POLITICS OF SOUND

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DESIGN & CONTEMPORARY ARTS

DEC JAN FEV 2015/16

#10

POLITIC–S OF SOUND

ISSN 2429-1927


Couverture : Première de couverture : Burning of the Midnight Lamp, 2013, ©Satch Hoyt Quatrième de couverture : Say it Loud, 2007-2014, ©Satch Hoyt Ils ont contribué à ce numéro : Jay One Ramier, Sindika Dokolo, Satch Hoyt, Camille Norment, Watts Ouattara, Jean Claude Moineau, Olivier Lussac, Mukwae Wabei Siyolwe, Raphaël Barontini, Lotte Løvholm, Cosmo Whyte, Emeka Ogboh, Em’kal Eyongakpa, Abigail Celis, Vanina Géré, Aryan Kaganof, Emily Goedde, Mukami Kuria, John Peffer, Jun Nguyen-Hatsushiba, Stéphanie Melyon-Reinette, Dinah Douïeb, Olivier Timma, Eugenie Gwladys Temewé Ninsegha, Jean-Pascal Zadi, Evenson Lizaire, Philippe Di Folco, Rithuli Orleyn, Lord Eraze, Yeno, Holly Bass, Julien Creuzet, Blaise N’Djehoya, Robert Hodge, Switch “Groov” Experience, L’autre Musique, Frédéric Mathevet, Célio Paillard, Thierry Planelle, Andrew Esiebo, Tom Bogaert, Younes Baba-Ali, Magdi Mostafa, Sirine Fattouh, James Webb, Clelia Coussonnet, Ilpo Jauhiainen, Lauren Ekué, Aurélie Leveau, Alisa Clements, Kalakuta Selectors, Stéphanie Bonnet, Jacques Goba, Christine Riou, Gisèle Sentier, la Galerie Imane Fares, Bomi Odufunade, Lina Planelle, Sebastien Zaegel, Ines Di Folco, DJ Reyz, la Fondation Kadist, la Fondation Cartier pour l’art contemporain, Olivier Ouadah, le Mac/Val et toute l’équipe de Khiasma Nous remercions nos partenaires : Le CNAP, la Fondation Sindika Dokolo, l’ IESA, R22 Direction de publication Carole Diop Pascale Obolo Rédactrice en Chef Pascale Obolo Direction Artistique antistatiq™ Graphisme antistatiq™ Leïla Sy Comité de rédaction Frieda Ekotto, Louisa Babari, Olivia Anani, Seloua Luste Boulbina, Camille Moulonguet, Patrick de Lassagne, Anne Gregory, Myriam Dao, Sean Hart, Fabiana Bruna Souza, Hafida Jemni, Jephthé Carmil Tous droits de reproduction réservés. ISSN 2429-1927 Contact: info@afrikadaa.com www.afrikadaa.com www.facebook.com/Afrikadaapage www.twitter.com/afrikadaa

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EDITO En ces temps où règne un vent de violence et de division dans nos sociétés, We are One Nation Under Groove (Funkadelic ). Souvenonsnous-en lors de cette fin d’année 2015 , en ces moments troubles où la montée des extrêmes jette son voile sur le monde … « Ma musique va d’abord faire peur aux gens, car elle représente le bonheur et ils n’en ont pas l’habitude !», disait Sun Ra. Des sons dissimulés dans l’environnement nous incitent à mieux entendre le monde qui - trop souvent - est masqué par le regard. Comment les créateurs, s’emparent-ils du SON, dans leur production artistique et dans leur écoute du monde ? Écouter autrement ! Ce numéro est pensé comme un voyage sonore. Sonorités discordantes ou accordantes, l’art sonore est souvent celui de l’affect. L’intérêt au son, ouvre un champ élargi où sont convoqués des expériences plurielles, celles des lieux, des parcours et des dérives physiques, des récits, des narrations sonores, ainsi que l’exploration de la mémoire pour une suspension de l’oubli. Identifier les différents phénomènes sonores, les modes d’écoutes et la variété des modes de productions du son. De même, l’expérience de l’écoute, ne se limite pas seulement aux oreilles, mais traverse les organes pour une immersion sensitive de tout le corps ! Envisageons cet opus comme les Sounds Studies, en associant pratiques sonores et des problématiques, mémoire sonore et écriture sonores, poésie sonore et rythme sonore, silence et bruit, espace sonore et parcours sonore. Finalement, les sons émis ne suffisent pas à assouvir les besoins et les visions des artistes, qui les associent à d’autres formes d’expressions artistiques … “Don ‘t call it music if the term offends you.” Créer des sons qui n’existent pas dans la nature. Produire des sons inédits qui peuvent être inclus dans une œuvre, mais leur acceptation ou leur intégration en tant que « les nôtres », permet de décoloniser les perceptions et de démoraliser les savoirs. Lorsque vous entrez dans une galerie ou un musée, vous n’êtes pas juste entrain d’avoir une expérience visuelle ... La peinture et la sculpture attirent votre attention sur le son. Nous sommes constamment soumis à l’expérimentation sonore sans le savoir. Jusqu’au silence. Ce numéro d’Afrikadaa sonde le lien actuel, entre l’art et le médium son. L’histoire du son dans les arts plastiques joue dans un

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rapport contradictoire fait de tension, de dramaturgie, d’un récit en creux, de signes, par défaut. En somme, dans les arts visuels, on distingue les œuvres sonores plastiques, et les œuvres sonores. « Le monde est musique » dit John Cage. Si seulement... Rétrospectivement ce territoire hybride et dense nous permet de lire autrement l’histoire de l’art, celle de la musique et l’utopie sémiotique qui les traversent. Il est important d’évoquer ces échanges idéalistes parfois, entre le visible et le sonore. L’art sonore a-t-il la capacité de créer des fictions, de revisiter des histoires passées, présentes ou futures ? Les fictions sonores de POLITICS OF SOUND, permettront d’aborder sur le plan sociopolitique différents courants musicaux, qui ont marqué les luttes des droits civiques ou les luttes panafricaines. Ces fictions traverseront une histoire esthétique du son et de la musique. Ces narrations peuvent se reproduire via des créations politiques, telles les extravagances frictionnelles de l’afrofuturisme, de la généalogie extraterrestre de Sun Ra, aux voyages interplanétaire de Dr Octogone regagnant la planète terre par le fax. La musique devient la promesse d’un monde, autre… Nous questionnerons ces paradigmes, dans ce numéro d’Afrikadaa, dédiè au SON... PASCALE OBOLO


EDITO In times like these, when violence and division are sweeping through our society, we are “one nation under groove” (Funkadelic). Let’s try to remember that, in these troubled moments at the end of 2015, when extremists are gaining ground all over the place. As Sun Ra once said, “my music will at first frighten people. My music represents happiness, and people aren’t used to that.“ Sounds hidden in the environment encourage us to better hear the word, which, too often, is masked by the gaze. How do creators implement SOUND into the way they listen to the world and into their artistic production? Listen differently... This issue is to be understood like a sonic voyage. Using discordant and accordant sounds, sonic art is often an art of affect. Showing an interest for sound means opening experience wide, as we drift and travel, to stories, sound narratives. We explore memory to break away from oblivion. In identifying various sonic phenomena, we can learn about listening habits and different means of production. Not only do we listen with our ears, we listen with our bodies. We imagine this issue in the spirit of sound studies, by associating sonic practices and issues, sonic memory and sonic writing, sonic poetry and sonic rhythm, silence and noise, sonic space and sonic paths. Sounds are not enough to satisfy the needs and visions of artists who associate them with other forms of artistic expression... “Don‘t call it music if the term offends you.” Create sounds alien to Nature. Create sounds that have not yet been heard. Previously unheard sounds can be implemented in a work. Their acceptance and integration can help decolonize perception and unnerve knowledge itself. Stepping into a gallery or museum is not merely a visual

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experience... Painting and sculpture steer our attention toward sound. We are always subjected to sound experimentation, even in complete silence. This issue of Afrikadaa examines links between art and sound. Art History evolved into contradictory relationships between drama, pressure, and a subliminal tale. One can find sonic information in the visual arts. ‘’The world is Music’’ claims John Cage. If only... The dense hybridity between sonic and plastic arts enables us to have new insights into the history of art, music and the semiotic utopia currents of all. It is important to draw attention to the exchanges between the visual and aural, which can at times can be quite idealistic. Does sonic art have the ability to create fictions and revisit past, present and future events? The sonic fictions of “POLITICS OF SOUND” will allow the various musical trends that have influenced the civil rights and Panafrican struggles to be approached from a socipolitical level. These sonic narrations can be the product of political creations, such as the fictional eccentricity of afrofuturism, or the extraterrestrial genealogy of Sun Ra, or the interplanetary journeys of Dr Octogone returning to Earth via a fax. Music holds the promise of a different world... These are the topics we will examine in this issue dedicated to sound.

PASCALE OBOLO


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AFRIKADAA #10 POLITICS OF SOUND ART TALK

THE MIGRATION OF THE ETERNAL AFRO-SONIC SIGNIFIER - BY SATCH HOYT 6 AFROFUTURISM MIX - PAR JEAN-CLAUDE MOINEAU 12 SOLAR DRUMS : CABINET CRÉOLISÉ POUR MUSIQUE DE CHAMBRE SOUS-MARINE - PAR MATHIEU BUARD 20 AND WHAT IF WE COULD TOUCH SOUND? - BY ABIGAIL CELIS 24 THE GHOST OF KARL MARX IS A CHOIR OF IMMIGRANTS - BY LOTTE LØVHOLM 30 PAR-DELÀ LE BUREAU DES PLAINTES QUE NOUS APPREND LA RÉCEPTION DE LA 56E BIENNALE DE VENISE ? - PAR VANINA GÉRÉ 32 COLLECTIONNER COMME MILITER - PAR CAMILLE MOULONGUET 40 SOMEBODY BLEW UP SOUTH AFRICA - BY ARYAN KAGANOF 46 A LOVE SUPREME AT 50 : JOHN COLTRANE, MALCOLM X AND THE SOUND OF ’65 - BY FRIEDA EKOTTO 52 THE SOUND OF BOMBS - BY EMILY GOEDDE 54 NAKEI NAIROBI - BY MUKAMI KURIA 58 NOTES ON CUTS ON CENSORED RECORDS - BY :JOHN PEFFER 64 FLOW : A NEGOTIATION BETWEEN VOICES CONVERSATION WITH JUN NGUYEN-HATSUSHIBA - BY MYRIAM DAO. 68 BLACK IS A CULTURE - BY MUKAMI KURIA 72 ÂME, IRIE, BARAKA : « SOMEBODY BLEW UP AMERICA » - PAR STÉPHANIE MELYON-REINETTE 74 SPIRITUAL RESONANCES : CALL TO PRAYER, SACRED CHANTS ET GLOSSOLALIA IN SOUND-BASED PRACTICES - BY CLELIA COUSSONNET 78 NEGOTIATION’S – CHAPTER 1-I : PARIS-DUALAND : UNE INSTALLATION POLYPHONIQUE - PAR JEPHTHÉ CARMIL 82 MODES DE PRODUCTIONS SONORES, ET DYNAMIQUE DE LA CRÉATION PLASTIQUE - PAR OLIVIER TIMMA ET EUGENIE GWLADYS TEMEWÉ NINSEGHA 84 NORTHAFROBEATZ : NORTH AFRICAN ELECTRONIC DEEP URBAN TRANCE OF RHYTHMS OF LIFE - BY DINAH DOUÏEB 92 ARE YOU LISTENING? AN INTERVIEW WITH ARTIST CHRISTINE SUN KIM - BY EMILY GOEDDE 98 CE QUE LA PEINTURE ENTEND DE LA MUSIQUE : CONVERSATION AVEC WATTS OUATTARA - PAR HAFIDA JEMNI 102 RAP FRANÇAIS, LE COMBAT CONTINUE ? - PAR JEAN-PASCAL ZADI 108 LA SONORITÉ « RAP » ÉLAN SUBVERSIF OU SUBORDINATION MARCHANDE ? - PAR EVENSON LIZAIRE 112 LES ULTRASCORES DE CHASSOL - PAR CAMILLE MOULONGUET 116 OF THE PASSIONS AND POLITICS OF GODS AND MEN : THE OPERATIC FORM IN CONTEMPORARY ART - BY OLIVIA ANANI 118 MUSIC IS THE HEALING FORCE OF THE UNIVERSE - PAR PHILIPPE DI FOLCO 126 LA DISSIDENTE DISSONANCE DE LOUISA BABARI & JAY ONE RAMIER - PAR CAMILLE MOULONGUET 130 DIN OF HABOURED DREAMS : NOMFUSI’S DECOLONIAL FLASHBACK AT MQHAYI THROUGH BIKO - BY RITHULI ORLEYN 134 RAPTURE : L’EN–VERRE ET SON, UNE MUSIQUE CÉLESTE - PAR HAFIDA JEMNI 140 CAB CARAÏBES, AFRIQUE, BRÉSIL : MARIO CANONGE - ENTRETIEN AVEC SELOUA LUSTE BOULBINA 146 DE LA LUMIÈRE DES LIMBES PORTRAIT DE PATRICK LOMBE - PAR INÈS DI FOLCO 150 L’ODYSSÉE D’ARTHUR « S » SIMONINI - PAR SELOUA LUSTE BOULBINA 156

CONCEPT

VADUZ : UN POÈME DES FUITES - PAR HAFIDA JEMNI ET PHILIPPE DI FOLCO URBAN SOUND MIGRATION : BY HOLLY BASS SI MOHAMED ALI - PAR YENO LE RÊVE D’ICARE - PAR LORD ERAZE

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ART TALK / ROBERT HODGE & MUKWAE WABEI : RIFFS AND TEXTS

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COMMENT PERCEVONS-NOUS LE MONDE ? PAR NOËL CYRILLE BOBIOKONO NOBLE ART : GESTE NOIRE & CREATION - PAR PATRICK DE LASSAGNE UN TRAIN PEUT EN CACHER UN AUTRE : LES MASQUES DES TÊTES BRÛLÉES - PAR BLAISE N’DJEHOYA HENRI GUEDON “ SON TAMBOULA” - PAR JAYONE RAMIER

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FOCUS

SATCH HOYT : THE MUSICAL SCULPTOR IN HIS SPACESHIP - BY PASCALE OBOLO AND SATCHT HOYT

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PLACES

LA R22 TOUT-MONDE - PAR SEBASTIEN ZAEGEL 196 MUSIQUEAUPOING? - COTONOUENMUSIQUE : EN QUÊTE D’UN ATLANTIQUE NOIR - PAR SWITCH “GROOV” EXPERIENCE 198 «SIX VOIX DISENT LE SON, À LA GALLERIA CONTINUA – LE MOULIN…» - PAR HAFIDA JEMNI 202

CARNET DE BORD

L’AUTRE MUSIQUE : FRÉDÉRIC MATHEVET & CÉLIO PAILLARD

DESIGN

POPTONES - PAR THIERRY PLANELLE

PORTFOLIO

LE SHRINE - PAR CAMILLE MOULONGUET JAMES WEBB, À L’ÉCOUTE DU MONDE - PAR CAMILLE MOULONGUET TOM BOGAERT : BLACK NOISE & SPUTNIK POWER - BY TOM BOGAERT YOUNES BABA-ALI & ILPO JAUHIAINEN

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ARCHITECTURE

DÉRIVE ET AFFECTIVITÉ : DE L’USAGE DU SON - PAR OLIVIER LUSSAC. . . . . . . . . . . . . . . . . 238 ARCHITECTURER LE SON - PAR CAROLE DIOP 242

EXHIBITION REVIEW

AFRIKADAA SILENCE BREAK ON-AIR FAHAMU PECOU, OMBRES, SONS ET LUMIÈRES - PAR LAUREN EKUÉ LIBÉRER LES CHEVEUX, MARQUER LA PEAU, DANSER LA MORT - PAR AURELIE LEVEAU LES ON-OFF : DES RHÉTORIQUES SONORES ET DES VOIX - PAR HAFIDA JEMNI

246 250 254 258

AFRIKADAA’S LIBRARY 268

AGENDA 276

AFRIKADAA PLAYLIST

SUN RA & JEAN CLAUDE MOINEAU COLLECTIONNER OU ARCHIVER ? - PAR PASCALE OBOLO LA MUSIQUE COMME UNE ARME - KALAKUTA SELECTORS - PAR JACQUES GOBA DJ REYZ SET: VOYAGE SONORE - PAR STÉPHANIE BONNET

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ART TALK

THE MIGRATION OF THE ETERNAL AFRO-SONIC SIGNIFIER Satch Hoyt - All images courtesy of the artist

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The role sound has played in the documentation, preservation, and continuation of African Diaspora Culture is of particular relevance. Music is a living entity. Certain African societies believe that musical instruments are human beings, and the human body is the supreme seat and ultimate source of all musical expression.


In 1904 early anthropologists Emil

of the signifier is of people talking in tongues,

and other complex music genres to be created

Torday and Leo Frobenius both employed

a phenomenon often witnessed in black

in the Diaspora, pre and post-colonial period.

phonograph-recording machines on their

church congregations throughout the Ameri-

separate field trips in the Congo region of

cas and the Caribbean Basin. At the outset

enables the expansion and construction of

Africa. Digital enhancement of the original

of slavery, church provided an ideal existing

cultural identity in the process of invention of

wax cylinder recordings has opened up grey

structure into which the songs and rituals

new self or to coin a 1960’s phrase, “The new

areas in regards to the sounding forms/musi-

could be assimilated, a place where the African

breed.” Metaphor is pivotal and is intrinsically

cal instruments that were used to create this

rites could be practiced. This Africanization of

linked with fantasy, myth, and imagination.

music. These phonograph recordings can be

Christianity remains alive in New World African

These functions are accompanied with the

seen as oral maps, maps encoded with reliable

cults in Haiti, Jamaica, Trinidad and other

narratives extended baton style from genera-

information that aptly trace both the history

Caribbean islands. Alan Lomax, a pre-eminent

tion to generation. These narratives undergo

of resistance and oppression and document

musicologist and preserver of African Ameri-

constant revision: “Identity is a narrative of the

musical genres that would otherwise be com-

can music, writes “Blacks had Africanized the

self it’s the story we tell about the self in order

pletely lost. Therefore, sound acts as a major

psalms to such an extent that many observers

to know who we are.” (Stuart Hall) We are in

conduit in the preservation and continuum of

described Black lining hymns (a form of aca-

constant ebb and flow. The dynamics of this

culture. In many cases the only method avail-

pella and antiphony) as a mysterious African

flux are as unfixed as a John Coltrane solo. The

able to document these histories was by oral

music.” The signifier has always co-existed in

sonic narrative is engaged in an ongoing dual

means. The de-codification of this music nar-

the sanctity of the sacred world rooted in call

dialogue with past and present chapters that

ration is imperative if we are to gain a broader

and response syncopation, and wrapped in

are invented betwixt heart, soul and intellect.

understanding of aspects of these cultures

ancient African rituals and ever-changing rites.

This floating soundtrack is an inextricable

that were often nomadic and existed in states

The ring shout, one such African ceremonial

indelible trait that is imbedded in all colonized

of constant flux.

dance transported through the Black Atlantic

subjects with equal fluidity. It speaks as easily

crossing, is described circa 1819 in Congo

to its ruptured past grand narratives as it

beats employed in current music genres such

Square New Orleans as involving five to six

does to its forward thinking future. It remains

as Kuduro from Angola and various other

hundred dancers accompanied by drummers

rooted in unbridled fertile imagination and

strains of Hip-Hop and Dance Hall are to be

and stringed instruments, moving and sway-

therein flexibly sways like a syncopated

found in these early recordings.

ing in a counter clockwise position.

passage from a Sun Ra solo to a J. Dilla beat.

It is interesting to note that many of the

What I term as the Afro-sonic signifier was

The evolution of this sonic vocabulary will

the soul companion during the forced migra-

dissemination and displacement, came an

deter us from becoming what Franz Fanon so

tion of the middle passage. Furthermore, this

inner heightened awareness of this sonic

eloquently termed as “individuals without an

signifier is what continues to bond people

galaxy of harmonics from a people with a con-

anchor, without a horizon, colorless, stateless,

of the Diaspora today. Expressed in kinesics

nectedness to nature. Complex cosmologies

rootless - a race of angels” (Franz Fanon The

body language -- facial expressions and

were very much part of their belief systems.

Wretched of the Earth, page 218). “Examining

gestures -- it is inextricably aligned with the

These systems were solidly in place pre Middle

the place of music in the black Atlantic world

history of black dance from the plantocracy

Passage, a prime example being the Dogon,

means surveying the self-understanding

period to the present day. I contend that it is in

who’s “Sirius B” cosmology theory is intrinsi-

articulated by the musicians who have made

fact omnipresent, eternal, a metaphysical col-

cally connected and corresponds to certain

It, the symbolic use to which their music is

lective apparition unlimited by language and

aspects of ancient Egypt and ancient Greece.

put by other black artists and writers, and the

unhampered by geographical location.

I therefore conclude that this algebraic sonic

social relations which have produced and

network is what enabled the invention of Jazz

reproduced the unique expressive culture in

A prime example of the euphoric qualities

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With the rupture of slavery, followed by

The modulation of this aurality is what


which music comprises a central and even

man of Borneo” was one such racial epitaph

issue that has existed throughout the African

foundational element” (Paul Gilroy, The black

metered out on him. Jimi purveyed a Du

Diaspora. Our names objectify our personas,

Atlantic).

Boisian double consciousness throughout

names are important in shaping identity. At

his short-lived career. Growing restless with

the advent of the Black Power Movement in

the UK he returned to the USA creating the

the 1960’s many African Americans changed

fied majestic Jimi Hendrix. Jimi’s self penned

Electric Lady Recording Studios in New York

their names. Malcolm Little became Mal-

cosmological myth tales were eloquently

City where he spent countless periods of time

colm X, Cassius Clay became Muhammad

sung on unique psychedelic layers of Blues,

in sound experimentation on the production

Ali, Herbie Hancock adopted a Swahili name

Jazz, Folk and R&B sprinkled with non specific

of his pre digital multi-layered recordings.

Mwandishi and all the musicians in his sextet

social comment. Rooted in a time-defying

During this period he was a part time Harlem-

followed suite. In Jamaica many of the early

Afrofuturism, Jimi’s oeuvre was delivered

ite and encountered various personalities in

Reggae musicians adopted Afro-Aristocratic

with a griot-like troubadourian panache.

the freedom movements, namely the Black

names. Sun Ra did not impose a name change

Emphasizing his racial triangulation of African

Panther Party. These encounters evolved

on members of his band, The Arkestra, But

American, Native American and European

into Jimi taking a more politicized stance in

Sun Ra did impose a distinctive dress code

American ancestry, he fluidly mined and

his music, thus resulting in the formation of

which was a flamboyant cross between Egypt

melded Bach tinged passages and Cherokee

The Band of Gypsys, an all black funk driven

and Sci-Fi. His concerts were awash with

drum patterns with Griot style Mississippi

revolutionary trio comprised of drummer

pageantry, his self penned spoken philosophy

Delta call and response counterpoint. As a

Buddy Miles and long time bass playing friend

which he delivered in spoken word poetry,

flamboyant flâneur, all the above cultures plus

Billy Cox who incidentally is the only living

laced over layers of electronic analog synthe-

a few others were displayed in his coquettish

member from both of Hendrix’s trios. Jimi was

sizers as well as African percussion and large

dress attire on and off the stage. A maverick

a groundbreaking virtuoso musician/com-

horn sections. His genre-breaking universe

who had the foresight and good fortune to

poser vocalist who re-invented the electric

of Jazz traversed the entire canon. He fought

migrate to the UK to realize his mission and to

guitar expanding its sonic capabilities with the

against the negative conditions of this inhar-

enable him to achieve the global gravitas that

aid of analog pedals, tape echoes, and colossal

monious planet. His mythic music of the spirit

his timeless music would swiftly acquire. In

levels of feedback. He elevated the guitar’s

was intended to elevate the mortals of this

the racialized climate of the 1960’s-70’s music

sound to dizzying new heights, a true portal of

planet to a higher plane. Sun Ra was an early

industry, Hendrix was totally aware that for

the sonic signifier. Jimi was an iconic person-

pioneer of Afrofuturism. He was an originator

him to penetrate a predominantly white rock

age within the discourse of cultural identity

of this cultural aesthetic along with interna-

world/market he would need to enlist two

and transnationalism challenging black male

tionally acclaimed writer Octavia Butler. Sun

white players. To facilitate the success he envi-

stereotypification within racial hierarchy.

Ra claims his early awareness of intergalactic

Fast rewind to the 1960’s: All hail our dandi-

sioned, drummer Mitch Mitchell and bassist Noel Redding were enrolled to form “The Jimi Hendrix Experience.”

space was due to an abduction experience Sun Ra (1914-1993) born Herman Poole

in which he was enshrined in a bright light

Blunt in Birmingham Alabama, was a com-

and transported to another planet, which he

poser, bandleader, poet, philosopher, piano

identified as Saturn. He claimed he was of the

many others in the 1960’s when certain states

and synthesizer player, a self invented person

angel race not from Earth but Saturn, insist-

were still segregated. He witnessed racism

who legally changed his name in 1952 to

ing that all answers lie in Egypt, and that we

first hand as a sideman in the deep South

Le Sunny’r to attain a new cultural identity,

must learn hieroglyphics. He stated that black

on the Chitlin Circuit. Jimi’s persona as well

as he claimed his former name was a slave

people have lost their ethnic cultural structure

as his performances were highly sexual-

name. This disconnect from the former was a

and until it is regained they will be like flotsam

ized and racialized. In the UK press “the wild

necessary psychological act. Renaming is an

on the ocean of life. His concerns were mul-

Jimi toured with Little Richard among

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tifold, lamenting a planet out of alignment,

the entire canon of African American music

left an extensive oeuvre and retains a lofty

controlled by the Caucasian race. This spiritual

to such an extent he was a living breathing

position as sonic scientist supreme in the

activism is squarely linked to his experience on

archive of it. His sense and knowledge of

annals of Hip Hop and R&B history.

the ground, so to speak, stemming from the

dance genre beat-based music was profound

racial hierarchy he witnessed as a child raised

and all encompassing. He was a native of

D. “Butch” Morris (1974-2013) who was the

in the segregated South. He was a utopian

Detroit, a city famed for the birth of Tamla

originator, pioneer and principal theorist of

visionary for the Black race and planet earth

Motown Records and House music. In the mid

“conduction,” was marked by improvisation

at large. A charismatic bandleader, he led The

90’s he impacted a rap music terrain that was

conducted in real-time with both large and

Arkestra from the mid 1950’s until his death.

in need of resuscitation. He was able to supply

small-scale ensembles. This unique genre

The Arkestra still exists under the leadership

this need with his unique cut and paste col-

bending method of no notation entails a lexi-

of his dear friend and founding musician

lagist approach. His sound was immediately

con of 48 plus hand signs and baton gestures

Marshall Allen.

identifiable, emblazoned with hooks and

invented by Morris to isolate and dynamically

hypnotic beats. His compulsive collecting of

shape musical forms as they appear from the

vinyl (digging in the crates) aided his ever fresh

ensemble of individual musicians or sound

a Hip Hop producer perfectionist extraordi-

relentless pioneering drive. J. Dilla produced

makers. A trained musician and theorist,

naire. An obsessed magpie who devoured

and collaborated with many formidable artists

Morris grew weary of the restrictions imposed

vinyl with a voracious appetite and absorbed

such as Erykah Badu, Madlib, The Pharcyde,

by Western music theory and hence created

Common, Janet Jackson, and De La Soul, to

his own. His conductions were impromptu

name just a few. His sound revolved around

aural bridges to cross and meld into. Morris

his in-depth connoisseurship of Funk & Soul

choreographed his magic wand-like baton

based compositions from which he looped,

through an Afrofuturistic based transracial

sampled, and played over. Obsessed with the

terrain sprinkled all and sundry with shape

archive of the most innovatively pregnant

shifting intergalactic wizardry. These sonic

analog decade in popular music, the 1970’s,

dramas, resplendent with Morris more often

which also spawned many fusions of style

than not clad in sombre black resembling an

and culture mashups, Dilla eloquently wove

Afrofuturistic ninja, were a universal panopoly

tapestries of finely tuned Hip-Hop songs and

of sonic signification. Butch mapped out an

cinematic sequences.

all-encompassing universal vocabulary that

J. Dilla, aka James Yancey (1974-2006) was

The aforementioned cut and paste

The utter unpredictability of Lawrence

in its very fluxuating nature was a subversive

sampling technique applied by J. Dilla has its

boundary eraser catapulting the receiver/

roots in experimental music dating as far back

audience into a plethora of terrains that were

as the early 1940’s “Musique Concrete” best

unfamiliar, seductive, explosive, and anesthe-

described as electroacoustic music that was

tizing. All hail the continuation of conduction.

invented and developed by Egyptian born

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American composer, performer, ethnomu-

Alice Coltrane (1937-2007), nee Mcleod,

sicologist, Halim El Dabh born 1921 in Cairo

spiritual name Turiyasangitanada, was a com-

Egypt. There is a logical continuum between

poser, arranger, harpist, pianist, organist, and

the early call and response rhythms and vocal

synthesizer player born in Detroit Michigan

chants of certain Sub-Saharan African cultures

to a deep musical family. Her mother played

and the loop space sampling techniques

piano and sang in the local Baptist church.

executed by producers such as J. Dilla. J. Dilla

Turiya began classical music lessons at age


seven. Early in her career she played in church

eclectic vocalist Erykah Badu is our current

an album. Her ethereal harp playing on this

groups and with various Jazz ensembles

purveyor of this ancient Egyptian strain of

album is extremely innovative as the harp is an

such as local Detroiters guitarist Kenny Burrell

Afrofuturism. Badu centers her philosophy

instrument rarely heard within the context of

and saxophonist Lucky Thompson. Turiya

on the Egyptian symbol of the Ankh, the key

jazz music. This album is a compassionate plea

moved to Paris in 1959 to study Jazz with the

of life, also known as the key of the Nile. Note

for us to transcend the obduracy of this mate-

legendary bebop pianist Bud Powell. Upon

her album New Amerykah, Part Two: Return Of

rial world and reside in a state of enlightened

her return to the USA she joined Vibraphonist

The Ankh.

consciousness. She cited Thelonious Monk

Terry Gibbs’ band with whom she recorded

One must take into account the majority

and her teacher Bud Powell among her major

three albums. In 1966 Turiya replaced the

of women who played a role in the field of

influences. Turiya’s music exists in a unique

monumental pianist McCoy Tyner in John

Jazz were vocalists. Alice Coltrane was one

genre defying black space consisting of Jazz,

Coltrane’s band, whom she had met in 1963,

of the very few instrumentalists navigating a

classical, gospel, drone, Blues, and devotional

while touring with Gibb, and then married

patriarchal milieu that was not so open to her

song elements. Her flight away from racial

in 1965. Turiya played piano and organ on

idiosyncratic non-orthodox style. We must

oppression led to an avoidance of the subject

all of Coltrane’s later recordings, which were

also note here that in fact she is one of the

within the seclusion of her invented environ-

extremely eclectic and spiritual. They were

very few harpists in the entire Jazz canon.

ment in which she surrounded herself with

both deeply involved in experimenting with

In 1972 Alice pursued a spiritual path

an Afrofuturist community of loyal devotees.

Indian, African, and Middle Eastern music

traveling to India where she studied Sanskrit

Turiya’s unswerving focus on spiritual salva-

and the musical instruments used in playing

and the Vedas with Swami Satchidananda. On

tion through an awakening and sharing of

those particular genres. The late 1960’s in the

her initiation she was given the Sanskrit name

her highly evolved Afro-sonic signifier was a

USA was a redefining moment both culturally

of Turiyasangitananda. Later becoming a Swa-

transcendental ideal vision that she had also

and politically in which the Coltranes were

mini, she founded the Sai Anantam Ashram,

shared with John. In an interview she gave in

confronted head on with the Civil Rights and

her own Vedantic Center in Santa Monica,

1968 with Pauline Rivelli for The Black Giants,

Black Nationalist movements coupled with

California. A great majority of her devotees are

Alice humbly stated that “Everything I do is an

the spiritual alternative philosophies of Asian

African American and I would suggest that this

offering to God”

and African persuasion. Music played a major

is due to the fact that a race and class hierarchy

role in the identities of all of these movements

was also clearly apparent in certain spiritual

sharing with my sisters and brothers of the

and existed in a clearly defined racial strata.

movements of this period. Turiya was clearly

world, my all, the results I leave to God I am

After the death of John Coltrane in 1967 Turiya

aware of this fact and naturally attracted

not really concerned with results, my only

raised their three children and embarked on a

fellow African Americans into her congrega-

concern is the work, the effort put forth.”

solo career. Ptah, the El Daoud, her second solo

tion. Her brand of meditation and yoga with

album, is a sublime abstract entropy that takes

an emphasis on Bhajans (devotional Sanskrit

one on an Egyptian, Vedantic Afrofuturist,

songs) was heavily tinged with her Baptist

fantastical voyage. The music and the album

gospel roots.

sleeve artwork are uncannily akin to the concepts of Sun Ra whom one can imagine Turiya

Alice Coltrane, a self-invented innovative

must have met. Both were accomplished

African American woman who re-imagined

theoreticians and philosophical black cos-

herself as Swamini Turiyasangitananda retains

mic outsiders of the traditional Jazz domain.

an elevated position in the cultural aesthetic

They also shared a penchant for non-western

of Afrofuturism. Journey in Satchidananda,

eccentric attire as Turiya, like Sun Ra, was often

her fourth solo album recorded in 1970, is in

bedecked in flowing regal robes. The highly

my opinion a luminous milestone jewel of

12

“The work I am trying to do is a sort of


Conclusion. I am in fact arguing that the Afro Sonic Signifier is an encoded harmonic and rhythmical mnemonic network, initially transported

identity within the axiology of their chosen

“How are we to think critically about artistic

practices, their contributions have immensely

products and aesthetic codes which, though

expanded the canon

they may be traceable back to one distinct

of black creative practices implementing ever new possibilities on the horizons of

location, have been changed either by the passage of time or by their displacement,

through the middle passage slavery expe-

the new generations of art practitioners.

relocation, or dissemination through networks

rience, and continues its migration and

Collectively their oeuvre navigates a vast

of communication and cultural exchange?

evolution through the citizens resident in the

trajectory, one I term as “From Slave Ship

modern western African Diaspora. The artists

To Space Ship.” All the sorrow songs, the

I have chosen to investigate and venerate are

resistance songs, the psalms and the funk,

exemplary portals of the Afro sonic signifier,

are seamlessly melded into eternal reams of

unbounded by, but at the same time aware

palimpsest otherworldly utopian resolve.

of, their racialized histories. They chose to

In regards to the continuation, evolution,

pave individual paths of innovative black

and migration of the Afro sonic signifier I

myth making and their creative vision has

would like to end my conclusion with a ques-

given us brilliant alternatives to work with,

tion Paul Gilroy eloquently asks in his chapter

thus enabling the narratives to be further

“‘Jewels Brought from Bondage’ Black Music

enriched. By constantly remaining immersed

and the Politics of Authenticity,” in his ground

in the imagining and re-imagining of cultural

breaking book The Black Atlantic. He asks,

13


ART TALK

AFROFUTURISM MIX Jean-Claude Moineau

Le DJ londonien Kode9 alias Steve

assimile à un biopouvoir, la vibration, la force

les organismes composant l’univers étaient

Goodman , dans un livre dont le défaut,

vibratoire du son comme du « non – son », qui

fondamentalement des entités vibratoires,

paradoxalement, est que les thèmes abordés,

résonne en nous. Les vibrations, tant audi-

préfigurant la conception que développera

d’une très riche diversité, ne sont pas suf-

bles qu’inaudibles. Lesquelles ont le pouvoir

Erwin Schrödinger7 en 1926.

fisamment « mixés » mais demeurent par trop

qui peut les rendre aussi bien jouissives que

simplement juxtaposés, défend la position

dangereuses d’entrer en nous et de moduler

En quoi, selon Goodman, la « musique

selon laquelle ce qui prévaut, tant dans les

de façon imperceptible les affects, les émo-

comme arme », par delà la totale divergence

musiques actuelles que… dans les armes

tions et les comportements tant individuels

de leurs desseins respectifs, n’en convergerait

soniques , tant dans les opérations militaires

que collectifs là où la typologie dressée par

pas moins à sa façon avec un courant comme

de contrôle du territoire et des individus au

Adorno des différents modes d’écoute ne

l’afrofuturisme.

moyen des armes soniques, dans l’emploi tant

prenait en compte que les seules écoutes

du son que de la musique en tant que telle en

individuelles. D’agir « tant perlocutoirement

tant qu’arme de guerre… que dans le contrôle

qu’illocutoirement au sens d’Austin » sur les

sée pour la première fois par John Corbett8

des « audiences » exercé par l’industrie des

humains comme sur les non humains, tous

réunissant d’emblée sous une même « éti-

media, ce n’est en dernier ressort même pas

eux-mêmes de nature vibratoire-oscillatoire

quette » aux contours délibérément vagues

tant le son en tant que tel que le rythme3 qu’il

(en tout effacement de la distinction sujet-

qui exclue par avance toute définition ou

objet). L’auditeur lui-même ne se contente

condition d’appartenance par trop précise

plus d’entendre ou d’écouter mais vibre, qu’il

trois musiciens aussi disparates, voire hété-

le veuille ou non. Goodman se proposant,

roclites, que Sun Ra9, George Clinton10 et Lee

à partir de là, de dégager non tant une

7 Cf. Erwin SCHRÖDONGER, Mémoires sur la mécanique ondulatoire, Paris, Alcan, 1933. 8 John CORBETT, « Frères d’une autre planète, La Folie spatiale de Lee “Scratch“ Perry, Sun Ra et George Clinton », 1994, tr. fr. Nomad’s Land Vol. 2 n°4, Paris, Kargo, printemps 1999. 9 Sun RA and his intergalactic solar arkhestra, Sountrack to the film Space is the Place, 1972, Evidence, 1993 & Space is the Place, Blue Thumb records, 1973. 10 George CLINTON & Parliament, Mothership Connection, 1975, Casablanca records, qui met en scène le personnage de Starchild, « afronaute » venu apporter sur Terre le P-Funk, contraction de Parliament et de Funkadelic, l’autre groupe de Clinton, ou encore « Pure-Funk » (sic), quoi qu’il en soit, observe fort justement Guillaume Dupetit (Afro-futurisme et effet miroir : Les Contre-récits de Parliament/Funkadelic, Saint-Denis, Université Paris

1

2

1 Steve GOODMAN, Sonic Warfare, Sound, Affect, and the Ecology of Fear, Cambridge, Mass., MIT Press, 2010. 2 Cf. Suzanne CUSICK, « Music as Torture/Music as Weapon », Trans, Revista transcultural de musica n°10, 2006 & Juliette VOLCLER, Le Son comme arme, Les Usages policiers et militaires du son, Paris, La Découverte, 2011. 3 Le rythme, notion un peu passe-partout, ce qui fait la fécondité en même temps que la fragilité de la notion de rythme étant, à l’encontre des traditionnelles conceptions modernistes, son manque de spécificité. Le rythme s’avérant n’être pas plus définissable que l’art en tant que tel et n’étant pas même propre à « l’art » quand bien même il conviendrait de se méfier tout autant de la formule « tout est rythme » que de la formule pseudo-avantgardiste « tout est art » : cf. Jean-Claude MOINEAU, « Polyrythmie ». Urban Rhythms Human Rhythms, Pékin, Beijing Film Academy/Saint-Denis, Université Paris 8, 2005 & Pascal MICHON, Rythmes, pouvoir, mondialisation, Paris, PUF, 2005 & Les Rythmes du politique, Démocratie et capitalisme mondialisé, Paris, Prairies ordinaires, 2007.

14

4

5

esthétique ou même une phénoménologie qu’une… « ontologie » de la « force vibratoire ». Ontologie inspirée des travaux d’Alfred North Whitehead6 qui, dès 1925, soutenait que 4 Theodor ADORNO, Introduction à la sociologie de la musique, 1962, tr. fr. Orgemont, Contrechamps, 1994. 5 J. L. AUSTIN, Quand dire, c’est faire, 1962, tr. fr. Paris, Seuil, 1970. 6 Alfred North WHITEHEAD, La Science et le monde moderne, 1925, tr. fr. Francfort/Paris/Lancaster, 2006.

Afrofuturisme dont la notion a été esquis-


« Scratch » Perry11 quand bien même ceux-ci

sens proposé à la même époque par Harald

saient, dans la première moitié du vingtième

ne se sont jamais eux-mêmes réclamés du

Szeemann . Tous trois utilisant librement

siécle, que la photographie devait permettre

terme :« Dans les différents modes du reggae,

l’idée centrale de l’aliénation mentale en lui

d’ « intensifier » la vision humaine) jouant

du jazz et du funk, Lee Perry, Sun Ra et George

superposant une métaphore spatiale, l’esprit

avec l’image du « corps humain augmenté »,

Clinton ont construit leur propre univers, alen-

raisonnable étant présumé configuré dans la

mi-homme mi-machine, du cyborg tel qu’il a

tours futuristes qui manifestent subtilement

Terre : « la santé mentale est le “sol“ d’où l’on

pu également être valorisé dans la Bible du

la marginalisation [qui a longtemps été celle]

décolle pour des vols fantaisistes ». Quitter la

« cyberféminisme » qu’est le Manifeste cyborg

de la culture noire. Ces nouvelles galaxies

terre étant aussi, loin de toute traditionnelle

de Donna Haraway19. Musique elle-même

discursives utilisent un ensemble de tropes et

harmonie des sphères, transgresser la struc-

cyborg, mi-musique mi-arme : « On guard !

de métaphores sur l’espace et l’aliénation, liant

ture harmonique établie, la notion d’espace

/ Defend yourself ! / We shall overcome […]

leur histoire commune — la diaspora africaine

s’associant à celle d’exploration : « Tradition

Shoot them with the bop gun […] / On guard !

— à une notion extraterrestre12 ». Chacun à sa

= Terre ; innovation = espace sidéral », quel

/ Defend yoursef20 ».

manière menant une critique démystifiante

que soit l’héliocentrisme qui demeurait le fait

via une… remystification, ils ont développé

de Sun Ra. Là où Paul Gilroy15 a suggéré que

Notion qui s’est étendue par la suite au

indépendamment les uns des autres des

cette « hétérotopie » qu’était pour Foucault16

hip hop et à la musique électronique tout en

mythes —voire des « storytellings » — simi-

le navire (le navire négrier) soit considérée

incluant aussi, dans le domaine littéraire, à

laires. « Originaires de souches différentes,

comme un « chronotope » (c’est-à-dire un

l’instar des textes, toujours très narratifs, des

abordant des genres musicaux différents,

marqueur spatio-temporel) de la diaspora

chansons et des pochettes des disques, la

établis dans des secteurs différents [plus ou

transatlantique, Ra, Clinton et Perry ont

science-fiction (Samuel R. Delany21, Octavia

moins marginaux] de l’industrie de la musique,

transformé l’Atlantique en espace sidéral et

Butler, elle-même représentante également

composant de la musique pour des publics

le vaisseau maritime en vaisseau spatial (où

de l’afroféminisme, l’un et l’autre de surcroît

différents […] Ra, Clinton et Perry n’en ont pas

l’on peut voir en même temps une sorte de

appartenant à la « minorité » homosexuelle…),

moins créé trois mythologies personnelles

mythe dual des mythes entourant le culte

voire, selon Alondra Nelson22, Ishmael Reed,

compatibles13 » et s’influençant même mutuel-

mélanésien du cargo17 présumé lui-même

l’auteur de Mumbo Jumbo23… et n’a cessé

lement, mythologies individuelles d’artistes au

apporter plutôt qu’emporter… Tous trois

de s’élargir toujours davantage comme en

8, 2013) de son caractère lui-même « mixte, hétérogène et hybride ». Funk étant lui-même un terme dérivé de l’argot funky, terme signifiant habituellement puant, qui sent la sueur (fait, notamment, des odeurs sexuelles), reproche traditionnellement adressé par les blancs aux noirs, terme repris à leur propre compte, en le positivant, par les artistes noirs, comme cela a pu être le cas de tant d’autres termes, tel, aujourd’hui, le terme queer, et le funk étant selon Clinton, tel, selon Jacques Derrida (« La Pharmacie de Platon », 1968, La Dissémination, Paris, Seuil, 1972), le pharmakon platonicien, à la fois virus et remède (terme complexe) ou, plus exactement, déconstruction de l’opposition entre les deux. 11 Lee « Scratch » PERRY & friends, The Black Ark Years (The Jamaican 7»s), 1974 To 1976, Sipple Out Deh & 1977 To 1978, Vibrate Onn, Trojan records, 2010, le Black Ark étant le studio au matériel de bric et de broc de Perry que lui-même n’en comparait pas moins à un navire spatial. 12 John CORBETT, op. cit. 13 Ibid.

15

14

accordant une grande place à la technologie dans leur musique et (comme, déjà, László Moholy-Nagy18 et la nouvelle vision pen14 Harald SZEEMANN, « Mythologies individuelles », 1972, tr. fr. Écrire les expositions, Bruxelles, La Lettre volée, 1996. 15 Paul GILROY, L’Atlantique noir, Modernité et double conscience, 1993, tr. fr. Paris, Kargo, 2003. 16 Michel FOUCAULT, «Des espaces autres», 196784, Dits et écrits, tome IV, op.cit. 17 Cf. Peter WORSLEY, Elle sonnera, la trompette, Le Culte du cargo en Mélanésie, 1964, tr. fr. Paris, Payot, 1977, Peter LAWRENCE, Le Culte du cargo, 1964, tr. fr. Paris, Fayard, 1974 & Mondher KILANI, Les Cultes du cargo mélanésiens, Mythe et rationalité en anthropologie, Lausanne, Éditions d’en bas, 1983. 18 Laszló MOHOLY-NAGY, « Photographie, forme objective de notre temps », 1936, tr. fr. Peinture photographie film et autres écrits sur la photographie,

Nîmes, Chambon, 1993. 19 Donna HARAWAY, « Un manifeste cyborg : science, technologie et féminisme socialiste à la fin du XXe siècle », 1985, Des singes des cyborgs et des femmes, La Réinvention de la nature, 1991, tr. fr.Arles, Chambon, 2009. 20 George CLINTON, « Bop Gun (Endangered Species) », Funkentelechy vs. the Placebo Syndrome, 1977. 21 « Science fiction isn’t just thinking about the world out there. It’s also thinking about how that world might be—a particularly important exercise for those who are oppressed, because if they’re going to change the world we live in, they—and all of us—have to be able to think about a world that works differently. » (Samuel DELANY, « The Art of Fiction », Paris Review n° 197, summer 2011. 22 Alondra NELSON, « Introduction : Future Texts », Social Text n° 71, summer 2002. 23 Ishmael REED, Mumbo Jumbo, 1972, tr. fr. Paris, Seuil, 1975.


témoigne le dossier consacré en 2013 par

alternatif— dont la trame est tissée entre

le pouvoir blanc peut faire pour imaginer un

Afrikadaa à l’afrofuturisme . Fait de musiciens,

projection futuriste et réinterprétation des

futur possible [ou, du moins, une potentialité,

d’artistes et écrivains noirs américains

origines ». Remise en question du temps

une « virtualité » au sens bergsono-deleuzien]

et diasporiques de toutes les régions du

chronologique reposant sur la distinction du

tant de l’humanité tout entière que de la

globe, qui, tout en assimilant l’enlèvement,

passé, du présent et du futur, de la tradition

musique… par Kodwo Eshun32, lui-même

historiquement, de populations d’Afrique

et de l’innovation, comme de ce que François

membre de l’Otolith Group, les otolithes étant

noire par des envahisseurs blancs au thème

Hartog a appelé le régime moderne

des cristaux de carbonate de calcium situés

récurrent dans les romans de S.F. de l’alien

d’historicité, régime dont relevaient pourtant

dans le système vestibulaire de l’oreille interne

abduction, de l’enlèvement de terriens par des

aussi bien le futurisme russe que le futurisme

jouant un rôle essentiel dans l’équilibration

E.T. (S.F. elle-même traditionnellement tenue

italien. Quand bien même, comme l’avance

de l’organisme : là où, sur le plan musical, le

pour une sorte de ghetto « paralittéraire » de

Emmanuel Grynszpan , l’afrofuturisme

futurisme italien, avec Luigi Russolo, avait

la littérature), entendent, dans la mouvance

n’en prône bien pas moins l’émancipation

substitué là la mélodie le bruit, l’afrofuturisme,

de L’Atlantique noir, rompre avec tout

des noirs et de leur culture tout en rejetant

dans la voie notamment du dj new-yorkais

afrocentrisme, avec toute nostalgie du

« le cliché blanc associant la musique noire

Grandmaster Flash dont la rapidité et l’agilité

continent primitif et toute notion de racine

à un passéisme focalisé sur une recherche

(Grandmaster Flash changeant les disques

au profit d’une diaspora assumée, « l’espace,

perpétuelle des racines africaines » comme

avec ses orteils) étaient à l’origine de son pseu-

dit Pascale Obolo25, se substituant au ghetto

il rejette tout identitarisme en lui opposant

donyme faisant référence au super-héros des

[et l’avenir au passé], le voyage interstellaire

« sa fascination pour les technologies de

DC comics… a progressivement, sans qu’il y ait

au récit de voyage » . « L’Afro-futurisme,

pointe [… sa volonté de] réappropriation

là simple résurgence des tambours africains,

soutient Dupetit26, peut être perçu comme

symbolique [comme ce sera également le cas

substitué à la mélodie et au bruit la pulsation,

un mouvement pluri-artistique regroupant

de la cyberculture] du pouvoir conféré par la

le battement, le beat, la batterie et la basse, la

la littérature, la musique, les arts graphiques

possession de la technologie » par ceux qui en

voix étant elle même déjà utilisée par Clinton,

ou encore le cinéma, autour d’un discours

étaient jusqu’alors exclus (quoi qu’il en soit

comme Dupetit33 en fait l’observation, de

associant deux notions ambivalentes : la

du caractère relativement obsolète demeurant

façon plus rythmique que mélodique, tandis

sublimation de la technologie [moderne] et

celui des technologies que peut, tout en les

que c’est Perry qui avait initié la pratique du

la reconstruction des mythes fondateurs de

revitalisant, se réapproprier un Perry).

sampling en remixant en temps réel des pistes

24

27

28

29

la culture afro-américaine. Relevant d’une

analogiques préenregistrées sur des cassettes

volonté de déconstruction/reconstruction

… Notion théorisée, à la suite de Mark

magnétiques au même moment que, dans

de symboles, de valeurs et de croyances

Dery30, auteur par ailleurs de Vitesse virtuelle31,

le Bronx, DJ Kool Hero, dj lui-même d’origine

communément assimilés dans la culture

enquête sur les utopies de l’ère informatique,

jamaïcaine à l’origine du hip hop, inventait le

des Etats-Unis, et plus spécifiquement au

lequel a posé la question de savoir com-

breakbeat, utilisant pour sa part des platines

sein de la communauté afro-américaine,

ment une « communauté » dont le passé et

vinyle, à la façon de John Cage, comme

l’Afro-Futurisme [qu’il vaudrait mieux à cet

l’histoire avaient été délibérément effacés par

d’instruments de musique à part entière et

égard appeler l’afro-américano-futurisme] répond à un processus combinatoire de références tant idéologiques, politiques, sociologiques qu’historiques, assemblées en une fiction spéculative —un « grand récit » 24 Afrikadaa n° 5, Afrofuturisme, juin-juillet-août 2013. 25 Pascale OBOLO, « Edito », Afrikadaa, op. cit. 26 Guillaume DUPETIT, Afro-futurisme et effet miroir, op. cit.

16

27 François HARTOG, Régimes d’historicité, Présentisme et expériences du temps, Paris, Seuil, 2003. 28 Emmanuel GRYNSZPAN, « Confluences et divergences, La Techno face aux musiques savantes », Zerez, 2002. 29 De même Steve Goodman (op. cit.) : « Afrofuturism tries to break with many of the stereotypes of black music culture that tie it to the “primitive” as opposed to the technological ». 30 Mark DERY, « Black to the Future », Flame

Wars : The Discourse of Cyberculture,

Durham, Duke University Press, 1994. 31 Mark DERY, Vitesse virtuelle, La Cyberculture aujourd’hui, 1996, tr. fr. Paris, Abbeville, 1997.

sautant sans cesse d’un exemplaire à un autre 32 Kodwo ESHUN, « La Capture du mouvement », 1998, tr. fr. Nomad’s Land Vol. 2 n°3, Paris, Kargo, été 1998, More Brilliant Than the Sun, Adventures in Sonic Fiction, Londres, Quartet Books, 1999 (dont Eshun décrit ainsi le projet : « More Brilliant Than The Sun is a machine for travelling at the speed of thought, a probe for drilling into new levels of possibility space. Its mission is to undermine the concepts this present has of «Health» and «Culture» and to excite mockery and hatred against these hybrid monsters of concepts ») & « Further Considerations on Afrofuturism », New Centennial Review, Vol. 3 n° 2, summer 20O3. 33 Guillaume DUPETIT, Afro-futurisme et effet miroir, op. cit.


d’un même vinyle, d’abord de reggae puis de

en font un véritable objet multimedia au

City, au passé musical lui-même très riche

funk, passant toujours en boucle les mêmes

caractère pouvant être lui-même très agressif),

puisqu’ayant notamment accueilli Clinton,

« échantillons », la mélodie et l’harmonie

et qui, selon Eshun (lequel, par contre, rejette

mais désormais entrée en récession, devenue

s’effaçant pour ne laisser place qu’au rythme,

pour toute importance accordée aux données

une vaste friche industrielle prenant des

le scratching transformant les enregistrements

biographiques), constituent le point de départ

allures de cité engloutie, témoignant de ce

servant de matériaux sonores en une sorte de

même de votre itinéraire à travers la musique,

qu’Arnauld Pierre36 a appelé « un futurisme

texture rythmique ou polyrythmique elle-

conditionnant « la manière dont la musique va

rétrogradé et déjà frappé d’obsolescence »

même inspirée du funk…

vous capturer pour vous emmener dans son

projetant tout au plus « les visions d’un

monde »… Tandis que, note également Eshun,

avenir désormais dépassé », quand bien

Où Eshun

même ce n’est pas

souligne lui-même

tant l’aspect »rétro »

l’aspect corporel,

qui retient l’attention

gestuel, de l’activité

d’Eshun, lequel

du dj, allant jusqu’à

rejette tout human-

parler de « guerres

isme comme tout

kinesthésiques » : le DJ

humanitarisme, que la

« sème la terreur avec

capacité des musiciens

son poignet [quand

de Detroit à ne s’en

ce ne sont pas ses

s’inventer pas moins

pieds] qui balance des

des mondes (musi-

bombes terrifiantes

caux) parallèles, ce qu’il

[…] c’est comme un

appelle des « fictions

poignet prédateur,

soniques ». Detroit,

qui sème la terreur

comme le présume

d’un mouvement brusque, rien qu’en touchant le vinyle »… Aspect corporel, gestuel, kinesthésique, également de l’activité de l’auditeur qui n’est pas qu’auditeur (on n’entend, de toute façon, jamais qu’avec ses seules oreilles mais avec tout son corps) mais qui, comme dans le cas de l’entendre-comme wittgensteinien34, se fait aussi danseur… En même temps que, pour l’auditeur lui-même, importance toujours, du moins à ce stade, en l’absence désormais de paroles, des caractéristiques matérielles du vinyle, de l’ « objet vinyle », pochette comprise, tant textes qu’illustrations (qui, par delà toute opposition entre « texte » et « paratexte », 34 Cf. Ludwig WITTGENSTEIN, Leçons et conversations sur l’esthétique, la psychologie et la croyance religieuse, 1966, tr. fr. Paris, Gallimard, 1971.

17

la pratique du sampling ouvre désormais un continuum entre « sons audio » et « sons visuels » samplés dans des films, entre audition et audio-vision au sens de Michel Chion35… L’afrofuturisme pouvant tout aussi bien, relève Eshun, tout comme l’a fait le rock anglais lui-même, s’approprier le blues des noirs américains, que la techno black de Detroit (le collectif, cofondé par Mike Banks, Jeff Mills et Robert Hood, Underground Resistance, en abrégé U R, prononcer You Are), Detroit, la ville jadis fleuron de l’industrie automobile américaine, surnommée Motor 35 Michel CHION, L’Audio-vision, Paris, Nathan, 1990.

Grynszpan37, ravagée par la récession et le chômage, plutôt que de se lamenter sur son riche passé industriel, enjambant elle-même le morne présent pour sauter vers un futur entrevu grâce aux nouvelles technologies, … « emprunter » à la fois au P-Funk lui-même qu’à la new wave blanche venant d’Angleterre (Human League, A Flock of Seagulls…) et au Krautrock allemand (Kraftwerk), lui-même féru des sons générés par la technologie industrielle, déconstruisant la distinction entre « musique blanche » et 36 Arnauld PIERRE, « Gravity Greater than Velocity, L’Asymptote de Vincent Lamouroux », 20/27 n°2, M19, 2008. 37 Emmanuel GRYNSZPAN, « Confluences et divergences », op. cit.


« musique noire ». Quand bien même, allègue

les innovateurs techno s’inscrivent dans

malgré tout à critiquer un Simon Reynolds45

Grynszpan, le son purement électronique et

une tradition spécifique, ce qui, au premier

soucieux de démasquer les « mystifications

synthétique qui était celui de Kraftwerk, qui

regard, semble contredire les deux valeurs

qui ne manquent de se produire, dit-il, quand

surprenait l’oreille par son étrangeté, était dû

de la techno qui, surtout à l’époque, faisaient

les blancs s’identifient à la musique noire (et

en réalité à des « sons infiniment plus pau-

autorité : d’une part, une foi inconditionnelle

ne se contentent plus de la consommer) »

vres en couleur que les sons acoustiques […]

en une nouveauté antitraditionnelle, sans

(sic). Ainsi, dans les années 70, constate-t-il, la

tout le contraire de ce qu’appelait Russolo

« sources » [le culte moderniste du nouveau,

musique jamaïcaine était-elle perçue comme

de ses voeux lorsqu’il prônait l’utilisation

cependant dénoncé dès 1959 par Harold

anti-capitaliste et anti-impérialiste : « le pana-

de machines et l’abandon des instruments

Roseberg40 puis par le postmodernisme], et,

fricanisme des rastas résonnait avec les luttes

d’orchestres aux «sons anémiés» ». Cependant

d’autre part, une universalité globale, sans

postcoloniales de l’époque. […] Avant même

que, prend-il soin de noter, l’utilisation, dans

lieux ni groupes spécifiques […] Ainsi, l’album

le punk, la culture rock avait fait du reggae la

la techno comme dans le rap, de la platine

Rings of Saturn de X-10241 » suivi de l’album

“pulsation rebelle“ des années 70, une zone

vinyle pour mixer allait à contre-courant

Atlantis de X-10342, tous deux productions

d’authenticité salutaire à une époque de

de l’évolution technologique de l’époque

d’U R.

stagnation et de recul postcontreculturels ».

vers le compact disc…Et, observe Dietrich Diederichsen38, l’afrofuturisme n’en peut pas

Ce même si, « dans les cercles académiques Cependant que Goodman dit que le dub,

néomarxistes comme chez les activistes de

moins toujours rechercher un lieu mythique

effaçant la voix tout en amplifiant le couple

gauche, il y avait une certaine gêne vis-à-vis

« noir, transhistorique, soit sous l’eau, dans

rythmique basse-batterie au détriment de la

des drogues » et surtout de « la religiosité

l’univers [intersidéral] ou dans certaines niches

mélodie et en incorporant les phénomènes

passionnée du reggae ; la centralité absolue

de l’histoire de l’Égypte et de l’Éthiopie, un

de dégradation, de saturation et de distorsion

du rastafarisme ». Et à l’encontre de « la réalité

lieu qui, dans le meilleur [?] des cas, voudrait

du son à la musique43… se répandant sous

de la « culture populaire jamaïcaine » à la

opposer à l’européocentrisme davantage

l’impulsion de Perry à partir de la Jamaïque, a

recherche elle-même de divertissement et

(et mieux) qu’un simple africocentrisme,

été le premier mouvement musical à dével-

d’évasion46.

à savoir l’universalisme [universalisme qui

opper l’idée d’un virus audio susceptible de

Sur quoi, relève-y-il-il, un des premiers à

n’en demeure pas moins lui-même, dans le

se diffuser, tel une arme chimique, à travers

avoir conceptualisé l’afro-futurisme en tant

cadre de l’actuelle globalisation, fortement

la culture musicale populaire blanche et de

tributaire de l’européocentrisme]. Un lieu qui

l’ « infester » en provoquant une véritable

soit aussi universel que la couleur noire peut

épidémie.

45 Simon REYNOLDS, « Racines et avenir, La disparition de la du reggae », 2000, Bring the Noise, 25 ans de rock et de hip-hop, 2007, tr. fr. Vauvert, 2013. 46 Tout comme, estime David Diallo (« La Musique rap comme forme de résistance ? », Revue de recherche en civilisation américaine n°1 2009) pour ce qui avait déjà été du blues avant le rap, « ceux qui ont réduit le blues à un simple produit de l’esclavage […] nombreux sont les auteurs de travaux sur la musique rap qui ont fréquemment réduit cette musique à une simple expression de résistance engendrée par l’oppression structurelle subie par une partie la communauté noire ». Alors pourtant que « qualifier simplement la musique rap [ou le blues] de forme de résistance est fortement réducteur dans la mesure où ce mode d’expression rassemble sans conteste une grande variété de thèmes et de discours ». Comme le soutiennent Claude Grignon et Jean-Claude Passeron (Le Savant et le populaire, Misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature, Paris, Gallimard/Seuil, 1989), les cultures dites « populaires », quelle que soit l’ambiguïté du terme, ne sont pas mobilisées en permanence dans une attitude de résistance culturelle. Là où les études sociologiques sur lesdites cultures populaires oscillent entre illégitimité (au regard de la culture tenue pour « légitime ») et relativisme culturel (voire multiculturalisme), entre misère culturelle et populisme, entre dépendance et autonomie, les cultures dites populaires sont en fait à la fois dominées et autonomes, contraintes à fonctionner alternativement comme cultures d’acceptation et comme cultures de dénégation, comme sub-cultures et comme contre-cultures.

l’être. Ces lieux, chez Underground Resistance, s’appellent [dans la foulée de Miles Davis ] 39

Atlantis, le continent englouti sous l’eau [qui n’en perpétue pas moins la nostalgie du continent perdu] et [dans la foulée de Sun Ra qui s’en disait originaire, envoyé sur Terre pour permettre au peuple noir d’échapper à la ségrégation, et qui en donna le nom à son propre label de disques] Saturne. Ce faisant, 38 Dietrich DIEDERICHSEN, « Perdu sous les étoiles : Mothership et autres remplacements de la terre et de ses territoires », 1998, tr. fr. Argument son [De Britney Spears à Helmut Lachenmann : critique électro-acoustique de la société], Dijon, Presses du réel/Ringier, Zurich, 2007. 39 Miles DAVIS, Pangaea, record II, Gondwana, CBS, 1975.

18

44

Conceptions que n’en a pas moins cherché 40 Harold ROSENBERG, La Tradition du nouveau, 1959, tr. fr. Paris, Minuit, 1962. 41 X-102, Discovers the Rings of Saturn, Berlin, Tresor, 1992. 42 X-103, Atlantis, Berlin, Tresor, 1993. 43 Où Erik Davis (« Polyrythmie, cyberespace et électronique noire », 1998, tr. fr. Nomad’s land n°4, hiver-printemps 1999) parle de dématérialisation du chant. « Comme l’a écrit Jeff Salamon dans Artforum [Jeff SALAMON, “Dub and Dubber“, Artforum, summer 1997], “on peut faire l’hypothèse qu’entrer dans les vertigineuses étendues du dub est un bon entraînement à l’exploration [des espaces virtuels]“ », du cyberspace, en tout cas d’un « cyberespace acoustique ». En même temps, dit Davis, que, à titre secondaire, le dub n’en renoue pas moins à sa façon avec les anciens ensembles polyrythmiques d’Afrique occidentale : « nous sommes là sur une frontière imaginaire entre le pré-moderne et le post-moderne ». 44 D’où le nom qui sera donné à la compilation du dub des années 90, Macro Dub Infection (Virgin, 1995) donnant à entendre l’infestation par le dub des différents genres musicaux qui se contaminent même les uns les autres et y perdent ainsi toute spécificité stylistique.


que tel a été Corbett dépeignant Perry, Ra et

l’âme, les racines, la rue, le ghetto… propose

de mille façons, pas forcément dans un rythme

Clinton « comme des renégats de la raison,

de « laisser joyeusement tomber l’approche

régulier. Chaque fois que je parcours ou hante

sociohistorique pour se concentrer à la fois sur

un territoire, chaque fois que j’assigne un ter-

la matérialité de la musique avec son impact

ritoire comme mien, je m’approprie un temps

on valorise le reggae roots presque exclusive-

rythmique sur le “corps-esprit“ de celui qui

pulsé ».

ment pour les techniques d’enregistrement

l’écoute » et sur la capacité de la musique à

héritées du dub. Parmi celles-ci, le retrait de la

titiller les représentations mentales avec des

Cependant qu’Éric Sadin48 observe que

voix et de certains instruments, pour ne laisser

images). Cependant que, désormais, ce sont

l’hybridité homme-machine, loin d’impliquer

souvent que les percussions et la basse ». « À

les producteurs et les techniciens qui sont mis

que le cerveau humain fonctionne comme

présent, le reggae est entouré par un discours

en avant par rapport aux chanteurs et aux

un ordinateur ou que l’ordinateur fonctionne

de hipster blanc, qui insiste sur des éléments

musiciens, les effets et traitements en studio

comme un cerveau humain amélioré,

minimisés à la fin des années 70 et (inévita-

l’emportant sur les interprétations vocales et

déconstruit tout anthropomorphisme comme

blement) en supprime d’autres. Aujourd’hui,

instrumentales et sur les textes eux-mêmes.

tout anthropocentrisme : « une mutation à

le discours se centre sur une idée du dub

Producteurs et techniciens usurpent le statut

la fois discrète et décisive du statut imparti

Alors que, « à présent, déplore Reynolds,

comme déconstruc-

à la technique s’est

tion (de la chanson, de

opérée depuis un

la métaphysique de

demi-siècle : alors que

la présence musicale)

sa vocation ancestrale

[…] une notion du

consistait à combler les

dub comme virus

insuffisances du corps

postgéographique qui

suivant une dimension

s’est depuis longtemps

prioritairement

éloigné de ses racines

prophétique, elle

jamaïcaines pour

a progressivement

infecter [dans un

assuré la charge

sens, ici, tout ce qu’il

inédite de régir

y a de plus péjoratif]

plus massivement,

d’autres genres

rapidement, et

— jungle, house,

“rationnellement“ les

hip-hop, postrock ; l’idée de l’instabilité sonore du dub, son bombardement presque traître d’effets surprenants, offrant [tout au plus] une “éducation à l’insécurité“ », producteurs et remixeurs décomposant les morceaux, les désassemblant en « fragments modulaires et interchangeables ». Là où, dit Reynolds, Corbett néglige étrangement la musique au profit de la construction du personnage, Eshun, lui, rejetant les conceptions traditionnelles de la musique noire qui se fixaient sur

19

d’auteurs. La victime de cette évolution n’étant pour une fois pas la danse mais la voix. Où Goodman parle lui-même pour sa part de déracinement, de déterritorialisation là où, en fait, selon Deleuze47, un temps pulsé demeurait toujours un temps territorialisé : « régulier ou pas, c’est le nombre du mouvement du pas qui marque un territoire : je parcours mon territoire! Je peux le parcourir 47 Gilles DELEUZE, Cours Vincennes : sur la musique, 03/05/1977.

êtres et les choses », avec « des systèmes élaborés pour gérer d’eux-mêmes un nombre toujours plus étendu de situations ». Mais où, pour finir, en conclut Sadin, « c’est le sujet moderne qui peu à peu se dissout, celui issu de la tradition humaniste instituant l’individu comme un être singulier et libre, pleinement conscient et responsable de ses actes », en même temps que « c’est le pouvoir du politique fondé sur la délibération et l’engagement de la décision 48 Éric SADIN, L’Humanité augmentée, L’Administration numérique du monde, Montreuil, L’Échappée, 2013.


qui s’effrite, pour progressivement concéder à

d’espèce humaine qui est mise en échec par

de la condition qui était autrefois réservée

des résultats statistiques et à des projections

l’expérience nègre. Produit d’une histoire de

aux Nègres » cependant que l’avènement du

algorithmiques le soin d’instruire et de

la prédation, le Nègre est en effet cet humain

numérique fait que « l’humain apparaît de plus

décider de choix publics » comme dans la ville

qui aura été forcé de revêtir les habits de la

en plus sous forme de flux de moins en moins

hormonale de Christophe Berdaguer et Marie

chose et de partager le destin de l’objet », du

concrets, de codes de plus en plus abstraits

Péjus avec le concours des architectes Jean-

non-humain. Ce en quoi « il porterait en lui le

[de plus en plus dématérialisés], d’identités

Gilles Décosterd et Philippe Rahm.

tombeau de l’homme ». Selon l’afrofuturisme,

de plus en plus fongibles ». Convergence non

la condition contemporaine est celle de

plus seulement, comme pour Goodman, entre

Conception reprise à son compte pour

l’humain non-humain, assemblage d’humain

afrofuturisme et guerre sonique mais entre

rendre compte de l’afrofuturisme par Achille

et de non-humain, de l’humain post humain ,

afrofuturisme et devenir de l’humanité. Où,

Mbembe pour qui, alors que « la réflexion

« dont le Nègre est, depuis l’avènement des

observe Mbembe, ne s’en profile pas moins

africaine et diasporique moderne sur la

Temps modernes, le prototype ou la préfigura-

l’interrogation : « comment, dès lors, poser en

“condition nègre“ s’est largement élaborée

tion », là où, pour Haraway52, c’était la femme

termes neufs la question de la libération du

dans le cadre de la pensée humaniste qui

qui était la première incarnation du cyborg,

potentiel d’affranchissement des asservis dans

aura prévalu en Occident au cours des trois

cependant que, pour Mbembe lui-même, le

les conditions concrètes de notre

derniers siècles » (d’où, dit-il, le nombre

prolétaire de la société industrielle en a été

temps ? Que veut dire se construire soi-même,

d’autobiographies parmi les tout premiers

une autre incarnation (indifférence entre objet

tracer son propre destin, ou encore se façon-

écrits afro-américains), et que, même encore

et sujet qui est également celle désormais de

ner soi-même au moment où “l’homme“ n’est

pour Césaire, pour Fanon et pour Glissant,

la catégorie d’ « actant » avancée, à la suite d’A.

plus qu’une force parmi plusieurs autres enti-

il n’était pas question de répudier l’idée de

J. Greimas53, par Antoine Hennion et Bruno

tés dotées de pouvoirs cognitifs qui, peut-être,

« l’homme » en tant que tel mais seulement de

Latour54 quand bien même, selon Mbembe,

dépasseront bientôt les nôtres ? ».

« mettre l’accent sur les impasses du discours

l’humanisme, « le “procès de civilisation“ aura

occidental sur “l’homme“ dans le but de

consisté […] à maintenir, avec des degrés

l’amender », tandis que l’afrocentrisme d’un

divers de succès, un certain nombre de sépara-

plus long intitulé « Quand la musique, ça sert à

Cheikh Anta Diop50 s’est borné à chercher à

tions fondamentales », à commencer par la

faire la guerre », dont une autre partie est parue

« démystifier » les prétentions universalistes de

distinction sujet/objet. Alors que « le néolibé-

en traduction anglaise dans Rabrab Journal,

l’humanisme occidental en posant les fonde-

ralisme est l’âge où ces digues s’effondrent

Journal for Political and Formal Inquiries in Art,

ments d’un savoir qui puiserait dans l’histoire

les unes après les autres. Il n’est plus certain

issue 02, Class Struggle Reverberations, Volume

de l’Afrique elle-même ses catégories tout en

que la personne humaine se distingue tant

A, Helsinki, septembre 2015).

préconisant lui-même le progrès vers la notion

de l’objet, de l’animal ou de la machine […] La

d’espèce humaine, l’afrofuturisme, lui, rejet-

fusion entre le capitalisme et l’animisme est

terait « d’emblée le postulat humaniste dans la

en bonne voie […] Si, hier, le Nègre était l’être

de l’art. Il a enseigné la théorie de l’art à

mesure où l’humanisme ne peut se constituer

humain marqué par le soleil de ses apparences

l’Université de Paris VIII et a été également

que par relégation de quelque autre sujet ou

et la couleur de son épiderme, tel n’est plus

conseiller auprès de la Biennale de Paris. Il écrit

entité (vivante ou inerte) au statut mécanique

nécessairement le cas aujourd’hui. L’on assiste

sur l’art et la musique actuelle .

d’un objet ou d’un accident. L’afrofuturisme ne

désormais à une universalisation tendancielle

49

se contente pas de dénoncer les illusions du “proprement humain“… À ses yeux, c’est l’idée 49 Achille MBEMBE, « Afrofuturisme et devenir-nègre du monde », Politique africaine n° 136, Blackness, Paris, Karthala, décembre 2014. 50 Cheikh Anta DIOP, Antériorité des civilisations nègres, Mythe ou vérité historique ?, Paris, Présence africaine, 1967.

20

51

51 Cf. Jeffrey DEITCH, ed. Post Human, Amsterdam, Idea, 1996. 52 Donna HARAWAY, « Un manifeste cyborg », op. cit. 53 Algirdas Julien GREIMAS, Sémantique structurale, Recherche de méthode, Paris, Larousse, 1966. 54 Antoine HENNION & Bruno LATOUR, « Objet d’art, objet de science, Note sur les limites de l’anti-fétichisme », Sociologie de l’art n° 6, 1993.

(fragment « remixé » d’un texte beaucoup

Jean-Claude Moineau est un théoricien


21


ART TALK

SOLAR DRUMS Cabinet Créolisé Pour Musique De Chambre Sous-Marine A propos du dialogue créatif entre Raphaël Barontini et Mike Ladd Mathieu Buard

22


Des assemblages quotidiens de son

sonores, une musique de chambre cosmique

la question du rythme m’a toujours accompa-

atelier jusqu’à leur présentation, dans « Sam-

ou aquatique mise en écho à la diaspora des

gnée, elle fait surgir du vivant et c’est ce que

bodrome », ou lors de son exposition « Solar

figures et portraits ; la scène oscille entre

j’essaye de faire dans mon travail plastique.

Drums » à la galerie Alain Gutharc, les œuvres

berceau des origines et « souvenirs du futur ».

Quand j’imagine une peinture, que je pense

picturales de Raphaël Barontini déploient et

Les fragments du compositeur Sun Ra associés

une installation, je suis à la recherche de

affichent une statuaire remixée, royaumes

au générique de « Général Patton » ou aux

rythmes visuels, de rapports de couleurs pour

exotes retrouvés et attelages iconiques de

saccades psychédéliques sourdes, animent

que le spectateur soit happé. Les sons de Mike,

cultures premières et post pop.

comme une orchestration hollywoodienne

cette musicalité grouillante, urbaine et élec-

l’atmosphère picturale et affirme ce raffine-

tronique viennent alors enrichir la poétique

Glissant est affirmée par Raphaël Barontini

ment d’un savant et parfois brutal jeu de

que je tente de mettre en place, ils envahissent

comme un montage permanent,

montage d’équilibres, cacophonie cosmique

mon installation et emmènent le spectateurs

peinture sous sérigraphie, spray sur

d’une harmonique nouvellement trouvée. Là,

dans un ailleurs. Il est important pour moi

figure… « Collector » donc, où le travail

les décors insulaires et statues tournés vers

que l’espace d’exposition s’anime par d’autres

de recomposition fabrique une grande

la mer, vers un espace liquide science fiction-

moyens, le son, la musique en est un.

cohérence selon un exotisme exhaustif,

nel et synthétique reflètent un afrofuturisme

aux échos hétérogènes, aux réinventions

éclatant.

La créolisation pensée par Edouard

MB : Il apparaît, et ce depuis Sambodrome, que vous avez avec Mike Ladd une

et vagues successives. Les dispositifs de

Espace étrange aux perspectives atmos-

présentation des œuvres cultivent une

phériques où la peinture est à la fois écran et

étonnante facilité à dialoguer et même à

proximité avec les cabinets de curiosités,

interstice, d’où sort le son, le spectateur oscille

correspondre - à la façon d’une relation

musées d’étrangetés désensevelies où les

de vibrations analogues en vibrations ana-

épistolaire par médiums interposés – Quels

peintures et objets s’accumulent et rappellent

logues. Alors du fond de la peinture au mur

les murs pleins, fragments suspendus de Joan

des sonorités, la même dimension haptique,

Soane ou d’André Breton, montages vidéos de

mise en orbite, nous sommes stationnés au

Jean Rouch. Peinture d’une cour où les sujets

dessus de Saturne.

sont des chimères, des demi dieux ou des colosses, entre la mort et le pouvoir.

Mathieu Buard, septembre 2015

Les formes totémiques sont cristallisées par l’écriture sérigraphique, sur des fonds

Matthieu Buard : On sent que

« circonvolutoires » entre une lecture digitale

l‘importance de la musique dans ton

et des méandres de voix lactées. L’imposition

travail, la musicalité, est bien plus qu’un

des figures - minérales- trônent à contre jour,

décor ou un fond sonore mais évidem-

le soleil négatif diffuse ses radiations invisibles

ment une source, d’inspiration et sans

mais qui, comme l’affichage en boucle d’un

doute davantage une énergie – une

écran, vibrent sous les néons psychédéliques.

vitalité même ?

Telle une odyssée fêtant le retour de son

Raphael Barontini : Effectivement avant

héros, les formes picturales sont accompa-

d’être plasticien je pratiquais les percussions

gnées de chants ou plutôt de chapelets de

dans un groupe de carnaval et cette énergie

phrases musicales que Mike Ladd, musicien

vitale, essentielle, que me procurait cette

new- yorkais, accorde admirablement au

pratique ne m’a jamais quittée. La musique

mouvement et display des œuvres peintes.

a quelque chose de commun, de primitif qui

Correspondance franche des équations

touche d’une manière frontale, corporelle. Et

23


liens, caractères et références communes

références communes

à cette collaboration ? Qu’ avez développé

du passé, sonores

ensemble ? Qu’as-tu envie de développer

ou visuelles. À l’aide

encore dans tes dispositifs ?

du numérique on

RB : Il y a bien des choses qui nous lient.

réorganise, recom-

Déjà ce rapport fort à l’histoire, à ce passé

pose : lui avec des

grave qui lie l’Europe, l’Afrique et l’Amérique et

samples sonores, moi

qui nous sert à réinterroger notre environne-

grâce à des découpes

ment urbain contemporain. Et on le fait de

d’images. Chez

façon romancée, dans « Sambodrome », la

nous le collage et la

scénographie de « Digital Sea Shanties », on

transformation sont

imagine un cadre narratif à destination du

prépondérants.

spectateur. L’autre lien évident est dans le faire, dans la production. Le numérique, est pour

MB : Entre Mad

nous l’outil de la réinvention, de cette réasso-

Max et « Bush » de

ciation de l’histoire, d’un moyen de créer dans

Snoop Dog, tes dern-

le présent. Quand j’ai rencontré Mike Ladd

ière peintures sont

la première fois, c’est sa façon de travailler si

une sorte de vision

proche de la mienne qui m’a marquée. Dans

néo-apocalyptique,

le cadre de nos collaborations, il y a une sorte

mais « soft » ou

de simplicité et de proximité de pensée qui est

douce, où finalement

évidente.

le déluge est passé mais c’est plutôt

MB : Les montages sonores, les montages

atmosphérique, trip halluciné et content

sérigraphiques, le rapport à la programma-

– c’est une vision d’un monde apaisé, une

tion numérique sont pour moi l’affirmation

forme d’anticipation sans drame ?

d’un rapport à la référence émancipée d’une culture haute ou dite classique autant

RB : Oui des collages sans entre deux,

Texte et interview réalisés par Mathieu Buard : professeur ,critique et commissaire Crédits photos : © Raphaël Barontini

conscients et politiques, mais sans violence.

qu’une méthode de collectionneur. C’est ça finalement non, l’idée d’une créolisation globalisée ? RB : Dans notre façon de travailler, Il est sûr qu’Il y a une manière décomplexée d’extraire, de distordre, d’inverser de jouer avec nos sources. Quand je convoque dans une peinture un bout de masque sacré dogon ou un buste antique, c’est un choix esthétique précis qui s’opère. C’est à chaque fois, la beauté, la force de l’image qui me décide à l’utiliser. On est tous deux des archéologues, qui vont chercher de la matière brute dans des

24

Raphaël Barontini

sont mixés avec ceux de la peinture

Par la voix de la créolisation, Raphaël

européenne, de l’art précolombien ou

Barontini (né en 1984) développe un

encore de la statuaire africaine.

monde polymorphe où les références

Né à Boston , Mike Ladd est

s’entrecroisent et se créolisent. Tout en

un rappeur américain, poète,

revisitant et en réinterprétant l’histoire

performeur, adepte du spokenword,

de la peinture (natures mortes et por-

qui réside à Paris depuis plusieurs

traits), il crée des interférences entre

années. Il est également producteur

ce qui est apparemment (et tradition-

au sein de son label Likemadd .Depuis

nellement) séparé et inconciliable :

plusieurs années il collabore avec des

art-artisanat, Orient-Occident, oni-

nombreux artistes sur différents pro-

rique-politique. Les codes du carnaval

jets artistiques .


25


ART TALK

AND WHAT IF WE COULD TOUCH SOUND?

Abigal Celis- All images courtesy of the artist

As an epigraph to a recent exhibition of new works, Jamaican artist Cosmo Whyte cites a line from Frantz Fanon. The line is the following: “Oh my body, make me always someone who questions.” I listened to Whyte’s sound installation, “Wake The Town And Tell The People,” and wondered about that relationship between sound and body. How can an artist create embodied sounds, and what are the politics that emerge when sounds pose questions about the body?

“Wake The Town” is a two hour audio recording of waves crashing on shores in England, Ghana, and Jamaica. The recording pulses out of an imposing wooden wall of speakers, 2.5meters tall. The wall curves back and then crests forward again, like a wave,

“High Tide” C-Print Photograph. 60”x40” 2010

26


“Wake The Town And Tell The People.” Sound installation. 2015

thus taking the shape of the sound it plays.

they, like bad news, still travel fast. They are

from different time periods coexist in a single

Whyte mixed the recordings in his Michigan

mobile creatures, rippling through the air as

device, though not necessarily appearing in

studio and built the stereo wall with his uncle,

we rip it on the dance floor. Recorded sounds,

chronological format.

who came from Ghana by way of NY and

in particular, travel far and wide. A recording

Jamaica to help him design and construct

can travel from one device to another, make

construction, sound blasts through the mega-

the wall. The sound of waves were likewise

leaps in time as it is converted into different

phone at the stall of a vendor in a market

originally recorded during a journey, a journey

technological formats. It can be sampled,

town in Ghana as easily as it does in the artist’s

that Whyte took as he traced the patterns of

mixed, mashed-up. In Jamaican dub, a particu-

studio in the icy months of a Michigan winter.

movements that have shaped the African dias-

lar beat is “owned” by the artist that makes the

In other words, sound is mobile. It belongs

pora as we know it today. He laid the recorded

most popular interpretation of it, not necessar-

everywhere, and with the right technology,

tracks on top of each other, creating a gritty,

ily by one that first recorded it.

is not beholden to any place. Perhaps that is

discordant interpretation of what could have

We see hints of this free-flowing facet of

Regardless of its seemingly illogical

the frame through which we can think about

been a rhythmically soothing testimony of

sound in Whyte’s installation “Say It Loud,”

diasporic identity as well: as a, to quote Whyte

place.

which is comprised of a shortwave radio

himself, “spatial fraction [that] allows the

The sound installation, in other words,

with a megaphone mounted on top of it as

postcolonial subject to co-exist in multiple

emerged first out of a transnational crossing.

a speaker. As if this were not already curious,

locations.”

It was the movement and labor of bodies that

the device has a tape deck and a USB input,

brought the sounds bites together and built

but no CD player. Whyte describes this as an

and it is one that Whyte’s work invites us to

the material object that broadcasts them.

ontological leap in technology. The device,

consider at first listen. And then, this celebra-

I bring this up because we tend to think of

which is fabricated in China and sold in

tory and liberatory proclamation slowly

sound as a disembodied entity, something

Ghana, practices the disparities in the “logical”

begins to question itself as it questions us,

exterior to the body even if it has emotional

development of technology. One would

the listeners. The “Say it Loud” found object is

resonance. Speakers emit sounds; a sigh

expect technological progress to result in

paired with a 30-minute mix titled “Stranger

escapes our mouths. Sound moves in waves,

the disappearance of older formats; records

Than a Village” that Whyte created by laying

science tells us, and though these waves may

replaced by tapes replaced by CDs replaced

excerpts of lectures and interviews by famous

not move with as hurried a pace a lightwaves,

by mp3 files. Instead, in “Say It Loud,” formats

black intellectuals over a chop and screw

27

This could certainly be a viable argument,


version of “You Don’t Love Me (No No No),”

means, Baldwin tells us, is to grow up watch-

Whyte in 2015 is more than an intellectual

a well-known dub track by Dawn Penn. Over

ing the corpses of other black boys and girls,

lineage. It is how they each acknowledge

the beat and chorus, we hear the voices of

too young to be anything but innocent, pile

the shared vulnerability of the body in their

James Baldwin and Stuart Hall each working

up around you.

artistic work. Whyte initially performed a piece

through their definitions of blackness, identity,

I think of this as I listen again to Whyte’s

diaspora… the questions that echo still today.

crashing waves in “Wake The Town and Tell

the “Stranger Than The Village” mix in which,

Notably, the first excerpt on Whyte’s mix is

The People.” It is the same ocean water that

dressed in a black suit with a photograph of

the opening remarks of a 1969 documentary

laps against the shores of the three coun-

Baldwin pinned on his back, he balanced the

film titled “Baldwin’s Nigger.” The film is a con-

tries—Ghana, England, Jamaica—where

megaphone on top of his head. The goal of

versation between Baldwin and Dick Gregory,

Whyte recorded the sounds. Through the

the performance was to play the 3-minute

held at the West Indian Student Center in

overlaid sound of water he places himself

track in its entirety before losing balance of

London, in which they discuss the Civil Rights’

concurrently on each of those shores. It is also

the megaphone. An impossible task, it turns

Movement and relate the black experience in

the same ocean water that once carried slave

out. The performance can be read as an exten-

America with that of the Caribbean and Great

ships from the shores of Ghana to ports in

sion of an earlier photographic work by Whyte

Britain. Baldwin begins the conversation with

Great Britain, the Caribbean, and beyond. The

called “High Tide,” in which the same suit-clad

an anecdote about meeting a West Indian

distinct locales and the trans-Atlantic passages

figure sinks in shallow waters. Over a dozen

man in London. This man, black as Baldwin,

that unite them are the frame of reference

ties are wrapped around his neck and his arm

finds the answer that Baldwin gives upon

through which Whyte has learned what it

are raised up as if he fell backwards at the very

being asked “Where are you from?” utterly

means, for him, to be black on each of these

instant of raising up his hands.

lacking. I was born in Harlem, Baldwin insists

shores. This he samples and mixes with the

repeatedly, as the man with his own impatient

past decade of experiences in North America.

insistence, asks, But before that, where were you

If Baldwin’s formative crucible was New

born?

with “Say It Loud” and a 3-minute version of

Taken together, Whyte’s sound installations and the performance pieces and photographs that supplement them sum-

York City, Whyte’s crucible has been much

mon us as listeners to witness the precarious

wider in diameter, and its cacophony is

balancing act of being black. No matter how

Whyte’s sound mix moves on after the punch

evident in the array of sounds, readings, and

many distant shores one could claim as home,

line, it is worthwhile to note how Baldwin uses

music woven through Whyte’s oeuvre. In

one is easily cast in the role of a stranger, of

the anecdote in his larger reflections. Baldwin

fact, the different sounds pieces reverberate

being from somewhere else even before they

points out that not knowing where one is

within each other. The title “Wake the Town

were born. This outsiderness, while giving

from “before birth” is a common experience

and Tell The People,” comes from the open-

great expanse to the intellectual imagina-

for African Americans, because the institution

ing line of “You Don’t Love Me,” the track that

tion, nevertheless puts the body at risk.

of slavery was intentionally organized so as to

provides the structure for the “Stranger Than

“The news of the day (old news, but raw as

divide those who had shared linguistic and

The Village” mix. That title is itself a distortion

a fresh wound) is that black American life is

familial backgrounds. Baldwin cannot trace his

of a famous Baldwin essay’s title, “Stranger

disposable from the point of view of policing,

lineage back in time to a place of origin; what

In The Village,” about a stint in the small

sentencing, economic policy, and count-

he does instead is build and define a present

town of Leukerbad, Switzerland. Interest-

less terrifying forms of disregard. There is a

black consciousness that is at once transna-

ingly, Nigerian-American author Teju Cole, in

vivid performance of innocence, but there’s

tionally resonant while remining grounded in

2014, “remixes” this essay by making his own

no actual innocence left,” writes Cole in his

a local frame of reference. I don’t know how you

journey to that same town and reading his

remake of “Stranger In The Village.” Wake the

discover what it means to be black in London,

experience there through the lens of Baldwin’s

town, Whyte’s work proclaims, and tell the

Balwin says in his lecture, But I know what

original essay.

people to be innocent is not to be a bystander.

While the story begins as a joke and

it means to be black in New York. What that

28

And yet, what unites Baldwin in 1969 and


Abigail E. Celis: Doctoral Candidate | University of Michigan |

Cosmo Whyte was born in St. Andrew, Jamaica in 1982. The

Ann Arbor

Jamaican born artist attended Bennington College in Vermont

Romance Languages and Literatures ,African Studies Program ||

for his Bachelor in Fine Arts, Maryland Institute College of Art

Museum Studies Program

for his Post-Baccalaureate Certificate and University of Michigan for his MFA. In 2010 he was the winner of the Forward Art emerging artist of the year award. He has been in a number of

WORKS CITED

exhibitions including the 2013 Forward Arts Foundation Artist of the year Retrospective Atlanta, GA, 2012 “Outward Reach: 9

Whyte, Cosmo.

Jamaican Photography and New Media Artists”- Art Museum of

“Stranger Than The Village” Sound performance piece. 2015

the Americas- Washington, DC, 2011 “African Continuum” at the

“Say It Loud.” Megaphone with short-wave radio. 2015

United Nations Gallery in New York, 2011 Mover and Shaker show at Museum of Contemporary Art Georgia and the 2010 and 2014

Baldwin, James. “Stranger in the Village.” Notes of a Native Son. Boston: Beacon Press, 1955; 1984. 159-75. Cole, Teju. “Black Bodies: Rereading Baldwin’s “Stranger in the Village.” The New Yorker. August 19, 2014. Web Access. Baldwin’s Nigger. Dir. Horace Ové. Infilms, 1969.

29

Jamaica Biannual.


ART TALK

THE GHOST OF KARL MARX IS A CHOIR OF IMMIGRANTS

By Lotte Løvholm

Emeka Ogboh, Song of the Germans, Venice Biennial

Issues of migration and xenophobia are urgent in Europe. Philosopher Jacques Derrida once asked how to welcome a ghost, more precisely the ghost of Karl Marx. This article asks how welcoming Marx helps us welcome refugees crossing European borders in this very

30

moment and it will look for answers in the sound installation “The Song of the Germans” by Emeka Ogboh. Coming back to Copenhagen, Denmark,

have not, I was met by press photos of refugees mainly from Syria walking on the Danish highways trying to reach our neighboring country Sweden as they did not feel welcome in Denmark. This perception of Danish society as an unfriendly passage was validated with a photo of a Danish man on a bridge spitting on

after having heard philosopher Achille

the refugees passing the highway underneath

Mbembe talk at GIBCA Biennale in Göteborg,

him. The Danish art collective SUPERFLEX’

Sweden, about movement diagnosing the

poster: “Foreigners, please don’t leave us

future as an age of apartheid separating those

alone with the Danes!” (2005) has never been

who have the ability to move from those who

as widely shared on social media as this past


month. This year’s Venice Biennale has a persistent soundscape: the sound comes from a tower full of graceful voices in Emeka Ogbohs

that invites the audience to sit down and listen

ing our present times. And however desperate

to the narrative of the sovereign national state

it might seem with readings of Karl Marx’ Das

being rephrased.

Kapital in the midst of champagne chitchat

Philosopher Jacques Derrida says in

and art money at the current Venice Biennale

installation “The Song of The Germans”.

Specters of Marx: “It is necessary to speak of

it was an insistent reminder of his presence.

Inside a hexagon tower on the harbor front

the ghost, indeed to the ghost and with it,

And we do need to welcome this ghost in

at Arsenale in Venice, Italy, the recordings of a

from the moment that no ethics, no politics,

order to welcome those refugees on our

choir singing the German national anthem in

whether revolutionary or not, seems pos-

highways. Derrida welcomes a ghost with an

the languages Igbo, Bamun, Kikonga, Yoruba,

sible and thinkable (..,.)” (Derrida 1993: xviii).

anticipating attitude as if the ghost has been

Douala, Sango, Lingala, More, Twi and Ewondo

Karl Marx is one of those ghosts appearing

expected, like a guest. A first step could also

are playing. Ogboh worked with a choir con-

in this book written right after the fall of the

be to sit down and listen to unfamiliar tongues

sisting of African immigrants based in Berlin,

Berlin wall. The specter or ghost is appear-

sing a too familiar tune.

Germany, for this piece, and he asked each

ing because it is the end of history: liberalism

member of the choir to translate the German

has conquered and Marx is definitively dead.

Lotte Løvholm is an independent

national anthem to their native tongue, and

Derrida welcomes the ghost of Marx to haunt

writer and curator based in Copenhagen.

then recorded them signing the translation.

however not as a father of communism as

She worked on the production for Emeka

much as a philosopher of responsibility and

Ogboh’s “The Song of the Germans” at

for his spirit of radical critique.

Venice.

“The Song of the Germans” gives the audience an intimacy towards the different voices

Following the streams of refugees mak-

in the same way as Janet Cardiff’s piece “The

ing their way through Europe philosopher

Slavoj Žižek note

Forty Part Motet” (2001) where each choir

Slavoj Žižek remarked that the essence of

http://inthesetimes.com/article/18385/

member have their own speaker making it

the European refugee crisis is not xenopho-

slavoj-zizek-european-refugee-crisis-and-

possible for the audience to get close to and

bia but global capitalism in the article “We

global-capitalism

move between the different voices. Ogboh’s

Can’t Address the EU Refugee Crisis Without

piece is presented in a cappella starting with

Confronting Global Capitalism” (In These Times,

a solo that builds up to a dectet and the lyrics

9.9.15). In Žižek’s lash at global capitalism and

are the center of this piece; lyrics that few of

call for national sovereignty to be radically

the biennale audience can understand which

redefined the ghost of Marx is yet again haunt-

create an intimacy yet estrangement making the audience become familiar strangers. Ogboh’s piece for the Venice Biennale addresses anti-immigrant reactions in Europe through the heavily loaded German anthem. In a country where patriotism and nationalism is only on display during world cup, the German national anthem has undergone changes and the third chorus of the original is the only chorus in use since the renunciation of East and West Germany. The translation of the lyrics of this anthem that encloses the dark side of national identity is a strong gesture

31

Emeka Ogboh, Recording at P4 Studio, Berlin, 2015. Courtesy of the artist.jpg


ART TALK

© Glenn Ligon; Courtesy of the artist, Luhring Augustine, New York, Regen Projects, Los Angeles, and Thomas Dane Gallery, London

PAR-DELÀ LE BUREAU DES PLAINTES Que nous apprend la réception de la 56e Biennale de Venise ? Vanina Gere

Ce billet a trouvé son origine dans un sentiment subjectif de malaise et une impres-

« politique », quelle serait la place de cet exercice laborieux, voire franchement scolaire ?

sion de déjà -entendu face aux récriminations contre la Biennale dirigée par Okwui Enwe-

et rendent invisible le maintien des privilèges.1 » La violence des propos de Lord ne le cédait en rien à celle des récriminations contre

Voici ce que écrivait l’artiste et curatrice

cette Biennale conçue comme un « collectif

zor. Les lignes qui suivent ne proposent pas

américaine Catherine Lord suite au rejet

de cultures » par sa commissaire principale,

une énième critique de la 56e Biennale de

virulent de l’une des Biennales les plus mal

Elisabeth Sussman. Inscrite dans une

Venise, mais plutôt, à la sorbonnarde (au sens

accueillies en son temps, la Biennale du Whit-

démarche d’ouverture et de mise en question

rabelaisien du terme), un commentaire de ses

ney Museum of American Art de 1993 :

du monde de l’art établi, la Biennale de 1993

commentaires, une critique de sa réception critique. Quel serait l’intérêt d’une explication de

« … Ce qu’il y a de beau dans la critique d’art, et c’est peut-être uniquement ce qui la

soi-disant minorités (raciales, sexuelles),

sauve et lui permet de se hisser jusqu’à une

alors déjà établi-e-s ou en émergence.2

quelconque transcendance historique, c’est

1 Lord dans Catherine Lord et Charles Gaines. The Theater of Refusal: Black Art and Mainstream Criticism. Irvine: Fine Arts Gallery, University of California, Irvine, 1993, p. 24. Toutes les traductions sont réalisées par l’auteure. 2 Parmi lesquels : Glenn Ligon à Janine Antoni, en passant par Coco Fusco, Robert Gober, Gary Simmons, Zoe Leonard, Sophie Calle, Fred Wilson, Trinh T. Minh-ha,

texte en règle des articles et propos sur la

qu’elle permet une pénétration lubrifiée dans

manifestation culturelle vénitienne ? Dans la

l’inconscient de la norme culturelle, ainsi que

logorrhée de l’exégèse sur cette biennale très

dans les mécanismes qui produisent, perpétuent,

32

représentait de nombreux artistes issus des


Thelma Golden, alors curatrice au Whitney

toute une décennie d’art engagé, notamment

surnommer cette édition de la Biennale « Le

et impliquée dans le projet, fit remarquer

autour des luttes d’ACT-UP contre l’aveugle-

Bureau des plaintes ».6

ultérieurement qu’avant 1993, aucune

ment volontaire, le mépris, l’homophobie

Biennale du Whitney n’avait compté plus de

et le racisme des institutions politiques et

Biennale suivante organisée par Klaus Kertess

deux artistes de couleur à la fois.3

religieuses face à l’épidémie du SIDA.

qui prônant dans son essai du catalogue

L’ambition consistait également à donner

Deux ans plus tard, à l’occasion de la

La Biennale représentait donc un effort

« l’ambiguïté et la sensualité » comme princi-

un panorama cohérent de pratiques artis-

marqué pour montrer que l’art américain

pes suprêmes de la réception et la création

tiques politiques par leur anti-esthétisme,

était devenu socialement, culturellement et

artistiques – le retour à la beauté sonnait

et vice-versa. Sussman décrivait elle-même

politiquement pluriel. Elle fut mal reçue. Si

comme un retour à l’ordre – la Biennale de

l’exposition comme « un non-site sinistre

des personnalités progressistes du monde

1993 fut pourtant saluée pour sa radicalité, par

et chaotique marqué par l’affaiblissement,

de l’art comme Lucy Lippard lut dans l’ac-

opposition à l’édition de 1995, pas assez poli-

l’anomie, la colère, le trouble, la pauvreté,

cueil glacial de cette Biennale le signal d’un

tique.7 Presque vingt ans plus tard, le critique

la frustration, et l’abjection (…) un no man’s

désintérêt généralisé pour l’art politique, Lord,

d’art Jerry Saltz prenait encore la Biennale de

land. » Elle convoquait la fin des années 1960

plus radicale, y voyait une panique agres-

1993 en exemple : bref, la Biennale multicul-

et les années 1970 comme modèle de la

sivement défensive de la part des critiques

turelle et politique était devenue un exemple

coïncidence entre le refus des « signes d’un art

« établis » désemparés face à des propositions

à suivre.8

réussi : originalité (…) cohérence de la forme »,

et prises de positions d’artistes jusque-là

et le refus délibéré de l’autorité artistique,

construits comme des « Autres », au vu de

mais pour situer ces refus dans la spécificité

leur orientation sexuelle, race, sexe, classe.

dirigée par Okwui Enwezor. Toute ressem-

de la politique de l’identité, caractéristique du

Et Lord qualifiait l’incapacité des critiques à

blance entre les critiques négatives contre la

début des années 1990.4

envisager les œuvres montrées à la Biennale

Biennale de 1993 et celle de 2015 est-elle pure-

Le contexte artistique américain était

sous un autre angle que celui de leur « qua-

ment fortuite ? Que faut-il entendre dans les

alors marqué d’un côté par l’écroulement au

lité » comme un « manque d’imagination ».

nombreuses accusations de « politiquement

début des années 1990 du marché de l’art

En d’autres termes, l’incapacité à sortir de

correct » contre All The World’s Futures ?

inflationniste, reposant sur un système de

positions formalistes censément apolitiques

Que faut-il lire dans les déplorations contre

stars, qu’était le marché des années 1980. Cet

révélait le racisme, le sexisme et l’homo-

l’absence de « joie », « d’espoir », etc., etc., de

écroulement avait d’ailleurs permis à des artis-

phobie structurels d’une société encore peu

cette Biennale ?

tes moins connus d’intégrer le marché établi :

encline à faire de la place à toutes celles et

Si les termes que nous avons énoncés plus

les artistes issu-e-s des soi-disant minorités

ceux qui étaient en-dehors de la norme –

haut ont souvent été employés à propos de la

sociales coûtaient moins cher. Dans le sillage

blanche, hétérosexuelle, masculine, de classe

Biennale de Venise, il serait absurde d’établir

de cet affaissement du marché, forte était la

moyenne/supérieure.

une comparaison strictement formelle

réaction contre le positionnement conserva-

5

Outre l’argument-massue du soi-disant

Revenons-en à la 56e Biennale de Venise

entre sa réception et celle de la Biennale du

teur de certaines stars des années 1980 (qui

manque de « qualité » des œuvres, les accu-

Whitney. Tout d’abord, parce que la nature

s’était traduit par le retour à la grande peinture

sations qui revinrent le plus fréquemment

et la forme de la critique d’art ont changé,

et la médiatisation de postures artistiques

furent les suivantes : l’exposition était (entre

ainsi que les manifestations de ce que Lord

héroïques dans une décennie politiquement

autres) : politiquement correcte, pratiquant la

nommait « l’inconscient culturel dominant » :

et socialement conservatrice). D’autre part,

victimisation glamour, dépourvue d’humour,

le contexte était celui de l’aboutissement de

d’ironie, de plaisir ou de beauté ; trop théo-

Nancy Spero, Andrea Fraser, Cheryl Dunye, etc., etc. 3 Golden, op. cit., p. 63. 4 Elisabeth Sussman, et al. 1993 Biennial Exhibition. New York: Harry N. Abrams, 1993. Cat. d’exp. Whitney Museum of American Art. Biennial Exhibition 1993, p. 54.

33

rique, trop intellectuelle, trop déprimante et déprimée. Un critique était allé jusqu’à 5 Lord dans Lord et Gaines, p. 26.

6 Robert Hughes, « A Fiesta of Whining », Times Magazine, 22 mars 1993. 7 Klaus Kertess, 1995 Biennial Exhibition. New York: Harry N. Abrams, 1993. Cat. d’exp. Whitney Museum of American Art. Biennial Exhibition 1995, p. 19. 8 Jerry Saltz, « Jerry Saltz on ’93 in Art, » New York Magazine, NYMag.com, 3 février 2013, http://nymag.com/ arts/art/features/jerry-saltz-1993-art/. Dernière visite le 27 octobre 2015.


pour y avoir pleinement accès aujourd’hui,

exemple que des critiques prompts à balayer

au-delà des apparences n’est jamais plaisant

il faudrait également consulter les comptes

certaines propositions d’un revers de main

– que l’on songe à l’esclavagisme contempo-

tweeter, les timeline de Facebook, etc.

n’abordent pas les détails du projet. Ainsi, Das

rain qui met du chocolat et du sucre dans les

Kapital Oratorio est fréquemment présenté

gâteaux, de l’intelligence dans les téléphones,

dans la production et la réception artistiques,

comme une proposition d’Enwezor, alors

des chaussures de sport dans les placards.

ainsi que la circulation des œuvres et des

que le projet est né en collaboration avec

Rabat-joie, la Biennale l’est aussi par

artistes a profondément évolué depuis le

Isaac Julien. S’il est légitime de mettre en

une « intellectualisation » excessive.

début des années 1990.

question la relation entre la forme de la pièce

Critique qui émane apparemment aussi

et le texte de Karl Marx, il paraît moins justifié

des collectionneurs.12 Encore une fois, cf. la

Pour surprenant qu’il paraisse, ce parallèle

de s’en charger sans avoir analysé cette pièce

réaction contre la Biennale du Whitney, « trop

entre la réception critique des deux biennales

dans son intégralité. Il ne s’agit pas d’écouter

intellectuelle » – ce qui revient à postuler que

est né de l’hypothèse selon laquelle la France

la lecture des trois volumes du Capital : mais

l’art n’est propre qu’à la contemplation, niant

aurait vingt ans de retard lorsqu’il s’agit de

de prendre en compte tous les éléments de

allègrement une histoire de plus de cinquante

prendre en compte les questions de race, de

l’installation, notamment la vidéo qui accom-

ans de pratiques conceptuelles et post-

sexe/genre – qui s’accompagne du refus de

pagne la lecture, en contrepoint critique à la

conceptuelles. Ce type d’argument masque

les articuler aux problèmes de classe – notam-

lecture du Capital. (Nous aurons l’occasion de

aussi le type d’approches à l’art que Hal Foster

ment dans les arts visuels.9 Ainsi : que nous

revenir sur cette vidéo.)

analysait comme la forme réactionnaire

Par ailleurs, la place du marché mondialisé

dit la réception critique française de la 56

e

10

On rappellera notamment que Das Kapital

du postmodernisme.13 Sous des dehors

Biennale de Venise ; dans quelle mesure est-

Oratorio est mis en perspective, quelques

populistes et anti-élitistes, ce postmodernisme

elle symptomatique des difficultés à penser

salles plus loin, par une vidéo de Julien pro-

recouvre un refus de toute entreprise engagée

les questions de race, de sexe et de classe en

posant une critique de l’exégèse du texte de

de démocratisation exigeante de l’art.

France, notamment dans le domaine de l’art

Marx. (Nous aurons l’occasion de revenir sur

contemporain ?

cette vidéo.)

Le premier niveau des critiques de la

N’oublions pas non plus les traditionnelles jérémiades contre l’absence de beauté,

Strident est le chœur des optimistes déçus

d’humour, de joie, de plaisir, de poésie, etc., etc.

Biennale reflète un manque d’attention aux

qui décrètent cette biennale triste, morbide,

Face à ce type de réaction : Cf. la réponse

œuvres ainsi qu’au dialogue les unes par

mortifère, sinistre, déprimante et déprimée.

magistrale qu’opposèrent Hilton Als et Laura

rapport aux autres proposées par le curateur.

Ici on se rappellera qu’un grand nombre de

Cottingham aux détracteurs de la Biennale du

Il faut probablement l’imputer au manque de

propositions artistiques attestant un point

Whitney :

temps d’envoyés dans une Biennale énorme.

de vue critique face au statu quo (économi-

(Ne soyons pas injustes : la presse anglo-

que, écologique, politique, social, etc.) ont

« Qu’est-ce que la beauté ? », bien qu’elle fût

saxonne aussi est concernée.) On constate par

été reçues par de semblables réactions. Cf. la

maintenue comme critère d’évaluation au pre-

Biennale du Whitney. On les renverra donc à

mier concours de Miss America en 1920, avait

la conclusion de l’excellent article de Pollock :

déjà été évacuée de l’esthétique occidentale,

« S’il y a des critiques qui ont trouvé cette

pour être remplacée par la question « qu’est-

Biennale morose et sombre, il se peut bien

ce que l’art ? ». Mais si la « Beauté » et son

que leurs protestations s’élèvent en réalité

cousin « le Plaisir » sont les ancêtres oubliés

contre les vérités que les artistes sélectionnés

qu’il nous incombe d’exhumer de l’Antiquité

ont voulu présenter. » Il est vrai que regarder

pour les convier à la table de l’art du XXe siècle,

10 Clément Ghys, « Biennale de Venise. Détour vers le futur », Libération, 8 mai 2015 ; Okwui Enwezor interviewé par Massimiliano Gioni, « Okwui Enwezor : All the World’s Futures », Artpress n°422, 2e cahier, p. 4-13. 11 « If some critics have found this Biennale morose and gloomy, they may be merely protesting at the truths that

the selected artists felt compelled to present. » (Pollock, art. cit. Traduction de l’auteure.) 12 Atlantico, « Bilan des lagunes », 17 mai 2015. 13 Voir l’introduction de Foster dans Hal Foster (ed.) The Anti-Aesthetic: Essays on Postmodern culture. New York: The New Press, 1998.

9 On peut citer parmi les causes de ce retard, le modèle d’assimilation à la française et ses idéaux universalistes, volontairement « aveugles à la couleur » (color-blind). Ce modèle, en raison de ce que Toni Morrison aurait qualifié de générosité mal placée, considère tous les individus comme des « hommes »/des êtres humains : ce qui empêche de reconnaître l’existence des inégalités et des discriminations fondées sur la race, par exemple. (Voir Morrison, Playing in the Dark : Whiteness and the Literary Imagination. New York : Vintage Books, 1993, p.9.) Quant aux difficultés à utiliser le prisme race-sexe-classe pour réfléchir aux questions soulevées par les arts visuels, elles se sont parfaitement illustrées au travers du débat mal posé à propos d’Exhibit B, de l’artiste sud-africain Brett Bailey exposé au 104 et à Lyon, où la parole et les écrits d’activistes femmes de couleur furent systématiquement déboutés : trop subjectifs, pas suffisamment experts, trop militants et pas assez universitaires – bref, illégitimes à se prononcer sur une exposition d’art contemporain.

34

11

Dès le début du XXe siècle, la question


alors qu’ils commencent par juger l’œuvre de Pablo Picasso, Jackson Pollock, Andy Warhol et Marcel Duchamp. Si l’on estime que Platon, Burke et Ruskin sont les critiques du jour, il faudrait qu’ils commencent leur conversation à partir de l’urinoir de Duchamp et qu’ils laissent le présent à ceux d’entre nous qui s’y trouvent déjà.14 (Ces trois types de critiques suggèrent enfin que l’exposition d’Enwezor n’a pas été regardée : déprimants, les loufoques Jeux dont j’ignore les règles, de Boris Achour ? Froide, l’élégie de Jason Moran à l’un des

© Jason Moran; Courtesy of the artist and Luhring Augustine, New York.

« culmine » dans une critique acérée par feu

ponctuée de nombreuses performances

clubs de jazz légendaires de Harlem dans

Hall des limites de la pensée marxiste contem-

créées par des artistes que Julien a invités.

STAGED : Savoy Ballrom? Formellement pau-

poraine – surtout dans son refus d’incorporer

Performances qui présentent parfois les

vres, les étonnants tableaux de Lorna Simpson

les paramètres « de la race, du genre, et de

inégalités que Marx passa sa vie à analyser du

et la chaleureuse installation picturale de

l’élaboration de l’identité ». Cette critique se

point de vue même des travailleurs exploités

Chris Ofili ? Prosaïques, les dessins dignes de

conclut par un appel poignant de Hall « à une

– on songe ici à la performance bouleversante

l’absurdité kafkaïenne d’Olga Chernysheva ?)

lecture plus subtile et différenciée du texte »

des chants de mineurs et d’ouvriers, (hommes

que celle qu’en donnait Harvey.17

et femmes), organisée par Jeremy Deller,

Volant un peu plus haut, les « demi-

Broadsides and Ballads of the Industrial

habiles », comme les appelait Pascal. Revenons aux plaintes récurrentes contre le bien-fondé

Espérons aussi que le rappel de Buchloh

Revolution (12 novembre 2015).

de Das Kapital Oratorio, et surtout à l’idée selon

répondra à cette autre critique contre Das

laquelle l’installation fétichiserait le texte de

Kapital Oratorio : à savoir, que Le Capital serait

Marx.15 Revenons à la vidéo déjà évoquée, et

un texte dépassé pour rendre compte des

de Griselda Pollock pour mettre au jour de

qui n’apparaît pas souvent dans la réception

inégalités économiques contemporaines

manière cohérente, juste et attentive, les failles

critique. Elle montre une conversation entre

– un critique lui préfère, par exemple, les

de l’installation de Julien, au vu de sa réelle

Julien et David Harvey, « figure d’autorité sur

ouvrages de Thomas Piketty.18 On en vient à

connaissance du texte de Marx.19

Marx », à l’Institute of Visual Arts de Londres

se demander si les critiques émettant ce juge-

en 2012. Benjamin Buchloh, historien d’art

ment ont vraiment lu l’ouvrage de Marx.

16

qui n’a jamais hésité à dévoiler les contradic-

Et il faut une historienne d’art de la stature

Quant à certains critiques très prompts à pointer les contradictions d’une biennale

On se demande aussi pourquoi ils se

« politique » (sous prétexte qu’en elle-

tions et les limites des artistes les plus célébrés

focalisent de manière quasi obsessionnelle

même la manifestation vénitienne serait

(son essai critique sur les aspirations sociales

sur la lecture du Capital – comme s’il s’agissait

un « bastion de privilège » et attirerait, au

de l’art de Joseph Beuys est particulièrement

de conjurer le spectre qui hante la Biennale

moins pour l’inauguration, tous les puissants

dévastateur), nous rappelle que cet entretien

– alors que ladite lecture est tout de même

du marché de l’art), on leur rétorquera que

14 Hilton Als et Laura Cottingham, « The Pleasure Principled : The 1993 Whitney Biennial », Frieze magazine, 5 mai 1993. 15 Sur le fétichisme, on citera – entre autres – Anaël Pigeat, « Venise: 56e Biennale d’art contemporain », Artpress n°424, juillet-août 2015, p. 14-5. 16 L’INIVA, fondé en 1994, a joué un rôle déterminant dans l’amélioration de la diversité socioculturelle dans les arts visuels au Royaume-Uni, nourrissant son approche de l’art des études postcoloniales, des études culturelles, des études raciales, et des études de genre.

17 Benjamin Buchloh, « Venice 2015. Biennale on the Brink », ArtForum, September 2015, 308-317.) Sur Beuys, lire l’essai de 1980 de Benjamin Buchloh, « Beuys : The Twilight of the Idol, Preliminary Notes for a Critique », in Neo-Avant-Garde and The Culture Industry. Cambridge, Mass. The MIT Press, 2003. 18 Benjamin Genocchio, « Okwui Enwezor’s 56th Venice Biennale is Morose, Joyless, and Ugly », Artnet News, 8 mai 2015 ; JJ Charlesworth, « Playing Politics : JJ Charlesworth on Why Art World Hypocrisy Stars at the 56th Venice Biennale », Artnet News, 7 mai 2015.

35

publier des commentaires lucides sur la compromission de l’art avec son marché dans des organes de presse aussi liés au marché de l’art qu’artnet News, par exemple, n’en est pas moins contradictoire. 19 Griselda Pollock, « 56th Venice Biennale », Art Monthly, p. 20-22.


Et il faut des sages de l’art contemporain

longtemps une reconnaissance de cette

métier de prof de philo une activité artistique

comme Catherine Millet pour reconnaître

ampleur, par exemple Melvin Edwards. Et

conceptuelle » (façon concise de la discréditer

la difficulté toujours croissante éprouvée

c’est à cet égard que commence à s’esquisser

à la fois en tant que philosophe, elle qui reçut

par les curateurs à devoir composer avec la

une spécificité française de la réception de la

son doctorat de philosophie de Harvard en

ploutocratie contemporaine ; ou comme

Biennale.

1981, et en tant qu’artiste) est pour le moins

Pollock, pour saisir la mesure de la résistance

Un article de Télérama affirmait que

problématique. Piper est l’une des artistes

d’un Enwezor aux forces du marché dans son

l’obtention du Lion d’or par « l’Afro-Améri-

conceptuelles américaines les plus influentes

travail.20

caine Adrian Piper », était « peu mérité[e] mais

du XXe et XXIe siècle. Son impact sur des

politiquement très correct[e]».23 L’auteur ne

générations d’artistes américains comme

soulignent la contradiction entre le titre de

daigne pas démontrer comment il arrive à ce

celle de Lorna Simpson, pour ne citer qu’elle,

l’exposition principale, All the World’s Futures,

jugement. Que faut-il comprendre ? Qu’attri-

est comparable à celui de David Hammons,

et l’importance de l’histoire et du passé dans

buer un Lion d’or à une artiste femme noire

comme le soulignait Thelma Golden.

les œuvres et leur sélection.21 Comme le citait

est « politiquement correct » ? Ici encore : cf.

l’artiste Tania Mouraud dans une de ses pein-

la Biennale du Whitney, et quantité d’autres

de sexisme et de racisme inconscients ? Est-ce

tures-textes, « ceux qui ne se souviennent pas

manifestations culturelles, publications, évé-

là que la situation commence à se gâter côté

du passé… ». Bref. Ces critiques complètent la

nements, déclarations émanant et/ou rendant

français ? Probablement non, car on relèvera

déploration du manque de « jeunes » artistes

hommage à des artistes issue-e-s des minori-

aussi des propos surprenants dans le Guardian,

dans cette édition de la Biennale. C’est

tés raciales et sexuelles : dès que la barre des

où l’on lit qu’Enwezor a « sciemment invité

oublier que bon nombre des artistes établis

inégalités commence à être (un petit peu)

autant d’artistes noirs que possible ».24

présentés à Venise en 2015 attendaient depuis

redressée, on trouvera des dominants telle-

Toujours parmi les demi-habiles, ceux qui

22

Ce type de réaction atteste-t-il une forme

Les journalistes français ont rabâché la nationalité d’Enwezor, « Américain-nigérian », « Nigérian », en guise de présentation de ce curateur. Il est tout à fait éclairant de voir quels sont les articles où ce sont ses origines africaines – puisque c’est ce qui est sous-entendu – qui passent avant son activité (actuel directeur de la Haus der Kunst, commissaire de la Documenta en 2002, etc.).25 La nationalité de Massimiliano Gioni, directeur – italien – de l’édition 2013 de la Biennale, apparaissait bien moins souvent. Son jeune âge, toutefois, revenait sans cesse. Abstenons-nous donc des procès d’intention, et mettons cette focalisation excessive sur la nationalité d’Enwezor

© Jason Moran; Courtesy of the artist and Luhring Augustine, New York. 20 Catherine Millet, « Edito : Lire Okui Enwezor »,

ment angoissés à l’idée de n’être plus le centre

Artpress 424, juillet-août 2015, p. 5 ; Pollock, art. cit.

de l’attention qu’ils crient au « politiquement

21 Roxana Azimi et Philippe Régnier, « Le Passé pour seul

correct ». La désinvolture manifestée vis-à-vis

avenir dans les pavillons à Venise », Le Quotidien de l’art

de Piper, laquelle « mena parallèlement à son

n°828, 6 mai 2015, p. 6-7. 22 Pigeat, art. cit. C’est l’un des nombreux exemples.

36

23 Olivier Céna, « Biennale de Venise 2015 : La Cité des dogmes », Télérama, 28 mai 2015.

sur le compte de la nécessité d’une pointe de 24 Cumming, art. cit. 25 On remarquera quand même, et heureusement, des critiques negatives ou mitigées de la Biennale se préoccupant exclusivement du parcours d’Enwezor, notamment Philippe Dagen et Harry Bellet « De l’art, des armes et des larmes à la Biennale de Venise », Le monde, 7 mai 2015 ; l’article de blog de Judith Benhamou, « La Biennale d’art contemporain de Venise : le meilleur et le pire des jeux olympiques de la création actuelle », Les échos, 10 mai 2015.


sensationnalisme dans le presse: la Biennale

manifestation de la « présence africaine » à la

de Joséphine Baker. En 2013, elle réalisait sur

de Venise dirigée par un homme de quarante

Biennale.

le même principe I Am Intact and I don’t Care,

ans/par un homme africain, voilà qui mérite

29

La position française suggère aussi,

qui remporta le Prix de la Fondation d’Entre-

attention. Par ailleurs, les médias anglo-saxons

en creux, une indifférence vis-à-vis de la

prise Ricard, et intégra donc les collections

ont également insisté là-dessus.

question des inégalités de sexe/genre à la

du Centre Pompidou. La série de vidéos fait

Biennale. Aucun article n’a relevé la hausse

aujourd’hui partie d’un projet ambitieux

grand mérite de dévoiler le parallèle implicite

dans la représentation des artistes femmes à

intitulé My Epidemic (a body as public as a book

établi entre « le point de vue géopolitique »

Venise en 2015 (33%), avec un accent mis sur

can be), qui tente d’explorer les limites entre

d’Enwezor et ses « origines nigérianes », celui

la présence des femmes pour les pavillons

l’intime et le public, l’exposition de soi et le

d’Itzhak Goldberg : « C’est croire naïvement

nationaux. De même que l’invitation insuf-

danger lié au SIDA, le tout sur fond de force

qu’il faut être de cette partie du monde –

fisante des femmes à l’édition – très appréciée

références littéraires (Guillaume Dustan).

qu’on s’obstine à nommer « périphérique »

– de 2013 n’avait pas été remarquée en France

- pour considérer que l’art a une fonction

(26%).30 La meilleure représentation des

son étourdissante vacuité (traiter du SIDA et

sociale. » Ces quelques lignes impeccables

femmes a néanmoins été fort remarquée du

du danger de l’intimité avec quelques vidéos

suffisent à mettre au jour les idées reçues vis-

côté anglo-saxon.

entre quelques rideaux sur lesquels sont impri-

En revanche, un article, un seul, a eu le

26

31

à-vis du positionnement artistique d’Enwezor. L’explication de texte prend alors tout son

Le problème de cette œuvre, mis à part

més des textes en anglais de cuisine, qu’on Enfin, sur l’intersection des questions de

entend de surcroît déclamés sur de la « house

sens : elle montre ce que trahit la syntaxe. On

race et de sexe, on pourra évoquer le pro-

rugueuse minimale »33, c’est un peu court),

peut le voir dans la critique (pourtant élo-

blème que pose la réception enthousiaste de

c’est que cette danse en Joséphine Baker n’est,

gieuse, donc bien intentionnée) du journal

l’œuvre de Lili Reynaud-Dewar dans la presse

ni plus ni moins, que du blackface, pratique

française – spécialisée comme non spécia-

historiquement raciste. (Comme le rappelle

lisée.32

en substance la militante LGBTQA antiraciste

La Croix : « Confiée pour la première fois à un Africain, le Nigérian Okwui Enwezor, cette 56

e

édition a pris un tour très politique. »

27

Nous nous permettrons d’exprimer

Pauline Lomami, se rendre noir-e, c’est se

notre perplexité face au projet global de

rendre anonyme, et donc se protéger derrière

Reynaud-Dewar, qui s’est traduit à la Biennale

une identité minoritaire usurpée en toute

uniquement la presse française, les bourdes

par le biais de l’œuvre Small, Bad Blood

inconscience ou cynisme.34) Le projet reposait

selon lesquelles Enwezor serait originaire, non

Opera (2015). En 2011, Reynaud-Dewar avait

à l’origine sur le noir par opposition au blanc,

pas du Nigéria, mais du Niger, voire d’Afrique

commencé une série de performances filmées

comme l’artiste l’a expliqué dans la vidéo de

du Sud. Quant à El Anatsui, il est « africain »

en noir et blanc où elle se mettait en scène,

présentation de cette création pour le Centre

selon Le Point. Ce type d’amalgame des

nue, grimée de la tête aux pieds, dansant

Pompidou : « Le corps maquillé très sombre,

pays d’Afrique subsaharienne est fréquent. On

dans des espaces muséaux ou son atelier, des

on ne sait pas si c’est noir parce que c’est

relèvera également un lapsus prenant pour

mouvements empruntés au chorégraphies

du noir et blanc, mais on suppose que c’est

Plus graves, et cette fois-ci cela concerne

28

exemple un artiste afro-américain comme 26 Itzhak Goldberg, « Le XXIe siècle sera politique ou ne sera pas », Le Journal des arts n°437, 5 juin 2015. 27 Sabine Gignoux, « Tout le bruit du monde à la Biennale de Venise », La Croix, 12 mai 2015. Voir aussi « Okwui Enwezor, the first African curator of the Venice Biennale, is forgoing business as usual by Aattracting artists on the margins of the art world. » Mary M. Lane, « New Venice Biennale Chief Beckons Artists on the Margins », Wall Street Journal, 10 octobre 2015. 28 Patrick Scemama, « Venise 1 : La Biennale politique d’O. Enwezor », La République de l’art, 1er juin 2015 ; Raja El Fani, « Tous les artistes de la redoutable Biennale marxiste de Venise », Inferno, 10 septembre 2015 ; Ingrid Luquet-Gad, « Le Top 5 des expos de la semaine », LesInrocks.com, 8 mai 2015 ; Christophe Ono-dit-Biot, « Orgie d’art à Venise », Le Point, 30 mai 2015.

37

29 Anaël Pigeat dans « Arts plastiques spéciale Biennale de Venise, All The World’s Futures », Arnaud Laporte, La Dispute d’été, 1er juin 2016, France culture.fr, http://www.franceculture.fr/ emission-la-dispute-d-ete-arts-plastiques-specialebiennale-de-venise-all-the-world-s-future-2015-08, dernière visite le 27 octobre 2015. 30 Maura Reilly, « Taking the Measure of Sexism : Facts, Figures, and Fixes », ArtNews, June 2015. 31 Jennifer Higgie, « 56th Venice Biennale », Frieze Magazine, n°172, juin-août 2015, http://www.frieze.com/ issue/review/56th-venice-biennale1/. Dernière visite le 27/10/2015. Pollock, art. cit. 32 Fabrice Bousteau et Judicaël Lavrador, « Le meilleur et le pire de la Biennale de Venise », Beaux-Arts magazine, n° 373, juillet 2015, p. 56-7; Pigeat, art. cit.; Gignoux, art. cit.

noir (…) le corps noir qui danse dans ces lieux blancs, la page blanche, le white cube ».35 Cela revient malheureusement (nous supposons 33 MACON, site web, http://www.case-a-chocs. ch/__internal/info.php?artid=733, dernière visite le 19 novembre 2015. 34 Lomami, présentation au séminaire « Art féministe, féminismes dans l’art », FRAC Lorraine et ENSAD Nancy, à l’Université de Lorraine – Metz, le 19 octobre 2015. Non publiée. 35 Reynaud Dewar in Centre Pompidou, Paroles d’artistes, « Lili Reynaud Dewar », https://www.youtube. com/watch?v=QsF74HYbDII © Centre Pompidou 2014, dernière visite le 27 octobre 2015.


inconsciemment) à reconduire le stéréotype

artiste noire pour représenter la sexualisation

de la création artistique en France ? Aidera-t-

qui associe le corps noir féminin à une sexua-

de l’institution artistique perpétue une longue

elle à décentrer la pensée sur l’art en France,

lité hors normes, excessive, déviante. Pour

tradition de violence culturelle : celle de

et éclairera-t-elle le public et le monde de l’art

« réintroduire du sexe » dans l’espace institu-

l’appropriation par des artistes blancs de for-

français quant à son propre provincialisme ?

tionnel comme elle affirmait vouloir le faire,37

mes et d’œuvres créées par des artistes noirs

Aidera-t-elle à la prise de conscience des

Reynaud-Dewar aurait très bien pu danser nue

(exclues de certains cercles de distribution).

inégalités de race, de sexe et de classe criantes

36

sans maquillage. Qu’on ne nous oppose pas que Rey-

À cet égard la stylisation des mouvements de Baker par Reynaud-Dewar, (qui met en

sur la scène artistique française ? Rien n’est moins sûr.

naud-Dewar a fini par comprendre le poids de

avant sa formation de danse classique lors-

cette référence en introduisant des couleurs

qu’elle évoque le projet et que l’on voit aussi

historiquement moins chargées (bleu) à partir

faire quelques assouplissements de barre

de son exposition au New Museum de New

classique dans certaines vidéos) est caractéris-

York (Live Through That ?! 2014-5), puis dans

tique de l’aseptisation des produits culturels

Lyon, Global Visiting Scholar à New York

l’œuvre présentée à Venise (rouge). Si Rey-

noirs par les artistes blancs, lesquels, lorsqu’il

University (NYU) et agrégée d'anglais,

naud-Dewar a cessé de se grimer en noir, elle

s’agit de piller la culture noire, « prennent tout,

est docteure en histoire de l’art et études

n’en a pas moins continué à s’approprier une

sauf la responsabilité », pour citer la poète

américaines, diplômée de l'Université

identité noire, celle de Joséphine Baker.38 À

Florence Tate.39

Sorbonne Nouvelle Paris 3 (2012). Sa

bien des égards, il est encore plus gênant d’u-

Enfin quand on songe au fait que pour

Vanina Géré, ancienne élève de l’ENS-

thèse de doctorat portait sur l’œuvre de

tiliser du bleu ou du rouge pour représenter

réaliser un projet portant sur les questions de

la plasticienne américaine Kara Walker

la figure de Baker. (En termes d’inconscience,

la contamination, du SIDA, Reynaud-Dewar

(Prix de la Chancellerie des Universités de

c’est du même niveau que les perruques de

ait choisi d’incarner Baker, comment ne pas

Paris 2013). Spécialiste d’art contemporain

fête de toutes les couleurs qui imitent les

songer aux associations racistes régulièrement

américain, V. Géré enseigne l'histoire des

coiffures afro.) Cela redouble la conception

faites entre les femmes noires et le virus HIV ?

arts à l'Ecole Nationale Supérieure d'Art et de Design à Nancy et exerce une pratique

du Noir comme l’Autre absolu de la culture occidentale – en faisant de Baker un alien. Et le

Du succès de ce projet, on retiendra

fait que Reynaud-Dewar convoque l’influence

qu’une femme qui se met nue a plus de

de Sun Ra (donc de l’afro-futurisme et ainsi

chances de rentrer au musée, selon le fameux

de l’espace extra-terrestre) ne change rien au

poster des Guerilla Girls. A fortiori si elle adopte

problème. Qu’une artiste blanche se réclame

une nudité construite comme exotique. À cet

de sources d’inspiration afro-américaines,

égard, la France est effectivement en retard

parfait. Mais qu’elle se mette dans la peau d’une

lorsqu’il s’agit de penser les relations de pou-

36 Voir Sander L. Gilman, « Black Bodies, White Bodies: Towards an Iconography of Female Sexuality in Late Nineteenth-Century Art, Medicine, and Literature », Critical Inquiry, vol. 12, n°1, ‘Race’, Writing, and Difference, automne 1985, p. 204-42. 37 Reynaud-Dewar, int. cit. 38 Et si Baker elle-même réalisait déja ses chorégraphies comme une performance primitiviste artificielle un peu à la manière du blackface, il ne faut pas oublier que son adoption d’une persona exotique reposait largement sur un contexte historique où ses possibilités d’accès à une carrière étaient extrêmement limitées. Dans son pays d’origine, les Etats-Unis encore ségrégationnistes, Baker n’aurait guère pu prétendre à un autre parcours qu’à celui d’une subalterne ; à Paris, Baker ne pouvait guère prétendre à apparaître autrement que comme un oiseau exotique (son numéro en cage dans le film Zouzou en 1934).

38

voir au sein d’un système (en l’occurrence celui de l’art) selon les termes race-sexe-classe. Gageons, comme l’ont avancé certains articles enthousiastes, et ils ont quand même été nombreux, que la 56e Biennale de Venise fera date à l’échelle internationale. Aidera-telle à intégrer mieux intégrer les questions raciales, de genre, de classe, etc., dans l’analyse 39 L’expression « everything but the burden » est reprise par le critique culturel Greg Tate dans l’ouvrage collectif Everything but the Burden : What white people are taking from Black culture. New York : Broadway Books, 2003.

de critique d’art et de traduction d’écrits sur l’art.


Š Jason Moran; Courtesy of the artist and Luhring Augustine, New York.

39


ART TALK

COLLECTIONNER COMME MILITER...

Camille Moulonguet

... Ou l’inverse, cela revient au même pour cet acteur incontournable de la création contemporaine africaine, le collectionneur et homme d’affaires congolais Sindika Dokolo. Avec l’acquisition de la collection de l’Allemand Hans Bogatzke il y a 10 ans, il a entamé une véritable croisade pour que les pays d’Afrique soient un lieu actif et conscient de leur art contemporain. Sindika Dokolo, détient aujourd’hui la première collection africaine privée, d’art contemporain. En 2005, il crée sa Fondation, il est à l’origine de la première Triennale de Luanda en 2006 et du premier Pavillon africain à la Biennale de Venise en 2007. En 2015, il annonce vouloir récupérer les œuvres du continent africain acquises illégalement sous peine de poursuites pénales. Il a ainsi mandaté une équipe de chercheurs et de spécialistes, chargée d’identifier ces pièces dans des collections personnelles et sur le marché de l’art. Il propose ensuite aux propriétaires l’alternative suivante : lui revendre les œuvres au prix d’achat ou des poursuites judiciaires, avec un procès pour vol. Justicier, amateur d’art, activiste, stratège, mégalo … ce jeune collectionneur, guidé par sa passion amasse les œuvres, et c’est pourquoi Afrikadaa a essayé de comprendre…

40

Sindika Dokolo, © Miguel Nogueira courtesy of Fundação Sindika Dokolo.


Lifeline / Discoloured (1999) © Berni Serle, courtesy of the artist and Fundação Sindika Dokolo

Camille Moulonguet : Dans cette expo-

de l’art, pour moi on ne peut jamais faire de

de l’oeuvre. La question de la valeur est une

sition il y a des œuvres de Seydou Keita qui

l’art à son insu! De mon point de vue, l’oeuvre

question à laquelle le monde de l’art va être

jouxtent des œuvres de jeunes artistes aux

de Seydou Keita est importante car il me sem-

confronté de plein fouet. Quels sont les piliers

approches très contemporaines, y a-t-il un

ble indispensable que ma collection comporte

de l’établissement de la valeur d’une oeuvre?

fil conducteur ?

des points de repère, des points d’appui pour

Je veux m’engager dans ce débat en ayant

les jeunes artistes du continent. Si certains

une toute autre approche de cette question

y’a une polémique qui agite le petit monde

d’entre eux souhaitent se référer à ce qui a été

par rapport aux artistes et aux oeuvres que

de l’art contemporain africain à propos

fait avant, ils peuvent le faire en puisant dans

je valorise. Pour moi une valeur cela se crée

des œuvres de Keita. C’est une querelle de

cette collection.

de l’intérieur pas de l’extérieur, il n’y a pas

Sindika Dokolo : C’est drôle parce qu’il

fossoyeurs entre Jean-Marc Patras et André Magnin.... Á qui appartient Seydou Keita?

d’autres paramètres. Les buzz, les trends, Lorsque vous achetez une oeuvre,

les effets d’annonces et de marketing, ce

Montrer des œuvres de Keita dans cette expo-

comment faites vous pour reconnaitre sa

n’est pas solide. Dans cette collection, je me

sition c’est aussi une manière de dire : nous

valeur ?

suis vraiment engagé à ne céder à aucune

aussi nous sommes là ! La reconnaissance de

Quand j’aime un artiste, c’est pour sa

esbroufe.

la photographie africaine est passée au départ

capacité à créer un vocabulaire dans un

par une lecture un peu exotique qui me

univers propre. Il vous invite dans un monde,

dérange car ce que l’on reconnaissait c’était la

un environnement qui est le sien. Il y parvient

fraicheur du photographe, sa méconnaissance

à l’aide d’une technique et la maitrise de

de l’histoire de l’art, sa naïveté. Cette posture

ce langage est très importante. Et puis la

qui constituent ma collection. Je n’en ai

infantilisante ne correspond pas à ma vision

seconde chose, c’est l’énergie qui se dégage

aucune idée. J’ai des négatifs par milliers, alors

41

Combien y a-t-il d’œuvres dans la collection ? Je ne regarde jamais le nombre d’œuvres


quelle est la valeur d’un éventuel dénombre-

collectionne, ce sont des artistes qui ont

exactement à l’inverse. Je vois combien c’est

ment? Le nombre n’a pas de sens pour ce qui

la prétention de s’engager dans le débat

fondamental et combien c’est au centre du

est d’une collection, l’idée de l’entassement

et qui ont pour ambition de changer le

débat. Défendre ces approches là, ce sont nos

est contre-productive. Elle m’empêche d’aller

monde, changer la condition dans laquelle ils

champs de bataille au quotidien.

où je veux aller. Ma collection est un outil

sont. C’est cela qui fait la spécificité et la force

que j’utilise pour faire quelque chose, ce n’est

de la création contemporaine africaine par

pas une fin en soi. Faire cette collection c’est

rapport à l’art contemporain en général. La

un levier qui me permet d’être opérationnel

plupart des œuvres aujourd’hui sont plus liées

intelligentes sur le continent africain par le

dans mon contexte africain, au tournant de

à des questions esthétiques et à des questions

biais de la culture? Pour moi cela fait partie

ce siècle grâce à des artistes qui font vraiment

en rapport avec l’histoire de l’art plutôt qu’à

des questions qui sont déterminantes. Ce

avancer le débat et qui sont sous-utilisés,

l’actualité. C’est un peu comme si le monde

qui est en jeu ici, c’est comment arriver à

sous-entendus. Je veux absolument les mettre

de l’art évoluait en vase clos. Un de mes amis,

se projeter dans ce siècle comme des vrais

Pourquoi vous être engagé dans la culture ? Comment arriver à créer des dynamiques

hommes pas comme des sous-hommes, pas comme des sous citoyens, mais comme des gens qui n’ont pas de complexes, qui ont une bonne image d’eux-mêmes et qui sont le centre de gravité de leur propre pensée. Que pensez-vous de la pratique de l’ artwashing qui consiste à redorer le blason d’une entreprise ou d’un homme par des investissements dans le domaine de l’art ? Moi j’ai toujours trouvé que l’intérêt porté à des œuvres d’art ou à des artistes est le bienvenu. C’est important de sortir la création contemporaine de sa petite alcôve, de The Diary of a Victorian Dandy (1998) © Yinka Shonibare MBE, All Rights Reserved, 2015

sa petite boite, pour aller vers les gens peu importe la motivation. En ce qui me concerne

à l’avant-scène pour garantir une pertinence

m’a déclaré un jour: « ce qui me dérange avec

par exemple, je ne vais pas dire que je ne

dans un débat qui est par nature complexe et

l’art africain, c’est que c’est anecdotique. » Je

suis pas content d’être pris pour quelqu’un

que la simple analyse à froid ne permet pas de

ne l’ai pas pris comme une agression, mais

de cultivé et d’intéressant plutôt que pour

résoudre.

j’ai trouvé intéressant de comprendre ce qu’il

quelqu’un de malhonnête, véreux et inculte.

était en train de me dire. De son point de vue

Évidemment c’est plus agréable que l’on me

parce que tu essaies de t’engager dans un

parle de ma vision du monde plutôt que l’on

message qui a une finalité sociale, parce que

commence à mettre forcément en doute ma

tu t’inscris justement dans un débat qui a

légitimité à aborder ces sujets et ces ques-

qui se souvient de l’avenir » et cette cita-

vocation à intervenir dans la vie des gens, tu

tions. Le fait qu’une société investisse dans

tion, trouve tout son sens chez de nombreux

deviens « cul-cul » , tu ne prends pas assez de

l’art contemporain, peu importe si c’est bien

artistes dans la contemporanéité africaine. Ce

hauteur, ou encore tu es trop contextuel. Je ne

ou si c’est mauvais pour son image, ce que je

que je recherche parmi les artistes que je

porte pas de jugement la dessus mais je le vis

constate c’est que du point de vue de l’art, cela

Qu’est-ce que vous recherchez chez un artiste ? Jean Cocteau qui dit: « le poète c’est celui

42


permet à des artistes de produire, de se montrer,

africain. Je pense qu’il y a un côté un peu «feu

peuvent apporter sur les grands sujets

d’être vus et donc cela participe positivement au

de paille» à toute cette émulation. Et puis c’est

d’actualité ?

monde de l’art. Je suis assez pragmatique de ce

vrai que l’Europe a une relation très intime avec

Il y a des thèmes qui reviennent, qui sont

point de vue là et j’aime la perspective anglo-

l’Afrique mais en même temps ils n’ont pas une

particulièrement pertinents dans le contexte

saxonne de la question. Ce qui est important

image de l’Afrique qui correspond vraiment à

africain des questions d’identité, des questions

c’est ce que cela nous permet de faire. Le monde

ce qu’est le continent aujourd’hui. Il y a plein

de liberté et des questions de société, de sexu-

de l’art fonctionne de toute façon sur une base

de gens qui sont venus pour voir l’exposition,

alité, de morale. Et puis ce que j’aime bien c’est la

d’argent qui avoisine le niveau zéro de la pro-

qui rentraient dans l’espace et qui en ressor-

manière dont les africains abordent des thèmes

preté. C’est l’industrie qui est approvisionnée par

taient en disant: «non je cherche l’exposition

universellement contemporains. L’Afrique

l’argent le plus puant et le plus dégueulasse qui

d’art africain» ! Pour beaucoup de visiteurs, cette

d’aujourd’hui n’est pas l’Afrique d’il y a dix

existe à la surface de la planète. Alors pourquoi

exposition a été une manière de découvrir des

ans, encore moins l’Afrique d’il y a vingt ans.

aller épingler telle ou telle société en particu-

aspects de la contemporanéité africaine et cela

On a changé avec une telle vitesse ! Ce qui

lier ? Et puis quoiqu’il en soit, les gens gardent

a servi à saper complètement les idées reçues

m’intéresse aujourd’hui c’est de comprendre, à

quand même leur libre arbitre et l’image d’une

qu’ils avaient sur l’Afrique. Dans le dialogue qui

travers le travail des artistes comment l’Afrique

personne ou d’une société n’est pas manipula-

s’installe entre l’Afrique et ses partenaires, le pre-

se rapporte au reste du monde. Notre regard est

ble à l’infini.

mier truc à faire, c’est casser les idées reçues. Les

plus pertinent sur la question chinoise qui est

artistes contemporains africains ne vous diront

une question globale et on est beaucoup plus

pas ce que nous sommes mais vous diront peut

informé que les Européens par exemple. On

être ce que nous ne sommes pas, ou ce que

dirait que l’Europe vient de découvrir que la

nous ne sommes plus.

Chine va dominer le monde, les Européens ont

Pourquoi un tel engouement aujourd’hui pour l’art contemporain africain ? Le marché de l’art a toujours besoin d’une coqueluche pour faire un buzz. Il y a eu l’art russe puis l’art chinois et maintenant c’est l’art

43

du mal à réévaluer la position rassurante de la Qu’est ce que les artistes africains

Autoportrait / Emperor of Africa (2013) © Samuel Fosso, courtesy of the artist and Galerie Jean-Marc Patras, Paris

place qu’ils occupent dans ce monde. Ils ont du

Oikonomos (2011) © Edson Chagas, courtesy of the artist and Fundação Sindika Dokolo


mal à comprendre ce qu’est la Chine, nous les

c’est le cerveau, le coeur et les couilles de

Africains on vit avec les Chinois depuis vingt

l’Afrique. Comment est-ce qu’on arrive à faire

ans, on se développe avec eux. Dans son

exister ce média artistique qu’est la photo

travail exposé à Porto, Samuel Fosso arrive à

par exemple ? Est-ce par des magazines, par

se réapproprier l’histoire de la Chine et à être

des expos, des affiches ? Cela fait combien

totalement à l’aise avec la contribution de la

de temps que l’on a pas vu une affiche qui ne

Chine dans la contemporanéité. Comme dit

vend rien ? Pourtant c’est un moyen de com-

Gérard Depardieu « la poésie moi je couche

munication absolument génial, c’est le fait que

avec » eh bien nous, les Africains, la Chine on

l’affiche nous envahisse qui fait la puissance du

couche avec, on vit avec. En fait l’Afrique con-

Street art par exemple. Pour nous à la Fonda-

nait parfaitement notre monde contemporain,

tion, le musée ne doit pas être une implosion

qui lui, ignore le plus souvent l’Afrique telle

mais une explosion. C’est ça l’art c’est un truc

qu’elle est aujourd’hui. C’est ce qui nous

qui vous énerve c’est un truc qui vous guide,

permet d’avoir dans certains domaines, une

un truc qui vous laisse pas dormir la nuit, un

longueur d’avance.

truc qui vous fait vivre.

Vous programmez à plus ou moins long terme la création de deux institutions,

Actualités de la Fondation Sindika Dokolo •

Acquisition et rapatriement d’une

l’une à Porto qui sera une extension de la

statue et de deux masques Tchokwés

Fondation et l’autre à Luanda qui sera une

pillés durant la guerre civile en Angola.

institution muséale. Comment envisagez-vous ces espaces ?

La Triennale de Luanda de Novembre 2015 à Novembre 2016

Une année pour la triennale de Luanda, on avait utilisé 100 panneaux publicitaires pour montrer le travail des artistes dans la ville. On s’est immiscé pendant 6 mois dans ce chaos urbain, subrepticement et subversivement on a pénétré le quotidien des gens de manière à ce que partout dans la ville on puisse être connecté aux images des artistes de la Triennale. Le jeune artiste Délio Jass qui était à l’inauguration de cette exposition à Porto a rencontré l’artiste germano-kenyane Ingrid Mwangi. Il s’est arrêté devant elle et lui a dit: « C’est vous Ingrid Mwangi ? Vous savez quand j’avais 15 ans, en face de ma maison il y avait la photo de vous avec vos tresses sur le visage et c’est à cause de vous que je suis devenu artiste! » . C’est vraiment ça qui me donne envie de travailler plus, d’exposer plus, de créer plus de vocations. Ces jeunes

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The Diary of a Victorian Dandy (1998) © Yinka Shonibare MBE, All Rights Reserved, 2015


Autoportrait / Emperor of Africa (2013) Š Samuel Fosso, courtesy of the artist and Galerie Jean-Marc Patras, Paris

45


ART TALK

SOMEBODY BLEW UP SOUTH AFRICA Aryan Kaganof

Port Elizabeth born Dudu Pukwana went into exile in 1964 with his band The Blue Notes. Although he died in exile without ever having returned to his motherland, Dudu went home every time he played.

Dudu Pukwana’s Zila Saturday, 23rd February 1985 The Bimhuis, Piet Heinkade 3, Amsterdam

have never heard song; of living

Harry Beckett – trumpet;

whose deaths are legends

Dudu Pukwana – alto and soprano sax;

for their kind.

Pinise Saul – vocals; Lucky Ranku – guitar; Django Bates – piano; Thebe Lipere – congas; Churchill Jolobe – drums.

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They speak of singing who


involved in fighting for, existed only in the

brilliant records as a leader, Diamond Express

music. With our eyes closed, listening intently,

and Flute Music, (both 1975) featuring sublime

were in exile. Forgot even that who “we”

Dudu took us, his congregation, back home,

trumpet solos from the late Mongezi Feza.

were was uneasily defined, amorphous. We

back there. Back to a place that had never

But it is Dudu’s scorched earth playing on

were “compatriots” from a country that had

been and was never going to be. When Dudu

the visceral hauntology of grief Blue Notes

indoctrinated us with a profound sense of

played we forgot that he was in exile too. He

For Mongezi (1975) that has turned me into a

our separateness. We had, from birth, always

invented South Africa. With his eyes closed,

disciple. To listen to this threnody of love for a

been separated from each other and this

blowing concentratedly into the mouthpiece

fallen comrade is to understand how far into

meant, ultimately, from ourselves. Paradoxi-

of that soprano saxophone, Dudu summoned

the soul recorded sound can travel; beyond

cally the separation from South Africa meant

into being the warm spirit of an impossible

art, beyond jazz, beyond any intellectual

that we could finally meet each other – as

home and shared it with us, his congregation.

attempt to comprehend and thereby tame it. I

exiles – and share bittersweet memories of the

In his passionately blowing presence we were

have been listening to it every day for nearly a

terrible place we called home. We hated it but

made privy to an emancipation so incandes-

year since first discovering it. Tonight I will get

we wanted, more than anything, to go back

cent that the merely political liberation of

to see Dudu play for the first time. I will climb

ekaya. We loved it but we wanted to change it,

the struggle glowed like a 40 Watt bulb by

onto my bicycle at 7pm and cycle from my

irrevocably. To change ourselves. To repair our

comparison. It wasn’t a gig. It wasn’t a concert.

apartment in Amsterdam West, across town,

separated selves. What we all had in common,

It was a way of staying alive. Perhaps the only

braving the - 15°C freezing cold, through thick

regardless of hue, what we all shared - was an

way.

swirling snow all the way to the Piet Heinkade

When Dudu played we forgot that we

intense and unbearable nostalgia for a place

just East of the Red Light district, to the home

that had never existed.

A scream gathered in wet fingers

We lived in three distinct places. Firstly,

of jazz, the Bimhuis, where Dudu Pukwana’s band Zila will start performing at 8pm.

the shadowy place of incessant and very futile

at the top of its stalk.

nostalgia for where we came from. Secondly,

—They have passed

the distant promise of a place where we were

and gone

their shapes

always going back to, one day, without any

whom you thought your lovers

are not unlike night’s.

certainty that it would ever happen. And finally, groundingly, the drab grey reality of

In this perfect quiet, my friend,

I am 20 years old. It is two weeks before

Who was Dudu Pukwana?

daily life in the place we were temporarily

my 21st birthday. On the 9th of March I will

located – the Netherlands. This partitioning

officially come of age. But tonight, Saturday

the Blue Notes with Chris (McGregor). But

of the self disallowed us full participation in

23 of February 1985 is my birthday present

Dudu was behind all that and Chris was, you

the everyday we were living through. Exile

to myself. Tonight is the first time I will see

know, there, but Dudu was the composer and

robbed us of an ordinary life. Being unable to

Dudu Pukwana perform live. I have many vinyl

Chris was kind of the arranger of Dudu’s songs

go back framed us in a highly self-conscious

records that feature Dudu’s alto and soprano

but Dudu was the one. And Dudu was the

and always tragic mythopoeia. The nostalgia

playing. His solos on Hugh Masekela’s Home

one who taught Chris to play mbaqanga on

was, of course, a lie. Memory is always fiction.

Is Where The Music Is are the reason that 1972

the piano and showed him what it’s all about.”

We invented home. We created a South Africa

album remains Bra’ Hugh’s most profound

That’s according to Blue Notes bass player

that had no basis in reality. No place could be

recorded set. Dudu’s angular, elegiac alto

Johnny Mbizo Dyani in an interview I did with

that special.

playing can be heard to heartbreaking effect

him in Amsterdam in 1985.

rd

on Johnny Mbizo Dyani’s Witchdoctor’s Son In fact the place we longed to go back to, that place we were all, to varying degrees,

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“...actually Dudu was the man who started

Dudu was born on 18 July 1938 in Walmer

recording of 1978 – most pertinently on the

Township, Port Elizabeth and his first instru-

anthem Song For Biko. Then there are the two

ment was piano but at the age of 18 he


switched to alto sax after meeting tenor

Johnny Dyani said, “When you start to write

early hours of the morning when all is quiet

sax player Nick Moyake. His first group with

about music you start lying.” This music has

and all you hear is the occasional sound of the

pianist Chris McGregor was The Cape Town

to be heard, and it has to be heard dancing.

milkman or night watchman, or some musi-

Five, alongside tenor player Cups Nkanuka,

Dudu’s alto line is as much part of the rhythm

cians dragging their feet wearily homewards

drummer Martin Mgijima and bassist Don

it is cross-pollinating as it is part of the melody

after a stint at a club or something.”

Staegemann. Although the band won a prize

that it never quite decides to unveil. Classy,

at the Johannesburg Town Hall Jazz Festival

joyous and utterly addictive.

they were never recorded.

Also recorded in 1962 is the first disc by a band credited as Chris McGregor and his

Dudu’s next recording is probably the

Blue Notes. Although both compositions are

rarest, least known item in the South African

Dudu’s and it was clearly Dudu who taught

heard on the 78rpm Meritone Big Beat release

jazz discography. Mr. Paljas was an African

Chris McGregor this lilting, suspended style

Size 10/ Allright Dudu produced by Gibson

musical composed by Stanley Glasser, who

of piano playing, the racial politics of the day

Dudu’s earliest recorded solos can be

was then a lecturer

could not see the band any other way than

at the SA College of

that the so-called “white” man was the leader

Music. There is some

of “his” Blue Notes. This automatic paternal-

spirited playing by

ism was to chafe sorely once the band was in

Hugh Masekela

exile. Ndiyeke Mra is the original title for Dudu

and Dennis Mpali

Pukwana’s tribute — “Mra” — to the legend-

(trumpets), Blythe

ary band leader Christopher ‘Columbus’

Mbityana (trom-

Ngcukana. Mra was a regular favorite of the

bone) and Cornelius

Blue Notes and their future incarnation, the

Kumalo (baritone

Brotherhood of Breath and was also recorded

sax and clarinet). The

by Hugh Masekela.

outstanding solos

In 1963 the Native (Urban Areas)

however, all belong

Amendment Act extended the apartheid

to Dudu, especially a

government’s control on who could live

searing one on Rock

in the cities and where they could live. For

Lobster (no, it’s not

those born under the heat it was about to get

the B52s tune!).

hotter. In response to the simmering political tensions in the country, The Blue Notes

Dudu’s next

presented a programme of jazz and poetry in

recording date was

the University Great Hall at UCT on Saturday

Kente in 1961. A fascinating syncretion of

on 8th September 1962 in the Grand Hall at

April 27 1963. The Star newspaper wrote of

South African rhythmic fireworks overlaid

Wits University as part of Gideon Nxumalo’s

the programme: “The poetry is negro, the jazz

with a hard bop sensibility that spells it out

Jazz Fantasia. Composer and pianist Nxu-

Negro and African.” Dudu and Chris wrote in

clearly – Dudu has absorbed Sonny Stitt’s

malo wrote of Dudu: ““SPLIT SOUL has been

the programme notes “We believe that this

absorption of Charlie Parker. Also recorded in

dedicated to, and especially written for Dudu

is the first time Poetry and Jazz have been

1961 and produced by theatre legend Kente

Pukwana … to accommodate the exponent’s

performed together in this country. The idea

for the Meritone Jazz Series are two Pukwana

particular style. Dudu has an aggressive deep

was first suggested by Dylan Thomas, when

compositions One-Two-Three and Cape Town

sounding style and I reckon this particular

he met young Negro Authors in America.” The

Dudu. A musicologist could write a PhD about

number is just up his Street. The idea behind

compositions played that night included Hey

exactly why this music is so infectious but as

this piece was to portray Johannesburg in very

Jongapha by Dudu, Linda’s Thoughts by Tete

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Mbambisa, Kippie by Dollar Brand and Arabia

lines are models of graceful restraint, pro-

his fellow travellers. They had to follow and

by Freddie Hubbard. The poetry set included

viding a perfect foil for Pukwana’s lava-like

follow closely. There was an ecstasy and an

Leroi Jones’ The End of Man is His Beauty.

sheets of alto madness. Elsewhere it’s drum-

exuberance on display that I had only ever

mer Churchill Jolobe who is the night’s great

seen in the Apostolic church when believers

discovery for me. Churchill’s prime percussive

were visited by the Holy spirit and began to

which proves but

motives are joy, joy and, well, ... joy! I’ve never

speak in tongues. What Dudu was playing out-

a referent

seen a musician who seemed to enjoy himself

side of wasn’t just a framework of chords and

to my disorder

as much in the playing and the sound and

harmonies, he was outside of the entire notion

Your world shakes

the sheer being-ness of music as Churchill.

of audience and performer, the entire history

Right next to him Lucky Ranku did not open

of music as a commodity. Dudu was a natural

And silence

cities die beneath your shape.

mystic blowing through the air. He was utterly in the moment. But was it “jazz”?

By 9pm the Bimhuis is filled with the entire “Jazz music is an art of the spontaneous.

Mzansi exile community, not to mention every Dutch jazzer that lives in the city. Alto

The jazz performer and composer are the

player Joe Malinga from Swaziland is stand-

same person and the acts of composing and

ing at the bar next to an extremely inebriated

performing are essentially simultaneous. …

Sean Bergin who hails from Durban. I have

People thoroughly ingrained with the European

only ever spoken to the burly sax player a few times, but tonight Bergin comes up to me and grabs me with both hands by the collar of my jacket, “Pellie you’ve got to interview Dudu, Dudu is the man, DUDU IS THE MAAAAN!” An entire contingent of war resisters who live in Amersfoort have come to Amsterdam for this concert. Everybody’s here tonight, but when is Dudu going to play? Without any warning pandemonium begins. The double doors leading backstage are ripped open from within and that higgledy-piggledy don’t-fuck-with-me tone on the alto could not be anyone else. Dudu comes out of the change room like a boxer who’s just heard the bell ring for the start of the knockout round. The sound is huge, the intensity is right off the Richter scale. The band hurries to catch up with him but nobody has a chance of catching up with DP tonight. The wise Barbados-born trumpeter doesn’t even try to keep up with Dudu who is playing like a man possessed. Beckett’s sweetly melodic

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his eyes for nearly two and a half hours. On and on he played, chopping the rhythms out like finely diced onions into a super salad of skanga sound. In a band this great you could be forgiven for hardly noticing Django Bates on piano and Eric Richards on bass, and that isn’t because they were the only so-called “whites”. The thing is that both of them were merely excellent musicians, almost at the top of their game. The rest of the band were South African exiles. That is to say there was something mythic about them, something tragic too, and, if I am perfectly honest, something slightly embarrassing too. Yes, embarrassing. These people gave so much of themselves you became aware of how half-hearted most music concerts were, how formulaic. I mean nothing, but nothing was pre-arranged with Dudu and the band. He would stop in mid-flow, put the soprano down and pick up the alto and be playing a different tune within seconds, just like that, not even a miniscule nod to the head to guide

tradition insist that this inevitably leads to shallow music-making. The fact is that it can lead to music-making of an almost incredible depth in performance. The performance will reflect the depth of the performing musicians thought at that very time.” Chris McGregor writing from an application for a Cultural Grant, 1964. The single shadow at noon like a live tree whose leaves are like clouds The Blue Notes played their last gig in South Africa in July 1964. I was 4 months old. This gig was recorded by Ian Huntley and released as a CD in 2005 with an intriguing liner note: “Each listening of Dudu Pukwana’s plaintive alto sax on the essentially gloomy final track, “Close Your Eyes” sparks my own imagining of emotional turmoil and uncertainty.” Dudu’s explorations of turmoil and uncer-


tainty celebrated the imagination, stimulated the imagination, and emancipated the imagination. The music was about freedom but not in a musical sense. Music, like politics, always had the potential of becoming a realm; a realm with borders, with boundaries. Dudu Pukwana strode across these musical boundaries. His realm that he played in wasn’t music, it was everywhere, it was creation itself and it was always South Africa that he was creating. Home. Ekaya. Actually he was a piano player first. Actually Dudu was a healer. A mystic. In this sense Pukwana was the true father to Zim Ngqawana and Zim in turn, Dudu’s only rightful heir. But here in Africa South South there is nothing to inherit. Not even a new name. Only a sad direction. How you gonna be proud of a direction? Dudu never went home. He died on 29th June 1990 of a failed liver, a month and three days after Chris died. The Blue Notes belonged to both of them. weightless soul at whose love faith moves as a dark and withered day.

guy.’ Now of course Ornette was checking us

drinks very quickly and he doesn’t mind when

out, but he was putting us as Africans, it’s-nice-

the mixer runs out. His voice grows increas-

to-see-you-guys kinda, they were doing that.

ingly hoarse as he spins further and further

It’s strange because the Europeans would take

away from my fanboy obsession with dates

us for real but the American black musicians

and names and genres. It takes me decades to

would take us, ‘Oh yeah you Africans, how do

understand how tiresome I must have been

you play this?’ So Ornette had this attitude. So

to that man who had just played himself out

Dudu got mad, you know, I got mad also and

of the cosmos and into infinity. It’s only after

Mongezi got mad. You know, this attitude!”

being back home for fourteen years that I

Johnny Mbizo Dyani, 23 December 1985.

have finally understood that there is no home left. There never was. Once you leave home

“...and anyway, Ornette was in the room. Dudu said, at intermission, ‘There’s Ornette!’ Shouting. And you know Ornette is a shy guy, everybody turned around, the whole room, ‘There’s Ornette! Where’s your horn man? C’mon? Where’s your horn? You are Ornette Coleman aren’t you?’ Damn, Dudu’s running the Cape Town thing… and Ornette was kind of panicking, Dudu: ‘Hey you are Ornette! C’mon, bring your horn, you are Ornette, ain’t you?!’ So we said, ‘Hey Dudu leave this guy, you are embarrassing this guy.’ ‘He’s Ornette!’ And Dudu’s saying it to us in Xhosa ,’I’m gonna blow his head off. I’ve been waiting for this

50

you can never go back. You become an exile They speak of singing who

and exile becomes your only home. Actually

have never heard song; of living

it’s better that Dudu didn’t live to find that out.

whose deaths are legends

Maybe he already knew that. Maybe that’s

for their kind.

why he literally killed himself for us, tearing South Africa out of himself in order to give us

At the end of the gig I go backstage and

a little piece of sonic myth we could identify

meet my guru. He is incredibly amicable,

with and feel at home in. When Dudu played

hugs me as if he’s known me forever. I try

we forgot that we were in exile.

for an hour to get something resembling an interview out of him. But very little of what is

Aryan Kaganof (born 1964 as Ian Kerkhof)

said is fit for publication. A lot of motherfucker

is a South African film maker, novel-

this and motherfucker that. Dudu is mainly

ist, poet and fine artist.

interested in finishing his bottle of vodka. He


51


ART TALK

A LOVE SUPREME AT 50

John Coltrane, Malcolm X and the Sound of ’65 by Frieda Ekotto

As icons, they contested the [‌] presumption that black working class culture was deficient to the point of pathology and answered its call for a restored sense of black manhood. Scott Saul 2015 is a year of 50th anniversaries. For example, early in 1965, jazz saxophonist John Coltrane released the deeply spiritual and passionate album A Love Supreme, the defining work of his distinguished career and one of the most highly respected and beloved pieces of recorded music. A week later, Black activist Malcolm X, the orator and organizer who effectively advocated for social change in Black urban communities, was assassinated in New York.

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Black American self-awareness is a multifaceted experience often gained through

nized internal and external demons, as well as

Black American existence with colors of expe-

the strength and ability to overcome.

rience and brushes of insight. They choose to

time. It happens through being part of the

Again citing Saul:

grasp onto self-happiness and self-love, show-

community as well as through elements in

Coltrane and Malcolm raised a fresh, if not

ing how to exist colorfully and wholly, refusing

American culture that exploit and demean

unprecedented, question in the tradition of

to deny the internal and external color of one’s

blackness. As Scott Saul writes in Freedom Is,

American autobiography: what would it mean

skin.

Freedom Ain’t Jazz and the Making of the Sixties,

if the autobiographer was a working-class black

John Coltrane and Malcolm X were powerful,

man, and if he chose to lift up his community

1° - https://youtu.be/9bDPqX2MOQw

often interrelated figures in the development

rather than climb out of it. A Love Supreme was

2° - Watch this video for free on AOL

of Black American’s figuration of selfhood.

designed as an inclusive ritual of ascension

On: [50 Years Of A Love Supreme.] http://

They represent internal growth for the Black

(although one with hermetic secrets); Malcolm’s

on.aol.com/video/50-years-of-a-love-

community, and they teach of a movement of

autobiography, which diagnosed with laser

supreme-518551827

self from a compromising and fragile situation

precision and lethal seriousness his experience

to one of strength and self-pride. Developing

of American racism, was written as an invitation

Frieda Ekotto

a strong understanding for self-love and

for black readers to join his movement for justice.

Chair, Afroamerican and African Studies

appreciation, Coltrane and X fought through

In this way, Coltrane and Malcolm both tried to

Professor,

hardships for more than their own self-

affirm their own personal quest for truth without

Comparative Literature and Francophone

emergence.

dividing themselves from the black community

Studies The University of Michigan

Both figures shifted their lives from misun-

that had nurtured that questing spirit. (261)

derstanding and misery to self-criticism and self-improvement. Many consider Malcolm

In the complexity that is Black American

X’s “by any means necessary” as a ploy toward

existence, self-evolution can derive from

violence and crime, but it was rooted in ideals

a state of chaos. To understand the Black

of self-protection and developing internal

American existence in its peace and

feelings of safety. Crime had been a part of his

tranquility, one must also fully understand it

life, but the intertwining need for change and

in chaos and uncertainty. Malcolm X and John

revolution came to overshadow and lessen his

Coltrane embody this. This had their share of

interest in its shady ways. Coltrane chose to

chaos, but through it they developed full and

make a turn for the better in recognizing his

strong understandings of their own internal

aggressive self-loathing and dependency on

calm and logic. Presenting their findings

harmful drugs. His need for change came from

to the Black community, each in his own

self-expression, as well as from the observa-

beautiful way, both figures gained strength

tions that the Black community needed

and gave pride and understanding to others.

strength from its idols and leaders. This

The energy that pours out of A Love Supreme

transition from criticism of the Black Ameri-

is one of a violent rebirth, while the narrative

can community to an attempt to develop an

structure of The Autobiography of Malcolm X, as

understanding of community began with

it progresses through events and realizations,

Black Americans telling their own stories. The

allows for both coherence and chaos.

voices of Black idols and figures unified the

These works birthed cultural solidarity, and

Black community. Coltrane’s A Love Supreme

their music and words knit together the Black

and Malcolm X’s The Autobiography recog-

community. Coltrane and Malcolm X painted

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ART TALK

THE SOUND OF BOMBS

Emily Goedde

What does an air raid sound like? Sirens? Yes. Explosions? Almost certainly. But as written into the poetry of World War II in Kunming, China, it also sounds like guitars and the radio, English poetry and chatting. It sounds like car horns and children crying. It sounds like breathing, silence, thinking and listening. How does one translate these sounds? How does one convey their many meanings, cultural, emotional, personal and poetic, written in Chinese poems, into English? The answer is, has to be, translation, and

by translation” (428).1 Second is poet Robert

this forces us to consider a commonly held

Frost’s famous comment, “I like to say,

assumption: Sound cannot be translated.

guardedly, that I could define poetry this way:

I could give countless examples of this claim,

It is that which is lost out of both prose and

but here I’ll offer only two. First is Jacques

verse in translation. That means something

Derrida, who in his study of translation as

in the way the words are curved and all

a kind of economy, writes that he is not

that” (159)2. Despite his poetic vagueness, I understand Frost’s “curved words” to be th e sounds of language. In thinking sound and translation, I have come to realize that when we think of sound in poetry, we think first of “word sounds”— lexical sounds, rhythm, meter, prosody—the “auditory imagination,” as T.S. Eliot put it. As a translator I know the great complexities of these sounds, which writers use to suggest relationships and genealogies. It is often through “word sounds” after all that ideas and relationships are stressed, humor is created, and tone or mood is established. In my experience, translators are keenly aware of these kinds of sounds, and in each particular text often find ingenious translation solutions. But I wonder if too much attention to word sounds tout court might be a dead end, and if we

concerned with “meter, rhythm, caesura,

1 From Derrida’s essay “What is a “Relevant’ Trans-

rhyme—all the classic constraints and limits

lation?” translated by Lawrence Venuti and in The

that are in principle and in fact insurmountable

Translation Studies Reader, Second edition, edited

2 In Robert Frost on Writing, edited by Elaine Barry,

by Lawrence Venuti, New York and London: Rout-

New Brunswick, New Jersey: Rutgers University

ledge, 2006.

Press, 1973.

54

might give more attention to how translation


“A Corner of the Shelter”

The more they 轟炸

Xu Xiaoqiu - Undated

the deeper our hatred” Artist unknown

Ultimately, however, when we examine the writ-

offers an opportunity to listen. Let me give a specific example. I’ve been

ten words that languages have for the sounds

learn about what others hear. It is for this reason—this learning to

asked: “What does “to bomb” sound like in

animals make, the trope descends almost to

hear—that in my translations of poetry from

Chinese?” I reply: “hongzha (轟炸).” To this

the arbitrariness of most words, e.g., the English

Kunming, China, I have included the word

English speakers have inevitably responded:

woof woof and the French ouah ouah for the

hongzha 轟炸.

“That doesn’t sound very scary.”

sounds of a dog; likewise, the Greek barbaros

3

The fact that hongzha doesn’t sound very

Before I give an example of this, let me

for barbarians was derived from the sounds the

offer non-native speakers of Chinese a sense

scary to English speakers, but does to Chinese,

Greeks ascribed to other languages. While such

of the word’s etymology. Hong 轟, which is

points to this commonly held assumption:

words stem etymologically from sound imitation,

made up of three 車 che or “cart” characters,

The meaning of onomatopoetic sounds is

their meanings are virtually as arbitrary as those

suggests loudness. It is often used with other

self-evident. Yet this isn’t necessarily the case,

of any other signifier, given their subsequent

characters to express onomatopoeias, loud

a point made in the Princeton Encyclopedia of

development. (1324)

crashes of thunder, bursts of laughter, and, of

Poetry & Poetics in its entry “Sound”: Meaning can clearly be evoked or connoted

At a very basic level, even onomatopo-

course, the sound of explosions. Zha炸 has

etic sounds, which seem as if they should be

the radical huo火, meaning fire, on the left. All

by sounds as in onomatopoeia [...], but this kind

universal, cannot be expected to carry the

Chinese characters have radicals that sug-

of meaning in large part corresponds to a histori-

same meanings in two different languages.

gest a category into which the character fits.

cal train of significance. If words are signifying

And it makes sense that for an English speaker

“Flower,” for example, has the grass radical cao

abstractions, onomatopoetic effects seem to

hongzha means very little, while to a Chinese

艸 at the top: 花 (hua). Zha 炸, which is used in

express a generalized meaning based on natural

speaker, it sounds intensely evocative.

compound words that mean “explosion” and

phenomena such as animal sounds or water. 3

Sound Note: “Hong” rhymes with “wrong,” and

“zha” would sound like if you said the French “je” and “ah” together quickly “j’ah.”

55

This underlines that we hear sounds dif-

“frying,” has the fire radical because fire is its

ferently. This releases us from the sense that

determining element. 乍, the character on the

translators have to convey “word sounds.”

right, is there because it represents the sound

Instead, translation can be an opportunity to

zha.


It is my sense, however, that etymology

white, sometimes in color, either silent and still

Emily Goedde is a PhD candidate in the

does not give us as a full an understanding

or else grainy and filled with static. In other

Department of Comparative Literature

of the experience of hongzha 轟炸 as the

words, for me, “bombing” recalls old World

at the University of Michigan, Ann Arbor,

Chinese poetry written during WWII does. It

War II footage, punctuated by snippets from

where she focuses upon Chinese poetry

is this poetry that teaches us how listening to

current conflicts.

from the 1930s and 40s. She received

hongzha 轟炸 included waiting, for sirens, for

But to approach Zhao’s text visually would

an MFA in literary translation from the

our neighbors, for our children, for, eventually,

be to be led astray, outside of the poem, both

University of Iowa, and her work has been

the explosion of bombs.

spatially and temporally. For in his poem, peo-

published in 91st Meridian, The Iowa Rev

Although many of us are fortunate that we

ple weren’t “bombing” as I understand it in a

iew, eXchanges and Discoveries: New

live, waiting and listening, for bombs to fall, we

visual sense. In his poem individuals were lis-

Writing from The Iowa Review, as well as in

all know the feeling of waiting for a sound. We

tening for hongzha 轟炸, and Zhao’s vantage

the anthology Jade Mirror: Women Poets

listen for the buzz of a text message, an alarm

point is not from above or from a distance. It is

of China (White Pine Press, 2013).

clock, a knock on the door, a child’s wake-up

below, waiting, listening. These are his lines:

cry. We wait, listening, as we go about our

Beautiful dreams are broken! Hongzha! 轟炸!

lives. And then, when in its suddenness the awaited object sounds, we are startled; we

Enemy planes overhead!—

jump; perhaps we laugh, perhaps we sigh.

To include “Hongzha!” rather than “Bomb!”

Anticipation has made us jumpy.

in my translation allows me to short-circuit

The poem “Portrait of Kunming, Spring

the image of bombs above. I can, instead,

1940” by Chinese scholar Zhao Ruihong (趙

stretch my sonic imagination to listen to a

瑞蕻 1915-1999) gives us a sense of waiting

different experience. To be startled, for a

when the sound to come is hongzha 轟炸.

moment, by hongzha, is to try to listen to

As I’ve translated his poem, of which I include

what Zhao heard. Translation—as a practice

a short excerpt below, I’ve kept hongzha 轟

of listening—allows us to come, as close as

炸 in my ears. And in so doing, I’ve come to

we can on the printed page, to the sound of

realize that when I think of “bombing,” I think

bombs. Listening to it, we might begin to hear

of images of war, as I’ve seen in books or on

the sounds of an air raid.

the screen. These images are often black and

56


“轟炸only can evoke our hate” Fei Long - Undated

57


ART TALK

Nakei Nairobi Call it Lingala, call it Souk-

by Mukami Kuria

“the all-powerful warrior who,

Radio changed us.

ous or call it Rhumba. This

because of his endurance and

Before Kenya was Kenya, there was the

is an anthology of sound and

inflexible will to win, goes from

British East African Broadcasting Corpora-

the ghosts it rouses, a musical

conquest to conquest, leaving

tion, which started broadcasting in 1929. The

cartography of Nairobi and Kin-

fire in his wake."

archive does not reveal much about it before

shasa. 1. It is 1960 and Joseph Kabasale, Le Grand Kallé sings

7. A claim to authenticity cannot be state sanctioned. 8. “Perhaps instead of think-

its nationalization in 1964 by way of an Act of Parliament. Recast as the Voice of Kenya, it consolidated a multitude of voices into one. I

Independence Cha Cha. 1960 is

ing of identity as an already

am reminded by Keguro Macharia that ‘“patri-

the ‘Year of Africa’. It is also the

accomplished fact, which the

otism” swallows all it can’ .

year that my Father is born.

new cultural practices then

2. At independence in 1963,

It is through Radio that I now listen to the

represent, we should think,

past. Occasionally I wake up on Sunday morn-

the flag is lowered one last time.

instead of identity as a ‘produc-

ings to stream Roga Roga on Radio Citizen

My father is four years old when

tion’, which is never complete,

from Kenya. Rituals of driving around Nairobi

Kenya becomes a Republic.

always in process, and always

on endless Sundays with my Father, sitting in

3. 1964.

constituted within, not outside,

the front seat I listen to him listening to music

4. Authenticité.

representation. This view prob-

with nostalgia to the recognizable voice of

5. Mobutu declares in Octo-

lematises the very authority and

Fred Obachi Machoka.I remember the 1982

ber 1971 that Congo is no longer

authenticity to which the term,

coup, or rather reading about it, and how

Congo; it is the Republic of Zaire.

‘cultural identity’, lays claim”

Leonard Mambo Mbotela was forced by those

. Stuart Hall, Cultural Identity

staging the coup to make the announcement

and Diaspora.

that Moi’s government had been overthrown.

6. 1972. Mobutu is now Mobutu Sese Seko Nkuku Ngbendu Wa Za Banga, he is

58

A trusted voice, the voice of the nation –


“This is the Voice of Kenya, Nairobi. I am

maybe a voice that I listen to when I want to

singing it. By singing it.”

Leonard Mambo Mbotela. The government

listen to my father. Machoka’s voice may be

of President Moi has been overthrown by the

the voice that the nation listens for on week-

language, a language for the walking

armed forces.

ends. How does one claim to own a voice, or at

wounded of Congo, despondent in their

least hear yourself or parts of yourself in it?

national silence and devoid of the optimism

All police officers should disarm and all political detainees have been released. Please stay at home and do not loiter in the streets.” The article in the Nation retells of a time and a moment in that time when the Coup

After the coup, Rhumba is said to have

I attempt to think of Lingala as a wounded

that existed in the era of independence. I

been banned on Kenya Radio. That is until

wonder if it is possible to translate this to Nai-

Tabu Ley wrote the song Nakei Nairobi, sung

robi, to how it is that we previously imagined

by the illustrious Mbilia Bel.

ourselves and our future in Lingala, a language

leader, Hezekiah Ochuka, refused to believe

that was not ours but came to us by way of

the message had been broadcast. Apparently,

*

he looked for a radio in the station to confirm

music. In the essay Kin La Belle, Owour describes

the message had been relayed to the nation.

Just as my father listens with his own

her pilgrimage to Kinshasa. She asks a man

What does it mean to have faith in broadcast?

nostalgia, I listen with my own nostalgia for

selling music if she can learn Lingala in two

To have faith in a radio? Or to question its reli-

him, to be back in Nairobi, quietly seated as

weeks, and he tells her that to do so she must

ability?

he recalls to himself the nights he would be

“see the world in music” - When he then

watching Orchestra Les Mangelepa play. I

plays Independence Cha Cha by Le Grand

Mbotela recalls,

imagine the headiness of the air in the bars

Kallé Joseph Kabasale— a song that brings

“In between regular announcements of the

in Nairobi and Kinshasa, sultry and humid,

together the cacophonies of Kinshasa, blend-

coup, I was playing the only available record in

infused with the intoxicating rhythms of

ing the “many sounds and the songs in a

the studio, Tabu Ley’s hit Maze, with the famous

Congolese Rhumba. Dazzling guitar rhythms,

language— the old song still wields its magic”

lyrics, ‘I love you, baby touch me.’ Ochuka wanted

layered with horns and richness in sound and

. Independence Cha Cha is a declaration of

martial music."

language unparalleled. To a stranger, this

independence that captures the elation and

cacophony is unpolished dissonance, unstruc-

rush of freedom. I imagine how “Kabasalle

tured music.

summons us all to beginnings, and in the song

(How does one listen to Maze again after hearing Tabu Ley’s mellifluous voice throughout a coup?)

The elegance of Lingala, its fullness sang

we can start again” . I want to imagine that

by Joseph Kabasele, Franco Luambo, Tabu

Nairobi and Kinshasa could and would start

Ley Rochereau. Music and language are both

again, but the ghosts that haunt both cities are

one can’t help but notice how it haunts the

described by Adorno as “a temporal sequence

heard in the echoes of Rhumba.

imagination; unrehearsed - it captures the

of articulated sounds which are more than

“We erase East-West-North-South and

urgency of the moment. The disjuncture

just sounds” . In creating vernaculars, and in

those unrepentant fires in Commune Patrio-

between members of the army attempting to

giving them life and meaning through music,

tique de Masina are laid to rest for three

assume power to the fumbling and the mut-

we give ourselves a way of inhabiting the

minutes and six seconds”. Perhaps on a

ters, the illegibility of the coup announcement

world. Music itself is a language of expression.

pilgrimage - I realise that I am on one, too –

note in the studio and an unnamed, unidenti-

It is emotive and documentary in recording

one listens for both familiarity and for ghosts.

fied man asking “what is this?” asking what a

events and space, cartographies of cities and

I listen for 3 minutes, often more, as Rhumba

certain word reads. There is a pressure in that

the existence of bodies in them.

songs are known for their long arrangements,

Listening to the coup announcement,

moment, an honesty of a man trying to read a coup announcement. Fred Obachi Machoka is our voice – that ‘our’ is doing too much work. The ‘our’ is

59

And I turn to Yvonne Owour. In a recent

lasting for as long as 16 minutes. This is a

interview, speaking on Lingala as a language,

sound of extravagance, of self-indulgence,

she responds to a question: “How do you

allowing for impassioned guitar solos and

navigate a language that carries wounds? By

harmonies that linger. Perhaps it is through


the length of this music that one experiences and measures time. There is a sociality in listening to Lingala

never could be.

cations of ourselves, where we are imagined,

The Congolese songs I return to are often

where we are represented, not only to the

songs of mourning, eulogies for those who

audiences out there who do not get the mes-

collectively, which one can only replicate

were close to the singers. Wendo Kolosy’s

sage, but to ourselves for the first time” . Stuart

partially listening to the lengthy ballads alone.

Marie-Louise, a song mourning his guitarist’s

Hall, What Is This “Black” In Black Popular

There is a sense of intangibility in experiencing

sister, Karibou Ya Bintou by Tabu Le Rochereau

Culture?

sound together, in listening to music played

is said to be a song written after the death of

live. I imagine for my father, and his broth-

one of his dancers and Pitié, Pitié is an elegiac

Congolese music implicate the musicians and

ers, going to listen to Les Mangelepa was the

song of love. I wonder: what did love taste like

the genre more generally as being susceptible

most essential part of the week; they spent

in 1970s Africa? Did it taste the same in Nairobi

to the whims of the listeners, those consum-

the week dreaming of rhythms and endless

as it did in Kinshasa? Or does the music taste of

ing live music. Christoph Vogel writes that the

nights. Just as differences are erased in Kin

loss and the echoes of loss?

musicians now offer to do “shout-outs”, a prac-

La Belle, the geographies of the country are

tice in Lingala known as “kobwaka mabanga”

temporarily effaced by the gorgeousness of

*

Independence Cha Cha. The music that puts out fires is the music that helps my Father breathe at the end of the week. My Father tells me that Roga Roga on Saturday and Sunday mornings is one of the

Academics and journalists writing about

which translates as “throwing stones” during live performances as a way of making enough

6th of September 2015. Live-stream of

money, sustaining their bands and their music.

Roga Roga from Nairobi to Bloomsbury,

These writers seem to mourn the loss of the

London.

formalities of Congolese music and the loss of

The listeners call in, both hearing them-

the professionalism of the “musicians”, solely

most listened to shows in Kenya. With this, too,

selves and imagining their world in music.

them and the music, their craft and art. For

there is a sense of preparation, a nation that

Machoka interchanges “niambie” with the

those of us who know that Rhumba was a

collectively endures the week for a few hours

question “uko wapi”? The listeners situate

lifeline, it was where we imagined ourselves

of Rhumba that fill a hunger and tiredness,

themselves in the exchange and in a specific

honestly, shrouded in beauty and engulfing

yearning for the hopefulness of the past.

geography, either travelling to and in between

melodies, it is where the musicians conversed

regions or claiming to being from a place.

with the listener in shaping their dreams and

I adopt my own rituals, which involve setting alarms to be up on a Sunday morning

allaying their fears. The music is a conversa-

in line with Kenya time; GMT+2 or 3. Coffee is

“Ni Patrick kutoka Meru”

made and the live-stream is started. Listening

“Elkana Serem, kutoka Bomet, Kitale”

to Lingala is a sensory experience of the famil-

“Kutoka Kapenguria, Major ya KBV12N”

iar and the strange, even if a song has been

“Mama Njeru”

listened to before. The experience of listen-

“Mike wa No Thrift Shuttle”

Kintu Bay, Kintu Bay, Kintu Bay

ing changes the listener and the music each

“Omwami Barasa, sikia utamu”

Homa Bay, Homa Bay, Homa Bay

Mangelepa ni yako tu – Mangelepa is yours alone.

Jack Asiyo ni yako tu

time, as if it is the first time the song is being heard. Leaving its imprint of beauty, astonish-

tion.

“The first is to remind you that popular

Onyango Moloo wako tu Mzee Kivumbi ni wako tu

ing arrangements arrived at either through

culture, commodified and stereotyped as it

meticulous layering or sometimes, sheer luck.

often is, is not at all, as we sometimes think of

There is ease in Lingala, a freedom imposed

it, the arena where we find who we really are,

by the length of the songs losing the musician

the truth of our experience. It is an area that

that they are ours alone, they play for us and

and the listener alike in ecstasy.

is profoundly mythic. It is a theater of popular

us alone. They communicate a sense of own-

desires, a theater of popular fantasies. It is

ership. This is our music and our time. Perhaps

where we discover and play with the identifi-

music was the only thing one could own then,

It becomes apparent that I, too, have nostalgia for a time that was never mine, and

60

The band sing in Mangelepa ni Yako Tu


the experience of listening or owning and

to the audience by announcing their name

collecting vinyl, creating an archive of time

and instrument they were playing.

and space and the two cities of Kinshasa and Nairobi. To speak to ownership of music at a

I recall leaving Nairobi after the Christmas holidays, captured by the lyrics of Les Mangelepa in Embakasi. Embakasi as a metonym

Then there is the conversation between

recalls the main airport of Nairobi before it was

time when owning Kenya or part of it had dis-

Kinshasa and Nairobi. Imagining a musical car-

Nairobi International Airport or Jomo Kenyatta

sipated with promises of freedom and justice.

tography of East and Central Africa, songs that

International Airport. Embakasi airport was

The imposition of silence and the ghosts that

undoubtedly informed and were informed

where farewells were said and returns were

live in the echoes of silence are on occasion

by diasporic imagination, it was Lingala music

made real. Les Mangelepa sing for a lover (a

interrupted by the staying power of Rhumba

that documented and dreamt of cities. Songs

Sue Moraa) as a departure becomes immi-

music. Perhaps what endures is the conversa-

that embody cities and movement allude to

nent,

tion.

journeys and departures, singing of Dar Es

I read Kin La Belle against Dust, what lan-

Salaam, of Kinshasa, of Nairobi and of Mom-

Sue ngai lobi na Embakasi uwanja wa

guage means in Kinshasa, in Congo and what

basa. To sing of a place, you have either been

ndege/usivunjike moyo

it means in Kenya.

there or you imagine going there. Perceptions built on stories of those who have been, what

Susie mwana Kenya/ mpenzi kwaheri

like bitterness in coffee, is but one of four

they saw and experienced and how it is that

Subiri nitarudi/ usiwe na shaka

essences that make up the fullness of Kin-

they returned changed by the road and the

Wa jua Air Kenya/ baraka hewani

shasa. There are four national languages

city.

Safari na Air Kenya/ safari ni njema

“I am now being reminded that Lingala,

here. The other three are Kituba, Tshiluba and Kiswahili. Lingala, I am told has a pain-filled past.

Congolese, especially Les Kinois, still

The movement alluded to reminds us

speak of Kinshasa as the heart of Rhumba

that the oral is often embodied and given

It carries many wounds. It was the official

music, le Coeur. Yet by 1975 multiple bands

voice through the movement of tongues.

language of the hated and mostly diabolic

had moved to Nairobi to record their music.

Departures are then made reality through the

Force Publique, the hand cutting the colonial

Existing alongside Nairobi-based bands,

movement and migration of bodies. Sound

army that served the whims of the greatest

the Rhumba of the 70s was perhaps, then,

travels through memory, through visions for

genocidaire of the modern world, Leopald II.

a conversation between urban dwellers in

the future and the promise of the road.

Lingala, I am admonished, is suffused with the

Nairobi and Kinshasa, recording modernity

waters of Congo’s sufferings” .

and a way of being in the world. To belong in

postcolonial Africa suffused with energies and

In Dust Yvonne Owuor reminds us,

a world inhabited by freedom dreams, dreams

sensual music was replaced with nostalgia for

“Kenya’s official languages: English, Kiswahili,

that sustained the push for independence

what was and could have been. Imaginary

and dreams that the Congolese and Kenyans

departures became real as did indefinite

found themselves dreaming once again

journeys and the promises of returns, as the

as the failures of post-colonial Congo and

musicians who sang of leaving really did leave

that was sang in bars and nightclubs in Nairobi

Kenya became apparent. Where Nairobi and

for Paris and Brussels in the 1990s. Cosmopoli-

and Kinshasa. It is produced in conversation.

Kinshasa meet in music, the city embodies

tanism insists on history.

Owing to the large sizes of the bands and the

feeling. Those who meet in these two cities

Seated at Heathrow, I prepare for my

largeness of the sound they produce, recogni-

exist beyond and the veneer of the city and

return to Nairobi. In listening to Nitarudia

tion would often come through a performed

it this where space and sound are enlarged,

by Orchestre Vévé Star, I notice the horns

conversation. Mid-song, the lead singer will

brought to life. It is in sound that histories

first; I am utterly beguiled by them. The act

often call out to each of his band members,

and geographies gather and it is where they

of listening is one of intent and I find myself

acknowledging their skill and bringing them

remain.

restarting the song, now paying attention to

and Silence. There was also memory” . Memory is produced in music, in Lingala

61

Yet the collective imagination for and of


the lyrics,

leaves my imagination, my musical map of the

Mukami Kuria

conversation between Nairobi and Kinshasa.

Born in Nairobi, Kenya, Mukami Kuria

Bibi yangu nakulia we, mpenzi wangu

I think of what remains in Nairobi, a tiredness

is currently a student of International Rela-

mi ni fanye je

in the city that has a strained relationship with

tions at the London School of Economics

Bibi yangu nakulia

the State. An article dated March 2013 makes

and Political Science.

Bibi yangu nakulia we

it known that the club where Les Mangelepa Aside from an interest in the Inter-

used to play, Garden Square, was shut down Ninakwenda kwetu Zaire,

over unpaid rent. Oddly, Garden Square is

national, she spends time dabbling in

Mpenzi wangu mi ni fanye je

a venue that is both of these things: owned

photography and art criticism. She is

Nitarudi tutaonana

by the Government and popular venue for

interested in thinking about photography

Bibi yangu nakulia we

funeral arrangement meetings. I imagine the

and with photographs, cultural studies and

Bibi yangu nakupenda

silence that engulfs Garden Square now, aban-

cultural production. She can occasionally

Mpenzi wangu mi ni fanye je

doned and haunted by the ghosts of the past,

be found in the Kenya National Archives,

Mpenzi yangu ni wako Mama

empty in contrast to the past nights that it was

exploring memory, history and colonial-

filled with full sounds, trumpets that occupied

ism. She is the editor of a forthcoming

the room. Keguro Macharia reminds me that

book on a Kenyan music and art collective.

The voice of the singer tells his wife that he is going to his, the “kwetu” often circulates in

death is followed by the “desire for the dead to

Kenyan vernacular as more than rural Kenya

rest in peace” . Those who remain after those

but as an origin, where one comes from.

who die in Nairobi gather here to plan their

“Kwetu” says “ours”. At once revealing that he

mourning and grieving. That which remains is

is from Zaire, he also lays claim to belonging.

the sound, the sound.

He tells his wife “nitarudi, tutaonana”. He will return and they will see each other. “Bibi yangu nakupenda,” my wife, I love you. In 1997, 37 days before my 2nd birthday, Mobutu fled Zaire, after 32 years in power. 1997 is when my political knowledge of Kenya, learned and unlearned, tells me the second multi-party elections were held. I learn from Wairimu Muriithi that “1997 was the year a Ugandan newspaper claimed Moi was possibly the second richest man in Africa after Mobutu Sese Seko.” For Rhumba after Mobutu, maybe the Golden Era came to an end. Music cannot travel to Paris and Belgium, the sound and feeling evoked by sound cannot make it through certain borders, pervade certain cartographies and survive trauma. I have never been to Kinshasa, but it never

62

Nag's Head Market, London 35mm (2015) Kahira Ngige.


63


ART TALK

NOTES ON CUTS ON CENSORED RECORDS John Peffer - All images are the author's, courtesy private collections

In 1962 Radio Bantu was established by

own recordings via its “Transcription Service,”

recording engineers of the bygone era fully

the South African Broadcasting Corporation

both in the urban studios or via a van with

in love with the sounds discovered, while

(SABC) as part of the National Party policy

recording equipment sent into the rural

also holding in their minds a paternalistic

of separate development for each of South

areas to gather tunes from the various folk

perspective on local cultures, thinking they

Africa’s ‘distinct’ cultures, with stations created

cultures. These recordings were not made for

were going “back in time” and fully impressed

for each of the dominant language groups.

sale, only for use on-air, and very few copies

with their own command of advanced

A characteristic of apartheid ideology was

were made. Despite their original ideological

transcription technology.

that each culture (as defined by the state) was

misuse, they were a valuable record of what

officially defined as consisting of a distinct

(some of) the rural music of South Africa

Radio Bantu stations. Popular commercial

language and geography, and the indigenous

used to sound like. At the end of apartheid

recordings of mbaqanga, township jive, local

African ones were encouraged to develop

during the early 1990s, the separate “Bantu”

jazz bands, isicathamiya, disco, rock, and soul

longing/nostalgia for specific rural areas/

stations were centralized, and SABC discarded

by local black groups as well as by overseas

homelands. The so-called traditional ways

thousands of these recordings, either selling

pop acts were also played on air, creating a

of life were adapted from anthropological

them off or sending them off to be chipped

quandry for authorities because their content

accounts into state ends, to keep its labor

and melted down and their components

did not perfectly fit their ideology.

pool content and to thus control competition

recycled. Today the copies that remain are

for jobs in urban areas. Therefore on the

buried in the archives and never played on air,

of all commercial music to be played on air

Radio Bantu stations, language mixing was

while precious few others are dispersed into

had first to be submitted to a committee com-

discouraged, for instance on the seSotho

mostly private collections. It is one of the many

prised of the heads of the SABC departments,

station isiZulu should not be spoken or sung.

contradictions of the apartheid era that in its

and were subject to censorship. Anything

But what music could be played on these

effort to constrain it also preserved a legacy,

deemed to include messages of sexual free-

“Bantu” stations? In order to create content

even if that preservation has amounted to

dom, drugs and booze, clearly non-Christian

that fit its ideological program, SABC made its

an entombment. One can imagine the SABC

(i.e. not Calvinist) content, suggestions of

64

This is not all that could be heard on the

In order to address this concern, the lyrics


cultural mixing, messages of potentially politi-

“AVOID” or “CANCELLED”. Sometimes the titles

perverse “locked groove” - from these hard

cal nature - anything thought to be against

of songs were roughly scribbled over by pen.

skips, returning to them as emphasis instead

the interests of the National Party - could be

On the vinyl surfaces of the LPs the offending

of erasure. The click of the cut itself becomes a

refused airplay, even if the albums themselves

tracks were often literally scratched out with

new beat, on top of the original rhythm of the

were otherwise commercially available. Lyrics

a nail, sometimes completely obliterated,

song, on top of and revealing the hard pulse

that mixed words from more than one lan-

sometimes with just a single thick cut creating

of a former authority, while undermining that

guage were sometimes censored.

a line perpendicular to the playing groove.

authority.

Especially during the heightened state

These censors’ cuts created a radical skip at

Held in the air, in the right light, these

paranoia of the late apartheid years of the

each turn of the disc which would potentially

records become new objects, multi-layered

1970s and 1980s, anything that remotely

destroy the playing stylus, thus making the

palimpsests of snaps, jumps, and marks that

sounded or looked like a call to a gathering, of

song unplayable on air.

are evidence of their past suppression. In this

people coming together for a meeting, was

Looking back upon these records today

way their surfaces may be seen as archives

censored, even if the actual lyrics were quite

from the perspective of one who plays records

of events in their (and our) own history of

conventional or the meaning of the song was

and plays with records, this other groove also

use and abuse. They are an odd species of

not originally intended as revolutionary or

creates its own rhythm, its own pops and

evidence, a physical history of inscription/tran-

political. Basically, anything that sounded like

clicks, its own unique beat upon and within

scription. In them and on them the paranoia

too much fun was avoided on air.

the beat of the tune. Also, the crossings-out

of the authoritarian state is made palpable for

of the song, if played on a sturdy turntable,

all to touch and know and feel and play with

banned outright. More often it was only

may return the listener again and again to the

over and over through the repetition of what

specific songs that were forbidden. So SABC

place where the “objectionable lyric” is found,

remains.

DJs were given albums with markings on the

revealing it above the rest of the tune, display-

covers: stickers or handwritten notes point-

ing it for all to see and hear. I can imagine a

ing to the objectionable tracks that stated

contemporary DJ creating an infinite loop - a

LPs with censored content were not always

65

John Peffer is Associate Professor of Art History at Ramapo College.


ART TALK

FLOW A Negotiation Between Voices

Conversation with Jun Nguyen-Hatsushiba

By Myriam Dao

Memorial Project Nha Trang, Vietnam: Towards the Complex For the Courageous, the Curious, and the Cowards, 2001

66


Previous bottom left and this page : Breathing is Free Japan Hopes Recovery 1789 km, Installation video, Courtesy of Mizuma Art Gallery Tokyo, 2011

Jun Nguyen-Hatsushiba was born

thy visible. He is able to work with

ist to “break” the patterns he was

in Japan in 1968. After having spent

this feeling as a sculptor works with

used to. So Jun Nguyen-Hatsushiba

18 years in Ho Chi Minh City, today

his “raw material.” Here in MAC/

experimented with a new artistic

he lives and works in Houston Texas.

VAL, the voices of the audience pro-

language. With “Don’t we all want

From the first, the works of the art-

duce geometrical drawings: in order

to be in tune?”, the artwork he

ist have been connected, directly

for the cursor to move, the voices

exhibited in MAC/VAL in 2014, the

or indirectly, with the theme of

need to be in tune. The universal

artist created an interactive installa-

migration, travel, or also absence

character of Jun’s statement is not

tion where the tones of voices tones

and exile. What the artist is doing

false : he is running. Beyond bounda-

drew a kind of geometric path. His

is producing metaphoric maps of

ries, beyond every kind of concept

installation provided the public an

the feeling of empathy. In the ongo-

that politicians have built between

opportunity to participate in his

ing project “Breathing is free”, his

one human being and another. As

experimental installation.

trajectories (as those of the other

an artist, Jun Nguyen-Hatsushiba

The connection between flow and

runners) trace poetic maps all over

is questioning what we can call our

migrations in “ Don’t we all want to

the world (Australia, Japan, France,

“coexistence” on this earth.

be in tune?”

Vietnam, among others). By run-

is particularly relevant. In the press,

ning in Yokohama, and Ho Chi Minh

During his residency in the

migration has more of a visual

City, for example, people reacted to

French Contemporary Art Museum

impact, and Jun Nguyen-Hatsushiba

the Tsunami incident of 2011. Jun

MAC/VAL, chief curator Alexia

has succeeded in offering an alterna-

Nguyen-Hatsushiba is making empa-

Fabre clearly encouraged the art-

tive approach to this concept.

67


What lead you to music, to make artworks with sounds? I begin to look at my dual interest in the

Human beings are visual creatures, so we are

to adjust to the proper note. ”What kind of

able to collect data better with our percep-

“negotiation”?

tion in most cases. I mean, at least in terms of

The installation prompts two people

visual art and music as a kind of struggle in

our civilization now. The more time I spend

to trace over a simple geometric shape. In

identifying myself. They are both artistic activi-

thinking how to connect music and migra-

essence, what they have to do is to listen to

ties, but there are differences, especially in the

tion, the more I see it. As in the two standing

their own pitch to adjust to the proper note

way you engage your audience. And perhaps

microphone installation where two people

they need to create. When the two continue

as far as comprehension is concerned, music

must simultaneously emit a pitch in different

to produce the proper notes on the grid, they

can be more abstract and perhaps more

frequencies to move the cursor in a frequency-

will be able to trace the shape nicely. It’s a kind

subjective. More impressionistic. The indus-

based grid system, it’s about being able to

of statement about communication or even

tries are also quite different, though, again, I

control your pitch and also to communicate

negotiation. It would be very interesting to see

can see similarities. For the residency at MAC/

with the other in order to maneuver the cur-

politicians in this installation.

VAL, I made it clear that I will explore audio as

sor, which in turn draws a continuous line on

a base to develop my work. I’ve always liked to

the screen. One person controls the position

create music. Maybe it’s about the sensation

of x on vertical. Another controls the y on hori-

of tone, phrasing, harmony, the rhythm it can

zontal. The axis is where the line is drawn.

bring… Frequencies interacting with the fre-

Coordinates!

watch?v=FBhwRO196pc At Calais, you encountered the migrants…

quency of my body and brain waves. I think all those are valid for anyone. It’s about the vibe,

https://www.youtube.com/

Having experienced your installation

At the time of my residency at MAC/VAL,

but as with any other form of art, appreciation

and “negotiated” with my voice and that

my concern for migrants was focused around

of different genres and musical instruments

of an unknown person, I felt different,

those who were coming into France to cross

really make a difference in how one can listen

stronger as a result of this experience. You

the English Channel. They come from all over,

and communicate with what one hears. I think

use a metaphoric language to qualify it:

the Middle East, Central Asia, Africa, develop-

tone is everything.

“two people have to listen to their own pitch

ing countries around the Mediterranean Sea.

Photography by Jun Nguyen-Hatsushiba Calais, 2014

Most end up at Calais hoping to hop onto

Was the visual aspect of the installation more of a challenge than the sound aspect? In my installation, the sound aspect of the work consists of the vocalizations of the audience itself. So I think it made it more interactive and audience-friendly compared to some sound pieces that only require the audience to listen and think. Actually, I didn’t really think about whether it was more difficult than a visual installation. I think it is about the degrees of elements we want to balance in our work. A visual piece can become more difficult for the audience to enter as well. However, asking someone to listen to music for a minute may be more challenging than asking someone to watch a video for a minute.

68


Is your personal experience and life also

any moving vehicle departing for the UK. The

search for?

chance is slim. The situation now has escalated

To build our lives as friends, a trust

to be considered in connection with “flow

to be very inhumane in the way migrants are

within us

and negotiation?”

detained and in the security measures taken

How will we ever reach the land we

to prevent them from migrating into UK.

dream of?

So, I was in Calais for a few days with Valerie

I think everyone experiences this. Some recognize it and involve themselves in creating a better flow through better negotiation.

Labayle of MAC/VAL team. The visit actually

What does it take? What does it take?

Some are unaware of this process and lament

came after my residency period. Without

What does it take? (…)

about the situation that there is no possible

much research, it became obvious that Calais

way. I wish that the political leaders could

was the destination for many migrants. The

always get to the point of needing to connect

project is on hold due to my recent health issues. Hopefully we will be able to continue it. The project itself studies the migrants’ struggle to cross the English Channel. A song was written for the residency exhibition earlier called ”What Does It Take?” It is my first effort to work with a popular music genre in order to discuss the issue. Really, what does it take for these people to cross the water?

Lyrics: (link: https://soundcloud. com/junruns/what-does-it-take) Where are we going now, our place has reached the sand?

Don’t we all want to be in tune? Courtesy of the MAC/VAL, 2014

What have we done, all we want is to pass this land Just to reach across the other side of channel Leaving behind our friends and love. Will we ever reach the land we dream of? What does it take? What does it take? What does it take? Will life ever lead us to the chance we seek? We’ve come afar, a tug-of-war, destiny about to change Have we not the right to live the life we

69

Hatsushiba work in progress Courtesy of the artist, 2015


and look for the possibilities of connection.

connection may be the most trivial thing ever,

groups. But the faces are all empty of facial

It’s an internal negotiation. Should they leave

but for me, it provokes further thoughts. At

parts. If you look closely, you will see forms

their own country and move from one place

one point in my residency, I was developing

for these features, but they are not identified

to another? Should they take the next chance

the idea of performing the Star-Spangled

clearly. So it’s quite crude, if we see just the

to smuggle themselves into the moving

Banner, which I would do at the coastline of

face or the head of these figures. This simple

vehicle? Lots of risk taking. At one camp I

the English Channel. A kind of Romanticist

form for me is a depiction of us in the simplest

was visiting, one of the migrants came back

reflection of the history of art, as in the work

way. A simple posture of the body and the

from the site of the “jump” (jumping into

of Caspar David Friedrich, “The Wanderer

suggestion of what kind of clothes they are

the passing truck) to report “Today is a good

above the Mists”. I think of Jimi Hendrix as one

wearing make them humans. They seem to

day, 12 are on.” They leave on the spur of the

of those wanderers. And playing the Star-

be stripped of self-identity, but for me, these

moment. They are prepared with a very small

Spangled Banner back in the direction of the

rough forms speak about humanity as a

bag of belongings; any paperwork from their

UK would bring an interesting perspective on

whole. That’s why I like them. They’re not the

homeland, money, a jacket, and a mobile

the situation of migrants at Calais and their

people you know, but they are the essence of

phone. “How do we know if they make the

desired destination, the UK. It is also a reflec-

people you know. At the same time, they are

crossing?” I asked. “They will message back

tion on how the song was originally written.

like the migrants, without clear identity. They

upon success,” was the answer.

And perhaps this is what I saw in my head as

are a mass of humans. Perhaps this is one rea-

migrants attempting to cross the Channel, a

son migrants are treated cruelly by the locals.

kind of brave endeavor.

They are seen as one kind, not as individuals.

Inspiration: Jimi Hendrix’s reinterpretation of the Star-Spangled Banner” in connection to your work-in-progress, for example? I am just exploring, as is my usual

So, I will be working with these figures to creCould you tell us more about your next projects?

approach, just opening doors here and there

I am currently working with small minia-

and letting ideas take shape, but if we look at

ture figures, the ones we use for model train

Hendrix’s career development, a sequence of

sets. They are very small, yet they are human

meetings also led him to land on UK ground.

figures. What I like about these is the obvious

Subsequently, he formed his most influential

omission of facial expressions as well as facial

band and created what we know of his music.

features. Basically, we can identify the different

Basically, his career exploded in the UK. This

kinds of people in different industries and age

ate situations. Also, continuing to delve into ways I can work with audio to discuss migration issues as well as basic human issues.

Don’t we all want to be in tune? Courtesy of the MAC/VAL, 2014

70


71


ART TALK

BLACK IS A CULTURE It is a Saturday evening in London and at

Mukami Kuria

series, notions of the archive have evidently

enance of the sound clips. The listener takes

Radar Radio a very special DJ Set is about to

influenced his work. In conversation with

them as they are, and is struck by the potency

begin. London based creative Lo-Fi Odysseys/

Okayafrica, Lo-Fi Odysseys describes the series

of their words as well as their relevance of

Daniel Oduntan makes it known that he is a

as his way “to crate dig my heritage… and

those words to black people in multiple geog-

curator of culture.

present it in a way that others could access.”

raphies. Lo-Fi Odysseys compels us to ask

During the next two hours at Radar Radio he

how one may embody a “claim to heritage

ear for creating musical odysseys that are a

represents the duality with a finger on the

and claim to belonging” through music and

journey into rich sounds, often with great

pulse of the past and his eyes looking to the

culture.

historical weight and socio-political impor-

future. We hear how you must look backwards

tance. Recently he has received coverage from

to understand, to move forwards and create

released, one is struck by their diversity and

online-based publication Okayafrica for his

something new.

subtle complexities. They are captivating and

Lo-Fi Odysseys is someone who has an

Listening to mixes he has previously

Palm Wine Beats Series, and he is gaining trac-

This evening the set he is playing ventures

make for relaxed listening. Yet because they

tion online and in the London music scene. In

into the “politics of sound”, of culture and spe-

fuse familiar sounds and classics such as the

August he opened for legendary Ethio-Jazz

cifically of the existence of black culture. His

Lijadu sisters with overtly political material

musician Hailu Mergia on Boiler Room.

smooth voice announces that he has brought

they occupy a tension between provocative

along vinyl and will be “playing jazz and soul”.

and comforting. They complicate pleasures,

From Lenny White to Gil Scott-Heron, he is a

which are often uncomplicated in the politics

purveyor of the archive.

of sound and of the black experience.

He represents multiple temporalities, geographies and sounds. To represent something means to make it present again, and this is all the more so

He has invited friends to the studio to

Tonight we take part in an exercise to

with music that never ages, to play it again is

contribute to the discussion of Black Culture.

destabilize the archive. He incorporates and

to give it an audience - maybe even one from

Kahira Ngige, and myself, Mukami Kuria, are

offers a thought provoking clip 20 minutes

a new generation. At once reviving and re-

part of a collective called Sunday Service

into the set, from which I pick up the following

presenting past sounds in all their goldenness,

London, where we create spaces for young

fragments:

while equally concerned with the music of

Londoners and people of colour to discuss

the present, Lo-Fi Odysseys presents himself

cultural production and black hunger. Another

as a negotiator of worlds musical and cultural.

friend joins us later, Alyssa Rochelle, a teacher

Additionally, his sound is unique, particularly

and singer in the band Kinnatural.

with what has become a distinctive feature

Undoubtedly as a DJ, Lo-Fi Odysseys is

“People of colour are constantly being explained to” I pick up from an unidentified voice, which I take to be the voice of a black man, that the

of his mixes: the Lo-Fi Odysseys retouch.

cognisant of the symbiotic relationship across

problematisiation of people of colour is perva-

Occupying, inhabiting and negotiating the

the “Black Atlantic”, the phrase coined by

sive, that racism is essentially a white problem

world of hybridity, he has retouched songs by

scholar Paul Gilroy. While the set this evening

and that to understand racism requires

Chief Commander Ebenzer Obey such as Baba

“Black Is Culture” pivots around discussion

unlearning and discomfort.

Loran Mi Wa and Gentle Lady by Alhaja Queen

of blackness in America, it also encompasses

Salawa Abeni and Her Waka Moderniser.

histories of slavery and migration. Through

that “American, white and human become

incorporating sound clips, he opens the

synonyms”.

As we can hear in Palm Wine Beats Volume 1 and 2, the first of three mixes in a five part

72

archive. But no context is given into the prov-

Impassioned, the voice ends by asserting

Later, in the studio, we enter a lengthy


discussion about humanising. It is 2015, and

for people of colour. In bringing the human

heard; we make our voices heard. As a chorus

black people are still dehumanised. Post-

experience to Nollywood, other questions

of voices, we agree that music is “giving peo-

colonial scholarship and critical race theory are

begin to arise.

ple a sense of identity and humanizing them”

relevant here in making the claim that dehu-

Lo-Fi Odysseys poses the question,

and continues to make certain ways of inhabit-

manisation renders and makes disposability

“Where else will you see an all black cast?

ing the world possible. We posit that for black

possible. We posit, or argue, that it is black

The BBC is slow”. We agree, wholeheartedly,

people, music is a means of “giving them a

culture that humanises. Through it there is an

broken-heartedly.

way of being in the world, space to imagine

undoing and challenging of banal narratives.

“Where will you see yourself?”

themselves”. The mix negotiates black music from Gil Scott-Heron to Barrington Levy, and even Chief Commander Ebenezer Obey just before the evening ends. We discuss the black music of our now, Kendrick Lamar. The scene at a protest in Cleveland where protestors repeatedly chanted “we gon’ be alright” is a starting point and one which offers a futurity for the possibilities of black culture and black music. Lo-Fi Odysseys describes black music as a sound of struggle. Perhaps the words of bell hooks are more fitting in his discussion on how black culture is impacted by the relationship between capital, neoliberal logics and precarity. For some music, its source is pain. In the conversation I think of black pain, and how it is that those profiting off black music are “eating the suffering of the Other”, off the suffering of black people. Over the music of Lo-Fi Odysseys offers this, that for black people “Music is all they have, so it’s hurtful to

We remember a past project, in which the stellar Lo-Fi Odysseys re-scored Live a

“Will you see yourself in music? Just as we negotiate out own visibility

take it away. There are people making money off our culture”.

Nollywood masterpiece, Danger Signal. We

in spaces in the city, again creating spaces

are all Londoners, negotiating predominantly

for ourselves, tonight on Radar Radio we are

present moment, music is all we’ve got. It is

white spaces, at times seeking refuge in creat-

making ourselves audible, making our sound

what remains, and lingers. It is what nourishes

ing spaces for ourselves, for black people,

heard. Here is where we make our music

and sustains.

73

After tonight a thought remains: at the


ART TALK

ÂME, IRIE, BARAKA « Somebody Blew Up America »

74

by Stéphanie Melyon-Reinette,


Baraka et son mouvement pour les arts noirs

Bien que le Jazz ait toujours été un hybride –

ont eu une influence philosophique et esthétique

rencontre de toutes les cultures qui ont fondé

profonde et durable sur tout l’art noir post-

la culture étatsunienne que nous connaissons

intégrationniste.

aujourd’hui, qui se nourrit encore, dynamique

– William J. Harris (préface de Leroy Jones, 1991)

vorace, de toutes les influences qui sont au croisement de son évolution, de son expansion – certaines de ces caractéristiques

Se réapproprier l’âme de Baraka et le

esthétiques sonores sont purement Nègres.

substrat d’une révolution qui nous a quelque part tous fondé n’est pas exercice aisé. En

À travers la création du Blues et du Swing, le

tant qu’artiste et sociologue, je rencontre

Nègre découvrit deux choses inestimables. Dans

Baraka sur les bancs de l’université. J’étudie

le blues, était imprimée une ligne mélodique

alors le Jazz. Son histoire. Et l’ouvrage

sous la forme de trois accords qui ajoutèrent un

d’Amiri Baraka – ou LeRoi Jones – trouve une

nouveau sentiment à la musique Western et

résonance immédiate avec ma perception

inspirèrent des variations infinies. Dans le swing,

de la musique et de – son inscription dans

c’était une façon unique de phraser qui fournit

– la cité. La cité entendue au sens du lieu où

une pulsation également singulière. Ces deux

s’exprime la politique des hommes. Dans

pulsations n’étaient ni africaines, ni européennes,

Blues People : Negro Music in White America,

ni asiatiques ni australiennes ni latines ou sud-

son regard, fondamental, fondal-natal, fait

américaines ; elles étaient Noires-Américaines 1.

également écho au propos de ce numéro :

(Soulignait Crouch, 2002)

The sounds of politics. Le Jazz, musique née, tant esthétiquement que fondamentalement, d’un contexte sociopolitique qui amena les

qui est abordée par Crouch. Le son nègre se

Noirs-Américains à exprimer leur vitalité, leur

singularise. Il apporte un discours et une iden-

vie, leur liberté, à travers un art diversiforme.

tité qui ne peut être contestée à ce peuple.

La musique que Randy Weston appelle

Amiri Baraka opère le même mouvement

« African wailing » ou les lamentations

et la même orfèvrerie à travers ses mots. La

de l’Afrique (Melyon-Reinette, 2013) est

poésie noire, est son et vibration. Pour Baraka,

incontestablement une émanation nègre

l’art comme la poésie doivent être des actes

et révolutionnaire. Le Jazz accompagna la

révolutionnaires : plus que de contestation,

révolution des droits civiques, tout comme

de révolte, d’offensive, d’auto-défense face à

la poésie, avec le Black Art Movement fondé par Baraka lui-même. Tout comme le son du tambour guida les esclaves hors des plantations vers une liberté marronne, le Jazz – des chants de travail dans les champs de coton aux Blues des villes, aux fanfares new-orléanaises, et aux Swing, Bebop, Hard Bop, Free Jazz – incarna la transformation et l’émancipation du peuple noir-américain.

75

Ici, c’est la construction-même du son

1 Traduction de : Through the creation of blues and swing, the Negro discovered two invaluable things. In the blues it was framing a melodic line within a form of three chords that added a new feeling to Western music and inspired endless variations. In swing it was a unique way of phrasing that provided an equally singular pulsation. These two innovations were neither African nor European nor Asian nor Australian nor Latin or South American; they were Negro American. (Crouch, 2002).


la brutalité policière et la brutalité du monde.

s’évanouir trop tôt. Les révolutions connais-

À travers deux de ses poèmes – Black Art et

Let Black people understand

sent des revirements et les victoires de se

Somebody Blew Up America – imprégnons-

that they are the lovers and the sons

teinter de rouille… Toutefois, ce poème inter-

nous de l’atmosphère de cette époque

of warriors and sons

roge avec la force d’un « who » accusateur,

fondamentale pour les peuples nègres du

of warriors Are poems & poets &

un « who » qui sonne comme une alarme. Un

monde. En seconde partie, quelques lignes

all the loveliness here in the world

cri d’urgence. Un appel au secours de notre

nous amèneront à décrire une expérience

– Amiri Baraka (Black Art).

résistance. Avec Gerald Toto – et notre duo

sonore, musicale, jazzistique avec ces mêmes poèmes, que je me suis mis en bouche, que

Melt In Motherland – et accueillant un backing Cette arme de conscientisation massive

band impliqué – Eric Vinceno (basse), Rony

j’ai interprétés en faisant écho à un contexte

sert l’émancipation. Incontestablement,

Olanor (claviers) et Thomas Bellon (percus-

global où le Noir semble ramener à l’état de

l’influence de Baraka, en tant que poète con-

sions) – le son amené est plus ample, tant par

gibier, de potence, de chasse.

troversé, même démenti, est tout de même

le nombre d’instruments que par la densité de

intangible. Les sons de Baraka sont ses mots.

l’accompagnement du texte. La voix de Gerald

Ces syllabes qui, jointes, forment un pamphlet

se mêle à la mienne : une mélopée, une transe

poétique des plus efficaces. Black Art est un

douce. Une transe qui évoque, invoque et

We want poems

poème qui appelle à la riposte des Nègres en

convoque la mémoire. Ce poème invoque la

like fists beating niggers out of Jocks

masse. Il y appelle à la conscientisation des

mémoire immédiate, donc, pour provoquer

or dagger poems in the slimy bellies

hommes et femmes noirs pour une offensive

une introspection et une rétrospective sur le

of the owner-jews.

contre l’oppresseur. Et l’arme fatale est le son,

passé. Mais il convoque aussi cette mémoire

– Amiri Baraka (Black Art).

les voix, l’art. Le second poème concerné est

de la genèse d’un son nègre qui mêlait aussi

« Somebody Blew Up America » interprété lors

des mots ravageurs : à travers cette jam

d’une Jam au Baiser Salé. Ce poème invoque

session, il s’agissait de mettre en exergue

poings battants… Nous voulons des poèmes

la mémoire immédiate pour interroger les

combien le son poétique, les mots, avaient

qui tuent, des poèmes assassins, écrits Baraka.

profanateurs, les assassins et les perpétrateurs

été fondamentalement liés aux notes bleues,

Aussi vrai que les mots sont une succession

des ethnocides et négrocides.

comme au Free Jazz, mouvement et courant

Black Art, un acte révolutionnaire.

Nous voulons des poèmes comme des

de sons, les syllabes de Baraka prennent une force indéniable à travers son phrasé

d’émancipation par excellence. Il s’agissait Baiser Salé, Embrasser l’héritage

jazzistique. Amiri Baraka écrit sur le jazz et le pratique. Il est poète. Un poète qui scande, chante, scat ses mots. Le son est primodial, voire crucial en poésie. La rime.

de rappeler que le poème est une musique et que la scansion-même de l’artiste est une

Au Baiser Salé, salon de Jazz parisien, nous embrassons cet héritage. À l’heure où des Noirs sont abattus aux

symphonie de mots, de lettres, de phonèmes, d’idées. Le son du mot est modulé, modelé. Inflexions, accents, tons, nuances… le son du

Etats-Unis sans aucune forme de châtiment

mot est distorsion qui permet d’exprimer l’ire

à l’égard des bourreaux – un Ku Klux Klan

collective. Martin Luther King Jr comme Mal-

Le vers…

déguisé ? – interpréter « Somebody Blew Up

colm X, sont les exemples parfaits du pouvoir

Vers quels imaginaires ces sons nous

America » était une missive à l’autre, celui

politique du verbe… Au commencement était

amènent-ils ? Lorsque Baraka déclame « Black

qui s’interroge sur l’impact des puissances

le verbe…

Art » accompagné d’un saxophoniste, le

géopolitiques. Lorsque les voix scandent

phrasé du musicien reste minimaliste, répétitif,

« Black Lives Matter », un poème tel que

Célébrer…

mais c’est une scansion pour donner de la

celui-ci, qui évoque aussi le 11 septembre,

Âme…

force à la voix, qui apporte toutes les nuances

est une riposte qui relève de la mélancolie…

Lorsqu’elle est occupée par les voix des

de par l’improvisation.

de la nostalgie d’une époque que l’on voit

lynchés

76

Le rythme.


Lorsqu’elle est distordue, et devient

and Amiri Baraka’s continuum : a perpetual

chair… blessée

marronnage ? », in Marronnage and Arts –

Le mot est l’issue fatale… qui fait couler

Revolts in Bodies and Voices ». UK : Cambridge

Le sang de la mémoire… Bousculer

Scholars Publishing, 2013.

Les idées reçues… su-surées… Brûlées Goudron et plumes pour les nègres

van Heuven, Katrina. This Week in ‘Nation’

pensées

history : The Passion of Amiri Baraka » January

Il faut les libérer

11 , 2014. Click Here to read.

Irie…

Vidéographie

Transe. Hypnotique flot de mots

Baraka, Amiri. Somebody Blew Up

Flot des motions…

America. Click here to start video

De la mémoire-scansion Baraka, Amiri. Black Art. Amiri …

Click here to start video

Qui donne de l’art noir la peine-ombre L’homme nègre, négrifié saisira-t-il sa

Stéphanie Melyon-Reinette, PhD

chance, BARAKA… ?

(alias Nèfta Poetry, Melt In Motherland) Docteur ès Civilisation Américaine

Bibliographie

Membre du CNMHE, Paris

Crouch, Stanley. « The Negro Aesthetic of

(Comité Nationale pour la Mémoire et

Jazz », Jazztimes, (En ligne). 2002. Click Here to read

l’Histoire de l’Esclavage) Chercheure Indépendante & Activiste Culturelle

Melyon-Reinette, Stéphanie. « Jazz Music

77


ART TALK

SPIRITUAL RESONANCES Call to prayer, sacred chants & glossolalia Clelia Coussonnet in sound-based practices

James Webb, Al Madat, 2014. Courtesy the artist, Galerie Imane Farès (Paris) and blank projects (Cape Town). Photo by Kyle Morland

78


society. He developed an interest in tracing

choreography; their choice to listen and their

expressions of devotion and fervour, holy

what people believe in and how they practice.

movement of descent can be seen as acts of

sounds accompany believers from all faiths in

Studying systems of faith brought in anthro-

humility and openness. Prayer is a transcultural

their spirituality. From Buddhism, Christianity

pology: what is sacred, what is the relation to

or Islam to Judaism, including syncretic rituals

culture? Along that, hearing discussions about

and pagan cults, sound is a key element to

religious extremism was another clincher to

transmit divine teachings and transcend the

start a long-term exploration of expressions of

earthly world. Vocalisations, instruments,

belief through a sonic lens.

Considered one of the most accomplished

melodies or even body clapping create a

In this, since 2000, he has been expanding

language and soundscape unique to every

a multi-channel sound installation conceived

religion.

as a site-specific experience highlighting

Yet, beyond their invitational aspect, these

religious pluralism. Relying on worship sung

Sounds Cells (Friday) Magdi Mostafa, Courtesy the artist 2009-2012.

rhythms can be misused. Under the guise of

by spiritual communities from the host city1,

pious discourses, they may serve as dema-

Prayer changes according to the urban context

endeavour building bridges between different

gogic channels. Taking root in the mind as an

where it is broadcasted. The work consists

communities and art institutions; and evidenc-

integral part of daily spiritual practice, they

in a red carpet and 12 disseminated floor-

ing the meeting points of various faiths.

might contribute to internalising doctrines

based speakers simultaneously emitting the

without engaging the individuals’ critical

recorded praises.

analysis.

Cells (Friday) (2009-2012). 50 dismantled

these ephemeral and evocative tones. They

speakers on a minaret-like structure trans-

mention the dangers implied by the duplic-

mit an abstract Friday’s sermon -sampled

ity of language; the constructed nature of

from two-month recordings in Ardellewa,

belief as well as its genuine expression. Still,

Cairo- interspersed by old washing machines’

their acoustic researches do not concentrate

humming intensified by microphones.

on religion per se but rather use this motif as sound installations collating and blending raw field recordings, they reflect broader contemporary issues by interweaving complex social layers to the competing narratives coexisting within the sacred. The sound tightly placed in the exhibition space is activated by the viewer’s body as a parallel to the aural occupation and circulation of religion in public space.

Plural to Singular Streams Growing up during Apartheid, James Webb (South Africa) saw how racial and geographic divisions impacted religion and

79

questions religious rigidity and partiality in his multi-channel sound installation Sound

African and Middle-Eastern artists capture

an entrance point. Through intense sensorial

Conversely, Magdi Mostafa (Egypt)

The discomfort felt incites to interrogate James Webb, Prayer, 2002-ongoing. Courtesy

the function of both the oration and the

the artist, Galerie Imane Farès (Paris) and blank

devices, which are a metaphor of the never-

projects (Cape Town)

ending household chores devoted to women -while men go to the mosque. In his speech, if

The result is powerful as the prayers are

the imam describes the value of women as

accumulated and looped in an everlasting

procreative vessels[1](reproductive subjects

flow. The audience can stroll; get dazzled by

divested of their bodies), he also explains they

the polyphony of voices or decide to hear one

are not responsible for the baby sex. Mostafa

of them distinctly by kneeling down in front

evidences the role of religion in producing

of a speaker. Viewers are part of an acoustic

morals and in maintaining established social consensuses based on patriarchy and stiff

1 Such as Cape Town (ZA), Copenhagen (DK), Hudder-

gender relations

sfield (UK), Johannesburg (ZA) or lately Malmö (SE) in Barriers, Contemporary South Africa at Wanås Konst. May 17-Nov.1, 2015

Sonic Memories


Recordings of a specific place hint to its history as much as they question the portability of such charged sound reproductions. They

that time as it metaphorically helped them break free from their shackles’.

Peripheries of Language

Rituals’ repeated rhythms, pulses or

Spirituality meets humans’ quest for

reveal geographical and political stratums.

gestures pervade memory. In a sober docu-

meaning. The uncertainty and metaphysi-

Al Madat (2014) by James Webb, for instance,

mentary style, the video A Night in Beirut

cal anxieties linked to existence push to find

subtly and poetically refers to demographics

(2008) by Sirine Fattouh (Lebanon) follows

sense in an immaterial dimension going

and ancient religious migration routes. In this

closely a figure dressed in white, playing the

beyond the ‘word’. Ironically, Younes Baba-Ali

project, he recorded a Sufi dhikr: a traditional

drum and singing. This man is Beirut’s last El

(Morocco) confronts the viewer with a mega-

Islamic recitation, where holy names are chanted

Tabbal2 as his sons will not pick up the torch.

phone broadcasting five times a day the Islam

with special breathing techniques, often creating

One of the time markers of Ramadan, each

call to prayer, Adhan, in Morse code. Erasing

trance-like effects. Four standing speakers sur-

night he crosses the city to wake people up for

verbal communication, he presents the call as

morning prayer before the sun rises and the

a universal emergency alarm signal. At first, the audience has no idea what the code stands for. It generates a feeling of alert as its waves keep on reverberating. Of Moroccan origins but raised in France, Baba-Ali contemplates cross-cultural ties and his relationship to two cultures and educations. Call to Prayer (2011) was conceived when

still from A Night in Beirut,, 8”. Sirine Fattouh, Courtesy the artist 2008

Call to Prayer – Morse. Younes Baba-Ali Courtesy the artist and Arte Contemporanea (BE) 2011

round Karachi rugs creating a space for taking

fasting starts again.

shoes off and being inside the textured space shaped by those powerful voices and breaths.

This mysterious nocturnal scene evokes

the artist first visited Brussels, a third cultural space, as a way to rediscover his community (mostly North African expatriate Muslims) in a new context. The series of Morse on-off tones is ambiguous because it sounds common.

the artist’s childhood when, during Lebanese

Using dual language, the artist ‘questions the

civil war, hearing this spectral voice scared

relation of a migrant with his religion when

recorded by Webb with patients from the Sul-

her. In this poignant imaginary space, Fat-

he is disconnected from his context and his

tan Bahu Rehab Centre run by a Sufi mosque.

touh touches on nostalgia by using sonic

culture of origins’. He looks into education out

This recitation which means ‘help’ and

memories strongly associated with the trauma

of context and how customs and behaviours

implores the assistance of the Prophet and

of war. For her, El Tabbal becomes a symbol

inherited through it are linked to an adamant

Sufi saints specific to Cape Town particularly

of all the landmarks, traditions and memories

religious practice whilst the bond with spiritual-

touched him. Dhikr is used as a curative tool in

vertiginously disappearing in her country: ‘all

ity is lost and absent. While never provoking

this context. The drug rehabilitation centre is

vanishes so fast that we even forget it existed’.

directly, his proposal changes according to the

based in Mitchell’s Plain which was a township

She activates concealed narratives making us

exhibition’s environment: when in Morocco,

during Apartheid, erected after the destruction of

twitch as the drumhead whose echo we hear

the high-pitched beat was perceived as a

places like District 6. The area is predominantly

long after.

warning against the dangers of proselytism.

Al Madat is only one of several dhikr

of Cape Malay and Cape coloured descent. Webb explains ‘Islam and Sufi practices came to the city from South East Asia with the Mardykers and Malay slaves from Mid. 1600. Religion was a powerful tool for slaves during

80

2 This disappearing tradition bears the name of Boutbila. El Tabbal were men from low-income families who had the responsibility to announce the daily beginning of the fasting during the month of Ramadan, in their neighbourhood. Nowadays, their call is heard only exceptionally.

Combining four speakers with neon light, Aleph (2010) by James Webb presents a phenomenon rarely sounded out in contemporary art: glossolalia. It is a continuous out


Soundtrack James Webb, Aleph (2010) James Webb, Al Madat (2014) James Webb, Prayer (2002-ongoing) Magdi Mostafa, Sound Cells (Friday) (20092012) Sirine Fattouh, A Night in Beirut (2008) Younes Baba-Ali, Call to Prayer – Morse (2011)

Clelia Coussonnet is an independent curator and art writer. Since 2012, she has been conducting interviews with artists and curators and publishing reviews. She contributes to Afrikadaa, Another Africa, Diptyk, IAM or Ibraaz. Aleph. James Webb Courtesy the artist, Galerie Imane Farès (Paris) and blank projects (Cape Town) 2010.

loud praise in an unidentified idiom seeming

munication techniques going both inwards and

real. Often mumbling a sequence of syllables,

outwards. Yet, from the outside view, these

the speaker cannot be understood or deci-

practices are often misunderstood. Sharing

phered. In the region of Stellenbosch, Webb

and disclosing those recitations in an exhibi-

recorded young Pentecostal Afrikaans women

tion space enable the audience to learn more.

‘speaking in tongues’. The atypical rhythm

The viewer can interpret and complete the

pouring forth elicits a visceral and mesmer-

work.

izing feeling. Such a flow of unusual words slips out of ordinary definitions on language.

The aural presence of acoustic installations

The singers abandon themselves in this space

based on analysing sounds mediating divine

at the periphery of sense where their expres-

presence reveals the spatiality and secrecy of

sion is neither constrained nor judged. They

sound. While musing on the visible and invis-

believe they are the custodians of angels’

ible realms, artists’ remixes of sacred tunes also

language -opening up a channel between them-

work as doors to historical, psychological and

selves and the person they are praying to.

social issues such as conservatism and morals; migration and multiculturalism; memory and

For Webb, Aleph has a cousin in Al Madat. Both relate to ‘a specific city and context;

loss; subconscious and awareness. Preconceptions as suggestive music can

include demographic enquiries and formally

mislead us. To avoid deceit, listening carefully

rely on powerful methods of spiritual work

and being attentive to what we cannot see

using intense breathing and vocal skills’. For

becomes a shared collective responsibility.

the vocalists, dhikr and glossolalia are com-

81


ART TALK

NEGOTIATION’S – CHAPTER 1-I

Paris-Dualand : une installation polyphonique Jephthé Carmil

C’est à travers la matérialité du son qu’Em’kal Eyongakpa questionne quelques frictions socioéconomiques entre Paris et Douala. « Negotiation’s – chapter 1-i : Paris-Dualand » est le titre de son installation présentée à la Fondation Kadist. Sa scénographie minimaliste crée une narration sonore polyphonique, répartie en deux espaces

ces marchés. Y figurent également, à travers

espace ou de recoloniser par le son un quartier ».

des langues distinctes, des négociations entre

D’autres sonorités de la nature ambiante,

acheteurs et chauffeurs de taxi, des chants de

cette fois-ci issue de la mémoire subjective de

vendeurs et des appels à la prière, quoique le

l’artiste, comme le son des feuilles de Fumbua

français soit la langue de partage de ces deux

(Gnetum africanum), les cris des oiseaux et le

villes. Dans un entretien avec Amal Alhaag,

ruissellement des eaux, circulent à l’intérieur

Avec Negotiation’s – Chapter 1-i : ParisDualand Eyongakpa Em’kal revient avec son usage du son, un peu délaissé dans ses derniers projets au profit de la vidéo et de la photographie. Par des enregistrements effectués aux marchés de château rouge à Paris (France) et ceux de Nkoululu et du Marché central à Douala (Cameroun), celui-ci travaille des sons écrits par ces espaces urbains afin de mieux interroger leurs passés et leurs présents. Sa composition sonore est peuplée du bruit de la circulation, du chahut des nombreuses conversations ici et là, du brouhaha des passants et des vendeurs ambulants de

82

Em’kal Eyongakpa, negotiations, chapter 1-i : dualand-paris, Kadist Art Foundation, 2015 Photo : Aurélien Mole – Courtesy de l’artiste et Kadist Art Foundation

commissaire d’exposition et critique, l’artiste souligne qu’il veut savoir « ce qui entrave la

de ces multiples fragments sonores. Ces différentes sonorités sont transmises

langue française […] Comment Château Rouge

par des enceintes qui ont été accrochées au

à Paris la pousse encore plus loin en intégrant

plafond de la première salle de l’exposition.

des mots ou des expressions de lingala pour

Ce dispositif génère une atmosphère troub-

attirer une clientèle plus diverse ». En effet,

lante qui peut bousculer quelques habitudes

continue t-il, Paris serait « une tentative par le

perceptives. Les sonorités parfois discordantes

colonisé, en fonction des dynamiques globales

de l’espace urbain, qui proviennent de ces

économiques et culturelles, de se réapproprier un

enceintes, se mêlent aux sons de la nature


choisis par l’artiste, sans soucis hiérarchie. En

téléphoniques enregistrés, d’extrait de rap

avec la crise méditerranéenne contemporaine.

conséquence, il se dessine une indépendance

waka waka et de paroles choisies par l’artiste.

sonore, même si, l’harmonie peut dégoûter ou

En interaction avec la salle précédente, celle-ci,

déstabiliser l’expérience sensorielle du public.

entend aborder les questions politiques liées

dans la fluidité des sons libres Negotiation’s –

À cela, six toiles blanches vierges, posées sur

à l’eau et aux frontières, toujours dans un rap-

Chapter 1-i : Paris-Dualand semble être, tout

un white cube taché et décapé, structurent la

port entre présent et passé.

compte fait, une installation polyphonique.

Entre vacarme déconcertant et immersion

Pour écouter un extrait de Negotiation’s – Chapter 1-i : Paris-Dualand : https://soundcloud.com/ emkaleyongakpa/viii-03-mettallic-cottonstudy-study-emkal-eyongakpa-2015

Em’kal Eyongakpa, né en 1981 au Cameroun, vit et travaille entre Yaoundé, au Cameroun, et Amsterdam aux Pays-Bas. À partir de rêves ou d’observations, il aborde le vécu, l’inconnu, ainsi que les histoires collectives, à travers un usage rituel de la répétition et de la transformation. Il travaille autant la photographie, la vidéo, la sculpture, le texte, le son que la Em’kal Eyongakpa, negotiations, chapter 1-i : dualand-paris, Kadist Art Foundation, 2015 Photo : Aurélien Mole – Courtesy de l’artiste et Kadist Art Foundation

mise en scène de la première salle ; et constituent des panneaux acoustiques fonctionnels, qui selon l’artiste, incarnent « des espaces sur lesquels se projette l’imaginaire qui se rattache aux sons de l’espace ». Si les murs blancs simulent le temps et les souvenirs, ils continuent de servir l’environnement immédiat du bâtiment. Ici, la « bio phonie » dialogue avec « l’anthro pophonie » et la « géophonie » dans un vacarme déconcertant. La seconde salle offre des conditions d’écoute différentes. C’est une nouvelle fenêtre qui s’ouvre. Les jeux sonores sont encore présents ; sauf que, cette fois-ci, ils sont accentués avec les sonorités de l’eau, d’appels

83

Selon Eyongakpa Em’kal, cette partie de l’œuvre constitue « une fenêtre à travers laquelle recueillir des sons libres et fluides ». La structure rythmique liée aux sonorités de cette partie de son installation lui vient d’Africa/Brass, un morceau de seize minutes de John Coltrane joué en 1961. De même, un vers d’Amiri Baraka, du poème Why’s/wise, lui a procuré certains éléments pour la composition de cette pièce : « At the bottom of the atlantic Ocean, there’s a railroad made of human bones » (Au fond de l’océan Atlantique, il y a une voie ferrée faite d’os humain). Si le vers d’Amiri Baraka rappelle les souvenirs douloureux de la traite transatlantique, l’expérience sonore de l’eau que propose l’artiste rentre en résonnance

performance. Il a, entre autres, présenté son travail au Saavy contemporary et NBK, Berlin (2014), Sesc_Videobrasil, Sao Paulo (2013), Whitworth Art Gallery, Manchester (2012), 10th Dak’art Biennale, Dakar (2012), IFC Yaoundé, (2012), Doual’art, Douala (2011). De 2012 à 2014, il a été artiste résident à la Rijksakademie Van Beeldende Kunsten, Amsterdam. Jephthé CARMIL est doctorant à Paris 7 – Paris Diderot et aux beaux-arts de Nantes. Il travaille sur les relations entre l’iconographie postcoloniale et l’art contemporain.


ART TALK

MODES DE PRODUCTIONS SONORES, ET DYNAMIQUE DE LA CRÉATION PLASTIQUE Olivier Timma et Eugenie Gwladys Temewé Ninsegha - All images courtesy of Olivier Timma

L’être humain, loin d’être un animal, est au

ou numériques, illustrent le goût pour

Communiquer c’est écouter, et transmettre

centre de toutes les activités. Il est à la fois le

l’expérimental et reconfigure le potentiel du

un message à l’autre. Depuis les temps les plus

créateur et le récepteur des différentes pro-

génie humain. Le recours au langage symbol-

reculés, l’espace d’expression et d’échanges

ductions artistiques qu’il engendre au sein de

ique lui ouvre de nouvelles perspectives sur

tient compte de la disponibilité en tout lieu

la société. Celle-ci, rythmée par ses traditions,

lui-même, sur l’autre et sur l’environnement.

ou à un endroit donné de l’information

ses us, ses mœurs… et, des transforma-

Dans cet exercice, le cerveau est au centre

véhiculée. Gestes, images, symboles ou sons,

tions favorisées par le contact avec d’autres

des opérations de synthèse de tout ce qui est

sont des codes essentiels à cette entreprise. En

modes de pensée, influence sa personnalité

perçu par nos sens. Le son, le bruit, le silence,

Afrique, l’environnement de vie est accordé

et l’amène dans sa posture d’artiste, à distiller

l’intonation et diverses résonnances de tonali-

à la production de sons, qui, bien organisés

ses propres idées à travers les contenus de ses

tés acoustiques qu’il engendre montre bien

en chant, sont repris à l’occasion des jours de

œuvres. Ainsi naît, vit et évolue l’art.

que, la musique est une expérience mentale

peine ou d’allégresse. On se souvient encore

et émotionnelle qui accompagnent les autres

et toujours de ces textes de lecture qui rap-

genres artistiques.

pellent l’ambiance matinale rythmée par les

De par leur nature, les arts sollicitent toute forme d’intelligence pour d’appréhender aussi bien la réalité matérielle que la dimen-

1

On se demande alors comment les

diverses sonorités de productions hétéroclites,

sion imaginaire du monde. En fonction de

créateurs s’emparent-ils du son, dans leur pro-

d’un orchestre qu’on dirait amateur dans

leur spécificité, les arts aident à comprendre,

duction artistique et dans l’écoute du monde ?

l’organisation des notes. Salia Sanou (2006 : 17)

interpréter, voire de transposer dans diverses

En s’interrogeant sur la notion d’influence

rappelle cela en ces termes :

créations, des langages symboliques. Leur la

et son corollaire l’inspiration, il est question

pratique singulière implique la capacité de

de répondre à cette problématique, puis de

reprennent en chœur. Un concert de bruits hété-

concrétiser, de façon sensible, unique et créa-

revisiter la diversité des pratiques, des produc-

roclites se met en place : des bruits de calebasses,

tive, des idées, des émotions ou des valeurs

tions et des variétés d’écoute, avant d’analyser

de marmites, l’éclatement du bois brisé, des

personnelles, sociales et culturelles qui peu-

comment ceux-ci peuvent aider efficacement

murmures. Un cri de bébé, vite refréné par sa

vent contribuer à divers types de mutations

un plasticien dans la création.

mère qui lui enfonce le sein dans la bouche. Des glouglous amplifiés par les échos du matin nais-

dans une société. La créativité artistique et l’effort qu’elle implique, ont forgé des trésors esthétiques qui appartiennent au patrimoine de l’humanité. Tous les champs artistiques : architecture, littérature, arts vivants, arts visuels, ainsi que les travaux oraux, écrits, imagées, sonores,

84

Un coq chante et d’autres dans les environs

Pratiques sonores, diversités de production 1 Ce talent extraordinaire fait intervenir tant l’intelligence rationnelle, que l’intelligence sensible de l’être, à travers son corps, sa voix, ses gestes, son imaginaire créatrice, sa culture et ses valeurs.

sant, des gourdes pleines d’eau remplissent les jarres. Pilons et mortiers se donnent le « la » et la meule du moulin, avec lourdeur, racle d’un bruit sourd les grains du repas matinal.

C’est à partir des données qui régis-

sent l’homme et son milieu que les chants,


Avec le temps, ils sont devenus des instruments importants dans la composition musicale. Ainsi, l’association de sonorités et textes suivant certaines règles et idéaux esthétiques a donné naissance à la musique : l’art de combiner de façon harmonieuse le son. Certains sont autodidactes, tandis que d’autres ont en fait leur objet d’étude dans les conservatoires ou écoles spécialisées.

Aujourd’hui, l’évolution des pra-

tiques sonores rime avec innovation dans les approches méthodologiques, thématiques et acoustiques. On est progressivement passée de la pratique-production-diffusion en live par un orchestre entrainé au préalable, à l’enregistrement et/ou composition assistée par ordinateur. Ce médium devenu outil et support, augmente et dépasse les limités des productions sonores naturelles. Alors, les œuvres qui ne pouvaient être conservées fidèlement, si non transmise de génération en génération, se trouvent enregistrées sur des bandes sonores, puis transposé sur des supports de conservations tels que les disques, les disquettes, les cassettes, CD, DVD, Blue ray… Les supports de lecture sont progressivement passés du phono au lecteur cassette, des compacts disques aux lecteurs3 électroniques contenus dans les casques multimédias, les I Pad, et iPhone, les tablettes numériques, les berceuses et les musiques traditionnelles

sance à des formes d’art comme la danse, le

etc. Du coup, la musique, en tant que métier,

sont ancrées dans le registre de restitution

théâtre, la musique et bien d’autres.

loisir ou activité génératrice de revenue

des mœurs à travers ce que certains cher-

Depuis des siècles, nos aïeux ont

bénéficie des prouesses des Technologies de

cheurs occidentaux ont vite fait de qualifier de

vite compris l’importance de la musique dans

l’Information et de la Communication (TIC)

folklore. Pourtant, le processus de la con-

l’accompagnement de la vie. Ils ont toujours

qui, proposent des approches plus fiables,

struction de la pensée, de la communication,

su, comment utiliser les tambours ou les

plus rapides et probablement moins cou-

de la restitution des faits historiques et des

tam-tams2 pour festoyer ou transmettre des

teuses. Cette situation créée forcément un

épopées est conté au rythme de la musique.

messages publics à toute la communauté.

changement dans la façon de se comporter

Des instruments comme le muet, la cithare, les membranophones, les castagnettes… qui accompagnent cela a finalement donné nais-

85

2

Chez les Bamilékés de l’Ouest-Cameroun par

aujourd’hui. Mais comment peuvent-ils alors

exemple, le son du tam-tam annonce différents évènements

3 En fonction de leur spécificité, ils peuvent lire les

selon le rythme des sons émis.

fichiers selon leur nature audio ou vidéo.


influencer la façon de créer chez un artiste

connaissances, la musique est assurément un

portements inhabituels dans la façon de les

plasticien ?

catalyseur de poids dans le développement

appréhender, de les lire et les délecter.

des stimuli créateurs. Il existe des sonorités

Influence acoustique et processus de la création plastique

Peter Weibel et Julia Gerlach, affirment

traditionnelles et modernes dans toutes

que « C’est par la connexion sensorielle de la

les communautés, et le créateur ne peut

vue et de l’ouïe, par l’articulation du silence

se détacher du monde réel pour créer le

avec l’espace, par la plasticité du son et par

sien. Il est donc attaché à ces mélodies

la dissolution de la salle de concert que l’art

veut imaginatif et inventif. Elle vise à con-

qui deviennent un compagnon de travail

sonore s’affirme comme une forme d’art auto-

cevoir des œuvres inédites et originales ou

ou conditionne sa vision de la forme en

nome, tant dans les arts plastiques que dans la

de redonner parfois une nouvelle vie aux

devenant une source d’inspiration, voire de

musique. »5

formes déjà existantes. L’artiste questionne

concentration pour lui.

La création artistique est un acte qui se

le monde à partir d’un point de départ, qui

Voilà pourquoi la disponibilité des œuvres

Les récentes expositions d’arts plastiques dans les centres d’art contemporain de Doubaï

de façon consciente ou pas, exerce sur lui

sonores en tout temps et en tout lieu, con-

ou de New York, ont à chaque fois rendu

une certaine pression qui le transforme et

stitue un facteur récréatif qui influence nos

compte de l’emprise du son dans la concep-

l’amène à de nouvelles initiatives. Par exemple

affects et nous conditionne dans nos actions.

tion et la composition plastique. En retraçant

chez le peintre qui maitrise les formes, les

Les réalisateurs de film l’ont très bien compris

l’histoire de ce médium, certains travaux

signes, les valeurs dans une harmonie colorée

en utilisant les spécificités lyriques des notes

d’artistes mettent en exergue l’univers sonore,

à dominance froide ou chaude, on verra

acoustiques, pour soutenir les actions dans

visualisé par une scénographie spéciale,

généralement des propositions des scènes

leur œuvre. Aujourd’hui plus que hier, cela est

comme. des courbes montrant des oscillations

inspirantes et inspirées de la vie quotidienne

devenu carrément une mode et un identifiant

des rythmes distillés, dévoile la dimen-

ou non, selon sa vision du monde ou son

car, nombreuses sont les entreprises4 qui se

sion graphique et/ou picturale d’une entité

appartenance sociale.

sont forgées une marque à partir d’une iden-

que l’on a toujours perçue dans sa simple

tité sonore. Il se trouve bien évidement que

approche acoustique.

Cependant, en dehors des facteurs comme l’état - d’âme, le patrimoine

ce panorama du cosmos sonore atypique ou

émotionnel,

non, touche différents domaines dont celui de

orchestrées dans un mouvement de l’art dit

la charge

l’art contemporain et crée toute sorte de con-

contemporain ou « l’art comptant pour un »,

culturelle et

nexion entre science et expression artistique.

nombreuses sont les expositions qui mettent

la force des

L’art sonore actuel est varié et les interac-

l’accent sur l’expérience visuelle enrichie par

tions diverses du son, de l’espace, du temps

l’art sonore. Si dans ses sculptures monumen-

et de la forme ont fait leur immersion dans

tales, Bénît Maubrey utilise les haut-parleurs

les tableaux de peintures, des sculptures et

comme éléments de sa forme volumique, la

des installations ou les perfor-

lumière et le son sont comprimés par Marien

mances qui s’accompagnent de

Zazeela ou La Monte Young pour réaliser des

musique. Dans cette quête de

synthèses des arts et l’audition.

dire ou de voir les choses d’une

Ici, le son est considéré comme médium

autre manière, le consommateur

artistique soutenu par l’expérience auditive

se retrouve donc face aux œuvres

qui peut alors modifier de manière originale

hybrides et sonorisées. Ceux-ci mettent en situation une nouvelle esthétique et oblige des com4 Apples, Window, Samsung, Sony, Renault…

86

Par ces mutations enrichies d’expériences

5 Peter Weibel et Julia Gerlach. L’art sonore. Le son comme média artistique. [En ligne] < http://www.sonore-visuel.fr/ evenement/lart-sonore-le-son-comme-media-artistique > (consulté le 27/09/2015).


radiophonique comme un média artistique.6 » Ces recherches ont facilité en 1913 l’édification de l’art moderne, avec des travaux de Luigi Russolo, un peintre futuriste et compositeur qui s’est approprié des bruits de la ville qui a érigé en œuvre d’art. C’est dans la même logique que des artistes appartenant au mouvement Fluxus et à celui du Happening ont repoussé les limites de l’aspect performatif de la musique dans les œuvres d’art. Alors, il est possible d’interpréter leur état d’esprit ou portrait intérieur au moment de la production. Même s’il ne choisi pas les couleurs du tableau, son « moi intérieur » le fait à son insu, car l’état - d’âme est l’expression totale de la liberté de l’artiste comme l’illustre Jean Kouam Tawadje et Al (2011: 17). Pour cette raison, les formes arrondies aux couleurs chatoyantes traduisent la gaité, la liberté, etc. Alors que les formes aux angles pointus et aux couleurs sombres expriment un emprisonnement d’esprit, une carence ou un regret. En outre, les formes et les couleurs obtenues dans cet atelier sont bien différentes de celles réalisées en d’autres temps. En fait, le rythme de la musique oriente les mouvements de la main qui matérialise le signe et le choix de la couleur à appliquer. Lorsque la perception visuelle. Le visiteur au cours

médiatiques. Dans cet art sonore, les questionne-

des vernissages est associé à l’évènement et

ments politiques menant à réinterroger le son

est à la source de certains sons. Quant aux

et l’ouïe jouent un rôle important. La fusion de

œuvres pérennes, les musées sont obligés de

la pop et de l’art a permis aussi à plus en plus de

se métamorphoser en un espace acoustique

plasticiens de découvrir le disque vinyle comme

pour accueillir ces réalisations pour le moins

un support de pratiques visuelles, et ce de Milan

inattendues.

Knížák jusqu’à Christian Marclay, auquel a été

C’est ce qui fait dire à Peter Weibel et Julia Gerlach que, « La création actuelle, polymorphe, s’inspire des significations de l’information et de la communication médiatique, d’environnements sonores et de constellations télématiques ou

87

décerné le Lion d’Or de la Biennale de Venise en 2011. Mais les pochettes de disques aussi, et non

le rythme est calme ou doux, les formes sont de plus ou moins arrondies, avec des ouvertures par endroits et les couleurs bien harmonieuses. Lorsqu’il est par contre aigu, les formes carrées, rectangulaires et triangulaires sont les plus utilisées, accompagnés de couleurs sombres ou rougeâtre dans une harmonie saccadée frisant la révolte, la fermeté la sévérité ou le conservatisme.

pas uniquement les vinyles, sont devenus des

6 Peter Weibel et Julia Gerlach. L’art sonore. Le son comme

objets artistiques.

média artistique. [En ligne] < http://www.sonore-visuel.fr/

À compter des années 1960, les artistes et compositeurs ont également abordé la pièce

evenement/lart-sonore-le-son-comme-media-artistique > (consulté le 27/09/2015).


À partir des paroles, des mélodies ou du

(1996 : 5) que :

création, on est venu à expliquer les mécan-

« C’est pour ce sentiment : être médiateurs

ismes qui encadrent les notes acoustiques à

au message que livre une chanson. En ce

sociaux, qui créent, avec application et géné-

susciter à la fois expressivité, exubérance et

moment, la musique est pour lui une source

rosité, des œuvres qui deviennent le signe d’un

ferveur dans l’érection des formes plastiques.

d’inspiration qui libelle un sujet à traiter

monde riche en traditions qui ne doivent pas

Toutefois, gestuelle, formes et couleurs des

en s’appuyant sur des formes qui vont lui

s’éteindre, mais se revivre dans une nouvelle

rythmes musicaux, frappent l’oreille, saisies

permettre d’illustrer le propos. Cette planche

créativité, en une recherche continue de renou-

l’imaginaire et convoquent les formes propres

picturale peut être la reproduction de cer-

vellement des techniques et de l’expression. »

ou spécifiques à l’écho de ce qui est écouté,

fond sonore, le plasticien peut s’intéresser

taines postures du chanteur, la représentation

S’ils sont l’objet, à l’échelle mondiale,

mais aussi de l’expérience de l’artiste.

ou la projection des paroles chantées. (cf.

d’enjeux commerciaux qui s’accompagnent

Photo 1 et 2). Parfois, l’artiste représente une

d’une certaine homogénéisation des cultures,

manuel, il intériorise et matérialise au gré de

scène folklorique ou l’orchestre est présent,

ils figurent néanmoins parmi les moyens les

son expérience émotionnelle et esthétique,

ou encore, il décide de faire une combinaison

plus efficaces pour un peuple de sauvegarder,

voire son patrimoine culturel et cognitif. C’est

d’instruments entremêlés qui laisse reconnai-

de développer et d’affirmer son identité

à ce niveau que le peintre comme les autres

tre chaque élément.

culturelle.

plasticiens s’inspirent de la vie quotidienne

Avec le principe de déconstruction-reconstruction, ou de détournement-appropriation,

Sous le triptyque du visuel-mental-

Pour finir…

pour s’adresser au public. L’intrigue est sou-

L’impact bienfaiteur ou non de la force

vent très vivante, pleine d’esprit et de saveur.

certains éléments peuvent devenir mécon-

du sonore ou de l’acoustique sur le consom-

Ce qui fait de l’espace picturale transformé

naissables à la fin car le contemplateur qui ne

mateur actif ou passif, n’est plus à démontrer.

en lieu colorée, un espace de communica-

se contente que du produit final ignore les

Sa dimension philosophique, poétique,

tion destiné à ceux qui s’intéressent à la

transformations qu’ont subies les formes pen-

éthique, technique et scientifique met en

culture des tableaux dans la sphère de l’art

dant le processus de conception. Néanmoins,

relation l’environnement et la nature pour

actuel. Mais aussi de la reforme d’ouverture et

celles-ci ne sont pas réelles mais figuratives et

soutenir l’existence de l’individu partout où il

d’interdisciplinarité qui créent des liens de plus

donnent la possibilité d’être reconnues par le

évolue. Il est non seulement son héritage le

en plus étroits entre eux.

public.

plus précieux, mais une richesse commune

Références bibliographiques

à l’humanité. En tant qu’une harmonie de la

- Tagliabue Mariarosa, 1996, Cameroun art,

nouvelles approches plastiques. Ainsi, les

« puissance de flexibilité », de la perméabilité

Milan, Éd. Museo Guiseppe Gianetti, COE et Galleria

assemblages et les installations deviennent

intensive, de la «fusion avec la totalité », il signi-

Artemondo.

des disciplines et des techniques. La peinture,

fie la paix, la concorde, l’union dans les sphères

en tant que discipline, qui fait toujours recours

de la création tout court.

L’art contemporain ouvre les portes aux

à la matière liquide trouve les nouveaux médi-

- Couturier Élisabeth, 2009, L’art contemporain : mode d’emploi, Paris, Éd. Flammarion.

La synthèse musicale des traditions d’ici

- Sanou Salia, 2006, Afrique : danse contempo-

ums : les substances solides. Et les artistes,

et d’ailleurs qui se fait dans les sonorités qui

raine, Paris, Éd. Cercle d’art et centre national de la

toujours à la quête de nouveaux horizons, se

nous sont livrées de nos jours à coût de grand

danse.

lancent dans la réalisation des peintures à base

renfort multimédia se révèle comme une plus-

des matériaux de récupération. C’est ainsi que

value de la création contemporaine envahie

Idrissou (2011), j’apprends à peindre, Yaoundé, Éd.

les accessoires de sonorisation deviennent le

quel qu’en soit le genre dans la production

Tropiques.

fondement de la production picturale. Et, le

artistique et dans les modes d’écoute qui

plasticien les agence à sa manière, selon un

prend l’image comme témoin privilégié de ses

termes et expressions usuels dans les réseaux pro-

équilibre de formes et des couleurs afin de

mutations.

fessionnels de la musique, éd scène d’ébène, pdf

concevoir une image inédite. (cf. Photo 4) C’est ce qui fait dire à Mariarosa Tagliabue

88

En se demandant comment adapter des suggestions sonores aux autres formes de

- Kouam Tawadje Jean, Timma Olivier, Njoya

- Mefe Guy-Marc Tony (2014), Petit lexique des

- L’art sonore. Le son comme média artistique. [En ligne] < http://www.sonore-visuel.fr/>


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91


ART TALK

NORTHAFROBEATZ

North african electronic deep urban trance of rhythms of life Dinah Douïeb

Northafrican Echoes « Je suis Africain, non pas parce que je suis né en Afrique, mais parce que l’Afrique est née en moi. » (Kwame Nkrumah) Northafrobeatz rend hommage à la démarche artistique du musicien Fela Kuti dans son ensemble. Suite à l’exposition Force Noire que j’ai organisée en 2012 à Paris, en présentant le travail du peintre Lemi Ghariokwu, illustrateur «King of Cover Art» des 26 albums de Fela Kuti. On parle de Fela comme d’un être à part qui communiquait à son public, au monde autour de lui, sa transcendance artistique : il parlait déjà de nous affranchir de nos propres chaînes mentales…La force de ses images et de ses sonorités, de la cadence de ses tambours, a fait retentir Fela Kuti sur son trône « vivant » en nous insufflant cette passion du rythme. Son processus est aujourd’hui à l’œuvre parmi toute une génération d’artistes qui fait revivre sa musique en « live ». Avec Northafrotbeatz, j’ai voulu apporter mes influences, l’effervescence de toutes les cultures dont j’ai hérité pour réaliser cette idée - un « Live Set musical & électronique ». C’est un concept qui rend hommage à la « trans-

92

mission musicale » qui s’est inscrite dans le rythme de nos existences sonores, celui des

tube.com/watch?v=UD1WbWNKi3k Cheikha Rimitti est la première diva

musiciens dont l’emblème sacré, ici, le plus

du Raï à chanter l’amour et la liberté, le

puissant est la conscience instinctive inspirée

féminisme, la liberté sexuelle de la femme,

des polyrythmies de l’Afrobeat.

les corps emmêlés, l’alcool. Djenia signifie la

Fela Rocks: en concert avec le batteur

diablesse ; Cheikha Djenia se distingue par un

anglais Ginger Baker https://www.youtube.

style atypique. Sa voix grave, rocailleuse et

com/watch?v=20UbO62UJUg

caverneuse est particulièrement identifiable.

Fela Kuti à Berlin https://www.youtube. com/watch?v=wz2jXHKa7TY Fela Delasoul - une tapisserie musicale Hip-

Ses chansons aux rythmes lents sont des complaintes lancinantes et mélancoliques. Northafrobeatz est le point d’orgue de

Hop, produit par Amerigo Gazaway. https://

toutes mes aventures musicales, ritualisées

www.youtube.com/watch?v=8PDg8YyFzMw

depuis plus de sept ans autour de l’une des dernières chanteuses de Raï ancien : Cheikha

De L’african Beat Au Raï

Rabia. Cheikha Rabia est le symbole de la Mère,

Le Raï, est une musique manifestement

de la Matrone, qui suggère aux musiciens la

rebelle, qui est née en plein cœur de l’Ouest

direction musicale qu’elle désire emprunter.

algérien. Déployant ses ailes, le Raï rencon-

Elle chante de sa voix androgyne et puissante

tre un succès international, dans les années

sa litanie, entourée de ses musiciens tradition-

90, avec la voix d’or du Raï, Cheb Khaled,

nels ou dans sa version électro-électrique

sous les bons augures de “Cheika Rimitti”, la

pour le Label Dinamyte (joueurs de flûtes en

Reine du genre, https://www.youtube.com/

roseaux -Gasba-, de tambours longilignes

watch?v=MQndYND2s9M et de ses filles spir-

-Galal- de Tar, tambourin aux sonorités de

ituelles Cheikha Djenia https://www.youtube.

cuivre et de bois.)

com/watch?v=hXRgHkDvzk4&index=5&list=RD 9l6Ri5l1mWc et Cheikha Rabia https://www.youtube. com/watch?v=PlsoFHEXzi0 https://www.you-

« Le rythme ne réside pas dans ma peau, il est inscrit dans mon esprit comme un corps brûlant qui attise la transe de nos existences collectives, de nos vies. »


NorthAfrobeatz est le substrat même de l’essence féminine du Raï et de tous ses

résonne…

de douleurs comme dans «Les Ruines » de la

La fonction première de la musique est

courants (Rimitti, Djenia, Rabia…), les maîtres

d’exprimer le parcours de ces émotions à

flûtistes et les Chebs funky des années 70’s…

travers une chronique sonore, qui constitue

Northafrobeatz est un concept en mouve-

chanson mythique d’Oum Kalthoum. https:// www.youtube.com/watch?v=Go-3AN-m2gI Les souvenirs de mon enfance qui scin-

le halo de nos empreintes. Une manière de

tillent, se croisent sur la route de l’exil. J’avais

ment ou l’improvisation sur scène occupe une

laisser une trace lors de ce parcours éphémère

à peine cinq ans, mais je me souviens encore

grande place. C’est un voyage sonore dans le

essentiel à nos existences musicales.

des réminiscences sonores du passé où tout se

temps, l’expression d’une quête sociale pour

L’idée est de réaliser un set live de musique

mélangeait, les voix des femmes, des tantes,

la connaissance et la conscience de soi et du

électronique en totale immersion, élaboré

des frères, et du monde qui me semblaient

monde qui nous entoure. Northafrobeatz,

avec le répertoire de la chanteuse de Raï

étranges et inconnus à l’image d’une jolie

c’est l’exploration de la mémoire sonore en

« Cheikha Rabia » , en incluant les enregis-

carte postale. De Tunis, j’atterrissais en 1965

suspension contre l’oubli – l’Afrique est une

trements des performances vocales avec

dans le Val-de-Marne, du soleil à la grisaille, de

source de vie et d’Histoire.

l’orchestration des mixes, et en associant à la

la plage au béton, dans la candeur du Nord

musique des performances « live » visuelles et

jovial et opalin des années 60. Je découvrais

du « Son » et du « Beat », le rythme de la vie

sonores. Ici, le Nord synthétise la rencontre de

la petite ville de Thiais comme une specta-

associé à la technologie. Cette technologie

toutes ces influences.

trice, depuis le 6ème étage d’une tour, au

Northafrobeatz fait la révérence au règne

peut nous offrir la possibilité de remonter dans le temps pour explorer les traces de ces divini-

bord de la Nationale 186, et du haut de mes

#Tunisie #Life #94 <75>

tés sonores, de les faire résonner et partager

nouvelle vie …

avec ceux qui le désirent cette passion, cet

J’ai commencé a mémoriser les sources de

amour de la vie qui se rattache à notre cœur et

l’histoire musicale de ma famille, de ma propre

Naïve et renfermée je me sentais étrangère à ce brouhaha semi-mondain. Lors des

histoire et de toutes

mariages et des grandes réceptions, seul

les expériences et

le spectacle du chanteur charismatique

anecdotes sonores

et cousin de la famille m’intéressait: Raoul

qui se sont fixées

Journo http://www.dailymotion.com/video/

dans ma mémoire -

x5p9n9_raoul-journo-taalilat-laaroussa_music

en mixant dans mes

(dont les chansons aujourd’hui sont encore

compositions les

incontournables et appartiennent désormais

réminiscences d’un

au patrimoine musical tunisien et lui même

passé enregistré :

héritier du Grand Cheikh Elafrit - Maître du

les souvenirs de

Taalil http://www.dailymotion.com/video/

l’enfance à Tunis,

x5ejjs_cheikh-el-afrit-el-berrima_music.

où résonnent

93

6 ans, comme un prélude enchanté vers une

Sa voix grave reste encore inscrite dans

encore les ruines

ma mémoire sonore, un souvenir royal à

magnifiques de

mes yeux (Raoul Journo « Ana Targui Weled

l’ancienne Carthage.

a Targuia» -je suis touareg fils d’Une Touareg.

Ces ruines sous

http://www.dailymotion.com/video/x7f8c9_

influence, enfouies

raoul-journo-ana-targui-weld-ettarg_music

dans la révolution

, Je percevais la famille comme un groupe

numérique, trem-

d’adultes précieux, toujours soigneusement

blent de beauté et

habillés. Ils semblaient toujours heureux de


partager leurs bonnes humeurs quand la

musicale nord-africaine retentissaient encore

familiales retentissaient tous les vendredi

danse les faisait tous tourner ensemble. On

dans notre maison dans les années 60 et 70.

soir et samedi à la maison. Un sacerdoce! La

célébrait les mariages sacrés sur fond musical

Rien ne m’intéressait plus que la musique. La

musique résonnait spirituellement, allègre-

égyptien (Farid Elatrache, Oum Khaltoum) et

puissance et la beauté de la voix de mon père

ment. En 1965, on écoutait les vinyles du

tunisien. Les souvenirs de cette atmosphère

et de mon grand-père lors des cérémonies

grand orchestre oriental avec ceux de « James Brown », des « Temptations », « Jimi Hendrix » et des « Rolling Stones ».

#Arts Je voulais être peintre à 6 ans. A 9 ans, musicienne. Mon enfance a été bercée par les chants, les comptines et les histoires de « Gaule et de Navarre ». De belles phrases aux lettres fines que nous utilisions comme de l’orfèvrerie, pour bien écrire et parler. J’apprenais cet amour là, la poésie. De là, je me suis plongée dans une autre réalité qui hantait mon esprit. À 15 ans, c’est l’errance. Je quitte les bancs du collège en 1976. La France me fut comptée, mais je comptais sur autre chose. La musique reste l’un des meilleurs atouts de ma vie, l’école que je vénérais me fut fermée à l’âge de 16 ans : un échec pour une renaissance ! Je me plonge alors dans la « Punkitude » en mode « Funky ». Là où je concevais tous mes rêves de musique, les nuits où je pouvais encore m’extraire du monde des adultes pour m’envoler vers les 7 planètes sacrées (do ré mi fa sol la si do) de l’univers des musiciens. Ce fut aussi le point de départ de tous mes voyages vers l’Ouest, le Nord: New York et Londres, l’Allemagne et le sud de l’Europe, l’Espagne, le Brésil et toujours plus à l’Est: l’Egypte jusqu’aux portes de l’Arabie dans le désert du Sinaï. Puis nous étions deux à vouloir traverser le désert du Sahara en voiture en 1983… en Peugeot 504. Sur la route du Nord de la France pour atteindre l’Afrique de l’ouest. Une route encore libre dans les ©ChloédesLysses

94

années 80. Nous voguions vers l’Italie du Sud,


la Sicile, le bâteau pour la Tunisie et au Sud,

perception que je pouvais avoir du son, de la

dans la société du spectacle électronique.

les portes du désert : le Sahara. La beauté de

manière de concilier les formules rythmiques.

Le public, l’audience, la rue, le musée et

l’Algérie, les couleurs et les parfums épicés

La compréhension de ces « algorithmes » et de

l’université, l’espace se transporte dans les

du Maroc…. puis la découverte des villes

la durée des calculs électriques, de la mémoire

jardins… le temps d’une installation.

légendaires comme Agadès au Niger. L’Ouest

et de son aptitude à être parallèle, en évacuant

fut un enchantement tropical rafraîchissant

la pensée du calcul, afin de le rendre exécut-

sion. Sommes-nous tous sous l’influence des

après la chaleur étouffante du désert où nous

able par une machine numérique.

« Robots » ?

nous protégions des 60 degrés au soleil. Puis la verdoyance des champs du Benin, le Togo, le Ghana et la Côte d’Ivoire. Un voyage

« L’idée est de convaincre les machines et non d‘être vaincu.. » Une heure numérique froide et glacée

Notre propre horloge est survoltée de ten-

Intrinsèquement liées au continent africain, aux territoires du rythme et à sa compréhension – instinctive, abstraite et infaillible,

exceptionnel dont les sources sont multiples

comme décrite dans le Cycle des Robots

comme la justesse des 7 notes de la gamme.

et essentielles.

d’Isaac Asimov, où la poésie se mêle aux chro-

Ces divinités musicales sont proches de nous

niques du temps et fait face à nos inquiétudes

et nous réapprennent à être humains dans un

musicale, j’apprenais à l’école de la vie une

sociales, confrontent nos peurs. Que nous

monde robotisé.

nouvelle manière de transcender l’existence.

reste-t-il d’humain ? Si ce n’est cette parole et

Vivre de nouvelles expériences.

ce cœur, ce souffle imprononçable.

A travers la recherche de mon identité

#Networking

Cet inconnu musical est inondé de

Technologie + Electronique + Mix Puis de retour de ces voyages, je suis enclin à commencer une nouvelle vie. Après mes premiers pas dans l‘industrie musicale, l’envers du décor s’ouvre à moi : celui de la production et du management. L’idée est de chercher à créer et à communiquer différemment. Sommes-nous les « témoins », les « artistes

technologies, de selfies et de réseaux sociaux,

La musique électronique petit à petit

d’images virtuelles et de consécrations, de

s‘est éloignée des conventions de la culture

forces et de vigueur, de migrations, de mouve-

club qui l’a en partie engendrée pour devenir

ment sociaux, de cette complexité sociale qui

aujourd’hui une expression à part entière. Une

nous emporte encore plus au Nord du monde.

nouvelle génération de musiciens-son émerge

Est-ce un seul et même son global qui répond à la fonctionnalité des marchés ? Dans les garages rock électrique, où la dimension sonore est à son apogée, on peut

- avec ses sciences parallèles du multimédia et son networking électronique, son système autonome de pensée aussi. Les différentes étapes musicales de la

magnifier le temps par le son, l’électrolyser

production ont permis aux musiciens de

», les « producers », les « doers », les « curateurs

pour introniser sa venue dans l’espace virtuel

s’affranchir de certaines servitudes et des

», les « performers »? Sommes-nous suffisam-

de notre mémoire.

rouages de diffusion et de communication

ment audacieux et déterminés pour défier

Northafrobeatz est à la recherche de

de l’industrie pour faire font place à un 21ème

aujourd’hui les nouveaux enjeux artistiques

nouvelles configurations esthétiques qui

siècle tranché et audacieux–froid et numé-

et sociaux…. Des questions d’ordre existentiel

englobent le Tout, mais se singularise par ses

rique – nostalgique et christique- brûlant et

s’imposent. Soucieuse de vouloir partager

identités, ses langues, son style, sa person-

chaotique. Le rêve d’une fusion mondiale est

cette énergie, je souhaite la mettre en œuvre

nalité, idiome parlé et idiome chanté, idiome

fulgurant de torpeur. Il ressemble à une lame à

au service d’un artisanat musical et de tout ce

pensé et dit. Le voyage d’une décomposition

2 tranchants.

que cela convoque pour exposer mon projet

sonore des stéréotypes musicaux, des aveu-

Des centaines de milliers d’artistes sont

sonore.

glements et autres idées reçues. Donner des

régulièrement programmés pour le dance-

émotions à la musique et créer de nouveaux

floor. Souvent catalysés sur le même tempo,

et l’accessibilité des échantillonneurs de sons

territoires à la découverte du Silence, qui

celui du marketing et des tradeMark ©

et de la M.A.O ont irrévocablement changé

suscite l’intérêt ou la stupéfaction par tant de

quasiment sur les mêmes structures, avec

ma façon de composer de la musique, de la

démonstration et d’explorations hasardeuses

les nappes et les compositions rythmiques

L’association de la technologie numérique

95


clonées sur des modèles.

musicien errant convertissent les complexités

« Non-stop »

de ces souffrances en joie, ces plaisirs en émo-

Combien de paramètres organiques faut-il

tions, ces colères en rage, et nous transportent

prendre en compte pour recréer numérique-

vers des états de conscience agréables ou

ment ces fréquences sonores acoustiques et

effrayants.

électriques « Robots » – à prendre en compte,

Northafrobeatz c’est l’exploration de cette

nous serons aussi esclaves de ces machines.

mémoire en suspension et contre l’oubli de

Ce rêve nous a enchaîné à de nouveaux dieux

ces richesses ancestrales qui sont inscrites,

exigeants et sélectifs « les Robots » où toutes

gravées dans un moment de l’Histoire.

les formes de savoir et de connaissance sont

En hommage à tous ceux et celles qui

broyés dans le flux et le reflux numérique.

m‘ont inspirée et donné l’envie de réaliser ce

Bienvenue dans la « Jungle technologique

projet…

» du big data numérique, des chaînes de programmation et des réseaux sociaux, de l’ultra-communicabilité et de la pornogra-

https://soundcloud.com/dinamyte/yababanorthafrobeatz

phie « synthétique », des grandes actions

https://soundcloud.com/dinamyte/lalinightz

- Fela Kuti avec l artiste Lemi Ghariokwu et les

humanitaires au « grand soir » de l’information

https://soundcloud.com/cheikharabia/

photographies 83-86 de Pierre Terrasson.

continue où la guerre des idées se confond dans la recherche de nouveaux paradigmes. Des énergies antagonistes s’opposent et s’unissent – s’épousent et divorcent sans cesse. Territoires où s’opposent la tradition et la modernité. Des courants multi-directionnels où

touchemamitouche-wav https://soundcloud.com/cheikharabia/ adjebinizine https://www.youtube.com/ watch?v=ClV7IU63eSg

Cheikha Rabia est une Diva du Raï. La résonance de sa voix androgyne & puissante invite à la Trance. Un projet audacieux qui traverse les cultures et les

https://www.facebook.com/northafrobeatz

frontières musicales bouleverse les clichés,

http://northafrobeat.tumblr.com/

et renverse les stéréotypes du “genre” .

l’image est, au sens propre et figuré, de

Fusionner des musiques traditionnelles et

nouveau au centre de tous les sujets et

Dinah Douieb

acoustiques avec les nouvelles sonorités

convoitises, de toutes les polémiques et

productrice, musicienne et curator.

électriques et électroniques. Ce prelude est

discours. Les musiciens aussi n’ont pas eu

Elle crée le lable Dinamyte en 200!.

à la transe répétitive ce que la techno et le

d’autre choix pour se libérer de ces entraves

et produit la mythique chanteuse de Raï,

rock ont gardé d’emblématique des Rythmes

que de prendre en main leur propre avenir en

Cheikha Rabia , 65 ans, avec un 1er album

créant dans ces nouveaux paradigmes leurs

“Liberty” signé chez Budamusique.

territoires virtuels !

Aujourd’hui elle se concentre sur un projet musical plus personnel après 8 ans de produc-

«Ceux qui dansent sont pris pour des fous par ceux qui n’entendent pas la musique» (Nietzsche)

tions avec cheikha rabia , Elle a crée l'ensemble electronique NorthAfroBeatz. Elle organise l’une des première exposition parisienne sur le rock et la

Ces sonorités électroniques, étranges,

punkitude « Rock Is My Life » à la Galerie

stellaires et diaphanes, sont innervées à l’écho

Chappe - l’exposition GAINSBARRE 80 à la

d’un siècle numérique. Il glisse comme les

galerie Hautefeuille du photographe Pierre

particules d’un corps sonore. Ici, le poète et le

Terrasson et dernièrement l ‘expo :Force Noire

96

d’Afrique, dans sa nouvelle version..


©ChloédesLysses 97


ART TALK

ARE YOU LISTENING? An Interview with Artist Christine Sun Kim Emily Goedde

Christine Sun Kim Photograph: Ryan Lash, 2015

The work of artist Christine

Sign Language (ASL), her native

at the Whitney Museum, Haver-

Sun Kim is about sound and listen-

tongue. She brings to our atten-

ford College, Southern Exposure,

ing. In it she asks us to consider:

tion to the fact that English (and

Arnolfini, and the University of

What is sound? What power does

other sonic language) speakers

Texas Visual Arts Center. Some

it have? What assumptions do we

might too easily assume that lan-

of her current projects involve

have about it? What rules contain

guage is a sonic experience, even

teaching about vlogs (video

it? And how do we listen? Can we

though language and sound only

blogs), which she co-developed

listen with our eyes and our bod-

overlap in certain areas. Kim,

at the Whitney Museum in New

ies? What might we learn if we do?

who has been a TED Fellow, was

York. The vlogs not only present

recently named a Director’s Fel-

materials about modern and con-

guage, rooted in the fact that Kim

low at MIT. Her work has been

temporary art in ASL, but work

often communicates with speak-

exhibited around the world, and

to expand ASL’s vocabulary about

ers who aren’t fluent in American

she has been an artist-in-residence

contemporary art.

There is also play with lan-

98


In summer 2015 she exhibited the visual

interpreter cuing me to repeat or slow down

of the time. The unfortunate part is that blind

and sound installation “Piano Like a Lunch

(I’m a fast signer!). And it would often be in

people are not learning visual social engage-

Sandwich with Game of Skill” at White Space

much better ASL. So it’s important to have

ment. I suspect that a lot of the reason people

in Beijing. This fall you can find her work

that space for us, to have the option of having

appreciate me as a speaker has as much to do

(including both the drawings and the interac-

and not having a voice interpreter.

with how I present physically and visually as

tive work “Game of Skill” discussed below) in

Other than using more English in your

with what I say. I think it would be a very differ-

the show Rustle Tustle at the Carroll/Fletcher

signing, how do you change your ASL to

ent experience if I didn’t physically engage the

in London. It runs from November 27 until

make it acceptable to English speakers?

audience when I speak. I think a lot of people

January 23. In October, her work will be fea-

My ASL is often not pure when I speak in

would feel disconnected from me. (http://

tured as part of the show Greater New York at

front of large audiences or am working with

ideas.ted.com/how-a-deaf-artist-and-a-blind-

MOMA PS1, in Queens, New York.

non-ASL collaborators. If the grammatical

activist-experience-the-world/)

order in English would be, for example, “not Emily Goedde

For me, it depends on what I want to talk/

really hungry,” I would” sign that instead of the

communicate about. If I need to connect with

ASL, “hungry, not really.” A deaf friend of mine

the audience first, then I try to make my lan-

your work moving between ASL and Eng-

has also remarked that I sometimes make my

guage understandable to them... and if I want

lish?

face look a bit monotonous. That’s because I

to be myself or stick to my ideas, completely,

want to make myself “presentable.”

then I just stick to my language and let them

Maybe you could begin by talking about

Christine Sun Kim I have worked as an educator at the Whitney in New York, where there would be two

adapt to me a little. I often ask myself how far So it’s not always about the language per

I should go. Should I meet them halfway or

tours in ASL per month, one with a voice inter-

se, but also about how other factors affect

should I go more than halfway in order to initi-

preter and other one without voice. It’s nice to

the way an audience listens.

ate new ideas.

have the voice interpreter for deaf attendees’

This is making me think of the conversaI love that you challenge other language

family/friends who do not know ASL. And all

tion I had with Daniel Kish, [an expert on

my reading material was in English, so I would

human echolocation, a vocal technique he

speakers to expand their language. Do you

sign with English influence to save me some

uses to measure space via sound rather than

think the fact that you are multilingual has

time on translating into pure ASL. I would trust

vision].

helped you become the creative person you

my interpreter to voice me with accuracy. I

A lot of blind people would have con-

are? Do you look for the spaces between

also sign more English with interpreters I

ducted this entire interview facing straight

languages as a place to generate new

have never worked with before, probably

ahead. Or maybe even with their head down.

ideas?

out of the fear of not being understood, as I

On a stage, I’d say the majority of blind people

can almost never tell if I’m being voiced right

would stand exactly in one place and just look

Korean and English, it wouldn’t make much of

and/or because I am not able to have a direct

straight ahead. Blind people often fall into

a difference on my work. But ASL doesn’t have

dialogue with the audience. At the Whitney,

this “wooden neck syndrome,” where their

a speech or sound component to it, so it’s very

when there was not a voice interpreter, it was

heads are fixed straight ahead, and so they’re

different from other spoken languages. ASL

nice to have a kind of intimate discussion with

not really engaging people. It looks unnatural,

and English often clash with each other and

deaf attendees without worrying about my

and yet I would say it happens that way most

that’s where I get materials.

99

Definitely. I think if I communicated in both


What about voicing? Could you speak about your work with interpreters?

choices mean? It reminds me of a quote by Yoko Tawada,

identity to everyone. Your work “Subjective Loudness” from Sound Live Tokyo in 2013 also

a native speaker of Japanese who writes in

challenges this idea of how we look for an

German:

individual’s sonic identity.

Where does a voice come into being? Perhaps a vibration is first created in the

In this performance you asked the

vocal chords, the palate, on a person’s

audience to transform a list of items that

tongue. But this is not yet a voice. Only in

reach 85 decibels (the maximum limit for

the listener’s head is it constructed as the

sounds in Ueno Park, where the piece was

voice of a person. We hear selectively, we

performed) into a score. You chose the items

correct, add to, and adulterate what we

that reached this sound limit (a dishwasher,

“One Too Many Voices,” 2015

are hearing. Otherwise it would be impos-

a car wash, a band, a freight train, a ringing

Courtesy of the Artist

sible to understand the person speaking

telephone, etc.), and the audience created

to us. We contribute to this process by

the sounds. In this case, you created your

bringing in our own knowledge, precon-

voice, your sonic identity with many people.

This drawing is a reference to my relationship with a number of interpreters. It seems

ceptions, imagination, and repressed

so hard to find the one who represents every

thoughts. Thus every act of listening is

voices were my voice. It was such an amazing

aspect of my voice, so it depends on the situa-

already a dialogue, even before we open

experience to watch people willing to work

tion/setting. If its for a lecture, I would pick the

our mouths to reply. (“The Art of Being

together to make my voice known. They

one who makes me sound super professional,

Nonsynchronous” 189)

allowed me to expand my voice with their

if its for a social engagement, I’d pick the one who makes my jokes hilariously funny, and so

Since I was in full charge of the score, those

voices; it is a sign of respect for my presence This is similar to what I often call sonic

(and perhaps also acceptance?).

identity. I try to control my sonic identity by asking filmmakers not to include voice-over in

I’m curious about your recent work at

video interviews. I think people in general are

White Space in Beijing that included “Game of Skill.” Here’s how it’s described on your website: In the sound installation “Game of Skill”, [Kim] invites audiences to listen to a recording of a text she wrote regarding the

on.

future, though the customized handheld

“One Too Many Voices,” 2015

listening device makes hearing difficult;

Courtesy of the Artist

her hope is that this intentionally difficult

These images are so interesting. In the first, which voice is “one too many”? Or how does attention to “one too many” make us think about what all the voices are doing there? And more basically: What is a voice? What does it do? Who controls it? What does its volume means? What do its linguistic

100

so hardwired to hear a sound coming from me because they want to form my sonic identity in their head. “My Voice Has a Personality and a Pair of Legs,” 2015 Courtesy of the Artist

I hadn’t thought about this: How hearing people automatically want to assign a sonic

listening experience will lead each individual to be aware of the passivity implicit in this everyday behavior. It seems you’re engaging the experiences of language, sound and the body. It has to do with how you would listen differently in the future. Because of the way


you have to move your legs and hold up the

I like the fact that listening itself gets labori-

It makes me realize how thinking about

device, you behave, react and listen much

ous, and that you become much more careful,

only sound is limiting to the activity of listen-

differently than your usual passive listening.

or attentive. I think listening is often taken for

ing. Listening is about how we notice and

And because there are two or three senses

granted and I can get a little jealous of how

process information. It doesn’t have to be

happening at the same time, the information

much people get out of incidental listening.

about sound at all.

gets a little overloaded.

“My Voice Adapts When Needed,� 2015 Courtesy of the Artist

101


ART TALK

CE QUE LA PEINTURE ENTEND DE LA MUSIQUE

Conversation Avec Watts Ouattara

Hafida Jemni

«La relation de la musique et de la peinture est ancienne, leur rencontre est à la fois intime et lointaine tandis que leur association les éloigne souvent pour des destins différents ; chacune est tout aussi bien l’ombre de l’autre qu’elle n’en est l’éclairage. L’œuvre du peintre Watts Ouattara se déploie en musique. Que saisit-elle de la musique ? La restitue-t-elle avec phrasé, motif, silence, rythme ? Qu’en est-il du geste ? Du rapport entre ses œuvres ? À différents niveaux, comment Watts Ouattara opère-t-il en temps réel ?

Hafida Jemni : Quels sont les peintres ou les formes d’art que vous aimez ?

Des titres, oui, mais pas forcément porteur d’un sens matériel prédéfini.

Watts Ouattara : Plusieurs naturellement, et d’abord les Arts premiers, qui me lient à mes

cherchant de nouvelles sonorités, de nouveaux timbres et de nouvelles façons d’étendre la dynamique du saxophone ;

Vous peignez en écoutant de la musique.

une valeur stylistique unique, plaçant sa

ancêtres, puis ceux qui abordent l’universel,

Votre choix se porte-t-il sur une musique

musique comme une quête spirituelle. Miles

comme Goya, Pollock, et particulièrement

particulière ou toujours le même ?

Davis, trompettiste, jazzman inventif, de tous

Rothko qui touche l’omniscient, il désenvel-

J’écoute de la musique pour peindre, ma

oppe la vie, la mort, place l’homme devant la

curiosité me conduit à toute sorte de musique.

réalité la plus profonde.

Des improvisations de jazz et en premier

les temps, et qui dessinait et peignait « La musique est une peinture que l’on peut entendre, et la peinture est une musique que l’on

John Coltrane, l’un des artistes les plus talen-

peut voir », disait-il ! D’ailleurs John Coltrane et

tueux de sa génération. Il a toujours cherché à

Miles Davis ont collaboré ensemble pen-

peut-on parler d’un « indice, aidant à

se dépasser sur tous les plans : technique, en

dant cinq années, constituant une véritable

deviner le caractère de l’œuvre »

explorant de nouveaux modes d’expression,

alchimie créative. Ensuite, je dirai Fela Kuti,

Vos œuvres ont-telles des titres ? si oui,

102


artiste engagé et homme total, chanteur, compositeur, chef d’orchestre et homme politique

tuelles, de forme, de couleurs… En somme, la « L’émotion musicale, dit-il, provient

musique est la combinaison de sons expres-

nigérian. Et aussi Sun Ra pour sa philosophie

de ce que, à chaque instant, le composi-

sifs soutenant dans la durée une émotion

cosmique, sa spiritualité, et la dimension mys-

teur retire ou ajoute plus ou moins, et

émergente ou suspendue, par le silence

tique de son travail.

de ce que l’auditeur ne prévoit sur la foi

même qu’elle induit ailleurs, par le bruit qu’elle

d’un projet qu’il croit deviner, mais qu’il

engendre simultanément ailleurs et c’est à cet

niques des Pygmées, traversée émouvante,

est incapable de percer véritablement

endroit que naît l’écho de la force porteuse de

véhiculant avec conviction les différents senti-

en raison de son assujettissement à

l’incarnation du trait, la forme, la couleur et du

ments, les moments graves ou sérieux, tristes

une double périodicité celle de sa cage

sens !

ou gais, moments de réjouissance, moments

thoracique, qui relève de sa nature indi-

d’intense labeur. Une pratique commune,

viduelle, et celle de la gamme, qui relève

histoire, nos coutumes, nos habitudes,

transmise de génération en génération, qui

de son éducation. Que le compositeur

nos connaissances musicales, nos modes

souligne par le chant les principaux éléments

retire davantage, et nous éprouvons une

d’éducation, aux circonstances, etc. Ainsi, pour

d’une vie. La polyphonie est complexe,

délicieuse impression de chute, nous nous

certains, le « chant » du vent est un chant

elle ressemble à des entrelacs de voix qui

sentons arrachés d’un point stable du

mélodieux berçant, apaisant, et pour d’autres,

se croisent, se superposent sur un tempo

solfège et précipités dans le vide, car le

ce n’est qu’un bruit. La musique fait corps avec

donné, créant une structure où chaque ligne

support n’est pas à une place attendue ».

la peinture exécutant : la figuration de l’accord

J’écoute également les chants polypho-

mélodique peut se développer indépendamment des autres. L’ensemble est construit sur les répétitions, sans cesse variées et enrichies, d’un même motif de base. Visuellement, le peintre y trouve là une énergie remarquable ! Mon écoute des rythmes, la vocalise proche de la méditation, me permet de m’emparer d’un son, de le cristalliser par la répétition et ce jusqu’au décollement, avec une mise en suspension. La musique méditative trace des lignes et des mouvements concentriques, comme celles des danseurs soufis, une ritournelle sonore, et une rengaine cinétique, perpétuelle… Dans son ouvrage Le Cru et le Cuit, Claude Lévi-Strauss développe le paradigme,

instrumental, cette métaphore du rapport Alors, la peinture s’appuie sur un médium musical, pour être créée ?

ologique, donc universelle, et exploite des rythmes organiques. L’autre grille est cul-

amoureux, s’accompagne d’un « jeu » musical prenant une véritable forme plastique.

Oui, si on la considère comme un motif parlé d’une peinture, servant à amener des

L’interaction entre écoute musicale et

formes, des rythmes, dont il motive le car-

production de contenus visuels peints

actère et l’expression.

s’apparente-elle, dans sa forme, au même

La musique méditative trace des lignes et des mouvements concentriques, comme celles des danseurs soufis, une ritournelle sonore, et une rengaine cinétique, perpétuelle…

selon lequel l’écoute de la musique s’opère au moyen de deux grilles : l’une est physi-

Son exécution est à la fois liée à notre

rapport textuel et musical, étroit pour le coup, d’une chanson ou un opéra ? Oui et non ! En somme, à l’écoute de la musique des Pygmées, le rythme me (dé) place dans un référentiel créatif. Autrement dit, cette musique avec sa sonorité fait taire en moi les bruits. Des bruits de fond qui déjouent, étouffent une écoute entière des fréquences créatives, qui brouillent les pistes pour rendre, empêcher toute tentative de s’affranchir de la vigilance de ce « moi » gardien, c’est alors

L’impact de la musique est-il à effet immédiat sur la peintre ? L’état attendu ou perçu, s’apparente à celui

qu’advient le silence pour rendre apte à créer. Ce même espace « silence », vers une écoute créative, se traduit en deux temps physiques.

turelle, elle se situe au niveau d’une échelle

d’une vacance, une disponibilité plurielle, et

L’écoute, puis l’évasion, le déplacement,

de sons musicaux, dont le nombre et les

émotion génératrice à impact multiple : son

l’arrivée dans un autre territoire, cosmique, où

écarts varient selon les cultures.

impact sur le rythme, les séquences ges-

le peintre est alors en suspension, déconnecté

103


des contraintes matérielles, permettant cette évasion vers l’espace rendu vacant, créé pour

médium : croquis, dessin ou peinture ? Deux démarches autonomes,

la toile, la musique, l’accompagnatrice, est une spirale, tout comme chez les soufis, l’homme

une énergie libératrice de l’imaginaire, de telle

indépendantes, sont escomptées. La pein-

dans le cosmos, décrit des spirales ou ritour-

sorte que l’on est dans un état de transe, porté

ture, est plus complexe, c’est un autre lieu,

nelles. La musique des hommes, dans le sens

par le rythme, une transe, coté spirituel. En fait,

cérémonial, tridimensionnel, nécessitant un

métaphorique, peut-être assimilée à un chaos,

la base de mon travail repose sur la spiritualité,

engagement physique important. Le des-

un tourbillon romanesque, poétique par des

la méditation portée par une musique en tant

sin est plus intime, je dessine assis, avec une

voix silencieuses qui prennent des formes et

que moteur pour peindre. De telle sorte que

posture stable, les pieds sur terre. La peinture

des couleurs, et libération de pulsion. Le travail

j’écoute des rythmes en boucle, une écoute

est délimitée dans un territoire où concourent

est à faire, car l’Afrique a beaucoup de chose à

programmée, dématérialisée, pendant un

des forces, des mouvements, de l’énergie. Sur

dire, rien n’a été dit et entendu ! L’homme qui

lapses de temps plus où moins long, comme une traversée d’une rive à l’autre. La rive de l’éveil des sens et de la conscience pour être créateur et non pas spectateur. L’expression créative est un processus d’affirmation de l’individualité au-delà du langage verbal. Elle permet d’accéder à des sentiments et à des émotions refoulés. Musique comme moteur pour peintre. Comment se répand l’énergie sur la toile ? Le geste du peintre : grande importance du geste, d’abord la musique induit une concentration intense, le corps du peintre s’engage dans la peinture. Au regard des peintures, des sons surgissent en fonction du phrasé des formes et des couleurs, de la présence du silence, du vide… Une analogie des séquences, que l’on retrouve sur la toile, tel un portrait. Il peut s’agir aussi de la réalisation de figures libres, car l’artiste est libéré des tensions et la musique agit de manière à libérer les tensions auxquelles l’artiste est soumis, pour le laisser vacants et le rempli d’énergie créatrice ; dans ce cas la musique, l’artiste s’en sert comme moyen pour atteindre un état déconnecté. Pour moi, la musique c’est comme le soleil, elle est lumière et énergie. Elle met les récepteurs à vifs. Votre imprégnation musicale est-elle la même quand vous abordez tout type de Ouattara Watts, Sans Titre, , technique mixte sur bois, 216 x 180 cm, Courtesy Galerie Boulakia

104


se veut engagé ne peut échapper à l’écoute

naise du temps où l’argile mélangée avec du

est faite de souvenirs et désirs : Elle opère une

du monde, et l’écoute du monde a pour

beurre de karité a permis à des maisons de

liaison entre un passé, que je me remémore et

conséquence de générer un calme apparent

tenir debout sur plusieurs générations. Je

subis, et un avenir que je crée et invente. Dans

qui voile une entropie, un désordre social,

travaille avec des matières textiles (sacs de

le principe d’écoute, on décèle la prévisibilité

politique…

cacao, de café, etc.) que je rajoute à la surface

de l’écoute , l’illusion sonore, le phénomène

pour accumuler des épaisseurs, superposer et

d’émergence, les associations de pensées

Comment travaillez-vous vos toiles ?

créer du relief ; au niveau iconographique, elle

et in fine, on écoute ce que l’on veut enten-

Je les travaille par série. D’abord, les pig-

est composite, on y voit de la peinture, du tis-

dre. La musique est un langage abstrait et

ments et les couleurs c’est ma passion. Je

sus, du bois, avec une intervention manuelle,

spécifique, que le compositeur met en œuvre

fabrique moi-même mes propres instruments,

cousu, collé.

avec plus ou moins de talent ou de génie, que

mes brosses. J’ai inventé « le Bleu de Watt » (une sorte de potion magique !) découlant

Une richesse en termes de composition et un engagement du geste et de l’intellect.

du bleu indigo. Je peins avec des brosses, des pinceaux, mais beaucoup avec la main, j’aplanis avec mes deux mains nues, j’aime ce contact avec la matière, la peinture, et j’y

l’interprète s’efforce d’exploiter au mieux pour traduire tout ce dont la partition est porteuse, et que l’auditeur enfin doit s’approprier

Qu'est-ce que "Entendre", veut dire pour vous ? Entendre, c’est écouter dans la durée,

vais avec mon corps, par des mouvements

comment ça vient, comment ça chante, et

circulaires empruntés à l’architecture souda-

puis silence après silence. L’audition musicale

pour apprécier tous les rebondissements du discours musical : nuances, couleurs, modulations, accents, contrastes, respirations, ruptures, etc.

Ouattara Watts, The Trance Of The Shaman, Triptyque, acrylique pigment sable et bois sur toile- 290x 390cm, Courtesy Galerie Boulakia

105


Vous nous avez exposé vos références musicales, leurs mécanismes de pénétration dans votre production. Vous côtoyez les génies, votre écoute musicale est exigeante à l’image de votre création, je termine cette conversation avec une forte envie d’écouter le coffret de All Of You : The Last Tour 1960 qui vient d’être réédité chez Acrobat, un ensemble d’enregistrements live datant du printemps 1960 à l’occasion de la tournée européenne du Miles Davis Quintet avec John Coltrane, et qui a marqué la fin des cinq années de collaboration de Coltrane

VERTIGO # 8 - 222 x 283 Cm Mixed Media 2014 Courtesy Galerie Boulakia

avec Davis. Il ne nous resterait plus qu’à imaginer qu’un de vos tableaux aurait pu être peint sur ces notes ?

Biographie de Watts Ouattara

Propos recueillis et rédigés à Paris VIe , le 15 octobre 2015 par HJ,

Artiste citoyen du monde, Ivoirien, Français, New-yorkais, Watts Ouattara a

Hafida Jemni est diplômée de l’institut d’études supérieures de l’art, curatrice, enseigne l’art contemporain d’Afrique et sa diaspora à l’IESA Paris

une formation classique, et a étudié à l’Ecole supérieure des beaux-arts de Paris (ENSBA). Son grand-père chamane lui a révélé durant sa jeunesse les mystères de la nature et du cosmos. Il lui a donné l’envie d’être artiste. Adepte de Marcel Griaule et Michel Leiris, son amitié avec Jean-Michel Basquiat reste marquante : ils se rencontrent en 1988, à la galerie Yvon Lambert. Plébiscité par le Tout-New York, le peintre d’origine haïtienne est alors au faîte de sa gloire : Basquiat se montre protecteur envers son nouvel ami. « Jean-Michel cherchait l’Afrique, raconte Watts, et il y était allé en 1986 et il avait aimé mon village, Korhogo (signifiant « héritage » en sénoufo) situé à 635 km d’Abidjan, et chef-lieu du District des Savanes et de la région du Poro. Les Sénoufos se distinguent dans l’art du tissage. Sur des panneaux de toile écrue, l’artisan dessine des animaux symboliques, des personnages, accompagnés de motifs géométriques. Les tisserands du Nord utilisent des teintures végétales comme l’indigo ou la kola » . Ces lieux marquent Watts et sa création. Il vit depuis trente ans à New York, mais a gardé des amitiés, de longues dates, depuis qu’il était étudiant à l’ENSBA au cœur de Saint-Germain-des-Prés, et qu’il fréquentait avec ses camarades le bistro « la Palette ». Il a été invité entre autres à la 45e Biennale de Venise en 1993, à la Documenta en 2002. A Paris, en mai 2015, Watts Ouattara exposait à la galerie Boulakia, et la critique fut très élogieuse.]

106


Ouattara Watts, Composition, 2014, technique mixte sur toile, 182,8 x 152,4 cm, Courtesy Galerie Boulakia

107


ART TALK

RAP FRANÇAIS

le combat continue ? Le réalisateur de films indépendants Jean-Pascal Zadi (Cramé, African gangster, Sans pudeur ni morale) donne sa version des faits. Jean-Pascal Zadi - Photo ©Xavier De Nauw

108


Né dans les années 80, pour moi le rap des

géographique, le 93 (le Suprême NTM), Le 95

discours politique est totalement mis de côté

années 80-90 c’est la musique des mes grands

(Secteur A), le 94 (Mafia K’1fry, 501 posse), le 78

au profit d’un discours d’entrepreneur. L’argent

frères et sœurs. Lorsque la déferlante hip-hop

(Expression Direkt), Marseille (I am), Strasbourg

est devenu la valeur suprême et si tu ne fais

est arrivée en France, tout le monde a été tou-

(NAP, Abd al Malik). Le mouvement grandit

pas d’argent tu n’as aucun poids. A la même

ché par ce mouvement. Partout ça rappait, ça

et touche désormais tous les milieux popu-

période, la loi impose aux radios privées de

graffait, ça dansait. Les grands frères et soeurs

laires. On passe d’un discours politique à un

diffuser, 40 % de chansons françaises, dont

étaient contents d’avoir un mode d’expression

discours social : on parle d’un mode de vie,

la moitié provenant de nouveaux talents ou

à leur portée. Les premières cassettes de rap

d’une révolte, ce sont les opprimés qui parlent

de nouvelles productions. C’est un boulevard

que j’ai écoutées sont celles de Lionel D et de

aux opprimés. La rue s’adresse à elle-même

pour le rap français. C’est cette loi qui conduit

Rocking Squad. Leurs textes étaient de vérita-

et nourrit son propre style. Dénonciation des

Skyrock en 1996 à investir sur le rap français et

bles réquisitoires construits contre le racisme

inégalités sociales, description d’un mode

surfer sur une vague grandissante. C’est alors

et la passivité du système politique. C’était en

de vie des pauvres en France, la jeunesse

que Kenzi implante son label dans un immeu-

quelque sorte un rap de gauche à consonance

s’impose avec sa propre personnalité. C’est

ble en plein milieu de Sarcelles : Le Secteur A.

« Touche pas à mon pote ». À l’époque il n’y

l’affirmation et la confirmation d’un style. Et

Ce choix n’est pas anodin. Il y a une récupéra-

avait pas les Arabes, les Noirs etc., il y avait le

c’est aussi à cette période là que le hip-hop

tion du marché et l’implantation à Sarcelles

rap. Mais c’était assez inaccessible de sortir

prend un poids commercial. Les albums de

fait partie d’une affirmation forte : le business

des cassettes. C’est comme si le rap à l’époque

NTM, « Le monde de demain », « Paris sous les

nous appartient si vous voulez signer avec

parlait aux politiques, aux intellectuels, avec

bombes » signés en major sont de vrais succès

nous il faut venir sur notre terrain. Ils enchaî-

un discours très politisé.

commerciaux. En parallèle, des structures

nent à cette époque disques d’or sur disques

EXTRAITS : Lionel D,

indépendantes se mettent en place et les gens

d’or. Neg Marrons, Arsenik, Doc Gyneco,

« Pour toi mon frère le Beur »

commencent à s’organiser pour produire eux-

Stomy Bugsy, Passi font partie du label.

De ceux qu'on accuse, parias d'une

mêmes leurs disques. Democrate D « La voie

Derrière tout ça, il y a un désenchantement

société?

du peuple » écoulé à plus de 30 000 exem-

politique, on a plus rien à attendre du système.

Qui se dit démocrate et fière de toutes ces

plaires sans maison de disques et le groupe

Il faut s’en sortir par ses propres moyens, faire

libertés

Tout Simplement Noir vend son album

de l’argent en famille. Les rappeurs clament

Il y a des droits qu'on donne et ceux qu'on

éponyme à 75 000 exemplaires. Le potentiel

haut et fort qu’ils ne votent pas, ils font de leur

distribue

est endémique, une partie de la population a

marginalité une force et beaucoup de Français

L'hypocrisie en est évidente, je sais que tu

soif de ce discours-là et soif de modèles qui lui

se reconnaissent dans cette marginalité.

l'as vue

correspondent. Il y a enfin une prise de parole

EXTRAIT : Arsenik «

On te dit ferme et autres dures mentalités

qui manquait profondément à une partie de

Une affaire de famille » le couplet de Doc

à part

la France et qui arrive comme un tsunami. Des

Gyneco :

Voleur, frappeur, flambeur, zonard!

icônes naissent comme MC SOLAAR, I AM et

Fonder une famille car c'est tout ce qu'on

Ces adjectifs maudits que tu connais par

NTM et le hip-hop n’est plus marginal.

a,

coeur

EXTRAITS : Democrat D

Viens dans ma famille et tu ne te feras plus

Je voudrais tant voir le contraire, pour toi

« J’défonce les portes du mensonge

jamais kéarna.

mon frère le Beur » De 90 à 95, j’ai vu le rap s’installer dans la société. Ces années sont marquées

pour dire à la société ses quelques vérités

Tous on veut quéma la musique, le

je vis soit disant au pays de Droits de l’Homme

cinéma,

mais tous les jours je dois éviter de me faire buter

Tous on a trimé pour sortir de ce putain de

Crever par les policiers »

coma. Ta fête pue la défaite, c'est la victoire

par l’arrivée de nombreux « posse ». Le rap se faisait en groupe, en communauté

109

De 1995 à 2005 est une période où le

d'avance,


"C’est le degré zéro du discours politique. En fait, ce n’est plus le rap qui est politique c’est l’entreprise, la manière de produire qui est politique

"

Mais au final à trois on pète ton équipe de

pouvoir c’est l’argent et les rappeurs de cette

n’arrive sur le marché sans sa propre marque

France.

époque l’ont bien compris.

de fringues, Kaaris avec « BTTF », Maître

Un coffee shop, une casse, pour mon cop,

Cette période faste a accouché d’un des

Guim’s et « VORTEX », Booba avec « UNKUT ».

madame,

meilleurs albums de l’histoire du rap français

On n’avance plus en tant que groupe, on

Je cotise pour ma retraite à Amsterdam.

« le combat continue » d’Ideal J. A la même

arrive tout seul et on se crée tout seul.

On monte tellement haut qu'on pourra

période le 113 vend 300 000 albums des

L’individualisme triomphe, les rappeurs march-

plus redescendre,

« Princes de la ville » sur le label de DJ Cut Killer.

ent de moins en moins en collectif. Ils sont

On monte, on monte, et t'essayes de nous

EXTRAITS : Ideal J «

eux-mêmes leur propre éditeurs, producteurs :

descendre.

Pour une poignée de dollars »

PNL, Kaaris, Jul, Gradur. On ne compte que sur

Je sais qui sont les traîtres, on sait qui nous

L'État n'a pas eu ma raison

soi-même et internet permet de ne plus passer

respecte,

Les gens sont victimes du sort car sur leur

par la case média. PNL pour le lancement de

Je sais c'que me réserve l'avenir, les armes

chemin trop de désillusions

son deuxième album « Le monde Chico » sorti

sont prêtes.

Parler de leur destin ne peut se faire avec

le 31 Octobre 2015 n’a accordé aucune inter-

dérision

view radio, télé, web. La première semaine les

Écoute, regarde pour une poignée de

ventes s’élevaient déjà à 20 000 exemplaires.

oppe l’idéologie du gangster. Dans cet intérêt

dollars

C’est le degré zéro du discours politique. En

d’avoir un pouvoir d’achat, d’exister dans cette

Les jeunes du ghetto sont prêts à aller au

fait, ce n’est plus le rap qui est politique c’est

société capitaliste et de se faire respecter par

placard

l’entreprise, la manière de produire qui est

n’importe quel moyen, certains rappeurs

Deal, biz, braquage en temps de crise

politique. Le discours est purement divertis-

décrivent le mode de vie de leur entourage.

Espèce de bâtard, accuse le pouvoir, écoute

sant voir abrutissant comme dans la trap (avec

C’est l’affirmation de se débrouiller par soi

Ma foi vaut mieux un petit chez soi qu’un

le système de répétition). Cependant le mode

même (deal, braquage) et le gangstérisme

grand chez les autres

de production est complètement engagé

devient une mode. « On est hors de votre

Maintenant on a plus le choix, on veut un

dans le sens où le message qui est perçu par

société et on vous emmerde », on n'a pas

grand chez nous chez les autres

nos petits c’est qu' « on ne s’en sort que par soi

C’est aussi à cette période que se dével-

besoin du système pour vivre. La Mafia K’1fry (idéal J, le 113, Intouchables, OJB, Rohff) défend

même ». Le pouvoir politique ne fait plus partie De 2005 à nos jours correspond une

un style de vie hors du système établi. Vous

période marquée par deux courants : l’ultra

ne voulez pas de nous, on s’en fout, on n'a pas

capitalisme, l’ouverture sur le monde.

besoin de vous. On vit en dehors des lois dans une société basée sur la consommation, le

du paysage, il ne fait plus partie de l’équation. On en n'attend plus rien. EXTRAIT Kaaris « Se-vrak »: Et je mélange, je mélange,

L’ultra-capitalisme d’abord : Aucun rappeur

je mélange, je mélange, je mélange, je

NTM

110


mélange, je mélange

l’Algérino, Tunisiano et appellent leurs albums

Fuck le smic, fuck le smic, fuck le smic,

« Négritude » comme Youssoupha ou « Vivre

EXTRAIT : Maitre Guim’s

fuck le smic, je vend de la drogue fuck le

et mourir à Dakar » Alpha 5.20. Le Label Wati

« Sapés comme jamais »

shmidt, faut que je mange

B qui est le plus gros vendeur de disque en

Niama na ngwaku des ngwaku

Salope, on a assez travaillé pendant

France porte un nom bambara qui signifie

J'contrôle la ne-zo, apprécie mon parcours

l’esclavage

« Sans limite ». Après avoir pulvérisé la poli-

Handek à ta go, sale petit coquin, t'es cocu

Salope, on a assez travaillé pendant

tique, La France elle-même est régionalisée.

Quand elle m'a vu, elle t'a plaqué

l’esclavage

C’est une manière de mettre en avant des

Ferregamo, peau de croco sur la chaussure

cultures africaines et les faire partager. Dans la

J'suis Congolais, tu vois j'veux dire ?

chanson « Sapé comme jamais » Maitre Guim’s

Hein hein, Norbatisé

pour le rap français. Son attraction s’est amoin-

du label Wati B démocratise la sapologie et

Maître Gims m'a convoitisé

drie et la mise en avant d’une double-culture

en fait une notion commune aux Africains et

Charlie Delta localisé

se fait haut et fort aussi bien musicalement

aux Français. Dawala, le créateur du label est

Les mbilas sont focalisés

que lyriquement. Les rappeurs s’appellent

tourné de manière totalement décomplexée

Sapés comme jaja, jamais

La France n’est plus le centre du monde

M_LesLittle_IAM_Saint-Denis 26 Octobre 1990

111

vers l’Afrique.


ART TALK

LA SONORITÉ « RAP »

Élan Subversif Ou Subordination Marchande ? Evenson Lizaire

La culture urbaine hip hop a émergé

du rap haïtien. Mes propos se fondent

tion raciale, la relégation, l’injustice sociale

aux Etats-Unis, parmi les jeunes Afro-amé-

sur des textes de rap et sur des extraits

(Bazin, 1995). La dimension contestataire

ricains. Le rap, sa composante musicale,

d’entretiens semi-directifs réalisés entre

et revendicative du rap lui permet de

rencontre aujourd’hui un succès fulgurant

mars 2013 et mai 2015 avec des rappeurs

séduire, dans divers endroits du monde,

dans beaucoup de villes du monde1.

évoluant dans la zone métropolitaine de

des jeunes ayant le désir de mettre des

Comment situer le rap par rapport au

Port-au-Prince.

mots sur les maux jalonnant leur existence

paysage sonore urbain ? Quels enjeux

Une retentissante éclosion

politiques accompagnent cette musique

À New York, dans les années 1970,

si appréciée ? Comment saisir la portée et

apparaissent chez les jeunes Noirs amé-

travers le monde3, la popularité de cette

le sens de ce son subversif dans la dynam-

ricains, de nouvelles façons de s’habiller

musique est aussi due à sa capacité à

ique biographique de ses pratiquants ?

et de danser, des graffiti sur les murs de

composer avec d’autres styles musicaux.

A travers une analyse sur la pratique du

la ville et sur les rames de métro et une

Le rap s’inspire en effet des conditions

rap à Port-au-Prince2, la capitale d’Haïti,

manière, alors étrange, de débiter des

d’existence de ses fans et pratiquants dans

je reviendrai sur ce questionnement

paroles scandées sur une base musicale

différents milieux économiques et socio-

en inscrivant la réflexion dans un cadre

(Lapassade & Rousselot, 1990). Ainsi

historiques pour déterminer et configurer

épistémique et théorique qui rejoint

est née la culture hip hop, mouvement

le contenu et la sonorité des messages

l’approche biographique en sciences

artistique répandu aux Etats-Unis et dans

qu’il véhicule. Ce son se transforme au gré

humaines et sociales. Cet article propose

le reste du monde grâce à la démocratisa-

des contextes sociopolitiques et éducatifs,

des pistes de réflexion provenant d’une

tion des technologies de l’information et

tout en gardant ses traits propres : des

thèse de doctorat que je réalise depuis

de la communication dans le contexte de

paroles mi-chantées, scandées, balancées

novembre 2012 autour de la dimension

la mondialisation des valeurs culturelles

sur un rythme saccadé, tressées dans

de subjectivation et d’autoformation

(Rocío A-B et al, 2010 ; Chaubet, 2013). La

un flow4 s’accordant à la cadence et à

partie musicale de cette culture urbaine,

l’harmonie d’une mesure.

1 Voir Alain Arnaud (dir.). 2010. Petit Atlas des Musiques Urbaines. Paris : Editions de l’Œuvre. 2 Le rap se pratique dans d’autres villes haïtiennes mais mes travaux de recherche se circonscrivent à Port-au-Prince.

112

le rap, est un lieu de parole pour des jeunes qui sont marginalisés dans une société américaine basée sur la ségréga-

individuelle et collective. Répandue de façon spectaculaire à

3 Voir Hip hop : le monde est à vous, film documentaire réalisé par ARTE en 2009. 4 Le flow est la manière de rapper sur une mesure.


au risque de créer des cacophonies

pa janm konn kijan l ap fini

et animateur de radio, qu’on accorde la

politiquement assourdissantes. Toute une

Lamizè rachonnen l, fè l pase nan w je

paternité du rap. Depuis la fin des années

panoplie de sons musicaux, se faufilant à

zegwi

1980, cette musique a commencé à se

travers les interstices de la ville de Port-

Depi Pòpòl lage kò l pran kanntè pou

répandre dans le paysage sonore des

au-Prince, résonnent dans leur dimension

Miyami

quartiers populaires de Port-au-Prince. A

plurielle et méritent d’être pensés au sein

Kite 2 lavi timoun, 1 granmoun kòm

l’instar de Master Dji et de ses collègues ,

d’un décor sonore global. Mais la question

garanti

de nombreux groupes de rap ont émergé

n’est pas là ; plus particulièrement, elle

Diri, mayi, pitimi, manje chè, vant vid

en Haïti au cours des deux dernières

est dans ceci : au-delà des idées reçues

Lajan monte bwa

décennies : Original Rap Staff, Million

qu’il suscite, le rap haïtien peut être saisi

Pou tout moun match la rèd6 »

Code, Kzn, Shaka dreams, Rap & Family,

comme registre d’une parole politique

Ces mots concernent la dégradation

King Posse, Masters, Mystic 703, Magic

socio-historiquement située. En effet, le

constante, en Haïti, des conditions de

Click, C-projects, Barikad Crew, Rockfam,

rap est apparu en Haïti dans le contexte

vie depuis plus de 5 décennies. Renfor-

etc. Aujourd’hui, en Haïti, le rap s’impose

du déclin de la dictature des Duvalier qui,

cés par d’autres opus7 plus récents, ils

comme genre musical à part entière en

pendant 3 décennies, ont maintenu un

constituent une mise en parole, un son

faisant des fans surtout parmi les plus

climat de terreur généralisée (Hurbon,

particulier exprimant un sentiment de

jeunes. Cette musique m’interpelle : de

1979 ; Lemoine, 1996) empêchant ainsi à la

mal-être éprouvé par des êtres humains

quoi ce son est-il révélateur en Haïti ?

population de se prononcer sur des ques-

qui, abandonnés à eux-mêmes, crou-

tions concernant ses conditions de vie.

pissent dans une misère dense au sein

Avec la chute de cette dictature le 7 février

des milieux populaires urbains en Haïti.

1986, il y a eu une libération de la parole

Le son rap décrit à sa manière la réalité

et le rap représente l’une des modalités

socio-économique et politique du pays, et

d’expression de cette parole libérée. C’est

cette description est corroborée par des

l’un des rares sons qui, en Haïti, depuis

données empiriques8. Toutefois, en dépit

le début des années 1990, expose les

de son potentiel contestataire, le rap peut

souffrances vécues par les populations

être aussi une sonorité subordonnée dans

Dans l’univers sonore de la ville

marginalisées. Depuis son apparition,

la mesure où il peut être récupéré pour

Le rap s’incorpore et s’invente con-

en effet, le rap s’y manifeste dans sa

En Haïti c’est à Master Dji, chanteur

5

Le rap s’incorpore et s’invente constamment dans la dynamique de son lieu de création : la ville

stamment dans la dynamique de son lieu

sonorité subversive, laquelle vient délayer

de création : la ville (Auzanneau, 2001). Lieu

la tranquillité d’une société haïtienne

habité et territoire de l’innovation maté-

engorgée de misère, d’inégalités sociales,

rielle et sociale (Augustin & Favory, 2010),

de préjugés de couleur (Labelle, 1980). Le

cette dernière rend possible l’émergence

groupe Haïti Rap’N Ragga dans Match la

en son sein de nouvelles pratiques

red a décrit un ordre social délétère où des

sociales, de nouveaux sons qui se fabri-

individus sont contraints de vivre dans des

quent, se rencontrent, se recomposent,…

conditions extrêmement difficiles :

5 D’autres rappeurs comme Supa Deno, Frantzy Jamïcan, Elie Rack ont collaboré avec lui au sein du groupe Haïti Rap’N Ragga.

113

« Ti Mimi toujou konn kijan jounen an ap kòmanse

6 TiMimi sait toujours comment la journée va commencer/Mais ne sait jamais comme elle terminera/ La misère la chiffonne, la fait passer dans le trou d’une aiguille/Depuis le départ de Pòpòl [comme boat people] pour Miami/ Il a laissé 2 enfants et un adulte comme garantie/Le riz, le maïs, le petit mil, les produits alimentaires sont chers/Les ventres sont vides/L’argent se fait très rare/Pour tout le monde, le match est très serré. [Selon ma traduction] 7 On peut citer ici Pwoblèm mwen du chanteur Top Adlerman, voir le lien https://youtu.be/oZZ_xgSmthQ (page consultée le 7 octobre 2015) et Lavi ti nèg ghetto de Lawman, voir le lien https://youtu.be/0cPtqyGa4lg (page consultée le 7 octobre 2015). 8 Voir Aide à la migration. Impact de l’assistance internationale à Haïti de Josh Dewind et David Kinley III, paru en 1988 au Québec, aux éditions du CIDIHCA, le rapport publié par PNUD sur le développement humain en 2014 et le site de l’Institut haïtien de statistique et d’informatique : http://www.ihsi.ht/


servir à des fins publicitaires au sein du système économique et politique du pays.

Ainsi cette musique tend-elle à

On peut bien y remarquer un posi-

devenir un son apprivoisé, une révolte

tionnement critique. C’est fondamental

consommée (Heat & Potter, 2005). En Haïti

dans le rap dit «conscient ». Je crois qu’il

où le marché du disque est loin d’être

faut partir de cette possibilité de posi-

aussi florissant que celui des Etats-Unis,

tionnement pour poser un regard critique

l’apprivoisement du son rap se fait surtout

sur le son rapologique. Car là réside, pour

singulière et plurielle en ce sens que, sur

par les nantis, à travers les publicités et

le rappeur, une possibilité d’émerger en

le plan biographique, celle-ci interpelle et

la prise de position pour des politiciens.

tant qu’acteur conscient du sens et de la

implique l’artiste et son destinataire, tous

En fait, en Haïti le rap est un horizon de

portée de la musique rap. Il choisit de faire

deux étant confrontés à une même réalité

délivrance pour beaucoup de jeunes

sa musique en considérant les multiples

sociale. La sonorité du rap est liée à une

dans le contexte d’une crise économi-

influences que le contexte socio-économi-

existence singulière et collective qui se

que aiguë et permanente (Chéry, 2005).

que et politique est susceptible d’exercer

déroule dans un contexte social, culturel et

Mais le rap a été avant tout une forme de

sur lui. Ici, le sujet est celui qui « prend

politique donné et qui rend possible l’ex-

critique sociale, une musique qui réclame

conscience de lui-même et tente de se

périence de l’altérité (Delory-Momberger,

un meilleur vivre-ensemble. Dilemme ! Il

construire comme un être singulier capable

2009). Ce son a un réel effet potentiel ; il

faut décider même inconsciemment. Le

de penser, de désirer, de s’affirmer.» (de

suffit de penser au nombre d’adeptes qu’il

risque est grand de se laisser pervertir par

Gaulejac, 2005 :10) De ce point de vue, le

s’est fait pour s’en convaincre . Un souci

des commanditaires en mal de popularité.

rappeur-sujet, tiraillé entre risque d’alié-

d’instrumentalisation de cette popularité

Bien évidemment, certains se mettent du

nation et possibilité de réalisation de soi,

va entraîner en Haïti à peu près le même

côté du « rap business » ; ils font des spots

prend conscience de ce qui le détermine

phénomène qui se produit aux Etats-Unis:

publicitaires ou/et prennent position en

et se positionne à travers l’œuvre qu’il

la récupération du rap par le marché du

faveur des candidats lors des joutes élec-

construit. Doit-on penser, pour autant,

disque. A vrai dire, c’est un son qui rap-

torales . D’autres gardent une position

qu‘il n’y a aucune possibilité de subjec-

porte gros. Il permet à des pratiquants

critique :

tivation dans le « rap business » ? Sinon,

Le son « rap » : entre impératif marchand et subjectivation Le rap recouvre une parole à la fois

9

10

« Je me dis que je ferais mieux de parler

comment y devient-on sujet ? Au regard

(Aubert & Haroche, 2011) dans un contexte

de la promiscuité des gens, des problèmes de

de la grande précarité qui sévit en Haïti,

mondial marqué par le culte de la perfor-

latrines, des enfants non scolarisés, au lieu de

le devenir-sujet, au sein de la pratique du

mance (Ehrenberg, 1991). Plus visible je

parler de paires de baskets, de voitures,… Et

rap, est un vrai défi de soi.

suis, plus je peux avoir de commanditai-

là je me vois comme un agent qui contribue

res !

à un travail social dans le ghetto.»

de répondre à une injonction de visibilité

en Haïti le rap est un horizon de délivrance pour beaucoup de jeunes dans le contexte d’une crise économique aiguë et permanente

9 Le 21 juin 2008, lors des funérailles de trois rappeurs de Barikad Crew tués dans un accident de voiture, le déferlement de jeunes au Champ de Mars, la plus grande place publique du pays, a signalé l ampleur du public du rap en Haïti.

114

« Oh ! Je suis plus cher que l’argent. Per-

Le rap a émergé en Haïti dans le contexte d’une libération de la parole et s’y laisse envisager comme expression

sonne ne peut m’orienter contre les intérêts

artistique étroitement liée aux conditions

de ceux pour lesquels je chante. On n’a pas

d’existence de ses pratiquants, ceux-ci

besoin de me payer. Le rappeur n’est pas

vivant avec d’autres individus une situa-

placé pour faire de l’éloge pour toi. Il sait que

tion socio-économique très difficile. Si le

tu fais du bien. ; il respecte ce que tu fais. Mais

rap détient une sonorité subversive dans

il ne va pas faire ton éloge. Il cherche à parler

la mesure où il constitue un positionne-

de ce qui fait tort à la société. »

ment politique quant à la détérioration

11

10 Lors des élections présidentielles de 2011, le groupe de rap Barikad Crew a été engagé pour supporter publiquement la candidate Mirlande Manigat. 11 Propos tirés d’un entretien que j’ai réalisé avec « 27 », l’un des leaders du groupe rap Wòklò.

des conditions de l’existence des individus en Haïti, il peut tout aussi bien être apprivoisé à des fins publicitaires et pécuniaires.


Ces dimensions de subversion et de

Bibliographie

subordination du son rap me semblent

Aubert, N & Haroche, C. (2011). Les tyrannies de la visibilité. Etre visible pour exister ?, Paris :

fondamentales pour poser la question

Erès.

de subjectivation à laquelle donne lieu la

Augustin, J.-P. & Favory, M. (2010). 50 questions à la ville : comment penser et agir sur la

pratique de cette musique. Ceci invite à

ville ? Aquitaine : Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine.

questionner le rap dit « conscient ». Plus

Auzanneau, M. (2001). Identités africaines : le rap comme lieu d’expression [en ligne].

spécifiquement, qu’est-ce qui sous-tend

Cahiers d’études africaines, 163-164. http://etudesafricaines.revues.org/117

le positionnement politique d’un rap-

(page consultée le12 octobre 2012).

peur face à la réalité sociale haïtienne ?

Bazin, H. (1995). La culture hip-hop. Paris : Desclée de Brouwer.

On ne peut répondre à cette question

Chéry, F-G. (2005). Société, Economie et Politique en Haïti. La crise permanente. Port-au-

sans analyser le parcours biographique

Prince : Editions des

des pratiquants du rap dans le contexte

Delory-Momberger, C. (2009). La condition biographique. Essais sur le récit de soi dans la

socio-économique et politique d’Haïti. On

modernité avancée. Paris : Téraèdre.

le voit donc bien, le débat sur le devenir

Ehrenberg, A. (1991). Le culte de la performance. Paris : Calmann-Lévy.

rappeur en Haïti est loin d’être clos

Gaulejac, V. de (2009). Qui est « Je » ?. Paris : Seuil. Heat, J & Potter, A. (2005). Révolte consommée. Le mythe de la contre-culture. Paris : Editions Naïve. Hurbon, L. (1979). Culture et dictature en Haïti : L’imaginaire sous contrôle. Paris : L’Harmattan. Labelle, M. (1978). Idéologie de couleur et classes sociales en Haïti. Montréal : Presses de l’Université de Montréal. Lapassade, G. & Rousselot, P. (1990). Le rap ou la fureur de dire. Paris : Éditions Loris Talmart. Lemoine, P. [1996] (2011). Fort-dimanche fort la mort. New York : Editions Fordi 9. Rocío A-B et al (2010).Cultures, technologies et mondialisation. Paris : L’Harmattan. Mots-clés : Rap, sonorité, ville, subjectivation, Port-au-Prince Bio : Eveson Lizaire : professeur à l’UEH et doctorant en sciences humaines à l’Université Paris 13

115


ART TALK

LES ULTRASCORES DE CHASSOL Camille Moulonguet

Si l’on veut découvrir l’anti-chambre de l’œuvre de Chassol il faut se rendre sur youtube et taper le nom « Vic Lowenthal ». Derrière cet intriguant pseudonyme, il y a toute une série de pièces sonores et visuelles qui parlent de ses inspirations, de ses divagations... C’est un peu comme entrer dans une conscience forcément décousue et qui passe naturellement du coq à l’âne. Paradoxalement sans rapport de cause à effet, on comprend comment « Nola Chérie », « Indiamore » et « Big Sun » sont nés. Quelle place ont ces travaux dans votre travail ? Les ultrascores, c’est avant tout un travail de recherche, c’est avec eux que j’expérimente des choses. Tout a commencé avec l’apparition de Youtube en février 2005. D’un seul coup j’avais accès gratuitement à tout un tas de matériaux d’origines et de registres totalement différents. C’est comme s’il y avait les gens qui jouaient pour toi et que tout devenait accessible. https://www.youtube.com/watch?v=wG_1F743RXQ Je me suis servi dans cette manne et je prenais toutes les vidéos qui me parlaient. Et puis par l’intermédiaire de Xavier Veilhan qui appréciait mon travail, il y a eu un musée qui s’est intéressé à ce travail, c’était le musée de la Nouvelle Orléans. J’y ai montré mes ultrascores et ils ont commandé un film plus long, c’est ainsi que j’ai créé en 2013

PortraitChassol ©LaurentBochet

116


« Nola Chérie », mon film sur les fanfares de la Nouvelle-Orléans. C’est là que j’ai commencé

https://www.youtube.com/ watch?v=_9FVJNEv6Yk

à faire mes propres images plutôt que de faire

que si je l’ai choisi lui, c’est justement parce que j’aime son travail. Les gens y ont vu une

des samples d’images déjà tournées.

Pourquoi avoir choisi des discours tels

https://www.youtube.com/

que ceux de Christiane Taubira ou de Barack

watch?v=_2x76-6BI_Q

à une telle sommité de la musique. Alors

Obama ? L’idée d’harmoniser un discours politique

atteinte à son art alors que c’était un hommage. https://www.youtube.com/ watch?v=rCGQdjdGv2A

Quel est votre premier ultrascore ?

c’est une évidence pour moi. La manière dont

J’ai fait mon premier Ultrascore en 2006.

ces orateurs travaillent leurs intonations et le

Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

Ce sont les « Russian Kids ». Je cherchais une

rythme des phrases me fascine. Au départ,

Je mets toujours régulièrement en ligne

chorale, un moment d’apprentissage sur you-

Taubira est une femme qui m’impressionne.

des petits formats, lorsque je vois une vidéo

tube. J’ai tapé «children choir Russia» et je suis

Et lors de ce discours à l’Assemblée Nationale,

qui me plait je la classe dans un dossier «à

tombé sur cette vidéo d’enfants russes en train

elle défendait son projet de loi sur le mariage.

faire»! En ce moment je travaille sur une struc-

de répéter. C’était toute une série de moments

J’ai adoré l’aisance avec laquelle, face à un

ture un peu plus longue. C’est un sujet sur les

de répétition avec une esthétique un peu à

public à très grande majorité masculine, elle a

animaux et les chorales. La communication

l’ancienne. Je l’ai mis sur mon i-movie et j’ai

fait la généalogie du mariage et analysé cette

animale a une tonalité si particulière. C’est une

composé avec l’image et le son. À l’époque

notion. Quel aplomb, quelle intelligence!

esthétique qui me fascine.

j’écrivais la partition avec chaque note, maintenant j’enregistre les mélodies en direct

https://www.youtube.com/ watch?v=5SMwPJ2jUps

https://www.youtube.com/ watch?v=C8VeYWRBBZY

sans l’écrire et je monte avec Final Cut mais le principe demeure le même. J’ai appelé cela

Pour Obama, je suis tombé sur ce discours

Quels sont vos sons du moment ?

un «ultrascore» car ce n’est pas comme une

où tu vois l’acteur, chaque pose est travaillée,

musique de film qui accompagne l’image, là

c’est la mise en scène du rêve américain.

les musiques de films, j’en ai toujours écouté

c’est le son réel qui est harmonisé en partition.

Sa voix, ses intonations, les contrastes sont

beaucoup. J’écoute de la musique indienne

recherchés, c’est l’orateur par excellence.

aussi. J’écoute Terry Riley «Descending

https://www.youtube.com/ watch?v=WDizMnmtl_k

https://www.youtube.com/ watch?v=Kga1QkEnF6A

Pourrait-on dire que ces pièces ont un rôle fondateur dans ton travail ? C’est dans ces travaux que j’ai vu tous les plans, tous les systèmes d’écriture musicale,

J’aime beaucoup Aquaserge. Il y a aussi

moonshine dervishes». Et puis en ce moment j’écoute beaucoup Zlotan Kodaly, le meilleur ami de Bartok. Ils sont partis ensemble dans

Vous arrive-t’il d’avoir des commentaires surprenants sur youtube ? En réalité il y a de tout, des enthousiastes

les campagnes hongroises à la rencontre de choeurs. Zlotan Kodaly a écrit une méthode de l’écriture chorale, il a formalisé une struc-

toutes les façons de looper le son et l’image,

et des offusqués! J’ai des haters sur you-

changer l’harmonisation... Tous les procédés

tube. Lorsque j’ai mis en ligne un ultrascore

que j’utilise pour mes films sont présents dans

à partir d’une répétition conduite par le

query=terry+riley+descending+moonshine+

ces formats-là. C’est là que j’ai mis en place la

chef d’orchestre Valery Gergiev, certaines

dervishes

manière dont j’organise le son et l’image.

personnes n’ont pas supporté que je touche

117

ture de composition chorale qui m’intéresse. https://www.youtube.com/results?search_


ART TALK

OF THE PASSIONS AND POLITICS OF GODS AND MEN

The operatic form in contemporary art Olivia Anani

Teatro La Fenice 2015 production of Norma by Vincenzo Bellini

118

Directed, set and costumes by Kara Walker Photo: Lucie Jansch


This summer, at the height of Biennale

Walker’s mise en scène lavishly references

and theaters. Elitist yet open to the public, it is

frenzy, music aficionados filled Venice’s histori-

West-African Akan clothing and headdress.

hereditary by nature yet a place of experimen-

cal Teatro la Fenice for the unveiling of yet

Pollione, the Roman proconsul, has the attire

tation at the crossroads of many social and

another stunning operatic performance. Only

of a European 19th century explorer, and the

artistic backgrounds and practices.

this time, there was a twist: Kara Walker, the

king of Gaul, father of Norma, is wrapped in

New York based-artist who earned critical and

animal skin. If the costume design is a little

with this art form in the context of the hypo-

popular acclaim through her evocative and

too obvious, the set design is much more

thetical “posts” that make up contemporary

provocative silhouette collages, was to be the

nuanced. There are very few right angles,

discourse in the realm of art criticism today:

artistic director of a new adaptation of Vin-

and in imaginary hills the high becomes low,

post-colonial, post-Black, post-racial. Since the

cenzo Bellini’s masterpiece Norma. The opera

peaceful trees turn into a sea of menacing

nineties, South African artist William Kentridge

tells the story of a Gallic priestess, Norma, who

spears, and deep blue turns into bright red.

has been engaging with this “total art form,”

falls in love with the Roman proconsul, and

These visual effects give an overall feeling

Gesamtkunstwerk1, that is opera, first as an

bears him two children. The story, much like

of constant, uncontrolled shifts – of heart, of

extension of his film practice, then as a stylistic

Walker’s silhouettes of imaginary scenes from

decision, of fate. The road is slippery; the beds

parti-pris in itself.

the slavery era, is tragic. It depicts one of the

are altars to unforgiving gods. Unexpectedly,

most complex aspects of military and political

when Norma reveals her sin, she suddenly

domination, whether in the context of old

gives up a position of power over her lover –

Flute, presented at the Théâtre Royal de la

European conquests or recent imperialism:

one she truly accedes to for the first time in

Monnaie in Brussels in 2005, The Nose at the

the promiscuity and complicated relation-

the story – to join in his grim fate. The final

New York Metropolitan Opera in 2010, The

ship between master and slave, conqueror

twist is sad, hopeless, and dramatic.

Refusal of Time, and most recently, Notes

and conquered, government and citizen. (We

Opera as an art form has always been

Kara Walker is not the first artist to engage

In productions such as Mozart’s The Magic

Towards a Model Opera, presented at the

might recall Steve McQueen’s depiction of

intricately linked to life, and to the tragedy

occasion of his retrospective at Beijing’s Ullens

this particular dynamic in his Oscar-winning

of human existence. The great destinies of

Center for Contemporary Art, Kentridge keeps

Twelve Years a Slave, and the Black Lives

empires and men, east and west, north and

exploring and pushing the form into the 21st

Matter protests.) Similarly, Norma blurs the

south, the tragedies of gods and mortals, have

century. Part of the Beijing exhibition was on

boundaries between the victim and the tor-

been told and retold countless times with

view from September 11th to October 24th at

turer, and between love and hate, in a context

renewed energy and dedication by a relatively

of political and emotional domination.

small group of artists and performers, patrons

119

1 The term here, is used loosely, meaning a synthesis of several different art forms, and does not refer to Wagner’s definition.


Marian Goodman Gallery in London, and the

From then on we got invited to several festi-

some videos of model operas conceived dur-

artist is preparing a monumental interven-

vals, which eventually turned into a full-scale

ing the Chinese Cultural Revolution. I found

tion on the shores of River Tiber in Rome, to

opera in Brussels; the work was called The

interesting the idea to take a late nineteenth

be unveiled next spring. The project, titled

Confessions of Zeno, and it was previewed

century balletic form and infusing it with a

"Triumphs and Laments" will be Kentridge's

at the Documenta in Kassel, with Okwui

revolutionary, communist subject. There is

largest public work to date, an impressive

Enwezor. This was followed by The Nose at the

such an interesting clash between the form

frieze long of 550 metres, which will open with

Metropolitan Opera in New York and several

and content. So we first had a workshop in

a musical collaboration with composer Philip

other projects.

Johannesburg, which led Dada to come back

Miller.

to dancing on pointe, a thing she hadn’t done How long is the process to create these

in many years. So the piece is infused with

operas, and how do you go about working

several elements of dance and movements

tridge to discuss his approach and most recent

on them? For example with The Magic Flute,

specific to classical ballet, the language of

attempt at making a piece of art total.

both the score and text (libretto) are already

Dada’s dance, which richly references South

known, so how do you approach these

African and southern African dance, and ele-

predetermined factors?

ments of the Chinese revolutionary operas. I

We had the chance to meet up with Ken-

Gesamtkunstwerk:

Each piece takes three to five years to

also had in mind the date of 1968, the year in

make, with only the last six weeks devoted to

which the Cultural Revolution began, and all

rehearsal. The rest is happening in the studio.

the things happening during that period in

On top of the actual performance at the opera

various places: you had the student uprisings

house, with the ensemble, choir and the

in France, Algeria to a certain extent, which in

time to speak with us. Could you please tell

whole machinery of it, they also take different

the early sixties was fighting for its independ-

us how your practice in film, drawing and

forms, like exhibitions. The process in all of

ence, and seeing what these meant for me

theater, eventually came together into this

them really has to do with finding the formal

as a thirteen-year-old boy in South Africa.

comprehensive medium that is the opera?

vocabulary that the piece will be built on. With

Bringing all these elements together also put

WIllian Kentridge: Theater started with

The Magic Flute, which is a story about dark-

in perspective the relationship between more

workshops that I was doing while in university

ness and light, it took the form of a metaphor.

and less powerful countries, and what China

in South-Africa, before eventually moving to

I was thinking about the photographic nega-

represents in South Africa now, in Africa at

France as a student and realizing that maybe

tive and positive, both as a way of drawing,

large and its implications. By that I mean large

acting was not for me. After returning, I got

and as an ongoing investigation into the

amounts of primary resources and com-

involved with a puppet theater company in

nature of shadow and light, and the imbrica-

modities leaving the countries, among other

Johannesburg, where I became the artistic

tions of both. It is a subject which I explored in

things. These can also be linked to the Paris

director. The question was how I could inte-

previous works like the Shadow Procession.

Commune in 1871 and the formal qualities of

An interview with William Kentridge Oliviav Anani: Thank you for taking the

grate the animations I was making with the puppets on stage, and create a four-dimen-

revolutionary movements in general. So we Could you tell us a little more about Notes

take something that you think of as a very spe-

sional drawing by combining projection and

Towards a Model Opera, the project you did

cific moment in Chinese history and culture,

live performance, all moving through time.

in Beijing over the summer?

and show its connections to all of us around

This eventually expanded from the theatric

The project was born first as part of the

the world, at different epochs. It’s about the

form to the opera, namely chamber operas

ongoing collaboration that I have with Dada

like Monteverdi’s Il riturno d’Ulisse in patria,

Masilo, with whom I worked on The Refusal of

The work currently exists as a video instal-

and a contemporary South African opera with

Time. I wanted to keep working with her on a

lation. It contains brass bands, Dada’s dancing,

composer Kevin Volans and writer Jane Taylor.

new project, and on the other hand I’d seen

drawings, slogans, all those things happening

120

impurity of moments.


translation of the text, the actors, the set, the musicians… you are not simply closing your eyes and listening to pure music. Even in the simpler productions there are at least eight different things to watch. So one has to understand it is always about an overload, and even in the face of this overload you force your way through, to make sense of a story with its images and all the emotions. And this is something that I would rather celebrate than refuse. I find it interesting that we talk about Notes Towards a Model Opera, 2014–2015, three-channel video installation. © William Kentridge, courtesy the artist and Marian Goodman Gallery

around a revolution. It functions more or less

character of images, and how they influ-

as a video notebook of what a revolutionary

ence what we see and hear. How do you

opera today could be made of, in terms of

think the operatic form, as a synthesis of

content. Maybe, it would be about the chaos

several different art forms, comes into that?

of finding a simple interpretation of it all.

There are a lot of elements coming in at the

What was your experience presenting this work in China? I was surprised to see that many people who came to the exhibition had seen my work before, if only on Youtube. And artists and writers came as well, asking very interesting questions. I think that most people were intrigued by “the piece on the cultural revolution.” The essay I wrote on the subject was denied permission to be printed in the Chinese catalogue, so a few days before the exhibition we had to print it as a brochure, which we handed out at the opening. This is quite surprising, as such issues are not as frequent as people might think. I was surprised, and so was Philip Tinari, the director of the Ullens Center. But I guess it happens. You have talked about the deceptive

121

same time… Some people think there are too many! But I guess rather than be panic-struck to see

this question of confusion and overload of information, because the operatic form itself, starting from the various languages operas are written in to the way the songs are interpreted, is somehow inevitably sure to induce confusion. Which is the reason why one needs a translation at all. Is it the ultimate form for this information age? I find that even with songs that are in your

everything, you see what you see, it’s more

native language, there is a difficulty to actually

about constructing your own view of it.

follow the words. Most of the time you hear some of the words, and then you drift off and

Yes, I also think that way. And if we take

only listen to the music. And the same goes in

the context of your work emerging at a

opera with the libretto. But ultimately, these

time of a complex political history in South

are theatre plays set to music, so you have to

Africa, it makes sense. This is also what we

follow the story, or it loses its purpose and

see in the world today in terms of politi-

interest. I think there’s a difference between

cal history: so much information, all of it

the singer, who has to know the words, and

biased, coming to us at the same time, and

the audience and its relationship to the text.

us trying to make sense of it. Right. For some previous operas I think

I had one more question regarding the

there was a complete overload of images,

habit that you have to insert yourself in your

so at some point you give up and fall asleep.

work. Some artists like to retreat form the

(laughs) I think we’ll simplify some of the

work, but not you. Why was it important for

images for the next productions, we’re really

you to engage with your pieces that way?

watching and judging at the same time; but

I think it’s a recent trend, that we have seen

the thing with opera is that it is a form of

in the past fifty or maybe one hundred years,

excess. You have the text, the singing, the

of artists talking about their work. I found early


on that I was invited to give lectures about it,

music from Congo, the former Zaïre, like Papa

ears, which opens with the masterful and half-

which forced me to reflect on it. And I also had

Wemba, or Greek sentimental songs from the

hour long aria sung by the late Belita Woods,

to be the one performing the result of that

20s for a project in Istanbul, and South African

accompanied by an ensemble of metalins.

reflection, in the form of the lecture. So even-

brass bands.

The instruments were designed especially for

tually the lecture grew into the work, and this became The Refusal of Time. Sometimes an actor is playing my part in the lecture. There is

the performance by Jonathan Bepler and his

Eugene Perry For the wrath of Seth

another body of work that is set in the studio,

team, from the carcasses of cars as a reference to the Detroit automobile industry. A little later in the part, a scene is shot at a giant

so I was in it as well. I am not a novelist, I can-

Let us be honest. In my opinion, River of

not project myself into someone else’s head.

Fundament is relatively hermetic. Here and

Some authors can imagine what it might

there, one could catch a glimpse of the public,

be like to be, say, a 14 year-old girl living in

who remained bravely focused (for the ones

the role of Seth, are convincing to the point

Arizona. Now that is an impossible task for me.

who did not leave the theater within the half

of casting doubt over the feasibility of it all.

So it keeps coming back to the self, ultimately

hour), but also see the performers throwing

They both certainly stood out in the midst of

it is an examination of oneself.

“Shouldn’t you be over there?” looks and

Barney’s lengthy extravaganza. Their charac-

for some, chuckling in amusement at the

ter can be seen fighting Horus, screaming in

improbable script. So, should you pass on

destructive rage as he conducts the incinera-

music and opera, and what are key figures

River of Fundament? I would say absolutely

tion of his brother and enemy, stabbing an

in music today that influence your practice?

not. See, there is one significant high point

avatar of James Lee Byars through a car’s

to it all, which makes the experience worth

windshield, and most notably, pretending to

it, and it’s the music. Jonathan Bepler has

urinate in a room full of people. And by peo-

with as a child, and it is often on in the studio,

embraced without one look back Matthew

ple, I mean Lawrence Weiner and the all-star

sometimes as a sound barrier to block out

Barney’s insane storyline, and keeps you

cast reunited by Barney for the occasion.

noise coming from the surroundings, as a

engaged all through. Khu, the second part

non-listener. I was also recently re-listening to

of the film, is a true feast for the eyes and the

What is your relationship to classical

Classical music is the music I grew up

furnace, under the watchful eye and voice of Eugene and Herbert Perry. The twin brothers, full of rage and fury in

We catch up with Mr. Eugene Perry to discuss his role in River of Fundament and more generally, the simple yet busy life of an opera singer today.

Interview Olivia Anani: So how was your day? Eugene Perry: It was alright, I was at the church this morning, where I play bass. It is the summer holiday here, and with two sons, my hands are quite full. I can only imagine. Thank you for taking the time to speak to us. Can you tell us how Matthew Barney and Jonathan Bepler, River of Fundament, 2014, production still, courtesy of Gladstone Gallery, New York and Brussels, © Matthew Barney, photo by Hugo Glendinning

122

your participation in River of Fundament came about, and what are, in retrospect,


your feelings about it?

featured in, as I could not distinguish you

no return, so the tendency was to push the

from your brother. I think most people actu-

voice. I think I was doing a lot. We took dozens

time before, but only as a visual artist, not as a

ally think there’s only one actor until you

of shots, that was interesting. And the number

filmmaker or producer. I got a call to audition

both show up on screen at the same time.

of people involved, somehow made the magic

I had heard of Matthew Barney some

for him in New York, and received a couple

I mainly did the party scene, and the one

happen. Even during rehearsal, it was as if we

of lines to work on. Jonathan Bepler was also

in the barge. My brother was the one doing

there, and he wanted me to sing a couple of

the more physical scenes, such as descending

arias, which I did. I am not even sure to this

in the water for the final fight. To tell you the

day, why they picked my brother and I, but

truth, my brother and I did not see each other

regarding your experience on set. You men-

the audition I did that day was pretty good,

much during the shooting. It was all very finely

tioned the fact that there was no text, so

and they told me that they would get back

tuned, in terms of production. They would

how did it work? Were you making up lyrics

to me. A few days later they wanted to have

call me for my scenes, and call him for his

as you sang?

my measurements, had me try on a couple of

scenes. We did the audition separately. On set,

costumes, and then quickly scheduled my first

he made friends with some people, me with

set words, and I made them my own, chang-

shooting, which was set to happen in Detroit.

others. Someone would see me on set, come

ing them and sometimes, improvising. They

It was during the winter, the temperature was

say hi and hug me like we knew each other,

do say that the best acting is reacting. That

about ten degrees below zero. We went over

and they actually knew him. It was amusing. I

extended to the music, as Jonathan Bepler

a couple of lines in my hotel room, without

think it reminds you that we are all connected,

used all kinds of musicians, in a very creative

music. It was a very simple text. An hour later

somehow.

way.

we went to a church, take one, take two, take

As far as technical difficulty was con-

three and this is how the first shooting went.

cerned, it is different to sing outside than

were doing it for the first time, every time. I am intrigued by one thing you said

They gave me the general idea, several

Yes, I saw the metalin ensemble, with

inside. It can be better, it can be worse. I found

Belita Woods’ aria, which was incredible.

experienced in the past. It was very intense,

it difficult to sing towards the water, because

Did you get to work with her and the other

freezing, obviously. They had heaters in every

you don’t get anything back. When you sing,

singers as well?

corner, basically trying to figure out how to do

you need to hear yourself, and here you had

It was very different from what I’ve ever

No, I didn’t, unfortunately. There were a lot

things. It was tough, to be sitting in the cold for hours, to be singing in the cold, because it takes all the moisture out of your mouth. It was a challenge, which I was up for, and luckily it turned out quite well. I had done film before, but never on this particular level of intensity. There were stylists, cameramen… a whole movie crew, on the scale of what you see for major productions. I was just about to ask you the question. Shooting outdoors for hours, singing in the cold, could you please tell us more about the technical challenges to a project taken in these conditions? I was also wondering which of the scenes were the ones you were

123

Matthew Barney and Jonathan Bepler, River of Fundament, 2014, production still, courtesy of Gladstone Gallery, New York and Brussels, © Matthew Barney, photo by Hugo Glendinning


of people I did not meet, like Paul Giamatti. We

this was what I wanted to do. My brother had

versity. He died quite young, in his forties, but

were in and out, only showing up when the

already made up his mind, but I was hesitant.

wrote several pieces in classical and spiritual.

team needed us. They were professionals at it,

I thought “I’d rather play bass,” but there is no

My father, who’s from Chicago, studied opera

and I’m curious to see what they are going to

comparison. This is ultimate. You got to sing,

as a young man, although he didn’t pursue it.

do with the final piece, and how it will develop

act, and being paid for it. That happened in

a life of its own.

1980 for me.

How important is the aspect of community, education and artistic outreach to

It’s interesting, this approach that they

From then on, it was a journey to make this

you? I see that you are very involved in local

had, to work with each of you separately,

a career. My brother and I were both fortu-

including your brother. This way, I guess,

nate, in that we were the first set of twins in

Yes, I work at a community center every

you were able to each give what you had in

contemporary opera circles, as far as I know.

summer, where we have 40 to 50 kids, aged

mind for the part in your own, distinctive

Maybe this is what got us noticed, and led us

5 to 12. I provide music, and teach them the

way… Which leads me to the question, of

to play major roles. We went on to work with

songs. Not classical, because it is difficult to

how your brother and you both came to

Peter Sellars on his Don Giovanni. The work

get them to like it, and inner city kids can be

singing opera. You mentioned the church, is

had a major impact at the time, and drew a

tough. I tried, but they just don’t like it. So I

that where it started?

storm of reactions from the opera and theater

pick popular songs, such as R. Kelly’s “The

No, not at all, actually. It started at univer-

critics. Some people loved it, some hated it.

World’s Greatest”, and work on them on the

sity. Prior to that, my brother and I were both

It was incredible to get this kind of reaction

part where there’s a choir. I provide a band,

instrumentalists. I studied the string bass, he

early on. But yet I cannot say it was exposed

and try to get them to sing.

majored in trombone and education. Later

to the world. People knew about it, and a few

There’s also a church where I teach clas-

on, he went on to study at the University of

actually got to experience it, while others just

sical music technique, and try to expose the

Arizona, while I stayed back one more year. I

didn’t want to deal with it. What Peter Sellars

students to European classics; they like Italian,

had lost a year by dropping from education

did was taking Mozart’s opera and bring it into

some French, English… Nobody wants to do

to study performance. But what happened is

modern day, which was very forward thinking

German. (laughs). I have one student there,

as he got to Arizona, he discovered the opera

at the time. There were three black singers,

who is very promising. She’s only 25, so she

program that they had, which was great,

which was unheard of. It is widely accepted

has great potential to grow, and an incredible

together with a production company. So he

now, to see contemporary adaptations of clas-

voice. I also work with a theater company,

told me about it, and we both stayed there for

sic opera and theater, but at the time, many

where the team is taking the text from Shake-

three years. At first I did not want to make a liv-

people resisted it. I guess my brother and I

speare’s A Midsummer Night’s Dream, and

ing out of it, I was playing the string bass and

were trailblazers in some way, but the down-

turning it into arias. They take existing operas

enjoying it, but at one point they needed an

side is that it also stereotyped us. We were

in baroque style, and switch the lyrics, I think

additional singer, in a production my brother

immediately associated with contemporary

it’s going to be very interesting. I also used to

was part of. It was Puccini’s Tosca, and I joined

works, which has its positive aspects as well, in

perform regularly with Philip Glass, projects

to play the jailer. I can say that this produc-

that you get to be creative, and you don’t have

that happen within a theater setting, which

tion changed my life. To be able to have a

to worry about being compared to this singer

are quite successful, and I teach voice in uni-

real set, costumes, a stage mistress, make-up

or this production from the past.

versity. So my hands are full, and I’m happy.

team, and to meet all these very respected,

River of Fundament is on view at the

talented singers, it blew me away. It showed

But my family has always been in classical,

me everything that it could be, the way you

and as such I have strong ties to it. My grand-

presented yourself as a professional, the pub-

father, Herbert Franklin Mells, actually started

lic… and I decided right then and there, that

the classical program at Tennessee State Uni-

124

projects for the youth.

Museum of Contemporary Art of Los Angeles until January 2016.


125

Matthew Barney and Jonathan Bepler, River of Fundament, 2014, production still, courtesy of Gladstone Gallery, New York and Brussels, Š Matthew Barney, photo by Hugo Glendinning


ART TALK

MUSIC IS THE HEALING FORCE OF THE UNIVERSE

Philippe Di Folco

Quelque chose, qui embrasse l’Un et l’Autre, l’individu et son altérité, advient dont on ne parle pas assez : la dérive, l’écart, l’échappée nés de la rencontre d’univers sonores, de la rencontre entre des interprètes et des publics que tout semble opposer. Bifurcations ici en forme d’éloge de la Blue Note. « Vorspiel »

et Iseult en terre inconnue et c’est ainsi que

regarder les postures et les positionnements

Durant les premières minutes du film de

Malick choisit d’illustrer l’essentiel de son

à l’écran qui se mettent en place durant ces

Terrence Malick Le Nouveau Monde (2005),

propos par le « vorspiel », le prélude à L’Or du

quelques six premières minutes : subaqua-

quelque chose advient par la mise en scène

Rhin de Richard Wagner : avant de jouer aux

tique en glissando, frôlement des corps contre

qui a pour nom le premier regard amoureux.

cow-boys et aux Indiens, il y a la possibilité

les herbes, murmures, montées des basses au

Et ce premier regard est celui d’une jeune

de l’amour entre deux étrangers, entre deux

fil des champs/contre-champs…

femme algonquienne pour un soldat anglais

inquiétudes, entre deux continents, entre

mis aux fers. Ce regard n’est pas objectif, il est

deux modes d’écoute, entre deux eaux mêlés.

édénique, spectaculaire et donc forcément

annoncé : les deux futurs amants ne se voient

C’est ici forcément le prototype légendaire

injuste, n’est rien d’autre que ceci : selon le

pas se voir l’un l’autre mais nous devinons, et

d’une West Side Story que l’on serait tenté de

rapport des points de vue choisis, l’on peut

eux aussi, qu’ils vont s’aimer. Il y a là du Tristan

relier au Roméo et Juliette du grand Will2. Il faut

sursignifier une musique qui, d’un côté, si j’en

126

1

Ce que je retiens de cette séquence


crois le facétieux Woody Allen, donnerait de

n’est pas seulement resté confiné aux bars

l’éternité quand cette musique vient braver les

toute façon l’envie d’envahir la Pologne, et de

enfumés fréquentés par des poètes beats.

constellations, et toute les galaxies ? Combien

l’autre, le désir irrépressible de s’allonger dans

Les musiciens-poètes ont fait l’événement,

j’ai pleuré de joie, oui de joie, en écoutant

l’herbe d’une prairie virginienne, totalement

écrit l’histoire, quand ils décidèrent d’accepter

Nina Simone me supplier de l’aimer et ainsi

nu, de s’abandonner, d’abandonner et de

de jouer dans les champs pour des milliers

soit-il, nous l’aimâmes, nous l’aimons, et nous

donner pour être « heureux comme avec une

de gens. Woodstock, au fond, reste avant

l’aimerons encore. Alors, de guerre lasse, les

femme » . Le don premier de la musique :

tout une histoire d’amour et l’amour a besoin

petits enfants de toutes les zones urbaines

que ma joie demeure. Il n’y a pas à tortiller.

d’espace où les foules puissent se sublimer

sur cette Terre s’amusent à mixer, à sampler, à

Gesualdo, Bach, Wagner, Duke Ellington,

en « quelque chose d’autre ». Car ce que dit le

moléculariser les sons, tous les sons, les petits

Pharrell Williams même combat : be happy et

free-jazz c’est le mélange, et donc la substance

enfants des banlieues globalisées découvrent

ainsi-soit-il.

même de la vie, la « molécularisation », la

au détour d’un lien You Tube la Marseillaise

combinatoire essentielle à l’équilibre des

par Albert Ayler et le miracle a lieu, car enfin,

forces vitales, l’alliage matricielle qui génère ce

il faut bien constater que ces gamins malins

pour quoi nous sommes toujours vivants, « en

ont l’ouïe fine c’est certain, pour que cette

marche », comme cette statue de Giacometti,

free music n’ait de cesse de nous transporter,

advient. L’expression de la dérive, de l’écart,

prêts au combat tous les matins, sinon, c’est

de nous transformer, et c’est donc que sa

de l’échappée née de la rencontre d’univers

évident, nous aurions étouffé et disparu

suprême force consiste à tuer, pour un temps,

sonores, de la rencontre entre des interprètes

depuis longtemps sous nos dogmes, nos

même infinitésimal, la mélancolie grise qui

et des spectateurs que tout semble opposer.

purismes, nos belles certitudes impérialistes

nous fonde.

La musique brise ses chaînes, sort de la

cadencées par les fifres et les tambourins,

soute, pousse un cri primal, à la toute fin des

nos petit salons à la Verdurin où s’expriment

années 1950. Elle s’appelle Ornette Coleman

les idées reçues. Que

(1930-2015). C’est une divinité, forcément

nous ayons continué de

transgenre et transfrontalière, et il nous

composer, d’arraisonner

faut le redire haut et fort. Ornette Coleman

les terres musicales et d’en

remporte la guerre de Sécession du Son,

explorer les nouveaux

signe la déclaration universelle des droits de

continents suppose une

la musique, élargit définitivement la Grande

véritable force qui dépasse

Charte de l’humanité, le jour où il grave avec

les clivages classiques, la

sa formation l’album Something Else!!! (1958). Il

dialectique du bien et du

y eut là un avant et puis un après. Et Dionysos

mal, la morale du marché,

vit que tout était beau et il choisit alors de

etc. Cette free musique-là,

ne pas se reposer. La dérive, la rave, le rêve

ce n’est pas « j’ai fait un

d’une liberté totale, absolue, exponentielle

rêve », c’est LE rêve dans

et explosant-fixe : la supernova free-jazz

sa concrétude sonore :

coule dans les veines du premier film de John

l’inouï provoque une

Cassavetes, Shadows (1959), et le flot est depuis

onde de choc esthétique

intarissable, sans l’ombre d’un doute, quelque

telle que les conséquences en sont

chose, là, advint et tout fut transformé.

incomptables. Combien de regards

Quoi ? La mer allée avec le soleil ? Oui. Un

amoureux aux sons d’un Coltrane, d’un

nouveau corps amoureux ? Oui. Et ce jazz-là

Miles, d’un Dylan ? Combien d’amants pour

3

Une ellipse : l’instant free-jazz Donc une chose rarement exprimée ici

127

Où se situe exactement l’envers du

Le « village nègre », cliché de Julien Damoy (Paris, 1900)

décor de la foire ?

De quoi cette mélancolie est-elle le nom ?


musique qu’on ne la réfléchit. En ces temps-là,

tion d’humains parqués dans des « cages »,

les sons javanais, japonais, bantous, congo-

non, ce qui advient, c’est AUSSI la possibilité

perdu ? Un jardin d’enfance, un jardin mul-

lais, caraïbes, maliens, émergent sur la scène

de l’amour et de l’échappée, l’émergence d’un

ticolore avec des monstres gentils ? Mais les

des expositions occidentales en live. Dans la

affect redimensionné par les sons nouveaux,

Le blues des origines, celui d’un Éden

jardins sont souvent clôturés, et peuvent

même si ces minutes sont brèves et ne durent

même devenir des zoos. A partir de la fin du

juste qu’un instant, les cerveaux sont comme

XIXe siècle, les empires coloniaux européens

contaminés par cette fascinante étrangeté.

parquent des milliers d’indigènes extraits de

Et de ça personne ou presque n’ose reparler :

leurs villages d’origine au sein d’énormes dis-

le complexe du fardeau de l’homme blanc

positifs appelés « expositions universelles » .

ou de la tristesse des tropiques perdurent

Aux États-Unis, on voit vite les choses du

aujourd’hui à travers une historiographie aussi

côté de l’Entertainment, avec le businessman

sélective qu’elle l’était du temps où la presse se

Barnum qui réinvente les spectacles de foire,

contentait d’illustrer la grandeur de l’Occident

par le cirque à frissons il met en scène des

par des images d’indigènes forcément joyeux

Indiens méchants et des Nègres dompteurs.

parce que dansants (et bons qu’à ça ?). Fonda-

Avec le recul, le regard postmoderne est tenté

mentalement, ce qui gêne ici aux entournures,

de s’arrêter sur cette image (01), qui montre

c’est que nous n’étions pas capable, entre

deux femmes et trois enfants, cinq personnes

1878 et 1931, d’offrir à ces musiciens venus

- sans nom - photographiées par un épicier

d’ailleurs, un espace d’expression réservé

opportuniste5. On s’accroche au regard de la

à une soi-disant élite, tel que l’Opéra, un

femme au centre qui scrute l’objectif tandis

théâtre des opérations bourgeois, hors-classe

que derrière elle, derrière les grillages, se

et aussi réducteur que l’étaient les jardins

profilent les ombres floues des visiteurs en

d’acclimations et autres villages reconstitués.

goguette, melons, panamas, cannes et cor-

Mais tous ces hommes ne se sont-ils pas

sets. Ce qui m’intéresse ici c’est le hors-champ

en définitive rencontrés ? Oui. Les grillages

du hors-champs : cette photo, quand elle est

arrêtaient-ils les sons ? Non. De la musique

exposée aux publics d’aujourd’hui, prétend

comme transcodeur, comme viatique, comme

démontrer l’inexcusable, la monstration de

offrande et surtout comme impossible à con-

mères arrachées à leurs terres d’origine. Mais il

tenir en un espace hermétique.

4

y a la musique.

Le procès Affiche lithographiée de l’imprimerie Camis (Paris).

« Je ne te parle pas ... je chante pour moifoule, parmi les badauds hilares, effrayés, il y

même,

Ces expositions — comme ici à Genève

a bien le petit Ravel ou les jeunes Debussy et

Et je pense ... il n’est pas défendu de penser,

en 1896 — attirèrent dit-on des millions de

Satie « eyes wide open », et il en est d’autres, et

Je pense à certain officier,

visiteurs. Mais il s’en est suffit d’un et d’un

d’autres encore : comprenez bien le processus

A certain officier qui m’aime,

seul, pour que le regard sur l’étrange étranger

en marche, comprenez bien ce qui advient

Et que l’un de ces jours je pourrais bien aimer. »

soit autre chose que le dégoût, la honte ou

à cet instant-là, ce n’est pas uniquement le

la curiosité malsaine. C’est quand ce regard

regard du voyeur, ce n’est pas juste le côté

est celui de l’écoute : on écoute moins la

rétrospectivement monstrueux de la monstra-

128

Carmen de Georges Bizet, acte I scène 10

Nous devons admettre le primat de la


rencontre au regard du désordre musical,

du jardin originel. Alors je lui demande

hontas, et que celui-ci ramena à Londres :

dans cette chose très concrète qu’est la

au gardien : « Quand pourrai-je allé au

la dernière tragédie du dramaturge, La

performance . Qu’est-ce que cette pluie

jardin, quand donc pourrai-je rejoindre

Tempête, est la seule qui nous semble

d’autres/hôtes, ces notes étranges, qui

les musiciens et me fondre avec eux, et

marquée par cette histoire qui défraya les

adviennent à la fin du XIXe siècle, qui se

danser et m’abandonner et me donner

chroniques. N’y voit-on pas en effet un

rencontrent, qui provoquent la rencontre,

moi aussi ? » Et puis les années passent. Le

navire échouant sur une île lointaine, et

qui accordent en accords et désaccords,

gardien est toujours là. J’attends. Il attend.

Prospéro de se poser la question fonda-

en dièse quand la rupture se produit sur

La mélancolie a des cheveux blancs et le

mentale : où est-ce que je suis chez moi ?

la ligne des basses et au fil des doigts ?

poids des années fendille mes certitudes.

Rencontres évitées, esquivées, à peine

Pourtant l’espoir reste intact, car, de temps

effleurées, rencontres brèves, rencontres

en temps, le gardien laisse filtrer quelques

durables mais, toujours, provisoires. Ici,

notes par le judas, et cette échappée suffit

je n’idéalise en rien ces instants brefs, car,

à nourrir mon rêve. Quand la mort viendra

précisément, ils ne sont rien, l’Histoire n’en

frapper, je lui demanderai : « Mais dis-moi,

150 ans d’inventions de l’Autre, sous la

dit rien, le grand récit officiel de l’Histoire

pourquoi suis-je seul à attendre devant

direction de Pascal Blanchard, Nicolas Ban-

ne parle jamais de ça. Un siècle plus tard,

cette porte depuis tout ce temps ? » Et au

cel, Gilles Boëtsch, Éric Deroo et Sandrine

Gil Scott-Heron dit « the revolution will

moment même où j’expirerai, il répondra :

Lemaire, Paris, éditions La Découverte,

not be televised (…) the revolution will

« Eh bien, cette porte close, vois-tu, n’était

2011.

be live » . Car nos cages sont toujours là.

là que pour toi et moi qui suis ton gardien,

Elles sont là et nous ne les voyons plus à

maintenant que tu meurs, je disparais ».

6

7

force de nous convaincre que c’est tout

3 « Sensation », poème d’Arthur Rimbaud composé en mai 1870. 4 Zoos humains et exhibitions coloniales.

5 Négociant en vins aromatisés et épicés, Julien Damoy (1844-1941) fit com-

de même mieux aujourd’hui qu’avant, du

Osez franchir les portes de la percep-

temps des colonies, du temps de la lutte

tion du temps où vous vivez, et n’attendez

stéréoscopiques tirées, entre autres, de

des classes, du temps de la ségrégation,

pas de dire aux vivants que vous les

l’exposition universelle de Paris 1900.

du temps où la planète était un peu moins

aimez : ainsi crie-t-elle, à tous nos sens

standardisée et où les Blancs étaient entre

rendus poreux, la musique, et c’est bien ici

eux et les autres, tous les autres, restaient

une partie de son secret et de sa grande

courant souterrain du matérialisme de la

chez eux. Serait-ce donc que la musique

force, que nous aurions tort d’oublier

rencontre », In : Écrits philosophiques et

quand elle brise les règles pour mieux

quand il s’agit d’écrire comment se con-

politiques, tome I, Paris, Imec/Stock, 1994.

nous réinventer (et procéder ainsi à la per-

struit l’humanité.

formation d’un nous), dans sa brève mais grande force subversive, par ses effets

6 Lire Louis Althusser (1982), « Le

7 Surtout dans sa première version Notes

incalculables et souterrains, en se jouant des barrières et des couleurs de peaux,

merce d’éditions de cartes postales de vues

“African drums” sur l’album Small Talk at 125th and Lenox (1970).

1 Das Rheingold, opéra joué pour la

des origines et des noms, serait-ce donc

première fois le 22 septembre 1869 à

qu’elle ferait encore peur ? De quoi a-t-on

Munich, premier opus du cycle du Ring des

(EHESS), écrivain, enseignant et scénar-

peur, en fin de compte ?

Nibelungen (« L’Anneau des Nibelung »).

iste. Il est l’auteur de plusieurs romans, de

Je suis devant la porte qui ouvre au grand chant du monde. Un gardien se

Philippe Di Folco, est chercheur

nombreux essais et a dirigé la conception 2 William Shakespeare (1564-1616) est

de deux dictionnaires encyclopédiques

tient devant. Parfois il entrouvre la porte.

contemporain de l’aventure extraordinaire

de sciences humaines :aux PUF et chez

Et j’entends la mélodie du bonheur, celle

du capitaine John Smith, épris de Poca-

Larousse.

129


ART TALK

LA DISSIDENTE DISSONANCE DE LOUISA BABARI & JAY ONE RAMIER Camille Moulonguet

Louisa Babari et Jay One Ramier ont composé à quatre mains deux pièces sonores en 2013 : DC1 pour la commémoration de

Qu’est-ce qui vous a rapproché toi et Jay pour cette pièce sonore ?

cette œuvre ? Ce projet venait illustrer le jour de la

D’abord il y avait un tronc commun

commémoration de la fin de la traite au

la fin de la Traite au Musée du quai Branly et

culturel et musical : la musique électronique

musée du Quai Branly. En fait nous nous

« Roaming for » sur le thème de la frontière

allemande, la musique des années 80 et le

sommes rendu compte qu’il y avait une

présentée au Festival « Orient’art Express »

rock. Nous avons en commun un rapport aux

pluralité des mondes de l’esclavage et que

à Oujda au Maroc. Ils plantent ainsi coup sur

sons froids et à la techno froide des années

les Caraïbes se partageaient un héritage de

coup des décors étranges et saisissants en

90, Jay ayant vécu à Berlin dans les années

ces temps-là tout à fait différent selon les

réalisant une forme de surréalisme sonore,

90 et moi ayant été nourrie de l’émergence

îles et les régions. Ce qui était intéressant

superposant les temporalités et les espaces

de l’électro à la même époque. Nous avons

c’était de choisir des sons qui dans une

dans une narration qui se joue audacieuse-

ce panthéon musical commun. Et puis, bien

première approche pouvaient paraître loin

ment du thème abordé. Un travail holistique

entendu ce qui nous a rapproché c’est cette

et représenter un contrechamp complet par

qui convoque les archives, les faits divers, les

proposition de Pascale Obolo qui nous per-

rapport à ce que l’on pouvait trouver dans

enregistrements sonores, les morceaux de

mettait de contribuer par une œuvre sonore

les sonorités popularisées pour représenter

musique, une trivialité sonore qui donne à ses

à un film muet tourné en super 8. L’idée était

la mémoire sonore de l’esclavage. Jay a

pièces une épaisseur presque tangible. Louisa

d’apporter une sorte de contre-champs

apporté à la pièce une sorte d’irrévérence

Babari raconte comment ces pièces se sont

anachronique sur ce que pouvait représenter

et une audace qui tranchent, qui agressent.

construites.

pour deux artistes l’un guadeloupéen et

Il y a le témoignage sonore des banlieues

l’autre d’origine algérienne cette mémoire de

américaines aujourd’hui, toute la violence

l’esclavage. Jay qui avait vécu en Guadeloupe

qui se perpétue dans ce sui reste de

pour le film de la réalisatrice Pascale Obolo

pouvait témoigner de ce qui restait de ces pra-

cette histoire de l’esclavage au sein des

« Déambulation Carnavalesque » filmé en

tiques de l’esclavage dans la vie quotidienne

populations afro-américaines. Cette œuvre

super 8 à Trinidad et Tobago le jour du « Jou-

des Guadeloupéens.

là, témoigne de ces empreintes, des mondes

Au sujet de DC1, oeuvre composée

vert » qui célèbre la libération des esclaves en 1838.

130

complexes de l’esclavage que l’on retrouve Qu’avez vous voulu transmettre avec

encore aujourd’hui à la fois aux Antilles,


en Amérique du Nord et en Europe. On a

lignée de mes autres travaux. Des émeutes

les barbelés, les guerres, la violence. On voit

juxtaposé des musiques électro avec des

de Ferguson à la manière dont la France traite

dans notre triste actualité que c’est un endroit

témoignages de faits divers car cette violence

cette histoire-là, ce sont autant d’attitudes qui

de mort, de survie, de séparation. Et puis le

a pour nous un lien direct avec cet imaginaire

montrent que les traces de l’esclavage existent

morceau de Patti Smith était une anti-cham-

sonore autour de l’esclavage.

fortement aujourd’hui. Et il y a encore beau-

bre pour faire exister tout cela.

coup de choses à dire sur le sujet. Comment liez-vous les morceaux de musique et les extraits de sons de la vie ? Il y a un travail sur une discontinuité au sein d’une continuité narrative. Il y a une narration

Quelles sont les images que vous avez Au sujet de « ROAMING FOR » présenté par le curateur Azzeddine Abdelouhabi au festival « Orient’art Express » de Oujda.

avec un personnage qui est dans la fuite, le bateau, le continent de départ. On a traité plusieurs moments de cet imaginaire là. On a traité le chant comme réminiscence de la

convoquées pour composer cette pièce ? Les idées de déplacement, de doute, de déroute, de séparation physique des corps sont très présentes. Nous avons mis en place

Pourquoi avoir voulu travailler à nouveau avec Jay ? C’est très important pour moi dans une

des univers discontinus, des chuchotements, tout ce qui pouvait symboliser l’être humain aux prises avec cette notion de frontière. Pour

terre laissée mais également comme faisant

collaboration d’avoir une famille d’esprit, de

nous ça évoquait pêle-mêle un film coréen

apparaître l’espoir d’un avenir meilleur. Il y a

goût. Il y a beaucoup de choses que nous

« Joint Security Area »sur la frontière entre le

la nostalgie du temps quitté mais également

n’avons pas besoin de dire lorsque l’on travaille

Sud et le Nord aussi bien que les frontières au

la composition d’un nouveau langage dans

ensemble. Là il s’agissait d’une commande

Maghreb, le cas de l’Algérie et du Maroc et les

le même mouvement. La musique témoigne

sur le thème de la frontière. Les relations

émeutes des années 50 ou encore le cinéma

à la fois de la perte et de la volonté de survie.

entre l’Algérie et le Maroc étant toujours très

de guerre et notamment « Casablanca »

Et les sons que l'on a collecté à différents

tendues au sujet des frontières, c’était plutôt

qui est un film qui parle du couple « zone

moments sont là pour exprimer une forme de

courageux de la part du commissaire d’inviter

occupée-zone libre » et de la migration. Et

chronologie où les époques, même les futurs,

des artistes et des penseurs du Maghreb à

puis nous avons également mis une séquence

se fondent.

échanger autour de cette notion de frontière.

qui témoigne de la migration mexicaine aux Etats-Unis, où les familles sont séparées et

Comment s’inscrit dans ton travail cette œuvre là ? Elle fait écho à ma façon de travailler

Quel était le point de départ de ce travail ? Pour cette pièce, nous sommes partis

ne se revoient plus pendant des années et la manière dont les enfants vivent aussi ce passage. Ce qui nous a intéressé c’est aussi la

avec le son. Dans mon travail j’ai toujours

d’un postulat qui était une chanson de Patti

manière dont la musique peut s’ échapper

l’impression de construire des films, c’est

Smith, une balade « We three ». Et là encore

d’un champ pour en rejoindre un autre, des

peut-être parce que je viens de ce champ

une fois, dans cette thématique de territoire,

collaborations qui pulvérisent la notion de

là. Le son pour moi représente une vision et

de frontière, cette balade constituait un hors

« domaine protégé ».

c’est à partir de ces visions que je construis

champ. Cette chanson est construite un peu

mon rapport au sonore. Donc pour moi le

comme un slow ou une chanson de crooner

Aujourd’hui les frontières sont particu-

son est toujours un rapport à l’image. Pour ce

des années 60. C’était aller tout à fait ailleurs

lièrement liées à la violence et la mort, à la

travail sur l’esclavage ce qui m’intéresse c’est

et en même temps cela sous entendait une

fois plus que jamais consolidées et remises

la contemporanéité du thème et la manière

sorte de désert, une pièce vide, un juke-box…

en cause, comment te situes-tu par rapport

dont ce travail s’inscrit dans une période

un morceau que tu peux écouter chez toi,

à notre actualité ?

post-coloniale, post-apartheid. C’est le fait que

une intimité vide de bruit. La frontière c’est

l’on vive avec aujourd’hui qui m ‘intéresse.

une notion qui sous-entend à la fois le rien, le

émigré d’Union Soviétique vers l’Algérie, et de

C’est à ce titre là que cette œuvre est dans la

vide, le désert, et aussi le bruit, la migration,

l’Algérie, je suis arrivée en France. A l’époque

131

Mon histoire personnelle a fait que j’ai


passer ces frontières là, c‘était quelque chose ! J’ai gardé de cette expérience d’enfance une peur terrible de passer ces frontières. J’étais hantée à la fois par la question du non retour et celle de ne pas pouvoir passer. Aujourd’hui quand je vois ce qui se passe, quand je vois les populations passer les frontières libyennes, soudanaises, hongroises, j’ai extrêmement peur pour eux. Dans l’histoire de ma famille nous avons été confronté à ce passage d’un bloc à l’autre. Quand je vois les images des réfugiés syriens, soudanais, je suis terrifiée. Leur témoignages me bouleversent.. C’est effroyable ce que ces gens sont en train de vivre aujourd’hui même. Y aurait-il quelque chose à réinventer pour faire « reculer » les frontières ? Déjà il faudrait redéfinir le droit d’asile car aujourd’hui en France le droit d’asile est bafoué. Il faudrait déjà respecter la convention de Genève qui a défini le cadre de ce qu’est le droit d’asile, ce serait la première chose à faire. Car l'on est en pleine régression. Nous vivons une situation sans précédent avec une prise en charge digne du régime de Vichy. Les migrants sont accueillis comme des chiens, ils vivent en France un deuxième cauchemar.

Crédits photos : Louisa Babari, Oujda, Maroc.

132


133


ART TALK

DIN OF HABOURED DREAMS Nomfusi’s Decolonial Flashback At Mqhayi Through Biko Rithuli Orleyn

Boukman’s call to “throw away the symbol of the god of the whites who has so often caused us to weep”1, curiously

Driven out by the imiDushane/Over a dispute about which god to…”

knitted in –gqush-(a) that the use of the word ‘dispute’ mutes. More appropriately

3

There’s a displacement of meaning in

the phrase by Mqhayi should translate

resonates with S.E.K Mqhayi’s literary

the highlighted last line of quoted stanza

“querulous God.” This scathing indictment

work. What comes to sharp focus about

above, a trans(mute)-ation caused by

of the Christian God attribute broaches

this unlikely resonance is that Mqhayi was

translation. Now let’s look closely at the

closer to Mqhayi’s isiXhosa origin than

a reputed ikholwa intellectual2; individuals

trans-mute(ation) effect translation has on

the documented ‘Over a dispute about…’

notorious for languishing in civic limbo

Mqhayi’s Molotov of words, the language-

translation.

with a vacillation more towards hankering

contingent reticence that covertly

after honorary-white status. And Bouk-

mobilizes sedition in muzzled de(tone)-

by Mqhayi is able to deploy its recalcitrant

man— on a diametrically opposed end, is

ation. ‘Over a dispute about which god…’

leitmotiv wielding a cheeky sceptre of

known for voodoo-priest practices— the

is an English translation for this isiXhosa

literati activism. This Mqhayi affront is con-

clarion which rallied Haitian slaves during

phrase by Mqhayi ‘uThixo Oligqushane.’

cealed in nuance that owes its insurgency

the revolution of 1791. In a tribute— The

This English translation is rather politi-

and fugitivity to language. Perhaps it’s

Grave of The King, a poem dedicated to

cally unthreatening. Why do I say so? Let

opportune to add to our stratagem a song

river Xesi where King Ngqika of amaXhosa

me explain. If we look at the etymology

by Nomfusi, as a way to midwife Mqhayi’s

lies, Mqhayi’s stealthy affront on the Chris-

of the word Oligqushane deriving from

21st century relevance. This subversive

tian God’s attribute is scathing. He writes:

its root, –gqush-(a), something displaced

quality in Mqhayi’s work is littered in many

becomes apparent. What becomes appar-

a poem he writes in the turn of the 20th

routed our forces at Mgwangqa;

ent is the image of stomping the ground

century— poems like Ithambo LikaNonibe;

1 C.L.R. James, 1963, Black Jacobins, Vintage, New York p. 87 2 Black Christian-converts who occupied higher social strata under colonialism;

3 iZwi la Bantu December 08th, 1908 The Grave of the King (edit by Ntongela) 4 iZwi la Bantu December 08th, 1908 The Grave of the King (edit by Ntongela)

“Here we fought the white man/He

134

The subversive pounce dealt in this line

4

How Are The Mighty Fallen; Mambushe:The King’s Favourite Dog etc. However we’ve tasked ourselves here to lift one instance


of Mqhayi’s insurgent fugitivity, from the

sound”6 dictum and turns the white’s

of California Berkeley— articulates this

already mentioned The Grave of The King,

supremacist gaze to work to his advantage.

modernity scandal, as the gap that yawns

for demonstration. Mqhayi’s oral history relayed to him

between sound— the occluded Black; This fugitivity is often the only sub-

and language— the totalizing claims of

directly by his predecessors, who lived

versive strategy available to literary

through the carnage of Black dispos-

insurgents; it is that ability to attune the

session undergirds threads that share

reader’s ear to frequencies outside and

Charles Llyod alludes to when he says

commonality with Nomfusi. We shall

beneath the range of reading— sanction-

about a musical piece of his “Words don’t

qualify this claim later in the text when

ing clicks, chinks, and growls to unwound

go there”11. Perhaps Nomfusi’s brimming

we put Nomfusi’s song under meditative

fixity in language in order to insert inco-

anguish in the third verse: “[Blacks] were

spotlight. That commonality lifts from

herent sound; sounds of Black anguish.

bruised/Broken/Degraded/And isolated”,

nine dispossession wars lasting over a

This stratagem works to arrest “the

an anguish wallowing supplements to

hundred years between Blacks and whites

reduction of phonic matter and syntactic

inadequate words, work to highlight that

in the Cape of South Africa. This Mqhayi

“degeneracy” in the early modern search

this inadequacy doubles as aural (acous-

poem and Nomfusi’s song Seventeen

for a universal language.”

tic) reduction of a ninja’s silent footwork

90s become a dirge that turns “Din [to]

7

Here Mqhayi sets himself apart from

erasing Western thought. Perhaps this is the yawn of inadequacy

and nimble-fugitivity. Indeed meaning

discourse.”5

typical ikholwa intellectuals. As Nathaniel

carried by Mqhayi’s original isiXhosa

Here Mqhayi’s lamenting din hides overt

Mackey puts it, Mqhayi is “resonant [with]

poems appears embedded in affect. It

indictment: the Christian God has predi-

history of African-American fugitivity and

is coded steadfastly in subsumptions of

lection to war. “The god of the whyte (sic)

its well-known, resonant, relationship to

language— the things that go without

man calls him to commit crimes”, once

enslavement and persecution.”8

saying. This allows us to see why Mqhayi’s

counselled Boukman. Edouard Glissant’s insight— a Martini-

isiXhosa poem speaks with complexLingering on Glissant’s insight we dis-

ity too rich for English-translated text;

can writer, poet and literary critic features

cover that if the rubric of modernity was a

evidenced by meaning nimbly slipping

prominently in how we read Mqhayi’s

doughnut-shape, Blackness homology to

past. This allows us to see what Nomfusi’s

intellectual provocation to sedition and

absence would be aphasia at the centre

guttural-cries re-enact in the scarlet affair

how this provocation escapes decipher-

holding-together modernity’s coherence.

of dispossession Seventeen 90s relives.

ing by colonial gaze. Glissant says that

Moreover we discover that this rubric

when speech is forbidden, noise becomes

needs a reconfiguration. Because at this

verbal that take the rich content of the

discourse. This is not surprising because to

sight of subject-constitution an “ensemble

object’s aurality outside the confines of

the West, sounds uttered by the racial-

of objects that we might call black perfor-

meaning,”12 this piece, welding a seventy

ized subject are no-more than animal-like

mances, black history, blackness,” present

years gap between Nomfusi and Mqhayi,

growls; cackles and clicks. Consistent

“a real problem and a real chance for

foregrounds not only the belief that sound

with a Eurocentric anthropological gaze

the philosophy of human being…” and

or noise is discourse but that in sound

on kaffir languages (vernacular), which

“philosophy of history.” Fred Moten— a

embodied by a ‘commodity who speaks’,

whites regarded as rudimentary dialects,

Black studies professor from University

is an immanent discourse that disrupts

9

10

Mqhayi’s isiXhosa poems escaped what would otherwise be sedition security checks. Working against the grain Mqhayi privileges the “word is first and foremost 5 Fred Moten; 2003 In The Break: The Aesthetics of Black Radical Tradition; pg. 20

135

So in “elevating disruptions of the

the current stable paradigm; a paradigm 6 Fred Moten; 2003 In The Break: The Aesthetics of Black Radical Tradition; pg. 20 7 Ibid pg. 20 8 Ibid pg. 302 9 Ibid pg. 20 10 Fred Moten; 2003 In The Break: The Aesthetics of Black Radical Tradition, pg. 20

sustained by Black dispossession. Just as Mqhayi’s clicks on margins of 11 Fred Moten; 2003, In The Break: Aesthetics, Black Radical Tradition, pg. 54 12 Ibid pg. 19


language-recognition deliberately travel

Black lynching in the Cape to the emer-

The Apartheid Museum. S.A, Rivonia,

incognigro, effectively hiding as gross

gence of social death as a permanent

Sandton. The Apartheid Museum (Pty)

deviation from original meaning, the

feature in Black life and psyche; occasion-

Ltd.

repressed scars of Blackness in Nomfusi’s

ing a scandal which reveals that formation

Sander, R.W.‎1986. CLR James and The

voice peer through a veil that demarcates

of white corporeality suckles its vitality

Haitian Revolution. Routledge, Tailor

very thinly the zone of sanity from that

from “Blackness— the West’s most iconic

and Francis group.

domain where the potential for going

creation.”

18

Kundera, M.1999. The Unbearable Lightness of Being. New York City:

cuckoos brims threateningly. There, where Nomfusi’s sound melds into fusion with

Effectively by gleaning on Mqhayi;

Mqhayi’s fugitivity, Seventeen 90s blows

Seventeen 90s and Biko, we re-member

Harper Perennial Mail and Guardth ian. November 5 2011. The Silence

the whistle on music that political order

nuggets of story. We invoke a wiped-out

Between Notes by Van Wyk, L.

“subjunctively mute.” In growls; moans

memory archive in order to return the

and brooding saxophone roar, Nomfusi

locus of culpability to white barbarism’s

Into the Abyss he fell: How are the

“disrupts and resists certain formations of

doorstep.

Mighty Fallen, translation by Phyl-

13

IZwi Labantu September 17, 1901

lis Ntantala (compiled by Masilela,

identity.”

14

This ‘disrupt and resist’ is often missed,

Bibliography

Translation By: Phyllis Ntantala: iZwi la

or foreclosed, like Sartre errs with his ultimate dissolution of Black existentialism

Ntongela)

Biko, S. 1987. I Write What I Like,

BANTU October 27th, 1908. The Grave

into universal Marxism. Here launching a

Oxford, Heinemann

of the King (compiled by Ntongela

frontal affront, Biko’s discordant dialectic

Mostert, N.1992. Frontiers: The epic of

Masilela)

mobilize “sensuous vocality…aurality we

South Africa’s Creation and the Trag-

find in Jazz…‘sensuous outburst of [our]

edy of the

essential activity’; a passion wherein the senses have become theoreticians in their

Xhosa people, New York, Alfred A. Knopf Inc. Moten, F. 2003. In The Break:

immediate practice.”15

IZwi la Bantu December 08th, 1908 The Grave of the King, translation by Phyllis Ntantala (compiled by Masilela, Ntongela) See: Irreconcilable Anti-Blackness

Aesthetics of Black Radical Tradition,

Radio Interview with Jared Ball on I

Minneapolis, University of Minnesota

Mix What I Like! http://imixwhatilike.

outburst’ is adept in asserting this Biko’s

Press

org/2014/10/01/frankwildersonandan-

sense of refusal to being subsumed.

Ramose, M.B 2005. African Philosophy

tiblackness-2/ Transcription by Ill Will

The song weaves psychic inheritance to

Through Ubuntu. Harare, Zimbabwe.

Editions, November 2014.

experience of which Blacks have no recol-

Mond Book Publishers.

Seventeen 90s’ (the song) ‘sensuous

lection; re-membering 1790 to 1834-5 ; 16

James, J.A.1996. Resisting State

Rithuli Orleyn

stitching King Hintsa of amaXhosa to

Violence. Minneapolis, University of

contributing editor at The Con Mag

harassment; suturing violence of royalty

Minnesota Press. Morrison, T. 1970.

and political opinion piece writer

murdered and mutilation to two-thirds

The Bluest Eye. NY: Holt, Reinholt and

for Mail & Guardian

of a nation wiped out ; braiding heinous

Winston.

17

Stainbank, A. M. 2011.We Look At 13 Ibid pg. 24 14 Ibid pg. 19 15 Ibid pg. 24 16 Noel Moster; Frontiers. The Epic of South

White People And Think OH MY GOD:

Xhosa People

18 Fred Moten; 2003, In The Break: Aesthetics of Black Radical Tradition, pg. 46

True Story Of Two White Racists And

Africa’s Creation and The Tragedy of The 17 ibid

136


137


Seventeen 90s composed by Rithuli Orleyn Lyrics

with

Translation/interpretation

Verse 1790s

Till 1834 Zaf’ iDarkies Buz’ uMamakho

Verse

1790s Till 1834 Blacks died Ask your Mother (elders/ancestors)

Restless settlers Scramble pots of gold Behind rainbow Kukhal’ riffle-butt

Abangenaxolo nazinzo Baxhwithana ngegolide Ngaphaya kwe rainbow Clouts riffle-butt

Chorus

Beziba Zithwala Amatyalazo

They blamed one another

Neziqalekiso

For settler’s massacre

Zikathixo Waz’

Many thought it was Sanctioned By the gods

Verse

To punish their sins

Their lack turned to be black

Ngombayimbayi sathathelwa

Darkies loom large

Neenkokheli zasityeshela

After bullets rain

Bubo obo ubumnyama

Cheated betrayed

Kukubunjwa ngentswelo nombayimbayi

Verse

Abundance shrink

Ubutyebi banqina

Picket fences increase

Ama hesi(huis) alinywa

Pickets loom large

Toy-toy yamila

In every second street

elokishi

138


Chorus

Beziba Zithwala Amatyalazo Neziqalekiso Zikathixo Waz’

Bridge

They blamed one another For settler’s massacre Many thought it was Sanctioned By the gods To punish their sins Swayed

Zibe

That this

Zithwala

Was their

Matyala

Yoke

Az’

Solo Sax

Chorus Bantu abantsundu

Lead Improvise

Sizwe esimnyama

My African people

By their gods

My Black Nation

To punish their sin

Verse

Sonakalisiwe

They were bruised

Sophukile

Broken

Silinxiwa

Degraded

Iintsalu nembacu

Isolated Verse

Joined by sound and dance

Bemanyene ngomngqungqo

Stitched with love

Bethungwe ngothando Fik’ umdubi Wenzimbambano

139

Came along settlers To balkanize us


ART TALK

RAPTURE

L’en–verre et son, une musique céleste…

Hafida Jemni

Camille Norment, Rapture, 2015, Mixed Media, Installation view at 56 th Venice Biennale ©Designboom

« L’œuvre d’art est réussie quand elle n’existe pas uniquement dans l’espace, quand elle se joue dans l’ « ici et maintenant », grâce aux relations interhumaines qu’elle déclenche. Ce processus temporel n’est possible que si l’œuvre est « transparente », c’est-à-dire si elle laisse apparaître son processus de fabrication, de production ainsi que le rôle qu’elle donne aux spectateurs. L’artiste produit des échanges entre les gens et le monde, l’art se place donc comme un troc du sens ». Nicolas Bourriaud, in « L’Esthétique relationnelle »

140


À la 56e Biennale de Venise (Giardini) et

« Rapture », est articulée autour de trois

Le Pavillon des Pays Nordiques, dont

pour la première fois, la Norvège est désignée

parties : une installation sculpturale qui mobi-

l’architecte est Sverre Fehn (1924-2009), a été

responsable de l’unique programmation du

lise design, architecture et son, un ensemble

construit en 1962. A cette occasion, il obtint le

pavillon nordique.

de performances réalisées par des musiciens

lion d’or pour son pavillon présenté à la bien-

et des vocalises et, enfin, une série de trois

nale de Venise la même année.

Pour cette occasion, Katya García-Antón, la directrice et curatrice de l’exposition de

publications. À ce projet permanent accessible

l’Office for Contemporary Art Norway (OCA), a

à tous, une série d’événements publics est

cohabitation d’oeuvres provenant de trois pays:

sollicité l’artiste Camille Norment, pour dével-

programmée au sein même de l’installation,

la Suède, la Norvège et la Finlande. L’intuition

opper un projet artistique inédit dans l’espace

et élargit son champs narratif telle une com-

lumineuse de Fehn a été de créer un espace

dédié.

position spéciale réalisée par une chorale à

unitaire qui remémore la lumière nordique,

douze voix, ainsi qu’une performance impli-

homogène et sans ombres, de la Scandinavie.

« Si l’artiste interroge le monde dans lequel il vit, la Biennale de Venise se veut plus que

quant son instrument de prédilection, l’insolite

jamais le reflet de ce monde au bord du chaos.

harmonica de verre.

Le défi de ce projet devait résoudre la

C’est un projet parabolique dans l’oeuvre de Sverre Fehn, qui associe structure et

Le Colombien Oscar Murillo annonce la couleur

technique comme un langage exprimant une

dès l’entrée des Giardini avec ses immenses

COMMENT CAMILLE NORMENT

« histoire poétique », entre matériaux, lumière

drapeaux noirs en berne : « Blues, blood, bruis

S’EST – ELLE EMPARÉE DU LIEU, DE SES

e » (blues, sang et meurtrissures). »

CONTRAINTES POUR ÉLEVER LE SON AU

Le travail de Camille Norment s’énonce

RANG DU SUBLIME ?

et l’intégration dans un lieu, ici le jardin. Sverre Fehn dit que « dans ce domaine, comme dans les autres, je crois qu’il faut

plutôt sonore, escortant la performance,

combattre l’indifférence. S’intégrer précisé-

l’installation et le dessin d’une manière ou

1° Le site d’origine

ment, volontairement dans un site. Ne jamais

d’une autre. Elle considère le son comme un

Au début du siècle dernier, la ville de Venise

regarder la nature de façon romantique.

médiateur puissant du corps et un construc-

proposa l’idée d’une exposition internationale

Mais créer entre elle et votre intervention,

teur des identités culturelles. Elle nourrit son

artistique accompagnée de la construction

une tension. C’est ainsi que l’architecture acqui-

œuvre d’une mémoire vivante, du mythe et

de quelques pavillons, chacun représentant

ert sa lisibilité et que nous retrouvons l’histoire

de compositions acoustiques. Il en résulte des

une nation qui participait à la manifestation ;

que nous avons à raconter»

immersions sensorielles et des expériences

pavillons qui devaient être le cadre d’une expo-

viscérales et poétiques, avec des bruissements,

sition d’installations de nature artistique et/ou

ité : Sverre Fehn avoue éprouver une certaine

nées des

architectonique.

fascination pour les contrastes, et en fait la

Une architecture basée sur la dual-

difficultés d’accès des unes aux autres. Camille Norment a élaboré un projet original, « Rapture », une oeuvre assoiffée, un ogre anthropophagique, féroce qui dégaine ses sons.

Une installation sublime dont les composantes matérielles sont minérales (pierre, métal, verre, bois), complétées d’un atout majeur le SON, avec lequel l’artiste sculpte, modèle des figures singulières, qui suintent les voix de ceux qui n’ont jamais voulu nous quitter et que l’on ne peut balayer par l’oubli. Est-ce la complexité humaine?

141

Camille Norment, Rapture, 2015, Mixed Media, Installation view at 56 th Venice Biennale ©Designboom


force constitutive de ses projets.

murs (deux opaques en pierre, et deux trans-

verre, interrompu par des failles qui blessent ?

Il s’attache à respecter la nature, chaque

parents en verre) organisent l’espace en deux

(l’avertissement muni d’ un logo une petite

projet est intimement lié et dialogue avec elle.

entités de part et d’autre d’une diagonale

main barrée - ne pas toucher - prend son sens

De manière forte, parfois abrupte, le bâtiment

imaginaire, soulignée par la présence de trois

critique et esthétique )

doit mettre en valeur le site.

arbres dont on ne voit de l’intérieur que les

L’architecte norvégien travaille également

troncs et qui traversent le plafond et dont les

beaucoup sur la thématique de l’horizon,

parties supérieures, déploient ses branches-

lien entre terre et ciel. Selon lui les toitures

libres- à l’extérieur du bâtiment. Le plafond

plates de Le Corbusier recréent cet horizon,

ouvragé de réseaux de lamelles, s’ouvre

que les hommes ont perdu depuis la décou-

périodiquement sur le ciel.

verte de la terre en tant que globe. L’architecte nourrit une fascination des

turale, intrinsèque au pavillon nordique qui devient connivence et Camille Norment tisse

la vie et la mort. Il considère ses réalisations

du sens au sein de ce récit sonore, un rappel

comme des objets vivants, ayant pour objectif

imposé autour du vivant, et de la liberté de

de surpasser la mort, et à priori la mort de

grandir sous contrainte soit une métaphore de

l’architecte.

l’enracinement du vivant, dépit de l’inerte est

2° L’ ŒUVRE PRÉSENTÉE Camille Norment déploie une œuvre

possible… Paysage étonnant ! Le plafond, constitué par des milliers de lignes régulières, laisse transparaître la lumière

majeure qui soumet le visiteur à la contrainte

du jour, avec des ouvertures sur le ciel, le

ou à l’épreuve du son.

vivant via les branches des arbres.

Que voit-on ? Le Pavillon Nordique, une salle d’environ

L’accès au pavillon se fait par le jardin côté vitré vers le fond, vers le mur en pierre.

200 mètres carrés, dans un état de désola-

Une circulation de l’espace aérien vers

tion, condamné, et dont les deux façades

l’espace dur donc de la lumière vers la pénom-

donnent sur le jardin, les baies vitrées

bre. Les deux murs en verre débouchent sur

renversées, brisées par un souffle puissant.

le jardin.

Au centre, un dispositif produisant du son

La virtuosité créative de Camille Norment,

dématérialisé et programmé. Il est composé

s’est emparée de ce lieu, périlleux pour y

de haut-parleurs, diffusent un chœur de huit

inscrire une partition afin d’y faire résonner

voix reproduisant les notes d’un orgue de

ses fantômes au-delà de toute contrainte.

verre. La résonance des chants sur les baies

L’architecture du bâtiment d’apparence

vitrées produit des sons captés et diffusés

neutre est minutieuse avec des figures imma-

en retour. L’artiste créée une proposition

nentes comme l’éclairage et trois arbres

concrète d’interactions qui constituent

supplantés au milieu.

des espaces -temps de l’échange. Interviennent donc les notions de proximité et

L’INSTALLATION S’EST ANCRÉE DANS CE

d’immédiateté.

BÂTIMENT …

Le pavillon, telle une salle de concert est une pièce unique spacieuse dont les quatre

142

hauteur conséquente, dégage un éclairage,

Une prouesse ou une contrainte architec-

ombres et de la lumière, de la dualité entre

Le pavillon occupe un volume d’une

S’agit-il d’une galère ? Est-il question d’un radeau échoué ou un monument de

Camille Norment, Rapture, 2015, Mixed Media, Installation view at 56 th Venice Biennale ©Designboom

modéré entre lumière du jour à proximité des baies vitrées et lumière artificielle de l’autre pendant, induisant de fait, une porosité irréelle entre une promenade intérieure, puis vers une autre extérieure qui débouche sur l’espace épargné du jardin. Un territoire délimité, dévasté par le plein et le vide. Espace minéral, avec un parterre lisse sans encombre, muni d’un dispositif polyphonique dispersant du son, un souffle tel une composition souvenir de l’avant ou de l’après coup. Un monde à l’agonie ? Le son provient du fond, partant de l’angle de la pièce, formé par les deux murs solides et contigus ; du plafond sont suspendus huit micros orientés vers le sol, qui émettent des sons à la manière d’un orchestre, en solo, ou en un ensemble polyphonique orchestré par des respirations parfois saccadées, ou sous forme de souffle. Le son émis est plus ou moins audible, plus ou moins dense - polymorphe - « en interaction », avec le visiteur. Il se métamorphose au contact comme la lumière, traverse l’auditeur et se transforme


à sa rencontre. Est-ce une résistance à son

qu’on tente de démêler de cette partition

instrument auquel on a accordé au fil du

trajet ?

soudain indéchiffrable.

temps des vertus thérapeutiques avant de le

La cloison en verre, élément constant du

Au niveau organique, cette vision a des

bannir au XIXe siècle pour ses prétendus effets

bâtiment a été intégrée dans la dramatur-

répercussions dont les sonorités forment

de stimulation de comportement hystériques

gie de l’arrangement scénique.

une caisse de résonance d’un trop plein ou

féminins, empêcher les excitations sexuelles,

De part et d’autre des cloisons

trop vide provoquant un morcellement, où

étouffer l’extase, ainsi que l’agitation mentale

(en verre) sont entreposés des cadres

l’enveloppe cède, surface trop remplie, sous

conduisant à la folie.

indemnes de toute représentation graphique,

pression au point de s’éclater par ce vent de

de contours blancs dont l’intérieur en verre est

folie et de son. C’est un ravissement...

La réception de cette œuvre - dans l’abord de ces composantes complexes - ébranle

accidenté ou brisé ; formant une portée d’ici

nos mémoires, dans

et là. L’accord, qui s’en dégage est assimilable

ce couloir étroit

à des volets désagrégés ; sont-ils soufflés par

de la séduction

une pression infinie ? Le sol à proximité immé-

et de l’abandon,

diate est couvert d’un semblant de mosaïque

où l’errance à la

(désenchanté), de ces morceaux éclatés en

recherche d’un

taille et en forme. Le tout est comparable

endroit meilleur

à une membrane ou une façade rompue !

est momentané-

Cette succession de tableaux disloqués,

ment suspendue !

émiettés, défoncés peut interroger la situation

Son chemine-

de l’art contemporain, dont le marché incon-

ment ou l’équivalent

trôlable tend vers une métamorphose

de son après-

sonnant le vide, la pression, et le bruit.

coup convoque des

Le matériau en verre confère une dou-

fantômes, comme

ble approche, celle d’ une matière transpa

l’évocation du

ente, inerte, laissant passer la lumière, et aussi

tableau de Géricault

matière douée d’une sonorité intrinsèque,

« Le Radeau de la

et d’un pouvoir céleste, source d’ouverture et de nouvelles expériences La façade, siège de l’infraction est comme une coque de navire abîmée. S’y affichent des reflets, qui absorbent le paysage extérieur - sain - de Giardini et le convertit subitement en une perspective, une autre, celle de la désolation. Car, s’y placarde la silhouette du visiteur, qui en prend un coup, se disperse et épouse à son tour des contours fragmentés dans leur intégrité, prise au vent, aux débris, à la contraction d’une image reflétée prescrite si ce n’est imposée et de fait nous implique dans l’incompréhension de ce qu’on voit, ce

143

Camille Norment, Rapture, 2015, Mixed Media, Installation view at 56 th Venice Biennale ©Designboom

AUX PRISES DE RÉFÉRENCES LITTÉRAIRE ET ARTISTIQUE L’acception du titre « Rapture », et son extension confère à l’œuvre plusieurs sens : l’action de ravir, d’enlever de force, le fait d’être ravi, transporté au ciel, et enfin l’émotion éprouvée par une personne transportée de joie et dans une sorte d’extase. Ce sont les trois sens à la fois que l’on retrouve, mêlés dans l’œuvre de Camille Norment, ils régissent à la fois le principe de l’installation de verre, le son, la musique, transporté par « l’orgue de verre »,

méduse », c’est une œuvre cannibale, le visiteur l’observe, mais elle le dévore dans des douleurs entre ciel et terre, de l’(in)-hospitalité. Le visiteur, rescapé de son histoire intime ou pas, est un témoin impuissant, il sort de cette rencontre comme transfiguré, et, par la fuite. Car ici, dans « Rapture », il n'y a point de confort, ni de place ! C'est une aire hostile et éventée pour l’errance prolongée, point de coin où il fait bon d’y vivre ! Dans « Le ravissement de Lol V Stein », de Marguerite Duras, Lol V. Stein, une jeune femme qui semble avoir perdu a - raison pour


avoir vu, lors d’un bal, son promis succomber en un instant à un irrévocable coup de foudre pour une autre. L’histoire nous est racontée par un homme, Jacques Hold, qui aime Lol au moment où il raconte cette histoire, soit une quinzaine

vibrations du verre. Elle modélise, à travers un dispositif de verre brisé, et des micros émettant du son, des espaces dont les composantes sont ancrées dans la perception plurielle. Ce ravissement met en correspondance,

d’années à la suite du choc inaugural, (le

une narration ouverte qui conjugue une

ravissement). Après ce bal tragique pour

topologie sonore circulaire, un panorama sur

elle, Lol est restée longtemps prostrée et

les incidences du son et de son rapport au

étrangère au monde puis, d’une façon pour le

corps, ainsi que la manière dont l’empreinte

moins grossière, elle a rencontré un homme

sonore, en tant que expérience affecte notre

qu’elle a tout de suite épousé. Cet homme,

connaissance de soi, et notre rapport à l’autre.

Jean Bedford, l’emmènera et lui fera trois

Soulevant des questions autour de l’aliénation

enfants. Lol semblera reprendre, fragilement

et de l’émancipation, Camille Norment

une vie « normale ». Pour revenir finalement

monopolise le pouvoir de la dissonance,

sur les lieux de son drame…

pour accorder une identité à de nouvelles

Ce dispositif qui enserre le visiteur-acteur brouille les frontières entre œuvre plastique et œuvre sonore, et se donne comme un

perceptions qui projettent le spectateur dans des paysages sonores et des intérieurs divers. Alors on y reste, et on s’y attarde ou au

spectacle total. La définition qu’en donne

contraire on évacue le lieu en quête d’un

Antonin Artaud s’adapte entièrement à cette

autre plus acceptable.

œuvre : « C’est pour prendre la sensibilité

du spectateur sur toutes ses faces, que nous

Jacques Lacan, « Hommage fait à Mar-

préconisons un spectacle tournant, et qui

guerite Duras, du Ravissement de Lol V.

[…] répande ses éclats visuels et sonores sur

Stein », Les Cahiers Renaud-Barrault, n° 52,

la masse entière des spectateurs ». (Antonin

1965.

Artaud, Le Théâtre et son double, 1964, pp.132133.) La déambulation dans l’œuvre de Camille Norment, renvoie tout naturellement

Nicolas Bourriaud, l’Esthétique relationnelle, éditions Les presses du réel, Dijon, 2001.

l’installation de Cerith Wyn Evans et Throbbing Gristle, A=P=P=A=R=I=T=I=O=N (2008) Les deux artistes interpellent le visiteur,

Hafida Jemni est diplômée de l’institut

son image est modifiée, morcelée et fugace

d’études supérieures de l’art, curatrice,

dans les verres brisés des cadres.

enseigne l’art contemporain d’Afrique et sa

Le travail Camille Norment s’inscrit dans le

diaspora à l’IESA Paris

champs des : performance, installation, dessin et son. Elle réalise et compose sur le légendaire l’harmonica de verre, un instrument inventé par Benjamin Frankin qui peut paraître enchanteur ou atroce, selon le terrain et les

144

Camille Norment, Rapture, 2015, Mixed Media, Installation view at 56 th


h Venice Biennale ŠDesignboom


ART TALK

C A B

CARAÏBES, AFRIQUE, BRÉSIL

MARIO CANONGE

ENTRETIEN AVEC SELOUA LUSTE BOULBINA SELOUA LUSTE BOULBINA

146


La Martinique

gie. La plupart des jeunes antillais partent

Pierre-Olivier Gauvin au saxo et Pierre-Michel

également en France, au Canada ou ailleurs.

Balthazar (dit Bago) aux percussions. Nous

J’ai eu la chance d’arriver au bon moment ;

étions six, avec des influences et des cultures

un pianiste ayant presque reçu une formation

j’ai provoqué aussi les choses en allant à la

différentes et avec le jazz pour dénominateur

d’université de la rue car les véritables écoles

recherche des gens intéressants dans l’art (arts

commun. Nous avons tous composé. Expé-

de musique n’existent pas aux Antilles alors

plastiques, danse). Césaire avait créé le Sermac,

rience fondamentale. Par la suite, chacun

que, paradoxalement, les gens y sont très

à la fois école et lieu pour les artistes : les

d’entre nous a commencé à avoir une carrière

musiciens. En Martinique et en Guadeloupe,

jeunes y venaient danser, construire des instru-

singulière et a pris des chemins différents mais

il y a une vraie tradition du piano. La plupart

ments, suivre des cours de danse et moi, pour

nous sommes tous connus dans le milieu de la

des musiciens se forment à partir des disques

un pianiste extraordinaire, Chyco Jelhman, qui,

musique.

et avec les anciens. Il s’agit d’une transmis-

comme moi même, avait appris à jouer avec

sion grandement orale et, pour la plupart des

un prêtre.

D’abord, je viens de la Martinique. Je suis

gens, la musique est quelque chose d’assez naturel. Pour ceux de ma génération, la

d’envisager d’adopter cette profession.

sources (1991). C’est le premier des treize albums que j’ai fait ensuite, avec des couleurs

La Créolisation

musique ne représentait pas un métier. C’était un hobby ou une passion. Il n’était pas sérieux

J’ai commencé en solo avec Retour aux

sonores d’ailleurs et je suis allé dans une direction de plus en plus jazz. Quand j’ai enregistré

J’ai toujours aimé le jazz. Ce n’est pas une

mes premiers disques, j’ai défendu ce que

musique que j’ai proprement découverte. J’ai

j’étais. J’ai intégré le jazz : je joue du be bop

toujours aimé la musique avec des harmonies,

pur et dur qui n’a rien à voir avec la Caraïbe.

la musique latine. J’écoutais James Brown,

Même si c’est une musique qui me touche,

Herbie Hancock, à contre-courant de ce qu’on

je reconnais que ce n’est pas la musique de

écoutait ailleurs. J’écoutais fatalement de la

mon enfance. Donc, naturellement, lorsque je

musique haïtienne. Mais, à cette époque, ce

propose un projet propre, je développe aussi

n’était pas ma musique. Dédé Saint Prix a été

la musique de chez moi. J’ai essayé d’apporter

le premier à m’appeler et j’ai refusé. Ce n’est

ma pierre en ouvrant cette musique caribée-

pas ce qui m’intéressait.Ce n’est que bien plus

nne afin qu’elle ne reste pas enfermée dans ce

n’avait jugé bon d’enseigner la musique,

tard que je me suis aperçu qu’il fallait que je

qu’elle a pu être. J’utilise des sons, j’utilise des

d’autant que ce qui fait une des spé-

comprenne la musique haïtienne ou tradition-

couleurs que je crois être l’un des premiers à

cificités de la richesse des Antilles est le

nelle chère à Dédé. J’habitais déjà en France.

explorer, choses que les musiciens antillais ne

tambour, longtemps décrié. Les choses

Le fait de vivre à Paris, qui est la capitale de

faisaient pas. C’est ce que j’ai fait avec Jacques

ont commencé à changer dans les années

la world music, m’a permis de rencontrer des

Schwarz-Bart, Roy Hargrove,Antonio Sanchez

soixante-dix et avec des personnes qui

musiciens de partout, de styles différents.

et Michel Alibo pour Rhizome. Ma musique est

venaient de l’extérieur. Les choses ont

Les rythmes du Cameroun ne sont ceux du

très créolisée.

heureusement beaucoup évolué. La

Sénégal qui ne sont pas ceux du Mali etc... J’ai

considération pour la musique antillaise est

côtoyé toutes les cultures.

La plupart des musiciens se forment à partir des disques et avec les anciens. Tout s’est passé comme si personne

plus importante. Mais il n’y a toujours pas d’école de musique aux Antilles.

Michel Alibo, Tony Chasseur et moi avons monté Sakiyo, un groupe de zouk urbain un peu rock. Mais c’est le groupe Ultramarine qui

J’ai quitté la Martinique après mon bac-

Aujourd’hui, il y a une jeune génération de musiciens antillais qui sont très intéressants : Grégory Privat,Jonathan Jurion, Sonny Troupé, Arnaud Dolmen, « Tilo » Bertholo. Il y en a d’autres parmi les

m’a formé. Ultramarine est le pivot. Nguyen

percussionnistes de la Martinique et de la

calauréat pour préparer un métier autour

Lê et moi avons créé ce groupe en 1983 -il

Guadeloupe qui apportent quelque chose de

du son. Je pensais devenir ingénieur du son.

a existé jusqu’à 1992- avec Mokhtar Samba

nouveau sans dénaturer la musique : c’est le

Heureusement, je me suis inscrit en musicolo-

à la batterie, Etienne Mbappé à la basse,

même chemin mais cela va plus loin. Pour cela,

147


il est fondamental de se mettre constamment

aux mille collines, très sûre, avec des fleurs

en question.

partout. Certains quartiers d’Afrique du Sud y ressemblent, mais très peu. Rien à voir avec

Cab

Bamako ou Dakar qui ont un charme different. Partout, les concerts ont fait l’unanimité. Il n’y

CAB : le groupe est un trio, sans basse.

a pas eu un endroit ou la musique n’ait pas été

D’abord, Andriano Tenorio, le percussionniste

véritablement entendue. L’expérience a été

brésilien est extraordinaire tout comme le

fabuleuse.

chanteur et guitariste camerounais Blick Bassy. Il chante en bassa mais, par moments, on peut

Discographie sélective

penser qu’il est brésilien puis, dans d’autres

Retour aux sources1991

parties, on entend des sonorités qui n’ont rien

Trait d’union 1993

à voir avec ces sonorités douces, des sons très

Arômes caraibes 1995

rudes, très sauvages. Blick passe d’un extrême

Chawa 1997

à un autre. Il vient de sortir un disque solo. Je

Punch en musique 1 1999

l’ai rencontré grâce à un ami journaliste sur RFI

Carte blanche 2001

car il avait été lauréat du concours RFI. Je l’ai

Les plus belles chansons de noèl 2001

invité dans un de mes disques et c’est lui qui

Rhizome 2004

a eu l’idée de créer un groupe. Il a proposé un

Punch en musique 2 2008

duo et on a pensé finalement le monter à trois

Mitan 2010

car on connaissait tous deux Andriano Tenorio,

Cab 2015

le percussionniste. Après avoir passé quelques

Lien vers le site :www.mariocanonge.net

années en Espagne, il est venu il y a trois ans à Paris. Notre entente musicale repose sur le fait que les trois membres du groupe sont vraiment musiciens (complets). Le répertoire est composé à deux : les choses sont venus très naturellement, il était très intéressant de les approfondir, le percussionniste a ensuite fait se développer les choses. En 2014, de mi-septembre à mi-décembre, on a fait une tournée de deux mois et demi en Afrique : trente concerts dans vingt-et-un pays, dans toutes les régions, Ethiopie, Kenya, Lesotho, Congo, Nigeria, Togo, Burkina Faso etc. Le Rwanda nous a sensiblement marqués. En vingt ans, ils ont réussi un miracle : corruption zéro (c’est exceptionnel), plus propre que la Suisse. Pas un motocycliste qui n’ait de casque. Kigali est une belle ville, la ville

148


149


ART TALK

"

Quand des chants sortent de sa bouche, les paroles sont dans une langue imaginaire

"

DE LA LUMIÈRE DES LIMBES

Portrait : Patrick Lombe

« Quand j'avais à peu prés dix ans sur un terrain en friche derrière notre maison, mes amis et moi on faisait de la percussion avec des boîtes de conserve, en plastique, en fer. Des rythmes différents arrivaient presque constamment mais on ne savait pas vraiment d'où ils provenaient. J’ai toujours été attiré par toutes sortes de sonorités. Très jeune il m’arrivait d’écouter la radio, de la musique classique comme d’autres musiques. »

150

Par Inès Di Folco


151

Sans Titre, coutesy of the artist


J’ai rencontré Patrick Lombe dans un

électroacoustique et le solfège au conserv-

musiciens plasticiens, aux rythmiques très

studio de répétition à Paris il y a trois ans.

atoire. « Pendant la composition je choisis

puissantes mélangées à la musique expé-

Tout de suite j’ai été frappée par son jeu

des accords, je cherche en improvisant

rimentale, la noise mais aussi à des chants,

de guitare : c’est une vraie rivière devant

sur le long terme

lui où flottent des sons cristallins, qui

des mélodies

roulent, immergent ou coulent. C’est

qui vont avec.

comme avoir accès à un flux de pensée.

Ensuite je vois si ça

On est pris dans un tourbillon qui rappelle

s'harmonise

ceux que redoutaient les marins quand ils naviguaient la nuit au millieu de la mer.

Ce mélange subtil de liberté d’autodidacte et d’enseignement fait la richesse de ces mélodies, la fluidité entre improvisation et

Patrick Lombe par Margot Savry, 2013

Il y a des rythmes cycliques, nerveux et saccadés mais soudés harmonieusement et qui s’élèvent comme un escalier dans l’air. On a les yeux guidés par les sons invisibles ; il ne peut s’agir uniquement de doigts qui se déplacent sur le manche d’une guitare. Quand des chants sortent de sa bouche, les paroles sont dans une langue imaginaire. Les sons sont le langage et sa musique a toutes les richesses et les subtilités d’un dialogue humain. Patrick ne nous ensorcelle pas exprès, c’est sa musique qui le fait pour lui. Mais l’esprit est fixé. C’est de musique magique dont il s’agit, de musique chamanique. Réunionnais, aujourd’hui installé à Marseille, il a commencé par jouer sur la guitare de son père puis un ami lui a appris la basse. Plus tard il revient à la guitare, approfondit tout seul sa connaissance des accords, étudie l’harmonie, la musique

152

composition. Il a étudié au conservatoire

aux aléas, aux élans et aux surprises de

et aux beaux-arts sans perdre les deux voix

l’improvisation.

en lui. L’une apprise en frappant sur les

Patrick garde toujours avec lui ces

objets abandonnés des terrains vagues, en

voix profondes et cet état ambigu de

jouant d’un instrument de façon instinc-

semi-improvisation. C’est le cas avec

tive. L’autre venant de la musique classique

d’autres groupes comme Placenta Popeye

et du solfège, le tout en gardant un lien

(http://placentapopeye.bandcamp.com),

puissant avec la musique traditionnelle

aux accents apocalyptiques ou encore

réunionnaise et ses rythmiques.

La Ligne Claire (https://soundcloud.com/

« La musique traditionnelle de la

charleene-darling/sets/la-ligne-claire-pat-

Réunion a différentes relations à la cul-

rick-lombe), groupe qu'il a rejoint à la joie

ture réunionnaise. Elle peut être de l’ordre

des trois autres membre à la joie des trois

du culte, du spirituel, de la danse quand

autres membres. Ces voix peuvent aussi

elle se nomme Thégua et Maloya quand

lui faire prendre le chemin dans son autre

la musique revendique ce que l’on a à

médium favori, le dessin. Tous exécutés

dire, des choses très importantes et aussi

sur papier, les dessins représentent sou-

graves. »

vent des formes errantes, plus ou moins

Trois voix, l’une classique, une autre instinctive et les racines, la voix de la tradition.

Patrick se produit en concert solo

humaines. On peut même y voir des phrases écrites dans un alphabet inventé. « C’est comme un langage secret qui

ou accompagné de ses différents pro-

se dessine, une volonté de matérialiser

jets. Son groupe principal formé en 2004,

l'imagination, de ressentir que le temps

Les Statonells, (https://soundcloud.com/

est peu être un autre monde, un langage

statonells) est un groupe de musique

imaginaire prêt à déployer ses cartes

traditionnelle réunionnaise composé de

dans le réel. En effet je choisi l'instabilité


Sans Titre, coutesy of the artist

153


de l'humeur car c'est pour moi, une façon

populaires, s’ils peuvent devenir extrême-

sont des descendants d’esclaves, venant

de faire participer tout le corps. Mais c'est

ment simples, devenir presque des affaires

d’Afrique subsaharienne. Il y a longtemps -

bien entendu qu' un choix personnel. »

de rythme, ce n’est pas par hasard : dans la

par défaut - pour survivre, ils adoptèrent la

transmission de ces récits, dans la répéti-

religion musulmane. Le mélange du chant,

celles que l’on prend. Celles qui donnent

tion de leur étiquette, ce qui est important,

de la danse qui se transforme parfois en

des indices : où aller sur la feuille, où aller

c’est de raconter en servant de relais, d’être

transe, le tout baigne dans la musique, la

sur la gamme.

le «traditeur» du récit, parce que le simple

musique comme rite thérapeutique.

Il y a voix et voies. Celles qui parlent et

Elles résident toutes dans les limbes. Dans la rêverie lucide. « La relation qui peut exister dans tout

fait de relayer quelque chose justement s’oublie»

Les Gnawas disent que l’âme va de la vie à la mort pour revenir à la vie en pas-

La tradition est justifiée par la

sant pas les sept couleurs de l’univers. Les

nouveauté et les inventions, le part-

génies montent du sol, appelés par les pas

Limbe, du latin limbus, Lombe.

age et l’appropriation des symboles...

de danse, les parfums et les rythmes. Cela

Dans le langage courant, on utilise

L’entrelacement entre tradition et nou-

ne se produit que dans l’enceinte d’une

le terme d’après son sens chrétien, pour

veauté existe dans le quotidien de Patrick

confrérie, et c’est parmi les Hommes, que

exprimer des profondeurs inconnues, mal

Lombe depuis l’enfance, de par son

se dresse celui qui va ouvrir la transe.

définies et vagues. C’est précisément la

expérience de la culture réunionnaise, puis

zone aux périphéries de tout, l’inconnu

par sa capacité à composer, en groupe

assemblée, Patrick Lombe ouvre sa transe,

suprême, que l’on situe même au- delà

ou en solo, des musiques nouvelles et

elle lui est propre, elle émerge pour lui et

de l’enfer. C’est là que flottent les âmes

spontanées. Les rythmes qui mènent à

pour nous qui l’écoutons. Mais c’est un

avant la rédemption. C’est aussi le contour

une transe possible, la ritournelle, le souf-

rapport intime à l’ailleurs : on part de soi,

d’une planète. Et le système limbique est

fle font partie intégrante dans son travail,

on part en nous-même. Les sept couleurs

aussi une partie du cerveau qui dirige les

de ses dessins à sa musique. L'ensemble

de l’univers l’ont surement traversées

émotions. C'est ici que siège l’univers de

se révèle dans un corps, dans un espace

et rayonnent dans ces dessins. Dans les

Patrick, dans ce qui peut paraître inquié-

urbain fleuri d’électricité et d’informatique

limbes de Patrick Lombe flottent toutes

tant au premier abord, vide ou sombre

sans fil, dans la solitude des villes, comme

sortes de choses, un héritage africain, une

comme l’univers et ses trous noirs.

en témoigne magnifiquement cette pièce

transe spirituelle et moderne, parce qu’elle

sonore.

est colorée de contre culture, rongée par la

mon travail c'est la part inconsciente. »

« C’est la volonté de voir surgir le réel et l'imaginaire qui s›exaltent et se parlent pour moi à ces moment là. »

(http://freemusicarchive.org/music/Patrick_Lombe/Nuit_Du_31_Dcembre/)

La musique qui sort de lui est

Si cette transe religieuse nécessite une

violence de la noise. « J’aime décliner l'ambiance en faisant travailler le temps d'un lieu, d'un intérieur,

répétitive, influencée par la musique

jusqu'à arriver à une perception où les

traditionnelle, par un espace où le temps

choses se modifient autour de moi. »

est réglé autrement. Jean-François Lyotard

La musique devient sculpture, posée

a dit :

dans le réel comme un objet flottant, une

«Il faut repenser la tradition. L’énorme

matière à voir et un moyen de locomo-

force des musiques dites répétitives c’est

tion hors du monde. Je ne peux clore ce

qu’elles font oublier ce qui se répète ; et elles permettent de ne pas oublier le temps comme battement sur place. La tradition, c’est ce qui concerne, non pas le contenu, mais le temps.(…) Les récits

154

portrait et évoquer la transe sauvage de ©Pirlouiiiit

De l’autre côté de Marseille, derrière son épaule, il y a les rivages du Maghreb. Là-bas, entre autre il y a les Gnawas, qui

Patrick Lombe, sans adresser une pensée à la reine Nina, la « niña » Simone. Celle qui déclenche des vagues de frissons les unes après les autres. Elle a montré au large


public ce que c’est que d’avoir les yeux

n’avez pas pu faire ? » elle dit les yeux

fermés, révulsés, de laisser échapper de soi

pleins de larmes contenues :

des flots de notes et des larmes qui brisent

« Je suis malheureuse pour nous les

la voix…Il suffit de voir pour sentir la puis-

Noirs, de ne pas avoir été leur première

sance de ses concerts en 1969, au Harlem

pianiste classique. J’en aurai été plus

Culture Festival ( https://www.youtube.

heureuse. » « Je ne suis pas très heureuse

com/watch?v=RHXtB9ssnhw ) où elle se lève, fait les cents pas, fiévreuse, hurlant

actuellement. »

en crescendo. De plus en plus enragée puis tendre envers la foule à qui elle récite

Nina Simone C’est avec cette tristesse enfouie et

le poème, elle entre et entraine la foule

sublimée que finit ce portait, pour ainsi

dans les rythmes haletants joués par ses

rendre hommage à la joie et au partage,

somptueux musiciens en djellaba.

qui mènent à la paix.

Ou encore le morceau Take Me To The Water , (https://www.youtube.com/

Toutes les phrases en italiques sont

watch?v=vYjwabdgtJw) qu’a l’inverse elle

tirées d’un entretien avec Patrick

avait commencé d’une voix blanche et

Lombe,

en pleurant (Recording session: Live at

le 27 septembre 2015.

Morehouse College in Atlanta, June 1969). Tout d’un coup elle éclate de rire, se lève et

Inès Lou-Andréa Di Folco (Artiste/

danse, elle a été appelée par les rythmes

Musicienne).

de ses musiciens et ne retourne s’asseoir

Étudie à l’École Nationale Supérieure

qu’à la fin, pour dire : "My folks got nothing

des Beaux-Arts (ENSBA) à Paris.

and they need inpiration 24h a day, that’s

Projet 2016 : séjour d’étude à à

why I’m here! "

L'Instituto Superior de Arte de la

Elle invoquait l’Afrique sur scène à

Havane.

chaque concert mais surtout elle jouait

1ere exposition, DNAP 2015 :

pour donner la force d’accomplir son

https://www.youtube.com/

destin. Parce qu’à elle, on le lui avait refusé!

watch?v=iCzEanQVfPU

C’est pour subvenir aux besoins de ses

Musique

parents qu’elle avait débuté sous le nom

Rose Mercie, girl band :

de Niña Simone. Elle qui ne jurait que par

https://soundcloud.com/rose-mercie

Bach, s’est vue obligée de travailler dans

Inéès, musique de lit :

les clubs du Spanish Harlem parce que

https://soundcloud.com/racontepas

l’entrée à l’école supérieure de musique classique lui avait été interdite. Dans une

Publications

interview (https://www.youtube.com/

Recueils de dessins 1 et 2 Inès Di Folco /

watch?v=ANTNiJ2zJlc ) pour la télévision

Derrière la salle de bain éditeur 2012

française, en 1991, prise de court par la

Rouge Gorge numéros 10 et 12 (spécial

question « Est-ce que quelque fois vous

10 ans) /Collectif /Revue de dessins /

regrettez cette carrière classique que vous

2014

155


ART TALK

L’ODYSSÉE D’ARTHUR « S » SIMONINI

SELOUA LUSTE BOULBINA

Arthur Simonini est d’abord violoniste et joue ensuite d’autres instruments (piano, clavier). Il est également compositeur. De 2007 à 2013 il se produit au sein de Bibi Tanga & the Selenites, groupe avec lequel il enregistre trois albums salués internationalement par la critique et le public.

Photo Arthur Simonini Copiright Lucie Sassiat

156


157


Le Musicien Je suis musicien. Petit, j’étais fasciné par le violon et j’ai commencé à l’étudier à l’âge de 5 ans. J’ai suivi des études classiques jusqu’au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris où j’ai étudié l’harmonie et le contrepoint. J’ai également étudié le jazz et j’ai eu des groupes de rock et de Hip-hop au lycée. J’ai toujours ressenti le besoin d’écouter des musiques de toutes sortes. J’ai beaucoup appris et rencontré des gens très intéressants au conservatoire mais je n’ai jamais aimé l’attitude de certains qui y dédaignaient les musiques dites populaires et/ou extra occidentales. Pendant mes années d’études j’allais très souvent dans les médiathèques pour y emprunter des disques, j’ai découvert énormément de musique grâce à leurs existences. En étudiant l’harmonie, j’ai commencé à jouer du piano. En plus des possibilités harmoniques qu’il offre, j’aime beaucoup l’aspect percussif de cet instrument. Aujourd’hui j’en joue dans plusieurs groupes. En parallèle, je me suis beaucoup intéressé au sonnet. J’ai commencé des études scientifiques après le bac. J’ai hésité longtemps entre devenir ingénieur du son ou musicien. Ce qui m’intéresse le plus, ce sont les mélanges réussis entre des choses qui ne sont pas censées aller ensemble mais qui s’accordent. Le Professeur Inlassable avec qui je travaille très souvent m’a beaucoup influencé sur ce point. Il y a beaucoup de tentatives artificielles de fusion des univers sonores et musicaux, la plupart d’entre elles demeurent décevantes à mon sens. Si je devais donner un exemple réussi, je citerais la bande son du film Le Festin nu (1991) de David Cronenberg, rencontre du jazzman Ornette Coleman et du compositeur Howard Shore. Le

158

mélange entre orchestre symphonique et free

pays tant il est grand et chargé d’histoire mais

jazz est très réussi et cela a donné quelque

cela m’a donné très envie d’y retourner.

chose que ne ressemble à rien d ‘autre. Cette bande son m’a beaucoup marqué.

Je travaille aussi, depuis quelques années, avec Erol Josué, un chanteur et danseur haïtien. Nous nous sommes croisés sur la scène

En Afrique

d’été de La Villette à Paris puis nous avons fait une séance en studio avec le Professeur

J’ai participé à la première édition du Pan

Inlassable. J’ai finalement intégré son groupe

African Space Station (PASS)1 à Cape Town en

pour la scène. J’aime beaucoup jouer avec son

2008. Le groupe Bibi Tanga & the Selenites

quintet.

2

a été programmé pour jouer dans ce festival. On en était encore aux débuts du groupe.

Le Son Et L’image

J’ai découvert Cape Town (C’était la première fois que je jouait sur le continent africain ; je

Mon but est de pouvoir produire de la

suis allé jouer par la suite dans une quinzaine

musique de A à Z : la composer, la jouer,

d’autres pays en Afrique). À l’époque, j’étais

l’enregistrer, la mixer. La totalité du proces-

encore au conservatoire et il étais difficile

sus m’intéresse, de la création à la réalisation.

de partir en tournée, j’avais du demander

Les différentes étapes du processus, je les ai

une autorisation à mon responsable de

découvertes par curiosité, pour parler le même

scolarité. A ce festival j’ai découvert les BLK

langage que mes interlocuteurs et mieux

JKS, un groupe de Soweto. Un mélange

me faire comprendre, mais aussi pour ne pas

réussi (pour revenir à ce que nous disions

me faire enfumer parfois. Pour être un bon

précédemment), de punk et de rythmiques du

ingénieur du son (comme un bon musicien),

sud de l’Afrique. Ce sont des musiciens ayant

il faut à mon sens avoir, en plus des connais-

assimilé plusieurs cultures. On les a très peu

sances technique et d’une bonne expérience,

vus en Europe où les festivals de musique du

une bonne culture musicale et savoir rester

monde présentent souvent les mêmes noms

curieux de ce qui se passe en dehors de son

(la plupart de temps des artistes signés par des

style de prédilection. L’ingénieur du son est un

gros producteurs de concerts) et bien souvent

membre du groupe à part entière.

démodés. Les clichés prédominent souvent malheureusement. J’ai eu récemment des expériences algéri-

Dans mes recherches actuelles, je travaille sur l’écriture pour chœur à quatre et cinq voix. Je développe ainsi le travail commencé pour

ennes avec la chanteuse Houria Aichi et avec

le disque Drummers and Gunners (parut fin

le groupe DjurDjura durant lesquelles j’ai eu la

2014) avec le Professeur Inlassable. Je travaille

chance de voir plusieurs villes d’Algérie. Je n’ai

aussi en ce moment sur des découpages de

bien sur pu avoir qu’un tout petit aperçu de ce

sons en samplant mes propres enregistre-

1 Fondé in 2008 à the Cape Town par la revue Chimurenga, curaté by Ntone Edjabe, the Pan African Space Station (PASS) est un pop-up studio live 2 Originaire de Bangui en Centrafrique, Bibi Tanga a grandi entre deux continents et plusieurs cultures musicales. Attiré par groove, funk, jazz ou afrobeat, il apprend à jouer guitare, basse et saxophone. Bibi Tanga et le Professeur inlassable (dont le premier album est Yellow Gauze, en 2006) est devenu Bibi Tanga et les Sélénites en signant, en 2008, avec le label américain Natgeo.

ments pour créer autre chose et transformer ce que j’ai fait. Je continue également à développer les superpositions de cordes, processus que j’ai beaucoup utilisé en studio par le passé. J’aime bien détourner les outils informatiques


de leurs fonctions premières, utiliser leurs

Bibi Tanga & le Professeur Inlassable :

bugs, etc … Ils offrent ainsi des possibilités qui

« Yellow Gauze »

peuvent être prolongées et transformées. Image et son ? J’ai beaucoup travaillé pour des musiques à l’image (des courts métrages,

Lien vers le site Arthur Simonini : www.arthursimonini.com

des génériques, des habillages pour la télévision) et je compose actuellement la musique

Morceau inédit « RISE »

pour un documentaire. Je travaille en binôme

Arthur S & le Professeur Inlassable

avec un autre compositeur, Jérôme Echenoz. Il se charge des parties « électroniques » et moi de la partie symphonique. Nous sommes complémentaires. J’adore travailler avec ou sur des images, réelles ou imaginaires. Je suis un rat de studio et aime réfléchir à l’image autant qu’au son. Avec le Professeur Inlassable, l’idée de notre dernier disque était de créer des mini bandes sons de films imaginaires pour chacun des morceaux (un mini western, un mini science fiction, etc …. ). L’idée et l’imaginaire ont nourri le disque. Lors des concerts, nous projetons des images : soit extraits de films soit des montages d’images d’archives. L’image est nourricière.

Discographie sélective Arthur S & le Professeur Inlassable : « Drummers & Gunners » Yachting Club : « Captain’s memories » Saturne : « Saturne » Para One : «B.O. Bande de Filles » Arthur S : « Flash » Bibi Tanga & the Selenites : « Dunya »

159


CONCEPT

VADUZ Un poème des fuites Par Hafida Jemni et Philippe Di Folco

Quand l’approche du son surgit de l’écriture Courtesy de Natalie Serroussi Paris

Élégant, Bernard Heidsieck l’était en érudit fasciné par la modernité, et il fabriqua durant plus de cinquante ans une nouvelle forme de poésie qu’il contribua à totalement dépoussiérer : embrayant avec la Poésie sonore en 1955, s’immergeant dans la Poésie action en 1962, il a « fait sortir la poésie du livre », en portant son attention sur l’oralité, les bruits, le souffle, la vie et la chair des mots. Il disait : « J’ai pensé qu’il fallait reconnecter la poésie à la société (...). Au lieu d’enfoncer le poème dans la page, il fallait, au contraire, l’en arracher et le projeter vers l’extérieur, vers les auditeurs, vers le public ». Avec Heidsieck, un nouveau langage est inventé… Bernard Heidsieck est à l’origine de « la

par un jeune-homme de 26 ans qui constate

auditeur ou d’un lecteur, qu’il devienne actif.

poésie sonore ». Traversée par l’oralité, et

que le champ éditorial se révèle rédhibitoire

J’ai alors fait toute une série que j’ai appelée

privilégiant une littérature performée, dont

pour l’expression de ses poèmes : tout lui

« poème-partition », en vue de la lecture à

le matériau est la diction d’une langue portée

semble rétréci. « C’est la mort de la poésie,

haute voix, et ma volonté jamais démentie

par le corps du récitant. Sitôt Dît est le premier

d’attendre un lecteur hypothétique. Il fallait

de « relever la poésie : la poésie debout, mon

recueil poétique publié en 1955 chez Seghers

que le poète bouge, aille à la rencontre d’un

affaire, c’est le texte et la façon de le faire

160


entendre ». La voix, le souffle, la présence

questionnements essentiels comme le statut

passé par le lettrisme, Brion Gysin, inventeur

réelle du corps et du timbre, les modulations,

de l’œuvre d’art, le rôle et la place de l’artiste

avec William Burroughs de la technique du

les silences : le livre ne peut les transmettre, à

dans la société, une révolution dont Heidsieck

cut-up, ou collage de textes, sans oublier

peine les suggérer. Heidsieck invente alors des

se sent très proche, par laquelle les frontières

Henri Chopin, qui associe la poésie aux arts

formes plus adaptées et des nouveaux modes

entre le corps et les productions, portés par

graphiques et musicaux, et se montre fasciné

d’expression. La production du son, il choisit

une nouvelle dynamique de la marge, sont

par les onomatopées et par une poésie corpo-

de la dématérialiser et la remplacer, soit par

abolies. En 1963, à l’American Center de Paris,

relle : tout ces expérimentateurs sont proches,

le corps de l’artiste ou son langage, soit par

une nouvelle étape est franchie : le poète est

dès les années 1950, des deux « papes » du

des processus électromagnétiques. Résultat ?

face à un public, plus rien ne s’interpose entre

Lettrisme que sont Isidore Isou et Maurice

La poésie écrite n’est plus une fin en soi. Il en

lui et le lecteur, ce dernier devenu écoutant est

Lemaître.

appelle dès cette époque à une poésie pub-

en immersion en termes d’attitude, de réaction

lique, orale et en prise avec le réel. Désormais

qui affectent le poète et sa parole. Ces années

breuses œuvres sur papier, dans lesquelles

tous ses poèmes auront pour vocation d’être

Fluxus, mais aussi les voix de la « Beat Genera-

les textes et les collages d’éléments trouvés

lus par lui et d’être entendus comme tels en

tion », les premiers happenings à New York et

se rencontrent. Il les désigne par l’expression

interaction avec la relation établi avec le public.

à Paris, sont pour lui celles de la porosité des

« écritures-collages » et y insère fréquem-

A partir de 1959, Bernard Heidsieck explore

champs poétique et artistique : les arts visuels,

ment des bandes magnétiques, constituant de

de nouveaux territoires, dans des expérimenta-

la musique, la poésie s’entremêlent, se recom-

véritables poèmes-objets uniques. La création

tions et utilise le magnétophone, un Haring à

posent ensemble pour accoucher de « quelque

des poèmes s’opère par séries, on trouve ainsi

bandes magnétiques, mais aussi des ciseaux

chose d’autre ».

les 13 Biopsies composées entre 1966 et 1969,

et de la colle, il réalise des « cut-up » et signe

« Par rapport à la musique, la poésie avait

Bernard Heidsieck est l’auteur de nom-

les 29 Passe-partout entre 1969 et 1980, les 26

son écriture sonore comme médium pour

trente ans de retard », résumait des années

poèmes de la suite Derviche/Le Robert entre

porter son œuvre. Il enregistre en studio,

plus tard Heidsieck. Plusieurs artistes travaillent

1978 et 1986, Respirations et brèves rencontres

tel un musicien. L’arrivée du Revox lui per-

aussi à cette époque dans ce sens et cultivent

enfin à partir de 1988, pour laquelle il travailla

met d’amplifier ses recherches, de faire des

l’abolition des frontières entre les disciplines,

avec pour matière première des enregistre-

superpositions, d’inverser les pistes, d’explorer

les pratiques, pour amplifier les moyens et

ments de souffles de créateurs. Quand il

les possibilités de la stéréo. Il se souvient : « le

l’intensité immersive, tels François Dufresne,

monte sur scène, il est un peu comme une rock

Revox à 4 pistes, que j’ai acquis en 1974, m’a permis la réalisation de « Vaduz » et ce pendant une année ». Avant « Vaduz », Heidsieck entre dans la Poésie action dès 1962 : par « action », il faut entendre l’acte poétique devenu poème-acte, et comme filiation, les artistes plasticiens de l’Action Painting, une école, un courant porté par l’ouvrage de John Dewey, Art as Experience, et que l’on retrouve aussi bien dans la performance chorégraphique, dans la musique issue de l’Ecole de New York, que dans les premiers happenings du Black Mountain College. Et bien sûr cette filiation s’inscrit dans Fluxus, un mouvement embrayant de façon radicale sur des Carte des 617 éthnies - Vaduz - Bernard Heidsieck Courtesy de Natalie Serrousi Paris

161


star, il magnétise son public et n’hésite pas à

stein, au cœur de l’Europe. Pour des raisons

nationales de poésie sonore à partir de 1980 à

convoquer de grands musiciens comme par

diverses le texte n’a pu être achevé à temps.

Rennes, au Havre ou au Centre Pompidou. Les

exemple le saxophoniste Steve Lacy.

Et s’il a été, depuis, lu dans une vingtaine de

auditeurs de France Culture se souviendront

pays, il ne l’aura jamais été, par moi-même, à

longtemps de l’émission Poésie ininterrompue

VADUZ , PROTOTERRITOIRE

Vaduz même». En plus des ethnies, Heidsieck

avec Claude Royer-Journoud. Toute une vie

DU WORLD WIDE WEB :

répertorie leur spécificité de langue, culture,

dédiée à l’acting poétique, à la performance,

POÉSIE-ESPACE-MONDE

coutumes, aspirations et singularités. Il en résu-

au public, récompensée par le Grand Prix

lte un rouleau de papier de plusieurs mètres

national de poésie en 1991.

Parmi ses poèmes les plus marquants, on

sur lequel figure une très longue énuméra-

Deux ans avant sa disparition, la galerie

doit citer « Vaduz » exécuté à partir de 1974.

tion que le poète déroulait sur scène petit à

Natalie Seroussi lui rendait un impressionnant

C’est l’un des morceaux emblématiques de la

petit, lors de ses lectures publiques. Il faut

hommage, une exposition personnelle où

poésie sonore. L’écouter aujourd’hui révèle sa

voir et entendre Heidsieck « dérouler » Vaduz,

films, œuvres plastiques, manuscrits, éditions

force percutante, c’est une œuvre fédératrice,

l’hypnose s’empare de l’écoutant, la magie

s’offraient aux publics.

intemporelle en résonnance avec l’état actuel

opère : en définitive, tout est réconcilié en un

du monde, irrigué par la Toile. Ce titre, Vaduz,

ultime spasme.

sie avait trente ans de retard », disait

est né à la suite d’une commande de Roberto Altman qui demanda à Bernard Heidsieck d’écrire un poème sonore. Voici ce que le poète, qui se souvient, nous en dit : «Il va de soi que de réaliser un texte sur « Vaduz », qui plus est, ne m’y étant jamais rendu..., me posait un problème et de multiples interrogations. Qu’en faire, donc ! sinon la capitale du plus petit pays au monde et

la colonisation, l’aliénation mais aussi l’extase à l’écoute de cet homme – debout – obstiné à répéter pour rendre audible l’inénarrable, voire l’indicible « tout autour, tout autour de Vaduz… »

Bernard Heidsieck. Un être multiple, à la fois plasticien et poète, il ne concevait pas de frontière au niveau des pratiques culturelles. Très tôt à l’affut, il s’intéresse au free jazz et à la musique électronique. Il voue une véritable fascination pour Pierre Boulez, qui aura incontestablement une influence sur ses pratiques, sans oublier ce Chant des adolescents (Gesang der Jünglinge) de Karlheinz Stockhausen

le centre, dès lors, de notre planète. Sur une vaste carte du monde j’ai, partant de Vaduz,

« Par rapport à la musique, la poé-

Un spasme, des émotions, qui fait

composé en 1956, première grande œuvre

réalisé une série de cercles englobant le

remonter les terres, les odeurs, les mémoires,

du répertoire électronique : musique sans

monde et les ai remplis du nom du maximum

des vivants et des morts, la colonisation,

musiciens, elle lui permit « d’étendre la

d’ethnies, trouvées au musée de l’Homme, à

l’aliénation mais aussi l’extase à l’écoute de

poésie à l’espace, avec des dispositifs élec-

Paris. L’enregistrement se fit sur un Revox A

cet homme – debout – obstiné à répéter pour

troniques, de bandes magnétiques et de

700 récemment acquis, dont ce fut pour moi

rendre audible l’inénarrable, voire l’indicible

spatialisation ». Pierre Boulez et Heidsieck

l’apprentissage. La lecture, l’énumération de

« tout autour, tout autour de Vaduz… »

se retrouvèrent en 1985 au festival Polyphonix au Centre Georges Pompidou, lors

toutes ces ethnies, sur un grand rouleau de plusieurs mètres, se fait, de cercle en cercle, les

Pour Heidsieck, il s’agit ici d’une expérience

d’une séance performance inoubliable, un

balayant toutes, dans le sens des aiguilles d’une

extrême de « poésie action », terme qu’il a

programme écrit par le musicien sur lequel

montre. Apatrides, réfugiés, fuyards, paumés...

privilégié à travers des manifestations collec-

le poème fut lu.

se sont fixés où ils ont pu !

tives généreuses comme le festival Polyphonix,

« Vaduz » résulte d’une commande d’une

ou en 1976, avec le premier Festival Interna-

fondation d’art qui s’est créée, en 1975, pour

tional de Poésie Sonore à l’Atelier Annick Le

son inauguration, à Vaduz, capitale du Lichten-

Moine, ou encore avec les Rencontres inter-

162


Lien pour écouter le poème Vaduz

Heidsieck et son acquisition par le Musée

Hafida Jemni est diplômée de l’institut

https://youtu.be/G4dCbKTkjmA

national d’art moderne en 2014.

d’études supérieures de l’art, curatrice,

La galerie a produit 617 éditions de cette carte

enseigne l’art contemporain d’Afrique et

Le CNL met sur son site une vidéo où le poète

: chaque édition est numérotée et associée

sa diaspora à l’IESA Paris

explique sa démarche de poète sonore

à l’une des 617 ethnies répertoriées par

https://youtu.be/iQNZqbBTTLc

l’artiste.

Philippe Di Folco, est chercheur (IHESS), écrivain, enseignant et scénariste.

Bibliographie

Chaque exemplaire est au prix de 100 € HT.

Il est l’auteur de plusieurs romans, de nom-

- Vaduz est publié aux éditions Al Dante

Galerie Natalie Serroussi

breux essais et a dirigé la conception de

(Marseille)

34 rue de seine 75006 paris

deux dictionnaires encyclopédiques de

- Les Presses du réel éditent l’intégrale des

www.natalieseroussi.com

sciences humaines.aux PUF et chez

tapuscrits de ses Poèmes-partitions, Biopsies,

Larousse

Passe-partout. Bernard Heidsieck/ La carte VADUZ La galerie Natalie Seroussi célèbre le 40ème anniversaire de la carte de Vaduz de Bernard BERNARD HEIDSIECK (30/11/1928 – 22/11/2014) Artiste et poète sonore Nationalité : Homme du Monde Courtesy de Natalie Serroussi Paris

163


CONCEPT

URBAN SOUND MIGRATIONS

by Holly Bass

The first one is Mic and the city_Yaba.©Emeka Ogboh

In September, Visual Arts Network of

languages (Ibo, Yoruba, Bamoun, More,

around Joubert Park where the Gallery is

South Africa (VANSA) under the auspices of

Twi, Ewondo, Sango, Douala, Kikongo

situated, creating a constant discord of car

PANiC- Pan African Network of Independ-

and Lingala). The voices would ring forth,

horns and fumes.

ent Contemporaneity, presented a sound

first one then others joining in chorus, a

piece by Emeka Ogboh at the Johan-

classical European melody rendered as

entered a darkened room and placed

nesburg Art Gallery. Titled LOS-JHB, the

black song. The Song of the Germans was

themselves on a wide bench with room for

work “combines distinct sounds recorded

haunting, lush, chilling.

people on both sides. Here are my impres-

around different locations in Lagos…char-

LOS-JHB is no less lush though decid-

To experience LOS-JHB fully, visitors

sions of that experience. ~Holly Bass

acterised by the presence of recognisable

edly urban and most apropos for the

environmental sounds and contexts, for

setting. The Johannesburg Art Gallery is

the purpose of invoking the listeners’ asso-

situated in the formerly posh “grey area” of

and director. Her performance work,

ciation, memories, or imagination.”

Hillbrow, which for a time hosted a racially

which combines dance, theater and

mixed progressive community. After 1980s

creative writing, has been presented at

Venice Biennial. There in an 18th cen-

white-flight and 1990s post-apartheid

respected regional theaters and per-

tury tower, hidden in the Giardino delle

neglect, Hillbrow became one of the city’s

formance spaces such as the Kennedy

Vergini behind the Arsenale, one entered a

largest slums, though still culturally rich

Center in DC, the Whitney Museum in

small room lined with unvarnished wood.

as immigrants from across the African

New York and the Seattle Art Museum

Vocal music poured out of 10 black speak-

continent and rural South Africans flocked

and the Smithsonian. She was voted

ers situated at different heights along the

to the now-affordable high-rise dwellings.

2012 Best Performance Artist in the

wall. Each played a recording of the Ger-

It is mere meters away from the city’s larg-

Washington CityPaper.

man national anthem in one of 10 African

est taxi rank. Hectic inner-city traffic snakes

I first encountered Ogboh’s work at the

164

Holly Bass is a writer, performer


Urban Sound Migrations By Holly Bass this bank of cushioned seats

is a combi

a chapel of sound

is a naija taxi

though not so sacred

is an airplane

as an eighteenth-century tower

is a space ship

in a garden built on top of water people talk on their cellphones here

outside a man is speaking a tongue

but who would hush the city

you do not understand

all these international Africans

it sounds like da da da

let the sound wash over you

like da da

carry you someplace new

is it your father you can tell

Lagos is a verb

he wants you to buy something

Johannesburg is a noun

or he wants you to know

both cities conjugate your fear

you have already been bought

split your infinitive

and sold

seduce your ear

sounds of the city

outside the museum

which city

is a taxi rank

any

inside the museum

the heavy smells

is a dark room drenched

the fume of gallery walls

in the scent and sound

recently painted black

of a taxi rank

or car exhaust or exhaustion

the definition of meta then

we sit together, strangers, close but not speaking in this black box

165

out of nowhere, a prayer


CONCEPT

ONDE DU NOUVEAU MONDE (…) Par Julien Creuzet

Un reflet sur le visage

des femmes moles,

je me lève, enfant sauvage.

pleines de flemmes,

Un reflet sur le visage

que l’on m’imole,

je me lève, enfant sauvage.

si je l’ai aime.

Un reflet sur le visage je me lève, enfant sauvage.

Des crépitements,

Un reflet sur le visage

des gémissements,

je me lève, enfant sauvage.

des bruits d’enfants.

Vague page, onde du nouveau monde,

Des crépitements,

un souvenir de l’autre rivage.

des gémissements,

Je suis à l’ouest, jeunesse ivresse ,

des bruits d’enfants.

zeste, quelques restes. C’est émouvant. Je suis perdu à l’ouest de l’Evrest un peu plus à l’ouest.

Un reflet sur le visage

À mon rythme, à vos marques,

je me lève, enfant sauvage.

du grabuge, je gravite,

Un reflet sur le visage

dans les voiles,des monarques.

je me lève, enfant sauvage. Un reflet sur le visage

Dans mon âme,

je me lève, enfant sauvage.

des braises en flamme,

Un reflet sur le visage

du feux enfant,

je me lève, enfant sauvage.

166


Dialecte-Digiforme, 2012 Pièce sonore, 4,40” ©Julien Creuzet Onde du nouveau monde (…), 2014 vidéo-clip, 3,05” ©Julien Creuzet Spectre of “i have dream”, la tentative d’une image, 2013 ©Julien Creuzet Biographie Julien Creuzet est un artiste plasticien qui vit et travaille à Paris. De ces origines caribéennes découle une recherche identitaire récurrente dans ses œuvres.

167


CONCEPT

SI MOHAMED ALI

Slam écrit par Yeno

Vole comme un papillon, pique comme une

Et Pique Pique Pique comme une abeille

abeille

Vole comme un papillon

Vole comme un papillon, pique comme une

Et Pique Pique Pique comme une abeille

abeille Si Mohamed Ali avait été une femme Si Mohamed Ali avait été une femme

Elle aurait une armée et pour seul mythe

On lui aurait dit : «tu en fais trop»

On ne dirait pas d’elle qu’elle effraie

Accusés ses matches d’être truqués par ses

L’orgueil et la peur sont des rites auxquelles

beaux

Jamais elle ne se soumet

Que sa tenue fut inappropriée Et sa rage de vaincre, à contrôler Si Mohamed Ali avait été une femme

Si Mohamed Ali avait été une femme Elle compterait les larmes de son âme Avec pour unique réclame

On se serait planqués pour l’admirer

La détermination est l’art de rester une

en hurlant à l’indécence de sa lutte en poings

flamme

criés

de rester une femme, une âme,

en rêvant d’être à sa place la fierté gantée

Si Mohamed Ali avait été une femme

Si Mohamed Ali avait été une femme

Ses valeurs seraient déclarées ambiguës

On lui aurait dit : «tu en fais trop»

Encore une et son m’as tu vu

avec le prénom d’un prophète pour égo

On dirait au coin de la rue

« comment vous vous appelez déjà ?

De ceux qui croient

et ça se prononce comment ça la...»

Avoir le droit de toujours pointer femme du

Vole comme un papillon Et Pique Pique Pique comme une abeille

doigt Qu’importe, elle, elle vole comme un

Vole comme un papillon

papillon

Et Pique Pique Pique comme une abeille

et pique comme une abeille

Si Mohamed Ali avait été une femme

Mohamed Ali est une femme

On aurait fait d’elle une pestiférée en confisquant l’art de sa virtuosité

Et si...

pour la limiter au mythe de l’hystérie en susurrant : « qu’il est un sexe pour la jalou-

De son nom Karine Edowiza /Yeno est

sie »

une artiste française et gabonaise, née

Si Mohamed Ali avait été une femme

à Dakar. Elle a grandit entre Créteil,

les uppercut elle aurait appris à les esquiver

Paris et Libreville. Elle est diplômée

des gauches des droites elle en aurait telle-

d’une maîtrise d’ethnologie. Comé-

ment encaissé

dienne et slameuse, elle a publié

qu’à côté le ring aurait un air de : «voulez vous

une pièce de théâtre en 1998 dans la

danser ?»

revue des éditions Présence Africaine

Vole comme un papillon

168

“Nzinga, reine et résistante”.


CONCEPT

LE RÊVE D’ICARE

Par Lord Eraze

Sortir de ma sépulture

Renaîtra de ces cendres

Pour atteindre le soleil

tel un phénix

Comme dans le rêve d’Icare

Brûlant de mille feux

J’irai brûler mes ailes.

Sa raison éclairera nos âmes

Sur la tête folle de mes conspirateurs

Il est temps pour le rêveur

Je n’ai pas fait reposer

De ce réveiller

Mon attelage de 5 chevaux haletant

Sortir de la sépulture

Le vent pour y boire la lie de notre société.

Ou il s’était enfermé

Je n’ai pas prie le temps d’observer

Détruisons des citadelles

Le camp de mes ennemis

De mensonges et de vanités

Pour foncer tête baissée dans la bataille.

Allumons des bûcher de feux de joie

La fougue de ma jeunesse

Pour que trépasse la nullité de leurs esprits .

M’aura donc fait perdre quelques plumes.

Tel l’écume du flux et du refus

Chevauchant les Walkyries et les licornes.

De sombrer dans une tel mésalliance

Je me suis accroché aux anneaux de saturne.

Pour m’assoir a la table du vainqueur

Aux ma bien aimé Qu’il est dure de ce souvenir de ce passé glorieux.

Pourquoi les étoiles tombent du ciel

N’aurai je donc temps vécu

Comme une myriade de flammes

Que pour cet infime grâce.

Étincelantes ton âme.

Cet ultime moment de bonheur

Le choc peut pénétrer si profondément la chaire

Vite remplacé par cette guerre lasse

Tel d’innombrables cicatrices

Mes genoux vacilles dans la moiteur de notre nécropole.

A vif plaie béante jamais réellement

Je suis un Prince

Refermés.

Sans couronnes

la justice du ciel

Ces insurgés ont fait chuté

Est elle si inébranlable

Les colonnes de mercure

Que la raison ce fige

Sans ces fondations

Lors d’un oraison funèbre

Ma nation

J’ai vu temps de gens mentir

Est aussi fragile qu’une feuille virevoltant au grès

Fuir, nier, falsifier, faire preuve de mauvaise foie ou d’hypocrisie.

du vent

Que j›ai du en soulever

Ou ma conscience

Des montagnes.

S’en est allé.

Tel est le plaisir

Mais mon royaume

De naître dans un monde corrompu

169


Lord Eraze Lord Eraze de son vrai nom Aimé N’Tsiangana, est un artiste poète, fils de Tonton Kadian premier organisateur des ballets congolais à Paris. Après avoir fait le conservatoire de CharOú tous se lavent les mains

tres au saxophone, il rejoint en 1984 le mouvement Zoulous.

A la fontaine de l’ignominie

L’amour de la musique l’amène à organiser et à se produire

Il m’en aura fallu du courage

dans de nombreuses manifestations à travers la France. Il

Pour faire face à tant d’imbroglio

travaille en tant que chroniqueur à la Radio Libertaire.

Tant de lâcheté face a la déroute Des sentiments Je m’épanche sur la beauté indissoluble de nos ébats matinaux À la douceur des rayons qui traversent Les persiennes. Le bruit de la rue comme une assourdissante mélancolie Berce mon cœur d’une langueur Monotone. Désillusion d’un avenir meilleur Désolation d’une société toute Entière. Je congratule tous ceux qui vocifère Contre ce système malin et trompeur Aux hallalis de l’esprit Je ne dirais pas fontaine Je ne boirai jamais de ton eau Au tant d›imbroglio et de résultat Imparfait désenchanterai L’âme valeureuse des guerriers De l’ombre en si grand nombre Effrayant de leurs faces hideuses. Car ça c’est le rêve d’Icare.

170


CONCEPT

ROBERT HODGE & MUKWAE WABEI

Riffs and texts

By Robert Hodge & Mukwae Wabei - All images courtesy of Robert Hodge

(Ring Ring)

been doing that? since you started R.H: I would say about five years.

Robert Hodge: Hello,

M.W: Cool. So what does it signify because you are not religious are you?

Mukwae Wabei: Hey we made it

R.H: I’m definitely spiritual I believe God, he’s a big part of my life

R.H: Hey how are you doing?

M.W: What does that mean?

M.W: Excellent so this is recording right now as we speak

R.H: Religion is in the details you follow exactly in the Bible. I don’t think those

R.H: Oh okay I thought we were going to Skype but we can do it this way this

stories are literal but they are metaphor for things but also I believe in God.

is fine

I follow the golden rules I follow those to kinda that kinda what you need

M.W: No this is perfect, lets just bang this out

follow those….

R.H: How you been?

M.W: Right

M.W: No good I’m on fire I am on my way to New York

R.H: I am definitely spiritual but I don’t think you can call me religious. I don’t

No this is perfect

know about you but music and sound and tone play a really big part in my

R.H: Imma put you on speaker

head when going through any kind of creative process.

(Echo)

M.W: What kind of music do you listen to hat puts you in that creative zone?

R.H: Can you hear me good?

R.H: Everything Blues, Jazz, Hip Hop, Soul, Classical and. You just basically

M.W: No I can hear you fantastically

whatever you are feeling you’ve have a playlist.

M.W: Okay so you were saying you smudge with sage so you’re a mystic?

(Sound of shuffling)

R.H: Say it again?

R.H: I brought twenty five records here to New Orleans I didn’t know I would

M.W: You were saying that when you get into a studio one of the rituals that

pick out twenty- five. A lot of these are hip hop I bought the first Nas record, I

you do because today is a full moon.

brought the blue album by Jay Z, I bought…I brought John Coltrane…

R.H: Yes I heard

M.W: Which one?

M.W:… is that you smudge with sage

R.H: Alice Coltrane. I brought live at the let me look at this joint right here. I

R.H: Yes I smudge and sage the studio blessing the space because usually

got Jason Maraz, Kid Kuddi. I brought Robert Glass. I brought Dead Presi-

when you are in a space you don’t know who has been in there before, you

dents, Dupre, Count Basie, Kidi Lavar first record the good, Herbie Hancock.

don’t know what kind of energy was there before so its kind of like a new

M.W: Which one of Count Basie and which one of Herbie Hancock?

beginning. So I walk in. I sage my own space I was thinking about should I do

R.H: I got Future Shock by Herbie Hancock, I got Michael Jackson Off the Wall.

it. If I have been gone for a while you wanna get some new energy in there. I

I got B.B. King and Bobbie Plant together for the first time live.

sage this space too because its a new space and I did it anyway

M.W: Cool.

M.W: Cool does it trigger something in your body, mind and spirit?

R.H: I got the Fela joint.

R.H: I feel like it works I’m not sure if it does but like I said to me its like a new

M.W: Okay that’s cool that’s good

beginning. Like Okay no other energy is gonna get the way of what I imag-

R.H: I got Wes Montgomery’s greatest hits. I got Otis Reading

ing to create like I said it feels like a new beginning.

M.W: Cool

M.W: Right so you like directing your will kinds thing. How long have you

R.H: Sade

171


M.W: Alright

R.H: Yeah exactly iconic .That’s how most rappers do it too. If you’re gonna

R.H: Miles Davis, Scarface, The Untouchables. So I got stuff from all genres.

ride on the journey with the artist or are you getting off the train I still ride

Basically I’ve got original American Art forms I didn’t even think about that

with Kanye. A lot of people had left the Kanye train a long time ago. I ride

I’ve got Blues, Jazz and Hip Hop which you can say are original American art

with Kanye…I don’t know where he is going to go next but am still riding

forms.

with him.

M.W: You know what when I look at your painting I see original American art

M.W: This is the thing with any kind of originality is that sure you have this

forms, I’m not just saying that to butter you up but i really do see that it is very,

base especially for people of African descent, we have these icons that are just

very distinctly American art like the music. You’ve really got these beautiful

cemented in our brain and to escape the icon and for us to explore textuality

riffs going on, you know what I’m saying with the texts.

and multi sensory things you really, really have to do something that nobody

R.H: Yeah I take from Pop Culture I take from the traditions of sign painting

understands for quite a long time.

because thats one thing my Dad didn’t want me to be was an artist. I think he

R.H: I don’t think in terms like that but I hope it stands for a long time and I put

was scared I was going to be a sign painter but I think that’s an honorable art

that out into the world but you never know…and thats how I feel about this

field. I wouldn’t be embarrassed to be a sign painter. I mean it takes a steady

record that it makes an immediate impact. I hear albums ten years later and

hand. You gotta be a great painter so you know. I feel a little recognition for

I’m like wow that’s an amazing album and I’m like wow that’s an amazing

those old black men that’s all they know what to do they wanted to be an

album.

artist, but like how do you make a living outta being an artist? Thats what a

M.W: So Tell me more about this record? What is it about? Whose in it, whose

lot of them did so it carries over in my work.

involved.

M.W: That is such an interesting point because there is an element of that in

R.H: A multitude of artists from the top of their game to like new and

your work you know.

upcoming performing artists. The record is centered around history and to

R.H: It was an outlet. That’s the only reason my father didn’t want me to be

be specific the history of Juneteenth and I was trying to figure out how can I

because he didn’t know any better. All he saw was guys in the neighborhood

draw young people to that story and still give them what they need. I thought

painting barber shop windows, you know buildings and stores, like I said he

music would be a good tool to do this project outside of painting. People see

didn’t know all the different fields in fine art you can do and ever since then

painting all the time but not centered around music. And not corny music

anyway my dad passed when he was seventy-five years old. My dad had

but, interesting, conceptual relevant music you know. I’m trying to get Scar-

me when he was forty-three he was an older man he came from a different

face on the project, Little Kiki and Jason Mraz a jazz pianist a spoken word

generation. He didn’t even have to be that much of a different generation He

artist, and a guitar player and a trumpet player and you, you’re the best of

probably came to one of my shows later on and he was proud.

the best… and you. You’re the best of the best. When I heard your music and

M.W: That’s beautiful.

it was immediate. I thought you should be on my record. I meet people and

M.W: Did he understand that you recycled, were reclaiming actual physical

they give mea spell of who they are …

stuff for your art?

M.W: (laughing) How is your life right now? How ya feel?

R.H: No I wasn’t doing it back then. I was making portraits of African Ameri-

R.H: I feel great right now I am in New Orleans is inspiring. I was looking for

can musicians I loved… that’s how a lot of black artists start. I started by

some houses the other day. I’ve been trying to get to NewOrleans for a long

drawing things very detailed because that’s what my family thought being

time. it’s melting pot. Lust. Love. how people here …It’s just real. The Hippies

an artist was at that time I don’t know whether I would have made it this far

I can’t what I need being intuit zone. I love the element of the layers of this

because nobody would have understood what I was trying to do. Some art-

city. You have that upper echelon. I love its dirty its clean. There is a water

ists had parents who were artists and knew about decoding and knew about

advisory.

abstract art and were very supportive but if you came from a traditional

Laughter

black family, if you cant draw portraits the way a person exactly looks, then

M.W: Sounds everywhere. French Quarter. Congo Square. All of that.

you weren’t and artist.

Amazing.

M.W: So you are talking about iconography Malcolm X, Rosa Parks, Nzinga,

So what was proclamation emancipation about? what happened?

whatever?

R.H.So basically 1865 we’re dealing with what does it look like and sound like

172


” Behold a Lady “ mixed media on tar paper, hemp thread. 2015.

” Protect your Magic” mixed media on found objects,hemp thread, tar paper and cotton flag. 2015.

173


to be free? I don’t want to over romanticize but It took a long for those black soldiers time to let people down to Texas and Galvastan people know that they were free it is troy about those slaves that narrative and spiritual slavery and the complications of it. I hear people talk about” the black family being the what it is because of slavery”. There were a lot of black people in love and making it work during slavery. They wrote love letters it out and falling involve during slavery. Story about people f color are resilient we’re still here we had 350 years of slavery but look where we are in the cuter of america. we’re doing great with no reparations. I get angry sometimes but also I am inspired. Can I come with you on one of your trips, I can be your assistant? Laughter M.W: Okay Robert this is awesome.

Mukwae Wabei Siyolwe is a Princess from the King- dom of Barotseland, an artist and a social scientist who likes to travel, compose music, meditate, write, create hybrid experiences, cook, dance and live in the moment. Robert Hodge : musician and visual artist

” Pursuit” mixed media ,collage on tar paper, hemp thread. 2015

” All my Sons” mixed media on reclaimed paper and mdf. 2014

174

No Man is Safe” mixed media on reclaimed paper and mdf. 2014.


CONCEPT

COMMENT PERCEVONS NOUS LE MONDE Par Bobiokono Noël Cyrille

Clin d’œil à Olga Skorokhodova !

Aveugle! Malentendant ? Sourd ? Acouphène ? Comment percevons-nous le monde ? Invitation aux bruits inaudibles et sans harmonie … Ou aux silences assourdissants de nos mutismes… Voyageons au cœur de nos imaginaires sonores faits de résonances, de bruits, de cris, … et de silence! Pour écouter faisons donc silence ! Des gazouillis au loin ? Plutôt des gargouillis de nos ventres victimes du bruit de leur succès. Un ventre affamé n’a point d’oreille, mais les nôtres parlent et crient « Occident ! Occident ! Occident j’ai faim de toi !» Quel vacarme ! Tohu bohu ! Embrouillamini des sons ou des vibrations… Nos références sont-elles identiques aux vôtres ? Distinguons des claquements de dents, des réacteurs d’avions ? Bruits d’immigrés ? Mais lesquels ? Yaguine Koita et Fodé Tounkara ? Huit « pygmées » Baka qui vont en Yvoir pour sensibiliser le monde sur leur sort ou pour amuser la galerie belge. Un autre avion ? C’est celui qui ramène la dépouille de Saartjie Baartman… La vénus Hottentote qui voyage ? Désolé, jamais entendu parler ! Alors quels immigrés ? LES ENVAHISSEURS ! De grâce, donnez-leur un ballon et qu’ils jouent, qu’ils s’oublient dans ces bruits inaudibles de bananes qui voyagent et atterrissent dans un stade de football où résonnent le Brouhaha et les ha ha ha… de rires jaunes ? Blancs ? Rouges ? Noirs ? Colorimétrie ? Vous avez oublié que je ne vois pas ? Mais ces hurlements de singe Où sommes-nous ? En forêt ? Au Zoo ? Des

175


animaux se seraient échappés ? Non Ota Benga ne s’est pas enfui, il s’est suicidé ! Sonorités de suicide ? J’ai du mal à entendre… peu importe ! Tremblement de terre plutôt grondement du ciel Tonnerre ! Des gouttes d’eau inaudibles qui coulent sur nos visages ? Qu’est ce que nous aimons le tambourinement de ces gouttes qui crépitent sur nos toitures percées… Mais elles sont salées et bruyantes ces gouttes. Des larmes? Oui ! Elles ne font pas de bruit et heureusement nous ne voyons pas leurs couleurs mais les sanglots… ils peuvent nous constituer en fardeaux mieux vaut les larmes …elles coulent discrètement. Silence on pleure ! Et l’image des bateaux échouant sur les côtes de Lampedusa ou de Melilla ? Désolé je suis aveugle. Et ces cris de femmes, des femmes battues, violées ? Excusez-moi je suis malentendant je ne discerne que le bonheur criant des femmes donnant la vie… alors silence radio ! Mais quelle radio ? Celle des mille collines ? Silence, on tue ! Les sonorités de nos imaginaires ou les sonorités de nos silences? Paisibles ? Honteux ? Coupables ? Gênés, entendus ? Pesants? Complices, indifférents…

PLAYLIST LES NUBIANS Solide NINA SIMONE Four Women SONNY OKOSUNS Liberation. LAURYN HILL Some Seek Stardom. DONNY ELWOOD Pygmés. NATE DOGG Why. WRINCKARS EXPERIENCE Fuel For Love. SLIM ALLI AND RHE HODDI BOYS You Can Do It. MARVIN GAYE What’s Goin On. FELA Teacher Don’t Teach Me Nonsense. PRINCE NICO MBARGA Sweet Mother.

176

BOBIOKONO Noël Cyrille, doctorant au Centre d’études en sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques (CESSMA)


CONCEPT

NOBLE ART

GESTE NOIRE & CREATION

par Patrick de Lassagne

Année 1937, tandis que Cocteau propulse le boxeur noir alcoolique Panama Al Brown à la reconquête de son titre de champion du monde ; Marais jeune acteur qui débute sous la houlette de Cocteau, sort, par amour, le poète toxicomane de son purgatoire.

En 1937, Cocteau fait la rencontre du boxeur noir Panama Al Brown. Déchu, alcoolique,

de Cocteau : Jean Marais. Autant Al Brown est dessiné et longiligne,

pièce « Les parents terribles » pour Marais, Cocteau est en tant que dramaturge fasciné

Al Brown a pourtant à son palmarès 225 com-

autant Marais est herculéen et sculptural :

par l’entraînement du boxeur Al Brown. C’est

bats, dont 23 championnats du monde. Spolié

« quand il remue un meuble il le brise » com-

alors que « Cette étonnante sauterelle de bronze »,

de son dernier titre de champion du monde

mente Cocteau.

l’inspire dans son écriture. A tel point qu’il

parce que drogué lors du combat, Al Brown

Cocteau débute alors l’écriture de la pièce

transpose dans sa pièce le style percutant, les

se donne en spectacle au cabaret Le Caprice

«Les parents terribles » pour Jean Marais qui est

fulgurances, le foudroyant tempo de la danse

viennois, dans un numéro de claquettes et de

devenu son nouvel amant.

du boxeur Al Brown entre les cordes. Cocteau

saut à la corde.

Quant à Al Brown, après une cure de

affirme : «Je dois à Al Brown d’avoir écrit Les par-

désintoxication, il reprend l’entraînement

ents terribles (…) Cette manière d’épauler, de viser,

Al Brown, Cocteau qui est lui-même drogué,

sous la houlette de Cocteau qui est devenu

de tirer vite et juste que je nomme le style. » .

dépressif et qui a subi de cuisants échecs,

son « mentor-poète » et qui le soumet à une

discerne le génie pugilistique de cet artiste du

discipline de fer.

Derrière le dérisoire spectacle de Panama

ring. Cocteau a selon son expression, le sen-

Le génie pugilistique inspire donc le génie d’écriture…

timent de découvrir « un diamant noir dans

Emergeant progressivement de son

une poubelle ». Il fait alors le pari de relancer la

brouillard alcoolisé, le foudroyant pugi-

dépression, échecs répétés, Cocteau retrouve

carrière d’Al Brown pour qu’il reconquiert son

liste opère sa résurrection. Al Brown renoue

enfin le génie flamboyant qui a fait sa répu-

honneur et son titre de champion du monde.

alors avec sa méthode. Celle-ci consiste selon

tation. Sa pièce « Les parents terribles », il la

Coco Chanel, que Cocteau implique, accepte

Cocteau « à devenir fantôme, à n’être jamais où

décrit comme « une méchante intrigue, une

de financer l’ambitieux projet.

les pugilistes le croient et à ne les foudroyer qu’à

psychologie rudimentaire, des personnages

coup sûr ».

convention-nels, gag sur gag ».

Simultanément, lors d’une audition pour Œdipe-Roi, un autre météore : «ange hyperboréen aux yeux bleus » fait irruption dans la vie

177

Sortant alors de son purgatoire : drogue,

C’est donc porté par le magnétisme de Tout en poursuivant l’écriture de sa

Panama Al Brown et le charisme de Jean


CONCEPT

Panama Al Brown : Droits reservĂŠs

178


Marais, que Cocteau les propulse, l’un sur le

DANSE AVEC LA PEUR

ring, l’autre sur la scène. A sa manière il théâtralise le noble art et met du pugilat dans son théâtre. Et c’est en effet à l’image d’un boxeur que

déplacements du pugiliste. Et ce durant trois minutes consécutives.

Danse, rythme et musique muette en boxe. C’est peu de dire qu’un bon boxeur danse, a du rythme et opère une chorégraphie dont

Puis c’est la minute de repos (et de silence) ponctuée de souffles courts, de ahanements. Lorsque les corps reprennent leur entraîne-

Marais entre en scène et tombe comme la

le tempo va du staccato à l’adagio. Sa stratégie

ment, leurs rythmes impriment à cette danse

foudre dans ce psychodrame familial où les

d’attaque et de défense est faite de retraits,

incessante un tempo que les silhouettes

conventions sont chauffées à blanc. Et c’est tel

d’évitements, d’esquives, de feintes, de pas de

chorégraphient si bien qu’on en entendrait

un victorieux tragédien que Panama arpente le

côtés, de points d’appui au sol, de ripostes et

la musique grâce au rythme régulier des

ring comme une scène.

d’attaques. Cette chorégraphie savamment

mouvements. C’est alors que ce rythme seule-

calculée, quasi aérienne, mais qui semble

ment perçu visuellement, on peut soudain

sa marque et son aura artistique et littéraire

naturelle, car constitutive du style du boxeur,

se surprendre à le mimer, à l’accompagner

Cocteau renoue alors avec le succès.

est faite de cercles concentriques évoluant

mentalement d’un tempo intérieur… Etrange

dans un carré de lumière. Ses mouvements

et remarquable phénomène de musicalisation.

tout de Cocteau, il sait surtout et aussi recad-

qui déplacent les corps des boxeurs visent

Ce ballet sur une partition muette et imaginaire

rer la vie dissolue du poète : plus d’opium, ni

à l’encerclement réciproque de l’adversaire,

semble soudain comme une jam-session com-

d’amants.

qu’il faut sans cesse tenir à bonne distance,

posée à l’improviste par les deux boxeurs. Dans

Quand, enfin prêt, Panama Al Brown se

car le cadrage fait tout l’art pugilistique. Cela

son unique court métrage « Chant d’amour »

présente sur le fameux carré de lumière pour

Mohamed Ali l’a magistralement démontré

Jean Genet a montré comment au cinéma la

la reconquête de son titre, c’est le tout Paris

durant les premiers rounds de son combat

musique peut se passer… du son ! La chorégra-

du Music hall et du cinéma qui l’ovationne.

contre Foreman à Kinshasa, en amortissant

phie sexuelle et solitaire de l’homme noir dans

Pour cette reconquête du titre de champion

les coups pour mieux les encaisser grâce à

sa cellule, si elle tient de la pantomime inscrit

du monde, Cocteau a prodigué et théorisé ses

l’élasticité des cordes, mais surtout en se désax-

très vite à son insu dans l’esprit du spectateur

conseils à Al Brown : « un boxeur est un danseur

ant sans cesse pour éviter les attaques et les

un décompte du rythme. Et le spectateur

et un psychologue. Il scrute son adversaire. Il essaie

ripostes de son adversaire.

accompagne mentalement le mouvement

Grâce à cet époustouflant brio qui a fait

Mais si le débutant Jean Marais apprend

de le comprendre. Ensuite il pose son piège. Ce piège consiste à faire croire à son adversaire qu’il peut vaincre. Qu’on l’évite. De la sorte on le place juste où il faut pour qu’il reçoive le coup » Dans un éblouissant combat, Al Brown grâce à sa vitesse d’exécution, sa précision, sa vista terrasse son adversaire et reconquiert

de l’acteur : « un deux trois », « un deux trois »,

Ce ballet sur une partition muette et imaginaire semble soudain comme une jam-session composée à l’improviste par les deux boxeurs

son titre de champion du monde. Le public

comme dans une valse à trois temps. Il s’agit littéralement d’une oreille interne. Regardez un match de boxe sans le son, c’est voir, mais aussi entendre le pas de danse, le tempo, le rythme et la scansion que les corps qui se déplacent impriment de sonorités à notre insu dans notre cerveau. Mais le génie de Scorcèse dans

acclame cette nouvelle consécration en même

Mais venons en au rythme. Entrez dans une

temps qu’il ovationne l’apothéose de Cocteau,

salle de boxe : la corde siffle dans l’air, fouette le

avec maestria la mélodie au rythme pour don-

qui a joué et gagné sur deux tableaux : le suc-

sol, les sacs résonnent du cuir qui les heurtent,

ner à la solitude du boxeur qui se déplace sur

cès de la pièce avec Jean Marais et le triomphe

le shadow boxing fait entendre le frôlement

le ring au ralenti -comme en lévitation- l’un des

et la victoire d’Al Brown. Le triumvirat Cocteau-

des semelles sur le sol. Et les combinaisons

plus grands moments d’émotion et d’harmonie

Al Brown-Marais peut fêter sa gloire dans la

de « gauche/gauche/droite » gauche/ droite/

organique de l’image et du son au cinéma.

liesse et le faste…

gauche » s’enchaînent entre uppercut, direct crochet, jabs, qui donnent leur cadence aux

179

l’ouverture du film Raging bull fut d’associer


CONCEPT

UN TRAIN PEUT EN CACHER UN AUTRE .

Les masques des Têtes Brûlées

By Blaise N’Djehoya

La formule ne s’applique pas qu’aux

désignent le duo mythique et fratricide

la jeunesse white’n’ black des Usa. La

chemins de fer des pays francophones.

de la Révolution (1987), -frères de lait de

première tournée des Têtes Brûlées dans

Comme éponyme, le groupe camerounais

la garnison de Pô, et de… l’Ecole Militaire

ces contrées survint hélas, après la mort

et son Bikutsy-rock a surgi sur les radars

Interarmes du Cameroun-, Blaise C et

du «Guitar-Heroe» Mepeme Theodore, aka

français en l’an de grâce 1989, au moment

Thomas S pour ne pas les nommer.

«Zanzibar».

où le PAF se gavait le soir d’une série états-

Une série -TV- américaine, avec pour

Une révolution-politique-ouest-afric-

unienne qui revient en ce moment sur le

acteurs principaux des pilotes de guerre,

aine, avec pour activistes principaux des

petit écran.

cela fait planer dans l’espace, surtout si

officiers de l’Elite de la Grande Muette, cela

d’aventure, elle intègre une bande-son

met le feu dans les chaumières et dans les

inventée à l’Age du Rock : la zike qui réunit

têtes, quand d’aventure, elle comporte un

Une courte revue sur Internet nous a appris qu’au Burkina-Faso, les Têtes Brûlées

Illustration par Antistatiq

180


barde fou de reggae-music, -du Piter T.

mystique entre lui et Zanzi, allez savoir.

Martin. Viennent les Têtes Brûlées avec

ou du B. Ma’lee sous influence Jah-zique-,

Chez ces gens-la, mesdames messieurs la

Joss Mengala, guitare solo et ensuite avec

la zique qui réunit les ancêtres de Marcus

zique peut être un voyage initiatique.

Atéba, guitare basse, un revenant de la

Garvey et la Harlem (Black) Renaissance, Léonard Howell et la Cité (Black) Idéale, le

formation initiale. André Afata, le batteur et Les Seigneurs de la Forêt

«Pinnacle». Une révolution -musicale- centre-

le mélange des langues pidgin, béti, et français, (....) rangent les Têtes Brûlées à la fois dans la discothèque de la Black Rock Coalition des USA... africaine, avec pour agitateurs principaux des gaillards sortis tôt de l’Ecole Publique entrés très tôt dans l’apprentissage des canons zai-co, -la Grande Ecole et la scène primitive du chant, de la guitare depuis les Indépendances- mettent le feu à l’Aube de la république des crevettes (Camaroes). Les Têtes Brûlées? Cierto, des «crustacés» dans l’Ibèrie du Navigateur Fernando Po (Eponyme de l’île de Bioho) ou, Freilich, la Prusse des Wihlem (II,Kamerun), mais en français, des … cétacés. Assez des gigs chez Ebogo Emérent, le Boss du Bikutsy électrique naissant, sympas mais quasi «njo» c-a-d peu chers payés. Assez du culte de l’Ancêtre qui habite «Escalier bar» après son errance et sa genèse dans les savanes du Nord. On taira son nom car on lui prête la légende d’une transmission

181

Roger Békongo, la guitare rythmique, sont de toutes les aventures, tout comme le

Ces gens-là sont des locuteurs des

leader post-Zanzibar, le chanteur et trom-

langues Béti, pluriel de Ati, nom et géné-

pettiste Jean-Marie Ahanda, alias « Hip ».

rique du (des) Seigneur(s) de la… Forêt.

L’Europe de l’Ouest, le Japon, les

Bantu «Fang» et Pygmées «Ba-ka» ont

U.S.A,(...) l’Afrique ont accueilli des jeunes

en partage le rituel initiatique du BWITI,

« Seigneurs de la Forêt », peints et coiffés

l’Arché de l’Invention/fabrication (du grec

comme pour la sortie d’un rite de passage

anc. : poien, poesis) de la Harpe ou MVET,

-la circoncision-, la tête lestée d’antennes

comme principe de l’instrument, du genre

futuristes, les pieds chaussés de baskets qui

littéraire et de l’instrumentiste.

égaient la scène avec des parties de foot.

L’Oncle Medjo est l’archétype de cette tradition. Dans ce phylum génétique

C’est à l’ethno-historien du Burkina-Faso

survient Messi Martin, qu’on peut citer

et du Cameroun, le professeur émérite

désormais entre «Initiés» : guitar-heroe

Philippe Laburthe-Tolra que nous devons

du gang des … «LOS CAMAROES», qui

devons la thèse monumentale sur les

marient tambours et batterie, branchent

Béti(sing, Ati)=Seigneurs de la forêt.

guitare et électricité, des dieux nouveaux

Les enseignements du professeur

dans le Landerneau des années 1960, ou

Bingono, à l’ESSTI de Yaoundé, journaliste

règnent l’Ashiko et le Makossa. Un train, un

bien connu, inventorient les instruments

Archiviste est entré en ville : Man no run.

à vents, à percussions, à cordes(…) parmi

Claire Denis a filmé la première tournée

lesquels figurent les tam-tams, troncs

des Têtes Brûlées en France. Belle sortie de

percés, balafons avec lesquels se jouaient le

Zanzi, de retour au pays, de la scène et de

proto-bikutsy dans les campagnes du sud

la vie. Des années plus tard, Cool Bass c-a-d

Cameroun, du Gabon (Fan), de la Guinée

Martin – Mangouma - Maah, suivait Zanzi

Espagnole (Fang), voire du Congo Brazza-

au pays du « Non retour ».

ville (Batéké).

Il y a donc les Têtes Brûlées avec Zanzibar et Cool Bass, puis sans Zanzi, puis sans

Les locuteurs du Fang, contemporains des Indépendances, ont remplacé les


troncs percés et ou balafons avec la guitare

Blaise N’Djehoya: Réalisateur et écrivain camerounais.

acoustique, puis électrique:

Né en 1953, Blaise N’Djehoya devient journaliste et écri-

MVET des origines (tronc-percé, bala-

vain suite à la l’obtention d’un DEA «d’histoire africaine et

fon), du présent (guitare, clavier, synthé).

d’anthropologie au 20ème siècle». Il réalise ensuite plusieurs

Ainsi va la généalogie, de Medjo me Som

documentaires et fictions, notamment un portrait de Manu

à Messi Martin, et de ce dernier à Mépémé

Dibango dans Silence (1991) et un film sur la vie des artistes

Théodore, alias Zanzibar.

noirs dans le Paris d’après-guerre (Un sang d’encre). il a écrit en 1988 Le Nègre Potemkine ( Lieu Commun

L’amplification des guitares, l’accélération de la vitesse du rythme

ed) ,puis Harlem Héritage Mémoire et renaissance, revue Riveneuve Continent.

traditionnel et du chant choral, le mélange des langues pidgin, béti, et français,(....)

Discographie

rangent les Têtes Brûlées à la fois dans la

1988 : Les Têtes Brûlées (Bleu Caraïbe)

discothèque de la Black Rock Coalition

1990 : Ma Musique a Moi (Bleu Caraibes)

des USA et la Caverne d›Ali Baba des

1992 : Bikutsi Rock (Dona Wana)

« peuples premiers », c-a-d les Musiques du

1995 : Be Happy (Dona Wana)

Monde.Entre Rock’n Roll et les Musiques

2000 : Bikutsi Fever “Best of” (Africa Fete)

«Ethniques» Biographie des Têtes Brûlées Quatre albums dont une musique de

Leur carrière commence dans les années 1980. Après leur

film, après 1989 les Têtes Brûlées sont

premier passage à la télévision camerounaise en 1987, les

devenus un mythe qui a du mal à se sur-

Têtes Brulées entrent dans la légende. Leur musique reprend

vivre. Certains sont partis à l’étranger (JMA

des rythmes ancestraux du bikutsi mais mis au goût du jour

aux Usa) les autres sont restés au Came-

dans un style beaucoup plus électrique grâce notamment

roun (Afata, Atébass, Mengala, Békongo).

au guitariste Zanzibar. Leur costumes excentriques, leur

Mais l’idée, le concept des 5 Seigneurs de

crânes à moitié rasé et la peinture blanche sur le corps ils

la Forêt peut se reconstituer n’importe

deviennent rapidement le groupe de bikutsi le plus connu

quand. Le train est à quai. L’histoire n’est

au Cameroun et dans le monde. Malgré tout, de nombreux

pas finie.

critiques et fans du genre n’acceptent que difficilement leur genre pop et électrique. Le groupe est formé par Jean-Marie Ahanda rejoint par le guitariste Zanzibar (Epeme Théodore). Zanzibar est connu pour sa manière de faire sonner sa guitare comme unbalafon grâce à la fixation d’une mousse en caoutchouc sur le chevalet de sa guitare. La mort de Zanzibar en 1988 menace de mettre fin au groupe. Le groupe se trouve des nouveaux membres ce qui permet d’enregistrer de nouveaux morceaux et de refaire des albums. Les Têtes Brûlées est leur premier album, avec uniquement du bikutsi. Les textes sont engagés et ciblent de nombreux problèmes sociaux au Cameroun

182


Zanzibar[Epeme Théodore] - Me bo ya? - Les Têtes Brûlées ...

18 avr. 2009 - Ajouté par patbscorp

▶ 8:13

Live Au jardin en Plus(Gennevilliers) 21 Février 2009

https://www.youtube.com/watch?v=x-Gh_7ocGeA

Atebass,Tino Baroza.

30 juil. 2011 - Ajouté par DVCZZ Channel

Les Têtes Brûlées - Dialogue Solo (Zanzibar) vs Bass ...

... dont la carrière a été lancée par le groupe Les Têtes brûlées. Il 2:14 est considéré comme l’un des piliers majeurs de la musiqueBi-

https://www.youtube.com/watch?v=86PECaSxMN4

kutsi. Il était à ...

25 juil. 2011 - Ajouté par DVCZZ Channel

Les tetes Brules et les Martiens - Bitkusi - YouTube

Les Têtes Brûlées - Dialogue Solo (Zanzibar) vs Bass (Atebass) vs

9:20

... et il les intriguait beaucoup ou ils invitaient le groupe pour les

https://www.youtube.com/watch?v=o6fX9qdbnuE

entendre ...

30 nov. 2014 - Ajouté par Camer-italie Diasporatv

serie tv - Les Tetes Brulees - Generique - vidéo Dailymotion

Leur musique reprend des rythmes ancestraux du bikutsi mais 1:09 mis au goût du ... le groupe de bikutsi le plus connu au Cam-

www.dailymotion.com/.../xlp8y_serie-tv-les-tetes-br...

eroun et dans le monde. ... Les Têtes Brûlées est leur premier album, avec uniquement du bikutsi.

Infos; Exporter; Ajouter à; Playlists. Generique de la serie tv LesT-

les têtes brulées du cameroun - YouTube

etes Brulees. suite. Date de publication : 05/11 ...

6:39

les tetes brulées- nadege - YouTube

https://www.youtube.com/watch?v=zOSTjPT-xsc

4:29

3 juil. 2009 - Ajouté par lpatrick74

https://www.youtube.com/watch?v=200bOz4N8uw

Groupe qui fait mal au Cameroun. ... Mix - les têtes brulées du

3 avr. 2013 - Ajouté par christian bkn

camerounby YouTube. les tetes brulées- nadege - Duration: 4:29. super titre NADEGE des têtes brûlées du Cameroun que j’ai mis by christian ...

en ... Ici des légendes de la musique mondiale, rien envier à Elvis,

Les têtes brulées Essingan - YouTube

ou qui que ...

11:46

Les Têtes Brulées - Ma musique a moi[Jean Marie Ahanda ...

https://www.youtube.com/watch?v=wOVQT1Ww21Y

6:26

9 août 2010 - Ajouté par chester555

https://www.youtube.com/watch?v=89O5DM-g67g

Les têtes brulées Essingan .... Tête Brûlé.. .... Les Têtes Brûlées-

13 sept. 2011 - Ajouté par DVCZZ Channel

Essingan (Epeme Théodore Zanzibar) [Version ...

Titre: Ma musique a moi - Album: Man No Run - Artise: Têtes

Yannick Noah et les “Têtes brûlées” dans une chanson du ...

Brulées ... Martin Maah “Cool Bass”, le seul Bassa du groupedé-

5:16

cédé aujourd’hui.

www.ina.fr/video/I00014143 Yannick Noah, Jean Marie des “Têtes Brûlées et “Les Visiteurs” interprètent une chanson du folklore camerounais. ... Têtes brûlées-groupe · Visiteurs-groupe. Live Têtes Brûlées - YouTube 8:51 https://www.youtube.com/watch?v=_KPTUJpShhQ

183


CONCEPT

Henri Guedon “ Son Tamboula” Par Jayone Ramier

TA SO M N BO C UR LA VÉ

+

BOUR DU TAM N O S E L

Né en Martinique en 1944 Henri Guedon oscillait entre musique et peinture. Grand percussionniste et spécialiste des musiques Afro-Caribéenes, il est décédé en Fevrier 2006, dans un silence méprisant comme Eugene Mona un autre artiste antillais apôtre du Tambou - ce lien entre Afrik et Amerik

184


185


CONCEPT

186


187


ART TALK FOCUS

SATCH HOYT

The musical sculptor in his spaceship

By Pascale Obolo and Satch Hoyt All images courtesy of the artist

Tambourine Chain, 2015 (3D rendering), Tambourines, mirrors, 475 x 25 x 25 cm

Inspired by art history, music and popular

ituality are all themes he takes up. Guided by

vinyl records and guitar plectrums, as well

phenomena, Satch Hoyt’s work exists in the

sound as the red thread, Hoyt’s work traverses

as drawings and paintings. These works are

plural. He subtly explores sports, gaming,

the terrain of racial and cultural identity.

accompanied by self composed sonic texts

original soundtracks, sculptures and drawing. And his work interrogates the modalities of universality through metissage and Afrofutur-

Satch has made musicality and orality base chord of his visual practice. Who is Satch Hoyt by satch Hoyt?

(sound-scapes): a form of sonic cartography to map out historical and fantastical Afro-futuristic Black Atlantic journeys - voyages from Slave

ism. The latter is a term drawn from the work of

My current works mine what I term the Afro

Ship to Space Ship. Through research, narra-

critic Mark Derky, which describes the reap-

Sonic Signifier - I argue that this mnemonic

tive, imagination, myth and fantasy I persevere

propriation of the experience of black identity

network of sound is

to contribute to the ongoing construction of a

20 century through the imaginary of science

a primary element that has kept the transna-

new all-inclusive Black cultural identity.

fiction and cyber culture.

tional African Diaspora intact. Through research

th

of African diaspora histories, mythologies and

THE UFO ARTIST:

invectives from the roots up. Refusing both

cosmologies I employ a plethera of materi-

Satch Hoyt, born in London of British and

sterile communitarianism and smug universal-

als such as boxing gloves, raw cotton, police

African-Jamaican ancestry, is currently living

ism, he redefines multiple identities on his own

batons, drum sticks, bull whips, burnt electric

and working in Berlin, Germany. He’s visual

terms. Cosmology, sports, mythology and spir-

guitars, used 1970’s tennis racquets, 45 rpm

artist and musician who investigates the

In his art Hoyt work to free politically correct

188


Splash Ride Crash, 2015 (3D rendering), Cymbals, steel, fans, 350 x 450 x 450 cm

becoming, the existence, the challenges of the

ments Satch Hoyt has composed a number

Anansie), Earl Harvin (Me’shell Ndegocello) and

African Diaspora experience through his artistic

of songs with Grace Jones; noteworthy, is 7

Dave Smoota Smith (TV On The Radio).

practice. He makes sculptures and installations

Day Weekend which is on the triple platinum

accompanied with sound, as well as paintings

soundtrack album of the Eddie Murphy movie

with Dirk Leyers.

and drawings. There is a dichotomy in the

Boomerang.

http://www.satchhoyt.com

genres that define two sides of the same coin: a

Hoyt also worked with master percus-

dual and complementary reflection on the Afri-

sionist composer Stomu Yamashta, played

can Diaspora and its multi-fold consequences.

flute on Louise Bourgeois’ OTTE, and is flautist

The sculptural trope in Hoyt’s work addresses

- percussionist in Burt Sugar The Arkestra

the facts on the ground, so to speak, of black

Chamber since 2001. Hoyt has sung and played

experience, while the drawings tap into a spirit

on numerous recordings and has recently

of fantasy, refuge, and transcendence - they are

recorded a new album in Berlin, Battlefields Of

vehicles for an imaginative journey beyond the

Peace, under the pseudonym Pharoah Dreams

obduracy and oppressiveness of history.

which includes guest musicians Julia Kent

With regards to his musical accomplish-

189

(Anthony and the Johnsons), Cass Lewis (Skunk

The album is co-written and co-produced


Elite Special, 2015, acrylic paint on vinyl, diameter 30 cm On the right page from up to down : Concil estate and Plastic bottle canoe

190


191


Notes from the Axis and Beyond: Solo #1, 2012, Acrylic on canvas, 146 x 100 cm

192


Sonic Transmission, 193 2015, 15 microphones, wood, cables, audio components & soundscape, 450 x 300 x 45 cm


The Back Beat, 2015, 3 channel video projection, 1080p 16:9, colour, soumd, audio components

194


"Celestial Vessel," 2009. RCA Victor Red Seal 45rpm vinyl records, steel, magnets, oil paint, audio components, soundscape 203 x 37 x 18 inches.

195


PLACES

LA ToutR22 monde Par Sébastien Zaegel

« J’appelle Tout-monde notre univers tel qu’il change et perdure en échangeant et, en même temps, la « vision » que nous avons. » (Edouard Glissant ) Créé en juin 2014 ,la R22 Tout-monde

férents, de multiples tentatives pour

priété et qu’ils peuvent librement

est une webradio développée par

faire entendre des formes de vie et de

publier sur d’autres plateformes.

Khiasma, née d’une collaboration entre

prise de parole. La R22 Tout-monde

plusieurs centres d’art (Le 116 — Mon-

s'envisage comme une zone de con-

Chaque mois un artiste est invité à

treuil, L'appartement22 — Rabat, le

fluence, un outil collaboratif. Lieu de

réaliser une série d’intermèdes sonores.

SAVVY Contemporary — Berlin). Elle

débat, mais aussi espace éditorial

Le projet R22 a été conçu par Olivier

met en circulation et en partage des

pour la littérature contemporaine

Marboeuf directeur artistique du centre

documents sonores de tout format,

et la création sonore, elle permet

Khiasma et Sébastien Zaegel coordina-

produits par un ensemble de contribu-

d’expérimenter, au fil des mois, dif-

teur de l espace Khiasma

teurs de par le monde. Ces documents

férentes modalités d’adresses et

sont pensés comme des archives

d’écritures du proche et du lointain.

Link : http://r22.fr - www.khiasma.net

vivantes et des ressources pour l'action.

Le fonctionnement de la webradio

Sébastien Zaegel : coordinateur

Structures culturelles et artistiques,

R22 est très simple. Elle publie chaque

du Pôle littérature à l Espace Khiasma

écoles et universités, associations,

début de mois un programme com-

artistes, chercheurs, étudiants ou

posé à partir des sons postés par les

habitants d'un quartier sont autant

contributeurs. Ces derniers possèdent

d’émetteurs, de récepteurs et de relais

chacun une interface et une antenne

qui traduisent, dans des contextes

où est regroupé l’ensemble de leurs

sociaux, politiques et culturels dif-

sons qui restent par ailleurs leur pro-

196


197


PLACES

MUSIQUEAUPOING ? COTONOUENMUSIQUE

En quête d’un Atlantique noir par Switch "Groov" Experience (Bab Musique | Musique pour l’Imaginaire) - Crédits Photos : Courtesy of the artist

Musiqueaupoing ? Est un projet de création audiovisuelle interactive pour découvrir une ville autrement, proposer de la musique dans un environnement visuel et graphique innovant, et vous faire cheminer, par le son et l’image. On démarre le voyage musical avec cotonou, métropole ouest africaine à l’énergie débordante. Á la frange de la création musicale et des arts numériques, ce projet est développé par Switch "Groov" Experience, dj, producteur et photographe, à partir d’un matériau sonore, musical et visuel original, et de la technologie émergente webaudio.

198


MUSIQUEAUPOING ? En tant que DJ et Musicien, mon

visuels originaux, qui auront pour

Par là, je ne prétends pas qu’il

support huit villes emblématiques de

s’adressait exclusivement à moi. Non, il

l’espace diasporique noir : Cotonou,

parlait à ma place, surtout.

expérience s’appuie sur l’exploration

New-Orleans, Accra, Cape Town, Fort-

Par la suite, je développais une

des musiques noires, et à travers elles,

de-France, Detroit, Manchester, Paris.

sensibilité pour la culture musicale

d’une culture caractérisée par une

Pour chaque ville/étape correspondra

béninoise, caractéristique d’une moder-

même variable participant, depuis la

un dispositif audiovisuel interactif,

nité culturelle à laquelle je souhaitais

naissance du jazz, à l’éclosion d’une

structuré autour d’une bande originale

me confronter, dans le présent, et à

musicalité commune aux commu-

sonore et musicale, illustrée par un

l’échelle de la capitale économique du

nautés diasporiques africaines de

travail photographique et/ou une vidéo

pays, Cotonou.

l’Atlantique noir (Paul Gilroy) .

originale et une librairie graphique

Pour poursuivre ce cheminement artistique, j’ai entamé, en 2013, le développement d’un projet à long

De février à avril 2013, j’ai ainsi

interagissant, grâce aux technologies

séjourné à Cotonou, métropole ouest

web, avec le son et la musique.

africaine

Ces dispositifs accessibles depuis

baignée par le Golfe de Guinée. Sur

terme intitulé musiqueaupoing ?

ce site internet donneront lieu, par

place, à l’arrière des « zems », moto-

se situant à la limite de la création

ailleurs, à des déclinaisons « live », asso-

taxis locales, ou à pied, j’ai sillonné

musicale contemporaine et des arts

ciant son/musique, projection visuelle

la ville à la recherche d’une certaine

numériques, dont la vocation est

et mapping.

musique, la localiser, la percevoir

d’interroger les liens entre musique, ville et culture populaire.

géographiquement au sein de la COTONOUENMUSIQUE

Cette démarche questionne les notions d’hybridité et de dissémina-

métropole cotonoise. Muni d’un micro enregistreur numérique et de deux

Au début résonne une musique, La

appareils photographiques (un argen-

tions culturelles, et propose, par une

Musica En Vérité de Gnonnas Pedro,

tique et un numérique), j’ai accumulé

collection de créations audiovisuelles

étoile du son afro-cubain béninois

une matière sonore et visuelle reflé-

originales, la mise en valeur des

animé d’une poésie qui frappa l’esprit

tant, de mon point de vue, le territoire

espaces et moments où s’inscrivent et

du DJ et musicien que je suis.

musical que déploie Cotonou, à travers

s’articulent ces processus culturels, à

« Je ferai en sorte de démontrer

leur conférer une matérialité ou à en

que la musique nourrit le monde »

la musique, ses signes, sa pratique et

révéler la poétique et la symbolique.

déclame ce chanteur révélé au monde

surtout le Désir qu’elle incarne.

Ainsi, il ne s’agit pas tant de

sur le tard avec le projet Africando.

la culture bien vivante que représente

Par ailleurs, j’ai rencontré

regarder, d’entendre ou de lire la ville,

L’expérience musicale et le point de vue

des musicien(ne)s, des DJ, des

des expressions musicales ou des pro-

qu’il exprime dans ce texte me toucha

chanteur(euse)s, des programmateurs,

cessus sociaux et culturels, mais plutôt

profondément.

des présentateurs radio, participé à

de révéler, par le médium artistique,

Depuis ma place, à Paris, et bien des

des répétitions, des concerts et soirées,

ce qui se trouve à leurs frontières cet

années après sa composition et son

des émissions radios et observé, plus

“endroit où quelque chose commence

enregistrement, la complicité qu’éveilla

globalement, les différentes scènes

à être” (Homi K. Bhabha).

cette chanson entre Gnonnas Pedro et

actuelles - hip hop, afrobeat, afro-

moi ne me quitta plus, les paroles de la

cubain, dance/pop music… - pour

ing? est de proposer une cartographie

Musica en Vérité acquérant valeur de

prendre le pouls des dynamiques et

renouvelée de « l’Atlantique noir »,

manifeste. Avec cette chanson, Gnon-

tendances fortes caractérisant le fait

par la création de dispositifs audio-

nas Pedro parlait pour moi.

musical à l’échelle de cette métropole

Ainsi, l’ambition de musiqueaupo-

199


africaine. Finalement, il ne s’agit pas tant de

Qui se cache derrière Switch « Groov

ers, tels que les Jazz Attitudes Parties,

» Experience ? Arnaud Simetière, alias

proposées de 2011 à 2014, à la Java, club

regarder, d’entendre ou de lire la ville,

Switch “Groov” Experience, chemine

situé dans l’est parisien. Son activité

des expressions musicales ou des pro-

depuis plus de 15 ans dans le champ

s’est également déclinée par la réalisa-

cessus sociaux et culturels, mais plutôt

musical. Son approche et sa trajec-

tion radiophonique avec une première

de révéler, par le médium artistique,

toire sont déterminées par sa pratique

expérience à partir de 2002 et le lance-

ce qui se trouve à leurs frontières, cet

première, celle d’être un dj, recherchant

ment d’une web radio à Toulouse, ou

“endroit où quelque chose commence à

et explorant le répertoire de la black

plus récemment avec la réalisation d’un

être” (H.K Bhabha).

music, tout en se situant pleinement

programme, Open Sky, sur Radio Cam-

au cœur des émergences musicales

pus Clermont-Ferrand

Au total, mon but était de saisir des formes et signes d’une modernité

contemporaines. Parce que la musique,

Il a sorti une dizaine de disques,

musicale présente ou en devenir, de

comme il l’envisage, détient une force

avec un premier album en 2009 et dif-

sentir et traduire, depuis ma place de DJ

miraculeuse, celle de contourner

férentes parutions de Ep, notamment

et musicien français, ce que cotonouen-

l’absolu du temps, qui tranche en péri-

sur Bab Musique, le label et plateforme

musique révèle de l’hybridité et de la

odes et en dates, constituant ainsi une

artistique qu’il développe depuis 2010,

circulation culturelles, caractéristiques

matière intemporelle par laquelle un

recueillant les soutiens de nombreux

communes de nos sociétés postcoloni-

dj bâtit ses narrations. Son activité de

artistes, tels que Laurent Garnier,

ales. cotonouenmusique est accessible

dj l’amène à partager des scènes avec

Nickodemus, Michael Rütten ou Gilles

librement sur le site web

de nombreux artistes internationaux

Peterson.

musiqueaupoing.com

200

et à proposer des évènements singuli-

Parallèlement à cette trajectoire


musicale, Arnaud Simetière a suivi une forma- a deux ans, il investit le champ des arts numé- Français du Bénin à Cotonou, et à Mix My Wax tion initiale autour de la ville et des études

riques, croisant des objets (musique, ville,

urbaines. Son parcours a donc été nourri

culture populaire) et des supports (image,

Check Rasta…

d’expériences de terrain et de projets de

son, musique) afin d’interroger les probléma-

Une mention spéciale pour : Jean-Claude

recherche autour et par l’objet urbain, dans

tiques hybridité et de circulations culturelles,

Mas, Frédéric Dufaux, Marie-Hélène Bacqué,

une optique pluridisciplinaire, croisant soci-

de frontières et d’interstices. Ce projet pren-

Claire Preud’Homme, Chloé Buire, Cyrille

ologie, géographie, philosophie, et études

dra la forme d’une collection de créations

Gatignol, Françoise Laronde, Laurence

culturelles et post- coloniales.

audiovisuelles interactives, appuyant sur huit

Simetière et mon “phare” Amélie Flamand.

La démarche artistique d’Arnaud Simetière villes situées autour de l’Atlantique. est également sensible à l’image, surtout l’image fixe, transcrite par la photographie.

(Bénin) ,Morgan,

équipe-projet Idée originale et auteur : Switch “Groov” Experience Co-scénarisation

Que soient ici remerciées toutes les

multimedia, conceptrice multimédia : Anna-

Emprunte d’une dimension documentaire, où personnes rencontrées (et pardonnez mes

bel Roux Prise de son, composition musicale,

la représentation du réel et du monde tel qu’il oublis), pour leur disponibilité, leur gen-

photographie : Switch “Groov” Experience

se voit, dialogue avec un univers plus imagi-

tillesse, leur aide et soutien ainsi que les

naire et onirique, sa photographie a le souci

précieuses heures passées près d’eux.

du cadre juste, de la bonne distance avec son

Merci donc à Flora Soglo et Guy Lemaitre,

sujet, avec une priorité donnée à l’argentique

Tchaye Okio, Camille Perrot, Isdeen et ses

et au noir et blanc, révélant des textures et

musiciens, Segun Ola, Eric Dagbo, Timothée,

une consistance trouvant des correspon-

Samson et l’International African Jazz, Sostein

dances avec le langage musical.

“the jazz preacher”, Sylvain Treuil, Noël Vitin,

Avec le projet musiqueaupoing ? lancé il y

201

Laura ainsi que toute l’équipe de l’Institut

Matière & informations complémentaires; http://musiqueaupoing.tumblr.com www.bab-musique.com


PLACES

«SIX VOIX DISENT LE SON,

À LA GALLERIA CONTINUA – LE MOULIN…» Hafida Jemni

Chargée d'âme et d'histoire, la Galleria Continua - Le Moulin

ou de Silvio de Sislej Xhafa. La Galleria Continua dans le cadre du

la première galerie internationale de Cuba, dans un vieux cinéma du quartier

approuve l'idée d'un art contemporain

projet « Sphères », réunit plusieurs

surgissant d’endroits non convenus

galeries internationales guidées par la

- À Paris Folia Continua @Centquatre

(renaissance d’un site post-industriel),

volonté d’unir leurs diverses énergies

du 26 septembre au 22 novembre 2015

en dehors des structures habituelles

autour d’une expérience inédite et com-

de l'art contemporain (White cube);

mune d’exposition au sein du Moulin.

et capable d’accueillir des œuvres

Est-ce pour bientôt une ouverture

chinois d' Aguila de Oro.

http://www.104.fr/programmation/ evenement

monumentales, comme Vitrage pour

d’une Galleria continua dans un pays

Sainte-Marie, travail in situ, mai 2012

de l’Afrique, les côtes et les terres sont

INFORMATIONS PRATIQUES

de Daniel Buren, ou de Silvio de Sislej

spacieuses pour accueillir et partager…

Galleria Continua / Le Moulin

Xhafa.

oui, c’est un vœu, pour poursuivre « les

46 Route de la Ferté Gaucher,

futures du monde », des cinq continents !

77169 Boissy-le-Châtel

Depuis son inauguration à Boissy-

Contact :

le-Châtel en 2007, Galleria Continua / Le Moulin a confirmé sa volonté

La Galleria Continua fête sa 25e

lemoulin@galleriacontinua.com

d’investir des territoires inattendus et

année, et confirme son multi cultural-

Remerciements :

d’y accueillir des artistes d’envergure

isme, et ce depuis sa genèse en Toscane

Elodie Maincent, Kuralai

internationale. En juin 2012, Galleria

à San Gimignano en 1990…

Abdukhalikova ainsi qu’à toute

Continua ouvre son nouveau site, le

Telle une arraignée, la Galleria Con-

Moulin de Sainte-Marie. A 800m du

tinua tisse sa toile, se déploie dans le

Moulin de Boissy-le-Châtel, Le Moulin

monde, au-delà des frontières, car l’art

de Sainte-Marie est ainsi un projet pion-

est universel.

l’équipe de la GALLERIA CONTINUA / Le Moulin, pour leur aide précieuse

nier d’un lieu d’art qui constitue une

- À Beijing en Chine en 2004 , l’une

véritable renaissance d’un site post-

des premières galeries non chinoises à

Hafida Jemni est diplômée de

industriel en campagne parisienne.

s’y établir

l’institut d’études supérieures de

Il est d’ores et déjà l’écrin privilégié d’œuvres monumentales in situ comme

- Moulin de Boissy-le-Châtel « Le Moulin » en 2007

Vitrage pour Sainte-Marie, travail

- Le Moulin de Sainte-Marie en 2012

in situ, mai 2012 de Daniel Buren,

- À la Havane en 2015, ouverture de

202

l’art, curatrice, enseigne l’art contemporain d’Afrique et sa diaspora à l’IESA Paris


Hans OP DE BEECK, Guitar, 2014 Gypse, bois, nylon 170 x Ă˜ 110 cm Courtesy GALLERIA CONTINUA, San Gimignano / Beijing / Les Moulins / Habana Ph. : Studio Hans Op De Beeck

203


Jorge MACCHI, 2 short songs, 2009 Deux photos couleur 46 x 64 x 3 cm chacune Courtesy GALLERIA CONTINUA

Pascale Marthine TAYOU, Vuvuzela Symphony, 2010 Vuvuzelas Approx. 236 x 207 x 30 cm Courtesy GALLERIA CONTINUA

204


Kader ATTIA, Untitled (Al Aqsa), 2011 60 cymbales Courtesy GALLERIA CONTINUA

205


Loris CECCHINI, Stage Evidence (viola), 2006 Caoutchouc uréthane Courtesy GALLERIA CONTINUA

Shilpa GUPTA, Untitled (work in progress, 100 interviews), 2012 Installation : oeuvre audio, chaises, 2 casques audio Boucle de 3’42’’ Courtesy GALLERIA CONTINUA

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Shilpa GUPTA, I keep falling at you, 2010 In Blandy Art Tour(s) Milliers de microphones et son radio sur plusieurs chaĂŽnes 396 x 213 x 213 cm Courtesy GALLERIA CONTINUA Ph. : Didier Barroso

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Pascale Marthine TAYOU, Crazy-Nomad-02/Globe-trotters, 2011 MatĂŠriaux divers 190 x 120 x 130 cm ; 170 x 110 x 110 cm ; 160 x 110 x 110 cm Courtesy GALLERIA CONTINUA, San Gimignano / Beijing / Les Moulins / Habana Ph.: Oak Taylor-Smith

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Pascale Marthine TAYOU, Shhhht.....!, 2007 Installation sonore : microphone, son Dimensions variables Courtesy GALLERIA CONTINUA, San Gimignano / Beijing / Les Moulins / Habana Ph. : Oak Taylor-Smith

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CARNET DE BORD

L’Autre musique Frédéric Mathevet & Célio Paillard ©

Textes et images

L’Autre musique

L’Autre musique fait sonner et résonner d’autres musiques, tout un tas d’autres musiques, sans limite de styles, genres, catégories, disciplines. Il n’y a pas de distinction qui tiennent, nous nous intéressons à toutes les pratiques du son, des arts plastiques, de la création en train de se faire, au sens large. Nous aimons toucher à tout, et même plus, si possible. C’est ainsi que nos pratiques se développent : au contact des autres et dans toutes les directions, selon les circonstances et là où nous souhaitons nous engager. La création est un mouvement, un processus qui, occasionnellement, donne lieu à des œuvres, des cristallisations qui sont aussi des nœuds, comme le dit la ligature « œ », qui n’est que le début du mot, avant que celui-ci ne se déploie et ne donne naissance à d’autres choses, encore, des « sous-produits » (comme le disait Orozco), la création est un mouvement, un processus… La création sonore, plastique, protéiforme, polyartistique est une pratique ouverte toujours remise sur le métier, qui inclut des recherches, des expérimentations, des réflexions, des conceptualisations, des démarches artistiques, des formalisations, des jeux et tout ce que nous pouvons avoir envie d’y mettre, sans restriction.

210

Il n’y a pas de territoire des arts sonores, pas d’indigène, ni d’étranger. Créer avec du son ouvre d’autres possibilités, qui sont aussi disponibles pour alimenter d’autres pratiques. La pratique ne vise pas forcément à un résultat, c’est souvent une activité qui se suffit à elle-même, comme lorsqu’on fait de la musique, seul ou à plusieurs. Il y a des pratiques sans œuvres, mais pas d’œuvres sans pratique. Réfléchir à la création sonore, c’est aborder des problématiques qui touchent tous les arts. Penser à l’implication des corps, prendre en compte les circonstances, interroger les modes d’engagement, questionner l’opérativité du bruit… Nous parlons de nos pratiques et de celles des autres, notamment à travers des enquêtes participatives sur notre laboratoire (« Nouvelles écritures du sonore », « Once upon a time Fukushima », « Bruits »…) dans lesquelles des artistes présentent une œuvre. Les œuvres sont interprétées et réinterprétées. Elles peuvent être rejouées et produire d’autres œuvres. La création de partitions (graphiques, textuelles, interactives, polymorphes…) favorise des processus de création ouverts et appropriables.

Fondée en 2010 par Frédéric Mathevet et Célio Paillard, L’Autre musique « crée » de multiples manières : en cherchant, en réfléchissant, en discutant, en s’ouvrant aux autres et en leur laissant de la place, en diffusant, en publiant une revue en ligne, en expérimentant et en présentant ces recherches et celles de beaucoup d’autres artistes et chercheurs dans un « laboratoire » en ligne, en organisant des événements, des expositions, des performances, des concerts, des improvisations collectives, des rencontres, des discussions, en participant à tout cela, en invitant des amis ou d’autres personnes qui ne sont pas des proches, mais dont nous apprécions le travail, peu importe qui contacte qui, parfois en faisant des choses avec eux, en créant seul, à deux ou accompagnés, dans une pratique quotidienne ou lors de résidences, en transmettant, en enseignant, lors d’ateliers ou à travers des cours, en école ou dans le supérieur, en écrivant des textes, des articles, en participant à ou en organisant des colloques, en discutant, en réfléchissant, cher chant, j’aimerais que tu ne cesses jamais de raisonner !

L’AUTRE MUSIQUE


Cards piano piece # 1 (interfere) Pour piano et field recording. Dimensions variables. Les photographies sont autant de tablatures pour piano, à interpréter. Frédéric Mathevet, 2015

211


NOTER Nous avons une pratique « ménagère » du sonore et du visuel. Une gymnastique particulière qui suppose des dispositifs techniques et matériels faits d’arrangements de poche, de sacs et de stylos, pour prendre des notes, d’abord de ce qui nous entoure. Et lorsqu’il s’agit de « notation » plastique, on imagine facilement la débauche matérielle, même minimum, qu’elle requiert : appareil photo, enregistreur, caméra, carnet pour le dessins, pour l’écriture, papier à musique... Puis, les prise de notes est et reste « personnelle », voire intime. Si prendre des notes est essentiel aux œuvres à venir, l’espace de visibilité

qui leur est donné est quasi nul. La prise de notes est un sous-produit artistique, une pratique en amont de l’œuvre, essentielle, partie submergée d’un iceberg, des « petits riens » où pourtant se déploient et se constatent les motilités et les mutations de la plasticité au travail. Roland Barthes, dans la Préparation du Roman1, nous rappelle que c’est une pratique qui suppose d’avoir un œil sur la page et l’autre sur ce qui arrive. Tout le dispositif technique et matériel, préparé pour le moment de la prise de notes, permet d’ « écrire le présent en le notant au fur et à mesure qu’il tombe2 ». « Des copeaux3 de présent, 1 Roland Barthes, La préparation du roman, Paris : Seuil Imac, , 2013, p. 137. 2 Ibid. 3 « Copeau ? Oui : mes scoops personnels et intérieurs (scoop : pelle, écope, action d’enlever avec une pelle, rafle, coup de filet, primeur). Les

3 mouvements de nuages (gra-gratte ou symphonie) Ne jouez pas les nuages, soyez les nuages quand vous jouez. Célio Paillard, 2015

212

tel qu’il vous saute à l’observation, à la conscience », qui supposent de la notation qu’elle soit une activité extérieure et soudaine. « Noter », c’est tout un rituel pragmatique d’organisation de ses poches et du fond de ses poches, pour se rendre disponible au présent. Parce que la pratique de la notation, c’est-à-dire la saisie de la circonstance, attend de celui qui s’y adonne une certaine disposition d’esprit et suffisamment de temps pour en saisir le moment. Pour « noter » il faut être disponible, ce qui engendre toutes une quantité de préparations et d’agencements méticuleux qui permettront la pleine réception du présent, d’ « ausculter le grand cluster vivant ». très petites nouvelles qui me sont personnelles et que je veux “rafler” à même la vie. » in Ibid.


NOMADE « Noter » ouvre aux pratiques musicales nomades. Quand on cherche à faire coïncider le vif, le motif, le « présent comme il tombe », avec le désir artistique de faire une œuvre, la prise de notes invite à proposer de nouvelles façon de concevoir l’écriture musicale (mais nécessairement polyartistique, puisse que la circonstance est polysensorielle). Circonstancielles ou « de poche », ces pratiques musicales in situ nient la syntaxe traditionnelle. Mais l’histoire de la musique peut nous fournir des exemples d’écritures « nomades », des exemples que nous avons réinvesti dans nos pratiques circonstancielles. Daniel Charles avait déjà repéré des formes nomades de composition dans l’histoire de la musique récente. En particulier en analysant les figures du drone et du bourdon. Selon lui, le drone procède à une dé-syntaxe de la musique,

notamment lorsqu’il est associé à un ornement mélodique. La mélodie se déploie autour du drone comme axe et « dans une telle mélodie, le mouvement n’est pas syntaxique, il y a nomadisation sur place4 ». Daniel Charles trouve aussi cette « nomadisation » musicale dans l’ostinato de la rhapsodie espagnole de Ravel et dans des constructions répétitives de motif (pattern) en décalage (l’écriture contrapunctique de Steve Reich, par exemple). Pierre Boulez, dans la lecture relativement linéaire qu’il fait de l’histoire de la musique, remarque aussi la création d’objets vagues chez plusieurs compositeurs. C’est le cas de ces : accords vagues – c’est-à-dire ambigus parce qu’appartenant à plusieurs tonalités – qu’on retrouve chez Wagner (le célèbre accord de Tristan par exemple) et qui s’épanouiront à leur façon chez Malher et Shönberg. 4 Charles Daniel, La fiction de la poste modernité selon l’esprit de la musique, coll. « Thémis philosophie », Paris, Presses Universitaires de France, 2001, p. 103.

Musique MAIGRE Musique SANS MATIÈRE GRASSE, musique DÉCROISSANTE. Jouez de la musique AVEC CE QUE VOUS TROUVEZ.

Mais si l’accord vague joue sur l’ambiguïté d’une neuvième ou d’une septième pour que l’auditeur perde ses repères dans une tonalité donnée, Pierre Boulez repère aussi des accords connus mais défonctionnalisés. S’ils peuvent être nommés et classifiés, ceux-ci – plus présents dans l’écriture de Moussorgsky, de Debussy ou de Stravinsky – n’ont plus de référence directe à une matrice. Ils sont « le fruit du moment, de la rencontre instantanée5 ». Les objets vagues entretiennent une ambiguïté dans un milieu donné, au contraire des objets défonctionnalisés qui sont coupés de leur milieu. Schoenberg précurseur de la musique nomade, nommait ces objets des « accords vagabonds ». 5 Boulez Pierre, Points de repère, tome III - Leçons de musique, Christian Bourgois, p. 355.

OUVREZ LA FENÊTRE, ÉCOUTEZ FERMEZ LA FENÊTRE, ÉCOUTEZ OUVREZ LA FENÊTRE, ÉCOUTEZ Le cri de la Fougère Atelier (2013-2014) avec des enfants de l’école Le Vau (75020) mené par Hélène Cœur, Frédéric Mathevet et Célio Paillard

SORTEZ POUR ENREGISTRER DES SONS, MAIS N’ENREGISTREZ RIEN

213

ESSAYEZ D’ENREGISTRER LES CHANTS DES OISEAUX, MAIS NE GARDEZ QUE LES BRUITS DE FOND FAITES-VOUS ÉCOUTER TOUS VOS SONS LES PLUS INSOLITES, POUR VOUS RENDRE COMPTE QUE CE SONT LES MÊMES

MUSIQUE DE POCHE VIDEZ VOS POCHES ET COMPOSEZ UNE SYMPHONIE

RÉSONANCES DES REMBARDES JOUEZ SUR TOUT CE QUI MÉTELLIQUES

VOUS TOMBE SOUS LA MAIN GRINCEMENTS DES PORTILLONS ROULEMENTS DE PNEUS


214


LA HARPE

Je pose ma harpe sur la table courbe. Assis là, immobile, rempli d’émotions, pourquoi devrais-je en jouer ? La brise viendra caresser les cordes. Po-chou-i, 1er Siècle avant J.C., Chine

Toutes les partitions de cette double page in Under_score : partitions circonstancielles, extrait. Les objets sonores circonstanciés sont des prétextes à l’écriture, sur le motif, de petites pièces sonores. Frédéric Mathevet, work in progress

215


CARNET DE BORD

LA PARTITION COMME SURFACE SENSIBLE Comme surface qui reçoit, réceptionne, la partition inaugure un changement de paradigme, un déplacement de l’artiste comme posé devant le monde dont il témoigne et de l’œuvre comme une fenêtre ouverte sur le monde. Pour comprendre ce déplacement il faut faire un détour par la notion de « flatbed », bien perçue par John Cage en regardant les White Paintings de Robert Rauschenberg et en écrivant, par un déplacement intermédial et intersémiotique du côté des arts sonores, ces désormais célèbres 4’33” de silence. Le projet cagien des 4’33” laisse au contraire imaginer des dispositifs qui ne sont pas des fenêtres ouvertes sur le monde. Dans un article qu’il consacre à son ami Robert Rauschenberg,

SINGULARITÉS PARTAGÉES

13

1 Alexandra Sà D décaèdr, 2011 A On regarde autour de soi N Observation 2 Andrea Faciu Structure sine qua non, 2013 A On (se) salue N Hospitalité 3 Microsillons Commune de Montreuil, 2013 A On traduit ce qui s’est passé N Entretien 4 Sylvie Blocher Change the Scenario, 2013 A On fait attention aux participants N Altérité 5 Katarina Zdjelar In Unison, 2009, There Is No Is, 2008 A On interprète l’autre N Identité

116 GAME MIX

Découper votre bouton et placez-le sur un des coins du plateau. Choisissez et découpez votre pion. Déplacez-le où et comme vous voulez sur le plateau. Si la case comporte un numéro, jouez l’action ou la notion (A ou N) qui lui sont associées sur la colonne de gauche. Vous pouvez aussi interpréter librement l’œuvre (O). Indiquez votre choix en tournant le bouton vers la lettre correspondante. La durée de jeu est libre.

6

Si la case est vide, faites ce que vous voulez.

8

Arrêtez la partie quand tous les numéros ont été visités au moins une fois.

8 Laurence Nicola Humeurs, 2013 A On se concentre sur son corps N Décalage 9 Frédéric Mathevet & Célio Paillard Radiomaton, 2013 A On écoute les autres N Réception

10

10 Otobong Nkanga Pacifyte, 2013, Whose Crisis is this, 2013 The Dream We Could Have, 2013 A On se partage les ressources N Ensemble

4

2

12 Jagna Ciuchta Eat the Blue, 2013 A On joue avec les invités N Exposition 13 Ahmet Öğüt & tous The Silent University A On s’apprend des choses N Partage 14 L. Alexis, R. Di Vozzo, A. Dubos, C. Fouquet, S. Garbarg, R. Mahfoud, A. Meunier, A. Recalde Miranda Le QG A On réunit toutes les voix N Collectif

Si vous enregistrez une partie, nous vous invitons à envoyer la captation au 116. www.le116.net contact@montreuil.fr

11

3

11 Laurent Mareschal Bureau d’échange, 2012, Beiti, 2011 A On traduit une forme dans une autre N Échange

14

1

INVENTEZ DES RÈGLES POUR NE PAS LES RESPECTER

216

1 John Cage, « On Robert Rauschenberg, Artist, and His Work », Silence, Middletown, Wesleyan University Press, 1961, p. 102.

Préparez votre matière de jeu (sonore, visuelle, dansée, etc.).

9 5

2 Leo Steinberg, « Other criteria », 1972 reproduites dans L’art en théorie, Paris, Hazan, 1997, p. 1035. 3 Ibid., p. 1036.

Jouez, seul ou à plusieurs, cette partition d’improvisations sur Singularités partagées, après avoir visité l’exposition au 116.

6 Simon Boudvin Alianthus Altissima, 2011-2013 A On se développe à partir de l’autre N Greffe 7 Tami Notsani Sédentarisation, 2013 A On reste au même endroit N Racine

dont la position angulaire par rapport à la station humaine verticale conditionne le contenu qui s’y inscrit2. » (Leo Steinberg, 1972) Le tableau n’est plus seulement cette fenêtre ouverte sur un monde mais une surface d’inscription. « Le plan pictural en plateau (flatbed) fait symboliquement référence à des surfaces dures, comme des dessus de table, des sols d’atelier, des cartes, des panneaux d’affichage, n’importe quelle surface réceptrice où sont éparpillés des objets, insérées des données, sur lesquelles on peut recevoir, imprimer des informations, de façon cohérente ou non3. » (Leo Steinberg, 1972)

PARTITION POUR PERFORMANCES

7

12

John Cage décrit les White Paintings de la manière suivante : « les White Paintings sont des aéroports pour les lumières, les ombres, les particules1. » Les White Paintings lui apparaissent comme une autre façon de penser le travail artistique, des surfaces sensibles réceptionnant le monde les environnant, le monde « comme il tombe ». Elles donneront l’idée des 4’33” comme pièce de silence, un aéroport à poussière sonore. L’oeuvre comme une surface sensible de réception a été théorisée Leo Steinberg en développant la notion de « flatbed » : « J’emprunte ce terme au plateau de la presse d’imprimerie : “support horizontal soutenant une plaque d’imprimerie horizontale”. Et je propose d’utiliser ce mot pour décrire le plan du tableau tel que le concevaient les années 1960 – surface picturale horizontale

JOUEZ CE QUE VOUS VOYEZ, DESSINNEZ CE QUE VOUS ENTENDEZ ET RECOMMENCEZ UN PEU POUR VOIR 116 Game mix Partition et improvisation sonore de Frédéric Mathevet et Célio Paillard, 2013

REGARDEZ QUELQUE CHOSE TRÈS PRÉCISÉMENT ET FAITES-EN UN MORCEAU POUR VOTRE GROUPE Pour ensemble de percussions.

Au rythme des Mercuriales Partition de Frédéric Mathevet, interprétation de MMMRL BBQ, 2013

MIXEZ CE QUE VOUS VOULEZ AVEC CE QUE VOUS VOULEZ, ET QUAND ILS SONT BIEN CHAUDS, FAITES-LES DANSER !


Partitions pour clusters en drones Jouez l’image comme un agrégat de sons ; continuez, faites durer, tenez autant que vous pouvez. Célio Paillard, 2015

217


LES SONS SONT DES SONS DE QUELQUE CHOSE, QUELQUE PART, À UN MOMENT DONNÉ

PARMI CE QUE LES GENS DISENT, CHOISISSEZ DES MOTS AU HASARD ET METTEZ LES ENSEMBLE, POUR VOIR CE QUE ÇA FAIT Portrait collectif du 116 Installation/partition Frédéric Mathevet et Célio Paillard, 2014

LAISSEZ LES GENS PARLER ET GARDEZ TOUT, SURTOUT SI VOUS NE TROUVEZ PAS ÇA INTÉRESSANT Radiomaton Installation à activer et créations sonores Frédéric Mathevet et Célio Paillard, 2013

« (…) JE PROPOSE QUE LA RECHERCHE NE SOIT PAS LE PRIVILÈGE DE CEUX QUI SAVENT MAIS AU CONTRAIRE DE CEUX QUI NE SAVENT PAS. DÈS LORS QUE NOUS PORTONS NOTRE ATTENTION SUR QUELQUE CHOSE QUE NOUS NE CONNAISSONS PAS, NOUS FAISONS DE LA RECHERCHE » (ROBERT FILLIOU)

FAITES FACE À LA SITUATION ET TIREZ PARTIE DES CIRCONSTANCES DÉVELOPPEZ DES DÉMARCHES, INVENTEZ DES FORMES, NE TENEZ PAS COMPTE DES DIVISIONS CATÉGORIELLES

IMPROVISEZ LA BANDE-SON D’UN FILM EN TAILLANT DANS LA MATIÈRE SONORE

MARCHEZ LE LONG DU CANAL DE L’OURCQ, DE BOBIGNY À PANTIN, DÉPLACEZ LE MICRO POUR FAIRE SONNER DEVANT LA SOUFFLERIE, CE QUE VOUS Y TROUVEZ… POUR FAIRE VARIER LES NOTES TAPEZ SUR TOUT

EXPLOREZ DES QUARTIERS POUR ENREGISTRER DES SONS, CEUX QUE VOUS ENTENDEZ ET CEUX QUE VOUS JOUEZ

ARRÊTEZ-VOUS DEVANT CHAQUE TRANSFORMATEUR ÉLECTRIQUE

Twice a Movie Double projection vidéo de Marc Plas, sons de Frédéric Mathevet et Célio Paillard, 2012

CE QUE VOUS VOYEZ, POUR ÉCOUTER COMMENT ÇA SONNE

INVENTEZ UNE PARTITION ET JOUEZ-LA, OU PAS

Musiques circonstancielles expérimentations sonores de Frédéric Mathevet, Célio Paillard et Jean-Phillipe Velu, 2012

FAITES DU BRUIT ! OU PAS

Les nouvelles écritures du sonore Enquête sur le laboratoire de L’Autre musique Contributions réunies par Frédéric Mathevet

DITES-NOUS CE QUE VOUS FAITES AVEC LE BRUIT

Trout Mask Replica Captain Beefheart and His Magic Band

218

Noise Enquête sur le laboratoire de L’Autre musique Contributions réunies par Frédéric Mathevet

INTERPRÉTEZ LA PARTITION AUTREMENT QU’ELLE EST PRÉVUE


listening to music throught the mouth, Nam June Paik, 1963 Nam June Paik prend la pleine mesure de l’avènement de la plasticité dans la création sonore expérimentale. Il scénarise le corps sonore comme la performance.

GLISSEZ DES OBJETS DANS VOS INSTRUMENTS

RENVERSEZ, RETOURNEZ, BRISEZ VOTRE INSTRUMENT Violin tuned D.E.A.D, Bruce Nauman, 1968 Les cordes du violon sont accordées sur ré (D), mi (E), la (A), ré (D). Bruce Nauman se filme alors avec une caméra volontairement renversée.

Incidental music, George Brecht, 1962 Une partie de la pièce de G.Brecht consiste à empiler des cubes à l’intérieur d’un piano jusqu’à ce qu’il tombe avec fracas sur les cordes.

POSEZ UNE QUESTION ET NE GARDEZ « LE PROBLÈME QUE LES RÉPONSES HORS SUJET AVEC LE BRUIT, TROUVEZ C’EST LA MUSIQUE » D’AUTRES FAÇONS (JOHN CAGE) DE PRODUIRE Lors de la première interprétation des 4’33’’ de John Cage, David Tudor DES SONS

décida d’interpréter « tacet » (« se taire », indication traditionnelle sur une partition occidentale pour annoncer qu’il ne faut rien jouer sur son instrument) en laissant fermé le couvercle du piano. Il ouvrit, puis referma ce couvercle à chaque changement de mouvement. Cette pièce John Cage a définitivement affirmé l’existence d’un « phonotope » que le créateur sonore ne peut plus négliger.

219

FAITES UN CONCERT DE RADIO, UNE INSTALLATION DE MUSIQUE ET LAISSEZ LES GENS PARLER

PRENEZ DES INSTRUMENTS ET FAITES N’IMPORTE QUOI, DÈS QUE ÇA RESSEMBLE À DE LA MUSIQUE, ARRÊTEZ !


DESIGN

POPTONES

Par Thierry Planelle Photos : Droits reservés

Thierry Planelle est directeur artistique , concepteur et réalisateur des scénographies et commissariats sonores d’expositions. « Warhol , Live - la musique & la danse » Musée des Beaux Arts de Montréal (2008) « Imagine , Peace , Yoko Ono » Musée des Beaux Arts de Montréal (2009 ) « I’m a Cliché , esthétique du Punk » Rencontres photographiques d’Arles & CCBB Rio Janeiro ( 2010 & remix 2011) « Hip Hop , du Bronx aux rues arabes » Institut du Monde Arabe (2015) « Warhol Underground » Centre Pompidou-Metz (2015)

220


“J’appuie sur ON. Les machines sont sous tension, prêtes à casser le silence.

Au début : Revox B77 ou PR 98, Nagra

(couper,coller,mélanger…), il est un auteur

« Révolution#9 », manifesto pop expérimen-

IV-S & micro Lem, bandes magnétiques BASF,

qui scénarise ( séquencer, éditer, ponctuer…).

tal qui déconcerta les fans des Beatles. Andy

ampli Marantz, platine Technics MK2, table de

Les fréquences et les résonances, les voix et

Warhol,

mixage Mackie, enceintes Auratone & JBL

les mots , les notes et les bruits aussi, toute

lui, souhaitait que le dernier sillon du disque

4311. Ce sont les instruments d’un certain

cette mise en ondes qui accompagne le récit

du Velvet Underground répète a l’infini la

savoir faire artisanal du son, pour graver la

de l’exposition est une écriture. Elle diffuse la

phrase de la chanson I’ll be your mirror.

matière d’un paysage sonore, celui que

En 1952, John Cage compose 4’33 de silence.

j’entends dans mes archives personnelles : les

Le pianiste David Tudor l’interprète, mais où

génériques poétiques et le voyage musical

qu’il se trouve , l’auditeur entend quelque

métissé et mixé -« chaud et froid comme les

chose. L’album « My Life in the bush of ghosts » de

années 80 »- de Radio Nova, certains éclats sonores de France Culture et de ses Nuits

David Byrne & Brian Eno (1980) est un jalon

Magnétiques.

et un repère fondamental. A cette époque

Les outils d’aujourd’hui s’appellent Protools,

,le leader des Talking Heads séjourne sou-

Cubase, Garageband, Live et quelques autres

partition de la scénographie sonore qui, avec

vent à Paris. Il est guidé dans la « capitale des

logiciels digitaux. Ils façonnent ce que nous

un peu d’écoute, d’attention ou de surprise

musiques du monde, la Sono Mondiale (« Paris,

entendons, les sons et les mélodies qui nous

,participe à la compréhension et au ressenti

an African city » dixit Byrne) par Jean François

entourent. Ils modulent peu, ils compressent

des oeuvres. Les haut parleurs comme des

Bizot, qui de clubs en maquis clandestins de

beaucoup. En gommant les fréquences

cimaises soniques, s’accrochent aux murs des

Montreuil, lui présente les meilleurs groupes

subtiles et les nuances organiques de

musées.

et chanteurs de la diaspora africaine, les

notre environnement sonore, tout devient exagérement dynamique.

Le parcours sonore d’une exposition se doit de jouer des nuances et aménager des silences.

L’ART EST ACCROCHÉ SUR LES MURS, LE SON EST SUSPENDU DANS L’AIR. Si les créations de l’illustrateur sonore

Artiste Fluxus, Yoko Ono : make music only with overtones (Grapefruit 1964). Conseil suivi par John Lennon qui expéri-

musiciens cubains en exil à Paris et les vendeurs de K7 de Barbès . Avec Brian Eno et le trompettiste Jon Hassell, ils écoutent et s’échangent les enregistrements ethno-musicologiques du label français Ocora : chants pygmées

s’apparentent au travail d’un artisan

mentera en studio en inversant les bandes

et percussions d’eau, musique classique

dans son studio et non pas d’un artiste

de l’album Blanc, jouées a l’envers, dans

indienne, grandes voix lyriques arabes,

221


gamelan balinais, kora et griots mandingues … Ces multiples univers musicaux et leurs

en témoignent les photographies de Stephen Shore ou de Steve Shapiro. Mais aussi les pochettes de disques

différences, ils envisagent de les réunir

vinyle 33 tours illustrées par Warhol, les

et les faire se fusionner dans une culture

poèmes beat jazz déclamés, les films et les

imaginaire : le concept primitif et futur-

happenings filmés in situ, les Silver Clouds

iste de Fourth World ,Possibles Musics, en

de Rain Forest , le ballet de Merce Cun-

composant, a partir de collages de found

ningham, jusqu’aux projections d’images

objects et found vocals , un funk mutant et

démultipliées des diapositives sonores du

la référence de l’ambient. Deux expositions

Exploding Plastic Inevitable, sur la bande

récentes ont joué d’un parcours sonore.

son rock pré punk du Velvet Underground.

Celui de « HIP HOP, du Bronx aux rues

La scénographie sonore de l’exposition

arabes » à l’Institut du Monde Arabe rythme

propose un cut off, un remixe qui scénarise

en BPM la scénographie avec une envie et

le récit de cette société d’artistes et invite le

un réel désir ludique. La chronologie des étapes de la culture hip hop est illustrée par une successions de mixes thématiques diffusés en effet de cascades. La spacialisation du son, travaillée en multi-pistes, rebondit de salle en salle. Le propos est également éducatif et historique : les origines du Message avec les premiers enregistrements et les archives sonores du rap new yorkais et français, le découpage et la fragmentation du son, le sampling, le verbe, le flow et son écho contemporain dans le monde arabe. C’est une mise en ondes de documentation, une scénographie sonore indissociable de l’accrochage et des oeuvres pluridisciplinaires présentées. Comment imaginer l’exposition - et la visiter - sans beats, sans musique, sans son, sans paroles ? Muette… Le Centre Pompidou-Metz a orienté Warhol Underground autour de l’effervescence créative - et déjà multimédia - de ce lieu de production artistique totale qu’était la Factory d’Andy

visiteur a être un acteur de cette scène : 15 minutes de célébrité pour lui aussi. La Factory est le chef d’oeuvre absolu d’Andy Warhol. « The opera records at the Factory were

Warhol de la fin des années 60.

mixed in with the 45’s I did my painting to, and

Le son et les musiques étaient omni-

most of the times I’d have the radio on while

présentes dans le loft de la 47e rue, comme

the opera was going, and so songs like « Sugar

222

Shack »or « Louie, Louie » where blended in with Maria Callas ’s arias ». La mixtape idéale, le ultimate mix, auxquels ne manquaient peut-être que les tambours de l’Afrique.


223


PORTFOLIO

LE SHRINE

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Texte par Camille Moulonguet - Photos : ŠAndrew Esiebo


Lorsque Andrew Esiebo parle du Shrine, il n’est pas très disert mais il va droit au but : « c’est un espace social de prise de conscience politique à travers la musique et la communauté ». Le shrine est aussi bien un temple, une maison, une salle de concert, ou une salle de réunion, c’est un lieu protéiforme, dont le dieu est unique : le panafricanisme. Le shrine est en fait le « New Africa Shrine», maison fondée en 2000 par Femi Kuti, qui a remplacé celui de son père, Fela Anikulapo Kuti, qui a brûlé en 1999. Il est placé au centre de Lagos au Nigeria dans le quartier de Ikeja, c’est une enclave de création et de contestation. Andrew Esiebo raconte que ce qui se passe au Shrine, influence sa vie quotidienne et sa manière de voir le monde ainsi que la politique notamment telle qu’elle est pratiquée au Nigéria. Un havre sonore qui appelle à la conscience politique et où en plus d’écouter de la musique, discuter, manger, on peut acheter de la littérature engagée et panafricaniste. On peut y écouter Femi Kuti chaque dimanche et Seun Kuti, son jeune frère, avec l’orchestre historique « Egypt80 », chaque dernier samedi du mois.

Andrew Esiebo est né en 1978 à Lagos, Nigéria. Commençant sa carrière en tant que photographe indépendant, son travail a couvert le développement rapide du Nigéria urbain. Il a couvert des projets et des travaux personnels sur le Nigéria, principalement, et l'Afrique de l'ouest il a gagné la reconnaissance internationale. [1]

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PORTFOLIO

JAMES WEBB À l’écoute du monde Par Camille Moulonguet Crédits photos : Bjorn Mortensen courtesy James Webb, Galerie Imane Farès.

James Webb est né en 1975 à Kimberley en Afrique du Sud. Aujourd’hui il vit et travaille à Cape Town et fait figure de pionnier dans son pays en matière d’art sonore. Il intervient dans les galeries comme dans les espaces publics et parvient à détourner le spectateur pour le rendre avant tout auditeur.

226


L’artiste raconte qu’aussi loin qu’il puisse se souvenir son intérêt pour le son. Il a commencé avec un lecteur de cassette gagné par son père dans un tournoi de golf. « Lorsque j’écoute à nouveau ces cassettes, je suis saisi par ma manière de parler lorsque j’avais 4 ans et touché par la jeune voix de mon père. Je traitais le magnétophone comme un être sensible, je m’adressais à lui par son nom et lui posait des questions. » Et puis plus tard, les mixtapes de son adolescence participent aussi à sa prédilection pour le médium sonore. Ce rapport physique au son, à la machine est très présent dans son travail. Tout se passe comme si le son devient tangible aussi bien dans ses installations que dans ses compositions. Il y a des enceintes, des appareils, des branchements et des fils ostensibles, le son et son appareillage s’imbriquent pour créer une œuvre. Son œuvre « Prayer » qui date de 2012, exprime particulièrement bien la manière dont le canal et le son s’équilibrent dans son travail. Cette installation diffuse simultanément, les enregistrements des prières de toutes les religions présentes dans la ville où elle est exposée. Des haut-parleurs sont disposés sur un tapis et le public peut se promener librement à travers l'installation. L'écoute se fait à la fois de la polyphonie des voix de tous les haut-parleurs en même temps et aussi individuellement en se mettant à genoux pour écouter une prière en particulier. James Webb explique que « le projet est créé in situ chaque fois, et les prières sont recueillies auprès de tous les différents groupes religieux opérant dans la ville hôte. » James Webb aime rapprocher, voire juxtaposer des mondes éloignés ou qui s’ignorent délibérément. Cette manière de réunir des

227


temporalités, des lieux, des esprits, caracté-

le son à l’aide de champs très différents aussi

dans quel état on erre et si les morts sont

rise on travail dont le son en est le principal

bien littéraires que cinématographiques ou

vivants.

vecteur. L’immatérialité qui lui est propre doit

encore dans un de ses derniers travaux,

certainement permettre

la voyance. Ce travail, montré au Palais de

ces rencontres, ces glissements.

Tokyo en 2011 par Rahma Khazam dans le

Cette disposition de brouiller le spectateur

cadre de « répondeur », met en scène la voix

est présente aussi dans son installation

d’un acteur aux intonations d’Orson Welles qui

« There’s no place called home » qu’il a présenté

délivre les mots recueillis

à Dresde en 2015 et dont il a initié l’itinérance

« de profundis » par le voyant. On boit les

en 2004. Il place par exemple dans un parc

paroles d’un Orson Welles autoritaire et

japonais des enregistrements de sons

cynique, plus vrai que nature !

d’oiseaux enregistrés en Afrique du Sud. Il glisse ainsi imperceptiblement

Les incohérences spatio-temporelles de James Webb se jouent du réel et créent ce

l’impossible dans le « vrai monde » et déconte-

moment d’incertitude qui fait que d’un seul

nance d’un coup notre perception du monde.

coup, tout est dans tout …

James Webb théâtralise en quelque sorte

228

On ne sait plus à quel saint se vouer, ni


229


PORTFOLIO

TOM BOGAERT

Black noise & sputnik power

© Tom Bogaert

I - Black Noise (2008) Black Noise is the soundtrack to Genocide. Black licorice candy mice cover a turntable. As the needle bumps along over their backs, it generates a rhythmic pounding eerily

pop music and hate. On a catchy tune, the star

term for silence. Sputnik Power (Egypt 2014)

DJ blared death tallies like sports scores.

Sound installation.

The title ‘Black Noise’ alludes to a blatantly racist emotional disconnect. It examines how

plausible goal for space travel and Sun Ra was

a radio frequency became a channel for crys-

fascinated by the possibility—in fact, he talked

tallized hatred. Black Noise is also the technical

about it so much that some musicians took to calling him “the moon man.” Around this time,

reminiscent of tribal drums and machine guns.

Sun Ra also claimed to have been abducted by

During the 1994 Genocide in Rwanda, the

aliens who transported him to Saturn (he told

hate radio station “Radio Télévision Libre des

this story many times with remarkable consist-

Mille Collines” (RTLM) borrowed metaphors

ency in detail). In the summer of 1969, when

from the world of aggregate animal formation

the world was excitedly awaiting the flight of

as ‘swarming’ and ‘infestation’ to stir the killers

Apollo 11, Esquire magazine asked contem-

to action with a lively mix of entertainment, Black Noise Tom Bogaert 2008 - https://vimeo.com/60742628

230

In the early 1950s, the moon became a


porary popular figures for their suggestions for the first words on the moon. Sun Ra, then at the height of his fame, eagerly penned a poem in response: Reality has touched against myth Humanity can move to achieve the impossible. Because when you’ve achieved one impossible the others Come together to be with their brother, the first impossible. Borrowed from the rim of the myth. Happy Space Age To You…. Sputnik Power (2014) refers to Sun Ra’s belief in “Pyramid Power,” the alleged supernatural or paranormal properties of the Egyptian pyramids and objects of similar shape. With this power, even model pyramids are said to preserve foods, sharpen razor blades,

© Tom Bogaert

improve health, function as idea incubators, Tom Bogaert came to art over a decade

and trigger sexual urges—among a number

born Herman Poole Blount, but changed his

of other dramatic effects. Sun Ra was a strong

name to Le Sony’r Ra after a visionary experi-

ago after practicing refugee law. His

believer in “Pyramid Power” and was often

ence led him to believe that he came from

artistic practice is organized through

seen wearing a copper wire “pyramid hat.”

the planet Saturn. From then on, Sun Ra was

long-term research projects that often

fascinated by both outer space and ancient

examine the intersection of humanism and

Egypt, and incorporation of the Egyptian sun

human rights, politics and entertainment,

god Ra into his name was the first of his many

and art and propaganda. Bogaert is cur-

invocations of ancient Egypt’s culture and

rently working on a project inspired by the

ongoing research project based on the life

beliefs. Famous for his music as much as his

apocryphal story that Sun Ra - the legend-

and work of Sun Ra that exists as a series of

eccentricity, Sun Ra’s unique sonic productions

ary African American jazz pioneer, mystic,

performances, lectures, installations, videos,

reflected his mix of new age mysticism, black

poet, activist and philosopher - travelled

art objects, and a related publication.

nationalism, Freemasonry, Kabbalah, Rosicru-

to Haiti and visited Port-au-Prince during

cianism, and other non-Western cosmologies.

his “lost years” somewhere in 1960 - 1961.

Sun Ra’s 1971 visit to Egypt, and many of the

From the mid-1950s until his death in 1993,

“Sun Ra in Haiti” will be presented at the

related works playfully insert Sun Ra’s life and

Sun Ra led a band called “The Arkestra”, which

4th Ghetto Biennale in Port-au-Prince in

legacy into the conceptual, pop, and minimal-

continues to perform its eccentric mix of free

December 2015.

ist zeitgeist of the New York art world of the

jazz, bop, and electronic music under the

1960s and 1970s.

leadership of Marshall Allen.

Background Bogaert’s “1971, Sun Ra in Egypt” is an

The project takes as its starting point

About Sun Ra The legendary American jazz pioneer, mystic, poet, and philosopher Sun Ra was

231

Tom Bogaert - Sputnik Power (Egypt 2014) Sound installation https://vimeo.com/104707091


PORTFOLIO

YOUNES BABA-ALI & ILPO JAUHIAINEN [This is a heavily edited extract of an interview between Moroccan-born artist Younes Baba-Ali and Finnish-born composer Ilpo Jauhiainen – in order to meet the adolescent idea of 2000 words]

Younes Baba Ali lives and works in Brussels (Be) and Casablanca (My). Graduate of the University of Decorative Arts of Strasbourg in 2008, and of the University of Art of Aix-enProvence in 2011, it was rewarded by the price “Léopold Sédar Senghor”, at the time of Biennial of Art at the time of the Biennial one of Art Contemporain Africain of Dakar (Sn) in 2012 and price “Boghossian”, at the time of the Competition of Art Belge “Art' Contest” in Brussels (Be) in 2014. It took part in several international exhibitions and biennial, among which “DIGITAL Africa: Future The is Now “, Southbank Cen “Strange Paradoxe”, MuCEM, Marseille (Fr); “Nass Belgica”, Botanique, Bruxelles (Be); “Where are we now?”, 5ème Biennale de Marrakech, Marrakech (Ma); “L’MAR9A”, Voice Gallery, Marrakech (Ma); “Travail, mode d’emploi”, Centrale for Contem Younes Baba Ali Younes Baba-Ali lives and works in Brussels (Be) Story Dealers, 2015, In-Situ multi-channel sound installation, 34’05’’ (in loop) Courtesy of the artist

232


I really need the presence and to involve the

which can also be thought of as a limitation or

the Moroccan-born artist Younes Baba-

public. And with sound it’s very interesting

expanding the borders of those objects.

Ali employs his sound and visual practice

because for me it’s the medium that you

as a way to examine and understand the

cannot escape, in the sense that you cannot

Based between Belgium and Morocco,

I feel myself in a kind of an extension of ‘ready-made’ but using more new technol-

current world and initiate constructive responses, glitches and interventions regarding the dysfunctions and borders, be they environmental, political or social, to offer another perspective. Ilpo Jauhiainen | When it comes to artists who often use sound in their work, not as some direct consequence of video soundtrack but as a more diverse and creative element, I’m always curious about the position of the sound in their thinking and practice. For me as composer and, well, ‘sonic artist’ if you may, sound is the most important element. But how is it for you? Younes Baba-Ali | I work with sound but I’m not focused on it, I really work as a visual artist, with sound as material and space. I don’t make compositions, for example, it’s not something I’m interested in. For me it’s more about the relation between the sound and the space and the object and the physicality. When I start a project, I don’t think like okay, I have to start with the sound, be it a sound installation or video installation. I mostly think about kind of pictures in my head, ideas that I try to concretize, and then I try to find good forms and mediums to do it. I might be thinking about making a sound piece and then it turns into a video piece, or I might be thinking about a video piece and it becomes photographs and so on.

Story Dealers, 2015, In-Situ multi-channel sound installation, 34’05’’ (in loop). Courtesy of the artist

hide yourself from it: you can hide yourself

ogy and tools. It’s also a philosophy for me

from pictures or videos, from lights – from

in a way, doing things with what you have.

process that everything becomes evident,

smells maybe – but with sound you can put

But sometimes it goes beyond that when

step by step. It’s also about how to condition a

your fingers on your ears and you still feel

you really have to think about more complex

space and the public: sometimes a piece could

vibrations or the sound but from very far away.

things. I’m not a minimalist, I also work with

I don’t limit myself: it’s really during the

be just a picture on the wall with people passing by, and sometimes there are pieces where

233

So it’s that what inspires me a lot about it. Several of your works use ready-made objects

projects that require more challenging conditions and technical support. I always try to get


to the point, the core of things, however, so it’s a negotiation between all of that: me, my relation to the context, my ideas, the overall aesthetic, the space, the public and so on. With your piece Carroussa Sonore you transformed a common object from the streets of Morocco into a mobile exhibition space. Carroussa Sonore is an object from the public space in Morocco as well as in Maghreb and the Middle East that is used to sell Koranic CDs in the streets, and it’s also an object that has imposed itself in that public space: since it’s being used to diffuse Koranic music we cannot critique it so a lot of people make use of that and they put the sound very loud. And in moving around the city, sometimes they settle in the front of the terrace, and you’re in a relation that is difficult to control: you have to accept the loudness of the sound because it’s about religious songs. The whole thing becomes sacralized – the object, the sound – which creates a kind of interior conflict. So I was very interested in this object and in this business which has led to an invasion of these objects, and also to an invasion of sound and sound pollution in the public space. My desire was to use this object as a mobile exhibition space for audible art so I used the same technology, very lo-fi: it’s DIY things made from a cart and a battery, a soundsystem from a car…recycled objects. I really liked this angle of poverty but then using it as a sound platform for public space. Then, besides working with local Moroccan artists, I invited 15-20 artists through an international open call for a selection to be diffused through this carroussa. The selection was made related to the object, the public space of Morocco, the sound and the idea of interaction and mobility…so there were different filters to think about which kind of Story Dealers, 2015, In-Situ multi-channel sound installation, 34’05’’ (in loop) Courtesy of the artist, Photo : ©Said Rais

234


pieces we could present from this object. I

the relation to the object and the religion,

can come to Brussels and find their way to

had different kinds of proposals by different

to the public space of Morocco.

live here, to adapt themselves. In Brussels you

kinds of artists from Korea, Germany, Morocco,

Migration and climate change are some

have a lot of people from the Global South:

France…it was very mixed, and each artist

of the current forces shaping our world and

Congo, North Africa, South America…and

proposed something related to the context

the future. Your piece Zinneke addresses these

they live in a very grey city – windy, cold, you

and the object. This project has since been

themes rather eloquently, through both the

know – but people find themselves in it, they

presented in Brussels, Marseilles and Helsinki, and also in London this year, with different selections of works, and how it’s experienced depends on the context. In Morocco it works because it’s the origin of the object so people have a relation with this object. I was quite amazed to see how people in Rabat seemed to be very interested in it, coming to pick and read through the leaflets etc. The Moroccan people are very curious. And there’s also a more concrete thing: you know that in the public space it’s quite difficult to do things in Morocco, this kind of intervention usually needs an authorization. And since we were near the Moroccan parliament in Rabat, there were a lot of cops

Zinneke, 2014, In-situ installation. Variable dimension. Courtesy of the artist, Photo : ©Luc Schrobiltgen

visual presentation and the sound of birds. Zinneke is an installation I did here in

try to adapt, find work and home, to build a house. So this installation and the nests for me

in civilian suits, and we were almost followed

Brussels for the solo exhibition “Brussels

are a kind of social habitation that the birds

by them because they need to control. So for

Background” at the MAAC. It’s an installa-

built by themselves: they are very big nests

me it was also a deal, you know, trying by the

tion with birds’ nests in an art space, with

– they could be in the trees but also on some

content to propose something else with this

audio recordings of their calls in the city, and

structures in the streets, bus stops, cranes,

object which is common and people know

those nests came from my landscape here

so they really install themselves wherever

it, and to see how it reacts with the city. And

in Brussels. They are the nests of parakeets,

they can adapt to the space. And so the piece

it was interesting how the authorities also

exotic birds living here in Belgium and in

presented in the gallery consists of the nests

related to this object: “what is it, what are you

Brussels specifically, which is quite strange

that are arranged around the space, so I’m just

doing, what are you selling, what are you…?”.

because the climate is completely unlike their

recreating this phenomenon from the city but

I think the relation with what we know

original. But they’ve been able to adapt to the

in an artistic space, with the sound of those

changes a lot of things, if it’s something com-

context, build their nests to live and to spend

birds being very loud, quite disturbing.

pletely different it could be more difficult to

the winters, and now they have been very

integrate. If I came, say, with some very large

reproductive due to the warming climate so

place in an old cistern in the city of El Jadida

structure with sounds and a lot of speakers,

there are quite a lot of them here, becoming

in Morocco, and consists of the voices of local

maybe I’d be stopped after 5 minutes. But

almost a disturbance to the ecosystem and

inhabitants broadcast into the space. The last

with this object which is already known and

people’s habitat…so I took this relation with

time we spoke you were still in the process of

which already has its space in the city, it’s more

these birds and their nests as a metaphor for

finding the idea to address this space, and I must

accepted. So we used this possibility to pro-

the relation with the immigration fluxes in

say I find the final realization beautiful: just voices

pose sound art from all over the world, with

Brussels; how people from all over the world

of inhabitants occupying this architecturally and

235

Your recent piece Story Dealers takes


Portrait of Younes Baba Ali with his "Carroussa sonore" ©Matteo Lonardi

visually stunning space. Yes, I was invited to go to El Jadida as part

works in a public bakery, a young street

is a choir of voices and stories echoing around

poet and a women who grew up in the “Cité

the space.

of this project about contemporary art and

Portugaise”, we rethinked together the initial

patrimony, where each artist was invited to

historical story to be able to develop and

invest in a historical monument in a city in

record their own stories, and for some of them

Morocco. El Jadida is an old Portuguese city

it come up with fictional tales about El Jadidia;

with a lot of history, there’s this old and beauti-

others told about their memories growing up

ful fortress city called “La Cité Portugaise”

in the place while others retold stories about

with a lot of beautiful buildings, like a theatre,

myths surrounding the place. The idea was to

church, synagogue and the cistern and so on

mix all these to come up with a new story, a

but which is a part inactive and even feared

new narrative about the place. I was inspired

sometimes by the local inhabitants.

by fake tourist guides that you often see in the

It’s mostly a tourist area now. So I wanted to develop a project which would invite the local inhabitants back to this historical area and perhaps reconnect them with the place. Through a local guide, a person who

236

cities in Morocco, who are trying to sell the most interesting story to the tourists. I wanted to create all this but in order for the locals to reconnect with this place again and imagine its possible future. The end result


237


ARCHITECTURE

DÉRIVE ET AFFECTIVITÉ De l’usage du son « L’histoire du modernisme a été intimement

Olivier Lussac - Crédits photos : Julien Ottavi

ney, Geoff Dugan, John Hudak, If Bwana,

avec des expériences de comportement ».

lié à la poétique, à l’analyse et à la transforma-

Francisco López, Sean Meeham, Gen Ken

tion de l’espace urbain et conséquemment à

Montgomery, et répondent aux concepts situ-

construire ce milieu et conduire à la dérive ?

une réflexion radicale entre les exigences d’une

ationnistes de dérive et de psychogéographie.

Pour y répondre, il faut conduire des enquêtes.

esthétique et d’une sociologie de la ville. » Allen S. Weiss1 Les deux CD collectifs de Geoff Dugan, présenté par Allen S. Weiss, puisent dans ces exigences, étant d’une part une expérimentation musicale et, devenant d’autre part, « des explorations situationnistes dans le champ post-moderne, la présentation de passages

Ce fut le cas en 1953 à Paris et le premier

“l’expérimentation sonore procède par dérive comme moyen d’agir sur le lieu urbain et pour y révéler des ambiances momentanées.”

transitoires à travers des ambiances variées mais se rapportant à un site spécifique… » Bref, l’expérimentation sonore procède par

Au juste, comment cette théorie peut-elle

rapport, concernant précisément ce milieu, fut écrit par Gilles Ivain (pseudonyme de Ivan Chtcheglov) et intitulé Formulaire pour un urbanisme nouveau, dont le rôle architectural principal est de modifier les conceptions de temps et d’espace, à la fois moyen de connaissance et moyen d’agir : « L’action principale des habitants sera la DÉRIVE CONTINUE. Le

Agissons par dérive. « Dérive : Mode de comportement

changement de paysage d’heure en heure sera responsable du dépaysement complet.

dérive comme moyen d’agir sur le lieu urbain

expérimental lié aux conditions de la société

[…] Plus tard, lors de l’inévitable usure des

et pour y révéler des ambiances momen-

urbaine : technique du passage hâtif à travers

gestes, cette dérive quittera en partie le

tanées. Pour inciter à une telle recherche,

des ambiances variées. Se dit aussi, plus

domaine du vécu pour celui de la représenta-

Geoff Dugan a invité des artistes à contribuer

particulièrement, pour désigner la durée d’un

tion. » (I. S. n° 1)

au projet : prendre en compte les ambiances

exercice continu de cette expérience. » (Inter-

particulières d’un site, au travers de possibilités

nationale Situationniste n° 1, 1958)

Pour Gilles Ivain, il s’agit de modifier le complexe architectural, de le changer selon

de musique concrète, électronique, électroa-

Pour expliquer et comprendre la dérive et

coustique, expérimentale et acousmatique. Il

ses conséquences musicales, il faut remonter

la notion de « construction de situations », il

s’agit de révéler l’architecture sonore acciden-

à 1952, au mouvement de l’Internationale

cherche à édifier un nouveau fondement des

telle qui enregistre la « combustion spontanée

Lettriste qui, cherchant un nouveau rapport

nouvelles constructions, avec la possibilité de

de la vie, de la quotidienneté, chaque chose

créatif en opposition à l’organisation ambi-

détourner des éléments esthétiques préfabri-

étant en contexte et le contexte étant dans

ante, demande de réapproprier son propre

qués. La critique de la rationalité architectural

chaque chose. » (Dugan) Ces deux CDs font

environnement de vie. C’est le début de

suppose alors deux idées directrices. La

appel à Chop Shop, Brian Conley, Pat Court-

l’Urbanisme unitaire, qui demande la critique

première est la recherche d’une interaction

1 Introduction aux CD Psychogeographical Dip GD013, CD The Architecture of the Incidental GD014 (GD Stereo p. o. box 1546 New York NY 10276 États-Unis Distributions: - Anomolous Records P. O. Box 22195 Seattle WA/ anomolousrecords.com - Printed Matter 535 West 22nd Street New York NY 10011 / www.printedmatter.com - RRR Records 23 Central Street Lowell MA 01852.

de l’urbanisme actuel : il faut donc élaborer

entre comportement et espace urbain, pour

« une théorie de l’emploi d’ensemble des arts

un dépaysement complet et pour un nouveau

et techniques concourant à la construction

mode de participation ludique, s’appuyant sur

intégrale d’un milieu en liaison dynamique

la dérive, définit plus haut et sur le concept de

238

la volonté de ses habitants. S’appuyant sur


psychogéographie. Et la seconde idée requiert

changements d’état, de processus de défor-

lorsqu’il enferma le public-auditeur dans une

des structures mobiles et transformables. Les

mation ou de transformation opérant dans un

pièce totalement obscure, faisant résonner

habitants ne posséderont plus de lieu fixe,

espace-temps lui-même anexact, agissant à la

des craquements, avec une certaine odeur

mais vivront de manière nomade (idée qui

manière d’événement (ablation, adjonction,

de brûlé, car il avait placé des grains de café

culmine dans les projets de Constant en 1959,

projection…) » Ou bien elles semblent « insé-

sur le sol, ce qui, en les écrasant, mettait mal à

dans le Deleuze-Guattari des Mille Plateaux et

parables de qualités expressives ou intensives,

l’aise les personnes présentes. Donc affection,

dans les fondements américain du happen-

susceptibles de plus et de moins, produites à

comme une œuvre de Wolf Vostell, pour qui

ing).

la façon d’affects variables (résistance, dureté,

le monde contemporain est une guerre, et

poids, couleur…). Il y a donc un couplage

lorsqu’il met en marche, lors d’une installation,

psychogéographie, sont des concepts étroite-

ambulant événements-affects qui constitue

une trentaine d’aspirateur en même temps.

ment liés à l’exercice de la vie quotidienne, à

l’essence corporelle floue, et qui se distingue

L’affection en rapport avec une image peut

l’intérieur de l’espace urbain, et dont la maté-

du lien sédentaire »2. Un de ces événements-

être terrible, mais celle du son, est d’autant

rialité est peut-être, selon Deleuze et Guattari,

affects fut une pièce de Benjamin Patterson,

plus déroutante, effrayante, irréprésentable.

Donc, d’une part la dérive, d’autre part la

« inséparable de passage à la limite comme

239

2 Gilles Deleuze et Félix Guattary, Mille Plateaux, Paris, Les Éditions de minuit, 1989, p. 507.

Par ailleurs, les tortionnaires de Guantanamo


le savaient bien, la fréquence et la hauteur d’une musique, de n’importe quelle musique,

« Ambiance sonore » : « Changement d’ambiance. De l’usage du

soulignons). »3 Aujourd’hui comme hier, rien ou si peu

attisent grandement la souffrance psychique

métro se dégage des impressions contra-

n’a changé en matière d’environnement de

(à l’image des assauts wagnérien d’Apocalypse

dictoires. Il peut y avoir une retenue à s’en

vie, et si les choses se sont transformées, elles

Now). Le son est une arme, lorsqu’il s’invite au

servir, à descendre sous-terre pour effectuer

assurent essentiellement, comme autre-

cri ou, à la rigueur, lorsque nous marchons sur

un parcours. Par contre, une fois installé, le

fois, des ambiances transitoires. Désormais,

quelque chose dont on ne connaît l’origine et

voyageur peut ne pas éprouver le besoin d’en

elles s’offrent bien souvent en spectacle, ou

qui craque sous nos pieds.

sortir rapidement. Paradoxalement l’espace

devenant spectaculaires, elles appartiennent

souterrain se compare à l’espace aérien. Il y

au consensus complaisant du médiatique

est la définition de la Psychogéographie :

a quelque part une contrainte qui demande

et à la masse distrayante du loisir. Mais, fort

« Psychogéographie : Étude des effets précis

effort pour être surmontée. Le changement

heureusement, les choses que nous regardons

du milieu géographique, consciemment

de situation est adouci dans l’usage de l’avion

ou que nous écoutons ne s’arasent pas de la

aménagé ou non, agissant directement sur

par des artifices, tel celui qui consiste à dif-

même manière pour tous. Au contraire, elles

le comportement affectif des individus. » «

fuser une musique appropriée à l’instant du

produisent pour chacun d’entre nous des dif-

Ce qui manifeste l’action directe du milieu

décollage ou de l’atterrissage. Ces remarques

férences ou des dérives d’une qualité parfois

géographique sur l’affectivité. » Les artistes

nous conduisent à constater qu’il y a dans

très rare.

À la fois changement et affectivité, telle

En 1956, Guy Debord a ainsi expliqué que la dérive est un passage inattendu, à travers des décors différents. C’est une transition liée à un comportement à la fois constructif et ludique, radicalement contraire au voyage (peut-être trop long et trop disposé) et à la promenade (arbitrairement courte et sans esprit ludique). Les personnes qui pratiquent la dérive doivent, lors de ce passage, se départir de leur activité quotidienne, pour s’intéresser à l’environnement. Une part du comportement procède du hasard, mais il est moins prépondérant que ce qu’on pourrait croire. L’individu sollicité dans la dérive suit le relief psychogéographique de la ville, ses pré-cités de Geoff Dugan à Gen Ken Mont-

ces similitudes une constante qui est celle du

réseaux, ses points fixes, ses flux… Le hasard

gomery ne font que restituer les sons, sans

passage d’une ambiance à une autre. Du plein

ne recouvre pas la totalité de la dérive, mais

les trafiquer, de l’univers urbain, une ten-

air à l’espace clos, presque instantanément,

invite à un laisser-aller et à sa contradiction,

sion inexprimable d’un parc désert, d’une

est une sorte d’épreuve, le sens inverse, s’il

l’évaluation et la connaissance de la psy-

décharge ou des sons répétitifs du métro,

n’est pas aussi marquant, crée un sentiment

chogéographie urbaine. Il est cependant

dans la cage de résonance qui le contient.

de même nature. On imagine que des transi-

important lorsque son usage se ramène à des

Le métro ou le terrain vague sont des entités

tions d’ambiance inversant progressivement

variantes et à l’habitude. L’analyse du tissu

informes, un milieu chaotique et difforme.

les données d’ordre sensible, pourraient

urbain se fait donc écologique. Le terrain de la

À ce propos, Pierre Mariétan a parlé d’un

constituer des modèles de passages à vivre

sentiment de rupture dans un article intitulé

autrement qu’avec le sentiment de rupture (nous

240

3 Pierre Mariétan, La Musique du lieu. Écrits de musique III, Berne, Commission nationale suisse pour l’Unesco, 1987, p. 181.


dérive est toujours déterminé en fonction de

tations de la vie et comme inconscient du

manière imprévisible, comme un possible

ses rapports avec la morphologie sociale. C’est

monde et de la ville lié à celui de l’homme.

chaos ou comme un ordre toujours produit

ainsi que de nombreuses œuvres sonores

Dans tous les cas, il s’agit d’un gaspillage

de sa propre indétermination. Tel un espace

se sont constuites : Die Stadt de Pierre Henry,

conscient du temps utile, une manière de

architectural, elles se présentent elles-mêmes

Interstitial de Geoff Dugan, The Vancouver

jouer situationniste qui cherche à briser

comme des lieux vitaux d’interaction,

Soundscape de R. Murray-Schaeffer, Ohrbrücke/

l’isolement de l’individu et qui provoque des

d’échange, de puissance économique et de

Soundbridge Köln-San Francisco de Bill Fontana

situations, c’est-à-dire des « moments de la

limites démographiques. Leur vacuité les fait

retransmission satellite en direct, 31 mai 1987,

vie, concrètement et délibérément construit

être un espace qui possède ses propres lois,

Metropolis Buenos Aires de Francisco Kröpfl,

par l’organisation collective d’une ambi-

essentiellement instables et potentiellement

CCU. Metropolis Calcutta de Klarenz Barlow,

ance unitaire et d’un jeu d’événements. » À

dangereuses. C’est aussi un espace-temps

Metropolis New York de Richard Kostelanetz,

partir de la dérive, donc, les situationnistes

paradoxal, sorte de no man’s land où une

Klanglandschaft Ruhrgebiet. Einmal Herne und

aboutissent au cœur révolutionnaire de leur

forme de contrôle remplace soudainement

Zurück de Richard Ortmann/Raimund Fleiter/

action : « création globale de l’existence » et

une autre, où l’enchevêtrement chaotique

Ralf R. Wassermann, Lingua X Tichon oder Die

détournement, dont l’origine se situe dans les

des lieux, des individus et des événements

Bedeutung des Weges de Thomas Schulz et,

théories lettristes d’Isou, alors utilisé en poésie

forme un ordre momentané. La rue, la ville

dernièrement, les travaux de Christof Migone,

comme bouleversement du sens, il devient

sont donc des espaces-temps de tension où

dans la série intitulée Hit Parade, par exemple,

ensuite subversion des valeurs culturelles et

l’énergie humaine est non seulement forcée à

celle de Montréal, où onze participants sont

esthétiques. Principalement Potlatch se veut

la régulation, mais engendrent encore toute la

couchés sur le sol et tapent le goudron du

l’ennemi de Le Corbusier, le Constructeur de

complexité de la vie.

Boulevard Saint-Laurent, avec un microphone,

taudis et prône la conservation des gares, leur

un millier de fois. Cette action sonore est

sonorité étant accentuée par les sons d’autres

amplifiée et chaque performeur choisit son

gares ou de ports. Ceci est le cas échéant

rythme et son intensité.

exactement envisageable et parfaitement

http://www.christofmigone.com/html/ projects_gallery/HitParade_Montreal. html Favorisant un lieu et une heure précise, le sujet assure une allure imprévue dans la dérive et peut même errer la nuit dans des maisons en démolition, traverser une ville en autostop les jours de grève (dérive fort probable aujourd’hui) ou traîner dans les jardins fermés au public. C’est le cas de Dugan et ses amis

enregistrable.

“La rue, la ville existent toujours de manière imprévisible, comme un possible chaos ou comme un ordre toujours produit de sa propre indétermination”

dans le parc déserté Mc Carren, Greenpoint, à Brooklyn. La dérive exige vagabondage

La rue et la ville sont par conséquent des

de l’individu et mobilité labyrinthique de

espaces tourmentés par des constructions

l’architecture, trouvant une origine dans la

marginales, où à la destruction de l’objet archi-

déambulation surréaliste : écriture automa-

tectural se substitue ce processus, lui-même

tique et jeu de hasards et de coïncidences.

inscrit en négation contre l’exaspération de

L’architecture du fortuit devient l’équivalent

l’objet (que constitue l’architecture elle-

sonore de cette écriture. Il joue des manifes-

même). La rue, la ville existent toujours de

241

Olivier Lussac est professeur titulaire au département des Arts de l’université de Lorraine, il enseigne l’histoire des arts contemporains. Il a été directeur adjoint de l’U.M.R. 8153-Ideat (Institut d’esthétique, des arts et technologies), C.N.R.S. – Paris I – Panthéon Sorbonne. Il est également expert européen pour les art, et expert auprès du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche.


ARCHITECTURE

ARCHITECTURER LE SON Par Carole Diop

Le sonore devrait être un outil important

comme un élément physique relégué à des

d’ailleurs que pour les autres sens. Il n’y a guère

dans la démarche du projet d’architecte, mais

des acousticiens. On ne parle même plus de

que dans des architectures spécialisées (salles

curieusement il n’en est rien, le rapport entre

“son” mais de “bruit”, à la connotation moins

de concert, auditoriums, opéras, théâtres,..) que

son et espace reste même incongru pour

valorisante, de “nuisance”, de ce qui occasionne

l’on se préoccupe réellement du rendu sonore

certains.

une gêne et qui est donc “nuisible”.

d’un lieu, mais c’est toujours en rapport à une

Étudié, formalisé, disséqué, l’ondulation Pour être complète, l’appréhension de

paraît ne réserver aucun intérêt autre que celui

fonction: que l’on entende bien des instruments, des voix…

l’architecture devrait faire appel à tous nos sens,

d’être vouée à se tenir en retrait, l’amplitude

mais la prolifération des images a tendance à

sonore amenée par les villes ne pouvant

privilégier la vue seule au détriment du son.

qu’encourager cette démarche. La ville est

peu de considération des concepteurs pour la

conçue pour la vue et non pour l’ouïe pas plus

question sonore tient peut être à leur forma-

Ce dernier, dans un édifice est considéré

242

Comment en sommes nous arrivés là ? Le


tion essentiellement visuelle. Les architectes

veau dispositifs d’écoute comme ces immenses

à rayon de courbure variable, puisque les

seraient-ils devenus sourds ? C’est en tout cas

miroirs acoustiques expérimentaux (de

surfaces à rayon de courbure constant créent

ce que semble penser le compositeur canadien

grandes paraboles en béton conçues durant

des endroits privilégiés de réverbérations

R. Murray Schafer disait en 1977 :

la dernière guerre mondiale sur les côtes ang-

perturbatrices. Xenakis parle alors de « nouvelle

laises, pour épier l’aviation ennemie), mais sans

architecture ». Il décide d’employer le béton,

sourds. Il a lui-même les oreilles bouchées. Aussi

jamais avoir vraiment réalisé le champ de pos-

matière qui a comme propriété principale la

longtemps que des exercices d’éducation n’auront

sibilités de données à entendre qu’il contient,

continuité et que l’on peut façonner à volonté.

pas amélioré la situation, on peut s’attendre à le

qu’il offre. Il existe cependant quelques tenta-

Il veut réaliser une « architecture volumétrique

voir poursuivre sur sa même voie.

tives (plus ou moins réussies) d’inclusion du

». La prise en compte du sonore conduit a la

sonore dans la réalisation d’enveloppes archi-

considération de l’espace. Le pavillon Philips

écoles d’architecture que pour ce qui intéresse

tecturales, comme l’emblématique Pavillon

est une coque de béton projeté au canon,

leur réduction, leur isolation et leur absorption.

Philips conçu par Le Corbusier en collaboration

cette structure a la particularité d’être auto-

Écoutez un édifice vide de tout homme. Il respire,

avec Iannis Xenakis en 1958, dans le cadre de

portante, elle n’a besoin que d’elle même

il a sa propre vie. Le parquet, les poutres craquent,

L’Exposition Internationale à Bruxelles.

pour tenir, ni colonnes, ni piliers. Cet exemple

« L’architecte aujourd’hui travaille pour des

L’étude des sons n’entre aujourd’hui dans les

les radiateurs craquettent, les chaudières

Le Corbusier envisage le pavillon comme

montre à quel point l’étude des phénomènes

grognent. Les constructions du passé émettaient

un « poème électronique », son et lumière.

et des perceptions liée au temps et à l’espace

elles aussi des sons bien à elles, mais elles ne

Il demande à Iannis Xenakis d’en concevoir

a été ré-appropriée, développée, et à quel

sauraient entrer en compétition avec les bâti-

la forme en tenant compte de plusieurs

point l’architecture désire se rapprocher d’une

ments modernes pour ce qui est de la puissance

contraintes en ce qui concerne la lumière, la

perception du temps différente en reprenant

et de la permanence de ces sons. La ventila-

superficie, des rendus d’espaces particuliers

heureusement -ou pas- des principes liés au

tion, l’éclairage, les ascenseurs et le chauffage

mais surtout le son. Xenakis doit traduire par les

sonore et au musical. Cela dit ce projet est

produisent un important volume sonore ; les

mathématiques des notions des plus diverses

encore fortement accroché à la musique,

ventilateurs et les systèmes d’évacuation de l’air

dont la recherche d’une qualité de diffusion

même s’il n’est pas une salle de concert, et

dégorgent des masses incroyables de bruits dans

optimale pour la lumière ainsi que pour le son

on est encore loin d’un bâtiment capable de

les rues et dans les allées mêmes qui bordent les

et c’est justement là que ce projet devient inté-

musicalités propres. Ce serait plus un lieu dans

immeubles. »

ressant puisqu‘il ne s‘agit pas de construire un

un lieu que l’on traverse et dans lequel on vit

simple auditorium, Xenakis parle plutôt d’une

une véritable expérience auditive et visuelle.

Ainsi donc le son, ou plutôt le bruit, « redécouvert » en 1948 par la musique con-

sorte de parcours sonore. La prise en compte

En conclusion, même si des architectes

crète est loin d’avoir conquis sa reconnaissance.

du son dans une salle induit l’emploi de sur-

comme Iannis Xenakis, Daniel Libeskind, Peter

On l’utilise c’est vrai, on expérimente de nou-

faces spécifiques, des « surfaces gauches »

Cook ou encore Steven Holl ont proposé des

243


idées innovantes, reprenant heureusement - ou

Il semble nécessaire que l’état intervienne

pas - des principes liés au sonore et au musical,

pour motiver la mise en place de projets tou-

peu de choses ont été réalisées et tout reste à

chant à l’architecture sonore.

faire. En effet rares sont les concepteurs qui on su créer des espaces architecturaux qui ne sont plus seulement des espaces de la seule perception visuelle, mais qui génèrent le propre son. Pourtant Il est possible de construire avec et pour le son. Les outils se perfectionnent de jour en jour et le vocabulaire associé s’enrichit de même. Grâce à l’évolution des arts sonores et de l’architecture, c’est également la perception de notre environnement qui s’ouvre vers de nouvelles voies esthétiques, sociales. Reste à convaincre le maître d’ouvrage, pouvoirs publics ainsi que commanditaires et opinion publique et donc politique …

244


245


EXHIBITION REVIEW

AFRIKADAA Silence break on-air Photos© Olivier Ouadah /Fondation Cartier pour l'art contemporain – Texte par Afrikadaa

Créée à l’initiative de la revue culturelle,

lors de temps d’antenne quotidiens aux

le voyage interstellaire constitua un moyen

artistique et politique Chimurenga, la Pan

cours desquelles ils accueillaient chacun une

de poursuivre la quête de connaissance et de

African Space Station (Cape Town, Afrique

sélection d’intervenants composée d’artistes,

questionner par la même occasion l'Afrique

du Sud), station de radio en ligne fondée

d’auteurs et de musiciens venus d’Europe

du Futur.

par Ntone Edjabe, qui en assure également

et d’ailleurs pour faire résonner leur image

la programmation artistique, investissait la

sonore de l’Afrique contemporaine.

Fondation Cartier pour l’art contemporain en

C'est dans ce cadre et sur invitation de

De nombreux artistes, performeurs et acteurs du monde l'art ont fait l'honneur de participer à cette carte blanche :

septembre dernier, dans le cadre des Soirées

Chimurenga que Afrikadaa proposa Silence

DJ Reyz, Nadia Yala Kisukidi, Lord Eraze,

Nomades de l’exposition Beauté Congo – 1926 -

Break On-Air, une programmation conçue

Christiane Prince, Pascale Obolo, Celio Paillard,

2015 – Congo Kitoko.

spécialement pour l'occasion.

Michele Magema, Louisa Babari, Kin Kitoko,

Chaque jour, de 16h à 22h, des person-

A travers sa programmation artistique

nalités, acteurs et penseurs du continent

Afrikadaa proposa aux publics un voyage à

africain, ont animé leurs propres émissions

travers l’espace. Cette forme de narration sur

246

Claude Grunitzky, Jephthé Carmil, Fabiana Souza


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248


249


EXHIBITION REVIEW

FAHAMU PECOU, Ombres, sons et lumières Texte par Lauren Ekué - Photos : Courtesies de l’artiste, Backslash Gallery (Paris)

Quand un peintre emprunte aux djs leurs techniques allant de l’utilisation de samples, aux mixages, on assiste à un étonnant processus d’appropriation littéraire et musicale au sein du genre pictural. Gros beats, imagerie populaire Hip Hop vs néo-négritude se mettent au diapason pour amorcer les nouvelles notions de la masculinité noire au travers d’autocongratulations picturales. Alors, to bling or not to bling?

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11 juin caniculaire. Backslash Gallery.

Contagion oblige. Un pan du vestiaire ghetto

Le vernissage de l’exposition I know why

fabulous est devenu par effets d’imitation,

bonnement éradiqué. Des tubes et de la gouache. L’allégeance

the caged bird blings, rameute la faune estudi-

celui de la jeunesse urbaine noire et habille

de Fahamu Pecou au double H, offre

antine afro-américaine en goguette à Paris.

désormais bien au-delà. Slick Rick fut le propa-

un nouvel écho à cette culture en voie

gateur de la tendance. Depuis, les rappeurs

d’institutionnalisation par l'establishment.

valent leur pesant d’or. Pas de vie flambée

Cannibalisation oblige. Le Smithsonian, Musée

sur refrains diamantés sans parures lourdes

National d’Histoire et de la Culture afro-amé-

les recoins. Alors que la silhouette familière du

et dispendieuses. Pour nos médaillés d'or, "le

ricaine, se targue de posséder une douzaine

journaliste Hip Hop, Hervé Epée, tranche au

terme "bling-bling" serait une onomatopée

de pièces provenant de la collection de Slick

milieu des étudiantes archi-sapées, les com-

jamaïcaine évoquant le bruit des chaînes et

Rick. En 2013, Jay-Z mute en œuvre d’art à la

mentaires admiratifs vont bon train. Fahamu

des bijoux qui s'entrechoquent. Plus qu'un

Pace Gallery (NYC), lors d’une performance de

Pecou, l’artiste afro-américain, est également

signe de réussite sociale, le" bling-bling "écrit

six heures, inspirée de l’œuvre de Marina Abra-

chercheur en sciences sociales - sa thèse de

David O’Neil dans Explicit lyrics est le symbole de

movic pour le lancement du titre Picasso Baby.

De superbes femmes stylées, aux coiffures recherchées prennent d’assaut l’espace. Ça cause en ‘cainri’. Ça ‘Brooklyn’ dans tous

doctorat porte sur l’imagerie de l’homme

Re-cannibalisation.

noir à travers le personnage de Kanye West.

Dans ce contexte,

Il convoque régulièrement les icônes de la

difficile de vrai-

culture populaire afro-américaine avec une

ment comprendre

couche de vernis hype, le tout baignant

que le cri fluet de

dans un cool et une black consciousness

l’oiseau en cage

fièrement revendiqués. Pour cette troisième

est probablement

expo au sein de la galerie parisienne, Pecou

plus libérateur

réduit la toile à un simple instrument

que les timbres

relégué au rang de médiateur. Il convoque

virils à la Rick Ross.

l’inestimable esprit des platines et table de

Voix rauques.

mixage à l’ancienne sur un mode néo-new

Voix fauves. Voix

school. Résultat, il investit corps, souplesse

chaudes. Cette

et félinité dans ses œuvres, ce qui rejaillit sur

jeunesse urbaine

l’amplitude et le contrôle de ses mouvements.

la fierté du nigga qui a réussi sans cesser d'être

devrait se délester du bling trompeur des

Grosses basses et décibels ont dû souffler

ce qu'il est. [...] Ce sont des chaînes d'esclave

colliers XXL, des grillz et des disques d’or. Le

dans l’atelier donnant du volume aux coups

transformées en or. Une imagerie de la revanche

lumpenprolétariat noir US, devrait s’alléger

de pinceaux. Le style perso de l’artiste est du

où les dents dorées rendraient hommage à celles

en laissant fondre les dorures superficielles

genre affirmé, avec chemise soignée et coif-

arrachées aux esclaves, et les baggys tom-

réclamées par l'autel du paraître, aux profits

fure conceptuelle, à la Lumumba. Son allure,

bants aux prisonniers sans ceinture. Des signes

de valeurs moins consuméristes. Un retour

pourrait le faire passer sans ciller pour un

d'humiliation détournées en symbole de fierté."

aux sources de la négritude, permettrait aux

musicien, et même une star du Hip Hop.

Toutefois, ces trésors conduiraient à renforcer

multi-accessoirisés, de déduire à l’instar des

les stéréotypes sur les jeunes noirs arborant

alchimistes et des meilleurs MCs, qu’elle est le

de l’énergie flamboyante du graffeur et la

un look streetwear. L’issue peut être fatale,

chaînon manquant, l’élixir de longue vie. Parce

rythmique du disc-jockey, continue à se

comme ce fut le cas pour le jeune Trayvon

que tout ce qui brille, tout ce qui flashe et qui

mettre en scène. Cette fois, les autoportraits

Martin en 2012. Hélas, le racisme ne se limite

miroite vient de profondes racines. Ce goût

glorifient la force des prescriptions stylistiques

pas à une histoire de fringues et de bijoux

du faste pour les précieux carats d’or et de

venues de la culture Hip Hop grand public.

tape-à-l’œil, sinon celui-ci serait déjà tout

diamants, se rencontre chez de nombreuses

Pour cette nouvelle série, le peintre doté

251


royautés séculaires d'Afrique de l'Ouest,

plus diversifiés et introspectifs. West, la muse

si tapageur qu’il en paraît suspect, ne résume

notamment les Akan et les Ashanti, qui ont

à l’identité visuelle moins caricaturale serait à

pas à lui seul le rap et encore moins l’ensemble

toujours fétichisé l'or, comme ailleurs sur le

l’origine d’une révolution du veston et donc

de la culture Hip Hop. Toujours se fier au

continent. Et si ces énormes chaînes torsa-

de la masculinité noire. ‘Mouais’, disons surtout

chronomètre géant de Flavor Flav à l'heure où

dées, les dookies, n’étaient qu’un hommage

que West est un fils de bonne famille comparé

50 Cent se déclare en faillite personnelle.

des plus rutilants à l’Afrique ? Que le métal

au pedigree d’un bon nombre de rappeurs.

demeure alors toujours philosophal. On atteint tout de même les limites de la technique du retournement de stigmate, en se rappelant la posture de Chuck D du groupe Public Enemy qui condamne fermement les diamants de sang et les pillages des ressources minières

Franc du collier, Curtis Jackson, avoue ne pas rouler sur l’or. Il loue breloques et grosses

"L’allégeance de Fahamu Pecou au double H, offre un nouvel écho à cette culture en voie d’institutionnalisation par l'establishment"

africaines. Et toc !

bagnoles. L’egotrip de Fahamu Pecou apparaît dans ses autoportraits. Il produit une œuvre aux dimensions introspectives et cathartiques. A la fois conscient de sa réussite et son évolution dans des milieux réputés élitistes comme le monde universitaire et celui de

Sur la toile, là où la radicalité du noir

Pecou ambitionnerait une nouvelle

s’empare de tableaux d’où s’échappent des

approche pour déconstruire les clichés et

authenticité et sa proximité avec les valeurs

splashs d’or, jaillit une lumière qui semble tout

les stéréotypes sur le corps masculin noir.

du monde noir urbain, un peu comme Kanye

droit sortie de la prison a-dorée, cette installa-

Jusqu’aux bouts de ses pinceaux, il investit l’un

West. Ils sont les « Niggas » qui ont réussi sans

tion oscillant entre douceur et féminité.

des champs qui agite l’élite créative et intel-

cesser d'être ce qu’ils sont. Cependant, à l’insu

La jolie petite cage et le chant de son

lectuelle afro-américaine et celle des diasporas

du peintre, son récit plastique témoigne de la

oiseau, reprennent l’un des titres phares de la

noires disséminées en Europe, l’Afrique ayant

dominance sociale et de l’opportunisme de

bibliographie de Maya Angelou, romancière,

peu voix au chapitre sur le sujet pour diverses

cette intelligentsia restreinte pour le fascinant

figure tutélaire et militante pour les droits

raisons. Fahamu Pecou sera commissaire

lumpenprolétariat noir. S’imaginer portant les

civiques. Cette grande dame, convoquée

d’une prochaine exposition au Zuckerman

habits des uns par mimétisme, concocter un

outre-tombe, incarnait la voix profonde de

Museum of Art (Atlanta). Rites, construite aut-

discours séduisant les autres par conformisme

l’Amérique Noire. En septembre 2014, un

our de la masculinité noire avec des plasticiens

sociétal ou appât du gain, devient aussi

album posthume comprenant 13 chansons,

comme Jon Goode, Robert Hodge, Alexis

un credo pour renforcer la néo-négritude

intitulé Caged Bird Songs, fut publié en y

Peskine et Cosmo Whyte, (du 22 août au 6

d’une classe sociale et ses idéologies sur une

intégrant ses poèmes à des beats hip hop.

décembre 2015).

autre. Peut-être que les bourgeoisies noires

De son côté, Kendrick Lamar, a enregistré

Sauf qu'en reprenant le rap " or et biftons",

l’art. Il souhaite probablement démontrer son

connaissant le poids de son éducation, or,

une version de Still I rise, tirée de l’œuvre de

l'artiste s'enferme lui aussi dans un goût sté-

valeurs, efforts et résistances, flairent vite les

la poétesse. Toutefois, Kanye West est le

réotypé pour les versants le plus outrageux,

supercheries du star-system. Les rappeurs,

rappeur qui hante le plus souvent l’imaginaire

calomnieux, grotesques et tristement com-

capitalistes et individualistes, à l’image des

de Pecou. En 2011, sa précédente exposition

merciaux de cette musique autrefois rythmées

sociétés occidentales contemporaines,

Negus in Paris reprenait directement le Niggas

par les scansions rageuses, les aphorismes

fantasment sur l'opulence et ses signes

in Paris de Jay-Z et Kanye West, en référence

brillants, les contestations franches et les

distinctifs. Cependant, pourquoi parer le

à Un Nègre à Paris de Richard Wright et James

block-partys à l’esprit presque bon enfant. De

corps d’une petite fortune serait une pratique

Baldwin. Le rappeur qui cherche la reconnais-

nombreux artistes Hip Hop, notamment les

sociale plus condamnable que celle de

sance absolue des mondes manucurés (et

plus baignés par le militantisme noir, les plus

collectionner l'œuvre d’un artiste coté dans

peu virils) que sont la mode et l’art, élabore

conscients et novateurs, n'ont jamais collé à

son salon ? Le peintre sait-il qu'il vit également

une personnalité plus complexe, aux textes

cette esthétique. Le rap mainstream, au luxe

dans un monde de vices, de bluff et de

252


spéculations ? Dans le registre peintre dévoué à la cause Hip Hop, Kehinde Wiley, se prête moins aux injonctions paradoxales. Ce dernier inclut une dimension post-coloniale aux couleurs de son travail genré. En descendant la rue Notre-Dame de Nazareth, des portraits de Jimi Hendrix par Donald Silverstein s’échappent de la galerie Stardust. Il y a déjà eu des Afro-américains, fièrement sortis de leur cage avec rage, allure, et envergure. Conscious black men with fly new sneakers/both styles came from us, sifflerait à tue-tête KRS-ONE sur le morceau 5%. Tout est question d’alliage. Homme, race et classe.

Morceaux choisis Public Enemy- Don’t Believe The Hype. KRS-ONE -MCs Act Like They Don’t Know. Jay-Z feat. Rick Ross - Fuck with me you know I got it. Jay-Z –Picasso Baby Juvenile feat. Lil’Wayne - Bling Bling The Lox feat. Lil’Kim & DMX - Money, Power, Respect.

Lauren Ekué, romancière, essayiste, kiffeuse de sapes et de sons. Dernière publication, Appellation d'origine contrôlée in Novel of the world, Exposition Universelle de Milan 2015.

253


EXHIBITION REVIEW

LIBÉRER LES CHEVEUX, MARQUER LA PEAU, DANSER LA MORT Par Aurélie Leveau

USA Extraits du film You Can Touch My Hair, d’Antonia et Abigail Opiah, 2013 // © un’ruly.

4 5 2


Afrique plurielle est une installation conçue

plus la symbolique de l'œuvre et le message :

voix, permet de prononcer des mots-clés qui

spécialement pour l'exposition chefs-d’œuvre

faire fonctionner, à l'unisson ces éléments a

vont ouvrir une porte de perception. La voix

d'Afrique du Musée Dapper. En ouverture, et

priori hétéroclites.

a aussi sa propre musique, et pour les deux

avant que les visiteurs découvrent les pièces

premières parties j'ai choisi justement de créer

incroyables des arts africains, certaines datant

bat sous jacent, du message intrinsèque, et de

un écho sur le son, pour que le visiteur ait

du IXe siècle, j'avais envie de me demander

la force de chaque partie.

l'impression que le son, et donc les images et

quels étaient aujourd'hui les liens qui pou-

"Libérer les cheveux", aborde le carcan

ses sensations, proviennent et se répercutent

vaient exister entre tradition et modernité en

parfois imposé des tresses ou des extensions,

sur tous les murs de l'installation et accentuent

Afrique et leur relation aux afro descendants.

en présentant également la libération du

l'impression d'immersion. Comme un bébé

mouvement Nappy.

dans le ventre de sa mère qu'on imagine

L’Afrique, racine du Tout, dans un monde contemporain qui bouge à toute vitesse, avaitelle perdu de son identité ?

Il fallait avoir une transition dans le son

entendre tous les sons in utero, l'écho doit

pour partir des tresses et arriver à un mot fort,

aider le spectateur à perdre ses repères

Tout n'est que transformation et adapta-

incarnation de liberté : Nappy. Nina Simone,

conscients, se laisser prendre à autre chose.

tion… La vitalité et le cœur demeurent et sont

sa voix, son engagement ont de suite incarné

partagés par des hommes et des femmes

la libération de ce carcan de diktats, qui se

été une réelle découverte. Il a été enregistré

dont les pratiques et expressions sont en

retrouve différemment en Afrique et aux

par l'opéra de Sydney : « Didgeridoo meets

quête d'identités individuelle ou communau-

Etats Unis. La chanson "Aint got no, I got life"

orchestra » (Le didgeridoo en communion

taire. L'installation Afrique plurielle est un

fort de ce timbre de voix unique, de ce mes-

avec un orchestre). Avant même d'écouter

triptyque :

sage universel se conjuguent parfaitement.

le son, son titre laisse supposer sa volonté

Un son fondamental de l'installation, a

-

Libérer les cheveux

Au-delà, de la chanson et de ses paroles, le

de bousculer les genres, d'être une expéri-

-

Marquer la peau

spectateur écoutant de façon consciente

mentation sonore. Le son du didgeridoo est

-

Danser la mort

ou inconsciente, va percevoir le combat et

universel. Si vous l'avez déjà écouté vous res-

l'engagement de l'artiste. Cet engagement

sentez cette vibration ancestrale, cette onde

ment sur trois murs pour une totale immersion

et cette rage de liberté vibrent et se trans-

qui semble venir du plus profond de l'être

du spectateur. Le montage est composé de

mettent au visiteur, lui permettant de ressentir

humain. Brute et pure, cette sonorité exalte

sources très diverses : vidéos d'archives du

davantage la matière des vidéos.

la partie "marquer le corps". Qu'il s'agisse de

L'installation vidéo est projetée simultané-

CNRS vieilles de plus de cinquante ans, photos,

Le son est une clé de lecture qui oriente

photos de prisonniers tatoués dans une prison

extraits de films, performances d'artistes

le spectateur dans l'installation. Une même

en Afrique du Sud d’Araminta de Clermont, d'

contemporains.

image peut faire ressentir des choses diffé-

une vidéo présentant les scarifications d'une

rentes. La morceau de Nina Simone suggère,

statuette Kuyu du Congo, cette onde sonore,

installation qui réunit des documents visuels

soit au travers de la culture personnelle de

qui ne ment pas et ne se cache pas, met à nu

si différents ? Et qui aborde trois thèmes,

chacun, soit au travers d'un sentiment propre,

le corps et le message de chacun.

proches dans leur symbolique, mais si éloi-

l'orientation d'un ressenti.

Comment envisager le son dans une

gnés dans leurs expressions ? Avec un seul son pour trois vidéos projetées simultanément ?

Pour introduire chaque partie du triptyque

Enfin, le son peut être identification, comme c'est le cas dans la dernière partie de

de l'installation, et permettre à chacun de

l'installation. Une messe en Wolof convoque

rentrer dans l'œuvre au début ou de "transiter"

un caractère solennel, qui se lie directement

deux œuvres contemporaines qui font parties

entre chaque partie, le choix de quelques

à la mort dans l’inconscient de tous et permet

de la vidéo : la performance de Zachary Fabri

secondes de silence et de la voix est apparu

au spectateur d'être happé par cette dernière

et celle de Sondra Perry.

comme une évidence. Le silence puisqu'il est

partie : danser la mort.

Le son du silence avait été choisi pour

Mais le son est un liant, un vecteur, un élément fort, qui a pour but de traduire encore

255

Le son se doit aussi d'être le reflet du com-

évident dans le changement de rythme et

Peut importe que l'on parle le Wolof ou

qu'il est utilisé depuis toujours. La voix, ma

pas, les codes de la messe et les tonalités sont


Artiste et administratrice général au

universelles.

musée Dapper, passionnée par l'image

Ainsi le son, qu'il soit musique, silence ou voix, est une composante essentielle d’Afrique

(photos et vidéos) et le rapport à l'objet,

plurielle. Il permet de mieux entendre les

ses créations interrogent une autre vision

images, de créer une suspension du temps

de notre monde contemporain et le lien

et de mettre un peu à distance la perception

que nous entretenons avec le passé. Elle

consciente du spectateur pour aller toucher

s'emploie à developper le musée Dap-

à quelque chose de plus primaire, qu'il doit

per (un espace d'arts et de cultures pour

ressentir au plus profond de son corps,

l'Afrique, les Caraïbes et leurs diasporas) à

comme le ressentaient et le ressentent encore

l'étranger, pour permettre une meilleure

les hommes et les femmes qui partagent ce

connaissance des arts africains tradition-

même rapport au rituel.

nels mais également de l'art contemporain africain.

Exposition Chefs-d'œuvre d'Afrique au musée Dapper 35 bis rue Paul Valéry 75116 Paris Ouvert tous les jours sauf mardis et jeudis Nocturnes les vendredis et samedis soir jusqu'à 22h www.dapper.fr Playlist d’Afrique plurielle Pata Pata de Miriam Makeba I got no, I got Life de Nina Simone Didgeridoo meets orchestra de l’orchestre de l'Opéra de Sydney Messe du cap des biches de Julien Jouga (Wolof no 1)

"Le son est une clé de lecture qui oriente le spectateur dans l'installation. Une même image peut faire ressentir des choses différentes. La morceau de Nina Simone suggère, soit au travers de la culture personnelle de chacun, soit au travers d'un sentiment propre, l'orientation d'un ressenti.

"

Aurélie Leveau

256


Extrait de la performanceForget Me Not, as My Tether is Clipped, de Zachary Fabri, 2012 © Zachary Fabri.

Omar, photo de la série « Life After », d’Araminta de Clermont, 2008 © Araminta de Clermont.

257


EXHIBITION REVIEW

LES ON-OFF DES RHÉTORIQUES SONORES ET DES VOIX

Find your own balance, your own focus ! Par Hafida Jemni

Cette 56e Biennale internationale d’art contemporain présidée par Paolo Baratta et dirigée par Okwui Enwezor, accueille des artistes issus des cinq continents. En tout 53 nations, 136 artistes réunis, dont 89 exposent sur la Lagune pour la première fois. Un non-conformisme affiché, on y compte 35 artistes africains, soit 25% des participants. Plusieurs d’entre eux, font l’usage du médium SON, offrant un parcours avec une symbolique de leur engagement, et chargé d’émotion. Tous les futurs du monde « All the world's

ère d'anxiété », que les artistes présents ont

futures », est le thème et la recommandation

su capter et traduire en toutes sortes de nar-

de Paolo Baratta, le président de la Bien-

rations.

nale, « instruire une nouvelle approche de

De son côté Okwui Enwezor avait lancé

sa métaphore lors d’un parcours dédié ! Les voies d’accès aux œuvres, permettant une déambulation personnelle, à la rencontre du sentier sonore. Les artistes, ayant exploité

la relation entre l'art, les artistes et le cours

lors de la même conférence de presse « Find

le médium son, ont croisé les imaginaires

actuel des événements », en tenant compte

your own balance, your own focus ! », une

pour en étayer toutes les facettes.

des « bouleversements radicaux intervenus

invitation à se saisir de ce que les artistes

ces vingt dernières années », tant au niveau

invités, nous composent comme « écoute de

d'œuvres engagées, comme la lecture

sociétal que technologique, économique ou

notre monde ». Soit ! Okwui Enwesor dénonce

publique du Capital de Marx, l'installation de

environnemental.

la glorification du capital par le monde de

Thomas Hirshhorn, les Fine de Fabio Mauri

l’art, il a pris appui sur des (voi(x,s), la voie (en

et d’autres comme les peintures de Kerry

blessures profondes », basées sur des « iné-

tant que création sonore), et celle porteuse

James-Marshall et de Chris Ofili, les Crânes de

galités » , pour un « futur incertain », souligne

de parole, la voix (réciter le capital/Curatorial

Marlene Dumas, et bien d’autres, font écho.

Paolo Baratta lors de la conférence de presse

Platform).

« Le monde affiche des divisions et des

de la Biennale. Malgré les énormes progrès

Le choix balance vers une audience à

faits dans la connaissance et la technologie,

travers des partitions mêlées, que les visiteurs

« nous sommes toujours engagés dans une

tentent de déchiffrer ! Afrikadaa, relève le Son,

258

Au pavillon international où, un choix


Courtesy Biennale de Venise 2015 Photo : David Freeman


THE SOUND IN ALL THE WORLD’S FUTURES

politiques. Une volonté affichée par Okwui

le traduire au cinéma a été établie à cette

À L’ARSENALE

Enwezor, qui en pleine possession de l’usage

occasion.

du monde, privilégie un art engagé, voire Du bruit à l’Arsenale, il y en a, d’une abondance diffuse, mêlant mouvement,

militant ? « Le Capital » de Karl Marx, en quatre

Certaines œuvres inédites, tandis que d’autres, sont le témoignage de temps forts, comme Walker Evans, dont on peut admirer

variations d’amplitude, texture, respirations,

volumes, lu en anglais à voix haute et en con-

les photographies de fermiers américains

des dispositifs scéniques, qui incarnent les

tinu. Sa visée est de convoquer ses résonances

dans les rudes années 1930, Chris Marker,

éclaireurs de cette déambulation sonore.

dans l’histoire de la pensée, et du monde,

dont on peut voir le film fait à l’occasion de

Okwui Enwezor prend soin d’ordonner des

depuis sa parution en 1867. Une mise en avant

la chute d’Allende au Chili. Okwui Enwezor

mondes, et met à notre portée des artistes

d’un texte inattendu, car chaque matin, une

rappelle ainsi qu’en 1974 la Biennale avait été

qui ont répondu à l’appel en levant la voix,

lecture, en continu dans une programmation

fortement politisée et dédiée au Chili en un

celle sans frontière territoriale, présentant une

à l’Arena, le pavillon central, mis en scène par

geste de solidarité. Toutefois, le marché de l’art

porosité des pratiques disciplinaires !

l’artiste britannique Isaac Julien. Il est l’auteur

amoral est gouverné par des règles indemnes

en 2013 du film Kapital, et dont on peut aussi

de toute prétention militante ou éthique.

Des œuvres inédites ou pas, des territoires, des savoir - faire, des extensions imaginaires

voir une installation vidéo, toujours sur la por-

avec des obsessions, des questionnements

tée de l’ouvrage fondateur du marxisme.

intimes, des voix, des chuchotements, des

Une version courte (9 heures) du film de

Adkins Terry Roger (1953-2014) : artiste conceptuel, sculpteur et saxophoniste amé-

formes, des images en mouvement, des ritu-

l’Allemand Alexander Kluge est dédiée au

ricain créa des sculptures « aussi éphémères

els de « Tous les Futurs du monde » , résolument

même livre et aux tentatives d’Eisenstein de

et transitoires que la musique » et des œuvres

Courtesy Biennale de Venise Photo : Daniel Lesbaches

260


d’art mêlant musique et arts visuels. Dans les années 1980, Adkins combine

singulièrement troublante l’un de trois filtres,

La durée live est un autre fil conducteur de

Garden of Disorder, à travers lesquels peut

l’exposition, avec des temps forts, telles

et recycle des objets trouvés, comme on le

être pensé le projet curatorial global de cette

les interventions du chœur imaginé par

voit avec Smoke Signals (2013) qui associe

56ème Biennale.

Jennifer Allora & Guillermo Calzadilla qui nous

des bases de chaises Eames, du ciment, du

La cloche de Hiwa K lance ses appels à

resituent de manière troublante In the Midst

cuir et du bois d’ébène. De certaines de ses

quelque chose qui reste à définir pour chaque

of Things, ou furtifs, aléatoires, et néanmoins

sculptures, il extrait des sons et des rythmes

spectateur, fait presser le pas et résonner les

calés sur les rythmes de la nature, ainsi les

pour composer et réaliser des improvisations

espaces.

rendez-vous imaginés par Saâdane Afit au

musicales (Off Minor, 2004). Il se fait notam-

Christian Boltanski « Je considère de

lever et au coucher du soleil, The Laguna’s

ment connaître par ses « Akrhaphones », des

plus en plus que mes œuvres sont comme

cors de 5,5 mètres de longueur qu’il façonne

une partition musicale, que je « joue » et

lui-même et qui sont fréquemment utilisés

que les expositions sont autant de ré inter-

performative, de Lili Reynaud Dewar, My

par son groupe, le Lone Wolf Recital Corps,

prétations. »

Epidemic ou encore d’Ernesto Ballesteros.

lors de performances appelées récitals (Last

- Christian Boltanski Sélection de deux

Tribute (A Corner Speaker in Venice). Des installations comme une action

Ou encore Ricardo Brey, sa pièce Indoor

Trumpet, 1995). Ses performances multimédias

œuvres vidéos soulignant la première et la

Fligts installe ainsi une respiration, un vide,

rendent souvent hommage à de grandes

dernière création de l’artiste.

un espace de travail de l’artiste, à mi-chemin

figures de l’histoire afro-américaine telles que

« L’homme qui tousse » vidéo expression-

entre le bureau et l’atelier. Quant à l’installation

l’abolitionniste John Brown, le pasteur Martin

niste (1969), une œuvre de jeunesse, place le

de Barthélémy Toguo, ses tampons géants, les

Luther King, ainsi qu’à des musiciens, John

visiteur en position de voyeur et fait de lui le

messages qu’ils portent en négatif, de nature

Coltrane, Bessie Smith et Jimi Hendrix. Meteor

témoin d’une scène insupportable. Le film

autoritaire, claquent un bruit assourdissant

Stream : Recital in Four Dominions (2009) se

présente un homme modestement habillé,

(refusé, visa, frontière, etc) sur des feuilles

présente comme une exploration évoquant

assis à même le sol d’une pièce vétuste, qui

blanches jusqu’en haut des murs...

les écrits de Brown à travers la sculpture, la

tousse sans relâche au point de cracher un flot

vidéo, des dessins et des lectures.

de sang sur sa poitrine et sur ses jambes.

Les pièces de Terry Adkins, monumentales sont silencieuses comme pour sublimer la

Métaphore d’un combat sanguinolent et vain !

- Chris Marker, ses travaux reviennent à deux reprises dans l’exposition, en tant que

« Animitas » Installation sonore et

photographe. Passengers , qu' il pris sur le vif,

mort de Terry Roger Adkins qui l’a fauché le 8

pérenne (2014). Créée et mise en place au

dans leur quotidien , et la vidéo On vous parle

février 2014, quelques mois avant l’exposition.

pied du volcan de Lascar, dans le désert

du Chili, Ce que disait Allende, 1973, 16’.

Divine Mute et les eschatologiques, Last

d'Atacama au Chili. Des centaines de clo-

Trumpet, jouent le mutisme des futurs en

chettes japonaises dessinent la carte du ciel

devenir, ainsi que Off Minor, de la série Black

vue depuis l’hémisphère sud la nuit du 6

Beethoven.

septembre 1944, date de naissance de l'artiste.

ble et combien actuelle. En 1970, il se rend à

Leurs rythmes entraînants, pleins de fougue,

Cuba pour La Bataille des dix millions mais,

« JingLing Chronicle Theater Project » où les

attirent les visiteurs : un quartet jazz se produit

ce qui retient son attention, est l’expérience

objets et les peaux de bête s’animent, où la

dans l’installation. Filmée, l'installation est

chilienne que mène Salvador Allende avec

pluie semble acide sous les nuages chargés de

retransmise en direct au Museo Nacional de

le gouvernement d’Unité Populaire. L’échec

radioactivité et où des signaux lumineux d’un

Bellas Artes de Santiago du Chili lors de la

de cette transition démocratique vers le

phare rudimentaire essayant de transmettre

rétrospective de l'artiste jusqu’en janvier 2016.

socialisme, après le coup d’État militaire du

- Qiu Zhijie : une installation multimédia

des messages dans un code dont on aurait perdu la clé. Cette proposition synthétise de manière

261

http://dai.ly/xaloo2 (lien dailymotion) Prestation de Salvador Allende, remarqua-

11 septembre 1973, le heurte profondément. - Jason Moran, Staged : Savoy Ballroom 1.

Il travaille à plusieurs films où le souvenir du

Liveness – éprouver le temps et ses rythmes

Chili est présent : On vous parle du Chili, Ce


que disait Allende (1973), L’Ambassade (1973),

merge ! Car, le long de ce parcours dans All the

l’artiste Filip Markiewicz et le critique d’art

La Solitude du chanteur de fond (1974), La

World’s Futures des ondes sonores transpor-

Paul Ardenne. Filip Markiewicz imagine une

Spirale (1975). Intellectuel engagé, féru de nou-

tées ne s’arrêteront pas à la fin de l’exposition

nouvelle mythologie contemporaine, une

velles technologies et d’innovation, il interroge

à l’Arsenale, elles perdureront.

réflexion sur nos identités contemporaines.

le monde dans un langage essentiel dépourvu de tout artifice. Co-auteur avec Alain Resnais des Statues meurent aussi (1953), réquisitoire

L’oeuvre prend la forme d’un vaste théâtre Comment résonnent-ils les sons de « All the World’s Futures » , aux Giardini ?

contre l’impérialisme culturel, il exprime « sa

dont les six salles du pavillon sont le réceptacle. Le film Voyage au bout d’une identité s’inscrit au coeur de ce dispositif.

sympathie à toutes les formes de révolutions

PAVILLON DU TUVALU

dans le monde entier » en créant le concept

Confié à l’artiste taïwanais Vincent Huang,

Par son titre, PARADISO LUSSEMBURGO évoque tout à la fois le Paradis de Dante, le

du documentaire subjectif, mêlant les images

son installation « Crossing the tide », nous

film Cinéma Paradiso de Giuseppe Tornatore,

d’archives à ses propres photographies, faisant

plonge dans une chaleur moite. Un léger

le paradis fiscal. L’artiste souligne : « Il s’agit

de l’image fixe et du texte les axes centraux de

brouillard tiède sature l’espace, en suspension

d’un titre qui peut être interprété de diffé-

son œuvre Dora Garcia, « The Sinthome Score

au-dessus des plans d’eau turquoise qui évo-

rentes façons. Ce qui m’intéresse, c’est d’un

», pièce autour des exposés de Jacques Lacan

quent lagune et les conditions climatiques du

côté l’aspect mythologique, proche de la

petit archipel du Pacifique. L’artiste a inondé

fable, et d’un autre côté, l’aspect populaire. Les

relâche au gré des lectures qui deviennent

le sol du pavillon en pompant l’eau dans un

différentes vagues d’immigration enregistrées

à leur tour matière aux gestes dansés. Cela

canal, de faux nuages sont diffusés dans la

depuis le début du XXe siècle au Luxembourg

respire, baigné dans la lumière du jour, les

pièce. Une passerelle en bois permet aux

ont amené à considérer ce pays comme une

mots deviennent musiques, tout en gardant

visiteurs de traverser les eaux. Un paysage où

sorte de paradis en matière d’intégration.

leur force active. Les nœuds ne demandent

ne subsistent que la mer et le ciel, on entend

Ainsi, la langue italienne retenue pour le

qu’à se défaire, pour une circulation fluide.

les mouvements de l’eau.

titre de ma proposition fait-elle référence

Le nœud borroméen se resserre ou se

Tania Bruguera, avec une installation

à l’histoire de l’art (Dante, le film Cinéma

immersive et performative provoque une

PAVILLON DE HONG KONG

Paradiso) et, tout autant, à la première vague

déflagration, une descente dans les limbes,

« The Infinite Nothing »

d’immigration au Luxembourg. Encore, il y

bruits de pas qui pataugent dans les graviers,

Une installation vidéo inédite, conçue

a une allusion forte à l’image que donnent

corps nus enveloppés dans une obscurité

pour la 56e Biennale de Venise. Elle est Con-

certains médias étrangers du Luxembourg,

quasi-totale, prisonniers de gestes obsessifs.

stituée à partir de quatre pièces vidéo, dont

celle du paradis fiscal, une thématique que

Volontaire, engagée, Bruguera estime

le fil conducteur est une narration autour du

j’entends traiter frontalement mais aussi

que le rôle de tout artiste est de prendre la

concept de la ritournelle, le leitmotiv l’éternel

avec une certaine ironie ».

parole là où il sera le plus entendu : sur la place

retour, des cycles et des retours sur soi au

publique, là où elle considère également

travers d’ idées philosophiques (Nietzsche, le

PAVILLON BELGE

avoir sa place. Bruguera est plus que jamais

bouddhisme) ou des symboles populaires ou

« Personne et les autres », de Vincent

convaincue que l’art est utile pour expliquer,

religieux. Le parcours débute par une rivière

revendiquer et dénoncer.

métaphorique pour se poursuivre dans des

Enfin, la boucle est bouclée ! Le point final

Meessen et d’autres invités étrangers. Mathieu K. Abonnenc (1977, Guyane

flots de mots ou phrases évoquant certaines

française, vit et travaille à Metz) ; Sammy Baloji

de cette déambulation marque le dialogue

idées universelles pour finalement revenir à la

(1978, République Démocratique du Congo,

installé dans le premier espace de l’exposition,

projection initiale.

vit et travaille à Lubumbashi et à Bruxelles) ;

entre Bruce Nauman et Adel Abdessemed. Et

James Beckett (1977, Zimbabwe, vit et travaille

« Ouvre ta bouche pour le muet, pour la cause

PAVILLON LUXEMBOURG

à Amsterdam) ; Elisabetta Benassi (1966, Italie,

de tous les délaissés, in Proverbes », nous sub-

PARADISO LUSSEMBURGO proposé par

vit et travaille à Rome) ; Patrick Bernier et Olive

262


Courtesy Biennale de Venise Photo : Daniel Lesbaches

Martin (1971, France, 1972, Belgique, vivent

en révélant un héritage avant-gardiste marqué

vingtième siècle. Explorant cette dimension

et travaillent à Nantes) ; Tamar Guimarães et

par une pollinisation artistique et intellectuelle

de l’Internationale situationniste, le travail de

Kasper Akhøj (1967, Brésil, 1976, Danemark,

croisée entre l’Europe et l’Afrique.

Meessen révèle certains épisodes secrets des

vivent et travaillent à Copenhague) ; Maryam

Cette exposition révèle des micro-histoires

histoires entremêlées de l’art, de la musique

Jafri (1972, Pakistan, vit et travaille à Copenha-

passées sous silence et acte l’importance

gue et à New York) ; Adam Pendleton (1984,

capitale d’une série de formes intellectuelles

États-Unis, vit et travaille à New York)

et culturelles hybrides apparues suite aux

les autres », interroge l’impact concret de la

échanges coloniaux. Une nouvelle oeuvre

modernité coloniale dans la fabrique de nos

représenter la Belgique à la Biennale, s’ouvre

de Vincent Meessen, filmée à Kinshasa, est

subjectivités contemporaines.

à de multiples voix et postures. Vincent

au coeur même du concept de l’exposition.

PAVILLON RUSSE

Meessen et Katerina Gregos, ont conçu une

Elle aborde la participation largement

Un jeu de couleurs, rouge et vert vif

exposition thématique et invité une douzaine

méconnue d’intellectuels congolais à l’ultime

prolifère sur les murs de l’un des espaces du

d’artistes étrangers, originaires des

avant-garde internationale de la modernité :

pavillon russe, Pavillon Vert, tel que l’imagine

Amériques, d’Afrique, d’Asie et d’Europe et

l’Internationale situationniste, dont la dernière

Irina Nakhova qui met ainsi en tension la révo-

dont la pratique se nourrit de travaux de

conférence eut lieu à Venise en 1969. L’histoire

lution soviétique et la période d’ouverture,

recherches, « Personne et les autres » , remet

coloniale de la Belgique et son rôle stratégique

la Perestroïka. L’artiste, qui s’est affirmée dès

en question la notion classique de représenta-

dans l’Internationale situationniste – à travers

les années 80 par ses Chambres, installations

tion nationale à la Biennale de Venise et vise à

des personnalités comme Raoul Vaneigem

en appartement, essayant de déjouer les

sonder l’héritage de l’Internationalisme, refuse

– sont essentiels pour comprendre les avant-

contraintes et la censure du système, rappelle

la conception eurocentrique de la modernité

gardes artistiques et politiques de l’Europe du

que l’architecte de ce bâtiment a également

Le projet de l’artiste, choisi pour

263

populaire et de l’activisme. Par ce travail d’actualisation, « Personne et


construit le mausolée de Lénine. Irina Nak-

PAVILLON FRANÇAIS

hova transforme l’une des pièces principales

« Rêvolutions » une installation de Céleste

du pavillon en chambre noire, activée par un

Boursier-Mougenot, qui transforme le pavillon

Ouvre ta bouche pour le muet, pour la cause de

obturateur qui laisse filtrer de manière ryth-

français en un « îlot onirique et organique

tous les délaissés », eh oui, c’est la vocation des

mique la lumière du jour, et dévoile au regard

». Commissionné par Emma Lavigne, cette

artistes, ceux qui ont le mot pour le dire, tel

des visiteurs une installation qui rend hom-

installation sculpturale et sonore devrait «faire

l’oeuvre du Nigérian Emeka Ogboh , qui a fait

mage à Malevich et à son fameux Carré noir.

bouger tout doucement les arbres et capter

du son, le médium de prédilection, fait inter-

leur bruit secret». Le bruissement des feuilles,

préter l’hymne allemand par une chorale de

le tressaillement des branches, génèrent un

réfugiés africains, qui chantent, chacun dans

courant à basse tension et le traduisent en

leur langue maternelle … Ainsi les construc-

ouflage, avec l’inscription sur fond jaune «

musique. Les visiteurs, devenus spectateurs,

tions interpellent la société et le microcosme

On Vocation », ont colonisé temporaire-

pourront suivre leurs évolutions hypnotiques

de l’art, ses professionnels, ses amateurs, son

ment « Le pavillon vert », à l’ouverture de

en s’installant dans des sofas, dans la pénom-

marché, sa morale, parfois relative.

l’exposition de l’artiste russe Irina Nakhova,

bre de deux camera obscura qui renvoient

pour dénoncer l’occupation de la Crimée.

une image inversée des arbres et des nuages»!

# On Vacation : Une sommation sonore à portée politique Des artistes ukrainiens en tenue cam-

Leur réclamation politicienne symbolisait

Le projet de Celeste Boursier Mougenot à

On quitte ce parcours, en pensant aux Proverbes 31:8-10 de Louis Segond (LSG), «

Aby Warburg, est convoqué implicitement par Okwui Enwezor. En 1923, le célèbre historien d’art allemand

l’occupation de leur pays par l’armée russe.

la fois, poétique et technologique, est un hom-

Aby Warburg (1866-1929) ébranlé par la vio-

Ils dénonçaient la présence de l’armée de

mage conjoint à la liberté et à l’imagination.

lence de son époque est interné en clinique

Poutine- en Ukraine- par l’inversion des codes.

psychiatrique. D’ou naquit « Le rituel du ser-

Ainsi l’envahisseur est envahi à son tour sur

PAVILLON NORDIQUE

pent », texte de la pensée transculturelle, dans

son propre territoire présupposé. L’objectif de

Camille Norment « Rapture », et son Glass

lequel il étudie les rituels des Hopis d’Arizona,

cette action étant de faire vivre aux visiteurs

harmonica, transforma le pavillon nordique

et les confronte avec l’histoire de l’art occi-

une expérience sensorielle en s ‘appuyant sur

de façon radicale, par l’absence, le vide, le

dental et sa modernité, pour en dégager des

l’occupation et la réalité en Crimée. Le collectif

fracas, et le son des larmes et de la folie.

dimensions visionnaires pour notre temps.

a organisé une série d’opérations du 6 mai au

L’artiste multiplie les cadres et les angles de

9 juin, largement suivie et soutenue par les

vue, brouille les cloisons du pavillon, installe

expression encore possible d’un espace de

réseaux sociaux. Ils ont fourni aux visiteurs de

une inquiétante porosité entre l’intérieur et

contemplation (Andachtsraum) où le lien

l’exposition des vestes treillis, « estampillées

l’extérieur, qui entrent en résonance avec les

entre le mythe et la nature n’est pas rompu.

» par le hashtag #onvacation, pour partici-

sonorités d’un harmonica de verre sans doute

Un espace indispensable à ses yeux pour

per à l’action et partager leurs selfies via les

un corps souffrant.

construire l’espace de la pensée (Denksraum)

Warburg compare la culture Hopi à une

réseaux sociaux. Le site dédié à cette action :

Cet instrument auquel on a accordé au fil

http : //on-vacation.info/press. Sur twitter, et

du temps des vertus thérapeutiques avant de

face à un terrible pressentiment : l’âge de

facebook, cet événement est présent et suivi

le bannir pour ses prétendus effets de stimula-

l’électricité et des télécommunications peut

dans les détails, en termes de presse, photos,

tion de comportement hystériques, sexuels,

modifier l’espace physique jusqu’à le détruire.

retombées.

féminins. Rapture, explore les relations entre

Tandis que les processus naturels sont

le corps et le son à travers un dispositif visuel

traités comme les générateurs d’une culture

penser le meilleur cliché, par un voyage

et proprioceptif, lié à l’architecture, aux harmo-

réparatrice.

immersif en Crimée occupée par la Russie

nies et aux dissonances.

Un concours a été organisé pour récom-

pour vivre l’expérience cette fois-ci in situ.

Le parcours sonore, de la 56e Biennale de Venise, est soudain inconfortable. Les bruits

« Une idée devient une force lorsqu’elle s’empare des masses» de Karl Marx

264

et guérir son époque, et sa propre angoisse,

nous habitent pour longtemps. Une réflexion sur les abus du capitalisme avec « Das Kapital»


de Marx : « Il n’y a pas d’autre penseur dont les idées aient autant perduré aujourd’hui (…) Le

IN MEMORIUM CHANTAL AKERMAN 1950 -2015

Capital est une part fondamentale de notre

Subtile madame Chantal Akerman est désormais

drame contemporain », se construit avec une

ailleurs, et libre !

œuvres spécifiquement destinées aux galeries, « Maniac Summer », 2010 chez Marian Goodman à Paris. Elle est invitée lors de la 56e Biennale de

À partir des années 90, Chantal Akerman est

Venise. À cette occasion, elle avait tenté une

de la pensée d’Aby Warburg conduit les

parmi les cinéastes pionniers des échanges qui se

nouvelle expérience, multi-écrans, Now. Où,

artistes à sommer le monde.

développent avec le monde de l’art contempo-

elle a installé dans l'espace cinq écrans - cinq

Faire une « pause » salutaire, tant que

rain. Au sein de la Trilogie d’Est (1993), Sud (1999)

films projetés ensemble - sa caméra y suivait un

l’espace de la pensée n’est pas détruit par les

et De l’autre côté (2003), ce sont de longs travel-

paysage désertique, une métaphore de la guerre

dispositifs marchands qui le mettent à mal.

lings à travers une Europe qui se croit réunifiée

au Moyen Orient.

analyse du monde contemporain, où l’impact

par la chute du Mur, la musique composée et interprétée par la violoncelliste Sonia Wieder – Atherton à laquelle Chantal Akerman consacrera ensuite deux portraits télévisés. Hafida Jemni est diplômée de l’institut

Les installations vidéos, de Chantal Akerman

d’études supérieures de l’art, curatrice,

ont été exposées lors de biennales internation-

enseigne le module de l’art contemporain

ales : Venise (2001), à Kassel (2002), São Paulo

d’Afrique et sa diaspora à l’IESA Paris.

(2010), à la Triennale de Paris (2012). Parmi ses

Courtesy Biennale de Venise Photo : Daniel Lesbaches

265


ART TALK

266


267


ARIKADAA’S LIBRARY studied, composed, performed and taught

Angèle nous emmène aujourd’hui, au travers

experimental and electronic music, first

de sa voix : Vénus ; dans les mystères de la

as teaching assistant and manager of the

forêt africaine, là où des femmes ont décidé

Harvard electronic music studio under

de prendre leur destin en mains.

the direction of Ivan Tcherepnin, then as instructor at the Massachusetts College of Art, giving classes in electronic music, installations, and the polygamous marriage of sound, movement, and image.

ALL AT ONCE Alisa Clements, Harvard Square Editions, 2012 “All at Once” is a bit like the syncretic cults that enter its plot.

NINA SIMONE

Past and present, feminine and masculine,

David Brun-Lambert, Flammarion, 2005.

mysticism and modernity intermingle and recompose under a thickening menace. The

“ Je mourrai à soixante-dix ans, parce

story is constructed through the fragmentary

qu’après ce n’est que de la douleur. “ Et c’est

perceptions of the characters, some of which

à soixante-dix ans que Nina Simone s’éteint,

are able to access a reality that subsumes our own. Sound is always present, infusing the settings. At times it takes on a leading role, as a key to the passage between one world and another, a means of liberation. This is not surprising, coming from an author who has been involved in an affair with sonic waves for more than thirty years. Alisa Clements is a specialist in the dissection of vibrations. An enthusiastic explorer of the psychoacoustic terrain and fan of the music of ordinary sounds, she has

268

le 21 avril 2003, dans le sud de la France, BALADES EN JAZZ

après une vie de soupirs et merveilles,

Alain Gerber, Folio, 2007.

souffrance et exaltation, combats et exil. Née dans l’Amérique des années 30, Eunice

Angèle Kingué récidive avec son second

Waymon, génie précoce, rêve de devenir la

roman, publié chez Ana Éditions ; jeune

première concertiste classique noire, mais

maison d’édition ; qui travaille depuis deux

se voit refuser l’entrée au Conservatoire

ans sa collection “écritures africaines”.

en raison de sa couleur de peau. Devenue

Le premier roman d’Angèle Kingué: “Pour

chanteuse de jazz par défaut, elle est

que ton ombre murmure encore“ paru

obligée de prendre un pseudonyme pour

en 1999 avait été un succès en France, au

jouer ce que sa mère pasteur appelle la

Cameroun, son pays natal, mais aussi États-

“ musique du diable “ et se baptise Une

Unis le pays où elle enseigne actuellement.

icône va naître. Elle qui se rêvait en égale


de Maria Callas fut une enfant sacrifiée, une

Miles Davis, musicien de légende issu de la

de s’en tenir aux clichés - vêtements pailletés

pianiste prodige, une militante engagée

bourgeoisie noire de Saint-Louis, raconte son

aux cols pointus et autres boules à facettes

corps et âme dans la lutte pour la libération

parcours musical de plus de quarante ans, des

-, il révèle la richesse et la complexité d’un

des Noirs, une interprète visionnaire, une

clubs de Harlem et de la 52e Rue où il croise

véritable courant culturel, prônant le plaisir

sorcière africaine, une femme abîmée

la route de Charlie Parker, Dizzy Gillespie,

et les rythmes débridés. Avec passion mais

dans sa quête éperdue de l’amour. Une

Thelonious Monk et bien d’autres, aux années

lucidité, il retrace l’histoire et la signification

femme utilisée, trompée, brisée mais jamais

électriques et à la fusion entre jazz, rock, pop

de la culture disco, issue du mouvement

résignée, alors même que son existence

et musique antillaise. Et c’est en toute franchise

de libération gay et de l’émergence des

s’effritait peu à peu, lutte après lutte. De la

qu’il se confie sur les épreuves qui ont jalonné

valeurs individualistes prônée par la nouvelle

Caroline du Nord à New York, de la Barbade

sa vie, ses problèmes d’alcool et de drogue, ses

Amérique.

au Liberia, de Genève à Amsterdam, d’Aix

maladies, guérisons et rechutes, la haine raciste

Il étudie ses manifestations en Europe,

en Provence à Carry-le-Rouet où elle

à laquelle il se trouva si souvent confronté.

analyse l’explosion du phénomène des

mourut, .Enrichi par les témoignages de ses

Ces obstacles, il les surmontera grâce à ses

night-clubs et la place primordiale prise

proches et par des entretiens inédits avec

rencontres - ses amis, les femmes de sa vie - et

par les DJ qui, de pousseurs de disques,

des figures marquantes de la vie musicale

surtout grâce à sa grande force de caractère et

deviennent les instigateurs incontournables

et intellectuelle du XXe siècle, le livre de

à sa passion pour la vie et la musique.

d’une danse aux rythmes endiablés. Il

David Brun-Lambert offre pour la première

évoque ses principaux acteurs - le batteur

fois un tableau du destin nébuleux et

Marc Cerrone, Chic, Donna Summer,

romanesque de la dernière grande diva

mais surtout les producteurs de l’ombre,

du siècle, précipitée vers une fin tragique

responsables des plus gros hits. Phénomène

qu’aucun romancier n’aurait pu inventer

d’abord souterrain, la disco a rapidement

aussi justement que la vie elle-même.

conquis le grand public avec La Fièvre du samedi soir, avant de disparaître brutalement, sous les assauts de l’ordre moral. Shapiro n’hésite pas à pointer les excès et les ridicules de cet art de la parole désinvolte, futile, délestée de tout militantisme et, surtout, de cette production vouée à une surenchère de la rentabilité, qui ont conduit à son déclin. ce livre ne ravive pas moins une époque et éclaircit la portée sociale d’une TURN THE BEAT AROUND

musique, qui a su gommer les différences

L’HISTOIRE SECRÈTE DE LA DISCO

entre les âges, les sexes et les conditions.

Peter Shapiro, Allia , 2004. Malgré son succès planétaire, la disco est sans doute le genre musical qui a été le plus décrié.Dans cette somme, Peter Shapiro rend MILES - L’AUTOBIOGRAPHIE

justice à ce mélange de funk, de soul et de

Miles Davis & Quincy Troupe, Infolio,

pop, né à New York dans les années 70, en

1989.

réaction au rock, alors à bout de souffle. Loin

269


culture afro-américaine et culture blanche,

de house ou de downtempo, depuis

musique sacrée et musique profane,

les montages de bandes magnétiques

tradition et innovation. Méticuleusement

des précurseurs de la musique concrète

documenté, étayé par de nombreuses

jusqu’à l’extrémisme brutal du gabber

interviews, Sweet Soul Music se lit comme

et la douceur ouatée de l’ambiant, en

un roman mais comme un roman vrai, celui

passant par les fulgurances des pionniers

d’hommes et de femmes qui ont changé

de la musique hip-hop et les visions

l’histoire de la musique populaire et qui

électro-funk des inventeurs de la techno

ont participé au grand bouleversement des

de Detroit, Modulations est la première

mentalités raciales et sociales dont les effets

histoire raisonnée de ces musiques publiée

se font encore sentir aujourd’hui.

en France. Chaque chapitre, rédigé par un spécialiste, à la fois amoureux sonique et critique érudit, couvre une période de leur développement ou une branche de leur activité créative. Des annexes complètent le panorama en s attardant sur les sous-

SWEET SOUL MUSIC

genres les plus importants et les styles

RYTHM AND BLUES ET RÊVE SUDISTE DE

connexes, tandis que des transcriptions d

LIBERTÉ

interviews donnent la parole aux acteurs

Peter Guralnick, Allia, 2012.

eux-mêmes. S’adressant au néophyte autant qu’à l’amateur éclairé, Modulations

Épopée humaine, ouvrage érudit,

offre au lecteur les clefs pour comprendre

chronique d’une époque et de sa musique

le texte et le contexte d’une musique qui

Sweet Soul Music est tout cela à la fois,

a révolutionné notre approche tant de la

et plus encore. On peut lire ce livre

composition que de l’écoute musicale, en

comme une galerie de portraits, ceux des

réconciliant avant-garde et grand public.

personnalités les plus marquantes de la musique soul du sud des États-Unis, et l’on part ainsi à la rencontre de personnages légendaires de la musique populaire noire, tous plus complexes et fascinants les uns que les autres : Sam Cooke, Ray Charles, Solomon Burke, Otis Redding, James Brown, Aretha Franklin, Isaac Hayes ou encore Al Green. On peut également y suivre une extraordinaire aventure humaine, celle de l’ascension et de la chute du label Stax celui de Booker T. & the MGs, Otis Redding, Sam & Dave et se plonger ainsi dans une époque clef de la culture populaire américaine, dans ces années 60 bouillonnantes où travaillent pour la première fois ensemble, non sans heurts, pleurs et grincements de dents,

270

MODULATIONS UNE HISTOIRE DE LA MUSIQUE ELECTRONIQUE Collectif, Allia, 2012. Si vous cherchez un point commun entre Daft Punk et Karlheinz Stockhausen, Giorgio Moroder et Aphex Twin, Public Enemy et Brian Eno, n’allez pas plus loin : ils font tous partie de la plus grande aventure musicale de la fin du XXe siècle (et du début de ce siècle), celle des musiques électroniques. Du futurisme italien jusqu’aux travaux de déconstruction sonore des musiciens


DU PHONOGRAPHE AU MP3

Michael Jackson, et bien d’autres.

SOUFFLE, AU COEUR DE LA

Une histoire de la musique enregistrée

GÉNÉRATION HIP-HOP, ENTRE NEW

XIXe-XXIe siècle

YORK ET PARIS, TOME 2 : PARIS 1996-

Ludovic Tournès, collection Mémoires/

2003

Cultures, Autrement, 2008

Antoine-Wave Garnier, Alias, 2003

À l’heure où l’industrie de la musique est

Cette plongée en apnée sociale, politique

engagée depuis le début des années 2000

et culturelle rédigée par un Français

dans une mutation historique, cet ouvrage

d’une trentaine d’années d’origine

fournit un éclairage indispensable pour en

antillaise, chercheur en sociologie devenu

comprendre les enjeux à la fois techniques,

correspondant de presse pour des

économiques et culturels. Mondialisation

magazines de musiques spécialisés français

du marché, formation de grands groupes

et étrangers, se propose de partager

multimédias, rapports entre majors et

SAY IT LOUD

“en prise directe’’. les tranches de vies

indépendants, évolution des techniques

The story o f rap music

d’habitants de ghettos ethniques et sociaux

d’enregistrement, métissage des musiques,

Maurice K. Jones, Millbrook Press, 1994

capturées entre 1986 et 2003 aux Etats-

mutation des formes de l’écoute : autant

Unis et en France. Souffle est beaucoup

de problèmes qui gagnent à être analysés

Exciting full-color and black-and-white

plus qu’un livre sur la musique rap, il en

ensemble et replacés dans une perspective

photographs mark a chronicle of the birth

chronique l’aventure correspondant à la

de long terme, mettant ainsi en évidence le

of rap music in contemporary America,

période et à la facture à travers lesquelles

bouleversement provoqué par l’apparition

tracing its roots back to traditions

une voix sociale et artistique s’exprime.

du disque dans le rapport qu’entretiennent

thousands of years old and discussing

Si cela avait été les années 70, c’eût été

les sociétés contemporaines avec la

its effect on today’s young.History of the

la musique disco et un autre message.

musique.

popular American music form.

C’est la première approche de ce genre

Ainsi, il sera question dans cet ouvrage

et le premier témoignage de ce type. Il

à la fois de l’histoire des techniques, du

constitue une passerelle pédagogique

cylindre au MP3 ; de l’histoire de l’industrie

pour appréhender et traduire dans son

du disque ; de l’histoire des musiciens,

contexte la véritable origine. les effets et

qui ont vu les conditions d’exercice de

l’esprit du nouveau monde créé à partir de

leur art bouleversées par l’apparition de

cette culture. A travers un double regard

l’enregistrement sonore ; de l’histoire des

critique des deux côtés de l’Atlantique,

publics enfin, dont on oublie trop souvent

cet essai, étude de mœurs empirique,

à quel point leur manière d’écouter la

technique et affective sur l’influence de la

musique a, elle aussi, beaucoup évolué

culture urbaine moderne sur les jeunesses

depuis le phonographe à pavillon jusqu’au

américaines et françaises répond aux

baladeur numérique. Cette histoire

interrogations d’une jeune génération en

foisonnante sera évidemment l’occasion

quête de références musicales et culturelles,

de croiser les nombreux artistes, qui, tous

à celle des trentenaires qui ont vécu cette

styles confondus, ont contribué à faire de

période, et enfin aux parents qui veulent

l’enregistrement musical un moyen majeur

comprendre la culture de leurs enfants. Un

de diffusion de la musique : Enrico Caruso,

livre-fenêtre qui permet la compréhension

Charles Trenet, les Beatles, Glenn Gould,

de l’autre. d’une génération à une autre.

271


permet de se reconnaître, d’apprendre des

grip on dance, electronic, and popular

choses. Ainsi. le texte se divise en deux

music, dub-born notions of remix and

parties. La première couvre la période

re-interpretation set the stage for the music

1986/1996 à New York. capitale nourricière

of the twenty-first century.

de cette création africaine transformée sur

This book explores the origins of dub in ’70s

le sol américain et rediffusée depuis-là au

Kingston, Jamaica and traces its evolution

monde. La seconde, la période 1996/2003,

as a genre, approach and attitude to music

soit l’interprétation de ce que cette culture

to the present day. Stopping off in the cities

inspire en France. Bienvenue pour la

where it has made most impact – London,

première expérience franco-antillo-noire-

Berlin, Toronto, Kingston, Bristol, New York,

américaine dans les profondeurs du monde

Sullivan’s study spans a range of genres,

noir et de sa perpétuelle reconstruction.

from post-punk to dub-techno, jungle to the now ubiquitous dubstep. Along the way he speaks to a host of international musicians, DJs and luminaries of the dub world including Scientist, Adrian Sherwood, Channel, U Roy, Clive Chin, Dennis Bovell, Shut Up And Dance, DJ Spooky, Francois Kevorkian, Mala and Roots Manuva. This wide-ranging and lucid book follows

CULTURE CLASH

several parallel threads, including the

Punk rockers, big audio dynamite,

evolution of the MC, the birth of sound

dreadlocks et video

system culture and the broader story of the

Don Letts & David Nobakht, rivages

post-war Jamaican diaspora itself. One of

Rouges , 2011

the few books to be written specifically on

Londres, 1977. Un rasta aux généreuses

dub and its global influence, Remixology is

dreadlocks secoue les nuits d’un des clubs

also one of the first to look at the specific

branchés de la capitale, le Roxy, en passant

relationship between dub and the concept

sur ses platines du reggae dub entre les sets

that cuts across all postmodern creative

des Clash, des Buzzcocks ou de Generation

disciplines today: the Remix.

X. En pleine explosion punk, Don Letts

REMIXOLOGY: TRACING THE DUB

amorce un véritable choc des cultures

DIASPORA

et s’impose comme un des principaux

Paul Sullivan, Reaktion Books - Reverb,

artisans de bon nombre des métissages

2014

musicaux à venir… L’influence de Don Letts sur le rock anglais est considérable.

In Remixology: Tracing the Dub Diaspora

DJ inspiré, musicien novateur, réalisateur

Paul Sullivan explores the evolution of Dub;

d’une multitude de clips, ainsi que de

the avant-garde verso of Reggae. Dub as a

documentaires référence sur le punk, Sun

set of studio strategies and techniques was

Ra, Jam, George Clinton ou plus récemment

among the first forms of popular music to

Franz Ferdinand ou Damon Albarn, cet

turn the idea of song inside out, and is still

anglais d’origine jamaïcaine est depuis la

far from being fully explored. With a unique

fin des années soixante-dix de toutes les

272


aventures. Manager des Slits, complice

BASS CULTURE

FELA

de Johnny Rotten et de Joe Strummer,

When Reggea Was King

Why black man carry shit

proche de Bob Marley, Don Letts surfe sur

Lloyd Bradley, Penguin, 2001

Idowu, Mabinuori Kayode, Editions Florent-Massot, Paris, 1997

les vagues d’un formidable mix culturel, explore aux côtés d’Afrika Bambaata

The first major account of the history of

les débuts de la contre-culture hip hop

reggae, black music journalist Lloyd Bradley

Une biographie du musicien nigérian Fela,

new-yorkaise, puis forme en 1984 avec

describes its origins and development in

créateur de l’afro-beat, mais aussi activiste

Mick Jones des Clash le groupe Big Audio

Jamaica, from ska to rock-steady to dub and

du panafricanisme, et opposant politique

Dynamite, véritable acte de naissance d’un

then to reggae itself, a local music which

plusieurs fois emprisonné pour délit

electro rock taillé pour les dancefloors.

conquered the world. There are many

d’opinion.

Des rues de Brixton aux boutiques

extraordinary stories about characters like

hype de King’s Road en passant par les

Prince Buster, King Tubby and Bob Marley.

Idowu, Mabinuori Kayode. Dirigent des

ghettos du South Bronx, cette étonnante

But this is more than a book of music

young African pioneers et ancient bras droit

autobiographie raconte son odyssée et

history: it relates the story of reggae to the

de Fela , nous livre ici la biographie du plus

illustre magistralement, des orages punk

whole history of Jamaica, from colonial

fameux des musiciens d’ afrique

aux années sampling, une page d’histoire

island to troubled independence, and

du rock anglais.

Jamaicans, from Kingston to London.

« En tant que réalisateur, musicien,

Bio author:Lloyd Bradley was classically

documentaliste et historien, Don Letts a été

trained as a chef but for the last 20 years

et reste

has worked as a music journalist, most

encore aujourd’hui un catalyseur des

recently for Mojo - which he has just left

préoccupations et des énergies de

with editor Mat Snow to launch a new

nombreux d’entre nous » Jim Jarmusch

men’s magazine in Autumn 2000. He is the author of Reggae on CD.

JIMMY HENDRIX Franck Médioni, Folio, 2012 Contemporain des Beatles, de Bob Dylan, de John Coltrane, Jimmy Hendrix (19421970) tient dans l’histoire de la musique

273


- notamment en raison de son approche

EXPERIMENTAL MUSIC : CAGE ET

intersectionality and Deleuzian discourses

unique de la guitare électrique et des

AU-DELÀ

on heterogeneity, Stüttgen develops the

techniques d’enregistrement en studio

Micheal Nyman (Auteur), Nathalie

“Black Movement Image” in interaction

- une place à part. A l’épicentre de ces

Gentili (Traduction), Editions Allia, 2005

with close readings of the first Afro-

années 60 marquées par les transgressions

American cinema, Blaxploitation.

et les contestations de tous ordres, il a

Les compositeurs expérimentaux ne

Complicating the intersection of race, sex

créé une sonorité qui fut celle de toute

se préoccupent généralement pas

and gender, Stüttgen develops the notion

une génération en quête d’identité. Sa

d’administrer un objet temporel défini et

of Quareness—with the “a” of the black

mort prématurée n’a fait qu’amplifier sa

organisé à l’avance, mais s’enthousiasment

in the queer and goes beyond humanist

légende. C’est à la rencontre de celui que

à l’idée d’esquisser les grandes lignes d’une

discourses following Afrofuturism and

Frank Zappa considère comme « un des

situation au cours de laquelle des sons

the Cosmic Sonic Philosophy of Sun Ra.

personnages les plus révolutionnaires

peuvent intervenir, d’inventer un procédé

Focusing on a close reading of Ra’s most

de la musique pop, musicalement et

générateur d’action (sonore ou autre), de

popular filmic performance, Space is the

sociologiquement parlant », que nous

créer un champ délimité par certaines

Place (US, John Coney, 1974), the concepts

convie Frank Médioni, producteur de

règles de composition. Michael Nyman.

of a quare time and a radically black

l’émission Jazzistiques sur France Musique

“Time Image” are elaborated through a

et auteur de nombreux livres sur le jazz et

continuum of past traumas and future

la musique pop. Bien que n’ayant enregistré

utopias.

que quatre albums, Jimmy Hendrix est, après Elvis Presley, le musicien qui vend le

Tim Stuttgen is queer theorist and curator

plus d’oeuvres posthumes.

. He studied film in london , gender studies

À l’épicentre de ces années 1960 marquées

and queer theory in Maastricht and Berlin.

par les transgressions et les contestations

He died in May 2013 and his book “In a

de tous ordres, Jimi Hendrix a créé un

Quare Time an Place “ was released post

monde sonore qui fut celui de toute une

morten in November 2014.

génération en quête d’identité. Sa mort prématurée n’a fait qu’amplifier sa légende.

IN A QUARE TIME AND PLACE Tim Stuttgen, Editions Bbooks Verlag, 2014 In a Quare Time and Place is Focusing on the trajectory of slavery in the US to develop a queer of color-perspective based on Frantz Fanon, Stüttgen follows discourses and cinemas of black mobility and temporality. Between

274


LE SONORE ET LE VISUEL :

FLUXUS ET LA MUSIQUE

INTERSECTIONS MUSIQUES ARTS

Olivier Lussac,

PLASTIQUES ET ARTS VISUELS

LES PRESSES DU REEL, 2010

AUJOURD HUI

A POWER STRONGER THAN ITSELF: THE

Jean-Yves Bosseur, Editions Dis Voir,

Les acteurs de Fluxus, tous musiciens,

AACM AND AMERICAN EXPERIMENTAL

1992

ont toujours considéré la pratique du

MUSIC

son comme partie intégrante d’un vaste À de multiples niveaux, la musique

projet expérimental de création destiné

Founded in 1965 and still active today,

entretient des relations d’échange avec

à dépasser les catégories artistiques et

the Association for the Advancement of

le phénomène visuel (notation, espace

le cadre de la musique elle-même, pour

Creative Musicians (AACM) is an American

scénique, lutherie, supports de diffusion

atteindre ce que George Maciunas appellait

institution with an international reputation.

comme le disque, la vidéo...), questionnant

des « buts sociaux, non esthétiques » (c’est-

George E. Lewis, who joined the collective

des frontières entre art de espace, temps et

à-dire non soumis à des principes moraux).

as a teenager in 1971, establishes the full

mouvement.

A l’origine à la fois de la musique

importance and vitality of the AACM with

Jean-Yves Bosseur (né en 1947 à Paris) est

expérimentale et des arts sonores, source

this communal history, written with a

compositeur et musicologue. Après des

d’inspiration de nombreuses pratiques

symphonic sweep that draws on a cross-

études de composition à la Rheinische

performatives actuelles, la musique fluxus

generational chorus of voices and a rich

Musikschule de Cologne (Allemagne) avec

réalise l’anti-art de Dada et le dépassement

collection of rare images.

Karlheinz Stockhausen et Henri Pousseur,

de l’art des situationnistes en abolissant la

il obtient un Doctorat d’État (philosophie

frontière entre le créateur et le spectateur

Moving from Chicago to New York to Paris,

esthétique) à l’Université Paris I. Directeur

et en proclamant l’équivalence entre la

and from founding member Steve McCall’s

de recherche au C.N.R.S et professeur de

musique,l’art et la vie.

kitchen table to Carnegie Hall, A Power

Composition musicale au CNR de Bordeaux,

L’essai d’Olivier Lussac est le premier en

Stronger Than Itself uncovers a vibrant,

il a reçu le prix de la Fondation Royaumont

langue française à étudier les aspects

multicultural universe and brings to light

(France) et de la Fondation Gaudeamus

musicaux (et les implications politiques

a major piece of the history of avant-garde

(Pays-Bas).

correspondantes) du mouvement artistique

music and art.

le plus subversif des années 1960.

275


AGENDA AFRIQUE

Dakar - Sénégal « PARTCOURS 2015 »

« ABIDJAN ARTS ACTUELS »

www.partcours.net

« RENCONTRES DE BAMAKO »

Pour la deuxième édition de Abidjan Arts actuels (exposition collective annuelle ayant pour but de promouvoir des artistes

Créé en 2011 à l’initiative

Après 4 années d’interruption,

ivoiriens émergevnts), la

de RAW Material Company et

les Rencontres de Bamako

Fondation Donwahi présente les

de Céramiques Almadies, le

reprennent leur droit.

oeuvres de

Partcours se propose de réunir

Cette 10e édition des Rencontres

des lieux d’art et d’exposition

a la particularité d’être «

de Dakar, de toute envergure

l’édition anniversaire ». Outre

« ABIDJAN ARTS ACTUELS»

et de tous types, pour les

la dimension artistique de

Du 19/12/15 au 13/02/2016

faire connaître et pour faire

la manifestation, la tenue

Fondation Donwahi

découvrir des artistes du

de cette édition permet de

Boulevard Latrille, face Eglise

Sénégal et d’ailleurs.

ramener le pays vers des enjeux

Turay Mederic, Sakia

Soppo Traoré et Dodji Efoui

Saint Jacques, 06 BP 228 Abidjan 06, Côte d’Ivoire,

culturels plus « positifs » en Pour cette quatrième édition

terme d’image et de relance

du partcours, dix-neuf espaces

économique.

proposent des évènements

Elle donne lieu à une

artistiques à Dakar. Afrikadaa

rétrospective sur les éditions

est aussi de la fête avec,

passées. Le projet artistique

Tracks, une installation sous

s’articule autour de la narration

forme de parcours sonore.

du Temps. Les photographes sont

Le Partcours à pris fin le

invités à raconter l’Afrique

11 décembre mais certaines

non pas à travers une vision

expositions se poursuivent

superficielle des choses mais

jusqu’en janvier.

dans une tentative d’aller, par l’image, dans la profondeur

« Partcours 2015 »

276

de la réalité de leurs temps.


Cette approche permet de

Biennale africaine de la

la surface des murs avec un

créer un lien entre le passé,

photographie »

nouveau chapitre de ses Poem

le présent et le futur du

Jusqu’au 31/12/2015

Paintings, réalisés à partir de

continent. Elle s’adapte

Bamako - Mali

courts extraits de ses textes.

parfaitement aux bouleversements

www.rencontres-bamako.com

Ces phrases elliptiques sont

récents qu’ont connu le Mali ainsi que l’Afrique du Nord avec

projetées en grandes lettres sur FRANCE & EUROPE

les Printemps arabes ou plus

la surface d’une toile ou d’un mur pour réaffirmer, par un jeu

récemment, le Burkina Faso.

«UGO RONDINONE :

de couleurs et de formes, toute

La directrice artistique Bisi

I ♥ JOHN GIORNO»

leur force d’expression.

Silva, avec les commissaires

Le poème, déplacé hors de

associés Antawan I. Byrd et Yves

la page, est confronté à de

Chatap, souhaite renouveler le

nouveaux contextes. Cette poésie

regard sur la photographie

visuelle, qui fait résonner

ou la vidéo telles qu’elles se

l’acidité du verbe à des couleurs

créent en Afrique. On

stridentes, devient à son tour

y voit donc tant des œuvres

espace pictural. L’écriture se

documentaires et artistiques

fait alors dessin et le mot,

que des formes s’approchant de

image.

l’installation. Une importante

John Giorno est une figure

part faite au travail tiré

majeure de l’underground new

«UGO RONDINONE : I ♥ JOHN

d’archives de films et d’images.

yorkais des années 1960 et de la

GIORNO» est la première

L’humour est aussi présent,

Beat Generation, où il a nourri

rétrospective mondiale sur la

ainsi qu’une certaine dérision

sa poésie de la méthode du cut

vie et l’œuvre du poète, elle

de la part des créateurs sur

up et a composé ses premiers

est conçue par l’artiste suisse

eux-mêmes et leurs pays. La

poèmes sonores. Afin de rendre

Ugo Rondinone (né en 1964, vit

problématique des religions

la poésie accessible à tous, il

à New York) comme une œuvre

émerge de façon singulière et

a fondé dès 1965 « Giorno Poetry

à part entière, sous la forme

subtile des œuvres qui sont

Systems », label qui a édité une

d’une déclaration d’amour. «

présentées,

quarantaine d’albums, et « Dial-

J’ai imaginé l’exposition en

dans le contexte de crise que

a-poem » en 1968, un service

huit chapitres qui représentent

l’on connaît en ce moment sur le

poétique par téléphone proposant

chacun une facette de l’œuvre

continent.

des poèmes audio.

foisonnante de Giorno, »

Les Rencontres de Bamako 2015

Reconnu comme l’un des

explique Ugo Rondinone.

s’articulent autour l’exposition

poètes les plus influents de

internationale, Telling time,

sa génération, John Giorno

«UGO RONDINONE : I ♥ JOHN

présentée au Musée National du

n’a cessé de faire déborder

GIORNO»

Mali. L’exposition regroupe 39

son œuvre du livre. Il était

jusqu’au 10/01/2016

artistes contemporains de 14

proche de Bernard Heidsieck,

Palais de Tokyo

pays.

poète sonore français. Dans

13 avenue du Président Wilson

les nouveaux espaces du Palais

Paris

de Tokyo, il intervient sur

http://www.palaisdetokyo.com/«

« Rencontres de Bamako -

277


MAKING AFRICA »

Musée Guggenheim Bilbao

« Climats artificiels »

www.guggenheimbilbao.es

jusqu’au 28/02/2016 Espace Fondation EDF

« CLIMATS ARTIFICIELS »

6, rue Récamier – 75007 Paris www.fondation.edf.com « MIROIR-EFFACEMENT »

Le Musée Guggenheim Bilbao, en Espagne, accueille une exposition follement ambitieuse, qui vise à faire découvrir,

Cette exposition a été conçue

l’énergie créative du design

Près de 30 installations,

comme une réflexion sur la

contemporain en Afrique.

photographies et vidéos

destruction du patrimoine

Un continent d’1 milliard

d’artistes contemporains. Leurs

culturel humain, conséquence

d’habitants représenté par les

éclairs sont en néons, leurs

historique des guerres, du

créations de 120 artistes.

cyclones faits d’eau, et leurs

colonialisme et de l’intolérance.

En

conséquence, on picore, d’une

nuages en écorce de cacahuète

discipline à l’autre, de la

ou en céramique. Quand certains

Trois artistes du Sud global

photographie à l’urbanisme,

nous plongent phoniquement dans

proposent un dialogue visuel

des arts graphiques à la mode,

une vague, d’autres inventent

mettant en lumière cette

Hicham Lahlou, le désigner

des biosphères de poche pour

menace de disparition qui pèse

pallier la pollution urbaine

sur notre mémoire culturelle.

reçu la distinction de Chevalier

ou nous font caresser le doux

Leurs œuvres témoignent

de l’ordre des arts et des

rêve de marcher au travers d’un

de la façon dont les codes

lettres décernée par la France.

nuage.

culturels et esthétiques

Cette consécration récompense

Climats artificiels : avec des

des peuples concernés sont

ainsi le parcours international

œuvres monumentales, étonnantes,

constamment réélaborés, afin

de l’artiste, ses idées, sa

utopistes, inquiétantes, drôles

de survivre à l’incertitude

vision et sa créativité. La

ou émouvantes, notamment

engendrée par l’ignorance,

cérémonie de décoration se

de Marina Abramovic, Hicham

le dogme, la persécution

déroulera en Février 2016

Berrada, Spencer Finch, Laurent

et l’occidentalisation

Grasso, Hans Haacke, Tetsuo

systématiques.

curator de cette exposition

a

« Making Africa - Un continent

Kondo, Ange Leccia, Yoko Ono et

de design contemporain »

Pavel Peppertsein.

jusqu’au 21 février 2016.

278

Ce dialogue, initié par trois artistes originaires du Brésil,


de la République Démocratique du

exposition de Steve McQueen

Galerie Marian Goodman

Congo et du Mexique, est à la

pour débuter l’année 2016.

79 rue du Temple 75003 Paris

fois pluriel et spécifique aux

Nous présenterons sa dernière

www.mariangoodman.com

relations Sud-Sud. Il offre de

installation filmique, une œuvre

fait un espace de réflexion sur

sculpturale en deux parties ainsi

la complexité de leurs héritages

qu’une nouvelle installation

respectifs. Par leurs images,

spécialement conçue pour cette

ils résistent à ce risque

cinquième exposition de l’artiste

d’effacement de leur mémoire

à la galerie.

culturelle – si fondamentale à la

AMÉRIQUE DU NORD

« CÉLESTE BOURSIER-MOUGENOT FROM HERE TO EAR V.19 »

dignité des peuples – et tentent

Le nouveau projet de Steve

d’ancrer leur histoire dans le

McQueen consiste en une

vide instauré par le colonialisme

installation murale composée de

et le néocolonialisme. Leurs

plusieurs dizaines de néons bleu

œuvres tentent de porter un

foncé représentant chacun une

regard inédit sur la menace

forme manuscrite unique de la

d’extinction de certaines

phrase Remember Me.

mémoires culturelles, provoquée par l’oppression idéologique.*

Ashes est une œuvre immersive constituée de deux films

*Extrait du texte Miroir-

projetés simultanément de part

Effacement, journal de la Galerie

et d’autre d’un même écran

Imane Farès , 2015

suspendu. C’est tout d›abord le

Gabriela Salgado

portrait d’Ashes, un jeune homme

Commissaire de l’exposition.

originaire, comme la famille

Le Musée des beaux-arts de

de l’artiste, de l’île de la

Montréal invite le public

« Miroir-Effacement »

Grenade. Souriant et espiègle,

dans la magnifique volière de

Du 03/12/2015 au 26/03/2016

jouant avec l’objectif de la

Céleste Boursier-Mougenot,

Galerie Imane Fares

caméra, Ashes se tient à la

une expérience immersive où

41, rue Mazarine

proue d’un bateau au large de la

les mouvements des oiseaux

75006 Paris

mer des Caraïbes. Les séquences

déclenchent en direct une

datent du tournage d’une autre

partition musicale unique.

œuvre de McQueen intitulée

L’installation nommée « From

Caribs’ Leap (2002). Saisies sur

here to ear »,

le vif et tournées en Super

vivante et fugitive tout

8 par le chef opérateur Robby

simplement spectaculaire. Ce

Müller, ces images illustrent

superbe travail du plasticien

la composante documentaire du

et musicien français Céleste

travail de McQueen.

Boursier-Mougenot, a représenté

« STEVE MC QUEEN »

est une œuvre

la France à la 56e Biennale de La Galerie Marian Goodman

« STEVE MC QUEEN»

Venise. La première version de

est heureuse d’annoncer une

Du 09/01/2016 au 27/02/2016

cette expo a été créée en 1991

279


au MoMa PS1 dans le Queens à

des membres d’un groupe de

séries de projets nomades du

New York. Après Paris, Milan ou

musique quelques minutes avant

Berkeley Art Museum and Pacific

Brisbane, Montréal reçoit la 19e

qu’ils ne montent sur la scène

Film Archive (BAM/PFA), avant

présentation, la plus grande

pour leur concert. Adepte des

l’ouverture de son nouveau

jamais organisée à ce jour.

pratiques pluri-sensorielles,

bâtiment.

La pièce – le Carré d’art

Boursier-Mougenot extrait un

Organisé en collaboration avec le

contemporain du musée – a

potentiel musical chargé d’une

Experimental Media and Peforming

été aménagée en volière où

grande poésie.

Art Center (EMPAC) au Rensselaer

virevoltent déjà plus d›une

Lien youtube : https://youtu.be/

Polytechnic Institute (RPI) à

soixantaine de mandarins.

XxqLEQySwD4

Troie (New York), le projet de

Quatorze guitares électriques

MATRIX d’Atoui, WITHIN 2, est le

et basses Gibson sont installées

« CÉLESTE BOURSIER-MOUGENOT

prolongement de son exploration

aux quatre coins de la pièce.

FROM HERE TO EAR V.19 »

récente de la façon dont le

Pris pour des perchoirs, les

Du 25/11/2015 au 27/03/2016

son est perçu à la fois par les

oiseaux exotiques se posent

Musée des beaux-arts de Montréal

entendants et les malentendants.

sur les instruments produisant

1380, rue Sherbrooke Ouest,

En Janvier 2016, WHITIN 2

avec leurs griffes des sons

Montréal, Québec

continue à EMPAC à Troy,

aléatoires. Résultat: une

www.mbam.qc.ca.

New York, où il travaillera

ambiance musicale planante, presque expérimentale.

avec le musicien pionnier et “TAREK ATOUI - MATRIX 258”

professeur Pauline Oliveros pour impliquer les élèves du

« On me demande souvent si c’est

RPI dans la conception et la

de l’art ou de la musique? Ce

construction des instruments et

n’est pas à moi de répondre à

des interfaces supplémentaires

cette question, a-t-il expliqué.

pour la performance. L’ensemble

Même si j’essaye un peu de

du projet se terminera à la

m’inscrire dans une certaine

Bergen Assembly 2016, une série

histoire de l’art, l’œuvre

de performances, d’ateliers,

est plus lié à des éléments

Matrix 258, présente le

d’événements et de conférences

biographiques »

travail de l’artiste

à travers toute la ville, que

Tarek

Atoui, artiste et compositeur

Atoui organisera en Norvège,

Sous la forme d’un parcours

électroacoustique d’origine

en collaboration avec des

sonore et visuel, « From here to

libanaise, utilisant des

institutions, des musiciens

ear », est un insolite dispositif

instruments électroniques

des artistes locaux, centrées

musical plein de rêverie. Par sa

ainsi que des ordinateurs

sur son exploration étendue de

simple présence, le public peut

personnalisés. Atoui articule

son avec les communautés des

jouer avec les variations. Les

des réalités sociales et des

sourds.

notes se confondent alors aux

histoires dans son travail, tout

chants des pinsons originaires

en présentant la musique comme

“TAREK ATOUI - MATRIX 258”

d’Australie sans être vraiment

un puissant mode d’expression

January 2016

cacophoniques. On a plutôt

et de l’identité. Son projet

EMPAC, New-York

l’impression d’être en compagnie

MATRIX est le dernier acte des

280


« FOREIGN OBJECT »

in the uneven distribution of economic and cultural power across the country. “Foreign Objects” Till 23 January 2016 Tyburn Gallery 26 BARRETT STREET LONDON http://www.tyburngallery.com/

Tyburn Gallery is pleased to present Moffat Takadiwa’s first UK solo exhibition Foreign Objects. Born in Karoi, Zimbabwe, in 1983, and currently based in Harare, Takadiwa is known for his simple but intricate installations made from found materials, including spraycan debris, plastic bottle tops and discarded electrical goods. Through the works exhibited, Takadiwa engages our senses, both literally and visually, as a unique way for identifying foreign materials, items and objects. Takadiwa’s practice engages with issues of material culture, identity and spirituality as well as social practice and the environment. The exhibition groups together wall-hung sculptures that bear witness to the cultural dominance exercised by the consumption of foreign products in Zimbabwe and across Africa. Imported consumables become symbolic of the shifting power struggles within postcolonial Zimbabwe, resulting

281


PLAYLIST Private Collections Records

282


SUN RA & JEAN CLAUDE MOINEAU COLLECTIONNER OU ARCHIVER ?

Par Pascale Obolo

Je reviens sur cette question finalement

monde a relégué ses 33 tours et ses 45 tours

Pour clore ce petit chapitre sur Private

fondamentale du «pourquoi»... Pourquoi

au placard : les disques vinyles semblaient

Collections Records, Pour ma part le collection-

est-on collectionneur ou archiviste ? car chez

promis au musée.

neur de vinyle est un chef d'orchestre qui érige

certaines personnes l’acte d’archiver est

Nos greniers et ceux de nos parents

préférable à l’acte de collectionner ? Pourquoi

peuvent en témoigner. Mais depuis quelques

ce comportement finalement obsessionnel,

années le disque vinyle fait son grand retour.

notre collectionnisme qu’on peut aussi définir

Explorons des collections, ressortons nos

par l’amassement compulsif d’objets.

platines vinyle et partons à la recherche des

On peut décrire deux types de comporte-

pépites sonores cachées. Chez certains col-

ment de collection : archiver des fragments

lectionneurs, l’ attachement à l’objet est très

de mémoires à travers sa collection, de l autre

important.

côté l'activité d'appropriation et de la rétention

Pour ce numéro sur Politics of Sound, nous

d'un ensemble d'objets choisis entre autres

avons demandés à deux contributeurs d’ Afri-

pour leur qualité, leur beauté, leur rareté ou

kadaa, l historien et critique d’art Jean Claude

leur caractère historique, et le plus souvent

Moineau et le collectif de DJ Kalakuta de nous

détournés de leur fonction première.

faire découvrir une partie de leur collection de

Le collectionneur est un «original», il cultive cet aspect. Certains poussent ce besoin

disque. Chez Kalakuta selector, le dj Jacques Goba

d’originalité en inventant des formes de narra-

grand collectionneur chineur passionné nous

tions à travers leurs collections.

a proposé de créer un mix ou il revisite la

D'ailleurs une collection finie est une

panafricanisme et l’activisme à travers l’histoire

collection morte dont le propriétaire se

de la musique noire dans sa collection de

débarrasse pour en commencer une autre. Le

disque. Tandis que jean Claude qui se consid-

désir de tout avoir, propre à notre vie mod-

ère plutôt comme un archiviste à proposé un

erne, nivelle les rapports aux choses. Tout

texte intitulé l’ afrofuturisme mix, ou il explore

s'équivaut. Tout se collectionne, des œuvres

l’odyssée du mouvement afrofuturiste avec

d'art aux bouteilles en passant par des disques.

des personnages comme Sun Ra, Lee Scratch

Moi même, je collectionne des vinyles. Il m

Perry l’inventeur du dub et le roi de la P-Funk

arrivent par curiosité de me plonger dans les

George Clinton.

collections des autres. Mais à quoi peut ressembler une collection de vinyle

Pour lui tous ces vinyles, K7… sont des outils de travail pour ses recherches . Il n’a pas d’attache particulière aux des objets qu’il archive. Malgré cela, sans le savoir, JC Moineau

CHEZ L ‘AUTRE ?

possède tout même l’une des meilleurs collection de vinyles de Sun Ra dont certains des

Le vinyle est un objet que l'on croyait obsolète. Lors de l'arrivée des CD, tout le

283

pochettes de disques ont été faite de manière artisanale par le musicien lui-même.

et compile différents fragments de partitions liées à des récits propres à ses affects.


PLAYLIST Private Collections Records

LA MUSIQUE COMME UNE ARME Par Jacques Goba

Kalakuta Selectors : est

coup d’allers-retours ont été faits

un collectif de DJs (Bon-Ton

entre l’Afrique et les Amériques,

Roulay et Jacques Goba) organisa-

berceaux musicaux reliés à l’origine

teurs d’événements culturels .Née

par le drame de l’esclavage et

d’une passion pour les musiques

du colonialisme. Une infinité de

mondiales,l’association Kalakuta

styles et de sous-genres musicaux

Productions a programmé ces dix

sont ainsi nés, comme autant

dernières années, entre autres :

de pièces d’un même puzzle

The SoulJazz Orchestra, Mulatu

bruyant, preuves de la capacité

Astatké, Anthony Joseph & the

de l’être humain à créer et à se

Spasm Band, Ebo Taylor, Chicha

créer sans cesse, pour accomplir

Libre, Kokolo Afrobeat Orchestra, Is

cette alchimie qui permet, à partir

What?!, Fanga, Hugo Mendez, Afro-

d’une simple juxtaposition de sons

dizz, Nomo, Watcha Clan, Renata

et de rythmes, de se sentir vivre

Rosa, The Heliocentrics, Jupiter &

ensemble et, parfois, de se faire le

Okwess International, Les Frères

véhicule des revendications des

Smith, etc.

peuples et du progrès social. Un

Kalakuta est le nom de la République que Fela Kuti, le

sens politique, assurément. Merci à Soul Rhythm Records,

« père de l’Afrobeat », avait créé au

Bon-Ton Roulay et Jacques de

Nigeria. Lutte politique et musique

Kalakuta pour leur sélection

comme arme d’avenir et comme

musicale « Politics Of Sounds », tout

crédo. Kalakuta productions garde

deux membres de l’association

cette ligne en tête, assurant la

Kalakuta Productions.

continuité, toutes proportions gardées, de cette ouverture sur le monde intrinsèquement pluridisciplinaire que reflète la culture, d’un bord à l’autre de l’Atlantique noir. Les musiques afro-américaines nous racontent l’histoire contemporaine au travers des peuples et de leurs expressions culturelles. Vecteur de communication par excellence, langage universel porteur de valeurs humanistes, de solidarité, de partage, de luttes sociales et politiques. Du jazz à l’afrobeat, de la cumbia au semba, du kuduro au baile funk : beau-

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www.mixcloud.com/SoulRhythmsVinylShop/afrikadaa-politic-of-sound/


PLAYLIST

DJ REYZ Set voyage sonore

Par Stephanie Bonnet

De son studio du 19e arrondissement de Paris, le D4, véritable laboratoire musical, s’échappent des sons et samples résolument funky. En véritable homme-orchestre expérimental, il joue lui-même tous les instruments, appose sa voix, trafique platines et logiciels et n’hésite pas à utiliser bouteilles vides ou pleines en guide de claps. Utilisant des matériaux de récupération et ce qu’il appelle l’ordinateur primaire (primary-biologicalcomputing), le cerveau humain, Reyz se réinvente en extratterrestre plus à la manière de Joe Norton dans Brother from another planet que de Will Smith dans Men in black. Pour Politics of sound, il nous invite dans son vaisseau pour un voyage cosmique. Retrouvez son mix sur notre soundcloud BIO : D’origine mixte, guinéenne et sénégalaise, l’artiste Reyz est très certainement le plus digne représentant parisien du courant artistique dit de l’AfroFuturisme créé par Sun Ra. Il en est l’héritier légitime dans la lignée des figures les plus importantes de ce mouvement, telles que Lee Scratch Perry, Prince Charles, Headhunters ou le collectif Underground Resistance. Actif depuis les années 90, Reyz, aussi connu sous les noms de Dudley Slang et Roger Funk, il conçoit et réalise des oeuvres dites underground en toute indépendance sous diverses formes ; peintures publiques comme lorsqu’il investit les murs d’une école de la ville de Chicago, productions musicales ou encore performances live, dernièrement à l’Institut du Monde Arabe pour l’exposition « Du Bronx aux rues Arabes ».

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PLAYLIST



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DESIGN DESIGN& & CONTEMPORARY CONTEMPORARY ARTSARTS

DEC OCT-NOV-DEC JAN FEV 2015/16 2015

#10

POLITIC–S OF SOUND

ISSN 2429-1927

290


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