « Après un premier film et vu les limites et les possibilités du film d’Art et d’Essai, que peut-on encore dire et faire avec le séisme ? L’idée est là. Quand on parle des limites de l’Art et de l’Essai, c’est la question du public qui est évoquée. A qui parle-t-on d’Haïti ? Ghettoïsation d’Haïti et de sa culture. Je veux faire un film populaire. Je me pose la question moi-même : qu’entends-je par « film
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populaire ? ». L’arrivée du séisme annonce une nouvelle ère. Les institutions sont devenues des coquilles. La ville est appréhendée par la question de la reconstruction. Je ne sais plus au juste ce qui est évoqué encore. Le pays d’Haïti ou la situation du pays, son état ? Je pose la question de l’existence même d’Haïti. Qu’est- ce qu’Haïti ? Est- ce un épicentre comme l’Ukraine aujourd’hui ? Est- ce cela la Ville ? Dans mon précédent film « Mange, ceci est mon corps », la terre haïtienne ne s’émancipe pas de l’ère post coloniale. Haïti ne parle qu’une seule langue : la langue urbaine. Sur les réseaux sociaux, la campagne « SOS Haïti » utilise un langage urbain. La vie de la pensée et de la culture est abordée globalement par l’urbain. Les pays se mélangent et partagent leurs labyrinthes, quels que soient leurs territoires. L’ancienne colonie a un rapport avec le « Pays » dans un parfait tohu bohu. S’il y a quelqu’un que l’on cherche, c’est le lecteur du film. Réalité virtuelle et charnelle.
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Où est donc la chair ? Qu’est- elle devenue dans ces bidonvilles rendus mégalopoles. Le smartphone contemple le désastre. Dans le film, le réel du sujet est une invitation au démantèlement, l’image hypnotique invite à la transe, l’image de la route produit une perte de sens. Le rapport à une verticalité de l’image s’oppose au rapport d’acquisition, de débat que produit l’image horizontale. Le travelling vertical du film construit son propre labyrinthe. Le titre « Haïti ground zéro » ne se rapporte pas seulement à l’île mais au complexe tendu entre le pays riche et le pays pauvre. Chris Marker prend l’image comme un document dialectique, une science-fiction, une hypnose volontaire, voulue. J’utilise la musique comme un élément du débat qui questionne le ressenti du spectateur. Musique fusion-musique d’anticipation qui interroge l’essentialisme du rock ? Du vaudou ? Qu’est- ce que le présent ? Comme dans le prologue de « Mange ceci est mon corps », l’énigme perdure.
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LABRAIRY
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Michelange Quay
Né en 1974, de nationalité américaine et d’origine haïtienne, Michelange Quay, obtient sa licence de cinéma à l’Université de New York, ainsi que sa licence d’Anthropologie à l’Université de Miami. Il est diplômé en réalisation à la prestigieuse Tisch School of Arts. En 2002, il est le réalisateur lauréat de la Résidence Ciné fondation du festival de Cannes, où il commence l’écriture du film Mange, ceci est mon corps. En 2004, il réalise L’Evangile du cochon créole, un court-métrage de 35 minutes, présenté dans la sélection officielle du festival de Cannes en 2004. Il reçoit aussi le prix du meilleur court-métrage au festival de Locarno, Stockholm, Milan, Rio de Janeiro, Sao Paulo et au festival de Tokyo CON-CAN Movie. En 2008, sort son premier long-métrage, Mange ceci est mon corps. Le film est sélectionné aux festivals de Sundance 2008, Tokyo Filmex 2007, Toronto 2007 et Edinburgh 2008. Il obtient le Grand prix au Festival International du film de Miami. Haïti ground zéro est son dernier projet avec lequel il réalise un prologue de cinq minutes qui amorce la composition de son prochain long-métrage. 111
PORTFOLIO
“The flower” by Rehema Chachage
This artwork uses the motif of ritual performances to
‘The flower’ takes (visual) inspiration from the ritual of
explore nuances in gender, generation, and sexuality. My
Henna, -a ritual mostly found in the coastal regions of
curiosity with rituals started with a personal interest in
Tanzania, and rooting from the Swahili coast history of
historical (herstorical rather) narratives that rooted from
being crisscrossed for centuries by merchant vessels bearing
personal stories of my mother’s, grandmothers’, and great
traders and adventurers from the oriental and the middle
grandmother’s generation of hardship due to discriminatory
east and later on intermarrying with the natives, fusing their
social, economic, and political systems. They used cultural
own traditions with the Swahili. Henna’s traditional decorat-
and spiritual ritual and performances such as rites of pas-
ing purposes vary from culture to culture, closely tied with
sage—birth, marriage, death, etc. as mediums for molding,
rituals around weddings, circumcision, pregnancy, and birth;
resisting and subverting the status quo. One can easily look
for good luck and protection from the ‘evil eye’ and ‘jinis’
for clues in ritual performances, where factors such as class,
(malignant spirits, or “genies”); female camaraderie and
generation, gender construction and other identity forma-
beauty.
tions are inscribed and demonstrated.
Rehema Chachage (b. 1987, Dar es Salaam, Tanzania) graduated in 2009 from Michaelis School of Fine Art, University of Cape Town where she received a Bachelors of Arts in Fine Art degree. Solo shows include Mshanga, Nafasi Art Space, Tanzania (2013); Orupa Mchikirwa/Mshanga, Akiyoshidai International Art Village, Japan (2012); Chipuza, Goethe Institute Tanzania (2010); Haba na Haba, Michaelis School of Fine Art (2009). Group shows include Where we’re at! Other voices on gender, Bozar, Brussels (2014); STILL FIGHTING IGNORANCE & INTELLECTUAL PERFIDY: Video Art from Africa, Ben Uri Museum, London (2014); Featured in Africa Masters: Rising Stars (Tanzania). The African Channel, UK (2014); 18th International Contemporary Festival VIDEOBRASIL, Sao Paolo (2013); Malmo Konsthall, Sweden; 28th edition of VIDEOFORMES, Clermont-Ferrand, France; Motorenhalle, Dresden, Germany; Kunsthalle Sao Paulo, Brasil (2013); WOMAN, Nafasi Art Space, Tanzania (2013); Dak’Art African Contemporary Art Biennale, Dakar, Senegal (2012); Story on Story, Akiyoshidai International Art Village, Japan (2012); East African Art Biennale, Tanzania (2011), Global City-Local Identity, Ebrahim Building, Dar es Salaam, Tanzania (2011)
112
8*+#&.)-'%3'%2+'+E+'E3,$'9+.*+('1#".*.#$'$+)(+$+(',)@+F G)3H) >'@*#)G+%'31'63*3$'&3'&),-*E'2,--.)-'#&'.1'.%'H+$+'E3,$' &+63)('&G.)' :+#,%.1,**E'/#%%+$)&'%$#6+('3)'E3,$'*."@&'#G.)'%3'%2+' @*33".)-'31'#'6$++/.)-'9.)+ I#$@+('#&'#'&+)&,3,&'H$#//+$'31'"3(+&%E'%3'H2.62'E3,' #$+'/#$%.#**E'@+23*(+) J3'%2+'$.%,#*'31'/*+#&.)-4'#'H+(-+'13$'%2$.9.)-'.)'#'H3"#)0&' &%#%.3)'
113
PORTFOLIO
“Parce que ! Because !” ( making off )
!"#$%&"'$("#) *+$%,#&&'%(-)%$.#-/$)(&$ 012&-$3$4!"#,&$56&$78$9$:+*;$ !&#.-#/"',&$2&$<6'1-#$"/"'=" >1&6$3$?#"@@"01>>&$A$,-'=!#-26,)1-'3$$%&"'$("#)$B$ /C2#1"%1%$&')&#)"1'/&')
de cette image et l’amène à s’interroger
Cette œuvre n’ayant pu exister sans
sur la nature de celle-ci mais également
la rencontre entre Sean Hart et Junior
à se poser la question du «Pourquoi».
Amanga il a également été convenu que
En mars 2013, à Brazzaville, au Congo,
Sean Hart reverse à Junior Amanga 50%
Sean Hart rencontre Junior Amanga, un
des bénéfices tirés du prix de vente de
sculpteur natif de Kinshasa ( appelée
cette œuvre ».
Léopoldville entre 1881 et 1960, sous l’ Empire colonial Belge ), et lui passe commande d’une statue en bois à l’image de l’oeuvre «Parce que!». Il va filmer le processus de fabrication et en réaliser un « making off » musical. SEAN HART (1981) MIXED MEDIA ARTIST : Extrait de la « Lettre d’Engagement
En quelques années, Sean Hart, a con-
Morale», signée en deux exemplaires
struit une œuvre poétique et intrigante,
de bonne foi entre Sean Hart et Junior
aux limites de l’art conceptuel et de l’art
Amanga à la date du 20 mars 2013 à
urbain. C’est “à visage et à nom décou-
Brazzaville, au Congo :
vert” qu’il travaille majoritairement
« Moi, Sean Hart, auteur de l’œuvre «
illégalement et en indépendant dans
Parce que! » ( Dessin original représent-
les villes du monde entier. En flâneur et
ant « Tintin au Congo » mort ), créée en
voyageur il se forge hors des frontières,
2004, atteste sur l’honneur avoir passé
qu’elles soient physiques et/ou mentales.
30x40cm.
commande à Junior Amanga, d’une
Son travail embrasse une multitude de
sculpture en bois à l’image de l’oeuvre
médias (photographie, installations,
En 2004, avec un travail au titre énigma-
originale « Parce que! ». J’ ai remis à
performances, vidéo) et se nourrit de
Junior Amanga la somme de 40.000
ses voyages et rencontres, proposant un
francs CFA pour la réalisation de cette
univers oscillant entre poésie et politique,
sculpture. Il a été convenu entre Junior
fiction et registre documentaire.
Amanga et moi, Sean Hart, que cette
L’ensemble de sa démarche, à travers tous
sculpture constitue une œuvre d’Art
ces dispositifs sensibles insérés dans le
originale créée en collaboration artis-
réel, réunit les pages fragmentées d’un
tique. Cette œuvre d’Art originale est
journal intime. Un carnet de route qui
donc signée à juste titre des noms de
questionne, partage et incite à la flânerie,
leurs deux auteurs, à savoir le nom de
invite au voyage.
Installation 1 Sculpture en bois d’Or ( Forêt du Mayombe) peinte. 1 Vidéo HD. ( Couleur / son ). 5:12min 1 Dessin encadré. 30x40cm. 1 Lettre d’engagement morale encadré.
tique, « Parce que! » Sean Hart donne à voir sous forme de coloriages géants qu’il colle dans l’espace public, la mort d’une icône de la culture populaire, le personnage de « Tintin » lors de ses aventures au Congo. Le dessin reprend le style du belge Hergé, dessinateur et auteur de « Tintin ». Ce choix stylistique, volontaire, contribue à créer chez le spectateur une confusion dans la lecture
114
Junior Amanga et le nom de Sean Hart.
115
116
117
PORTFOLIO
Praises 2015
(work in progress) !"#$%&'#(&)*
improviser Dominique Lentin ) are so
physical and/or mental borders. His work
++#$,)%%'$(-*#.)-/#*(%##
many elements moving the video of a
covers a multitude of media (Photogra-
012%-#3#4)&1$%$#+567#89-):#
strict documentary observation, towards
phy, Installations, Performances, Video)
1'#4)-;)%$$<##
a dreamlike composition. The shooting
and feeds on its journeys and meetings,
of « Praises » took place in November,
proposing a universe oscillating between
4%).-)/%2#!"#$&=1/#>#$%?$(#># 2012 in a building abandoned in the «
poetry and politics, fiction and docu-
)--*$#%/41)%
Hillbrow ». In the 1970s Hillbrow was a
mentary. Its whole approach, through
=-,&*1-'#3#$%'%;&=#>#2&:&)@
rich and indicated district « whites-only
all sensitive devices inserted into reality,
=&';?&;%#3#!-2"#=&';?&;%
». In thirty years, this become white dis-
combines pages coming from a personal
4)-2?,%2#!"#$%&'#(&)*#A#
trict « grey-area », promising crossroads
diary. A log book which questions, shares
/"2)1&$1$#%'*%)*&1'/%'*
of new South-Africa, was transformed
with others and incites to the “Flânerie”* (
one « no-go zones » eaten away by the
strolling ) , invites for a journey.
Praises (2013)- 12:57min
criminality. Poor, it is considered in all
*”Flânerie” refers to the act of stroll-
Video projection : HD (B&W / Sound)
South-Africa as one of the most danger-
ing, with all of its accompanying
Language : Englis / Subtitle : French
ous districts of country but it is before
associations.”Flâneur”, from the French
any a « planet » shaped by the History
noun “ flâneur “, means “stroller”,
« Praises 2013 » Begin with a warning:
of the country. It is dangerous certainly,
“lounger”, “saunterer”, or “loafer”. It car-
« The footage in this film has not been
but fascinating and under estimated,
ried a set of rich associations: the man of
sped up in any way ». The precision is
because it is livened up of there one
leisure, the idler, the urban explorer, the
considerable because during the movie,
overflowing energy. « Praises » raises
connoisseur of the street. Charles Baude-
the virtuosity and the speed with which
up a portrait of this energy by focusing
laire wrote : “ For the perfect stroller, for
the dancers run leave stunned. Some
on the personality of 7 young people «
the passionate observer, it is an immense
moments were even slow to appreciate
Krumpers » of Hillbrow: Slad, Kardelo,
enjoyment that to take up residence in
better the beauty of the movements
Betrothed, Sifuye, Lens, Nemie and
the number, in the rippling, in the move-
which compose « Krump ». Inspired by
Achie.
ment, in the fugitive and the infinity.
African dances, this dance was born in
« Praises 2015 » shoot in Dakar is the
Be away from one and nevertheless feel
the low districts of Los-Angeles during
sequel « Praises 2013 »
everywhere at home; see the world, be in
1990s by the young people of ghettos to
the center of the world and remain hidden
escape the violence, the drugs and the
SEAN HART (1981) MIXED MEDIA ARTIST :
from the world “. Associating the stroll has
gangs. At first sight, the fervent chain
In a few years, Sean Hart, has built a poetic
an independent, passionate, impartial
of jerky movements, which moves the
and intriguing work, at the limits between
spirit.
whole body, seems improper, close to
Conceptual Art and the Urban Art. It is “
the epileptic fit. The situation scenario in
on face and on bare name “ that he works
a space destroyed and loaded of History,
mainly illegally and in independent in the
the framing, as well as the disturbing
cities of the whole world. As a stroller and
music and arrhythmic ( of the musician
traveler he builds up himself outside the
118
www.seanhart.org
119
PORTFOLIO
ALTER
Par Laura Nsengiyumva Alter (2012), c’est la reconstitution et la déconstruction d’un geste. Toujours en jouant sur la part universelle des événements autobiographiques de ma vie, cette installation-vidéo reconstitue le moment précédent une altercation avec l’un de mes professeurs. Dans une démarche thérapeutique, les deux protagonistes décortiquent le geste ayant déclenché le différend. L’image est déconstruite, accélérée ralentie, et exprime la violence ressentie et l’affection à l’origine de ce geste. Ce portrait questionne l’invisibilité d’une majorité et les actes créant de l’altérité. “Ce triptyque de vidéos joue sur la décomposition et la répétition d’un geste. Les 10 secondes choisies prennent comme point de départ le drapeau belge, part de mon identité troublée par cette main qui s’introduit dans le cadre. Le geste peut paraître tendre, violent, ou neutre selon les différentes vitesses. Mais toujours, renvoie-t-il à une altérité supposée par l’auteur de ce geste.” Laura Nsengiyumva Laura est une artiste rwando-belge. Née à Bruxelles en 1987, elle commence à explorer la technique de vidéo d’art en 2011 durant ses études d’architecture. « Je suis la première consommatrice de mon art, c’est cathartique. Mais je peux dire que mon désir secret est de commencer par mon individualité pour atteindre l’universalité, à la recherche de ce qui nous rassemble. »
120
121
PORTFOLIO
MCMO
PAR GEORDY ZODIDAT ALEXIS !&#.-#/"',&$!6?>156&
tion. Cependant, au fur et à mesure que
Geordy Zodidat Alexis
!#-<&,)1-'$012D-$3*E/1'FG
s’approche du cou le plan de machette
a bâti son travail autour de pratiques
- qui est considéré comme véritable
artistiques protéiformes, en utilisant des
McMo (2013) aborde la question de la
par l’œil - s’esquisse un mécanisme de
médiums tels que la danse, la musique et
mondialisation à travers des éléments
survie. Ce dernier est l’état d’urgence
l’installation, le dessin et la performance.
qui sont inscrits dans l’imaginaire col-
de l’instinct, il se manifeste dans l’acte
Diplômé de l’École Supérieur des Beaux- Arts
lectif. L’image est sans aucun doute un
par la colère psychique et physique.
de Montpellier en 2011, ses expériences artis-
outil de propagande pour nombre de
Vêtu d’un long Tee-shirt jaune et d’un
tiques sont portées par son héritage culturel
multinationales. Nous évoluons dans
pantalon rouge, couleurs chargées en
mixte issu des mœurs de vie de l’Europe et
une société où les détenteurs d’un pou-
symbole, le corps vibre. Il se tient droit,
des Caraïbes. Né en 1986 en Guadeloupe
voir nous inculquent des idées, que nous
rigide, immobile sur un tissu noir, tel le
et résidant actuellement à Montpellier, sa
digérons comme vérité au fil du temps
signe d’un deuil ou encore celui d’une
pratique confronte les idées de plusieurs
; c’est ainsi que naît le formatage. Cette
immense tristesse.
cultures pour en faire émerger de nouvelles
performance s’intéresse à la relation que
«J’ai fait ce choix pour la mise en
pensées. Son regard ouvert et conscient
nous avons, ou pouvons avoir avec la
lumière de l’action, sa progression qui
sur le monde dans lequel nous évoluons
mort sous différentes formes. Comme
laisse croire à un point de non retour.
nous questionne sans cesse sur la mémoire,
être l’acteur passif d’une mise à mort, ou
L’expression du visage et l’évolution du
l’histoire, comme autant d’éléments qui nous
encore, être empoisonné donc soumis
geste qui nous ramènent sans doute à
guident dans notre rapport au monde actuel.
à une perte de vie lente, et être consci-
notre caractère le plus humain, à une
Son travail fait l’objet d’une présentation
ent de se donner la mort. L’orchestration
certaine fébrilité, fragilité de la notion de
sur la scène nationale et internationale : La
de la parole et du geste est inévitable-
vie. » Geordy Zodidat Alexis
Panacée en 2008, Galerie Aperto en 2013,
ment reconduite encore et encore, elle
Palazzo Barone Ferrara, Mediterráneo Cen-
relève du machinal, joue de la répéti-
tro Artístico en 2014...
122
123
PORTFOLIO
Futur
Par Katia Kameli Futur (2014), est une dérive psychogéographique conçu à partir de la perception de leur territoire des employés de Futur Telecom, une entreprise basée Marseille. Il s’agit d’une interprétation non linéaire de leur environnement social et urbain qui nous mène de Gardanne à Martigues en passant par la mythique plage du Prophète.
Katia Kameli vit et travaille à Paris.
En 2012, un reçoit un prix de Delfina Foun-
Son travail exprime l’entre-deux,
dation pour une résidence à Londres.
l’intermédiaire où le signe d’appartenance est rejeté au profit de la multiplicité. Son
Son travail a trouvé une visibilité et une
positionnement est celui de l’hybridité,
reconnaissance sur la scène artistique et
le « tiers-espace » qui rend possible
cinématographique nationale et interna-
l’émergence d’autres visions, de positions,
tionale : Centre Georges Pompidou (2008),
de formes. Ce tiers-espace dérange les his-
Cinémathèque Française (2007), Centre
toires qui le constituent, il les place en état
d’art contemporain de Tel Aviv, Galerie
critique, il permet donc une réécriture,
Anne de Villepoix, Rotunda Gallery, New
des allers-retours entre « l’Histoire » et les
York, Biennale de Seville (2008), Mani-
« narrations ». Les formes hétérogénes
festa 8 (2010), Cornerhouse, Manshester,
qu’elle manipule, vidéo, photographie,
Rencontres de Bamako (2011), Biennale
installation, dessin, participent aussi à ce
de Marrakech, Biennale de Dakar (2012),
déplacement.
Musée d’Art Contemporain de Marseille (2013), Taymour Grahne Gallery NY, Bozar
En 2007-08, elle est lauréate du programme, Paris-New York, CulturesFrance et part en résidence à Location One, NY.
124
Bruxelles (2014)
125
ARCHITECTURE
Urbanite et cinema africain le cas de Dakar
Par Carole Diop
« Une ville finit par être une personne »
Les grandes métropoles occidentales
Robert Christian et Paulin Soumanou
disait Victor Hugo. Il ne croyait pas si
sont donc largement représentées au
Vieyra). Dans cette œuvre, la question
bien dire, en effet pour certains réalisa-
cinéma, mais qu’en est-il de la représen-
de la représentation du continent se
teurs, la ville n’est pas un simple décor
tation des métropoles africaines ? Quel
pose d’emblée, les réalisateurs sont
mais un personnage à part entière.
regard les cinéastes africains ou étrang-
confrontés à un paradoxe déconcer-
ers portent-ils sur les villes africaines ?
tant: montrer l’Afrique avec des images
Tout le monde se souvient du New York
tournées à Paris.
de Woody Allen dans Manhattan, de
Pour répondre à ces questions, il faut
S’il est vrai que le cinéma existait en
celui de Martin Scorsese (Taxi driver,
d’abord remonter aux origines du
Afrique bien avant cette expérience, le
Gangs of New York, Les affranchis) ou
cinéma africain.
encore celui des Spiderman de Sam
Selon la généalogie d’Andrée Gardies ,
Occidentaux, entre cinéma colonial et
Raimi. Paris, la ville lumière, a aussi été
l’aventure cinématographique africaine
cinéma ethnographique. Deux genres
filmée sous tous les angles. La capitale
naît en 1955, avec le film Afrique sur
que l’on peut qualifier de « paternalistes
française est d’ailleurs la ville la plus
Seine. Tourné à Paris ce film est issu de
et prosélytes » et qui ont contribué à
filmée au monde. De François Truffaut à
la collaboration de quatre réalisateurs
une « falsification de l’histoire juste des
Cédric Klapisch, en passant par Jean-Luc
(Mamadou Sarr, Jacques Melo Kane,
peuples », pour citer un commentaire du
Godard, nombre de réalisateurs en ont fait le décor privilégié de leurs films.
126
continent n’est alors filmé que par les 1
1! "#$%&!'(%$)*+,!!"#$%&'()*+,-"./0(#1"-0(,-&#21341#05( 6*0'3&20(%"-1"-,!-./(%0(11(#,!2(%)+,!34546!
film Afrique sur Seine. Il faut attendre 1963 pour que Ousmane
Image extraite du film "Borom Sarret"- Vue d'ensemble de Dakar
Sembène réalise Borom Sarret, marquant
les films du début des années 60 con-
concentrer l’attention sur les acteurs ?
le vrai début du cinéma africain car
stituent une réponse au cinéma colonial,
Les ensembles (vues aériennes ou cav-
tourné en Afrique. Les cinématogra-
la jeune génération de cinéastes elle,
alières) sont très peu présents. Mais des
phies africaines se développeront dans
a délaissé le style proche de l’essai des
scènes de rue permettent de satisfaire
presque tous les jeunes Etats d’Afrique
précurseurs (Ousmane Sembène, Paulin
ces besoins d’espace. Certains scénarios
de l’Ouest. Le cinéma sénégalais
Soumanou Vieyra, Djibril Diop Mam-
se construisent autour d’un itinéraire
représente depuis cette époque l’une
béty) au profit de fictions répondant aux
au cours duquel le héros franchit
des cinématographies africaines les plus
standards occidentaux comme Dakar
des épreuves. Ces films promenades
riches. C’est précisément, sur les ciné-
trottoir, sorti en 2013, réalisé par Hubert
donnent de la ville, une description par-
astes sénégalais, que nous allons nous
Laba Ndao.
ticulièrement intéressante.
miner comment le regard qu’ils portent
Une chose cependant n’a pas changé au
Parfois, enfin, l’espace se traduit par des
sur leur pays et plus particulièrement
fil des années. La manière dont les ciné-
symboles : rues, voitures, bordures de
sur la ville de Dakar a évolué depuis les
astes expriment l’espace, les paysages
trottoirs signifiant les déplacements. Les
indépendances.
sont peu utilisés, les plans généraux sont
buildings symbolisent le centre-ville,
En 50 ans, Dakar est devenue une métro-
rares. Les cinéastes y renoncent-ils pour
avec son activité tertiaire, les villas et
pole de plusieurs millions d’habitants. Le
des raisons techniques, par manque
leurs beaux jardins, le luxe bourgeois.
cinéma sénégalais a lui aussi changé. Si
d’intérêt pour le paysage, par souci de
Si certains films décrivent une ville
concentrer. Nous tenterons de déter-
127
ART TALK
Ci-dessus :Image extraite du film "Borom Sarret"- Plan sur un bidonville Page de droite, de haut en bas : Images extraites des films “Touki Bouki” et “Badou Boy”
bourgeoise de quartiers riches, d’autres
peinture de la vie quotidienne, dans
prostituées dealers, et malfrats en tout
abordent la pauvreté, comme Borom
les bidonvilles de Dakar des années
genre.
Sarret. Si les dernières séquences du
postindépendance. Le contraste est
S’il ne dissimule pas les conditions
film offrent une vue d’ensemble sur
saisissant. Près de 10 ans après Borom
précaires de certains habitats, le cinéma
les immeubles du plateau, centre ville
Sarret, Djibril Diop Mambety sonde la
proclame la richesse de la ville.
de la capitale sénégalaise, Sembène
même problématique avec Badou Boy.
ne montre pas uniquement ce quartier
Dans ce film, les plans des bidonvilles
L’architecture tient également une place
riche où se dressent des immeubles,
dakarois sont pris avec le recul des
importante. A en juger par les contre-
dignes des constructions occidentales.
ruelles. Dakar trottoir d’Hubert Laba
plongées magnifiant les buildings de
Son film, chronique d’une journée
Ndao dresse lui aussi un tableau plutôt
Dakar dans Touki-Bouki de Mambety
d’un pauvre transporteur qui véhicule
sombre de la ville. Le réalisateur dévoile
ou dans Borom Sarret de Sembène, le
clients et marchandises dans une
au spectateur un « Dakar by night »
plan de demi-ensemble du porche de
charrette attelée à un cheval, offre une
en proie à la violence, où évoluent
l’Assemblée nationale dans Badou Boy.
128
129
DESIGN
L’oasis urbaine
un amenagement ephemere et mobile Par Carole Diop Photos : © Sandrine Dole
Imaginée par Sandrine Dole, « l’Oasis
à Madagascar, chambres à air usagées et
deux types de format :
urbaine » est un îlot de bancs publics
chutes de sangles de voiture au Maroc).
- petits et bas pour une assise près du
végétalisés. Elle offre aux passants un
sol courante au Maroc et accessible aux
moment de détente, de poésie et de
Les carcasses en bois des bobines de
enfants, avec une végétalisation légère ;
convivialité au milieu du tumulte urbain
câbles (tourets) sont le matériau princi-
- grands et hauts pour une station assis-
et explore une forme d’aménagement
pal de « l’Oasis ». Ces bobines se trouvent
debout plus immédiate, avec un large
éphémère qui prend en compte les pra-
dans les chantiers de construction et de
espace pour la végétalisation.
tiques sociales locales.
voirie, très nombreux au Maroc et en par-
Les plantes sont sélectionnées pour leur
L’installation interagit avec les sites loin
ticulier à Marrakech. Les dimensions des
signification dans la culture locale, leurs
d’une disposition rectiligne systéma-
bobines sont variables, les plus impres-
qualités plastiques (feuillage, ombrage,
tique et exploite les différentes vertus
sionnantes dépassent deux mètres de
couleur…), leurs dimensions permettant
de la végétation au-delà de leur simple
diamètre, mais le principe de transforma-
une utilisation confortable des bancs et
fonction décorative. Lorsque « l’Oasis »
tion est simple et rationalisé. En fonction
leur robustesse (manipulation, climat,
disparaît, son souvenir invite les autorités
de l’état des bobines récupérées, elles
arrosage…).
locales à revisiter l’aménagement d’un
ont été soit vernies pour laisser le bois
site en particulier, et des espaces verts en
apparent, soit peintes en vert pour rester
« L’Oasis urbaine » était installée pour la
général, dans une approche multidiscipli-
dans l’idée du jardin et faire un clin d’œil
première fois dans le cadre de deux festi-
naire approfondie.
aux bancs publics. La disposition des
vals internationaux :
bancs dans « l’Oasis » permet à la fois
- La clôture de la 5e édition de la
Ephémère et facile à réaliser, l’ « Oasis
de créer une touffeur de plantes et une
Biennale de Marrakech. Festival inter-
urbaine » s’adapte quel que soit le site.
impression d’aléatoire qui rompent avec
disciplinaire associant arts visuels, arts
Les matériaux nécessaires à sa réalisation
l’environnement urbain, d’offrir des zones
vivants, cinéma-vidéo et littérature, cette
se trouvent localement (bobines de chan-
de convivialité entre les utilisateurs mais
édition demandait : « Où sommes-nous
tiers). La designer est une habituée du
aussi des espaces plus intimes, et enfin de
maintenant ? »
recyclage et du détournement dans ses
faciliter la circulation au sein de l’espace
- L’ouverture de la 8e édition des rencon-
projets (palettes au Burkina Faso, cageots
et autour. Les bancs se présentent dans
tres d’Awaln’art.
130
Designer française, Sandrine Dole exerce
bois, des matières nobles aux matériaux
dans une logique de développement
recyclés.
durable qu’elle a dénommée « Design in
Elle met son grain de sel partout : objets
situ ». Elle rayonne depuis 1999 en Afrique,
de ville, de maison, du corps… Elle tisse
d’abord à partir du Cameroun, puis du
le lien avec d’autres disciplines créatives,
Maroc où elle s’est installée en 2006. Elle
de l’architecture aux arts du spectacle.
se focalise sur l’humain en se nourrissant
En 2012, elle a lancé sa propre marque,
des coutumes ancestrales comme des
ALINFINI, qui transforme les ceintures de
mouvances actuelles, sans pour autant
voiture en accessoires haute couture.
oublier les enjeux environnementaux et les contraintes économiques. Spécialisée
Plus d’informations sur :
en artisanat, elle explore ce secteur avec
http://sandrinedole.free.fr/
une curiosité insatiable et une rigueur toute industrielle. Elle fait feu de tout
131
ART TALK
132
133
ART TALK REVIEW EXHIBITION
Baptist Coelho under my skin... under your skin a selection of video works 2006 — 2011 curated by Lina Vincent Sunish By Nosana Sondiyazi
In March 20th, 2014, the screening of “under my skin... under your skin” took place at Greatmore Studios, in the heart of Woodstock, here in Cape Town. The screening was followed by a public discussion with the artist and moderated by Nosana Sondiyazi, a poet based in Cape Town. Greatmore Studios hosts an eclectic array of art & artists and was established in 1998 as a base for local and international arts practitioners from a broad range of cultural backgrounds. The studios have a long history of collaborative arts practices, social innovation and outreach projects. When visiting artists share their work, it’s an opportunity for us to learn…often unexpected things about others & ourselves. 134
DVD Still “Beneath it all… I am human…”, 2009 Audio/video running time: 11 minutes 5 seconds loop
Public discussion with the artist and moderated by Nosana Sondiyazi Greatmore Studios Cape Town
Baptist Coelho’s work “under my skin... under your skin” was
is only Cured by the constant reminder of how not alone we
an occasion to view the unexpected. Using various video tech-
really are.
niques to illustrate the most fluid & simple of movements as well
Baptist Coelho confronts everyday situations in a non-threaten-
as more staged scenarios, the audience was intimately placed in
ing subtle way; using the familiar skin that we are all living in,
the Artist’s skin. Baptist looks different in person than on screen.
on the shared surface of this planet. Curator Lina Vincent Sunish
I was often not sure if it was him or another actor; which was
states that Coelho has an ability to focus on integral aspects
pleasantly bewildering to watch. I imagine that as the subject
of life that go unnoticed and opens them up for interpretation
and the object in one’s own video work it would be ideal to
and questioning. The notion of ‘skin’ is used in both a literal
not always appear as yourself. In conversation with Baptist after
and metaphorical sense; exploring parallel notions of identity
the screening I shared my own Vedic knowledge, explaining
and anonymity; corporeality and impermanence; reality and
how I’m aware that in Vedic philosophy it is regarded that one’s
pretense; as well as self and the other.
karma resides at one’s feet. So when Baptist explained how tired he was at the end of the feet washing recordings, it made sense
“under my skin... under your skin” has been shown at the fol-
to me because he had taken & carried so much karma from
lowing locations: Nepal Bharat Library in Kathmandu, Nepal;
other people.
LAMO - Ladakh Arts and Media Organisation in Leh, India; Palais
As people, the best we can be in life is ourselves. So therefore
Bleu in Trogen, Switzerland; Commune Image in Saint-Ouen,
our best covers many categories of our individuality. The way
France; S.a.L.E. Docks in Venice, Italy; Corner College in Zurich,
we often define ourselves is through our gender. The video
Switzerland; DWIH New Delhi, in Ahmedabad, India; Hyderabad
clips of the crossing of the legs & trying on shoes were a direct
Literary Festival in Hyderabad, India and Fotogalleriet in Oslo,
engagement with the sexes, the loneliness of our separateness
Norway.
135
DVD Still “Four attempts to understand static and dynamic air”, 2006 2 channel audio/video running time: 3 minutes loop
136
DVD Still Cross-Legged, 2008 Audio/video running time: 1 minute loop
137
ART TALK REVIEW EXHIBITION
Fast forward
Louisa Babari in conversation with Olivia Anani Photos : Olivia Anani
How did you come to the idea of this project in Beijing ?
as a crucial step on the way to under-
over again... Art was a way to reply to
standing… It’s two sides of the same
these questions, using a language that
coin, and coming to the realization of
would raise even more questions, all
I was always fascinated by the quest
lacking knowledge means I’m already
while giving enough visual, auditive and
for knowledge and the deciphering of
on the journey. I see African languages
mental stimulation to motivate these
signs, the process of journeying towards
and dialects in the same way as I see
new “initiation candidates” to move
understanding. Understanding of what?
Asian languages, as I have a firsthand
forth after the exhibition was over. One
That’s a question I cannot respond to
experience of how both areas have a
of the main texts that has been at the
myself, but the process seemed appeal-
deep connection with signs, coded
back of my mind all these years, is the
ing, also linked to how I felt a connection
knowledge and the strong belief in
book by Amadou Hampâté Bâ, the tale
to ancient cultures and languages
mysticism that extends into contempo-
of a Peulh initiatic journey to meet the
from an early age. I remember try-
rary life today. So when I was devising
deity “Kaïdara”, whose name means
ing to learn hieroglyphs in junior high
a way of presenting a project involving
“Here you must stop” (for this is a place
school, and starting writing Japanese
contemporary African artists, I sponta-
beyond which knowledge is given, and
Kanji at 7, learning the language at 11,
neously chose to address the inherent
to which access is limited to those with
before eventually moving to Mandarin
lack of knowledge about the continent,
knowledge only). You can say that in
as a university student… Within this
the misunderstandings about its art that
this regard, FAST FORWARD was con-
subject matter of amassing extensive,
one finds there. You see all these carica-
ceived as a sort of 21st century “voyage
ancient knowledge, the idea of lacking
tures at “cultural festivals”, the surprising
initiatique”, from me to the Asian audi-
knowledge was also intriguing to me,
questions asked by taxi drivers over and
ence it was conceived for. A game that
138
I played with them, since even as I am writing these words, I cannot tell you what “Africa” or “Art” is… Lerato’s piece, “Selogilwe” was a perfect illustration of this narrative. In the video, the subject is only present through her hands, and sings in a quiet voice two Setswana folktales, all while breaking a slice of cake into pieces. There’s an idea of transformation, and allegory for the journey each individual goes through regardless of their place of origin, but also the one cities, cultures and great civilizations go through at the hands of time. And it’s also a very good allegory of the exhibition itself, where the videos, shown in a loop, end how they started, in a city. You start in Lagos, and you end in Johannesburg before going back to Lagos where it starts all over again...
Fast Forward. Why this title ?
have a common artistic heritage in your opinion ? Can we talk about a generation that transcends contextualization ? I think it’s not so much about where the artists come from, than it is about who they are as a result of the environments they experienced, and how the work they produce allows us to address specific concerns, in relation to the topics and places that are in question in this project. You pick, in art as in life, works and personalities that appeal to you and that you find relevant in a specific context. You draw parallels, you find a way to make things resonate with each other. When you look at important milestones and key events of the century, if I take for example the Cultural Revolution, or the Chinese Economic Reform (Gaige Kaifang), you see they actually happened after we gained our
At the heart of FAST FORWARD you have
independence in countries like Benin
the idea of speed, the issue of pace, that
or Côte d’Ivoire. It’s interesting to think
is inherent to the telling of a journey,
about those things, and draw parallels
and that’s what inspired the name. The
between the different periods mark-
pace at which people move within a
ing the recent history of our respective
specific environment, and the pace at
continents, and about our respective
which they move through the “initiatic”
conditions today.
journey that is life. The exhibition itself revolves and operates according to pace
One of the obvious starting points in this
or a change of pace, that can be a “sign”
would be cities and the pace at which
in itself, as it indicates a change from
they develop, with urbanization being
one step of the journey to the next. It’s
an important part of the landscape
also an allusion to the need we have in
that I wanted to address. In Beijing as in
modern society to reach our destination
Abidjan, Lagos or Johannesburg, cities
faster, faster, and I’m wondering, how
grow, buildings are sprouting up like
fast can we go? Can we go from 2x to 4x
mushrooms, old buildings destroyed,
to xx?
and we see the way people react to
You have selected African artists and artists working in Africa. Do they
139
these changing environments. I wanted to bring the viewers to experience those
changes, in a sort of updated portrait seen from the point of vue of the individual, which is by definition subjective and limited. In this aspect, video was a medium of choice for providing the kind of experience I was looking for, beyond budget constraints that were also part of the equation. I find that recalling memories from one’s past sometimes seems very much akin to watching a film, as if these moments were staged, excerpts of a story that one sees unfolding before their eyes. I can take the example of my hometown, Abidjan, which I saw turning from a relatively safe bubble of prosperity nested in the middle of West Africa into a warzone, and then progressively back again, the ongoing “restoration” happening mostly at a time when I was not there anymore. Later on, moving to Asia was like going through the other side of the screen of movies that I might have watched as a child: I’m thinking about being in Hong Kong and thinking about these flicks from the 80s… It’s a sort of movie that never stops playing, a tale with no end. And for me, this was a way for the Chinese public to experience what I wanted to say, in a manner that would be different from what they’re used to when it comes to be introduced to the continent. I just wanted to put them in the “movie”, right from the start. If I take the example of those kung-fu films, we did not receive any introduction to them, the movie would just play on TV, and we would be entering it directly, with no prior speech about the environment, the economics, the local customs, the regional history etc. This
ART TALK
was all information that we would pick
put a piece by Emeka Ogboh and not
mation, that video and sound allow you
up along the way and decipher our-
only do they get the message, they also
to present within a short time, in a way
selves, as we were watching. We would
get to see what it looks like, they get the
that anyone can receive it.
see what the rural areas, what the cities
“movie” of it. They will see the number
looked like. We would learn on the spot
of cars, which will tell them that a car
Something else I wanted to explore with
what the country was and what people
is not an extraordinary thing, a “metal
this project was the representation of
looked like in that country, we would
horse” appearing in a village and that
emotions and social dynamics, as they
see different types of faces, of bodies,
the people are yet to get acquainted
hold another “sign” to be deciphered.
we would see the relation between
to… which is what some of them still
This is especially true with the pieces
people, rich and poor, elders and
think. Yes, this is true in some remote
by Michèle Magema “The Kiss of Nar-
youngsters, with all the power struggles
areas, but this is not what I was exposed
cisse” and Donna Kukama “The Swing”.
and romantic relationships, friendships,
to growing up. I was exposed to hav-
What I love in these pieces, is how, by
how people interacted with each other.
ing cars everywhere, to this loud public
displaying a range of contradictory
The hero, the landlord, the mob boss,
transportation with the minicars and
emotions and positions, of the subject
the little peasant, the girl working at
their young boys shouting for clients. In
in relation to self, and of the subject in
the tea shop, the kid from the street. All
Abidjan we call these minicars “gbaka”,
relation to the other, they contribute to
these characters and their stories gave
and Emeka Ogboh made an incredible
its humanization. The question of self,
you information, biased, staged, partial
project in New York this September,
the opposition between, “desired self”,
information, but information still.
involving those “danfo” buses, as they’re
“projected self” and “real self” could
called in Lagos. The street vendors,
not be more on point in our societies
I think it was much more efficient than
hordes of students going to school,
were image and social representation
posing the clichés like “You know there
trying to be fancy etc. With videos, you
are so crucial. And yet, what Michele’s
are cities in Africa too!” and then debat-
don’t need to explain that, because
piece does, is asking questions, without
ing them. I do not need to explain to
it’s all on the screen. This is what I find
responding to them. We are left with
them that there are cities in Africa, I just
fascinating. It’s such a wealth of infor-
the task of interpreting and finding our
140
own way of dealing with that other, the
So by addressing such difficult and
streets of Port-of-Spain for the Jouvert
self, which remains an enigma. We can’t
contemporary issues, we are able to
festival, dressing up, dancing, painting
just walk away, like her subject does...
shatter the idea of the postcard, which
themselves up, showing off… And right
By positioning the artist as a mysteri-
I find tragically static. One anecdote
next to these flamboyant characters,
ous character in a white dress, swinging
explains that very well: On the first day
you will see some people that are more
above a crowd to which she dispels
of the exhibition, one of the visitors told
calm, dressed in almost everyday wear
banknotes, Donna’s piece touched on
me that she’d heard about the event on
staring, peeking, gaping, cheering. There
a global topic, particularly sensitive
a popular “What to do this weekend”
is vanity and an exacerbated sensuality,
to Chinese society today. When the
app. When I went to check the app, I
especially towards the last minute of the
swing breaks, you can’t help but draw
saw that the event was illustrated with
piece, and I wanted to take the audience
a parallel with our cracked economic
pictures of giraffes and a classic Afri-
out of this comfortable position of dis-
system, a “game” of monetary transac-
can sunset landscape... No sign of the
tanced onlookers, of “voyeurs”, because
tions, and the inequalities it produces.
original poster or images. Because that’s
as they’re watching, they can see the
We can reference the tragic events of
what people have in their minds, a static
crowd watching too. So we all become
2010, where elementary school children
image “Africa looks like this”. So I wanted
viewers, we’re all “voyeurs”. As an African
were murdered in several Chinese cities,
to show movement, to show things in
woman, I’m a voyeur too. It was also
by isolated criminals claiming that their
motion. Because people look different
important to bring them to that. This
actions were motivated by their resent-
seen from one angle or the other, and
is not a postcard, this is real life, even if
ment towards China’s social inequalities.
because the points of vue, the attitude,
it looks like a fantastic, surreal “rite de
And yet, beyond the ideological “class
are constantly shifting. What is their
passage”.
struggle” so dear to communism,
state of mind, how do they go from
I think that thanks to this direct, intimate
beyond the serious implications of the
excited to hesitant, from loud to silent?
approach, we were able to establish a
scene, what you see is the excitement
This now, is what you see in Pascale’s
real contact with the public. Limits of
of the crowd as they rush to get their
film, “Deambulation Carnavalesque”, all
control resonated quite strongly with
hands on a bill.
these people going to celebrate in the
the audience, as they were very recep-
141
© Lerato-Shadi
What is in your opinion, the place of African artists in China?
tive to this visual tale of breaking free,
identity cards, that are used in China to
which is one of the things I see in the
contain the exodus to big cities such as
video. As Sean described himself, “The
Beijing and Shanghai, about the strong
line turns from a frontier, into a land-
idea of Chinese diaspora “huaren”. In
There’s a potential to create a dialogue.
scape”, as you see the body altering
China, you’re considered a “huaren” as
As far as creating a market and a base for
the aspect of this imposed, apparently
long as you have Chinese roots, even
collecting is concerned, it needs to go
fragile but hypnotically commanding
with an Indonesian nationality like col-
through the way of educating the public
force, that is this simple line running
lector Budi Tek, who fully embraces this
and art institutions first, which will take
across the screen. Maybe they saw in it a
“huaren” tag. You can see references
many years... But that’s also a project that
representation of the social and paren-
to this idea of maintaining the link, or
I have in mind, to find a way to create a
tal pressure that brings some of those
re-claiming the link to your initial vil-
favorable environment for that. On the
golden, “little emperors” Asian children
lage, sometimes dating back several
short term, what I would love for FAST
to attempt suicide because of the high
generations, in the work of Wang Haiyan
FORWARD, would be to take it to other
expectations bestowed upon them at
“The Memory Project”, which was also
Asian cities. I think the project was the
birth. “The child must become a dragon.”
shown at Zajia Lab. Zajia Lab, the art
start of a discussion that I want to pur-
What I find interesting is the fact that
space I collaborated with in hosting Fast
sue, and maybe extend the dialogue to
while the line is altered, the struggle has
Forward, is itself located in an old Taoist
other artistic mediums as well.
no end, and the body never leaves the
temple near Gulou, the old Drum tower.
wall it’s placed against… One does not
Rumors are that the building, along with
erase his past, and for most people, the
surrounding neighbourhood, will be
struggle is still played out in the very
destroyed by the city government to be
FAST FORWARD, exhibition at Zajia Lab
spot it started from. I’m thinking about
rebuilt. Again, a hint at this initiatic tale
Beijing
the question of hukous, or regional
that keeps repeating itself.
August 22-26th 2014
142
143
ART TALK REVIEW EXHIBITION
Rotimi Fani-Kayode (1955-1989)
“On three counts I am an outsider: in
Fani-Kayode (1955-1989), a solo retro-
Curated by Mark Sealy and Renée Mussai
matters of sexuality; in terms of geo-
spective of the work of this seminal and
of Autograph ABP, whose co-founder
graphical and cultural dislocation and in
highly influential figure in 1980s black
and first Chair was Rotimi Fani-Kayode,
the sense of not having become the sort
British and African contemporary art.
the exhibition marks the 25th anniver-
of respectably
Although his career was cut short by his
sary of the photographer’s death. It will
married professional my parents might
untimely death at the age of 34, Fani-
feature a selection of his most important
have hoped for...” (Rotimi Fani-Kayode)
Kayode nonetheless remains one of the
photographic works produced between
most significant names in the history of
1985-1989, including large-scale colour
black photography.
works and arresting
Tiwani Contemporary, in partnership with Autograph ABP, presents Rotimi
144
black and white images.
Fani-Kayode’s photographic portraits explore complex personal and politically-engaged notions of desire, spirituality and cultural dislocation. They depict the black male body as a focal point both to interpret and probe the boundaries of spiritual and erotic fantasy, and of cultural and sexual difference. Ancestral rituals and a provocative, multi-layered symbolism fuse with archetypal motifs from European and African cultures and subcultures - inspired by what Yoruba priests call “the technique of ecstasy”. Hence Fani-Kayode uses the medium of photography not only to question issues of sexuality and homoerotic desire, but also to address themes of diaspora and belonging, and the tensions between his homosexuality and his Yoruba upbringing. This exhibition coincides with the introduction in 2014 of new punitive legislation in Nigeria, as well as other countries in Africa, outlawing same-sex relationships and membership of gay rights organisations.
Page de gauche : Bronze Head, 1987 © Rotimi Fani-Kayode, courtesy Autograph ABP & Tiwani Contemporary, London From the left to the roght : Dan Mask, 1989 © Rotimi Fani-Kayode, courtesy Autograph ABP & Tiwani Contemporary, London
Tiwani Contemporary 16 Little Portland Street London W1W 8BP tel. +44 (0) 20 7631 3808 www.tiwani.co.uk
Half Opened Eyes Twins, 1989 © Rotimi FaniKayode, courtesy Autograph ABP & Tiwani Contemporary, London Nothing to Lose VIII (Bodies of Experience), 1989 © Rotimi Fani-Kayode, courtesy Autograph ABP & Tiwani Contemporary, London Nothing to Lose I, 1989 © Rotimi Fani-Kayode, courtesy Autograph ABP & Tiwani Contemporary, London Umbrella, 1987 © Rotimi Fani-Kayode, courtesy Autograph ABP & Tiwani Contemporary, London
145
EXHIBITION REVIEW
Return of the rudeboy review
By Karen D McKinnon
Sam Lambert – Art Comes First © Dean Chalkley
Daniel @ We Are Cuts © Dean Chalkley
A Rudeboy turns the head of people
Harris Elliott. A series of portraits
take some iconic photos of music stars.
who are in no doubt about the
enchant our gaze into the world of
Elliot has been a top creative fashion
individuality and vision that he or she
the Rudeboy. It was a beautiful and
consultant with some of the world's
projects. The Return of the Rudeboy
seductive sight as the charisma of
top photographer and stylist to music
graced the halls of Somerset House
each portrait defied us to see them
royalty. His passion for luggage design
with its stunning portraits set against
any different than the stunning figures
can be seen in the installations in the
the backdrop of Somerset's ornate
they cut in the London streets. Chalkley
show.
halls. The Rudeboy projects himself
and Elliot photographed the portraits
into the 3D space, brought to life in
of these "Rudies" over the past year.
The original Rudeboy originates from
his proper element by photographer
Chalkley spent a short time training
the streets of Kingston, Jamaica tied into
Dean Chalkley and creative director
as a trouser maker. He has gone on to
the music scene where your look was a
146
Bevan Agyeman - Creative Director of Dxpe and To-Orist © Dean Chalkley
Ayishat Akanbi - Style Creator © Dean Chalkley
statement about what you meant and
of the Windrush generation in the late
her look.
what you are about. The attention to
1940s.
The exhibition captures the spirit of
detail is crucial to the Rudeboy. Nothing
Rudeboys will use the finest elements
Rudeboys and makes us all aspire to
is overlooked in setting style that will
available turning to tailors of Saville
be one. But, for some of us, we can be
influence the rest of fashion and popular
Row, but a straightforward suit made or
grateful for this insight and just stand
culture. The Return of the Rudeboy looks
bought from the tailor would not give
back and admire when we see one of
at the influence of these individuals, cap-
entry into the ranks of the Rudeboy. This
this tribe on the streets. We now have a
tured on the streets of London. England
is the start, the genesis, the canvas to
little more insight into their world and
is steeped in the history of the dandy
create the magic, the Rudeboy will find
can admire the heights they elevate the
but Rudeboys rocked a new influence
an exquisite way to mix material with
artistry of fashion and individuality.
as Britain transformed with the arrival
instinct and artistic vision to create his or
147
CARNET DE BORD
Biennale de Dak’art 2014 Un foisonnement vital par Laure Malécot (texte et photos) Photo Afrikadaa street publication © Afrikadaa
Les artistes, les galeries, et l’équipe de la biennale, préparaient l’événement depuis plusieurs mois dans une ferveur palpable. Puis les artistes étrangers ont débarqué, certains pour créer sur place. Pour certains, c’était la première fois sur le continent ou au Sénégal, pour d’autres c’est presque une habitude d’être de cette fête-là. La ville venait d’être décorée, dans plusieurs quartiers, par les graffeurs du Festigraph. L’ambiance était posée. Les journalistes étrangers sont arrivés, et le bal a commencé. Rendre compte de la biennale de Dak’art dans son ensemble (In et Off réunis, 500 exposants, environs 350 lieux d’exposition) est pratiquement impossible. J’ai donc pris le parti de vous raconter ma biennale, ce que j’en ai vu de plus marquant.
148
Installation avec 17 WC en céramique, 700x300x50cm, 2012, © Faten Rouissi. Photo : Laure Malécot
Au Village des Arts. Photo : Laure Malécot
Exposition à Ngor, avec Bouna Medoune Seye et Marie-claire Garnier . Photo : Laure Malécot
A l’exposition internationale du Village de la Biennale, à peu
perles que fabriquent les femmes ici, et ce satané «palu» dont
près tous les styles d’art contemporain étaient présentés. Les
on se protège comme on peut. Une certaine peur diffuse,
prix, attribués aux œuvres de Olu Amoda (Nigeria) et Faten
enrobée de grande douceur, m’étreint.
Roussi (Tunisie) ont résumé le propos général. Le thème
Dans la maison accueillante de Kër Thiossane, dédiée à l’art
annoncé, choisi par les 3 commissaires d’exposition, «pro-
et au multimédia, une vidéo à double-écran. Des femmes
duire le commun», pouvait se comprendre dans un esprit
dans un désert, à la recherche de l’eau. Cadrages osés, et sons
d’engagement citoyen. L’artiste, catalyseur et relais d’émotion,
d’ambiance poignants, impossible de rester insensible. Forcé-
d’idées, témoin des Révolutions politiques (cf. Faten Roussi) et
ment partager un peu de cette urgence-là. De l’eau, au moins,
technologiques, exprime les valeurs et sentiments que nous
pour tous, à l’époque où les idées circulent à la vitesse de la
partageons. L’art, ici, n’est pas replié sur la personnalité et
lumière !
l’expérience du créateur seul, mais exprime sa conscience de la
Le lendemain, c’est le jour des Maîtres sénégalais. Le regretté
condition humaine contemporaine.
Moustapha Dimé avait droit, à la Galerie Nationale, à une rétrospective un peu chargée, mais bien mise en espace. On
Un énorme serpent se dresse devant l’Hôtel de Ville, accom-
pouvait voir l’évolution du travail, en saisir la globalité. Quand
pagné par des scènes fantasmagoriques forgées, sous la
chaque œuvre est mot, qu’une série est une phrase. L’émotion
direction de Soly Cissé, par une équipe de ferronniers locaux.
qui s’en dégage résume une vie entière… Résume nos vies
Interrogation, étonnement. Ces monstres issus de ses toiles
aussi, dans ces alliages de matières récupérées, de bois flottés,
où ils apparaissaient en filigrane, pourraient aussi surgir d’un
de morceaux de pirogues…
conte. Au son d’une cora, trois femmes, vêtues d’un costume
Forcément, un tour vers la Fondation Eiffage et les œuvres
traditionnel, traversent l’esplanade, entre les sculptures, en
d’Ousmane Sow. Se souvenir de l’étonnement par les dimen-
hommage à la tradition. Tradition du savoir-faire aussi me
sions et la texture de ses sculptures, lors de ses premières
suis-je dis en regardant de près le travail parfait des artisans
expositions. Aurait-on pris l’habitude de l’extraordinaire ? Se
qui, aux côtés de l’artiste, ont donné forme à ses rêves. En face,
dire que c’est sûrement œuvre utile que ces impressionnants
dans une salle plongée dans une demi-obscurité (le KAO), les
personnages circulant de part le monde. Comme pour le
installations de Viyé Diba, un de nos Grands. Courts tubes de
respect de l’Humain, qui prend tellement de place d’ailleurs
plastiques enfermant des messages secrets, vaporeuses et
qu’il va bientôt étouffer la Terre qui l’héberge !
incisives pointes élancées couvertes d’éclats de tissus enserrés dans des morceaux de moustiquaires, petites boules, comme
Parlons-en de la Terre. Direction Dak’art Campus, à la cité
des milliers de cadeaux, disposées en tableaux, rappellent les
universitaire. Des artistes de divers horizons ont créé avec
149
des matières naturelles. Un habitué des
et de sable...
vernissage de la galerie qu’il a ouvert
biennales dakaroises, le Camerounais
A la Galerie du Manège, Abdoulaye
avec le cinéaste et peintre Moussa Sene
Barthélémy Toguo, a tracé en pleine
Konaté (Mali) expose des œuvres tex-
Absa à Popenguine. L’artiste allemande
terre du jardin botanique une carte
tiles dont le message clair, d’actualité, se
Ulrike Arnold, qui travaille avec la terre
d’Afrique, y a planté des haricots, et
passe de discours pour être éloquent :
des lieux dans lesquelles elle crée, y
parle d’un continent qui pourrait large-
Génération biométrique (2008) / Non à
participe. L’organisation de l’événement
ment subvenir à ses besoins. Panafricain
la charia à Tombouctou. (2013)
est au point, des bus affrétés pour un
convaincu, l’un des artistes africains
vernissage qui sera un succès. Zulu
les plus cotés, a fondé au Cameroun
Puis c’est le tourbillon créatif de la
fut, au début des biennales, le « père
dans les montagnes verdoyantes, le
Biscuiterie, où plane encore la belle
du off », et un des premiers artistes
centre artistique de Bandjun, entouré
énergie de la fête de la veille. Le collectif
sénégalais à comprendre que l’union
de champs qu’il cultive et dont il donne
d’artistes des deux Congo présente des
faisait la force. Il n’hésite pas à partager
les récoltes à la population. Un homme
œuvres acides et presque brutales, à
régulièrement ses réflexions par écrit
de concept, combattant actif pour un
l’esthétique aboutie, et non dénuées
sur l’évolution de cette manifestation
monde meilleur. A côté de son œuvre,
d’humour. Dans une des salles, Afrikadaa
qui lui tient à cœur, même s’il en
Serigne Mbaye Camara (Sénégal) a érigé
propose son projet curatorial, Street
remet en question, parfois même, les
une paroi de rouleaux de kinkéliba se
Publication, qui représente l’extension
fondements. Zulu est un électron libre
reflétant dans un miroir rectangulaire au
des contenus de la revue sous forme
penseur, toujours membre du comité
sol. T’y vois-tu, avec à l’arrière plan, ces
d’un acte éditorial live, concept proposé
d’organisation, un pilier.
feuilles réputées curatives, apaisantes,
par la revue Afrikadaa pour dialoguer
imbriquées les unes aux autres en un
dans un espace d’art avec le public. Des
En sortant du Village des Arts, petit
harmonieux patchwork de couleurs
segments d’articles, des textes et des
détour vers l’immeuble d’à-côté, au
fauves ?
photos sont ainsi exposés sous différents
sous-sol, une exposition de design. Un
Miroir, que dis-tu de mon humanité ?
formats (posters, écrans, affiches...).
moment calme, de silence, un apaise-
Question que pose aussi Mame Diara
Afrikadaa s’expose également sur les
ment dans les formes et les couleurs…
Niang (France-Sénégal) lors d’une
murs de Dakar à travers les œuvres de
L’évidence que ces matières et ces lignes
performance, en plein après-midi, à la
Sean Hart, un artiste multidisciplinaire
sont pleinement art contemporain, et le
Galerie Aissa Dione, entre autres œuvres
qui a peint des textes issus de la revue à
regret du peu de place donnée à cette
délicates. Sur la pelouse, accompagnée
travers la ville. Parmi les artistes invités
discipline dans cette biennale…
par une création musicale relaxante,
par Afrikadaa il y a aussi Alexis Peskine,
Fin d’après-midi, pile à l’heure pour
Mame Diarra Niang plie des papiers, les
qui trace de la pointe de ses clous
le vernissage de la Fondation Total, à
pose à côté d’elle, appelle d’un geste
dorés, des ombres humaines, en points
Ngor. Mais là, on en est encore à poncer,
deux personnes à venir s’allonger et
lumineux et discrets sur fond noir.
enlever le papier kraft des œuvres, laver
écouter simplement. Entre elle et eux,
Petit tour par le Village des Arts, la
le sol. Trente minutes après, le terme de
une sorte de fosse tapissée de miroirs,
galerie où les occupants de ces ateliers,
« vernissage » n’était pas un vain mot.
dans laquelle elle laisse tomber son mes-
mis à disposition des artistes dans les
Là encore, hommage au travail collectif
sage plié, que le participant récupère,
années 96, exposent. Dans la galerie, on
avec la Galerie Fakhoury d’Abidjan, pour,
se découvrant en un clin d’œil acteur
tourne un court métrage. Les ateliers
de l’avis général, une des plus belles
de la performance. Le dessin déplié
sont ouverts, c’est l’occasion pour les
expositions de la Biennale, introduite
représente l’anatomie d’un cœur, orné
artistes de recevoir plus de visiteurs
par les photographies poignantes de
de photos de Dakar, comme un attache-
que tout au long de l’année. Je croise
Fabrice Monteiro. Sur fond blanc, de
ment viscéral à cette ville bordée de mer
Zulu Mbaye, occupé à l’organisation du
simples portraits, dans une lumière
150
Afrikadaa Street Publication à la BDM. Photo : Afrikadaa
151
La performance de Mae diarra Niang à la Galerie Aissa Dione.Photo : Laure Malécot
Les graffeurs du Festigraph. Photo : Laure Malécot
Tierno Seydou Sall - Sakhal’Art à la médina. Photo : Laure Malécot
douce et spirituelle, en un presque noir
littéral du terme de Marie-Claire Garnier.
ont prêté leurs lieux d’habitation, embel-
et blanc doux au regard. Comme un halo
Petite balade en se rappelant le temps
lis pour l’occasion. Tierno Seydou Sall,
autour des personnages… Juste à côté,
où nous autres artistes étions excessifs,
dit « le poète errant », a tracé sur le mur
en contraste complet, une salle saturée
jeunes, désordonnés et créatifs, jusqu’à
d’une cour ce texte émouvant. Toujours
des couleurs vives des photos de Paul
l’épuisement. Beaucoup sont partis, cer-
à la Médina on pouvait également pro-
Sika, encadrées et lumineuses, comme
tains sont décédés (Moussa Baydy, Pape
fiter du « Street Art Museum », véritable
hommage à des mythologies urbaines,
Coulibaly, que la Terre vous soit légère).
musée à ciel ouvert, un des nombreux
instantanés un peu hystériques, quasi
Mais dans ce lieu de villégiature pour
évènements organisés par le collectif Les
schizophrènes. Notre monde, simple-
classe aisée, une « allée des peintres »
Petites Pierres.
ment. L’exposition «Présence africaine»
rend hommage à ceux que « l’esprit de
est une heureuse surprise. Initiée au
l’île » a inspirés.
Et puis, un soir, au détour d’une rue,
Musée du Quai Branly à Paris, devenue
L’initiative la plus populaire de cette
j’ai revu Jogo, un rouleau de toiles à la
itinérante, elle retrace l’âpre histoire de
biennale a été l’exposition collective
main. Depuis des années, il ne peint
la lutte pour l’expression des Africains
Sakhal’art, organisée dans le quartier
plus, mais pour l’occasion…Il déroule
et de leurs descendants, dont la presse,
mythique de la Médina. De nombreux
des portraits torturés, avec l’air timide de
du Negro World de Marcus Garvey, à
artistes sénégalais y ont grandit, en ont
celui qui ne sait plus trop s’il fait encore
Présence africaine fondée par Alioune
été inspirés. Au Sénégal, décorer les rues
partie de la danse. Jogo Maye Thiam
Diop, fut un vecteur essentiel. Une
n’est pas un délit. Les maisons s’ornent
est l’un des peintres sénégalais les plus
étrange résonance avec le rôle de la
depuis longtemps de dessins de graph,
talentueux de sa génération. Il y a dix
presse aujourd’hui, nos ambitions de
de phrases poétiques, cela fait partie
ans, une de ses toiles m’avait beaucoup
journalistes, des valeurs, des informa-
du quotidien des dakarois, particulière-
impressionnée. De grands tracés dans
tions que nous relayons… Traversons
ment à la Médina. Sakhal’art a ramené
les bleu-nuit, emplis de force, les lumi-
le bras de mer de Ngor vers l’île, pour
l’art à son essence. En investissant une
ères fracassantes de ce que pouvait être
une charmante exposition d’artistes
vingtaine de cours, pour y exposer les
une ville, de l’émotion pure et arrachée
sénégalais et français, qui va des sil-
œuvres d’artistes de divers horizons, le
à la vie. Jogo a fait les Beaux-arts de
houettes tracées par Bouna Medoune
dialogue avec la population a été ferme-
Genève, il a presque eu son heure de
Seye, à des créations plastiques au sens
ment rétabli. Les habitants, très réceptifs,
gloire. Et d’un coup, Jogo est sorti de la
152
ligne des étoiles. Depuis des années il ne vit que de caricatures. Il croque, souriant et attentif à vos traits de caractère, rapide, efficace. Jogo, qui a une grande famille à nourrir, ne sait que peindre ou dessiner. C’est difficile. Je le quitte en me demandant si cette Biennale aura été lucrative pour les artistes, rentable pour les habitants, profitable pour le pays. On a beaucoup glosé sur les dépenses occasionnées par l’événement (700 millions de CFA), alors que le Sénégal transpire de ses manques à tous les coins de rue. Mais des rencontres se sont faites entre acteurs culturels du monde entier. Dakar affirme à chaque Biennale son aura de capitale culturelle. Des artistes sont mis en lumière. Les hôtels, restaurants, taxis et commerçants, ont senti l’impact financier de l’événement. Mais si l’on vise un niveau d’exigence tel que les biennales de Venise ou de Dubaï, des efforts restent à faire, de l’accueil des visiteurs, la concertation des acteurs en présence afin de mieux ordonner les événements, à la mise en place d’un système de repérage dans la ville. La sélection devrait-elle être plus resserrée, y a-t-il
Le garage à meubles. Photo : Laure Malécot
trop d’expositions ? Je ne crois pas. La dimension foisonnante de l’événement fait son charme. Tout l’enjeu est d’en faciliter l’accessibilité pour les éditions à venir, afin de lui donner toujours plus d’impact.
153
“The last supper” par Barthelémi Toguo - Dak’art Campus. Photo : Laure Malécot
ART TALK CARNET DE BORD
Dis le à haute voix La liberté d’expression telle qu’elle est pratiquée par Olfa Riahi
Par Anne Grégory avec la contribution de Sidy Touré
154
Olfa Riahi a contribué à faire bouger les lignes et à faire tomber les barrières dans son pays. La blogueuse tunisienne, a toujours été à la pointe du journalisme d’investigation, en particulier dès le début du Printemps arabe. Connue pour avoir révélé le “Sheraton-Gate”, - scandale impliquant le Ministre tunisien des Affaires Etrangères contraint de démissionner, Riahi est aussi co-auteur du livre ”Le Syndrome de Siliana”, qui dénonce la pratique de la peine de mort notamment dans les régions les plus pauvres de Tunisie. Nous l’avons rencontrée en avril dernier aux Etats-Unis , a l’occasion de son passage à l’université de Duke. L’impact des réseaux sociaux sur le Printemps arabe en Tunisie ne peut pas être sous estimé. Quand avez vous commencé à prendre part au cyber espace ?
d’une génération qui en avait marre, j’ai décidé d’agir.
femmes utilisent Internet pour résister et communiquer leurs idées, cela ne veut par dire qu’elle soient plus à l’aise derrière un écran que dans l’action. Vous êtes à l’origine d’une affaire qui a fait couler beaucoup d’encre et qui a contribué à votre notoriété, connue aujourd’hui sous le nom de “Sheraton-Gate”. Cette affaire implique le Ministre tunisien des Affaires Etrangères, pouvez-vous nous en dire plus ? L’Affaire Sheraton débute en décembre 2012 suites à des révélations faites sur
Je travaillais à cette époque pour une
mon blog. Cette affaire a pris une très
radio, Express fm, lancée quatre ou cinq
grande ampleur en Tunisie mais aussi
En effet, les réseaux sociaux ont joué un
mois avant la révolution. Nous étions
à l’international, car la personne con-
rôle très important dans le Printemps
jeunes, pas encore corrompus par le
cernée par cette investigation sur la
arabe et surtout dans la révolution
système. Cette radio était probablement
corruption n’est autre que le Ministre
tunisienne. Nous étions en dictature,
le seul média local qui a couvert, dès
tunisien des Affaires Etrangères.
les médias étaient muselés, il n’y avait
les premières heures, les événements
Suite à cette affaire, j’ai été interdite
donc aucune possibilité de transmet-
de Sidi Bouzid. Je me suis ainsi retrou-
de quitter le territoire pendant huit
tre la réalité à l’écran et dans les médias
vée très impliquée dans la révolution,
mois. J’ai du répondre de huit chefs
traditionnels.
de part mes activités avec la radio, les
d’inculpations, allant de la diffama-
réseaux sociaux, en particulier Face-
tion à la falsification de documents en
book.
passant par l’atteinte à l’ordre public et
Il y avait avant la révolution des mouvements sur le net, des bloggeurs très connus qui ont critiqué le régime. Il y a eu beaucoup d’opérations de censure du web à cette époque. Ce phénomène n’a fait que s’amplifier. Pour ma part, j’ai intégré cet espace, comme de nombreux Tunisiens en décembre 2010, après l’immolation de Mohamed Bouazizi. La nouvelle s’est répandue sur Twitter, puis sur Facebook et c’est à partir de là que la jeunesse tunisienne s’est sentie concernée. Les images des premières manifestations, violemment réprimées, ont fait le tour des réseaux sociaux et notamment sur Facebook. En tant que jeune Tunisienne, faisant partie
155
Pensez-vous que l’anonymat et la sécurité qu’offre Internet encourage la participation des femmes à la révolution ? L’engagement des femmes tunisiennes au quotidien est très important et cela n’a rien à voir avec Internet. Les Tunisiennes sont très courageuses, elles n’ont pas besoin de protection. Elles sont braves, peut-être plus que les hommes. D’ailleurs plusieurs évènements importants en Tunisie ont été portés par des femmes. La présence des femmes est donc aussi importante sur le terrain que dans la sphère virtuelle, ni plus ni moins que celle des hommes. Même si beaucoup de
l’usurpation de la fonction de journaliste. J’ai la chance d’avoir un comité de défense très important composé d’une trentaine d’avocats, tous militants, démocrates, qui militent pour des causes nobles comme la transparence, la lutte anti-corruption, l’indépendance de la justice. Ils me défendent gratuitement. Après moult difficultés, nous avons finalement obtenu en janvier dernier une première victoire, avec l’inculpation du Ministre pour corruption et détournement de fonds publics. Ce dernier a fait appel et a eu gain de cause en demandant à ce que le dossier soit retiré au juge en charge de l’affaire. Cependant, nous avons appris que le juge en question refuse cette décision et veut poursuivre son enquête. L’espoir est donc encore permis.
156
Dans une Tunisie post-révolution, les journalistes traditionnels (télévision, radio, presse écrite) jouissent-ils de la même liberté d’expression que les bloggers ?
l’Etat (plaintes contre les journalistes,
La Tunisie est passée par deux dictatures
réside dans le fait que ces derniers ont
après l’indépendance. Dans ce contexte, la presse n’a jamais été libre. Après la révolution, les journalistes se sont enfin libérés. Mais sans formation et n’ayant jamais été confrontés à un processus démocratique en gestation. Il y a donc eu des errements mais aussi une grande effervescence qui aujourd’hui est en train de conduire petit à petit à la structuration du domaine des médias. S’il y a un acquis indéniable suite à la révolution, c’est la liberté d’expression, que la société civile protège farouchement malgré les tentatives d’intimidations de
arrestations) Aujourd’hui, la seule différence entre journalistes traditionnels et bloggers leur propre ligne éditoriale ce qui leur offre effectivement plus de liberté. Ils ne sont soumis à aucune pression hiérarchique et traitent leurs sujets librement.
La levée de l’interdiction de quitter le territoire prononcée à votre encontre vous permet d’être aujourd’hui à l’université de Duke en qualité de Media Fellow au sein du Centre DeWitt Wallace pour les médias et la démocratie de la Sanford School of Public Policy. Quels projets avez -vous initié ou exploré ?
Je suis ravie d’avoir été accueillie dans
Je mets un point d’honneur à ne pas
sont les mots qui expriment le mieux
cette université prestigieuse, où la
me prendre au sérieux. Je pars du
ma perception de la révolution. La
recherche académique et le système
principe qu’on ne sait pas de quoi
Liberté c’est l’aspiration à plus de liberté
des ressources sont incomparables. J’ai
sera fait l’avenir. Il faut donc vivre le
et le soulèvement contre la dictature.
beaucoup de projets, pas forcement
moment présent. Si je fais ce que je fais
l’Empathie fait référence à la connexion
ceux que j’avais en tête en arrivant.
aujourd’hui, c’est parce je rêve (comme
émotionnelle qui a lié les plus riches et les
J’envisage entre autre de revenir à
tous les autres activistes) d’un avenir
plus pauvres. la Justice car pour moi il n’y
Duke pour un PhD (Doctorat) sur les
meilleur pour la Tunisie, Toutefois je
a pas de révolution sans justice et enfin
connections sociales qui conduisent
prends la vie avec beaucoup de phi-
la Dignité qui représente l’aboutissement
aux révolutions. Il y a eu beaucoup de
losophie.
de tout. Le but ultime de la Liberté,
travaux réalisés sur l’impact des réseaux sociaux mais très peu sur les connections sociales en dehors du net et cet aspect m’intéresse beaucoup.
Même si votre travail est extrêmement sérieux, comment parvenez-vous à garder une attitude positive ?
Vous vous êtes fait un tatouage au cours de votre séjour, quatre mots, pouvez- vous nous expliquer ce qu’il signifie ? “Freedom Empathy Justice Dignity #Tunisia Dec 17h, 2010”. Je me suis fait tatouer ces quatre mots, Liberté, Empathie, Justice et Dignité car pour moi ce
de l’Empathie et de la Justice c’est de vivre avec Dignité. Le #Tunisia est un hommage aux réseaux sociaux et en particulier à Twitter. Quant au 17 décembre 2010 c’est la date à laquelle Mohamed Bouazizi s’est immolé, le jour où tout à commencé. J’ai gravé ces mots dans ma chair pour ne jamais oublier, même dans les moments de doute.
Le tatouage de Riahi, quatre mots qui incarnent la révolution. photo crédit Anne Gregory
157
ARIKADAA’S LIBRARY
THE WONDROUS MACHINE.SUN ON THE EN ATTENDANT LE VOTE DES BÊTES SAUVAGES - Ahmadou Kourouma, Editions du Seuil, 2000. L’Histoire est racontée par Ahmadou Kourouma de manière littéraire comme une histoire. De politique, de société et de civilisations il est question un peu comme dans un mythe restituant ainsi la subjectivité inhérente à ces matières. L’écriture multidimensionnelle d’Ahmadou Kourouma bouleverse les attentes légitimes et les sciences de la vérité dans un chatoiement littéraire qui fait apparaitre que seul l’art peut approcher l’Histoire. Le livre est un chant, six veillées sont organisées pour l’anniversaire du Président Koyaga au cours desquels sont parcours est raconté en un retentissant pamphlet hagiographique.
MAXWELL PATERNOSTER, Cabeza de Chorlito, 2014. Maxwell Paternoster’s book, publicated by the publishing house Cabeza de Chorlito, is a compilation of his sketchbook’s drawings. Tigers wearing pompadour and sideburns. Dogs roller skating on a deadman’s face. A record player with Yeti’s feet. Skulls coming straight from hell. A skate-boarding squirrel. Wheelbarrows full of « amazing shit », chilis and brain juice. Weird creatures beheading themselves with chain saws. Wild bikers heading back home on the longest detour. Inside Maxwell’s studio sketchbooks are piling up. From each one the drawings overflow. Leaving very little place for white space. As the book made by Cabeza de Chorlito. Editions Cabeza de chorlito / Frédérique Bangerter & Alberto Garcia Alix, Madrid, Spain. www.cabezadechorlito.net
158
FLAG - Assaf Iglesias, Cabeza de Chorlito, 2014. A delicate book, full of unknown, composed of images and texts. A story told with polaroïds and drawings that have in common the same delicacy and passion for details. A book to be read inbetween the lines. Nothing is vaporous enough, the images and the texts are lines of approach allowing us to enter into the artist’s intimate tale ; playing on words, beautifully sad melancholy, and the machine or machines eternally present at the background of a journey where both dreamlike and tough reality merge together. The Wondorous Machine. The sun on the flag. An open window on Assaf’s world in the shape of a book. Editions Cabeza de chorlito / Frédérique Bangerter & Alberto Garcia Alix, Madrid, Spain. www.cabezadechorlito.net
ART AND POLITICS NOW – Anthony
ROUTES DU JAZZ – Samue Nja Kwa,
Downey, Thames & Hudson, 2014.
Editions Duta, 2014.
JAPAN DRUG - António Júlio Duarte,
Why have so many artists turned to political
ROUTE DU JAZZ relate les traces et
Pierre von Kleist Editions, 2014.
subject matter in the last decade? Can art
empreintes du jazz. Le liver est né d’une
not only question but also reinvigorate the
synthèse entre la création européenne et
“It was 1997 and the new millennium was
social, civic, and political imagination? Art
la tradition africaine rendue possible sur le
imminent, one could feel the tense anticipation
and Politics Now offers a brilliant survey of
sol américain. Un beau livre où l’histoire
about what was to come next.
artists engaged with “the political,” whether
musicale des Africains nous est contée en
I was alone in Japan, a place I had never been
in providing commentary, questioning social
noir et blanc et en couleur.
before. During the day I would go out looking
structures, or actively responding to the
A travers des portraits et entretiens, le
for my own sense of the place, photographing,
world around them.
photographe Samuel Nja Kwa retrace le
exploring notions of center, a place of
Art and Politics Now highlights the radical
voyage du rythme. Des anecdotes, des
convergence, as the world expanded before me
changes in the approaches and techniques
témoignages personnels, un hommage aux
in its uncertain course.
used by artists to communicate their ideas,
acteurs de cette épopée.
Many years have passed and I felt a need to go
from the increase in collaborative, artist-
La sortie du livre s’accompagne d’une
back to these images.
led, and participatory projects to activism
exposition photos itinérante, de l’Afrique
The millennium is long gone but the vertigo of
and intervention, documentary and archive
aux Caraïbes, en passant par les Amériques.
uncertainty is yet to disappear.”
work. Many high-profile artists are featured,
Des villes et festivals projettent d’accueillir
António Júlio Duarte
including Chantal Ackerman, Ai Weiwei,
l’exposition : Douala, en novembre
Francis Alys, Harun Farocki, Omer Fast,
2014, Jazz à Tournai en Février 2015,
Subodh Gupta, Teresa Margolles, Walid
Johannesburg, Cap Town Jazz Festival
Raad, Raqs Media Collective, Doris Salcedo,
en avril 2015, Martinique, Guadeloupe,
BrunoSerralongue, and Santiago Sierra.
Haïti, Sainte Lucie, Guyane, NYC, Montréal,
http://www.pierrevonkleist.com/
Toronto, La Havane... http://routedujazz.free.fr/index.html
159
AGENDA AFRIQUE
déplacements, en Europe et
« AFRICAN SPIRITS »
aux Etats-Unis. A trente ans « ABOUDIA : NOUCHI CITY »
seulement, c’est un artiste mondialisé à l’image de sa ville multiculturelle, et tandis que son travail s’enrichit de ses nombreuses expériences, l’esprit nouchi persiste dans ses œuvres. Aboudia, vit et travaille entre New York et Abidjan. Né en
Il y a deux ans tout
1983 et diplômé du CTAA (Centre
« African Spirits » est la
juste, la galerie ouvrait
Technique des Arts Appliqués)
concrétisation d’un projet
son espace au public avec
de Bingerville, Aboudia a acquis
élaboré par Samuel Fosso
une exposition des œuvres
son style à l’école de la rue.
depuis plusieurs années. Le
issues de la collaboration de
Il a choisi de devenir peintre,
déclic s’est produit lorsqu’il
Frédéric Bruly Bouabré, figure
contre l’avis de ses parents
a découvert le visuel du 1er
tutélaire de l’art en Côte
et de ses enseignants qui lui
Pavillon Africain de la Biennale
d’Ivoire, et d’Aboudia, jeune
prédisaient une carrière de
de Venise 2007, présenté par
artiste ivoirien. Aujourd’hui
“street artist”.
la Collection Sindika Dokolo
son travail intéresse
Bien qu’il ait été révélé à
(Luanda, Angola). C’est alors
collectionneurs et musées du
la communauté internationale
que le photographe a décidé de
monde entier, fascinés par
des critiques d’art et des
réinterpréter en autoportraits
l’énergie qui se dégage de ses
journalistes par ses travaux
des icônes photographiques
gestes, flux incontrôlable que
relatant les affrontements à
des grands leaders des
ses toiles semblent peiner à
Abidjan, Aboudia refuse d’être
Indépendances africaines, du
contenir.
considéré comme un “peintre
Mouvement des Droits Civiques
Au cœur de la galerie, surgit
de guerre”. Son œuvre, qu’il
aux États-Unis ou des monuments
un extrait d’une construction
qualifie de “nouchi”, est un
culturels.
précaire, reflet d’un quotidien
hommage à l’essence des rêves
Après une errance douloureuse
de la débrouille, d’un paysage
et du langage. Les matériaux
du Cameroun au Nigéria, Samuel
commun. Cet habitacle est
qu’il choisit lui permettent
Fosso s’installe à Bangui à
remplit d’objets usuels donnant
d’exprimer le maximum de choses
l’âge de dix ans. Il devient
la possibilité à chacun de s’en
avec le minimum de ressources.
apprenti photographe avant
servir pour s’élever. Appelant
d’ouvrir lui-même son propre
la vitalité et l’originalité des
« ABOUDIA : NOUCHI CITY » -
studio. A ses heures perdues,
vendeurs de rue et des petits
ABOUDIA
il commence à se mettre en
marchants, ici Aboudia nous
Du 26/09 au 15/11/2014
scène seul ou avec des amis.
ramène aux rêves simples d’une
GALERIE CÉCILE FAKHOURY
Aujourd’hui, ses autoportraits
génération urbaine.
06BP6499 ABIDJAN 06
sont connus dans le monde
Aboudia emmène la ‘’Nouchi
galerie@cecilefakhoury.com
entier. Sa dernière série,
City’’ dans tous ses
http://cecilefakhoury.com/
« African Spirits », rend
160
hommages aux héros noirs.
d’Afrique. La biennale a lieu
édition, c’est bien le signe
à l’Académie des Beaux-arts ,
d’une vie difficile dans
« African Spirits », Samuel
l’Institut Français de Kinshasa,
laquelle nous tenons à avancer,
Fosso
le Centre Wallonie Bruxelles et
afin de garder vivantes les
Du 20/09 au 29/11/2014
la place de la Gare centrale.
potentialités de la scène
Fondation Charles Donwahi pour
culturelle dakaroise.
l’art contemporain
Yango permettra de connecter
Des lieux se mettent en
06 BP 228 Abidjan 06
les artistes qui viendront avec
attente, certains ferment leur
Boulevard Latrille, face Eglise
l’énergie créatrice de Kinshasa,
portes. Mais aussi de nouvelles
Saint Jacques
l’une des futurs mégalopoles.
collaborations s’installent
Abidjan II Plateaux
et de nouvelles alliances se
http://fondationdonwahi.org/fr/
« YANGO »
forment : nous savons que les
home.html
Du 21/11/2014 au 19/12/2015
qualités sont là, il ne nous
Plus d’infos http://
reste qu’à les mettre en valeur.
yangobiennale.org/
Dans cette édition nous
« YANGO »
tenons aussi à annoncer des « PARTCOURS 2014 »
manifestations qui ne font pas partie du Partcours mais se déroulent aux mêmes dates : Partcours est un espace de partage. Évènement qui se déploie sur un itinéraire de découverte de l’art contemporain, Partcours est une invitation à la rencontre et au réveil
Kinshasa a vu naître les
des énergies qui font bouger
artistes tels que, Chéri
Les espaces d’art contemporain
les arts à Dakar et sur le
Samba, Jean Dépara , etc. Elle
de Dakar se fédèrent depuis
Continent.
accueille enfin sa première
trois ans pour créer un mapping
Un effort commun que nous
biennale d’art contemporain.
des lieux constants dans leur
voulons présenter au public
Avec d’autres artistes venus
programmation et permanents
comme acte de résistance !
des quatre coins du globe.
dans leur existence. Cette initiative et ses
« Partcours 2014 »
Sous le thème «Avancer», la
résultats correspondent bien à
Dakar - Sénégal
première édition de la biennale
la diversité de ces porteurs de
Consulter le programme
«Yango» va questionner les
liberté d’expression qui, malgré
caractéristiques expressives
leur équilibre précaire, luttent
qu’offre le Congo. Dotée
pour pérenniser leur existence.
d’incroyables ressources,
Partcours est un espace
la RDC offre l’une des plus
évolutif : si nous avons
grandes diversités culturelles
moins de présences pour cette
161
AGENDA FRANCE & EUROPE
Modern.
« SPHÈRES 7 »
L’artiste a créé un drapeau « MUSÉE DE L’ART CONTEMPORAIN
annonçant le Musée de l’Art
AFRICAIN »
Contemporain Africain à Berlin. Gaba a commencé à travailler sur ce projet entre 1996 et 1997, pendant ses études en Europe avec la bourse de la Rijksakademie à Amsterdam. La motivation pour créer son propre musée découle en partie de l’idée répandue selon laquelle l’art africain
Pour la septième édition de
contemporain n’existait tout
Sphères, GALLERIA CONTINUA est
simplement pas.
heureuse d’inviter les galeries
Dans le même esprit que des
313 Art Project, ATHR Gallery,
artistes associés à « Relational
Thomas Brambilla, Chatterjee
Aesthetics », comme l’artiste
& Lal, Cécile Fakhoury, Mor
américain Felix Gonzalez-Torres
Charpentier, Xippas à exposer
et l’artiste thaï, Rirkrit
dans l’ancienne usine des
Tiravanija, Gaba utilisait déjà
Moulins. Ce sont ainsi les
« Mon musée n’a aucun mur, »
le contexte d’exposition comme
œuvres de 32 artistes qui
dit Meschac Gaba ce n’est, «
une occasion de créer des
composent ce nouveau parcours
pas un modèle … c’est seulement
situations et des endroits pour
international. Le projet Sphères
une question ».
des rencontres sociales ;
réunit ainsi une nouvelle fois
Son installation de douze
la signification dun objet est
plusieurs galeries de différents
pièces, acquise en 2012, est le
« activée » par son interaction
endroits du globe, guidées
plus grand travail solo que le
avec le visiteur.
par la volonté d’unir leurs
Tate Modern a acheté jusqu’à
Dans le contexte de
diverses énergies autour d’une
présent.
l’exposition, quelques pièces
expérience inédite et commune
Le Musée de l’Art Contemporain
de cette installation peuvent
d’exposition au sein du Moulin
Africain 1997-2002 n’a aucun
être activées pour et par des
de Boissy-le-Châtel.
emplacement permanent, mais a
visiteurs.
Sphères est aussi l’occasion de
été exposé temporairement dans
“Musée de l’art contemporain
découvrir, ou de redécouvrir
des variations différentes dans
africain” - Meschac Gaba
les long-term projects de
des musées
du monde entier.
Du 20/09 au 16/11/2014
Daniel Buren, Marcelo Cidade,
Maintenant, sept pièces de ce
Unter den Linden 13/15
Leandro Erlich, Antony Gormley,
travail séminal seront montrées
10117 Berlin
Gu Dexin, André Komatsu,
pour la première fois
www.deutsche-bank-kunsthalle.de
Lucy+Jorge Orta, Michelangelo
à
Berlin
ici
pour marquer le début d’une
Pistoletto, Pascale Marthine
coopération entre la Deutsche
Tayou et Sislej Xhafa.
Bank KunstHalle et le Tate
«Spères 7»
162
GALERIA CONTINUA - LES MOULINS
avec les artistes sont
19/10/2014 - 21/12/2014
Les vidéos sélectionnées
programmées en parallèle.
46 rue de la Ferté Gaucher,
explorent, avec plus ou moins
77169, Boissy-le-Châtel, FRANCE
d’humour ou de sens tragique,
Les artistes invités :
/ T. +33 (0)1 64 20 39 50
notre perplexité face à
Edgardo Aragón Díaz ; Yto
lemoulin@galleriacontinua.fr /
l’échec des utopies de la
Barrada ; Eric Baudelaire ;
www.galleriacontinua.com / www.
modernité et aux tentatives
Ursula Biemann ; Wim Catrysse
spheres-lemoulin.com
de réévaluation qui se sont
; Martin Le Chevallier ;
succédées jusqu’à la fin du XXe
Declinación Magnética ; Theo
siècle. Cette seconde édition
Eshetu ; Mahdi Fleifel ; Yang
« INVENTER LE POSSIBLE
de la vidéothèque nous invite
Fudong ; Sirah Foighel Brutmann
UNE VIDÉOTHÈQUE ÉPHÉMÈRE »
ainsi à nous demander si l’on
et Eitan Efrat ; Peter Friedl
peut encore, dans ce contexte,
; Pauline Horovitz ; Marine
trouver d’éventuels modèles
Hugonnier ; Hayoun Kwon ; Naeem
de rechange. Conçu comme un
Mohaiemen ; Wendy Morris ;
dispositif mixte et ouvert, elle
Carlos Motta ; Els Opsomer ;
permet au public de visionner
Daniela Ortiz & Xosé Quiroga ;
librement des vidéos sur
Anxiong Qiu ; Khvay Samnang ;
des écrans individuels ou de
Allan Sekula ; Hito Steyerl ;
découvrir ces mêmes œuvres sur
Atsushi Wada ; Artur Zmijewski.
grand écran. En proposant au spectateur de
« Inventer le possible - Une
créer sa propre programmation
videothèque éphémère »
En 2010, le Jeu de Paume
et de revenir gratuitement
Du 14/10/14 au 08/02/2015
a présenté « Faux Amis »
dans les salles dédiées au
Au Jeu de Paume
la première édition de la
projet, ce second volet de
1 place de la Concorde
« Vidéothèque éphémère »,
la « Vidéothèque éphémère »,
75008 Paris
dédiée à la représentation
se positionne avant tout
de l’histoire dans l’art
comme une archive provisoire
« VIDEOs D’ARTISTES DES 5
contemporain, au travers des
des vidéos réalisées ces dix
CONTINENTS »
questions de mémoire, d’identité
dernières années à travers des
et de perte. La seconde
contextes et des territoires
édition, intitulée « Inventer le
très variés : du désert du
possible », est tournée « vers
Koweït à la forêt amazonienne,
l’après » pour interroger
en passant par le nord du
l’invention d’un avenir possible
Canada, le Bengladesh, le
ou d’un futur utopique. « Nous
Sénégal, l’Indonésie… Une
rêvions d’utopie et nous nous
sélection de ces vidéos est
sommes réveillés en hurlant »,
également proposée au jeune
Le bar du Bristol, à Paris,
déclarait l’écrivain chilien
public dans l’espace éducatif
donne carte blanche à
Roberto Bolaño, dans son
du Jeu de Paume, tandis que des
la très pointue Galleria
« manifeste infraréaliste ».
projections et des rencontres
Continua, grande galerie
163
AGENDA d’art contemporain italienne
« KADER ATTIA BEGINNING OF THE
se heurte au statu quo que
(San Gimignano, Pékin, Les
WORLD »
maintient l’ordre politique.
Moulins) pour y projeter des
L’exposition donne alors à
vidéos d’artistes des cinq
penser sur l’activité humaine de
continents. Ainsi, l’automne
réparation, quand tout ce que
et l’hiver seront plus doux,
nous faisons est conduit par un
si vous poussez la porte à
instinct de lutte pour notre
tambour du palace parisien
survie. Ce comportement est un
pour y découvrir dans cette
rêve moderne, et par exemple
atmosphère feutrée ces oeuvres
les émeutes ont toujours été
programmées tous les soirs de
motivées par cette utopie
19h à 21h. Autour d’une coupe
GALLERIA CONTINUA / Les Moulins
révolutionnaire d’améliorer
de champagne ou d’un soft drink
a le plaisir d’accueillir les
le monde par le changement.
vous pourrez admirer les images
œuvres de Kader Attia pour
Basée sur le principe du
des plus grands noms de l’art
une exposition personnelle au
besoin infini des civilisations
contemporain: d’Etel Adnan,
Moulin de Boissy. Le titre de
humaines à se battre pour
Ai Weiwei, Kader Attia, Daniel
l’exposition, « Beginning of
leur survie, et sur l’émeute
Buren, Loris Cecchini, Nikhil
the World », fonctionne sur
comme outil de rédemp-tion
Chopra, Leandro Erlich, Meschac
l’ironie, ce « commencement
sociale, l’exposition présente
Gaba, Carlos Garaicoa, Gu Dexin,
du monde » apparaissant
une sorte d’apogée inversé où
Subodh Gupta, Kan Xuan, Anish
métaphoriquement comme sa
le principe d’élévation cor-
Kapoor, Jorge Macchi, Sabrina
propre fin, le point de départ
respond à la raréfaction de
Mezzaqui, Moataz Nasr, Hans
de tous les problèmes qui
œuvres et de leur matérialité.
Op de Beeck, Giovanni Ozzola,
pourraient précipiter le monde
Du chaos à l’immatériel, l’on
Sun Yuan ou bien encore Peng
vers sa disparition.
passe au travers d’une curieuse
Yu, Pascale Marthine Tayou et
Le principe de l’exposition
et absurde dialectique entre
enfin Sislej Xhafa. Le Bristol
fait suite à une longue
opposés.
ou quand la culture rime avec
période de recherches, au
luxe, calme et volupté.
cours de laquelle Kader
« Beginning of the World »
Attia a consciencieusement
GALERIA CONTINUA - LES MOULINS
« Vidéos d’artistes des 5
examiné les différentes
19/10/2014 - 21/12/2014
continents »
significations couvertes par
46 rue de la Ferté Gaucher,
20/10/2014 - 11/01/2015
le binôme « réparation » et «
77169, Boissy-le-Châtel, FRANCE
Le bar du Bristol,
réappropriation ».
/ T. +33 (0)1 64 20 39 50
112 rue du Faubourg Saint-
L’idée politique du commencement
lemoulin@galleriacontinua.fr /
Honoré, 75008 Paris,
possède un lien étroit avec
www.galleriacontinua.com / www.
celle du « rêve révolution-
spheres-lemoulin.com
naire », et peut en vérité apparaître comme une forme de « non-évolution », en ce sens que le changement attendu vers un monde meilleur
164
En mai dernier la revue AFRIKADAA présentait à la Biscuiterie de la Médina son projet curatorial Street Publication, dans cadre du Off de la biennale de Dakar, Dak'art 2014. AFRIKADAA tient à remercier tous les généreux donateurs* qui ont soutenu notre campagne de crowdfunding sur Indiegogo, les artistes (Jay One, Sean Hart, Louisa Babari, Joël Andrianomearisoa, Vieux Cissé, Ousmane Mbaye, Bouna Medoune Seye, Alexis Peskine), Les Studios More Human, nos sponsors et toutes les personnes qui ont contribué à la réalisation de notre projet. Rien n'aurait été possible sans vous! Last May, AFRIKADAA Magazine presented a curatorial project, Street Publication, at the Biscuiterie de Medina, in the framework Off the Dakar Biennale, Dak'art 2014. AFRIKADAA like to thank all the generous donors* who have supported our crowdfunding campaign on Indiegogo, the artists (Jay One, Sean Hart, Louisa Babari, Joël Andrianomearisoa, Vieux Cissé, Ousmane Mbaye, Bouna Medoune Seye, Alexis Peskine), More huma Studios, our sponsors and all those who contributed to our project. Nothing would have been possible without you! * Anne sophie Jessel, Gladys Okatakyie, Florence Tedajo, Carmélita De Souza, Alexandre Gouzou, Annick Lemonnier, Laurence Leblanc, Didier Martin, Catherine Laval, Isabelle Gourmelon, Frieda Ekotto, Emily Goedde, Maxime Chevillotte Catherine Wallace, Maria Bonga, Dasha Nicoué, Chantal Epee, Gérard Akindes, Ibrahima Barry, Janine Gomez, Edem Allado, Juliette Diogo, Sylviane Diop, julie Crenn, Elisabeth Lebovici, Arnaud Goujon, Sandrine Ebène de Zorzi, Ohiniko Couao-Zotti, Julie Lassissi, Adele Grellet, Azania Steady, Demba Makalou, Sibi Letourneux, Minia Biabany, Elisabeth Gomis, Maguy Touré, Fatou Ndiaye, Francis Louis, Saïdou Dicko MERCI !!!!!!! THANK YOU!!!!!!! 165
AFRIKADAA PLAYLIST
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Michelange Quay Né en 1974, de nationalité américaine et d’origine haïtienne, Michelange Quay, obtient sa licence de cinéma à l’Université de New York, ainsi que sa licence d’Anthropologie à l’Université de Miami. Il est diplômé en réalisation à la prestigieuse Tisch School of Arts. En 2002, il est le réalisateur lauréat de la Résidence Ciné fondation du festival de Cannes, où il commence l’écriture du film Mange, ceci est mon corps. En 2004, il réalise L’Evangile du cochon créole, un court-métrage de 35 minutes, présenté dans la sélection officielle du festival de Cannes en 2004. Il reçoit aussi le prix du meilleur court-métrage au festival de Locarno, Stockholm, Milan, Rio de Janeiro, Sao Paulo et au festival de Tokyo CON-CAN Movie. En 2008, sort son premier longmétrage, Mange ceci est mon corps. Le film est sélectionné aux festivals de Sundance 2008, Tokyo Filmex 2007, Toronto 2007 et Edinburgh 2008. Il obtient le Grand prix au Festival International du film de Miami Haïti ground zéro est son dernier projet. Il réalise un prologue de cinq minutes qui amorce la composition de son prochain longmétrage.
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Portrait de Michelange Quay par Alexandre Gouzou
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AFRO DESIGN & CONTEMPORARY ARTS
NOV-DEC-JAN N° 8
L’IMAGE EN MOUVEMENT Re- Inventing Narratives