DESIGN & CONTEMPORARY ARTS
DEC JAN FEV 2015/16
#10
POLITIC–S OF SOUND
ISSN 2429-1927
Couverture : Première de couverture : Burning of the Midnight Lamp, 2013, ©Satch Hoyt Quatrième de couverture : Say it Loud, 2007-2014, ©Satch Hoyt Ils ont contribué à ce numéro : Jay One Ramier, Sindika Dokolo, Satch Hoyt, Camille Norment, Watts Ouattara, Jean Claude Moineau, Olivier Lussac, Mukwae Wabei Siyolwe, Raphaël Barontini, Lotte Løvholm, Cosmo Whyte, Emeka Ogboh, Em’kal Eyongakpa, Abigail Celis, Vanina Géré, Aryan Kaganof, Emily Goedde, Mukami Kuria, John Peffer, Jun Nguyen-Hatsushiba, Stéphanie Melyon-Reinette, Dinah Douïeb, Olivier Timma, Eugenie Gwladys Temewé Ninsegha, Jean-Pascal Zadi, Evenson Lizaire, Philippe Di Folco, Rithuli Orleyn, Lord Eraze, Yeno, Holly Bass, Julien Creuzet, Blaise N’Djehoya, Robert Hodge, Switch “Groov” Experience, L’autre Musique, Frédéric Mathevet, Célio Paillard, Thierry Planelle, Andrew Esiebo, Tom Bogaert, Younes Baba-Ali, Magdi Mostafa, Sirine Fattouh, James Webb, Clelia Coussonnet, Ilpo Jauhiainen, Lauren Ekué, Aurélie Leveau, Alisa Clements, Kalakuta Selectors, Stéphanie Bonnet, Jacques Goba, Christine Riou, Gisèle Sentier, la Galerie Imane Fares, Bomi Odufunade, Lina Planelle, Sebastien Zaegel, Ines Di Folco, DJ Reyz, la Fondation Kadist, la Fondation Cartier pour l’art contemporain, Olivier Ouadah, le Mac/Val et toute l’équipe de Khiasma Nous remercions nos partenaires : Le CNAP, la Fondation Sindika Dokolo, l’ IESA, R22 Direction de publication Carole Diop Pascale Obolo Rédactrice en Chef Pascale Obolo Direction Artistique antistatiq™ Graphisme antistatiq™ Leïla Sy Comité de rédaction Frieda Ekotto, Louisa Babari, Olivia Anani, Seloua Luste Boulbina, Camille Moulonguet, Patrick de Lassagne, Anne Gregory, Myriam Dao, Sean Hart, Fabiana Bruna Souza, Hafida Jemni, Jephthé Carmil Tous droits de reproduction réservés. ISSN 2429-1927 Contact: info@afrikadaa.com www.afrikadaa.com www.facebook.com/Afrikadaapage www.twitter.com/afrikadaa
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EDITO En ces temps où règne un vent de violence et de division dans nos sociétés, We are One Nation Under Groove (Funkadelic ). Souvenonsnous-en lors de cette fin d’année 2015 , en ces moments troubles où la montée des extrêmes jette son voile sur le monde … « Ma musique va d’abord faire peur aux gens, car elle représente le bonheur et ils n’en ont pas l’habitude !», disait Sun Ra. Des sons dissimulés dans l’environnement nous incitent à mieux entendre le monde qui - trop souvent - est masqué par le regard. Comment les créateurs, s’emparent-ils du SON, dans leur production artistique et dans leur écoute du monde ? Écouter autrement ! Ce numéro est pensé comme un voyage sonore. Sonorités discordantes ou accordantes, l’art sonore est souvent celui de l’affect. L’intérêt au son, ouvre un champ élargi où sont convoqués des expériences plurielles, celles des lieux, des parcours et des dérives physiques, des récits, des narrations sonores, ainsi que l’exploration de la mémoire pour une suspension de l’oubli. Identifier les différents phénomènes sonores, les modes d’écoutes et la variété des modes de productions du son. De même, l’expérience de l’écoute, ne se limite pas seulement aux oreilles, mais traverse les organes pour une immersion sensitive de tout le corps ! Envisageons cet opus comme les Sounds Studies, en associant pratiques sonores et des problématiques, mémoire sonore et écriture sonores, poésie sonore et rythme sonore, silence et bruit, espace sonore et parcours sonore. Finalement, les sons émis ne suffisent pas à assouvir les besoins et les visions des artistes, qui les associent à d’autres formes d’expressions artistiques … “Don ‘t call it music if the term offends you.” Créer des sons qui n’existent pas dans la nature. Produire des sons inédits qui peuvent être inclus dans une œuvre, mais leur acceptation ou leur intégration en tant que « les nôtres », permet de décoloniser les perceptions et de démoraliser les savoirs. Lorsque vous entrez dans une galerie ou un musée, vous n’êtes pas juste entrain d’avoir une expérience visuelle ... La peinture et la sculpture attirent votre attention sur le son. Nous sommes constamment soumis à l’expérimentation sonore sans le savoir. Jusqu’au silence. Ce numéro d’Afrikadaa sonde le lien actuel, entre l’art et le médium son. L’histoire du son dans les arts plastiques joue dans un
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rapport contradictoire fait de tension, de dramaturgie, d’un récit en creux, de signes, par défaut. En somme, dans les arts visuels, on distingue les œuvres sonores plastiques, et les œuvres sonores. « Le monde est musique » dit John Cage. Si seulement... Rétrospectivement ce territoire hybride et dense nous permet de lire autrement l’histoire de l’art, celle de la musique et l’utopie sémiotique qui les traversent. Il est important d’évoquer ces échanges idéalistes parfois, entre le visible et le sonore. L’art sonore a-t-il la capacité de créer des fictions, de revisiter des histoires passées, présentes ou futures ? Les fictions sonores de POLITICS OF SOUND, permettront d’aborder sur le plan sociopolitique différents courants musicaux, qui ont marqué les luttes des droits civiques ou les luttes panafricaines. Ces fictions traverseront une histoire esthétique du son et de la musique. Ces narrations peuvent se reproduire via des créations politiques, telles les extravagances frictionnelles de l’afrofuturisme, de la généalogie extraterrestre de Sun Ra, aux voyages interplanétaire de Dr Octogone regagnant la planète terre par le fax. La musique devient la promesse d’un monde, autre… Nous questionnerons ces paradigmes, dans ce numéro d’Afrikadaa, dédiè au SON... PASCALE OBOLO
EDITO In times like these, when violence and division are sweeping through our society, we are “one nation under groove” (Funkadelic). Let’s try to remember that, in these troubled moments at the end of 2015, when extremists are gaining ground all over the place. As Sun Ra once said, “my music will at first frighten people. My music represents happiness, and people aren’t used to that.“ Sounds hidden in the environment encourage us to better hear the word, which, too often, is masked by the gaze. How do creators implement SOUND into the way they listen to the world and into their artistic production? Listen differently... This issue is to be understood like a sonic voyage. Using discordant and accordant sounds, sonic art is often an art of affect. Showing an interest for sound means opening experience wide, as we drift and travel, to stories, sound narratives. We explore memory to break away from oblivion. In identifying various sonic phenomena, we can learn about listening habits and different means of production. Not only do we listen with our ears, we listen with our bodies. We imagine this issue in the spirit of sound studies, by associating sonic practices and issues, sonic memory and sonic writing, sonic poetry and sonic rhythm, silence and noise, sonic space and sonic paths. Sounds are not enough to satisfy the needs and visions of artists who associate them with other forms of artistic expression... “Don‘t call it music if the term offends you.” Create sounds alien to Nature. Create sounds that have not yet been heard. Previously unheard sounds can be implemented in a work. Their acceptance and integration can help decolonize perception and unnerve knowledge itself. Stepping into a gallery or museum is not merely a visual
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experience... Painting and sculpture steer our attention toward sound. We are always subjected to sound experimentation, even in complete silence. This issue of Afrikadaa examines links between art and sound. Art History evolved into contradictory relationships between drama, pressure, and a subliminal tale. One can find sonic information in the visual arts. ‘’The world is Music’’ claims John Cage. If only... The dense hybridity between sonic and plastic arts enables us to have new insights into the history of art, music and the semiotic utopia currents of all. It is important to draw attention to the exchanges between the visual and aural, which can at times can be quite idealistic. Does sonic art have the ability to create fictions and revisit past, present and future events? The sonic fictions of “POLITICS OF SOUND” will allow the various musical trends that have influenced the civil rights and Panafrican struggles to be approached from a socipolitical level. These sonic narrations can be the product of political creations, such as the fictional eccentricity of afrofuturism, or the extraterrestrial genealogy of Sun Ra, or the interplanetary journeys of Dr Octogone returning to Earth via a fax. Music holds the promise of a different world... These are the topics we will examine in this issue dedicated to sound.
PASCALE OBOLO
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AFRIKADAA #10 POLITICS OF SOUND ART TALK
THE MIGRATION OF THE ETERNAL AFRO-SONIC SIGNIFIER - BY SATCH HOYT 6 AFROFUTURISM MIX - PAR JEAN-CLAUDE MOINEAU 12 SOLAR DRUMS : CABINET CRÉOLISÉ POUR MUSIQUE DE CHAMBRE SOUS-MARINE - PAR MATHIEU BUARD 20 AND WHAT IF WE COULD TOUCH SOUND? - BY ABIGAIL CELIS 24 THE GHOST OF KARL MARX IS A CHOIR OF IMMIGRANTS - BY LOTTE LØVHOLM 30 PAR-DELÀ LE BUREAU DES PLAINTES QUE NOUS APPREND LA RÉCEPTION DE LA 56E BIENNALE DE VENISE ? - PAR VANINA GÉRÉ 32 COLLECTIONNER COMME MILITER - PAR CAMILLE MOULONGUET 40 SOMEBODY BLEW UP SOUTH AFRICA - BY ARYAN KAGANOF 46 A LOVE SUPREME AT 50 : JOHN COLTRANE, MALCOLM X AND THE SOUND OF ’65 - BY FRIEDA EKOTTO 52 THE SOUND OF BOMBS - BY EMILY GOEDDE 54 NAKEI NAIROBI - BY MUKAMI KURIA 58 NOTES ON CUTS ON CENSORED RECORDS - BY :JOHN PEFFER 64 FLOW : A NEGOTIATION BETWEEN VOICES CONVERSATION WITH JUN NGUYEN-HATSUSHIBA - BY MYRIAM DAO. 68 BLACK IS A CULTURE - BY MUKAMI KURIA 72 ÂME, IRIE, BARAKA : « SOMEBODY BLEW UP AMERICA » - PAR STÉPHANIE MELYON-REINETTE 74 SPIRITUAL RESONANCES : CALL TO PRAYER, SACRED CHANTS ET GLOSSOLALIA IN SOUND-BASED PRACTICES - BY CLELIA COUSSONNET 78 NEGOTIATION’S – CHAPTER 1-I : PARIS-DUALAND : UNE INSTALLATION POLYPHONIQUE - PAR JEPHTHÉ CARMIL 82 MODES DE PRODUCTIONS SONORES, ET DYNAMIQUE DE LA CRÉATION PLASTIQUE - PAR OLIVIER TIMMA ET EUGENIE GWLADYS TEMEWÉ NINSEGHA 84 NORTHAFROBEATZ : NORTH AFRICAN ELECTRONIC DEEP URBAN TRANCE OF RHYTHMS OF LIFE - BY DINAH DOUÏEB 92 ARE YOU LISTENING? AN INTERVIEW WITH ARTIST CHRISTINE SUN KIM - BY EMILY GOEDDE 98 CE QUE LA PEINTURE ENTEND DE LA MUSIQUE : CONVERSATION AVEC WATTS OUATTARA - PAR HAFIDA JEMNI 102 RAP FRANÇAIS, LE COMBAT CONTINUE ? - PAR JEAN-PASCAL ZADI 108 LA SONORITÉ « RAP » ÉLAN SUBVERSIF OU SUBORDINATION MARCHANDE ? - PAR EVENSON LIZAIRE 112 LES ULTRASCORES DE CHASSOL - PAR CAMILLE MOULONGUET 116 OF THE PASSIONS AND POLITICS OF GODS AND MEN : THE OPERATIC FORM IN CONTEMPORARY ART - BY OLIVIA ANANI 118 MUSIC IS THE HEALING FORCE OF THE UNIVERSE - PAR PHILIPPE DI FOLCO 126 LA DISSIDENTE DISSONANCE DE LOUISA BABARI & JAY ONE RAMIER - PAR CAMILLE MOULONGUET 130 DIN OF HABOURED DREAMS : NOMFUSI’S DECOLONIAL FLASHBACK AT MQHAYI THROUGH BIKO - BY RITHULI ORLEYN 134 RAPTURE : L’EN–VERRE ET SON, UNE MUSIQUE CÉLESTE - PAR HAFIDA JEMNI 140 CAB CARAÏBES, AFRIQUE, BRÉSIL : MARIO CANONGE - ENTRETIEN AVEC SELOUA LUSTE BOULBINA 146 DE LA LUMIÈRE DES LIMBES PORTRAIT DE PATRICK LOMBE - PAR INÈS DI FOLCO 150 L’ODYSSÉE D’ARTHUR « S » SIMONINI - PAR SELOUA LUSTE BOULBINA 156
CONCEPT
VADUZ : UN POÈME DES FUITES - PAR HAFIDA JEMNI ET PHILIPPE DI FOLCO URBAN SOUND MIGRATION : BY HOLLY BASS SI MOHAMED ALI - PAR YENO LE RÊVE D’ICARE - PAR LORD ERAZE
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ART TALK / ROBERT HODGE & MUKWAE WABEI : RIFFS AND TEXTS
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COMMENT PERCEVONS-NOUS LE MONDE ? PAR NOËL CYRILLE BOBIOKONO NOBLE ART : GESTE NOIRE & CREATION - PAR PATRICK DE LASSAGNE UN TRAIN PEUT EN CACHER UN AUTRE : LES MASQUES DES TÊTES BRÛLÉES - PAR BLAISE N’DJEHOYA HENRI GUEDON “ SON TAMBOULA” - PAR JAYONE RAMIER
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FOCUS
SATCH HOYT : THE MUSICAL SCULPTOR IN HIS SPACESHIP - BY PASCALE OBOLO AND SATCHT HOYT
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PLACES
LA R22 TOUT-MONDE - PAR SEBASTIEN ZAEGEL 196 MUSIQUEAUPOING? - COTONOUENMUSIQUE : EN QUÊTE D’UN ATLANTIQUE NOIR - PAR SWITCH “GROOV” EXPERIENCE 198 «SIX VOIX DISENT LE SON, À LA GALLERIA CONTINUA – LE MOULIN…» - PAR HAFIDA JEMNI 202
CARNET DE BORD
L’AUTRE MUSIQUE : FRÉDÉRIC MATHEVET & CÉLIO PAILLARD
DESIGN
POPTONES - PAR THIERRY PLANELLE
PORTFOLIO
LE SHRINE - PAR CAMILLE MOULONGUET JAMES WEBB, À L’ÉCOUTE DU MONDE - PAR CAMILLE MOULONGUET TOM BOGAERT : BLACK NOISE & SPUTNIK POWER - BY TOM BOGAERT YOUNES BABA-ALI & ILPO JAUHIAINEN
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ARCHITECTURE
DÉRIVE ET AFFECTIVITÉ : DE L’USAGE DU SON - PAR OLIVIER LUSSAC. . . . . . . . . . . . . . . . . 238 ARCHITECTURER LE SON - PAR CAROLE DIOP 242
EXHIBITION REVIEW
AFRIKADAA SILENCE BREAK ON-AIR FAHAMU PECOU, OMBRES, SONS ET LUMIÈRES - PAR LAUREN EKUÉ LIBÉRER LES CHEVEUX, MARQUER LA PEAU, DANSER LA MORT - PAR AURELIE LEVEAU LES ON-OFF : DES RHÉTORIQUES SONORES ET DES VOIX - PAR HAFIDA JEMNI
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AFRIKADAA’S LIBRARY 268
AGENDA 276
AFRIKADAA PLAYLIST
SUN RA & JEAN CLAUDE MOINEAU COLLECTIONNER OU ARCHIVER ? - PAR PASCALE OBOLO LA MUSIQUE COMME UNE ARME - KALAKUTA SELECTORS - PAR JACQUES GOBA DJ REYZ SET: VOYAGE SONORE - PAR STÉPHANIE BONNET
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ART TALK
THE MIGRATION OF THE ETERNAL AFRO-SONIC SIGNIFIER Satch Hoyt - All images courtesy of the artist
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The role sound has played in the documentation, preservation, and continuation of African Diaspora Culture is of particular relevance. Music is a living entity. Certain African societies believe that musical instruments are human beings, and the human body is the supreme seat and ultimate source of all musical expression.
In 1904 early anthropologists Emil
of the signifier is of people talking in tongues,
and other complex music genres to be created
Torday and Leo Frobenius both employed
a phenomenon often witnessed in black
in the Diaspora, pre and post-colonial period.
phonograph-recording machines on their
church congregations throughout the Ameri-
separate field trips in the Congo region of
cas and the Caribbean Basin. At the outset
enables the expansion and construction of
Africa. Digital enhancement of the original
of slavery, church provided an ideal existing
cultural identity in the process of invention of
wax cylinder recordings has opened up grey
structure into which the songs and rituals
new self or to coin a 1960’s phrase, “The new
areas in regards to the sounding forms/musi-
could be assimilated, a place where the African
breed.” Metaphor is pivotal and is intrinsically
cal instruments that were used to create this
rites could be practiced. This Africanization of
linked with fantasy, myth, and imagination.
music. These phonograph recordings can be
Christianity remains alive in New World African
These functions are accompanied with the
seen as oral maps, maps encoded with reliable
cults in Haiti, Jamaica, Trinidad and other
narratives extended baton style from genera-
information that aptly trace both the history
Caribbean islands. Alan Lomax, a pre-eminent
tion to generation. These narratives undergo
of resistance and oppression and document
musicologist and preserver of African Ameri-
constant revision: “Identity is a narrative of the
musical genres that would otherwise be com-
can music, writes “Blacks had Africanized the
self it’s the story we tell about the self in order
pletely lost. Therefore, sound acts as a major
psalms to such an extent that many observers
to know who we are.” (Stuart Hall) We are in
conduit in the preservation and continuum of
described Black lining hymns (a form of aca-
constant ebb and flow. The dynamics of this
culture. In many cases the only method avail-
pella and antiphony) as a mysterious African
flux are as unfixed as a John Coltrane solo. The
able to document these histories was by oral
music.” The signifier has always co-existed in
sonic narrative is engaged in an ongoing dual
means. The de-codification of this music nar-
the sanctity of the sacred world rooted in call
dialogue with past and present chapters that
ration is imperative if we are to gain a broader
and response syncopation, and wrapped in
are invented betwixt heart, soul and intellect.
understanding of aspects of these cultures
ancient African rituals and ever-changing rites.
This floating soundtrack is an inextricable
that were often nomadic and existed in states
The ring shout, one such African ceremonial
indelible trait that is imbedded in all colonized
of constant flux.
dance transported through the Black Atlantic
subjects with equal fluidity. It speaks as easily
crossing, is described circa 1819 in Congo
to its ruptured past grand narratives as it
beats employed in current music genres such
Square New Orleans as involving five to six
does to its forward thinking future. It remains
as Kuduro from Angola and various other
hundred dancers accompanied by drummers
rooted in unbridled fertile imagination and
strains of Hip-Hop and Dance Hall are to be
and stringed instruments, moving and sway-
therein flexibly sways like a syncopated
found in these early recordings.
ing in a counter clockwise position.
passage from a Sun Ra solo to a J. Dilla beat.
It is interesting to note that many of the
What I term as the Afro-sonic signifier was
The evolution of this sonic vocabulary will
the soul companion during the forced migra-
dissemination and displacement, came an
deter us from becoming what Franz Fanon so
tion of the middle passage. Furthermore, this
inner heightened awareness of this sonic
eloquently termed as “individuals without an
signifier is what continues to bond people
galaxy of harmonics from a people with a con-
anchor, without a horizon, colorless, stateless,
of the Diaspora today. Expressed in kinesics
nectedness to nature. Complex cosmologies
rootless - a race of angels” (Franz Fanon The
body language -- facial expressions and
were very much part of their belief systems.
Wretched of the Earth, page 218). “Examining
gestures -- it is inextricably aligned with the
These systems were solidly in place pre Middle
the place of music in the black Atlantic world
history of black dance from the plantocracy
Passage, a prime example being the Dogon,
means surveying the self-understanding
period to the present day. I contend that it is in
who’s “Sirius B” cosmology theory is intrinsi-
articulated by the musicians who have made
fact omnipresent, eternal, a metaphysical col-
cally connected and corresponds to certain
It, the symbolic use to which their music is
lective apparition unlimited by language and
aspects of ancient Egypt and ancient Greece.
put by other black artists and writers, and the
unhampered by geographical location.
I therefore conclude that this algebraic sonic
social relations which have produced and
network is what enabled the invention of Jazz
reproduced the unique expressive culture in
A prime example of the euphoric qualities
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With the rupture of slavery, followed by
The modulation of this aurality is what
which music comprises a central and even
man of Borneo” was one such racial epitaph
issue that has existed throughout the African
foundational element” (Paul Gilroy, The black
metered out on him. Jimi purveyed a Du
Diaspora. Our names objectify our personas,
Atlantic).
Boisian double consciousness throughout
names are important in shaping identity. At
his short-lived career. Growing restless with
the advent of the Black Power Movement in
the UK he returned to the USA creating the
the 1960’s many African Americans changed
fied majestic Jimi Hendrix. Jimi’s self penned
Electric Lady Recording Studios in New York
their names. Malcolm Little became Mal-
cosmological myth tales were eloquently
City where he spent countless periods of time
colm X, Cassius Clay became Muhammad
sung on unique psychedelic layers of Blues,
in sound experimentation on the production
Ali, Herbie Hancock adopted a Swahili name
Jazz, Folk and R&B sprinkled with non specific
of his pre digital multi-layered recordings.
Mwandishi and all the musicians in his sextet
social comment. Rooted in a time-defying
During this period he was a part time Harlem-
followed suite. In Jamaica many of the early
Afrofuturism, Jimi’s oeuvre was delivered
ite and encountered various personalities in
Reggae musicians adopted Afro-Aristocratic
with a griot-like troubadourian panache.
the freedom movements, namely the Black
names. Sun Ra did not impose a name change
Emphasizing his racial triangulation of African
Panther Party. These encounters evolved
on members of his band, The Arkestra, But
American, Native American and European
into Jimi taking a more politicized stance in
Sun Ra did impose a distinctive dress code
American ancestry, he fluidly mined and
his music, thus resulting in the formation of
which was a flamboyant cross between Egypt
melded Bach tinged passages and Cherokee
The Band of Gypsys, an all black funk driven
and Sci-Fi. His concerts were awash with
drum patterns with Griot style Mississippi
revolutionary trio comprised of drummer
pageantry, his self penned spoken philosophy
Delta call and response counterpoint. As a
Buddy Miles and long time bass playing friend
which he delivered in spoken word poetry,
flamboyant flâneur, all the above cultures plus
Billy Cox who incidentally is the only living
laced over layers of electronic analog synthe-
a few others were displayed in his coquettish
member from both of Hendrix’s trios. Jimi was
sizers as well as African percussion and large
dress attire on and off the stage. A maverick
a groundbreaking virtuoso musician/com-
horn sections. His genre-breaking universe
who had the foresight and good fortune to
poser vocalist who re-invented the electric
of Jazz traversed the entire canon. He fought
migrate to the UK to realize his mission and to
guitar expanding its sonic capabilities with the
against the negative conditions of this inhar-
enable him to achieve the global gravitas that
aid of analog pedals, tape echoes, and colossal
monious planet. His mythic music of the spirit
his timeless music would swiftly acquire. In
levels of feedback. He elevated the guitar’s
was intended to elevate the mortals of this
the racialized climate of the 1960’s-70’s music
sound to dizzying new heights, a true portal of
planet to a higher plane. Sun Ra was an early
industry, Hendrix was totally aware that for
the sonic signifier. Jimi was an iconic person-
pioneer of Afrofuturism. He was an originator
him to penetrate a predominantly white rock
age within the discourse of cultural identity
of this cultural aesthetic along with interna-
world/market he would need to enlist two
and transnationalism challenging black male
tionally acclaimed writer Octavia Butler. Sun
white players. To facilitate the success he envi-
stereotypification within racial hierarchy.
Ra claims his early awareness of intergalactic
Fast rewind to the 1960’s: All hail our dandi-
sioned, drummer Mitch Mitchell and bassist Noel Redding were enrolled to form “The Jimi Hendrix Experience.”
space was due to an abduction experience Sun Ra (1914-1993) born Herman Poole
in which he was enshrined in a bright light
Blunt in Birmingham Alabama, was a com-
and transported to another planet, which he
poser, bandleader, poet, philosopher, piano
identified as Saturn. He claimed he was of the
many others in the 1960’s when certain states
and synthesizer player, a self invented person
angel race not from Earth but Saturn, insist-
were still segregated. He witnessed racism
who legally changed his name in 1952 to
ing that all answers lie in Egypt, and that we
first hand as a sideman in the deep South
Le Sunny’r to attain a new cultural identity,
must learn hieroglyphics. He stated that black
on the Chitlin Circuit. Jimi’s persona as well
as he claimed his former name was a slave
people have lost their ethnic cultural structure
as his performances were highly sexual-
name. This disconnect from the former was a
and until it is regained they will be like flotsam
ized and racialized. In the UK press “the wild
necessary psychological act. Renaming is an
on the ocean of life. His concerns were mul-
Jimi toured with Little Richard among
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tifold, lamenting a planet out of alignment,
the entire canon of African American music
left an extensive oeuvre and retains a lofty
controlled by the Caucasian race. This spiritual
to such an extent he was a living breathing
position as sonic scientist supreme in the
activism is squarely linked to his experience on
archive of it. His sense and knowledge of
annals of Hip Hop and R&B history.
the ground, so to speak, stemming from the
dance genre beat-based music was profound
racial hierarchy he witnessed as a child raised
and all encompassing. He was a native of
D. “Butch” Morris (1974-2013) who was the
in the segregated South. He was a utopian
Detroit, a city famed for the birth of Tamla
originator, pioneer and principal theorist of
visionary for the Black race and planet earth
Motown Records and House music. In the mid
“conduction,” was marked by improvisation
at large. A charismatic bandleader, he led The
90’s he impacted a rap music terrain that was
conducted in real-time with both large and
Arkestra from the mid 1950’s until his death.
in need of resuscitation. He was able to supply
small-scale ensembles. This unique genre
The Arkestra still exists under the leadership
this need with his unique cut and paste col-
bending method of no notation entails a lexi-
of his dear friend and founding musician
lagist approach. His sound was immediately
con of 48 plus hand signs and baton gestures
Marshall Allen.
identifiable, emblazoned with hooks and
invented by Morris to isolate and dynamically
hypnotic beats. His compulsive collecting of
shape musical forms as they appear from the
vinyl (digging in the crates) aided his ever fresh
ensemble of individual musicians or sound
a Hip Hop producer perfectionist extraordi-
relentless pioneering drive. J. Dilla produced
makers. A trained musician and theorist,
naire. An obsessed magpie who devoured
and collaborated with many formidable artists
Morris grew weary of the restrictions imposed
vinyl with a voracious appetite and absorbed
such as Erykah Badu, Madlib, The Pharcyde,
by Western music theory and hence created
Common, Janet Jackson, and De La Soul, to
his own. His conductions were impromptu
name just a few. His sound revolved around
aural bridges to cross and meld into. Morris
his in-depth connoisseurship of Funk & Soul
choreographed his magic wand-like baton
based compositions from which he looped,
through an Afrofuturistic based transracial
sampled, and played over. Obsessed with the
terrain sprinkled all and sundry with shape
archive of the most innovatively pregnant
shifting intergalactic wizardry. These sonic
analog decade in popular music, the 1970’s,
dramas, resplendent with Morris more often
which also spawned many fusions of style
than not clad in sombre black resembling an
and culture mashups, Dilla eloquently wove
Afrofuturistic ninja, were a universal panopoly
tapestries of finely tuned Hip-Hop songs and
of sonic signification. Butch mapped out an
cinematic sequences.
all-encompassing universal vocabulary that
J. Dilla, aka James Yancey (1974-2006) was
The aforementioned cut and paste
The utter unpredictability of Lawrence
in its very fluxuating nature was a subversive
sampling technique applied by J. Dilla has its
boundary eraser catapulting the receiver/
roots in experimental music dating as far back
audience into a plethora of terrains that were
as the early 1940’s “Musique Concrete” best
unfamiliar, seductive, explosive, and anesthe-
described as electroacoustic music that was
tizing. All hail the continuation of conduction.
invented and developed by Egyptian born
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American composer, performer, ethnomu-
Alice Coltrane (1937-2007), nee Mcleod,
sicologist, Halim El Dabh born 1921 in Cairo
spiritual name Turiyasangitanada, was a com-
Egypt. There is a logical continuum between
poser, arranger, harpist, pianist, organist, and
the early call and response rhythms and vocal
synthesizer player born in Detroit Michigan
chants of certain Sub-Saharan African cultures
to a deep musical family. Her mother played
and the loop space sampling techniques
piano and sang in the local Baptist church.
executed by producers such as J. Dilla. J. Dilla
Turiya began classical music lessons at age
seven. Early in her career she played in church
eclectic vocalist Erykah Badu is our current
an album. Her ethereal harp playing on this
groups and with various Jazz ensembles
purveyor of this ancient Egyptian strain of
album is extremely innovative as the harp is an
such as local Detroiters guitarist Kenny Burrell
Afrofuturism. Badu centers her philosophy
instrument rarely heard within the context of
and saxophonist Lucky Thompson. Turiya
on the Egyptian symbol of the Ankh, the key
jazz music. This album is a compassionate plea
moved to Paris in 1959 to study Jazz with the
of life, also known as the key of the Nile. Note
for us to transcend the obduracy of this mate-
legendary bebop pianist Bud Powell. Upon
her album New Amerykah, Part Two: Return Of
rial world and reside in a state of enlightened
her return to the USA she joined Vibraphonist
The Ankh.
consciousness. She cited Thelonious Monk
Terry Gibbs’ band with whom she recorded
One must take into account the majority
and her teacher Bud Powell among her major
three albums. In 1966 Turiya replaced the
of women who played a role in the field of
influences. Turiya’s music exists in a unique
monumental pianist McCoy Tyner in John
Jazz were vocalists. Alice Coltrane was one
genre defying black space consisting of Jazz,
Coltrane’s band, whom she had met in 1963,
of the very few instrumentalists navigating a
classical, gospel, drone, Blues, and devotional
while touring with Gibb, and then married
patriarchal milieu that was not so open to her
song elements. Her flight away from racial
in 1965. Turiya played piano and organ on
idiosyncratic non-orthodox style. We must
oppression led to an avoidance of the subject
all of Coltrane’s later recordings, which were
also note here that in fact she is one of the
within the seclusion of her invented environ-
extremely eclectic and spiritual. They were
very few harpists in the entire Jazz canon.
ment in which she surrounded herself with
both deeply involved in experimenting with
In 1972 Alice pursued a spiritual path
an Afrofuturist community of loyal devotees.
Indian, African, and Middle Eastern music
traveling to India where she studied Sanskrit
Turiya’s unswerving focus on spiritual salva-
and the musical instruments used in playing
and the Vedas with Swami Satchidananda. On
tion through an awakening and sharing of
those particular genres. The late 1960’s in the
her initiation she was given the Sanskrit name
her highly evolved Afro-sonic signifier was a
USA was a redefining moment both culturally
of Turiyasangitananda. Later becoming a Swa-
transcendental ideal vision that she had also
and politically in which the Coltranes were
mini, she founded the Sai Anantam Ashram,
shared with John. In an interview she gave in
confronted head on with the Civil Rights and
her own Vedantic Center in Santa Monica,
1968 with Pauline Rivelli for The Black Giants,
Black Nationalist movements coupled with
California. A great majority of her devotees are
Alice humbly stated that “Everything I do is an
the spiritual alternative philosophies of Asian
African American and I would suggest that this
offering to God”
and African persuasion. Music played a major
is due to the fact that a race and class hierarchy
role in the identities of all of these movements
was also clearly apparent in certain spiritual
sharing with my sisters and brothers of the
and existed in a clearly defined racial strata.
movements of this period. Turiya was clearly
world, my all, the results I leave to God I am
After the death of John Coltrane in 1967 Turiya
aware of this fact and naturally attracted
not really concerned with results, my only
raised their three children and embarked on a
fellow African Americans into her congrega-
concern is the work, the effort put forth.”
solo career. Ptah, the El Daoud, her second solo
tion. Her brand of meditation and yoga with
album, is a sublime abstract entropy that takes
an emphasis on Bhajans (devotional Sanskrit
one on an Egyptian, Vedantic Afrofuturist,
songs) was heavily tinged with her Baptist
fantastical voyage. The music and the album
gospel roots.
sleeve artwork are uncannily akin to the concepts of Sun Ra whom one can imagine Turiya
Alice Coltrane, a self-invented innovative
must have met. Both were accomplished
African American woman who re-imagined
theoreticians and philosophical black cos-
herself as Swamini Turiyasangitananda retains
mic outsiders of the traditional Jazz domain.
an elevated position in the cultural aesthetic
They also shared a penchant for non-western
of Afrofuturism. Journey in Satchidananda,
eccentric attire as Turiya, like Sun Ra, was often
her fourth solo album recorded in 1970, is in
bedecked in flowing regal robes. The highly
my opinion a luminous milestone jewel of
12
“The work I am trying to do is a sort of
Conclusion. I am in fact arguing that the Afro Sonic Signifier is an encoded harmonic and rhythmical mnemonic network, initially transported
identity within the axiology of their chosen
“How are we to think critically about artistic
practices, their contributions have immensely
products and aesthetic codes which, though
expanded the canon
they may be traceable back to one distinct
of black creative practices implementing ever new possibilities on the horizons of
location, have been changed either by the passage of time or by their displacement,
through the middle passage slavery expe-
the new generations of art practitioners.
relocation, or dissemination through networks
rience, and continues its migration and
Collectively their oeuvre navigates a vast
of communication and cultural exchange?
evolution through the citizens resident in the
trajectory, one I term as “From Slave Ship
modern western African Diaspora. The artists
To Space Ship.” All the sorrow songs, the
I have chosen to investigate and venerate are
resistance songs, the psalms and the funk,
exemplary portals of the Afro sonic signifier,
are seamlessly melded into eternal reams of
unbounded by, but at the same time aware
palimpsest otherworldly utopian resolve.
of, their racialized histories. They chose to
In regards to the continuation, evolution,
pave individual paths of innovative black
and migration of the Afro sonic signifier I
myth making and their creative vision has
would like to end my conclusion with a ques-
given us brilliant alternatives to work with,
tion Paul Gilroy eloquently asks in his chapter
thus enabling the narratives to be further
“‘Jewels Brought from Bondage’ Black Music
enriched. By constantly remaining immersed
and the Politics of Authenticity,” in his ground
in the imagining and re-imagining of cultural
breaking book The Black Atlantic. He asks,
13
ART TALK
AFROFUTURISM MIX Jean-Claude Moineau
Le DJ londonien Kode9 alias Steve
assimile à un biopouvoir, la vibration, la force
les organismes composant l’univers étaient
Goodman , dans un livre dont le défaut,
vibratoire du son comme du « non – son », qui
fondamentalement des entités vibratoires,
paradoxalement, est que les thèmes abordés,
résonne en nous. Les vibrations, tant audi-
préfigurant la conception que développera
d’une très riche diversité, ne sont pas suf-
bles qu’inaudibles. Lesquelles ont le pouvoir
Erwin Schrödinger7 en 1926.
fisamment « mixés » mais demeurent par trop
qui peut les rendre aussi bien jouissives que
simplement juxtaposés, défend la position
dangereuses d’entrer en nous et de moduler
En quoi, selon Goodman, la « musique
selon laquelle ce qui prévaut, tant dans les
de façon imperceptible les affects, les émo-
comme arme », par delà la totale divergence
musiques actuelles que… dans les armes
tions et les comportements tant individuels
de leurs desseins respectifs, n’en convergerait
soniques , tant dans les opérations militaires
que collectifs là où la typologie dressée par
pas moins à sa façon avec un courant comme
de contrôle du territoire et des individus au
Adorno des différents modes d’écoute ne
l’afrofuturisme.
moyen des armes soniques, dans l’emploi tant
prenait en compte que les seules écoutes
du son que de la musique en tant que telle en
individuelles. D’agir « tant perlocutoirement
tant qu’arme de guerre… que dans le contrôle
qu’illocutoirement au sens d’Austin » sur les
sée pour la première fois par John Corbett8
des « audiences » exercé par l’industrie des
humains comme sur les non humains, tous
réunissant d’emblée sous une même « éti-
media, ce n’est en dernier ressort même pas
eux-mêmes de nature vibratoire-oscillatoire
quette » aux contours délibérément vagues
tant le son en tant que tel que le rythme3 qu’il
(en tout effacement de la distinction sujet-
qui exclue par avance toute définition ou
objet). L’auditeur lui-même ne se contente
condition d’appartenance par trop précise
plus d’entendre ou d’écouter mais vibre, qu’il
trois musiciens aussi disparates, voire hété-
le veuille ou non. Goodman se proposant,
roclites, que Sun Ra9, George Clinton10 et Lee
à partir de là, de dégager non tant une
7 Cf. Erwin SCHRÖDONGER, Mémoires sur la mécanique ondulatoire, Paris, Alcan, 1933. 8 John CORBETT, « Frères d’une autre planète, La Folie spatiale de Lee “Scratch“ Perry, Sun Ra et George Clinton », 1994, tr. fr. Nomad’s Land Vol. 2 n°4, Paris, Kargo, printemps 1999. 9 Sun RA and his intergalactic solar arkhestra, Sountrack to the film Space is the Place, 1972, Evidence, 1993 & Space is the Place, Blue Thumb records, 1973. 10 George CLINTON & Parliament, Mothership Connection, 1975, Casablanca records, qui met en scène le personnage de Starchild, « afronaute » venu apporter sur Terre le P-Funk, contraction de Parliament et de Funkadelic, l’autre groupe de Clinton, ou encore « Pure-Funk » (sic), quoi qu’il en soit, observe fort justement Guillaume Dupetit (Afro-futurisme et effet miroir : Les Contre-récits de Parliament/Funkadelic, Saint-Denis, Université Paris
1
2
1 Steve GOODMAN, Sonic Warfare, Sound, Affect, and the Ecology of Fear, Cambridge, Mass., MIT Press, 2010. 2 Cf. Suzanne CUSICK, « Music as Torture/Music as Weapon », Trans, Revista transcultural de musica n°10, 2006 & Juliette VOLCLER, Le Son comme arme, Les Usages policiers et militaires du son, Paris, La Découverte, 2011. 3 Le rythme, notion un peu passe-partout, ce qui fait la fécondité en même temps que la fragilité de la notion de rythme étant, à l’encontre des traditionnelles conceptions modernistes, son manque de spécificité. Le rythme s’avérant n’être pas plus définissable que l’art en tant que tel et n’étant pas même propre à « l’art » quand bien même il conviendrait de se méfier tout autant de la formule « tout est rythme » que de la formule pseudo-avantgardiste « tout est art » : cf. Jean-Claude MOINEAU, « Polyrythmie ». Urban Rhythms Human Rhythms, Pékin, Beijing Film Academy/Saint-Denis, Université Paris 8, 2005 & Pascal MICHON, Rythmes, pouvoir, mondialisation, Paris, PUF, 2005 & Les Rythmes du politique, Démocratie et capitalisme mondialisé, Paris, Prairies ordinaires, 2007.
14
4
5
esthétique ou même une phénoménologie qu’une… « ontologie » de la « force vibratoire ». Ontologie inspirée des travaux d’Alfred North Whitehead6 qui, dès 1925, soutenait que 4 Theodor ADORNO, Introduction à la sociologie de la musique, 1962, tr. fr. Orgemont, Contrechamps, 1994. 5 J. L. AUSTIN, Quand dire, c’est faire, 1962, tr. fr. Paris, Seuil, 1970. 6 Alfred North WHITEHEAD, La Science et le monde moderne, 1925, tr. fr. Francfort/Paris/Lancaster, 2006.
Afrofuturisme dont la notion a été esquis-
« Scratch » Perry11 quand bien même ceux-ci
sens proposé à la même époque par Harald
saient, dans la première moitié du vingtième
ne se sont jamais eux-mêmes réclamés du
Szeemann . Tous trois utilisant librement
siécle, que la photographie devait permettre
terme :« Dans les différents modes du reggae,
l’idée centrale de l’aliénation mentale en lui
d’ « intensifier » la vision humaine) jouant
du jazz et du funk, Lee Perry, Sun Ra et George
superposant une métaphore spatiale, l’esprit
avec l’image du « corps humain augmenté »,
Clinton ont construit leur propre univers, alen-
raisonnable étant présumé configuré dans la
mi-homme mi-machine, du cyborg tel qu’il a
tours futuristes qui manifestent subtilement
Terre : « la santé mentale est le “sol“ d’où l’on
pu également être valorisé dans la Bible du
la marginalisation [qui a longtemps été celle]
décolle pour des vols fantaisistes ». Quitter la
« cyberféminisme » qu’est le Manifeste cyborg
de la culture noire. Ces nouvelles galaxies
terre étant aussi, loin de toute traditionnelle
de Donna Haraway19. Musique elle-même
discursives utilisent un ensemble de tropes et
harmonie des sphères, transgresser la struc-
cyborg, mi-musique mi-arme : « On guard !
de métaphores sur l’espace et l’aliénation, liant
ture harmonique établie, la notion d’espace
/ Defend yourself ! / We shall overcome […]
leur histoire commune — la diaspora africaine
s’associant à celle d’exploration : « Tradition
Shoot them with the bop gun […] / On guard !
— à une notion extraterrestre12 ». Chacun à sa
= Terre ; innovation = espace sidéral », quel
/ Defend yoursef20 ».
manière menant une critique démystifiante
que soit l’héliocentrisme qui demeurait le fait
via une… remystification, ils ont développé
de Sun Ra. Là où Paul Gilroy15 a suggéré que
Notion qui s’est étendue par la suite au
indépendamment les uns des autres des
cette « hétérotopie » qu’était pour Foucault16
hip hop et à la musique électronique tout en
mythes —voire des « storytellings » — simi-
le navire (le navire négrier) soit considérée
incluant aussi, dans le domaine littéraire, à
laires. « Originaires de souches différentes,
comme un « chronotope » (c’est-à-dire un
l’instar des textes, toujours très narratifs, des
abordant des genres musicaux différents,
marqueur spatio-temporel) de la diaspora
chansons et des pochettes des disques, la
établis dans des secteurs différents [plus ou
transatlantique, Ra, Clinton et Perry ont
science-fiction (Samuel R. Delany21, Octavia
moins marginaux] de l’industrie de la musique,
transformé l’Atlantique en espace sidéral et
Butler, elle-même représentante également
composant de la musique pour des publics
le vaisseau maritime en vaisseau spatial (où
de l’afroféminisme, l’un et l’autre de surcroît
différents […] Ra, Clinton et Perry n’en ont pas
l’on peut voir en même temps une sorte de
appartenant à la « minorité » homosexuelle…),
moins créé trois mythologies personnelles
mythe dual des mythes entourant le culte
voire, selon Alondra Nelson22, Ishmael Reed,
compatibles13 » et s’influençant même mutuel-
mélanésien du cargo17 présumé lui-même
l’auteur de Mumbo Jumbo23… et n’a cessé
lement, mythologies individuelles d’artistes au
apporter plutôt qu’emporter… Tous trois
de s’élargir toujours davantage comme en
8, 2013) de son caractère lui-même « mixte, hétérogène et hybride ». Funk étant lui-même un terme dérivé de l’argot funky, terme signifiant habituellement puant, qui sent la sueur (fait, notamment, des odeurs sexuelles), reproche traditionnellement adressé par les blancs aux noirs, terme repris à leur propre compte, en le positivant, par les artistes noirs, comme cela a pu être le cas de tant d’autres termes, tel, aujourd’hui, le terme queer, et le funk étant selon Clinton, tel, selon Jacques Derrida (« La Pharmacie de Platon », 1968, La Dissémination, Paris, Seuil, 1972), le pharmakon platonicien, à la fois virus et remède (terme complexe) ou, plus exactement, déconstruction de l’opposition entre les deux. 11 Lee « Scratch » PERRY & friends, The Black Ark Years (The Jamaican 7»s), 1974 To 1976, Sipple Out Deh & 1977 To 1978, Vibrate Onn, Trojan records, 2010, le Black Ark étant le studio au matériel de bric et de broc de Perry que lui-même n’en comparait pas moins à un navire spatial. 12 John CORBETT, op. cit. 13 Ibid.
15
14
accordant une grande place à la technologie dans leur musique et (comme, déjà, László Moholy-Nagy18 et la nouvelle vision pen14 Harald SZEEMANN, « Mythologies individuelles », 1972, tr. fr. Écrire les expositions, Bruxelles, La Lettre volée, 1996. 15 Paul GILROY, L’Atlantique noir, Modernité et double conscience, 1993, tr. fr. Paris, Kargo, 2003. 16 Michel FOUCAULT, «Des espaces autres», 196784, Dits et écrits, tome IV, op.cit. 17 Cf. Peter WORSLEY, Elle sonnera, la trompette, Le Culte du cargo en Mélanésie, 1964, tr. fr. Paris, Payot, 1977, Peter LAWRENCE, Le Culte du cargo, 1964, tr. fr. Paris, Fayard, 1974 & Mondher KILANI, Les Cultes du cargo mélanésiens, Mythe et rationalité en anthropologie, Lausanne, Éditions d’en bas, 1983. 18 Laszló MOHOLY-NAGY, « Photographie, forme objective de notre temps », 1936, tr. fr. Peinture photographie film et autres écrits sur la photographie,
Nîmes, Chambon, 1993. 19 Donna HARAWAY, « Un manifeste cyborg : science, technologie et féminisme socialiste à la fin du XXe siècle », 1985, Des singes des cyborgs et des femmes, La Réinvention de la nature, 1991, tr. fr.Arles, Chambon, 2009. 20 George CLINTON, « Bop Gun (Endangered Species) », Funkentelechy vs. the Placebo Syndrome, 1977. 21 « Science fiction isn’t just thinking about the world out there. It’s also thinking about how that world might be—a particularly important exercise for those who are oppressed, because if they’re going to change the world we live in, they—and all of us—have to be able to think about a world that works differently. » (Samuel DELANY, « The Art of Fiction », Paris Review n° 197, summer 2011. 22 Alondra NELSON, « Introduction : Future Texts », Social Text n° 71, summer 2002. 23 Ishmael REED, Mumbo Jumbo, 1972, tr. fr. Paris, Seuil, 1975.
témoigne le dossier consacré en 2013 par
alternatif— dont la trame est tissée entre
le pouvoir blanc peut faire pour imaginer un
Afrikadaa à l’afrofuturisme . Fait de musiciens,
projection futuriste et réinterprétation des
futur possible [ou, du moins, une potentialité,
d’artistes et écrivains noirs américains
origines ». Remise en question du temps
une « virtualité » au sens bergsono-deleuzien]
et diasporiques de toutes les régions du
chronologique reposant sur la distinction du
tant de l’humanité tout entière que de la
globe, qui, tout en assimilant l’enlèvement,
passé, du présent et du futur, de la tradition
musique… par Kodwo Eshun32, lui-même
historiquement, de populations d’Afrique
et de l’innovation, comme de ce que François
membre de l’Otolith Group, les otolithes étant
noire par des envahisseurs blancs au thème
Hartog a appelé le régime moderne
des cristaux de carbonate de calcium situés
récurrent dans les romans de S.F. de l’alien
d’historicité, régime dont relevaient pourtant
dans le système vestibulaire de l’oreille interne
abduction, de l’enlèvement de terriens par des
aussi bien le futurisme russe que le futurisme
jouant un rôle essentiel dans l’équilibration
E.T. (S.F. elle-même traditionnellement tenue
italien. Quand bien même, comme l’avance
de l’organisme : là où, sur le plan musical, le
pour une sorte de ghetto « paralittéraire » de
Emmanuel Grynszpan , l’afrofuturisme
futurisme italien, avec Luigi Russolo, avait
la littérature), entendent, dans la mouvance
n’en prône bien pas moins l’émancipation
substitué là la mélodie le bruit, l’afrofuturisme,
de L’Atlantique noir, rompre avec tout
des noirs et de leur culture tout en rejetant
dans la voie notamment du dj new-yorkais
afrocentrisme, avec toute nostalgie du
« le cliché blanc associant la musique noire
Grandmaster Flash dont la rapidité et l’agilité
continent primitif et toute notion de racine
à un passéisme focalisé sur une recherche
(Grandmaster Flash changeant les disques
au profit d’une diaspora assumée, « l’espace,
perpétuelle des racines africaines » comme
avec ses orteils) étaient à l’origine de son pseu-
dit Pascale Obolo25, se substituant au ghetto
il rejette tout identitarisme en lui opposant
donyme faisant référence au super-héros des
[et l’avenir au passé], le voyage interstellaire
« sa fascination pour les technologies de
DC comics… a progressivement, sans qu’il y ait
au récit de voyage » . « L’Afro-futurisme,
pointe [… sa volonté de] réappropriation
là simple résurgence des tambours africains,
soutient Dupetit26, peut être perçu comme
symbolique [comme ce sera également le cas
substitué à la mélodie et au bruit la pulsation,
un mouvement pluri-artistique regroupant
de la cyberculture] du pouvoir conféré par la
le battement, le beat, la batterie et la basse, la
la littérature, la musique, les arts graphiques
possession de la technologie » par ceux qui en
voix étant elle même déjà utilisée par Clinton,
ou encore le cinéma, autour d’un discours
étaient jusqu’alors exclus (quoi qu’il en soit
comme Dupetit33 en fait l’observation, de
associant deux notions ambivalentes : la
du caractère relativement obsolète demeurant
façon plus rythmique que mélodique, tandis
sublimation de la technologie [moderne] et
celui des technologies que peut, tout en les
que c’est Perry qui avait initié la pratique du
la reconstruction des mythes fondateurs de
revitalisant, se réapproprier un Perry).
sampling en remixant en temps réel des pistes
24
27
28
29
la culture afro-américaine. Relevant d’une
analogiques préenregistrées sur des cassettes
volonté de déconstruction/reconstruction
… Notion théorisée, à la suite de Mark
magnétiques au même moment que, dans
de symboles, de valeurs et de croyances
Dery30, auteur par ailleurs de Vitesse virtuelle31,
le Bronx, DJ Kool Hero, dj lui-même d’origine
communément assimilés dans la culture
enquête sur les utopies de l’ère informatique,
jamaïcaine à l’origine du hip hop, inventait le
des Etats-Unis, et plus spécifiquement au
lequel a posé la question de savoir com-
breakbeat, utilisant pour sa part des platines
sein de la communauté afro-américaine,
ment une « communauté » dont le passé et
vinyle, à la façon de John Cage, comme
l’Afro-Futurisme [qu’il vaudrait mieux à cet
l’histoire avaient été délibérément effacés par
d’instruments de musique à part entière et
égard appeler l’afro-américano-futurisme] répond à un processus combinatoire de références tant idéologiques, politiques, sociologiques qu’historiques, assemblées en une fiction spéculative —un « grand récit » 24 Afrikadaa n° 5, Afrofuturisme, juin-juillet-août 2013. 25 Pascale OBOLO, « Edito », Afrikadaa, op. cit. 26 Guillaume DUPETIT, Afro-futurisme et effet miroir, op. cit.
16
27 François HARTOG, Régimes d’historicité, Présentisme et expériences du temps, Paris, Seuil, 2003. 28 Emmanuel GRYNSZPAN, « Confluences et divergences, La Techno face aux musiques savantes », Zerez, 2002. 29 De même Steve Goodman (op. cit.) : « Afrofuturism tries to break with many of the stereotypes of black music culture that tie it to the “primitive” as opposed to the technological ». 30 Mark DERY, « Black to the Future », Flame
Wars : The Discourse of Cyberculture,
Durham, Duke University Press, 1994. 31 Mark DERY, Vitesse virtuelle, La Cyberculture aujourd’hui, 1996, tr. fr. Paris, Abbeville, 1997.
sautant sans cesse d’un exemplaire à un autre 32 Kodwo ESHUN, « La Capture du mouvement », 1998, tr. fr. Nomad’s Land Vol. 2 n°3, Paris, Kargo, été 1998, More Brilliant Than the Sun, Adventures in Sonic Fiction, Londres, Quartet Books, 1999 (dont Eshun décrit ainsi le projet : « More Brilliant Than The Sun is a machine for travelling at the speed of thought, a probe for drilling into new levels of possibility space. Its mission is to undermine the concepts this present has of «Health» and «Culture» and to excite mockery and hatred against these hybrid monsters of concepts ») & « Further Considerations on Afrofuturism », New Centennial Review, Vol. 3 n° 2, summer 20O3. 33 Guillaume DUPETIT, Afro-futurisme et effet miroir, op. cit.
d’un même vinyle, d’abord de reggae puis de
en font un véritable objet multimedia au
City, au passé musical lui-même très riche
funk, passant toujours en boucle les mêmes
caractère pouvant être lui-même très agressif),
puisqu’ayant notamment accueilli Clinton,
« échantillons », la mélodie et l’harmonie
et qui, selon Eshun (lequel, par contre, rejette
mais désormais entrée en récession, devenue
s’effaçant pour ne laisser place qu’au rythme,
pour toute importance accordée aux données
une vaste friche industrielle prenant des
le scratching transformant les enregistrements
biographiques), constituent le point de départ
allures de cité engloutie, témoignant de ce
servant de matériaux sonores en une sorte de
même de votre itinéraire à travers la musique,
qu’Arnauld Pierre36 a appelé « un futurisme
texture rythmique ou polyrythmique elle-
conditionnant « la manière dont la musique va
rétrogradé et déjà frappé d’obsolescence »
même inspirée du funk…
vous capturer pour vous emmener dans son
projetant tout au plus « les visions d’un
monde »… Tandis que, note également Eshun,
avenir désormais dépassé », quand bien
Où Eshun
même ce n’est pas
souligne lui-même
tant l’aspect »rétro »
l’aspect corporel,
qui retient l’attention
gestuel, de l’activité
d’Eshun, lequel
du dj, allant jusqu’à
rejette tout human-
parler de « guerres
isme comme tout
kinesthésiques » : le DJ
humanitarisme, que la
« sème la terreur avec
capacité des musiciens
son poignet [quand
de Detroit à ne s’en
ce ne sont pas ses
s’inventer pas moins
pieds] qui balance des
des mondes (musi-
bombes terrifiantes
caux) parallèles, ce qu’il
[…] c’est comme un
appelle des « fictions
poignet prédateur,
soniques ». Detroit,
qui sème la terreur
comme le présume
d’un mouvement brusque, rien qu’en touchant le vinyle »… Aspect corporel, gestuel, kinesthésique, également de l’activité de l’auditeur qui n’est pas qu’auditeur (on n’entend, de toute façon, jamais qu’avec ses seules oreilles mais avec tout son corps) mais qui, comme dans le cas de l’entendre-comme wittgensteinien34, se fait aussi danseur… En même temps que, pour l’auditeur lui-même, importance toujours, du moins à ce stade, en l’absence désormais de paroles, des caractéristiques matérielles du vinyle, de l’ « objet vinyle », pochette comprise, tant textes qu’illustrations (qui, par delà toute opposition entre « texte » et « paratexte », 34 Cf. Ludwig WITTGENSTEIN, Leçons et conversations sur l’esthétique, la psychologie et la croyance religieuse, 1966, tr. fr. Paris, Gallimard, 1971.
17
la pratique du sampling ouvre désormais un continuum entre « sons audio » et « sons visuels » samplés dans des films, entre audition et audio-vision au sens de Michel Chion35… L’afrofuturisme pouvant tout aussi bien, relève Eshun, tout comme l’a fait le rock anglais lui-même, s’approprier le blues des noirs américains, que la techno black de Detroit (le collectif, cofondé par Mike Banks, Jeff Mills et Robert Hood, Underground Resistance, en abrégé U R, prononcer You Are), Detroit, la ville jadis fleuron de l’industrie automobile américaine, surnommée Motor 35 Michel CHION, L’Audio-vision, Paris, Nathan, 1990.
Grynszpan37, ravagée par la récession et le chômage, plutôt que de se lamenter sur son riche passé industriel, enjambant elle-même le morne présent pour sauter vers un futur entrevu grâce aux nouvelles technologies, … « emprunter » à la fois au P-Funk lui-même qu’à la new wave blanche venant d’Angleterre (Human League, A Flock of Seagulls…) et au Krautrock allemand (Kraftwerk), lui-même féru des sons générés par la technologie industrielle, déconstruisant la distinction entre « musique blanche » et 36 Arnauld PIERRE, « Gravity Greater than Velocity, L’Asymptote de Vincent Lamouroux », 20/27 n°2, M19, 2008. 37 Emmanuel GRYNSZPAN, « Confluences et divergences », op. cit.
« musique noire ». Quand bien même, allègue
les innovateurs techno s’inscrivent dans
malgré tout à critiquer un Simon Reynolds45
Grynszpan, le son purement électronique et
une tradition spécifique, ce qui, au premier
soucieux de démasquer les « mystifications
synthétique qui était celui de Kraftwerk, qui
regard, semble contredire les deux valeurs
qui ne manquent de se produire, dit-il, quand
surprenait l’oreille par son étrangeté, était dû
de la techno qui, surtout à l’époque, faisaient
les blancs s’identifient à la musique noire (et
en réalité à des « sons infiniment plus pau-
autorité : d’une part, une foi inconditionnelle
ne se contentent plus de la consommer) »
vres en couleur que les sons acoustiques […]
en une nouveauté antitraditionnelle, sans
(sic). Ainsi, dans les années 70, constate-t-il, la
tout le contraire de ce qu’appelait Russolo
« sources » [le culte moderniste du nouveau,
musique jamaïcaine était-elle perçue comme
de ses voeux lorsqu’il prônait l’utilisation
cependant dénoncé dès 1959 par Harold
anti-capitaliste et anti-impérialiste : « le pana-
de machines et l’abandon des instruments
Roseberg40 puis par le postmodernisme], et,
fricanisme des rastas résonnait avec les luttes
d’orchestres aux «sons anémiés» ». Cependant
d’autre part, une universalité globale, sans
postcoloniales de l’époque. […] Avant même
que, prend-il soin de noter, l’utilisation, dans
lieux ni groupes spécifiques […] Ainsi, l’album
le punk, la culture rock avait fait du reggae la
la techno comme dans le rap, de la platine
Rings of Saturn de X-10241 » suivi de l’album
“pulsation rebelle“ des années 70, une zone
vinyle pour mixer allait à contre-courant
Atlantis de X-10342, tous deux productions
d’authenticité salutaire à une époque de
de l’évolution technologique de l’époque
d’U R.
stagnation et de recul postcontreculturels ».
vers le compact disc…Et, observe Dietrich Diederichsen38, l’afrofuturisme n’en peut pas
Ce même si, « dans les cercles académiques Cependant que Goodman dit que le dub,
néomarxistes comme chez les activistes de
moins toujours rechercher un lieu mythique
effaçant la voix tout en amplifiant le couple
gauche, il y avait une certaine gêne vis-à-vis
« noir, transhistorique, soit sous l’eau, dans
rythmique basse-batterie au détriment de la
des drogues » et surtout de « la religiosité
l’univers [intersidéral] ou dans certaines niches
mélodie et en incorporant les phénomènes
passionnée du reggae ; la centralité absolue
de l’histoire de l’Égypte et de l’Éthiopie, un
de dégradation, de saturation et de distorsion
du rastafarisme ». Et à l’encontre de « la réalité
lieu qui, dans le meilleur [?] des cas, voudrait
du son à la musique43… se répandant sous
de la « culture populaire jamaïcaine » à la
opposer à l’européocentrisme davantage
l’impulsion de Perry à partir de la Jamaïque, a
recherche elle-même de divertissement et
(et mieux) qu’un simple africocentrisme,
été le premier mouvement musical à dével-
d’évasion46.
à savoir l’universalisme [universalisme qui
opper l’idée d’un virus audio susceptible de
Sur quoi, relève-y-il-il, un des premiers à
n’en demeure pas moins lui-même, dans le
se diffuser, tel une arme chimique, à travers
avoir conceptualisé l’afro-futurisme en tant
cadre de l’actuelle globalisation, fortement
la culture musicale populaire blanche et de
tributaire de l’européocentrisme]. Un lieu qui
l’ « infester » en provoquant une véritable
soit aussi universel que la couleur noire peut
épidémie.
45 Simon REYNOLDS, « Racines et avenir, La disparition de la du reggae », 2000, Bring the Noise, 25 ans de rock et de hip-hop, 2007, tr. fr. Vauvert, 2013. 46 Tout comme, estime David Diallo (« La Musique rap comme forme de résistance ? », Revue de recherche en civilisation américaine n°1 2009) pour ce qui avait déjà été du blues avant le rap, « ceux qui ont réduit le blues à un simple produit de l’esclavage […] nombreux sont les auteurs de travaux sur la musique rap qui ont fréquemment réduit cette musique à une simple expression de résistance engendrée par l’oppression structurelle subie par une partie la communauté noire ». Alors pourtant que « qualifier simplement la musique rap [ou le blues] de forme de résistance est fortement réducteur dans la mesure où ce mode d’expression rassemble sans conteste une grande variété de thèmes et de discours ». Comme le soutiennent Claude Grignon et Jean-Claude Passeron (Le Savant et le populaire, Misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature, Paris, Gallimard/Seuil, 1989), les cultures dites « populaires », quelle que soit l’ambiguïté du terme, ne sont pas mobilisées en permanence dans une attitude de résistance culturelle. Là où les études sociologiques sur lesdites cultures populaires oscillent entre illégitimité (au regard de la culture tenue pour « légitime ») et relativisme culturel (voire multiculturalisme), entre misère culturelle et populisme, entre dépendance et autonomie, les cultures dites populaires sont en fait à la fois dominées et autonomes, contraintes à fonctionner alternativement comme cultures d’acceptation et comme cultures de dénégation, comme sub-cultures et comme contre-cultures.
l’être. Ces lieux, chez Underground Resistance, s’appellent [dans la foulée de Miles Davis ] 39
Atlantis, le continent englouti sous l’eau [qui n’en perpétue pas moins la nostalgie du continent perdu] et [dans la foulée de Sun Ra qui s’en disait originaire, envoyé sur Terre pour permettre au peuple noir d’échapper à la ségrégation, et qui en donna le nom à son propre label de disques] Saturne. Ce faisant, 38 Dietrich DIEDERICHSEN, « Perdu sous les étoiles : Mothership et autres remplacements de la terre et de ses territoires », 1998, tr. fr. Argument son [De Britney Spears à Helmut Lachenmann : critique électro-acoustique de la société], Dijon, Presses du réel/Ringier, Zurich, 2007. 39 Miles DAVIS, Pangaea, record II, Gondwana, CBS, 1975.
18
44
Conceptions que n’en a pas moins cherché 40 Harold ROSENBERG, La Tradition du nouveau, 1959, tr. fr. Paris, Minuit, 1962. 41 X-102, Discovers the Rings of Saturn, Berlin, Tresor, 1992. 42 X-103, Atlantis, Berlin, Tresor, 1993. 43 Où Erik Davis (« Polyrythmie, cyberespace et électronique noire », 1998, tr. fr. Nomad’s land n°4, hiver-printemps 1999) parle de dématérialisation du chant. « Comme l’a écrit Jeff Salamon dans Artforum [Jeff SALAMON, “Dub and Dubber“, Artforum, summer 1997], “on peut faire l’hypothèse qu’entrer dans les vertigineuses étendues du dub est un bon entraînement à l’exploration [des espaces virtuels]“ », du cyberspace, en tout cas d’un « cyberespace acoustique ». En même temps, dit Davis, que, à titre secondaire, le dub n’en renoue pas moins à sa façon avec les anciens ensembles polyrythmiques d’Afrique occidentale : « nous sommes là sur une frontière imaginaire entre le pré-moderne et le post-moderne ». 44 D’où le nom qui sera donné à la compilation du dub des années 90, Macro Dub Infection (Virgin, 1995) donnant à entendre l’infestation par le dub des différents genres musicaux qui se contaminent même les uns les autres et y perdent ainsi toute spécificité stylistique.
que tel a été Corbett dépeignant Perry, Ra et
l’âme, les racines, la rue, le ghetto… propose
de mille façons, pas forcément dans un rythme
Clinton « comme des renégats de la raison,
de « laisser joyeusement tomber l’approche
régulier. Chaque fois que je parcours ou hante
sociohistorique pour se concentrer à la fois sur
un territoire, chaque fois que j’assigne un ter-
la matérialité de la musique avec son impact
ritoire comme mien, je m’approprie un temps
on valorise le reggae roots presque exclusive-
rythmique sur le “corps-esprit“ de celui qui
pulsé ».
ment pour les techniques d’enregistrement
l’écoute » et sur la capacité de la musique à
héritées du dub. Parmi celles-ci, le retrait de la
titiller les représentations mentales avec des
Cependant qu’Éric Sadin48 observe que
voix et de certains instruments, pour ne laisser
images). Cependant que, désormais, ce sont
l’hybridité homme-machine, loin d’impliquer
souvent que les percussions et la basse ». « À
les producteurs et les techniciens qui sont mis
que le cerveau humain fonctionne comme
présent, le reggae est entouré par un discours
en avant par rapport aux chanteurs et aux
un ordinateur ou que l’ordinateur fonctionne
de hipster blanc, qui insiste sur des éléments
musiciens, les effets et traitements en studio
comme un cerveau humain amélioré,
minimisés à la fin des années 70 et (inévita-
l’emportant sur les interprétations vocales et
déconstruit tout anthropomorphisme comme
blement) en supprime d’autres. Aujourd’hui,
instrumentales et sur les textes eux-mêmes.
tout anthropocentrisme : « une mutation à
le discours se centre sur une idée du dub
Producteurs et techniciens usurpent le statut
la fois discrète et décisive du statut imparti
Alors que, « à présent, déplore Reynolds,
comme déconstruc-
à la technique s’est
tion (de la chanson, de
opérée depuis un
la métaphysique de
demi-siècle : alors que
la présence musicale)
sa vocation ancestrale
[…] une notion du
consistait à combler les
dub comme virus
insuffisances du corps
postgéographique qui
suivant une dimension
s’est depuis longtemps
prioritairement
éloigné de ses racines
prophétique, elle
jamaïcaines pour
a progressivement
infecter [dans un
assuré la charge
sens, ici, tout ce qu’il
inédite de régir
y a de plus péjoratif]
plus massivement,
d’autres genres
rapidement, et
— jungle, house,
“rationnellement“ les
hip-hop, postrock ; l’idée de l’instabilité sonore du dub, son bombardement presque traître d’effets surprenants, offrant [tout au plus] une “éducation à l’insécurité“ », producteurs et remixeurs décomposant les morceaux, les désassemblant en « fragments modulaires et interchangeables ». Là où, dit Reynolds, Corbett néglige étrangement la musique au profit de la construction du personnage, Eshun, lui, rejetant les conceptions traditionnelles de la musique noire qui se fixaient sur
19
d’auteurs. La victime de cette évolution n’étant pour une fois pas la danse mais la voix. Où Goodman parle lui-même pour sa part de déracinement, de déterritorialisation là où, en fait, selon Deleuze47, un temps pulsé demeurait toujours un temps territorialisé : « régulier ou pas, c’est le nombre du mouvement du pas qui marque un territoire : je parcours mon territoire! Je peux le parcourir 47 Gilles DELEUZE, Cours Vincennes : sur la musique, 03/05/1977.
êtres et les choses », avec « des systèmes élaborés pour gérer d’eux-mêmes un nombre toujours plus étendu de situations ». Mais où, pour finir, en conclut Sadin, « c’est le sujet moderne qui peu à peu se dissout, celui issu de la tradition humaniste instituant l’individu comme un être singulier et libre, pleinement conscient et responsable de ses actes », en même temps que « c’est le pouvoir du politique fondé sur la délibération et l’engagement de la décision 48 Éric SADIN, L’Humanité augmentée, L’Administration numérique du monde, Montreuil, L’Échappée, 2013.
qui s’effrite, pour progressivement concéder à
d’espèce humaine qui est mise en échec par
de la condition qui était autrefois réservée
des résultats statistiques et à des projections
l’expérience nègre. Produit d’une histoire de
aux Nègres » cependant que l’avènement du
algorithmiques le soin d’instruire et de
la prédation, le Nègre est en effet cet humain
numérique fait que « l’humain apparaît de plus
décider de choix publics » comme dans la ville
qui aura été forcé de revêtir les habits de la
en plus sous forme de flux de moins en moins
hormonale de Christophe Berdaguer et Marie
chose et de partager le destin de l’objet », du
concrets, de codes de plus en plus abstraits
Péjus avec le concours des architectes Jean-
non-humain. Ce en quoi « il porterait en lui le
[de plus en plus dématérialisés], d’identités
Gilles Décosterd et Philippe Rahm.
tombeau de l’homme ». Selon l’afrofuturisme,
de plus en plus fongibles ». Convergence non
la condition contemporaine est celle de
plus seulement, comme pour Goodman, entre
Conception reprise à son compte pour
l’humain non-humain, assemblage d’humain
afrofuturisme et guerre sonique mais entre
rendre compte de l’afrofuturisme par Achille
et de non-humain, de l’humain post humain ,
afrofuturisme et devenir de l’humanité. Où,
Mbembe pour qui, alors que « la réflexion
« dont le Nègre est, depuis l’avènement des
observe Mbembe, ne s’en profile pas moins
africaine et diasporique moderne sur la
Temps modernes, le prototype ou la préfigura-
l’interrogation : « comment, dès lors, poser en
“condition nègre“ s’est largement élaborée
tion », là où, pour Haraway52, c’était la femme
termes neufs la question de la libération du
dans le cadre de la pensée humaniste qui
qui était la première incarnation du cyborg,
potentiel d’affranchissement des asservis dans
aura prévalu en Occident au cours des trois
cependant que, pour Mbembe lui-même, le
les conditions concrètes de notre
derniers siècles » (d’où, dit-il, le nombre
prolétaire de la société industrielle en a été
temps ? Que veut dire se construire soi-même,
d’autobiographies parmi les tout premiers
une autre incarnation (indifférence entre objet
tracer son propre destin, ou encore se façon-
écrits afro-américains), et que, même encore
et sujet qui est également celle désormais de
ner soi-même au moment où “l’homme“ n’est
pour Césaire, pour Fanon et pour Glissant,
la catégorie d’ « actant » avancée, à la suite d’A.
plus qu’une force parmi plusieurs autres enti-
il n’était pas question de répudier l’idée de
J. Greimas53, par Antoine Hennion et Bruno
tés dotées de pouvoirs cognitifs qui, peut-être,
« l’homme » en tant que tel mais seulement de
Latour54 quand bien même, selon Mbembe,
dépasseront bientôt les nôtres ? ».
« mettre l’accent sur les impasses du discours
l’humanisme, « le “procès de civilisation“ aura
occidental sur “l’homme“ dans le but de
consisté […] à maintenir, avec des degrés
l’amender », tandis que l’afrocentrisme d’un
divers de succès, un certain nombre de sépara-
plus long intitulé « Quand la musique, ça sert à
Cheikh Anta Diop50 s’est borné à chercher à
tions fondamentales », à commencer par la
faire la guerre », dont une autre partie est parue
« démystifier » les prétentions universalistes de
distinction sujet/objet. Alors que « le néolibé-
en traduction anglaise dans Rabrab Journal,
l’humanisme occidental en posant les fonde-
ralisme est l’âge où ces digues s’effondrent
Journal for Political and Formal Inquiries in Art,
ments d’un savoir qui puiserait dans l’histoire
les unes après les autres. Il n’est plus certain
issue 02, Class Struggle Reverberations, Volume
de l’Afrique elle-même ses catégories tout en
que la personne humaine se distingue tant
A, Helsinki, septembre 2015).
préconisant lui-même le progrès vers la notion
de l’objet, de l’animal ou de la machine […] La
d’espèce humaine, l’afrofuturisme, lui, rejet-
fusion entre le capitalisme et l’animisme est
terait « d’emblée le postulat humaniste dans la
en bonne voie […] Si, hier, le Nègre était l’être
de l’art. Il a enseigné la théorie de l’art à
mesure où l’humanisme ne peut se constituer
humain marqué par le soleil de ses apparences
l’Université de Paris VIII et a été également
que par relégation de quelque autre sujet ou
et la couleur de son épiderme, tel n’est plus
conseiller auprès de la Biennale de Paris. Il écrit
entité (vivante ou inerte) au statut mécanique
nécessairement le cas aujourd’hui. L’on assiste
sur l’art et la musique actuelle .
d’un objet ou d’un accident. L’afrofuturisme ne
désormais à une universalisation tendancielle
49
se contente pas de dénoncer les illusions du “proprement humain“… À ses yeux, c’est l’idée 49 Achille MBEMBE, « Afrofuturisme et devenir-nègre du monde », Politique africaine n° 136, Blackness, Paris, Karthala, décembre 2014. 50 Cheikh Anta DIOP, Antériorité des civilisations nègres, Mythe ou vérité historique ?, Paris, Présence africaine, 1967.
20
51
51 Cf. Jeffrey DEITCH, ed. Post Human, Amsterdam, Idea, 1996. 52 Donna HARAWAY, « Un manifeste cyborg », op. cit. 53 Algirdas Julien GREIMAS, Sémantique structurale, Recherche de méthode, Paris, Larousse, 1966. 54 Antoine HENNION & Bruno LATOUR, « Objet d’art, objet de science, Note sur les limites de l’anti-fétichisme », Sociologie de l’art n° 6, 1993.
(fragment « remixé » d’un texte beaucoup
Jean-Claude Moineau est un théoricien
21
ART TALK
SOLAR DRUMS Cabinet Créolisé Pour Musique De Chambre Sous-Marine A propos du dialogue créatif entre Raphaël Barontini et Mike Ladd Mathieu Buard
22
Des assemblages quotidiens de son
sonores, une musique de chambre cosmique
la question du rythme m’a toujours accompa-
atelier jusqu’à leur présentation, dans « Sam-
ou aquatique mise en écho à la diaspora des
gnée, elle fait surgir du vivant et c’est ce que
bodrome », ou lors de son exposition « Solar
figures et portraits ; la scène oscille entre
j’essaye de faire dans mon travail plastique.
Drums » à la galerie Alain Gutharc, les œuvres
berceau des origines et « souvenirs du futur ».
Quand j’imagine une peinture, que je pense
picturales de Raphaël Barontini déploient et
Les fragments du compositeur Sun Ra associés
une installation, je suis à la recherche de
affichent une statuaire remixée, royaumes
au générique de « Général Patton » ou aux
rythmes visuels, de rapports de couleurs pour
exotes retrouvés et attelages iconiques de
saccades psychédéliques sourdes, animent
que le spectateur soit happé. Les sons de Mike,
cultures premières et post pop.
comme une orchestration hollywoodienne
cette musicalité grouillante, urbaine et élec-
l’atmosphère picturale et affirme ce raffine-
tronique viennent alors enrichir la poétique
Glissant est affirmée par Raphaël Barontini
ment d’un savant et parfois brutal jeu de
que je tente de mettre en place, ils envahissent
comme un montage permanent,
montage d’équilibres, cacophonie cosmique
mon installation et emmènent le spectateurs
peinture sous sérigraphie, spray sur
d’une harmonique nouvellement trouvée. Là,
dans un ailleurs. Il est important pour moi
figure… « Collector » donc, où le travail
les décors insulaires et statues tournés vers
que l’espace d’exposition s’anime par d’autres
de recomposition fabrique une grande
la mer, vers un espace liquide science fiction-
moyens, le son, la musique en est un.
cohérence selon un exotisme exhaustif,
nel et synthétique reflètent un afrofuturisme
aux échos hétérogènes, aux réinventions
éclatant.
La créolisation pensée par Edouard
MB : Il apparaît, et ce depuis Sambodrome, que vous avez avec Mike Ladd une
et vagues successives. Les dispositifs de
Espace étrange aux perspectives atmos-
présentation des œuvres cultivent une
phériques où la peinture est à la fois écran et
étonnante facilité à dialoguer et même à
proximité avec les cabinets de curiosités,
interstice, d’où sort le son, le spectateur oscille
correspondre - à la façon d’une relation
musées d’étrangetés désensevelies où les
de vibrations analogues en vibrations ana-
épistolaire par médiums interposés – Quels
peintures et objets s’accumulent et rappellent
logues. Alors du fond de la peinture au mur
les murs pleins, fragments suspendus de Joan
des sonorités, la même dimension haptique,
Soane ou d’André Breton, montages vidéos de
mise en orbite, nous sommes stationnés au
Jean Rouch. Peinture d’une cour où les sujets
dessus de Saturne.
sont des chimères, des demi dieux ou des colosses, entre la mort et le pouvoir.
Mathieu Buard, septembre 2015
Les formes totémiques sont cristallisées par l’écriture sérigraphique, sur des fonds
Matthieu Buard : On sent que
« circonvolutoires » entre une lecture digitale
l‘importance de la musique dans ton
et des méandres de voix lactées. L’imposition
travail, la musicalité, est bien plus qu’un
des figures - minérales- trônent à contre jour,
décor ou un fond sonore mais évidem-
le soleil négatif diffuse ses radiations invisibles
ment une source, d’inspiration et sans
mais qui, comme l’affichage en boucle d’un
doute davantage une énergie – une
écran, vibrent sous les néons psychédéliques.
vitalité même ?
Telle une odyssée fêtant le retour de son
Raphael Barontini : Effectivement avant
héros, les formes picturales sont accompa-
d’être plasticien je pratiquais les percussions
gnées de chants ou plutôt de chapelets de
dans un groupe de carnaval et cette énergie
phrases musicales que Mike Ladd, musicien
vitale, essentielle, que me procurait cette
new- yorkais, accorde admirablement au
pratique ne m’a jamais quittée. La musique
mouvement et display des œuvres peintes.
a quelque chose de commun, de primitif qui
Correspondance franche des équations
touche d’une manière frontale, corporelle. Et
23
liens, caractères et références communes
références communes
à cette collaboration ? Qu’ avez développé
du passé, sonores
ensemble ? Qu’as-tu envie de développer
ou visuelles. À l’aide
encore dans tes dispositifs ?
du numérique on
RB : Il y a bien des choses qui nous lient.
réorganise, recom-
Déjà ce rapport fort à l’histoire, à ce passé
pose : lui avec des
grave qui lie l’Europe, l’Afrique et l’Amérique et
samples sonores, moi
qui nous sert à réinterroger notre environne-
grâce à des découpes
ment urbain contemporain. Et on le fait de
d’images. Chez
façon romancée, dans « Sambodrome », la
nous le collage et la
scénographie de « Digital Sea Shanties », on
transformation sont
imagine un cadre narratif à destination du
prépondérants.
spectateur. L’autre lien évident est dans le faire, dans la production. Le numérique, est pour
MB : Entre Mad
nous l’outil de la réinvention, de cette réasso-
Max et « Bush » de
ciation de l’histoire, d’un moyen de créer dans
Snoop Dog, tes dern-
le présent. Quand j’ai rencontré Mike Ladd
ière peintures sont
la première fois, c’est sa façon de travailler si
une sorte de vision
proche de la mienne qui m’a marquée. Dans
néo-apocalyptique,
le cadre de nos collaborations, il y a une sorte
mais « soft » ou
de simplicité et de proximité de pensée qui est
douce, où finalement
évidente.
le déluge est passé mais c’est plutôt
MB : Les montages sonores, les montages
atmosphérique, trip halluciné et content
sérigraphiques, le rapport à la programma-
– c’est une vision d’un monde apaisé, une
tion numérique sont pour moi l’affirmation
forme d’anticipation sans drame ?
d’un rapport à la référence émancipée d’une culture haute ou dite classique autant
RB : Oui des collages sans entre deux,
Texte et interview réalisés par Mathieu Buard : professeur ,critique et commissaire Crédits photos : © Raphaël Barontini
conscients et politiques, mais sans violence.
qu’une méthode de collectionneur. C’est ça finalement non, l’idée d’une créolisation globalisée ? RB : Dans notre façon de travailler, Il est sûr qu’Il y a une manière décomplexée d’extraire, de distordre, d’inverser de jouer avec nos sources. Quand je convoque dans une peinture un bout de masque sacré dogon ou un buste antique, c’est un choix esthétique précis qui s’opère. C’est à chaque fois, la beauté, la force de l’image qui me décide à l’utiliser. On est tous deux des archéologues, qui vont chercher de la matière brute dans des
24
Raphaël Barontini
sont mixés avec ceux de la peinture
Par la voix de la créolisation, Raphaël
européenne, de l’art précolombien ou
Barontini (né en 1984) développe un
encore de la statuaire africaine.
monde polymorphe où les références
Né à Boston , Mike Ladd est
s’entrecroisent et se créolisent. Tout en
un rappeur américain, poète,
revisitant et en réinterprétant l’histoire
performeur, adepte du spokenword,
de la peinture (natures mortes et por-
qui réside à Paris depuis plusieurs
traits), il crée des interférences entre
années. Il est également producteur
ce qui est apparemment (et tradition-
au sein de son label Likemadd .Depuis
nellement) séparé et inconciliable :
plusieurs années il collabore avec des
art-artisanat, Orient-Occident, oni-
nombreux artistes sur différents pro-
rique-politique. Les codes du carnaval
jets artistiques .
25
ART TALK
AND WHAT IF WE COULD TOUCH SOUND?
Abigal Celis- All images courtesy of the artist
As an epigraph to a recent exhibition of new works, Jamaican artist Cosmo Whyte cites a line from Frantz Fanon. The line is the following: “Oh my body, make me always someone who questions.” I listened to Whyte’s sound installation, “Wake The Town And Tell The People,” and wondered about that relationship between sound and body. How can an artist create embodied sounds, and what are the politics that emerge when sounds pose questions about the body?
“Wake The Town” is a two hour audio recording of waves crashing on shores in England, Ghana, and Jamaica. The recording pulses out of an imposing wooden wall of speakers, 2.5meters tall. The wall curves back and then crests forward again, like a wave,
“High Tide” C-Print Photograph. 60”x40” 2010
26
“Wake The Town And Tell The People.” Sound installation. 2015
thus taking the shape of the sound it plays.
they, like bad news, still travel fast. They are
from different time periods coexist in a single
Whyte mixed the recordings in his Michigan
mobile creatures, rippling through the air as
device, though not necessarily appearing in
studio and built the stereo wall with his uncle,
we rip it on the dance floor. Recorded sounds,
chronological format.
who came from Ghana by way of NY and
in particular, travel far and wide. A recording
Jamaica to help him design and construct
can travel from one device to another, make
construction, sound blasts through the mega-
the wall. The sound of waves were likewise
leaps in time as it is converted into different
phone at the stall of a vendor in a market
originally recorded during a journey, a journey
technological formats. It can be sampled,
town in Ghana as easily as it does in the artist’s
that Whyte took as he traced the patterns of
mixed, mashed-up. In Jamaican dub, a particu-
studio in the icy months of a Michigan winter.
movements that have shaped the African dias-
lar beat is “owned” by the artist that makes the
In other words, sound is mobile. It belongs
pora as we know it today. He laid the recorded
most popular interpretation of it, not necessar-
everywhere, and with the right technology,
tracks on top of each other, creating a gritty,
ily by one that first recorded it.
is not beholden to any place. Perhaps that is
discordant interpretation of what could have
We see hints of this free-flowing facet of
Regardless of its seemingly illogical
the frame through which we can think about
been a rhythmically soothing testimony of
sound in Whyte’s installation “Say It Loud,”
diasporic identity as well: as a, to quote Whyte
place.
which is comprised of a shortwave radio
himself, “spatial fraction [that] allows the
The sound installation, in other words,
with a megaphone mounted on top of it as
postcolonial subject to co-exist in multiple
emerged first out of a transnational crossing.
a speaker. As if this were not already curious,
locations.”
It was the movement and labor of bodies that
the device has a tape deck and a USB input,
brought the sounds bites together and built
but no CD player. Whyte describes this as an
and it is one that Whyte’s work invites us to
the material object that broadcasts them.
ontological leap in technology. The device,
consider at first listen. And then, this celebra-
I bring this up because we tend to think of
which is fabricated in China and sold in
tory and liberatory proclamation slowly
sound as a disembodied entity, something
Ghana, practices the disparities in the “logical”
begins to question itself as it questions us,
exterior to the body even if it has emotional
development of technology. One would
the listeners. The “Say it Loud” found object is
resonance. Speakers emit sounds; a sigh
expect technological progress to result in
paired with a 30-minute mix titled “Stranger
escapes our mouths. Sound moves in waves,
the disappearance of older formats; records
Than a Village” that Whyte created by laying
science tells us, and though these waves may
replaced by tapes replaced by CDs replaced
excerpts of lectures and interviews by famous
not move with as hurried a pace a lightwaves,
by mp3 files. Instead, in “Say It Loud,” formats
black intellectuals over a chop and screw
27
This could certainly be a viable argument,
version of “You Don’t Love Me (No No No),”
means, Baldwin tells us, is to grow up watch-
Whyte in 2015 is more than an intellectual
a well-known dub track by Dawn Penn. Over
ing the corpses of other black boys and girls,
lineage. It is how they each acknowledge
the beat and chorus, we hear the voices of
too young to be anything but innocent, pile
the shared vulnerability of the body in their
James Baldwin and Stuart Hall each working
up around you.
artistic work. Whyte initially performed a piece
through their definitions of blackness, identity,
I think of this as I listen again to Whyte’s
diaspora… the questions that echo still today.
crashing waves in “Wake The Town and Tell
the “Stranger Than The Village” mix in which,
Notably, the first excerpt on Whyte’s mix is
The People.” It is the same ocean water that
dressed in a black suit with a photograph of
the opening remarks of a 1969 documentary
laps against the shores of the three coun-
Baldwin pinned on his back, he balanced the
film titled “Baldwin’s Nigger.” The film is a con-
tries—Ghana, England, Jamaica—where
megaphone on top of his head. The goal of
versation between Baldwin and Dick Gregory,
Whyte recorded the sounds. Through the
the performance was to play the 3-minute
held at the West Indian Student Center in
overlaid sound of water he places himself
track in its entirety before losing balance of
London, in which they discuss the Civil Rights’
concurrently on each of those shores. It is also
the megaphone. An impossible task, it turns
Movement and relate the black experience in
the same ocean water that once carried slave
out. The performance can be read as an exten-
America with that of the Caribbean and Great
ships from the shores of Ghana to ports in
sion of an earlier photographic work by Whyte
Britain. Baldwin begins the conversation with
Great Britain, the Caribbean, and beyond. The
called “High Tide,” in which the same suit-clad
an anecdote about meeting a West Indian
distinct locales and the trans-Atlantic passages
figure sinks in shallow waters. Over a dozen
man in London. This man, black as Baldwin,
that unite them are the frame of reference
ties are wrapped around his neck and his arm
finds the answer that Baldwin gives upon
through which Whyte has learned what it
are raised up as if he fell backwards at the very
being asked “Where are you from?” utterly
means, for him, to be black on each of these
instant of raising up his hands.
lacking. I was born in Harlem, Baldwin insists
shores. This he samples and mixes with the
repeatedly, as the man with his own impatient
past decade of experiences in North America.
insistence, asks, But before that, where were you
If Baldwin’s formative crucible was New
born?
with “Say It Loud” and a 3-minute version of
Taken together, Whyte’s sound installations and the performance pieces and photographs that supplement them sum-
York City, Whyte’s crucible has been much
mon us as listeners to witness the precarious
wider in diameter, and its cacophony is
balancing act of being black. No matter how
Whyte’s sound mix moves on after the punch
evident in the array of sounds, readings, and
many distant shores one could claim as home,
line, it is worthwhile to note how Baldwin uses
music woven through Whyte’s oeuvre. In
one is easily cast in the role of a stranger, of
the anecdote in his larger reflections. Baldwin
fact, the different sounds pieces reverberate
being from somewhere else even before they
points out that not knowing where one is
within each other. The title “Wake the Town
were born. This outsiderness, while giving
from “before birth” is a common experience
and Tell The People,” comes from the open-
great expanse to the intellectual imagina-
for African Americans, because the institution
ing line of “You Don’t Love Me,” the track that
tion, nevertheless puts the body at risk.
of slavery was intentionally organized so as to
provides the structure for the “Stranger Than
“The news of the day (old news, but raw as
divide those who had shared linguistic and
The Village” mix. That title is itself a distortion
a fresh wound) is that black American life is
familial backgrounds. Baldwin cannot trace his
of a famous Baldwin essay’s title, “Stranger
disposable from the point of view of policing,
lineage back in time to a place of origin; what
In The Village,” about a stint in the small
sentencing, economic policy, and count-
he does instead is build and define a present
town of Leukerbad, Switzerland. Interest-
less terrifying forms of disregard. There is a
black consciousness that is at once transna-
ingly, Nigerian-American author Teju Cole, in
vivid performance of innocence, but there’s
tionally resonant while remining grounded in
2014, “remixes” this essay by making his own
no actual innocence left,” writes Cole in his
a local frame of reference. I don’t know how you
journey to that same town and reading his
remake of “Stranger In The Village.” Wake the
discover what it means to be black in London,
experience there through the lens of Baldwin’s
town, Whyte’s work proclaims, and tell the
Balwin says in his lecture, But I know what
original essay.
people to be innocent is not to be a bystander.
While the story begins as a joke and
it means to be black in New York. What that
28
And yet, what unites Baldwin in 1969 and
Abigail E. Celis: Doctoral Candidate | University of Michigan |
Cosmo Whyte was born in St. Andrew, Jamaica in 1982. The
Ann Arbor
Jamaican born artist attended Bennington College in Vermont
Romance Languages and Literatures ,African Studies Program ||
for his Bachelor in Fine Arts, Maryland Institute College of Art
Museum Studies Program
for his Post-Baccalaureate Certificate and University of Michigan for his MFA. In 2010 he was the winner of the Forward Art emerging artist of the year award. He has been in a number of
WORKS CITED
exhibitions including the 2013 Forward Arts Foundation Artist of the year Retrospective Atlanta, GA, 2012 “Outward Reach: 9
Whyte, Cosmo.
Jamaican Photography and New Media Artists”- Art Museum of
“Stranger Than The Village” Sound performance piece. 2015
the Americas- Washington, DC, 2011 “African Continuum” at the
“Say It Loud.” Megaphone with short-wave radio. 2015
United Nations Gallery in New York, 2011 Mover and Shaker show at Museum of Contemporary Art Georgia and the 2010 and 2014
Baldwin, James. “Stranger in the Village.” Notes of a Native Son. Boston: Beacon Press, 1955; 1984. 159-75. Cole, Teju. “Black Bodies: Rereading Baldwin’s “Stranger in the Village.” The New Yorker. August 19, 2014. Web Access. Baldwin’s Nigger. Dir. Horace Ové. Infilms, 1969.
29
Jamaica Biannual.
ART TALK
THE GHOST OF KARL MARX IS A CHOIR OF IMMIGRANTS
By Lotte Løvholm
Emeka Ogboh, Song of the Germans, Venice Biennial
Issues of migration and xenophobia are urgent in Europe. Philosopher Jacques Derrida once asked how to welcome a ghost, more precisely the ghost of Karl Marx. This article asks how welcoming Marx helps us welcome refugees crossing European borders in this very
30
moment and it will look for answers in the sound installation “The Song of the Germans” by Emeka Ogboh. Coming back to Copenhagen, Denmark,
have not, I was met by press photos of refugees mainly from Syria walking on the Danish highways trying to reach our neighboring country Sweden as they did not feel welcome in Denmark. This perception of Danish society as an unfriendly passage was validated with a photo of a Danish man on a bridge spitting on
after having heard philosopher Achille
the refugees passing the highway underneath
Mbembe talk at GIBCA Biennale in Göteborg,
him. The Danish art collective SUPERFLEX’
Sweden, about movement diagnosing the
poster: “Foreigners, please don’t leave us
future as an age of apartheid separating those
alone with the Danes!” (2005) has never been
who have the ability to move from those who
as widely shared on social media as this past
month. This year’s Venice Biennale has a persistent soundscape: the sound comes from a tower full of graceful voices in Emeka Ogbohs
that invites the audience to sit down and listen
ing our present times. And however desperate
to the narrative of the sovereign national state
it might seem with readings of Karl Marx’ Das
being rephrased.
Kapital in the midst of champagne chitchat
Philosopher Jacques Derrida says in
and art money at the current Venice Biennale
installation “The Song of The Germans”.
Specters of Marx: “It is necessary to speak of
it was an insistent reminder of his presence.
Inside a hexagon tower on the harbor front
the ghost, indeed to the ghost and with it,
And we do need to welcome this ghost in
at Arsenale in Venice, Italy, the recordings of a
from the moment that no ethics, no politics,
order to welcome those refugees on our
choir singing the German national anthem in
whether revolutionary or not, seems pos-
highways. Derrida welcomes a ghost with an
the languages Igbo, Bamun, Kikonga, Yoruba,
sible and thinkable (..,.)” (Derrida 1993: xviii).
anticipating attitude as if the ghost has been
Douala, Sango, Lingala, More, Twi and Ewondo
Karl Marx is one of those ghosts appearing
expected, like a guest. A first step could also
are playing. Ogboh worked with a choir con-
in this book written right after the fall of the
be to sit down and listen to unfamiliar tongues
sisting of African immigrants based in Berlin,
Berlin wall. The specter or ghost is appear-
sing a too familiar tune.
Germany, for this piece, and he asked each
ing because it is the end of history: liberalism
member of the choir to translate the German
has conquered and Marx is definitively dead.
Lotte Løvholm is an independent
national anthem to their native tongue, and
Derrida welcomes the ghost of Marx to haunt
writer and curator based in Copenhagen.
then recorded them signing the translation.
however not as a father of communism as
She worked on the production for Emeka
much as a philosopher of responsibility and
Ogboh’s “The Song of the Germans” at
for his spirit of radical critique.
Venice.
“The Song of the Germans” gives the audience an intimacy towards the different voices
Following the streams of refugees mak-
in the same way as Janet Cardiff’s piece “The
ing their way through Europe philosopher
Slavoj Žižek note
Forty Part Motet” (2001) where each choir
Slavoj Žižek remarked that the essence of
http://inthesetimes.com/article/18385/
member have their own speaker making it
the European refugee crisis is not xenopho-
slavoj-zizek-european-refugee-crisis-and-
possible for the audience to get close to and
bia but global capitalism in the article “We
global-capitalism
move between the different voices. Ogboh’s
Can’t Address the EU Refugee Crisis Without
piece is presented in a cappella starting with
Confronting Global Capitalism” (In These Times,
a solo that builds up to a dectet and the lyrics
9.9.15). In Žižek’s lash at global capitalism and
are the center of this piece; lyrics that few of
call for national sovereignty to be radically
the biennale audience can understand which
redefined the ghost of Marx is yet again haunt-
create an intimacy yet estrangement making the audience become familiar strangers. Ogboh’s piece for the Venice Biennale addresses anti-immigrant reactions in Europe through the heavily loaded German anthem. In a country where patriotism and nationalism is only on display during world cup, the German national anthem has undergone changes and the third chorus of the original is the only chorus in use since the renunciation of East and West Germany. The translation of the lyrics of this anthem that encloses the dark side of national identity is a strong gesture
31
Emeka Ogboh, Recording at P4 Studio, Berlin, 2015. Courtesy of the artist.jpg
ART TALK
© Glenn Ligon; Courtesy of the artist, Luhring Augustine, New York, Regen Projects, Los Angeles, and Thomas Dane Gallery, London
PAR-DELÀ LE BUREAU DES PLAINTES Que nous apprend la réception de la 56e Biennale de Venise ? Vanina Gere
Ce billet a trouvé son origine dans un sentiment subjectif de malaise et une impres-
« politique », quelle serait la place de cet exercice laborieux, voire franchement scolaire ?
sion de déjà -entendu face aux récriminations contre la Biennale dirigée par Okwui Enwe-
et rendent invisible le maintien des privilèges.1 » La violence des propos de Lord ne le cédait en rien à celle des récriminations contre
Voici ce que écrivait l’artiste et curatrice
cette Biennale conçue comme un « collectif
zor. Les lignes qui suivent ne proposent pas
américaine Catherine Lord suite au rejet
de cultures » par sa commissaire principale,
une énième critique de la 56e Biennale de
virulent de l’une des Biennales les plus mal
Elisabeth Sussman. Inscrite dans une
Venise, mais plutôt, à la sorbonnarde (au sens
accueillies en son temps, la Biennale du Whit-
démarche d’ouverture et de mise en question
rabelaisien du terme), un commentaire de ses
ney Museum of American Art de 1993 :
du monde de l’art établi, la Biennale de 1993
commentaires, une critique de sa réception critique. Quel serait l’intérêt d’une explication de
« … Ce qu’il y a de beau dans la critique d’art, et c’est peut-être uniquement ce qui la
soi-disant minorités (raciales, sexuelles),
sauve et lui permet de se hisser jusqu’à une
alors déjà établi-e-s ou en émergence.2
quelconque transcendance historique, c’est
1 Lord dans Catherine Lord et Charles Gaines. The Theater of Refusal: Black Art and Mainstream Criticism. Irvine: Fine Arts Gallery, University of California, Irvine, 1993, p. 24. Toutes les traductions sont réalisées par l’auteure. 2 Parmi lesquels : Glenn Ligon à Janine Antoni, en passant par Coco Fusco, Robert Gober, Gary Simmons, Zoe Leonard, Sophie Calle, Fred Wilson, Trinh T. Minh-ha,
texte en règle des articles et propos sur la
qu’elle permet une pénétration lubrifiée dans
manifestation culturelle vénitienne ? Dans la
l’inconscient de la norme culturelle, ainsi que
logorrhée de l’exégèse sur cette biennale très
dans les mécanismes qui produisent, perpétuent,
32
représentait de nombreux artistes issus des
Thelma Golden, alors curatrice au Whitney
toute une décennie d’art engagé, notamment
surnommer cette édition de la Biennale « Le
et impliquée dans le projet, fit remarquer
autour des luttes d’ACT-UP contre l’aveugle-
Bureau des plaintes ».6
ultérieurement qu’avant 1993, aucune
ment volontaire, le mépris, l’homophobie
Biennale du Whitney n’avait compté plus de
et le racisme des institutions politiques et
Biennale suivante organisée par Klaus Kertess
deux artistes de couleur à la fois.3
religieuses face à l’épidémie du SIDA.
qui prônant dans son essai du catalogue
L’ambition consistait également à donner
Deux ans plus tard, à l’occasion de la
La Biennale représentait donc un effort
« l’ambiguïté et la sensualité » comme princi-
un panorama cohérent de pratiques artis-
marqué pour montrer que l’art américain
pes suprêmes de la réception et la création
tiques politiques par leur anti-esthétisme,
était devenu socialement, culturellement et
artistiques – le retour à la beauté sonnait
et vice-versa. Sussman décrivait elle-même
politiquement pluriel. Elle fut mal reçue. Si
comme un retour à l’ordre – la Biennale de
l’exposition comme « un non-site sinistre
des personnalités progressistes du monde
1993 fut pourtant saluée pour sa radicalité, par
et chaotique marqué par l’affaiblissement,
de l’art comme Lucy Lippard lut dans l’ac-
opposition à l’édition de 1995, pas assez poli-
l’anomie, la colère, le trouble, la pauvreté,
cueil glacial de cette Biennale le signal d’un
tique.7 Presque vingt ans plus tard, le critique
la frustration, et l’abjection (…) un no man’s
désintérêt généralisé pour l’art politique, Lord,
d’art Jerry Saltz prenait encore la Biennale de
land. » Elle convoquait la fin des années 1960
plus radicale, y voyait une panique agres-
1993 en exemple : bref, la Biennale multicul-
et les années 1970 comme modèle de la
sivement défensive de la part des critiques
turelle et politique était devenue un exemple
coïncidence entre le refus des « signes d’un art
« établis » désemparés face à des propositions
à suivre.8
réussi : originalité (…) cohérence de la forme »,
et prises de positions d’artistes jusque-là
et le refus délibéré de l’autorité artistique,
construits comme des « Autres », au vu de
mais pour situer ces refus dans la spécificité
leur orientation sexuelle, race, sexe, classe.
dirigée par Okwui Enwezor. Toute ressem-
de la politique de l’identité, caractéristique du
Et Lord qualifiait l’incapacité des critiques à
blance entre les critiques négatives contre la
début des années 1990.4
envisager les œuvres montrées à la Biennale
Biennale de 1993 et celle de 2015 est-elle pure-
Le contexte artistique américain était
sous un autre angle que celui de leur « qua-
ment fortuite ? Que faut-il entendre dans les
alors marqué d’un côté par l’écroulement au
lité » comme un « manque d’imagination ».
nombreuses accusations de « politiquement
début des années 1990 du marché de l’art
En d’autres termes, l’incapacité à sortir de
correct » contre All The World’s Futures ?
inflationniste, reposant sur un système de
positions formalistes censément apolitiques
Que faut-il lire dans les déplorations contre
stars, qu’était le marché des années 1980. Cet
révélait le racisme, le sexisme et l’homo-
l’absence de « joie », « d’espoir », etc., etc., de
écroulement avait d’ailleurs permis à des artis-
phobie structurels d’une société encore peu
cette Biennale ?
tes moins connus d’intégrer le marché établi :
encline à faire de la place à toutes celles et
Si les termes que nous avons énoncés plus
les artistes issu-e-s des soi-disant minorités
ceux qui étaient en-dehors de la norme –
haut ont souvent été employés à propos de la
sociales coûtaient moins cher. Dans le sillage
blanche, hétérosexuelle, masculine, de classe
Biennale de Venise, il serait absurde d’établir
de cet affaissement du marché, forte était la
moyenne/supérieure.
une comparaison strictement formelle
réaction contre le positionnement conserva-
5
Outre l’argument-massue du soi-disant
Revenons-en à la 56e Biennale de Venise
entre sa réception et celle de la Biennale du
teur de certaines stars des années 1980 (qui
manque de « qualité » des œuvres, les accu-
Whitney. Tout d’abord, parce que la nature
s’était traduit par le retour à la grande peinture
sations qui revinrent le plus fréquemment
et la forme de la critique d’art ont changé,
et la médiatisation de postures artistiques
furent les suivantes : l’exposition était (entre
ainsi que les manifestations de ce que Lord
héroïques dans une décennie politiquement
autres) : politiquement correcte, pratiquant la
nommait « l’inconscient culturel dominant » :
et socialement conservatrice). D’autre part,
victimisation glamour, dépourvue d’humour,
le contexte était celui de l’aboutissement de
d’ironie, de plaisir ou de beauté ; trop théo-
Nancy Spero, Andrea Fraser, Cheryl Dunye, etc., etc. 3 Golden, op. cit., p. 63. 4 Elisabeth Sussman, et al. 1993 Biennial Exhibition. New York: Harry N. Abrams, 1993. Cat. d’exp. Whitney Museum of American Art. Biennial Exhibition 1993, p. 54.
33
rique, trop intellectuelle, trop déprimante et déprimée. Un critique était allé jusqu’à 5 Lord dans Lord et Gaines, p. 26.
6 Robert Hughes, « A Fiesta of Whining », Times Magazine, 22 mars 1993. 7 Klaus Kertess, 1995 Biennial Exhibition. New York: Harry N. Abrams, 1993. Cat. d’exp. Whitney Museum of American Art. Biennial Exhibition 1995, p. 19. 8 Jerry Saltz, « Jerry Saltz on ’93 in Art, » New York Magazine, NYMag.com, 3 février 2013, http://nymag.com/ arts/art/features/jerry-saltz-1993-art/. Dernière visite le 27 octobre 2015.
pour y avoir pleinement accès aujourd’hui,
exemple que des critiques prompts à balayer
au-delà des apparences n’est jamais plaisant
il faudrait également consulter les comptes
certaines propositions d’un revers de main
– que l’on songe à l’esclavagisme contempo-
tweeter, les timeline de Facebook, etc.
n’abordent pas les détails du projet. Ainsi, Das
rain qui met du chocolat et du sucre dans les
Kapital Oratorio est fréquemment présenté
gâteaux, de l’intelligence dans les téléphones,
dans la production et la réception artistiques,
comme une proposition d’Enwezor, alors
des chaussures de sport dans les placards.
ainsi que la circulation des œuvres et des
que le projet est né en collaboration avec
Rabat-joie, la Biennale l’est aussi par
artistes a profondément évolué depuis le
Isaac Julien. S’il est légitime de mettre en
une « intellectualisation » excessive.
début des années 1990.
question la relation entre la forme de la pièce
Critique qui émane apparemment aussi
et le texte de Karl Marx, il paraît moins justifié
des collectionneurs.12 Encore une fois, cf. la
Pour surprenant qu’il paraisse, ce parallèle
de s’en charger sans avoir analysé cette pièce
réaction contre la Biennale du Whitney, « trop
entre la réception critique des deux biennales
dans son intégralité. Il ne s’agit pas d’écouter
intellectuelle » – ce qui revient à postuler que
est né de l’hypothèse selon laquelle la France
la lecture des trois volumes du Capital : mais
l’art n’est propre qu’à la contemplation, niant
aurait vingt ans de retard lorsqu’il s’agit de
de prendre en compte tous les éléments de
allègrement une histoire de plus de cinquante
prendre en compte les questions de race, de
l’installation, notamment la vidéo qui accom-
ans de pratiques conceptuelles et post-
sexe/genre – qui s’accompagne du refus de
pagne la lecture, en contrepoint critique à la
conceptuelles. Ce type d’argument masque
les articuler aux problèmes de classe – notam-
lecture du Capital. (Nous aurons l’occasion de
aussi le type d’approches à l’art que Hal Foster
ment dans les arts visuels.9 Ainsi : que nous
revenir sur cette vidéo.)
analysait comme la forme réactionnaire
Par ailleurs, la place du marché mondialisé
dit la réception critique française de la 56
e
10
On rappellera notamment que Das Kapital
du postmodernisme.13 Sous des dehors
Biennale de Venise ; dans quelle mesure est-
Oratorio est mis en perspective, quelques
populistes et anti-élitistes, ce postmodernisme
elle symptomatique des difficultés à penser
salles plus loin, par une vidéo de Julien pro-
recouvre un refus de toute entreprise engagée
les questions de race, de sexe et de classe en
posant une critique de l’exégèse du texte de
de démocratisation exigeante de l’art.
France, notamment dans le domaine de l’art
Marx. (Nous aurons l’occasion de revenir sur
contemporain ?
cette vidéo.)
Le premier niveau des critiques de la
N’oublions pas non plus les traditionnelles jérémiades contre l’absence de beauté,
Strident est le chœur des optimistes déçus
d’humour, de joie, de plaisir, de poésie, etc., etc.
Biennale reflète un manque d’attention aux
qui décrètent cette biennale triste, morbide,
Face à ce type de réaction : Cf. la réponse
œuvres ainsi qu’au dialogue les unes par
mortifère, sinistre, déprimante et déprimée.
magistrale qu’opposèrent Hilton Als et Laura
rapport aux autres proposées par le curateur.
Ici on se rappellera qu’un grand nombre de
Cottingham aux détracteurs de la Biennale du
Il faut probablement l’imputer au manque de
propositions artistiques attestant un point
Whitney :
temps d’envoyés dans une Biennale énorme.
de vue critique face au statu quo (économi-
(Ne soyons pas injustes : la presse anglo-
que, écologique, politique, social, etc.) ont
« Qu’est-ce que la beauté ? », bien qu’elle fût
saxonne aussi est concernée.) On constate par
été reçues par de semblables réactions. Cf. la
maintenue comme critère d’évaluation au pre-
Biennale du Whitney. On les renverra donc à
mier concours de Miss America en 1920, avait
la conclusion de l’excellent article de Pollock :
déjà été évacuée de l’esthétique occidentale,
« S’il y a des critiques qui ont trouvé cette
pour être remplacée par la question « qu’est-
Biennale morose et sombre, il se peut bien
ce que l’art ? ». Mais si la « Beauté » et son
que leurs protestations s’élèvent en réalité
cousin « le Plaisir » sont les ancêtres oubliés
contre les vérités que les artistes sélectionnés
qu’il nous incombe d’exhumer de l’Antiquité
ont voulu présenter. » Il est vrai que regarder
pour les convier à la table de l’art du XXe siècle,
10 Clément Ghys, « Biennale de Venise. Détour vers le futur », Libération, 8 mai 2015 ; Okwui Enwezor interviewé par Massimiliano Gioni, « Okwui Enwezor : All the World’s Futures », Artpress n°422, 2e cahier, p. 4-13. 11 « If some critics have found this Biennale morose and gloomy, they may be merely protesting at the truths that
the selected artists felt compelled to present. » (Pollock, art. cit. Traduction de l’auteure.) 12 Atlantico, « Bilan des lagunes », 17 mai 2015. 13 Voir l’introduction de Foster dans Hal Foster (ed.) The Anti-Aesthetic: Essays on Postmodern culture. New York: The New Press, 1998.
9 On peut citer parmi les causes de ce retard, le modèle d’assimilation à la française et ses idéaux universalistes, volontairement « aveugles à la couleur » (color-blind). Ce modèle, en raison de ce que Toni Morrison aurait qualifié de générosité mal placée, considère tous les individus comme des « hommes »/des êtres humains : ce qui empêche de reconnaître l’existence des inégalités et des discriminations fondées sur la race, par exemple. (Voir Morrison, Playing in the Dark : Whiteness and the Literary Imagination. New York : Vintage Books, 1993, p.9.) Quant aux difficultés à utiliser le prisme race-sexe-classe pour réfléchir aux questions soulevées par les arts visuels, elles se sont parfaitement illustrées au travers du débat mal posé à propos d’Exhibit B, de l’artiste sud-africain Brett Bailey exposé au 104 et à Lyon, où la parole et les écrits d’activistes femmes de couleur furent systématiquement déboutés : trop subjectifs, pas suffisamment experts, trop militants et pas assez universitaires – bref, illégitimes à se prononcer sur une exposition d’art contemporain.
34
11
Dès le début du XXe siècle, la question
alors qu’ils commencent par juger l’œuvre de Pablo Picasso, Jackson Pollock, Andy Warhol et Marcel Duchamp. Si l’on estime que Platon, Burke et Ruskin sont les critiques du jour, il faudrait qu’ils commencent leur conversation à partir de l’urinoir de Duchamp et qu’ils laissent le présent à ceux d’entre nous qui s’y trouvent déjà.14 (Ces trois types de critiques suggèrent enfin que l’exposition d’Enwezor n’a pas été regardée : déprimants, les loufoques Jeux dont j’ignore les règles, de Boris Achour ? Froide, l’élégie de Jason Moran à l’un des
© Jason Moran; Courtesy of the artist and Luhring Augustine, New York.
« culmine » dans une critique acérée par feu
ponctuée de nombreuses performances
clubs de jazz légendaires de Harlem dans
Hall des limites de la pensée marxiste contem-
créées par des artistes que Julien a invités.
STAGED : Savoy Ballrom? Formellement pau-
poraine – surtout dans son refus d’incorporer
Performances qui présentent parfois les
vres, les étonnants tableaux de Lorna Simpson
les paramètres « de la race, du genre, et de
inégalités que Marx passa sa vie à analyser du
et la chaleureuse installation picturale de
l’élaboration de l’identité ». Cette critique se
point de vue même des travailleurs exploités
Chris Ofili ? Prosaïques, les dessins dignes de
conclut par un appel poignant de Hall « à une
– on songe ici à la performance bouleversante
l’absurdité kafkaïenne d’Olga Chernysheva ?)
lecture plus subtile et différenciée du texte »
des chants de mineurs et d’ouvriers, (hommes
que celle qu’en donnait Harvey.17
et femmes), organisée par Jeremy Deller,
Volant un peu plus haut, les « demi-
Broadsides and Ballads of the Industrial
habiles », comme les appelait Pascal. Revenons aux plaintes récurrentes contre le bien-fondé
Espérons aussi que le rappel de Buchloh
Revolution (12 novembre 2015).
de Das Kapital Oratorio, et surtout à l’idée selon
répondra à cette autre critique contre Das
laquelle l’installation fétichiserait le texte de
Kapital Oratorio : à savoir, que Le Capital serait
Marx.15 Revenons à la vidéo déjà évoquée, et
un texte dépassé pour rendre compte des
de Griselda Pollock pour mettre au jour de
qui n’apparaît pas souvent dans la réception
inégalités économiques contemporaines
manière cohérente, juste et attentive, les failles
critique. Elle montre une conversation entre
– un critique lui préfère, par exemple, les
de l’installation de Julien, au vu de sa réelle
Julien et David Harvey, « figure d’autorité sur
ouvrages de Thomas Piketty.18 On en vient à
connaissance du texte de Marx.19
Marx », à l’Institute of Visual Arts de Londres
se demander si les critiques émettant ce juge-
en 2012. Benjamin Buchloh, historien d’art
ment ont vraiment lu l’ouvrage de Marx.
16
qui n’a jamais hésité à dévoiler les contradic-
Et il faut une historienne d’art de la stature
Quant à certains critiques très prompts à pointer les contradictions d’une biennale
On se demande aussi pourquoi ils se
« politique » (sous prétexte qu’en elle-
tions et les limites des artistes les plus célébrés
focalisent de manière quasi obsessionnelle
même la manifestation vénitienne serait
(son essai critique sur les aspirations sociales
sur la lecture du Capital – comme s’il s’agissait
un « bastion de privilège » et attirerait, au
de l’art de Joseph Beuys est particulièrement
de conjurer le spectre qui hante la Biennale
moins pour l’inauguration, tous les puissants
dévastateur), nous rappelle que cet entretien
– alors que ladite lecture est tout de même
du marché de l’art), on leur rétorquera que
14 Hilton Als et Laura Cottingham, « The Pleasure Principled : The 1993 Whitney Biennial », Frieze magazine, 5 mai 1993. 15 Sur le fétichisme, on citera – entre autres – Anaël Pigeat, « Venise: 56e Biennale d’art contemporain », Artpress n°424, juillet-août 2015, p. 14-5. 16 L’INIVA, fondé en 1994, a joué un rôle déterminant dans l’amélioration de la diversité socioculturelle dans les arts visuels au Royaume-Uni, nourrissant son approche de l’art des études postcoloniales, des études culturelles, des études raciales, et des études de genre.
17 Benjamin Buchloh, « Venice 2015. Biennale on the Brink », ArtForum, September 2015, 308-317.) Sur Beuys, lire l’essai de 1980 de Benjamin Buchloh, « Beuys : The Twilight of the Idol, Preliminary Notes for a Critique », in Neo-Avant-Garde and The Culture Industry. Cambridge, Mass. The MIT Press, 2003. 18 Benjamin Genocchio, « Okwui Enwezor’s 56th Venice Biennale is Morose, Joyless, and Ugly », Artnet News, 8 mai 2015 ; JJ Charlesworth, « Playing Politics : JJ Charlesworth on Why Art World Hypocrisy Stars at the 56th Venice Biennale », Artnet News, 7 mai 2015.
35
publier des commentaires lucides sur la compromission de l’art avec son marché dans des organes de presse aussi liés au marché de l’art qu’artnet News, par exemple, n’en est pas moins contradictoire. 19 Griselda Pollock, « 56th Venice Biennale », Art Monthly, p. 20-22.
Et il faut des sages de l’art contemporain
longtemps une reconnaissance de cette
métier de prof de philo une activité artistique
comme Catherine Millet pour reconnaître
ampleur, par exemple Melvin Edwards. Et
conceptuelle » (façon concise de la discréditer
la difficulté toujours croissante éprouvée
c’est à cet égard que commence à s’esquisser
à la fois en tant que philosophe, elle qui reçut
par les curateurs à devoir composer avec la
une spécificité française de la réception de la
son doctorat de philosophie de Harvard en
ploutocratie contemporaine ; ou comme
Biennale.
1981, et en tant qu’artiste) est pour le moins
Pollock, pour saisir la mesure de la résistance
Un article de Télérama affirmait que
problématique. Piper est l’une des artistes
d’un Enwezor aux forces du marché dans son
l’obtention du Lion d’or par « l’Afro-Améri-
conceptuelles américaines les plus influentes
travail.20
caine Adrian Piper », était « peu mérité[e] mais
du XXe et XXIe siècle. Son impact sur des
politiquement très correct[e]».23 L’auteur ne
générations d’artistes américains comme
soulignent la contradiction entre le titre de
daigne pas démontrer comment il arrive à ce
celle de Lorna Simpson, pour ne citer qu’elle,
l’exposition principale, All the World’s Futures,
jugement. Que faut-il comprendre ? Qu’attri-
est comparable à celui de David Hammons,
et l’importance de l’histoire et du passé dans
buer un Lion d’or à une artiste femme noire
comme le soulignait Thelma Golden.
les œuvres et leur sélection.21 Comme le citait
est « politiquement correct » ? Ici encore : cf.
l’artiste Tania Mouraud dans une de ses pein-
la Biennale du Whitney, et quantité d’autres
de sexisme et de racisme inconscients ? Est-ce
tures-textes, « ceux qui ne se souviennent pas
manifestations culturelles, publications, évé-
là que la situation commence à se gâter côté
du passé… ». Bref. Ces critiques complètent la
nements, déclarations émanant et/ou rendant
français ? Probablement non, car on relèvera
déploration du manque de « jeunes » artistes
hommage à des artistes issue-e-s des minori-
aussi des propos surprenants dans le Guardian,
dans cette édition de la Biennale. C’est
tés raciales et sexuelles : dès que la barre des
où l’on lit qu’Enwezor a « sciemment invité
oublier que bon nombre des artistes établis
inégalités commence à être (un petit peu)
autant d’artistes noirs que possible ».24
présentés à Venise en 2015 attendaient depuis
redressée, on trouvera des dominants telle-
Toujours parmi les demi-habiles, ceux qui
22
Ce type de réaction atteste-t-il une forme
Les journalistes français ont rabâché la nationalité d’Enwezor, « Américain-nigérian », « Nigérian », en guise de présentation de ce curateur. Il est tout à fait éclairant de voir quels sont les articles où ce sont ses origines africaines – puisque c’est ce qui est sous-entendu – qui passent avant son activité (actuel directeur de la Haus der Kunst, commissaire de la Documenta en 2002, etc.).25 La nationalité de Massimiliano Gioni, directeur – italien – de l’édition 2013 de la Biennale, apparaissait bien moins souvent. Son jeune âge, toutefois, revenait sans cesse. Abstenons-nous donc des procès d’intention, et mettons cette focalisation excessive sur la nationalité d’Enwezor
© Jason Moran; Courtesy of the artist and Luhring Augustine, New York. 20 Catherine Millet, « Edito : Lire Okui Enwezor »,
ment angoissés à l’idée de n’être plus le centre
Artpress 424, juillet-août 2015, p. 5 ; Pollock, art. cit.
de l’attention qu’ils crient au « politiquement
21 Roxana Azimi et Philippe Régnier, « Le Passé pour seul
correct ». La désinvolture manifestée vis-à-vis
avenir dans les pavillons à Venise », Le Quotidien de l’art
de Piper, laquelle « mena parallèlement à son
n°828, 6 mai 2015, p. 6-7. 22 Pigeat, art. cit. C’est l’un des nombreux exemples.
36
23 Olivier Céna, « Biennale de Venise 2015 : La Cité des dogmes », Télérama, 28 mai 2015.
sur le compte de la nécessité d’une pointe de 24 Cumming, art. cit. 25 On remarquera quand même, et heureusement, des critiques negatives ou mitigées de la Biennale se préoccupant exclusivement du parcours d’Enwezor, notamment Philippe Dagen et Harry Bellet « De l’art, des armes et des larmes à la Biennale de Venise », Le monde, 7 mai 2015 ; l’article de blog de Judith Benhamou, « La Biennale d’art contemporain de Venise : le meilleur et le pire des jeux olympiques de la création actuelle », Les échos, 10 mai 2015.
sensationnalisme dans le presse: la Biennale
manifestation de la « présence africaine » à la
de Joséphine Baker. En 2013, elle réalisait sur
de Venise dirigée par un homme de quarante
Biennale.
le même principe I Am Intact and I don’t Care,
ans/par un homme africain, voilà qui mérite
29
La position française suggère aussi,
qui remporta le Prix de la Fondation d’Entre-
attention. Par ailleurs, les médias anglo-saxons
en creux, une indifférence vis-à-vis de la
prise Ricard, et intégra donc les collections
ont également insisté là-dessus.
question des inégalités de sexe/genre à la
du Centre Pompidou. La série de vidéos fait
Biennale. Aucun article n’a relevé la hausse
aujourd’hui partie d’un projet ambitieux
grand mérite de dévoiler le parallèle implicite
dans la représentation des artistes femmes à
intitulé My Epidemic (a body as public as a book
établi entre « le point de vue géopolitique »
Venise en 2015 (33%), avec un accent mis sur
can be), qui tente d’explorer les limites entre
d’Enwezor et ses « origines nigérianes », celui
la présence des femmes pour les pavillons
l’intime et le public, l’exposition de soi et le
d’Itzhak Goldberg : « C’est croire naïvement
nationaux. De même que l’invitation insuf-
danger lié au SIDA, le tout sur fond de force
qu’il faut être de cette partie du monde –
fisante des femmes à l’édition – très appréciée
références littéraires (Guillaume Dustan).
qu’on s’obstine à nommer « périphérique »
– de 2013 n’avait pas été remarquée en France
- pour considérer que l’art a une fonction
(26%).30 La meilleure représentation des
son étourdissante vacuité (traiter du SIDA et
sociale. » Ces quelques lignes impeccables
femmes a néanmoins été fort remarquée du
du danger de l’intimité avec quelques vidéos
suffisent à mettre au jour les idées reçues vis-
côté anglo-saxon.
entre quelques rideaux sur lesquels sont impri-
En revanche, un article, un seul, a eu le
26
31
à-vis du positionnement artistique d’Enwezor. L’explication de texte prend alors tout son
Le problème de cette œuvre, mis à part
més des textes en anglais de cuisine, qu’on Enfin, sur l’intersection des questions de
entend de surcroît déclamés sur de la « house
sens : elle montre ce que trahit la syntaxe. On
race et de sexe, on pourra évoquer le pro-
rugueuse minimale »33, c’est un peu court),
peut le voir dans la critique (pourtant élo-
blème que pose la réception enthousiaste de
c’est que cette danse en Joséphine Baker n’est,
gieuse, donc bien intentionnée) du journal
l’œuvre de Lili Reynaud-Dewar dans la presse
ni plus ni moins, que du blackface, pratique
française – spécialisée comme non spécia-
historiquement raciste. (Comme le rappelle
lisée.32
en substance la militante LGBTQA antiraciste
La Croix : « Confiée pour la première fois à un Africain, le Nigérian Okwui Enwezor, cette 56
e
édition a pris un tour très politique. »
27
Nous nous permettrons d’exprimer
Pauline Lomami, se rendre noir-e, c’est se
notre perplexité face au projet global de
rendre anonyme, et donc se protéger derrière
Reynaud-Dewar, qui s’est traduit à la Biennale
une identité minoritaire usurpée en toute
uniquement la presse française, les bourdes
par le biais de l’œuvre Small, Bad Blood
inconscience ou cynisme.34) Le projet reposait
selon lesquelles Enwezor serait originaire, non
Opera (2015). En 2011, Reynaud-Dewar avait
à l’origine sur le noir par opposition au blanc,
pas du Nigéria, mais du Niger, voire d’Afrique
commencé une série de performances filmées
comme l’artiste l’a expliqué dans la vidéo de
du Sud. Quant à El Anatsui, il est « africain »
en noir et blanc où elle se mettait en scène,
présentation de cette création pour le Centre
selon Le Point. Ce type d’amalgame des
nue, grimée de la tête aux pieds, dansant
Pompidou : « Le corps maquillé très sombre,
pays d’Afrique subsaharienne est fréquent. On
dans des espaces muséaux ou son atelier, des
on ne sait pas si c’est noir parce que c’est
relèvera également un lapsus prenant pour
mouvements empruntés au chorégraphies
du noir et blanc, mais on suppose que c’est
Plus graves, et cette fois-ci cela concerne
28
exemple un artiste afro-américain comme 26 Itzhak Goldberg, « Le XXIe siècle sera politique ou ne sera pas », Le Journal des arts n°437, 5 juin 2015. 27 Sabine Gignoux, « Tout le bruit du monde à la Biennale de Venise », La Croix, 12 mai 2015. Voir aussi « Okwui Enwezor, the first African curator of the Venice Biennale, is forgoing business as usual by Aattracting artists on the margins of the art world. » Mary M. Lane, « New Venice Biennale Chief Beckons Artists on the Margins », Wall Street Journal, 10 octobre 2015. 28 Patrick Scemama, « Venise 1 : La Biennale politique d’O. Enwezor », La République de l’art, 1er juin 2015 ; Raja El Fani, « Tous les artistes de la redoutable Biennale marxiste de Venise », Inferno, 10 septembre 2015 ; Ingrid Luquet-Gad, « Le Top 5 des expos de la semaine », LesInrocks.com, 8 mai 2015 ; Christophe Ono-dit-Biot, « Orgie d’art à Venise », Le Point, 30 mai 2015.
37
29 Anaël Pigeat dans « Arts plastiques spéciale Biennale de Venise, All The World’s Futures », Arnaud Laporte, La Dispute d’été, 1er juin 2016, France culture.fr, http://www.franceculture.fr/ emission-la-dispute-d-ete-arts-plastiques-specialebiennale-de-venise-all-the-world-s-future-2015-08, dernière visite le 27 octobre 2015. 30 Maura Reilly, « Taking the Measure of Sexism : Facts, Figures, and Fixes », ArtNews, June 2015. 31 Jennifer Higgie, « 56th Venice Biennale », Frieze Magazine, n°172, juin-août 2015, http://www.frieze.com/ issue/review/56th-venice-biennale1/. Dernière visite le 27/10/2015. Pollock, art. cit. 32 Fabrice Bousteau et Judicaël Lavrador, « Le meilleur et le pire de la Biennale de Venise », Beaux-Arts magazine, n° 373, juillet 2015, p. 56-7; Pigeat, art. cit.; Gignoux, art. cit.
noir (…) le corps noir qui danse dans ces lieux blancs, la page blanche, le white cube ».35 Cela revient malheureusement (nous supposons 33 MACON, site web, http://www.case-a-chocs. ch/__internal/info.php?artid=733, dernière visite le 19 novembre 2015. 34 Lomami, présentation au séminaire « Art féministe, féminismes dans l’art », FRAC Lorraine et ENSAD Nancy, à l’Université de Lorraine – Metz, le 19 octobre 2015. Non publiée. 35 Reynaud Dewar in Centre Pompidou, Paroles d’artistes, « Lili Reynaud Dewar », https://www.youtube. com/watch?v=QsF74HYbDII © Centre Pompidou 2014, dernière visite le 27 octobre 2015.
inconsciemment) à reconduire le stéréotype
artiste noire pour représenter la sexualisation
de la création artistique en France ? Aidera-t-
qui associe le corps noir féminin à une sexua-
de l’institution artistique perpétue une longue
elle à décentrer la pensée sur l’art en France,
lité hors normes, excessive, déviante. Pour
tradition de violence culturelle : celle de
et éclairera-t-elle le public et le monde de l’art
« réintroduire du sexe » dans l’espace institu-
l’appropriation par des artistes blancs de for-
français quant à son propre provincialisme ?
tionnel comme elle affirmait vouloir le faire,37
mes et d’œuvres créées par des artistes noirs
Aidera-t-elle à la prise de conscience des
Reynaud-Dewar aurait très bien pu danser nue
(exclues de certains cercles de distribution).
inégalités de race, de sexe et de classe criantes
36
sans maquillage. Qu’on ne nous oppose pas que Rey-
À cet égard la stylisation des mouvements de Baker par Reynaud-Dewar, (qui met en
sur la scène artistique française ? Rien n’est moins sûr.
naud-Dewar a fini par comprendre le poids de
avant sa formation de danse classique lors-
cette référence en introduisant des couleurs
qu’elle évoque le projet et que l’on voit aussi
historiquement moins chargées (bleu) à partir
faire quelques assouplissements de barre
de son exposition au New Museum de New
classique dans certaines vidéos) est caractéris-
York (Live Through That ?! 2014-5), puis dans
tique de l’aseptisation des produits culturels
Lyon, Global Visiting Scholar à New York
l’œuvre présentée à Venise (rouge). Si Rey-
noirs par les artistes blancs, lesquels, lorsqu’il
University (NYU) et agrégée d'anglais,
naud-Dewar a cessé de se grimer en noir, elle
s’agit de piller la culture noire, « prennent tout,
est docteure en histoire de l’art et études
n’en a pas moins continué à s’approprier une
sauf la responsabilité », pour citer la poète
américaines, diplômée de l'Université
identité noire, celle de Joséphine Baker.38 À
Florence Tate.39
Sorbonne Nouvelle Paris 3 (2012). Sa
bien des égards, il est encore plus gênant d’u-
Enfin quand on songe au fait que pour
Vanina Géré, ancienne élève de l’ENS-
thèse de doctorat portait sur l’œuvre de
tiliser du bleu ou du rouge pour représenter
réaliser un projet portant sur les questions de
la plasticienne américaine Kara Walker
la figure de Baker. (En termes d’inconscience,
la contamination, du SIDA, Reynaud-Dewar
(Prix de la Chancellerie des Universités de
c’est du même niveau que les perruques de
ait choisi d’incarner Baker, comment ne pas
Paris 2013). Spécialiste d’art contemporain
fête de toutes les couleurs qui imitent les
songer aux associations racistes régulièrement
américain, V. Géré enseigne l'histoire des
coiffures afro.) Cela redouble la conception
faites entre les femmes noires et le virus HIV ?
arts à l'Ecole Nationale Supérieure d'Art et de Design à Nancy et exerce une pratique
du Noir comme l’Autre absolu de la culture occidentale – en faisant de Baker un alien. Et le
Du succès de ce projet, on retiendra
fait que Reynaud-Dewar convoque l’influence
qu’une femme qui se met nue a plus de
de Sun Ra (donc de l’afro-futurisme et ainsi
chances de rentrer au musée, selon le fameux
de l’espace extra-terrestre) ne change rien au
poster des Guerilla Girls. A fortiori si elle adopte
problème. Qu’une artiste blanche se réclame
une nudité construite comme exotique. À cet
de sources d’inspiration afro-américaines,
égard, la France est effectivement en retard
parfait. Mais qu’elle se mette dans la peau d’une
lorsqu’il s’agit de penser les relations de pou-
36 Voir Sander L. Gilman, « Black Bodies, White Bodies: Towards an Iconography of Female Sexuality in Late Nineteenth-Century Art, Medicine, and Literature », Critical Inquiry, vol. 12, n°1, ‘Race’, Writing, and Difference, automne 1985, p. 204-42. 37 Reynaud-Dewar, int. cit. 38 Et si Baker elle-même réalisait déja ses chorégraphies comme une performance primitiviste artificielle un peu à la manière du blackface, il ne faut pas oublier que son adoption d’une persona exotique reposait largement sur un contexte historique où ses possibilités d’accès à une carrière étaient extrêmement limitées. Dans son pays d’origine, les Etats-Unis encore ségrégationnistes, Baker n’aurait guère pu prétendre à un autre parcours qu’à celui d’une subalterne ; à Paris, Baker ne pouvait guère prétendre à apparaître autrement que comme un oiseau exotique (son numéro en cage dans le film Zouzou en 1934).
38
voir au sein d’un système (en l’occurrence celui de l’art) selon les termes race-sexe-classe. Gageons, comme l’ont avancé certains articles enthousiastes, et ils ont quand même été nombreux, que la 56e Biennale de Venise fera date à l’échelle internationale. Aidera-telle à intégrer mieux intégrer les questions raciales, de genre, de classe, etc., dans l’analyse 39 L’expression « everything but the burden » est reprise par le critique culturel Greg Tate dans l’ouvrage collectif Everything but the Burden : What white people are taking from Black culture. New York : Broadway Books, 2003.
de critique d’art et de traduction d’écrits sur l’art.
Š Jason Moran; Courtesy of the artist and Luhring Augustine, New York.
39
ART TALK
COLLECTIONNER COMME MILITER...
Camille Moulonguet
... Ou l’inverse, cela revient au même pour cet acteur incontournable de la création contemporaine africaine, le collectionneur et homme d’affaires congolais Sindika Dokolo. Avec l’acquisition de la collection de l’Allemand Hans Bogatzke il y a 10 ans, il a entamé une véritable croisade pour que les pays d’Afrique soient un lieu actif et conscient de leur art contemporain. Sindika Dokolo, détient aujourd’hui la première collection africaine privée, d’art contemporain. En 2005, il crée sa Fondation, il est à l’origine de la première Triennale de Luanda en 2006 et du premier Pavillon africain à la Biennale de Venise en 2007. En 2015, il annonce vouloir récupérer les œuvres du continent africain acquises illégalement sous peine de poursuites pénales. Il a ainsi mandaté une équipe de chercheurs et de spécialistes, chargée d’identifier ces pièces dans des collections personnelles et sur le marché de l’art. Il propose ensuite aux propriétaires l’alternative suivante : lui revendre les œuvres au prix d’achat ou des poursuites judiciaires, avec un procès pour vol. Justicier, amateur d’art, activiste, stratège, mégalo … ce jeune collectionneur, guidé par sa passion amasse les œuvres, et c’est pourquoi Afrikadaa a essayé de comprendre…
40
Sindika Dokolo, © Miguel Nogueira courtesy of Fundação Sindika Dokolo.
Lifeline / Discoloured (1999) © Berni Serle, courtesy of the artist and Fundação Sindika Dokolo
Camille Moulonguet : Dans cette expo-
de l’art, pour moi on ne peut jamais faire de
de l’oeuvre. La question de la valeur est une
sition il y a des œuvres de Seydou Keita qui
l’art à son insu! De mon point de vue, l’oeuvre
question à laquelle le monde de l’art va être
jouxtent des œuvres de jeunes artistes aux
de Seydou Keita est importante car il me sem-
confronté de plein fouet. Quels sont les piliers
approches très contemporaines, y a-t-il un
ble indispensable que ma collection comporte
de l’établissement de la valeur d’une oeuvre?
fil conducteur ?
des points de repère, des points d’appui pour
Je veux m’engager dans ce débat en ayant
les jeunes artistes du continent. Si certains
une toute autre approche de cette question
y’a une polémique qui agite le petit monde
d’entre eux souhaitent se référer à ce qui a été
par rapport aux artistes et aux oeuvres que
de l’art contemporain africain à propos
fait avant, ils peuvent le faire en puisant dans
je valorise. Pour moi une valeur cela se crée
des œuvres de Keita. C’est une querelle de
cette collection.
de l’intérieur pas de l’extérieur, il n’y a pas
Sindika Dokolo : C’est drôle parce qu’il
fossoyeurs entre Jean-Marc Patras et André Magnin.... Á qui appartient Seydou Keita?
d’autres paramètres. Les buzz, les trends, Lorsque vous achetez une oeuvre,
les effets d’annonces et de marketing, ce
Montrer des œuvres de Keita dans cette expo-
comment faites vous pour reconnaitre sa
n’est pas solide. Dans cette collection, je me
sition c’est aussi une manière de dire : nous
valeur ?
suis vraiment engagé à ne céder à aucune
aussi nous sommes là ! La reconnaissance de
Quand j’aime un artiste, c’est pour sa
esbroufe.
la photographie africaine est passée au départ
capacité à créer un vocabulaire dans un
par une lecture un peu exotique qui me
univers propre. Il vous invite dans un monde,
dérange car ce que l’on reconnaissait c’était la
un environnement qui est le sien. Il y parvient
fraicheur du photographe, sa méconnaissance
à l’aide d’une technique et la maitrise de
de l’histoire de l’art, sa naïveté. Cette posture
ce langage est très importante. Et puis la
qui constituent ma collection. Je n’en ai
infantilisante ne correspond pas à ma vision
seconde chose, c’est l’énergie qui se dégage
aucune idée. J’ai des négatifs par milliers, alors
41
Combien y a-t-il d’œuvres dans la collection ? Je ne regarde jamais le nombre d’œuvres
quelle est la valeur d’un éventuel dénombre-
collectionne, ce sont des artistes qui ont
exactement à l’inverse. Je vois combien c’est
ment? Le nombre n’a pas de sens pour ce qui
la prétention de s’engager dans le débat
fondamental et combien c’est au centre du
est d’une collection, l’idée de l’entassement
et qui ont pour ambition de changer le
débat. Défendre ces approches là, ce sont nos
est contre-productive. Elle m’empêche d’aller
monde, changer la condition dans laquelle ils
champs de bataille au quotidien.
où je veux aller. Ma collection est un outil
sont. C’est cela qui fait la spécificité et la force
que j’utilise pour faire quelque chose, ce n’est
de la création contemporaine africaine par
pas une fin en soi. Faire cette collection c’est
rapport à l’art contemporain en général. La
un levier qui me permet d’être opérationnel
plupart des œuvres aujourd’hui sont plus liées
intelligentes sur le continent africain par le
dans mon contexte africain, au tournant de
à des questions esthétiques et à des questions
biais de la culture? Pour moi cela fait partie
ce siècle grâce à des artistes qui font vraiment
en rapport avec l’histoire de l’art plutôt qu’à
des questions qui sont déterminantes. Ce
avancer le débat et qui sont sous-utilisés,
l’actualité. C’est un peu comme si le monde
qui est en jeu ici, c’est comment arriver à
sous-entendus. Je veux absolument les mettre
de l’art évoluait en vase clos. Un de mes amis,
se projeter dans ce siècle comme des vrais
Pourquoi vous être engagé dans la culture ? Comment arriver à créer des dynamiques
hommes pas comme des sous-hommes, pas comme des sous citoyens, mais comme des gens qui n’ont pas de complexes, qui ont une bonne image d’eux-mêmes et qui sont le centre de gravité de leur propre pensée. Que pensez-vous de la pratique de l’ artwashing qui consiste à redorer le blason d’une entreprise ou d’un homme par des investissements dans le domaine de l’art ? Moi j’ai toujours trouvé que l’intérêt porté à des œuvres d’art ou à des artistes est le bienvenu. C’est important de sortir la création contemporaine de sa petite alcôve, de The Diary of a Victorian Dandy (1998) © Yinka Shonibare MBE, All Rights Reserved, 2015
sa petite boite, pour aller vers les gens peu importe la motivation. En ce qui me concerne
à l’avant-scène pour garantir une pertinence
m’a déclaré un jour: « ce qui me dérange avec
par exemple, je ne vais pas dire que je ne
dans un débat qui est par nature complexe et
l’art africain, c’est que c’est anecdotique. » Je
suis pas content d’être pris pour quelqu’un
que la simple analyse à froid ne permet pas de
ne l’ai pas pris comme une agression, mais
de cultivé et d’intéressant plutôt que pour
résoudre.
j’ai trouvé intéressant de comprendre ce qu’il
quelqu’un de malhonnête, véreux et inculte.
était en train de me dire. De son point de vue
Évidemment c’est plus agréable que l’on me
parce que tu essaies de t’engager dans un
parle de ma vision du monde plutôt que l’on
message qui a une finalité sociale, parce que
commence à mettre forcément en doute ma
tu t’inscris justement dans un débat qui a
légitimité à aborder ces sujets et ces ques-
qui se souvient de l’avenir » et cette cita-
vocation à intervenir dans la vie des gens, tu
tions. Le fait qu’une société investisse dans
tion, trouve tout son sens chez de nombreux
deviens « cul-cul » , tu ne prends pas assez de
l’art contemporain, peu importe si c’est bien
artistes dans la contemporanéité africaine. Ce
hauteur, ou encore tu es trop contextuel. Je ne
ou si c’est mauvais pour son image, ce que je
que je recherche parmi les artistes que je
porte pas de jugement la dessus mais je le vis
constate c’est que du point de vue de l’art, cela
Qu’est-ce que vous recherchez chez un artiste ? Jean Cocteau qui dit: « le poète c’est celui
42
permet à des artistes de produire, de se montrer,
africain. Je pense qu’il y a un côté un peu «feu
peuvent apporter sur les grands sujets
d’être vus et donc cela participe positivement au
de paille» à toute cette émulation. Et puis c’est
d’actualité ?
monde de l’art. Je suis assez pragmatique de ce
vrai que l’Europe a une relation très intime avec
Il y a des thèmes qui reviennent, qui sont
point de vue là et j’aime la perspective anglo-
l’Afrique mais en même temps ils n’ont pas une
particulièrement pertinents dans le contexte
saxonne de la question. Ce qui est important
image de l’Afrique qui correspond vraiment à
africain des questions d’identité, des questions
c’est ce que cela nous permet de faire. Le monde
ce qu’est le continent aujourd’hui. Il y a plein
de liberté et des questions de société, de sexu-
de l’art fonctionne de toute façon sur une base
de gens qui sont venus pour voir l’exposition,
alité, de morale. Et puis ce que j’aime bien c’est la
d’argent qui avoisine le niveau zéro de la pro-
qui rentraient dans l’espace et qui en ressor-
manière dont les africains abordent des thèmes
preté. C’est l’industrie qui est approvisionnée par
taient en disant: «non je cherche l’exposition
universellement contemporains. L’Afrique
l’argent le plus puant et le plus dégueulasse qui
d’art africain» ! Pour beaucoup de visiteurs, cette
d’aujourd’hui n’est pas l’Afrique d’il y a dix
existe à la surface de la planète. Alors pourquoi
exposition a été une manière de découvrir des
ans, encore moins l’Afrique d’il y a vingt ans.
aller épingler telle ou telle société en particu-
aspects de la contemporanéité africaine et cela
On a changé avec une telle vitesse ! Ce qui
lier ? Et puis quoiqu’il en soit, les gens gardent
a servi à saper complètement les idées reçues
m’intéresse aujourd’hui c’est de comprendre, à
quand même leur libre arbitre et l’image d’une
qu’ils avaient sur l’Afrique. Dans le dialogue qui
travers le travail des artistes comment l’Afrique
personne ou d’une société n’est pas manipula-
s’installe entre l’Afrique et ses partenaires, le pre-
se rapporte au reste du monde. Notre regard est
ble à l’infini.
mier truc à faire, c’est casser les idées reçues. Les
plus pertinent sur la question chinoise qui est
artistes contemporains africains ne vous diront
une question globale et on est beaucoup plus
pas ce que nous sommes mais vous diront peut
informé que les Européens par exemple. On
être ce que nous ne sommes pas, ou ce que
dirait que l’Europe vient de découvrir que la
nous ne sommes plus.
Chine va dominer le monde, les Européens ont
Pourquoi un tel engouement aujourd’hui pour l’art contemporain africain ? Le marché de l’art a toujours besoin d’une coqueluche pour faire un buzz. Il y a eu l’art russe puis l’art chinois et maintenant c’est l’art
43
du mal à réévaluer la position rassurante de la Qu’est ce que les artistes africains
Autoportrait / Emperor of Africa (2013) © Samuel Fosso, courtesy of the artist and Galerie Jean-Marc Patras, Paris
place qu’ils occupent dans ce monde. Ils ont du
Oikonomos (2011) © Edson Chagas, courtesy of the artist and Fundação Sindika Dokolo
mal à comprendre ce qu’est la Chine, nous les
c’est le cerveau, le coeur et les couilles de
Africains on vit avec les Chinois depuis vingt
l’Afrique. Comment est-ce qu’on arrive à faire
ans, on se développe avec eux. Dans son
exister ce média artistique qu’est la photo
travail exposé à Porto, Samuel Fosso arrive à
par exemple ? Est-ce par des magazines, par
se réapproprier l’histoire de la Chine et à être
des expos, des affiches ? Cela fait combien
totalement à l’aise avec la contribution de la
de temps que l’on a pas vu une affiche qui ne
Chine dans la contemporanéité. Comme dit
vend rien ? Pourtant c’est un moyen de com-
Gérard Depardieu « la poésie moi je couche
munication absolument génial, c’est le fait que
avec » eh bien nous, les Africains, la Chine on
l’affiche nous envahisse qui fait la puissance du
couche avec, on vit avec. En fait l’Afrique con-
Street art par exemple. Pour nous à la Fonda-
nait parfaitement notre monde contemporain,
tion, le musée ne doit pas être une implosion
qui lui, ignore le plus souvent l’Afrique telle
mais une explosion. C’est ça l’art c’est un truc
qu’elle est aujourd’hui. C’est ce qui nous
qui vous énerve c’est un truc qui vous guide,
permet d’avoir dans certains domaines, une
un truc qui vous laisse pas dormir la nuit, un
longueur d’avance.
truc qui vous fait vivre.
Vous programmez à plus ou moins long terme la création de deux institutions,
Actualités de la Fondation Sindika Dokolo •
Acquisition et rapatriement d’une
l’une à Porto qui sera une extension de la
statue et de deux masques Tchokwés
Fondation et l’autre à Luanda qui sera une
pillés durant la guerre civile en Angola.
institution muséale. Comment envisagez-vous ces espaces ?
•
La Triennale de Luanda de Novembre 2015 à Novembre 2016
Une année pour la triennale de Luanda, on avait utilisé 100 panneaux publicitaires pour montrer le travail des artistes dans la ville. On s’est immiscé pendant 6 mois dans ce chaos urbain, subrepticement et subversivement on a pénétré le quotidien des gens de manière à ce que partout dans la ville on puisse être connecté aux images des artistes de la Triennale. Le jeune artiste Délio Jass qui était à l’inauguration de cette exposition à Porto a rencontré l’artiste germano-kenyane Ingrid Mwangi. Il s’est arrêté devant elle et lui a dit: « C’est vous Ingrid Mwangi ? Vous savez quand j’avais 15 ans, en face de ma maison il y avait la photo de vous avec vos tresses sur le visage et c’est à cause de vous que je suis devenu artiste! » . C’est vraiment ça qui me donne envie de travailler plus, d’exposer plus, de créer plus de vocations. Ces jeunes
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The Diary of a Victorian Dandy (1998) © Yinka Shonibare MBE, All Rights Reserved, 2015
Autoportrait / Emperor of Africa (2013) Š Samuel Fosso, courtesy of the artist and Galerie Jean-Marc Patras, Paris
45
ART TALK
SOMEBODY BLEW UP SOUTH AFRICA Aryan Kaganof
Port Elizabeth born Dudu Pukwana went into exile in 1964 with his band The Blue Notes. Although he died in exile without ever having returned to his motherland, Dudu went home every time he played.
Dudu Pukwana’s Zila Saturday, 23rd February 1985 The Bimhuis, Piet Heinkade 3, Amsterdam
have never heard song; of living
Harry Beckett – trumpet;
whose deaths are legends
Dudu Pukwana – alto and soprano sax;
for their kind.
Pinise Saul – vocals; Lucky Ranku – guitar; Django Bates – piano; Thebe Lipere – congas; Churchill Jolobe – drums.
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They speak of singing who
involved in fighting for, existed only in the
brilliant records as a leader, Diamond Express
music. With our eyes closed, listening intently,
and Flute Music, (both 1975) featuring sublime
were in exile. Forgot even that who “we”
Dudu took us, his congregation, back home,
trumpet solos from the late Mongezi Feza.
were was uneasily defined, amorphous. We
back there. Back to a place that had never
But it is Dudu’s scorched earth playing on
were “compatriots” from a country that had
been and was never going to be. When Dudu
the visceral hauntology of grief Blue Notes
indoctrinated us with a profound sense of
played we forgot that he was in exile too. He
For Mongezi (1975) that has turned me into a
our separateness. We had, from birth, always
invented South Africa. With his eyes closed,
disciple. To listen to this threnody of love for a
been separated from each other and this
blowing concentratedly into the mouthpiece
fallen comrade is to understand how far into
meant, ultimately, from ourselves. Paradoxi-
of that soprano saxophone, Dudu summoned
the soul recorded sound can travel; beyond
cally the separation from South Africa meant
into being the warm spirit of an impossible
art, beyond jazz, beyond any intellectual
that we could finally meet each other – as
home and shared it with us, his congregation.
attempt to comprehend and thereby tame it. I
exiles – and share bittersweet memories of the
In his passionately blowing presence we were
have been listening to it every day for nearly a
terrible place we called home. We hated it but
made privy to an emancipation so incandes-
year since first discovering it. Tonight I will get
we wanted, more than anything, to go back
cent that the merely political liberation of
to see Dudu play for the first time. I will climb
ekaya. We loved it but we wanted to change it,
the struggle glowed like a 40 Watt bulb by
onto my bicycle at 7pm and cycle from my
irrevocably. To change ourselves. To repair our
comparison. It wasn’t a gig. It wasn’t a concert.
apartment in Amsterdam West, across town,
separated selves. What we all had in common,
It was a way of staying alive. Perhaps the only
braving the - 15°C freezing cold, through thick
regardless of hue, what we all shared - was an
way.
swirling snow all the way to the Piet Heinkade
When Dudu played we forgot that we
intense and unbearable nostalgia for a place
just East of the Red Light district, to the home
that had never existed.
A scream gathered in wet fingers
We lived in three distinct places. Firstly,
of jazz, the Bimhuis, where Dudu Pukwana’s band Zila will start performing at 8pm.
the shadowy place of incessant and very futile
at the top of its stalk.
nostalgia for where we came from. Secondly,
—They have passed
the distant promise of a place where we were
and gone
their shapes
always going back to, one day, without any
whom you thought your lovers
are not unlike night’s.
certainty that it would ever happen. And finally, groundingly, the drab grey reality of
In this perfect quiet, my friend,
I am 20 years old. It is two weeks before
Who was Dudu Pukwana?
daily life in the place we were temporarily
my 21st birthday. On the 9th of March I will
located – the Netherlands. This partitioning
officially come of age. But tonight, Saturday
the Blue Notes with Chris (McGregor). But
of the self disallowed us full participation in
23 of February 1985 is my birthday present
Dudu was behind all that and Chris was, you
the everyday we were living through. Exile
to myself. Tonight is the first time I will see
know, there, but Dudu was the composer and
robbed us of an ordinary life. Being unable to
Dudu Pukwana perform live. I have many vinyl
Chris was kind of the arranger of Dudu’s songs
go back framed us in a highly self-conscious
records that feature Dudu’s alto and soprano
but Dudu was the one. And Dudu was the
and always tragic mythopoeia. The nostalgia
playing. His solos on Hugh Masekela’s Home
one who taught Chris to play mbaqanga on
was, of course, a lie. Memory is always fiction.
Is Where The Music Is are the reason that 1972
the piano and showed him what it’s all about.”
We invented home. We created a South Africa
album remains Bra’ Hugh’s most profound
That’s according to Blue Notes bass player
that had no basis in reality. No place could be
recorded set. Dudu’s angular, elegiac alto
Johnny Mbizo Dyani in an interview I did with
that special.
playing can be heard to heartbreaking effect
him in Amsterdam in 1985.
rd
on Johnny Mbizo Dyani’s Witchdoctor’s Son In fact the place we longed to go back to, that place we were all, to varying degrees,
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“...actually Dudu was the man who started
Dudu was born on 18 July 1938 in Walmer
recording of 1978 – most pertinently on the
Township, Port Elizabeth and his first instru-
anthem Song For Biko. Then there are the two
ment was piano but at the age of 18 he
switched to alto sax after meeting tenor
Johnny Dyani said, “When you start to write
early hours of the morning when all is quiet
sax player Nick Moyake. His first group with
about music you start lying.” This music has
and all you hear is the occasional sound of the
pianist Chris McGregor was The Cape Town
to be heard, and it has to be heard dancing.
milkman or night watchman, or some musi-
Five, alongside tenor player Cups Nkanuka,
Dudu’s alto line is as much part of the rhythm
cians dragging their feet wearily homewards
drummer Martin Mgijima and bassist Don
it is cross-pollinating as it is part of the melody
after a stint at a club or something.”
Staegemann. Although the band won a prize
that it never quite decides to unveil. Classy,
at the Johannesburg Town Hall Jazz Festival
joyous and utterly addictive.
they were never recorded.
Also recorded in 1962 is the first disc by a band credited as Chris McGregor and his
Dudu’s next recording is probably the
Blue Notes. Although both compositions are
rarest, least known item in the South African
Dudu’s and it was clearly Dudu who taught
heard on the 78rpm Meritone Big Beat release
jazz discography. Mr. Paljas was an African
Chris McGregor this lilting, suspended style
Size 10/ Allright Dudu produced by Gibson
musical composed by Stanley Glasser, who
of piano playing, the racial politics of the day
Dudu’s earliest recorded solos can be
was then a lecturer
could not see the band any other way than
at the SA College of
that the so-called “white” man was the leader
Music. There is some
of “his” Blue Notes. This automatic paternal-
spirited playing by
ism was to chafe sorely once the band was in
Hugh Masekela
exile. Ndiyeke Mra is the original title for Dudu
and Dennis Mpali
Pukwana’s tribute — “Mra” — to the legend-
(trumpets), Blythe
ary band leader Christopher ‘Columbus’
Mbityana (trom-
Ngcukana. Mra was a regular favorite of the
bone) and Cornelius
Blue Notes and their future incarnation, the
Kumalo (baritone
Brotherhood of Breath and was also recorded
sax and clarinet). The
by Hugh Masekela.
outstanding solos
In 1963 the Native (Urban Areas)
however, all belong
Amendment Act extended the apartheid
to Dudu, especially a
government’s control on who could live
searing one on Rock
in the cities and where they could live. For
Lobster (no, it’s not
those born under the heat it was about to get
the B52s tune!).
hotter. In response to the simmering political tensions in the country, The Blue Notes
Dudu’s next
presented a programme of jazz and poetry in
recording date was
the University Great Hall at UCT on Saturday
Kente in 1961. A fascinating syncretion of
on 8th September 1962 in the Grand Hall at
April 27 1963. The Star newspaper wrote of
South African rhythmic fireworks overlaid
Wits University as part of Gideon Nxumalo’s
the programme: “The poetry is negro, the jazz
with a hard bop sensibility that spells it out
Jazz Fantasia. Composer and pianist Nxu-
Negro and African.” Dudu and Chris wrote in
clearly – Dudu has absorbed Sonny Stitt’s
malo wrote of Dudu: ““SPLIT SOUL has been
the programme notes “We believe that this
absorption of Charlie Parker. Also recorded in
dedicated to, and especially written for Dudu
is the first time Poetry and Jazz have been
1961 and produced by theatre legend Kente
Pukwana … to accommodate the exponent’s
performed together in this country. The idea
for the Meritone Jazz Series are two Pukwana
particular style. Dudu has an aggressive deep
was first suggested by Dylan Thomas, when
compositions One-Two-Three and Cape Town
sounding style and I reckon this particular
he met young Negro Authors in America.” The
Dudu. A musicologist could write a PhD about
number is just up his Street. The idea behind
compositions played that night included Hey
exactly why this music is so infectious but as
this piece was to portray Johannesburg in very
Jongapha by Dudu, Linda’s Thoughts by Tete
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Mbambisa, Kippie by Dollar Brand and Arabia
lines are models of graceful restraint, pro-
his fellow travellers. They had to follow and
by Freddie Hubbard. The poetry set included
viding a perfect foil for Pukwana’s lava-like
follow closely. There was an ecstasy and an
Leroi Jones’ The End of Man is His Beauty.
sheets of alto madness. Elsewhere it’s drum-
exuberance on display that I had only ever
mer Churchill Jolobe who is the night’s great
seen in the Apostolic church when believers
discovery for me. Churchill’s prime percussive
were visited by the Holy spirit and began to
which proves but
motives are joy, joy and, well, ... joy! I’ve never
speak in tongues. What Dudu was playing out-
a referent
seen a musician who seemed to enjoy himself
side of wasn’t just a framework of chords and
to my disorder
as much in the playing and the sound and
harmonies, he was outside of the entire notion
Your world shakes
the sheer being-ness of music as Churchill.
of audience and performer, the entire history
Right next to him Lucky Ranku did not open
of music as a commodity. Dudu was a natural
And silence
cities die beneath your shape.
mystic blowing through the air. He was utterly in the moment. But was it “jazz”?
By 9pm the Bimhuis is filled with the entire “Jazz music is an art of the spontaneous.
Mzansi exile community, not to mention every Dutch jazzer that lives in the city. Alto
The jazz performer and composer are the
player Joe Malinga from Swaziland is stand-
same person and the acts of composing and
ing at the bar next to an extremely inebriated
performing are essentially simultaneous. …
Sean Bergin who hails from Durban. I have
People thoroughly ingrained with the European
only ever spoken to the burly sax player a few times, but tonight Bergin comes up to me and grabs me with both hands by the collar of my jacket, “Pellie you’ve got to interview Dudu, Dudu is the man, DUDU IS THE MAAAAN!” An entire contingent of war resisters who live in Amersfoort have come to Amsterdam for this concert. Everybody’s here tonight, but when is Dudu going to play? Without any warning pandemonium begins. The double doors leading backstage are ripped open from within and that higgledy-piggledy don’t-fuck-with-me tone on the alto could not be anyone else. Dudu comes out of the change room like a boxer who’s just heard the bell ring for the start of the knockout round. The sound is huge, the intensity is right off the Richter scale. The band hurries to catch up with him but nobody has a chance of catching up with DP tonight. The wise Barbados-born trumpeter doesn’t even try to keep up with Dudu who is playing like a man possessed. Beckett’s sweetly melodic
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his eyes for nearly two and a half hours. On and on he played, chopping the rhythms out like finely diced onions into a super salad of skanga sound. In a band this great you could be forgiven for hardly noticing Django Bates on piano and Eric Richards on bass, and that isn’t because they were the only so-called “whites”. The thing is that both of them were merely excellent musicians, almost at the top of their game. The rest of the band were South African exiles. That is to say there was something mythic about them, something tragic too, and, if I am perfectly honest, something slightly embarrassing too. Yes, embarrassing. These people gave so much of themselves you became aware of how half-hearted most music concerts were, how formulaic. I mean nothing, but nothing was pre-arranged with Dudu and the band. He would stop in mid-flow, put the soprano down and pick up the alto and be playing a different tune within seconds, just like that, not even a miniscule nod to the head to guide
tradition insist that this inevitably leads to shallow music-making. The fact is that it can lead to music-making of an almost incredible depth in performance. The performance will reflect the depth of the performing musicians thought at that very time.” Chris McGregor writing from an application for a Cultural Grant, 1964. The single shadow at noon like a live tree whose leaves are like clouds The Blue Notes played their last gig in South Africa in July 1964. I was 4 months old. This gig was recorded by Ian Huntley and released as a CD in 2005 with an intriguing liner note: “Each listening of Dudu Pukwana’s plaintive alto sax on the essentially gloomy final track, “Close Your Eyes” sparks my own imagining of emotional turmoil and uncertainty.” Dudu’s explorations of turmoil and uncer-
tainty celebrated the imagination, stimulated the imagination, and emancipated the imagination. The music was about freedom but not in a musical sense. Music, like politics, always had the potential of becoming a realm; a realm with borders, with boundaries. Dudu Pukwana strode across these musical boundaries. His realm that he played in wasn’t music, it was everywhere, it was creation itself and it was always South Africa that he was creating. Home. Ekaya. Actually he was a piano player first. Actually Dudu was a healer. A mystic. In this sense Pukwana was the true father to Zim Ngqawana and Zim in turn, Dudu’s only rightful heir. But here in Africa South South there is nothing to inherit. Not even a new name. Only a sad direction. How you gonna be proud of a direction? Dudu never went home. He died on 29th June 1990 of a failed liver, a month and three days after Chris died. The Blue Notes belonged to both of them. weightless soul at whose love faith moves as a dark and withered day.
guy.’ Now of course Ornette was checking us
drinks very quickly and he doesn’t mind when
out, but he was putting us as Africans, it’s-nice-
the mixer runs out. His voice grows increas-
to-see-you-guys kinda, they were doing that.
ingly hoarse as he spins further and further
It’s strange because the Europeans would take
away from my fanboy obsession with dates
us for real but the American black musicians
and names and genres. It takes me decades to
would take us, ‘Oh yeah you Africans, how do
understand how tiresome I must have been
you play this?’ So Ornette had this attitude. So
to that man who had just played himself out
Dudu got mad, you know, I got mad also and
of the cosmos and into infinity. It’s only after
Mongezi got mad. You know, this attitude!”
being back home for fourteen years that I
Johnny Mbizo Dyani, 23 December 1985.
have finally understood that there is no home left. There never was. Once you leave home
“...and anyway, Ornette was in the room. Dudu said, at intermission, ‘There’s Ornette!’ Shouting. And you know Ornette is a shy guy, everybody turned around, the whole room, ‘There’s Ornette! Where’s your horn man? C’mon? Where’s your horn? You are Ornette Coleman aren’t you?’ Damn, Dudu’s running the Cape Town thing… and Ornette was kind of panicking, Dudu: ‘Hey you are Ornette! C’mon, bring your horn, you are Ornette, ain’t you?!’ So we said, ‘Hey Dudu leave this guy, you are embarrassing this guy.’ ‘He’s Ornette!’ And Dudu’s saying it to us in Xhosa ,’I’m gonna blow his head off. I’ve been waiting for this
50
you can never go back. You become an exile They speak of singing who
and exile becomes your only home. Actually
have never heard song; of living
it’s better that Dudu didn’t live to find that out.
whose deaths are legends
Maybe he already knew that. Maybe that’s
for their kind.
why he literally killed himself for us, tearing South Africa out of himself in order to give us
At the end of the gig I go backstage and
a little piece of sonic myth we could identify
meet my guru. He is incredibly amicable,
with and feel at home in. When Dudu played
hugs me as if he’s known me forever. I try
we forgot that we were in exile.
for an hour to get something resembling an interview out of him. But very little of what is
Aryan Kaganof (born 1964 as Ian Kerkhof)
said is fit for publication. A lot of motherfucker
is a South African film maker, novel-
this and motherfucker that. Dudu is mainly
ist, poet and fine artist.
interested in finishing his bottle of vodka. He
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ART TALK
A LOVE SUPREME AT 50
John Coltrane, Malcolm X and the Sound of ’65 by Frieda Ekotto
As icons, they contested the [‌] presumption that black working class culture was deficient to the point of pathology and answered its call for a restored sense of black manhood. Scott Saul 2015 is a year of 50th anniversaries. For example, early in 1965, jazz saxophonist John Coltrane released the deeply spiritual and passionate album A Love Supreme, the defining work of his distinguished career and one of the most highly respected and beloved pieces of recorded music. A week later, Black activist Malcolm X, the orator and organizer who effectively advocated for social change in Black urban communities, was assassinated in New York.
52
Black American self-awareness is a multifaceted experience often gained through
nized internal and external demons, as well as
Black American existence with colors of expe-
the strength and ability to overcome.
rience and brushes of insight. They choose to
time. It happens through being part of the
Again citing Saul:
grasp onto self-happiness and self-love, show-
community as well as through elements in
Coltrane and Malcolm raised a fresh, if not
ing how to exist colorfully and wholly, refusing
American culture that exploit and demean
unprecedented, question in the tradition of
to deny the internal and external color of one’s
blackness. As Scott Saul writes in Freedom Is,
American autobiography: what would it mean
skin.
Freedom Ain’t Jazz and the Making of the Sixties,
if the autobiographer was a working-class black
John Coltrane and Malcolm X were powerful,
man, and if he chose to lift up his community
1° - https://youtu.be/9bDPqX2MOQw
often interrelated figures in the development
rather than climb out of it. A Love Supreme was
2° - Watch this video for free on AOL
of Black American’s figuration of selfhood.
designed as an inclusive ritual of ascension
On: [50 Years Of A Love Supreme.] http://
They represent internal growth for the Black
(although one with hermetic secrets); Malcolm’s
on.aol.com/video/50-years-of-a-love-
community, and they teach of a movement of
autobiography, which diagnosed with laser
supreme-518551827
self from a compromising and fragile situation
precision and lethal seriousness his experience
to one of strength and self-pride. Developing
of American racism, was written as an invitation
Frieda Ekotto
a strong understanding for self-love and
for black readers to join his movement for justice.
Chair, Afroamerican and African Studies
appreciation, Coltrane and X fought through
In this way, Coltrane and Malcolm both tried to
Professor,
hardships for more than their own self-
affirm their own personal quest for truth without
Comparative Literature and Francophone
emergence.
dividing themselves from the black community
Studies The University of Michigan
Both figures shifted their lives from misun-
that had nurtured that questing spirit. (261)
derstanding and misery to self-criticism and self-improvement. Many consider Malcolm
In the complexity that is Black American
X’s “by any means necessary” as a ploy toward
existence, self-evolution can derive from
violence and crime, but it was rooted in ideals
a state of chaos. To understand the Black
of self-protection and developing internal
American existence in its peace and
feelings of safety. Crime had been a part of his
tranquility, one must also fully understand it
life, but the intertwining need for change and
in chaos and uncertainty. Malcolm X and John
revolution came to overshadow and lessen his
Coltrane embody this. This had their share of
interest in its shady ways. Coltrane chose to
chaos, but through it they developed full and
make a turn for the better in recognizing his
strong understandings of their own internal
aggressive self-loathing and dependency on
calm and logic. Presenting their findings
harmful drugs. His need for change came from
to the Black community, each in his own
self-expression, as well as from the observa-
beautiful way, both figures gained strength
tions that the Black community needed
and gave pride and understanding to others.
strength from its idols and leaders. This
The energy that pours out of A Love Supreme
transition from criticism of the Black Ameri-
is one of a violent rebirth, while the narrative
can community to an attempt to develop an
structure of The Autobiography of Malcolm X, as
understanding of community began with
it progresses through events and realizations,
Black Americans telling their own stories. The
allows for both coherence and chaos.
voices of Black idols and figures unified the
These works birthed cultural solidarity, and
Black community. Coltrane’s A Love Supreme
their music and words knit together the Black
and Malcolm X’s The Autobiography recog-
community. Coltrane and Malcolm X painted
53
ART TALK
THE SOUND OF BOMBS
Emily Goedde
What does an air raid sound like? Sirens? Yes. Explosions? Almost certainly. But as written into the poetry of World War II in Kunming, China, it also sounds like guitars and the radio, English poetry and chatting. It sounds like car horns and children crying. It sounds like breathing, silence, thinking and listening. How does one translate these sounds? How does one convey their many meanings, cultural, emotional, personal and poetic, written in Chinese poems, into English? The answer is, has to be, translation, and
by translation” (428).1 Second is poet Robert
this forces us to consider a commonly held
Frost’s famous comment, “I like to say,
assumption: Sound cannot be translated.
guardedly, that I could define poetry this way:
I could give countless examples of this claim,
It is that which is lost out of both prose and
but here I’ll offer only two. First is Jacques
verse in translation. That means something
Derrida, who in his study of translation as
in the way the words are curved and all
a kind of economy, writes that he is not
that” (159)2. Despite his poetic vagueness, I understand Frost’s “curved words” to be th e sounds of language. In thinking sound and translation, I have come to realize that when we think of sound in poetry, we think first of “word sounds”— lexical sounds, rhythm, meter, prosody—the “auditory imagination,” as T.S. Eliot put it. As a translator I know the great complexities of these sounds, which writers use to suggest relationships and genealogies. It is often through “word sounds” after all that ideas and relationships are stressed, humor is created, and tone or mood is established. In my experience, translators are keenly aware of these kinds of sounds, and in each particular text often find ingenious translation solutions. But I wonder if too much attention to word sounds tout court might be a dead end, and if we
concerned with “meter, rhythm, caesura,
1 From Derrida’s essay “What is a “Relevant’ Trans-
rhyme—all the classic constraints and limits
lation?” translated by Lawrence Venuti and in The
that are in principle and in fact insurmountable
Translation Studies Reader, Second edition, edited
2 In Robert Frost on Writing, edited by Elaine Barry,
by Lawrence Venuti, New York and London: Rout-
New Brunswick, New Jersey: Rutgers University
ledge, 2006.
Press, 1973.
54
might give more attention to how translation
“A Corner of the Shelter”
The more they 轟炸
Xu Xiaoqiu - Undated
the deeper our hatred” Artist unknown
Ultimately, however, when we examine the writ-
offers an opportunity to listen. Let me give a specific example. I’ve been
ten words that languages have for the sounds
learn about what others hear. It is for this reason—this learning to
asked: “What does “to bomb” sound like in
animals make, the trope descends almost to
hear—that in my translations of poetry from
Chinese?” I reply: “hongzha (轟炸).” To this
the arbitrariness of most words, e.g., the English
Kunming, China, I have included the word
English speakers have inevitably responded:
woof woof and the French ouah ouah for the
hongzha 轟炸.
“That doesn’t sound very scary.”
sounds of a dog; likewise, the Greek barbaros
3
The fact that hongzha doesn’t sound very
Before I give an example of this, let me
for barbarians was derived from the sounds the
offer non-native speakers of Chinese a sense
scary to English speakers, but does to Chinese,
Greeks ascribed to other languages. While such
of the word’s etymology. Hong 轟, which is
points to this commonly held assumption:
words stem etymologically from sound imitation,
made up of three 車 che or “cart” characters,
The meaning of onomatopoetic sounds is
their meanings are virtually as arbitrary as those
suggests loudness. It is often used with other
self-evident. Yet this isn’t necessarily the case,
of any other signifier, given their subsequent
characters to express onomatopoeias, loud
a point made in the Princeton Encyclopedia of
development. (1324)
crashes of thunder, bursts of laughter, and, of
Poetry & Poetics in its entry “Sound”: Meaning can clearly be evoked or connoted
At a very basic level, even onomatopo-
course, the sound of explosions. Zha炸 has
etic sounds, which seem as if they should be
the radical huo火, meaning fire, on the left. All
by sounds as in onomatopoeia [...], but this kind
universal, cannot be expected to carry the
Chinese characters have radicals that sug-
of meaning in large part corresponds to a histori-
same meanings in two different languages.
gest a category into which the character fits.
cal train of significance. If words are signifying
And it makes sense that for an English speaker
“Flower,” for example, has the grass radical cao
abstractions, onomatopoetic effects seem to
hongzha means very little, while to a Chinese
艸 at the top: 花 (hua). Zha 炸, which is used in
express a generalized meaning based on natural
speaker, it sounds intensely evocative.
compound words that mean “explosion” and
phenomena such as animal sounds or water. 3
Sound Note: “Hong” rhymes with “wrong,” and
“zha” would sound like if you said the French “je” and “ah” together quickly “j’ah.”
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This underlines that we hear sounds dif-
“frying,” has the fire radical because fire is its
ferently. This releases us from the sense that
determining element. 乍, the character on the
translators have to convey “word sounds.”
right, is there because it represents the sound
Instead, translation can be an opportunity to
zha.
It is my sense, however, that etymology
white, sometimes in color, either silent and still
Emily Goedde is a PhD candidate in the
does not give us as a full an understanding
or else grainy and filled with static. In other
Department of Comparative Literature
of the experience of hongzha 轟炸 as the
words, for me, “bombing” recalls old World
at the University of Michigan, Ann Arbor,
Chinese poetry written during WWII does. It
War II footage, punctuated by snippets from
where she focuses upon Chinese poetry
is this poetry that teaches us how listening to
current conflicts.
from the 1930s and 40s. She received
hongzha 轟炸 included waiting, for sirens, for
But to approach Zhao’s text visually would
an MFA in literary translation from the
our neighbors, for our children, for, eventually,
be to be led astray, outside of the poem, both
University of Iowa, and her work has been
the explosion of bombs.
spatially and temporally. For in his poem, peo-
published in 91st Meridian, The Iowa Rev
Although many of us are fortunate that we
ple weren’t “bombing” as I understand it in a
iew, eXchanges and Discoveries: New
live, waiting and listening, for bombs to fall, we
visual sense. In his poem individuals were lis-
Writing from The Iowa Review, as well as in
all know the feeling of waiting for a sound. We
tening for hongzha 轟炸, and Zhao’s vantage
the anthology Jade Mirror: Women Poets
listen for the buzz of a text message, an alarm
point is not from above or from a distance. It is
of China (White Pine Press, 2013).
clock, a knock on the door, a child’s wake-up
below, waiting, listening. These are his lines:
cry. We wait, listening, as we go about our
Beautiful dreams are broken! Hongzha! 轟炸!
lives. And then, when in its suddenness the awaited object sounds, we are startled; we
Enemy planes overhead!—
jump; perhaps we laugh, perhaps we sigh.
To include “Hongzha!” rather than “Bomb!”
Anticipation has made us jumpy.
in my translation allows me to short-circuit
The poem “Portrait of Kunming, Spring
the image of bombs above. I can, instead,
1940” by Chinese scholar Zhao Ruihong (趙
stretch my sonic imagination to listen to a
瑞蕻 1915-1999) gives us a sense of waiting
different experience. To be startled, for a
when the sound to come is hongzha 轟炸.
moment, by hongzha, is to try to listen to
As I’ve translated his poem, of which I include
what Zhao heard. Translation—as a practice
a short excerpt below, I’ve kept hongzha 轟
of listening—allows us to come, as close as
炸 in my ears. And in so doing, I’ve come to
we can on the printed page, to the sound of
realize that when I think of “bombing,” I think
bombs. Listening to it, we might begin to hear
of images of war, as I’ve seen in books or on
the sounds of an air raid.
the screen. These images are often black and
56
“轟炸only can evoke our hate” Fei Long - Undated
57
ART TALK
Nakei Nairobi Call it Lingala, call it Souk-
by Mukami Kuria
“the all-powerful warrior who,
Radio changed us.
ous or call it Rhumba. This
because of his endurance and
Before Kenya was Kenya, there was the
is an anthology of sound and
inflexible will to win, goes from
British East African Broadcasting Corpora-
the ghosts it rouses, a musical
conquest to conquest, leaving
tion, which started broadcasting in 1929. The
cartography of Nairobi and Kin-
fire in his wake."
archive does not reveal much about it before
shasa. 1. It is 1960 and Joseph Kabasale, Le Grand Kallé sings
7. A claim to authenticity cannot be state sanctioned. 8. “Perhaps instead of think-
its nationalization in 1964 by way of an Act of Parliament. Recast as the Voice of Kenya, it consolidated a multitude of voices into one. I
Independence Cha Cha. 1960 is
ing of identity as an already
am reminded by Keguro Macharia that ‘“patri-
the ‘Year of Africa’. It is also the
accomplished fact, which the
otism” swallows all it can’ .
year that my Father is born.
new cultural practices then
2. At independence in 1963,
It is through Radio that I now listen to the
represent, we should think,
past. Occasionally I wake up on Sunday morn-
the flag is lowered one last time.
instead of identity as a ‘produc-
ings to stream Roga Roga on Radio Citizen
My father is four years old when
tion’, which is never complete,
from Kenya. Rituals of driving around Nairobi
Kenya becomes a Republic.
always in process, and always
on endless Sundays with my Father, sitting in
3. 1964.
constituted within, not outside,
the front seat I listen to him listening to music
4. Authenticité.
representation. This view prob-
with nostalgia to the recognizable voice of
5. Mobutu declares in Octo-
lematises the very authority and
Fred Obachi Machoka.I remember the 1982
ber 1971 that Congo is no longer
authenticity to which the term,
coup, or rather reading about it, and how
Congo; it is the Republic of Zaire.
‘cultural identity’, lays claim”
Leonard Mambo Mbotela was forced by those
. Stuart Hall, Cultural Identity
staging the coup to make the announcement
and Diaspora.
that Moi’s government had been overthrown.
6. 1972. Mobutu is now Mobutu Sese Seko Nkuku Ngbendu Wa Za Banga, he is
58
A trusted voice, the voice of the nation –
“This is the Voice of Kenya, Nairobi. I am
maybe a voice that I listen to when I want to
singing it. By singing it.”
Leonard Mambo Mbotela. The government
listen to my father. Machoka’s voice may be
of President Moi has been overthrown by the
the voice that the nation listens for on week-
language, a language for the walking
armed forces.
ends. How does one claim to own a voice, or at
wounded of Congo, despondent in their
least hear yourself or parts of yourself in it?
national silence and devoid of the optimism
All police officers should disarm and all political detainees have been released. Please stay at home and do not loiter in the streets.” The article in the Nation retells of a time and a moment in that time when the Coup
After the coup, Rhumba is said to have
I attempt to think of Lingala as a wounded
that existed in the era of independence. I
been banned on Kenya Radio. That is until
wonder if it is possible to translate this to Nai-
Tabu Ley wrote the song Nakei Nairobi, sung
robi, to how it is that we previously imagined
by the illustrious Mbilia Bel.
ourselves and our future in Lingala, a language
leader, Hezekiah Ochuka, refused to believe
that was not ours but came to us by way of
the message had been broadcast. Apparently,
*
he looked for a radio in the station to confirm
music. In the essay Kin La Belle, Owour describes
the message had been relayed to the nation.
Just as my father listens with his own
her pilgrimage to Kinshasa. She asks a man
What does it mean to have faith in broadcast?
nostalgia, I listen with my own nostalgia for
selling music if she can learn Lingala in two
To have faith in a radio? Or to question its reli-
him, to be back in Nairobi, quietly seated as
weeks, and he tells her that to do so she must
ability?
he recalls to himself the nights he would be
“see the world in music” - When he then
watching Orchestra Les Mangelepa play. I
plays Independence Cha Cha by Le Grand
Mbotela recalls,
imagine the headiness of the air in the bars
Kallé Joseph Kabasale— a song that brings
“In between regular announcements of the
in Nairobi and Kinshasa, sultry and humid,
together the cacophonies of Kinshasa, blend-
coup, I was playing the only available record in
infused with the intoxicating rhythms of
ing the “many sounds and the songs in a
the studio, Tabu Ley’s hit Maze, with the famous
Congolese Rhumba. Dazzling guitar rhythms,
language— the old song still wields its magic”
lyrics, ‘I love you, baby touch me.’ Ochuka wanted
layered with horns and richness in sound and
. Independence Cha Cha is a declaration of
martial music."
language unparalleled. To a stranger, this
independence that captures the elation and
cacophony is unpolished dissonance, unstruc-
rush of freedom. I imagine how “Kabasalle
tured music.
summons us all to beginnings, and in the song
(How does one listen to Maze again after hearing Tabu Ley’s mellifluous voice throughout a coup?)
The elegance of Lingala, its fullness sang
we can start again” . I want to imagine that
by Joseph Kabasele, Franco Luambo, Tabu
Nairobi and Kinshasa could and would start
Ley Rochereau. Music and language are both
again, but the ghosts that haunt both cities are
one can’t help but notice how it haunts the
described by Adorno as “a temporal sequence
heard in the echoes of Rhumba.
imagination; unrehearsed - it captures the
of articulated sounds which are more than
“We erase East-West-North-South and
urgency of the moment. The disjuncture
just sounds” . In creating vernaculars, and in
those unrepentant fires in Commune Patrio-
between members of the army attempting to
giving them life and meaning through music,
tique de Masina are laid to rest for three
assume power to the fumbling and the mut-
we give ourselves a way of inhabiting the
minutes and six seconds”. Perhaps on a
ters, the illegibility of the coup announcement
world. Music itself is a language of expression.
pilgrimage - I realise that I am on one, too –
note in the studio and an unnamed, unidenti-
It is emotive and documentary in recording
one listens for both familiarity and for ghosts.
fied man asking “what is this?” asking what a
events and space, cartographies of cities and
I listen for 3 minutes, often more, as Rhumba
certain word reads. There is a pressure in that
the existence of bodies in them.
songs are known for their long arrangements,
Listening to the coup announcement,
moment, an honesty of a man trying to read a coup announcement. Fred Obachi Machoka is our voice – that ‘our’ is doing too much work. The ‘our’ is
59
And I turn to Yvonne Owour. In a recent
lasting for as long as 16 minutes. This is a
interview, speaking on Lingala as a language,
sound of extravagance, of self-indulgence,
she responds to a question: “How do you
allowing for impassioned guitar solos and
navigate a language that carries wounds? By
harmonies that linger. Perhaps it is through
the length of this music that one experiences and measures time. There is a sociality in listening to Lingala
never could be.
cations of ourselves, where we are imagined,
The Congolese songs I return to are often
where we are represented, not only to the
songs of mourning, eulogies for those who
audiences out there who do not get the mes-
collectively, which one can only replicate
were close to the singers. Wendo Kolosy’s
sage, but to ourselves for the first time” . Stuart
partially listening to the lengthy ballads alone.
Marie-Louise, a song mourning his guitarist’s
Hall, What Is This “Black” In Black Popular
There is a sense of intangibility in experiencing
sister, Karibou Ya Bintou by Tabu Le Rochereau
Culture?
sound together, in listening to music played
is said to be a song written after the death of
live. I imagine for my father, and his broth-
one of his dancers and Pitié, Pitié is an elegiac
Congolese music implicate the musicians and
ers, going to listen to Les Mangelepa was the
song of love. I wonder: what did love taste like
the genre more generally as being susceptible
most essential part of the week; they spent
in 1970s Africa? Did it taste the same in Nairobi
to the whims of the listeners, those consum-
the week dreaming of rhythms and endless
as it did in Kinshasa? Or does the music taste of
ing live music. Christoph Vogel writes that the
nights. Just as differences are erased in Kin
loss and the echoes of loss?
musicians now offer to do “shout-outs”, a prac-
La Belle, the geographies of the country are
tice in Lingala known as “kobwaka mabanga”
temporarily effaced by the gorgeousness of
*
Independence Cha Cha. The music that puts out fires is the music that helps my Father breathe at the end of the week. My Father tells me that Roga Roga on Saturday and Sunday mornings is one of the
Academics and journalists writing about
which translates as “throwing stones” during live performances as a way of making enough
6th of September 2015. Live-stream of
money, sustaining their bands and their music.
Roga Roga from Nairobi to Bloomsbury,
These writers seem to mourn the loss of the
London.
formalities of Congolese music and the loss of
The listeners call in, both hearing them-
the professionalism of the “musicians”, solely
most listened to shows in Kenya. With this, too,
selves and imagining their world in music.
them and the music, their craft and art. For
there is a sense of preparation, a nation that
Machoka interchanges “niambie” with the
those of us who know that Rhumba was a
collectively endures the week for a few hours
question “uko wapi”? The listeners situate
lifeline, it was where we imagined ourselves
of Rhumba that fill a hunger and tiredness,
themselves in the exchange and in a specific
honestly, shrouded in beauty and engulfing
yearning for the hopefulness of the past.
geography, either travelling to and in between
melodies, it is where the musicians conversed
regions or claiming to being from a place.
with the listener in shaping their dreams and
I adopt my own rituals, which involve setting alarms to be up on a Sunday morning
allaying their fears. The music is a conversa-
in line with Kenya time; GMT+2 or 3. Coffee is
“Ni Patrick kutoka Meru”
made and the live-stream is started. Listening
“Elkana Serem, kutoka Bomet, Kitale”
to Lingala is a sensory experience of the famil-
“Kutoka Kapenguria, Major ya KBV12N”
iar and the strange, even if a song has been
“Mama Njeru”
listened to before. The experience of listen-
“Mike wa No Thrift Shuttle”
Kintu Bay, Kintu Bay, Kintu Bay
ing changes the listener and the music each
“Omwami Barasa, sikia utamu”
Homa Bay, Homa Bay, Homa Bay
Mangelepa ni yako tu – Mangelepa is yours alone.
Jack Asiyo ni yako tu
time, as if it is the first time the song is being heard. Leaving its imprint of beauty, astonish-
tion.
“The first is to remind you that popular
Onyango Moloo wako tu Mzee Kivumbi ni wako tu
ing arrangements arrived at either through
culture, commodified and stereotyped as it
meticulous layering or sometimes, sheer luck.
often is, is not at all, as we sometimes think of
There is ease in Lingala, a freedom imposed
it, the arena where we find who we really are,
by the length of the songs losing the musician
the truth of our experience. It is an area that
that they are ours alone, they play for us and
and the listener alike in ecstasy.
is profoundly mythic. It is a theater of popular
us alone. They communicate a sense of own-
desires, a theater of popular fantasies. It is
ership. This is our music and our time. Perhaps
where we discover and play with the identifi-
music was the only thing one could own then,
It becomes apparent that I, too, have nostalgia for a time that was never mine, and
60
The band sing in Mangelepa ni Yako Tu
the experience of listening or owning and
to the audience by announcing their name
collecting vinyl, creating an archive of time
and instrument they were playing.
and space and the two cities of Kinshasa and Nairobi. To speak to ownership of music at a
I recall leaving Nairobi after the Christmas holidays, captured by the lyrics of Les Mangelepa in Embakasi. Embakasi as a metonym
Then there is the conversation between
recalls the main airport of Nairobi before it was
time when owning Kenya or part of it had dis-
Kinshasa and Nairobi. Imagining a musical car-
Nairobi International Airport or Jomo Kenyatta
sipated with promises of freedom and justice.
tography of East and Central Africa, songs that
International Airport. Embakasi airport was
The imposition of silence and the ghosts that
undoubtedly informed and were informed
where farewells were said and returns were
live in the echoes of silence are on occasion
by diasporic imagination, it was Lingala music
made real. Les Mangelepa sing for a lover (a
interrupted by the staying power of Rhumba
that documented and dreamt of cities. Songs
Sue Moraa) as a departure becomes immi-
music. Perhaps what endures is the conversa-
that embody cities and movement allude to
nent,
tion.
journeys and departures, singing of Dar Es
I read Kin La Belle against Dust, what lan-
Salaam, of Kinshasa, of Nairobi and of Mom-
Sue ngai lobi na Embakasi uwanja wa
guage means in Kinshasa, in Congo and what
basa. To sing of a place, you have either been
ndege/usivunjike moyo
it means in Kenya.
there or you imagine going there. Perceptions built on stories of those who have been, what
Susie mwana Kenya/ mpenzi kwaheri
like bitterness in coffee, is but one of four
they saw and experienced and how it is that
Subiri nitarudi/ usiwe na shaka
essences that make up the fullness of Kin-
they returned changed by the road and the
Wa jua Air Kenya/ baraka hewani
shasa. There are four national languages
city.
Safari na Air Kenya/ safari ni njema
“I am now being reminded that Lingala,
here. The other three are Kituba, Tshiluba and Kiswahili. Lingala, I am told has a pain-filled past.
Congolese, especially Les Kinois, still
The movement alluded to reminds us
speak of Kinshasa as the heart of Rhumba
that the oral is often embodied and given
It carries many wounds. It was the official
music, le Coeur. Yet by 1975 multiple bands
voice through the movement of tongues.
language of the hated and mostly diabolic
had moved to Nairobi to record their music.
Departures are then made reality through the
Force Publique, the hand cutting the colonial
Existing alongside Nairobi-based bands,
movement and migration of bodies. Sound
army that served the whims of the greatest
the Rhumba of the 70s was perhaps, then,
travels through memory, through visions for
genocidaire of the modern world, Leopald II.
a conversation between urban dwellers in
the future and the promise of the road.
Lingala, I am admonished, is suffused with the
Nairobi and Kinshasa, recording modernity
waters of Congo’s sufferings” .
and a way of being in the world. To belong in
postcolonial Africa suffused with energies and
In Dust Yvonne Owuor reminds us,
a world inhabited by freedom dreams, dreams
sensual music was replaced with nostalgia for
“Kenya’s official languages: English, Kiswahili,
that sustained the push for independence
what was and could have been. Imaginary
and dreams that the Congolese and Kenyans
departures became real as did indefinite
found themselves dreaming once again
journeys and the promises of returns, as the
as the failures of post-colonial Congo and
musicians who sang of leaving really did leave
that was sang in bars and nightclubs in Nairobi
Kenya became apparent. Where Nairobi and
for Paris and Brussels in the 1990s. Cosmopoli-
and Kinshasa. It is produced in conversation.
Kinshasa meet in music, the city embodies
tanism insists on history.
Owing to the large sizes of the bands and the
feeling. Those who meet in these two cities
Seated at Heathrow, I prepare for my
largeness of the sound they produce, recogni-
exist beyond and the veneer of the city and
return to Nairobi. In listening to Nitarudia
tion would often come through a performed
it this where space and sound are enlarged,
by Orchestre Vévé Star, I notice the horns
conversation. Mid-song, the lead singer will
brought to life. It is in sound that histories
first; I am utterly beguiled by them. The act
often call out to each of his band members,
and geographies gather and it is where they
of listening is one of intent and I find myself
acknowledging their skill and bringing them
remain.
restarting the song, now paying attention to
and Silence. There was also memory” . Memory is produced in music, in Lingala
61
Yet the collective imagination for and of
the lyrics,
leaves my imagination, my musical map of the
Mukami Kuria
conversation between Nairobi and Kinshasa.
Born in Nairobi, Kenya, Mukami Kuria
Bibi yangu nakulia we, mpenzi wangu
I think of what remains in Nairobi, a tiredness
is currently a student of International Rela-
mi ni fanye je
in the city that has a strained relationship with
tions at the London School of Economics
Bibi yangu nakulia
the State. An article dated March 2013 makes
and Political Science.
Bibi yangu nakulia we
it known that the club where Les Mangelepa Aside from an interest in the Inter-
used to play, Garden Square, was shut down Ninakwenda kwetu Zaire,
over unpaid rent. Oddly, Garden Square is
national, she spends time dabbling in
Mpenzi wangu mi ni fanye je
a venue that is both of these things: owned
photography and art criticism. She is
Nitarudi tutaonana
by the Government and popular venue for
interested in thinking about photography
Bibi yangu nakulia we
funeral arrangement meetings. I imagine the
and with photographs, cultural studies and
Bibi yangu nakupenda
silence that engulfs Garden Square now, aban-
cultural production. She can occasionally
Mpenzi wangu mi ni fanye je
doned and haunted by the ghosts of the past,
be found in the Kenya National Archives,
Mpenzi yangu ni wako Mama
empty in contrast to the past nights that it was
exploring memory, history and colonial-
filled with full sounds, trumpets that occupied
ism. She is the editor of a forthcoming
the room. Keguro Macharia reminds me that
book on a Kenyan music and art collective.
The voice of the singer tells his wife that he is going to his, the “kwetu” often circulates in
death is followed by the “desire for the dead to
Kenyan vernacular as more than rural Kenya
rest in peace” . Those who remain after those
but as an origin, where one comes from.
who die in Nairobi gather here to plan their
“Kwetu” says “ours”. At once revealing that he
mourning and grieving. That which remains is
is from Zaire, he also lays claim to belonging.
the sound, the sound.
He tells his wife “nitarudi, tutaonana”. He will return and they will see each other. “Bibi yangu nakupenda,” my wife, I love you. In 1997, 37 days before my 2nd birthday, Mobutu fled Zaire, after 32 years in power. 1997 is when my political knowledge of Kenya, learned and unlearned, tells me the second multi-party elections were held. I learn from Wairimu Muriithi that “1997 was the year a Ugandan newspaper claimed Moi was possibly the second richest man in Africa after Mobutu Sese Seko.” For Rhumba after Mobutu, maybe the Golden Era came to an end. Music cannot travel to Paris and Belgium, the sound and feeling evoked by sound cannot make it through certain borders, pervade certain cartographies and survive trauma. I have never been to Kinshasa, but it never
62
Nag's Head Market, London 35mm (2015) Kahira Ngige.
63
ART TALK
NOTES ON CUTS ON CENSORED RECORDS John Peffer - All images are the author's, courtesy private collections
In 1962 Radio Bantu was established by
own recordings via its “Transcription Service,”
recording engineers of the bygone era fully
the South African Broadcasting Corporation
both in the urban studios or via a van with
in love with the sounds discovered, while
(SABC) as part of the National Party policy
recording equipment sent into the rural
also holding in their minds a paternalistic
of separate development for each of South
areas to gather tunes from the various folk
perspective on local cultures, thinking they
Africa’s ‘distinct’ cultures, with stations created
cultures. These recordings were not made for
were going “back in time” and fully impressed
for each of the dominant language groups.
sale, only for use on-air, and very few copies
with their own command of advanced
A characteristic of apartheid ideology was
were made. Despite their original ideological
transcription technology.
that each culture (as defined by the state) was
misuse, they were a valuable record of what
officially defined as consisting of a distinct
(some of) the rural music of South Africa
Radio Bantu stations. Popular commercial
language and geography, and the indigenous
used to sound like. At the end of apartheid
recordings of mbaqanga, township jive, local
African ones were encouraged to develop
during the early 1990s, the separate “Bantu”
jazz bands, isicathamiya, disco, rock, and soul
longing/nostalgia for specific rural areas/
stations were centralized, and SABC discarded
by local black groups as well as by overseas
homelands. The so-called traditional ways
thousands of these recordings, either selling
pop acts were also played on air, creating a
of life were adapted from anthropological
them off or sending them off to be chipped
quandry for authorities because their content
accounts into state ends, to keep its labor
and melted down and their components
did not perfectly fit their ideology.
pool content and to thus control competition
recycled. Today the copies that remain are
for jobs in urban areas. Therefore on the
buried in the archives and never played on air,
of all commercial music to be played on air
Radio Bantu stations, language mixing was
while precious few others are dispersed into
had first to be submitted to a committee com-
discouraged, for instance on the seSotho
mostly private collections. It is one of the many
prised of the heads of the SABC departments,
station isiZulu should not be spoken or sung.
contradictions of the apartheid era that in its
and were subject to censorship. Anything
But what music could be played on these
effort to constrain it also preserved a legacy,
deemed to include messages of sexual free-
“Bantu” stations? In order to create content
even if that preservation has amounted to
dom, drugs and booze, clearly non-Christian
that fit its ideological program, SABC made its
an entombment. One can imagine the SABC
(i.e. not Calvinist) content, suggestions of
64
This is not all that could be heard on the
In order to address this concern, the lyrics
cultural mixing, messages of potentially politi-
“AVOID” or “CANCELLED”. Sometimes the titles
perverse “locked groove” - from these hard
cal nature - anything thought to be against
of songs were roughly scribbled over by pen.
skips, returning to them as emphasis instead
the interests of the National Party - could be
On the vinyl surfaces of the LPs the offending
of erasure. The click of the cut itself becomes a
refused airplay, even if the albums themselves
tracks were often literally scratched out with
new beat, on top of the original rhythm of the
were otherwise commercially available. Lyrics
a nail, sometimes completely obliterated,
song, on top of and revealing the hard pulse
that mixed words from more than one lan-
sometimes with just a single thick cut creating
of a former authority, while undermining that
guage were sometimes censored.
a line perpendicular to the playing groove.
authority.
Especially during the heightened state
These censors’ cuts created a radical skip at
Held in the air, in the right light, these
paranoia of the late apartheid years of the
each turn of the disc which would potentially
records become new objects, multi-layered
1970s and 1980s, anything that remotely
destroy the playing stylus, thus making the
palimpsests of snaps, jumps, and marks that
sounded or looked like a call to a gathering, of
song unplayable on air.
are evidence of their past suppression. In this
people coming together for a meeting, was
Looking back upon these records today
way their surfaces may be seen as archives
censored, even if the actual lyrics were quite
from the perspective of one who plays records
of events in their (and our) own history of
conventional or the meaning of the song was
and plays with records, this other groove also
use and abuse. They are an odd species of
not originally intended as revolutionary or
creates its own rhythm, its own pops and
evidence, a physical history of inscription/tran-
political. Basically, anything that sounded like
clicks, its own unique beat upon and within
scription. In them and on them the paranoia
too much fun was avoided on air.
the beat of the tune. Also, the crossings-out
of the authoritarian state is made palpable for
of the song, if played on a sturdy turntable,
all to touch and know and feel and play with
banned outright. More often it was only
may return the listener again and again to the
over and over through the repetition of what
specific songs that were forbidden. So SABC
place where the “objectionable lyric” is found,
remains.
DJs were given albums with markings on the
revealing it above the rest of the tune, display-
covers: stickers or handwritten notes point-
ing it for all to see and hear. I can imagine a
ing to the objectionable tracks that stated
contemporary DJ creating an infinite loop - a
LPs with censored content were not always
65
John Peffer is Associate Professor of Art History at Ramapo College.
ART TALK
FLOW A Negotiation Between Voices
Conversation with Jun Nguyen-Hatsushiba
By Myriam Dao
Memorial Project Nha Trang, Vietnam: Towards the Complex For the Courageous, the Curious, and the Cowards, 2001
66
Previous bottom left and this page : Breathing is Free Japan Hopes Recovery 1789 km, Installation video, Courtesy of Mizuma Art Gallery Tokyo, 2011
Jun Nguyen-Hatsushiba was born
thy visible. He is able to work with
ist to “break” the patterns he was
in Japan in 1968. After having spent
this feeling as a sculptor works with
used to. So Jun Nguyen-Hatsushiba
18 years in Ho Chi Minh City, today
his “raw material.” Here in MAC/
experimented with a new artistic
he lives and works in Houston Texas.
VAL, the voices of the audience pro-
language. With “Don’t we all want
From the first, the works of the art-
duce geometrical drawings: in order
to be in tune?”, the artwork he
ist have been connected, directly
for the cursor to move, the voices
exhibited in MAC/VAL in 2014, the
or indirectly, with the theme of
need to be in tune. The universal
artist created an interactive installa-
migration, travel, or also absence
character of Jun’s statement is not
tion where the tones of voices tones
and exile. What the artist is doing
false : he is running. Beyond bounda-
drew a kind of geometric path. His
is producing metaphoric maps of
ries, beyond every kind of concept
installation provided the public an
the feeling of empathy. In the ongo-
that politicians have built between
opportunity to participate in his
ing project “Breathing is free”, his
one human being and another. As
experimental installation.
trajectories (as those of the other
an artist, Jun Nguyen-Hatsushiba
The connection between flow and
runners) trace poetic maps all over
is questioning what we can call our
migrations in “ Don’t we all want to
the world (Australia, Japan, France,
“coexistence” on this earth.
be in tune?”
Vietnam, among others). By run-
is particularly relevant. In the press,
ning in Yokohama, and Ho Chi Minh
During his residency in the
migration has more of a visual
City, for example, people reacted to
French Contemporary Art Museum
impact, and Jun Nguyen-Hatsushiba
the Tsunami incident of 2011. Jun
MAC/VAL, chief curator Alexia
has succeeded in offering an alterna-
Nguyen-Hatsushiba is making empa-
Fabre clearly encouraged the art-
tive approach to this concept.
67
What lead you to music, to make artworks with sounds? I begin to look at my dual interest in the
Human beings are visual creatures, so we are
to adjust to the proper note. ”What kind of
able to collect data better with our percep-
“negotiation”?
tion in most cases. I mean, at least in terms of
The installation prompts two people
visual art and music as a kind of struggle in
our civilization now. The more time I spend
to trace over a simple geometric shape. In
identifying myself. They are both artistic activi-
thinking how to connect music and migra-
essence, what they have to do is to listen to
ties, but there are differences, especially in the
tion, the more I see it. As in the two standing
their own pitch to adjust to the proper note
way you engage your audience. And perhaps
microphone installation where two people
they need to create. When the two continue
as far as comprehension is concerned, music
must simultaneously emit a pitch in different
to produce the proper notes on the grid, they
can be more abstract and perhaps more
frequencies to move the cursor in a frequency-
will be able to trace the shape nicely. It’s a kind
subjective. More impressionistic. The indus-
based grid system, it’s about being able to
of statement about communication or even
tries are also quite different, though, again, I
control your pitch and also to communicate
negotiation. It would be very interesting to see
can see similarities. For the residency at MAC/
with the other in order to maneuver the cur-
politicians in this installation.
VAL, I made it clear that I will explore audio as
sor, which in turn draws a continuous line on
a base to develop my work. I’ve always liked to
the screen. One person controls the position
create music. Maybe it’s about the sensation
of x on vertical. Another controls the y on hori-
of tone, phrasing, harmony, the rhythm it can
zontal. The axis is where the line is drawn.
bring… Frequencies interacting with the fre-
Coordinates!
watch?v=FBhwRO196pc At Calais, you encountered the migrants…
quency of my body and brain waves. I think all those are valid for anyone. It’s about the vibe,
https://www.youtube.com/
Having experienced your installation
At the time of my residency at MAC/VAL,
but as with any other form of art, appreciation
and “negotiated” with my voice and that
my concern for migrants was focused around
of different genres and musical instruments
of an unknown person, I felt different,
those who were coming into France to cross
really make a difference in how one can listen
stronger as a result of this experience. You
the English Channel. They come from all over,
and communicate with what one hears. I think
use a metaphoric language to qualify it:
the Middle East, Central Asia, Africa, develop-
tone is everything.
“two people have to listen to their own pitch
ing countries around the Mediterranean Sea.
Photography by Jun Nguyen-Hatsushiba Calais, 2014
Most end up at Calais hoping to hop onto
Was the visual aspect of the installation more of a challenge than the sound aspect? In my installation, the sound aspect of the work consists of the vocalizations of the audience itself. So I think it made it more interactive and audience-friendly compared to some sound pieces that only require the audience to listen and think. Actually, I didn’t really think about whether it was more difficult than a visual installation. I think it is about the degrees of elements we want to balance in our work. A visual piece can become more difficult for the audience to enter as well. However, asking someone to listen to music for a minute may be more challenging than asking someone to watch a video for a minute.
68
Is your personal experience and life also
any moving vehicle departing for the UK. The
search for?
chance is slim. The situation now has escalated
To build our lives as friends, a trust
to be considered in connection with “flow
to be very inhumane in the way migrants are
within us
and negotiation?”
detained and in the security measures taken
How will we ever reach the land we
to prevent them from migrating into UK.
dream of?
So, I was in Calais for a few days with Valerie
I think everyone experiences this. Some recognize it and involve themselves in creating a better flow through better negotiation.
Labayle of MAC/VAL team. The visit actually
What does it take? What does it take?
Some are unaware of this process and lament
came after my residency period. Without
What does it take? (…)
about the situation that there is no possible
much research, it became obvious that Calais
way. I wish that the political leaders could
was the destination for many migrants. The
always get to the point of needing to connect
project is on hold due to my recent health issues. Hopefully we will be able to continue it. The project itself studies the migrants’ struggle to cross the English Channel. A song was written for the residency exhibition earlier called ”What Does It Take?” It is my first effort to work with a popular music genre in order to discuss the issue. Really, what does it take for these people to cross the water?
Lyrics: (link: https://soundcloud. com/junruns/what-does-it-take) Where are we going now, our place has reached the sand?
Don’t we all want to be in tune? Courtesy of the MAC/VAL, 2014
What have we done, all we want is to pass this land Just to reach across the other side of channel Leaving behind our friends and love. Will we ever reach the land we dream of? What does it take? What does it take? What does it take? Will life ever lead us to the chance we seek? We’ve come afar, a tug-of-war, destiny about to change Have we not the right to live the life we
69
Hatsushiba work in progress Courtesy of the artist, 2015
and look for the possibilities of connection.
connection may be the most trivial thing ever,
groups. But the faces are all empty of facial
It’s an internal negotiation. Should they leave
but for me, it provokes further thoughts. At
parts. If you look closely, you will see forms
their own country and move from one place
one point in my residency, I was developing
for these features, but they are not identified
to another? Should they take the next chance
the idea of performing the Star-Spangled
clearly. So it’s quite crude, if we see just the
to smuggle themselves into the moving
Banner, which I would do at the coastline of
face or the head of these figures. This simple
vehicle? Lots of risk taking. At one camp I
the English Channel. A kind of Romanticist
form for me is a depiction of us in the simplest
was visiting, one of the migrants came back
reflection of the history of art, as in the work
way. A simple posture of the body and the
from the site of the “jump” (jumping into
of Caspar David Friedrich, “The Wanderer
suggestion of what kind of clothes they are
the passing truck) to report “Today is a good
above the Mists”. I think of Jimi Hendrix as one
wearing make them humans. They seem to
day, 12 are on.” They leave on the spur of the
of those wanderers. And playing the Star-
be stripped of self-identity, but for me, these
moment. They are prepared with a very small
Spangled Banner back in the direction of the
rough forms speak about humanity as a
bag of belongings; any paperwork from their
UK would bring an interesting perspective on
whole. That’s why I like them. They’re not the
homeland, money, a jacket, and a mobile
the situation of migrants at Calais and their
people you know, but they are the essence of
phone. “How do we know if they make the
desired destination, the UK. It is also a reflec-
people you know. At the same time, they are
crossing?” I asked. “They will message back
tion on how the song was originally written.
like the migrants, without clear identity. They
upon success,” was the answer.
And perhaps this is what I saw in my head as
are a mass of humans. Perhaps this is one rea-
migrants attempting to cross the Channel, a
son migrants are treated cruelly by the locals.
kind of brave endeavor.
They are seen as one kind, not as individuals.
Inspiration: Jimi Hendrix’s reinterpretation of the Star-Spangled Banner” in connection to your work-in-progress, for example? I am just exploring, as is my usual
So, I will be working with these figures to creCould you tell us more about your next projects?
approach, just opening doors here and there
I am currently working with small minia-
and letting ideas take shape, but if we look at
ture figures, the ones we use for model train
Hendrix’s career development, a sequence of
sets. They are very small, yet they are human
meetings also led him to land on UK ground.
figures. What I like about these is the obvious
Subsequently, he formed his most influential
omission of facial expressions as well as facial
band and created what we know of his music.
features. Basically, we can identify the different
Basically, his career exploded in the UK. This
kinds of people in different industries and age
ate situations. Also, continuing to delve into ways I can work with audio to discuss migration issues as well as basic human issues.
Don’t we all want to be in tune? Courtesy of the MAC/VAL, 2014
70
71
ART TALK
BLACK IS A CULTURE It is a Saturday evening in London and at
Mukami Kuria
series, notions of the archive have evidently
enance of the sound clips. The listener takes
Radar Radio a very special DJ Set is about to
influenced his work. In conversation with
them as they are, and is struck by the potency
begin. London based creative Lo-Fi Odysseys/
Okayafrica, Lo-Fi Odysseys describes the series
of their words as well as their relevance of
Daniel Oduntan makes it known that he is a
as his way “to crate dig my heritage… and
those words to black people in multiple geog-
curator of culture.
present it in a way that others could access.”
raphies. Lo-Fi Odysseys compels us to ask
During the next two hours at Radar Radio he
how one may embody a “claim to heritage
ear for creating musical odysseys that are a
represents the duality with a finger on the
and claim to belonging” through music and
journey into rich sounds, often with great
pulse of the past and his eyes looking to the
culture.
historical weight and socio-political impor-
future. We hear how you must look backwards
tance. Recently he has received coverage from
to understand, to move forwards and create
released, one is struck by their diversity and
online-based publication Okayafrica for his
something new.
subtle complexities. They are captivating and
Lo-Fi Odysseys is someone who has an
Listening to mixes he has previously
Palm Wine Beats Series, and he is gaining trac-
This evening the set he is playing ventures
make for relaxed listening. Yet because they
tion online and in the London music scene. In
into the “politics of sound”, of culture and spe-
fuse familiar sounds and classics such as the
August he opened for legendary Ethio-Jazz
cifically of the existence of black culture. His
Lijadu sisters with overtly political material
musician Hailu Mergia on Boiler Room.
smooth voice announces that he has brought
they occupy a tension between provocative
along vinyl and will be “playing jazz and soul”.
and comforting. They complicate pleasures,
From Lenny White to Gil Scott-Heron, he is a
which are often uncomplicated in the politics
purveyor of the archive.
of sound and of the black experience.
He represents multiple temporalities, geographies and sounds. To represent something means to make it present again, and this is all the more so
He has invited friends to the studio to
Tonight we take part in an exercise to
with music that never ages, to play it again is
contribute to the discussion of Black Culture.
destabilize the archive. He incorporates and
to give it an audience - maybe even one from
Kahira Ngige, and myself, Mukami Kuria, are
offers a thought provoking clip 20 minutes
a new generation. At once reviving and re-
part of a collective called Sunday Service
into the set, from which I pick up the following
presenting past sounds in all their goldenness,
London, where we create spaces for young
fragments:
while equally concerned with the music of
Londoners and people of colour to discuss
the present, Lo-Fi Odysseys presents himself
cultural production and black hunger. Another
as a negotiator of worlds musical and cultural.
friend joins us later, Alyssa Rochelle, a teacher
Additionally, his sound is unique, particularly
and singer in the band Kinnatural.
with what has become a distinctive feature
Undoubtedly as a DJ, Lo-Fi Odysseys is
“People of colour are constantly being explained to” I pick up from an unidentified voice, which I take to be the voice of a black man, that the
of his mixes: the Lo-Fi Odysseys retouch.
cognisant of the symbiotic relationship across
problematisiation of people of colour is perva-
Occupying, inhabiting and negotiating the
the “Black Atlantic”, the phrase coined by
sive, that racism is essentially a white problem
world of hybridity, he has retouched songs by
scholar Paul Gilroy. While the set this evening
and that to understand racism requires
Chief Commander Ebenzer Obey such as Baba
“Black Is Culture” pivots around discussion
unlearning and discomfort.
Loran Mi Wa and Gentle Lady by Alhaja Queen
of blackness in America, it also encompasses
Salawa Abeni and Her Waka Moderniser.
histories of slavery and migration. Through
that “American, white and human become
incorporating sound clips, he opens the
synonyms”.
As we can hear in Palm Wine Beats Volume 1 and 2, the first of three mixes in a five part
72
archive. But no context is given into the prov-
Impassioned, the voice ends by asserting
Later, in the studio, we enter a lengthy
discussion about humanising. It is 2015, and
for people of colour. In bringing the human
heard; we make our voices heard. As a chorus
black people are still dehumanised. Post-
experience to Nollywood, other questions
of voices, we agree that music is “giving peo-
colonial scholarship and critical race theory are
begin to arise.
ple a sense of identity and humanizing them”
relevant here in making the claim that dehu-
Lo-Fi Odysseys poses the question,
and continues to make certain ways of inhabit-
manisation renders and makes disposability
“Where else will you see an all black cast?
ing the world possible. We posit that for black
possible. We posit, or argue, that it is black
The BBC is slow”. We agree, wholeheartedly,
people, music is a means of “giving them a
culture that humanises. Through it there is an
broken-heartedly.
way of being in the world, space to imagine
undoing and challenging of banal narratives.
“Where will you see yourself?”
themselves”. The mix negotiates black music from Gil Scott-Heron to Barrington Levy, and even Chief Commander Ebenezer Obey just before the evening ends. We discuss the black music of our now, Kendrick Lamar. The scene at a protest in Cleveland where protestors repeatedly chanted “we gon’ be alright” is a starting point and one which offers a futurity for the possibilities of black culture and black music. Lo-Fi Odysseys describes black music as a sound of struggle. Perhaps the words of bell hooks are more fitting in his discussion on how black culture is impacted by the relationship between capital, neoliberal logics and precarity. For some music, its source is pain. In the conversation I think of black pain, and how it is that those profiting off black music are “eating the suffering of the Other”, off the suffering of black people. Over the music of Lo-Fi Odysseys offers this, that for black people “Music is all they have, so it’s hurtful to
We remember a past project, in which the stellar Lo-Fi Odysseys re-scored Live a
“Will you see yourself in music? Just as we negotiate out own visibility
take it away. There are people making money off our culture”.
Nollywood masterpiece, Danger Signal. We
in spaces in the city, again creating spaces
are all Londoners, negotiating predominantly
for ourselves, tonight on Radar Radio we are
present moment, music is all we’ve got. It is
white spaces, at times seeking refuge in creat-
making ourselves audible, making our sound
what remains, and lingers. It is what nourishes
ing spaces for ourselves, for black people,
heard. Here is where we make our music
and sustains.
73
After tonight a thought remains: at the
ART TALK
ÂME, IRIE, BARAKA « Somebody Blew Up America »
74
by Stéphanie Melyon-Reinette,
Baraka et son mouvement pour les arts noirs
Bien que le Jazz ait toujours été un hybride –
ont eu une influence philosophique et esthétique
rencontre de toutes les cultures qui ont fondé
profonde et durable sur tout l’art noir post-
la culture étatsunienne que nous connaissons
intégrationniste.
aujourd’hui, qui se nourrit encore, dynamique
– William J. Harris (préface de Leroy Jones, 1991)
vorace, de toutes les influences qui sont au croisement de son évolution, de son expansion – certaines de ces caractéristiques
Se réapproprier l’âme de Baraka et le
esthétiques sonores sont purement Nègres.
substrat d’une révolution qui nous a quelque part tous fondé n’est pas exercice aisé. En
À travers la création du Blues et du Swing, le
tant qu’artiste et sociologue, je rencontre
Nègre découvrit deux choses inestimables. Dans
Baraka sur les bancs de l’université. J’étudie
le blues, était imprimée une ligne mélodique
alors le Jazz. Son histoire. Et l’ouvrage
sous la forme de trois accords qui ajoutèrent un
d’Amiri Baraka – ou LeRoi Jones – trouve une
nouveau sentiment à la musique Western et
résonance immédiate avec ma perception
inspirèrent des variations infinies. Dans le swing,
de la musique et de – son inscription dans
c’était une façon unique de phraser qui fournit
– la cité. La cité entendue au sens du lieu où
une pulsation également singulière. Ces deux
s’exprime la politique des hommes. Dans
pulsations n’étaient ni africaines, ni européennes,
Blues People : Negro Music in White America,
ni asiatiques ni australiennes ni latines ou sud-
son regard, fondamental, fondal-natal, fait
américaines ; elles étaient Noires-Américaines 1.
également écho au propos de ce numéro :
(Soulignait Crouch, 2002)
The sounds of politics. Le Jazz, musique née, tant esthétiquement que fondamentalement, d’un contexte sociopolitique qui amena les
qui est abordée par Crouch. Le son nègre se
Noirs-Américains à exprimer leur vitalité, leur
singularise. Il apporte un discours et une iden-
vie, leur liberté, à travers un art diversiforme.
tité qui ne peut être contestée à ce peuple.
La musique que Randy Weston appelle
Amiri Baraka opère le même mouvement
« African wailing » ou les lamentations
et la même orfèvrerie à travers ses mots. La
de l’Afrique (Melyon-Reinette, 2013) est
poésie noire, est son et vibration. Pour Baraka,
incontestablement une émanation nègre
l’art comme la poésie doivent être des actes
et révolutionnaire. Le Jazz accompagna la
révolutionnaires : plus que de contestation,
révolution des droits civiques, tout comme
de révolte, d’offensive, d’auto-défense face à
la poésie, avec le Black Art Movement fondé par Baraka lui-même. Tout comme le son du tambour guida les esclaves hors des plantations vers une liberté marronne, le Jazz – des chants de travail dans les champs de coton aux Blues des villes, aux fanfares new-orléanaises, et aux Swing, Bebop, Hard Bop, Free Jazz – incarna la transformation et l’émancipation du peuple noir-américain.
75
Ici, c’est la construction-même du son
1 Traduction de : Through the creation of blues and swing, the Negro discovered two invaluable things. In the blues it was framing a melodic line within a form of three chords that added a new feeling to Western music and inspired endless variations. In swing it was a unique way of phrasing that provided an equally singular pulsation. These two innovations were neither African nor European nor Asian nor Australian nor Latin or South American; they were Negro American. (Crouch, 2002).
la brutalité policière et la brutalité du monde.
s’évanouir trop tôt. Les révolutions connais-
À travers deux de ses poèmes – Black Art et
Let Black people understand
sent des revirements et les victoires de se
Somebody Blew Up America – imprégnons-
that they are the lovers and the sons
teinter de rouille… Toutefois, ce poème inter-
nous de l’atmosphère de cette époque
of warriors and sons
roge avec la force d’un « who » accusateur,
fondamentale pour les peuples nègres du
of warriors Are poems & poets &
un « who » qui sonne comme une alarme. Un
monde. En seconde partie, quelques lignes
all the loveliness here in the world
cri d’urgence. Un appel au secours de notre
nous amèneront à décrire une expérience
– Amiri Baraka (Black Art).
résistance. Avec Gerald Toto – et notre duo
sonore, musicale, jazzistique avec ces mêmes poèmes, que je me suis mis en bouche, que
Melt In Motherland – et accueillant un backing Cette arme de conscientisation massive
band impliqué – Eric Vinceno (basse), Rony
j’ai interprétés en faisant écho à un contexte
sert l’émancipation. Incontestablement,
Olanor (claviers) et Thomas Bellon (percus-
global où le Noir semble ramener à l’état de
l’influence de Baraka, en tant que poète con-
sions) – le son amené est plus ample, tant par
gibier, de potence, de chasse.
troversé, même démenti, est tout de même
le nombre d’instruments que par la densité de
intangible. Les sons de Baraka sont ses mots.
l’accompagnement du texte. La voix de Gerald
Ces syllabes qui, jointes, forment un pamphlet
se mêle à la mienne : une mélopée, une transe
poétique des plus efficaces. Black Art est un
douce. Une transe qui évoque, invoque et
We want poems
poème qui appelle à la riposte des Nègres en
convoque la mémoire. Ce poème invoque la
like fists beating niggers out of Jocks
masse. Il y appelle à la conscientisation des
mémoire immédiate, donc, pour provoquer
or dagger poems in the slimy bellies
hommes et femmes noirs pour une offensive
une introspection et une rétrospective sur le
of the owner-jews.
contre l’oppresseur. Et l’arme fatale est le son,
passé. Mais il convoque aussi cette mémoire
– Amiri Baraka (Black Art).
les voix, l’art. Le second poème concerné est
de la genèse d’un son nègre qui mêlait aussi
« Somebody Blew Up America » interprété lors
des mots ravageurs : à travers cette jam
d’une Jam au Baiser Salé. Ce poème invoque
session, il s’agissait de mettre en exergue
poings battants… Nous voulons des poèmes
la mémoire immédiate pour interroger les
combien le son poétique, les mots, avaient
qui tuent, des poèmes assassins, écrits Baraka.
profanateurs, les assassins et les perpétrateurs
été fondamentalement liés aux notes bleues,
Aussi vrai que les mots sont une succession
des ethnocides et négrocides.
comme au Free Jazz, mouvement et courant
Black Art, un acte révolutionnaire.
Nous voulons des poèmes comme des
de sons, les syllabes de Baraka prennent une force indéniable à travers son phrasé
d’émancipation par excellence. Il s’agissait Baiser Salé, Embrasser l’héritage
jazzistique. Amiri Baraka écrit sur le jazz et le pratique. Il est poète. Un poète qui scande, chante, scat ses mots. Le son est primodial, voire crucial en poésie. La rime.
de rappeler que le poème est une musique et que la scansion-même de l’artiste est une
Au Baiser Salé, salon de Jazz parisien, nous embrassons cet héritage. À l’heure où des Noirs sont abattus aux
symphonie de mots, de lettres, de phonèmes, d’idées. Le son du mot est modulé, modelé. Inflexions, accents, tons, nuances… le son du
Etats-Unis sans aucune forme de châtiment
mot est distorsion qui permet d’exprimer l’ire
à l’égard des bourreaux – un Ku Klux Klan
collective. Martin Luther King Jr comme Mal-
Le vers…
déguisé ? – interpréter « Somebody Blew Up
colm X, sont les exemples parfaits du pouvoir
Vers quels imaginaires ces sons nous
America » était une missive à l’autre, celui
politique du verbe… Au commencement était
amènent-ils ? Lorsque Baraka déclame « Black
qui s’interroge sur l’impact des puissances
le verbe…
Art » accompagné d’un saxophoniste, le
géopolitiques. Lorsque les voix scandent
phrasé du musicien reste minimaliste, répétitif,
« Black Lives Matter », un poème tel que
Célébrer…
mais c’est une scansion pour donner de la
celui-ci, qui évoque aussi le 11 septembre,
Âme…
force à la voix, qui apporte toutes les nuances
est une riposte qui relève de la mélancolie…
Lorsqu’elle est occupée par les voix des
de par l’improvisation.
de la nostalgie d’une époque que l’on voit
lynchés
76
Le rythme.
Lorsqu’elle est distordue, et devient
and Amiri Baraka’s continuum : a perpetual
chair… blessée
marronnage ? », in Marronnage and Arts –
Le mot est l’issue fatale… qui fait couler
Revolts in Bodies and Voices ». UK : Cambridge
Le sang de la mémoire… Bousculer
Scholars Publishing, 2013.
Les idées reçues… su-surées… Brûlées Goudron et plumes pour les nègres
van Heuven, Katrina. This Week in ‘Nation’
pensées
history : The Passion of Amiri Baraka » January
Il faut les libérer
11 , 2014. Click Here to read.
Irie…
Vidéographie
Transe. Hypnotique flot de mots
Baraka, Amiri. Somebody Blew Up
Flot des motions…
America. Click here to start video
De la mémoire-scansion Baraka, Amiri. Black Art. Amiri …
Click here to start video
Qui donne de l’art noir la peine-ombre L’homme nègre, négrifié saisira-t-il sa
Stéphanie Melyon-Reinette, PhD
chance, BARAKA… ?
(alias Nèfta Poetry, Melt In Motherland) Docteur ès Civilisation Américaine
Bibliographie
Membre du CNMHE, Paris
Crouch, Stanley. « The Negro Aesthetic of
(Comité Nationale pour la Mémoire et
Jazz », Jazztimes, (En ligne). 2002. Click Here to read
l’Histoire de l’Esclavage) Chercheure Indépendante & Activiste Culturelle
Melyon-Reinette, Stéphanie. « Jazz Music
77
ART TALK
SPIRITUAL RESONANCES Call to prayer, sacred chants & glossolalia Clelia Coussonnet in sound-based practices
James Webb, Al Madat, 2014. Courtesy the artist, Galerie Imane Farès (Paris) and blank projects (Cape Town). Photo by Kyle Morland
78
society. He developed an interest in tracing
choreography; their choice to listen and their
expressions of devotion and fervour, holy
what people believe in and how they practice.
movement of descent can be seen as acts of
sounds accompany believers from all faiths in
Studying systems of faith brought in anthro-
humility and openness. Prayer is a transcultural
their spirituality. From Buddhism, Christianity
pology: what is sacred, what is the relation to
or Islam to Judaism, including syncretic rituals
culture? Along that, hearing discussions about
and pagan cults, sound is a key element to
religious extremism was another clincher to
transmit divine teachings and transcend the
start a long-term exploration of expressions of
earthly world. Vocalisations, instruments,
belief through a sonic lens.
Considered one of the most accomplished
melodies or even body clapping create a
In this, since 2000, he has been expanding
language and soundscape unique to every
a multi-channel sound installation conceived
religion.
as a site-specific experience highlighting
Yet, beyond their invitational aspect, these
religious pluralism. Relying on worship sung
Sounds Cells (Friday) Magdi Mostafa, Courtesy the artist 2009-2012.
rhythms can be misused. Under the guise of
by spiritual communities from the host city1,
pious discourses, they may serve as dema-
Prayer changes according to the urban context
endeavour building bridges between different
gogic channels. Taking root in the mind as an
where it is broadcasted. The work consists
communities and art institutions; and evidenc-
integral part of daily spiritual practice, they
in a red carpet and 12 disseminated floor-
ing the meeting points of various faiths.
might contribute to internalising doctrines
based speakers simultaneously emitting the
without engaging the individuals’ critical
recorded praises.
analysis.
Cells (Friday) (2009-2012). 50 dismantled
these ephemeral and evocative tones. They
speakers on a minaret-like structure trans-
mention the dangers implied by the duplic-
mit an abstract Friday’s sermon -sampled
ity of language; the constructed nature of
from two-month recordings in Ardellewa,
belief as well as its genuine expression. Still,
Cairo- interspersed by old washing machines’
their acoustic researches do not concentrate
humming intensified by microphones.
on religion per se but rather use this motif as sound installations collating and blending raw field recordings, they reflect broader contemporary issues by interweaving complex social layers to the competing narratives coexisting within the sacred. The sound tightly placed in the exhibition space is activated by the viewer’s body as a parallel to the aural occupation and circulation of religion in public space.
Plural to Singular Streams Growing up during Apartheid, James Webb (South Africa) saw how racial and geographic divisions impacted religion and
79
questions religious rigidity and partiality in his multi-channel sound installation Sound
African and Middle-Eastern artists capture
an entrance point. Through intense sensorial
Conversely, Magdi Mostafa (Egypt)
The discomfort felt incites to interrogate James Webb, Prayer, 2002-ongoing. Courtesy
the function of both the oration and the
the artist, Galerie Imane Farès (Paris) and blank
devices, which are a metaphor of the never-
projects (Cape Town)
ending household chores devoted to women -while men go to the mosque. In his speech, if
The result is powerful as the prayers are
the imam describes the value of women as
accumulated and looped in an everlasting
procreative vessels[1](reproductive subjects
flow. The audience can stroll; get dazzled by
divested of their bodies), he also explains they
the polyphony of voices or decide to hear one
are not responsible for the baby sex. Mostafa
of them distinctly by kneeling down in front
evidences the role of religion in producing
of a speaker. Viewers are part of an acoustic
morals and in maintaining established social consensuses based on patriarchy and stiff
1 Such as Cape Town (ZA), Copenhagen (DK), Hudder-
gender relations
sfield (UK), Johannesburg (ZA) or lately Malmö (SE) in Barriers, Contemporary South Africa at Wanås Konst. May 17-Nov.1, 2015
Sonic Memories
Recordings of a specific place hint to its history as much as they question the portability of such charged sound reproductions. They
that time as it metaphorically helped them break free from their shackles’.
Peripheries of Language
Rituals’ repeated rhythms, pulses or
Spirituality meets humans’ quest for
reveal geographical and political stratums.
gestures pervade memory. In a sober docu-
meaning. The uncertainty and metaphysi-
Al Madat (2014) by James Webb, for instance,
mentary style, the video A Night in Beirut
cal anxieties linked to existence push to find
subtly and poetically refers to demographics
(2008) by Sirine Fattouh (Lebanon) follows
sense in an immaterial dimension going
and ancient religious migration routes. In this
closely a figure dressed in white, playing the
beyond the ‘word’. Ironically, Younes Baba-Ali
project, he recorded a Sufi dhikr: a traditional
drum and singing. This man is Beirut’s last El
(Morocco) confronts the viewer with a mega-
Islamic recitation, where holy names are chanted
Tabbal2 as his sons will not pick up the torch.
phone broadcasting five times a day the Islam
with special breathing techniques, often creating
One of the time markers of Ramadan, each
call to prayer, Adhan, in Morse code. Erasing
trance-like effects. Four standing speakers sur-
night he crosses the city to wake people up for
verbal communication, he presents the call as
morning prayer before the sun rises and the
a universal emergency alarm signal. At first, the audience has no idea what the code stands for. It generates a feeling of alert as its waves keep on reverberating. Of Moroccan origins but raised in France, Baba-Ali contemplates cross-cultural ties and his relationship to two cultures and educations. Call to Prayer (2011) was conceived when
still from A Night in Beirut,, 8”. Sirine Fattouh, Courtesy the artist 2008
Call to Prayer – Morse. Younes Baba-Ali Courtesy the artist and Arte Contemporanea (BE) 2011
round Karachi rugs creating a space for taking
fasting starts again.
shoes off and being inside the textured space shaped by those powerful voices and breaths.
This mysterious nocturnal scene evokes
the artist first visited Brussels, a third cultural space, as a way to rediscover his community (mostly North African expatriate Muslims) in a new context. The series of Morse on-off tones is ambiguous because it sounds common.
the artist’s childhood when, during Lebanese
Using dual language, the artist ‘questions the
civil war, hearing this spectral voice scared
relation of a migrant with his religion when
recorded by Webb with patients from the Sul-
her. In this poignant imaginary space, Fat-
he is disconnected from his context and his
tan Bahu Rehab Centre run by a Sufi mosque.
touh touches on nostalgia by using sonic
culture of origins’. He looks into education out
This recitation which means ‘help’ and
memories strongly associated with the trauma
of context and how customs and behaviours
implores the assistance of the Prophet and
of war. For her, El Tabbal becomes a symbol
inherited through it are linked to an adamant
Sufi saints specific to Cape Town particularly
of all the landmarks, traditions and memories
religious practice whilst the bond with spiritual-
touched him. Dhikr is used as a curative tool in
vertiginously disappearing in her country: ‘all
ity is lost and absent. While never provoking
this context. The drug rehabilitation centre is
vanishes so fast that we even forget it existed’.
directly, his proposal changes according to the
based in Mitchell’s Plain which was a township
She activates concealed narratives making us
exhibition’s environment: when in Morocco,
during Apartheid, erected after the destruction of
twitch as the drumhead whose echo we hear
the high-pitched beat was perceived as a
places like District 6. The area is predominantly
long after.
warning against the dangers of proselytism.
Al Madat is only one of several dhikr
of Cape Malay and Cape coloured descent. Webb explains ‘Islam and Sufi practices came to the city from South East Asia with the Mardykers and Malay slaves from Mid. 1600. Religion was a powerful tool for slaves during
80
2 This disappearing tradition bears the name of Boutbila. El Tabbal were men from low-income families who had the responsibility to announce the daily beginning of the fasting during the month of Ramadan, in their neighbourhood. Nowadays, their call is heard only exceptionally.
Combining four speakers with neon light, Aleph (2010) by James Webb presents a phenomenon rarely sounded out in contemporary art: glossolalia. It is a continuous out
Soundtrack James Webb, Aleph (2010) James Webb, Al Madat (2014) James Webb, Prayer (2002-ongoing) Magdi Mostafa, Sound Cells (Friday) (20092012) Sirine Fattouh, A Night in Beirut (2008) Younes Baba-Ali, Call to Prayer – Morse (2011)
Clelia Coussonnet is an independent curator and art writer. Since 2012, she has been conducting interviews with artists and curators and publishing reviews. She contributes to Afrikadaa, Another Africa, Diptyk, IAM or Ibraaz. Aleph. James Webb Courtesy the artist, Galerie Imane Farès (Paris) and blank projects (Cape Town) 2010.
loud praise in an unidentified idiom seeming
munication techniques going both inwards and
real. Often mumbling a sequence of syllables,
outwards. Yet, from the outside view, these
the speaker cannot be understood or deci-
practices are often misunderstood. Sharing
phered. In the region of Stellenbosch, Webb
and disclosing those recitations in an exhibi-
recorded young Pentecostal Afrikaans women
tion space enable the audience to learn more.
‘speaking in tongues’. The atypical rhythm
The viewer can interpret and complete the
pouring forth elicits a visceral and mesmer-
work.
izing feeling. Such a flow of unusual words slips out of ordinary definitions on language.
The aural presence of acoustic installations
The singers abandon themselves in this space
based on analysing sounds mediating divine
at the periphery of sense where their expres-
presence reveals the spatiality and secrecy of
sion is neither constrained nor judged. They
sound. While musing on the visible and invis-
believe they are the custodians of angels’
ible realms, artists’ remixes of sacred tunes also
language -opening up a channel between them-
work as doors to historical, psychological and
selves and the person they are praying to.
social issues such as conservatism and morals; migration and multiculturalism; memory and
For Webb, Aleph has a cousin in Al Madat. Both relate to ‘a specific city and context;
loss; subconscious and awareness. Preconceptions as suggestive music can
include demographic enquiries and formally
mislead us. To avoid deceit, listening carefully
rely on powerful methods of spiritual work
and being attentive to what we cannot see
using intense breathing and vocal skills’. For
becomes a shared collective responsibility.
the vocalists, dhikr and glossolalia are com-
81
ART TALK
NEGOTIATION’S – CHAPTER 1-I
Paris-Dualand : une installation polyphonique Jephthé Carmil
C’est à travers la matérialité du son qu’Em’kal Eyongakpa questionne quelques frictions socioéconomiques entre Paris et Douala. « Negotiation’s – chapter 1-i : Paris-Dualand » est le titre de son installation présentée à la Fondation Kadist. Sa scénographie minimaliste crée une narration sonore polyphonique, répartie en deux espaces
ces marchés. Y figurent également, à travers
espace ou de recoloniser par le son un quartier ».
des langues distinctes, des négociations entre
D’autres sonorités de la nature ambiante,
acheteurs et chauffeurs de taxi, des chants de
cette fois-ci issue de la mémoire subjective de
vendeurs et des appels à la prière, quoique le
l’artiste, comme le son des feuilles de Fumbua
français soit la langue de partage de ces deux
(Gnetum africanum), les cris des oiseaux et le
villes. Dans un entretien avec Amal Alhaag,
ruissellement des eaux, circulent à l’intérieur
Avec Negotiation’s – Chapter 1-i : ParisDualand Eyongakpa Em’kal revient avec son usage du son, un peu délaissé dans ses derniers projets au profit de la vidéo et de la photographie. Par des enregistrements effectués aux marchés de château rouge à Paris (France) et ceux de Nkoululu et du Marché central à Douala (Cameroun), celui-ci travaille des sons écrits par ces espaces urbains afin de mieux interroger leurs passés et leurs présents. Sa composition sonore est peuplée du bruit de la circulation, du chahut des nombreuses conversations ici et là, du brouhaha des passants et des vendeurs ambulants de
82
Em’kal Eyongakpa, negotiations, chapter 1-i : dualand-paris, Kadist Art Foundation, 2015 Photo : Aurélien Mole – Courtesy de l’artiste et Kadist Art Foundation
commissaire d’exposition et critique, l’artiste souligne qu’il veut savoir « ce qui entrave la
de ces multiples fragments sonores. Ces différentes sonorités sont transmises
langue française […] Comment Château Rouge
par des enceintes qui ont été accrochées au
à Paris la pousse encore plus loin en intégrant
plafond de la première salle de l’exposition.
des mots ou des expressions de lingala pour
Ce dispositif génère une atmosphère troub-
attirer une clientèle plus diverse ». En effet,
lante qui peut bousculer quelques habitudes
continue t-il, Paris serait « une tentative par le
perceptives. Les sonorités parfois discordantes
colonisé, en fonction des dynamiques globales
de l’espace urbain, qui proviennent de ces
économiques et culturelles, de se réapproprier un
enceintes, se mêlent aux sons de la nature
choisis par l’artiste, sans soucis hiérarchie. En
téléphoniques enregistrés, d’extrait de rap
avec la crise méditerranéenne contemporaine.
conséquence, il se dessine une indépendance
waka waka et de paroles choisies par l’artiste.
sonore, même si, l’harmonie peut dégoûter ou
En interaction avec la salle précédente, celle-ci,
déstabiliser l’expérience sensorielle du public.
entend aborder les questions politiques liées
dans la fluidité des sons libres Negotiation’s –
À cela, six toiles blanches vierges, posées sur
à l’eau et aux frontières, toujours dans un rap-
Chapter 1-i : Paris-Dualand semble être, tout
un white cube taché et décapé, structurent la
port entre présent et passé.
compte fait, une installation polyphonique.
Entre vacarme déconcertant et immersion
Pour écouter un extrait de Negotiation’s – Chapter 1-i : Paris-Dualand : https://soundcloud.com/ emkaleyongakpa/viii-03-mettallic-cottonstudy-study-emkal-eyongakpa-2015
Em’kal Eyongakpa, né en 1981 au Cameroun, vit et travaille entre Yaoundé, au Cameroun, et Amsterdam aux Pays-Bas. À partir de rêves ou d’observations, il aborde le vécu, l’inconnu, ainsi que les histoires collectives, à travers un usage rituel de la répétition et de la transformation. Il travaille autant la photographie, la vidéo, la sculpture, le texte, le son que la Em’kal Eyongakpa, negotiations, chapter 1-i : dualand-paris, Kadist Art Foundation, 2015 Photo : Aurélien Mole – Courtesy de l’artiste et Kadist Art Foundation
mise en scène de la première salle ; et constituent des panneaux acoustiques fonctionnels, qui selon l’artiste, incarnent « des espaces sur lesquels se projette l’imaginaire qui se rattache aux sons de l’espace ». Si les murs blancs simulent le temps et les souvenirs, ils continuent de servir l’environnement immédiat du bâtiment. Ici, la « bio phonie » dialogue avec « l’anthro pophonie » et la « géophonie » dans un vacarme déconcertant. La seconde salle offre des conditions d’écoute différentes. C’est une nouvelle fenêtre qui s’ouvre. Les jeux sonores sont encore présents ; sauf que, cette fois-ci, ils sont accentués avec les sonorités de l’eau, d’appels
83
Selon Eyongakpa Em’kal, cette partie de l’œuvre constitue « une fenêtre à travers laquelle recueillir des sons libres et fluides ». La structure rythmique liée aux sonorités de cette partie de son installation lui vient d’Africa/Brass, un morceau de seize minutes de John Coltrane joué en 1961. De même, un vers d’Amiri Baraka, du poème Why’s/wise, lui a procuré certains éléments pour la composition de cette pièce : « At the bottom of the atlantic Ocean, there’s a railroad made of human bones » (Au fond de l’océan Atlantique, il y a une voie ferrée faite d’os humain). Si le vers d’Amiri Baraka rappelle les souvenirs douloureux de la traite transatlantique, l’expérience sonore de l’eau que propose l’artiste rentre en résonnance
performance. Il a, entre autres, présenté son travail au Saavy contemporary et NBK, Berlin (2014), Sesc_Videobrasil, Sao Paulo (2013), Whitworth Art Gallery, Manchester (2012), 10th Dak’art Biennale, Dakar (2012), IFC Yaoundé, (2012), Doual’art, Douala (2011). De 2012 à 2014, il a été artiste résident à la Rijksakademie Van Beeldende Kunsten, Amsterdam. Jephthé CARMIL est doctorant à Paris 7 – Paris Diderot et aux beaux-arts de Nantes. Il travaille sur les relations entre l’iconographie postcoloniale et l’art contemporain.
ART TALK
MODES DE PRODUCTIONS SONORES, ET DYNAMIQUE DE LA CRÉATION PLASTIQUE Olivier Timma et Eugenie Gwladys Temewé Ninsegha - All images courtesy of Olivier Timma
L’être humain, loin d’être un animal, est au
ou numériques, illustrent le goût pour
Communiquer c’est écouter, et transmettre
centre de toutes les activités. Il est à la fois le
l’expérimental et reconfigure le potentiel du
un message à l’autre. Depuis les temps les plus
créateur et le récepteur des différentes pro-
génie humain. Le recours au langage symbol-
reculés, l’espace d’expression et d’échanges
ductions artistiques qu’il engendre au sein de
ique lui ouvre de nouvelles perspectives sur
tient compte de la disponibilité en tout lieu
la société. Celle-ci, rythmée par ses traditions,
lui-même, sur l’autre et sur l’environnement.
ou à un endroit donné de l’information
ses us, ses mœurs… et, des transforma-
Dans cet exercice, le cerveau est au centre
véhiculée. Gestes, images, symboles ou sons,
tions favorisées par le contact avec d’autres
des opérations de synthèse de tout ce qui est
sont des codes essentiels à cette entreprise. En
modes de pensée, influence sa personnalité
perçu par nos sens. Le son, le bruit, le silence,
Afrique, l’environnement de vie est accordé
et l’amène dans sa posture d’artiste, à distiller
l’intonation et diverses résonnances de tonali-
à la production de sons, qui, bien organisés
ses propres idées à travers les contenus de ses
tés acoustiques qu’il engendre montre bien
en chant, sont repris à l’occasion des jours de
œuvres. Ainsi naît, vit et évolue l’art.
que, la musique est une expérience mentale
peine ou d’allégresse. On se souvient encore
et émotionnelle qui accompagnent les autres
et toujours de ces textes de lecture qui rap-
genres artistiques.
pellent l’ambiance matinale rythmée par les
De par leur nature, les arts sollicitent toute forme d’intelligence pour d’appréhender aussi bien la réalité matérielle que la dimen-
1
On se demande alors comment les
diverses sonorités de productions hétéroclites,
sion imaginaire du monde. En fonction de
créateurs s’emparent-ils du son, dans leur pro-
d’un orchestre qu’on dirait amateur dans
leur spécificité, les arts aident à comprendre,
duction artistique et dans l’écoute du monde ?
l’organisation des notes. Salia Sanou (2006 : 17)
interpréter, voire de transposer dans diverses
En s’interrogeant sur la notion d’influence
rappelle cela en ces termes :
créations, des langages symboliques. Leur la
et son corollaire l’inspiration, il est question
pratique singulière implique la capacité de
de répondre à cette problématique, puis de
reprennent en chœur. Un concert de bruits hété-
concrétiser, de façon sensible, unique et créa-
revisiter la diversité des pratiques, des produc-
roclites se met en place : des bruits de calebasses,
tive, des idées, des émotions ou des valeurs
tions et des variétés d’écoute, avant d’analyser
de marmites, l’éclatement du bois brisé, des
personnelles, sociales et culturelles qui peu-
comment ceux-ci peuvent aider efficacement
murmures. Un cri de bébé, vite refréné par sa
vent contribuer à divers types de mutations
un plasticien dans la création.
mère qui lui enfonce le sein dans la bouche. Des glouglous amplifiés par les échos du matin nais-
dans une société. La créativité artistique et l’effort qu’elle implique, ont forgé des trésors esthétiques qui appartiennent au patrimoine de l’humanité. Tous les champs artistiques : architecture, littérature, arts vivants, arts visuels, ainsi que les travaux oraux, écrits, imagées, sonores,
84
Un coq chante et d’autres dans les environs
Pratiques sonores, diversités de production 1 Ce talent extraordinaire fait intervenir tant l’intelligence rationnelle, que l’intelligence sensible de l’être, à travers son corps, sa voix, ses gestes, son imaginaire créatrice, sa culture et ses valeurs.
sant, des gourdes pleines d’eau remplissent les jarres. Pilons et mortiers se donnent le « la » et la meule du moulin, avec lourdeur, racle d’un bruit sourd les grains du repas matinal.
C’est à partir des données qui régis-
sent l’homme et son milieu que les chants,
Avec le temps, ils sont devenus des instruments importants dans la composition musicale. Ainsi, l’association de sonorités et textes suivant certaines règles et idéaux esthétiques a donné naissance à la musique : l’art de combiner de façon harmonieuse le son. Certains sont autodidactes, tandis que d’autres ont en fait leur objet d’étude dans les conservatoires ou écoles spécialisées.
Aujourd’hui, l’évolution des pra-
tiques sonores rime avec innovation dans les approches méthodologiques, thématiques et acoustiques. On est progressivement passée de la pratique-production-diffusion en live par un orchestre entrainé au préalable, à l’enregistrement et/ou composition assistée par ordinateur. Ce médium devenu outil et support, augmente et dépasse les limités des productions sonores naturelles. Alors, les œuvres qui ne pouvaient être conservées fidèlement, si non transmise de génération en génération, se trouvent enregistrées sur des bandes sonores, puis transposé sur des supports de conservations tels que les disques, les disquettes, les cassettes, CD, DVD, Blue ray… Les supports de lecture sont progressivement passés du phono au lecteur cassette, des compacts disques aux lecteurs3 électroniques contenus dans les casques multimédias, les I Pad, et iPhone, les tablettes numériques, les berceuses et les musiques traditionnelles
sance à des formes d’art comme la danse, le
etc. Du coup, la musique, en tant que métier,
sont ancrées dans le registre de restitution
théâtre, la musique et bien d’autres.
loisir ou activité génératrice de revenue
des mœurs à travers ce que certains cher-
Depuis des siècles, nos aïeux ont
bénéficie des prouesses des Technologies de
cheurs occidentaux ont vite fait de qualifier de
vite compris l’importance de la musique dans
l’Information et de la Communication (TIC)
folklore. Pourtant, le processus de la con-
l’accompagnement de la vie. Ils ont toujours
qui, proposent des approches plus fiables,
struction de la pensée, de la communication,
su, comment utiliser les tambours ou les
plus rapides et probablement moins cou-
de la restitution des faits historiques et des
tam-tams2 pour festoyer ou transmettre des
teuses. Cette situation créée forcément un
épopées est conté au rythme de la musique.
messages publics à toute la communauté.
changement dans la façon de se comporter
Des instruments comme le muet, la cithare, les membranophones, les castagnettes… qui accompagnent cela a finalement donné nais-
85
2
Chez les Bamilékés de l’Ouest-Cameroun par
aujourd’hui. Mais comment peuvent-ils alors
exemple, le son du tam-tam annonce différents évènements
3 En fonction de leur spécificité, ils peuvent lire les
selon le rythme des sons émis.
fichiers selon leur nature audio ou vidéo.
influencer la façon de créer chez un artiste
connaissances, la musique est assurément un
portements inhabituels dans la façon de les
plasticien ?
catalyseur de poids dans le développement
appréhender, de les lire et les délecter.
des stimuli créateurs. Il existe des sonorités
Influence acoustique et processus de la création plastique
Peter Weibel et Julia Gerlach, affirment
traditionnelles et modernes dans toutes
que « C’est par la connexion sensorielle de la
les communautés, et le créateur ne peut
vue et de l’ouïe, par l’articulation du silence
se détacher du monde réel pour créer le
avec l’espace, par la plasticité du son et par
sien. Il est donc attaché à ces mélodies
la dissolution de la salle de concert que l’art
veut imaginatif et inventif. Elle vise à con-
qui deviennent un compagnon de travail
sonore s’affirme comme une forme d’art auto-
cevoir des œuvres inédites et originales ou
ou conditionne sa vision de la forme en
nome, tant dans les arts plastiques que dans la
de redonner parfois une nouvelle vie aux
devenant une source d’inspiration, voire de
musique. »5
formes déjà existantes. L’artiste questionne
concentration pour lui.
La création artistique est un acte qui se
le monde à partir d’un point de départ, qui
Voilà pourquoi la disponibilité des œuvres
Les récentes expositions d’arts plastiques dans les centres d’art contemporain de Doubaï
de façon consciente ou pas, exerce sur lui
sonores en tout temps et en tout lieu, con-
ou de New York, ont à chaque fois rendu
une certaine pression qui le transforme et
stitue un facteur récréatif qui influence nos
compte de l’emprise du son dans la concep-
l’amène à de nouvelles initiatives. Par exemple
affects et nous conditionne dans nos actions.
tion et la composition plastique. En retraçant
chez le peintre qui maitrise les formes, les
Les réalisateurs de film l’ont très bien compris
l’histoire de ce médium, certains travaux
signes, les valeurs dans une harmonie colorée
en utilisant les spécificités lyriques des notes
d’artistes mettent en exergue l’univers sonore,
à dominance froide ou chaude, on verra
acoustiques, pour soutenir les actions dans
visualisé par une scénographie spéciale,
généralement des propositions des scènes
leur œuvre. Aujourd’hui plus que hier, cela est
comme. des courbes montrant des oscillations
inspirantes et inspirées de la vie quotidienne
devenu carrément une mode et un identifiant
des rythmes distillés, dévoile la dimen-
ou non, selon sa vision du monde ou son
car, nombreuses sont les entreprises4 qui se
sion graphique et/ou picturale d’une entité
appartenance sociale.
sont forgées une marque à partir d’une iden-
que l’on a toujours perçue dans sa simple
tité sonore. Il se trouve bien évidement que
approche acoustique.
Cependant, en dehors des facteurs comme l’état - d’âme, le patrimoine
ce panorama du cosmos sonore atypique ou
émotionnel,
non, touche différents domaines dont celui de
orchestrées dans un mouvement de l’art dit
la charge
l’art contemporain et crée toute sorte de con-
contemporain ou « l’art comptant pour un »,
culturelle et
nexion entre science et expression artistique.
nombreuses sont les expositions qui mettent
la force des
L’art sonore actuel est varié et les interac-
l’accent sur l’expérience visuelle enrichie par
tions diverses du son, de l’espace, du temps
l’art sonore. Si dans ses sculptures monumen-
et de la forme ont fait leur immersion dans
tales, Bénît Maubrey utilise les haut-parleurs
les tableaux de peintures, des sculptures et
comme éléments de sa forme volumique, la
des installations ou les perfor-
lumière et le son sont comprimés par Marien
mances qui s’accompagnent de
Zazeela ou La Monte Young pour réaliser des
musique. Dans cette quête de
synthèses des arts et l’audition.
dire ou de voir les choses d’une
Ici, le son est considéré comme médium
autre manière, le consommateur
artistique soutenu par l’expérience auditive
se retrouve donc face aux œuvres
qui peut alors modifier de manière originale
hybrides et sonorisées. Ceux-ci mettent en situation une nouvelle esthétique et oblige des com4 Apples, Window, Samsung, Sony, Renault…
86
Par ces mutations enrichies d’expériences
5 Peter Weibel et Julia Gerlach. L’art sonore. Le son comme média artistique. [En ligne] < http://www.sonore-visuel.fr/ evenement/lart-sonore-le-son-comme-media-artistique > (consulté le 27/09/2015).
radiophonique comme un média artistique.6 » Ces recherches ont facilité en 1913 l’édification de l’art moderne, avec des travaux de Luigi Russolo, un peintre futuriste et compositeur qui s’est approprié des bruits de la ville qui a érigé en œuvre d’art. C’est dans la même logique que des artistes appartenant au mouvement Fluxus et à celui du Happening ont repoussé les limites de l’aspect performatif de la musique dans les œuvres d’art. Alors, il est possible d’interpréter leur état d’esprit ou portrait intérieur au moment de la production. Même s’il ne choisi pas les couleurs du tableau, son « moi intérieur » le fait à son insu, car l’état - d’âme est l’expression totale de la liberté de l’artiste comme l’illustre Jean Kouam Tawadje et Al (2011: 17). Pour cette raison, les formes arrondies aux couleurs chatoyantes traduisent la gaité, la liberté, etc. Alors que les formes aux angles pointus et aux couleurs sombres expriment un emprisonnement d’esprit, une carence ou un regret. En outre, les formes et les couleurs obtenues dans cet atelier sont bien différentes de celles réalisées en d’autres temps. En fait, le rythme de la musique oriente les mouvements de la main qui matérialise le signe et le choix de la couleur à appliquer. Lorsque la perception visuelle. Le visiteur au cours
médiatiques. Dans cet art sonore, les questionne-
des vernissages est associé à l’évènement et
ments politiques menant à réinterroger le son
est à la source de certains sons. Quant aux
et l’ouïe jouent un rôle important. La fusion de
œuvres pérennes, les musées sont obligés de
la pop et de l’art a permis aussi à plus en plus de
se métamorphoser en un espace acoustique
plasticiens de découvrir le disque vinyle comme
pour accueillir ces réalisations pour le moins
un support de pratiques visuelles, et ce de Milan
inattendues.
Knížák jusqu’à Christian Marclay, auquel a été
C’est ce qui fait dire à Peter Weibel et Julia Gerlach que, « La création actuelle, polymorphe, s’inspire des significations de l’information et de la communication médiatique, d’environnements sonores et de constellations télématiques ou
87
décerné le Lion d’Or de la Biennale de Venise en 2011. Mais les pochettes de disques aussi, et non
le rythme est calme ou doux, les formes sont de plus ou moins arrondies, avec des ouvertures par endroits et les couleurs bien harmonieuses. Lorsqu’il est par contre aigu, les formes carrées, rectangulaires et triangulaires sont les plus utilisées, accompagnés de couleurs sombres ou rougeâtre dans une harmonie saccadée frisant la révolte, la fermeté la sévérité ou le conservatisme.
pas uniquement les vinyles, sont devenus des
6 Peter Weibel et Julia Gerlach. L’art sonore. Le son comme
objets artistiques.
média artistique. [En ligne] < http://www.sonore-visuel.fr/
À compter des années 1960, les artistes et compositeurs ont également abordé la pièce
evenement/lart-sonore-le-son-comme-media-artistique > (consulté le 27/09/2015).
À partir des paroles, des mélodies ou du
(1996 : 5) que :
création, on est venu à expliquer les mécan-
« C’est pour ce sentiment : être médiateurs
ismes qui encadrent les notes acoustiques à
au message que livre une chanson. En ce
sociaux, qui créent, avec application et géné-
susciter à la fois expressivité, exubérance et
moment, la musique est pour lui une source
rosité, des œuvres qui deviennent le signe d’un
ferveur dans l’érection des formes plastiques.
d’inspiration qui libelle un sujet à traiter
monde riche en traditions qui ne doivent pas
Toutefois, gestuelle, formes et couleurs des
en s’appuyant sur des formes qui vont lui
s’éteindre, mais se revivre dans une nouvelle
rythmes musicaux, frappent l’oreille, saisies
permettre d’illustrer le propos. Cette planche
créativité, en une recherche continue de renou-
l’imaginaire et convoquent les formes propres
picturale peut être la reproduction de cer-
vellement des techniques et de l’expression. »
ou spécifiques à l’écho de ce qui est écouté,
fond sonore, le plasticien peut s’intéresser
taines postures du chanteur, la représentation
S’ils sont l’objet, à l’échelle mondiale,
mais aussi de l’expérience de l’artiste.
ou la projection des paroles chantées. (cf.
d’enjeux commerciaux qui s’accompagnent
Photo 1 et 2). Parfois, l’artiste représente une
d’une certaine homogénéisation des cultures,
manuel, il intériorise et matérialise au gré de
scène folklorique ou l’orchestre est présent,
ils figurent néanmoins parmi les moyens les
son expérience émotionnelle et esthétique,
ou encore, il décide de faire une combinaison
plus efficaces pour un peuple de sauvegarder,
voire son patrimoine culturel et cognitif. C’est
d’instruments entremêlés qui laisse reconnai-
de développer et d’affirmer son identité
à ce niveau que le peintre comme les autres
tre chaque élément.
culturelle.
plasticiens s’inspirent de la vie quotidienne
Avec le principe de déconstruction-reconstruction, ou de détournement-appropriation,
Sous le triptyque du visuel-mental-
Pour finir…
pour s’adresser au public. L’intrigue est sou-
L’impact bienfaiteur ou non de la force
vent très vivante, pleine d’esprit et de saveur.
certains éléments peuvent devenir mécon-
du sonore ou de l’acoustique sur le consom-
Ce qui fait de l’espace picturale transformé
naissables à la fin car le contemplateur qui ne
mateur actif ou passif, n’est plus à démontrer.
en lieu colorée, un espace de communica-
se contente que du produit final ignore les
Sa dimension philosophique, poétique,
tion destiné à ceux qui s’intéressent à la
transformations qu’ont subies les formes pen-
éthique, technique et scientifique met en
culture des tableaux dans la sphère de l’art
dant le processus de conception. Néanmoins,
relation l’environnement et la nature pour
actuel. Mais aussi de la reforme d’ouverture et
celles-ci ne sont pas réelles mais figuratives et
soutenir l’existence de l’individu partout où il
d’interdisciplinarité qui créent des liens de plus
donnent la possibilité d’être reconnues par le
évolue. Il est non seulement son héritage le
en plus étroits entre eux.
public.
plus précieux, mais une richesse commune
Références bibliographiques
à l’humanité. En tant qu’une harmonie de la
- Tagliabue Mariarosa, 1996, Cameroun art,
nouvelles approches plastiques. Ainsi, les
« puissance de flexibilité », de la perméabilité
Milan, Éd. Museo Guiseppe Gianetti, COE et Galleria
assemblages et les installations deviennent
intensive, de la «fusion avec la totalité », il signi-
Artemondo.
des disciplines et des techniques. La peinture,
fie la paix, la concorde, l’union dans les sphères
en tant que discipline, qui fait toujours recours
de la création tout court.
L’art contemporain ouvre les portes aux
à la matière liquide trouve les nouveaux médi-
- Couturier Élisabeth, 2009, L’art contemporain : mode d’emploi, Paris, Éd. Flammarion.
La synthèse musicale des traditions d’ici
- Sanou Salia, 2006, Afrique : danse contempo-
ums : les substances solides. Et les artistes,
et d’ailleurs qui se fait dans les sonorités qui
raine, Paris, Éd. Cercle d’art et centre national de la
toujours à la quête de nouveaux horizons, se
nous sont livrées de nos jours à coût de grand
danse.
lancent dans la réalisation des peintures à base
renfort multimédia se révèle comme une plus-
des matériaux de récupération. C’est ainsi que
value de la création contemporaine envahie
Idrissou (2011), j’apprends à peindre, Yaoundé, Éd.
les accessoires de sonorisation deviennent le
quel qu’en soit le genre dans la production
Tropiques.
fondement de la production picturale. Et, le
artistique et dans les modes d’écoute qui
plasticien les agence à sa manière, selon un
prend l’image comme témoin privilégié de ses
termes et expressions usuels dans les réseaux pro-
équilibre de formes et des couleurs afin de
mutations.
fessionnels de la musique, éd scène d’ébène, pdf
concevoir une image inédite. (cf. Photo 4) C’est ce qui fait dire à Mariarosa Tagliabue
88
En se demandant comment adapter des suggestions sonores aux autres formes de
- Kouam Tawadje Jean, Timma Olivier, Njoya
- Mefe Guy-Marc Tony (2014), Petit lexique des
- L’art sonore. Le son comme média artistique. [En ligne] < http://www.sonore-visuel.fr/>
89
90
91
ART TALK
NORTHAFROBEATZ
North african electronic deep urban trance of rhythms of life Dinah Douïeb
Northafrican Echoes « Je suis Africain, non pas parce que je suis né en Afrique, mais parce que l’Afrique est née en moi. » (Kwame Nkrumah) Northafrobeatz rend hommage à la démarche artistique du musicien Fela Kuti dans son ensemble. Suite à l’exposition Force Noire que j’ai organisée en 2012 à Paris, en présentant le travail du peintre Lemi Ghariokwu, illustrateur «King of Cover Art» des 26 albums de Fela Kuti. On parle de Fela comme d’un être à part qui communiquait à son public, au monde autour de lui, sa transcendance artistique : il parlait déjà de nous affranchir de nos propres chaînes mentales…La force de ses images et de ses sonorités, de la cadence de ses tambours, a fait retentir Fela Kuti sur son trône « vivant » en nous insufflant cette passion du rythme. Son processus est aujourd’hui à l’œuvre parmi toute une génération d’artistes qui fait revivre sa musique en « live ». Avec Northafrotbeatz, j’ai voulu apporter mes influences, l’effervescence de toutes les cultures dont j’ai hérité pour réaliser cette idée - un « Live Set musical & électronique ». C’est un concept qui rend hommage à la « trans-
92
mission musicale » qui s’est inscrite dans le rythme de nos existences sonores, celui des
tube.com/watch?v=UD1WbWNKi3k Cheikha Rimitti est la première diva
musiciens dont l’emblème sacré, ici, le plus
du Raï à chanter l’amour et la liberté, le
puissant est la conscience instinctive inspirée
féminisme, la liberté sexuelle de la femme,
des polyrythmies de l’Afrobeat.
les corps emmêlés, l’alcool. Djenia signifie la
Fela Rocks: en concert avec le batteur
diablesse ; Cheikha Djenia se distingue par un
anglais Ginger Baker https://www.youtube.
style atypique. Sa voix grave, rocailleuse et
com/watch?v=20UbO62UJUg
caverneuse est particulièrement identifiable.
Fela Kuti à Berlin https://www.youtube. com/watch?v=wz2jXHKa7TY Fela Delasoul - une tapisserie musicale Hip-
Ses chansons aux rythmes lents sont des complaintes lancinantes et mélancoliques. Northafrobeatz est le point d’orgue de
Hop, produit par Amerigo Gazaway. https://
toutes mes aventures musicales, ritualisées
www.youtube.com/watch?v=8PDg8YyFzMw
depuis plus de sept ans autour de l’une des dernières chanteuses de Raï ancien : Cheikha
De L’african Beat Au Raï
Rabia. Cheikha Rabia est le symbole de la Mère,
Le Raï, est une musique manifestement
de la Matrone, qui suggère aux musiciens la
rebelle, qui est née en plein cœur de l’Ouest
direction musicale qu’elle désire emprunter.
algérien. Déployant ses ailes, le Raï rencon-
Elle chante de sa voix androgyne et puissante
tre un succès international, dans les années
sa litanie, entourée de ses musiciens tradition-
90, avec la voix d’or du Raï, Cheb Khaled,
nels ou dans sa version électro-électrique
sous les bons augures de “Cheika Rimitti”, la
pour le Label Dinamyte (joueurs de flûtes en
Reine du genre, https://www.youtube.com/
roseaux -Gasba-, de tambours longilignes
watch?v=MQndYND2s9M et de ses filles spir-
-Galal- de Tar, tambourin aux sonorités de
ituelles Cheikha Djenia https://www.youtube.
cuivre et de bois.)
com/watch?v=hXRgHkDvzk4&index=5&list=RD 9l6Ri5l1mWc et Cheikha Rabia https://www.youtube. com/watch?v=PlsoFHEXzi0 https://www.you-
« Le rythme ne réside pas dans ma peau, il est inscrit dans mon esprit comme un corps brûlant qui attise la transe de nos existences collectives, de nos vies. »
NorthAfrobeatz est le substrat même de l’essence féminine du Raï et de tous ses
résonne…
de douleurs comme dans «Les Ruines » de la
La fonction première de la musique est
courants (Rimitti, Djenia, Rabia…), les maîtres
d’exprimer le parcours de ces émotions à
flûtistes et les Chebs funky des années 70’s…
travers une chronique sonore, qui constitue
Northafrobeatz est un concept en mouve-
chanson mythique d’Oum Kalthoum. https:// www.youtube.com/watch?v=Go-3AN-m2gI Les souvenirs de mon enfance qui scin-
le halo de nos empreintes. Une manière de
tillent, se croisent sur la route de l’exil. J’avais
ment ou l’improvisation sur scène occupe une
laisser une trace lors de ce parcours éphémère
à peine cinq ans, mais je me souviens encore
grande place. C’est un voyage sonore dans le
essentiel à nos existences musicales.
des réminiscences sonores du passé où tout se
temps, l’expression d’une quête sociale pour
L’idée est de réaliser un set live de musique
mélangeait, les voix des femmes, des tantes,
la connaissance et la conscience de soi et du
électronique en totale immersion, élaboré
des frères, et du monde qui me semblaient
monde qui nous entoure. Northafrobeatz,
avec le répertoire de la chanteuse de Raï
étranges et inconnus à l’image d’une jolie
c’est l’exploration de la mémoire sonore en
« Cheikha Rabia » , en incluant les enregis-
carte postale. De Tunis, j’atterrissais en 1965
suspension contre l’oubli – l’Afrique est une
trements des performances vocales avec
dans le Val-de-Marne, du soleil à la grisaille, de
source de vie et d’Histoire.
l’orchestration des mixes, et en associant à la
la plage au béton, dans la candeur du Nord
musique des performances « live » visuelles et
jovial et opalin des années 60. Je découvrais
du « Son » et du « Beat », le rythme de la vie
sonores. Ici, le Nord synthétise la rencontre de
la petite ville de Thiais comme une specta-
associé à la technologie. Cette technologie
toutes ces influences.
trice, depuis le 6ème étage d’une tour, au
Northafrobeatz fait la révérence au règne
peut nous offrir la possibilité de remonter dans le temps pour explorer les traces de ces divini-
bord de la Nationale 186, et du haut de mes
#Tunisie #Life #94 <75>
tés sonores, de les faire résonner et partager
nouvelle vie …
avec ceux qui le désirent cette passion, cet
J’ai commencé a mémoriser les sources de
amour de la vie qui se rattache à notre cœur et
l’histoire musicale de ma famille, de ma propre
Naïve et renfermée je me sentais étrangère à ce brouhaha semi-mondain. Lors des
histoire et de toutes
mariages et des grandes réceptions, seul
les expériences et
le spectacle du chanteur charismatique
anecdotes sonores
et cousin de la famille m’intéressait: Raoul
qui se sont fixées
Journo http://www.dailymotion.com/video/
dans ma mémoire -
x5p9n9_raoul-journo-taalilat-laaroussa_music
en mixant dans mes
(dont les chansons aujourd’hui sont encore
compositions les
incontournables et appartiennent désormais
réminiscences d’un
au patrimoine musical tunisien et lui même
passé enregistré :
héritier du Grand Cheikh Elafrit - Maître du
les souvenirs de
Taalil http://www.dailymotion.com/video/
l’enfance à Tunis,
x5ejjs_cheikh-el-afrit-el-berrima_music.
où résonnent
93
6 ans, comme un prélude enchanté vers une
Sa voix grave reste encore inscrite dans
encore les ruines
ma mémoire sonore, un souvenir royal à
magnifiques de
mes yeux (Raoul Journo « Ana Targui Weled
l’ancienne Carthage.
a Targuia» -je suis touareg fils d’Une Touareg.
Ces ruines sous
http://www.dailymotion.com/video/x7f8c9_
influence, enfouies
raoul-journo-ana-targui-weld-ettarg_music
dans la révolution
, Je percevais la famille comme un groupe
numérique, trem-
d’adultes précieux, toujours soigneusement
blent de beauté et
habillés. Ils semblaient toujours heureux de
partager leurs bonnes humeurs quand la
musicale nord-africaine retentissaient encore
familiales retentissaient tous les vendredi
danse les faisait tous tourner ensemble. On
dans notre maison dans les années 60 et 70.
soir et samedi à la maison. Un sacerdoce! La
célébrait les mariages sacrés sur fond musical
Rien ne m’intéressait plus que la musique. La
musique résonnait spirituellement, allègre-
égyptien (Farid Elatrache, Oum Khaltoum) et
puissance et la beauté de la voix de mon père
ment. En 1965, on écoutait les vinyles du
tunisien. Les souvenirs de cette atmosphère
et de mon grand-père lors des cérémonies
grand orchestre oriental avec ceux de « James Brown », des « Temptations », « Jimi Hendrix » et des « Rolling Stones ».
#Arts Je voulais être peintre à 6 ans. A 9 ans, musicienne. Mon enfance a été bercée par les chants, les comptines et les histoires de « Gaule et de Navarre ». De belles phrases aux lettres fines que nous utilisions comme de l’orfèvrerie, pour bien écrire et parler. J’apprenais cet amour là, la poésie. De là, je me suis plongée dans une autre réalité qui hantait mon esprit. À 15 ans, c’est l’errance. Je quitte les bancs du collège en 1976. La France me fut comptée, mais je comptais sur autre chose. La musique reste l’un des meilleurs atouts de ma vie, l’école que je vénérais me fut fermée à l’âge de 16 ans : un échec pour une renaissance ! Je me plonge alors dans la « Punkitude » en mode « Funky ». Là où je concevais tous mes rêves de musique, les nuits où je pouvais encore m’extraire du monde des adultes pour m’envoler vers les 7 planètes sacrées (do ré mi fa sol la si do) de l’univers des musiciens. Ce fut aussi le point de départ de tous mes voyages vers l’Ouest, le Nord: New York et Londres, l’Allemagne et le sud de l’Europe, l’Espagne, le Brésil et toujours plus à l’Est: l’Egypte jusqu’aux portes de l’Arabie dans le désert du Sinaï. Puis nous étions deux à vouloir traverser le désert du Sahara en voiture en 1983… en Peugeot 504. Sur la route du Nord de la France pour atteindre l’Afrique de l’ouest. Une route encore libre dans les ©ChloédesLysses
94
années 80. Nous voguions vers l’Italie du Sud,
la Sicile, le bâteau pour la Tunisie et au Sud,
perception que je pouvais avoir du son, de la
dans la société du spectacle électronique.
les portes du désert : le Sahara. La beauté de
manière de concilier les formules rythmiques.
Le public, l’audience, la rue, le musée et
l’Algérie, les couleurs et les parfums épicés
La compréhension de ces « algorithmes » et de
l’université, l’espace se transporte dans les
du Maroc…. puis la découverte des villes
la durée des calculs électriques, de la mémoire
jardins… le temps d’une installation.
légendaires comme Agadès au Niger. L’Ouest
et de son aptitude à être parallèle, en évacuant
fut un enchantement tropical rafraîchissant
la pensée du calcul, afin de le rendre exécut-
sion. Sommes-nous tous sous l’influence des
après la chaleur étouffante du désert où nous
able par une machine numérique.
« Robots » ?
nous protégions des 60 degrés au soleil. Puis la verdoyance des champs du Benin, le Togo, le Ghana et la Côte d’Ivoire. Un voyage
« L’idée est de convaincre les machines et non d‘être vaincu.. » Une heure numérique froide et glacée
Notre propre horloge est survoltée de ten-
Intrinsèquement liées au continent africain, aux territoires du rythme et à sa compréhension – instinctive, abstraite et infaillible,
exceptionnel dont les sources sont multiples
comme décrite dans le Cycle des Robots
comme la justesse des 7 notes de la gamme.
et essentielles.
d’Isaac Asimov, où la poésie se mêle aux chro-
Ces divinités musicales sont proches de nous
niques du temps et fait face à nos inquiétudes
et nous réapprennent à être humains dans un
musicale, j’apprenais à l’école de la vie une
sociales, confrontent nos peurs. Que nous
monde robotisé.
nouvelle manière de transcender l’existence.
reste-t-il d’humain ? Si ce n’est cette parole et
Vivre de nouvelles expériences.
ce cœur, ce souffle imprononçable.
A travers la recherche de mon identité
#Networking
Cet inconnu musical est inondé de
Technologie + Electronique + Mix Puis de retour de ces voyages, je suis enclin à commencer une nouvelle vie. Après mes premiers pas dans l‘industrie musicale, l’envers du décor s’ouvre à moi : celui de la production et du management. L’idée est de chercher à créer et à communiquer différemment. Sommes-nous les « témoins », les « artistes
technologies, de selfies et de réseaux sociaux,
La musique électronique petit à petit
d’images virtuelles et de consécrations, de
s‘est éloignée des conventions de la culture
forces et de vigueur, de migrations, de mouve-
club qui l’a en partie engendrée pour devenir
ment sociaux, de cette complexité sociale qui
aujourd’hui une expression à part entière. Une
nous emporte encore plus au Nord du monde.
nouvelle génération de musiciens-son émerge
Est-ce un seul et même son global qui répond à la fonctionnalité des marchés ? Dans les garages rock électrique, où la dimension sonore est à son apogée, on peut
- avec ses sciences parallèles du multimédia et son networking électronique, son système autonome de pensée aussi. Les différentes étapes musicales de la
magnifier le temps par le son, l’électrolyser
production ont permis aux musiciens de
», les « producers », les « doers », les « curateurs
pour introniser sa venue dans l’espace virtuel
s’affranchir de certaines servitudes et des
», les « performers »? Sommes-nous suffisam-
de notre mémoire.
rouages de diffusion et de communication
ment audacieux et déterminés pour défier
Northafrobeatz est à la recherche de
de l’industrie pour faire font place à un 21ème
aujourd’hui les nouveaux enjeux artistiques
nouvelles configurations esthétiques qui
siècle tranché et audacieux–froid et numé-
et sociaux…. Des questions d’ordre existentiel
englobent le Tout, mais se singularise par ses
rique – nostalgique et christique- brûlant et
s’imposent. Soucieuse de vouloir partager
identités, ses langues, son style, sa person-
chaotique. Le rêve d’une fusion mondiale est
cette énergie, je souhaite la mettre en œuvre
nalité, idiome parlé et idiome chanté, idiome
fulgurant de torpeur. Il ressemble à une lame à
au service d’un artisanat musical et de tout ce
pensé et dit. Le voyage d’une décomposition
2 tranchants.
que cela convoque pour exposer mon projet
sonore des stéréotypes musicaux, des aveu-
Des centaines de milliers d’artistes sont
sonore.
glements et autres idées reçues. Donner des
régulièrement programmés pour le dance-
émotions à la musique et créer de nouveaux
floor. Souvent catalysés sur le même tempo,
et l’accessibilité des échantillonneurs de sons
territoires à la découverte du Silence, qui
celui du marketing et des tradeMark ©
et de la M.A.O ont irrévocablement changé
suscite l’intérêt ou la stupéfaction par tant de
quasiment sur les mêmes structures, avec
ma façon de composer de la musique, de la
démonstration et d’explorations hasardeuses
les nappes et les compositions rythmiques
L’association de la technologie numérique
95
clonées sur des modèles.
musicien errant convertissent les complexités
« Non-stop »
de ces souffrances en joie, ces plaisirs en émo-
Combien de paramètres organiques faut-il
tions, ces colères en rage, et nous transportent
prendre en compte pour recréer numérique-
vers des états de conscience agréables ou
ment ces fréquences sonores acoustiques et
effrayants.
électriques « Robots » – à prendre en compte,
Northafrobeatz c’est l’exploration de cette
nous serons aussi esclaves de ces machines.
mémoire en suspension et contre l’oubli de
Ce rêve nous a enchaîné à de nouveaux dieux
ces richesses ancestrales qui sont inscrites,
exigeants et sélectifs « les Robots » où toutes
gravées dans un moment de l’Histoire.
les formes de savoir et de connaissance sont
En hommage à tous ceux et celles qui
broyés dans le flux et le reflux numérique.
m‘ont inspirée et donné l’envie de réaliser ce
Bienvenue dans la « Jungle technologique
projet…
» du big data numérique, des chaînes de programmation et des réseaux sociaux, de l’ultra-communicabilité et de la pornogra-
https://soundcloud.com/dinamyte/yababanorthafrobeatz
phie « synthétique », des grandes actions
https://soundcloud.com/dinamyte/lalinightz
- Fela Kuti avec l artiste Lemi Ghariokwu et les
humanitaires au « grand soir » de l’information
https://soundcloud.com/cheikharabia/
photographies 83-86 de Pierre Terrasson.
continue où la guerre des idées se confond dans la recherche de nouveaux paradigmes. Des énergies antagonistes s’opposent et s’unissent – s’épousent et divorcent sans cesse. Territoires où s’opposent la tradition et la modernité. Des courants multi-directionnels où
touchemamitouche-wav https://soundcloud.com/cheikharabia/ adjebinizine https://www.youtube.com/ watch?v=ClV7IU63eSg
Cheikha Rabia est une Diva du Raï. La résonance de sa voix androgyne & puissante invite à la Trance. Un projet audacieux qui traverse les cultures et les
https://www.facebook.com/northafrobeatz
frontières musicales bouleverse les clichés,
http://northafrobeat.tumblr.com/
et renverse les stéréotypes du “genre” .
l’image est, au sens propre et figuré, de
Fusionner des musiques traditionnelles et
nouveau au centre de tous les sujets et
Dinah Douieb
acoustiques avec les nouvelles sonorités
convoitises, de toutes les polémiques et
productrice, musicienne et curator.
électriques et électroniques. Ce prelude est
discours. Les musiciens aussi n’ont pas eu
Elle crée le lable Dinamyte en 200!.
à la transe répétitive ce que la techno et le
d’autre choix pour se libérer de ces entraves
et produit la mythique chanteuse de Raï,
rock ont gardé d’emblématique des Rythmes
que de prendre en main leur propre avenir en
Cheikha Rabia , 65 ans, avec un 1er album
créant dans ces nouveaux paradigmes leurs
“Liberty” signé chez Budamusique.
territoires virtuels !
Aujourd’hui elle se concentre sur un projet musical plus personnel après 8 ans de produc-
«Ceux qui dansent sont pris pour des fous par ceux qui n’entendent pas la musique» (Nietzsche)
tions avec cheikha rabia , Elle a crée l'ensemble electronique NorthAfroBeatz. Elle organise l’une des première exposition parisienne sur le rock et la
Ces sonorités électroniques, étranges,
punkitude « Rock Is My Life » à la Galerie
stellaires et diaphanes, sont innervées à l’écho
Chappe - l’exposition GAINSBARRE 80 à la
d’un siècle numérique. Il glisse comme les
galerie Hautefeuille du photographe Pierre
particules d’un corps sonore. Ici, le poète et le
Terrasson et dernièrement l ‘expo :Force Noire
96
d’Afrique, dans sa nouvelle version..
©ChloédesLysses 97
ART TALK
ARE YOU LISTENING? An Interview with Artist Christine Sun Kim Emily Goedde
Christine Sun Kim Photograph: Ryan Lash, 2015
The work of artist Christine
Sign Language (ASL), her native
at the Whitney Museum, Haver-
Sun Kim is about sound and listen-
tongue. She brings to our atten-
ford College, Southern Exposure,
ing. In it she asks us to consider:
tion to the fact that English (and
Arnolfini, and the University of
What is sound? What power does
other sonic language) speakers
Texas Visual Arts Center. Some
it have? What assumptions do we
might too easily assume that lan-
of her current projects involve
have about it? What rules contain
guage is a sonic experience, even
teaching about vlogs (video
it? And how do we listen? Can we
though language and sound only
blogs), which she co-developed
listen with our eyes and our bod-
overlap in certain areas. Kim,
at the Whitney Museum in New
ies? What might we learn if we do?
who has been a TED Fellow, was
York. The vlogs not only present
recently named a Director’s Fel-
materials about modern and con-
guage, rooted in the fact that Kim
low at MIT. Her work has been
temporary art in ASL, but work
often communicates with speak-
exhibited around the world, and
to expand ASL’s vocabulary about
ers who aren’t fluent in American
she has been an artist-in-residence
contemporary art.
There is also play with lan-
98
In summer 2015 she exhibited the visual
interpreter cuing me to repeat or slow down
of the time. The unfortunate part is that blind
and sound installation “Piano Like a Lunch
(I’m a fast signer!). And it would often be in
people are not learning visual social engage-
Sandwich with Game of Skill” at White Space
much better ASL. So it’s important to have
ment. I suspect that a lot of the reason people
in Beijing. This fall you can find her work
that space for us, to have the option of having
appreciate me as a speaker has as much to do
(including both the drawings and the interac-
and not having a voice interpreter.
with how I present physically and visually as
tive work “Game of Skill” discussed below) in
Other than using more English in your
with what I say. I think it would be a very differ-
the show Rustle Tustle at the Carroll/Fletcher
signing, how do you change your ASL to
ent experience if I didn’t physically engage the
in London. It runs from November 27 until
make it acceptable to English speakers?
audience when I speak. I think a lot of people
January 23. In October, her work will be fea-
My ASL is often not pure when I speak in
would feel disconnected from me. (http://
tured as part of the show Greater New York at
front of large audiences or am working with
ideas.ted.com/how-a-deaf-artist-and-a-blind-
MOMA PS1, in Queens, New York.
non-ASL collaborators. If the grammatical
activist-experience-the-world/)
order in English would be, for example, “not Emily Goedde
For me, it depends on what I want to talk/
really hungry,” I would” sign that instead of the
communicate about. If I need to connect with
ASL, “hungry, not really.” A deaf friend of mine
the audience first, then I try to make my lan-
your work moving between ASL and Eng-
has also remarked that I sometimes make my
guage understandable to them... and if I want
lish?
face look a bit monotonous. That’s because I
to be myself or stick to my ideas, completely,
want to make myself “presentable.”
then I just stick to my language and let them
Maybe you could begin by talking about
Christine Sun Kim I have worked as an educator at the Whitney in New York, where there would be two
adapt to me a little. I often ask myself how far So it’s not always about the language per
I should go. Should I meet them halfway or
tours in ASL per month, one with a voice inter-
se, but also about how other factors affect
should I go more than halfway in order to initi-
preter and other one without voice. It’s nice to
the way an audience listens.
ate new ideas.
have the voice interpreter for deaf attendees’
This is making me think of the conversaI love that you challenge other language
family/friends who do not know ASL. And all
tion I had with Daniel Kish, [an expert on
my reading material was in English, so I would
human echolocation, a vocal technique he
speakers to expand their language. Do you
sign with English influence to save me some
uses to measure space via sound rather than
think the fact that you are multilingual has
time on translating into pure ASL. I would trust
vision].
helped you become the creative person you
my interpreter to voice me with accuracy. I
A lot of blind people would have con-
are? Do you look for the spaces between
also sign more English with interpreters I
ducted this entire interview facing straight
languages as a place to generate new
have never worked with before, probably
ahead. Or maybe even with their head down.
ideas?
out of the fear of not being understood, as I
On a stage, I’d say the majority of blind people
can almost never tell if I’m being voiced right
would stand exactly in one place and just look
Korean and English, it wouldn’t make much of
and/or because I am not able to have a direct
straight ahead. Blind people often fall into
a difference on my work. But ASL doesn’t have
dialogue with the audience. At the Whitney,
this “wooden neck syndrome,” where their
a speech or sound component to it, so it’s very
when there was not a voice interpreter, it was
heads are fixed straight ahead, and so they’re
different from other spoken languages. ASL
nice to have a kind of intimate discussion with
not really engaging people. It looks unnatural,
and English often clash with each other and
deaf attendees without worrying about my
and yet I would say it happens that way most
that’s where I get materials.
99
Definitely. I think if I communicated in both
What about voicing? Could you speak about your work with interpreters?
choices mean? It reminds me of a quote by Yoko Tawada,
identity to everyone. Your work “Subjective Loudness” from Sound Live Tokyo in 2013 also
a native speaker of Japanese who writes in
challenges this idea of how we look for an
German:
individual’s sonic identity.
Where does a voice come into being? Perhaps a vibration is first created in the
In this performance you asked the
vocal chords, the palate, on a person’s
audience to transform a list of items that
tongue. But this is not yet a voice. Only in
reach 85 decibels (the maximum limit for
the listener’s head is it constructed as the
sounds in Ueno Park, where the piece was
voice of a person. We hear selectively, we
performed) into a score. You chose the items
correct, add to, and adulterate what we
that reached this sound limit (a dishwasher,
“One Too Many Voices,” 2015
are hearing. Otherwise it would be impos-
a car wash, a band, a freight train, a ringing
Courtesy of the Artist
sible to understand the person speaking
telephone, etc.), and the audience created
to us. We contribute to this process by
the sounds. In this case, you created your
bringing in our own knowledge, precon-
voice, your sonic identity with many people.
This drawing is a reference to my relationship with a number of interpreters. It seems
ceptions, imagination, and repressed
so hard to find the one who represents every
thoughts. Thus every act of listening is
voices were my voice. It was such an amazing
aspect of my voice, so it depends on the situa-
already a dialogue, even before we open
experience to watch people willing to work
tion/setting. If its for a lecture, I would pick the
our mouths to reply. (“The Art of Being
together to make my voice known. They
one who makes me sound super professional,
Nonsynchronous” 189)
allowed me to expand my voice with their
if its for a social engagement, I’d pick the one who makes my jokes hilariously funny, and so
Since I was in full charge of the score, those
voices; it is a sign of respect for my presence This is similar to what I often call sonic
(and perhaps also acceptance?).
identity. I try to control my sonic identity by asking filmmakers not to include voice-over in
I’m curious about your recent work at
video interviews. I think people in general are
White Space in Beijing that included “Game of Skill.” Here’s how it’s described on your website: In the sound installation “Game of Skill”, [Kim] invites audiences to listen to a recording of a text she wrote regarding the
on.
future, though the customized handheld
“One Too Many Voices,” 2015
listening device makes hearing difficult;
Courtesy of the Artist
her hope is that this intentionally difficult
These images are so interesting. In the first, which voice is “one too many”? Or how does attention to “one too many” make us think about what all the voices are doing there? And more basically: What is a voice? What does it do? Who controls it? What does its volume means? What do its linguistic
100
so hardwired to hear a sound coming from me because they want to form my sonic identity in their head. “My Voice Has a Personality and a Pair of Legs,” 2015 Courtesy of the Artist
I hadn’t thought about this: How hearing people automatically want to assign a sonic
listening experience will lead each individual to be aware of the passivity implicit in this everyday behavior. It seems you’re engaging the experiences of language, sound and the body. It has to do with how you would listen differently in the future. Because of the way
you have to move your legs and hold up the
I like the fact that listening itself gets labori-
It makes me realize how thinking about
device, you behave, react and listen much
ous, and that you become much more careful,
only sound is limiting to the activity of listen-
differently than your usual passive listening.
or attentive. I think listening is often taken for
ing. Listening is about how we notice and
And because there are two or three senses
granted and I can get a little jealous of how
process information. It doesnâ&#x20AC;&#x2122;t have to be
happening at the same time, the information
much people get out of incidental listening.
about sound at all.
gets a little overloaded.
â&#x20AC;&#x153;My Voice Adapts When Needed,â&#x20AC;? 2015 Courtesy of the Artist
101
ART TALK
CE QUE LA PEINTURE ENTEND DE LA MUSIQUE
Conversation Avec Watts Ouattara
Hafida Jemni
«La relation de la musique et de la peinture est ancienne, leur rencontre est à la fois intime et lointaine tandis que leur association les éloigne souvent pour des destins différents ; chacune est tout aussi bien l’ombre de l’autre qu’elle n’en est l’éclairage. L’œuvre du peintre Watts Ouattara se déploie en musique. Que saisit-elle de la musique ? La restitue-t-elle avec phrasé, motif, silence, rythme ? Qu’en est-il du geste ? Du rapport entre ses œuvres ? À différents niveaux, comment Watts Ouattara opère-t-il en temps réel ?
Hafida Jemni : Quels sont les peintres ou les formes d’art que vous aimez ?
Des titres, oui, mais pas forcément porteur d’un sens matériel prédéfini.
Watts Ouattara : Plusieurs naturellement, et d’abord les Arts premiers, qui me lient à mes
cherchant de nouvelles sonorités, de nouveaux timbres et de nouvelles façons d’étendre la dynamique du saxophone ;
Vous peignez en écoutant de la musique.
une valeur stylistique unique, plaçant sa
ancêtres, puis ceux qui abordent l’universel,
Votre choix se porte-t-il sur une musique
musique comme une quête spirituelle. Miles
comme Goya, Pollock, et particulièrement
particulière ou toujours le même ?
Davis, trompettiste, jazzman inventif, de tous
Rothko qui touche l’omniscient, il désenvel-
J’écoute de la musique pour peindre, ma
oppe la vie, la mort, place l’homme devant la
curiosité me conduit à toute sorte de musique.
réalité la plus profonde.
Des improvisations de jazz et en premier
les temps, et qui dessinait et peignait « La musique est une peinture que l’on peut entendre, et la peinture est une musique que l’on
John Coltrane, l’un des artistes les plus talen-
peut voir », disait-il ! D’ailleurs John Coltrane et
tueux de sa génération. Il a toujours cherché à
Miles Davis ont collaboré ensemble pen-
peut-on parler d’un « indice, aidant à
se dépasser sur tous les plans : technique, en
dant cinq années, constituant une véritable
deviner le caractère de l’œuvre »
explorant de nouveaux modes d’expression,
alchimie créative. Ensuite, je dirai Fela Kuti,
Vos œuvres ont-telles des titres ? si oui,
102
artiste engagé et homme total, chanteur, compositeur, chef d’orchestre et homme politique
tuelles, de forme, de couleurs… En somme, la « L’émotion musicale, dit-il, provient
musique est la combinaison de sons expres-
nigérian. Et aussi Sun Ra pour sa philosophie
de ce que, à chaque instant, le composi-
sifs soutenant dans la durée une émotion
cosmique, sa spiritualité, et la dimension mys-
teur retire ou ajoute plus ou moins, et
émergente ou suspendue, par le silence
tique de son travail.
de ce que l’auditeur ne prévoit sur la foi
même qu’elle induit ailleurs, par le bruit qu’elle
d’un projet qu’il croit deviner, mais qu’il
engendre simultanément ailleurs et c’est à cet
niques des Pygmées, traversée émouvante,
est incapable de percer véritablement
endroit que naît l’écho de la force porteuse de
véhiculant avec conviction les différents senti-
en raison de son assujettissement à
l’incarnation du trait, la forme, la couleur et du
ments, les moments graves ou sérieux, tristes
une double périodicité celle de sa cage
sens !
ou gais, moments de réjouissance, moments
thoracique, qui relève de sa nature indi-
d’intense labeur. Une pratique commune,
viduelle, et celle de la gamme, qui relève
histoire, nos coutumes, nos habitudes,
transmise de génération en génération, qui
de son éducation. Que le compositeur
nos connaissances musicales, nos modes
souligne par le chant les principaux éléments
retire davantage, et nous éprouvons une
d’éducation, aux circonstances, etc. Ainsi, pour
d’une vie. La polyphonie est complexe,
délicieuse impression de chute, nous nous
certains, le « chant » du vent est un chant
elle ressemble à des entrelacs de voix qui
sentons arrachés d’un point stable du
mélodieux berçant, apaisant, et pour d’autres,
se croisent, se superposent sur un tempo
solfège et précipités dans le vide, car le
ce n’est qu’un bruit. La musique fait corps avec
donné, créant une structure où chaque ligne
support n’est pas à une place attendue ».
la peinture exécutant : la figuration de l’accord
J’écoute également les chants polypho-
mélodique peut se développer indépendamment des autres. L’ensemble est construit sur les répétitions, sans cesse variées et enrichies, d’un même motif de base. Visuellement, le peintre y trouve là une énergie remarquable ! Mon écoute des rythmes, la vocalise proche de la méditation, me permet de m’emparer d’un son, de le cristalliser par la répétition et ce jusqu’au décollement, avec une mise en suspension. La musique méditative trace des lignes et des mouvements concentriques, comme celles des danseurs soufis, une ritournelle sonore, et une rengaine cinétique, perpétuelle… Dans son ouvrage Le Cru et le Cuit, Claude Lévi-Strauss développe le paradigme,
instrumental, cette métaphore du rapport Alors, la peinture s’appuie sur un médium musical, pour être créée ?
ologique, donc universelle, et exploite des rythmes organiques. L’autre grille est cul-
amoureux, s’accompagne d’un « jeu » musical prenant une véritable forme plastique.
Oui, si on la considère comme un motif parlé d’une peinture, servant à amener des
L’interaction entre écoute musicale et
formes, des rythmes, dont il motive le car-
production de contenus visuels peints
actère et l’expression.
s’apparente-elle, dans sa forme, au même
La musique méditative trace des lignes et des mouvements concentriques, comme celles des danseurs soufis, une ritournelle sonore, et une rengaine cinétique, perpétuelle…
selon lequel l’écoute de la musique s’opère au moyen de deux grilles : l’une est physi-
Son exécution est à la fois liée à notre
rapport textuel et musical, étroit pour le coup, d’une chanson ou un opéra ? Oui et non ! En somme, à l’écoute de la musique des Pygmées, le rythme me (dé) place dans un référentiel créatif. Autrement dit, cette musique avec sa sonorité fait taire en moi les bruits. Des bruits de fond qui déjouent, étouffent une écoute entière des fréquences créatives, qui brouillent les pistes pour rendre, empêcher toute tentative de s’affranchir de la vigilance de ce « moi » gardien, c’est alors
L’impact de la musique est-il à effet immédiat sur la peintre ? L’état attendu ou perçu, s’apparente à celui
qu’advient le silence pour rendre apte à créer. Ce même espace « silence », vers une écoute créative, se traduit en deux temps physiques.
turelle, elle se situe au niveau d’une échelle
d’une vacance, une disponibilité plurielle, et
L’écoute, puis l’évasion, le déplacement,
de sons musicaux, dont le nombre et les
émotion génératrice à impact multiple : son
l’arrivée dans un autre territoire, cosmique, où
écarts varient selon les cultures.
impact sur le rythme, les séquences ges-
le peintre est alors en suspension, déconnecté
103
des contraintes matérielles, permettant cette évasion vers l’espace rendu vacant, créé pour
médium : croquis, dessin ou peinture ? Deux démarches autonomes,
la toile, la musique, l’accompagnatrice, est une spirale, tout comme chez les soufis, l’homme
une énergie libératrice de l’imaginaire, de telle
indépendantes, sont escomptées. La pein-
dans le cosmos, décrit des spirales ou ritour-
sorte que l’on est dans un état de transe, porté
ture, est plus complexe, c’est un autre lieu,
nelles. La musique des hommes, dans le sens
par le rythme, une transe, coté spirituel. En fait,
cérémonial, tridimensionnel, nécessitant un
métaphorique, peut-être assimilée à un chaos,
la base de mon travail repose sur la spiritualité,
engagement physique important. Le des-
un tourbillon romanesque, poétique par des
la méditation portée par une musique en tant
sin est plus intime, je dessine assis, avec une
voix silencieuses qui prennent des formes et
que moteur pour peindre. De telle sorte que
posture stable, les pieds sur terre. La peinture
des couleurs, et libération de pulsion. Le travail
j’écoute des rythmes en boucle, une écoute
est délimitée dans un territoire où concourent
est à faire, car l’Afrique a beaucoup de chose à
programmée, dématérialisée, pendant un
des forces, des mouvements, de l’énergie. Sur
dire, rien n’a été dit et entendu ! L’homme qui
lapses de temps plus où moins long, comme une traversée d’une rive à l’autre. La rive de l’éveil des sens et de la conscience pour être créateur et non pas spectateur. L’expression créative est un processus d’affirmation de l’individualité au-delà du langage verbal. Elle permet d’accéder à des sentiments et à des émotions refoulés. Musique comme moteur pour peintre. Comment se répand l’énergie sur la toile ? Le geste du peintre : grande importance du geste, d’abord la musique induit une concentration intense, le corps du peintre s’engage dans la peinture. Au regard des peintures, des sons surgissent en fonction du phrasé des formes et des couleurs, de la présence du silence, du vide… Une analogie des séquences, que l’on retrouve sur la toile, tel un portrait. Il peut s’agir aussi de la réalisation de figures libres, car l’artiste est libéré des tensions et la musique agit de manière à libérer les tensions auxquelles l’artiste est soumis, pour le laisser vacants et le rempli d’énergie créatrice ; dans ce cas la musique, l’artiste s’en sert comme moyen pour atteindre un état déconnecté. Pour moi, la musique c’est comme le soleil, elle est lumière et énergie. Elle met les récepteurs à vifs. Votre imprégnation musicale est-elle la même quand vous abordez tout type de Ouattara Watts, Sans Titre, , technique mixte sur bois, 216 x 180 cm, Courtesy Galerie Boulakia
104
se veut engagé ne peut échapper à l’écoute
naise du temps où l’argile mélangée avec du
est faite de souvenirs et désirs : Elle opère une
du monde, et l’écoute du monde a pour
beurre de karité a permis à des maisons de
liaison entre un passé, que je me remémore et
conséquence de générer un calme apparent
tenir debout sur plusieurs générations. Je
subis, et un avenir que je crée et invente. Dans
qui voile une entropie, un désordre social,
travaille avec des matières textiles (sacs de
le principe d’écoute, on décèle la prévisibilité
politique…
cacao, de café, etc.) que je rajoute à la surface
de l’écoute , l’illusion sonore, le phénomène
pour accumuler des épaisseurs, superposer et
d’émergence, les associations de pensées
Comment travaillez-vous vos toiles ?
créer du relief ; au niveau iconographique, elle
et in fine, on écoute ce que l’on veut enten-
Je les travaille par série. D’abord, les pig-
est composite, on y voit de la peinture, du tis-
dre. La musique est un langage abstrait et
ments et les couleurs c’est ma passion. Je
sus, du bois, avec une intervention manuelle,
spécifique, que le compositeur met en œuvre
fabrique moi-même mes propres instruments,
cousu, collé.
avec plus ou moins de talent ou de génie, que
mes brosses. J’ai inventé « le Bleu de Watt » (une sorte de potion magique !) découlant
Une richesse en termes de composition et un engagement du geste et de l’intellect.
du bleu indigo. Je peins avec des brosses, des pinceaux, mais beaucoup avec la main, j’aplanis avec mes deux mains nues, j’aime ce contact avec la matière, la peinture, et j’y
l’interprète s’efforce d’exploiter au mieux pour traduire tout ce dont la partition est porteuse, et que l’auditeur enfin doit s’approprier
Qu'est-ce que "Entendre", veut dire pour vous ? Entendre, c’est écouter dans la durée,
vais avec mon corps, par des mouvements
comment ça vient, comment ça chante, et
circulaires empruntés à l’architecture souda-
puis silence après silence. L’audition musicale
pour apprécier tous les rebondissements du discours musical : nuances, couleurs, modulations, accents, contrastes, respirations, ruptures, etc.
Ouattara Watts, The Trance Of The Shaman, Triptyque, acrylique pigment sable et bois sur toile- 290x 390cm, Courtesy Galerie Boulakia
105
Vous nous avez exposé vos références musicales, leurs mécanismes de pénétration dans votre production. Vous côtoyez les génies, votre écoute musicale est exigeante à l’image de votre création, je termine cette conversation avec une forte envie d’écouter le coffret de All Of You : The Last Tour 1960 qui vient d’être réédité chez Acrobat, un ensemble d’enregistrements live datant du printemps 1960 à l’occasion de la tournée européenne du Miles Davis Quintet avec John Coltrane, et qui a marqué la fin des cinq années de collaboration de Coltrane
VERTIGO # 8 - 222 x 283 Cm Mixed Media 2014 Courtesy Galerie Boulakia
avec Davis. Il ne nous resterait plus qu’à imaginer qu’un de vos tableaux aurait pu être peint sur ces notes ?
Biographie de Watts Ouattara
Propos recueillis et rédigés à Paris VIe , le 15 octobre 2015 par HJ,
Artiste citoyen du monde, Ivoirien, Français, New-yorkais, Watts Ouattara a
Hafida Jemni est diplômée de l’institut d’études supérieures de l’art, curatrice, enseigne l’art contemporain d’Afrique et sa diaspora à l’IESA Paris
une formation classique, et a étudié à l’Ecole supérieure des beaux-arts de Paris (ENSBA). Son grand-père chamane lui a révélé durant sa jeunesse les mystères de la nature et du cosmos. Il lui a donné l’envie d’être artiste. Adepte de Marcel Griaule et Michel Leiris, son amitié avec Jean-Michel Basquiat reste marquante : ils se rencontrent en 1988, à la galerie Yvon Lambert. Plébiscité par le Tout-New York, le peintre d’origine haïtienne est alors au faîte de sa gloire : Basquiat se montre protecteur envers son nouvel ami. « Jean-Michel cherchait l’Afrique, raconte Watts, et il y était allé en 1986 et il avait aimé mon village, Korhogo (signifiant « héritage » en sénoufo) situé à 635 km d’Abidjan, et chef-lieu du District des Savanes et de la région du Poro. Les Sénoufos se distinguent dans l’art du tissage. Sur des panneaux de toile écrue, l’artisan dessine des animaux symboliques, des personnages, accompagnés de motifs géométriques. Les tisserands du Nord utilisent des teintures végétales comme l’indigo ou la kola » . Ces lieux marquent Watts et sa création. Il vit depuis trente ans à New York, mais a gardé des amitiés, de longues dates, depuis qu’il était étudiant à l’ENSBA au cœur de Saint-Germain-des-Prés, et qu’il fréquentait avec ses camarades le bistro « la Palette ». Il a été invité entre autres à la 45e Biennale de Venise en 1993, à la Documenta en 2002. A Paris, en mai 2015, Watts Ouattara exposait à la galerie Boulakia, et la critique fut très élogieuse.]
106
Ouattara Watts, Composition, 2014, technique mixte sur toile, 182,8 x 152,4 cm, Courtesy Galerie Boulakia
107
ART TALK
RAP FRANÇAIS
le combat continue ? Le réalisateur de films indépendants Jean-Pascal Zadi (Cramé, African gangster, Sans pudeur ni morale) donne sa version des faits. Jean-Pascal Zadi - Photo ©Xavier De Nauw
108
Né dans les années 80, pour moi le rap des
géographique, le 93 (le Suprême NTM), Le 95
discours politique est totalement mis de côté
années 80-90 c’est la musique des mes grands
(Secteur A), le 94 (Mafia K’1fry, 501 posse), le 78
au profit d’un discours d’entrepreneur. L’argent
frères et sœurs. Lorsque la déferlante hip-hop
(Expression Direkt), Marseille (I am), Strasbourg
est devenu la valeur suprême et si tu ne fais
est arrivée en France, tout le monde a été tou-
(NAP, Abd al Malik). Le mouvement grandit
pas d’argent tu n’as aucun poids. A la même
ché par ce mouvement. Partout ça rappait, ça
et touche désormais tous les milieux popu-
période, la loi impose aux radios privées de
graffait, ça dansait. Les grands frères et soeurs
laires. On passe d’un discours politique à un
diffuser, 40 % de chansons françaises, dont
étaient contents d’avoir un mode d’expression
discours social : on parle d’un mode de vie,
la moitié provenant de nouveaux talents ou
à leur portée. Les premières cassettes de rap
d’une révolte, ce sont les opprimés qui parlent
de nouvelles productions. C’est un boulevard
que j’ai écoutées sont celles de Lionel D et de
aux opprimés. La rue s’adresse à elle-même
pour le rap français. C’est cette loi qui conduit
Rocking Squad. Leurs textes étaient de vérita-
et nourrit son propre style. Dénonciation des
Skyrock en 1996 à investir sur le rap français et
bles réquisitoires construits contre le racisme
inégalités sociales, description d’un mode
surfer sur une vague grandissante. C’est alors
et la passivité du système politique. C’était en
de vie des pauvres en France, la jeunesse
que Kenzi implante son label dans un immeu-
quelque sorte un rap de gauche à consonance
s’impose avec sa propre personnalité. C’est
ble en plein milieu de Sarcelles : Le Secteur A.
« Touche pas à mon pote ». À l’époque il n’y
l’affirmation et la confirmation d’un style. Et
Ce choix n’est pas anodin. Il y a une récupéra-
avait pas les Arabes, les Noirs etc., il y avait le
c’est aussi à cette période là que le hip-hop
tion du marché et l’implantation à Sarcelles
rap. Mais c’était assez inaccessible de sortir
prend un poids commercial. Les albums de
fait partie d’une affirmation forte : le business
des cassettes. C’est comme si le rap à l’époque
NTM, « Le monde de demain », « Paris sous les
nous appartient si vous voulez signer avec
parlait aux politiques, aux intellectuels, avec
bombes » signés en major sont de vrais succès
nous il faut venir sur notre terrain. Ils enchaî-
un discours très politisé.
commerciaux. En parallèle, des structures
nent à cette époque disques d’or sur disques
EXTRAITS : Lionel D,
indépendantes se mettent en place et les gens
d’or. Neg Marrons, Arsenik, Doc Gyneco,
« Pour toi mon frère le Beur »
commencent à s’organiser pour produire eux-
Stomy Bugsy, Passi font partie du label.
De ceux qu'on accuse, parias d'une
mêmes leurs disques. Democrate D « La voie
Derrière tout ça, il y a un désenchantement
société?
du peuple » écoulé à plus de 30 000 exem-
politique, on a plus rien à attendre du système.
Qui se dit démocrate et fière de toutes ces
plaires sans maison de disques et le groupe
Il faut s’en sortir par ses propres moyens, faire
libertés
Tout Simplement Noir vend son album
de l’argent en famille. Les rappeurs clament
Il y a des droits qu'on donne et ceux qu'on
éponyme à 75 000 exemplaires. Le potentiel
haut et fort qu’ils ne votent pas, ils font de leur
distribue
est endémique, une partie de la population a
marginalité une force et beaucoup de Français
L'hypocrisie en est évidente, je sais que tu
soif de ce discours-là et soif de modèles qui lui
se reconnaissent dans cette marginalité.
l'as vue
correspondent. Il y a enfin une prise de parole
EXTRAIT : Arsenik «
On te dit ferme et autres dures mentalités
qui manquait profondément à une partie de
Une affaire de famille » le couplet de Doc
à part
la France et qui arrive comme un tsunami. Des
Gyneco :
Voleur, frappeur, flambeur, zonard!
icônes naissent comme MC SOLAAR, I AM et
Fonder une famille car c'est tout ce qu'on
Ces adjectifs maudits que tu connais par
NTM et le hip-hop n’est plus marginal.
a,
coeur
EXTRAITS : Democrat D
Viens dans ma famille et tu ne te feras plus
Je voudrais tant voir le contraire, pour toi
« J’défonce les portes du mensonge
jamais kéarna.
mon frère le Beur » De 90 à 95, j’ai vu le rap s’installer dans la société. Ces années sont marquées
pour dire à la société ses quelques vérités
Tous on veut quéma la musique, le
je vis soit disant au pays de Droits de l’Homme
cinéma,
mais tous les jours je dois éviter de me faire buter
Tous on a trimé pour sortir de ce putain de
Crever par les policiers »
coma. Ta fête pue la défaite, c'est la victoire
par l’arrivée de nombreux « posse ». Le rap se faisait en groupe, en communauté
109
De 1995 à 2005 est une période où le
d'avance,
"C’est le degré zéro du discours politique. En fait, ce n’est plus le rap qui est politique c’est l’entreprise, la manière de produire qui est politique
"
Mais au final à trois on pète ton équipe de
pouvoir c’est l’argent et les rappeurs de cette
n’arrive sur le marché sans sa propre marque
France.
époque l’ont bien compris.
de fringues, Kaaris avec « BTTF », Maître
Un coffee shop, une casse, pour mon cop,
Cette période faste a accouché d’un des
Guim’s et « VORTEX », Booba avec « UNKUT ».
madame,
meilleurs albums de l’histoire du rap français
On n’avance plus en tant que groupe, on
Je cotise pour ma retraite à Amsterdam.
« le combat continue » d’Ideal J. A la même
arrive tout seul et on se crée tout seul.
On monte tellement haut qu'on pourra
période le 113 vend 300 000 albums des
L’individualisme triomphe, les rappeurs march-
plus redescendre,
« Princes de la ville » sur le label de DJ Cut Killer.
ent de moins en moins en collectif. Ils sont
On monte, on monte, et t'essayes de nous
EXTRAITS : Ideal J «
eux-mêmes leur propre éditeurs, producteurs :
descendre.
Pour une poignée de dollars »
PNL, Kaaris, Jul, Gradur. On ne compte que sur
Je sais qui sont les traîtres, on sait qui nous
L'État n'a pas eu ma raison
soi-même et internet permet de ne plus passer
respecte,
Les gens sont victimes du sort car sur leur
par la case média. PNL pour le lancement de
Je sais c'que me réserve l'avenir, les armes
chemin trop de désillusions
son deuxième album « Le monde Chico » sorti
sont prêtes.
Parler de leur destin ne peut se faire avec
le 31 Octobre 2015 n’a accordé aucune inter-
dérision
view radio, télé, web. La première semaine les
Écoute, regarde pour une poignée de
ventes s’élevaient déjà à 20 000 exemplaires.
oppe l’idéologie du gangster. Dans cet intérêt
dollars
C’est le degré zéro du discours politique. En
d’avoir un pouvoir d’achat, d’exister dans cette
Les jeunes du ghetto sont prêts à aller au
fait, ce n’est plus le rap qui est politique c’est
société capitaliste et de se faire respecter par
placard
l’entreprise, la manière de produire qui est
n’importe quel moyen, certains rappeurs
Deal, biz, braquage en temps de crise
politique. Le discours est purement divertis-
décrivent le mode de vie de leur entourage.
Espèce de bâtard, accuse le pouvoir, écoute
sant voir abrutissant comme dans la trap (avec
C’est l’affirmation de se débrouiller par soi
Ma foi vaut mieux un petit chez soi qu’un
le système de répétition). Cependant le mode
même (deal, braquage) et le gangstérisme
grand chez les autres
de production est complètement engagé
devient une mode. « On est hors de votre
Maintenant on a plus le choix, on veut un
dans le sens où le message qui est perçu par
société et on vous emmerde », on n'a pas
grand chez nous chez les autres
nos petits c’est qu' « on ne s’en sort que par soi
C’est aussi à cette période que se dével-
besoin du système pour vivre. La Mafia K’1fry (idéal J, le 113, Intouchables, OJB, Rohff) défend
même ». Le pouvoir politique ne fait plus partie De 2005 à nos jours correspond une
un style de vie hors du système établi. Vous
période marquée par deux courants : l’ultra
ne voulez pas de nous, on s’en fout, on n'a pas
capitalisme, l’ouverture sur le monde.
besoin de vous. On vit en dehors des lois dans une société basée sur la consommation, le
du paysage, il ne fait plus partie de l’équation. On en n'attend plus rien. EXTRAIT Kaaris « Se-vrak »: Et je mélange, je mélange,
L’ultra-capitalisme d’abord : Aucun rappeur
je mélange, je mélange, je mélange, je
NTM
110
mélange, je mélange
l’Algérino, Tunisiano et appellent leurs albums
Fuck le smic, fuck le smic, fuck le smic,
« Négritude » comme Youssoupha ou « Vivre
EXTRAIT : Maitre Guim’s
fuck le smic, je vend de la drogue fuck le
et mourir à Dakar » Alpha 5.20. Le Label Wati
« Sapés comme jamais »
shmidt, faut que je mange
B qui est le plus gros vendeur de disque en
Niama na ngwaku des ngwaku
Salope, on a assez travaillé pendant
France porte un nom bambara qui signifie
J'contrôle la ne-zo, apprécie mon parcours
l’esclavage
« Sans limite ». Après avoir pulvérisé la poli-
Handek à ta go, sale petit coquin, t'es cocu
Salope, on a assez travaillé pendant
tique, La France elle-même est régionalisée.
Quand elle m'a vu, elle t'a plaqué
l’esclavage
C’est une manière de mettre en avant des
Ferregamo, peau de croco sur la chaussure
cultures africaines et les faire partager. Dans la
J'suis Congolais, tu vois j'veux dire ?
chanson « Sapé comme jamais » Maitre Guim’s
Hein hein, Norbatisé
pour le rap français. Son attraction s’est amoin-
du label Wati B démocratise la sapologie et
Maître Gims m'a convoitisé
drie et la mise en avant d’une double-culture
en fait une notion commune aux Africains et
Charlie Delta localisé
se fait haut et fort aussi bien musicalement
aux Français. Dawala, le créateur du label est
Les mbilas sont focalisés
que lyriquement. Les rappeurs s’appellent
tourné de manière totalement décomplexée
Sapés comme jaja, jamais
La France n’est plus le centre du monde
M_LesLittle_IAM_Saint-Denis 26 Octobre 1990
111
vers l’Afrique.
ART TALK
LA SONORITÉ « RAP »
Élan Subversif Ou Subordination Marchande ? Evenson Lizaire
La culture urbaine hip hop a émergé
du rap haïtien. Mes propos se fondent
tion raciale, la relégation, l’injustice sociale
aux Etats-Unis, parmi les jeunes Afro-amé-
sur des textes de rap et sur des extraits
(Bazin, 1995). La dimension contestataire
ricains. Le rap, sa composante musicale,
d’entretiens semi-directifs réalisés entre
et revendicative du rap lui permet de
rencontre aujourd’hui un succès fulgurant
mars 2013 et mai 2015 avec des rappeurs
séduire, dans divers endroits du monde,
dans beaucoup de villes du monde1.
évoluant dans la zone métropolitaine de
des jeunes ayant le désir de mettre des
Comment situer le rap par rapport au
Port-au-Prince.
mots sur les maux jalonnant leur existence
paysage sonore urbain ? Quels enjeux
Une retentissante éclosion
politiques accompagnent cette musique
À New York, dans les années 1970,
si appréciée ? Comment saisir la portée et
apparaissent chez les jeunes Noirs amé-
travers le monde3, la popularité de cette
le sens de ce son subversif dans la dynam-
ricains, de nouvelles façons de s’habiller
musique est aussi due à sa capacité à
ique biographique de ses pratiquants ?
et de danser, des graffiti sur les murs de
composer avec d’autres styles musicaux.
A travers une analyse sur la pratique du
la ville et sur les rames de métro et une
Le rap s’inspire en effet des conditions
rap à Port-au-Prince2, la capitale d’Haïti,
manière, alors étrange, de débiter des
d’existence de ses fans et pratiquants dans
je reviendrai sur ce questionnement
paroles scandées sur une base musicale
différents milieux économiques et socio-
en inscrivant la réflexion dans un cadre
(Lapassade & Rousselot, 1990). Ainsi
historiques pour déterminer et configurer
épistémique et théorique qui rejoint
est née la culture hip hop, mouvement
le contenu et la sonorité des messages
l’approche biographique en sciences
artistique répandu aux Etats-Unis et dans
qu’il véhicule. Ce son se transforme au gré
humaines et sociales. Cet article propose
le reste du monde grâce à la démocratisa-
des contextes sociopolitiques et éducatifs,
des pistes de réflexion provenant d’une
tion des technologies de l’information et
tout en gardant ses traits propres : des
thèse de doctorat que je réalise depuis
de la communication dans le contexte de
paroles mi-chantées, scandées, balancées
novembre 2012 autour de la dimension
la mondialisation des valeurs culturelles
sur un rythme saccadé, tressées dans
de subjectivation et d’autoformation
(Rocío A-B et al, 2010 ; Chaubet, 2013). La
un flow4 s’accordant à la cadence et à
partie musicale de cette culture urbaine,
l’harmonie d’une mesure.
1 Voir Alain Arnaud (dir.). 2010. Petit Atlas des Musiques Urbaines. Paris : Editions de l’Œuvre. 2 Le rap se pratique dans d’autres villes haïtiennes mais mes travaux de recherche se circonscrivent à Port-au-Prince.
112
le rap, est un lieu de parole pour des jeunes qui sont marginalisés dans une société américaine basée sur la ségréga-
individuelle et collective. Répandue de façon spectaculaire à
3 Voir Hip hop : le monde est à vous, film documentaire réalisé par ARTE en 2009. 4 Le flow est la manière de rapper sur une mesure.
au risque de créer des cacophonies
pa janm konn kijan l ap fini
et animateur de radio, qu’on accorde la
politiquement assourdissantes. Toute une
Lamizè rachonnen l, fè l pase nan w je
paternité du rap. Depuis la fin des années
panoplie de sons musicaux, se faufilant à
zegwi
1980, cette musique a commencé à se
travers les interstices de la ville de Port-
Depi Pòpòl lage kò l pran kanntè pou
répandre dans le paysage sonore des
au-Prince, résonnent dans leur dimension
Miyami
quartiers populaires de Port-au-Prince. A
plurielle et méritent d’être pensés au sein
Kite 2 lavi timoun, 1 granmoun kòm
l’instar de Master Dji et de ses collègues ,
d’un décor sonore global. Mais la question
garanti
de nombreux groupes de rap ont émergé
n’est pas là ; plus particulièrement, elle
Diri, mayi, pitimi, manje chè, vant vid
en Haïti au cours des deux dernières
est dans ceci : au-delà des idées reçues
Lajan monte bwa
décennies : Original Rap Staff, Million
qu’il suscite, le rap haïtien peut être saisi
Pou tout moun match la rèd6 »
Code, Kzn, Shaka dreams, Rap & Family,
comme registre d’une parole politique
Ces mots concernent la dégradation
King Posse, Masters, Mystic 703, Magic
socio-historiquement située. En effet, le
constante, en Haïti, des conditions de
Click, C-projects, Barikad Crew, Rockfam,
rap est apparu en Haïti dans le contexte
vie depuis plus de 5 décennies. Renfor-
etc. Aujourd’hui, en Haïti, le rap s’impose
du déclin de la dictature des Duvalier qui,
cés par d’autres opus7 plus récents, ils
comme genre musical à part entière en
pendant 3 décennies, ont maintenu un
constituent une mise en parole, un son
faisant des fans surtout parmi les plus
climat de terreur généralisée (Hurbon,
particulier exprimant un sentiment de
jeunes. Cette musique m’interpelle : de
1979 ; Lemoine, 1996) empêchant ainsi à la
mal-être éprouvé par des êtres humains
quoi ce son est-il révélateur en Haïti ?
population de se prononcer sur des ques-
qui, abandonnés à eux-mêmes, crou-
tions concernant ses conditions de vie.
pissent dans une misère dense au sein
Avec la chute de cette dictature le 7 février
des milieux populaires urbains en Haïti.
1986, il y a eu une libération de la parole
Le son rap décrit à sa manière la réalité
et le rap représente l’une des modalités
socio-économique et politique du pays, et
d’expression de cette parole libérée. C’est
cette description est corroborée par des
l’un des rares sons qui, en Haïti, depuis
données empiriques8. Toutefois, en dépit
le début des années 1990, expose les
de son potentiel contestataire, le rap peut
souffrances vécues par les populations
être aussi une sonorité subordonnée dans
Dans l’univers sonore de la ville
marginalisées. Depuis son apparition,
la mesure où il peut être récupéré pour
Le rap s’incorpore et s’invente con-
en effet, le rap s’y manifeste dans sa
En Haïti c’est à Master Dji, chanteur
5
Le rap s’incorpore et s’invente constamment dans la dynamique de son lieu de création : la ville
stamment dans la dynamique de son lieu
sonorité subversive, laquelle vient délayer
de création : la ville (Auzanneau, 2001). Lieu
la tranquillité d’une société haïtienne
habité et territoire de l’innovation maté-
engorgée de misère, d’inégalités sociales,
rielle et sociale (Augustin & Favory, 2010),
de préjugés de couleur (Labelle, 1980). Le
cette dernière rend possible l’émergence
groupe Haïti Rap’N Ragga dans Match la
en son sein de nouvelles pratiques
red a décrit un ordre social délétère où des
sociales, de nouveaux sons qui se fabri-
individus sont contraints de vivre dans des
quent, se rencontrent, se recomposent,…
conditions extrêmement difficiles :
5 D’autres rappeurs comme Supa Deno, Frantzy Jamïcan, Elie Rack ont collaboré avec lui au sein du groupe Haïti Rap’N Ragga.
113
« Ti Mimi toujou konn kijan jounen an ap kòmanse
6 TiMimi sait toujours comment la journée va commencer/Mais ne sait jamais comme elle terminera/ La misère la chiffonne, la fait passer dans le trou d’une aiguille/Depuis le départ de Pòpòl [comme boat people] pour Miami/ Il a laissé 2 enfants et un adulte comme garantie/Le riz, le maïs, le petit mil, les produits alimentaires sont chers/Les ventres sont vides/L’argent se fait très rare/Pour tout le monde, le match est très serré. [Selon ma traduction] 7 On peut citer ici Pwoblèm mwen du chanteur Top Adlerman, voir le lien https://youtu.be/oZZ_xgSmthQ (page consultée le 7 octobre 2015) et Lavi ti nèg ghetto de Lawman, voir le lien https://youtu.be/0cPtqyGa4lg (page consultée le 7 octobre 2015). 8 Voir Aide à la migration. Impact de l’assistance internationale à Haïti de Josh Dewind et David Kinley III, paru en 1988 au Québec, aux éditions du CIDIHCA, le rapport publié par PNUD sur le développement humain en 2014 et le site de l’Institut haïtien de statistique et d’informatique : http://www.ihsi.ht/
servir à des fins publicitaires au sein du système économique et politique du pays.
Ainsi cette musique tend-elle à
On peut bien y remarquer un posi-
devenir un son apprivoisé, une révolte
tionnement critique. C’est fondamental
consommée (Heat & Potter, 2005). En Haïti
dans le rap dit «conscient ». Je crois qu’il
où le marché du disque est loin d’être
faut partir de cette possibilité de posi-
aussi florissant que celui des Etats-Unis,
tionnement pour poser un regard critique
l’apprivoisement du son rap se fait surtout
sur le son rapologique. Car là réside, pour
singulière et plurielle en ce sens que, sur
par les nantis, à travers les publicités et
le rappeur, une possibilité d’émerger en
le plan biographique, celle-ci interpelle et
la prise de position pour des politiciens.
tant qu’acteur conscient du sens et de la
implique l’artiste et son destinataire, tous
En fait, en Haïti le rap est un horizon de
portée de la musique rap. Il choisit de faire
deux étant confrontés à une même réalité
délivrance pour beaucoup de jeunes
sa musique en considérant les multiples
sociale. La sonorité du rap est liée à une
dans le contexte d’une crise économi-
influences que le contexte socio-économi-
existence singulière et collective qui se
que aiguë et permanente (Chéry, 2005).
que et politique est susceptible d’exercer
déroule dans un contexte social, culturel et
Mais le rap a été avant tout une forme de
sur lui. Ici, le sujet est celui qui « prend
politique donné et qui rend possible l’ex-
critique sociale, une musique qui réclame
conscience de lui-même et tente de se
périence de l’altérité (Delory-Momberger,
un meilleur vivre-ensemble. Dilemme ! Il
construire comme un être singulier capable
2009). Ce son a un réel effet potentiel ; il
faut décider même inconsciemment. Le
de penser, de désirer, de s’affirmer.» (de
suffit de penser au nombre d’adeptes qu’il
risque est grand de se laisser pervertir par
Gaulejac, 2005 :10) De ce point de vue, le
s’est fait pour s’en convaincre . Un souci
des commanditaires en mal de popularité.
rappeur-sujet, tiraillé entre risque d’alié-
d’instrumentalisation de cette popularité
Bien évidemment, certains se mettent du
nation et possibilité de réalisation de soi,
va entraîner en Haïti à peu près le même
côté du « rap business » ; ils font des spots
prend conscience de ce qui le détermine
phénomène qui se produit aux Etats-Unis:
publicitaires ou/et prennent position en
et se positionne à travers l’œuvre qu’il
la récupération du rap par le marché du
faveur des candidats lors des joutes élec-
construit. Doit-on penser, pour autant,
disque. A vrai dire, c’est un son qui rap-
torales . D’autres gardent une position
qu‘il n’y a aucune possibilité de subjec-
porte gros. Il permet à des pratiquants
critique :
tivation dans le « rap business » ? Sinon,
Le son « rap » : entre impératif marchand et subjectivation Le rap recouvre une parole à la fois
9
10
« Je me dis que je ferais mieux de parler
comment y devient-on sujet ? Au regard
(Aubert & Haroche, 2011) dans un contexte
de la promiscuité des gens, des problèmes de
de la grande précarité qui sévit en Haïti,
mondial marqué par le culte de la perfor-
latrines, des enfants non scolarisés, au lieu de
le devenir-sujet, au sein de la pratique du
mance (Ehrenberg, 1991). Plus visible je
parler de paires de baskets, de voitures,… Et
rap, est un vrai défi de soi.
suis, plus je peux avoir de commanditai-
là je me vois comme un agent qui contribue
res !
à un travail social dans le ghetto.»
de répondre à une injonction de visibilité
en Haïti le rap est un horizon de délivrance pour beaucoup de jeunes dans le contexte d’une crise économique aiguë et permanente
9 Le 21 juin 2008, lors des funérailles de trois rappeurs de Barikad Crew tués dans un accident de voiture, le déferlement de jeunes au Champ de Mars, la plus grande place publique du pays, a signalé l ampleur du public du rap en Haïti.
114
« Oh ! Je suis plus cher que l’argent. Per-
Le rap a émergé en Haïti dans le contexte d’une libération de la parole et s’y laisse envisager comme expression
sonne ne peut m’orienter contre les intérêts
artistique étroitement liée aux conditions
de ceux pour lesquels je chante. On n’a pas
d’existence de ses pratiquants, ceux-ci
besoin de me payer. Le rappeur n’est pas
vivant avec d’autres individus une situa-
placé pour faire de l’éloge pour toi. Il sait que
tion socio-économique très difficile. Si le
tu fais du bien. ; il respecte ce que tu fais. Mais
rap détient une sonorité subversive dans
il ne va pas faire ton éloge. Il cherche à parler
la mesure où il constitue un positionne-
de ce qui fait tort à la société. »
ment politique quant à la détérioration
11
10 Lors des élections présidentielles de 2011, le groupe de rap Barikad Crew a été engagé pour supporter publiquement la candidate Mirlande Manigat. 11 Propos tirés d’un entretien que j’ai réalisé avec « 27 », l’un des leaders du groupe rap Wòklò.
des conditions de l’existence des individus en Haïti, il peut tout aussi bien être apprivoisé à des fins publicitaires et pécuniaires.
Ces dimensions de subversion et de
Bibliographie
subordination du son rap me semblent
Aubert, N & Haroche, C. (2011). Les tyrannies de la visibilité. Etre visible pour exister ?, Paris :
fondamentales pour poser la question
Erès.
de subjectivation à laquelle donne lieu la
Augustin, J.-P. & Favory, M. (2010). 50 questions à la ville : comment penser et agir sur la
pratique de cette musique. Ceci invite à
ville ? Aquitaine : Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine.
questionner le rap dit « conscient ». Plus
Auzanneau, M. (2001). Identités africaines : le rap comme lieu d’expression [en ligne].
spécifiquement, qu’est-ce qui sous-tend
Cahiers d’études africaines, 163-164. http://etudesafricaines.revues.org/117
le positionnement politique d’un rap-
(page consultée le12 octobre 2012).
peur face à la réalité sociale haïtienne ?
Bazin, H. (1995). La culture hip-hop. Paris : Desclée de Brouwer.
On ne peut répondre à cette question
Chéry, F-G. (2005). Société, Economie et Politique en Haïti. La crise permanente. Port-au-
sans analyser le parcours biographique
Prince : Editions des
des pratiquants du rap dans le contexte
Delory-Momberger, C. (2009). La condition biographique. Essais sur le récit de soi dans la
socio-économique et politique d’Haïti. On
modernité avancée. Paris : Téraèdre.
le voit donc bien, le débat sur le devenir
Ehrenberg, A. (1991). Le culte de la performance. Paris : Calmann-Lévy.
rappeur en Haïti est loin d’être clos
Gaulejac, V. de (2009). Qui est « Je » ?. Paris : Seuil. Heat, J & Potter, A. (2005). Révolte consommée. Le mythe de la contre-culture. Paris : Editions Naïve. Hurbon, L. (1979). Culture et dictature en Haïti : L’imaginaire sous contrôle. Paris : L’Harmattan. Labelle, M. (1978). Idéologie de couleur et classes sociales en Haïti. Montréal : Presses de l’Université de Montréal. Lapassade, G. & Rousselot, P. (1990). Le rap ou la fureur de dire. Paris : Éditions Loris Talmart. Lemoine, P. [1996] (2011). Fort-dimanche fort la mort. New York : Editions Fordi 9. Rocío A-B et al (2010).Cultures, technologies et mondialisation. Paris : L’Harmattan. Mots-clés : Rap, sonorité, ville, subjectivation, Port-au-Prince Bio : Eveson Lizaire : professeur à l’UEH et doctorant en sciences humaines à l’Université Paris 13
115
ART TALK
LES ULTRASCORES DE CHASSOL Camille Moulonguet
Si l’on veut découvrir l’anti-chambre de l’œuvre de Chassol il faut se rendre sur youtube et taper le nom « Vic Lowenthal ». Derrière cet intriguant pseudonyme, il y a toute une série de pièces sonores et visuelles qui parlent de ses inspirations, de ses divagations... C’est un peu comme entrer dans une conscience forcément décousue et qui passe naturellement du coq à l’âne. Paradoxalement sans rapport de cause à effet, on comprend comment « Nola Chérie », « Indiamore » et « Big Sun » sont nés. Quelle place ont ces travaux dans votre travail ? Les ultrascores, c’est avant tout un travail de recherche, c’est avec eux que j’expérimente des choses. Tout a commencé avec l’apparition de Youtube en février 2005. D’un seul coup j’avais accès gratuitement à tout un tas de matériaux d’origines et de registres totalement différents. C’est comme s’il y avait les gens qui jouaient pour toi et que tout devenait accessible. https://www.youtube.com/watch?v=wG_1F743RXQ Je me suis servi dans cette manne et je prenais toutes les vidéos qui me parlaient. Et puis par l’intermédiaire de Xavier Veilhan qui appréciait mon travail, il y a eu un musée qui s’est intéressé à ce travail, c’était le musée de la Nouvelle Orléans. J’y ai montré mes ultrascores et ils ont commandé un film plus long, c’est ainsi que j’ai créé en 2013
PortraitChassol ©LaurentBochet
116
« Nola Chérie », mon film sur les fanfares de la Nouvelle-Orléans. C’est là que j’ai commencé
https://www.youtube.com/ watch?v=_9FVJNEv6Yk
à faire mes propres images plutôt que de faire
que si je l’ai choisi lui, c’est justement parce que j’aime son travail. Les gens y ont vu une
des samples d’images déjà tournées.
Pourquoi avoir choisi des discours tels
https://www.youtube.com/
que ceux de Christiane Taubira ou de Barack
watch?v=_2x76-6BI_Q
à une telle sommité de la musique. Alors
Obama ? L’idée d’harmoniser un discours politique
atteinte à son art alors que c’était un hommage. https://www.youtube.com/ watch?v=rCGQdjdGv2A
Quel est votre premier ultrascore ?
c’est une évidence pour moi. La manière dont
J’ai fait mon premier Ultrascore en 2006.
ces orateurs travaillent leurs intonations et le
Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
Ce sont les « Russian Kids ». Je cherchais une
rythme des phrases me fascine. Au départ,
Je mets toujours régulièrement en ligne
chorale, un moment d’apprentissage sur you-
Taubira est une femme qui m’impressionne.
des petits formats, lorsque je vois une vidéo
tube. J’ai tapé «children choir Russia» et je suis
Et lors de ce discours à l’Assemblée Nationale,
qui me plait je la classe dans un dossier «à
tombé sur cette vidéo d’enfants russes en train
elle défendait son projet de loi sur le mariage.
faire»! En ce moment je travaille sur une struc-
de répéter. C’était toute une série de moments
J’ai adoré l’aisance avec laquelle, face à un
ture un peu plus longue. C’est un sujet sur les
de répétition avec une esthétique un peu à
public à très grande majorité masculine, elle a
animaux et les chorales. La communication
l’ancienne. Je l’ai mis sur mon i-movie et j’ai
fait la généalogie du mariage et analysé cette
animale a une tonalité si particulière. C’est une
composé avec l’image et le son. À l’époque
notion. Quel aplomb, quelle intelligence!
esthétique qui me fascine.
j’écrivais la partition avec chaque note, maintenant j’enregistre les mélodies en direct
https://www.youtube.com/ watch?v=5SMwPJ2jUps
https://www.youtube.com/ watch?v=C8VeYWRBBZY
sans l’écrire et je monte avec Final Cut mais le principe demeure le même. J’ai appelé cela
Pour Obama, je suis tombé sur ce discours
Quels sont vos sons du moment ?
un «ultrascore» car ce n’est pas comme une
où tu vois l’acteur, chaque pose est travaillée,
musique de film qui accompagne l’image, là
c’est la mise en scène du rêve américain.
les musiques de films, j’en ai toujours écouté
c’est le son réel qui est harmonisé en partition.
Sa voix, ses intonations, les contrastes sont
beaucoup. J’écoute de la musique indienne
recherchés, c’est l’orateur par excellence.
aussi. J’écoute Terry Riley «Descending
https://www.youtube.com/ watch?v=WDizMnmtl_k
https://www.youtube.com/ watch?v=Kga1QkEnF6A
Pourrait-on dire que ces pièces ont un rôle fondateur dans ton travail ? C’est dans ces travaux que j’ai vu tous les plans, tous les systèmes d’écriture musicale,
J’aime beaucoup Aquaserge. Il y a aussi
moonshine dervishes». Et puis en ce moment j’écoute beaucoup Zlotan Kodaly, le meilleur ami de Bartok. Ils sont partis ensemble dans
Vous arrive-t’il d’avoir des commentaires surprenants sur youtube ? En réalité il y a de tout, des enthousiastes
les campagnes hongroises à la rencontre de choeurs. Zlotan Kodaly a écrit une méthode de l’écriture chorale, il a formalisé une struc-
toutes les façons de looper le son et l’image,
et des offusqués! J’ai des haters sur you-
changer l’harmonisation... Tous les procédés
tube. Lorsque j’ai mis en ligne un ultrascore
que j’utilise pour mes films sont présents dans
à partir d’une répétition conduite par le
query=terry+riley+descending+moonshine+
ces formats-là. C’est là que j’ai mis en place la
chef d’orchestre Valery Gergiev, certaines
dervishes
manière dont j’organise le son et l’image.
personnes n’ont pas supporté que je touche
117
ture de composition chorale qui m’intéresse. https://www.youtube.com/results?search_
ART TALK
OF THE PASSIONS AND POLITICS OF GODS AND MEN
The operatic form in contemporary art Olivia Anani
Teatro La Fenice 2015 production of Norma by Vincenzo Bellini
118
Directed, set and costumes by Kara Walker Photo: Lucie Jansch
This summer, at the height of Biennale
Walker’s mise en scène lavishly references
and theaters. Elitist yet open to the public, it is
frenzy, music aficionados filled Venice’s histori-
West-African Akan clothing and headdress.
hereditary by nature yet a place of experimen-
cal Teatro la Fenice for the unveiling of yet
Pollione, the Roman proconsul, has the attire
tation at the crossroads of many social and
another stunning operatic performance. Only
of a European 19th century explorer, and the
artistic backgrounds and practices.
this time, there was a twist: Kara Walker, the
king of Gaul, father of Norma, is wrapped in
New York based-artist who earned critical and
animal skin. If the costume design is a little
with this art form in the context of the hypo-
popular acclaim through her evocative and
too obvious, the set design is much more
thetical “posts” that make up contemporary
provocative silhouette collages, was to be the
nuanced. There are very few right angles,
discourse in the realm of art criticism today:
artistic director of a new adaptation of Vin-
and in imaginary hills the high becomes low,
post-colonial, post-Black, post-racial. Since the
cenzo Bellini’s masterpiece Norma. The opera
peaceful trees turn into a sea of menacing
nineties, South African artist William Kentridge
tells the story of a Gallic priestess, Norma, who
spears, and deep blue turns into bright red.
has been engaging with this “total art form,”
falls in love with the Roman proconsul, and
These visual effects give an overall feeling
Gesamtkunstwerk1, that is opera, first as an
bears him two children. The story, much like
of constant, uncontrolled shifts – of heart, of
extension of his film practice, then as a stylistic
Walker’s silhouettes of imaginary scenes from
decision, of fate. The road is slippery; the beds
parti-pris in itself.
the slavery era, is tragic. It depicts one of the
are altars to unforgiving gods. Unexpectedly,
most complex aspects of military and political
when Norma reveals her sin, she suddenly
domination, whether in the context of old
gives up a position of power over her lover –
Flute, presented at the Théâtre Royal de la
European conquests or recent imperialism:
one she truly accedes to for the first time in
Monnaie in Brussels in 2005, The Nose at the
the promiscuity and complicated relation-
the story – to join in his grim fate. The final
New York Metropolitan Opera in 2010, The
ship between master and slave, conqueror
twist is sad, hopeless, and dramatic.
Refusal of Time, and most recently, Notes
and conquered, government and citizen. (We
Opera as an art form has always been
Kara Walker is not the first artist to engage
In productions such as Mozart’s The Magic
Towards a Model Opera, presented at the
might recall Steve McQueen’s depiction of
intricately linked to life, and to the tragedy
occasion of his retrospective at Beijing’s Ullens
this particular dynamic in his Oscar-winning
of human existence. The great destinies of
Center for Contemporary Art, Kentridge keeps
Twelve Years a Slave, and the Black Lives
empires and men, east and west, north and
exploring and pushing the form into the 21st
Matter protests.) Similarly, Norma blurs the
south, the tragedies of gods and mortals, have
century. Part of the Beijing exhibition was on
boundaries between the victim and the tor-
been told and retold countless times with
view from September 11th to October 24th at
turer, and between love and hate, in a context
renewed energy and dedication by a relatively
of political and emotional domination.
small group of artists and performers, patrons
119
1 The term here, is used loosely, meaning a synthesis of several different art forms, and does not refer to Wagner’s definition.
Marian Goodman Gallery in London, and the
From then on we got invited to several festi-
some videos of model operas conceived dur-
artist is preparing a monumental interven-
vals, which eventually turned into a full-scale
ing the Chinese Cultural Revolution. I found
tion on the shores of River Tiber in Rome, to
opera in Brussels; the work was called The
interesting the idea to take a late nineteenth
be unveiled next spring. The project, titled
Confessions of Zeno, and it was previewed
century balletic form and infusing it with a
"Triumphs and Laments" will be Kentridge's
at the Documenta in Kassel, with Okwui
revolutionary, communist subject. There is
largest public work to date, an impressive
Enwezor. This was followed by The Nose at the
such an interesting clash between the form
frieze long of 550 metres, which will open with
Metropolitan Opera in New York and several
and content. So we first had a workshop in
a musical collaboration with composer Philip
other projects.
Johannesburg, which led Dada to come back
Miller.
to dancing on pointe, a thing she hadn’t done How long is the process to create these
in many years. So the piece is infused with
operas, and how do you go about working
several elements of dance and movements
tridge to discuss his approach and most recent
on them? For example with The Magic Flute,
specific to classical ballet, the language of
attempt at making a piece of art total.
both the score and text (libretto) are already
Dada’s dance, which richly references South
known, so how do you approach these
African and southern African dance, and ele-
predetermined factors?
ments of the Chinese revolutionary operas. I
We had the chance to meet up with Ken-
Gesamtkunstwerk:
Each piece takes three to five years to
also had in mind the date of 1968, the year in
make, with only the last six weeks devoted to
which the Cultural Revolution began, and all
rehearsal. The rest is happening in the studio.
the things happening during that period in
On top of the actual performance at the opera
various places: you had the student uprisings
house, with the ensemble, choir and the
in France, Algeria to a certain extent, which in
time to speak with us. Could you please tell
whole machinery of it, they also take different
the early sixties was fighting for its independ-
us how your practice in film, drawing and
forms, like exhibitions. The process in all of
ence, and seeing what these meant for me
theater, eventually came together into this
them really has to do with finding the formal
as a thirteen-year-old boy in South Africa.
comprehensive medium that is the opera?
vocabulary that the piece will be built on. With
Bringing all these elements together also put
WIllian Kentridge: Theater started with
The Magic Flute, which is a story about dark-
in perspective the relationship between more
workshops that I was doing while in university
ness and light, it took the form of a metaphor.
and less powerful countries, and what China
in South-Africa, before eventually moving to
I was thinking about the photographic nega-
represents in South Africa now, in Africa at
France as a student and realizing that maybe
tive and positive, both as a way of drawing,
large and its implications. By that I mean large
acting was not for me. After returning, I got
and as an ongoing investigation into the
amounts of primary resources and com-
involved with a puppet theater company in
nature of shadow and light, and the imbrica-
modities leaving the countries, among other
Johannesburg, where I became the artistic
tions of both. It is a subject which I explored in
things. These can also be linked to the Paris
director. The question was how I could inte-
previous works like the Shadow Procession.
Commune in 1871 and the formal qualities of
An interview with William Kentridge Oliviav Anani: Thank you for taking the
grate the animations I was making with the puppets on stage, and create a four-dimen-
revolutionary movements in general. So we Could you tell us a little more about Notes
take something that you think of as a very spe-
sional drawing by combining projection and
Towards a Model Opera, the project you did
cific moment in Chinese history and culture,
live performance, all moving through time.
in Beijing over the summer?
and show its connections to all of us around
This eventually expanded from the theatric
The project was born first as part of the
the world, at different epochs. It’s about the
form to the opera, namely chamber operas
ongoing collaboration that I have with Dada
like Monteverdi’s Il riturno d’Ulisse in patria,
Masilo, with whom I worked on The Refusal of
The work currently exists as a video instal-
and a contemporary South African opera with
Time. I wanted to keep working with her on a
lation. It contains brass bands, Dada’s dancing,
composer Kevin Volans and writer Jane Taylor.
new project, and on the other hand I’d seen
drawings, slogans, all those things happening
120
impurity of moments.
translation of the text, the actors, the set, the musicians… you are not simply closing your eyes and listening to pure music. Even in the simpler productions there are at least eight different things to watch. So one has to understand it is always about an overload, and even in the face of this overload you force your way through, to make sense of a story with its images and all the emotions. And this is something that I would rather celebrate than refuse. I find it interesting that we talk about Notes Towards a Model Opera, 2014–2015, three-channel video installation. © William Kentridge, courtesy the artist and Marian Goodman Gallery
around a revolution. It functions more or less
character of images, and how they influ-
as a video notebook of what a revolutionary
ence what we see and hear. How do you
opera today could be made of, in terms of
think the operatic form, as a synthesis of
content. Maybe, it would be about the chaos
several different art forms, comes into that?
of finding a simple interpretation of it all.
There are a lot of elements coming in at the
What was your experience presenting this work in China? I was surprised to see that many people who came to the exhibition had seen my work before, if only on Youtube. And artists and writers came as well, asking very interesting questions. I think that most people were intrigued by “the piece on the cultural revolution.” The essay I wrote on the subject was denied permission to be printed in the Chinese catalogue, so a few days before the exhibition we had to print it as a brochure, which we handed out at the opening. This is quite surprising, as such issues are not as frequent as people might think. I was surprised, and so was Philip Tinari, the director of the Ullens Center. But I guess it happens. You have talked about the deceptive
121
same time… Some people think there are too many! But I guess rather than be panic-struck to see
this question of confusion and overload of information, because the operatic form itself, starting from the various languages operas are written in to the way the songs are interpreted, is somehow inevitably sure to induce confusion. Which is the reason why one needs a translation at all. Is it the ultimate form for this information age? I find that even with songs that are in your
everything, you see what you see, it’s more
native language, there is a difficulty to actually
about constructing your own view of it.
follow the words. Most of the time you hear some of the words, and then you drift off and
Yes, I also think that way. And if we take
only listen to the music. And the same goes in
the context of your work emerging at a
opera with the libretto. But ultimately, these
time of a complex political history in South
are theatre plays set to music, so you have to
Africa, it makes sense. This is also what we
follow the story, or it loses its purpose and
see in the world today in terms of politi-
interest. I think there’s a difference between
cal history: so much information, all of it
the singer, who has to know the words, and
biased, coming to us at the same time, and
the audience and its relationship to the text.
us trying to make sense of it. Right. For some previous operas I think
I had one more question regarding the
there was a complete overload of images,
habit that you have to insert yourself in your
so at some point you give up and fall asleep.
work. Some artists like to retreat form the
(laughs) I think we’ll simplify some of the
work, but not you. Why was it important for
images for the next productions, we’re really
you to engage with your pieces that way?
watching and judging at the same time; but
I think it’s a recent trend, that we have seen
the thing with opera is that it is a form of
in the past fifty or maybe one hundred years,
excess. You have the text, the singing, the
of artists talking about their work. I found early
on that I was invited to give lectures about it,
music from Congo, the former Zaïre, like Papa
ears, which opens with the masterful and half-
which forced me to reflect on it. And I also had
Wemba, or Greek sentimental songs from the
hour long aria sung by the late Belita Woods,
to be the one performing the result of that
20s for a project in Istanbul, and South African
accompanied by an ensemble of metalins.
reflection, in the form of the lecture. So even-
brass bands.
The instruments were designed especially for
tually the lecture grew into the work, and this became The Refusal of Time. Sometimes an actor is playing my part in the lecture. There is
the performance by Jonathan Bepler and his
Eugene Perry For the wrath of Seth
another body of work that is set in the studio,
team, from the carcasses of cars as a reference to the Detroit automobile industry. A little later in the part, a scene is shot at a giant
so I was in it as well. I am not a novelist, I can-
Let us be honest. In my opinion, River of
not project myself into someone else’s head.
Fundament is relatively hermetic. Here and
Some authors can imagine what it might
there, one could catch a glimpse of the public,
be like to be, say, a 14 year-old girl living in
who remained bravely focused (for the ones
the role of Seth, are convincing to the point
Arizona. Now that is an impossible task for me.
who did not leave the theater within the half
of casting doubt over the feasibility of it all.
So it keeps coming back to the self, ultimately
hour), but also see the performers throwing
They both certainly stood out in the midst of
it is an examination of oneself.
“Shouldn’t you be over there?” looks and
Barney’s lengthy extravaganza. Their charac-
for some, chuckling in amusement at the
ter can be seen fighting Horus, screaming in
improbable script. So, should you pass on
destructive rage as he conducts the incinera-
music and opera, and what are key figures
River of Fundament? I would say absolutely
tion of his brother and enemy, stabbing an
in music today that influence your practice?
not. See, there is one significant high point
avatar of James Lee Byars through a car’s
to it all, which makes the experience worth
windshield, and most notably, pretending to
it, and it’s the music. Jonathan Bepler has
urinate in a room full of people. And by peo-
with as a child, and it is often on in the studio,
embraced without one look back Matthew
ple, I mean Lawrence Weiner and the all-star
sometimes as a sound barrier to block out
Barney’s insane storyline, and keeps you
cast reunited by Barney for the occasion.
noise coming from the surroundings, as a
engaged all through. Khu, the second part
non-listener. I was also recently re-listening to
of the film, is a true feast for the eyes and the
What is your relationship to classical
Classical music is the music I grew up
furnace, under the watchful eye and voice of Eugene and Herbert Perry. The twin brothers, full of rage and fury in
We catch up with Mr. Eugene Perry to discuss his role in River of Fundament and more generally, the simple yet busy life of an opera singer today.
Interview Olivia Anani: So how was your day? Eugene Perry: It was alright, I was at the church this morning, where I play bass. It is the summer holiday here, and with two sons, my hands are quite full. I can only imagine. Thank you for taking the time to speak to us. Can you tell us how Matthew Barney and Jonathan Bepler, River of Fundament, 2014, production still, courtesy of Gladstone Gallery, New York and Brussels, © Matthew Barney, photo by Hugo Glendinning
122
your participation in River of Fundament came about, and what are, in retrospect,
your feelings about it?
featured in, as I could not distinguish you
no return, so the tendency was to push the
from your brother. I think most people actu-
voice. I think I was doing a lot. We took dozens
time before, but only as a visual artist, not as a
ally think there’s only one actor until you
of shots, that was interesting. And the number
filmmaker or producer. I got a call to audition
both show up on screen at the same time.
of people involved, somehow made the magic
I had heard of Matthew Barney some
for him in New York, and received a couple
I mainly did the party scene, and the one
happen. Even during rehearsal, it was as if we
of lines to work on. Jonathan Bepler was also
in the barge. My brother was the one doing
there, and he wanted me to sing a couple of
the more physical scenes, such as descending
arias, which I did. I am not even sure to this
in the water for the final fight. To tell you the
day, why they picked my brother and I, but
truth, my brother and I did not see each other
regarding your experience on set. You men-
the audition I did that day was pretty good,
much during the shooting. It was all very finely
tioned the fact that there was no text, so
and they told me that they would get back
tuned, in terms of production. They would
how did it work? Were you making up lyrics
to me. A few days later they wanted to have
call me for my scenes, and call him for his
as you sang?
my measurements, had me try on a couple of
scenes. We did the audition separately. On set,
costumes, and then quickly scheduled my first
he made friends with some people, me with
set words, and I made them my own, chang-
shooting, which was set to happen in Detroit.
others. Someone would see me on set, come
ing them and sometimes, improvising. They
It was during the winter, the temperature was
say hi and hug me like we knew each other,
do say that the best acting is reacting. That
about ten degrees below zero. We went over
and they actually knew him. It was amusing. I
extended to the music, as Jonathan Bepler
a couple of lines in my hotel room, without
think it reminds you that we are all connected,
used all kinds of musicians, in a very creative
music. It was a very simple text. An hour later
somehow.
way.
we went to a church, take one, take two, take
As far as technical difficulty was con-
three and this is how the first shooting went.
cerned, it is different to sing outside than
were doing it for the first time, every time. I am intrigued by one thing you said
They gave me the general idea, several
Yes, I saw the metalin ensemble, with
inside. It can be better, it can be worse. I found
Belita Woods’ aria, which was incredible.
experienced in the past. It was very intense,
it difficult to sing towards the water, because
Did you get to work with her and the other
freezing, obviously. They had heaters in every
you don’t get anything back. When you sing,
singers as well?
corner, basically trying to figure out how to do
you need to hear yourself, and here you had
It was very different from what I’ve ever
No, I didn’t, unfortunately. There were a lot
things. It was tough, to be sitting in the cold for hours, to be singing in the cold, because it takes all the moisture out of your mouth. It was a challenge, which I was up for, and luckily it turned out quite well. I had done film before, but never on this particular level of intensity. There were stylists, cameramen… a whole movie crew, on the scale of what you see for major productions. I was just about to ask you the question. Shooting outdoors for hours, singing in the cold, could you please tell us more about the technical challenges to a project taken in these conditions? I was also wondering which of the scenes were the ones you were
123
Matthew Barney and Jonathan Bepler, River of Fundament, 2014, production still, courtesy of Gladstone Gallery, New York and Brussels, © Matthew Barney, photo by Hugo Glendinning
of people I did not meet, like Paul Giamatti. We
this was what I wanted to do. My brother had
versity. He died quite young, in his forties, but
were in and out, only showing up when the
already made up his mind, but I was hesitant.
wrote several pieces in classical and spiritual.
team needed us. They were professionals at it,
I thought “I’d rather play bass,” but there is no
My father, who’s from Chicago, studied opera
and I’m curious to see what they are going to
comparison. This is ultimate. You got to sing,
as a young man, although he didn’t pursue it.
do with the final piece, and how it will develop
act, and being paid for it. That happened in
a life of its own.
1980 for me.
How important is the aspect of community, education and artistic outreach to
It’s interesting, this approach that they
From then on, it was a journey to make this
you? I see that you are very involved in local
had, to work with each of you separately,
a career. My brother and I were both fortu-
including your brother. This way, I guess,
nate, in that we were the first set of twins in
Yes, I work at a community center every
you were able to each give what you had in
contemporary opera circles, as far as I know.
summer, where we have 40 to 50 kids, aged
mind for the part in your own, distinctive
Maybe this is what got us noticed, and led us
5 to 12. I provide music, and teach them the
way… Which leads me to the question, of
to play major roles. We went on to work with
songs. Not classical, because it is difficult to
how your brother and you both came to
Peter Sellars on his Don Giovanni. The work
get them to like it, and inner city kids can be
singing opera. You mentioned the church, is
had a major impact at the time, and drew a
tough. I tried, but they just don’t like it. So I
that where it started?
storm of reactions from the opera and theater
pick popular songs, such as R. Kelly’s “The
No, not at all, actually. It started at univer-
critics. Some people loved it, some hated it.
World’s Greatest”, and work on them on the
sity. Prior to that, my brother and I were both
It was incredible to get this kind of reaction
part where there’s a choir. I provide a band,
instrumentalists. I studied the string bass, he
early on. But yet I cannot say it was exposed
and try to get them to sing.
majored in trombone and education. Later
to the world. People knew about it, and a few
There’s also a church where I teach clas-
on, he went on to study at the University of
actually got to experience it, while others just
sical music technique, and try to expose the
Arizona, while I stayed back one more year. I
didn’t want to deal with it. What Peter Sellars
students to European classics; they like Italian,
had lost a year by dropping from education
did was taking Mozart’s opera and bring it into
some French, English… Nobody wants to do
to study performance. But what happened is
modern day, which was very forward thinking
German. (laughs). I have one student there,
as he got to Arizona, he discovered the opera
at the time. There were three black singers,
who is very promising. She’s only 25, so she
program that they had, which was great,
which was unheard of. It is widely accepted
has great potential to grow, and an incredible
together with a production company. So he
now, to see contemporary adaptations of clas-
voice. I also work with a theater company,
told me about it, and we both stayed there for
sic opera and theater, but at the time, many
where the team is taking the text from Shake-
three years. At first I did not want to make a liv-
people resisted it. I guess my brother and I
speare’s A Midsummer Night’s Dream, and
ing out of it, I was playing the string bass and
were trailblazers in some way, but the down-
turning it into arias. They take existing operas
enjoying it, but at one point they needed an
side is that it also stereotyped us. We were
in baroque style, and switch the lyrics, I think
additional singer, in a production my brother
immediately associated with contemporary
it’s going to be very interesting. I also used to
was part of. It was Puccini’s Tosca, and I joined
works, which has its positive aspects as well, in
perform regularly with Philip Glass, projects
to play the jailer. I can say that this produc-
that you get to be creative, and you don’t have
that happen within a theater setting, which
tion changed my life. To be able to have a
to worry about being compared to this singer
are quite successful, and I teach voice in uni-
real set, costumes, a stage mistress, make-up
or this production from the past.
versity. So my hands are full, and I’m happy.
team, and to meet all these very respected,
River of Fundament is on view at the
talented singers, it blew me away. It showed
But my family has always been in classical,
me everything that it could be, the way you
and as such I have strong ties to it. My grand-
presented yourself as a professional, the pub-
father, Herbert Franklin Mells, actually started
lic… and I decided right then and there, that
the classical program at Tennessee State Uni-
124
projects for the youth.
Museum of Contemporary Art of Los Angeles until January 2016.
125
Matthew Barney and Jonathan Bepler, River of Fundament, 2014, production still, courtesy of Gladstone Gallery, New York and Brussels, Š Matthew Barney, photo by Hugo Glendinning
ART TALK
MUSIC IS THE HEALING FORCE OF THE UNIVERSE
Philippe Di Folco
Quelque chose, qui embrasse l’Un et l’Autre, l’individu et son altérité, advient dont on ne parle pas assez : la dérive, l’écart, l’échappée nés de la rencontre d’univers sonores, de la rencontre entre des interprètes et des publics que tout semble opposer. Bifurcations ici en forme d’éloge de la Blue Note. « Vorspiel »
et Iseult en terre inconnue et c’est ainsi que
regarder les postures et les positionnements
Durant les premières minutes du film de
Malick choisit d’illustrer l’essentiel de son
à l’écran qui se mettent en place durant ces
Terrence Malick Le Nouveau Monde (2005),
propos par le « vorspiel », le prélude à L’Or du
quelques six premières minutes : subaqua-
quelque chose advient par la mise en scène
Rhin de Richard Wagner : avant de jouer aux
tique en glissando, frôlement des corps contre
qui a pour nom le premier regard amoureux.
cow-boys et aux Indiens, il y a la possibilité
les herbes, murmures, montées des basses au
Et ce premier regard est celui d’une jeune
de l’amour entre deux étrangers, entre deux
fil des champs/contre-champs…
femme algonquienne pour un soldat anglais
inquiétudes, entre deux continents, entre
mis aux fers. Ce regard n’est pas objectif, il est
deux modes d’écoute, entre deux eaux mêlés.
édénique, spectaculaire et donc forcément
annoncé : les deux futurs amants ne se voient
C’est ici forcément le prototype légendaire
injuste, n’est rien d’autre que ceci : selon le
pas se voir l’un l’autre mais nous devinons, et
d’une West Side Story que l’on serait tenté de
rapport des points de vue choisis, l’on peut
eux aussi, qu’ils vont s’aimer. Il y a là du Tristan
relier au Roméo et Juliette du grand Will2. Il faut
sursignifier une musique qui, d’un côté, si j’en
126
1
Ce que je retiens de cette séquence
crois le facétieux Woody Allen, donnerait de
n’est pas seulement resté confiné aux bars
l’éternité quand cette musique vient braver les
toute façon l’envie d’envahir la Pologne, et de
enfumés fréquentés par des poètes beats.
constellations, et toute les galaxies ? Combien
l’autre, le désir irrépressible de s’allonger dans
Les musiciens-poètes ont fait l’événement,
j’ai pleuré de joie, oui de joie, en écoutant
l’herbe d’une prairie virginienne, totalement
écrit l’histoire, quand ils décidèrent d’accepter
Nina Simone me supplier de l’aimer et ainsi
nu, de s’abandonner, d’abandonner et de
de jouer dans les champs pour des milliers
soit-il, nous l’aimâmes, nous l’aimons, et nous
donner pour être « heureux comme avec une
de gens. Woodstock, au fond, reste avant
l’aimerons encore. Alors, de guerre lasse, les
femme » . Le don premier de la musique :
tout une histoire d’amour et l’amour a besoin
petits enfants de toutes les zones urbaines
que ma joie demeure. Il n’y a pas à tortiller.
d’espace où les foules puissent se sublimer
sur cette Terre s’amusent à mixer, à sampler, à
Gesualdo, Bach, Wagner, Duke Ellington,
en « quelque chose d’autre ». Car ce que dit le
moléculariser les sons, tous les sons, les petits
Pharrell Williams même combat : be happy et
free-jazz c’est le mélange, et donc la substance
enfants des banlieues globalisées découvrent
ainsi-soit-il.
même de la vie, la « molécularisation », la
au détour d’un lien You Tube la Marseillaise
combinatoire essentielle à l’équilibre des
par Albert Ayler et le miracle a lieu, car enfin,
forces vitales, l’alliage matricielle qui génère ce
il faut bien constater que ces gamins malins
pour quoi nous sommes toujours vivants, « en
ont l’ouïe fine c’est certain, pour que cette
marche », comme cette statue de Giacometti,
free music n’ait de cesse de nous transporter,
advient. L’expression de la dérive, de l’écart,
prêts au combat tous les matins, sinon, c’est
de nous transformer, et c’est donc que sa
de l’échappée née de la rencontre d’univers
évident, nous aurions étouffé et disparu
suprême force consiste à tuer, pour un temps,
sonores, de la rencontre entre des interprètes
depuis longtemps sous nos dogmes, nos
même infinitésimal, la mélancolie grise qui
et des spectateurs que tout semble opposer.
purismes, nos belles certitudes impérialistes
nous fonde.
La musique brise ses chaînes, sort de la
cadencées par les fifres et les tambourins,
soute, pousse un cri primal, à la toute fin des
nos petit salons à la Verdurin où s’expriment
années 1950. Elle s’appelle Ornette Coleman
les idées reçues. Que
(1930-2015). C’est une divinité, forcément
nous ayons continué de
transgenre et transfrontalière, et il nous
composer, d’arraisonner
faut le redire haut et fort. Ornette Coleman
les terres musicales et d’en
remporte la guerre de Sécession du Son,
explorer les nouveaux
signe la déclaration universelle des droits de
continents suppose une
la musique, élargit définitivement la Grande
véritable force qui dépasse
Charte de l’humanité, le jour où il grave avec
les clivages classiques, la
sa formation l’album Something Else!!! (1958). Il
dialectique du bien et du
y eut là un avant et puis un après. Et Dionysos
mal, la morale du marché,
vit que tout était beau et il choisit alors de
etc. Cette free musique-là,
ne pas se reposer. La dérive, la rave, le rêve
ce n’est pas « j’ai fait un
d’une liberté totale, absolue, exponentielle
rêve », c’est LE rêve dans
et explosant-fixe : la supernova free-jazz
sa concrétude sonore :
coule dans les veines du premier film de John
l’inouï provoque une
Cassavetes, Shadows (1959), et le flot est depuis
onde de choc esthétique
intarissable, sans l’ombre d’un doute, quelque
telle que les conséquences en sont
chose, là, advint et tout fut transformé.
incomptables. Combien de regards
Quoi ? La mer allée avec le soleil ? Oui. Un
amoureux aux sons d’un Coltrane, d’un
nouveau corps amoureux ? Oui. Et ce jazz-là
Miles, d’un Dylan ? Combien d’amants pour
3
Une ellipse : l’instant free-jazz Donc une chose rarement exprimée ici
127
Où se situe exactement l’envers du
Le « village nègre », cliché de Julien Damoy (Paris, 1900)
décor de la foire ?
De quoi cette mélancolie est-elle le nom ?
musique qu’on ne la réfléchit. En ces temps-là,
tion d’humains parqués dans des « cages »,
les sons javanais, japonais, bantous, congo-
non, ce qui advient, c’est AUSSI la possibilité
perdu ? Un jardin d’enfance, un jardin mul-
lais, caraïbes, maliens, émergent sur la scène
de l’amour et de l’échappée, l’émergence d’un
ticolore avec des monstres gentils ? Mais les
des expositions occidentales en live. Dans la
affect redimensionné par les sons nouveaux,
Le blues des origines, celui d’un Éden
jardins sont souvent clôturés, et peuvent
même si ces minutes sont brèves et ne durent
même devenir des zoos. A partir de la fin du
juste qu’un instant, les cerveaux sont comme
XIXe siècle, les empires coloniaux européens
contaminés par cette fascinante étrangeté.
parquent des milliers d’indigènes extraits de
Et de ça personne ou presque n’ose reparler :
leurs villages d’origine au sein d’énormes dis-
le complexe du fardeau de l’homme blanc
positifs appelés « expositions universelles » .
ou de la tristesse des tropiques perdurent
Aux États-Unis, on voit vite les choses du
aujourd’hui à travers une historiographie aussi
côté de l’Entertainment, avec le businessman
sélective qu’elle l’était du temps où la presse se
Barnum qui réinvente les spectacles de foire,
contentait d’illustrer la grandeur de l’Occident
par le cirque à frissons il met en scène des
par des images d’indigènes forcément joyeux
Indiens méchants et des Nègres dompteurs.
parce que dansants (et bons qu’à ça ?). Fonda-
Avec le recul, le regard postmoderne est tenté
mentalement, ce qui gêne ici aux entournures,
de s’arrêter sur cette image (01), qui montre
c’est que nous n’étions pas capable, entre
deux femmes et trois enfants, cinq personnes
1878 et 1931, d’offrir à ces musiciens venus
- sans nom - photographiées par un épicier
d’ailleurs, un espace d’expression réservé
opportuniste5. On s’accroche au regard de la
à une soi-disant élite, tel que l’Opéra, un
femme au centre qui scrute l’objectif tandis
théâtre des opérations bourgeois, hors-classe
que derrière elle, derrière les grillages, se
et aussi réducteur que l’étaient les jardins
profilent les ombres floues des visiteurs en
d’acclimations et autres villages reconstitués.
goguette, melons, panamas, cannes et cor-
Mais tous ces hommes ne se sont-ils pas
sets. Ce qui m’intéresse ici c’est le hors-champ
en définitive rencontrés ? Oui. Les grillages
du hors-champs : cette photo, quand elle est
arrêtaient-ils les sons ? Non. De la musique
exposée aux publics d’aujourd’hui, prétend
comme transcodeur, comme viatique, comme
démontrer l’inexcusable, la monstration de
offrande et surtout comme impossible à con-
mères arrachées à leurs terres d’origine. Mais il
tenir en un espace hermétique.
4
y a la musique.
Le procès Affiche lithographiée de l’imprimerie Camis (Paris).
« Je ne te parle pas ... je chante pour moifoule, parmi les badauds hilares, effrayés, il y
même,
Ces expositions — comme ici à Genève
a bien le petit Ravel ou les jeunes Debussy et
Et je pense ... il n’est pas défendu de penser,
en 1896 — attirèrent dit-on des millions de
Satie « eyes wide open », et il en est d’autres, et
Je pense à certain officier,
visiteurs. Mais il s’en est suffit d’un et d’un
d’autres encore : comprenez bien le processus
A certain officier qui m’aime,
seul, pour que le regard sur l’étrange étranger
en marche, comprenez bien ce qui advient
Et que l’un de ces jours je pourrais bien aimer. »
soit autre chose que le dégoût, la honte ou
à cet instant-là, ce n’est pas uniquement le
la curiosité malsaine. C’est quand ce regard
regard du voyeur, ce n’est pas juste le côté
est celui de l’écoute : on écoute moins la
rétrospectivement monstrueux de la monstra-
128
Carmen de Georges Bizet, acte I scène 10
Nous devons admettre le primat de la
rencontre au regard du désordre musical,
du jardin originel. Alors je lui demande
hontas, et que celui-ci ramena à Londres :
dans cette chose très concrète qu’est la
au gardien : « Quand pourrai-je allé au
la dernière tragédie du dramaturge, La
performance . Qu’est-ce que cette pluie
jardin, quand donc pourrai-je rejoindre
Tempête, est la seule qui nous semble
d’autres/hôtes, ces notes étranges, qui
les musiciens et me fondre avec eux, et
marquée par cette histoire qui défraya les
adviennent à la fin du XIXe siècle, qui se
danser et m’abandonner et me donner
chroniques. N’y voit-on pas en effet un
rencontrent, qui provoquent la rencontre,
moi aussi ? » Et puis les années passent. Le
navire échouant sur une île lointaine, et
qui accordent en accords et désaccords,
gardien est toujours là. J’attends. Il attend.
Prospéro de se poser la question fonda-
en dièse quand la rupture se produit sur
La mélancolie a des cheveux blancs et le
mentale : où est-ce que je suis chez moi ?
la ligne des basses et au fil des doigts ?
poids des années fendille mes certitudes.
Rencontres évitées, esquivées, à peine
Pourtant l’espoir reste intact, car, de temps
effleurées, rencontres brèves, rencontres
en temps, le gardien laisse filtrer quelques
durables mais, toujours, provisoires. Ici,
notes par le judas, et cette échappée suffit
je n’idéalise en rien ces instants brefs, car,
à nourrir mon rêve. Quand la mort viendra
précisément, ils ne sont rien, l’Histoire n’en
frapper, je lui demanderai : « Mais dis-moi,
150 ans d’inventions de l’Autre, sous la
dit rien, le grand récit officiel de l’Histoire
pourquoi suis-je seul à attendre devant
direction de Pascal Blanchard, Nicolas Ban-
ne parle jamais de ça. Un siècle plus tard,
cette porte depuis tout ce temps ? » Et au
cel, Gilles Boëtsch, Éric Deroo et Sandrine
Gil Scott-Heron dit « the revolution will
moment même où j’expirerai, il répondra :
Lemaire, Paris, éditions La Découverte,
not be televised (…) the revolution will
« Eh bien, cette porte close, vois-tu, n’était
2011.
be live » . Car nos cages sont toujours là.
là que pour toi et moi qui suis ton gardien,
Elles sont là et nous ne les voyons plus à
maintenant que tu meurs, je disparais ».
6
7
force de nous convaincre que c’est tout
3 « Sensation », poème d’Arthur Rimbaud composé en mai 1870. 4 Zoos humains et exhibitions coloniales.
5 Négociant en vins aromatisés et épicés, Julien Damoy (1844-1941) fit com-
de même mieux aujourd’hui qu’avant, du
Osez franchir les portes de la percep-
temps des colonies, du temps de la lutte
tion du temps où vous vivez, et n’attendez
stéréoscopiques tirées, entre autres, de
des classes, du temps de la ségrégation,
pas de dire aux vivants que vous les
l’exposition universelle de Paris 1900.
du temps où la planète était un peu moins
aimez : ainsi crie-t-elle, à tous nos sens
standardisée et où les Blancs étaient entre
rendus poreux, la musique, et c’est bien ici
eux et les autres, tous les autres, restaient
une partie de son secret et de sa grande
courant souterrain du matérialisme de la
chez eux. Serait-ce donc que la musique
force, que nous aurions tort d’oublier
rencontre », In : Écrits philosophiques et
quand elle brise les règles pour mieux
quand il s’agit d’écrire comment se con-
politiques, tome I, Paris, Imec/Stock, 1994.
nous réinventer (et procéder ainsi à la per-
struit l’humanité.
formation d’un nous), dans sa brève mais grande force subversive, par ses effets
6 Lire Louis Althusser (1982), « Le
7 Surtout dans sa première version Notes
incalculables et souterrains, en se jouant des barrières et des couleurs de peaux,
merce d’éditions de cartes postales de vues
“African drums” sur l’album Small Talk at 125th and Lenox (1970).
1 Das Rheingold, opéra joué pour la
des origines et des noms, serait-ce donc
première fois le 22 septembre 1869 à
qu’elle ferait encore peur ? De quoi a-t-on
Munich, premier opus du cycle du Ring des
(EHESS), écrivain, enseignant et scénar-
peur, en fin de compte ?
Nibelungen (« L’Anneau des Nibelung »).
iste. Il est l’auteur de plusieurs romans, de
Je suis devant la porte qui ouvre au grand chant du monde. Un gardien se
Philippe Di Folco, est chercheur
nombreux essais et a dirigé la conception 2 William Shakespeare (1564-1616) est
de deux dictionnaires encyclopédiques
tient devant. Parfois il entrouvre la porte.
contemporain de l’aventure extraordinaire
de sciences humaines :aux PUF et chez
Et j’entends la mélodie du bonheur, celle
du capitaine John Smith, épris de Poca-
Larousse.
129
ART TALK
LA DISSIDENTE DISSONANCE DE LOUISA BABARI & JAY ONE RAMIER Camille Moulonguet
Louisa Babari et Jay One Ramier ont composé à quatre mains deux pièces sonores en 2013 : DC1 pour la commémoration de
Qu’est-ce qui vous a rapproché toi et Jay pour cette pièce sonore ?
cette œuvre ? Ce projet venait illustrer le jour de la
D’abord il y avait un tronc commun
commémoration de la fin de la traite au
la fin de la Traite au Musée du quai Branly et
culturel et musical : la musique électronique
musée du Quai Branly. En fait nous nous
« Roaming for » sur le thème de la frontière
allemande, la musique des années 80 et le
sommes rendu compte qu’il y avait une
présentée au Festival « Orient’art Express »
rock. Nous avons en commun un rapport aux
pluralité des mondes de l’esclavage et que
à Oujda au Maroc. Ils plantent ainsi coup sur
sons froids et à la techno froide des années
les Caraïbes se partageaient un héritage de
coup des décors étranges et saisissants en
90, Jay ayant vécu à Berlin dans les années
ces temps-là tout à fait différent selon les
réalisant une forme de surréalisme sonore,
90 et moi ayant été nourrie de l’émergence
îles et les régions. Ce qui était intéressant
superposant les temporalités et les espaces
de l’électro à la même époque. Nous avons
c’était de choisir des sons qui dans une
dans une narration qui se joue audacieuse-
ce panthéon musical commun. Et puis, bien
première approche pouvaient paraître loin
ment du thème abordé. Un travail holistique
entendu ce qui nous a rapproché c’est cette
et représenter un contrechamp complet par
qui convoque les archives, les faits divers, les
proposition de Pascale Obolo qui nous per-
rapport à ce que l’on pouvait trouver dans
enregistrements sonores, les morceaux de
mettait de contribuer par une œuvre sonore
les sonorités popularisées pour représenter
musique, une trivialité sonore qui donne à ses
à un film muet tourné en super 8. L’idée était
la mémoire sonore de l’esclavage. Jay a
pièces une épaisseur presque tangible. Louisa
d’apporter une sorte de contre-champs
apporté à la pièce une sorte d’irrévérence
Babari raconte comment ces pièces se sont
anachronique sur ce que pouvait représenter
et une audace qui tranchent, qui agressent.
construites.
pour deux artistes l’un guadeloupéen et
Il y a le témoignage sonore des banlieues
l’autre d’origine algérienne cette mémoire de
américaines aujourd’hui, toute la violence
l’esclavage. Jay qui avait vécu en Guadeloupe
qui se perpétue dans ce sui reste de
pour le film de la réalisatrice Pascale Obolo
pouvait témoigner de ce qui restait de ces pra-
cette histoire de l’esclavage au sein des
« Déambulation Carnavalesque » filmé en
tiques de l’esclavage dans la vie quotidienne
populations afro-américaines. Cette œuvre
super 8 à Trinidad et Tobago le jour du « Jou-
des Guadeloupéens.
là, témoigne de ces empreintes, des mondes
Au sujet de DC1, oeuvre composée
vert » qui célèbre la libération des esclaves en 1838.
130
complexes de l’esclavage que l’on retrouve Qu’avez vous voulu transmettre avec
encore aujourd’hui à la fois aux Antilles,
en Amérique du Nord et en Europe. On a
lignée de mes autres travaux. Des émeutes
les barbelés, les guerres, la violence. On voit
juxtaposé des musiques électro avec des
de Ferguson à la manière dont la France traite
dans notre triste actualité que c’est un endroit
témoignages de faits divers car cette violence
cette histoire-là, ce sont autant d’attitudes qui
de mort, de survie, de séparation. Et puis le
a pour nous un lien direct avec cet imaginaire
montrent que les traces de l’esclavage existent
morceau de Patti Smith était une anti-cham-
sonore autour de l’esclavage.
fortement aujourd’hui. Et il y a encore beau-
bre pour faire exister tout cela.
coup de choses à dire sur le sujet. Comment liez-vous les morceaux de musique et les extraits de sons de la vie ? Il y a un travail sur une discontinuité au sein d’une continuité narrative. Il y a une narration
Quelles sont les images que vous avez Au sujet de « ROAMING FOR » présenté par le curateur Azzeddine Abdelouhabi au festival « Orient’art Express » de Oujda.
avec un personnage qui est dans la fuite, le bateau, le continent de départ. On a traité plusieurs moments de cet imaginaire là. On a traité le chant comme réminiscence de la
convoquées pour composer cette pièce ? Les idées de déplacement, de doute, de déroute, de séparation physique des corps sont très présentes. Nous avons mis en place
Pourquoi avoir voulu travailler à nouveau avec Jay ? C’est très important pour moi dans une
des univers discontinus, des chuchotements, tout ce qui pouvait symboliser l’être humain aux prises avec cette notion de frontière. Pour
terre laissée mais également comme faisant
collaboration d’avoir une famille d’esprit, de
nous ça évoquait pêle-mêle un film coréen
apparaître l’espoir d’un avenir meilleur. Il y a
goût. Il y a beaucoup de choses que nous
« Joint Security Area »sur la frontière entre le
la nostalgie du temps quitté mais également
n’avons pas besoin de dire lorsque l’on travaille
Sud et le Nord aussi bien que les frontières au
la composition d’un nouveau langage dans
ensemble. Là il s’agissait d’une commande
Maghreb, le cas de l’Algérie et du Maroc et les
le même mouvement. La musique témoigne
sur le thème de la frontière. Les relations
émeutes des années 50 ou encore le cinéma
à la fois de la perte et de la volonté de survie.
entre l’Algérie et le Maroc étant toujours très
de guerre et notamment « Casablanca »
Et les sons que l'on a collecté à différents
tendues au sujet des frontières, c’était plutôt
qui est un film qui parle du couple « zone
moments sont là pour exprimer une forme de
courageux de la part du commissaire d’inviter
occupée-zone libre » et de la migration. Et
chronologie où les époques, même les futurs,
des artistes et des penseurs du Maghreb à
puis nous avons également mis une séquence
se fondent.
échanger autour de cette notion de frontière.
qui témoigne de la migration mexicaine aux Etats-Unis, où les familles sont séparées et
Comment s’inscrit dans ton travail cette œuvre là ? Elle fait écho à ma façon de travailler
Quel était le point de départ de ce travail ? Pour cette pièce, nous sommes partis
ne se revoient plus pendant des années et la manière dont les enfants vivent aussi ce passage. Ce qui nous a intéressé c’est aussi la
avec le son. Dans mon travail j’ai toujours
d’un postulat qui était une chanson de Patti
manière dont la musique peut s’ échapper
l’impression de construire des films, c’est
Smith, une balade « We three ». Et là encore
d’un champ pour en rejoindre un autre, des
peut-être parce que je viens de ce champ
une fois, dans cette thématique de territoire,
collaborations qui pulvérisent la notion de
là. Le son pour moi représente une vision et
de frontière, cette balade constituait un hors
« domaine protégé ».
c’est à partir de ces visions que je construis
champ. Cette chanson est construite un peu
mon rapport au sonore. Donc pour moi le
comme un slow ou une chanson de crooner
Aujourd’hui les frontières sont particu-
son est toujours un rapport à l’image. Pour ce
des années 60. C’était aller tout à fait ailleurs
lièrement liées à la violence et la mort, à la
travail sur l’esclavage ce qui m’intéresse c’est
et en même temps cela sous entendait une
fois plus que jamais consolidées et remises
la contemporanéité du thème et la manière
sorte de désert, une pièce vide, un juke-box…
en cause, comment te situes-tu par rapport
dont ce travail s’inscrit dans une période
un morceau que tu peux écouter chez toi,
à notre actualité ?
post-coloniale, post-apartheid. C’est le fait que
une intimité vide de bruit. La frontière c’est
l’on vive avec aujourd’hui qui m ‘intéresse.
une notion qui sous-entend à la fois le rien, le
émigré d’Union Soviétique vers l’Algérie, et de
C’est à ce titre là que cette œuvre est dans la
vide, le désert, et aussi le bruit, la migration,
l’Algérie, je suis arrivée en France. A l’époque
131
Mon histoire personnelle a fait que j’ai
passer ces frontières là, c‘était quelque chose ! J’ai gardé de cette expérience d’enfance une peur terrible de passer ces frontières. J’étais hantée à la fois par la question du non retour et celle de ne pas pouvoir passer. Aujourd’hui quand je vois ce qui se passe, quand je vois les populations passer les frontières libyennes, soudanaises, hongroises, j’ai extrêmement peur pour eux. Dans l’histoire de ma famille nous avons été confronté à ce passage d’un bloc à l’autre. Quand je vois les images des réfugiés syriens, soudanais, je suis terrifiée. Leur témoignages me bouleversent.. C’est effroyable ce que ces gens sont en train de vivre aujourd’hui même. Y aurait-il quelque chose à réinventer pour faire « reculer » les frontières ? Déjà il faudrait redéfinir le droit d’asile car aujourd’hui en France le droit d’asile est bafoué. Il faudrait déjà respecter la convention de Genève qui a défini le cadre de ce qu’est le droit d’asile, ce serait la première chose à faire. Car l'on est en pleine régression. Nous vivons une situation sans précédent avec une prise en charge digne du régime de Vichy. Les migrants sont accueillis comme des chiens, ils vivent en France un deuxième cauchemar.
Crédits photos : Louisa Babari, Oujda, Maroc.
132
133
ART TALK
DIN OF HABOURED DREAMS Nomfusi’s Decolonial Flashback At Mqhayi Through Biko Rithuli Orleyn
Boukman’s call to “throw away the symbol of the god of the whites who has so often caused us to weep”1, curiously
Driven out by the imiDushane/Over a dispute about which god to…”
knitted in –gqush-(a) that the use of the word ‘dispute’ mutes. More appropriately
3
There’s a displacement of meaning in
the phrase by Mqhayi should translate
resonates with S.E.K Mqhayi’s literary
the highlighted last line of quoted stanza
“querulous God.” This scathing indictment
work. What comes to sharp focus about
above, a trans(mute)-ation caused by
of the Christian God attribute broaches
this unlikely resonance is that Mqhayi was
translation. Now let’s look closely at the
closer to Mqhayi’s isiXhosa origin than
a reputed ikholwa intellectual2; individuals
trans-mute(ation) effect translation has on
the documented ‘Over a dispute about…’
notorious for languishing in civic limbo
Mqhayi’s Molotov of words, the language-
translation.
with a vacillation more towards hankering
contingent reticence that covertly
after honorary-white status. And Bouk-
mobilizes sedition in muzzled de(tone)-
by Mqhayi is able to deploy its recalcitrant
man— on a diametrically opposed end, is
ation. ‘Over a dispute about which god…’
leitmotiv wielding a cheeky sceptre of
known for voodoo-priest practices— the
is an English translation for this isiXhosa
literati activism. This Mqhayi affront is con-
clarion which rallied Haitian slaves during
phrase by Mqhayi ‘uThixo Oligqushane.’
cealed in nuance that owes its insurgency
the revolution of 1791. In a tribute— The
This English translation is rather politi-
and fugitivity to language. Perhaps it’s
Grave of The King, a poem dedicated to
cally unthreatening. Why do I say so? Let
opportune to add to our stratagem a song
river Xesi where King Ngqika of amaXhosa
me explain. If we look at the etymology
by Nomfusi, as a way to midwife Mqhayi’s
lies, Mqhayi’s stealthy affront on the Chris-
of the word Oligqushane deriving from
21st century relevance. This subversive
tian God’s attribute is scathing. He writes:
its root, –gqush-(a), something displaced
quality in Mqhayi’s work is littered in many
becomes apparent. What becomes appar-
a poem he writes in the turn of the 20th
routed our forces at Mgwangqa;
ent is the image of stomping the ground
century— poems like Ithambo LikaNonibe;
1 C.L.R. James, 1963, Black Jacobins, Vintage, New York p. 87 2 Black Christian-converts who occupied higher social strata under colonialism;
3 iZwi la Bantu December 08th, 1908 The Grave of the King (edit by Ntongela) 4 iZwi la Bantu December 08th, 1908 The Grave of the King (edit by Ntongela)
“Here we fought the white man/He
134
The subversive pounce dealt in this line
4
How Are The Mighty Fallen; Mambushe:The King’s Favourite Dog etc. However we’ve tasked ourselves here to lift one instance
of Mqhayi’s insurgent fugitivity, from the
sound”6 dictum and turns the white’s
of California Berkeley— articulates this
already mentioned The Grave of The King,
supremacist gaze to work to his advantage.
modernity scandal, as the gap that yawns
for demonstration. Mqhayi’s oral history relayed to him
between sound— the occluded Black; This fugitivity is often the only sub-
and language— the totalizing claims of
directly by his predecessors, who lived
versive strategy available to literary
through the carnage of Black dispos-
insurgents; it is that ability to attune the
session undergirds threads that share
reader’s ear to frequencies outside and
Charles Llyod alludes to when he says
commonality with Nomfusi. We shall
beneath the range of reading— sanction-
about a musical piece of his “Words don’t
qualify this claim later in the text when
ing clicks, chinks, and growls to unwound
go there”11. Perhaps Nomfusi’s brimming
we put Nomfusi’s song under meditative
fixity in language in order to insert inco-
anguish in the third verse: “[Blacks] were
spotlight. That commonality lifts from
herent sound; sounds of Black anguish.
bruised/Broken/Degraded/And isolated”,
nine dispossession wars lasting over a
This stratagem works to arrest “the
an anguish wallowing supplements to
hundred years between Blacks and whites
reduction of phonic matter and syntactic
inadequate words, work to highlight that
in the Cape of South Africa. This Mqhayi
“degeneracy” in the early modern search
this inadequacy doubles as aural (acous-
poem and Nomfusi’s song Seventeen
for a universal language.”
tic) reduction of a ninja’s silent footwork
90s become a dirge that turns “Din [to]
7
Here Mqhayi sets himself apart from
erasing Western thought. Perhaps this is the yawn of inadequacy
and nimble-fugitivity. Indeed meaning
discourse.”5
typical ikholwa intellectuals. As Nathaniel
carried by Mqhayi’s original isiXhosa
Here Mqhayi’s lamenting din hides overt
Mackey puts it, Mqhayi is “resonant [with]
poems appears embedded in affect. It
indictment: the Christian God has predi-
history of African-American fugitivity and
is coded steadfastly in subsumptions of
lection to war. “The god of the whyte (sic)
its well-known, resonant, relationship to
language— the things that go without
man calls him to commit crimes”, once
enslavement and persecution.”8
saying. This allows us to see why Mqhayi’s
counselled Boukman. Edouard Glissant’s insight— a Martini-
isiXhosa poem speaks with complexLingering on Glissant’s insight we dis-
ity too rich for English-translated text;
can writer, poet and literary critic features
cover that if the rubric of modernity was a
evidenced by meaning nimbly slipping
prominently in how we read Mqhayi’s
doughnut-shape, Blackness homology to
past. This allows us to see what Nomfusi’s
intellectual provocation to sedition and
absence would be aphasia at the centre
guttural-cries re-enact in the scarlet affair
how this provocation escapes decipher-
holding-together modernity’s coherence.
of dispossession Seventeen 90s relives.
ing by colonial gaze. Glissant says that
Moreover we discover that this rubric
when speech is forbidden, noise becomes
needs a reconfiguration. Because at this
verbal that take the rich content of the
discourse. This is not surprising because to
sight of subject-constitution an “ensemble
object’s aurality outside the confines of
the West, sounds uttered by the racial-
of objects that we might call black perfor-
meaning,”12 this piece, welding a seventy
ized subject are no-more than animal-like
mances, black history, blackness,” present
years gap between Nomfusi and Mqhayi,
growls; cackles and clicks. Consistent
“a real problem and a real chance for
foregrounds not only the belief that sound
with a Eurocentric anthropological gaze
the philosophy of human being…” and
or noise is discourse but that in sound
on kaffir languages (vernacular), which
“philosophy of history.” Fred Moten— a
embodied by a ‘commodity who speaks’,
whites regarded as rudimentary dialects,
Black studies professor from University
is an immanent discourse that disrupts
9
10
Mqhayi’s isiXhosa poems escaped what would otherwise be sedition security checks. Working against the grain Mqhayi privileges the “word is first and foremost 5 Fred Moten; 2003 In The Break: The Aesthetics of Black Radical Tradition; pg. 20
135
So in “elevating disruptions of the
the current stable paradigm; a paradigm 6 Fred Moten; 2003 In The Break: The Aesthetics of Black Radical Tradition; pg. 20 7 Ibid pg. 20 8 Ibid pg. 302 9 Ibid pg. 20 10 Fred Moten; 2003 In The Break: The Aesthetics of Black Radical Tradition, pg. 20
sustained by Black dispossession. Just as Mqhayi’s clicks on margins of 11 Fred Moten; 2003, In The Break: Aesthetics, Black Radical Tradition, pg. 54 12 Ibid pg. 19
language-recognition deliberately travel
Black lynching in the Cape to the emer-
The Apartheid Museum. S.A, Rivonia,
incognigro, effectively hiding as gross
gence of social death as a permanent
Sandton. The Apartheid Museum (Pty)
deviation from original meaning, the
feature in Black life and psyche; occasion-
Ltd.
repressed scars of Blackness in Nomfusi’s
ing a scandal which reveals that formation
Sander, R.W.1986. CLR James and The
voice peer through a veil that demarcates
of white corporeality suckles its vitality
Haitian Revolution. Routledge, Tailor
very thinly the zone of sanity from that
from “Blackness— the West’s most iconic
and Francis group.
domain where the potential for going
creation.”
18
Kundera, M.1999. The Unbearable Lightness of Being. New York City:
cuckoos brims threateningly. There, where Nomfusi’s sound melds into fusion with
Effectively by gleaning on Mqhayi;
Mqhayi’s fugitivity, Seventeen 90s blows
Seventeen 90s and Biko, we re-member
Harper Perennial Mail and Guardth ian. November 5 2011. The Silence
the whistle on music that political order
nuggets of story. We invoke a wiped-out
Between Notes by Van Wyk, L.
“subjunctively mute.” In growls; moans
memory archive in order to return the
and brooding saxophone roar, Nomfusi
locus of culpability to white barbarism’s
Into the Abyss he fell: How are the
“disrupts and resists certain formations of
doorstep.
Mighty Fallen, translation by Phyl-
13
IZwi Labantu September 17, 1901
lis Ntantala (compiled by Masilela,
identity.”
14
This ‘disrupt and resist’ is often missed,
Bibliography
Translation By: Phyllis Ntantala: iZwi la
or foreclosed, like Sartre errs with his ultimate dissolution of Black existentialism
Ntongela)
Biko, S. 1987. I Write What I Like,
BANTU October 27th, 1908. The Grave
into universal Marxism. Here launching a
Oxford, Heinemann
of the King (compiled by Ntongela
frontal affront, Biko’s discordant dialectic
Mostert, N.1992. Frontiers: The epic of
Masilela)
mobilize “sensuous vocality…aurality we
South Africa’s Creation and the Trag-
find in Jazz…‘sensuous outburst of [our]
edy of the
essential activity’; a passion wherein the senses have become theoreticians in their
Xhosa people, New York, Alfred A. Knopf Inc. Moten, F. 2003. In The Break:
immediate practice.”15
IZwi la Bantu December 08th, 1908 The Grave of the King, translation by Phyllis Ntantala (compiled by Masilela, Ntongela) See: Irreconcilable Anti-Blackness
Aesthetics of Black Radical Tradition,
Radio Interview with Jared Ball on I
Minneapolis, University of Minnesota
Mix What I Like! http://imixwhatilike.
outburst’ is adept in asserting this Biko’s
Press
org/2014/10/01/frankwildersonandan-
sense of refusal to being subsumed.
Ramose, M.B 2005. African Philosophy
tiblackness-2/ Transcription by Ill Will
The song weaves psychic inheritance to
Through Ubuntu. Harare, Zimbabwe.
Editions, November 2014.
experience of which Blacks have no recol-
Mond Book Publishers.
Seventeen 90s’ (the song) ‘sensuous
lection; re-membering 1790 to 1834-5 ; 16
James, J.A.1996. Resisting State
Rithuli Orleyn
stitching King Hintsa of amaXhosa to
Violence. Minneapolis, University of
contributing editor at The Con Mag
harassment; suturing violence of royalty
Minnesota Press. Morrison, T. 1970.
and political opinion piece writer
murdered and mutilation to two-thirds
The Bluest Eye. NY: Holt, Reinholt and
for Mail & Guardian
of a nation wiped out ; braiding heinous
Winston.
17
Stainbank, A. M. 2011.We Look At 13 Ibid pg. 24 14 Ibid pg. 19 15 Ibid pg. 24 16 Noel Moster; Frontiers. The Epic of South
White People And Think OH MY GOD:
Xhosa People
18 Fred Moten; 2003, In The Break: Aesthetics of Black Radical Tradition, pg. 46
True Story Of Two White Racists And
Africa’s Creation and The Tragedy of The 17 ibid
136
137
Seventeen 90s composed by Rithuli Orleyn Lyrics
with
Translation/interpretation
Verse 1790s
Till 1834 Zaf’ iDarkies Buz’ uMamakho
Verse
1790s Till 1834 Blacks died Ask your Mother (elders/ancestors)
Restless settlers Scramble pots of gold Behind rainbow Kukhal’ riffle-butt
Abangenaxolo nazinzo Baxhwithana ngegolide Ngaphaya kwe rainbow Clouts riffle-butt
Chorus
Beziba Zithwala Amatyalazo
They blamed one another
Neziqalekiso
For settler’s massacre
Zikathixo Waz’
Many thought it was Sanctioned By the gods
Verse
To punish their sins
Their lack turned to be black
Ngombayimbayi sathathelwa
Darkies loom large
Neenkokheli zasityeshela
After bullets rain
Bubo obo ubumnyama
Cheated betrayed
Kukubunjwa ngentswelo nombayimbayi
Verse
Abundance shrink
Ubutyebi banqina
Picket fences increase
Ama hesi(huis) alinywa
Pickets loom large
Toy-toy yamila
In every second street
elokishi
138
Chorus
Beziba Zithwala Amatyalazo Neziqalekiso Zikathixo Waz’
Bridge
They blamed one another For settler’s massacre Many thought it was Sanctioned By the gods To punish their sins Swayed
Zibe
That this
Zithwala
Was their
Matyala
Yoke
Az’
Solo Sax
Chorus Bantu abantsundu
Lead Improvise
Sizwe esimnyama
My African people
By their gods
My Black Nation
To punish their sin
Verse
Sonakalisiwe
They were bruised
Sophukile
Broken
Silinxiwa
Degraded
Iintsalu nembacu
Isolated Verse
Joined by sound and dance
Bemanyene ngomngqungqo
Stitched with love
Bethungwe ngothando Fik’ umdubi Wenzimbambano
139
Came along settlers To balkanize us
ART TALK
RAPTURE
L’en–verre et son, une musique céleste…
Hafida Jemni
Camille Norment, Rapture, 2015, Mixed Media, Installation view at 56 th Venice Biennale ©Designboom
« L’œuvre d’art est réussie quand elle n’existe pas uniquement dans l’espace, quand elle se joue dans l’ « ici et maintenant », grâce aux relations interhumaines qu’elle déclenche. Ce processus temporel n’est possible que si l’œuvre est « transparente », c’est-à-dire si elle laisse apparaître son processus de fabrication, de production ainsi que le rôle qu’elle donne aux spectateurs. L’artiste produit des échanges entre les gens et le monde, l’art se place donc comme un troc du sens ». Nicolas Bourriaud, in « L’Esthétique relationnelle »
140
À la 56e Biennale de Venise (Giardini) et
« Rapture », est articulée autour de trois
Le Pavillon des Pays Nordiques, dont
pour la première fois, la Norvège est désignée
parties : une installation sculpturale qui mobi-
l’architecte est Sverre Fehn (1924-2009), a été
responsable de l’unique programmation du
lise design, architecture et son, un ensemble
construit en 1962. A cette occasion, il obtint le
pavillon nordique.
de performances réalisées par des musiciens
lion d’or pour son pavillon présenté à la bien-
et des vocalises et, enfin, une série de trois
nale de Venise la même année.
Pour cette occasion, Katya García-Antón, la directrice et curatrice de l’exposition de
publications. À ce projet permanent accessible
l’Office for Contemporary Art Norway (OCA), a
à tous, une série d’événements publics est
cohabitation d’oeuvres provenant de trois pays:
sollicité l’artiste Camille Norment, pour dével-
programmée au sein même de l’installation,
la Suède, la Norvège et la Finlande. L’intuition
opper un projet artistique inédit dans l’espace
et élargit son champs narratif telle une com-
lumineuse de Fehn a été de créer un espace
dédié.
position spéciale réalisée par une chorale à
unitaire qui remémore la lumière nordique,
douze voix, ainsi qu’une performance impli-
homogène et sans ombres, de la Scandinavie.
« Si l’artiste interroge le monde dans lequel il vit, la Biennale de Venise se veut plus que
quant son instrument de prédilection, l’insolite
jamais le reflet de ce monde au bord du chaos.
harmonica de verre.
Le défi de ce projet devait résoudre la
C’est un projet parabolique dans l’oeuvre de Sverre Fehn, qui associe structure et
Le Colombien Oscar Murillo annonce la couleur
technique comme un langage exprimant une
dès l’entrée des Giardini avec ses immenses
COMMENT CAMILLE NORMENT
« histoire poétique », entre matériaux, lumière
drapeaux noirs en berne : « Blues, blood, bruis
S’EST – ELLE EMPARÉE DU LIEU, DE SES
e » (blues, sang et meurtrissures). »
CONTRAINTES POUR ÉLEVER LE SON AU
Le travail de Camille Norment s’énonce
RANG DU SUBLIME ?
et l’intégration dans un lieu, ici le jardin. Sverre Fehn dit que « dans ce domaine, comme dans les autres, je crois qu’il faut
plutôt sonore, escortant la performance,
combattre l’indifférence. S’intégrer précisé-
l’installation et le dessin d’une manière ou
1° Le site d’origine
ment, volontairement dans un site. Ne jamais
d’une autre. Elle considère le son comme un
Au début du siècle dernier, la ville de Venise
regarder la nature de façon romantique.
médiateur puissant du corps et un construc-
proposa l’idée d’une exposition internationale
Mais créer entre elle et votre intervention,
teur des identités culturelles. Elle nourrit son
artistique accompagnée de la construction
une tension. C’est ainsi que l’architecture acqui-
œuvre d’une mémoire vivante, du mythe et
de quelques pavillons, chacun représentant
ert sa lisibilité et que nous retrouvons l’histoire
de compositions acoustiques. Il en résulte des
une nation qui participait à la manifestation ;
que nous avons à raconter»
immersions sensorielles et des expériences
pavillons qui devaient être le cadre d’une expo-
viscérales et poétiques, avec des bruissements,
sition d’installations de nature artistique et/ou
ité : Sverre Fehn avoue éprouver une certaine
nées des
architectonique.
fascination pour les contrastes, et en fait la
Une architecture basée sur la dual-
difficultés d’accès des unes aux autres. Camille Norment a élaboré un projet original, « Rapture », une oeuvre assoiffée, un ogre anthropophagique, féroce qui dégaine ses sons.
Une installation sublime dont les composantes matérielles sont minérales (pierre, métal, verre, bois), complétées d’un atout majeur le SON, avec lequel l’artiste sculpte, modèle des figures singulières, qui suintent les voix de ceux qui n’ont jamais voulu nous quitter et que l’on ne peut balayer par l’oubli. Est-ce la complexité humaine?
141
Camille Norment, Rapture, 2015, Mixed Media, Installation view at 56 th Venice Biennale ©Designboom
force constitutive de ses projets.
murs (deux opaques en pierre, et deux trans-
verre, interrompu par des failles qui blessent ?
Il s’attache à respecter la nature, chaque
parents en verre) organisent l’espace en deux
(l’avertissement muni d’ un logo une petite
projet est intimement lié et dialogue avec elle.
entités de part et d’autre d’une diagonale
main barrée - ne pas toucher - prend son sens
De manière forte, parfois abrupte, le bâtiment
imaginaire, soulignée par la présence de trois
critique et esthétique )
doit mettre en valeur le site.
arbres dont on ne voit de l’intérieur que les
L’architecte norvégien travaille également
troncs et qui traversent le plafond et dont les
beaucoup sur la thématique de l’horizon,
parties supérieures, déploient ses branches-
lien entre terre et ciel. Selon lui les toitures
libres- à l’extérieur du bâtiment. Le plafond
plates de Le Corbusier recréent cet horizon,
ouvragé de réseaux de lamelles, s’ouvre
que les hommes ont perdu depuis la décou-
périodiquement sur le ciel.
verte de la terre en tant que globe. L’architecte nourrit une fascination des
turale, intrinsèque au pavillon nordique qui devient connivence et Camille Norment tisse
la vie et la mort. Il considère ses réalisations
du sens au sein de ce récit sonore, un rappel
comme des objets vivants, ayant pour objectif
imposé autour du vivant, et de la liberté de
de surpasser la mort, et à priori la mort de
grandir sous contrainte soit une métaphore de
l’architecte.
l’enracinement du vivant, dépit de l’inerte est
2° L’ ŒUVRE PRÉSENTÉE Camille Norment déploie une œuvre
possible… Paysage étonnant ! Le plafond, constitué par des milliers de lignes régulières, laisse transparaître la lumière
majeure qui soumet le visiteur à la contrainte
du jour, avec des ouvertures sur le ciel, le
ou à l’épreuve du son.
vivant via les branches des arbres.
Que voit-on ? Le Pavillon Nordique, une salle d’environ
L’accès au pavillon se fait par le jardin côté vitré vers le fond, vers le mur en pierre.
200 mètres carrés, dans un état de désola-
Une circulation de l’espace aérien vers
tion, condamné, et dont les deux façades
l’espace dur donc de la lumière vers la pénom-
donnent sur le jardin, les baies vitrées
bre. Les deux murs en verre débouchent sur
renversées, brisées par un souffle puissant.
le jardin.
Au centre, un dispositif produisant du son
La virtuosité créative de Camille Norment,
dématérialisé et programmé. Il est composé
s’est emparée de ce lieu, périlleux pour y
de haut-parleurs, diffusent un chœur de huit
inscrire une partition afin d’y faire résonner
voix reproduisant les notes d’un orgue de
ses fantômes au-delà de toute contrainte.
verre. La résonance des chants sur les baies
L’architecture du bâtiment d’apparence
vitrées produit des sons captés et diffusés
neutre est minutieuse avec des figures imma-
en retour. L’artiste créée une proposition
nentes comme l’éclairage et trois arbres
concrète d’interactions qui constituent
supplantés au milieu.
des espaces -temps de l’échange. Interviennent donc les notions de proximité et
L’INSTALLATION S’EST ANCRÉE DANS CE
d’immédiateté.
BÂTIMENT …
Le pavillon, telle une salle de concert est une pièce unique spacieuse dont les quatre
142
hauteur conséquente, dégage un éclairage,
Une prouesse ou une contrainte architec-
ombres et de la lumière, de la dualité entre
Le pavillon occupe un volume d’une
S’agit-il d’une galère ? Est-il question d’un radeau échoué ou un monument de
Camille Norment, Rapture, 2015, Mixed Media, Installation view at 56 th Venice Biennale ©Designboom
modéré entre lumière du jour à proximité des baies vitrées et lumière artificielle de l’autre pendant, induisant de fait, une porosité irréelle entre une promenade intérieure, puis vers une autre extérieure qui débouche sur l’espace épargné du jardin. Un territoire délimité, dévasté par le plein et le vide. Espace minéral, avec un parterre lisse sans encombre, muni d’un dispositif polyphonique dispersant du son, un souffle tel une composition souvenir de l’avant ou de l’après coup. Un monde à l’agonie ? Le son provient du fond, partant de l’angle de la pièce, formé par les deux murs solides et contigus ; du plafond sont suspendus huit micros orientés vers le sol, qui émettent des sons à la manière d’un orchestre, en solo, ou en un ensemble polyphonique orchestré par des respirations parfois saccadées, ou sous forme de souffle. Le son émis est plus ou moins audible, plus ou moins dense - polymorphe - « en interaction », avec le visiteur. Il se métamorphose au contact comme la lumière, traverse l’auditeur et se transforme
à sa rencontre. Est-ce une résistance à son
qu’on tente de démêler de cette partition
instrument auquel on a accordé au fil du
trajet ?
soudain indéchiffrable.
temps des vertus thérapeutiques avant de le
La cloison en verre, élément constant du
Au niveau organique, cette vision a des
bannir au XIXe siècle pour ses prétendus effets
bâtiment a été intégrée dans la dramatur-
répercussions dont les sonorités forment
de stimulation de comportement hystériques
gie de l’arrangement scénique.
une caisse de résonance d’un trop plein ou
féminins, empêcher les excitations sexuelles,
De part et d’autre des cloisons
trop vide provoquant un morcellement, où
étouffer l’extase, ainsi que l’agitation mentale
(en verre) sont entreposés des cadres
l’enveloppe cède, surface trop remplie, sous
conduisant à la folie.
indemnes de toute représentation graphique,
pression au point de s’éclater par ce vent de
de contours blancs dont l’intérieur en verre est
folie et de son. C’est un ravissement...
La réception de cette œuvre - dans l’abord de ces composantes complexes - ébranle
accidenté ou brisé ; formant une portée d’ici
nos mémoires, dans
et là. L’accord, qui s’en dégage est assimilable
ce couloir étroit
à des volets désagrégés ; sont-ils soufflés par
de la séduction
une pression infinie ? Le sol à proximité immé-
et de l’abandon,
diate est couvert d’un semblant de mosaïque
où l’errance à la
(désenchanté), de ces morceaux éclatés en
recherche d’un
taille et en forme. Le tout est comparable
endroit meilleur
à une membrane ou une façade rompue !
est momentané-
Cette succession de tableaux disloqués,
ment suspendue !
émiettés, défoncés peut interroger la situation
Son chemine-
de l’art contemporain, dont le marché incon-
ment ou l’équivalent
trôlable tend vers une métamorphose
de son après-
sonnant le vide, la pression, et le bruit.
coup convoque des
Le matériau en verre confère une dou-
fantômes, comme
ble approche, celle d’ une matière transpa
l’évocation du
ente, inerte, laissant passer la lumière, et aussi
tableau de Géricault
matière douée d’une sonorité intrinsèque,
« Le Radeau de la
et d’un pouvoir céleste, source d’ouverture et de nouvelles expériences La façade, siège de l’infraction est comme une coque de navire abîmée. S’y affichent des reflets, qui absorbent le paysage extérieur - sain - de Giardini et le convertit subitement en une perspective, une autre, celle de la désolation. Car, s’y placarde la silhouette du visiteur, qui en prend un coup, se disperse et épouse à son tour des contours fragmentés dans leur intégrité, prise au vent, aux débris, à la contraction d’une image reflétée prescrite si ce n’est imposée et de fait nous implique dans l’incompréhension de ce qu’on voit, ce
143
Camille Norment, Rapture, 2015, Mixed Media, Installation view at 56 th Venice Biennale ©Designboom
AUX PRISES DE RÉFÉRENCES LITTÉRAIRE ET ARTISTIQUE L’acception du titre « Rapture », et son extension confère à l’œuvre plusieurs sens : l’action de ravir, d’enlever de force, le fait d’être ravi, transporté au ciel, et enfin l’émotion éprouvée par une personne transportée de joie et dans une sorte d’extase. Ce sont les trois sens à la fois que l’on retrouve, mêlés dans l’œuvre de Camille Norment, ils régissent à la fois le principe de l’installation de verre, le son, la musique, transporté par « l’orgue de verre »,
méduse », c’est une œuvre cannibale, le visiteur l’observe, mais elle le dévore dans des douleurs entre ciel et terre, de l’(in)-hospitalité. Le visiteur, rescapé de son histoire intime ou pas, est un témoin impuissant, il sort de cette rencontre comme transfiguré, et, par la fuite. Car ici, dans « Rapture », il n'y a point de confort, ni de place ! C'est une aire hostile et éventée pour l’errance prolongée, point de coin où il fait bon d’y vivre ! Dans « Le ravissement de Lol V Stein », de Marguerite Duras, Lol V. Stein, une jeune femme qui semble avoir perdu a - raison pour
avoir vu, lors d’un bal, son promis succomber en un instant à un irrévocable coup de foudre pour une autre. L’histoire nous est racontée par un homme, Jacques Hold, qui aime Lol au moment où il raconte cette histoire, soit une quinzaine
vibrations du verre. Elle modélise, à travers un dispositif de verre brisé, et des micros émettant du son, des espaces dont les composantes sont ancrées dans la perception plurielle. Ce ravissement met en correspondance,
d’années à la suite du choc inaugural, (le
une narration ouverte qui conjugue une
ravissement). Après ce bal tragique pour
topologie sonore circulaire, un panorama sur
elle, Lol est restée longtemps prostrée et
les incidences du son et de son rapport au
étrangère au monde puis, d’une façon pour le
corps, ainsi que la manière dont l’empreinte
moins grossière, elle a rencontré un homme
sonore, en tant que expérience affecte notre
qu’elle a tout de suite épousé. Cet homme,
connaissance de soi, et notre rapport à l’autre.
Jean Bedford, l’emmènera et lui fera trois
Soulevant des questions autour de l’aliénation
enfants. Lol semblera reprendre, fragilement
et de l’émancipation, Camille Norment
une vie « normale ». Pour revenir finalement
monopolise le pouvoir de la dissonance,
sur les lieux de son drame…
pour accorder une identité à de nouvelles
Ce dispositif qui enserre le visiteur-acteur brouille les frontières entre œuvre plastique et œuvre sonore, et se donne comme un
perceptions qui projettent le spectateur dans des paysages sonores et des intérieurs divers. Alors on y reste, et on s’y attarde ou au
spectacle total. La définition qu’en donne
contraire on évacue le lieu en quête d’un
Antonin Artaud s’adapte entièrement à cette
autre plus acceptable.
œuvre : « C’est pour prendre la sensibilité
du spectateur sur toutes ses faces, que nous
Jacques Lacan, « Hommage fait à Mar-
préconisons un spectacle tournant, et qui
guerite Duras, du Ravissement de Lol V.
[…] répande ses éclats visuels et sonores sur
Stein », Les Cahiers Renaud-Barrault, n° 52,
la masse entière des spectateurs ». (Antonin
1965.
Artaud, Le Théâtre et son double, 1964, pp.132133.) La déambulation dans l’œuvre de Camille Norment, renvoie tout naturellement
Nicolas Bourriaud, l’Esthétique relationnelle, éditions Les presses du réel, Dijon, 2001.
l’installation de Cerith Wyn Evans et Throbbing Gristle, A=P=P=A=R=I=T=I=O=N (2008) Les deux artistes interpellent le visiteur,
Hafida Jemni est diplômée de l’institut
son image est modifiée, morcelée et fugace
d’études supérieures de l’art, curatrice,
dans les verres brisés des cadres.
enseigne l’art contemporain d’Afrique et sa
Le travail Camille Norment s’inscrit dans le
diaspora à l’IESA Paris
champs des : performance, installation, dessin et son. Elle réalise et compose sur le légendaire l’harmonica de verre, un instrument inventé par Benjamin Frankin qui peut paraître enchanteur ou atroce, selon le terrain et les
144
Camille Norment, Rapture, 2015, Mixed Media, Installation view at 56 th
h Venice Biennale ŠDesignboom
ART TALK
C A B
CARAÏBES, AFRIQUE, BRÉSIL
MARIO CANONGE
ENTRETIEN AVEC SELOUA LUSTE BOULBINA SELOUA LUSTE BOULBINA
146
La Martinique
gie. La plupart des jeunes antillais partent
Pierre-Olivier Gauvin au saxo et Pierre-Michel
également en France, au Canada ou ailleurs.
Balthazar (dit Bago) aux percussions. Nous
J’ai eu la chance d’arriver au bon moment ;
étions six, avec des influences et des cultures
un pianiste ayant presque reçu une formation
j’ai provoqué aussi les choses en allant à la
différentes et avec le jazz pour dénominateur
d’université de la rue car les véritables écoles
recherche des gens intéressants dans l’art (arts
commun. Nous avons tous composé. Expé-
de musique n’existent pas aux Antilles alors
plastiques, danse). Césaire avait créé le Sermac,
rience fondamentale. Par la suite, chacun
que, paradoxalement, les gens y sont très
à la fois école et lieu pour les artistes : les
d’entre nous a commencé à avoir une carrière
musiciens. En Martinique et en Guadeloupe,
jeunes y venaient danser, construire des instru-
singulière et a pris des chemins différents mais
il y a une vraie tradition du piano. La plupart
ments, suivre des cours de danse et moi, pour
nous sommes tous connus dans le milieu de la
des musiciens se forment à partir des disques
un pianiste extraordinaire, Chyco Jelhman, qui,
musique.
et avec les anciens. Il s’agit d’une transmis-
comme moi même, avait appris à jouer avec
sion grandement orale et, pour la plupart des
un prêtre.
D’abord, je viens de la Martinique. Je suis
gens, la musique est quelque chose d’assez naturel. Pour ceux de ma génération, la
d’envisager d’adopter cette profession.
sources (1991). C’est le premier des treize albums que j’ai fait ensuite, avec des couleurs
La Créolisation
musique ne représentait pas un métier. C’était un hobby ou une passion. Il n’était pas sérieux
J’ai commencé en solo avec Retour aux
sonores d’ailleurs et je suis allé dans une direction de plus en plus jazz. Quand j’ai enregistré
J’ai toujours aimé le jazz. Ce n’est pas une
mes premiers disques, j’ai défendu ce que
musique que j’ai proprement découverte. J’ai
j’étais. J’ai intégré le jazz : je joue du be bop
toujours aimé la musique avec des harmonies,
pur et dur qui n’a rien à voir avec la Caraïbe.
la musique latine. J’écoutais James Brown,
Même si c’est une musique qui me touche,
Herbie Hancock, à contre-courant de ce qu’on
je reconnais que ce n’est pas la musique de
écoutait ailleurs. J’écoutais fatalement de la
mon enfance. Donc, naturellement, lorsque je
musique haïtienne. Mais, à cette époque, ce
propose un projet propre, je développe aussi
n’était pas ma musique. Dédé Saint Prix a été
la musique de chez moi. J’ai essayé d’apporter
le premier à m’appeler et j’ai refusé. Ce n’est
ma pierre en ouvrant cette musique caribée-
pas ce qui m’intéressait.Ce n’est que bien plus
nne afin qu’elle ne reste pas enfermée dans ce
n’avait jugé bon d’enseigner la musique,
tard que je me suis aperçu qu’il fallait que je
qu’elle a pu être. J’utilise des sons, j’utilise des
d’autant que ce qui fait une des spé-
comprenne la musique haïtienne ou tradition-
couleurs que je crois être l’un des premiers à
cificités de la richesse des Antilles est le
nelle chère à Dédé. J’habitais déjà en France.
explorer, choses que les musiciens antillais ne
tambour, longtemps décrié. Les choses
Le fait de vivre à Paris, qui est la capitale de
faisaient pas. C’est ce que j’ai fait avec Jacques
ont commencé à changer dans les années
la world music, m’a permis de rencontrer des
Schwarz-Bart, Roy Hargrove,Antonio Sanchez
soixante-dix et avec des personnes qui
musiciens de partout, de styles différents.
et Michel Alibo pour Rhizome. Ma musique est
venaient de l’extérieur. Les choses ont
Les rythmes du Cameroun ne sont ceux du
très créolisée.
heureusement beaucoup évolué. La
Sénégal qui ne sont pas ceux du Mali etc... J’ai
considération pour la musique antillaise est
côtoyé toutes les cultures.
La plupart des musiciens se forment à partir des disques et avec les anciens. Tout s’est passé comme si personne
plus importante. Mais il n’y a toujours pas d’école de musique aux Antilles.
Michel Alibo, Tony Chasseur et moi avons monté Sakiyo, un groupe de zouk urbain un peu rock. Mais c’est le groupe Ultramarine qui
J’ai quitté la Martinique après mon bac-
Aujourd’hui, il y a une jeune génération de musiciens antillais qui sont très intéressants : Grégory Privat,Jonathan Jurion, Sonny Troupé, Arnaud Dolmen, « Tilo » Bertholo. Il y en a d’autres parmi les
m’a formé. Ultramarine est le pivot. Nguyen
percussionnistes de la Martinique et de la
calauréat pour préparer un métier autour
Lê et moi avons créé ce groupe en 1983 -il
Guadeloupe qui apportent quelque chose de
du son. Je pensais devenir ingénieur du son.
a existé jusqu’à 1992- avec Mokhtar Samba
nouveau sans dénaturer la musique : c’est le
Heureusement, je me suis inscrit en musicolo-
à la batterie, Etienne Mbappé à la basse,
même chemin mais cela va plus loin. Pour cela,
147
il est fondamental de se mettre constamment
aux mille collines, très sûre, avec des fleurs
en question.
partout. Certains quartiers d’Afrique du Sud y ressemblent, mais très peu. Rien à voir avec
Cab
Bamako ou Dakar qui ont un charme different. Partout, les concerts ont fait l’unanimité. Il n’y
CAB : le groupe est un trio, sans basse.
a pas eu un endroit ou la musique n’ait pas été
D’abord, Andriano Tenorio, le percussionniste
véritablement entendue. L’expérience a été
brésilien est extraordinaire tout comme le
fabuleuse.
chanteur et guitariste camerounais Blick Bassy. Il chante en bassa mais, par moments, on peut
Discographie sélective
penser qu’il est brésilien puis, dans d’autres
Retour aux sources1991
parties, on entend des sonorités qui n’ont rien
Trait d’union 1993
à voir avec ces sonorités douces, des sons très
Arômes caraibes 1995
rudes, très sauvages. Blick passe d’un extrême
Chawa 1997
à un autre. Il vient de sortir un disque solo. Je
Punch en musique 1 1999
l’ai rencontré grâce à un ami journaliste sur RFI
Carte blanche 2001
car il avait été lauréat du concours RFI. Je l’ai
Les plus belles chansons de noèl 2001
invité dans un de mes disques et c’est lui qui
Rhizome 2004
a eu l’idée de créer un groupe. Il a proposé un
Punch en musique 2 2008
duo et on a pensé finalement le monter à trois
Mitan 2010
car on connaissait tous deux Andriano Tenorio,
Cab 2015
le percussionniste. Après avoir passé quelques
Lien vers le site :www.mariocanonge.net
années en Espagne, il est venu il y a trois ans à Paris. Notre entente musicale repose sur le fait que les trois membres du groupe sont vraiment musiciens (complets). Le répertoire est composé à deux : les choses sont venus très naturellement, il était très intéressant de les approfondir, le percussionniste a ensuite fait se développer les choses. En 2014, de mi-septembre à mi-décembre, on a fait une tournée de deux mois et demi en Afrique : trente concerts dans vingt-et-un pays, dans toutes les régions, Ethiopie, Kenya, Lesotho, Congo, Nigeria, Togo, Burkina Faso etc. Le Rwanda nous a sensiblement marqués. En vingt ans, ils ont réussi un miracle : corruption zéro (c’est exceptionnel), plus propre que la Suisse. Pas un motocycliste qui n’ait de casque. Kigali est une belle ville, la ville
148
149
ART TALK
"
Quand des chants sortent de sa bouche, les paroles sont dans une langue imaginaire
"
DE LA LUMIÈRE DES LIMBES
Portrait : Patrick Lombe
« Quand j'avais à peu prés dix ans sur un terrain en friche derrière notre maison, mes amis et moi on faisait de la percussion avec des boîtes de conserve, en plastique, en fer. Des rythmes différents arrivaient presque constamment mais on ne savait pas vraiment d'où ils provenaient. J’ai toujours été attiré par toutes sortes de sonorités. Très jeune il m’arrivait d’écouter la radio, de la musique classique comme d’autres musiques. »
150
Par Inès Di Folco
151
Sans Titre, coutesy of the artist
J’ai rencontré Patrick Lombe dans un
électroacoustique et le solfège au conserv-
musiciens plasticiens, aux rythmiques très
studio de répétition à Paris il y a trois ans.
atoire. « Pendant la composition je choisis
puissantes mélangées à la musique expé-
Tout de suite j’ai été frappée par son jeu
des accords, je cherche en improvisant
rimentale, la noise mais aussi à des chants,
de guitare : c’est une vraie rivière devant
sur le long terme
lui où flottent des sons cristallins, qui
des mélodies
roulent, immergent ou coulent. C’est
qui vont avec.
comme avoir accès à un flux de pensée.
Ensuite je vois si ça
On est pris dans un tourbillon qui rappelle
s'harmonise
ceux que redoutaient les marins quand ils naviguaient la nuit au millieu de la mer.
Ce mélange subtil de liberté d’autodidacte et d’enseignement fait la richesse de ces mélodies, la fluidité entre improvisation et
Patrick Lombe par Margot Savry, 2013
Il y a des rythmes cycliques, nerveux et saccadés mais soudés harmonieusement et qui s’élèvent comme un escalier dans l’air. On a les yeux guidés par les sons invisibles ; il ne peut s’agir uniquement de doigts qui se déplacent sur le manche d’une guitare. Quand des chants sortent de sa bouche, les paroles sont dans une langue imaginaire. Les sons sont le langage et sa musique a toutes les richesses et les subtilités d’un dialogue humain. Patrick ne nous ensorcelle pas exprès, c’est sa musique qui le fait pour lui. Mais l’esprit est fixé. C’est de musique magique dont il s’agit, de musique chamanique. Réunionnais, aujourd’hui installé à Marseille, il a commencé par jouer sur la guitare de son père puis un ami lui a appris la basse. Plus tard il revient à la guitare, approfondit tout seul sa connaissance des accords, étudie l’harmonie, la musique
152
composition. Il a étudié au conservatoire
aux aléas, aux élans et aux surprises de
et aux beaux-arts sans perdre les deux voix
l’improvisation.
en lui. L’une apprise en frappant sur les
Patrick garde toujours avec lui ces
objets abandonnés des terrains vagues, en
voix profondes et cet état ambigu de
jouant d’un instrument de façon instinc-
semi-improvisation. C’est le cas avec
tive. L’autre venant de la musique classique
d’autres groupes comme Placenta Popeye
et du solfège, le tout en gardant un lien
(http://placentapopeye.bandcamp.com),
puissant avec la musique traditionnelle
aux accents apocalyptiques ou encore
réunionnaise et ses rythmiques.
La Ligne Claire (https://soundcloud.com/
« La musique traditionnelle de la
charleene-darling/sets/la-ligne-claire-pat-
Réunion a différentes relations à la cul-
rick-lombe), groupe qu'il a rejoint à la joie
ture réunionnaise. Elle peut être de l’ordre
des trois autres membre à la joie des trois
du culte, du spirituel, de la danse quand
autres membres. Ces voix peuvent aussi
elle se nomme Thégua et Maloya quand
lui faire prendre le chemin dans son autre
la musique revendique ce que l’on a à
médium favori, le dessin. Tous exécutés
dire, des choses très importantes et aussi
sur papier, les dessins représentent sou-
graves. »
vent des formes errantes, plus ou moins
Trois voix, l’une classique, une autre instinctive et les racines, la voix de la tradition.
Patrick se produit en concert solo
humaines. On peut même y voir des phrases écrites dans un alphabet inventé. « C’est comme un langage secret qui
ou accompagné de ses différents pro-
se dessine, une volonté de matérialiser
jets. Son groupe principal formé en 2004,
l'imagination, de ressentir que le temps
Les Statonells, (https://soundcloud.com/
est peu être un autre monde, un langage
statonells) est un groupe de musique
imaginaire prêt à déployer ses cartes
traditionnelle réunionnaise composé de
dans le réel. En effet je choisi l'instabilité
Sans Titre, coutesy of the artist
153
de l'humeur car c'est pour moi, une façon
populaires, s’ils peuvent devenir extrême-
sont des descendants d’esclaves, venant
de faire participer tout le corps. Mais c'est
ment simples, devenir presque des affaires
d’Afrique subsaharienne. Il y a longtemps -
bien entendu qu' un choix personnel. »
de rythme, ce n’est pas par hasard : dans la
par défaut - pour survivre, ils adoptèrent la
transmission de ces récits, dans la répéti-
religion musulmane. Le mélange du chant,
celles que l’on prend. Celles qui donnent
tion de leur étiquette, ce qui est important,
de la danse qui se transforme parfois en
des indices : où aller sur la feuille, où aller
c’est de raconter en servant de relais, d’être
transe, le tout baigne dans la musique, la
sur la gamme.
le «traditeur» du récit, parce que le simple
musique comme rite thérapeutique.
Il y a voix et voies. Celles qui parlent et
Elles résident toutes dans les limbes. Dans la rêverie lucide. « La relation qui peut exister dans tout
fait de relayer quelque chose justement s’oublie»
Les Gnawas disent que l’âme va de la vie à la mort pour revenir à la vie en pas-
La tradition est justifiée par la
sant pas les sept couleurs de l’univers. Les
nouveauté et les inventions, le part-
génies montent du sol, appelés par les pas
Limbe, du latin limbus, Lombe.
age et l’appropriation des symboles...
de danse, les parfums et les rythmes. Cela
Dans le langage courant, on utilise
L’entrelacement entre tradition et nou-
ne se produit que dans l’enceinte d’une
le terme d’après son sens chrétien, pour
veauté existe dans le quotidien de Patrick
confrérie, et c’est parmi les Hommes, que
exprimer des profondeurs inconnues, mal
Lombe depuis l’enfance, de par son
se dresse celui qui va ouvrir la transe.
définies et vagues. C’est précisément la
expérience de la culture réunionnaise, puis
zone aux périphéries de tout, l’inconnu
par sa capacité à composer, en groupe
assemblée, Patrick Lombe ouvre sa transe,
suprême, que l’on situe même au- delà
ou en solo, des musiques nouvelles et
elle lui est propre, elle émerge pour lui et
de l’enfer. C’est là que flottent les âmes
spontanées. Les rythmes qui mènent à
pour nous qui l’écoutons. Mais c’est un
avant la rédemption. C’est aussi le contour
une transe possible, la ritournelle, le souf-
rapport intime à l’ailleurs : on part de soi,
d’une planète. Et le système limbique est
fle font partie intégrante dans son travail,
on part en nous-même. Les sept couleurs
aussi une partie du cerveau qui dirige les
de ses dessins à sa musique. L'ensemble
de l’univers l’ont surement traversées
émotions. C'est ici que siège l’univers de
se révèle dans un corps, dans un espace
et rayonnent dans ces dessins. Dans les
Patrick, dans ce qui peut paraître inquié-
urbain fleuri d’électricité et d’informatique
limbes de Patrick Lombe flottent toutes
tant au premier abord, vide ou sombre
sans fil, dans la solitude des villes, comme
sortes de choses, un héritage africain, une
comme l’univers et ses trous noirs.
en témoigne magnifiquement cette pièce
transe spirituelle et moderne, parce qu’elle
sonore.
est colorée de contre culture, rongée par la
mon travail c'est la part inconsciente. »
« C’est la volonté de voir surgir le réel et l'imaginaire qui s›exaltent et se parlent pour moi à ces moment là. »
(http://freemusicarchive.org/music/Patrick_Lombe/Nuit_Du_31_Dcembre/)
La musique qui sort de lui est
Si cette transe religieuse nécessite une
violence de la noise. « J’aime décliner l'ambiance en faisant travailler le temps d'un lieu, d'un intérieur,
répétitive, influencée par la musique
jusqu'à arriver à une perception où les
traditionnelle, par un espace où le temps
choses se modifient autour de moi. »
est réglé autrement. Jean-François Lyotard
La musique devient sculpture, posée
a dit :
dans le réel comme un objet flottant, une
«Il faut repenser la tradition. L’énorme
matière à voir et un moyen de locomo-
force des musiques dites répétitives c’est
tion hors du monde. Je ne peux clore ce
qu’elles font oublier ce qui se répète ; et elles permettent de ne pas oublier le temps comme battement sur place. La tradition, c’est ce qui concerne, non pas le contenu, mais le temps.(…) Les récits
154
portrait et évoquer la transe sauvage de ©Pirlouiiiit
De l’autre côté de Marseille, derrière son épaule, il y a les rivages du Maghreb. Là-bas, entre autre il y a les Gnawas, qui
Patrick Lombe, sans adresser une pensée à la reine Nina, la « niña » Simone. Celle qui déclenche des vagues de frissons les unes après les autres. Elle a montré au large
public ce que c’est que d’avoir les yeux
n’avez pas pu faire ? » elle dit les yeux
fermés, révulsés, de laisser échapper de soi
pleins de larmes contenues :
des flots de notes et des larmes qui brisent
« Je suis malheureuse pour nous les
la voix…Il suffit de voir pour sentir la puis-
Noirs, de ne pas avoir été leur première
sance de ses concerts en 1969, au Harlem
pianiste classique. J’en aurai été plus
Culture Festival ( https://www.youtube.
heureuse. » « Je ne suis pas très heureuse
com/watch?v=RHXtB9ssnhw ) où elle se lève, fait les cents pas, fiévreuse, hurlant
actuellement. »
en crescendo. De plus en plus enragée puis tendre envers la foule à qui elle récite
Nina Simone C’est avec cette tristesse enfouie et
le poème, elle entre et entraine la foule
sublimée que finit ce portait, pour ainsi
dans les rythmes haletants joués par ses
rendre hommage à la joie et au partage,
somptueux musiciens en djellaba.
qui mènent à la paix.
Ou encore le morceau Take Me To The Water , (https://www.youtube.com/
Toutes les phrases en italiques sont
watch?v=vYjwabdgtJw) qu’a l’inverse elle
tirées d’un entretien avec Patrick
avait commencé d’une voix blanche et
Lombe,
en pleurant (Recording session: Live at
le 27 septembre 2015.
Morehouse College in Atlanta, June 1969). Tout d’un coup elle éclate de rire, se lève et
Inès Lou-Andréa Di Folco (Artiste/
danse, elle a été appelée par les rythmes
Musicienne).
de ses musiciens et ne retourne s’asseoir
Étudie à l’École Nationale Supérieure
qu’à la fin, pour dire : "My folks got nothing
des Beaux-Arts (ENSBA) à Paris.
and they need inpiration 24h a day, that’s
Projet 2016 : séjour d’étude à à
why I’m here! "
L'Instituto Superior de Arte de la
Elle invoquait l’Afrique sur scène à
Havane.
chaque concert mais surtout elle jouait
1ere exposition, DNAP 2015 :
pour donner la force d’accomplir son
https://www.youtube.com/
destin. Parce qu’à elle, on le lui avait refusé!
watch?v=iCzEanQVfPU
C’est pour subvenir aux besoins de ses
Musique
parents qu’elle avait débuté sous le nom
Rose Mercie, girl band :
de Niña Simone. Elle qui ne jurait que par
https://soundcloud.com/rose-mercie
Bach, s’est vue obligée de travailler dans
Inéès, musique de lit :
les clubs du Spanish Harlem parce que
https://soundcloud.com/racontepas
l’entrée à l’école supérieure de musique classique lui avait été interdite. Dans une
Publications
interview (https://www.youtube.com/
Recueils de dessins 1 et 2 Inès Di Folco /
watch?v=ANTNiJ2zJlc ) pour la télévision
Derrière la salle de bain éditeur 2012
française, en 1991, prise de court par la
Rouge Gorge numéros 10 et 12 (spécial
question « Est-ce que quelque fois vous
10 ans) /Collectif /Revue de dessins /
regrettez cette carrière classique que vous
2014
155
ART TALK
L’ODYSSÉE D’ARTHUR « S » SIMONINI
SELOUA LUSTE BOULBINA
Arthur Simonini est d’abord violoniste et joue ensuite d’autres instruments (piano, clavier). Il est également compositeur. De 2007 à 2013 il se produit au sein de Bibi Tanga & the Selenites, groupe avec lequel il enregistre trois albums salués internationalement par la critique et le public.
Photo Arthur Simonini Copiright Lucie Sassiat
156
157
Le Musicien Je suis musicien. Petit, j’étais fasciné par le violon et j’ai commencé à l’étudier à l’âge de 5 ans. J’ai suivi des études classiques jusqu’au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris où j’ai étudié l’harmonie et le contrepoint. J’ai également étudié le jazz et j’ai eu des groupes de rock et de Hip-hop au lycée. J’ai toujours ressenti le besoin d’écouter des musiques de toutes sortes. J’ai beaucoup appris et rencontré des gens très intéressants au conservatoire mais je n’ai jamais aimé l’attitude de certains qui y dédaignaient les musiques dites populaires et/ou extra occidentales. Pendant mes années d’études j’allais très souvent dans les médiathèques pour y emprunter des disques, j’ai découvert énormément de musique grâce à leurs existences. En étudiant l’harmonie, j’ai commencé à jouer du piano. En plus des possibilités harmoniques qu’il offre, j’aime beaucoup l’aspect percussif de cet instrument. Aujourd’hui j’en joue dans plusieurs groupes. En parallèle, je me suis beaucoup intéressé au sonnet. J’ai commencé des études scientifiques après le bac. J’ai hésité longtemps entre devenir ingénieur du son ou musicien. Ce qui m’intéresse le plus, ce sont les mélanges réussis entre des choses qui ne sont pas censées aller ensemble mais qui s’accordent. Le Professeur Inlassable avec qui je travaille très souvent m’a beaucoup influencé sur ce point. Il y a beaucoup de tentatives artificielles de fusion des univers sonores et musicaux, la plupart d’entre elles demeurent décevantes à mon sens. Si je devais donner un exemple réussi, je citerais la bande son du film Le Festin nu (1991) de David Cronenberg, rencontre du jazzman Ornette Coleman et du compositeur Howard Shore. Le
158
mélange entre orchestre symphonique et free
pays tant il est grand et chargé d’histoire mais
jazz est très réussi et cela a donné quelque
cela m’a donné très envie d’y retourner.
chose que ne ressemble à rien d ‘autre. Cette bande son m’a beaucoup marqué.
Je travaille aussi, depuis quelques années, avec Erol Josué, un chanteur et danseur haïtien. Nous nous sommes croisés sur la scène
En Afrique
d’été de La Villette à Paris puis nous avons fait une séance en studio avec le Professeur
J’ai participé à la première édition du Pan
Inlassable. J’ai finalement intégré son groupe
African Space Station (PASS)1 à Cape Town en
pour la scène. J’aime beaucoup jouer avec son
2008. Le groupe Bibi Tanga & the Selenites
quintet.
2
a été programmé pour jouer dans ce festival. On en était encore aux débuts du groupe.
Le Son Et L’image
J’ai découvert Cape Town (C’était la première fois que je jouait sur le continent africain ; je
Mon but est de pouvoir produire de la
suis allé jouer par la suite dans une quinzaine
musique de A à Z : la composer, la jouer,
d’autres pays en Afrique). À l’époque, j’étais
l’enregistrer, la mixer. La totalité du proces-
encore au conservatoire et il étais difficile
sus m’intéresse, de la création à la réalisation.
de partir en tournée, j’avais du demander
Les différentes étapes du processus, je les ai
une autorisation à mon responsable de
découvertes par curiosité, pour parler le même
scolarité. A ce festival j’ai découvert les BLK
langage que mes interlocuteurs et mieux
JKS, un groupe de Soweto. Un mélange
me faire comprendre, mais aussi pour ne pas
réussi (pour revenir à ce que nous disions
me faire enfumer parfois. Pour être un bon
précédemment), de punk et de rythmiques du
ingénieur du son (comme un bon musicien),
sud de l’Afrique. Ce sont des musiciens ayant
il faut à mon sens avoir, en plus des connais-
assimilé plusieurs cultures. On les a très peu
sances technique et d’une bonne expérience,
vus en Europe où les festivals de musique du
une bonne culture musicale et savoir rester
monde présentent souvent les mêmes noms
curieux de ce qui se passe en dehors de son
(la plupart de temps des artistes signés par des
style de prédilection. L’ingénieur du son est un
gros producteurs de concerts) et bien souvent
membre du groupe à part entière.
démodés. Les clichés prédominent souvent malheureusement. J’ai eu récemment des expériences algéri-
Dans mes recherches actuelles, je travaille sur l’écriture pour chœur à quatre et cinq voix. Je développe ainsi le travail commencé pour
ennes avec la chanteuse Houria Aichi et avec
le disque Drummers and Gunners (parut fin
le groupe DjurDjura durant lesquelles j’ai eu la
2014) avec le Professeur Inlassable. Je travaille
chance de voir plusieurs villes d’Algérie. Je n’ai
aussi en ce moment sur des découpages de
bien sur pu avoir qu’un tout petit aperçu de ce
sons en samplant mes propres enregistre-
1 Fondé in 2008 à the Cape Town par la revue Chimurenga, curaté by Ntone Edjabe, the Pan African Space Station (PASS) est un pop-up studio live 2 Originaire de Bangui en Centrafrique, Bibi Tanga a grandi entre deux continents et plusieurs cultures musicales. Attiré par groove, funk, jazz ou afrobeat, il apprend à jouer guitare, basse et saxophone. Bibi Tanga et le Professeur inlassable (dont le premier album est Yellow Gauze, en 2006) est devenu Bibi Tanga et les Sélénites en signant, en 2008, avec le label américain Natgeo.
ments pour créer autre chose et transformer ce que j’ai fait. Je continue également à développer les superpositions de cordes, processus que j’ai beaucoup utilisé en studio par le passé. J’aime bien détourner les outils informatiques
de leurs fonctions premières, utiliser leurs
Bibi Tanga & le Professeur Inlassable :
bugs, etc … Ils offrent ainsi des possibilités qui
« Yellow Gauze »
peuvent être prolongées et transformées. Image et son ? J’ai beaucoup travaillé pour des musiques à l’image (des courts métrages,
Lien vers le site Arthur Simonini : www.arthursimonini.com
des génériques, des habillages pour la télévision) et je compose actuellement la musique
Morceau inédit « RISE »
pour un documentaire. Je travaille en binôme
Arthur S & le Professeur Inlassable
avec un autre compositeur, Jérôme Echenoz. Il se charge des parties « électroniques » et moi de la partie symphonique. Nous sommes complémentaires. J’adore travailler avec ou sur des images, réelles ou imaginaires. Je suis un rat de studio et aime réfléchir à l’image autant qu’au son. Avec le Professeur Inlassable, l’idée de notre dernier disque était de créer des mini bandes sons de films imaginaires pour chacun des morceaux (un mini western, un mini science fiction, etc …. ). L’idée et l’imaginaire ont nourri le disque. Lors des concerts, nous projetons des images : soit extraits de films soit des montages d’images d’archives. L’image est nourricière.
Discographie sélective Arthur S & le Professeur Inlassable : « Drummers & Gunners » Yachting Club : « Captain’s memories » Saturne : « Saturne » Para One : «B.O. Bande de Filles » Arthur S : « Flash » Bibi Tanga & the Selenites : « Dunya »
159
CONCEPT
VADUZ Un poème des fuites Par Hafida Jemni et Philippe Di Folco
Quand l’approche du son surgit de l’écriture Courtesy de Natalie Serroussi Paris
Élégant, Bernard Heidsieck l’était en érudit fasciné par la modernité, et il fabriqua durant plus de cinquante ans une nouvelle forme de poésie qu’il contribua à totalement dépoussiérer : embrayant avec la Poésie sonore en 1955, s’immergeant dans la Poésie action en 1962, il a « fait sortir la poésie du livre », en portant son attention sur l’oralité, les bruits, le souffle, la vie et la chair des mots. Il disait : « J’ai pensé qu’il fallait reconnecter la poésie à la société (...). Au lieu d’enfoncer le poème dans la page, il fallait, au contraire, l’en arracher et le projeter vers l’extérieur, vers les auditeurs, vers le public ». Avec Heidsieck, un nouveau langage est inventé… Bernard Heidsieck est à l’origine de « la
par un jeune-homme de 26 ans qui constate
auditeur ou d’un lecteur, qu’il devienne actif.
poésie sonore ». Traversée par l’oralité, et
que le champ éditorial se révèle rédhibitoire
J’ai alors fait toute une série que j’ai appelée
privilégiant une littérature performée, dont
pour l’expression de ses poèmes : tout lui
« poème-partition », en vue de la lecture à
le matériau est la diction d’une langue portée
semble rétréci. « C’est la mort de la poésie,
haute voix, et ma volonté jamais démentie
par le corps du récitant. Sitôt Dît est le premier
d’attendre un lecteur hypothétique. Il fallait
de « relever la poésie : la poésie debout, mon
recueil poétique publié en 1955 chez Seghers
que le poète bouge, aille à la rencontre d’un
affaire, c’est le texte et la façon de le faire
160
entendre ». La voix, le souffle, la présence
questionnements essentiels comme le statut
passé par le lettrisme, Brion Gysin, inventeur
réelle du corps et du timbre, les modulations,
de l’œuvre d’art, le rôle et la place de l’artiste
avec William Burroughs de la technique du
les silences : le livre ne peut les transmettre, à
dans la société, une révolution dont Heidsieck
cut-up, ou collage de textes, sans oublier
peine les suggérer. Heidsieck invente alors des
se sent très proche, par laquelle les frontières
Henri Chopin, qui associe la poésie aux arts
formes plus adaptées et des nouveaux modes
entre le corps et les productions, portés par
graphiques et musicaux, et se montre fasciné
d’expression. La production du son, il choisit
une nouvelle dynamique de la marge, sont
par les onomatopées et par une poésie corpo-
de la dématérialiser et la remplacer, soit par
abolies. En 1963, à l’American Center de Paris,
relle : tout ces expérimentateurs sont proches,
le corps de l’artiste ou son langage, soit par
une nouvelle étape est franchie : le poète est
dès les années 1950, des deux « papes » du
des processus électromagnétiques. Résultat ?
face à un public, plus rien ne s’interpose entre
Lettrisme que sont Isidore Isou et Maurice
La poésie écrite n’est plus une fin en soi. Il en
lui et le lecteur, ce dernier devenu écoutant est
Lemaître.
appelle dès cette époque à une poésie pub-
en immersion en termes d’attitude, de réaction
lique, orale et en prise avec le réel. Désormais
qui affectent le poète et sa parole. Ces années
breuses œuvres sur papier, dans lesquelles
tous ses poèmes auront pour vocation d’être
Fluxus, mais aussi les voix de la « Beat Genera-
les textes et les collages d’éléments trouvés
lus par lui et d’être entendus comme tels en
tion », les premiers happenings à New York et
se rencontrent. Il les désigne par l’expression
interaction avec la relation établi avec le public.
à Paris, sont pour lui celles de la porosité des
« écritures-collages » et y insère fréquem-
A partir de 1959, Bernard Heidsieck explore
champs poétique et artistique : les arts visuels,
ment des bandes magnétiques, constituant de
de nouveaux territoires, dans des expérimenta-
la musique, la poésie s’entremêlent, se recom-
véritables poèmes-objets uniques. La création
tions et utilise le magnétophone, un Haring à
posent ensemble pour accoucher de « quelque
des poèmes s’opère par séries, on trouve ainsi
bandes magnétiques, mais aussi des ciseaux
chose d’autre ».
les 13 Biopsies composées entre 1966 et 1969,
et de la colle, il réalise des « cut-up » et signe
« Par rapport à la musique, la poésie avait
Bernard Heidsieck est l’auteur de nom-
les 29 Passe-partout entre 1969 et 1980, les 26
son écriture sonore comme médium pour
trente ans de retard », résumait des années
poèmes de la suite Derviche/Le Robert entre
porter son œuvre. Il enregistre en studio,
plus tard Heidsieck. Plusieurs artistes travaillent
1978 et 1986, Respirations et brèves rencontres
tel un musicien. L’arrivée du Revox lui per-
aussi à cette époque dans ce sens et cultivent
enfin à partir de 1988, pour laquelle il travailla
met d’amplifier ses recherches, de faire des
l’abolition des frontières entre les disciplines,
avec pour matière première des enregistre-
superpositions, d’inverser les pistes, d’explorer
les pratiques, pour amplifier les moyens et
ments de souffles de créateurs. Quand il
les possibilités de la stéréo. Il se souvient : « le
l’intensité immersive, tels François Dufresne,
monte sur scène, il est un peu comme une rock
Revox à 4 pistes, que j’ai acquis en 1974, m’a permis la réalisation de « Vaduz » et ce pendant une année ». Avant « Vaduz », Heidsieck entre dans la Poésie action dès 1962 : par « action », il faut entendre l’acte poétique devenu poème-acte, et comme filiation, les artistes plasticiens de l’Action Painting, une école, un courant porté par l’ouvrage de John Dewey, Art as Experience, et que l’on retrouve aussi bien dans la performance chorégraphique, dans la musique issue de l’Ecole de New York, que dans les premiers happenings du Black Mountain College. Et bien sûr cette filiation s’inscrit dans Fluxus, un mouvement embrayant de façon radicale sur des Carte des 617 éthnies - Vaduz - Bernard Heidsieck Courtesy de Natalie Serrousi Paris
161
star, il magnétise son public et n’hésite pas à
stein, au cœur de l’Europe. Pour des raisons
nationales de poésie sonore à partir de 1980 à
convoquer de grands musiciens comme par
diverses le texte n’a pu être achevé à temps.
Rennes, au Havre ou au Centre Pompidou. Les
exemple le saxophoniste Steve Lacy.
Et s’il a été, depuis, lu dans une vingtaine de
auditeurs de France Culture se souviendront
pays, il ne l’aura jamais été, par moi-même, à
longtemps de l’émission Poésie ininterrompue
VADUZ , PROTOTERRITOIRE
Vaduz même». En plus des ethnies, Heidsieck
avec Claude Royer-Journoud. Toute une vie
DU WORLD WIDE WEB :
répertorie leur spécificité de langue, culture,
dédiée à l’acting poétique, à la performance,
POÉSIE-ESPACE-MONDE
coutumes, aspirations et singularités. Il en résu-
au public, récompensée par le Grand Prix
lte un rouleau de papier de plusieurs mètres
national de poésie en 1991.
Parmi ses poèmes les plus marquants, on
sur lequel figure une très longue énuméra-
Deux ans avant sa disparition, la galerie
doit citer « Vaduz » exécuté à partir de 1974.
tion que le poète déroulait sur scène petit à
Natalie Seroussi lui rendait un impressionnant
C’est l’un des morceaux emblématiques de la
petit, lors de ses lectures publiques. Il faut
hommage, une exposition personnelle où
poésie sonore. L’écouter aujourd’hui révèle sa
voir et entendre Heidsieck « dérouler » Vaduz,
films, œuvres plastiques, manuscrits, éditions
force percutante, c’est une œuvre fédératrice,
l’hypnose s’empare de l’écoutant, la magie
s’offraient aux publics.
intemporelle en résonnance avec l’état actuel
opère : en définitive, tout est réconcilié en un
du monde, irrigué par la Toile. Ce titre, Vaduz,
ultime spasme.
sie avait trente ans de retard », disait
est né à la suite d’une commande de Roberto Altman qui demanda à Bernard Heidsieck d’écrire un poème sonore. Voici ce que le poète, qui se souvient, nous en dit : «Il va de soi que de réaliser un texte sur « Vaduz », qui plus est, ne m’y étant jamais rendu..., me posait un problème et de multiples interrogations. Qu’en faire, donc ! sinon la capitale du plus petit pays au monde et
la colonisation, l’aliénation mais aussi l’extase à l’écoute de cet homme – debout – obstiné à répéter pour rendre audible l’inénarrable, voire l’indicible « tout autour, tout autour de Vaduz… »
Bernard Heidsieck. Un être multiple, à la fois plasticien et poète, il ne concevait pas de frontière au niveau des pratiques culturelles. Très tôt à l’affut, il s’intéresse au free jazz et à la musique électronique. Il voue une véritable fascination pour Pierre Boulez, qui aura incontestablement une influence sur ses pratiques, sans oublier ce Chant des adolescents (Gesang der Jünglinge) de Karlheinz Stockhausen
le centre, dès lors, de notre planète. Sur une vaste carte du monde j’ai, partant de Vaduz,
« Par rapport à la musique, la poé-
Un spasme, des émotions, qui fait
composé en 1956, première grande œuvre
réalisé une série de cercles englobant le
remonter les terres, les odeurs, les mémoires,
du répertoire électronique : musique sans
monde et les ai remplis du nom du maximum
des vivants et des morts, la colonisation,
musiciens, elle lui permit « d’étendre la
d’ethnies, trouvées au musée de l’Homme, à
l’aliénation mais aussi l’extase à l’écoute de
poésie à l’espace, avec des dispositifs élec-
Paris. L’enregistrement se fit sur un Revox A
cet homme – debout – obstiné à répéter pour
troniques, de bandes magnétiques et de
700 récemment acquis, dont ce fut pour moi
rendre audible l’inénarrable, voire l’indicible
spatialisation ». Pierre Boulez et Heidsieck
l’apprentissage. La lecture, l’énumération de
« tout autour, tout autour de Vaduz… »
se retrouvèrent en 1985 au festival Polyphonix au Centre Georges Pompidou, lors
toutes ces ethnies, sur un grand rouleau de plusieurs mètres, se fait, de cercle en cercle, les
Pour Heidsieck, il s’agit ici d’une expérience
d’une séance performance inoubliable, un
balayant toutes, dans le sens des aiguilles d’une
extrême de « poésie action », terme qu’il a
programme écrit par le musicien sur lequel
montre. Apatrides, réfugiés, fuyards, paumés...
privilégié à travers des manifestations collec-
le poème fut lu.
se sont fixés où ils ont pu !
tives généreuses comme le festival Polyphonix,
« Vaduz » résulte d’une commande d’une
ou en 1976, avec le premier Festival Interna-
fondation d’art qui s’est créée, en 1975, pour
tional de Poésie Sonore à l’Atelier Annick Le
son inauguration, à Vaduz, capitale du Lichten-
Moine, ou encore avec les Rencontres inter-
162
Lien pour écouter le poème Vaduz
Heidsieck et son acquisition par le Musée
Hafida Jemni est diplômée de l’institut
https://youtu.be/G4dCbKTkjmA
national d’art moderne en 2014.
d’études supérieures de l’art, curatrice,
La galerie a produit 617 éditions de cette carte
enseigne l’art contemporain d’Afrique et
Le CNL met sur son site une vidéo où le poète
: chaque édition est numérotée et associée
sa diaspora à l’IESA Paris
explique sa démarche de poète sonore
à l’une des 617 ethnies répertoriées par
https://youtu.be/iQNZqbBTTLc
l’artiste.
Philippe Di Folco, est chercheur (IHESS), écrivain, enseignant et scénariste.
Bibliographie
Chaque exemplaire est au prix de 100 € HT.
Il est l’auteur de plusieurs romans, de nom-
- Vaduz est publié aux éditions Al Dante
Galerie Natalie Serroussi
breux essais et a dirigé la conception de
(Marseille)
34 rue de seine 75006 paris
deux dictionnaires encyclopédiques de
- Les Presses du réel éditent l’intégrale des
www.natalieseroussi.com
sciences humaines.aux PUF et chez
tapuscrits de ses Poèmes-partitions, Biopsies,
Larousse
Passe-partout. Bernard Heidsieck/ La carte VADUZ La galerie Natalie Seroussi célèbre le 40ème anniversaire de la carte de Vaduz de Bernard BERNARD HEIDSIECK (30/11/1928 – 22/11/2014) Artiste et poète sonore Nationalité : Homme du Monde Courtesy de Natalie Serroussi Paris
163
CONCEPT
URBAN SOUND MIGRATIONS
by Holly Bass
The first one is Mic and the city_Yaba.©Emeka Ogboh
In September, Visual Arts Network of
languages (Ibo, Yoruba, Bamoun, More,
around Joubert Park where the Gallery is
South Africa (VANSA) under the auspices of
Twi, Ewondo, Sango, Douala, Kikongo
situated, creating a constant discord of car
PANiC- Pan African Network of Independ-
and Lingala). The voices would ring forth,
horns and fumes.
ent Contemporaneity, presented a sound
first one then others joining in chorus, a
piece by Emeka Ogboh at the Johan-
classical European melody rendered as
entered a darkened room and placed
nesburg Art Gallery. Titled LOS-JHB, the
black song. The Song of the Germans was
themselves on a wide bench with room for
work “combines distinct sounds recorded
haunting, lush, chilling.
people on both sides. Here are my impres-
around different locations in Lagos…char-
LOS-JHB is no less lush though decid-
To experience LOS-JHB fully, visitors
sions of that experience. ~Holly Bass
acterised by the presence of recognisable
edly urban and most apropos for the
environmental sounds and contexts, for
setting. The Johannesburg Art Gallery is
the purpose of invoking the listeners’ asso-
situated in the formerly posh “grey area” of
and director. Her performance work,
ciation, memories, or imagination.”
Hillbrow, which for a time hosted a racially
which combines dance, theater and
mixed progressive community. After 1980s
creative writing, has been presented at
Venice Biennial. There in an 18th cen-
white-flight and 1990s post-apartheid
respected regional theaters and per-
tury tower, hidden in the Giardino delle
neglect, Hillbrow became one of the city’s
formance spaces such as the Kennedy
Vergini behind the Arsenale, one entered a
largest slums, though still culturally rich
Center in DC, the Whitney Museum in
small room lined with unvarnished wood.
as immigrants from across the African
New York and the Seattle Art Museum
Vocal music poured out of 10 black speak-
continent and rural South Africans flocked
and the Smithsonian. She was voted
ers situated at different heights along the
to the now-affordable high-rise dwellings.
2012 Best Performance Artist in the
wall. Each played a recording of the Ger-
It is mere meters away from the city’s larg-
Washington CityPaper.
man national anthem in one of 10 African
est taxi rank. Hectic inner-city traffic snakes
I first encountered Ogboh’s work at the
164
Holly Bass is a writer, performer
Urban Sound Migrations By Holly Bass this bank of cushioned seats
is a combi
a chapel of sound
is a naija taxi
though not so sacred
is an airplane
as an eighteenth-century tower
is a space ship
in a garden built on top of water people talk on their cellphones here
outside a man is speaking a tongue
but who would hush the city
you do not understand
all these international Africans
it sounds like da da da
let the sound wash over you
like da da
carry you someplace new
is it your father you can tell
Lagos is a verb
he wants you to buy something
Johannesburg is a noun
or he wants you to know
both cities conjugate your fear
you have already been bought
split your infinitive
and sold
seduce your ear
sounds of the city
outside the museum
which city
is a taxi rank
any
inside the museum
the heavy smells
is a dark room drenched
the fume of gallery walls
in the scent and sound
recently painted black
of a taxi rank
or car exhaust or exhaustion
the definition of meta then
we sit together, strangers, close but not speaking in this black box
165
out of nowhere, a prayer
CONCEPT
ONDE DU NOUVEAU MONDE (…) Par Julien Creuzet
Un reflet sur le visage
des femmes moles,
je me lève, enfant sauvage.
pleines de flemmes,
Un reflet sur le visage
que l’on m’imole,
je me lève, enfant sauvage.
si je l’ai aime.
Un reflet sur le visage je me lève, enfant sauvage.
Des crépitements,
Un reflet sur le visage
des gémissements,
je me lève, enfant sauvage.
des bruits d’enfants.
Vague page, onde du nouveau monde,
Des crépitements,
un souvenir de l’autre rivage.
des gémissements,
Je suis à l’ouest, jeunesse ivresse ,
des bruits d’enfants.
zeste, quelques restes. C’est émouvant. Je suis perdu à l’ouest de l’Evrest un peu plus à l’ouest.
Un reflet sur le visage
À mon rythme, à vos marques,
je me lève, enfant sauvage.
du grabuge, je gravite,
Un reflet sur le visage
dans les voiles,des monarques.
je me lève, enfant sauvage. Un reflet sur le visage
Dans mon âme,
je me lève, enfant sauvage.
des braises en flamme,
Un reflet sur le visage
du feux enfant,
je me lève, enfant sauvage.
166
Dialecte-Digiforme, 2012 Pièce sonore, 4,40” ©Julien Creuzet Onde du nouveau monde (…), 2014 vidéo-clip, 3,05” ©Julien Creuzet Spectre of “i have dream”, la tentative d’une image, 2013 ©Julien Creuzet Biographie Julien Creuzet est un artiste plasticien qui vit et travaille à Paris. De ces origines caribéennes découle une recherche identitaire récurrente dans ses œuvres.
167
CONCEPT
SI MOHAMED ALI
Slam écrit par Yeno
Vole comme un papillon, pique comme une
Et Pique Pique Pique comme une abeille
abeille
Vole comme un papillon
Vole comme un papillon, pique comme une
Et Pique Pique Pique comme une abeille
abeille Si Mohamed Ali avait été une femme Si Mohamed Ali avait été une femme
Elle aurait une armée et pour seul mythe
On lui aurait dit : «tu en fais trop»
On ne dirait pas d’elle qu’elle effraie
Accusés ses matches d’être truqués par ses
L’orgueil et la peur sont des rites auxquelles
beaux
Jamais elle ne se soumet
Que sa tenue fut inappropriée Et sa rage de vaincre, à contrôler Si Mohamed Ali avait été une femme
Si Mohamed Ali avait été une femme Elle compterait les larmes de son âme Avec pour unique réclame
On se serait planqués pour l’admirer
La détermination est l’art de rester une
en hurlant à l’indécence de sa lutte en poings
flamme
criés
de rester une femme, une âme,
en rêvant d’être à sa place la fierté gantée
Si Mohamed Ali avait été une femme
Si Mohamed Ali avait été une femme
Ses valeurs seraient déclarées ambiguës
On lui aurait dit : «tu en fais trop»
Encore une et son m’as tu vu
avec le prénom d’un prophète pour égo
On dirait au coin de la rue
« comment vous vous appelez déjà ?
De ceux qui croient
et ça se prononce comment ça la...»
Avoir le droit de toujours pointer femme du
Vole comme un papillon Et Pique Pique Pique comme une abeille
doigt Qu’importe, elle, elle vole comme un
Vole comme un papillon
papillon
Et Pique Pique Pique comme une abeille
et pique comme une abeille
Si Mohamed Ali avait été une femme
Mohamed Ali est une femme
On aurait fait d’elle une pestiférée en confisquant l’art de sa virtuosité
Et si...
pour la limiter au mythe de l’hystérie en susurrant : « qu’il est un sexe pour la jalou-
De son nom Karine Edowiza /Yeno est
sie »
une artiste française et gabonaise, née
Si Mohamed Ali avait été une femme
à Dakar. Elle a grandit entre Créteil,
les uppercut elle aurait appris à les esquiver
Paris et Libreville. Elle est diplômée
des gauches des droites elle en aurait telle-
d’une maîtrise d’ethnologie. Comé-
ment encaissé
dienne et slameuse, elle a publié
qu’à côté le ring aurait un air de : «voulez vous
une pièce de théâtre en 1998 dans la
danser ?»
revue des éditions Présence Africaine
Vole comme un papillon
168
“Nzinga, reine et résistante”.
CONCEPT
LE RÊVE D’ICARE
Par Lord Eraze
Sortir de ma sépulture
Renaîtra de ces cendres
Pour atteindre le soleil
tel un phénix
Comme dans le rêve d’Icare
Brûlant de mille feux
J’irai brûler mes ailes.
Sa raison éclairera nos âmes
Sur la tête folle de mes conspirateurs
Il est temps pour le rêveur
Je n’ai pas fait reposer
De ce réveiller
Mon attelage de 5 chevaux haletant
Sortir de la sépulture
Le vent pour y boire la lie de notre société.
Ou il s’était enfermé
Je n’ai pas prie le temps d’observer
Détruisons des citadelles
Le camp de mes ennemis
De mensonges et de vanités
Pour foncer tête baissée dans la bataille.
Allumons des bûcher de feux de joie
La fougue de ma jeunesse
Pour que trépasse la nullité de leurs esprits .
M’aura donc fait perdre quelques plumes.
Tel l’écume du flux et du refus
Chevauchant les Walkyries et les licornes.
De sombrer dans une tel mésalliance
Je me suis accroché aux anneaux de saturne.
Pour m’assoir a la table du vainqueur
Aux ma bien aimé Qu’il est dure de ce souvenir de ce passé glorieux.
Pourquoi les étoiles tombent du ciel
N’aurai je donc temps vécu
Comme une myriade de flammes
Que pour cet infime grâce.
Étincelantes ton âme.
Cet ultime moment de bonheur
Le choc peut pénétrer si profondément la chaire
Vite remplacé par cette guerre lasse
Tel d’innombrables cicatrices
Mes genoux vacilles dans la moiteur de notre nécropole.
A vif plaie béante jamais réellement
Je suis un Prince
Refermés.
Sans couronnes
la justice du ciel
Ces insurgés ont fait chuté
Est elle si inébranlable
Les colonnes de mercure
Que la raison ce fige
Sans ces fondations
Lors d’un oraison funèbre
Ma nation
J’ai vu temps de gens mentir
Est aussi fragile qu’une feuille virevoltant au grès
Fuir, nier, falsifier, faire preuve de mauvaise foie ou d’hypocrisie.
du vent
Que j›ai du en soulever
Ou ma conscience
Des montagnes.
S’en est allé.
Tel est le plaisir
Mais mon royaume
De naître dans un monde corrompu
169
Lord Eraze Lord Eraze de son vrai nom Aimé N’Tsiangana, est un artiste poète, fils de Tonton Kadian premier organisateur des ballets congolais à Paris. Après avoir fait le conservatoire de CharOú tous se lavent les mains
tres au saxophone, il rejoint en 1984 le mouvement Zoulous.
A la fontaine de l’ignominie
L’amour de la musique l’amène à organiser et à se produire
Il m’en aura fallu du courage
dans de nombreuses manifestations à travers la France. Il
Pour faire face à tant d’imbroglio
travaille en tant que chroniqueur à la Radio Libertaire.
Tant de lâcheté face a la déroute Des sentiments Je m’épanche sur la beauté indissoluble de nos ébats matinaux À la douceur des rayons qui traversent Les persiennes. Le bruit de la rue comme une assourdissante mélancolie Berce mon cœur d’une langueur Monotone. Désillusion d’un avenir meilleur Désolation d’une société toute Entière. Je congratule tous ceux qui vocifère Contre ce système malin et trompeur Aux hallalis de l’esprit Je ne dirais pas fontaine Je ne boirai jamais de ton eau Au tant d›imbroglio et de résultat Imparfait désenchanterai L’âme valeureuse des guerriers De l’ombre en si grand nombre Effrayant de leurs faces hideuses. Car ça c’est le rêve d’Icare.
170
CONCEPT
ROBERT HODGE & MUKWAE WABEI
Riffs and texts
By Robert Hodge & Mukwae Wabei - All images courtesy of Robert Hodge
(Ring Ring)
been doing that? since you started R.H: I would say about five years.
Robert Hodge: Hello,
M.W: Cool. So what does it signify because you are not religious are you?
Mukwae Wabei: Hey we made it
R.H: I’m definitely spiritual I believe God, he’s a big part of my life
R.H: Hey how are you doing?
M.W: What does that mean?
M.W: Excellent so this is recording right now as we speak
R.H: Religion is in the details you follow exactly in the Bible. I don’t think those
R.H: Oh okay I thought we were going to Skype but we can do it this way this
stories are literal but they are metaphor for things but also I believe in God.
is fine
I follow the golden rules I follow those to kinda that kinda what you need
M.W: No this is perfect, lets just bang this out
follow those….
R.H: How you been?
M.W: Right
M.W: No good I’m on fire I am on my way to New York
R.H: I am definitely spiritual but I don’t think you can call me religious. I don’t
No this is perfect
know about you but music and sound and tone play a really big part in my
R.H: Imma put you on speaker
head when going through any kind of creative process.
(Echo)
M.W: What kind of music do you listen to hat puts you in that creative zone?
R.H: Can you hear me good?
R.H: Everything Blues, Jazz, Hip Hop, Soul, Classical and. You just basically
M.W: No I can hear you fantastically
whatever you are feeling you’ve have a playlist.
M.W: Okay so you were saying you smudge with sage so you’re a mystic?
(Sound of shuffling)
R.H: Say it again?
R.H: I brought twenty five records here to New Orleans I didn’t know I would
M.W: You were saying that when you get into a studio one of the rituals that
pick out twenty- five. A lot of these are hip hop I bought the first Nas record, I
you do because today is a full moon.
brought the blue album by Jay Z, I bought…I brought John Coltrane…
R.H: Yes I heard
M.W: Which one?
M.W:… is that you smudge with sage
R.H: Alice Coltrane. I brought live at the let me look at this joint right here. I
R.H: Yes I smudge and sage the studio blessing the space because usually
got Jason Maraz, Kid Kuddi. I brought Robert Glass. I brought Dead Presi-
when you are in a space you don’t know who has been in there before, you
dents, Dupre, Count Basie, Kidi Lavar first record the good, Herbie Hancock.
don’t know what kind of energy was there before so its kind of like a new
M.W: Which one of Count Basie and which one of Herbie Hancock?
beginning. So I walk in. I sage my own space I was thinking about should I do
R.H: I got Future Shock by Herbie Hancock, I got Michael Jackson Off the Wall.
it. If I have been gone for a while you wanna get some new energy in there. I
I got B.B. King and Bobbie Plant together for the first time live.
sage this space too because its a new space and I did it anyway
M.W: Cool.
M.W: Cool does it trigger something in your body, mind and spirit?
R.H: I got the Fela joint.
R.H: I feel like it works I’m not sure if it does but like I said to me its like a new
M.W: Okay that’s cool that’s good
beginning. Like Okay no other energy is gonna get the way of what I imag-
R.H: I got Wes Montgomery’s greatest hits. I got Otis Reading
ing to create like I said it feels like a new beginning.
M.W: Cool
M.W: Right so you like directing your will kinds thing. How long have you
R.H: Sade
171
M.W: Alright
R.H: Yeah exactly iconic .That’s how most rappers do it too. If you’re gonna
R.H: Miles Davis, Scarface, The Untouchables. So I got stuff from all genres.
ride on the journey with the artist or are you getting off the train I still ride
Basically I’ve got original American Art forms I didn’t even think about that
with Kanye. A lot of people had left the Kanye train a long time ago. I ride
I’ve got Blues, Jazz and Hip Hop which you can say are original American art
with Kanye…I don’t know where he is going to go next but am still riding
forms.
with him.
M.W: You know what when I look at your painting I see original American art
M.W: This is the thing with any kind of originality is that sure you have this
forms, I’m not just saying that to butter you up but i really do see that it is very,
base especially for people of African descent, we have these icons that are just
very distinctly American art like the music. You’ve really got these beautiful
cemented in our brain and to escape the icon and for us to explore textuality
riffs going on, you know what I’m saying with the texts.
and multi sensory things you really, really have to do something that nobody
R.H: Yeah I take from Pop Culture I take from the traditions of sign painting
understands for quite a long time.
because thats one thing my Dad didn’t want me to be was an artist. I think he
R.H: I don’t think in terms like that but I hope it stands for a long time and I put
was scared I was going to be a sign painter but I think that’s an honorable art
that out into the world but you never know…and thats how I feel about this
field. I wouldn’t be embarrassed to be a sign painter. I mean it takes a steady
record that it makes an immediate impact. I hear albums ten years later and
hand. You gotta be a great painter so you know. I feel a little recognition for
I’m like wow that’s an amazing album and I’m like wow that’s an amazing
those old black men that’s all they know what to do they wanted to be an
album.
artist, but like how do you make a living outta being an artist? Thats what a
M.W: So Tell me more about this record? What is it about? Whose in it, whose
lot of them did so it carries over in my work.
involved.
M.W: That is such an interesting point because there is an element of that in
R.H: A multitude of artists from the top of their game to like new and
your work you know.
upcoming performing artists. The record is centered around history and to
R.H: It was an outlet. That’s the only reason my father didn’t want me to be
be specific the history of Juneteenth and I was trying to figure out how can I
because he didn’t know any better. All he saw was guys in the neighborhood
draw young people to that story and still give them what they need. I thought
painting barber shop windows, you know buildings and stores, like I said he
music would be a good tool to do this project outside of painting. People see
didn’t know all the different fields in fine art you can do and ever since then
painting all the time but not centered around music. And not corny music
anyway my dad passed when he was seventy-five years old. My dad had
but, interesting, conceptual relevant music you know. I’m trying to get Scar-
me when he was forty-three he was an older man he came from a different
face on the project, Little Kiki and Jason Mraz a jazz pianist a spoken word
generation. He didn’t even have to be that much of a different generation He
artist, and a guitar player and a trumpet player and you, you’re the best of
probably came to one of my shows later on and he was proud.
the best… and you. You’re the best of the best. When I heard your music and
M.W: That’s beautiful.
it was immediate. I thought you should be on my record. I meet people and
M.W: Did he understand that you recycled, were reclaiming actual physical
they give mea spell of who they are …
stuff for your art?
M.W: (laughing) How is your life right now? How ya feel?
R.H: No I wasn’t doing it back then. I was making portraits of African Ameri-
R.H: I feel great right now I am in New Orleans is inspiring. I was looking for
can musicians I loved… that’s how a lot of black artists start. I started by
some houses the other day. I’ve been trying to get to NewOrleans for a long
drawing things very detailed because that’s what my family thought being
time. it’s melting pot. Lust. Love. how people here …It’s just real. The Hippies
an artist was at that time I don’t know whether I would have made it this far
I can’t what I need being intuit zone. I love the element of the layers of this
because nobody would have understood what I was trying to do. Some art-
city. You have that upper echelon. I love its dirty its clean. There is a water
ists had parents who were artists and knew about decoding and knew about
advisory.
abstract art and were very supportive but if you came from a traditional
Laughter
black family, if you cant draw portraits the way a person exactly looks, then
M.W: Sounds everywhere. French Quarter. Congo Square. All of that.
you weren’t and artist.
Amazing.
M.W: So you are talking about iconography Malcolm X, Rosa Parks, Nzinga,
So what was proclamation emancipation about? what happened?
whatever?
R.H.So basically 1865 we’re dealing with what does it look like and sound like
172
” Behold a Lady “ mixed media on tar paper, hemp thread. 2015.
” Protect your Magic” mixed media on found objects,hemp thread, tar paper and cotton flag. 2015.
173
to be free? I don’t want to over romanticize but It took a long for those black soldiers time to let people down to Texas and Galvastan people know that they were free it is troy about those slaves that narrative and spiritual slavery and the complications of it. I hear people talk about” the black family being the what it is because of slavery”. There were a lot of black people in love and making it work during slavery. They wrote love letters it out and falling involve during slavery. Story about people f color are resilient we’re still here we had 350 years of slavery but look where we are in the cuter of america. we’re doing great with no reparations. I get angry sometimes but also I am inspired. Can I come with you on one of your trips, I can be your assistant? Laughter M.W: Okay Robert this is awesome.
Mukwae Wabei Siyolwe is a Princess from the King- dom of Barotseland, an artist and a social scientist who likes to travel, compose music, meditate, write, create hybrid experiences, cook, dance and live in the moment. Robert Hodge : musician and visual artist
” Pursuit” mixed media ,collage on tar paper, hemp thread. 2015
” All my Sons” mixed media on reclaimed paper and mdf. 2014
174
No Man is Safe” mixed media on reclaimed paper and mdf. 2014.
CONCEPT
COMMENT PERCEVONS NOUS LE MONDE Par Bobiokono Noël Cyrille
Clin d’œil à Olga Skorokhodova !
Aveugle! Malentendant ? Sourd ? Acouphène ? Comment percevons-nous le monde ? Invitation aux bruits inaudibles et sans harmonie … Ou aux silences assourdissants de nos mutismes… Voyageons au cœur de nos imaginaires sonores faits de résonances, de bruits, de cris, … et de silence! Pour écouter faisons donc silence ! Des gazouillis au loin ? Plutôt des gargouillis de nos ventres victimes du bruit de leur succès. Un ventre affamé n’a point d’oreille, mais les nôtres parlent et crient « Occident ! Occident ! Occident j’ai faim de toi !» Quel vacarme ! Tohu bohu ! Embrouillamini des sons ou des vibrations… Nos références sont-elles identiques aux vôtres ? Distinguons des claquements de dents, des réacteurs d’avions ? Bruits d’immigrés ? Mais lesquels ? Yaguine Koita et Fodé Tounkara ? Huit « pygmées » Baka qui vont en Yvoir pour sensibiliser le monde sur leur sort ou pour amuser la galerie belge. Un autre avion ? C’est celui qui ramène la dépouille de Saartjie Baartman… La vénus Hottentote qui voyage ? Désolé, jamais entendu parler ! Alors quels immigrés ? LES ENVAHISSEURS ! De grâce, donnez-leur un ballon et qu’ils jouent, qu’ils s’oublient dans ces bruits inaudibles de bananes qui voyagent et atterrissent dans un stade de football où résonnent le Brouhaha et les ha ha ha… de rires jaunes ? Blancs ? Rouges ? Noirs ? Colorimétrie ? Vous avez oublié que je ne vois pas ? Mais ces hurlements de singe Où sommes-nous ? En forêt ? Au Zoo ? Des
175
animaux se seraient échappés ? Non Ota Benga ne s’est pas enfui, il s’est suicidé ! Sonorités de suicide ? J’ai du mal à entendre… peu importe ! Tremblement de terre plutôt grondement du ciel Tonnerre ! Des gouttes d’eau inaudibles qui coulent sur nos visages ? Qu’est ce que nous aimons le tambourinement de ces gouttes qui crépitent sur nos toitures percées… Mais elles sont salées et bruyantes ces gouttes. Des larmes? Oui ! Elles ne font pas de bruit et heureusement nous ne voyons pas leurs couleurs mais les sanglots… ils peuvent nous constituer en fardeaux mieux vaut les larmes …elles coulent discrètement. Silence on pleure ! Et l’image des bateaux échouant sur les côtes de Lampedusa ou de Melilla ? Désolé je suis aveugle. Et ces cris de femmes, des femmes battues, violées ? Excusez-moi je suis malentendant je ne discerne que le bonheur criant des femmes donnant la vie… alors silence radio ! Mais quelle radio ? Celle des mille collines ? Silence, on tue ! Les sonorités de nos imaginaires ou les sonorités de nos silences? Paisibles ? Honteux ? Coupables ? Gênés, entendus ? Pesants? Complices, indifférents…
PLAYLIST LES NUBIANS Solide NINA SIMONE Four Women SONNY OKOSUNS Liberation. LAURYN HILL Some Seek Stardom. DONNY ELWOOD Pygmés. NATE DOGG Why. WRINCKARS EXPERIENCE Fuel For Love. SLIM ALLI AND RHE HODDI BOYS You Can Do It. MARVIN GAYE What’s Goin On. FELA Teacher Don’t Teach Me Nonsense. PRINCE NICO MBARGA Sweet Mother.
176
BOBIOKONO Noël Cyrille, doctorant au Centre d’études en sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques (CESSMA)
CONCEPT
NOBLE ART
GESTE NOIRE & CREATION
par Patrick de Lassagne
Année 1937, tandis que Cocteau propulse le boxeur noir alcoolique Panama Al Brown à la reconquête de son titre de champion du monde ; Marais jeune acteur qui débute sous la houlette de Cocteau, sort, par amour, le poète toxicomane de son purgatoire.
En 1937, Cocteau fait la rencontre du boxeur noir Panama Al Brown. Déchu, alcoolique,
de Cocteau : Jean Marais. Autant Al Brown est dessiné et longiligne,
pièce « Les parents terribles » pour Marais, Cocteau est en tant que dramaturge fasciné
Al Brown a pourtant à son palmarès 225 com-
autant Marais est herculéen et sculptural :
par l’entraînement du boxeur Al Brown. C’est
bats, dont 23 championnats du monde. Spolié
« quand il remue un meuble il le brise » com-
alors que « Cette étonnante sauterelle de bronze »,
de son dernier titre de champion du monde
mente Cocteau.
l’inspire dans son écriture. A tel point qu’il
parce que drogué lors du combat, Al Brown
Cocteau débute alors l’écriture de la pièce
transpose dans sa pièce le style percutant, les
se donne en spectacle au cabaret Le Caprice
«Les parents terribles » pour Jean Marais qui est
fulgurances, le foudroyant tempo de la danse
viennois, dans un numéro de claquettes et de
devenu son nouvel amant.
du boxeur Al Brown entre les cordes. Cocteau
saut à la corde.
Quant à Al Brown, après une cure de
affirme : «Je dois à Al Brown d’avoir écrit Les par-
désintoxication, il reprend l’entraînement
ents terribles (…) Cette manière d’épauler, de viser,
Al Brown, Cocteau qui est lui-même drogué,
sous la houlette de Cocteau qui est devenu
de tirer vite et juste que je nomme le style. » .
dépressif et qui a subi de cuisants échecs,
son « mentor-poète » et qui le soumet à une
discerne le génie pugilistique de cet artiste du
discipline de fer.
Derrière le dérisoire spectacle de Panama
ring. Cocteau a selon son expression, le sen-
Le génie pugilistique inspire donc le génie d’écriture…
timent de découvrir « un diamant noir dans
Emergeant progressivement de son
une poubelle ». Il fait alors le pari de relancer la
brouillard alcoolisé, le foudroyant pugi-
dépression, échecs répétés, Cocteau retrouve
carrière d’Al Brown pour qu’il reconquiert son
liste opère sa résurrection. Al Brown renoue
enfin le génie flamboyant qui a fait sa répu-
honneur et son titre de champion du monde.
alors avec sa méthode. Celle-ci consiste selon
tation. Sa pièce « Les parents terribles », il la
Coco Chanel, que Cocteau implique, accepte
Cocteau « à devenir fantôme, à n’être jamais où
décrit comme « une méchante intrigue, une
de financer l’ambitieux projet.
les pugilistes le croient et à ne les foudroyer qu’à
psychologie rudimentaire, des personnages
coup sûr ».
convention-nels, gag sur gag ».
Simultanément, lors d’une audition pour Œdipe-Roi, un autre météore : «ange hyperboréen aux yeux bleus » fait irruption dans la vie
177
Sortant alors de son purgatoire : drogue,
C’est donc porté par le magnétisme de Tout en poursuivant l’écriture de sa
Panama Al Brown et le charisme de Jean
CONCEPT
Panama Al Brown : Droits reservĂŠs
178
Marais, que Cocteau les propulse, l’un sur le
DANSE AVEC LA PEUR
ring, l’autre sur la scène. A sa manière il théâtralise le noble art et met du pugilat dans son théâtre. Et c’est en effet à l’image d’un boxeur que
déplacements du pugiliste. Et ce durant trois minutes consécutives.
Danse, rythme et musique muette en boxe. C’est peu de dire qu’un bon boxeur danse, a du rythme et opère une chorégraphie dont
Puis c’est la minute de repos (et de silence) ponctuée de souffles courts, de ahanements. Lorsque les corps reprennent leur entraîne-
Marais entre en scène et tombe comme la
le tempo va du staccato à l’adagio. Sa stratégie
ment, leurs rythmes impriment à cette danse
foudre dans ce psychodrame familial où les
d’attaque et de défense est faite de retraits,
incessante un tempo que les silhouettes
conventions sont chauffées à blanc. Et c’est tel
d’évitements, d’esquives, de feintes, de pas de
chorégraphient si bien qu’on en entendrait
un victorieux tragédien que Panama arpente le
côtés, de points d’appui au sol, de ripostes et
la musique grâce au rythme régulier des
ring comme une scène.
d’attaques. Cette chorégraphie savamment
mouvements. C’est alors que ce rythme seule-
calculée, quasi aérienne, mais qui semble
ment perçu visuellement, on peut soudain
sa marque et son aura artistique et littéraire
naturelle, car constitutive du style du boxeur,
se surprendre à le mimer, à l’accompagner
Cocteau renoue alors avec le succès.
est faite de cercles concentriques évoluant
mentalement d’un tempo intérieur… Etrange
dans un carré de lumière. Ses mouvements
et remarquable phénomène de musicalisation.
tout de Cocteau, il sait surtout et aussi recad-
qui déplacent les corps des boxeurs visent
Ce ballet sur une partition muette et imaginaire
rer la vie dissolue du poète : plus d’opium, ni
à l’encerclement réciproque de l’adversaire,
semble soudain comme une jam-session com-
d’amants.
qu’il faut sans cesse tenir à bonne distance,
posée à l’improviste par les deux boxeurs. Dans
Quand, enfin prêt, Panama Al Brown se
car le cadrage fait tout l’art pugilistique. Cela
son unique court métrage « Chant d’amour »
présente sur le fameux carré de lumière pour
Mohamed Ali l’a magistralement démontré
Jean Genet a montré comment au cinéma la
la reconquête de son titre, c’est le tout Paris
durant les premiers rounds de son combat
musique peut se passer… du son ! La chorégra-
du Music hall et du cinéma qui l’ovationne.
contre Foreman à Kinshasa, en amortissant
phie sexuelle et solitaire de l’homme noir dans
Pour cette reconquête du titre de champion
les coups pour mieux les encaisser grâce à
sa cellule, si elle tient de la pantomime inscrit
du monde, Cocteau a prodigué et théorisé ses
l’élasticité des cordes, mais surtout en se désax-
très vite à son insu dans l’esprit du spectateur
conseils à Al Brown : « un boxeur est un danseur
ant sans cesse pour éviter les attaques et les
un décompte du rythme. Et le spectateur
et un psychologue. Il scrute son adversaire. Il essaie
ripostes de son adversaire.
accompagne mentalement le mouvement
Grâce à cet époustouflant brio qui a fait
Mais si le débutant Jean Marais apprend
de le comprendre. Ensuite il pose son piège. Ce piège consiste à faire croire à son adversaire qu’il peut vaincre. Qu’on l’évite. De la sorte on le place juste où il faut pour qu’il reçoive le coup » Dans un éblouissant combat, Al Brown grâce à sa vitesse d’exécution, sa précision, sa vista terrasse son adversaire et reconquiert
de l’acteur : « un deux trois », « un deux trois »,
Ce ballet sur une partition muette et imaginaire semble soudain comme une jam-session composée à l’improviste par les deux boxeurs
son titre de champion du monde. Le public
comme dans une valse à trois temps. Il s’agit littéralement d’une oreille interne. Regardez un match de boxe sans le son, c’est voir, mais aussi entendre le pas de danse, le tempo, le rythme et la scansion que les corps qui se déplacent impriment de sonorités à notre insu dans notre cerveau. Mais le génie de Scorcèse dans
acclame cette nouvelle consécration en même
Mais venons en au rythme. Entrez dans une
temps qu’il ovationne l’apothéose de Cocteau,
salle de boxe : la corde siffle dans l’air, fouette le
avec maestria la mélodie au rythme pour don-
qui a joué et gagné sur deux tableaux : le suc-
sol, les sacs résonnent du cuir qui les heurtent,
ner à la solitude du boxeur qui se déplace sur
cès de la pièce avec Jean Marais et le triomphe
le shadow boxing fait entendre le frôlement
le ring au ralenti -comme en lévitation- l’un des
et la victoire d’Al Brown. Le triumvirat Cocteau-
des semelles sur le sol. Et les combinaisons
plus grands moments d’émotion et d’harmonie
Al Brown-Marais peut fêter sa gloire dans la
de « gauche/gauche/droite » gauche/ droite/
organique de l’image et du son au cinéma.
liesse et le faste…
gauche » s’enchaînent entre uppercut, direct crochet, jabs, qui donnent leur cadence aux
179
l’ouverture du film Raging bull fut d’associer
CONCEPT
UN TRAIN PEUT EN CACHER UN AUTRE .
Les masques des Têtes Brûlées
By Blaise N’Djehoya
La formule ne s’applique pas qu’aux
désignent le duo mythique et fratricide
la jeunesse white’n’ black des Usa. La
chemins de fer des pays francophones.
de la Révolution (1987), -frères de lait de
première tournée des Têtes Brûlées dans
Comme éponyme, le groupe camerounais
la garnison de Pô, et de… l’Ecole Militaire
ces contrées survint hélas, après la mort
et son Bikutsy-rock a surgi sur les radars
Interarmes du Cameroun-, Blaise C et
du «Guitar-Heroe» Mepeme Theodore, aka
français en l’an de grâce 1989, au moment
Thomas S pour ne pas les nommer.
«Zanzibar».
où le PAF se gavait le soir d’une série états-
Une série -TV- américaine, avec pour
Une révolution-politique-ouest-afric-
unienne qui revient en ce moment sur le
acteurs principaux des pilotes de guerre,
aine, avec pour activistes principaux des
petit écran.
cela fait planer dans l’espace, surtout si
officiers de l’Elite de la Grande Muette, cela
d’aventure, elle intègre une bande-son
met le feu dans les chaumières et dans les
inventée à l’Age du Rock : la zike qui réunit
têtes, quand d’aventure, elle comporte un
Une courte revue sur Internet nous a appris qu’au Burkina-Faso, les Têtes Brûlées
Illustration par Antistatiq
180
barde fou de reggae-music, -du Piter T.
mystique entre lui et Zanzi, allez savoir.
Martin. Viennent les Têtes Brûlées avec
ou du B. Ma’lee sous influence Jah-zique-,
Chez ces gens-la, mesdames messieurs la
Joss Mengala, guitare solo et ensuite avec
la zique qui réunit les ancêtres de Marcus
zique peut être un voyage initiatique.
Atéba, guitare basse, un revenant de la
Garvey et la Harlem (Black) Renaissance, Léonard Howell et la Cité (Black) Idéale, le
formation initiale. André Afata, le batteur et Les Seigneurs de la Forêt
«Pinnacle». Une révolution -musicale- centre-
le mélange des langues pidgin, béti, et français, (....) rangent les Têtes Brûlées à la fois dans la discothèque de la Black Rock Coalition des USA... africaine, avec pour agitateurs principaux des gaillards sortis tôt de l’Ecole Publique entrés très tôt dans l’apprentissage des canons zai-co, -la Grande Ecole et la scène primitive du chant, de la guitare depuis les Indépendances- mettent le feu à l’Aube de la république des crevettes (Camaroes). Les Têtes Brûlées? Cierto, des «crustacés» dans l’Ibèrie du Navigateur Fernando Po (Eponyme de l’île de Bioho) ou, Freilich, la Prusse des Wihlem (II,Kamerun), mais en français, des … cétacés. Assez des gigs chez Ebogo Emérent, le Boss du Bikutsy électrique naissant, sympas mais quasi «njo» c-a-d peu chers payés. Assez du culte de l’Ancêtre qui habite «Escalier bar» après son errance et sa genèse dans les savanes du Nord. On taira son nom car on lui prête la légende d’une transmission
181
Roger Békongo, la guitare rythmique, sont de toutes les aventures, tout comme le
Ces gens-là sont des locuteurs des
leader post-Zanzibar, le chanteur et trom-
langues Béti, pluriel de Ati, nom et géné-
pettiste Jean-Marie Ahanda, alias « Hip ».
rique du (des) Seigneur(s) de la… Forêt.
L’Europe de l’Ouest, le Japon, les
Bantu «Fang» et Pygmées «Ba-ka» ont
U.S.A,(...) l’Afrique ont accueilli des jeunes
en partage le rituel initiatique du BWITI,
« Seigneurs de la Forêt », peints et coiffés
l’Arché de l’Invention/fabrication (du grec
comme pour la sortie d’un rite de passage
anc. : poien, poesis) de la Harpe ou MVET,
-la circoncision-, la tête lestée d’antennes
comme principe de l’instrument, du genre
futuristes, les pieds chaussés de baskets qui
littéraire et de l’instrumentiste.
égaient la scène avec des parties de foot.
L’Oncle Medjo est l’archétype de cette tradition. Dans ce phylum génétique
C’est à l’ethno-historien du Burkina-Faso
survient Messi Martin, qu’on peut citer
et du Cameroun, le professeur émérite
désormais entre «Initiés» : guitar-heroe
Philippe Laburthe-Tolra que nous devons
du gang des … «LOS CAMAROES», qui
devons la thèse monumentale sur les
marient tambours et batterie, branchent
Béti(sing, Ati)=Seigneurs de la forêt.
guitare et électricité, des dieux nouveaux
Les enseignements du professeur
dans le Landerneau des années 1960, ou
Bingono, à l’ESSTI de Yaoundé, journaliste
règnent l’Ashiko et le Makossa. Un train, un
bien connu, inventorient les instruments
Archiviste est entré en ville : Man no run.
à vents, à percussions, à cordes(…) parmi
Claire Denis a filmé la première tournée
lesquels figurent les tam-tams, troncs
des Têtes Brûlées en France. Belle sortie de
percés, balafons avec lesquels se jouaient le
Zanzi, de retour au pays, de la scène et de
proto-bikutsy dans les campagnes du sud
la vie. Des années plus tard, Cool Bass c-a-d
Cameroun, du Gabon (Fan), de la Guinée
Martin – Mangouma - Maah, suivait Zanzi
Espagnole (Fang), voire du Congo Brazza-
au pays du « Non retour ».
ville (Batéké).
Il y a donc les Têtes Brûlées avec Zanzibar et Cool Bass, puis sans Zanzi, puis sans
Les locuteurs du Fang, contemporains des Indépendances, ont remplacé les
troncs percés et ou balafons avec la guitare
Blaise N’Djehoya: Réalisateur et écrivain camerounais.
acoustique, puis électrique:
Né en 1953, Blaise N’Djehoya devient journaliste et écri-
MVET des origines (tronc-percé, bala-
vain suite à la l’obtention d’un DEA «d’histoire africaine et
fon), du présent (guitare, clavier, synthé).
d’anthropologie au 20ème siècle». Il réalise ensuite plusieurs
Ainsi va la généalogie, de Medjo me Som
documentaires et fictions, notamment un portrait de Manu
à Messi Martin, et de ce dernier à Mépémé
Dibango dans Silence (1991) et un film sur la vie des artistes
Théodore, alias Zanzibar.
noirs dans le Paris d’après-guerre (Un sang d’encre). il a écrit en 1988 Le Nègre Potemkine ( Lieu Commun
L’amplification des guitares, l’accélération de la vitesse du rythme
ed) ,puis Harlem Héritage Mémoire et renaissance, revue Riveneuve Continent.
traditionnel et du chant choral, le mélange des langues pidgin, béti, et français,(....)
Discographie
rangent les Têtes Brûlées à la fois dans la
1988 : Les Têtes Brûlées (Bleu Caraïbe)
discothèque de la Black Rock Coalition
1990 : Ma Musique a Moi (Bleu Caraibes)
des USA et la Caverne d›Ali Baba des
1992 : Bikutsi Rock (Dona Wana)
« peuples premiers », c-a-d les Musiques du
1995 : Be Happy (Dona Wana)
Monde.Entre Rock’n Roll et les Musiques
2000 : Bikutsi Fever “Best of” (Africa Fete)
«Ethniques» Biographie des Têtes Brûlées Quatre albums dont une musique de
Leur carrière commence dans les années 1980. Après leur
film, après 1989 les Têtes Brûlées sont
premier passage à la télévision camerounaise en 1987, les
devenus un mythe qui a du mal à se sur-
Têtes Brulées entrent dans la légende. Leur musique reprend
vivre. Certains sont partis à l’étranger (JMA
des rythmes ancestraux du bikutsi mais mis au goût du jour
aux Usa) les autres sont restés au Came-
dans un style beaucoup plus électrique grâce notamment
roun (Afata, Atébass, Mengala, Békongo).
au guitariste Zanzibar. Leur costumes excentriques, leur
Mais l’idée, le concept des 5 Seigneurs de
crânes à moitié rasé et la peinture blanche sur le corps ils
la Forêt peut se reconstituer n’importe
deviennent rapidement le groupe de bikutsi le plus connu
quand. Le train est à quai. L’histoire n’est
au Cameroun et dans le monde. Malgré tout, de nombreux
pas finie.
critiques et fans du genre n’acceptent que difficilement leur genre pop et électrique. Le groupe est formé par Jean-Marie Ahanda rejoint par le guitariste Zanzibar (Epeme Théodore). Zanzibar est connu pour sa manière de faire sonner sa guitare comme unbalafon grâce à la fixation d’une mousse en caoutchouc sur le chevalet de sa guitare. La mort de Zanzibar en 1988 menace de mettre fin au groupe. Le groupe se trouve des nouveaux membres ce qui permet d’enregistrer de nouveaux morceaux et de refaire des albums. Les Têtes Brûlées est leur premier album, avec uniquement du bikutsi. Les textes sont engagés et ciblent de nombreux problèmes sociaux au Cameroun
182
Zanzibar[Epeme Théodore] - Me bo ya? - Les Têtes Brûlées ...
18 avr. 2009 - Ajouté par patbscorp
▶ 8:13
Live Au jardin en Plus(Gennevilliers) 21 Février 2009
https://www.youtube.com/watch?v=x-Gh_7ocGeA
Atebass,Tino Baroza.
30 juil. 2011 - Ajouté par DVCZZ Channel
Les Têtes Brûlées - Dialogue Solo (Zanzibar) vs Bass ...
... dont la carrière a été lancée par le groupe Les Têtes brûlées. Il 2:14 est considéré comme l’un des piliers majeurs de la musiqueBi-
https://www.youtube.com/watch?v=86PECaSxMN4
kutsi. Il était à ...
25 juil. 2011 - Ajouté par DVCZZ Channel
Les tetes Brules et les Martiens - Bitkusi - YouTube
Les Têtes Brûlées - Dialogue Solo (Zanzibar) vs Bass (Atebass) vs
9:20
... et il les intriguait beaucoup ou ils invitaient le groupe pour les
https://www.youtube.com/watch?v=o6fX9qdbnuE
entendre ...
30 nov. 2014 - Ajouté par Camer-italie Diasporatv
serie tv - Les Tetes Brulees - Generique - vidéo Dailymotion
Leur musique reprend des rythmes ancestraux du bikutsi mais 1:09 mis au goût du ... le groupe de bikutsi le plus connu au Cam-
www.dailymotion.com/.../xlp8y_serie-tv-les-tetes-br...
eroun et dans le monde. ... Les Têtes Brûlées est leur premier album, avec uniquement du bikutsi.
Infos; Exporter; Ajouter à; Playlists. Generique de la serie tv LesT-
les têtes brulées du cameroun - YouTube
etes Brulees. suite. Date de publication : 05/11 ...
6:39
les tetes brulées- nadege - YouTube
https://www.youtube.com/watch?v=zOSTjPT-xsc
4:29
3 juil. 2009 - Ajouté par lpatrick74
https://www.youtube.com/watch?v=200bOz4N8uw
Groupe qui fait mal au Cameroun. ... Mix - les têtes brulées du
3 avr. 2013 - Ajouté par christian bkn
camerounby YouTube. les tetes brulées- nadege - Duration: 4:29. super titre NADEGE des têtes brûlées du Cameroun que j’ai mis by christian ...
en ... Ici des légendes de la musique mondiale, rien envier à Elvis,
Les têtes brulées Essingan - YouTube
ou qui que ...
11:46
Les Têtes Brulées - Ma musique a moi[Jean Marie Ahanda ...
https://www.youtube.com/watch?v=wOVQT1Ww21Y
6:26
9 août 2010 - Ajouté par chester555
https://www.youtube.com/watch?v=89O5DM-g67g
Les têtes brulées Essingan .... Tête Brûlé.. .... Les Têtes Brûlées-
13 sept. 2011 - Ajouté par DVCZZ Channel
Essingan (Epeme Théodore Zanzibar) [Version ...
Titre: Ma musique a moi - Album: Man No Run - Artise: Têtes
Yannick Noah et les “Têtes brûlées” dans une chanson du ...
Brulées ... Martin Maah “Cool Bass”, le seul Bassa du groupedé-
5:16
cédé aujourd’hui.
www.ina.fr/video/I00014143 Yannick Noah, Jean Marie des “Têtes Brûlées et “Les Visiteurs” interprètent une chanson du folklore camerounais. ... Têtes brûlées-groupe · Visiteurs-groupe. Live Têtes Brûlées - YouTube 8:51 https://www.youtube.com/watch?v=_KPTUJpShhQ
183
CONCEPT
Henri Guedon “ Son Tamboula” Par Jayone Ramier
TA SO M N BO C UR LA VÉ
+
BOUR DU TAM N O S E L
Né en Martinique en 1944 Henri Guedon oscillait entre musique et peinture. Grand percussionniste et spécialiste des musiques Afro-Caribéenes, il est décédé en Fevrier 2006, dans un silence méprisant comme Eugene Mona un autre artiste antillais apôtre du Tambou - ce lien entre Afrik et Amerik
184
185
CONCEPT
186
187
ART TALK FOCUS
SATCH HOYT
The musical sculptor in his spaceship
By Pascale Obolo and Satch Hoyt All images courtesy of the artist
Tambourine Chain, 2015 (3D rendering), Tambourines, mirrors, 475 x 25 x 25 cm
Inspired by art history, music and popular
ituality are all themes he takes up. Guided by
vinyl records and guitar plectrums, as well
phenomena, Satch Hoyt’s work exists in the
sound as the red thread, Hoyt’s work traverses
as drawings and paintings. These works are
plural. He subtly explores sports, gaming,
the terrain of racial and cultural identity.
accompanied by self composed sonic texts
original soundtracks, sculptures and drawing. And his work interrogates the modalities of universality through metissage and Afrofutur-
Satch has made musicality and orality base chord of his visual practice. Who is Satch Hoyt by satch Hoyt?
(sound-scapes): a form of sonic cartography to map out historical and fantastical Afro-futuristic Black Atlantic journeys - voyages from Slave
ism. The latter is a term drawn from the work of
My current works mine what I term the Afro
Ship to Space Ship. Through research, narra-
critic Mark Derky, which describes the reap-
Sonic Signifier - I argue that this mnemonic
tive, imagination, myth and fantasy I persevere
propriation of the experience of black identity
network of sound is
to contribute to the ongoing construction of a
20 century through the imaginary of science
a primary element that has kept the transna-
new all-inclusive Black cultural identity.
fiction and cyber culture.
tional African Diaspora intact. Through research
th
of African diaspora histories, mythologies and
THE UFO ARTIST:
invectives from the roots up. Refusing both
cosmologies I employ a plethera of materi-
Satch Hoyt, born in London of British and
sterile communitarianism and smug universal-
als such as boxing gloves, raw cotton, police
African-Jamaican ancestry, is currently living
ism, he redefines multiple identities on his own
batons, drum sticks, bull whips, burnt electric
and working in Berlin, Germany. He’s visual
terms. Cosmology, sports, mythology and spir-
guitars, used 1970’s tennis racquets, 45 rpm
artist and musician who investigates the
In his art Hoyt work to free politically correct
188
Splash Ride Crash, 2015 (3D rendering), Cymbals, steel, fans, 350 x 450 x 450 cm
becoming, the existence, the challenges of the
ments Satch Hoyt has composed a number
Anansie), Earl Harvin (Me’shell Ndegocello) and
African Diaspora experience through his artistic
of songs with Grace Jones; noteworthy, is 7
Dave Smoota Smith (TV On The Radio).
practice. He makes sculptures and installations
Day Weekend which is on the triple platinum
accompanied with sound, as well as paintings
soundtrack album of the Eddie Murphy movie
with Dirk Leyers.
and drawings. There is a dichotomy in the
Boomerang.
http://www.satchhoyt.com
genres that define two sides of the same coin: a
Hoyt also worked with master percus-
dual and complementary reflection on the Afri-
sionist composer Stomu Yamashta, played
can Diaspora and its multi-fold consequences.
flute on Louise Bourgeois’ OTTE, and is flautist
The sculptural trope in Hoyt’s work addresses
- percussionist in Burt Sugar The Arkestra
the facts on the ground, so to speak, of black
Chamber since 2001. Hoyt has sung and played
experience, while the drawings tap into a spirit
on numerous recordings and has recently
of fantasy, refuge, and transcendence - they are
recorded a new album in Berlin, Battlefields Of
vehicles for an imaginative journey beyond the
Peace, under the pseudonym Pharoah Dreams
obduracy and oppressiveness of history.
which includes guest musicians Julia Kent
With regards to his musical accomplish-
189
(Anthony and the Johnsons), Cass Lewis (Skunk
The album is co-written and co-produced
Elite Special, 2015, acrylic paint on vinyl, diameter 30 cm On the right page from up to down : Concil estate and Plastic bottle canoe
190
191
Notes from the Axis and Beyond: Solo #1, 2012, Acrylic on canvas, 146 x 100 cm
192
Sonic Transmission, 193 2015, 15 microphones, wood, cables, audio components & soundscape, 450 x 300 x 45 cm
The Back Beat, 2015, 3 channel video projection, 1080p 16:9, colour, soumd, audio components
194
"Celestial Vessel," 2009. RCA Victor Red Seal 45rpm vinyl records, steel, magnets, oil paint, audio components, soundscape 203 x 37 x 18 inches.
195
PLACES
LA ToutR22 monde Par Sébastien Zaegel
« J’appelle Tout-monde notre univers tel qu’il change et perdure en échangeant et, en même temps, la « vision » que nous avons. » (Edouard Glissant ) Créé en juin 2014 ,la R22 Tout-monde
férents, de multiples tentatives pour
priété et qu’ils peuvent librement
est une webradio développée par
faire entendre des formes de vie et de
publier sur d’autres plateformes.
Khiasma, née d’une collaboration entre
prise de parole. La R22 Tout-monde
plusieurs centres d’art (Le 116 — Mon-
s'envisage comme une zone de con-
Chaque mois un artiste est invité à
treuil, L'appartement22 — Rabat, le
fluence, un outil collaboratif. Lieu de
réaliser une série d’intermèdes sonores.
SAVVY Contemporary — Berlin). Elle
débat, mais aussi espace éditorial
Le projet R22 a été conçu par Olivier
met en circulation et en partage des
pour la littérature contemporaine
Marboeuf directeur artistique du centre
documents sonores de tout format,
et la création sonore, elle permet
Khiasma et Sébastien Zaegel coordina-
produits par un ensemble de contribu-
d’expérimenter, au fil des mois, dif-
teur de l espace Khiasma
teurs de par le monde. Ces documents
férentes modalités d’adresses et
sont pensés comme des archives
d’écritures du proche et du lointain.
Link : http://r22.fr - www.khiasma.net
vivantes et des ressources pour l'action.
Le fonctionnement de la webradio
Sébastien Zaegel : coordinateur
Structures culturelles et artistiques,
R22 est très simple. Elle publie chaque
du Pôle littérature à l Espace Khiasma
écoles et universités, associations,
début de mois un programme com-
artistes, chercheurs, étudiants ou
posé à partir des sons postés par les
habitants d'un quartier sont autant
contributeurs. Ces derniers possèdent
d’émetteurs, de récepteurs et de relais
chacun une interface et une antenne
qui traduisent, dans des contextes
où est regroupé l’ensemble de leurs
sociaux, politiques et culturels dif-
sons qui restent par ailleurs leur pro-
196
197
PLACES
MUSIQUEAUPOING ? COTONOUENMUSIQUE
En quête d’un Atlantique noir par Switch "Groov" Experience (Bab Musique | Musique pour l’Imaginaire) - Crédits Photos : Courtesy of the artist
Musiqueaupoing ? Est un projet de création audiovisuelle interactive pour découvrir une ville autrement, proposer de la musique dans un environnement visuel et graphique innovant, et vous faire cheminer, par le son et l’image. On démarre le voyage musical avec cotonou, métropole ouest africaine à l’énergie débordante. Á la frange de la création musicale et des arts numériques, ce projet est développé par Switch "Groov" Experience, dj, producteur et photographe, à partir d’un matériau sonore, musical et visuel original, et de la technologie émergente webaudio.
198
MUSIQUEAUPOING ? En tant que DJ et Musicien, mon
visuels originaux, qui auront pour
Par là, je ne prétends pas qu’il
support huit villes emblématiques de
s’adressait exclusivement à moi. Non, il
l’espace diasporique noir : Cotonou,
parlait à ma place, surtout.
expérience s’appuie sur l’exploration
New-Orleans, Accra, Cape Town, Fort-
Par la suite, je développais une
des musiques noires, et à travers elles,
de-France, Detroit, Manchester, Paris.
sensibilité pour la culture musicale
d’une culture caractérisée par une
Pour chaque ville/étape correspondra
béninoise, caractéristique d’une moder-
même variable participant, depuis la
un dispositif audiovisuel interactif,
nité culturelle à laquelle je souhaitais
naissance du jazz, à l’éclosion d’une
structuré autour d’une bande originale
me confronter, dans le présent, et à
musicalité commune aux commu-
sonore et musicale, illustrée par un
l’échelle de la capitale économique du
nautés diasporiques africaines de
travail photographique et/ou une vidéo
pays, Cotonou.
l’Atlantique noir (Paul Gilroy) .
originale et une librairie graphique
Pour poursuivre ce cheminement artistique, j’ai entamé, en 2013, le développement d’un projet à long
De février à avril 2013, j’ai ainsi
interagissant, grâce aux technologies
séjourné à Cotonou, métropole ouest
web, avec le son et la musique.
africaine
Ces dispositifs accessibles depuis
baignée par le Golfe de Guinée. Sur
terme intitulé musiqueaupoing ?
ce site internet donneront lieu, par
place, à l’arrière des « zems », moto-
se situant à la limite de la création
ailleurs, à des déclinaisons « live », asso-
taxis locales, ou à pied, j’ai sillonné
musicale contemporaine et des arts
ciant son/musique, projection visuelle
la ville à la recherche d’une certaine
numériques, dont la vocation est
et mapping.
musique, la localiser, la percevoir
d’interroger les liens entre musique, ville et culture populaire.
géographiquement au sein de la COTONOUENMUSIQUE
Cette démarche questionne les notions d’hybridité et de dissémina-
métropole cotonoise. Muni d’un micro enregistreur numérique et de deux
Au début résonne une musique, La
appareils photographiques (un argen-
tions culturelles, et propose, par une
Musica En Vérité de Gnonnas Pedro,
tique et un numérique), j’ai accumulé
collection de créations audiovisuelles
étoile du son afro-cubain béninois
une matière sonore et visuelle reflé-
originales, la mise en valeur des
animé d’une poésie qui frappa l’esprit
tant, de mon point de vue, le territoire
espaces et moments où s’inscrivent et
du DJ et musicien que je suis.
musical que déploie Cotonou, à travers
s’articulent ces processus culturels, à
« Je ferai en sorte de démontrer
leur conférer une matérialité ou à en
que la musique nourrit le monde »
la musique, ses signes, sa pratique et
révéler la poétique et la symbolique.
déclame ce chanteur révélé au monde
surtout le Désir qu’elle incarne.
Ainsi, il ne s’agit pas tant de
sur le tard avec le projet Africando.
la culture bien vivante que représente
Par ailleurs, j’ai rencontré
regarder, d’entendre ou de lire la ville,
L’expérience musicale et le point de vue
des musicien(ne)s, des DJ, des
des expressions musicales ou des pro-
qu’il exprime dans ce texte me toucha
chanteur(euse)s, des programmateurs,
cessus sociaux et culturels, mais plutôt
profondément.
des présentateurs radio, participé à
de révéler, par le médium artistique,
Depuis ma place, à Paris, et bien des
des répétitions, des concerts et soirées,
ce qui se trouve à leurs frontières cet
années après sa composition et son
des émissions radios et observé, plus
“endroit où quelque chose commence
enregistrement, la complicité qu’éveilla
globalement, les différentes scènes
à être” (Homi K. Bhabha).
cette chanson entre Gnonnas Pedro et
actuelles - hip hop, afrobeat, afro-
moi ne me quitta plus, les paroles de la
cubain, dance/pop music… - pour
ing? est de proposer une cartographie
Musica en Vérité acquérant valeur de
prendre le pouls des dynamiques et
renouvelée de « l’Atlantique noir »,
manifeste. Avec cette chanson, Gnon-
tendances fortes caractérisant le fait
par la création de dispositifs audio-
nas Pedro parlait pour moi.
musical à l’échelle de cette métropole
Ainsi, l’ambition de musiqueaupo-
199
africaine. Finalement, il ne s’agit pas tant de
Qui se cache derrière Switch « Groov
ers, tels que les Jazz Attitudes Parties,
» Experience ? Arnaud Simetière, alias
proposées de 2011 à 2014, à la Java, club
regarder, d’entendre ou de lire la ville,
Switch “Groov” Experience, chemine
situé dans l’est parisien. Son activité
des expressions musicales ou des pro-
depuis plus de 15 ans dans le champ
s’est également déclinée par la réalisa-
cessus sociaux et culturels, mais plutôt
musical. Son approche et sa trajec-
tion radiophonique avec une première
de révéler, par le médium artistique,
toire sont déterminées par sa pratique
expérience à partir de 2002 et le lance-
ce qui se trouve à leurs frontières, cet
première, celle d’être un dj, recherchant
ment d’une web radio à Toulouse, ou
“endroit où quelque chose commence à
et explorant le répertoire de la black
plus récemment avec la réalisation d’un
être” (H.K Bhabha).
music, tout en se situant pleinement
programme, Open Sky, sur Radio Cam-
au cœur des émergences musicales
pus Clermont-Ferrand
Au total, mon but était de saisir des formes et signes d’une modernité
contemporaines. Parce que la musique,
Il a sorti une dizaine de disques,
musicale présente ou en devenir, de
comme il l’envisage, détient une force
avec un premier album en 2009 et dif-
sentir et traduire, depuis ma place de DJ
miraculeuse, celle de contourner
férentes parutions de Ep, notamment
et musicien français, ce que cotonouen-
l’absolu du temps, qui tranche en péri-
sur Bab Musique, le label et plateforme
musique révèle de l’hybridité et de la
odes et en dates, constituant ainsi une
artistique qu’il développe depuis 2010,
circulation culturelles, caractéristiques
matière intemporelle par laquelle un
recueillant les soutiens de nombreux
communes de nos sociétés postcoloni-
dj bâtit ses narrations. Son activité de
artistes, tels que Laurent Garnier,
ales. cotonouenmusique est accessible
dj l’amène à partager des scènes avec
Nickodemus, Michael Rütten ou Gilles
librement sur le site web
de nombreux artistes internationaux
Peterson.
musiqueaupoing.com
200
et à proposer des évènements singuli-
Parallèlement à cette trajectoire
musicale, Arnaud Simetière a suivi une forma- a deux ans, il investit le champ des arts numé- Français du Bénin à Cotonou, et à Mix My Wax tion initiale autour de la ville et des études
riques, croisant des objets (musique, ville,
urbaines. Son parcours a donc été nourri
culture populaire) et des supports (image,
Check Rasta…
d’expériences de terrain et de projets de
son, musique) afin d’interroger les probléma-
Une mention spéciale pour : Jean-Claude
recherche autour et par l’objet urbain, dans
tiques hybridité et de circulations culturelles,
Mas, Frédéric Dufaux, Marie-Hélène Bacqué,
une optique pluridisciplinaire, croisant soci-
de frontières et d’interstices. Ce projet pren-
Claire Preud’Homme, Chloé Buire, Cyrille
ologie, géographie, philosophie, et études
dra la forme d’une collection de créations
Gatignol, Françoise Laronde, Laurence
culturelles et post- coloniales.
audiovisuelles interactives, appuyant sur huit
Simetière et mon “phare” Amélie Flamand.
La démarche artistique d’Arnaud Simetière villes situées autour de l’Atlantique. est également sensible à l’image, surtout l’image fixe, transcrite par la photographie.
(Bénin) ,Morgan,
équipe-projet Idée originale et auteur : Switch “Groov” Experience Co-scénarisation
Que soient ici remerciées toutes les
multimedia, conceptrice multimédia : Anna-
Emprunte d’une dimension documentaire, où personnes rencontrées (et pardonnez mes
bel Roux Prise de son, composition musicale,
la représentation du réel et du monde tel qu’il oublis), pour leur disponibilité, leur gen-
photographie : Switch “Groov” Experience
se voit, dialogue avec un univers plus imagi-
tillesse, leur aide et soutien ainsi que les
naire et onirique, sa photographie a le souci
précieuses heures passées près d’eux.
du cadre juste, de la bonne distance avec son
Merci donc à Flora Soglo et Guy Lemaitre,
sujet, avec une priorité donnée à l’argentique
Tchaye Okio, Camille Perrot, Isdeen et ses
et au noir et blanc, révélant des textures et
musiciens, Segun Ola, Eric Dagbo, Timothée,
une consistance trouvant des correspon-
Samson et l’International African Jazz, Sostein
dances avec le langage musical.
“the jazz preacher”, Sylvain Treuil, Noël Vitin,
Avec le projet musiqueaupoing ? lancé il y
201
Laura ainsi que toute l’équipe de l’Institut
Matière & informations complémentaires; http://musiqueaupoing.tumblr.com www.bab-musique.com
PLACES
«SIX VOIX DISENT LE SON,
À LA GALLERIA CONTINUA – LE MOULIN…» Hafida Jemni
Chargée d'âme et d'histoire, la Galleria Continua - Le Moulin
ou de Silvio de Sislej Xhafa. La Galleria Continua dans le cadre du
la première galerie internationale de Cuba, dans un vieux cinéma du quartier
approuve l'idée d'un art contemporain
projet « Sphères », réunit plusieurs
surgissant d’endroits non convenus
galeries internationales guidées par la
- À Paris Folia Continua @Centquatre
(renaissance d’un site post-industriel),
volonté d’unir leurs diverses énergies
du 26 septembre au 22 novembre 2015
en dehors des structures habituelles
autour d’une expérience inédite et com-
de l'art contemporain (White cube);
mune d’exposition au sein du Moulin.
et capable d’accueillir des œuvres
Est-ce pour bientôt une ouverture
chinois d' Aguila de Oro.
http://www.104.fr/programmation/ evenement
monumentales, comme Vitrage pour
d’une Galleria continua dans un pays
Sainte-Marie, travail in situ, mai 2012
de l’Afrique, les côtes et les terres sont
INFORMATIONS PRATIQUES
de Daniel Buren, ou de Silvio de Sislej
spacieuses pour accueillir et partager…
Galleria Continua / Le Moulin
Xhafa.
oui, c’est un vœu, pour poursuivre « les
46 Route de la Ferté Gaucher,
futures du monde », des cinq continents !
77169 Boissy-le-Châtel
Depuis son inauguration à Boissy-
Contact :
le-Châtel en 2007, Galleria Continua / Le Moulin a confirmé sa volonté
La Galleria Continua fête sa 25e
lemoulin@galleriacontinua.com
d’investir des territoires inattendus et
année, et confirme son multi cultural-
Remerciements :
d’y accueillir des artistes d’envergure
isme, et ce depuis sa genèse en Toscane
Elodie Maincent, Kuralai
internationale. En juin 2012, Galleria
à San Gimignano en 1990…
Abdukhalikova ainsi qu’à toute
Continua ouvre son nouveau site, le
Telle une arraignée, la Galleria Con-
Moulin de Sainte-Marie. A 800m du
tinua tisse sa toile, se déploie dans le
Moulin de Boissy-le-Châtel, Le Moulin
monde, au-delà des frontières, car l’art
de Sainte-Marie est ainsi un projet pion-
est universel.
l’équipe de la GALLERIA CONTINUA / Le Moulin, pour leur aide précieuse
nier d’un lieu d’art qui constitue une
- À Beijing en Chine en 2004 , l’une
véritable renaissance d’un site post-
des premières galeries non chinoises à
Hafida Jemni est diplômée de
industriel en campagne parisienne.
s’y établir
l’institut d’études supérieures de
Il est d’ores et déjà l’écrin privilégié d’œuvres monumentales in situ comme
- Moulin de Boissy-le-Châtel « Le Moulin » en 2007
Vitrage pour Sainte-Marie, travail
- Le Moulin de Sainte-Marie en 2012
in situ, mai 2012 de Daniel Buren,
- À la Havane en 2015, ouverture de
202
l’art, curatrice, enseigne l’art contemporain d’Afrique et sa diaspora à l’IESA Paris
Hans OP DE BEECK, Guitar, 2014 Gypse, bois, nylon 170 x Ă&#x2DC; 110 cm Courtesy GALLERIA CONTINUA, San Gimignano / Beijing / Les Moulins / Habana Ph. : Studio Hans Op De Beeck
203
Jorge MACCHI, 2 short songs, 2009 Deux photos couleur 46 x 64 x 3 cm chacune Courtesy GALLERIA CONTINUA
Pascale Marthine TAYOU, Vuvuzela Symphony, 2010 Vuvuzelas Approx. 236 x 207 x 30 cm Courtesy GALLERIA CONTINUA
204
Kader ATTIA, Untitled (Al Aqsa), 2011 60 cymbales Courtesy GALLERIA CONTINUA
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Loris CECCHINI, Stage Evidence (viola), 2006 Caoutchouc uréthane Courtesy GALLERIA CONTINUA
Shilpa GUPTA, Untitled (work in progress, 100 interviews), 2012 Installation : oeuvre audio, chaises, 2 casques audio Boucle de 3’42’’ Courtesy GALLERIA CONTINUA
206
Shilpa GUPTA, I keep falling at you, 2010 In Blandy Art Tour(s) Milliers de microphones et son radio sur plusieurs chaĂŽnes 396 x 213 x 213 cm Courtesy GALLERIA CONTINUA Ph. : Didier Barroso
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Pascale Marthine TAYOU, Crazy-Nomad-02/Globe-trotters, 2011 MatĂŠriaux divers 190 x 120 x 130 cm ; 170 x 110 x 110 cm ; 160 x 110 x 110 cm Courtesy GALLERIA CONTINUA, San Gimignano / Beijing / Les Moulins / Habana Ph.: Oak Taylor-Smith
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Pascale Marthine TAYOU, Shhhht.....!, 2007 Installation sonore : microphone, son Dimensions variables Courtesy GALLERIA CONTINUA, San Gimignano / Beijing / Les Moulins / Habana Ph. : Oak Taylor-Smith
209
CARNET DE BORD
L’Autre musique Frédéric Mathevet & Célio Paillard ©
Textes et images
L’Autre musique
L’Autre musique fait sonner et résonner d’autres musiques, tout un tas d’autres musiques, sans limite de styles, genres, catégories, disciplines. Il n’y a pas de distinction qui tiennent, nous nous intéressons à toutes les pratiques du son, des arts plastiques, de la création en train de se faire, au sens large. Nous aimons toucher à tout, et même plus, si possible. C’est ainsi que nos pratiques se développent : au contact des autres et dans toutes les directions, selon les circonstances et là où nous souhaitons nous engager. La création est un mouvement, un processus qui, occasionnellement, donne lieu à des œuvres, des cristallisations qui sont aussi des nœuds, comme le dit la ligature « œ », qui n’est que le début du mot, avant que celui-ci ne se déploie et ne donne naissance à d’autres choses, encore, des « sous-produits » (comme le disait Orozco), la création est un mouvement, un processus… La création sonore, plastique, protéiforme, polyartistique est une pratique ouverte toujours remise sur le métier, qui inclut des recherches, des expérimentations, des réflexions, des conceptualisations, des démarches artistiques, des formalisations, des jeux et tout ce que nous pouvons avoir envie d’y mettre, sans restriction.
210
Il n’y a pas de territoire des arts sonores, pas d’indigène, ni d’étranger. Créer avec du son ouvre d’autres possibilités, qui sont aussi disponibles pour alimenter d’autres pratiques. La pratique ne vise pas forcément à un résultat, c’est souvent une activité qui se suffit à elle-même, comme lorsqu’on fait de la musique, seul ou à plusieurs. Il y a des pratiques sans œuvres, mais pas d’œuvres sans pratique. Réfléchir à la création sonore, c’est aborder des problématiques qui touchent tous les arts. Penser à l’implication des corps, prendre en compte les circonstances, interroger les modes d’engagement, questionner l’opérativité du bruit… Nous parlons de nos pratiques et de celles des autres, notamment à travers des enquêtes participatives sur notre laboratoire (« Nouvelles écritures du sonore », « Once upon a time Fukushima », « Bruits »…) dans lesquelles des artistes présentent une œuvre. Les œuvres sont interprétées et réinterprétées. Elles peuvent être rejouées et produire d’autres œuvres. La création de partitions (graphiques, textuelles, interactives, polymorphes…) favorise des processus de création ouverts et appropriables.
Fondée en 2010 par Frédéric Mathevet et Célio Paillard, L’Autre musique « crée » de multiples manières : en cherchant, en réfléchissant, en discutant, en s’ouvrant aux autres et en leur laissant de la place, en diffusant, en publiant une revue en ligne, en expérimentant et en présentant ces recherches et celles de beaucoup d’autres artistes et chercheurs dans un « laboratoire » en ligne, en organisant des événements, des expositions, des performances, des concerts, des improvisations collectives, des rencontres, des discussions, en participant à tout cela, en invitant des amis ou d’autres personnes qui ne sont pas des proches, mais dont nous apprécions le travail, peu importe qui contacte qui, parfois en faisant des choses avec eux, en créant seul, à deux ou accompagnés, dans une pratique quotidienne ou lors de résidences, en transmettant, en enseignant, lors d’ateliers ou à travers des cours, en école ou dans le supérieur, en écrivant des textes, des articles, en participant à ou en organisant des colloques, en discutant, en réfléchissant, cher chant, j’aimerais que tu ne cesses jamais de raisonner !
L’AUTRE MUSIQUE
Cards piano piece # 1 (interfere) Pour piano et field recording. Dimensions variables. Les photographies sont autant de tablatures pour piano, à interpréter. Frédéric Mathevet, 2015
211
NOTER Nous avons une pratique « ménagère » du sonore et du visuel. Une gymnastique particulière qui suppose des dispositifs techniques et matériels faits d’arrangements de poche, de sacs et de stylos, pour prendre des notes, d’abord de ce qui nous entoure. Et lorsqu’il s’agit de « notation » plastique, on imagine facilement la débauche matérielle, même minimum, qu’elle requiert : appareil photo, enregistreur, caméra, carnet pour le dessins, pour l’écriture, papier à musique... Puis, les prise de notes est et reste « personnelle », voire intime. Si prendre des notes est essentiel aux œuvres à venir, l’espace de visibilité
qui leur est donné est quasi nul. La prise de notes est un sous-produit artistique, une pratique en amont de l’œuvre, essentielle, partie submergée d’un iceberg, des « petits riens » où pourtant se déploient et se constatent les motilités et les mutations de la plasticité au travail. Roland Barthes, dans la Préparation du Roman1, nous rappelle que c’est une pratique qui suppose d’avoir un œil sur la page et l’autre sur ce qui arrive. Tout le dispositif technique et matériel, préparé pour le moment de la prise de notes, permet d’ « écrire le présent en le notant au fur et à mesure qu’il tombe2 ». « Des copeaux3 de présent, 1 Roland Barthes, La préparation du roman, Paris : Seuil Imac, , 2013, p. 137. 2 Ibid. 3 « Copeau ? Oui : mes scoops personnels et intérieurs (scoop : pelle, écope, action d’enlever avec une pelle, rafle, coup de filet, primeur). Les
3 mouvements de nuages (gra-gratte ou symphonie) Ne jouez pas les nuages, soyez les nuages quand vous jouez. Célio Paillard, 2015
212
tel qu’il vous saute à l’observation, à la conscience », qui supposent de la notation qu’elle soit une activité extérieure et soudaine. « Noter », c’est tout un rituel pragmatique d’organisation de ses poches et du fond de ses poches, pour se rendre disponible au présent. Parce que la pratique de la notation, c’est-à-dire la saisie de la circonstance, attend de celui qui s’y adonne une certaine disposition d’esprit et suffisamment de temps pour en saisir le moment. Pour « noter » il faut être disponible, ce qui engendre toutes une quantité de préparations et d’agencements méticuleux qui permettront la pleine réception du présent, d’ « ausculter le grand cluster vivant ». très petites nouvelles qui me sont personnelles et que je veux “rafler” à même la vie. » in Ibid.
NOMADE « Noter » ouvre aux pratiques musicales nomades. Quand on cherche à faire coïncider le vif, le motif, le « présent comme il tombe », avec le désir artistique de faire une œuvre, la prise de notes invite à proposer de nouvelles façon de concevoir l’écriture musicale (mais nécessairement polyartistique, puisse que la circonstance est polysensorielle). Circonstancielles ou « de poche », ces pratiques musicales in situ nient la syntaxe traditionnelle. Mais l’histoire de la musique peut nous fournir des exemples d’écritures « nomades », des exemples que nous avons réinvesti dans nos pratiques circonstancielles. Daniel Charles avait déjà repéré des formes nomades de composition dans l’histoire de la musique récente. En particulier en analysant les figures du drone et du bourdon. Selon lui, le drone procède à une dé-syntaxe de la musique,
notamment lorsqu’il est associé à un ornement mélodique. La mélodie se déploie autour du drone comme axe et « dans une telle mélodie, le mouvement n’est pas syntaxique, il y a nomadisation sur place4 ». Daniel Charles trouve aussi cette « nomadisation » musicale dans l’ostinato de la rhapsodie espagnole de Ravel et dans des constructions répétitives de motif (pattern) en décalage (l’écriture contrapunctique de Steve Reich, par exemple). Pierre Boulez, dans la lecture relativement linéaire qu’il fait de l’histoire de la musique, remarque aussi la création d’objets vagues chez plusieurs compositeurs. C’est le cas de ces : accords vagues – c’est-à-dire ambigus parce qu’appartenant à plusieurs tonalités – qu’on retrouve chez Wagner (le célèbre accord de Tristan par exemple) et qui s’épanouiront à leur façon chez Malher et Shönberg. 4 Charles Daniel, La fiction de la poste modernité selon l’esprit de la musique, coll. « Thémis philosophie », Paris, Presses Universitaires de France, 2001, p. 103.
Musique MAIGRE Musique SANS MATIÈRE GRASSE, musique DÉCROISSANTE. Jouez de la musique AVEC CE QUE VOUS TROUVEZ.
Mais si l’accord vague joue sur l’ambiguïté d’une neuvième ou d’une septième pour que l’auditeur perde ses repères dans une tonalité donnée, Pierre Boulez repère aussi des accords connus mais défonctionnalisés. S’ils peuvent être nommés et classifiés, ceux-ci – plus présents dans l’écriture de Moussorgsky, de Debussy ou de Stravinsky – n’ont plus de référence directe à une matrice. Ils sont « le fruit du moment, de la rencontre instantanée5 ». Les objets vagues entretiennent une ambiguïté dans un milieu donné, au contraire des objets défonctionnalisés qui sont coupés de leur milieu. Schoenberg précurseur de la musique nomade, nommait ces objets des « accords vagabonds ». 5 Boulez Pierre, Points de repère, tome III - Leçons de musique, Christian Bourgois, p. 355.
OUVREZ LA FENÊTRE, ÉCOUTEZ FERMEZ LA FENÊTRE, ÉCOUTEZ OUVREZ LA FENÊTRE, ÉCOUTEZ Le cri de la Fougère Atelier (2013-2014) avec des enfants de l’école Le Vau (75020) mené par Hélène Cœur, Frédéric Mathevet et Célio Paillard
SORTEZ POUR ENREGISTRER DES SONS, MAIS N’ENREGISTREZ RIEN
213
ESSAYEZ D’ENREGISTRER LES CHANTS DES OISEAUX, MAIS NE GARDEZ QUE LES BRUITS DE FOND FAITES-VOUS ÉCOUTER TOUS VOS SONS LES PLUS INSOLITES, POUR VOUS RENDRE COMPTE QUE CE SONT LES MÊMES
MUSIQUE DE POCHE VIDEZ VOS POCHES ET COMPOSEZ UNE SYMPHONIE
RÉSONANCES DES REMBARDES JOUEZ SUR TOUT CE QUI MÉTELLIQUES
VOUS TOMBE SOUS LA MAIN GRINCEMENTS DES PORTILLONS ROULEMENTS DE PNEUS
214
LA HARPE
Je pose ma harpe sur la table courbe. Assis là, immobile, rempli d’émotions, pourquoi devrais-je en jouer ? La brise viendra caresser les cordes. Po-chou-i, 1er Siècle avant J.C., Chine
Toutes les partitions de cette double page in Under_score : partitions circonstancielles, extrait. Les objets sonores circonstanciés sont des prétextes à l’écriture, sur le motif, de petites pièces sonores. Frédéric Mathevet, work in progress
215
CARNET DE BORD
LA PARTITION COMME SURFACE SENSIBLE Comme surface qui reçoit, réceptionne, la partition inaugure un changement de paradigme, un déplacement de l’artiste comme posé devant le monde dont il témoigne et de l’œuvre comme une fenêtre ouverte sur le monde. Pour comprendre ce déplacement il faut faire un détour par la notion de « flatbed », bien perçue par John Cage en regardant les White Paintings de Robert Rauschenberg et en écrivant, par un déplacement intermédial et intersémiotique du côté des arts sonores, ces désormais célèbres 4’33” de silence. Le projet cagien des 4’33” laisse au contraire imaginer des dispositifs qui ne sont pas des fenêtres ouvertes sur le monde. Dans un article qu’il consacre à son ami Robert Rauschenberg,
SINGULARITÉS PARTAGÉES
13
1 Alexandra Sà D décaèdr, 2011 A On regarde autour de soi N Observation 2 Andrea Faciu Structure sine qua non, 2013 A On (se) salue N Hospitalité 3 Microsillons Commune de Montreuil, 2013 A On traduit ce qui s’est passé N Entretien 4 Sylvie Blocher Change the Scenario, 2013 A On fait attention aux participants N Altérité 5 Katarina Zdjelar In Unison, 2009, There Is No Is, 2008 A On interprète l’autre N Identité
116 GAME MIX
Découper votre bouton et placez-le sur un des coins du plateau. Choisissez et découpez votre pion. Déplacez-le où et comme vous voulez sur le plateau. Si la case comporte un numéro, jouez l’action ou la notion (A ou N) qui lui sont associées sur la colonne de gauche. Vous pouvez aussi interpréter librement l’œuvre (O). Indiquez votre choix en tournant le bouton vers la lettre correspondante. La durée de jeu est libre.
6
Si la case est vide, faites ce que vous voulez.
8
Arrêtez la partie quand tous les numéros ont été visités au moins une fois.
8 Laurence Nicola Humeurs, 2013 A On se concentre sur son corps N Décalage 9 Frédéric Mathevet & Célio Paillard Radiomaton, 2013 A On écoute les autres N Réception
10
10 Otobong Nkanga Pacifyte, 2013, Whose Crisis is this, 2013 The Dream We Could Have, 2013 A On se partage les ressources N Ensemble
4
2
12 Jagna Ciuchta Eat the Blue, 2013 A On joue avec les invités N Exposition 13 Ahmet Öğüt & tous The Silent University A On s’apprend des choses N Partage 14 L. Alexis, R. Di Vozzo, A. Dubos, C. Fouquet, S. Garbarg, R. Mahfoud, A. Meunier, A. Recalde Miranda Le QG A On réunit toutes les voix N Collectif
Si vous enregistrez une partie, nous vous invitons à envoyer la captation au 116. www.le116.net contact@montreuil.fr
11
3
11 Laurent Mareschal Bureau d’échange, 2012, Beiti, 2011 A On traduit une forme dans une autre N Échange
14
1
INVENTEZ DES RÈGLES POUR NE PAS LES RESPECTER
216
1 John Cage, « On Robert Rauschenberg, Artist, and His Work », Silence, Middletown, Wesleyan University Press, 1961, p. 102.
Préparez votre matière de jeu (sonore, visuelle, dansée, etc.).
9 5
2 Leo Steinberg, « Other criteria », 1972 reproduites dans L’art en théorie, Paris, Hazan, 1997, p. 1035. 3 Ibid., p. 1036.
Jouez, seul ou à plusieurs, cette partition d’improvisations sur Singularités partagées, après avoir visité l’exposition au 116.
6 Simon Boudvin Alianthus Altissima, 2011-2013 A On se développe à partir de l’autre N Greffe 7 Tami Notsani Sédentarisation, 2013 A On reste au même endroit N Racine
dont la position angulaire par rapport à la station humaine verticale conditionne le contenu qui s’y inscrit2. » (Leo Steinberg, 1972) Le tableau n’est plus seulement cette fenêtre ouverte sur un monde mais une surface d’inscription. « Le plan pictural en plateau (flatbed) fait symboliquement référence à des surfaces dures, comme des dessus de table, des sols d’atelier, des cartes, des panneaux d’affichage, n’importe quelle surface réceptrice où sont éparpillés des objets, insérées des données, sur lesquelles on peut recevoir, imprimer des informations, de façon cohérente ou non3. » (Leo Steinberg, 1972)
PARTITION POUR PERFORMANCES
7
12
John Cage décrit les White Paintings de la manière suivante : « les White Paintings sont des aéroports pour les lumières, les ombres, les particules1. » Les White Paintings lui apparaissent comme une autre façon de penser le travail artistique, des surfaces sensibles réceptionnant le monde les environnant, le monde « comme il tombe ». Elles donneront l’idée des 4’33” comme pièce de silence, un aéroport à poussière sonore. L’oeuvre comme une surface sensible de réception a été théorisée Leo Steinberg en développant la notion de « flatbed » : « J’emprunte ce terme au plateau de la presse d’imprimerie : “support horizontal soutenant une plaque d’imprimerie horizontale”. Et je propose d’utiliser ce mot pour décrire le plan du tableau tel que le concevaient les années 1960 – surface picturale horizontale
JOUEZ CE QUE VOUS VOYEZ, DESSINNEZ CE QUE VOUS ENTENDEZ ET RECOMMENCEZ UN PEU POUR VOIR 116 Game mix Partition et improvisation sonore de Frédéric Mathevet et Célio Paillard, 2013
REGARDEZ QUELQUE CHOSE TRÈS PRÉCISÉMENT ET FAITES-EN UN MORCEAU POUR VOTRE GROUPE Pour ensemble de percussions.
Au rythme des Mercuriales Partition de Frédéric Mathevet, interprétation de MMMRL BBQ, 2013
MIXEZ CE QUE VOUS VOULEZ AVEC CE QUE VOUS VOULEZ, ET QUAND ILS SONT BIEN CHAUDS, FAITES-LES DANSER !
Partitions pour clusters en drones Jouez l’image comme un agrégat de sons ; continuez, faites durer, tenez autant que vous pouvez. Célio Paillard, 2015
217
LES SONS SONT DES SONS DE QUELQUE CHOSE, QUELQUE PART, À UN MOMENT DONNÉ
PARMI CE QUE LES GENS DISENT, CHOISISSEZ DES MOTS AU HASARD ET METTEZ LES ENSEMBLE, POUR VOIR CE QUE ÇA FAIT Portrait collectif du 116 Installation/partition Frédéric Mathevet et Célio Paillard, 2014
LAISSEZ LES GENS PARLER ET GARDEZ TOUT, SURTOUT SI VOUS NE TROUVEZ PAS ÇA INTÉRESSANT Radiomaton Installation à activer et créations sonores Frédéric Mathevet et Célio Paillard, 2013
« (…) JE PROPOSE QUE LA RECHERCHE NE SOIT PAS LE PRIVILÈGE DE CEUX QUI SAVENT MAIS AU CONTRAIRE DE CEUX QUI NE SAVENT PAS. DÈS LORS QUE NOUS PORTONS NOTRE ATTENTION SUR QUELQUE CHOSE QUE NOUS NE CONNAISSONS PAS, NOUS FAISONS DE LA RECHERCHE » (ROBERT FILLIOU)
FAITES FACE À LA SITUATION ET TIREZ PARTIE DES CIRCONSTANCES DÉVELOPPEZ DES DÉMARCHES, INVENTEZ DES FORMES, NE TENEZ PAS COMPTE DES DIVISIONS CATÉGORIELLES
IMPROVISEZ LA BANDE-SON D’UN FILM EN TAILLANT DANS LA MATIÈRE SONORE
MARCHEZ LE LONG DU CANAL DE L’OURCQ, DE BOBIGNY À PANTIN, DÉPLACEZ LE MICRO POUR FAIRE SONNER DEVANT LA SOUFFLERIE, CE QUE VOUS Y TROUVEZ… POUR FAIRE VARIER LES NOTES TAPEZ SUR TOUT
EXPLOREZ DES QUARTIERS POUR ENREGISTRER DES SONS, CEUX QUE VOUS ENTENDEZ ET CEUX QUE VOUS JOUEZ
ARRÊTEZ-VOUS DEVANT CHAQUE TRANSFORMATEUR ÉLECTRIQUE
Twice a Movie Double projection vidéo de Marc Plas, sons de Frédéric Mathevet et Célio Paillard, 2012
CE QUE VOUS VOYEZ, POUR ÉCOUTER COMMENT ÇA SONNE
INVENTEZ UNE PARTITION ET JOUEZ-LA, OU PAS
Musiques circonstancielles expérimentations sonores de Frédéric Mathevet, Célio Paillard et Jean-Phillipe Velu, 2012
FAITES DU BRUIT ! OU PAS
Les nouvelles écritures du sonore Enquête sur le laboratoire de L’Autre musique Contributions réunies par Frédéric Mathevet
DITES-NOUS CE QUE VOUS FAITES AVEC LE BRUIT
Trout Mask Replica Captain Beefheart and His Magic Band
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Noise Enquête sur le laboratoire de L’Autre musique Contributions réunies par Frédéric Mathevet
INTERPRÉTEZ LA PARTITION AUTREMENT QU’ELLE EST PRÉVUE
listening to music throught the mouth, Nam June Paik, 1963 Nam June Paik prend la pleine mesure de l’avènement de la plasticité dans la création sonore expérimentale. Il scénarise le corps sonore comme la performance.
GLISSEZ DES OBJETS DANS VOS INSTRUMENTS
RENVERSEZ, RETOURNEZ, BRISEZ VOTRE INSTRUMENT Violin tuned D.E.A.D, Bruce Nauman, 1968 Les cordes du violon sont accordées sur ré (D), mi (E), la (A), ré (D). Bruce Nauman se filme alors avec une caméra volontairement renversée.
Incidental music, George Brecht, 1962 Une partie de la pièce de G.Brecht consiste à empiler des cubes à l’intérieur d’un piano jusqu’à ce qu’il tombe avec fracas sur les cordes.
POSEZ UNE QUESTION ET NE GARDEZ « LE PROBLÈME QUE LES RÉPONSES HORS SUJET AVEC LE BRUIT, TROUVEZ C’EST LA MUSIQUE » D’AUTRES FAÇONS (JOHN CAGE) DE PRODUIRE Lors de la première interprétation des 4’33’’ de John Cage, David Tudor DES SONS
décida d’interpréter « tacet » (« se taire », indication traditionnelle sur une partition occidentale pour annoncer qu’il ne faut rien jouer sur son instrument) en laissant fermé le couvercle du piano. Il ouvrit, puis referma ce couvercle à chaque changement de mouvement. Cette pièce John Cage a définitivement affirmé l’existence d’un « phonotope » que le créateur sonore ne peut plus négliger.
219
FAITES UN CONCERT DE RADIO, UNE INSTALLATION DE MUSIQUE ET LAISSEZ LES GENS PARLER
PRENEZ DES INSTRUMENTS ET FAITES N’IMPORTE QUOI, DÈS QUE ÇA RESSEMBLE À DE LA MUSIQUE, ARRÊTEZ !
DESIGN
POPTONES
Par Thierry Planelle Photos : Droits reservés
Thierry Planelle est directeur artistique , concepteur et réalisateur des scénographies et commissariats sonores d’expositions. « Warhol , Live - la musique & la danse » Musée des Beaux Arts de Montréal (2008) « Imagine , Peace , Yoko Ono » Musée des Beaux Arts de Montréal (2009 ) « I’m a Cliché , esthétique du Punk » Rencontres photographiques d’Arles & CCBB Rio Janeiro ( 2010 & remix 2011) « Hip Hop , du Bronx aux rues arabes » Institut du Monde Arabe (2015) « Warhol Underground » Centre Pompidou-Metz (2015)
220
“J’appuie sur ON. Les machines sont sous tension, prêtes à casser le silence.
Au début : Revox B77 ou PR 98, Nagra
”
(couper,coller,mélanger…), il est un auteur
« Révolution#9 », manifesto pop expérimen-
IV-S & micro Lem, bandes magnétiques BASF,
qui scénarise ( séquencer, éditer, ponctuer…).
tal qui déconcerta les fans des Beatles. Andy
ampli Marantz, platine Technics MK2, table de
Les fréquences et les résonances, les voix et
Warhol,
mixage Mackie, enceintes Auratone & JBL
les mots , les notes et les bruits aussi, toute
lui, souhaitait que le dernier sillon du disque
4311. Ce sont les instruments d’un certain
cette mise en ondes qui accompagne le récit
du Velvet Underground répète a l’infini la
savoir faire artisanal du son, pour graver la
de l’exposition est une écriture. Elle diffuse la
phrase de la chanson I’ll be your mirror.
matière d’un paysage sonore, celui que
En 1952, John Cage compose 4’33 de silence.
j’entends dans mes archives personnelles : les
Le pianiste David Tudor l’interprète, mais où
génériques poétiques et le voyage musical
qu’il se trouve , l’auditeur entend quelque
métissé et mixé -« chaud et froid comme les
chose. L’album « My Life in the bush of ghosts » de
années 80 »- de Radio Nova, certains éclats sonores de France Culture et de ses Nuits
David Byrne & Brian Eno (1980) est un jalon
Magnétiques.
et un repère fondamental. A cette époque
Les outils d’aujourd’hui s’appellent Protools,
,le leader des Talking Heads séjourne sou-
Cubase, Garageband, Live et quelques autres
partition de la scénographie sonore qui, avec
vent à Paris. Il est guidé dans la « capitale des
logiciels digitaux. Ils façonnent ce que nous
un peu d’écoute, d’attention ou de surprise
musiques du monde, la Sono Mondiale (« Paris,
entendons, les sons et les mélodies qui nous
,participe à la compréhension et au ressenti
an African city » dixit Byrne) par Jean François
entourent. Ils modulent peu, ils compressent
des oeuvres. Les haut parleurs comme des
Bizot, qui de clubs en maquis clandestins de
beaucoup. En gommant les fréquences
cimaises soniques, s’accrochent aux murs des
Montreuil, lui présente les meilleurs groupes
subtiles et les nuances organiques de
musées.
et chanteurs de la diaspora africaine, les
notre environnement sonore, tout devient exagérement dynamique.
Le parcours sonore d’une exposition se doit de jouer des nuances et aménager des silences.
L’ART EST ACCROCHÉ SUR LES MURS, LE SON EST SUSPENDU DANS L’AIR. Si les créations de l’illustrateur sonore
Artiste Fluxus, Yoko Ono : make music only with overtones (Grapefruit 1964). Conseil suivi par John Lennon qui expéri-
musiciens cubains en exil à Paris et les vendeurs de K7 de Barbès . Avec Brian Eno et le trompettiste Jon Hassell, ils écoutent et s’échangent les enregistrements ethno-musicologiques du label français Ocora : chants pygmées
s’apparentent au travail d’un artisan
mentera en studio en inversant les bandes
et percussions d’eau, musique classique
dans son studio et non pas d’un artiste
de l’album Blanc, jouées a l’envers, dans
indienne, grandes voix lyriques arabes,
221
gamelan balinais, kora et griots mandingues … Ces multiples univers musicaux et leurs
en témoignent les photographies de Stephen Shore ou de Steve Shapiro. Mais aussi les pochettes de disques
différences, ils envisagent de les réunir
vinyle 33 tours illustrées par Warhol, les
et les faire se fusionner dans une culture
poèmes beat jazz déclamés, les films et les
imaginaire : le concept primitif et futur-
happenings filmés in situ, les Silver Clouds
iste de Fourth World ,Possibles Musics, en
de Rain Forest , le ballet de Merce Cun-
composant, a partir de collages de found
ningham, jusqu’aux projections d’images
objects et found vocals , un funk mutant et
démultipliées des diapositives sonores du
la référence de l’ambient. Deux expositions
Exploding Plastic Inevitable, sur la bande
récentes ont joué d’un parcours sonore.
son rock pré punk du Velvet Underground.
Celui de « HIP HOP, du Bronx aux rues
La scénographie sonore de l’exposition
arabes » à l’Institut du Monde Arabe rythme
propose un cut off, un remixe qui scénarise
en BPM la scénographie avec une envie et
le récit de cette société d’artistes et invite le
un réel désir ludique. La chronologie des étapes de la culture hip hop est illustrée par une successions de mixes thématiques diffusés en effet de cascades. La spacialisation du son, travaillée en multi-pistes, rebondit de salle en salle. Le propos est également éducatif et historique : les origines du Message avec les premiers enregistrements et les archives sonores du rap new yorkais et français, le découpage et la fragmentation du son, le sampling, le verbe, le flow et son écho contemporain dans le monde arabe. C’est une mise en ondes de documentation, une scénographie sonore indissociable de l’accrochage et des oeuvres pluridisciplinaires présentées. Comment imaginer l’exposition - et la visiter - sans beats, sans musique, sans son, sans paroles ? Muette… Le Centre Pompidou-Metz a orienté Warhol Underground autour de l’effervescence créative - et déjà multimédia - de ce lieu de production artistique totale qu’était la Factory d’Andy
visiteur a être un acteur de cette scène : 15 minutes de célébrité pour lui aussi. La Factory est le chef d’oeuvre absolu d’Andy Warhol. « The opera records at the Factory were
Warhol de la fin des années 60.
mixed in with the 45’s I did my painting to, and
Le son et les musiques étaient omni-
most of the times I’d have the radio on while
présentes dans le loft de la 47e rue, comme
the opera was going, and so songs like « Sugar
222
Shack »or « Louie, Louie » where blended in with Maria Callas ’s arias ». La mixtape idéale, le ultimate mix, auxquels ne manquaient peut-être que les tambours de l’Afrique.
223
PORTFOLIO
LE SHRINE
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Texte par Camille Moulonguet - Photos : ŠAndrew Esiebo
Lorsque Andrew Esiebo parle du Shrine, il n’est pas très disert mais il va droit au but : « c’est un espace social de prise de conscience politique à travers la musique et la communauté ». Le shrine est aussi bien un temple, une maison, une salle de concert, ou une salle de réunion, c’est un lieu protéiforme, dont le dieu est unique : le panafricanisme. Le shrine est en fait le « New Africa Shrine», maison fondée en 2000 par Femi Kuti, qui a remplacé celui de son père, Fela Anikulapo Kuti, qui a brûlé en 1999. Il est placé au centre de Lagos au Nigeria dans le quartier de Ikeja, c’est une enclave de création et de contestation. Andrew Esiebo raconte que ce qui se passe au Shrine, influence sa vie quotidienne et sa manière de voir le monde ainsi que la politique notamment telle qu’elle est pratiquée au Nigéria. Un havre sonore qui appelle à la conscience politique et où en plus d’écouter de la musique, discuter, manger, on peut acheter de la littérature engagée et panafricaniste. On peut y écouter Femi Kuti chaque dimanche et Seun Kuti, son jeune frère, avec l’orchestre historique « Egypt80 », chaque dernier samedi du mois.
Andrew Esiebo est né en 1978 à Lagos, Nigéria. Commençant sa carrière en tant que photographe indépendant, son travail a couvert le développement rapide du Nigéria urbain. Il a couvert des projets et des travaux personnels sur le Nigéria, principalement, et l'Afrique de l'ouest il a gagné la reconnaissance internationale. [1]
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PORTFOLIO
JAMES WEBB À l’écoute du monde Par Camille Moulonguet Crédits photos : Bjorn Mortensen courtesy James Webb, Galerie Imane Farès.
James Webb est né en 1975 à Kimberley en Afrique du Sud. Aujourd’hui il vit et travaille à Cape Town et fait figure de pionnier dans son pays en matière d’art sonore. Il intervient dans les galeries comme dans les espaces publics et parvient à détourner le spectateur pour le rendre avant tout auditeur.
226
L’artiste raconte qu’aussi loin qu’il puisse se souvenir son intérêt pour le son. Il a commencé avec un lecteur de cassette gagné par son père dans un tournoi de golf. « Lorsque j’écoute à nouveau ces cassettes, je suis saisi par ma manière de parler lorsque j’avais 4 ans et touché par la jeune voix de mon père. Je traitais le magnétophone comme un être sensible, je m’adressais à lui par son nom et lui posait des questions. » Et puis plus tard, les mixtapes de son adolescence participent aussi à sa prédilection pour le médium sonore. Ce rapport physique au son, à la machine est très présent dans son travail. Tout se passe comme si le son devient tangible aussi bien dans ses installations que dans ses compositions. Il y a des enceintes, des appareils, des branchements et des fils ostensibles, le son et son appareillage s’imbriquent pour créer une œuvre. Son œuvre « Prayer » qui date de 2012, exprime particulièrement bien la manière dont le canal et le son s’équilibrent dans son travail. Cette installation diffuse simultanément, les enregistrements des prières de toutes les religions présentes dans la ville où elle est exposée. Des haut-parleurs sont disposés sur un tapis et le public peut se promener librement à travers l'installation. L'écoute se fait à la fois de la polyphonie des voix de tous les haut-parleurs en même temps et aussi individuellement en se mettant à genoux pour écouter une prière en particulier. James Webb explique que « le projet est créé in situ chaque fois, et les prières sont recueillies auprès de tous les différents groupes religieux opérant dans la ville hôte. » James Webb aime rapprocher, voire juxtaposer des mondes éloignés ou qui s’ignorent délibérément. Cette manière de réunir des
227
temporalités, des lieux, des esprits, caracté-
le son à l’aide de champs très différents aussi
dans quel état on erre et si les morts sont
rise on travail dont le son en est le principal
bien littéraires que cinématographiques ou
vivants.
vecteur. L’immatérialité qui lui est propre doit
encore dans un de ses derniers travaux,
certainement permettre
la voyance. Ce travail, montré au Palais de
ces rencontres, ces glissements.
Tokyo en 2011 par Rahma Khazam dans le
Cette disposition de brouiller le spectateur
cadre de « répondeur », met en scène la voix
est présente aussi dans son installation
d’un acteur aux intonations d’Orson Welles qui
« There’s no place called home » qu’il a présenté
délivre les mots recueillis
à Dresde en 2015 et dont il a initié l’itinérance
« de profundis » par le voyant. On boit les
en 2004. Il place par exemple dans un parc
paroles d’un Orson Welles autoritaire et
japonais des enregistrements de sons
cynique, plus vrai que nature !
d’oiseaux enregistrés en Afrique du Sud. Il glisse ainsi imperceptiblement
Les incohérences spatio-temporelles de James Webb se jouent du réel et créent ce
l’impossible dans le « vrai monde » et déconte-
moment d’incertitude qui fait que d’un seul
nance d’un coup notre perception du monde.
coup, tout est dans tout …
James Webb théâtralise en quelque sorte
228
On ne sait plus à quel saint se vouer, ni
229
PORTFOLIO
TOM BOGAERT
Black noise & sputnik power
© Tom Bogaert
I - Black Noise (2008) Black Noise is the soundtrack to Genocide. Black licorice candy mice cover a turntable. As the needle bumps along over their backs, it generates a rhythmic pounding eerily
pop music and hate. On a catchy tune, the star
term for silence. Sputnik Power (Egypt 2014)
DJ blared death tallies like sports scores.
Sound installation.
The title ‘Black Noise’ alludes to a blatantly racist emotional disconnect. It examines how
plausible goal for space travel and Sun Ra was
a radio frequency became a channel for crys-
fascinated by the possibility—in fact, he talked
tallized hatred. Black Noise is also the technical
about it so much that some musicians took to calling him “the moon man.” Around this time,
reminiscent of tribal drums and machine guns.
Sun Ra also claimed to have been abducted by
During the 1994 Genocide in Rwanda, the
aliens who transported him to Saturn (he told
hate radio station “Radio Télévision Libre des
this story many times with remarkable consist-
Mille Collines” (RTLM) borrowed metaphors
ency in detail). In the summer of 1969, when
from the world of aggregate animal formation
the world was excitedly awaiting the flight of
as ‘swarming’ and ‘infestation’ to stir the killers
Apollo 11, Esquire magazine asked contem-
to action with a lively mix of entertainment, Black Noise Tom Bogaert 2008 - https://vimeo.com/60742628
230
In the early 1950s, the moon became a
porary popular figures for their suggestions for the first words on the moon. Sun Ra, then at the height of his fame, eagerly penned a poem in response: Reality has touched against myth Humanity can move to achieve the impossible. Because when you’ve achieved one impossible the others Come together to be with their brother, the first impossible. Borrowed from the rim of the myth. Happy Space Age To You…. Sputnik Power (2014) refers to Sun Ra’s belief in “Pyramid Power,” the alleged supernatural or paranormal properties of the Egyptian pyramids and objects of similar shape. With this power, even model pyramids are said to preserve foods, sharpen razor blades,
© Tom Bogaert
improve health, function as idea incubators, Tom Bogaert came to art over a decade
and trigger sexual urges—among a number
born Herman Poole Blount, but changed his
of other dramatic effects. Sun Ra was a strong
name to Le Sony’r Ra after a visionary experi-
ago after practicing refugee law. His
believer in “Pyramid Power” and was often
ence led him to believe that he came from
artistic practice is organized through
seen wearing a copper wire “pyramid hat.”
the planet Saturn. From then on, Sun Ra was
long-term research projects that often
fascinated by both outer space and ancient
examine the intersection of humanism and
Egypt, and incorporation of the Egyptian sun
human rights, politics and entertainment,
god Ra into his name was the first of his many
and art and propaganda. Bogaert is cur-
invocations of ancient Egypt’s culture and
rently working on a project inspired by the
ongoing research project based on the life
beliefs. Famous for his music as much as his
apocryphal story that Sun Ra - the legend-
and work of Sun Ra that exists as a series of
eccentricity, Sun Ra’s unique sonic productions
ary African American jazz pioneer, mystic,
performances, lectures, installations, videos,
reflected his mix of new age mysticism, black
poet, activist and philosopher - travelled
art objects, and a related publication.
nationalism, Freemasonry, Kabbalah, Rosicru-
to Haiti and visited Port-au-Prince during
cianism, and other non-Western cosmologies.
his “lost years” somewhere in 1960 - 1961.
Sun Ra’s 1971 visit to Egypt, and many of the
From the mid-1950s until his death in 1993,
“Sun Ra in Haiti” will be presented at the
related works playfully insert Sun Ra’s life and
Sun Ra led a band called “The Arkestra”, which
4th Ghetto Biennale in Port-au-Prince in
legacy into the conceptual, pop, and minimal-
continues to perform its eccentric mix of free
December 2015.
ist zeitgeist of the New York art world of the
jazz, bop, and electronic music under the
1960s and 1970s.
leadership of Marshall Allen.
Background Bogaert’s “1971, Sun Ra in Egypt” is an
The project takes as its starting point
About Sun Ra The legendary American jazz pioneer, mystic, poet, and philosopher Sun Ra was
231
Tom Bogaert - Sputnik Power (Egypt 2014) Sound installation https://vimeo.com/104707091
PORTFOLIO
YOUNES BABA-ALI & ILPO JAUHIAINEN [This is a heavily edited extract of an interview between Moroccan-born artist Younes Baba-Ali and Finnish-born composer Ilpo Jauhiainen – in order to meet the adolescent idea of 2000 words]
Younes Baba Ali lives and works in Brussels (Be) and Casablanca (My). Graduate of the University of Decorative Arts of Strasbourg in 2008, and of the University of Art of Aix-enProvence in 2011, it was rewarded by the price “Léopold Sédar Senghor”, at the time of Biennial of Art at the time of the Biennial one of Art Contemporain Africain of Dakar (Sn) in 2012 and price “Boghossian”, at the time of the Competition of Art Belge “Art' Contest” in Brussels (Be) in 2014. It took part in several international exhibitions and biennial, among which “DIGITAL Africa: Future The is Now “, Southbank Cen “Strange Paradoxe”, MuCEM, Marseille (Fr); “Nass Belgica”, Botanique, Bruxelles (Be); “Where are we now?”, 5ème Biennale de Marrakech, Marrakech (Ma); “L’MAR9A”, Voice Gallery, Marrakech (Ma); “Travail, mode d’emploi”, Centrale for Contem Younes Baba Ali Younes Baba-Ali lives and works in Brussels (Be) Story Dealers, 2015, In-Situ multi-channel sound installation, 34’05’’ (in loop) Courtesy of the artist
232
I really need the presence and to involve the
which can also be thought of as a limitation or
the Moroccan-born artist Younes Baba-
public. And with sound it’s very interesting
expanding the borders of those objects.
Ali employs his sound and visual practice
because for me it’s the medium that you
as a way to examine and understand the
cannot escape, in the sense that you cannot
Based between Belgium and Morocco,
I feel myself in a kind of an extension of ‘ready-made’ but using more new technol-
current world and initiate constructive responses, glitches and interventions regarding the dysfunctions and borders, be they environmental, political or social, to offer another perspective. Ilpo Jauhiainen | When it comes to artists who often use sound in their work, not as some direct consequence of video soundtrack but as a more diverse and creative element, I’m always curious about the position of the sound in their thinking and practice. For me as composer and, well, ‘sonic artist’ if you may, sound is the most important element. But how is it for you? Younes Baba-Ali | I work with sound but I’m not focused on it, I really work as a visual artist, with sound as material and space. I don’t make compositions, for example, it’s not something I’m interested in. For me it’s more about the relation between the sound and the space and the object and the physicality. When I start a project, I don’t think like okay, I have to start with the sound, be it a sound installation or video installation. I mostly think about kind of pictures in my head, ideas that I try to concretize, and then I try to find good forms and mediums to do it. I might be thinking about making a sound piece and then it turns into a video piece, or I might be thinking about a video piece and it becomes photographs and so on.
Story Dealers, 2015, In-Situ multi-channel sound installation, 34’05’’ (in loop). Courtesy of the artist
hide yourself from it: you can hide yourself
ogy and tools. It’s also a philosophy for me
from pictures or videos, from lights – from
in a way, doing things with what you have.
process that everything becomes evident,
smells maybe – but with sound you can put
But sometimes it goes beyond that when
step by step. It’s also about how to condition a
your fingers on your ears and you still feel
you really have to think about more complex
space and the public: sometimes a piece could
vibrations or the sound but from very far away.
things. I’m not a minimalist, I also work with
I don’t limit myself: it’s really during the
be just a picture on the wall with people passing by, and sometimes there are pieces where
233
So it’s that what inspires me a lot about it. Several of your works use ready-made objects
projects that require more challenging conditions and technical support. I always try to get
to the point, the core of things, however, so it’s a negotiation between all of that: me, my relation to the context, my ideas, the overall aesthetic, the space, the public and so on. With your piece Carroussa Sonore you transformed a common object from the streets of Morocco into a mobile exhibition space. Carroussa Sonore is an object from the public space in Morocco as well as in Maghreb and the Middle East that is used to sell Koranic CDs in the streets, and it’s also an object that has imposed itself in that public space: since it’s being used to diffuse Koranic music we cannot critique it so a lot of people make use of that and they put the sound very loud. And in moving around the city, sometimes they settle in the front of the terrace, and you’re in a relation that is difficult to control: you have to accept the loudness of the sound because it’s about religious songs. The whole thing becomes sacralized – the object, the sound – which creates a kind of interior conflict. So I was very interested in this object and in this business which has led to an invasion of these objects, and also to an invasion of sound and sound pollution in the public space. My desire was to use this object as a mobile exhibition space for audible art so I used the same technology, very lo-fi: it’s DIY things made from a cart and a battery, a soundsystem from a car…recycled objects. I really liked this angle of poverty but then using it as a sound platform for public space. Then, besides working with local Moroccan artists, I invited 15-20 artists through an international open call for a selection to be diffused through this carroussa. The selection was made related to the object, the public space of Morocco, the sound and the idea of interaction and mobility…so there were different filters to think about which kind of Story Dealers, 2015, In-Situ multi-channel sound installation, 34’05’’ (in loop) Courtesy of the artist, Photo : ©Said Rais
234
pieces we could present from this object. I
the relation to the object and the religion,
can come to Brussels and find their way to
had different kinds of proposals by different
to the public space of Morocco.
live here, to adapt themselves. In Brussels you
kinds of artists from Korea, Germany, Morocco,
Migration and climate change are some
have a lot of people from the Global South:
France…it was very mixed, and each artist
of the current forces shaping our world and
Congo, North Africa, South America…and
proposed something related to the context
the future. Your piece Zinneke addresses these
they live in a very grey city – windy, cold, you
and the object. This project has since been
themes rather eloquently, through both the
know – but people find themselves in it, they
presented in Brussels, Marseilles and Helsinki, and also in London this year, with different selections of works, and how it’s experienced depends on the context. In Morocco it works because it’s the origin of the object so people have a relation with this object. I was quite amazed to see how people in Rabat seemed to be very interested in it, coming to pick and read through the leaflets etc. The Moroccan people are very curious. And there’s also a more concrete thing: you know that in the public space it’s quite difficult to do things in Morocco, this kind of intervention usually needs an authorization. And since we were near the Moroccan parliament in Rabat, there were a lot of cops
Zinneke, 2014, In-situ installation. Variable dimension. Courtesy of the artist, Photo : ©Luc Schrobiltgen
visual presentation and the sound of birds. Zinneke is an installation I did here in
try to adapt, find work and home, to build a house. So this installation and the nests for me
in civilian suits, and we were almost followed
Brussels for the solo exhibition “Brussels
are a kind of social habitation that the birds
by them because they need to control. So for
Background” at the MAAC. It’s an installa-
built by themselves: they are very big nests
me it was also a deal, you know, trying by the
tion with birds’ nests in an art space, with
– they could be in the trees but also on some
content to propose something else with this
audio recordings of their calls in the city, and
structures in the streets, bus stops, cranes,
object which is common and people know
those nests came from my landscape here
so they really install themselves wherever
it, and to see how it reacts with the city. And
in Brussels. They are the nests of parakeets,
they can adapt to the space. And so the piece
it was interesting how the authorities also
exotic birds living here in Belgium and in
presented in the gallery consists of the nests
related to this object: “what is it, what are you
Brussels specifically, which is quite strange
that are arranged around the space, so I’m just
doing, what are you selling, what are you…?”.
because the climate is completely unlike their
recreating this phenomenon from the city but
I think the relation with what we know
original. But they’ve been able to adapt to the
in an artistic space, with the sound of those
changes a lot of things, if it’s something com-
context, build their nests to live and to spend
birds being very loud, quite disturbing.
pletely different it could be more difficult to
the winters, and now they have been very
integrate. If I came, say, with some very large
reproductive due to the warming climate so
place in an old cistern in the city of El Jadida
structure with sounds and a lot of speakers,
there are quite a lot of them here, becoming
in Morocco, and consists of the voices of local
maybe I’d be stopped after 5 minutes. But
almost a disturbance to the ecosystem and
inhabitants broadcast into the space. The last
with this object which is already known and
people’s habitat…so I took this relation with
time we spoke you were still in the process of
which already has its space in the city, it’s more
these birds and their nests as a metaphor for
finding the idea to address this space, and I must
accepted. So we used this possibility to pro-
the relation with the immigration fluxes in
say I find the final realization beautiful: just voices
pose sound art from all over the world, with
Brussels; how people from all over the world
of inhabitants occupying this architecturally and
235
Your recent piece Story Dealers takes
Portrait of Younes Baba Ali with his "Carroussa sonore" ©Matteo Lonardi
visually stunning space. Yes, I was invited to go to El Jadida as part
works in a public bakery, a young street
is a choir of voices and stories echoing around
poet and a women who grew up in the “Cité
the space.
of this project about contemporary art and
Portugaise”, we rethinked together the initial
patrimony, where each artist was invited to
historical story to be able to develop and
invest in a historical monument in a city in
record their own stories, and for some of them
Morocco. El Jadida is an old Portuguese city
it come up with fictional tales about El Jadidia;
with a lot of history, there’s this old and beauti-
others told about their memories growing up
ful fortress city called “La Cité Portugaise”
in the place while others retold stories about
with a lot of beautiful buildings, like a theatre,
myths surrounding the place. The idea was to
church, synagogue and the cistern and so on
mix all these to come up with a new story, a
but which is a part inactive and even feared
new narrative about the place. I was inspired
sometimes by the local inhabitants.
by fake tourist guides that you often see in the
It’s mostly a tourist area now. So I wanted to develop a project which would invite the local inhabitants back to this historical area and perhaps reconnect them with the place. Through a local guide, a person who
236
cities in Morocco, who are trying to sell the most interesting story to the tourists. I wanted to create all this but in order for the locals to reconnect with this place again and imagine its possible future. The end result
237
ARCHITECTURE
DÉRIVE ET AFFECTIVITÉ De l’usage du son « L’histoire du modernisme a été intimement
Olivier Lussac - Crédits photos : Julien Ottavi
ney, Geoff Dugan, John Hudak, If Bwana,
avec des expériences de comportement ».
lié à la poétique, à l’analyse et à la transforma-
Francisco López, Sean Meeham, Gen Ken
tion de l’espace urbain et conséquemment à
Montgomery, et répondent aux concepts situ-
construire ce milieu et conduire à la dérive ?
une réflexion radicale entre les exigences d’une
ationnistes de dérive et de psychogéographie.
Pour y répondre, il faut conduire des enquêtes.
esthétique et d’une sociologie de la ville. » Allen S. Weiss1 Les deux CD collectifs de Geoff Dugan, présenté par Allen S. Weiss, puisent dans ces exigences, étant d’une part une expérimentation musicale et, devenant d’autre part, « des explorations situationnistes dans le champ post-moderne, la présentation de passages
Ce fut le cas en 1953 à Paris et le premier
“l’expérimentation sonore procède par dérive comme moyen d’agir sur le lieu urbain et pour y révéler des ambiances momentanées.”
transitoires à travers des ambiances variées mais se rapportant à un site spécifique… » Bref, l’expérimentation sonore procède par
Au juste, comment cette théorie peut-elle
rapport, concernant précisément ce milieu, fut écrit par Gilles Ivain (pseudonyme de Ivan Chtcheglov) et intitulé Formulaire pour un urbanisme nouveau, dont le rôle architectural principal est de modifier les conceptions de temps et d’espace, à la fois moyen de connaissance et moyen d’agir : « L’action principale des habitants sera la DÉRIVE CONTINUE. Le
Agissons par dérive. « Dérive : Mode de comportement
changement de paysage d’heure en heure sera responsable du dépaysement complet.
dérive comme moyen d’agir sur le lieu urbain
expérimental lié aux conditions de la société
[…] Plus tard, lors de l’inévitable usure des
et pour y révéler des ambiances momen-
urbaine : technique du passage hâtif à travers
gestes, cette dérive quittera en partie le
tanées. Pour inciter à une telle recherche,
des ambiances variées. Se dit aussi, plus
domaine du vécu pour celui de la représenta-
Geoff Dugan a invité des artistes à contribuer
particulièrement, pour désigner la durée d’un
tion. » (I. S. n° 1)
au projet : prendre en compte les ambiances
exercice continu de cette expérience. » (Inter-
particulières d’un site, au travers de possibilités
nationale Situationniste n° 1, 1958)
Pour Gilles Ivain, il s’agit de modifier le complexe architectural, de le changer selon
de musique concrète, électronique, électroa-
Pour expliquer et comprendre la dérive et
coustique, expérimentale et acousmatique. Il
ses conséquences musicales, il faut remonter
la notion de « construction de situations », il
s’agit de révéler l’architecture sonore acciden-
à 1952, au mouvement de l’Internationale
cherche à édifier un nouveau fondement des
telle qui enregistre la « combustion spontanée
Lettriste qui, cherchant un nouveau rapport
nouvelles constructions, avec la possibilité de
de la vie, de la quotidienneté, chaque chose
créatif en opposition à l’organisation ambi-
détourner des éléments esthétiques préfabri-
étant en contexte et le contexte étant dans
ante, demande de réapproprier son propre
qués. La critique de la rationalité architectural
chaque chose. » (Dugan) Ces deux CDs font
environnement de vie. C’est le début de
suppose alors deux idées directrices. La
appel à Chop Shop, Brian Conley, Pat Court-
l’Urbanisme unitaire, qui demande la critique
première est la recherche d’une interaction
1 Introduction aux CD Psychogeographical Dip GD013, CD The Architecture of the Incidental GD014 (GD Stereo p. o. box 1546 New York NY 10276 États-Unis Distributions: - Anomolous Records P. O. Box 22195 Seattle WA/ anomolousrecords.com - Printed Matter 535 West 22nd Street New York NY 10011 / www.printedmatter.com - RRR Records 23 Central Street Lowell MA 01852.
de l’urbanisme actuel : il faut donc élaborer
entre comportement et espace urbain, pour
« une théorie de l’emploi d’ensemble des arts
un dépaysement complet et pour un nouveau
et techniques concourant à la construction
mode de participation ludique, s’appuyant sur
intégrale d’un milieu en liaison dynamique
la dérive, définit plus haut et sur le concept de
238
la volonté de ses habitants. S’appuyant sur
psychogéographie. Et la seconde idée requiert
changements d’état, de processus de défor-
lorsqu’il enferma le public-auditeur dans une
des structures mobiles et transformables. Les
mation ou de transformation opérant dans un
pièce totalement obscure, faisant résonner
habitants ne posséderont plus de lieu fixe,
espace-temps lui-même anexact, agissant à la
des craquements, avec une certaine odeur
mais vivront de manière nomade (idée qui
manière d’événement (ablation, adjonction,
de brûlé, car il avait placé des grains de café
culmine dans les projets de Constant en 1959,
projection…) » Ou bien elles semblent « insé-
sur le sol, ce qui, en les écrasant, mettait mal à
dans le Deleuze-Guattari des Mille Plateaux et
parables de qualités expressives ou intensives,
l’aise les personnes présentes. Donc affection,
dans les fondements américain du happen-
susceptibles de plus et de moins, produites à
comme une œuvre de Wolf Vostell, pour qui
ing).
la façon d’affects variables (résistance, dureté,
le monde contemporain est une guerre, et
poids, couleur…). Il y a donc un couplage
lorsqu’il met en marche, lors d’une installation,
psychogéographie, sont des concepts étroite-
ambulant événements-affects qui constitue
une trentaine d’aspirateur en même temps.
ment liés à l’exercice de la vie quotidienne, à
l’essence corporelle floue, et qui se distingue
L’affection en rapport avec une image peut
l’intérieur de l’espace urbain, et dont la maté-
du lien sédentaire »2. Un de ces événements-
être terrible, mais celle du son, est d’autant
rialité est peut-être, selon Deleuze et Guattari,
affects fut une pièce de Benjamin Patterson,
plus déroutante, effrayante, irréprésentable.
Donc, d’une part la dérive, d’autre part la
« inséparable de passage à la limite comme
239
2 Gilles Deleuze et Félix Guattary, Mille Plateaux, Paris, Les Éditions de minuit, 1989, p. 507.
Par ailleurs, les tortionnaires de Guantanamo
le savaient bien, la fréquence et la hauteur d’une musique, de n’importe quelle musique,
« Ambiance sonore » : « Changement d’ambiance. De l’usage du
soulignons). »3 Aujourd’hui comme hier, rien ou si peu
attisent grandement la souffrance psychique
métro se dégage des impressions contra-
n’a changé en matière d’environnement de
(à l’image des assauts wagnérien d’Apocalypse
dictoires. Il peut y avoir une retenue à s’en
vie, et si les choses se sont transformées, elles
Now). Le son est une arme, lorsqu’il s’invite au
servir, à descendre sous-terre pour effectuer
assurent essentiellement, comme autre-
cri ou, à la rigueur, lorsque nous marchons sur
un parcours. Par contre, une fois installé, le
fois, des ambiances transitoires. Désormais,
quelque chose dont on ne connaît l’origine et
voyageur peut ne pas éprouver le besoin d’en
elles s’offrent bien souvent en spectacle, ou
qui craque sous nos pieds.
sortir rapidement. Paradoxalement l’espace
devenant spectaculaires, elles appartiennent
souterrain se compare à l’espace aérien. Il y
au consensus complaisant du médiatique
est la définition de la Psychogéographie :
a quelque part une contrainte qui demande
et à la masse distrayante du loisir. Mais, fort
« Psychogéographie : Étude des effets précis
effort pour être surmontée. Le changement
heureusement, les choses que nous regardons
du milieu géographique, consciemment
de situation est adouci dans l’usage de l’avion
ou que nous écoutons ne s’arasent pas de la
aménagé ou non, agissant directement sur
par des artifices, tel celui qui consiste à dif-
même manière pour tous. Au contraire, elles
le comportement affectif des individus. » «
fuser une musique appropriée à l’instant du
produisent pour chacun d’entre nous des dif-
Ce qui manifeste l’action directe du milieu
décollage ou de l’atterrissage. Ces remarques
férences ou des dérives d’une qualité parfois
géographique sur l’affectivité. » Les artistes
nous conduisent à constater qu’il y a dans
très rare.
À la fois changement et affectivité, telle
En 1956, Guy Debord a ainsi expliqué que la dérive est un passage inattendu, à travers des décors différents. C’est une transition liée à un comportement à la fois constructif et ludique, radicalement contraire au voyage (peut-être trop long et trop disposé) et à la promenade (arbitrairement courte et sans esprit ludique). Les personnes qui pratiquent la dérive doivent, lors de ce passage, se départir de leur activité quotidienne, pour s’intéresser à l’environnement. Une part du comportement procède du hasard, mais il est moins prépondérant que ce qu’on pourrait croire. L’individu sollicité dans la dérive suit le relief psychogéographique de la ville, ses pré-cités de Geoff Dugan à Gen Ken Mont-
ces similitudes une constante qui est celle du
réseaux, ses points fixes, ses flux… Le hasard
gomery ne font que restituer les sons, sans
passage d’une ambiance à une autre. Du plein
ne recouvre pas la totalité de la dérive, mais
les trafiquer, de l’univers urbain, une ten-
air à l’espace clos, presque instantanément,
invite à un laisser-aller et à sa contradiction,
sion inexprimable d’un parc désert, d’une
est une sorte d’épreuve, le sens inverse, s’il
l’évaluation et la connaissance de la psy-
décharge ou des sons répétitifs du métro,
n’est pas aussi marquant, crée un sentiment
chogéographie urbaine. Il est cependant
dans la cage de résonance qui le contient.
de même nature. On imagine que des transi-
important lorsque son usage se ramène à des
Le métro ou le terrain vague sont des entités
tions d’ambiance inversant progressivement
variantes et à l’habitude. L’analyse du tissu
informes, un milieu chaotique et difforme.
les données d’ordre sensible, pourraient
urbain se fait donc écologique. Le terrain de la
À ce propos, Pierre Mariétan a parlé d’un
constituer des modèles de passages à vivre
sentiment de rupture dans un article intitulé
autrement qu’avec le sentiment de rupture (nous
240
3 Pierre Mariétan, La Musique du lieu. Écrits de musique III, Berne, Commission nationale suisse pour l’Unesco, 1987, p. 181.
dérive est toujours déterminé en fonction de
tations de la vie et comme inconscient du
manière imprévisible, comme un possible
ses rapports avec la morphologie sociale. C’est
monde et de la ville lié à celui de l’homme.
chaos ou comme un ordre toujours produit
ainsi que de nombreuses œuvres sonores
Dans tous les cas, il s’agit d’un gaspillage
de sa propre indétermination. Tel un espace
se sont constuites : Die Stadt de Pierre Henry,
conscient du temps utile, une manière de
architectural, elles se présentent elles-mêmes
Interstitial de Geoff Dugan, The Vancouver
jouer situationniste qui cherche à briser
comme des lieux vitaux d’interaction,
Soundscape de R. Murray-Schaeffer, Ohrbrücke/
l’isolement de l’individu et qui provoque des
d’échange, de puissance économique et de
Soundbridge Köln-San Francisco de Bill Fontana
situations, c’est-à-dire des « moments de la
limites démographiques. Leur vacuité les fait
retransmission satellite en direct, 31 mai 1987,
vie, concrètement et délibérément construit
être un espace qui possède ses propres lois,
Metropolis Buenos Aires de Francisco Kröpfl,
par l’organisation collective d’une ambi-
essentiellement instables et potentiellement
CCU. Metropolis Calcutta de Klarenz Barlow,
ance unitaire et d’un jeu d’événements. » À
dangereuses. C’est aussi un espace-temps
Metropolis New York de Richard Kostelanetz,
partir de la dérive, donc, les situationnistes
paradoxal, sorte de no man’s land où une
Klanglandschaft Ruhrgebiet. Einmal Herne und
aboutissent au cœur révolutionnaire de leur
forme de contrôle remplace soudainement
Zurück de Richard Ortmann/Raimund Fleiter/
action : « création globale de l’existence » et
une autre, où l’enchevêtrement chaotique
Ralf R. Wassermann, Lingua X Tichon oder Die
détournement, dont l’origine se situe dans les
des lieux, des individus et des événements
Bedeutung des Weges de Thomas Schulz et,
théories lettristes d’Isou, alors utilisé en poésie
forme un ordre momentané. La rue, la ville
dernièrement, les travaux de Christof Migone,
comme bouleversement du sens, il devient
sont donc des espaces-temps de tension où
dans la série intitulée Hit Parade, par exemple,
ensuite subversion des valeurs culturelles et
l’énergie humaine est non seulement forcée à
celle de Montréal, où onze participants sont
esthétiques. Principalement Potlatch se veut
la régulation, mais engendrent encore toute la
couchés sur le sol et tapent le goudron du
l’ennemi de Le Corbusier, le Constructeur de
complexité de la vie.
Boulevard Saint-Laurent, avec un microphone,
taudis et prône la conservation des gares, leur
un millier de fois. Cette action sonore est
sonorité étant accentuée par les sons d’autres
amplifiée et chaque performeur choisit son
gares ou de ports. Ceci est le cas échéant
rythme et son intensité.
exactement envisageable et parfaitement
http://www.christofmigone.com/html/ projects_gallery/HitParade_Montreal. html Favorisant un lieu et une heure précise, le sujet assure une allure imprévue dans la dérive et peut même errer la nuit dans des maisons en démolition, traverser une ville en autostop les jours de grève (dérive fort probable aujourd’hui) ou traîner dans les jardins fermés au public. C’est le cas de Dugan et ses amis
enregistrable.
“La rue, la ville existent toujours de manière imprévisible, comme un possible chaos ou comme un ordre toujours produit de sa propre indétermination”
dans le parc déserté Mc Carren, Greenpoint, à Brooklyn. La dérive exige vagabondage
La rue et la ville sont par conséquent des
de l’individu et mobilité labyrinthique de
espaces tourmentés par des constructions
l’architecture, trouvant une origine dans la
marginales, où à la destruction de l’objet archi-
déambulation surréaliste : écriture automa-
tectural se substitue ce processus, lui-même
tique et jeu de hasards et de coïncidences.
inscrit en négation contre l’exaspération de
L’architecture du fortuit devient l’équivalent
l’objet (que constitue l’architecture elle-
sonore de cette écriture. Il joue des manifes-
même). La rue, la ville existent toujours de
241
Olivier Lussac est professeur titulaire au département des Arts de l’université de Lorraine, il enseigne l’histoire des arts contemporains. Il a été directeur adjoint de l’U.M.R. 8153-Ideat (Institut d’esthétique, des arts et technologies), C.N.R.S. – Paris I – Panthéon Sorbonne. Il est également expert européen pour les art, et expert auprès du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche.
ARCHITECTURE
ARCHITECTURER LE SON Par Carole Diop
Le sonore devrait être un outil important
comme un élément physique relégué à des
d’ailleurs que pour les autres sens. Il n’y a guère
dans la démarche du projet d’architecte, mais
des acousticiens. On ne parle même plus de
que dans des architectures spécialisées (salles
curieusement il n’en est rien, le rapport entre
“son” mais de “bruit”, à la connotation moins
de concert, auditoriums, opéras, théâtres,..) que
son et espace reste même incongru pour
valorisante, de “nuisance”, de ce qui occasionne
l’on se préoccupe réellement du rendu sonore
certains.
une gêne et qui est donc “nuisible”.
d’un lieu, mais c’est toujours en rapport à une
Étudié, formalisé, disséqué, l’ondulation Pour être complète, l’appréhension de
paraît ne réserver aucun intérêt autre que celui
fonction: que l’on entende bien des instruments, des voix…
l’architecture devrait faire appel à tous nos sens,
d’être vouée à se tenir en retrait, l’amplitude
mais la prolifération des images a tendance à
sonore amenée par les villes ne pouvant
privilégier la vue seule au détriment du son.
qu’encourager cette démarche. La ville est
peu de considération des concepteurs pour la
conçue pour la vue et non pour l’ouïe pas plus
question sonore tient peut être à leur forma-
Ce dernier, dans un édifice est considéré
242
Comment en sommes nous arrivés là ? Le
tion essentiellement visuelle. Les architectes
veau dispositifs d’écoute comme ces immenses
à rayon de courbure variable, puisque les
seraient-ils devenus sourds ? C’est en tout cas
miroirs acoustiques expérimentaux (de
surfaces à rayon de courbure constant créent
ce que semble penser le compositeur canadien
grandes paraboles en béton conçues durant
des endroits privilégiés de réverbérations
R. Murray Schafer disait en 1977 :
la dernière guerre mondiale sur les côtes ang-
perturbatrices. Xenakis parle alors de « nouvelle
laises, pour épier l’aviation ennemie), mais sans
architecture ». Il décide d’employer le béton,
sourds. Il a lui-même les oreilles bouchées. Aussi
jamais avoir vraiment réalisé le champ de pos-
matière qui a comme propriété principale la
longtemps que des exercices d’éducation n’auront
sibilités de données à entendre qu’il contient,
continuité et que l’on peut façonner à volonté.
pas amélioré la situation, on peut s’attendre à le
qu’il offre. Il existe cependant quelques tenta-
Il veut réaliser une « architecture volumétrique
voir poursuivre sur sa même voie.
tives (plus ou moins réussies) d’inclusion du
». La prise en compte du sonore conduit a la
sonore dans la réalisation d’enveloppes archi-
considération de l’espace. Le pavillon Philips
écoles d’architecture que pour ce qui intéresse
tecturales, comme l’emblématique Pavillon
est une coque de béton projeté au canon,
leur réduction, leur isolation et leur absorption.
Philips conçu par Le Corbusier en collaboration
cette structure a la particularité d’être auto-
Écoutez un édifice vide de tout homme. Il respire,
avec Iannis Xenakis en 1958, dans le cadre de
portante, elle n’a besoin que d’elle même
il a sa propre vie. Le parquet, les poutres craquent,
L’Exposition Internationale à Bruxelles.
pour tenir, ni colonnes, ni piliers. Cet exemple
« L’architecte aujourd’hui travaille pour des
L’étude des sons n’entre aujourd’hui dans les
les radiateurs craquettent, les chaudières
Le Corbusier envisage le pavillon comme
montre à quel point l’étude des phénomènes
grognent. Les constructions du passé émettaient
un « poème électronique », son et lumière.
et des perceptions liée au temps et à l’espace
elles aussi des sons bien à elles, mais elles ne
Il demande à Iannis Xenakis d’en concevoir
a été ré-appropriée, développée, et à quel
sauraient entrer en compétition avec les bâti-
la forme en tenant compte de plusieurs
point l’architecture désire se rapprocher d’une
ments modernes pour ce qui est de la puissance
contraintes en ce qui concerne la lumière, la
perception du temps différente en reprenant
et de la permanence de ces sons. La ventila-
superficie, des rendus d’espaces particuliers
heureusement -ou pas- des principes liés au
tion, l’éclairage, les ascenseurs et le chauffage
mais surtout le son. Xenakis doit traduire par les
sonore et au musical. Cela dit ce projet est
produisent un important volume sonore ; les
mathématiques des notions des plus diverses
encore fortement accroché à la musique,
ventilateurs et les systèmes d’évacuation de l’air
dont la recherche d’une qualité de diffusion
même s’il n’est pas une salle de concert, et
dégorgent des masses incroyables de bruits dans
optimale pour la lumière ainsi que pour le son
on est encore loin d’un bâtiment capable de
les rues et dans les allées mêmes qui bordent les
et c’est justement là que ce projet devient inté-
musicalités propres. Ce serait plus un lieu dans
immeubles. »
ressant puisqu‘il ne s‘agit pas de construire un
un lieu que l’on traverse et dans lequel on vit
simple auditorium, Xenakis parle plutôt d’une
une véritable expérience auditive et visuelle.
Ainsi donc le son, ou plutôt le bruit, « redécouvert » en 1948 par la musique con-
sorte de parcours sonore. La prise en compte
En conclusion, même si des architectes
crète est loin d’avoir conquis sa reconnaissance.
du son dans une salle induit l’emploi de sur-
comme Iannis Xenakis, Daniel Libeskind, Peter
On l’utilise c’est vrai, on expérimente de nou-
faces spécifiques, des « surfaces gauches »
Cook ou encore Steven Holl ont proposé des
243
idées innovantes, reprenant heureusement - ou
Il semble nécessaire que l’état intervienne
pas - des principes liés au sonore et au musical,
pour motiver la mise en place de projets tou-
peu de choses ont été réalisées et tout reste à
chant à l’architecture sonore.
faire. En effet rares sont les concepteurs qui on su créer des espaces architecturaux qui ne sont plus seulement des espaces de la seule perception visuelle, mais qui génèrent le propre son. Pourtant Il est possible de construire avec et pour le son. Les outils se perfectionnent de jour en jour et le vocabulaire associé s’enrichit de même. Grâce à l’évolution des arts sonores et de l’architecture, c’est également la perception de notre environnement qui s’ouvre vers de nouvelles voies esthétiques, sociales. Reste à convaincre le maître d’ouvrage, pouvoirs publics ainsi que commanditaires et opinion publique et donc politique …
244
245
EXHIBITION REVIEW
AFRIKADAA Silence break on-air Photos© Olivier Ouadah /Fondation Cartier pour l'art contemporain – Texte par Afrikadaa
Créée à l’initiative de la revue culturelle,
lors de temps d’antenne quotidiens aux
le voyage interstellaire constitua un moyen
artistique et politique Chimurenga, la Pan
cours desquelles ils accueillaient chacun une
de poursuivre la quête de connaissance et de
African Space Station (Cape Town, Afrique
sélection d’intervenants composée d’artistes,
questionner par la même occasion l'Afrique
du Sud), station de radio en ligne fondée
d’auteurs et de musiciens venus d’Europe
du Futur.
par Ntone Edjabe, qui en assure également
et d’ailleurs pour faire résonner leur image
la programmation artistique, investissait la
sonore de l’Afrique contemporaine.
Fondation Cartier pour l’art contemporain en
C'est dans ce cadre et sur invitation de
De nombreux artistes, performeurs et acteurs du monde l'art ont fait l'honneur de participer à cette carte blanche :
septembre dernier, dans le cadre des Soirées
Chimurenga que Afrikadaa proposa Silence
DJ Reyz, Nadia Yala Kisukidi, Lord Eraze,
Nomades de l’exposition Beauté Congo – 1926 -
Break On-Air, une programmation conçue
Christiane Prince, Pascale Obolo, Celio Paillard,
2015 – Congo Kitoko.
spécialement pour l'occasion.
Michele Magema, Louisa Babari, Kin Kitoko,
Chaque jour, de 16h à 22h, des person-
A travers sa programmation artistique
nalités, acteurs et penseurs du continent
Afrikadaa proposa aux publics un voyage à
africain, ont animé leurs propres émissions
travers l’espace. Cette forme de narration sur
246
Claude Grunitzky, Jephthé Carmil, Fabiana Souza
247
248
249
EXHIBITION REVIEW
FAHAMU PECOU, Ombres, sons et lumières Texte par Lauren Ekué - Photos : Courtesies de l’artiste, Backslash Gallery (Paris)
Quand un peintre emprunte aux djs leurs techniques allant de l’utilisation de samples, aux mixages, on assiste à un étonnant processus d’appropriation littéraire et musicale au sein du genre pictural. Gros beats, imagerie populaire Hip Hop vs néo-négritude se mettent au diapason pour amorcer les nouvelles notions de la masculinité noire au travers d’autocongratulations picturales. Alors, to bling or not to bling?
250
11 juin caniculaire. Backslash Gallery.
Contagion oblige. Un pan du vestiaire ghetto
Le vernissage de l’exposition I know why
fabulous est devenu par effets d’imitation,
bonnement éradiqué. Des tubes et de la gouache. L’allégeance
the caged bird blings, rameute la faune estudi-
celui de la jeunesse urbaine noire et habille
de Fahamu Pecou au double H, offre
antine afro-américaine en goguette à Paris.
désormais bien au-delà. Slick Rick fut le propa-
un nouvel écho à cette culture en voie
gateur de la tendance. Depuis, les rappeurs
d’institutionnalisation par l'establishment.
valent leur pesant d’or. Pas de vie flambée
Cannibalisation oblige. Le Smithsonian, Musée
sur refrains diamantés sans parures lourdes
National d’Histoire et de la Culture afro-amé-
les recoins. Alors que la silhouette familière du
et dispendieuses. Pour nos médaillés d'or, "le
ricaine, se targue de posséder une douzaine
journaliste Hip Hop, Hervé Epée, tranche au
terme "bling-bling" serait une onomatopée
de pièces provenant de la collection de Slick
milieu des étudiantes archi-sapées, les com-
jamaïcaine évoquant le bruit des chaînes et
Rick. En 2013, Jay-Z mute en œuvre d’art à la
mentaires admiratifs vont bon train. Fahamu
des bijoux qui s'entrechoquent. Plus qu'un
Pace Gallery (NYC), lors d’une performance de
Pecou, l’artiste afro-américain, est également
signe de réussite sociale, le" bling-bling "écrit
six heures, inspirée de l’œuvre de Marina Abra-
chercheur en sciences sociales - sa thèse de
David O’Neil dans Explicit lyrics est le symbole de
movic pour le lancement du titre Picasso Baby.
De superbes femmes stylées, aux coiffures recherchées prennent d’assaut l’espace. Ça cause en ‘cainri’. Ça ‘Brooklyn’ dans tous
doctorat porte sur l’imagerie de l’homme
Re-cannibalisation.
noir à travers le personnage de Kanye West.
Dans ce contexte,
Il convoque régulièrement les icônes de la
difficile de vrai-
culture populaire afro-américaine avec une
ment comprendre
couche de vernis hype, le tout baignant
que le cri fluet de
dans un cool et une black consciousness
l’oiseau en cage
fièrement revendiqués. Pour cette troisième
est probablement
expo au sein de la galerie parisienne, Pecou
plus libérateur
réduit la toile à un simple instrument
que les timbres
relégué au rang de médiateur. Il convoque
virils à la Rick Ross.
l’inestimable esprit des platines et table de
Voix rauques.
mixage à l’ancienne sur un mode néo-new
Voix fauves. Voix
school. Résultat, il investit corps, souplesse
chaudes. Cette
et félinité dans ses œuvres, ce qui rejaillit sur
jeunesse urbaine
l’amplitude et le contrôle de ses mouvements.
la fierté du nigga qui a réussi sans cesser d'être
devrait se délester du bling trompeur des
Grosses basses et décibels ont dû souffler
ce qu'il est. [...] Ce sont des chaînes d'esclave
colliers XXL, des grillz et des disques d’or. Le
dans l’atelier donnant du volume aux coups
transformées en or. Une imagerie de la revanche
lumpenprolétariat noir US, devrait s’alléger
de pinceaux. Le style perso de l’artiste est du
où les dents dorées rendraient hommage à celles
en laissant fondre les dorures superficielles
genre affirmé, avec chemise soignée et coif-
arrachées aux esclaves, et les baggys tom-
réclamées par l'autel du paraître, aux profits
fure conceptuelle, à la Lumumba. Son allure,
bants aux prisonniers sans ceinture. Des signes
de valeurs moins consuméristes. Un retour
pourrait le faire passer sans ciller pour un
d'humiliation détournées en symbole de fierté."
aux sources de la négritude, permettrait aux
musicien, et même une star du Hip Hop.
Toutefois, ces trésors conduiraient à renforcer
multi-accessoirisés, de déduire à l’instar des
les stéréotypes sur les jeunes noirs arborant
alchimistes et des meilleurs MCs, qu’elle est le
de l’énergie flamboyante du graffeur et la
un look streetwear. L’issue peut être fatale,
chaînon manquant, l’élixir de longue vie. Parce
rythmique du disc-jockey, continue à se
comme ce fut le cas pour le jeune Trayvon
que tout ce qui brille, tout ce qui flashe et qui
mettre en scène. Cette fois, les autoportraits
Martin en 2012. Hélas, le racisme ne se limite
miroite vient de profondes racines. Ce goût
glorifient la force des prescriptions stylistiques
pas à une histoire de fringues et de bijoux
du faste pour les précieux carats d’or et de
venues de la culture Hip Hop grand public.
tape-à-l’œil, sinon celui-ci serait déjà tout
diamants, se rencontre chez de nombreuses
Pour cette nouvelle série, le peintre doté
251
royautés séculaires d'Afrique de l'Ouest,
plus diversifiés et introspectifs. West, la muse
si tapageur qu’il en paraît suspect, ne résume
notamment les Akan et les Ashanti, qui ont
à l’identité visuelle moins caricaturale serait à
pas à lui seul le rap et encore moins l’ensemble
toujours fétichisé l'or, comme ailleurs sur le
l’origine d’une révolution du veston et donc
de la culture Hip Hop. Toujours se fier au
continent. Et si ces énormes chaînes torsa-
de la masculinité noire. ‘Mouais’, disons surtout
chronomètre géant de Flavor Flav à l'heure où
dées, les dookies, n’étaient qu’un hommage
que West est un fils de bonne famille comparé
50 Cent se déclare en faillite personnelle.
des plus rutilants à l’Afrique ? Que le métal
au pedigree d’un bon nombre de rappeurs.
demeure alors toujours philosophal. On atteint tout de même les limites de la technique du retournement de stigmate, en se rappelant la posture de Chuck D du groupe Public Enemy qui condamne fermement les diamants de sang et les pillages des ressources minières
Franc du collier, Curtis Jackson, avoue ne pas rouler sur l’or. Il loue breloques et grosses
"L’allégeance de Fahamu Pecou au double H, offre un nouvel écho à cette culture en voie d’institutionnalisation par l'establishment"
africaines. Et toc !
bagnoles. L’egotrip de Fahamu Pecou apparaît dans ses autoportraits. Il produit une œuvre aux dimensions introspectives et cathartiques. A la fois conscient de sa réussite et son évolution dans des milieux réputés élitistes comme le monde universitaire et celui de
Sur la toile, là où la radicalité du noir
Pecou ambitionnerait une nouvelle
s’empare de tableaux d’où s’échappent des
approche pour déconstruire les clichés et
authenticité et sa proximité avec les valeurs
splashs d’or, jaillit une lumière qui semble tout
les stéréotypes sur le corps masculin noir.
du monde noir urbain, un peu comme Kanye
droit sortie de la prison a-dorée, cette installa-
Jusqu’aux bouts de ses pinceaux, il investit l’un
West. Ils sont les « Niggas » qui ont réussi sans
tion oscillant entre douceur et féminité.
des champs qui agite l’élite créative et intel-
cesser d'être ce qu’ils sont. Cependant, à l’insu
La jolie petite cage et le chant de son
lectuelle afro-américaine et celle des diasporas
du peintre, son récit plastique témoigne de la
oiseau, reprennent l’un des titres phares de la
noires disséminées en Europe, l’Afrique ayant
dominance sociale et de l’opportunisme de
bibliographie de Maya Angelou, romancière,
peu voix au chapitre sur le sujet pour diverses
cette intelligentsia restreinte pour le fascinant
figure tutélaire et militante pour les droits
raisons. Fahamu Pecou sera commissaire
lumpenprolétariat noir. S’imaginer portant les
civiques. Cette grande dame, convoquée
d’une prochaine exposition au Zuckerman
habits des uns par mimétisme, concocter un
outre-tombe, incarnait la voix profonde de
Museum of Art (Atlanta). Rites, construite aut-
discours séduisant les autres par conformisme
l’Amérique Noire. En septembre 2014, un
our de la masculinité noire avec des plasticiens
sociétal ou appât du gain, devient aussi
album posthume comprenant 13 chansons,
comme Jon Goode, Robert Hodge, Alexis
un credo pour renforcer la néo-négritude
intitulé Caged Bird Songs, fut publié en y
Peskine et Cosmo Whyte, (du 22 août au 6
d’une classe sociale et ses idéologies sur une
intégrant ses poèmes à des beats hip hop.
décembre 2015).
autre. Peut-être que les bourgeoisies noires
De son côté, Kendrick Lamar, a enregistré
Sauf qu'en reprenant le rap " or et biftons",
l’art. Il souhaite probablement démontrer son
connaissant le poids de son éducation, or,
une version de Still I rise, tirée de l’œuvre de
l'artiste s'enferme lui aussi dans un goût sté-
valeurs, efforts et résistances, flairent vite les
la poétesse. Toutefois, Kanye West est le
réotypé pour les versants le plus outrageux,
supercheries du star-system. Les rappeurs,
rappeur qui hante le plus souvent l’imaginaire
calomnieux, grotesques et tristement com-
capitalistes et individualistes, à l’image des
de Pecou. En 2011, sa précédente exposition
merciaux de cette musique autrefois rythmées
sociétés occidentales contemporaines,
Negus in Paris reprenait directement le Niggas
par les scansions rageuses, les aphorismes
fantasment sur l'opulence et ses signes
in Paris de Jay-Z et Kanye West, en référence
brillants, les contestations franches et les
distinctifs. Cependant, pourquoi parer le
à Un Nègre à Paris de Richard Wright et James
block-partys à l’esprit presque bon enfant. De
corps d’une petite fortune serait une pratique
Baldwin. Le rappeur qui cherche la reconnais-
nombreux artistes Hip Hop, notamment les
sociale plus condamnable que celle de
sance absolue des mondes manucurés (et
plus baignés par le militantisme noir, les plus
collectionner l'œuvre d’un artiste coté dans
peu virils) que sont la mode et l’art, élabore
conscients et novateurs, n'ont jamais collé à
son salon ? Le peintre sait-il qu'il vit également
une personnalité plus complexe, aux textes
cette esthétique. Le rap mainstream, au luxe
dans un monde de vices, de bluff et de
252
spéculations ? Dans le registre peintre dévoué à la cause Hip Hop, Kehinde Wiley, se prête moins aux injonctions paradoxales. Ce dernier inclut une dimension post-coloniale aux couleurs de son travail genré. En descendant la rue Notre-Dame de Nazareth, des portraits de Jimi Hendrix par Donald Silverstein s’échappent de la galerie Stardust. Il y a déjà eu des Afro-américains, fièrement sortis de leur cage avec rage, allure, et envergure. Conscious black men with fly new sneakers/both styles came from us, sifflerait à tue-tête KRS-ONE sur le morceau 5%. Tout est question d’alliage. Homme, race et classe.
Morceaux choisis Public Enemy- Don’t Believe The Hype. KRS-ONE -MCs Act Like They Don’t Know. Jay-Z feat. Rick Ross - Fuck with me you know I got it. Jay-Z –Picasso Baby Juvenile feat. Lil’Wayne - Bling Bling The Lox feat. Lil’Kim & DMX - Money, Power, Respect.
Lauren Ekué, romancière, essayiste, kiffeuse de sapes et de sons. Dernière publication, Appellation d'origine contrôlée in Novel of the world, Exposition Universelle de Milan 2015.
253
EXHIBITION REVIEW
LIBÉRER LES CHEVEUX, MARQUER LA PEAU, DANSER LA MORT Par Aurélie Leveau
USA Extraits du film You Can Touch My Hair, d’Antonia et Abigail Opiah, 2013 // © un’ruly.
4 5 2
Afrique plurielle est une installation conçue
plus la symbolique de l'œuvre et le message :
voix, permet de prononcer des mots-clés qui
spécialement pour l'exposition chefs-d’œuvre
faire fonctionner, à l'unisson ces éléments a
vont ouvrir une porte de perception. La voix
d'Afrique du Musée Dapper. En ouverture, et
priori hétéroclites.
a aussi sa propre musique, et pour les deux
avant que les visiteurs découvrent les pièces
premières parties j'ai choisi justement de créer
incroyables des arts africains, certaines datant
bat sous jacent, du message intrinsèque, et de
un écho sur le son, pour que le visiteur ait
du IXe siècle, j'avais envie de me demander
la force de chaque partie.
l'impression que le son, et donc les images et
quels étaient aujourd'hui les liens qui pou-
"Libérer les cheveux", aborde le carcan
ses sensations, proviennent et se répercutent
vaient exister entre tradition et modernité en
parfois imposé des tresses ou des extensions,
sur tous les murs de l'installation et accentuent
Afrique et leur relation aux afro descendants.
en présentant également la libération du
l'impression d'immersion. Comme un bébé
mouvement Nappy.
dans le ventre de sa mère qu'on imagine
L’Afrique, racine du Tout, dans un monde contemporain qui bouge à toute vitesse, avaitelle perdu de son identité ?
Il fallait avoir une transition dans le son
entendre tous les sons in utero, l'écho doit
pour partir des tresses et arriver à un mot fort,
aider le spectateur à perdre ses repères
Tout n'est que transformation et adapta-
incarnation de liberté : Nappy. Nina Simone,
conscients, se laisser prendre à autre chose.
tion… La vitalité et le cœur demeurent et sont
sa voix, son engagement ont de suite incarné
partagés par des hommes et des femmes
la libération de ce carcan de diktats, qui se
été une réelle découverte. Il a été enregistré
dont les pratiques et expressions sont en
retrouve différemment en Afrique et aux
par l'opéra de Sydney : « Didgeridoo meets
quête d'identités individuelle ou communau-
Etats Unis. La chanson "Aint got no, I got life"
orchestra » (Le didgeridoo en communion
taire. L'installation Afrique plurielle est un
fort de ce timbre de voix unique, de ce mes-
avec un orchestre). Avant même d'écouter
triptyque :
sage universel se conjuguent parfaitement.
le son, son titre laisse supposer sa volonté
Un son fondamental de l'installation, a
-
Libérer les cheveux
Au-delà, de la chanson et de ses paroles, le
de bousculer les genres, d'être une expéri-
-
Marquer la peau
spectateur écoutant de façon consciente
mentation sonore. Le son du didgeridoo est
-
Danser la mort
ou inconsciente, va percevoir le combat et
universel. Si vous l'avez déjà écouté vous res-
l'engagement de l'artiste. Cet engagement
sentez cette vibration ancestrale, cette onde
ment sur trois murs pour une totale immersion
et cette rage de liberté vibrent et se trans-
qui semble venir du plus profond de l'être
du spectateur. Le montage est composé de
mettent au visiteur, lui permettant de ressentir
humain. Brute et pure, cette sonorité exalte
sources très diverses : vidéos d'archives du
davantage la matière des vidéos.
la partie "marquer le corps". Qu'il s'agisse de
L'installation vidéo est projetée simultané-
CNRS vieilles de plus de cinquante ans, photos,
Le son est une clé de lecture qui oriente
photos de prisonniers tatoués dans une prison
extraits de films, performances d'artistes
le spectateur dans l'installation. Une même
en Afrique du Sud d’Araminta de Clermont, d'
contemporains.
image peut faire ressentir des choses diffé-
une vidéo présentant les scarifications d'une
rentes. La morceau de Nina Simone suggère,
statuette Kuyu du Congo, cette onde sonore,
installation qui réunit des documents visuels
soit au travers de la culture personnelle de
qui ne ment pas et ne se cache pas, met à nu
si différents ? Et qui aborde trois thèmes,
chacun, soit au travers d'un sentiment propre,
le corps et le message de chacun.
proches dans leur symbolique, mais si éloi-
l'orientation d'un ressenti.
Comment envisager le son dans une
gnés dans leurs expressions ? Avec un seul son pour trois vidéos projetées simultanément ?
Pour introduire chaque partie du triptyque
Enfin, le son peut être identification, comme c'est le cas dans la dernière partie de
de l'installation, et permettre à chacun de
l'installation. Une messe en Wolof convoque
rentrer dans l'œuvre au début ou de "transiter"
un caractère solennel, qui se lie directement
deux œuvres contemporaines qui font parties
entre chaque partie, le choix de quelques
à la mort dans l’inconscient de tous et permet
de la vidéo : la performance de Zachary Fabri
secondes de silence et de la voix est apparu
au spectateur d'être happé par cette dernière
et celle de Sondra Perry.
comme une évidence. Le silence puisqu'il est
partie : danser la mort.
Le son du silence avait été choisi pour
Mais le son est un liant, un vecteur, un élément fort, qui a pour but de traduire encore
255
Le son se doit aussi d'être le reflet du com-
évident dans le changement de rythme et
Peut importe que l'on parle le Wolof ou
qu'il est utilisé depuis toujours. La voix, ma
pas, les codes de la messe et les tonalités sont
Artiste et administratrice général au
universelles.
musée Dapper, passionnée par l'image
Ainsi le son, qu'il soit musique, silence ou voix, est une composante essentielle d’Afrique
(photos et vidéos) et le rapport à l'objet,
plurielle. Il permet de mieux entendre les
ses créations interrogent une autre vision
images, de créer une suspension du temps
de notre monde contemporain et le lien
et de mettre un peu à distance la perception
que nous entretenons avec le passé. Elle
consciente du spectateur pour aller toucher
s'emploie à developper le musée Dap-
à quelque chose de plus primaire, qu'il doit
per (un espace d'arts et de cultures pour
ressentir au plus profond de son corps,
l'Afrique, les Caraïbes et leurs diasporas) à
comme le ressentaient et le ressentent encore
l'étranger, pour permettre une meilleure
les hommes et les femmes qui partagent ce
connaissance des arts africains tradition-
même rapport au rituel.
nels mais également de l'art contemporain africain.
Exposition Chefs-d'œuvre d'Afrique au musée Dapper 35 bis rue Paul Valéry 75116 Paris Ouvert tous les jours sauf mardis et jeudis Nocturnes les vendredis et samedis soir jusqu'à 22h www.dapper.fr Playlist d’Afrique plurielle Pata Pata de Miriam Makeba I got no, I got Life de Nina Simone Didgeridoo meets orchestra de l’orchestre de l'Opéra de Sydney Messe du cap des biches de Julien Jouga (Wolof no 1)
"Le son est une clé de lecture qui oriente le spectateur dans l'installation. Une même image peut faire ressentir des choses différentes. La morceau de Nina Simone suggère, soit au travers de la culture personnelle de chacun, soit au travers d'un sentiment propre, l'orientation d'un ressenti.
"
Aurélie Leveau
256
Extrait de la performanceForget Me Not, as My Tether is Clipped, de Zachary Fabri, 2012 © Zachary Fabri.
Omar, photo de la série « Life After », d’Araminta de Clermont, 2008 © Araminta de Clermont.
257
EXHIBITION REVIEW
LES ON-OFF DES RHÉTORIQUES SONORES ET DES VOIX
Find your own balance, your own focus ! Par Hafida Jemni
Cette 56e Biennale internationale d’art contemporain présidée par Paolo Baratta et dirigée par Okwui Enwezor, accueille des artistes issus des cinq continents. En tout 53 nations, 136 artistes réunis, dont 89 exposent sur la Lagune pour la première fois. Un non-conformisme affiché, on y compte 35 artistes africains, soit 25% des participants. Plusieurs d’entre eux, font l’usage du médium SON, offrant un parcours avec une symbolique de leur engagement, et chargé d’émotion. Tous les futurs du monde « All the world's
ère d'anxiété », que les artistes présents ont
futures », est le thème et la recommandation
su capter et traduire en toutes sortes de nar-
de Paolo Baratta, le président de la Bien-
rations.
nale, « instruire une nouvelle approche de
De son côté Okwui Enwezor avait lancé
sa métaphore lors d’un parcours dédié ! Les voies d’accès aux œuvres, permettant une déambulation personnelle, à la rencontre du sentier sonore. Les artistes, ayant exploité
la relation entre l'art, les artistes et le cours
lors de la même conférence de presse « Find
le médium son, ont croisé les imaginaires
actuel des événements », en tenant compte
your own balance, your own focus ! », une
pour en étayer toutes les facettes.
des « bouleversements radicaux intervenus
invitation à se saisir de ce que les artistes
ces vingt dernières années », tant au niveau
invités, nous composent comme « écoute de
d'œuvres engagées, comme la lecture
sociétal que technologique, économique ou
notre monde ». Soit ! Okwui Enwesor dénonce
publique du Capital de Marx, l'installation de
environnemental.
la glorification du capital par le monde de
Thomas Hirshhorn, les Fine de Fabio Mauri
l’art, il a pris appui sur des (voi(x,s), la voie (en
et d’autres comme les peintures de Kerry
blessures profondes », basées sur des « iné-
tant que création sonore), et celle porteuse
James-Marshall et de Chris Ofili, les Crânes de
galités » , pour un « futur incertain », souligne
de parole, la voix (réciter le capital/Curatorial
Marlene Dumas, et bien d’autres, font écho.
Paolo Baratta lors de la conférence de presse
Platform).
« Le monde affiche des divisions et des
de la Biennale. Malgré les énormes progrès
Le choix balance vers une audience à
faits dans la connaissance et la technologie,
travers des partitions mêlées, que les visiteurs
« nous sommes toujours engagés dans une
tentent de déchiffrer ! Afrikadaa, relève le Son,
258
Au pavillon international où, un choix
Courtesy Biennale de Venise 2015 Photo : David Freeman
THE SOUND IN ALL THE WORLD’S FUTURES
politiques. Une volonté affichée par Okwui
le traduire au cinéma a été établie à cette
À L’ARSENALE
Enwezor, qui en pleine possession de l’usage
occasion.
du monde, privilégie un art engagé, voire Du bruit à l’Arsenale, il y en a, d’une abondance diffuse, mêlant mouvement,
militant ? « Le Capital » de Karl Marx, en quatre
Certaines œuvres inédites, tandis que d’autres, sont le témoignage de temps forts, comme Walker Evans, dont on peut admirer
variations d’amplitude, texture, respirations,
volumes, lu en anglais à voix haute et en con-
les photographies de fermiers américains
des dispositifs scéniques, qui incarnent les
tinu. Sa visée est de convoquer ses résonances
dans les rudes années 1930, Chris Marker,
éclaireurs de cette déambulation sonore.
dans l’histoire de la pensée, et du monde,
dont on peut voir le film fait à l’occasion de
Okwui Enwezor prend soin d’ordonner des
depuis sa parution en 1867. Une mise en avant
la chute d’Allende au Chili. Okwui Enwezor
mondes, et met à notre portée des artistes
d’un texte inattendu, car chaque matin, une
rappelle ainsi qu’en 1974 la Biennale avait été
qui ont répondu à l’appel en levant la voix,
lecture, en continu dans une programmation
fortement politisée et dédiée au Chili en un
celle sans frontière territoriale, présentant une
à l’Arena, le pavillon central, mis en scène par
geste de solidarité. Toutefois, le marché de l’art
porosité des pratiques disciplinaires !
l’artiste britannique Isaac Julien. Il est l’auteur
amoral est gouverné par des règles indemnes
en 2013 du film Kapital, et dont on peut aussi
de toute prétention militante ou éthique.
Des œuvres inédites ou pas, des territoires, des savoir - faire, des extensions imaginaires
voir une installation vidéo, toujours sur la por-
avec des obsessions, des questionnements
tée de l’ouvrage fondateur du marxisme.
intimes, des voix, des chuchotements, des
Une version courte (9 heures) du film de
Adkins Terry Roger (1953-2014) : artiste conceptuel, sculpteur et saxophoniste amé-
formes, des images en mouvement, des ritu-
l’Allemand Alexander Kluge est dédiée au
ricain créa des sculptures « aussi éphémères
els de « Tous les Futurs du monde » , résolument
même livre et aux tentatives d’Eisenstein de
et transitoires que la musique » et des œuvres
Courtesy Biennale de Venise Photo : Daniel Lesbaches
260
d’art mêlant musique et arts visuels. Dans les années 1980, Adkins combine
singulièrement troublante l’un de trois filtres,
La durée live est un autre fil conducteur de
Garden of Disorder, à travers lesquels peut
l’exposition, avec des temps forts, telles
et recycle des objets trouvés, comme on le
être pensé le projet curatorial global de cette
les interventions du chœur imaginé par
voit avec Smoke Signals (2013) qui associe
56ème Biennale.
Jennifer Allora & Guillermo Calzadilla qui nous
des bases de chaises Eames, du ciment, du
La cloche de Hiwa K lance ses appels à
resituent de manière troublante In the Midst
cuir et du bois d’ébène. De certaines de ses
quelque chose qui reste à définir pour chaque
of Things, ou furtifs, aléatoires, et néanmoins
sculptures, il extrait des sons et des rythmes
spectateur, fait presser le pas et résonner les
calés sur les rythmes de la nature, ainsi les
pour composer et réaliser des improvisations
espaces.
rendez-vous imaginés par Saâdane Afit au
musicales (Off Minor, 2004). Il se fait notam-
Christian Boltanski « Je considère de
lever et au coucher du soleil, The Laguna’s
ment connaître par ses « Akrhaphones », des
plus en plus que mes œuvres sont comme
cors de 5,5 mètres de longueur qu’il façonne
une partition musicale, que je « joue » et
lui-même et qui sont fréquemment utilisés
que les expositions sont autant de ré inter-
performative, de Lili Reynaud Dewar, My
par son groupe, le Lone Wolf Recital Corps,
prétations. »
Epidemic ou encore d’Ernesto Ballesteros.
lors de performances appelées récitals (Last
- Christian Boltanski Sélection de deux
Tribute (A Corner Speaker in Venice). Des installations comme une action
Ou encore Ricardo Brey, sa pièce Indoor
Trumpet, 1995). Ses performances multimédias
œuvres vidéos soulignant la première et la
Fligts installe ainsi une respiration, un vide,
rendent souvent hommage à de grandes
dernière création de l’artiste.
un espace de travail de l’artiste, à mi-chemin
figures de l’histoire afro-américaine telles que
« L’homme qui tousse » vidéo expression-
entre le bureau et l’atelier. Quant à l’installation
l’abolitionniste John Brown, le pasteur Martin
niste (1969), une œuvre de jeunesse, place le
de Barthélémy Toguo, ses tampons géants, les
Luther King, ainsi qu’à des musiciens, John
visiteur en position de voyeur et fait de lui le
messages qu’ils portent en négatif, de nature
Coltrane, Bessie Smith et Jimi Hendrix. Meteor
témoin d’une scène insupportable. Le film
autoritaire, claquent un bruit assourdissant
Stream : Recital in Four Dominions (2009) se
présente un homme modestement habillé,
(refusé, visa, frontière, etc) sur des feuilles
présente comme une exploration évoquant
assis à même le sol d’une pièce vétuste, qui
blanches jusqu’en haut des murs...
les écrits de Brown à travers la sculpture, la
tousse sans relâche au point de cracher un flot
vidéo, des dessins et des lectures.
de sang sur sa poitrine et sur ses jambes.
Les pièces de Terry Adkins, monumentales sont silencieuses comme pour sublimer la
Métaphore d’un combat sanguinolent et vain !
- Chris Marker, ses travaux reviennent à deux reprises dans l’exposition, en tant que
« Animitas » Installation sonore et
photographe. Passengers , qu' il pris sur le vif,
mort de Terry Roger Adkins qui l’a fauché le 8
pérenne (2014). Créée et mise en place au
dans leur quotidien , et la vidéo On vous parle
février 2014, quelques mois avant l’exposition.
pied du volcan de Lascar, dans le désert
du Chili, Ce que disait Allende, 1973, 16’.
Divine Mute et les eschatologiques, Last
d'Atacama au Chili. Des centaines de clo-
Trumpet, jouent le mutisme des futurs en
chettes japonaises dessinent la carte du ciel
devenir, ainsi que Off Minor, de la série Black
vue depuis l’hémisphère sud la nuit du 6
Beethoven.
septembre 1944, date de naissance de l'artiste.
ble et combien actuelle. En 1970, il se rend à
Leurs rythmes entraînants, pleins de fougue,
Cuba pour La Bataille des dix millions mais,
« JingLing Chronicle Theater Project » où les
attirent les visiteurs : un quartet jazz se produit
ce qui retient son attention, est l’expérience
objets et les peaux de bête s’animent, où la
dans l’installation. Filmée, l'installation est
chilienne que mène Salvador Allende avec
pluie semble acide sous les nuages chargés de
retransmise en direct au Museo Nacional de
le gouvernement d’Unité Populaire. L’échec
radioactivité et où des signaux lumineux d’un
Bellas Artes de Santiago du Chili lors de la
de cette transition démocratique vers le
phare rudimentaire essayant de transmettre
rétrospective de l'artiste jusqu’en janvier 2016.
socialisme, après le coup d’État militaire du
- Qiu Zhijie : une installation multimédia
des messages dans un code dont on aurait perdu la clé. Cette proposition synthétise de manière
261
http://dai.ly/xaloo2 (lien dailymotion) Prestation de Salvador Allende, remarqua-
11 septembre 1973, le heurte profondément. - Jason Moran, Staged : Savoy Ballroom 1.
Il travaille à plusieurs films où le souvenir du
Liveness – éprouver le temps et ses rythmes
Chili est présent : On vous parle du Chili, Ce
que disait Allende (1973), L’Ambassade (1973),
merge ! Car, le long de ce parcours dans All the
l’artiste Filip Markiewicz et le critique d’art
La Solitude du chanteur de fond (1974), La
World’s Futures des ondes sonores transpor-
Paul Ardenne. Filip Markiewicz imagine une
Spirale (1975). Intellectuel engagé, féru de nou-
tées ne s’arrêteront pas à la fin de l’exposition
nouvelle mythologie contemporaine, une
velles technologies et d’innovation, il interroge
à l’Arsenale, elles perdureront.
réflexion sur nos identités contemporaines.
le monde dans un langage essentiel dépourvu de tout artifice. Co-auteur avec Alain Resnais des Statues meurent aussi (1953), réquisitoire
L’oeuvre prend la forme d’un vaste théâtre Comment résonnent-ils les sons de « All the World’s Futures » , aux Giardini ?
contre l’impérialisme culturel, il exprime « sa
dont les six salles du pavillon sont le réceptacle. Le film Voyage au bout d’une identité s’inscrit au coeur de ce dispositif.
sympathie à toutes les formes de révolutions
PAVILLON DU TUVALU
dans le monde entier » en créant le concept
Confié à l’artiste taïwanais Vincent Huang,
Par son titre, PARADISO LUSSEMBURGO évoque tout à la fois le Paradis de Dante, le
du documentaire subjectif, mêlant les images
son installation « Crossing the tide », nous
film Cinéma Paradiso de Giuseppe Tornatore,
d’archives à ses propres photographies, faisant
plonge dans une chaleur moite. Un léger
le paradis fiscal. L’artiste souligne : « Il s’agit
de l’image fixe et du texte les axes centraux de
brouillard tiède sature l’espace, en suspension
d’un titre qui peut être interprété de diffé-
son œuvre Dora Garcia, « The Sinthome Score
au-dessus des plans d’eau turquoise qui évo-
rentes façons. Ce qui m’intéresse, c’est d’un
», pièce autour des exposés de Jacques Lacan
quent lagune et les conditions climatiques du
côté l’aspect mythologique, proche de la
petit archipel du Pacifique. L’artiste a inondé
fable, et d’un autre côté, l’aspect populaire. Les
relâche au gré des lectures qui deviennent
le sol du pavillon en pompant l’eau dans un
différentes vagues d’immigration enregistrées
à leur tour matière aux gestes dansés. Cela
canal, de faux nuages sont diffusés dans la
depuis le début du XXe siècle au Luxembourg
respire, baigné dans la lumière du jour, les
pièce. Une passerelle en bois permet aux
ont amené à considérer ce pays comme une
mots deviennent musiques, tout en gardant
visiteurs de traverser les eaux. Un paysage où
sorte de paradis en matière d’intégration.
leur force active. Les nœuds ne demandent
ne subsistent que la mer et le ciel, on entend
Ainsi, la langue italienne retenue pour le
qu’à se défaire, pour une circulation fluide.
les mouvements de l’eau.
titre de ma proposition fait-elle référence
Le nœud borroméen se resserre ou se
Tania Bruguera, avec une installation
à l’histoire de l’art (Dante, le film Cinéma
immersive et performative provoque une
PAVILLON DE HONG KONG
Paradiso) et, tout autant, à la première vague
déflagration, une descente dans les limbes,
« The Infinite Nothing »
d’immigration au Luxembourg. Encore, il y
bruits de pas qui pataugent dans les graviers,
Une installation vidéo inédite, conçue
a une allusion forte à l’image que donnent
corps nus enveloppés dans une obscurité
pour la 56e Biennale de Venise. Elle est Con-
certains médias étrangers du Luxembourg,
quasi-totale, prisonniers de gestes obsessifs.
stituée à partir de quatre pièces vidéo, dont
celle du paradis fiscal, une thématique que
Volontaire, engagée, Bruguera estime
le fil conducteur est une narration autour du
j’entends traiter frontalement mais aussi
que le rôle de tout artiste est de prendre la
concept de la ritournelle, le leitmotiv l’éternel
avec une certaine ironie ».
parole là où il sera le plus entendu : sur la place
retour, des cycles et des retours sur soi au
publique, là où elle considère également
travers d’ idées philosophiques (Nietzsche, le
PAVILLON BELGE
avoir sa place. Bruguera est plus que jamais
bouddhisme) ou des symboles populaires ou
« Personne et les autres », de Vincent
convaincue que l’art est utile pour expliquer,
religieux. Le parcours débute par une rivière
revendiquer et dénoncer.
métaphorique pour se poursuivre dans des
Enfin, la boucle est bouclée ! Le point final
Meessen et d’autres invités étrangers. Mathieu K. Abonnenc (1977, Guyane
flots de mots ou phrases évoquant certaines
française, vit et travaille à Metz) ; Sammy Baloji
de cette déambulation marque le dialogue
idées universelles pour finalement revenir à la
(1978, République Démocratique du Congo,
installé dans le premier espace de l’exposition,
projection initiale.
vit et travaille à Lubumbashi et à Bruxelles) ;
entre Bruce Nauman et Adel Abdessemed. Et
James Beckett (1977, Zimbabwe, vit et travaille
« Ouvre ta bouche pour le muet, pour la cause
PAVILLON LUXEMBOURG
à Amsterdam) ; Elisabetta Benassi (1966, Italie,
de tous les délaissés, in Proverbes », nous sub-
PARADISO LUSSEMBURGO proposé par
vit et travaille à Rome) ; Patrick Bernier et Olive
262
Courtesy Biennale de Venise Photo : Daniel Lesbaches
Martin (1971, France, 1972, Belgique, vivent
en révélant un héritage avant-gardiste marqué
vingtième siècle. Explorant cette dimension
et travaillent à Nantes) ; Tamar Guimarães et
par une pollinisation artistique et intellectuelle
de l’Internationale situationniste, le travail de
Kasper Akhøj (1967, Brésil, 1976, Danemark,
croisée entre l’Europe et l’Afrique.
Meessen révèle certains épisodes secrets des
vivent et travaillent à Copenhague) ; Maryam
Cette exposition révèle des micro-histoires
histoires entremêlées de l’art, de la musique
Jafri (1972, Pakistan, vit et travaille à Copenha-
passées sous silence et acte l’importance
gue et à New York) ; Adam Pendleton (1984,
capitale d’une série de formes intellectuelles
États-Unis, vit et travaille à New York)
et culturelles hybrides apparues suite aux
les autres », interroge l’impact concret de la
échanges coloniaux. Une nouvelle oeuvre
modernité coloniale dans la fabrique de nos
représenter la Belgique à la Biennale, s’ouvre
de Vincent Meessen, filmée à Kinshasa, est
subjectivités contemporaines.
à de multiples voix et postures. Vincent
au coeur même du concept de l’exposition.
PAVILLON RUSSE
Meessen et Katerina Gregos, ont conçu une
Elle aborde la participation largement
Un jeu de couleurs, rouge et vert vif
exposition thématique et invité une douzaine
méconnue d’intellectuels congolais à l’ultime
prolifère sur les murs de l’un des espaces du
d’artistes étrangers, originaires des
avant-garde internationale de la modernité :
pavillon russe, Pavillon Vert, tel que l’imagine
Amériques, d’Afrique, d’Asie et d’Europe et
l’Internationale situationniste, dont la dernière
Irina Nakhova qui met ainsi en tension la révo-
dont la pratique se nourrit de travaux de
conférence eut lieu à Venise en 1969. L’histoire
lution soviétique et la période d’ouverture,
recherches, « Personne et les autres » , remet
coloniale de la Belgique et son rôle stratégique
la Perestroïka. L’artiste, qui s’est affirmée dès
en question la notion classique de représenta-
dans l’Internationale situationniste – à travers
les années 80 par ses Chambres, installations
tion nationale à la Biennale de Venise et vise à
des personnalités comme Raoul Vaneigem
en appartement, essayant de déjouer les
sonder l’héritage de l’Internationalisme, refuse
– sont essentiels pour comprendre les avant-
contraintes et la censure du système, rappelle
la conception eurocentrique de la modernité
gardes artistiques et politiques de l’Europe du
que l’architecte de ce bâtiment a également
Le projet de l’artiste, choisi pour
263
populaire et de l’activisme. Par ce travail d’actualisation, « Personne et
construit le mausolée de Lénine. Irina Nak-
PAVILLON FRANÇAIS
hova transforme l’une des pièces principales
« Rêvolutions » une installation de Céleste
du pavillon en chambre noire, activée par un
Boursier-Mougenot, qui transforme le pavillon
Ouvre ta bouche pour le muet, pour la cause de
obturateur qui laisse filtrer de manière ryth-
français en un « îlot onirique et organique
tous les délaissés », eh oui, c’est la vocation des
mique la lumière du jour, et dévoile au regard
». Commissionné par Emma Lavigne, cette
artistes, ceux qui ont le mot pour le dire, tel
des visiteurs une installation qui rend hom-
installation sculpturale et sonore devrait «faire
l’oeuvre du Nigérian Emeka Ogboh , qui a fait
mage à Malevich et à son fameux Carré noir.
bouger tout doucement les arbres et capter
du son, le médium de prédilection, fait inter-
leur bruit secret». Le bruissement des feuilles,
préter l’hymne allemand par une chorale de
le tressaillement des branches, génèrent un
réfugiés africains, qui chantent, chacun dans
courant à basse tension et le traduisent en
leur langue maternelle … Ainsi les construc-
ouflage, avec l’inscription sur fond jaune «
musique. Les visiteurs, devenus spectateurs,
tions interpellent la société et le microcosme
On Vocation », ont colonisé temporaire-
pourront suivre leurs évolutions hypnotiques
de l’art, ses professionnels, ses amateurs, son
ment « Le pavillon vert », à l’ouverture de
en s’installant dans des sofas, dans la pénom-
marché, sa morale, parfois relative.
l’exposition de l’artiste russe Irina Nakhova,
bre de deux camera obscura qui renvoient
pour dénoncer l’occupation de la Crimée.
une image inversée des arbres et des nuages»!
# On Vacation : Une sommation sonore à portée politique Des artistes ukrainiens en tenue cam-
Leur réclamation politicienne symbolisait
Le projet de Celeste Boursier Mougenot à
On quitte ce parcours, en pensant aux Proverbes 31:8-10 de Louis Segond (LSG), «
Aby Warburg, est convoqué implicitement par Okwui Enwezor. En 1923, le célèbre historien d’art allemand
l’occupation de leur pays par l’armée russe.
la fois, poétique et technologique, est un hom-
Aby Warburg (1866-1929) ébranlé par la vio-
Ils dénonçaient la présence de l’armée de
mage conjoint à la liberté et à l’imagination.
lence de son époque est interné en clinique
Poutine- en Ukraine- par l’inversion des codes.
psychiatrique. D’ou naquit « Le rituel du ser-
Ainsi l’envahisseur est envahi à son tour sur
PAVILLON NORDIQUE
pent », texte de la pensée transculturelle, dans
son propre territoire présupposé. L’objectif de
Camille Norment « Rapture », et son Glass
lequel il étudie les rituels des Hopis d’Arizona,
cette action étant de faire vivre aux visiteurs
harmonica, transforma le pavillon nordique
et les confronte avec l’histoire de l’art occi-
une expérience sensorielle en s ‘appuyant sur
de façon radicale, par l’absence, le vide, le
dental et sa modernité, pour en dégager des
l’occupation et la réalité en Crimée. Le collectif
fracas, et le son des larmes et de la folie.
dimensions visionnaires pour notre temps.
a organisé une série d’opérations du 6 mai au
L’artiste multiplie les cadres et les angles de
9 juin, largement suivie et soutenue par les
vue, brouille les cloisons du pavillon, installe
expression encore possible d’un espace de
réseaux sociaux. Ils ont fourni aux visiteurs de
une inquiétante porosité entre l’intérieur et
contemplation (Andachtsraum) où le lien
l’exposition des vestes treillis, « estampillées
l’extérieur, qui entrent en résonance avec les
entre le mythe et la nature n’est pas rompu.
» par le hashtag #onvacation, pour partici-
sonorités d’un harmonica de verre sans doute
Un espace indispensable à ses yeux pour
per à l’action et partager leurs selfies via les
un corps souffrant.
construire l’espace de la pensée (Denksraum)
Warburg compare la culture Hopi à une
réseaux sociaux. Le site dédié à cette action :
Cet instrument auquel on a accordé au fil
http : //on-vacation.info/press. Sur twitter, et
du temps des vertus thérapeutiques avant de
face à un terrible pressentiment : l’âge de
facebook, cet événement est présent et suivi
le bannir pour ses prétendus effets de stimula-
l’électricité et des télécommunications peut
dans les détails, en termes de presse, photos,
tion de comportement hystériques, sexuels,
modifier l’espace physique jusqu’à le détruire.
retombées.
féminins. Rapture, explore les relations entre
Tandis que les processus naturels sont
le corps et le son à travers un dispositif visuel
traités comme les générateurs d’une culture
penser le meilleur cliché, par un voyage
et proprioceptif, lié à l’architecture, aux harmo-
réparatrice.
immersif en Crimée occupée par la Russie
nies et aux dissonances.
Un concours a été organisé pour récom-
pour vivre l’expérience cette fois-ci in situ.
Le parcours sonore, de la 56e Biennale de Venise, est soudain inconfortable. Les bruits
« Une idée devient une force lorsqu’elle s’empare des masses» de Karl Marx
264
et guérir son époque, et sa propre angoisse,
nous habitent pour longtemps. Une réflexion sur les abus du capitalisme avec « Das Kapital»
de Marx : « Il n’y a pas d’autre penseur dont les idées aient autant perduré aujourd’hui (…) Le
IN MEMORIUM CHANTAL AKERMAN 1950 -2015
Capital est une part fondamentale de notre
Subtile madame Chantal Akerman est désormais
drame contemporain », se construit avec une
ailleurs, et libre !
œuvres spécifiquement destinées aux galeries, « Maniac Summer », 2010 chez Marian Goodman à Paris. Elle est invitée lors de la 56e Biennale de
À partir des années 90, Chantal Akerman est
Venise. À cette occasion, elle avait tenté une
de la pensée d’Aby Warburg conduit les
parmi les cinéastes pionniers des échanges qui se
nouvelle expérience, multi-écrans, Now. Où,
artistes à sommer le monde.
développent avec le monde de l’art contempo-
elle a installé dans l'espace cinq écrans - cinq
Faire une « pause » salutaire, tant que
rain. Au sein de la Trilogie d’Est (1993), Sud (1999)
films projetés ensemble - sa caméra y suivait un
l’espace de la pensée n’est pas détruit par les
et De l’autre côté (2003), ce sont de longs travel-
paysage désertique, une métaphore de la guerre
dispositifs marchands qui le mettent à mal.
lings à travers une Europe qui se croit réunifiée
au Moyen Orient.
analyse du monde contemporain, où l’impact
par la chute du Mur, la musique composée et interprétée par la violoncelliste Sonia Wieder – Atherton à laquelle Chantal Akerman consacrera ensuite deux portraits télévisés. Hafida Jemni est diplômée de l’institut
Les installations vidéos, de Chantal Akerman
d’études supérieures de l’art, curatrice,
ont été exposées lors de biennales internation-
enseigne le module de l’art contemporain
ales : Venise (2001), à Kassel (2002), São Paulo
d’Afrique et sa diaspora à l’IESA Paris.
(2010), à la Triennale de Paris (2012). Parmi ses
Courtesy Biennale de Venise Photo : Daniel Lesbaches
265
ART TALK
266
267
ARIKADAA’S LIBRARY studied, composed, performed and taught
Angèle nous emmène aujourd’hui, au travers
experimental and electronic music, first
de sa voix : Vénus ; dans les mystères de la
as teaching assistant and manager of the
forêt africaine, là où des femmes ont décidé
Harvard electronic music studio under
de prendre leur destin en mains.
the direction of Ivan Tcherepnin, then as instructor at the Massachusetts College of Art, giving classes in electronic music, installations, and the polygamous marriage of sound, movement, and image.
ALL AT ONCE Alisa Clements, Harvard Square Editions, 2012 “All at Once” is a bit like the syncretic cults that enter its plot.
NINA SIMONE
Past and present, feminine and masculine,
David Brun-Lambert, Flammarion, 2005.
mysticism and modernity intermingle and recompose under a thickening menace. The
“ Je mourrai à soixante-dix ans, parce
story is constructed through the fragmentary
qu’après ce n’est que de la douleur. “ Et c’est
perceptions of the characters, some of which
à soixante-dix ans que Nina Simone s’éteint,
are able to access a reality that subsumes our own. Sound is always present, infusing the settings. At times it takes on a leading role, as a key to the passage between one world and another, a means of liberation. This is not surprising, coming from an author who has been involved in an affair with sonic waves for more than thirty years. Alisa Clements is a specialist in the dissection of vibrations. An enthusiastic explorer of the psychoacoustic terrain and fan of the music of ordinary sounds, she has
268
le 21 avril 2003, dans le sud de la France, BALADES EN JAZZ
après une vie de soupirs et merveilles,
Alain Gerber, Folio, 2007.
souffrance et exaltation, combats et exil. Née dans l’Amérique des années 30, Eunice
Angèle Kingué récidive avec son second
Waymon, génie précoce, rêve de devenir la
roman, publié chez Ana Éditions ; jeune
première concertiste classique noire, mais
maison d’édition ; qui travaille depuis deux
se voit refuser l’entrée au Conservatoire
ans sa collection “écritures africaines”.
en raison de sa couleur de peau. Devenue
Le premier roman d’Angèle Kingué: “Pour
chanteuse de jazz par défaut, elle est
que ton ombre murmure encore“ paru
obligée de prendre un pseudonyme pour
en 1999 avait été un succès en France, au
jouer ce que sa mère pasteur appelle la
Cameroun, son pays natal, mais aussi États-
“ musique du diable “ et se baptise Une
Unis le pays où elle enseigne actuellement.
icône va naître. Elle qui se rêvait en égale
de Maria Callas fut une enfant sacrifiée, une
Miles Davis, musicien de légende issu de la
de s’en tenir aux clichés - vêtements pailletés
pianiste prodige, une militante engagée
bourgeoisie noire de Saint-Louis, raconte son
aux cols pointus et autres boules à facettes
corps et âme dans la lutte pour la libération
parcours musical de plus de quarante ans, des
-, il révèle la richesse et la complexité d’un
des Noirs, une interprète visionnaire, une
clubs de Harlem et de la 52e Rue où il croise
véritable courant culturel, prônant le plaisir
sorcière africaine, une femme abîmée
la route de Charlie Parker, Dizzy Gillespie,
et les rythmes débridés. Avec passion mais
dans sa quête éperdue de l’amour. Une
Thelonious Monk et bien d’autres, aux années
lucidité, il retrace l’histoire et la signification
femme utilisée, trompée, brisée mais jamais
électriques et à la fusion entre jazz, rock, pop
de la culture disco, issue du mouvement
résignée, alors même que son existence
et musique antillaise. Et c’est en toute franchise
de libération gay et de l’émergence des
s’effritait peu à peu, lutte après lutte. De la
qu’il se confie sur les épreuves qui ont jalonné
valeurs individualistes prônée par la nouvelle
Caroline du Nord à New York, de la Barbade
sa vie, ses problèmes d’alcool et de drogue, ses
Amérique.
au Liberia, de Genève à Amsterdam, d’Aix
maladies, guérisons et rechutes, la haine raciste
Il étudie ses manifestations en Europe,
en Provence à Carry-le-Rouet où elle
à laquelle il se trouva si souvent confronté.
analyse l’explosion du phénomène des
mourut, .Enrichi par les témoignages de ses
Ces obstacles, il les surmontera grâce à ses
night-clubs et la place primordiale prise
proches et par des entretiens inédits avec
rencontres - ses amis, les femmes de sa vie - et
par les DJ qui, de pousseurs de disques,
des figures marquantes de la vie musicale
surtout grâce à sa grande force de caractère et
deviennent les instigateurs incontournables
et intellectuelle du XXe siècle, le livre de
à sa passion pour la vie et la musique.
d’une danse aux rythmes endiablés. Il
David Brun-Lambert offre pour la première
évoque ses principaux acteurs - le batteur
fois un tableau du destin nébuleux et
Marc Cerrone, Chic, Donna Summer,
romanesque de la dernière grande diva
mais surtout les producteurs de l’ombre,
du siècle, précipitée vers une fin tragique
responsables des plus gros hits. Phénomène
qu’aucun romancier n’aurait pu inventer
d’abord souterrain, la disco a rapidement
aussi justement que la vie elle-même.
conquis le grand public avec La Fièvre du samedi soir, avant de disparaître brutalement, sous les assauts de l’ordre moral. Shapiro n’hésite pas à pointer les excès et les ridicules de cet art de la parole désinvolte, futile, délestée de tout militantisme et, surtout, de cette production vouée à une surenchère de la rentabilité, qui ont conduit à son déclin. ce livre ne ravive pas moins une époque et éclaircit la portée sociale d’une TURN THE BEAT AROUND
musique, qui a su gommer les différences
L’HISTOIRE SECRÈTE DE LA DISCO
entre les âges, les sexes et les conditions.
Peter Shapiro, Allia , 2004. Malgré son succès planétaire, la disco est sans doute le genre musical qui a été le plus décrié.Dans cette somme, Peter Shapiro rend MILES - L’AUTOBIOGRAPHIE
justice à ce mélange de funk, de soul et de
Miles Davis & Quincy Troupe, Infolio,
pop, né à New York dans les années 70, en
1989.
réaction au rock, alors à bout de souffle. Loin
269
culture afro-américaine et culture blanche,
de house ou de downtempo, depuis
musique sacrée et musique profane,
les montages de bandes magnétiques
tradition et innovation. Méticuleusement
des précurseurs de la musique concrète
documenté, étayé par de nombreuses
jusqu’à l’extrémisme brutal du gabber
interviews, Sweet Soul Music se lit comme
et la douceur ouatée de l’ambiant, en
un roman mais comme un roman vrai, celui
passant par les fulgurances des pionniers
d’hommes et de femmes qui ont changé
de la musique hip-hop et les visions
l’histoire de la musique populaire et qui
électro-funk des inventeurs de la techno
ont participé au grand bouleversement des
de Detroit, Modulations est la première
mentalités raciales et sociales dont les effets
histoire raisonnée de ces musiques publiée
se font encore sentir aujourd’hui.
en France. Chaque chapitre, rédigé par un spécialiste, à la fois amoureux sonique et critique érudit, couvre une période de leur développement ou une branche de leur activité créative. Des annexes complètent le panorama en s attardant sur les sous-
SWEET SOUL MUSIC
genres les plus importants et les styles
RYTHM AND BLUES ET RÊVE SUDISTE DE
connexes, tandis que des transcriptions d
LIBERTÉ
interviews donnent la parole aux acteurs
Peter Guralnick, Allia, 2012.
eux-mêmes. S’adressant au néophyte autant qu’à l’amateur éclairé, Modulations
Épopée humaine, ouvrage érudit,
offre au lecteur les clefs pour comprendre
chronique d’une époque et de sa musique
le texte et le contexte d’une musique qui
Sweet Soul Music est tout cela à la fois,
a révolutionné notre approche tant de la
et plus encore. On peut lire ce livre
composition que de l’écoute musicale, en
comme une galerie de portraits, ceux des
réconciliant avant-garde et grand public.
personnalités les plus marquantes de la musique soul du sud des États-Unis, et l’on part ainsi à la rencontre de personnages légendaires de la musique populaire noire, tous plus complexes et fascinants les uns que les autres : Sam Cooke, Ray Charles, Solomon Burke, Otis Redding, James Brown, Aretha Franklin, Isaac Hayes ou encore Al Green. On peut également y suivre une extraordinaire aventure humaine, celle de l’ascension et de la chute du label Stax celui de Booker T. & the MGs, Otis Redding, Sam & Dave et se plonger ainsi dans une époque clef de la culture populaire américaine, dans ces années 60 bouillonnantes où travaillent pour la première fois ensemble, non sans heurts, pleurs et grincements de dents,
270
MODULATIONS UNE HISTOIRE DE LA MUSIQUE ELECTRONIQUE Collectif, Allia, 2012. Si vous cherchez un point commun entre Daft Punk et Karlheinz Stockhausen, Giorgio Moroder et Aphex Twin, Public Enemy et Brian Eno, n’allez pas plus loin : ils font tous partie de la plus grande aventure musicale de la fin du XXe siècle (et du début de ce siècle), celle des musiques électroniques. Du futurisme italien jusqu’aux travaux de déconstruction sonore des musiciens
DU PHONOGRAPHE AU MP3
Michael Jackson, et bien d’autres.
SOUFFLE, AU COEUR DE LA
Une histoire de la musique enregistrée
GÉNÉRATION HIP-HOP, ENTRE NEW
XIXe-XXIe siècle
YORK ET PARIS, TOME 2 : PARIS 1996-
Ludovic Tournès, collection Mémoires/
2003
Cultures, Autrement, 2008
Antoine-Wave Garnier, Alias, 2003
À l’heure où l’industrie de la musique est
Cette plongée en apnée sociale, politique
engagée depuis le début des années 2000
et culturelle rédigée par un Français
dans une mutation historique, cet ouvrage
d’une trentaine d’années d’origine
fournit un éclairage indispensable pour en
antillaise, chercheur en sociologie devenu
comprendre les enjeux à la fois techniques,
correspondant de presse pour des
économiques et culturels. Mondialisation
magazines de musiques spécialisés français
du marché, formation de grands groupes
et étrangers, se propose de partager
multimédias, rapports entre majors et
SAY IT LOUD
“en prise directe’’. les tranches de vies
indépendants, évolution des techniques
The story o f rap music
d’habitants de ghettos ethniques et sociaux
d’enregistrement, métissage des musiques,
Maurice K. Jones, Millbrook Press, 1994
capturées entre 1986 et 2003 aux Etats-
mutation des formes de l’écoute : autant
Unis et en France. Souffle est beaucoup
de problèmes qui gagnent à être analysés
Exciting full-color and black-and-white
plus qu’un livre sur la musique rap, il en
ensemble et replacés dans une perspective
photographs mark a chronicle of the birth
chronique l’aventure correspondant à la
de long terme, mettant ainsi en évidence le
of rap music in contemporary America,
période et à la facture à travers lesquelles
bouleversement provoqué par l’apparition
tracing its roots back to traditions
une voix sociale et artistique s’exprime.
du disque dans le rapport qu’entretiennent
thousands of years old and discussing
Si cela avait été les années 70, c’eût été
les sociétés contemporaines avec la
its effect on today’s young.History of the
la musique disco et un autre message.
musique.
popular American music form.
C’est la première approche de ce genre
Ainsi, il sera question dans cet ouvrage
et le premier témoignage de ce type. Il
à la fois de l’histoire des techniques, du
constitue une passerelle pédagogique
cylindre au MP3 ; de l’histoire de l’industrie
pour appréhender et traduire dans son
du disque ; de l’histoire des musiciens,
contexte la véritable origine. les effets et
qui ont vu les conditions d’exercice de
l’esprit du nouveau monde créé à partir de
leur art bouleversées par l’apparition de
cette culture. A travers un double regard
l’enregistrement sonore ; de l’histoire des
critique des deux côtés de l’Atlantique,
publics enfin, dont on oublie trop souvent
cet essai, étude de mœurs empirique,
à quel point leur manière d’écouter la
technique et affective sur l’influence de la
musique a, elle aussi, beaucoup évolué
culture urbaine moderne sur les jeunesses
depuis le phonographe à pavillon jusqu’au
américaines et françaises répond aux
baladeur numérique. Cette histoire
interrogations d’une jeune génération en
foisonnante sera évidemment l’occasion
quête de références musicales et culturelles,
de croiser les nombreux artistes, qui, tous
à celle des trentenaires qui ont vécu cette
styles confondus, ont contribué à faire de
période, et enfin aux parents qui veulent
l’enregistrement musical un moyen majeur
comprendre la culture de leurs enfants. Un
de diffusion de la musique : Enrico Caruso,
livre-fenêtre qui permet la compréhension
Charles Trenet, les Beatles, Glenn Gould,
de l’autre. d’une génération à une autre.
271
permet de se reconnaître, d’apprendre des
grip on dance, electronic, and popular
choses. Ainsi. le texte se divise en deux
music, dub-born notions of remix and
parties. La première couvre la période
re-interpretation set the stage for the music
1986/1996 à New York. capitale nourricière
of the twenty-first century.
de cette création africaine transformée sur
This book explores the origins of dub in ’70s
le sol américain et rediffusée depuis-là au
Kingston, Jamaica and traces its evolution
monde. La seconde, la période 1996/2003,
as a genre, approach and attitude to music
soit l’interprétation de ce que cette culture
to the present day. Stopping off in the cities
inspire en France. Bienvenue pour la
where it has made most impact – London,
première expérience franco-antillo-noire-
Berlin, Toronto, Kingston, Bristol, New York,
américaine dans les profondeurs du monde
Sullivan’s study spans a range of genres,
noir et de sa perpétuelle reconstruction.
from post-punk to dub-techno, jungle to the now ubiquitous dubstep. Along the way he speaks to a host of international musicians, DJs and luminaries of the dub world including Scientist, Adrian Sherwood, Channel, U Roy, Clive Chin, Dennis Bovell, Shut Up And Dance, DJ Spooky, Francois Kevorkian, Mala and Roots Manuva. This wide-ranging and lucid book follows
CULTURE CLASH
several parallel threads, including the
Punk rockers, big audio dynamite,
evolution of the MC, the birth of sound
dreadlocks et video
system culture and the broader story of the
Don Letts & David Nobakht, rivages
post-war Jamaican diaspora itself. One of
Rouges , 2011
the few books to be written specifically on
Londres, 1977. Un rasta aux généreuses
dub and its global influence, Remixology is
dreadlocks secoue les nuits d’un des clubs
also one of the first to look at the specific
branchés de la capitale, le Roxy, en passant
relationship between dub and the concept
sur ses platines du reggae dub entre les sets
that cuts across all postmodern creative
des Clash, des Buzzcocks ou de Generation
disciplines today: the Remix.
X. En pleine explosion punk, Don Letts
REMIXOLOGY: TRACING THE DUB
amorce un véritable choc des cultures
DIASPORA
et s’impose comme un des principaux
Paul Sullivan, Reaktion Books - Reverb,
artisans de bon nombre des métissages
2014
musicaux à venir… L’influence de Don Letts sur le rock anglais est considérable.
In Remixology: Tracing the Dub Diaspora
DJ inspiré, musicien novateur, réalisateur
Paul Sullivan explores the evolution of Dub;
d’une multitude de clips, ainsi que de
the avant-garde verso of Reggae. Dub as a
documentaires référence sur le punk, Sun
set of studio strategies and techniques was
Ra, Jam, George Clinton ou plus récemment
among the first forms of popular music to
Franz Ferdinand ou Damon Albarn, cet
turn the idea of song inside out, and is still
anglais d’origine jamaïcaine est depuis la
far from being fully explored. With a unique
fin des années soixante-dix de toutes les
272
aventures. Manager des Slits, complice
BASS CULTURE
FELA
de Johnny Rotten et de Joe Strummer,
When Reggea Was King
Why black man carry shit
proche de Bob Marley, Don Letts surfe sur
Lloyd Bradley, Penguin, 2001
Idowu, Mabinuori Kayode, Editions Florent-Massot, Paris, 1997
les vagues d’un formidable mix culturel, explore aux côtés d’Afrika Bambaata
The first major account of the history of
les débuts de la contre-culture hip hop
reggae, black music journalist Lloyd Bradley
Une biographie du musicien nigérian Fela,
new-yorkaise, puis forme en 1984 avec
describes its origins and development in
créateur de l’afro-beat, mais aussi activiste
Mick Jones des Clash le groupe Big Audio
Jamaica, from ska to rock-steady to dub and
du panafricanisme, et opposant politique
Dynamite, véritable acte de naissance d’un
then to reggae itself, a local music which
plusieurs fois emprisonné pour délit
electro rock taillé pour les dancefloors.
conquered the world. There are many
d’opinion.
Des rues de Brixton aux boutiques
extraordinary stories about characters like
hype de King’s Road en passant par les
Prince Buster, King Tubby and Bob Marley.
Idowu, Mabinuori Kayode. Dirigent des
ghettos du South Bronx, cette étonnante
But this is more than a book of music
young African pioneers et ancient bras droit
autobiographie raconte son odyssée et
history: it relates the story of reggae to the
de Fela , nous livre ici la biographie du plus
illustre magistralement, des orages punk
whole history of Jamaica, from colonial
fameux des musiciens d’ afrique
aux années sampling, une page d’histoire
island to troubled independence, and
du rock anglais.
Jamaicans, from Kingston to London.
« En tant que réalisateur, musicien,
Bio author:Lloyd Bradley was classically
documentaliste et historien, Don Letts a été
trained as a chef but for the last 20 years
et reste
has worked as a music journalist, most
encore aujourd’hui un catalyseur des
recently for Mojo - which he has just left
préoccupations et des énergies de
with editor Mat Snow to launch a new
nombreux d’entre nous » Jim Jarmusch
men’s magazine in Autumn 2000. He is the author of Reggae on CD.
JIMMY HENDRIX Franck Médioni, Folio, 2012 Contemporain des Beatles, de Bob Dylan, de John Coltrane, Jimmy Hendrix (19421970) tient dans l’histoire de la musique
273
- notamment en raison de son approche
EXPERIMENTAL MUSIC : CAGE ET
intersectionality and Deleuzian discourses
unique de la guitare électrique et des
AU-DELÀ
on heterogeneity, Stüttgen develops the
techniques d’enregistrement en studio
Micheal Nyman (Auteur), Nathalie
“Black Movement Image” in interaction
- une place à part. A l’épicentre de ces
Gentili (Traduction), Editions Allia, 2005
with close readings of the first Afro-
années 60 marquées par les transgressions
American cinema, Blaxploitation.
et les contestations de tous ordres, il a
Les compositeurs expérimentaux ne
Complicating the intersection of race, sex
créé une sonorité qui fut celle de toute
se préoccupent généralement pas
and gender, Stüttgen develops the notion
une génération en quête d’identité. Sa
d’administrer un objet temporel défini et
of Quareness—with the “a” of the black
mort prématurée n’a fait qu’amplifier sa
organisé à l’avance, mais s’enthousiasment
in the queer and goes beyond humanist
légende. C’est à la rencontre de celui que
à l’idée d’esquisser les grandes lignes d’une
discourses following Afrofuturism and
Frank Zappa considère comme « un des
situation au cours de laquelle des sons
the Cosmic Sonic Philosophy of Sun Ra.
personnages les plus révolutionnaires
peuvent intervenir, d’inventer un procédé
Focusing on a close reading of Ra’s most
de la musique pop, musicalement et
générateur d’action (sonore ou autre), de
popular filmic performance, Space is the
sociologiquement parlant », que nous
créer un champ délimité par certaines
Place (US, John Coney, 1974), the concepts
convie Frank Médioni, producteur de
règles de composition. Michael Nyman.
of a quare time and a radically black
l’émission Jazzistiques sur France Musique
“Time Image” are elaborated through a
et auteur de nombreux livres sur le jazz et
continuum of past traumas and future
la musique pop. Bien que n’ayant enregistré
utopias.
que quatre albums, Jimmy Hendrix est, après Elvis Presley, le musicien qui vend le
Tim Stuttgen is queer theorist and curator
plus d’oeuvres posthumes.
. He studied film in london , gender studies
À l’épicentre de ces années 1960 marquées
and queer theory in Maastricht and Berlin.
par les transgressions et les contestations
He died in May 2013 and his book “In a
de tous ordres, Jimi Hendrix a créé un
Quare Time an Place “ was released post
monde sonore qui fut celui de toute une
morten in November 2014.
génération en quête d’identité. Sa mort prématurée n’a fait qu’amplifier sa légende.
IN A QUARE TIME AND PLACE Tim Stuttgen, Editions Bbooks Verlag, 2014 In a Quare Time and Place is Focusing on the trajectory of slavery in the US to develop a queer of color-perspective based on Frantz Fanon, Stüttgen follows discourses and cinemas of black mobility and temporality. Between
274
LE SONORE ET LE VISUEL :
FLUXUS ET LA MUSIQUE
INTERSECTIONS MUSIQUES ARTS
Olivier Lussac,
PLASTIQUES ET ARTS VISUELS
LES PRESSES DU REEL, 2010
AUJOURD HUI
A POWER STRONGER THAN ITSELF: THE
Jean-Yves Bosseur, Editions Dis Voir,
Les acteurs de Fluxus, tous musiciens,
AACM AND AMERICAN EXPERIMENTAL
1992
ont toujours considéré la pratique du
MUSIC
son comme partie intégrante d’un vaste À de multiples niveaux, la musique
projet expérimental de création destiné
Founded in 1965 and still active today,
entretient des relations d’échange avec
à dépasser les catégories artistiques et
the Association for the Advancement of
le phénomène visuel (notation, espace
le cadre de la musique elle-même, pour
Creative Musicians (AACM) is an American
scénique, lutherie, supports de diffusion
atteindre ce que George Maciunas appellait
institution with an international reputation.
comme le disque, la vidéo...), questionnant
des « buts sociaux, non esthétiques » (c’est-
George E. Lewis, who joined the collective
des frontières entre art de espace, temps et
à-dire non soumis à des principes moraux).
as a teenager in 1971, establishes the full
mouvement.
A l’origine à la fois de la musique
importance and vitality of the AACM with
Jean-Yves Bosseur (né en 1947 à Paris) est
expérimentale et des arts sonores, source
this communal history, written with a
compositeur et musicologue. Après des
d’inspiration de nombreuses pratiques
symphonic sweep that draws on a cross-
études de composition à la Rheinische
performatives actuelles, la musique fluxus
generational chorus of voices and a rich
Musikschule de Cologne (Allemagne) avec
réalise l’anti-art de Dada et le dépassement
collection of rare images.
Karlheinz Stockhausen et Henri Pousseur,
de l’art des situationnistes en abolissant la
il obtient un Doctorat d’État (philosophie
frontière entre le créateur et le spectateur
Moving from Chicago to New York to Paris,
esthétique) à l’Université Paris I. Directeur
et en proclamant l’équivalence entre la
and from founding member Steve McCall’s
de recherche au C.N.R.S et professeur de
musique,l’art et la vie.
kitchen table to Carnegie Hall, A Power
Composition musicale au CNR de Bordeaux,
L’essai d’Olivier Lussac est le premier en
Stronger Than Itself uncovers a vibrant,
il a reçu le prix de la Fondation Royaumont
langue française à étudier les aspects
multicultural universe and brings to light
(France) et de la Fondation Gaudeamus
musicaux (et les implications politiques
a major piece of the history of avant-garde
(Pays-Bas).
correspondantes) du mouvement artistique
music and art.
le plus subversif des années 1960.
275
AGENDA AFRIQUE
Dakar - Sénégal « PARTCOURS 2015 »
« ABIDJAN ARTS ACTUELS »
www.partcours.net
« RENCONTRES DE BAMAKO »
Pour la deuxième édition de Abidjan Arts actuels (exposition collective annuelle ayant pour but de promouvoir des artistes
Créé en 2011 à l’initiative
Après 4 années d’interruption,
ivoiriens émergevnts), la
de RAW Material Company et
les Rencontres de Bamako
Fondation Donwahi présente les
de Céramiques Almadies, le
reprennent leur droit.
oeuvres de
Partcours se propose de réunir
Cette 10e édition des Rencontres
des lieux d’art et d’exposition
a la particularité d’être «
de Dakar, de toute envergure
l’édition anniversaire ». Outre
« ABIDJAN ARTS ACTUELS»
et de tous types, pour les
la dimension artistique de
Du 19/12/15 au 13/02/2016
faire connaître et pour faire
la manifestation, la tenue
Fondation Donwahi
découvrir des artistes du
de cette édition permet de
Boulevard Latrille, face Eglise
Sénégal et d’ailleurs.
ramener le pays vers des enjeux
Turay Mederic, Sakia
Soppo Traoré et Dodji Efoui
Saint Jacques, 06 BP 228 Abidjan 06, Côte d’Ivoire,
culturels plus « positifs » en Pour cette quatrième édition
terme d’image et de relance
du partcours, dix-neuf espaces
économique.
proposent des évènements
Elle donne lieu à une
artistiques à Dakar. Afrikadaa
rétrospective sur les éditions
est aussi de la fête avec,
passées. Le projet artistique
Tracks, une installation sous
s’articule autour de la narration
forme de parcours sonore.
du Temps. Les photographes sont
Le Partcours à pris fin le
invités à raconter l’Afrique
11 décembre mais certaines
non pas à travers une vision
expositions se poursuivent
superficielle des choses mais
jusqu’en janvier.
dans une tentative d’aller, par l’image, dans la profondeur
« Partcours 2015 »
276
de la réalité de leurs temps.
Cette approche permet de
Biennale africaine de la
la surface des murs avec un
créer un lien entre le passé,
photographie »
nouveau chapitre de ses Poem
le présent et le futur du
Jusqu’au 31/12/2015
Paintings, réalisés à partir de
continent. Elle s’adapte
Bamako - Mali
courts extraits de ses textes.
parfaitement aux bouleversements
www.rencontres-bamako.com
Ces phrases elliptiques sont
récents qu’ont connu le Mali ainsi que l’Afrique du Nord avec
projetées en grandes lettres sur FRANCE & EUROPE
les Printemps arabes ou plus
la surface d’une toile ou d’un mur pour réaffirmer, par un jeu
récemment, le Burkina Faso.
«UGO RONDINONE :
de couleurs et de formes, toute
La directrice artistique Bisi
I ♥ JOHN GIORNO»
leur force d’expression.
Silva, avec les commissaires
Le poème, déplacé hors de
associés Antawan I. Byrd et Yves
la page, est confronté à de
Chatap, souhaite renouveler le
nouveaux contextes. Cette poésie
regard sur la photographie
visuelle, qui fait résonner
ou la vidéo telles qu’elles se
l’acidité du verbe à des couleurs
créent en Afrique. On
stridentes, devient à son tour
y voit donc tant des œuvres
espace pictural. L’écriture se
documentaires et artistiques
fait alors dessin et le mot,
que des formes s’approchant de
image.
l’installation. Une importante
John Giorno est une figure
part faite au travail tiré
majeure de l’underground new
«UGO RONDINONE : I ♥ JOHN
d’archives de films et d’images.
yorkais des années 1960 et de la
GIORNO» est la première
L’humour est aussi présent,
Beat Generation, où il a nourri
rétrospective mondiale sur la
ainsi qu’une certaine dérision
sa poésie de la méthode du cut
vie et l’œuvre du poète, elle
de la part des créateurs sur
up et a composé ses premiers
est conçue par l’artiste suisse
eux-mêmes et leurs pays. La
poèmes sonores. Afin de rendre
Ugo Rondinone (né en 1964, vit
problématique des religions
la poésie accessible à tous, il
à New York) comme une œuvre
émerge de façon singulière et
a fondé dès 1965 « Giorno Poetry
à part entière, sous la forme
subtile des œuvres qui sont
Systems », label qui a édité une
d’une déclaration d’amour. «
présentées,
quarantaine d’albums, et « Dial-
J’ai imaginé l’exposition en
dans le contexte de crise que
a-poem » en 1968, un service
huit chapitres qui représentent
l’on connaît en ce moment sur le
poétique par téléphone proposant
chacun une facette de l’œuvre
continent.
des poèmes audio.
foisonnante de Giorno, »
Les Rencontres de Bamako 2015
Reconnu comme l’un des
explique Ugo Rondinone.
s’articulent autour l’exposition
poètes les plus influents de
internationale, Telling time,
sa génération, John Giorno
«UGO RONDINONE : I ♥ JOHN
présentée au Musée National du
n’a cessé de faire déborder
GIORNO»
Mali. L’exposition regroupe 39
son œuvre du livre. Il était
jusqu’au 10/01/2016
artistes contemporains de 14
proche de Bernard Heidsieck,
Palais de Tokyo
pays.
poète sonore français. Dans
13 avenue du Président Wilson
les nouveaux espaces du Palais
Paris
de Tokyo, il intervient sur
http://www.palaisdetokyo.com/«
« Rencontres de Bamako -
277
MAKING AFRICA »
Musée Guggenheim Bilbao
« Climats artificiels »
www.guggenheimbilbao.es
jusqu’au 28/02/2016 Espace Fondation EDF
« CLIMATS ARTIFICIELS »
6, rue Récamier – 75007 Paris www.fondation.edf.com « MIROIR-EFFACEMENT »
Le Musée Guggenheim Bilbao, en Espagne, accueille une exposition follement ambitieuse, qui vise à faire découvrir,
Cette exposition a été conçue
l’énergie créative du design
Près de 30 installations,
comme une réflexion sur la
contemporain en Afrique.
photographies et vidéos
destruction du patrimoine
Un continent d’1 milliard
d’artistes contemporains. Leurs
culturel humain, conséquence
d’habitants représenté par les
éclairs sont en néons, leurs
historique des guerres, du
créations de 120 artistes.
cyclones faits d’eau, et leurs
colonialisme et de l’intolérance.
En
conséquence, on picore, d’une
nuages en écorce de cacahuète
discipline à l’autre, de la
ou en céramique. Quand certains
Trois artistes du Sud global
photographie à l’urbanisme,
nous plongent phoniquement dans
proposent un dialogue visuel
des arts graphiques à la mode,
une vague, d’autres inventent
mettant en lumière cette
Hicham Lahlou, le désigner
des biosphères de poche pour
menace de disparition qui pèse
pallier la pollution urbaine
sur notre mémoire culturelle.
reçu la distinction de Chevalier
ou nous font caresser le doux
Leurs œuvres témoignent
de l’ordre des arts et des
rêve de marcher au travers d’un
de la façon dont les codes
lettres décernée par la France.
nuage.
culturels et esthétiques
Cette consécration récompense
Climats artificiels : avec des
des peuples concernés sont
ainsi le parcours international
œuvres monumentales, étonnantes,
constamment réélaborés, afin
de l’artiste, ses idées, sa
utopistes, inquiétantes, drôles
de survivre à l’incertitude
vision et sa créativité. La
ou émouvantes, notamment
engendrée par l’ignorance,
cérémonie de décoration se
de Marina Abramovic, Hicham
le dogme, la persécution
déroulera en Février 2016
Berrada, Spencer Finch, Laurent
et l’occidentalisation
Grasso, Hans Haacke, Tetsuo
systématiques.
curator de cette exposition
a
« Making Africa - Un continent
Kondo, Ange Leccia, Yoko Ono et
de design contemporain »
Pavel Peppertsein.
jusqu’au 21 février 2016.
278
Ce dialogue, initié par trois artistes originaires du Brésil,
de la République Démocratique du
exposition de Steve McQueen
Galerie Marian Goodman
Congo et du Mexique, est à la
pour débuter l’année 2016.
79 rue du Temple 75003 Paris
fois pluriel et spécifique aux
Nous présenterons sa dernière
www.mariangoodman.com
relations Sud-Sud. Il offre de
installation filmique, une œuvre
fait un espace de réflexion sur
sculpturale en deux parties ainsi
la complexité de leurs héritages
qu’une nouvelle installation
respectifs. Par leurs images,
spécialement conçue pour cette
ils résistent à ce risque
cinquième exposition de l’artiste
d’effacement de leur mémoire
à la galerie.
culturelle – si fondamentale à la
AMÉRIQUE DU NORD
« CÉLESTE BOURSIER-MOUGENOT FROM HERE TO EAR V.19 »
dignité des peuples – et tentent
Le nouveau projet de Steve
d’ancrer leur histoire dans le
McQueen consiste en une
vide instauré par le colonialisme
installation murale composée de
et le néocolonialisme. Leurs
plusieurs dizaines de néons bleu
œuvres tentent de porter un
foncé représentant chacun une
regard inédit sur la menace
forme manuscrite unique de la
d’extinction de certaines
phrase Remember Me.
mémoires culturelles, provoquée par l’oppression idéologique.*
Ashes est une œuvre immersive constituée de deux films
*Extrait du texte Miroir-
projetés simultanément de part
Effacement, journal de la Galerie
et d’autre d’un même écran
Imane Farès , 2015
suspendu. C’est tout d›abord le
Gabriela Salgado
portrait d’Ashes, un jeune homme
Commissaire de l’exposition.
originaire, comme la famille
Le Musée des beaux-arts de
de l’artiste, de l’île de la
Montréal invite le public
« Miroir-Effacement »
Grenade. Souriant et espiègle,
dans la magnifique volière de
Du 03/12/2015 au 26/03/2016
jouant avec l’objectif de la
Céleste Boursier-Mougenot,
Galerie Imane Fares
caméra, Ashes se tient à la
une expérience immersive où
41, rue Mazarine
proue d’un bateau au large de la
les mouvements des oiseaux
75006 Paris
mer des Caraïbes. Les séquences
déclenchent en direct une
datent du tournage d’une autre
partition musicale unique.
œuvre de McQueen intitulée
L’installation nommée « From
Caribs’ Leap (2002). Saisies sur
here to ear »,
le vif et tournées en Super
vivante et fugitive tout
8 par le chef opérateur Robby
simplement spectaculaire. Ce
Müller, ces images illustrent
superbe travail du plasticien
la composante documentaire du
et musicien français Céleste
travail de McQueen.
Boursier-Mougenot, a représenté
« STEVE MC QUEEN »
est une œuvre
la France à la 56e Biennale de La Galerie Marian Goodman
« STEVE MC QUEEN»
Venise. La première version de
est heureuse d’annoncer une
Du 09/01/2016 au 27/02/2016
cette expo a été créée en 1991
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au MoMa PS1 dans le Queens à
des membres d’un groupe de
séries de projets nomades du
New York. Après Paris, Milan ou
musique quelques minutes avant
Berkeley Art Museum and Pacific
Brisbane, Montréal reçoit la 19e
qu’ils ne montent sur la scène
Film Archive (BAM/PFA), avant
présentation, la plus grande
pour leur concert. Adepte des
l’ouverture de son nouveau
jamais organisée à ce jour.
pratiques pluri-sensorielles,
bâtiment.
La pièce – le Carré d’art
Boursier-Mougenot extrait un
Organisé en collaboration avec le
contemporain du musée – a
potentiel musical chargé d’une
Experimental Media and Peforming
été aménagée en volière où
grande poésie.
Art Center (EMPAC) au Rensselaer
virevoltent déjà plus d›une
Lien youtube : https://youtu.be/
Polytechnic Institute (RPI) à
soixantaine de mandarins.
XxqLEQySwD4
Troie (New York), le projet de
Quatorze guitares électriques
MATRIX d’Atoui, WITHIN 2, est le
et basses Gibson sont installées
« CÉLESTE BOURSIER-MOUGENOT
prolongement de son exploration
aux quatre coins de la pièce.
FROM HERE TO EAR V.19 »
récente de la façon dont le
Pris pour des perchoirs, les
Du 25/11/2015 au 27/03/2016
son est perçu à la fois par les
oiseaux exotiques se posent
Musée des beaux-arts de Montréal
entendants et les malentendants.
sur les instruments produisant
1380, rue Sherbrooke Ouest,
En Janvier 2016, WHITIN 2
avec leurs griffes des sons
Montréal, Québec
continue à EMPAC à Troy,
aléatoires. Résultat: une
www.mbam.qc.ca.
New York, où il travaillera
ambiance musicale planante, presque expérimentale.
avec le musicien pionnier et “TAREK ATOUI - MATRIX 258”
professeur Pauline Oliveros pour impliquer les élèves du
« On me demande souvent si c’est
RPI dans la conception et la
de l’art ou de la musique? Ce
construction des instruments et
n’est pas à moi de répondre à
des interfaces supplémentaires
cette question, a-t-il expliqué.
pour la performance. L’ensemble
Même si j’essaye un peu de
du projet se terminera à la
m’inscrire dans une certaine
Bergen Assembly 2016, une série
histoire de l’art, l’œuvre
de performances, d’ateliers,
est plus lié à des éléments
Matrix 258, présente le
d’événements et de conférences
biographiques »
travail de l’artiste
à travers toute la ville, que
Tarek
Atoui, artiste et compositeur
Atoui organisera en Norvège,
Sous la forme d’un parcours
électroacoustique d’origine
en collaboration avec des
sonore et visuel, « From here to
libanaise, utilisant des
institutions, des musiciens
ear », est un insolite dispositif
instruments électroniques
des artistes locaux, centrées
musical plein de rêverie. Par sa
ainsi que des ordinateurs
sur son exploration étendue de
simple présence, le public peut
personnalisés. Atoui articule
son avec les communautés des
jouer avec les variations. Les
des réalités sociales et des
sourds.
notes se confondent alors aux
histoires dans son travail, tout
chants des pinsons originaires
en présentant la musique comme
“TAREK ATOUI - MATRIX 258”
d’Australie sans être vraiment
un puissant mode d’expression
January 2016
cacophoniques. On a plutôt
et de l’identité. Son projet
EMPAC, New-York
l’impression d’être en compagnie
MATRIX est le dernier acte des
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« FOREIGN OBJECT »
in the uneven distribution of economic and cultural power across the country. “Foreign Objects” Till 23 January 2016 Tyburn Gallery 26 BARRETT STREET LONDON http://www.tyburngallery.com/
Tyburn Gallery is pleased to present Moffat Takadiwa’s first UK solo exhibition Foreign Objects. Born in Karoi, Zimbabwe, in 1983, and currently based in Harare, Takadiwa is known for his simple but intricate installations made from found materials, including spraycan debris, plastic bottle tops and discarded electrical goods. Through the works exhibited, Takadiwa engages our senses, both literally and visually, as a unique way for identifying foreign materials, items and objects. Takadiwa’s practice engages with issues of material culture, identity and spirituality as well as social practice and the environment. The exhibition groups together wall-hung sculptures that bear witness to the cultural dominance exercised by the consumption of foreign products in Zimbabwe and across Africa. Imported consumables become symbolic of the shifting power struggles within postcolonial Zimbabwe, resulting
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PLAYLIST Private Collections Records
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SUN RA & JEAN CLAUDE MOINEAU COLLECTIONNER OU ARCHIVER ?
Par Pascale Obolo
Je reviens sur cette question finalement
monde a relégué ses 33 tours et ses 45 tours
Pour clore ce petit chapitre sur Private
fondamentale du «pourquoi»... Pourquoi
au placard : les disques vinyles semblaient
Collections Records, Pour ma part le collection-
est-on collectionneur ou archiviste ? car chez
promis au musée.
neur de vinyle est un chef d'orchestre qui érige
certaines personnes l’acte d’archiver est
Nos greniers et ceux de nos parents
préférable à l’acte de collectionner ? Pourquoi
peuvent en témoigner. Mais depuis quelques
ce comportement finalement obsessionnel,
années le disque vinyle fait son grand retour.
notre collectionnisme qu’on peut aussi définir
Explorons des collections, ressortons nos
par l’amassement compulsif d’objets.
platines vinyle et partons à la recherche des
On peut décrire deux types de comporte-
pépites sonores cachées. Chez certains col-
ment de collection : archiver des fragments
lectionneurs, l’ attachement à l’objet est très
de mémoires à travers sa collection, de l autre
important.
côté l'activité d'appropriation et de la rétention
Pour ce numéro sur Politics of Sound, nous
d'un ensemble d'objets choisis entre autres
avons demandés à deux contributeurs d’ Afri-
pour leur qualité, leur beauté, leur rareté ou
kadaa, l historien et critique d’art Jean Claude
leur caractère historique, et le plus souvent
Moineau et le collectif de DJ Kalakuta de nous
détournés de leur fonction première.
faire découvrir une partie de leur collection de
Le collectionneur est un «original», il cultive cet aspect. Certains poussent ce besoin
disque. Chez Kalakuta selector, le dj Jacques Goba
d’originalité en inventant des formes de narra-
grand collectionneur chineur passionné nous
tions à travers leurs collections.
a proposé de créer un mix ou il revisite la
D'ailleurs une collection finie est une
panafricanisme et l’activisme à travers l’histoire
collection morte dont le propriétaire se
de la musique noire dans sa collection de
débarrasse pour en commencer une autre. Le
disque. Tandis que jean Claude qui se consid-
désir de tout avoir, propre à notre vie mod-
ère plutôt comme un archiviste à proposé un
erne, nivelle les rapports aux choses. Tout
texte intitulé l’ afrofuturisme mix, ou il explore
s'équivaut. Tout se collectionne, des œuvres
l’odyssée du mouvement afrofuturiste avec
d'art aux bouteilles en passant par des disques.
des personnages comme Sun Ra, Lee Scratch
Moi même, je collectionne des vinyles. Il m
Perry l’inventeur du dub et le roi de la P-Funk
arrivent par curiosité de me plonger dans les
George Clinton.
collections des autres. Mais à quoi peut ressembler une collection de vinyle
Pour lui tous ces vinyles, K7… sont des outils de travail pour ses recherches . Il n’a pas d’attache particulière aux des objets qu’il archive. Malgré cela, sans le savoir, JC Moineau
CHEZ L ‘AUTRE ?
possède tout même l’une des meilleurs collection de vinyles de Sun Ra dont certains des
Le vinyle est un objet que l'on croyait obsolète. Lors de l'arrivée des CD, tout le
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pochettes de disques ont été faite de manière artisanale par le musicien lui-même.
et compile différents fragments de partitions liées à des récits propres à ses affects.
PLAYLIST Private Collections Records
LA MUSIQUE COMME UNE ARME Par Jacques Goba
Kalakuta Selectors : est
coup d’allers-retours ont été faits
un collectif de DJs (Bon-Ton
entre l’Afrique et les Amériques,
Roulay et Jacques Goba) organisa-
berceaux musicaux reliés à l’origine
teurs d’événements culturels .Née
par le drame de l’esclavage et
d’une passion pour les musiques
du colonialisme. Une infinité de
mondiales,l’association Kalakuta
styles et de sous-genres musicaux
Productions a programmé ces dix
sont ainsi nés, comme autant
dernières années, entre autres :
de pièces d’un même puzzle
The SoulJazz Orchestra, Mulatu
bruyant, preuves de la capacité
Astatké, Anthony Joseph & the
de l’être humain à créer et à se
Spasm Band, Ebo Taylor, Chicha
créer sans cesse, pour accomplir
Libre, Kokolo Afrobeat Orchestra, Is
cette alchimie qui permet, à partir
What?!, Fanga, Hugo Mendez, Afro-
d’une simple juxtaposition de sons
dizz, Nomo, Watcha Clan, Renata
et de rythmes, de se sentir vivre
Rosa, The Heliocentrics, Jupiter &
ensemble et, parfois, de se faire le
Okwess International, Les Frères
véhicule des revendications des
Smith, etc.
peuples et du progrès social. Un
Kalakuta est le nom de la République que Fela Kuti, le
sens politique, assurément. Merci à Soul Rhythm Records,
« père de l’Afrobeat », avait créé au
Bon-Ton Roulay et Jacques de
Nigeria. Lutte politique et musique
Kalakuta pour leur sélection
comme arme d’avenir et comme
musicale « Politics Of Sounds », tout
crédo. Kalakuta productions garde
deux membres de l’association
cette ligne en tête, assurant la
Kalakuta Productions.
continuité, toutes proportions gardées, de cette ouverture sur le monde intrinsèquement pluridisciplinaire que reflète la culture, d’un bord à l’autre de l’Atlantique noir. Les musiques afro-américaines nous racontent l’histoire contemporaine au travers des peuples et de leurs expressions culturelles. Vecteur de communication par excellence, langage universel porteur de valeurs humanistes, de solidarité, de partage, de luttes sociales et politiques. Du jazz à l’afrobeat, de la cumbia au semba, du kuduro au baile funk : beau-
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www.mixcloud.com/SoulRhythmsVinylShop/afrikadaa-politic-of-sound/
PLAYLIST
DJ REYZ Set voyage sonore
Par Stephanie Bonnet
De son studio du 19e arrondissement de Paris, le D4, véritable laboratoire musical, s’échappent des sons et samples résolument funky. En véritable homme-orchestre expérimental, il joue lui-même tous les instruments, appose sa voix, trafique platines et logiciels et n’hésite pas à utiliser bouteilles vides ou pleines en guide de claps. Utilisant des matériaux de récupération et ce qu’il appelle l’ordinateur primaire (primary-biologicalcomputing), le cerveau humain, Reyz se réinvente en extratterrestre plus à la manière de Joe Norton dans Brother from another planet que de Will Smith dans Men in black. Pour Politics of sound, il nous invite dans son vaisseau pour un voyage cosmique. Retrouvez son mix sur notre soundcloud BIO : D’origine mixte, guinéenne et sénégalaise, l’artiste Reyz est très certainement le plus digne représentant parisien du courant artistique dit de l’AfroFuturisme créé par Sun Ra. Il en est l’héritier légitime dans la lignée des figures les plus importantes de ce mouvement, telles que Lee Scratch Perry, Prince Charles, Headhunters ou le collectif Underground Resistance. Actif depuis les années 90, Reyz, aussi connu sous les noms de Dudley Slang et Roger Funk, il conçoit et réalise des oeuvres dites underground en toute indépendance sous diverses formes ; peintures publiques comme lorsqu’il investit les murs d’une école de la ville de Chicago, productions musicales ou encore performances live, dernièrement à l’Institut du Monde Arabe pour l’exposition « Du Bronx aux rues Arabes ».
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PLAYLIST
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DESIGN DESIGN& & CONTEMPORARY CONTEMPORARY ARTSARTS
DEC OCT-NOV-DEC JAN FEV 2015/16 2015
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POLITIC–S OF SOUND
ISSN 2429-1927
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