AFRO DESIGN & CONTEMPORARY ARTS
ANTHROPO_LOGISMES
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MAY-JUNE-JULY 2015
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Couverture : Front : Salon colonial, Le petit colon, Verdun, Yo-Yo Gonthier, 2007 Back : Salon colonial, Les masques, Yo-Yo Gonthier, 2007 Ils ont contribué à ce numero : Jay One Ramier, Yo-Yo Gonthier, Martine Barrat, Mukwae Wabei Siyolwe, Alicia Knock, Pascal Kenfack, Myriam-Odile Blin, Rémi Astruc, Emmanuel Rivière, Roger Sansi, Stéphane Malysse, Bruno Pédurand, Cynthia Phibel, Olivier Timma, Antje Van Wichelen, Jean-Claude Moineau, Sally Price, Martin Aguissa, Martine Bouchier, Julien Creuzet, Eva Barois De Caevel, Oussama Tabti, Thierry Oussou, Mustapha Sedjal, Dagara Dakin, Yang Seung Woo, Joana Choumali, Omar Victor Diop, Fréderic Nauczyciel, Francine Mabondo, Marc-Antoine Durand, Romaric Tissserand, Julia Morandeira Arrizabalaga, Daniel Bernard Roumain, Galerie Cécile Fakhoury, Anna Mazzei, Edouard Duval-Carrié, Pearl, Brent Hayes Edwards, Sylvie Kandé, Jean-Marc Bullet, Alisa Clements, Kouka Ntadi, Barthélémy Toguo, Marcel Pinas Direction de publication Carole Diop Pascale Obolo Rédactrice en Chef Pascale Obolo Rédactrice en Chef Invitée Seloua Luste Boulbina Direction de projet Louisa Babari Direction Artistique antistatiq™ Graphisme antistatiq™ Comité de rédaction Frieda Ekotto Olivia Anani Seloua Luste Boulbina Camille Moulonguet Patrick de Lassagne Djenaba Kane Anne Gregory Myriam Dao Sean Hart Fabiana Bruna Souza Hafida Jemni Tous droits de reproduction réservés. Contact: info@afrikadaa.com www.afrikadaa.com www.facebook.com/Afrikadaapage www.twitter.com/afrikadaa
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EDITO Aujourd’hui, de nombreux artistes contemporains des suds (re)prennent des motifs anthropologiques. Soit qu’ils détournent les clichés de leur destination primitive, soit qu’ils calquent ironiquement leur démarche sur celles de ces savants d’un autre temps, soit qu’ils recourent, dans leur travail, à des procédés de type anthropologique. De multiples façons, la référence à l’anthropologie est aujourd’hui récurrente. Cet « anthropologisme » et ses nouveaux enjeux signent-ils la mort de l’anthropologie ? Un renouveau ? Quel(s) usage(s) faire des archives photographiques? L’anthropologisme est-il la marque d’une décolonisation ? Comment artistes et chercheurs se démarquent-ils des connaissances profondément marquées par une idéologie coloniale et raciale ? Qu’en font-ils ? Comment, dans le recyclage des images anciennes, l’art assume-t-il une fonction sociale critique ? Ces quelques questions soulignent que le rapport art/anthropologie est un foyer d’interrogations critiques. Dans le même temps, et parallèlement, des anthropologues – et, en particulier, ceux que l’on appelait les « africanistes » - se sont saisis de l’art contemporain africain. Celui-ci est-il une suite logique des arts premiers auxquels l’anthropologie du XXe siècle a porté attention ? Ce phénomène est-il uniquement français ? Que signifie-t-il ? Plus largement, quel est le sens, également des expositions comme « L’invention du sauvage » ou « Exhibit B ». Peut-on les dissocier de la résurgence, très différenciée, des clichés du passé ? Les « anthropologismes » paraissent caractéristiques du début du XXIe siècle que l’on se tourne du côté de la rencontre de l’art avec l’anthropologie (surtout lorsque les démarches artistiques se veulent aussi recherches théoriques), ou de celle de l’anthropologie avec l’art. A quelles hybridations donnent-elles lieu ? SELOUA LUSTE BOULBINA
Today, many contemporary artists from the Southern worlds work with the (re) appropriation of anthropological patterns. They do so by subverting the clichés to divert them from their “primitive” destinations, using mimicry as a critique of the approach devised by those scientists from another time, or by using anthropological processes as material in their work. In many ways, the reference to anthropology is today, a recurring practice. Are this “anthropologism” and the stakes at play here, signing the death of anthropology ? A revival ? What use can be made of photographic archives ? Is anthropologism the mark of decolonization ? How do artists and scientists distinguish themselves from a system of knowledge deeply inscribed with a colonial and racial ideology ? What do they make of this heritage? How in the recycling of images from the past, does art assumes a role in social commentary ? These questions highlight that the art / anthropology connection is a source of critical interrogations Simultaneously to these developments, anthropologists in general – and the so-called “Africanists” in particular - have taken hold of contemporary African art. Is this a logical continuation, from the primitive arts on which anthropology focused its attention on during the twentieth century ? Is this phenomenon limited to France ? What are its implications ? More broadly, what is the meaning of shows like “The invention of the Savage” or “Exhibit B” ? Can we separate these actions from the revival of old clichés ? The “anthropologisms” seem characteristic of the early twenty-first century, and this is true whether we look at the encounters generated from art to anthropology (most notably, with artistic approaches also making claims to be theoretical research), or from anthropology to art. Which hybridizations do these encounters give place to ? SELOUA LUSTE BOULBINA
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AFRIKADAA ANTHROPOLOGISMES ART TALK ANTHROPOLOGISMES/UPSIDE DOWN - PAR SELOUA LUSTE BOULBINA
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BAROTSELAND AND THE PERFORMED ARCHIVE : THE AUTO-ETHNOGRAPHIC EYE AND I - BY MUKWAE WABEI SIYOLWE
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LES ANTHROPOPHAGISMES D’ANA MAZZEI - PAR ALICIA KNOCK
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YOU DO THE CRIME, YOU DO THE TIME : UNE SÉRIE DE VIDÉOS DE MARTINE BARRAT - PAR CAMILLE MOULONGUET
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ÊTRE PÉRIPHÉRIQUE/BE PERIPHERAL - PAR FABIANA BRUNA SOUZA
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YET ANOTHER DANCE ON RACE : THE TUNE OF BALDWIN AND MEAD IN A RAP ON RACE - BY FRIEDA EKOTTO
52
POSSÉDER LE « JE » : DIFFÉRENTS USAGES DE L’ANTHROPOLOGIE - PAR MYRIAM DAO
54
LA MONTÉE AU TRÔNE DU PRINCE HÉRITIER - PAR PASCAL KENFACK
58
SPHYNGE EN SUCRE ET PENSÉE DE L’HYBRIDITÉ CHEZ KARA WALKER - PAR RÉMI ASTRUC
61
ARTS, ANTHROPOLOGIE ET LE DON : DIALOGUE ENTRE ROGER SANSI ET STÉPHANE MALYSSE
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LES DÉPLACEMENTS DU SENS : ENTRETIEN AVEC BRUNO PÉDURAND PLASTICIEN - PAR CYNTHIA PHIBEL
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IDENTITÉ CULTURELLE, CRÉATIVITÉ ET NOUVEAUX HORIZONS - PAR OLIVIER TIMMA
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A COMPATIBILITY BETWEEN VALUE SYSTEMS : READING THE ARTS ACROSS AFRICA AND ASIA - BY OLIVIA ANANI
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ESTHÉTIQUE DU DIVERS : ENTRETIEN ENTRE EMMANUEL RIVIÈRE ET MYRIAM-ODILE BLIN
84
UNSETTLING PHOTOCOLLECTIONS - BY ANTJE VAN WICHELEN
88
SUPPLÉMENT AUX ZOO HUMAINS - PAR JEAN-CLAUDE MOINEAU
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SUPPLÉMENT AUX ZOO HUMAINS/ACTE 2 - PAR JEAN-CLAUDE MOINEAU
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ART, ANTHROPOLOGY AND MUSEUMS : POST-COLONIAL DIRECTIONS IN THE UNITED STATES - BY SALLY PRICE
102
PLACES RÉOUVERTURE DU MUSÉE NATIONAL À YAOUNDÉ : UN BOEING DE 5000 MÈTRES CARRÉS - PAR MARTIN AGUISSA
116
CONCEPT ETHNO-GRAPHIES : DIALOGUE ENTRE MARTINE BOUCHIER ET MYRIAM DAO
120
SURVOLÉ, LES PAGES DE TOUTES NOS COLONIES (...) - EVA BAROIS DE CAEVEL ET JULIEN CREUZET
127
TRACE - PAR THIERRY OUSSOU
132
TÊTE D’ARABE : L’ESTHÉTIQUE ORIENTALISTE EN QUESTION - OUSSAMA TABTI
134
LA MAISON DU PEUPLE - MUSTAPHA SEDJAL
FOCUS YO-YO GONTHIER : PETITE ZONE PEU SÛRE - PAR DAGARA DAKIN
138
PORTFOLIO LOST CHILD (2007) - YANG SEUNG WOO
142
FIREFLIES, BALTIMORE (2011-2014) - FRÉDÉRIC NAUCZYCIEL
146
RÉSILIENTES (2014) - JOANA CHOUMALI
154
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PROJECT DIASPORA (2014) - OMAR VICTOR DIOP
160
ARCHITECTURE LE MUSÉE DU QUAI BRANLY : UNE ARCHITECTURE QUI RÉACTUALISE LES CLICHÉS - PAR CAROLE DIOP
168
MICRO-RÉCITS ET URBANISME : UN ARCHITECTE ET UN ANTHROPOLOGUE À NOUACKCHOTT - PAR MAR-ANTOINE DURAND
172
DESIGN COMMENT UNE CERTAINE PRATIQUE DU DESIGN PEUT ÊTRE ASSIMILÉE À L’ANTHROPOLOGISME - PAR JEAN-MARC BULLET
180
EXHIBITION REVIEW 1:54, DEBRIEF - PAR FRANCINE MABONDO
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CANIBALIA - PAR JULIA MORANDEIRA ARRIZABALAGA
188
MUSÉE L’ONT L’EUX : UNE PERFORMANCE D’AFRIKADAA AUX LABORATOIRES D’AUBERVILLIERS
192
CARNET DE BORD ULTRAMAR (EMPIRE TRAVEL CLUB) : OÙ L’AGENCE DE VOYAGE PAR LES IMAGES - PAR PASCALE OBOLO
194
AFRIKADAA’S LIBRARY 200
AGENDA 202
AFRIKADAA PLAYLIST WADE IN THE WATER - BY MUKWAE WABEI SIYOLWE AND DANIEL BERNARD ROUMAIN
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ART TALK
Anthropologismes Upside down Par Seloua Luste Boulbina directrice du programme « La décolonisation des savoirs » au Collège International de Philosophie, chercheuse associée à l'Université de Paris VII (France)
Edouard Duval-Carrié, "After Church–Mystic Lagoon," 2013. Mixed media on aluminum, 96 x 144 inches. Courtesy of the artist.
L’enquête a été le complément indis-
exemple, le développement de la pho-
photographie à leurs propres fins.
pensable des conquêtes européennes :
tographie s’est effectué – aussi – en terre
Les studios arméniens seront dans la
les hommes de science et les artistes
étrangère.
région, les plus réputés. Puis les frères
ont été systématiquement mis à contri-
Abdallah, d’abord assistants d’un
bution. Les images ont donc toujours,
Le premier daguerréotype de l’histoire
photographe allemand, deviendront
par voie de conséquence, par héritage,
réalisé par Joly de Lobnière, en 1839
les photographes officiels du sultan
accompagné l’anthropologie. Elles sont
montrait les ruines romaines de Baalbek.
Abdel Aziz, consacrant le nouvel art de
aussi, nécessairement, des représenta-
En 1840, Horace Vernet et Goupil-
portrait. Ils deviennent ainsi les maîtres
tions des concepts qui ont présidé à
Fesquet photographient Beyrouth.
des images.
l’exploration. En ce sens, elles sont la
C’est aussi la première fois. Le geste
concrétisation d’un regard. Mais aussi
destitue le dessin et son hégémonie
Les photographes constituent, sou-
des craintes et des angoisses, de la fasci-
impériale. Peintres, lithographes,
vent consciemment et délibérément,
nation et de la répulsion. L’inventaire de
graveurs perdent leur monopole. Mais
des archives de ce qui va, sous l’effet
ces images relève de l’encyclopédisme.
la captation est immédiatement happée
d’une présence étrangère, disparaître :
Il suffit ici de signaler combien, par
par les Ottomans qui se servent de la
vêtements, manières d’être et de faire.
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Les « scènes », selon le vocabulaire
dans le Mali du XXe siècle (Seydou Keita,
objets d’antan en sujets présents. Elles
français – théâtral - en vigueur, seront
Malick Sidibé) passe d’abord par le por-
cherchent, au fond, à remettre le passé
fixées par l’objectif. L’enjeu colonial de
trait. Le paysage est relégué au second
en place et, donc, le présent au milieu de
la photographie est tel que, plus tard,
plan car pour ses habitants, un pays
toutes les hétérochronies.
certains, dans leurs découvertes anthro-
ne se réduit pas à un paysage. Le sens
pologiques, en dissimuleront l’usage.
de l’image est inversé, en dépit de la
Edouard Duval-Carrié réinvestit ainsi le
Point de photographies dans les livres
ressemblance que les nouvelles images
paysage pictural (avec ses moustiques,
de Claude Lévi-Strauss sur le Brésil ou
entretiennent avec les anciennes. «Les
sa malaria…) à la façon scintillante
d’un de ses plus célèbres lecteurs, Pierre
peuls de ma région de Sissako» de Mory
et pailletée du réalisme merveilleux.
Bourdieu, en Algérie. La photographie
Bamba ou « Les Chinois en Afrique » de
Revisitant les peintures du passé,
est un non-dit, une ellipse, un secret.
Bintou Camara « documentent » de nou-
il montre, face à une végétation
On dispose, depuis, de leurs albums
velles réalités. Ces photographies sont
dense, sous un ciel chargé de terreurs
respectifs qui montrent combien l’acte
des envers de la photographie coloniale.
nocturnes, une barque colombienne
photographique a participé à leur travail,
Que se passe-t-il, toutefois, quand on
(celle de Christophe Colomb) contenant
qu’ils le reconnaissent comme Bourdieu,
emprunte aux vieilles catégories pour
des personnages de Walt Disney prêts
ou le dénient, comme Lévi-Strauss.
produire de nouvelles images ?
à accoster. Ils sont les symboles des
La question est sans doute plus politique
paradis tropicaux que représentent
Bien sûr, familiers des « scènes et types » collectés au gré de l’emprise progressive du continent africain – et du reste du monde – par les Européens, ils entendent rompre avec une tradition funeste. Largement diffusées comme cartes postales, les « scènes et types » sont les images d’Epinal de la colonie. Elles immortalisent sur le papier des scènes « traditionnelles » ; « la grande prière » ; « dans le sud, le transport des dattes au Sahara » ; « marchand de ka-ka-ouet ». Ou des « types » ; « femmes kabyle » ; « noble targui et enfant hartani ». Un inventaire complet des
aujourd’hui, avec leurs formules « all
“Dans cet étrange laboratoire, des visages anciens réapparaissent ; ils nous renvoient à une ancestralité complexe dans laquelle on trouve de la parenté et du patrimoine, d’anciennes et de nouvelles alliances”
populations préside à la constitution de
inclusive », les Caraïbes et la Floride. Ce n’est plus- seulement - l’espace de la plantation et de l’esclavage - mais celui des resorts qui est évoqué. Des personnages mouchetés, noirs et blancs, hantent la toile. Ces paysages, en effet, sont peuplés de fantômes. Erzulie Freda en partance pour Paris remplace, avantageusement, l’ancienne « mulâtresse » portraiturée par l’amateur d’histoire naturelle. C’est un nouvel embarquement pour Cythère. Dans un geste comparable quoique évidemment différent, Lennon
portraits d’anonymes réduits à n’être
qu’artistique.
Jno Baptiste explore l’exploration
que l’illustration d’un « type » particulier.
Comment hériter des images du passé ?
pour en mettre au jour les figures :
Les anciennes colonies d’Amérique ont
Vénus Hottentote transformée en
L’ambivalence s’affiche sur ces images
légué des peintures. Les nouvelles colo-
déesse charnue de la pornographie,
car elles montrent et l’intérêt réel pour
nies d’Afrique et d’Asie on été marquées
Chickenman emprunté au vocabulaire
les mondes nouveaux et la destitution
– et remarquées - par le photographie.
du spectacle et clown blanc du
des sujets que la colonisation entraîne.
Les stratégies artistiques sont plurielles
répertoire passé, coqs dont les combats
C’est pourquoi la reprise, comme dans
qui signent la provincialisation d’un
apprivoisent le sens agonistique des
l’empire ottoman du XIXe siècle, ou
regard autant que la transformations des
hommes du pays, boxers qui prennent
7
leur revanche sur la vie. Les vignettes
fétiches. Quel usage contemporain faire
son propre goût pour la collection et
coloniales et postcoloniales peuplent
de ces anciens « invariants » ? Faut-il lais-
les divers anthropologismes constitutifs
les dessins et les peintures, quelquefois
ser ces archives de côté ou les réinscrire
de la modernité occidentale. Il peut
tracées noir sur noir, plongeant les
dans le présent ? Et comment ? À partir
s’agir des innombrables dessins mon-
figures et le spectateur dans l’obscurité.
des images de l’expédition du belge
trant comment atteindre – en incisant
Les doubles portraits montrent un
Charles Lemaire au Congo, Sammy Baloji
les chairs – une lésion organique, des
chevalier masqué et démasqué. D’un
incruste, dans la série « Congo Far West »,
innombrables photographies « avant-
côté un homme au visage blanc,
les « types » d’antan – « femme urua »,
après » de la chirurgie reconstructrice
de l’autre avec un masque noir. La
« grand chef urua » - sur des aquarelles
indispensable pour réparer les visages
fantasmagorie inonde la toile ou le
de Dardenne. Il juxtapose la photogra-
des « gueules cassées » de la « grande
papier et juxtapose les clichés : jeune
phie d’un homme aux mains mutilées à
guerre », des sculptures « nègres » pro-
fille au teint de porcelaine, grosse
Pweto, prise en 1899 et celle d’un fusil
duites à partir de ces blessés de 14, de
femme noir aguicheuse, sculpture
abandonné dans les chutes de Kyoba,
la confrontation faciale de la statuaire
« africaine ». Les noms, néanmoins,
en 2010. Trace du conflit entre forces
moderne avec ces visages abîmés. La
réapparaissent : Toussaint Louverture,
congolaises et Mai-Mai dans le « trian-
pratique du collage prédomine. Du
Marcus Garvey, Sartjee Bartmann… Ici
gle de la mort ». Les anciens albums de
reste, outre que celui-ci est caractéris-
aussi errent des êtres à la peau bicolores.
photographie sont revisités – album de
tique du début du XXe siècle, les gueules
Pauwels - : au milieu de clichés montrant
cassées ont suscité le recours au collage,
Les anthropologismes n’existent pas
l’explorateur et sa chasse aux fauves, des
comme dans le travail artistique d’un
sans les collections. Les êtres figés sur
instantanés d’aujourd’hui font voir des
chirurgien ou infirmier de l’époque,
le papier, les objets achetés ou rap-
militaires arpentant le terrain.
René Apallec. La disparité des pièces
tés s’alignent comme une armée de
Repairs analysis, de Kader Attia, exhibe
contribue à flouter les anciennes associations pour en créer de nouvelles. Les miroirs, présents depuis longtemps dans le travail de Kader Attia, sont recousus après s’être brisés en deux. Toutes ces pièces, quoique de façon différente, demeurent ambivalentes car elles recourent à des codes ou des normes antithétiques : variété et invariant, ancien et nouveau, refus et acceptation, affirmation et négation. Les archives, en effet, et surtout les archives coloniales, nous lèguent d’abord des problèmes. Elles représentent un regard à la fois éloigné, étranger et sûr de lui sur le monde et sur les « autres ». Elles constituent ce qu’on peut appeler des anthropologismes qui débordent l’anthropologie. Mais la vérité
Edouard Duval-Carrié, "After Church–Moonlight in the Tropics," 2013. Mixed media on aluminum, 96 x 144 inches. Courtesy of the artist.
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qui leur était attribuée s’est effacée
Edouard Duval-Carrié, "After Church–Mystic Lagoon," 2013. Mixed media on aluminum, 96 x 144 inches. Courtesy of the artist.
avec la fin des colonies. C’est une autre
l’ancien et le nouveau est inévitable.
Les représentations des gueules cassées
vérité qui cherche à s’exprimer, et qui
Mais en remplaçant une mulâtresse
ou des vénus hottentotes ressemblent à
passe par des canaux aussi divers que
par Erzulie Freda ou en appariant
ces images énigmatiques de rêves dont
singuliers. Les artistes interrogent-ils
soldats d’aujourd’hui et explorateurs
on sait qu’ils n’existent, au fond,
ces archives ? S’interrogent-ils sur ces
d’hier, les artistes baignés dans les
que dans le récit que l’on en fait.
archives ? En tout cas, ils les exposent,
anthropologismes dont leurs ancêtres
Dans cet étrange laboratoire, des visages
tels des trophées pris sur les stéréotypes
ont fait l’objet, recomposent des
anciens réapparaissent ; ils nous ren-
du passé. Ils les dédient à un assemblage
puzzles toujours nécessairement
voient à une ancestralité complexe dans
d’images hétéroclites et mélangées,
incomplets en miroir des images du
laquelle on trouve de la parenté et du
mixées au prisme du présent. Ce faisant,
passé. Les anthropologismes, quand
patrimoine, d’anciennes et de nouvelles
ils transforment, paradoxalement,
ils traversent explicitement le champ
alliances.
le connu en inconnu.
de l’art contemporain, produisent un « effet miroir » qui restaure le sujet
Ce n’est pas la cohérence qui est
et la subjectivité dans leur puissance
recherchée car le conflit entre
créatrice.
9
ART TALK
Barotseland and the performed archive
the auto-ethnographic eye and I By Mukwae Wabei Siyolwe
Photos : Courtesy of Mukwae Wabei Siyolwe Private Collection and DĂŠfap-Service protestant de mission, Paris
King Lewanika, Kwa Ndu, Lialui, Barotseland, 1900. Photo by Francois Coillard. Private Collection of Mukwae Wabei Siyolwe
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Royal Barge (date ad author unknown). Courtesy of Défap-Service protestant de mission, Paris
Still from "wade in the water", Scene from Kuomboka, 2009. Courtesy of Mukwae Wabei Siyolwe
Auto-ethnography, the fusion between
adequate repository for their archive.
are interwoven and Ba-ntu, translated as
biography and ethnography, first came
Meaning must be created with these
people of Spirit, are connected, through
to my attention as a method to articulate
images, as they go beyond a rudimen-
movement and vibration into their
and archive the pre-colonial encounters
tary knowledge of the languages or
true nature, Spirit, Ba, “undifferentiated
documented in the photographs of my
culture of the Barotse, and enter into the
energy and matter” expanding on Ra Un
great-great Grandfather, King Lubosi
world of the subjects who used them to
Nefer Amen.
Lewanika (1842 – 1916), taken by French
interpret their ideas of power and form
In my auto-ethnographic journey to
missionary François Coillard of the Paris
of governance. These images, like the
make sense of these images and cultural
Mission Society between 1884–1903
bones found in Ethiopia and the Arabic
memories, I notice several leitmotifs,
from his diary, On the threshold of central
manuscripts “discovered” in Timbuktu
recurring themes and traces of Ku-
Africa: A record of twenty years pioneering
are all keys to historicizing Africa.
omboka, one of the annual new moon
among the Barotse of the Upper Zambezi.
There is metaphysical symbolic system
flood ceremonies of the Barotse, which
The photographs taken by Coillard
within the frame where the mis-en-
Coillard witnessed and documented but
reveal powerful African historical
scene, characters and setting give
could not interpret. Literally translated
documents and push to the fore issues
evidence of the noumenal realm where
as: “to wade in and out of the water,
of agency, representation, and the
the material world and spiritual world
Kuomboka is a mass exodus to move the
Still from "wade in the water", 2009. Courtesy of Mukwae Wabei Siyolwe
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Lewanika, Lialui, Barotseland, 1903. Photo by Francois Coillard Private Collection of Mukwae Wabei Siyolwe
nation to the safety of higher ground
knew the power of the image and that
We cannot understand the images if we
when the flood comes and the ritual to
it would “stand in” and translate their
do not accept the terms of the narra-
return called Kufuluhela when the water
metaphysical power. To be the ideal
tive of the Barotse. To do this we must
recedes.
reader, I use Umberto Eco’s theory of
re-map Africa to get a multi-millennial
The King of the North, the Litunga, trans-
textual cooperation, which gives the
perspective on the migrations and their
lated as Earth in the ancient royal court
reader an essential role in the process of
Nilotic origins to understand the func-
language, Siuyana, and the Queen, Earth
making meaning.
tion of this central myth and cultural
of the South, the Litunga La Mboela,
What metaphors have been passed
practice.
both have their own Ku-omboka. They
down to me so that I can interpret and
Ku-omboka is a lived experience and
are “stand-ins” for the Higher Ba and
be the ideal reader of these photo-
Barotse practice Kuomboka, therefore
signifiers, custodians of the earth with
graphs? What lullabies from my mother’s
their knowledge base comes from
reference to the work of Likando Kala-
breast, unique food customs from our
a place deeper and more complex
luka.
table, songs in childish play and rites of
than field research for a book chapter.
These spectacles of religiosity are
passage help me translate and transfer
Barotse willingly or unwittingly must
based on ecological necessity and
these photographs ? How can I “cut” my
pass through the metaphysical realm in
are a symbolic narrative system that
own history -- citing Foucault, who used
order to experience and transmit oral
includes vibration of the royal drums,
this cinematic metaphor to express the
and symbolic knowledge. Ku-omboka
masquerades, and journey of the royal
often-violent cognitive process, which
has through the centuries gone through
barqes with a cast of a million. This
must take place within the body and
many changes and the photographic
photographic archive illustrates how
soul to “de-colonize the mind” (to bor-
archive shows us every legitimization
the African monarchs of the late 1880’s
row from Ngugi wa Thiongo) ?
crisis, including the one today.
Funeral Procession of King Lewanika, Barotseland, 1916 . Photo by Théophile Burnier . Courtesy of Défap-Service protestant de mission, Paris
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The country known as Zambia today
Lewanika, into a Christian. When Coillard
graphs. Its occupation has been one of
came about as a result of a merger
came to Barotseland asking to show the
misrule, neglect, and acts of aggression,
of two autonomous nations, namely
Barotse the Son of God, Lewanika told
repression, suppression, intimidation,
Barotseland, a constitutional African
him he had come to the right place as
harassment torture and arbitrary arrests.
monarchy, and Northern Rhodesia, a ter-
the literal translation for Muan’ a Mulena
Zambia abrogated the treaty and Barot-
ritory occupied and constructed by the
is “Son of God” in Siluyana, the name
seland declared independence on March
colonial project and so-named after its
given to any prince of Barotseland.
27th, 2012, at the behest of the Barotse
own architect, Cecil Rhodes, the direc-
Over a century, every successive Barotse
National Council, the indigenous govern-
tor of the British South Africa Company.
monarch used the image as a tool for
ance system and representatives of the
Due to the Kalahari sands and endless
legitimization. The Barotseland Agree-
people.
rivers, gorges and great Mosi-Ou-Tunya
ment of 1964 is an international treaty
This is where the archive has purpose.
falls, “the smoke that thunders”, this
and ensures self-determination for its
For Africa, obscure lands have resurfaced
African empire once spanned part of
people from the ravages of the post-
right out of the travels of Herodotus
modern day Angola, Namibia, Zimba-
colonial nightmare of dislocation and
or the visions of Volney. Ethiopia, as
bwe and Zambia, and was impenetrable
cultural genocide. Now, after fifty years,
a name, referred to the whole of the
until the twilight years of colonialism in
like a child rejecting its mother, Zambia
continent of Africa. When Africa was
the 1890’s.
is denying its own African past prior to
first mapped , it stretched into the Indus
In the missionary diary of Francois
1964 by ignoring the ancient state of
Kush valley. South Sudan, Somaliland,
Coillard, he gives vivid descriptions
Barotseland and its right to self-deter-
Zanzibar, and old kingdoms like Bar-
and images of his ten-year trek to
mination, even with the plethora of
otseland are re-mapping Africa and
Barotseland to convert the King, Lubosi
forensic documents, maps and photo-
re-remerging from obscurity to take
Still from "wade in the water", Scene from Kuomboka, 2009. Courtesy of Mukwae Wabei Siyolwe
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their historical place on the proverbial
process of being at peace with ourselves
tell us much through omission. Even the
global table. Reawakened African phi-
and the world.
little old French missionary who appre-
losophies left to the human family, like
In watching this Barotseland story
ciated but did not really understand
Ubuntu and Likute, are a moral compass
unfold I ask you to be an ideal reader
Kuomboka in his observations of the
to help us negotiate change from this
and apply a wider lens to view the
“heathen races” has left us much.
constructed chaos.
events on the Internet. Identify the plot,
I, for one, would be bereft without these
A “virtual” wave of independence and
a few of the scenes, one of its epic hero/
very intimate images of the comings and
revolution from neo-colonialism is hap-
ines and the role you could play as a
goings of my great-great Grandfather
pening on the African continent. Worlds
spectactor to borrow from Boal. Before
King Lubosi Lewanika (1842 – 1916).
destroyed are being reconstructed and
the Internet, access to this information
restored through the Internet, after
was left only to social scientists, who, like
Mukweae Wabei Siyolwe is currently
centuries of obscurity. Why? Because
medieval priests, limited access to this
writing a hybrid oratorio with Haitian
people now have access to the archive
information, in order perhaps to build
American composer Daniel Bernard
and are seeking maximum fiscal and
the idea of an Africa without her own
Roumain called Wade in the Water,
policy autonomy by reasserting their tra-
systems of governance. Africanists with-
Kuomboka to celebrate the centen-
ditional systems of governance, because
out cultural memory, and thus with very
nial of King Lewanika of Barotseland
the colonial nation state construct is
limited cognitive tools, can no longer be
in February 2016, in association with
bankrupt.
considered authorities by “mis-reading”,
The Kelly Strayhorn Theatre. Pittsburgh
The Barotse are one such group who are
the needs of millions of people. Some
USA. This production is made possible
using the Internet as an advocacy tool to
of us are too stubborn and decided
by grants from Advancing Black Arts, of
revise their stolen history, revitalize and
long ago to dedicate our lives to creat-
the Heinz Endowment, The A.W. Mellon
exercise their right to self determination,
ing epistemological frameworks to put
Educational and Charitable Trust Fund
by making the Internet a repository, a
the pieces back together, not only for
of The Pittsburgh Foundation, and The
growing database of archival images
Barotseland but also the whole of the
Greater Pittsburgh Arts Council (GPAC).
and texts, laying bare forensic evidence
global south.
to their legal claim for sovereignty and
Either way, the western missionary,
a restoration of the Barotseland Agree-
anthropologist and social scientist still
ment of 1964. This archive of the Barotseland narrative is helping us to unravel the arbitrary borders imposed by imperialism and the colonial project on the African body, and these distinct dramatic events are also putting into question Africa coming to terms with its own colonial history with the resurgence of a Jim Crow system, Apartheid for Africans globally. Beginning the process of Ubuntu starts with respect for a commitment to share more information and open the archives of Africa, the mother ship, to retell the story of origins and migrations and begin the
14
Still from "wade in the water", 2009. Courtesy of Mukwae Wabei Siyolwe
King Lewanika of Barotsleand , Coronation Tour of Edward VII , 1902, Edinburgh. Photo by G. H. Tod Courtesy of DĂŠfap-Service protestant de mission, Paris
15
ART TALK
Les anthropophagismes d’Ana Mazzei Par Alicia Knock
16
Planta, gouache sur bois, 2013, © Anna Mazzei.
Images : Courtesy of Anna Mazzei
Dans deux installations prĂŠsentĂŠes
mÊtamorphose. Le rituel pour moi, c’est la
l’installation tel un objet de la pensÊe qui
rĂŠcemment Ă Paris1, Ana Mazzei, jeune
façon contemporaine de regarder les ritu-
n’aurait pas encore conquis ni l’espace ni
artiste pauliste, dĂŠploie son univers
els. Ce sont bien sur les rituels des Indiens,
la masse d’un objet rÊel. Ici, chaque objet
poĂŠtique et sensible, aux rĂŠfĂŠrences
mais la construction d’une œuvre est aussi
se conquiert, comme au terme d’une
ĂŠrudites et quotidiennes, Ă la croisĂŠe du
quelque chose de rituel, le rituel est surtout
patiente enquête du regard : un dossier
thÊâtre et de l’architecture. VÊritables
très important dans mon quotidien. 
de chaise devient un Teatro, surplom-
 anthropophagismes  du prÊsent,
bant des couches de feutre blanchies,
ses installations interrogent le rap-
PrĂŠsentĂŠe Ă la galerie Emmanuel HervĂŠ,
rÊduction sÊmantique des  barres 
port de l’artiste avec cette tradition
l’installation  Et nous nous marchons
modernistes. Des objets cachĂŠs atten-
anthropologique si prĂŠgnante dans
inconnus2  (2014) est une citation d’un
dent aussi d’être devinÊs, comme ce petit
l’histoire culturelle du BrÊsil depuis la
ouvrage d’AndrÊ ThÊvet, auteur de rÊcits
thÊâtre dissimulÊ à l’intÊrieur du socle
fin des annĂŠes 1920Â : ÂŤÂ historiquement
fondateurs de la thĂŠorie anthropophage
d’exposition. Ce qui se dÊploie à l’infini,
l’anthropophagie n’est  pas un mouve-
avec les Essais de Montaigne. Comme
c’est la polysÊmie des objets, la multi-
ment, c’est un groupe de personnes qui
les morceaux de phrases que l’artiste
plicitÊ des points de vue et l’intensitÊ du
cherchent à s’Êloigner du centre europÊen
lance pour convoquer le spectateur
regard qu’ils convoquent. Une installa-
et Ă crĂŠer quelque chose de nouveau,
dans une nouvelle rÊalitÊ, celle d’un
tion d’Ana Mazzei ne se donne pas au
dans une logique expÊrimentale , prÊ-
thÊâtre du quotidien, les objets qu’elle
premier regard, mais plutôt au dixième
cise l’artiste. IdÊologie avant d’être une
conçoit dÊbordent toujours leur espace
regard. Elle veut ÂŤÂ nous mettre des yeux
pratique, l’anthropophagie connaÎt au
propre. L’entreprise d’Ana Mazzei est
partout : dans l’oreille, dans le ventre,
cours du siècle de nombreuses trans-
bien, avec Bruno Latour et Viveiros de
dans les poumons Âť.
formations, au fil de ses dĂŠtours par
Castro, d’  indÊfinir , de multiplier les
d’autres disciplines, comme le thÊâtre,
points de vue, en une sorte d’ anamo-
la performance ou l’ethnologie. Ce
rphose discursive3. Dans la galerie, une
sont ces dĂŠplacements/dĂŠviations que
ville imaginaire, alphabet de  signes  en
l’artiste questionne, dans un rapport
bĂŠton, est disposĂŠe au sol mais semble
prĂŠcisĂŠment cannibale Ă la pensĂŠe
repousser ses propres frontières, à la
Dans son travail, tout est affaire de
anthropophage.
manière d’une plante grimpante. Influ-
perspectives : crÊer des paysages, qui
encĂŠe par le modernisme modulaire de
exigent des  yeux derrière la tête , qui
Pour baptiser ses expositions, Ana
Oscar Niemeyer ou Lina Bo Bardi, elle
feraient loupe et verre rĂŠtrĂŠcissant en
Mazzei choisit toujours un morceau
fonctionne comme un assemblage arbi-
mĂŞme temps. On voit ici se dessiner
d’une narration tronquÊe, que le regar-
traire de formes gĂŠomĂŠtriques ouvertes
le rapport très personnel de l’artiste Ă
deur doit complĂŠter. Accroche littĂŠraire
à d’innombrables dÊveloppements
l’anthropophagie, nourri de nombreuses
et point de dÊpart d’un rÊcit, mais aussi
sÊmantiques : ville trouvÊe, ville con-
influences : la multiplication des points
formule magique ou rituelle, elle amorce
ceptuelle, ville-mur, ville-ciel... On peut
de vue qui ĂŠvoque le perspectivisme et
le rĂŠgime des mĂŠtamorphoses. Le rituel,
l’apprÊhender au sol, assis, debout, per-
l’anthropologie mÊtaphysique de Vivei-
qu’elle dÊfinit comme une coupure, un
pendiculairement ou vue d’en haut. Sur
ros de Castro, Â le goĂťt pour la collecte
arrêt-sur-rÊel, est au cœur de sa pratique :
une minuscule Êtagère au mur, repose
d’objets petits voire miniatures, traces
 comme le thÊâtre, le rituel est pour moi
un quartier miniature baptisĂŠ ÂŤÂ Petit
d’histoires perdues qui permettent de
une rupture, une autre façon de voir le
passage  : mini-maquette, il effleure
reconfigurer l’Histoire au prÊsent. L’artiste
monde. Une transformation, pas loin de la 1! "!#$%&'!('!)*+!,-+%'-&!.*&/'&0!)-10-+!23!4!!5-!6-&(7%'3! ¿Q HW Š (W QRXV QRXV PDUFKRQV LQFRQQXV ª j OD JDOHULH (PPDQXHO +HUYp SULQWHPSV
17
2 Š &HV EDUEDUHV PDUFKHQW WRXV QXV (W QRXV QRXV PDUFKRQV LQFRQQXV )DUGpV PDVTXpV ª $QGUp 7KpYHW !"#$ #%&'()*+%,-#$."$)*$/+*&0"$*&,*+,%1(" 3! #78'70*)!('!9-)%0*3$2-,*345#%1("#$0*&&%6*)"#7$:&13!
Perspectivisme Anthropophage
met prÊcisÊment en perspective les tensions structurelles de l’anthropologie : Êgale importance des mythes et des
ART TALK rebuts de l’histoire, déplacements
ille comptines et musiques populaires.
lié à l’anthropophagie; changer les objets
métaphoriques toujours ancrés dans
En 1928, il publie Macounaima, odyssée
de place, les déplacer, les décentrer, comme
un espace donné, mélange des échelles
tupi et anthropophage, à dimension
aller voir les égyptiens au Louvre, c’est très
universelles et biographiques. C’est donc
musicale. A la fin des années 1920, en
anthropophage! »
toute une tradition de l’anthropophagie
Amazonie et au Pérou, il s’embarque
Le théâtre des opprimés d’Augusto
qu’elle s’approprie et se propose de réno-
pour une expédition ethnographique
Boal, mettant en exergue la place du
ver, en formulant un univers commun et
dans le Nordeste, avant de fonder la
jeu, trouve ensuite des échos dans les
intime, passé et actif, dans une sorte de
société d’ethnographie et de folklore
objets ludiques d’Ana Mazzei, proches
« physique » cannibale.
avec Dina et Claude Lévi-Strauss. Tous
du puzzle et des jeux de construction.
ses objets sont aujourd’hui rassemblés
Son travail peut être regardé comme
L’artiste s’approprie ouvertement toute
dans une bibliothèque, que l’artiste a
une forme de « théâtre-journal » tel
une tradition anthropophage de figures
longuement fréquentée : « j’ai fait un
que théorisé par ce dernier : un théâtre
pluridisciplinaires, oscillant entre art,
stage dans une bibliothèque qui gardait
du quotidien qui prendrait la forme du
théâtre, performance et ethnologie. Son
tous ses objets, toute sa recherche. C’était
journal intime. Dans la pédagogie des
goût pour la collecte d’objets trouvés
très important pour moi d’être en relation
opprimés, il faut précisément inventer
renvoie aux objets-échantillons de Mario
avec ces objets, de faire des taches quotidi-
son propre rôle à partir de l’occupation
de Andrade, qui a effectué plusieurs voy-
ennes comme de les dépoussiérer. J’aimais
d’un espace donné : créer une pièce avec
ages ethnologiques pionniers. Dès 1919,
le fait de pouvoir regarder ces objets en
les objets qui sont là, autour de soi, de
il voyage dans le Minas Gerais où il recue-
dehors de leur contexte d’origine, c’est très
manière immédiate. Cet attachement au lieu renvoie à la méthodologie que l’artiste pratique dans ses installations, toujours « site-specific » : « Augusto Boal est très important, il s’intéresse aux lieux de production, aux choses mises en scène. L’idée est de mettre en jeu le corps, être là, avec tes propres objets ; tu dois créer une pièce avec les choses que tu as sous la main. Chez Paolo Freire, l’idée c’est de créer ton propre personnage, d’agir sur ta réalité, de la recréer, même trente minutes. Mais pas au sens futuriste. » Comme Augusto Boal ou Paulo Freire, Ana aime partir de sa propre réalité, de sa situation dans le monde, du périmètre de son présent : « je pars des choses que je trouve, des choses qui sont personnelles et qui deviennent moi-même. Je tombe sur quelque chose, et je vois en quoi il est lié à mon présent, comment je peux le rattacher
Antes, gouache sur bois, 2013, © Anna Mazzei.
18
à ma propre histoire. C’est une sorte
d’opération de rénovation. »
Métamorphoses les œuvres d’Ana Mazzei explorent par ailleurs toute une iconographie des métamorphoses : l’anthropophagie est dans son travail à la fois forme et contenu, image et méthode. Son travail traverse en effet les récits mythiques gréco-romains ainsi que toute une iconographie anthropophage. Dans son autre installation parisienne à La Maudite fin 2013, « Couvert de son manteau couleur safran », elle s’appuie sur les métamorphoses d’Ovide. Le fameux manteau accompagne Orphée et Eurydice quit-
les personnages anthropophages
elle se promène le regard aux aguets,
représentés ici ne sont pas seulement
chasseuse-cueilleuse d’objets trouvés,
des « sauvages » -amérindiens,
usés, métabolisés, qu’elle s’efforce
nubiens ou guinéens- mais constitués
de réinjecter dans le présent. Elle
ici d’un indien et d’un blanc. Il s’agit
pratique l’art imperceptible des
d’une image non pas cannibale
déplacements, des promenades, des
mais précisément anthropophage.
dérives : ainsi, dans « Couvert de son
Cette représentation inattendue
manteau couleur safran », l’espace
est complétée par un des modules
de La Maudite est peuplé d’objets
géométriques que l’artiste affectionne
souvent indiscernables. Les traditionnels
et qu’on devine être ici précisément
monuments -villes, théâtres- sont réduits
le manteau couleur safran, en forme
à l’état d’abstraction : les architectures
de théâtre : le manteau y apparaît
deviennent des Plans, les théâtres des
comme l’attribut de la métamorphose.
formes ramollies dans les angles de la
La perméabilité iconographique
pièce, le continent debout, America,
entre théâtre et manteau inaugure ici
s’allonge en briques d’or... A l’inverse,
une monumentalité organique : une
les traces normalement invisibles -dent ou arc, baptisés Talismans- sont
tant les enfers, tandis qu’une
démesurément agrandis.
petite sculpture en bronze, Cavalo de Campo, représente une
Anthropoétique
cheval à deux croupes, hybridation personnelle d’un monstre deux fois sans tête. Dans le des-
Si le vocabulaire visuel
sin, Antes, (2013), l’artiste reprend
élémentaire de ces installations
par ailleurs avec précision les
-géométrie primaire, couleurs
premières représentations
simples- semble tendre vers
anthropophages. L’œuvre y
l’universel, cette dimension
emprunte en effet l’iconographie
Manteau, feutre, 2013, © Anna Mazzei.
des Blemmyes utilisée dans les
est contredite par le lien très personnel, voire organique, qui
récits de Pline l’ancien en référence à
architecture qui serait aussi souple
lie l'artiste comme regardeur aux objets.
des tribus nubiennes assimilées depuis
qu’un vêtement. Il s’agit sans doute
Les matériaux et les représentations
Othello aux mœurs anthropophages :
du manteau que l’artiste revêtait pour
y sont comme en état de perpétuelle
se promener dans les rues de Paris,
métamorphose. Ainsi, cette Capsule
« And of the Cannibals that each other eat,
portant ainsi les couleurs du théâtre des
-module d’un quartier- apparemment
The Anthropophagi, and men whose heads
opprimés, pour qui « tout être humain
impersonnelle, est en bois et papier
Do grow beneath their shoulders »
est un théâtre ».
chinois peint en or, soulignant le lien de l’artiste au phénomène anthropophage
La licorne également présente dans le
Le goût d’Ana Mazzei pour les
des chinois de Belleville : « je m’intéresse
dessin pourrait se référer à la « sorte
matériaux instables et transformatifs
aux choses populaires, plus réelles, aux
de licorne à deux cornes, appelée
(feutre Beuysien, papier, or) et pour
choses anthropophagiques qui se passent
Pirassouppi » décrite par André Thévet
les cannibalisations du présent sont
tous les jours à São Paulo : l’immigration
dans sa Cosmographie universelle. Mais
symptomatiques de sa démarche :
africaine ou haïtienne ; ou à Paris, les
19
chinois de Belleville ; et j’essaye de voir
-minuscule, majuscule- pour exciter
de Lygia Clark.
comment je peux être en relation avec eux,
l’activité sensible de l’œil. Les struc-
Un rapport singulier à l’anthropologie
comment les gens peuvent vivre ensemble.
tures, modules, choses, qu’elle conçoit
anthropophage structure son travail, non
L’anthropophagie c’est d’abord une façon
structurent un théâtre d’objets qu’on
à la manière d’une science mais plutôt
de penser : ce qui compte pour moi c’est
ne parvient pas à nommer, organiser,
dans le sens de la poésie, du « dire » ;
comment être reliée à la vie quotidienne,
mais qu’on peut seulement animer par
comme la dernière phrase du manifeste
aux choses qui se passent autour »
le regard : « pour moi ce qui compte c’est
anthropophage, elle donne envie de
de penser en histoires, narrations, fic-
« croire aux signaux, aux instruments et
Dans la lignée des Métaphysiques
tions, de comprendre comment l’histoire
aux étoiles ». Sa prochaine installation à
cannibales de Viveiros de Castro, il s’agit
a changé avec le temps, on ne sait pas
Sao Paulo, sera poétiquement, l’insertion
donc bien d’expérimenter dans ces
exactement comment, on cherche des clés
d’une colonne amovible, « une pierre
installations une « mise en variation
des indices minuscules dans la rue. C’est en
qui bouge », objet-trompe-l’œil, objet
de notre imagination ». Le travail de
cela que les objets trouvés sont tellement
migrateur, qui viendra perturber la foret
l’artiste s’inscrit dans la lignée d’une
importants pour moi. C’est pour cela que
massive des pilotis modernistes du bâti-
nouvelle anthropologie préférant
les objets anthropologiques m’intéressent,
ment « Pivo » d’Oscar Niemeyer, pour
« la description d’autodétermination
ainsi que les objets archéologiques : j’ai
donner à percevoir, encore, de nouveaux
ontologique des collectifs étudié à la
toujours l’impression qu’une pièce manque
angles et points de vue sur les êtres et les
réduction de la pensée humaine à un
au puzzle de l’histoire. Mes œuvres sont
choses.
dispositif de recognition : classification,
toujours fictionnelles. À mes yeux, il n’y a
prédication, jugement, représentation. »
pas qu’une histoire, l’histoire change. J’ai
Cet article a été écrit suite à un entretien avec
Elle envisage l’anthropologie comme
toujours la sensation que chaque objet
l’artiste, citée tout au long du texte, que je
ontologie et non comme science : « La
peut changer ma propre histoire, j’aime
remercie vivement.
classification ne m’intéresse pas, j’ai un
produire des petits objets qui n’ont pas de
rapport intuitif, incapacité à classer. Pour
place spécifique dans le monde. C’est notre
moi ce qui compte c’est l’espace dans
être-au-monde dans le monde contempo-
lequel je suis, j’ai besoin d’être dans cet
rain : nous n’avons pas de place. »
4
espace. J’aime les déplacements pas la classification les discontinuités physiques
Si nous n’avons plus de place spécifique
des objets dans l’espace, j’aime les
dans le monde, dans telle géographie ou
discontinuités métaphoriques. »
telle histoire, seul le corps peut con-
Si les objets géométriques d’Ana Mazzei
stituer un repère fort : notre place c’est
organisent soigneusement l’espace, ils
donc là où nous sommes. La dimension
excèdent toujours la tentation anthro-
conceptuelle des œuvres d’Ana Mazzei
pologique par les sensations irrégulières
« se refuse à concevoir l’esprit sans le
qu’ils suscitent : ils semblent comme
corps. » Conformément au manifeste
égarés, clés manquantes d’un groupe
anthropophage, tout est « dans la com-
Alicia Knock est conservatrice-
disparu, rendant toute classification
munication avec le sol. » Ses installations
stagiaire à l’Institut national
impossible. Elle propose des plans ou
complexes, minimes, réactivent, par des
du patrimoine. Spécialiste d’art
des maquettes, mais toujours désta-
déplacements infimes, les systèmes de
contemporain, elle est passée
bilisés par le matériau comme par les
pensée du passé dans un présent actu-
par des institutions muséales à
formes ; elle multiplie les jeux de regards
alisé par les sens. Dans cette perspective,
New York, Moscou et Paris.
4!
elle n’est pas loin des objets-organismes
20
#78'70*)!('!9-)%0*3!2-,*345#%1("#$0*&&%6*)"#
“LES ŒUVRES D’ANA MAZZEI EXPLORENT PAR AILLEURS TOUTE UNE ICONOGRAPHIE DES MÉTAMORPHOSES : L’ANTHROPOPHAGIE EST DANS SON TRAVAIL À LA FOIS FORME ET CONTENU, IMAGE ET MÉTHODE”
Et nous nous marchons inconnus, galerie Emmanuel Hervé, 2014, © Anna Mazzei.
21
ART TALK
You do the crime You do the time Une série de vidéos de Martine Barrat
Par Camille Moulonguet
Dans ce numéro, on convoque la rencontre, sous toutes ses formes. Des rencontres entre des mondes étrangers les uns aux autres, qui rentrent en collision avec les préjudices qu’elles impliquent. Mais ce n’est pas parce qu’il y a toutes ces rencontres ratées (passées et à venir), qu’il faut arrêter de se rencontrer, entre gens différents, entre factions. Les liens rompus, jamais établis ou mal établis sont toujours à réinventer. You Do the Crime, You Do the Time* est le fruit d’une rencontre réussie entre deux mondes. Dans les années soixante dix, l’artiste Martine Barrat, qui réside à New-York depuis la fin des années soixante, brise les carcans anthropologiques dans une série de vidéos dont vous pouvez consulter deux extraits sur notre site, durant ce numéro. Martine Barrat raconte. Interview réalisée le lendemain du jour où le policier de Ferguson a été relaxé : « la peur est partout ! » s’exclame-t-elle avant l’entretien.
South Bronx - 1973
22
Afrikadaa : Comment t’es venue l’idée de faire de la vidéo ? Au départ j’étais danseuse, c’est Ellen Stewart (la Mama) qui m’avait fait venir à New-York. Elle m’avait vue danser à un festival de danse international à Édimbourg, et elle m’avait dit : One day girl, I will send you a ticket to do a show in my theater !. Et deux ans plus tard je recevais mon billet pour le 10 juin 1968. Quelque temps après être arrivée à New-York, je me suis cassée la cheville sur scène suite à une grave erreur technique et je me suis retrouvée avec des béquilles pendant des mois et des mois... J’ai décidé de faire autre chose, je voulais faire de la vidéo. Je n’avais pas de caméra alors Félix Guattari qui était un grand ami et qui croyait beaucoup en mon travail m’en a offert une qu’il fallait aller chercher au Canada. Avec deux musiciens Charles Bobo Show et Joe Bowie, ainsi que cinq enfants de Harlem. Nous voilà partis dans un grand van au Canada pour aller chercher la vidéo. Après un voyage épique, nous sommes finalement revenus avec la caméra. Charles Bobo Shaw avait fondé Human Art Ensemble et la Mama nous avait confié un théâtre pour le workshop de musique et de vidéo que nous avions créés pour les enfants du quartier et de Harlem. A l’époque East Village était un quartier noir et portoricain, avec quelques ukrainiens perdus dans les parcs où ils jouaient aux cartes. De nombreux artistes, poètes et musiciens y habitaient aussi. J’allais aussi trois fois par semaine à Harlem, chercher les enfants et les ramener. Ils étaient mes professeurs d’anglais et de danse. Après les ateliers, on faisait des spectacles dans la rue et d’autres amis musiciens venaient et participaient au workshop. Je vois encore les enfants de cette époque qui sont devenus
23
des grands-parents maintenant et qui sont
travail. Il est le seul avec Hélio Oiticica que
toujours mes amis ! On se connait depuis
j’ai emmené dans le South Bronx. Gilles
1968, nous sommes une grande tribu.
Deleuze, qui ne venait jamais à New-York, aimait aussi beaucoup mes photos et mes
Afrikadaa : Comment es-tu arrivée dans la South Bronx ?
vidéos, la veille de la fin de sa vie, il m’a écrit une lettre, qui m’a touchée au cœur, dans laquelle il me disait « J’aimerais avoir une
J’ai eu envie d’aller voir le South Bronx et
autre vie pour avoir assez de temps pour
j’avais envie de travailler avec les gangs. Les
écrire sur ton travail ». Je continue à penser
membres du gang m’ont donné rendez-
à mon Felix et à Gilles, qui me manquent
vous un soir, je les ai retrouvés au métro
si souvent ! Notre amitié était faite de tel-
Freeman (cf. la photo publiée). Quand
lement de rires et leur enthousiasme me
je suis sortie du métro, tout était détruit
donnait tant de force et d’amour. Quand
autour de moi, d’immenses flaques d’eau
j’habitais chez Félix, le soir il me disait : « ma
servaient de miroir. Je leur ai montré com-
grande, quelle démarche today ! As-tu fais
ment on se servait de la caméra et on s’en
des démarches? ». Il pensait à l’argent dont
est tous servis, un peu comme un crayon
j’avais besoin pour travailler. À l’époque
qu’on partageait. J’ai travaillé pendant 6
j’étais barmaid jusqu’à 3 heures du matin,
ans avec eux. Le titre de la série de vidéo,
dans un bar où tous les grands musiciens
c’est un des membres du gang qui l’a
de jazz venaient jouer. Tandis que l’après-
donné You Do the Crime, You Do the Time
midi et jusqu’à 21h, j’étais dans le South Bronx avec les amis au travail.
Afrikadaa : Comment travailliez-vous ensemble ? Le matériel était très lourd, c’était la
Afrikadaa : Et Vickie, la jeune fille à qui est consacré le deuxième volet de ce diptyque ?
première vidéo sur le marché. Quand tu filmais, tu ne savais pas si tu avais enregistré
Vickie est morte du Sida très peu de temps
ou pas. Quelques membres du gang rent-
après les vidéos. Je suis toujours en contact
raient avec moi le soir dans la vieille voiture
avec la maman de Vickie, elle me manque
décapotable qu’un musicien m’avait donné
beaucoup. Avec Vickie, on était très proche
pour aller voir si ça avait bien enregistré.
l’une de l’autre. Elle dormait souvent à
La plupart du temps Pearl était le chauf-
la maison avec ses deux enfants quand
feur, il m’a dit la semaine dernière que
la police recherchait un des membres
c’est comme ça qu’il a appris à conduire.
du gang ou son mari. C’était une femme
Pearl était le président des Roman Kings. Il
extraordinaire, elle savait parler d’elle
donnait ses ordres souvent dans le silence,
même comme personne. C’était la respon-
il portait toujours son grand chapeau noir
sable des Roman Queens, elle me fascinait.
et il était très respecté. Il y avait le ministre
C’est elle qui m’a achetée mes premières
de la guerre et le vice-président Bernard
« Combat Boots » car il y avait beaucoup
et c’était très bien organisé. C’est pour ça
de rats dans le South Bronx et les rats
que Felix Guattari était passionné par ce
mordaient les chevilles. Il y avait une grand-
ART TALK
Working on Video with the gang and Charles Bobo Shaw creator of the HUMAN ART ENSEMBLE photo by Clement Cann
Spring time in The Bronx Vicky's daughter Jennifer and her Cousine
24
mère qui mettait, autour de son visage la
somme, je suis devenue photographe par
nuit, des boules de papiers dans du plas-
accident !!
tique pour ne pas que les rats la mordent au visage et cela se passait, à l’époque à 25 minutes de Time Square ! Vickie je l’ai ren-
Afrikadaa : Comment ces vidéos ontelles été montrées ?
contrée avec les gangs, il y avait du respect entre eux mais leur organisation était très
Il y a eu l’énorme succès au Whitney
séparée entre garçons et filles. Le mari de
Museum en 1978. Les membres du gang se
Vickie était Roman Kings.
relayaient pour venir tous les jours et parler
" In my opinion, Mme Barrat's insight and intellligence in this and other areas can make an important cultural contribution to our society, helping us to understand some of the most perplexing social phenomena of American city "
aux gens, répondre aux questions des
Afrikadaa : Quel est ton rôle dans ces vidéos ?
visiteurs. Ils disaient We Fly Colours, c’està-dire qu’ils mettaient leurs blousons avec l’insigne du gang. Ils retournaient le
J’ai toujours été contre les questions.
blouson quand la police les recherchait.
À Paris, je dansais et pour gagner ma vie, je
Je mettais les photos les unes à côté des
faisais des interviews non directives sur les
autres, je les plastifiais et ça faisait un
caleçons d’homme. On m’envoyait sur l’île
rouleau car je ne réfléchissais qu’en termes
de Groix enquêter auprès des femmes des
d’images en mouvement. Je déroulais
pêcheurs sur les slips des hommes et celui
donc mes photos comme des séquences
qui avait le plus de succès, c’était le slip
de film à l’aide de ces rouleaux. La veille de
kangourou. C’est comme ça que j’ai appris
l’exposition, on avait fini de mettre les pho-
que plus tu poses des questions moins les
tos noir et blanc sur les murs et il n’y avait
gens se dévoilent. On faisait quelque chose
plus de place pour les rouleaux. Un des
ensemble, ce n’est pas moi qui faisais un
membres du gang a eu l’idée de les mettre
truc sur eux. Il y avait avant tout, le plaisir
à même le sol, le long du mur pour qu’on
de faire de la vidéo. Dans le film de Vickie
regarde les photos d’en haut. Le commis-
je n’ai rien coupé et à la fin j’ai montré le
saire de l’exposition, Mark Segal était très
paysage où on était. L’anthropologie, je n’ai
content, il a dit « j’ai appris quelque chose
rien à voir avec tout ça. Nous avions tra-
avec toi, merci ! ». Mes vidéos ont aussi été
vaillé tous ensemble pendant 6 ans, je ne
montrées en Italie sur la chaine TG2 plus-
pouvais jamais prévoir ce que nous allions
ieurs fois le dimanche soir avec un grand
faire, car il y avait toujours quelqu’un qui
succès. C’était Bernardo Bertolucci qui leur
disparaissait en prison. Et puis ma caméra
avait parlé de moi. J’ai passé un temps mer-
m’a été volée par mes voisins au Chelsea
veilleux à Rome et j’en informais mes amis
Hotel alors que tous les habitants du
dans le South Bronx.
Chelsea disaient que c’était les membres
Mais pour moi c’est très difficile de parler
des gangs. Quand ma caméra a disparu,
de mon travail passé car je ne pense qu’à
je me suis mise à la photo. Le président
ce que je suis en train de faire au présent
du gang, Pearl, m’a offert mon premier
et à ce qui se passera dans le moment
appareil photo. Je faisais de la photo mais
d’après, c’est-à-dire le futur !
Stuart Schulberg former Executive Producer - NBC News during the show at the Witney Museum of New-York 1978
* Les vidéos de Martine Barrat sont disponibles à la Vidéothèque de la Maison Européenne de la Photographie (MEP). Vous pouvez également visionner deux extraits de "You Do the Crime, You Do the Time " sur www.afrikadaa.com
dans l’espoir de faire plus tard de la vidéo ! Moi c’était la vidéo qui m’intéressait. En
25
Photo by Alain Fidanza
ART TALK
Pearl, ancien président de Roman Kings, et actuellement ouvrier dans le bâtiment, raconte à son tour…
transformé et nous sommes devenus de
ment étranger, différent.
libérateurs radicaux. En effet, Martine avait
Et c’est ce que la caméra a réussi à faire,
le cœur de voir autre chose en nous. Elle
réduire les distances. Les gens qui étaient
nous a appris à utiliser la caméra, elle nous
curieux de nous, mais en avaient peur,
a montré des films. Et à travers la vidéo,
pouvaient nous voir grâce à la caméra. Et
tu regardes la vie différemment. Martine
c’est encore ce que la caméra fait jusqu’à
m’a emmené dans d’autres quartiers que
aujourd’hui. Les flics tuent les noirs et
le mien, j’ai réalisé qu’il y avait autre chose
la vidéo expose ça au monde entier.
que ce que nous faisions nous dans le
La vidéo est comme un message(r). De
South Bronx. J’ai commencé à me rendre
même, quand la caméra dévoile que
à Manhattan, cela m’a donné une autre
dans les manifestations suite à ces assas-
perspective de la vie. J’ai grandi dans la rue,
sinats, beaucoup de personnes étaient blanches, elle envoie aussi le message que les blancs, se sentent concernés et se
En fait c’était vraiment sur ce que nous
soucient de nous. En fait, ce que Martine a
étions. Nous appelions Martine : la crazy
fait, c’est m’ouvrir les yeux, me montrer que
white woman. Quand nous avons rencon-
le monde n’était pas exactement comme
tré Martine pour la première fois, aucun
nous le percevions, et que tout le monde
d’entre nous n’avait de blancs dans son
n’était pas raciste. Elle a changé ma per-
entourage.
ception des choses. Nous nous amusions
On avait entre 13 et 14 ans, elle est arrivée
bien avec la caméra, c’était une manière de
vers nous avec sa caméra, nous n’en avions
parler haut et fort. C’était une fenêtre sur
jamais vu avant ! Faire ce travail, ici dans
un autre monde, jusqu’alors inconnu ! À
le South Bronx, avec la tension raciale qui
l’époque ce que j’essayais de dire c’est que
était très haute à l’époque, c’était coura-
« nous sommes ici et là et nous comp-
geux de sa part. Nous la respections, pour
tons également ». Ce que nous faisions à
son intrépidité, cela prouvait qu’elle avait
l’époque avec cette caméra c’était d’un
beaucoup de cœur et qu’elle se souciait de
intérêt manifeste.
nous. À l’époque nous ne voyions jamais les blancs, et nous les considérions, de fait, comme des ennemis. Normalement nous
sans père, ni mère et tout ce que j’ai appris,
aurions dû lui arracher la caméra, mais je ne
je l’ai appris par ma propre expérience, et
sais pas pourquoi nous ne l’avions pas fait.
la caméra m’a également ouvert les yeux.
Nous lui avions donné l’amour qu’elle méri-
Et elle a aussi ouvert les yeux des gens
tait, nous l’avions acceptée. Nous étions un
qui sont venus nous voir au musée. Elle a
groupe de noirs et portoricains pauvres et
transposé notre vie dans un autre monde,
elle nous a montré une autre vision de la
un monde dans lequel nous n’avons
vie que celle que nous avions.
jamais été impliqué. Il n’y a que Martine
Pour marcher dans ce quartier à cette
qui s’intéressait à nous. Au Musée, on s’est
époque, il fallait être complètement fous,
rendu compte que d’autres personnes vou-
nous étions d’abord criminels puis la
laient savoir comment on menait notre vie.
rencontre avec Martine et avec la caméra
Elle a convoqué notre vie dans un monde
a révélé autre chose en nous, cela nous a
que nous considérions comme complète-
26
Pearl in 2015 photo by his daughter Felicia Cohn
Pearl the day he came out of jail with Bernard vice-president of the Roman Kings
Pearl
27
ART TALK
gang's member around the vice-president Bernard
28
Pearl sitting next to TV tube trial"You do the Crime You dothe time 72 " -1995 at Martine's place
29
ART TALK Brent Hayes Edwards, actuellement en train de préparer un livre avec Martine Barrat dont le titre provisoire est Another Country: The Lost History of the South Bronx (Un Autre pays: l'histoire perdue du South Bronx), tente d’analyser son travail.
importance à un public extérieur, ou en les esthétisant (faisant de leur mode de vie une forme esthétique acceptable -- et alors vendable -- c'est-à-dire des belles images, idéalisées), elle veut, plus que tout autre chose, simplement leur
Barrat, explique-t-il, « a fait bien plus
« D'autre part, elle rejette le fait que
donner la parole, ce qui évidemment
de vidéos que le diptyque You Do the
l'anthropologie soit dévouée à l'étude
n'est pas si simple. Elle les laisse raconter
Crime, You Do the Time. J'en ai fait un
d'une « culture étrangère » dans le sens
leurs propres histoires, exprimer leurs
inventaire il y a quelques années, et
où il s'agit de discerner ou de résumer
propres préoccupations, sans tenter
ses archives contiennent plus que 180
des normes ou des habitudes qui
pour autant de remodeler leurs dis-
vidéos de la même époque. La grande
relèveraient de cette culture, même
cours pour le caler sur un autre ordre du
majorité des vidéos ne sont pas éditées,
quand elles sont implicites ou tacites.
jour.
ce sont des rushes qui offrent une vision
Martine n'essaie pas de fournir ce qui
merveilleuse de la vie à New-York dans
pourrait ressembler à un portrait d'un «
« Je ne suis pas vraiment sûr qu'elle ait
les années soixante dix.
mode de vie » qui supposerait qu'une
une notion précise du public de ses
culture ait une cohérence intrinsèque
oeuvres, mais je dirai qu’avant toute
« Martine rejette l'appellation
ou qu'elle forme un ensemble. De
chose, ses films et ses photos sont faits
d'anthropologie pour ses vidéos et ses
manière générale, elle n'aime pas les
pour les sujets eux-mêmes, c'est-à-dire
photographies. Elle ne considère pas
étiquettes. En effet son travail se car-
pour les enfants de Harlem ou du South
non plus son travail comme une forme
actérise par une démarche singulière
Bronx eux-mêmes, et leurs commu-
de « recherche ethnographique ». Selon
et personnelle, qui sert à contrecarrer
nautés. Encore aujourd'hui, elle prend
moi, ce qu'elle rejette c'est d'abord
toutes les velleités de le raccourcir avec
souvent des photos à Harlem et elle
l'idée que l'anthropologie en tant que
un label quelconque.
en donne une épreuve à la personne
discipline est consacrée à l'étude de
« Si je devais lui donner un titre, je crois
photographiée. »
l'Autre en tant qu'être culturel, représen-
que je serais tenté de la décrire comme
tatif d'une civilisation étrangère, qui
une « documentariste radicale ». Depuis
serait l'objet de recherche tachée de
plus de quarante ans elle s'investit dans
l'exotisme ou du préjudice. Pour Mar-
le champs documentaire, dont le sujet
tine, les gens avec lesquels elle travaille
principal gravite autour des modes de
à Harlem ou dans le South Bronx ne
vie éphémères et précaires des commu-
sont pas « autres » ou « ailleurs », sa
nautés de couleur en marge des villes.
relation avec eux est d'une intimité
Ce qui est radical dans sa démarche,
profonde, qui est particulièrement pal-
c'est sa méthode. Plutôt que d'étudier
pable dans le travail lui-même. C'est ce
ces communautés, en expliquant
qui fait de Vickie un film si puissant !
leur mode de vie, en démontrant leur
30
Brent Hayes Edwards est professeur de littérature comparée et d'histoire du jazz à Columbia University (New York). Il est l’auteur de The Practice of Diaspora (Harvard University Press), entre autres livres. Sa traduction de l'Afrique fantôme de Michel Leiris sera publiée en 2016.
Martine Barrat and gang members photo by Helio Oiticica
31
ART TALK
Helio Oiticica (19371980), artiste brésilien du mouvement néoconcret, a vécu cette période avec Martine, il donne son éclairage. Helio Oiticica et Martine Barrat photo by Chantal Regnault
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Next to Freeman Subway Station
Vicky martine and the gang members working around the video Photo by Clement Cann
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ART TALK
Winter Time
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A dear Friend
37
ART TALK
Les mains de Martine par Sylvie Kandé
Si on me demandait à brûle-pourpoint quelle différence il convient de faire entre l’anthropologie et l’amour, je dirais que la première épingle, expose, explique ; car l’amour, lui, se satisfait d’effleurer -- émerveillé, toujours, de la liberté et du mystère essentiels d’autrui. Martine Barrat y Harlem, tout au moins ce Harlem qui, pouce après pouce, perd le terrain gagné par la gentrification. Se défiant par principe des vainqueurs, elle n’a d’yeux que pour les gens qui ont vécu dans ce Harlem-là, et d’abord pour leurs mains. Nuançons : positionnée en marge de l’anthropologie et de la sociologie, elle vise, non pas à étudier la petite ethnie ou le grand courant social que ces Harlemites pourraient sembler représenter, mais bien plutôt à raconter l’histoire qu’elle a avec certaines personnes du quartier – une histoire forte et vrillée qui court parfois sur plusieurs décennies. Est-ce donc un hasard que sa meilleure amie, celle avec qui elle partage tous ses Noëls, celle qui fut à l’affiche de son Harlem in my Heart, une rétrospective organisée en 2007 à la Maison européenne de la photographie à Paris, se prénomme Love ? Chacune de ses photographies est le distillat d’une histoire d’amour qui lie Martine au vieux Harlem ou au South Bronx : quelques-uns de ses amis, y compris des enfants, ont posé pour elle (et non sans clin d’oeil au glamour hollywoodien), quoique la plupart aient préféré travailler à faire une pause dans leur
38
quotidien et l’y inviter. Elle, en manière
Chaplin suffisent à dire la confiance
de contre-don, a su préserver sans les
qu’elle porte à la photographe à qui
figer ces instants infimes et splendides,
elle a “donné ses mains”, sans crainte
en faire des images larger than life et
d’exposer sa vulnérabilité : son geste
plus fortes que la mort.
d’abandon révèle une fascinante simi-
Ce sont souvent les mains qui constitu-
larité entre la texture et les motifs de
ent le punctum des instantanés savants
sa robe et les lignes qui s’enchevêtrent
de Martine Barrat, ce détail poignant qui
dans ses paumes : les mains de Clara
met en échec tout penchant au studium
sont un quilt de toute beauté.
ou désir nonchalant, pour reprendre
Parfois ces mains jouent -- du saxophone
deux fameux concepts barthésiens. Car
souvent, au billard, aux dominos ou
des photos qui ne dérangent pas, Bar-
aux cartes, à comparer les volumes ou
thes écrivit : “On peut les aimer au sens
les attributs : elles appuient, guident,
de to like (s’y intéresser), pas de to love.
dissimulent, se moquent gentiment de
Pour cela, il faut un détail supplémen-
la rondeur d’un ventre, ou le vénère.
taire, un don, une grâce que je reçois
Ailleurs, les doigts s’entremêlent, se
en plein visage”, précisant encore que
retiennent (ceux de Florence Smith à sa
“c’est une fulguration qui fait tilt, qui fait
première danse depuis son veuvage),
que la photo n’est plus quelconque. Elle
font des signes codés (ceux de Benny,
produit un ébranlement, une explosion
habitué du Rhythm Club). Ici, les mains
qui congédie tout savoir, toute culture,
(celles de la série intitulée “Fin de Rama-
tout code”. À elles seules, les mains de
dan” par exemple) sont des présentoirs
Martine congédient toute tentation
qui exhibent bijoux et tatouages avec
de lire sa photographie au travers d’un
des gestes à vous couper le souffle.
prisme anthropologique. On aime ses
D’autres, là, juvéniles, presque grac-
mains pour la grâce qu’elles nous font de
iles, qui s’apprivoisent à la souffrance,
nous jeter au visage l’ “autre Amérique”.
s’enveloppent de bandelettes, ce sont
Oui, ces mains parlent si clairement
celles des boxeurs de Do or Die.
que montrer la face de l’individu aux-
Les mains de Martine pensent, rient et
quelles elles appartiennent serait parfois
pleurent. Ornées, actives, elles sont en
redondant ou distrairait de l’émotion
charge de la gestion du quotidien dans
principale qu’elles signalent. Ainsi dans
sa puissante sensualité ; et lorsqu’elles
la collection intitulée Harlem, do you see
pendent, s’enfoncent dans les poches,
your face?, la main de cet homme dont
ou reposent à demi-fermées sur le
on ne voit que la forte carrure évoque
formica d’un comptoir, c’est toute la
sans ambiguité le poids des ans, le pas
détresse d’une inexorable mise au rebut
mal assuré en dépit d’une bonne canne,
de la personne et de ses lieux qu’elles
l’attention diligente portée au petit-
dépeignent. Inoubliables aussi dans Har-
fils dont on pressent, à le voir (de dos
lem in my Heart, le regard et la main d’une
également) traverser la rue, la droiture
enfant, derniers remparts contre la mort
et le regard fixé sur l’avenir. Sur le même
déjà au travail sur ce vieil homme alité.
principe, les paumes ouvertes de Clara
Creusets à caresses, vasques de violence
Vicky One of Ornette Colman's Favorite pictures shown in an exhibition he curated
A very cold night subies ou bien à imposer quand on ne peut vivre que de ses poings, les mains de Martine réinvitent le corps dans notre entendement de l’humain. Touché, Martine ! Sylvie Kandé est auteure de « Lagon, lagunes. Tableau de mémoire. » Gallimard, 2000 et de « La quête infinie de l'autre rive. Épopée en trois chants. » Gallimard, 2011. Elle est actuellement Associate-Professor à la SUNY Old Westbury, NY.
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ART TALK
Vicky and her daughter Jennifer
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Baba and Vicky at home
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ART TALK
Next to Freeman Subway Station
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Mrs White - She was so scared to get bitten by the rats on her face during her sleep
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ART TALK
Having a good in the water
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First comunion day
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ART TALK
Vicky's Child Enjoing time
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Save our School
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ART TALK
Être périphérique Be peripheral Par Fabiana Bruna Souza , Artiste-chercheuse, Doctorante en Histoire et Esthétique de l'art à l'Université Paris VIII - Boursière CAPES/Brésil (2014).
Ayrson Heráclito – Segredos Internos / Inner Secrets (edition, 2010) Installation Wood, glass, sugar, brown sugar 10.00 x 2.00 x 2.00 m. Woodwork by: Gei Correia, Photo courtesy: Márcio Lima
D’où l’on parle ?
est toujours périphérie si le lieu d’où
deviennent possibles, reconfigurant de
l’on parle est le centre d’un pouvoir.
nouvelles épistémologies du savoir.
La périphérie du système solaire est la
Loin des concepts tiers-mondistes, la
Se revendiquer comme étant périphé-
zone où l’attraction du soleil est la plus
périphérie, celle que nous revendiquons
rique demande à agir politiquement
faible. Les corps appartenant à cette
dans ce texte, devient le lieu d’où l’on
à partir de cette condition. Cela est en
zone seraient donc plus libres, en termes
parle, dans une logique d’interaction
soit problématique et libérateur. Problé-
d’attraction vis-à-vis d’un centre. Mais
du système-monde. Cela veut dire que
matique, car faisant appel aux théories
seraient-ils attirés dans une autre direc-
malgré les échanges inégaux entre le
décoloniales, « loin d’être centrée sur
tion, ou chercheraient-ils de nouvelles
centre et la périphérie, dans lesquels le
une distinction dialectique entre dis-
spatialisations, d’autres configurations
centre impose un régime de pouvoir
cours, imaginaire et représentation,
géographiques, d’autres façons d’exister
hiérarchique, les périphéries sont dans
d’une part, et pratique, forme institution-
dans lesquelles ces forces d’attractions
un constant mouvement de renouvel-
nelle et transformation sociale, d’autre
imminentes puissent s’agencer différem-
lement, capables non seulement de
part »2 - pour reprendre la formule de
ment ?
subvertir, mais aussi de rompre certains ordres préétablis. C’est à travers ce
Approfondir les liens actuels entre art et anthropologie soulève, de façon récurrente à nos yeux, la problématique du contexte du lieu d’énonciation d’où se produisent les discours. La périphérie
48
renouveau que les échanges Sud-Sud1 1 Durant ces trente dernières années, les luttes les plus avancées ont été le fait de groupes sociaux dont la théorie critique eurocentrique n'avait pas prévu l'existence : femmes, peuples indigènes, paysans, afro-descendant, chômeurs, sans papiers, homosexuels et lesbiennes. Ces groupes, selon Boaventura de Souza Santos, s'organisent sous des formes totalement différentes (mouvements sociaux, communautés locales, rassemblements, autogestion,
occupation de terres et de bâtiments, organisations populaires économiques, pétitions, referendum, etc.) de celles que privilégie la théorie critique eurocentrique des rapports Nord-Sud (le parti des travailleurs et le syndicat, l'action institutionnelle, la lutte armée, la grève). Cf. Boaventura de Sousa SANTOS, Épistémologies du Sud, traduit de l'anglais par Magali Watteaux,dans Etudes rurales n° 187, janvier juin 2011, p.21-50. 2 Interview with Joaquin Barriendos by Aliocha Imhoff & Kantuta Quiros, in (ed) Jean-Pierre Criqui,Les Cahiers du Musée National d’Art Moderne #122 (Winter 2012 /2013), special issue “Art and Globalization ” : Mondialisées, globalisées, contemporaines : pratiques, productions, écritures dans l’art aujourd’hui.
Joaquin Barriendos- s’assumer comme
colonisation qu’elle a engagé l’Autre en
dialogique de nouveaux « sujets », le
un «être périphérique » permet de
tant qu’objet. Cette idée s’est répandue
« contexte » – ces lieux d’existence
réfléchir à la logique de la colonialité du
au XIXe siècle et l’altérité qui s’installe
de l’Autre - est toujours le même. « Le
pouvoir, du savoir et de l’être. Libérateur
perçoit l’Autre comme celui qui appar-
caractère impérialiste de l’interprétation
car dans le contexte latino-américain,
tient à une autre époque : un être en
anthropologique est d’autant plus
s’auto proclamer périphérique permet
retard dans le temps, primitif, qui vient
affirmé lorsque l’anthropologue
de mettre en évidence les défis de
d’un autre lieu, d’un autre contexte.
s’attache à l’étude d’un espace ou d’une
l’approche « intersectionnelle » des
D’après Hal Foster, le paradigme
question qui a déjà fait l’objet d’enquête
relations, où le regard paternaliste d’un
de « l’artiste en ethnographe », se
avant la sienne » souligne Marie Gaille-
centre légitimateur d’un pouvoir occu-
développe vers un Autre, culturel ou
Nikodimov.
perait une place moins prépondérante.
ethnique vers lequel l’artiste oriente
Cela dit, quelles sont les possibilités
« L’histoire de l’art est constitutive du
sont travail. Le regard de l’artiste se
de réflexions pour l’art contemporain
problème de la colonialité » , souligne
tourne alors vers ces lieux de l’existence
brésilien aujourd’hui, après le « tour-
le critique d’art Joaquín Barriendos. Les
de l’Autre : la périphérie, les sous-
nant ethnographique »6 de Hal Foster,
enjeux épistémologiques de « l’être péri-
cultures, les exploités, les exclus (les
prenant en compte ce changement du
phérique » amènent ainsi à réfléchir aux
migrants, les requérants d’asile, les
contexte d’énonciation, où les Autres,
interactions qui ont lieu au sein de l’art,
SDF, les handicapés, etc.), projetant
les périphériques, les « subalternes»7 ne
moins dans un rapport analytique centré
ainsi l’altérité, en l’idéalisant avant de
soient pas seulement « sujet-objet » mais
sur l’histoire de l’art en tant que telle,
se l’approprier. Roy Dilley, dans son
aussi auteurs?
que sur la décolonisation de la pensée
ouvrage The problem of Context, nous
esthétique et les rapports entre racialité,
met en garde quant aux enjeux de
visualité et esthétique.
pouvoir mis en œuvre dans une situation
3
4
d’enquête ethnographique. Il explique
"La périphérie est toujours périphérie si le lieu d’où l’on parle est le centre d’un pouvoir"
qu’en anthropologie, essayer d’occuper
Le problème du contexte dans l’art ethnographique.
Quelques considérations pour problématiser l’art ethnographique au Brésil.
la place d’un « interprète des cultures »
Boaventura de Souza Santos, dans
perpétue une situation d’inégalité, car
son article Epistémologies du Sud8,
la participation de l’interlocuteur en
souligne avec justesse, suivant la pen-
tant qu’auteur dans la construction
sée d’Edward Said et Vicent Tucker,
de cette textualisation de la réalité
que l’épistémologie impérialiste a
n’est pas prise en compte. On constate
représenté « l’Autre » comme incapable
ainsi que l’effacement de la voix de
de se représenter lui-même. « L’Autre est
l’interlocuteur tout comme l’approche
réduit à un objet sans voix. »9
« dialogique » pratiquée par certains Si pour Marc Augé, la question de
artistes en ethnographe - dénoncée par
6 Hal Foster, « L’artiste comme ethnographe… », art. cit., p. 503.
l’Autre est l’unique objet intellectuel de
Foster - cherchent à instaurer tous deux
l’anthropologie5, c’est par le biais de la
« l’autorité ethnographique » faisant en
7 Sur les conditions de circulation des savoirs entre les « subalternes » et les intellectuels, voir Can the Subaltern Speak? publié pour la première fois en 1988 dans un collectif rassemblant les contributions d'un séminaire organisé par l'université de l'Illinois en 1983 - et auquel contribua, notamment, Christine Delphy. Il existe plusieurs versions de ce texte régulièrement repris par son auteure, la dernière datant de 1999. Il est traduit en français pour la première fois en 1999 (in Mamadou Diouf,L'Historiographie indienne en débat. Colonialisme, nationalisme et sociétés postcoloniales, Paris, Kartala/Sephis), avant d'être repris par Jérôme Vidal et publié aux Editions Amsterdam en 2009.
sorte que l’Autre continue toujours à 3 Kimberlé Crenshaw, Cartographie des marges : Intersectionnalité, politiques de l’identité et violences contre les femmes de couleur, Les Cahiers du genre, 39. 4 Joaquin Barriendos by Aliocha Imhoff & Kantuta Quiros, art. cit., p. 17. 5 Marc Augé, Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Seuil, 1992, p. 28.
49
occuper la place qui lui a été destinée. Entre l’ethnographe, qui cherche à faire son travail d’enquête de terrain, et l’artiste qui cherche dans une approche
8 Boaventura de Sousa SANTOS, art. cit., p. 36. 9 Tucker, Vincent, The Myth of Developement. Occasional Paper Series 6, Department of Sociology, University College, Cork, 1992, p.20.
Dans la société brésilienne, la con-
culture noire et indigène.
struction d’un idéal d’identité
du Manifeste anthropophagique15, qui se revendiquait à l’époque « contre
nationale orienté par la fausse notion
Cette courte approche historique nous
la réalité sociale bien habillée et
de démocratie raciale ne soulève pas
apprend beaucoup sur la façon dont
oppressive, validée par Freud » et
pour autant, de façon systématique,
altérité et culture s’articulent au Brésil.
« contre tous les importateurs de la
des questionnements sur « l’autorité
Si nous prenons comme exemple
conscience formatée »16, qui était lui-
ethnographique » dans les débats de
le mouvement anthropophage14,
même un « bourgeois cultivé »17 est
l’art actuels. En effet, il faut mettre en
nous allons constater que les êtres
donc paradoxale.
avant que l’évolutionnisme dominait
périphériques ou « subalternes »
la pensée sociale brésilienne à la fin du
demeurent « les objets d’étude » de la
D’après Schwarz, depuis le XIXe siècle,
XIXe et au début du XXe siècle, consi-
démarche artistique proposée !
un malaise s’est instauré au sein de l’élite
10
dérant la présence d’une importante
brésilienne : le sentiment de mimétisme
population noire - et dans une moindre
Le « modernisme » des années 1920,
des idées venus de l’occident et qui ne
mesure indigène - comme un frein à
prétendait marquer au Brésil, la rupture
reflétaient plus la réalité locale. Évidem-
la constitution d’une nation civilisée.
à l’égard de l’académisme européen. La
ment, le mouvement anthropophagique
Nous pouvons donc affirmer que si,
célèbre semaine d’art de 1922 - avec la
d’Oswald de Andrade proposait une
dans le credo positiviste de l’époque
participation d’artistes tels que Mário
nouvelle posture culturelle irrévéren-
« la fusion des trois races reste la base
de Andrade, Oswald de Andrade, Anita
cieuse pour l’époque, métaphorisant
de l’identité nationale brésilienne, ce
Malfatti, Di Cavalcanti entre autres -
l’Autre à travers la déglutition, mais cela
n’est pas par la valorisation du mélange
était une manifestation d’artistes issues
non sans restrictions : « il faut copier
obtenu mais plutôt en vertu du proces-
des élites brésiliennes, des artistes qui
certes, mais de façon régénératrice »18.
sus de régénération qu’il doit susciter. »12
ont observé l’altérité avec distance, en
Les modernistes ont cherché ainsi la
Concrètement, cela veut dire que ces
l’idéalisant dans ses formes cubistes.
rapports culturels s’opèrent à travers des
La posture d’Oswald de Andrade, père
11
relations sociales qui font intervenir des relations de pouvoir, ce qui se traduit par le fait que le métissage valorisé au Brésil est avant tout un « blanchiment »13 de la 10 L’idée de démocratie raciale est née au Brésil en 1930. Selon ce modèle démocratique le racisme et la discrimination étaient minimes ou non existants dans la société brésilienne contrairement aux autres sociétés multiraciales dans le monde. Selon une définition relativement étroite, seules les manifestations racistes explicites ou les lois fondées sur la race étaient alors reconnues comme discriminatoires et seuls les pays comme l’Afrique du Sud et les États-Unis étaient perçus comme véritablement racistes. De plus, le débat sur la race était peu fréquent dans la société brésilienne, contrairement à d’autres sociétés qui semblaient plus obsédées par les questions de race et de différence raciales.
14 «Seul m’intéresse ce qui n’est pas mien. Loi de l’homme. Loi de l’anthropophage. » Cet extrait fondamental du Manifeste anthropophage, écrit par Oswald de Andrade en 1928, révèle l’un des sens les plus importants de l’anthropophagie. C’est-à-dire, l’expérience qui se définit par la sortie de soi-même, par l’ouverture à tout ce que je ne suis pas, par l’expérience de l’altérité et de la rencontre avec l’autre. Cf. Oswald de Andrade, Manifeste anthropophage, traduction et notes de Lorena Janeiro, Paris/Bruxelles, Blackjack éditions, 2011, p. 8.
15 Manifeste anthropophagique (Manifesto antropofágico), Andrade, Oswald de, Piratininga, l'année 374 de la Dévoration de l'évêque Sardinha. 16 Traduit par l’auteure. In: Giberto Mendonça Teles. Vanguarda europeia e modernismo brasileiro, 1997, p353. 17 Bosi, Alfredo. Historia concisa da literatura brasileira. 46 ed. São Paulo, Cultrix, 2002 18 Perrone-Moises, Leyla. Vira e mexe nacionalismos. São Paulo: Companhia das Letras, 2007.
11 «Ordre et Progrès », directement inspiré de la philosophie positiviste d’Auguste Comte est la devise du drapeau brésilien. 12 Lusotropicalisme. Idéologies coloniales et identités nationales dans les mondes lusophones. LUSOTOPIE, Paris, Éditions Karthala, 1997, p.119. 13 Le comte de Gobineau, qui a exercé les fonctions de Ministre de France à Rio de Janeiro entre 1869 et 1870, nourrit dans un article intitulé « L’émigration au Brésil » (1874) l’espoir de voir se régénérer la société brésilienne grâce aux apports bénéfiques d’une prompte immigration en provenance d’Europe. Cf (Sébastien Rozeaux, Les horizons troubles de la politique de « colonisation » au Brésil : réflexions sur l’identité de la nation brésilienne à travers le prisme de la question migratoire (1850-1889), Espace populations sociétés [En ligne], 2014/2-3.)
50
Paulo Nazareth – Bosta de jovem artista emergente / Merde de jeune artiste émergente « conseillé aux collectionneurs de merde et aux spéculateurs du marché de l’art (fabriqué au Brésil) » 2006 - boîte, excréments, rapeh, étiquette lithograph. Photo courtesy of the artist.
« capacité d’assimiler l’Autre,
pour Gayatri Chakravorty
phie, Marges [En ligne], 06 | 2007, mis en
à une anthropologie de la surmodernité,
mais sans se perdre »19. En
Spivak, une manière de
ligne le 09 juillet 2014, consulté le 05 février
Paris, Seuil, 1992.
étant un patrimoine paternal-
fétichiser le concret en
2015. URL : http://marges.revues.org/829
t
iste, l’art de manger n’a jamais
oubliant l’idéologie et les
t
métro, Paris, Hachette Littératures, 1986.
été partagé par tous. Dévore
représentations.
indienne en débat. Colonialisme, nation-
t
alisme et sociétés postcoloniales, Paris,
réduire l’altérité ? L’anthropologie et la
qui le peut. On constate, par
Diouf Mamadou, L’Historiographie
Marc Augé, Un Ethnologue dans le
Marie Gaille-Nikodimov, Comment
conséquent que les relations
À partir de la périphérie,
Kartala/Sephis, 1999.
philosophie face à l’idée de contexte cul-
de pouvoir sont à nouveau
réinventer dans l’art une
t
turel, dans Critique n° 680-681, « Frontières
maintenues par une classe et
tradition pré-impérialiste de
siques cannibales, traduit du portugais
de l’anthropologie », janvier-février, 2004.
une race économiquement et
résistance à la domination
(Brésil) par Oiara Bonilla, Paris, PUF,
t
politiquement dominante.
impérialiste, sur laquelle
2009.
anthropophage, traduction et notes de
un Sud non impérialiste ou
t
Lorena Janeiro, Paris/Bruxelles, Blackjack
Aujourd’hui, plus de 80
anti impérialiste pourrait se
europeia e modernismo brasileiro,
éditions, 2011.
ans après l’avènement du
reconstruire. Autrement dit,
Petrópolis, Vozes, 1997.
t
mouvement anthropophage
une pensée qui participe
t
feste anthropophagique (Manifesto
au Brésil, l’art contemporain
à la pratique artistique
ethnographe in Le Retour du réel. Situa-
antropofágico de, Piratininga, l’année 374
aurait-il réussi à vaincre le
d’invention de modes de vie,
tion actuelle de l’avant-garde, Bruxelles,
de la Dévoration de l’évêque Sardinha.
phénomène de l’altérité qui
pour laquelle l’Autre est un
La Lettre volée, 2005.
t
a influencé le modernisme
destin, comme dit Viveiros ,
t
approche de la question brésilienne. In :
brésilien ? Ou resterons-
différent des modes de
Aliocha Imhoff & Kantuta Quiros, in (ed)
Lusotropicalisme. Idéologies coloniales
nous ancrés sur une fausse
pensées colonialistes qui
Jean-Pierre Criqui,Les Cahiers du Musée
et identités nationales dans les mondes
vision libératrice de l’artiste
confinent la vie dans le cercle
National d’Art Moderne #122 (Winter 2012
lusophones. LUSOTOPIE, Paris, Éditions
en ethnographe ? Quelle
du Même en faisant de l’Autre
/2013), special issue “Art and Globalization
Karthala, 1997.
place pour les artistes
un miroir.
” : Mondialisées, globalisées, contempo-
t
« subalternes », pour les
raines : pratiques, productions, écritures
Oxford/New York, Berghahn Books, 1999.
artistes périphériques, pour
dans l’art aujourd’hui.
t
les artistes émergents ?
t
troubles de la politique de « colonisa-
21
Eduardo Viveiros de Castro, Métaphy-
Giberto Mendonça Teles. Vanguarda
Hal Forster, Portrait de l’artiste en
Interview with Joaquin Barriendos by
Jonathan Chauveau, On n’est
Oswald de Andrade, Manifeste
Oswald de Andrade, Mani-
Patricio Nolasco, L’état-nation: une
Roy Dilley, The Problem of Context,
Sébastien Rozeaux, Les horizons
pas subalterne parce qu’on le ressent!,
tion » au Brésil : réflexions sur l’identité de
Donner la parole ne suffit
Bibliographie :
Entretien avec Gayatri C. Spivak dans Phi-
la nation brésilienne à travers le prisme
pas. Encore faut-il créer les
t
losophie Magazine, 30 mars 2011.
de la question migratoire (1850-1889),
conditions matérielles et
literatura brasileira. 46 ed. São Paulo,
t
Espace populations sociétés [En ligne],
intellectuelles pour que
Cultrix, 2002.
des marges : Intersectionnalité, politiques
2014/2-3 | 2015, mis en ligne le 01 décem-
les « êtres périphériques »
t
de l’identité et violences contre les femmes
bre 2014, consulté le 06 février 2015. URL :
s’expriment d’une part, et
Paris, Complexe, 1997.
de couleur, Les Cahiers du genre, 39, 2005.
http://eps.revues.org/5743
soient entendus d’autre
t
t
t
part : Ne pas capter
mologies du Sud, traduit de l’anglais par
nacionalismos. São Paulo, Companhia
opement. Occasional Paper Series 6,
leur parole au nom de
Magali
das Letras, 2007.
Department of Sociology, University Col-
« l’indignité à parler pour
t
t
lege, Cork, 1992.
les autres » . C’est là,
janvier juin 2011.
raças. Cientistas, instituições e questão
19 Ibid, p.29
t
racial no Brasil, 1870-1930, São Paulo, Cia
20
Alfredo Bosi, Historia concisa da
Armelle Enders, Histoire du Brésil,
Boaventura de Sousa Santos, Épisté-
Watteaux,dans Etudes rurales n° 187,
Claire Fagnart, Art et ethnogra-
Kimberlé Crenshaw , Cartographie
Leyla Perrone-Moises, Vira e mexe
Lilian Schwarcz, O espetáculo das
das Letras, 1993. 20 Jonathan Chauveau, On n'est pas subalterne parce qu'on le ressent!, Entretien avec Gayatri C. Spivak dans Philosophie Magazine, 30 mars 2011.
51
21 Viveiros de Castro, Métaphysiques Cannibales, p .135
t
Marc Augé, Non-lieux. Introduction
Vincent Tucker, The Myth of Devel-
ART TALK
Yet another dance on race
The tune of Baldwin and Mead in a Rap on Race
By Frieda Ekotto The University of Michigan
A Rap on Race (1971) is a 7½-hour con-
ity”. Race and color have, since the
tal example about “living in the dark,
versation between the famous American
foundation of American society, acted as
and being afraid of the dark” I want
anthropologist Margaret Mead and
a more or less porous barrier to homo-
to develop a better understanding of
James Baldwin, a well-know American
geneity (Brathwaite 131).
how the white community is described
writer and civil right activist. The lengthy
as approaching the Black community
yet poignant exchange between Mead,
The Black civil rights movement, of
through this particular logic.
“a persona of the white liberal (but dom-
which Baldwin was a core constituent,
Margaret Mead highlights “growing
inant) sector” and Baldwin, “a persona
for the first time in American history,
up afraid of the dark”. The anthropolo-
of the black liberal (but sub-dominant)
passed the initiative to its black subordi-
gist focuses on what the intricacies of
sector,” is an attempt to understand
nate sectors. As a result, it became also
living in fear of the dark as a people are.
how the tangled forces of whiteness and
a prerogative of the blacks and other
“Bad things happen in the dark, you can
blackness have shaped American society
“minorities” to ask themselves and their
get hurt in the dark...” considering the
(Brathwaite 132). These both well-known
white counterparts what their place
comparison of racial disproportion to a
figures are concerned with America as a
within this plural society would be, if
reactionary fear, Margaret Mead micro-
plural social text. As Brathwaite argued,
they were to decide to willfully sign its
scopically focuses white fear instead of
a plural society is
contract. For Brathwaite, this was the
the problem of racism. The anecdotal
first time non-white nation-builders
piece about growing up in the dark is
by definition an entity consisting of
could accept their position as it was,
an interesting one because it implies
disparate elements, having its origin
could fight for its reformation, or could
that the dark is something to be feared
in the collision or contact of two or
reject it altogether (131). It is at the cross-
without light (whiteness) and therefore
more cultures through war, settlement,
roads of these three options that A Rap
is something to be vehemently fought
expansion, emigration. The constituent
on Race emerged.
against. Margaret Mead shapes the fear
elements may be simplified into dominant and sub-dominant, using or sharing certain ideas, institutions, a lingua franca< but retaining certain distinctive and essential cultural cores of their own. The impersonal drive within the polarity would appear to be towards homogene-
of darkness as a rationale. Structuring
"RACE AND COLOR HAVE, SINCE THE FOUNDATION OF AMERICAN SOCIETY, ACTED AS A MORE OR LESS POROUS BARRIER TO HOMOGENEITY"
ity […] This may be achieved through
it as if the problem of discrimination and hierarchical treatment is a result of excessive fear that warranted excessive protection. The problem of whiteness and discrimination as an upwardly mobile aspect of white life in this country is to be under-
force, persuasion, or a combination or
Baldwin places extreme importance
stood through this particular anecdote.
alternation of these (130-1).
on the Black community as a living and
Baldwin notes that fear of the dark and
breathing entity. His conversations with
rationale upon escaping the fear are two
American society can be seen as a plural
Margaret Mead in A Rap On Race, sug-
spheres of thought that function at the
society made up of a dominant white
gest that Baldwin understood the lack
same level of rotation. Margaret Mead’s
majority and a sub-dominant non-white
of knowledge most of those outside of
example of “sleeping in the dark is a
(whatever that might have meant at any
the Black community possessed. While
fearful experience, and being in the dark
given point in American history) “minor-
analyzing Margaret Mead’s anecdo-
for so long it is untrustworthy” implies
52
that the fear of darkness was a carried
responsible for providing healing and
Ousmane Zongo, Kimani Gray, Kendrec
burden that began to reflect the miser-
mending for this fear is irrational as they
McDade, Timothy Russell, Malissa Wil-
ies and fears of the white world onto
have been and still remain the targets
liams, Ervin Jefferson, Patrick Dorismond,
the Black population, and rationalizing
of this irrational fear. Baldwin stresses
Timothy Stansbury Jr., Sean Bell, Orlando
it as a necessary aspect of a developing
the importance of high levels of cau-
Barlow, Aaron Campbell, Victor Steen,
society, when in actuality the very act of
tion in the Black communities in that
Steven Eugene Washington, Alonzo
discrimination due to fear is one of back
historical evidence and representation
Ashley, Wendell Allen, Ronald Madi-
pedaling.
makes it clear that white fear of Black
son, James Brissette, Travares McGill,
Baldwin argues that the importance of
people is a foundational aspect of the
Ramarley Graham, Dante Parker, Oscar
rationale when considering fear is crucial
distrustful reaction of Black communi-
Grant, Trayvon Martin, John Crawford
for the true development of a society.
ties, as whites are historically known for
III, Michael Brown, Ezell Ford, and Eric
As Baldwin notes the fundamental
abusing their brother in common and
Garner, among many others. In closing,
nature of accepting your “ancestors”
using him for personal gain. White fear
I would urge us to re-read No Name in
and having a “brother in common”, he
graduated into exploitation and abuse,
the Street by James Baldwin1 in Baldwin
focuses on the fact that “the tragedy
where the population to maintain the
articulates these matters accurately.
is that most white people deny their
abuse, discrimination, and mistreatment
brother”. This denial is a direct con-
unequivocally rationalized it. Baldwin
Works cited:
nection to the element of fear, the
notes that Black people attempting to
Baldwin, James and Margaret Mead. A
understanding that an entire people
integrate such as the Black Arrow collar
Rap on Race. London: Lippicott, 1971.
can actively and consciously abandon
men found themselves in “in serious
Brathwaite, Edward. “Race and the
their “brother in common” with severe
psychological trouble, because they
Divided Self.” Caribbean Studies 14.3
mistreatment and general discrimina-
weren’t, no matter how well the uniform
(1974): 127-139.
tion. Mead approaches this information
fitted, really what they were taken to
with a counterargument, particularly
be or were hoping or pretending to be.
the acceptance of white ancestors by
They were not.” This example makes it
Black individuals as a result of their
clear Baldwin’s stance, the integration
“progression”. Baldwin explains why this
of white people with Black people given
is problematic, by simply saying Black
the current climate, is an untrue one in
people have historically had issues of
that it involves conformity in the name
trust and loyalty with their “brother in
of acceptance, and that as the distrust
common” and that the acceptance of
of whites remains an issue, the psycho-
their ‘white ancestors’ would be physical
logical damaging and discrimination of
inviting of tragedy into their spaces.
Black people, continues.
Baldwin develops the understanding
These questions that Baldwin and Mead
of fear in one group as a result of fear
rose some 44 years ago are still pressing
within another. He explains that the
us to attend to them today. Given the
fear amongst the Black community that
social climate in which racial tensions are
yields the disownment of white ances-
more than ever shaping the everyday of
tors is a direct result of discrimination.
American society, the temporary coali-
The lack of trust within the two com-
tion that Mead and Baldwin formed still
munities is a direct result of white fear,
provide us with concrete examples to
and the notion that Black individuals are
juxtapose to cases like Amadou Diallo,
53
1 For French readers: 1R 1DPH LQ WKH 6WUHHW !"# $%&'(#)%*+,-Q #.-'/0#+1203'#3'03%+4-0#5%3#6%7%*-#)'37'3#%48# 9+-0-:/(#;5(-*:/#(:4(#*'#0-03'#&KDVVpV GH OD OXPLqUH#%.'<#+'48# -&5:30%/0'(#5:(0=%<'(>
ART TALK
Posséder le « Je » Différents usages de l’anthropologie Par Myriam Dao
"Jeux de ficelle caduvéo" Claude Lévi-Strauss photographie d’après un original des collections de la BNF
« Posséder le Je dans sa représentation :
largement sur des sciences - philosophie,
l’anthropologie s’appuiera sur l’étude de
ce pouvoir élève l’homme infiniment
esthétique, etc. - développées en Europe
la langue pour comprendre l’homme.
au-dessus de tous les autres êtres vivants
à la même époque. Ainsi, il n’est pas ano-
2. Branche de l’ethnologie qui
sur la Terre.
din que le philosphe Kant se trouve être
étudie les caractères anatomiques et
Par là, il est une personne. »
l’auteur d’une “ Anthropologie pragma-
biologiques de l’homme (Anthropologie
tique “, et de la “ Critique de la faculté de
physique - dont fait partie la paléoanthro-
juger”, à la base de l’esthétique moderne.
pologie qui étudie l’évolution humaine)
Emmanuel Kant
L’anthropométrie est une déviance En avant-propos, il me paraît utile
ANTHROPOLOGIE
de cette seconde branche de
d’énoncer quelques définitions afin
homme + discours
l’anthropologie, l’anthropologie physique
d’éviter les raccourcis entre anthropolo-
(anthropo, du grec anthrôpos “homme”,
et morphologique.
gie et anthropométrie. Il m’apparaît
et logie, du grec logia “théorie”, de logos
que si l’on devait faire un procès à
“discours”)
l’anthropologie, en tant que science
ETHNOGRAPHIE ethno - du grec ethnikos, “peuple”, et gra-
apparue parallèlement au fait colonial,
1. Ensemble des sciences qui étu-
il nous faudrait en faire un aux sciences
dient l’homme. (Anthropologie culturelle,
dessiner”
politiques – l’Institut de Sciences Poli-
sociale, visuelle, structurale,etc.). L’étude
étude descriptive des divers groupes
tiques “Science-Po” ne fut-elle pas à
des langues y est essentielle, il est à noter
humains (ethnies) à partir d’analyses réali-
l’origine une école chargée de former
que les travaux de Ferdinand de Saussure
sées sur le terrain
l’élite de l’administration coloniale ? -,
en linguistique visent à relier structure de
et questionner également l’histoire de
la langue et système de pensée. A partir
ETHNOLOGIE
l’art, en tant que discipline s’appuyant
de ses recherches, tout un courant de
Etude des faits et documents recueillis
54
phie - du grec graphein, “graver, écrire,
par l’ethnographie couvrant le domaine
ayant, presque toujours, appris leur métier
création et d’éducation. Mais l’innovation
de l’anthropologie culturelle et sociale.
en Occident ? »
la plus manifeste est certainement celle
Pour les Anglo-Saxons l’équivalent est
A ce titre, l’expérience Bandjoun Station
qui, en lien avec la communauté locale,
Anthropology.
de Barthélémy Toguo répond-elle à cette
vise l’autosuffisance alimentaire dans une
La représentation du « Je », ainsi définie
question ? Ce lieu d’art que l’artiste a créé
action à la fois agricole, artistique, et poli-
par Kant, dans son Anthropologie prag-
en 2008, est implanté en pays Bamiléké,
tique.
matique , c’est précisément ce qui est en
au C am eroun . O utre des esp aces
Barthélémy Toguo cite Léopold Sédar
jeu lorsqu’artistes et curateurs s’inspirent
d’expositions, il propose des lieux de
Senghor, dans l’optique de mettre fin
de l’anthropologie culturelle.
à ce qu’il appelait “la détérioration des
On a vu récemment à Paris dans certains projets curatoriaux l’anthropologie clairement invitée à se confronter à l’art contemporain. En 2012 au Palais de Tokyo, à Paris, le curateur Okwui Enwazor n’a pas hésité à exposer des croquis de Claude Lévi-Strauss, qui définit, lui, l’anthropologie comme un
"QUEL EST LE RÔLE DE L’ARTISTE SINON DE RACONTER SA PROPRE HISTOIRE ET DONC CELLE DE SON ÉPOQUE ?"
termes de l’échange”. Bandjoun Station a initié des projets de développement durable avec plantations de café, maïs, manioc, etc., manière de rappeler que l’éducation artistique ne vaut rien sans une volonté d’accompagnement social. Mais au sujet du public qui fréquente les lieux d’exposition, il dit dans Le Monde
« art de l’éloignement », tout en
Afrique : « Aujourd’hui, 80% des
défendant le concept « d’Intense
visiteurs sont des occidentaux ».
Proximité » comme principe
Il est intéressant de noter le cas
d’organisation de l’exposition . Il
du projet curatorial du Louvre
n’y a pas de meilleure invitation
à Abu Dhabi. Exposé au Lou-
à désapprendre, à se défaire des
vre Paris en 2014, sous le titre «
savoirs et des connaissances de
Naissance d’un musée », le com-
l’anthropologie culturelle.
missariat d’exposition y fait le
Déconstruire, c’est aussi cela
choix du décentrement 3. On a
qu’Eva Barois De Caevel, com-
pu y voir, alignées sur le même
missaire d’exposition, recherche
plan, la statuaire des panthéons
quand elle dit vouloir inventer une
égyptien, soninké, chrétien,
nouvelle scénographie affranchie
bouddhiste et indien. Il me sem-
des « normes d’une épistémolo-
ble que cette décision était une
gie occidentale ». Cette fois-ci,
première dans une institution
il ne s’agit pas de normes héri-
française, et le fait vaut d’être
tées de l’anthropologie, mais
remarqué comme une tentative
des méthodologies même du
de scénographie non ethnocen-
2
projet curatorial . Elle pose aussi
triste. Etait-ce là l’occasion de
la question des relations entre
donner à voir la vocation « uni-
scène internationale et contexte
verselle » affirmée par le Louvre
local dans ces termes « Comment
Abu Dhabi ?
1
les gestionnaires de ces lieux peuvent-ils prendre en compte un contexte spécifique tout en
55
John Mawurndjul peignant pour la librairie du Musée © Musée du Quai Branly - photo Franck Béloncle
Vous avez dit ethnocentrisme ?
Le Musée du Quai Branly, qui a passé com-
nouvelle posture de « l’artiste en »
anthropologues au Burundi, où elle vit et
mande en 2006 à huit artistes aborigènes
ethnographe, philosophe, sociologue,
travaille. Quand le langage de l’art rend
contemporains pour placer directement
etc., mais bien d’une prise de con-
compte d’un fait qui aurait pu relever de
leurs œuvres picturales sur le bâtiment,
science. En se référant clairement à
l’anthropologie - ici un rituel local de la
témoigne bien de l’ambiguïté qui per-
l’anthropologie, parfois en la revisitant,
circoncision - en lui conférant une autre
dure, entre représentation néocoloniale
parfois de façon critique, ils alimentent
dimension, alors la rencontre a bien eu
et tentative de patrimonialisation.
leur quête de sens. Nous avions recueilli
lieu, et le langage scientifique s’efface
Richard Bell résume ainsi la question dans
à ce sujet les propos de Camille Henrot,
pour laisser transparaître celui de l’art.
son « Bell’s Theorem » :
C’est précisément ce que Bar-
« Aboriginal Art. It’s A White Thing
thélémy Toguo a réussi lorsque,
», (l’art aborigène. C’est un produit
de retour dans son pays natal, le
de Blancs). Le collectif Boomalli
temps d’observer ce rituel, il lui
s’est fait l’écho de cette affirma-
confère un souffle qui transcende
tion car les artistes aborigènes
l’aspect local à travers la perfor-
urbains, forcément hybrides, sont
mance Circumcision 1, création de
perçus comme « inauthentiques »
1999-2007.
4
par rapport aux artistes du désert australien vivant dans des sociétés
Kouka Ntadi, comme d’autres
intouchées, primitives. Le mythe
artistes, convoque l’histoire avant
subsiste, partagé tant par les
de peindre de grandes figures de
anthropologues que par les ama-
Guerrier bantous à une échelle
teurs d’art. Ainsi, en réaction au
urbaine. En documentant son
monde de l’anthropologie comme
histoire personnelle, il invente
à celui de l’art, des « stratégies »
un signal urbain, signe de
sont mises en place par les artistes
reconnaissance et de ralliement,
pour tenter de se soustraire à une
preuve s’il en est de la résonance
certaine assignation identitaire.
du local dans le monde global.
Dans le film Ré-assemblage, pro-
Il nous explique : « Le Guerrier
jeté pendant « Intense Proximité » à Paris, Trinh T. Minh-ha invente un mode opératoire, tournant autour de son sujet
bantou - bantou signifie humain Bandjoun Station Récolte de mais jaune, Plantation des Cinq doigts Tesse © photo Barthelemy Toguo
- représente pour moi l’homme originel, en communion avec la nature, il est le
pour éviter de le percevoir comme un
artiste française, dans Afrikadaa #8, qui
gardien de la mémoire et de la culture.
objet anthropologique, ses images, libres
nous confiait s’inspirer davantage de
Les bantous ont été colonisés, puis
d’interprétation, sont non pas « sur » le
l’anthropologie que de la philosophie,
déportés. La raison pour laquelle je les
Sénégal mais « nearby ».
notamment par sa relecture du « Renard
appelle « guerriers » indique justement le
Pâle » de Marcel Griaule et Germaine
fait qu’ils se battent, non pas contre leurs
Dieterlen. Auparavant, c’est Martina
semblables, mais contre l’oubli, la perte
Bacigalupo dans Afrikadaa #7, qui mène
d’identité et de leur culture. » Kouka Ntadi
Le tournant anthropologique qui mar-
un projet artistique auprès des guéris-
souligne, dans son travail, le caractère
quait le champ de l’art contemporain de
seurs de la communauté Ju/ hoansi,
universel de cette figure « En continuant
Hal Foster est derrière eux. Pour certains
et nous disait son désir d’approfondir
à voyager, je me suis aperçu que la figure
artistes et curateurs, il ne s’agit pas d’une
sa « connaissance de l’Autre » avec des
du guerrier bantou, résonnait beaucoup
Universaux / vers soi
56
Notes
Authority).
ancêtres, comme un symbole fort de
1. Il faut rappeler le contexte de l’exposition,
4. Bell’s Theorem, 2002. Richard Bell y affirme
culture et de tradition, je décidais alors
en plein débat français sur « l ‘identité
encore« Il n’y a pas d’industrie artistique
d’en peindre partout ou j’allais ! »
nationale », comme le fait
aborigène. Il y a cependant une industrie qui
Okwui Enwazor, dans « Intense Proximité, l’art
gère l’art aborigène. Les principaux acteurs
comme réseau », Communiqué de presse de
de cette industrie ne sont pas aborigènes.
la Triennale, 2012
Ce sont principalement des Blancs dont les
en Amérique latine et aux Etats-Unis, où les gens y voyaient également leurs
L’artiste, anthropologue de sa propre histoire ?
domaines d’expertise relèvent des champs Kouka Ntadi, artiste né d’une mère fran-
2. Entretien Frieda Ekotto et Eva Barois De
de l’anthropologie et de l’art occidental. »
çaise et d’un père congolais , qui a grandi
Caevel, ‘ Voir au delà des mots », Africultures,
Géraldine LE ROUX, « Regards d’artistes sur
en France, témoigne de cette quête
http://www.africultures.com/php/index.
les processus de patrimonialisation et de
d’identité « fer de lance de ma démarche
php?nav=article&no=12707
commercialisation de la culture aborigène », Le Journal de la Société des Océanistes 2012
artistique, je pense que l’artiste qui n’entreprend pas cette recherche per-
3. Vincent Pomarède, musée du Louvre,
sonnelle ne sera toujours qu’un artisan
commissaire général, associé à Laurence
de la pensée. Quel est le rôle de l’artiste
des Cars, musée de l’Orangerie, et à Khalid
sinon de raconter sa propre histoire et
Abdulkhaliq Abdulla, commissaire associé,
donc celle de son époque ? »
TCA Abu Dhabi (Abu Dhabi Tourism & Culture
"Guerriers bantous - Tribute to Mandela" 2013 – Vitry sur Seine © Kouka Ntadi
57
ART TALK
La montée au trône du prince héritier Par Pascal Kenfack
"L’OBJET D’ART NE « S’AUTOPROCLAME » ATTRACTIF QU’À TRAVERS LE REGARD EXTÉRIEUR CONQUIT PAR FORMES, SIGNES ET TONS." Comment un concept peut-il devenir un
sasser d’autres séquences à la lumière sur la
un réconfort psychique et ainsi qu’une
objet d’art ?
base de ses souvenirs les plus marquants,
réponse à la conquête du bien- être.
Capter le regard d’un observateur et le faire
mouvementés ou non qui ne tiennent que
plonger dans les méandres de l’initiation
parce que s’y enrobent des interprétations
Comment définir l’âme d’une communauté
à la tradition. Sans pour autant que
singulières en en résonnance avec son état
tant recherchée à travers la fabrication d’un
l’observateur devienne acteur ?
d’âme.
objet d’art ?
- L’espace du champ visuel à la clarté
L’objet d’art ne « s’autoproclame »
L’approche anthropologique basée sur
lumineuse.
attractif qu’à travers le regard extérieur
la démarche individuelle puis collective
- Le sous-terrain mystérieux dans la
conquit par formes, signes et tons. Par
s’ouvre au dialogue avec l’invisible. Tout
pénombre d’où s’extirpent force et énergie.
ailleurs, le décryptage et l’adhésion des
commence par un signalement interpré-
réminiscences intérieures se font grâce
tatif ; des signes incongrus tracés par le
Ces zones s’alternent et se complètent
à la constante force du champ visuel. La
passage de certains oiseaux, comme le
comme le jour et la nuit. Ainsi elles sym-
grande partie des objets d’art s’inscrit dans
gloussement d’une perdrix ou un aboie-
bolisent un état d’outre-tombe opposé et
l’expression intrinsèque d’une commu-
ment. L’art de « chez nous » enregistre
complémentaire de l’éveil.
nauté dont la racine prend dans un village,
des formes hétéroclites voire étranges
une famille, un groupement ethnique
et relève ici et là l’invention de nouvelles
La toile bidimensionnelle se prête
ou culturel. Au sein des formes se décli-
valeurs, celles à reconnaître sous le label
à l’ambivalence technique faute de
nent des significations d’une religiosité
des ancêtres et de leur culte ; des sociétés
troisième dimension. Elle trompe l’œil
atténuée et entrent dans les sanctuaires où
initiatiques et de leur code ; « des tradi-
et titille l’hypersensibilité de celui qui la
s’entretient un dialogue permanent avec
praticiens » noyautés dans la double
regarde. Les yeux grandement ouverts,
les ancêtres intermédiaires. Puis avec les
prévalence du divinatoire et de soins
l’observateur est invité à développer et res-
praticiens et tous ceux qui y rencontrent
alternatifs, « d’une alliance totémique ».
Deux zones distinctes composent la toile :
58
Cette dernière qui d’après Joseph Kouda,1
ateliers l’objet d’art, qui doit nourrir son
yeux en forme de jetons de cauris que
« Toujours étrange relève de l’humain
homme et accompagne son détenteur
prolonge un impressionnant dos dont
s’associant à l’animal pour une pénétration
dans ses activités spirituelles.
la courbe auréole la tête du prince et se
impitoyable » l’alliance sans équivoque
termine par une queue. Au centre, le prince
dont l’unique image évocatrice trouble et
Le tableau « La montée au trône du
n’est plus qu’une ombre des félidés aux
assiège l’esprit comme l’image d’un cen-
prince héritier », objet de notre approche,
museaux identiques. N’est-il pas entouré
taure. Les ingrédients toujours d’actualité
développe une composition dense autour
de la cohorte de jeunes filles aux cheveux
permettant de réussir cette alliance se fix-
des cases au toit conique alignées en
soigneusement tressés, ses accompagnatri-
ent à l’intérieur de ceux pour qui le chemin
perspective. Les lignes fuient vers l’arrière
ces ? Leurs courbes corporelles émancipent
du salut s’éclaircie au fur et à mesure qu’ils
fond. Le milieu ambiant influence le géant
tout en convergeant en descendance vers
posent des actes.
baobab à gauche, qui est frappé de neuf
le majestueux crâne du défunt premier
points ronds symbolisant les neuf nota-
chef fondateur de leur dynastie qui portent
L’école permet de transcender intellectuel-
bles fondateurs. Le feuillage est détourné
les deux énormes pieds aux ongles appar-
lement l’objet traditionnel remplacé par
en une tête de panthère au museau et
ents. Cette zone est frappée de plusieurs
le savoir universel. Dans ce cas, la tradition
points rougeâtres
se relèguerait dans l’archaïsme si nous
marquant la présence
ne prônions avec force et abnégation la
effective des féconda-
double culture à partir de « notre terroir
tions attendues. Le
d’origine ». Ne pas se nier, mais faire des
vecteur central sensibilisé
propositions qui relèvent de notre moi
se privilégie porteur de
intérieur, avec la capacité d’émerger et de
la crème fécondante
s’ériger en un concept universellement
lumineuse blanc-
acceptable.
bleuâtre entouré de fins morceaux de baguettes
L’autre nouvelle valeur repose sur la
en bois acajou brut au
proposition des formes qui ne le sont que
bout lumineux comme
parce qu’elles s’offrent au regard tout en
des bougies ou encore
creusant des nouveaux horizons par rap-
d’intermittentes lucioles.
port aux masques qui ont fait leur temps.
Tous les éléments con-
Ici, le prince monté au trône de son père
stitutifs clament le non
défunt reste d’actualité. Depuis le La’Akam2,
dit des scènes de copula-
il accomplit son devoir de futur monarque
tion, unique occupation
avec les jeunes filles qui l’accompagnent
des locataires des lieux.
qu’il doit féconder. Féminité et masculinité
L’issue attendue est la
(seins et phallus) se projettent sur la toile,
capture de l’esprit du
annonciateur d’un abdomen proéminent,
défunt s’incarnant afin
le regard parcourt la scène et s’active.
d’assurer l’ininterrompue chaîne royale.
Comme le relève Mabika3 « Les foyers de culture africaine ne sont pas éteints » La connaissance de l’homme et de son environnement conditionne à la sortie des
59
Inspiré du La’Akam, Pascal Kenfack, La montée au trône du prince héritier Peinture : 375X250 cm. Tech mixte. Toile de jute.
l’oeuvre se transforme, rencontre et se revêtit de
mystère, mythe et autres interdits. Le tout
La métempsycose n’est-elle pas une
Quand à lui, le dispositif totémique, vieux
le hisse en étendard identitaire de notre
activation de l’une des composantes du
comme le temps, développe l’ambivalence
société.
pouvoir incontournable tant il est relevé
des contractants. Ces derniers vivent et meurent en même temps, vont et vien-
Sa transformation se base sur le rôle du prince qui le long de son enfance sous la tutelle de son père est soumis aux étapes de développement physique et formation intellectuelle jusqu’à l’âge adulte. Il peut recevoir une aide éducative d’un père adoptif. Parfois il est envoyé très tôt dans une chefferie amie où il grandi parmi les autres jusqu’à la mort de
"L’APPROCHE ANTHROPOLOGIQUE BASÉE SUR LA DÉMARCHE INDIVIDUELLE
nent à volonté dans un laps de temps déterminé, posent des actes insolites dans le secteur qui leur est propre souligne Mofosso.
PUIS COLLECTIVE S’OUVRE AU DIALOGUE AVEC L’INVISIBLE."
Pascal KENFACK Peintre sculpteur, enseignant, Maître de recherche
son père. Mystique quand à partir de sa naissance et de par les signes qu’il porte,
ici et là ? La complexité de l’exercice du
il est reconnu futur roi suivant des signes
pouvoir à travers une sage distribution
Bibliographie :
palpables : marque de bracelet au poignet,
des rôles ? Pendant que les faits réels
Pie-Aubin MABIKA : Regards sur l’art et la
touffe de cheveux sur le front, naissance les
s’organisent sur le terrain anthropologique
culture en Afrique noire, Harmattan, 2OO6
pieds joints, eau jaillissant spontanément
dans les villages, les formes des objets
du sol de la chambre dans laquelle a lieu
d’art se sclérosent sur les supports
Notes:
l’accouchement. Son annonce aux notables
devenus l’hôte accueillant des regards
1. Joseph KOUDA , patriarche de la famille
précède une cérémonie insolite autour
tout en accompagnant l’observateur à la
TADONDJIOLEMO
de laquelle tous jurent en versant l’eau ou
découverte des séquences caractérisées. 2. Le La’Akam signifie le « village des nota-
le vin de raphia sur le crâne des ancêtres pour que la mort frappe immédiatement
Le principe du culte des ancêtres se noue
bles ». Tout futur chef doit y séjourner avant
celui qui romprait le secret. Un éclair
autour des agrégats sélectifs d’une trans-
son intronisation. Cette légitimité lui confère
instantané peut ouvrir l’espace avec ou
mission réelle à travers des mécanismes
l’autorité de chef. Il devient le garant de la
sans une fine pluie. Dans ce cas, l’attention
incontestables et un psychisme profond
prospérité et de la suivie de sa Chefferie.
des villageois est attirée sur l’évènement en
qui mettent en exergue l’esprit des morts
Source : http://www.guide.mboa.info/peuple/
cours sans toutefois les rapprocher faute
otages des survivants afin de défier la mort
fr/connaitre/actualite/2527,cest-quoi-le-
des moyens de communication. Certains
destructrice de la chair. La danse accompa-
laakam-.html
membres des sociétés secrètes s’ouvrent
gnatrice des évènements développe des
aux signes codés au travers de leur
séquences où se rythment les appréhen-
3. P.A.Mabika “regards sur l’art et la culture en
dispositif totémique relayant les messages
sions, des défis et autres aspects vivifiants.
Afrique” ed. Harmattan 2OO6
en nocturne à travers un canal sensible
Le martèlement de la croûte du sol (repos
dont ils détiennent la clé. En journée, ils
des corps), les envolées de chants et gestes
4. D’apres un temoignage de Mossa Foréké à
suivent le chant persistant de l’oiseau au
guerriers qu’accompagnent les torsions
Ndzong (Dschang, Cameroun)
plumage bicolore noir et blanc. Le passage
et contorsions des corps impulsent et
du sentier d’un bord à l’autre par un
expulsent l’air (domaine de l’esprit) afin
5. MOFOSSO Kametchou, membre influent de
écureuil moucheté à la scintillante et large
que s’accomplissent les divers messages et
la société fossi à Ndzong
queue et aux poils étincelant constitue une
doléances pour le bien-être, vie et lon-
part du message insolite interprétable.4
gévité convoitées.
60
ART TALK
Sphynge en sucre et pensée de l’hybridité chez Kara Walker Par Rémi Astruc Crédit images : Kara Walker, A Subtlety, 2014. Photography by Jason Wyche, Courtesy Creative Time>#
61
"AVEC KARA WALKER, L’ÉNIGME PORTE DONC MOINS SUR L’ÊTRE HYBRIDE DE LA SPHYNGE EN SUCRE QU’ELLE NE SE CONFOND AVEC L’ÉNIGME DE L’HOMME BLANC ET DE SA PROPRE ANIMALITÉ (CACHÉE/RÉVÉLÉE)."
On peut comprendre l’effet de saisisse-
–immaculée- rappelle en effet deux «
Candide ou l’optimisme », le conte
ment ressenti par les visiteurs, face
blancs » de l’Histoire, soit deux dispari-
philosophique de Voltaire2 . D’une cer-
à la gigantesque Sphynge en sucre à
tions lourdement chargées de sens,
taine manière, (assez directe cependant),
tête d’esclave noire , exposée cet été
obligeant à penser en profondeur les
en sucrant délicatement leur thé de cinq
dans la raffinerie Domino à Brooklyn.
effets de ces disparitions.
heures, les Blancs « consommaient », en
1
Cette sculpture intitulée « Subtilité » est
quelque sorte de l’Africain.
nommée ainsi par antiphrase, forme de
La première réalité oubliée ou
contraste ironique que Kara Walker a
aujourd’hui passée sous silence «
La seconde réalité oubliée tient au pro-
voulu par ce titre associer à son œuvre.
blanchie » en quelque sorte, touche
cessus de blanchiment, cette fois au sens
Car loin de la subtilité annoncée, il
à l’histoire du sucre et de son indus-
littéral, de l’histoire du sucre, et à ses
s’agit bien au contraire d’une allégo-
trie, à savoir l’histoire de ce plaisir des
prolongements inconscients au niveau
rie pour le moins massive, (de l’ordre
Blancs qui fut inextricablement mêlé
de l’Histoire tout court : raffiner le sucre,
du symptôme), destinée à donner du
à l’esclavage et au commerce triangu-
c’est faire fondre la mélasse noire pour la
sens et de la forme, à une disparition,
laire, et donc à la souffrance des Noirs.
transformer en sucre blanc, soit séparer
aussi massive soit – elle ! C’est du moins
Le développement et le « raffinement
et évacuer les pigments noirs naturel-
l’hypothèse que je voudrais proposer
» —terme pour le moins problématique
lement sécrétés par la canne (donc le «
ici. La Sphynge en sucre serait un
dans ses implications concrètes— de la
sang mélangé ») pour en « purifier » le
monument - de proportions proprement
civilisation occidentale n’a en effet été
sucre. Déjà propre à être consommé, ce
mythologiques- culminant à l’invisibilité
rendu possible qu’à l’occasion du travail
blanchiment n’est destiné qu’à aug-
des Noirs, c’est-à-dire à l’oubli des
forcé des esclaves africains dans les
menter la valeur de ce dernier pour le
réalités aussi bien historiques que
plantations de canne à sucre du Nou-
marché occidental —mais selon quels
contemporaines du rapport Noir/Blanc
veau Monde. Ce qui est donc révélé est
critères ? Certainement pas économ-
dans la société américaine. L’hybridité
d’abord une histoire d’hybridité cachée,
iques, puisque cette opération est
serait alors un outil intellectuel qui ser-
celle qui tend à dissoudre aujourd’hui
nécessairement coûteuse—, soit le ren-
virait à révéler au moins, deux silences
ou à faire disparaître cette histoire. La
dre désirable pour le goût des Blancs. En
assourdissants. Opportunément, l’œuvre
souffrance des corps noirs (déportation
accord avec celui-ci, transformer le corps
et esclavage) sous le plaisir du corps
noir en substance blanche, c’est donc le
blanc. « C’est à ce prix que vous mangez
rendre présentable en lui donnant une
du sucre » rappelait pourtant à Candide,
apparence acceptable. Par son hybridité
1 — Exposition temporaire intitulée « A ‘Subtlelty’, or the Marvelous Sugar Baby, an Homage to the unpaid and overworked Artisans who have refines our Sweet tastes from the cane fields to the Kitchens of the New World on the Occasion of the demolition of the Domino Sugar Refining Plant », détruite en même temps que la raffinerie à la fin de l’été 2014. On peut en trouver trace sur le site du commanditaire du projet : http://creativetime.org/ projects/karawalker/
62
le pauvre « nègre du Surinam », amputé d’une jambe et d’une main, dans «
2 — Rémi Astruc, Le Renouveau du grotesque dans le roman du XXe siècle, essai d’anthropologie littéraire, Paris, Classiques-Garnier, 2010.
63
qui accole au contraire le corps noir au
La sculpture de Kara Walker, très mod-
de ces précieux cristaux blancs, est indis-
sucre blanc, la « Sphynge » révèle donc
erne de ce point de vue, renverse donc
sociable de l’exploitation inhumaine des
ce fantasme de « trans substantiation »
la perspective : derrière l’homme, il faut
populations noires importées d’Afrique
du noir en blanc tout en le mettant en
désormais voir (au sens propre : visual-
pour cela. Que le plaisir des uns a eu
échec. C’est précisément, ce blanchi-
iser) l’animal ; sous le raffiné, le barbare.
pour corollaire infâme la soumission des
ment souterrain que l’œuvre de Walker
Soit retrouver une animalité synonyme
autres ; que quand les Blancs consom-
rappelle et souligne..
ici de bestialité, d’absence de morale,
maient la Subtelty, les Noirs se faisaient
autrement dit la tendance même,
« dévorer » par elle.
Un processus semblable a été à
comme nous l’a appris Lévi-Strauss, à
l’œuvre au niveau des représenta-
animaliser l’autre.
La Sphynge de Kara Walker, conformé-
tions psycho-sociales, qu’il s’agit par la
Au-delà de son intérêt purement visuel
ment à son illustre aïeule de l’Antiquité,
même occasion de révéler et dénoncer.
et esthétique, l’hybridité est pour Kara
est bien elle aussi une figure suprême,
L’homme noir a en effet été vu par la sci-
Walker un formidable outil intellec-
mythologique, de l’intelligence, de la
ence évolutionniste occidentale du XIXe
tuel permettant de dévoiler ce qui est
pensée et de la ruse. Tout comme elle,
siècle comme un être encore proche du
profondément caché, de publier ce qui
elle adresse une question extrêmement
singe, le chaînon manquant qui sépare-
est difficile d’approche, en particulier les
difficile aux visiteurs de la raffinerie,
rait l’homme de ce dernier, un véritable
représentations inconscientes (soit mon-
question relative à la nature humaine
hybride entre l’homme et l’animal.
trer le « monstre » —étymologiquement
et à son hérédité animale. Comme elle
Une telle conception a ensuite envahi
: ce qui mérite d’être montré— tapi
encore, impérieusement elle exige une
l’imagerie populaire et la pensée raciste
au fond des esprits). Comme j’ai tenté
réponse de notre époque contempo-
commune. D’où les fantasmes tenaces
de le théoriser dans Le Renouveau du
raine, peut-être sous peine de mort
pour « élever » l’homme noir à la civilisa-
grotesque3 en déconstruisant les mécan-
: « Answer me !4 » ou je te dévore…
tion et, par la culture, le conduire à une
ismes anthropologiques de ce dernier,
Dans cet impressionnant processus
humanité « supérieure » que symbolisait
l’hybridité permet en particulier de don-
d’anamnèse collective suscité par
précisément le blanc et donc le sucre,
ner à voir les « impossibilités réalisées »
l’oeuvre, l’hybridité homme-animal est
une fois raffiné, rendu « pur ».
qui correspondent à certains de nos par-
bien en effet la façon de poser certains
adoxes cognitifs : en l’occurrence ici, de
des problèmes parmi les plus anciens et
Avec Kara Walker, l’énigme porte donc
restituer le composite, de reconstituer
les plus cruciaux de l’humanité (au sujet
moins sur l’être hybride de la Sphynge
des histoires (du sucre, de l’Amérique)
des couleurs de peau, des « ra-
en sucre qu’elle ne se confond avec
qui ne sauraient être ramenées à la
ces », du rapport animalité/humanité)
l’énigme de l’homme blanc et de sa pro-
simplicité ou à l’unité, ou encore à une
en les incarnant et en les donnant ainsi à
pre animalité (cachée/révélée). D’ailleurs,
problématique et infiniment suspecte
voir par le corps même de cette esclave
dans l’antique devinette posée par le
« pureté ». Pour l’histoire de la raffinerie
à l’allure d’un Sphynx. Ce faisant, Kara
Sphynx à ceux qui avaient le malheur
Domino, l’hybridité révèle ainsi tout ce
Walker souligne en particulier les con-
de croiser son chemin, derrière la bête
qui ne saurait être si facilement purifié,
tradictions, rappelle les ambiguïtés, et
étrange (« quel animal a quatre pattes
fondu, et donc assimilé, oublié avec la
en fin de compte l’irrésolution morale
le matin, deux à midi et trois le soir ? »),
destruction du bâtiment lui-même. En
qui entoure toujours, d’un point de vue
il fallait, comme Œdipe, être capable de
particulier le fait que le « raffine-
historique, ces problèmes. Par la figura-
« voir » l’homme : la créature présentée
ment » du goût des Blancs en Europe et
tion de « l’impossibilité réalisée » qu’est
sous des apparences monstrueuses dis-
aux Amériques, permis par le commerce
le corps de la chimère, la gigantesque
3 — Rémi Astruc, Le Renouveau du grotesque dans le roman du XXe siècle, essai d’anthropologie littéraire, Paris, Classiques-Garnier, 2010.
4 — Inscription que Kara Walker a porté sur un croquis de travail représentant la sphynge.
simulait en réalité ce qu’on allait appeler plus tard la « perfection » de la Création.
64
Mammy5 - Sphynge en sucre pose la question de ce qu’a pu signifier —et signifie peut-être encore—, dans les mentalités américaines contemporaines, le fantasme de transsubstantiation du Noir en Blanc. La Subtelty est bien alors la figuration, au niveau de la psyché de la société américaine, de l’énigme même de l’impossible métissage : l’énigme d’une société incapable de concevoir l’hybridité biologique (soit le mélange et la fusion des « races ») qui la caractérise et fantasme encore une hybridité merveilleuse qui séparerait en son sein les Noirs des Blancs, voire ferait disparaître les premiers, entièrement absorbés ou « digérés » par les seconds. Rémi Astruc est professeur de littérature francophone et comparée à l'université de Cergy-Pontoise. Spécialiste des écritures comiques, il a récemment dirigé le recueil Rires africains et afropéens, n° 38 de la revue Humoresques (2014) et Le grotesque dans les littératures du sud (avec Pierre Halen), Presses de l'Université Paul-Verlaine, 2012. Il a par ailleurs écrit plusieurs ouvrages généralistes sur le grotesque dont une ambitieuse réévaluation théorique: Le Renouveau du grotesque dans le roman du XXe siècle, essai d'anthropologie littéraire, Classiques Garnier, 2010. Sur Kara Walker, on pourra lire dans la revue Raison publique (en ligne) son article intitulé "Kara Walker: mémoires de l'esclavage en noir et blanc". 5 — Du nom, devenu proverbial, du personnage incarné à l’écran par Hattie Mac Daniel dans Autant en emporte le vent, soit la nounou noire, servile jusqu’à l’aveuglément, des riches planteurs blancs que sont la famille de Scarlett O’Hara.
65
ART TALK
Arts, anthropologie et le don Dialogue entre Roger Sansi et Stéphane Malysse "DONNE AUTANT QUE TU PRENDS ET TOUT SERA TRÈS BIEN…" Proverbe Maori cité par Mauss dans son Essai sur le Don, 1923.
MALYSSE as a jazz singer, 2014. Courtesy Maelle Galerie.
66
MALYSSE : Nous nous sommes rencon-
En suivant la méthode de Mauss qui
en accord avec l’Esthétique relationnelle
trés à l’époque ou nous étions au Brésil
invite à passer du concret à l’abstrait,
présentée par Nicolas Bourriaud2 ?
sur nos terrains respectifs à Salvador de
pourrais-tu m’expliquer comment tu
Bahia, j’étudiais l’anthropologie du corps
envisages ces collaborations ?
et toi celle de l’art contemporain, dans la
SANSI: I star ted working on these questions more than ten years ago, at the
perspective de notre dialogue autour de
SANSI: My book starts from my frus-
time Bourriaud´s work had been recently
ton nouveau livre1 et de l’Essai sur le Don
tration with current debates on the
published, and I have to say that I liked
de Marcel Mauss, j’aimerai savoir ce que
relation of art and anthropology. Most
it and I still do. However, Bourriaud never
cette expérience brésilienne t’a apporté ?
of the literature on the subject focuses
makes explicit reference to Mauss nor to
on methodology : how can artists use
the concept of the gift. And I don´t think
SANSI: At that time I was working on
ethnographic methods and viceversa. It
he was hiding it, his work was not directly
the relation between modern art and
had always seemed to me that this was
inspired by Mauss or Anthropology in
Afro-Brazilian culture and art. In particu-
a rather narrow approach. Art practi-
general, perhaps only indirectly, through
lar, in relation to religion, to Candomble.
tioners and anthropologists share much
situationism. In the last decade there
I have to say that in the end I got more
more than methods as techniques, they
have been many, many criticisms of
interested in Candomble as a form of art
also have common conceptual concerns.
Bourriaud, many of which are probably
than in modern art, properly speaking.
And further thant that, they also share a
correct, but I still find his work inspiring, I
In Candomble I found a questioning of
very particular understanding of what a «
guess I like his way of formulating ideas,
the limits between people and things-
method » is, which may not be simply a
as possibilities, more than questioning if
and between people themselves that
scientific technique to reach a particular
they really work in the « Art World » or not.
inspired me to re-read the classics of
conclusion, but the method itself may be
Still, for me what is clear is that the kind
Anthropology- essentially Mauss, but also
the matter of concern. For example « the
of art that Bourriaud championed in that
to engage with contemporary authors,
gift ». The gift has always been a central
book was clearly based on the gift. But
like Strathern, Alfred Gell, or Bruno
concern in Anthropology and in Art. At
this did not mean that these works were
Latour, who at that time were starting
the same time, it has also been central to
anti-capitalist revolutionary in any sense-
to question « Western Ontology » and
its « methods » or « processes » - its forms
on the opposite, they could end up being
the division between nature and culture,
of work in both cases. Art practice can
very conventional, mainstream works of
subjects and objects. At a personal level,
be formulated explicitly as an exercise of
contemporary art. But they are still based
on the other hand, my « brazilian » expe-
gift-giving ; gift in terms of inspiration,
on the gift- with all its contradictions.
rience was very fruitful. Meeting you and
but also of the esthetic experience, that
What I discuss in the book is that a good
other anthropologists in Bahia was like a
is by definition, free and given. And so
way of addressing « relational » art work
second PhD for me. But in a much more
can ethnographic field work: a big part of
is by understanding it precisely in the
fun way ! But I also think that some of
ethnographic fieldwork consists in social
terms of a « relational » Anthropology, for
the things I learnt at that period, actually,
relations that are, in most cases, based
example, following the work of Marilyn
only became clear to me much later.
upon gift exchange. So I thought this
Strathern and Alfred Gell, and their
would be a good starting point to rethink
notions of the « distributed person ».
MALYSSE : Ton livre est, comme l’a
the relation between Art and Anthropol-
The works of relational artists are literally
si justement écrit Georges Marcus
ogy, by introducing a third concept: the
extensions of their personhood.
(University of California, USA), une
gift. MALYSSE : En paraphrasant Mauss,
invitation à de nouvelles relations entre la pratique artistique et l’Anthropologie… 1 Roger Sansi, Art, Anthropology and the Gift, Bloomsbury Academic, London, 2014.
67
MALYSSE : L’idée de l’Art comme Don, qui est le centre de ton nouvel essai, est elle
2 Bourriaud Nicolas, Esthétique relationnelle, Presses du réel, pp. 7 à 10
l’idée qu’un don implique toujours un
is much more pertinent than for example
most vividly from your early work on
contre-don a elle du sens dans l’Art Con-
Bourdieu´s « symbolic capital »3.
gyms in Rio de Janeiro was your explicit
temporain ?
use of the techniques of the body and MALYSSE : Dans ton essai, tu montres que
« breaching », ethnomethodological
SANSI: What I explain in the book is
l’Art et l’Anthropologie partagent deux
practices, to produce situations where «
that the ideology of the gift in modern
grands centres d’intérêts : l’engagement
the field » would be revealed. In fact these
art, and in Western society in general, is
politique dans l’univers social et la
ethnomethodlogical practices were not
based on the notion that gifts are free,
volonté de révéler de nouveaux mondes.
that far from situationism. Could you say
personal, and spontaneous. This is the
Je m’y suis identifié… J’aimerai savoir
something more about that point ?
principle that makes the esthetic expe-
ce que tu penses de ma façon artistique
rience in its classical kantian definition,
d’aborder ces thèmes anthropologiques.
also, a gift. The « gift » of Mauss, the gift
MALYSSE : Oui, je pense que cette définition du terrain comme un ensemble
of what he calls archaic societies, is quite
SANSI : The political engagement of Art
hybride de pratiques performatives est
the opposite: obligatory, hierarchical, rit-
is a very contentious issue, but my take in
très juste… Dans mon terrain sur les pra-
ualised. What some authors after Mauss
this book departs from the critique of the
tiques de musculation à Rio de Janeiro,
have said is that in fact the modern gift is
notion of « work » in modern art. Modern
j’ai utilisé le breaching (Garfinkel) dès le
also hierarchical, but this is hidden under
artistic practise would resist skilled
début, sans même le préméditer, car la
the falso ideology of egalitarianism. One
labour, specialisation and allienation,
différence de mon apparence et l’absence
example of this would be the work of
and affirms itself as a form of practise that
de muscles aussi, s’apparentaient à un
Bourdieu, who explicitly described ¨the
doesn´t disentangle work from life, praxis
jeu de miroirs. Je me souviens très bien
rules of art¨as if they were the rules of an
from poiesis. This line of critique goes
des premiers jours dans les salles de
« archaic » religion. But this is a reduc-
back to dadaism, through situationism,
musculation, de mes stratégies pour à
tionist, reading of the gift. To answer
till the more recent formulations of
la fois « ne rien faire » - par exemple en
your question, does the gift imply a
Bourriaud and Ranciere. My contention
« oubliant » de mettre les poids sur les
counter-gift in contemporary art ? Well,
is that anthropological fieldwork has
machines que j’utilisais - et « tout voir »
in many cases no. Because the notion of
many things in common with this
en utilisant ma paresse comme une stra-
the counter-gift implies a conmensurabil-
utopian project of collapsing praxis
tégie d’observation. Mais moi aussi, j’ai
ity- the counter-gift, in a way, elliminates
and poiesis in modern art. Fieldwork, as
trouvé les réponses que bien plus tard,
the « debt ». And at least in the case of
we understanding, is a hybrid form of
et c’est dix ans après la thèse que j’ai
art, the gift cannot easily be reduced to
practice, which consists of a rehersal of
finalement compris que la musculation
debt. Because the value of artworks is
everyday life: fieldwork is « doing nothing
était avant tout une « érection », dans son
incomensurable- it has no equivalent
» and doing everything at the same time,
sens le plus Freudien et donc, le plus sex-
return. Of course artworks are commodi-
it has no particular technique or method
uel. Dans Le journal d’un (H)altère-Ego,
ties- very expensive ones, but the reason
but it implies all the possible techniques
que j’ai publié en 2008, j’ai finalement
why they are very expensive is because
of the body and faces of the person, it is
ressenti à quel point l’expérience anthro-
they are always unique – and in this
always playful and performative, but in
pologique était en soi une situation de
sense, incommensurable . That makes
a very serious way- it´s the game of life.
déstabilisation de soi, un jeu dans lequel
artworks much more difficult to reduce
And your work is a good example of it.
l’identité de l’anthropologue est à la fois
to objects or accountable « capital ». Art
Your way of understanding fieldwork has
déguisée et révélée.
always appears personalised, irreducible
always been very explicitly performative
to accountancy. In this sense, I think that
and playful. One of the things i remeber
a theory of art as « distributed person »
68
3 Bourdieu Pierre, Capital symbolique, Choses dites, minuit 1987, p. 160 et Raisons pratiques, seuil 1994, p.161
SANSI : To move on to some of your more recent work, would you describe your
more recent project , Bioperversity, as a
pologist as Transvestite » can be seen as
form of « multispecies ethnography ? »4
offensive because of your appropriation of stéréotypes (for example the black
MALYSSE : Je pense que c’est exactement
face Jazz singer) What would you answer
ça… Une anthropologie qui ne se limite
to those who feel offended ?
pas à l’Humain mais qui chercher à mettre en évidence les effets de nos comporte-
M A LY S S E : E n m o n t r a n t q u ’ u n
ments sur les espèces vivantes qui nous
anthropologue français peut devenir
entourent. Une pratique artistique qui
un autre; un japonais, un juif orthodoxe,
questionne les relations entre Culture et
une travesti brésilienne ou un indien
Nature et qui construit à cet effet, comme
Nord-Américain, mon intention est de
une version artistique du breaching, une
travailler le thème du post-colonialisme
humanisation des plantes comme agent
de façon autobiographique et de mettre
provocateur. L’idée centrale de mon tra-
en évidence tout le relativisme lié (in)
vail sur les plantes est d’humaniser leur
justement aux apparences humaines.
souffrance en les intégrant à des contex-
Dans ces métamorphoses je joue, au
tes culturels locaux (le salon de coiffure,
jeu de l’apparence pour déconstruire les
la chirurgie esthétique, la pollution, la
stéréotypes tout en les incorporant…
religion, etc.) afin de mettre en place une
Encore une fois, c’est une pratique
stratégie d’esthétique relationnelle qui
typique d’anthropologue, car dans
provoque chez le spectateur une souf-
ces travestissements bi-culturels, je
france écologique par identification.
cherche à incorporer l’Autre à la figure
En voyant des plantes maltraitées par
« séparée » de l’anthropologue, « non
l’artiste, le public est poussé à sentir une
que l’anthropologue soit, en toutes
Stéphane Malysse est artiste et anthro-
forte réaction écologique, une révolte
circonstances, cet homme-caméléon tel
pologue, docteur en Anthropologie
qui se retourne d’abord contre l’artiste
que Zelig incarne, mais, dans le répertoire
(EHESS), il enseigne à l’Université de Sao
et qui ensuite, dans un deuxième niveau
des postures de recherche qu’il déploie
Paulo et il est représenté par la Maelle
de réception, comme dans une inversion
régulièrement, comme une figure, une
Galerie d’Art Contemporain (Paris).
rhétorique, lui montre ce que l’humain
quête expérientielle, emblématique de
Auteur du website d’anthropologie des
fait subir aux plantes, à la nature. Dans
notre discipline : tenter de se mettre
apparences corporelles Opus Corpus,
ce sens, mon projet est complètement
te mp o r aire m e nt dans la p eau d e
http://www.each.usp.br/opuscorpus/,
écologique, je torture des plantes parce
quelqu’un d’autre » (Berliner, 2013).
il a publié toutes ces recherches sur
que je les aime et que je veux montrer que les plantes souffrent elles aussi, et que leur souffrance est relationnelle et peut produire chez le public un sursaut de sentiment écologique. SANSI : Your recent work on « The Anthro4 http://www.culanth.org/fieldsights/277-the-emergence-of-multispecies-ethnography 5 Berliner David, Le désir de participation ou comment jouer à être un autre, Revue L’Homme, Paris, p. 206, 2013.
69
5
The BIOPERVERSITY Project : http://www.youtube.com/watch?v=J6UDe84O9dI http://www.youtube.com/watch?v=NpPrMcDBK_Y http://www.youtube.com/watch?v=PevRXRm33WQ
Roger Sansi est anthropologue, il enseigne à Goldsmiths, University of London. Auteur du livre Art, Anthropology and the Gift (2014)
https://usp-br.academia.edu/ OPUS CORPUS : Anthropologie des Apparences Corporelles http://www.each.usp.br/ opuscorpus/
ART TALK
Les déplacements du sens entretien avec Bruno Pédurand plasticien (né en guadeloupe, vit et travaille en martinique).
Propos recueillis par Cynthia Phibel images : Courtesy of Bruno Pédurand
Histoire de l’art et anthropologie au fil des siècles ont emprunté des chemins croisés. De quoi naissent les pratiques de création des images et qu’en est-il de leur transmission ? La question de l’œuvre d’art est centrale ici : œuvre d’art ou objet cultuel/culturel ? Quel lien, quel écart : questionnons, avec Bruno Pédurand, les déplacements de sens qu’induisent dans la définition de l’œuvre, le passage pour l’objet du « terrain » ou « contexte d’origine » à la galerie, au musée ou à sa perception plus globalement.
« Installation Hétérotopie N°1, détail », 2013, dimensions variables
70
Cynthia Phibel : Vos œuvres, pour part, ont interrogé l’idéologie coloniale et raciale. Sans être le drapeau d’une cause, votre travail se charge de cette problématique sans compromis pour sa force esthétique. Dans la collecte/réinvention d’imageries anciennes ou contemporaines, vous ancrez des réalités, renouvelez des imaginaires … Vous avez travaillez une série nommée « Craniologie », elle est de près voisine d’un « cabinet de curiosités », d’une étude scientifique. Alors quel écart, quel emprunt avec l’anthropologie dans votre travail ? Bruno Pédurand : La série craniologie
complexes car les intentions sont mul-
sait à quel point la France a du mal à
tiples. Il s’agit d’appréhender l’oeuvre à
assumer son histoire coloniale, le défi me
travers un faisceau d’intentions, celles de
semblait de taille. Il y avait là pourtant
l’artiste mais aussi du spectateur et de
matière à élever le débat au dessus des
ceux qui en font un objet de discours. Je
seules questions de réparation et de
parle d’intentions mais je devrais aussi
repentir. Malheureusement pour des
parler des subjectivités qui sont diffé-
raisons qui m ’échappent ce projet n’a
rentes selon les cultures et les visions du
pas eu la résonance nécessaire pour
monde. Envisager la création artistique
qu’il soit partagé par le plus grand
en aval des constructions mentales
nombre. Le Musée de l’Homme qui
et intellectuelles qui permettent de
est présenté comme héritier du musée
l’appréhender. L’oeuvre devient alors
ethnographique du Trocadéro est un
une instance d’interrogation et de pro-
outil très important dans la construction
jection, un dispositif actif et ouvert.
d’un discours anthropologique concernant la définition de l’Homme.
C. P : « L’Homme exposé » au Musée de l’Homme… Quel est le propos, les enjeux d’une telle exposition ?
Il n’est peut être plus nécessaire de rappeler le rôle qu’a joué le musée du Trocadéro dans l’histoire de l’art particulièrement pour les artistes de
participe d’une réflexion sur la relation Art et Histoire, tous les deux envisagés
B. P : Je travaillais sur la série des
la modernité. La relation aux objets
comme des dispositifs discursifs. Les
craniologies quand par un heureux
exotiques des sociétés africaines et
esclaves, pendant toute l’histoire de la
hasard je tombe sur un
traite, ont été mis au banc de la race
article qui parlait de ce
des humains. Dans cette série, je ques-
projet. A mon sens, il s’agit
tionne directement le rapport de notre
d’un projet très important,
inscription dans l’histoire de l’humanité.
qui a été présenté par les
Alors que l’ensemble du discours anthro-
responsables du musée
pologique de l’époque n’avait qu’un
comme : « une mise en
objectif : prouver que le nègre n’était
perspective de l’histoire
pas digne de la « race » des humains. Un
naturelle de l’espèce
sous humain proche du singe, de fait,
humaine avec les grandes
refoulé au rendez-vous du monde…
questions du monde
Une œuvre, à mon sens, est traversée
contemporain ». À l’heure
par des préoccupations esthétiques, se
du grand débat sur l’Identité
déploie dans un espace ou des espaces
nationale en France, il me
et convoque un certain nombre de facul-
semblait particulièrement
tés humaines comme toute œuvre d’art,
intéressant de voir que
à savoir susciter une émotion, provo-
le modèle choisit pour
quer des chocs. Mais loin de moi l’idée
représenter l’Homme du
de réduire la relation à l’oeuvre au seul
futur n’est autre que le
registre sensoriel, les choses sont plus
footballeur guadeloupéen Lilian Thuram. Quand on
71
océaniennes au delà du réservoir de
l’espèce dans le temps et l’espace… ».
formes de couleurs et de matières qu’ils
Alors quel après, peut-on se demander ?
proposaient, a autorisé l’accès à de nouvelles représentations du monde et à des subjectivités différentes. On peut légitimement se demander si le changement de dénomination des arts primitifs en arts premiers est l’expression d’un réel changement de paradigme. Force est de reconnaître que les discours ont évolué, nous sommes
C. P : Quel sens prennent des expositions comme « L’invention du sauvage » ou « Exhibit B ». Peut-on les dissocier ? Résurgence, « Re-présentation », clichés du passé ? Où se place l’artiste à distance critique pour faire trace entre identité et mémoire ?
passés de l’eurocentrisme affiché au multiculturalisme. En tant que guadeloupéen, la question de l’Identité nationale telle qu’elle se pose en France me préoccupe particulièrement car elle semble se poser dans le déni de l’histoire coloniale et dans une logique intégrationniste absolue. Le choix de Thuram pour symboliser cet Homme nouveau m’interpelle particulièrement parce que cet afro descendant héritier d’une histoire qui pendant longtemps lui a dénié le droit à l’humanité devient par la magie d’un projet à visée anthropologique un symbole universel de l’Homme du futur. Ce projet se veut être une remise en question des discours racialistes dont nous faisions écho et une
« In vitro crâne triomphant », 2009, décalcomanie, huile et paraffine sur carton, 140 x 100 cm
mise à mal de tout l’appareillage pseudo scientifique du début 18e, fin 19e siècle. Et met en avant un « nouvel Homme ». (Libération) Par le truchement radical et pertinent d’un raccourci idéologique et hautement symbolique : exposer le crâne de Lilian Thuram aux côtés de celui de CroMagnon et de René Descartes. Comme un « Symbole pour aborder l’unité de
72
B. P : Malgré des discours scientifiques
concernant l’unique race humaine, les idéologies du passé perdurent et pour les invalider, il est peut-être avant tout indispensable de les déconstruire. L’exposition : Zoos humains, l’invention du sauvage, organisée par le musée du quai Branly et mise en ligne sur internet dès janvier 2013, participe à mon avis de cette entre-
prise de déconstruction. Un mythe inventé pour le besoin d’une certaine histoire et au service d’un projet de civilisation. Ce débat prend un relief particulier à l’aune des récents événements qui ont secoué la France. Pour illustrer la nécessité qu’il y a prendre en compte la pluralité des points de vue et des représentations du monde, j’aime citer le proverbe africain qui nous dit : «Quand les histoires de chasses seront racontées par les lions, le regard porté sur les chasseurs sera différent ». Pour « Exhibit B », il semblerait que l’artiste veuille « présenter à nouveau » l’Histoire et amorcer une réconciliation qui passe par la phase d’acceptation et de reconnaissance du traumatisme. Il dit afficher cette possible quête. Par ailleurs, on peut admettre la violence de la mise en scène et son rapprochement de l’esthétique des cabinets de curiosités. On ne peut nier une gêne notable au vu du déchaînement de la critique, des parties prenantes, des pétitions… La mise en scène de l’ignoble ne peut que soulever le cœur et pose nécessairement question. En même temps caresser ou cacher les vérités sont le propre des consensuels. N’ayant pas vu cette exposition, je maintiens quelque réserve. Force est de constater dans l’histoire de l’esclavage que certains pans ne sont pas assumés d’un côté comme de l’autre. Aucun angle ne semble le bon pour les plus frileux… Tout revient à la figure de l’artiste, c’est la question même du statut de l’auteur, du créateur qui est fondamental. Au-delà de la description formelle et plastique ce qui est en cause c’est réellement le statut que confère l’auteur à son œuvre : son inscription dans une fonction artistique ou pas.
C. P : La création, la production, “l’exhibition”, la consommation et la circulation d’artefacts, d’images, d’histoires ou de pratiques esthétiques autour de la notion de mémoire, semblent jouer un rôle plus central dans la formation et l’affirmation d’identités collectives, dans des contextes où les rapports sociaux furent soumis à l’oppression. Qu’en est-il du regard de l’Autre dans la lecture de l’œuvre et comment s’inverse les rapports aujourd’hui ?
dans un contexte idéologique, qui fait
serait plus primitif que l’art occidental
que cet angle-là ne prend à mon avis,
dans ses premières années. Cela note
que la dimension qualitative, plastique
déjà un premier paradigme où l’on est
et esthétique. Les problèmes de sens
dans un rapport de Métropole à colonies
et de description socioculturelle des
et que l’on découvre l’extraordinaire
productions n’étaient pas la question
potentiel plastique des créations de ces
déterminante aux yeux des artistes
populations, de ces cultures.
de l’époque. Dans l’Art moderne, un
Des œuvres anonymes mais pas par des
artiste « monstrueusement prolifique »
anonymes, des personnes qui avaient
comme Picasso, trouve dans l’art nègre
une place singulière au sein de leur
le lieu pour renouveler des formes,
société… Ensuite ce paradigme évolue
exploser des formes anciennes. Les
avec l’histoire des décolonisations et
appellations elles-mêmes restent
des nouveaux échanges secrets entre
profondément chargées, lourdes de
Métropole et ex colonies. Et dans ces
B. P : Quand la question de l’art primitif
sens sur un positionnement éthique face
nouveaux rapports qui se créent, des ex
se pose en Occident s’ouvre un premier
à l’histoire de la colonisation. En revient
colonisés deviennent ou du moins sont
chapitre dans la relation entre art et
à la lecture de l’Histoire… Je ne vois
acceptés comme potentiellement des
anthropologie. Mais nous sommes là,
pas pourquoi l’art africain ou océanien
créateurs et des artistes à part entière.
« Installation Hétérotopie N°1, détail », 2013, acrylique et huile sur plexi, 110 x 160 cm chaque tableau
73
Donc l’angle anthropologique est à
B. P : Le changement de paradigme
dimension fonctionnelle propre aux
prendre en compte dans une autre
dont je parlais oblige à revoir aussi
sociétés dites primitives.
perspective. C’est-à-dire dans ce que
des positionnements idéologiques
L’art n’est pas ex nihilo sans substrat
l’on appelle : une mise en crise des
sur la création artistique en général.
humain. Car l’art est avant tout une
discours dominants des centres par les
Comment une œuvre vaudou peut-elle
chose humaine, faite pour les humains
périphéries.
être envisagée comme une œuvre pic-
par les humains. Par contre, il est vrai
De fait pour la question du regard
turale par exemple. Toute production
que l’angle anthropologique n’est pas
de l’Autre, il y a eu aller et il y a eu
humaine reste redevable d’une néces-
forcément le meilleur pour aborder la
retour. A ce titre on peut revenir sur
sité humaine. Ce qui est fondamental,
chose artistique. Car la chose artistique
une exposition manifeste qui remet-
c’est la question du vivant. Et seul
reste quand même avant tout dans
tait en question la logique centre/
l’Homme vivant peut entrevoir des
un champ qui a sa propre autonomie.
périphérie : Les magiciens de la terre
perspectives. D’une certaine manière
Pour l’art, je revendique un champ
en 1989. Cette exposition a la préten-
les seules personnes qui ont vu la fin
autonome mais connecté. Il y a des
tion d’envisager les productions
de l’esclavage, ce sont les morts et
process d’analyse différents entre art
des cultures dites « périphériques »,
pareil pour les guerres…
et anthropologie et ce qui donne à la
lointaines des centres d’arts occiden-
On se retrouve très souvent prisonnier
chose artistique un statut particulier
taux comme des œuvres d’art à part
d’un prisme. Des yeux qui mettent
c’est l’autorité intellectuelle de son
entière et de prendre en compte la
les choses en boite, assignent des
auteur.
subjectivité des auteurs dans une
fonctions, déterminent des champs,
perspective essentiellement artistique.
opèrent des divisions et autant que
Cette nouvelle approche constitue le
possible il faut regarder les choses avec
Cynthia Phibel :
nouveau paradigme que j’évoquais en
le regard de l’autre, je parle ici non pas
Née en en Guadeloupe.
amont. Il doit s’opérer à ce moment-là
de l’Occidental, mas de celui qui se
Doctorante en Histoire de l’art et
une véritable révolution du regard. Ce
tient fasse à nous en tant qu’Homme.
plasticienne, elle pilote également de
changement suppose une mutation
Regarder les choses avec le regard de
nombreux projets culturels favorisant
dans les échanges inter culturels et
celui qui est regardé.
la transdisciplinarité des arts (MBA Management culturel). Elle
une mise à jour des outils d’analyse qui servent à interroger l’acte créateur à la fois de ces artistes non occidentaux mais aussi des artistes occidentaux. L’un des enjeux principaux étant de faire émerger un monde nouveau pour un Homme nouveau.
C. P : L’art emprunte largement à l’Histoire, à la science, à l’anthropologie, au vivant dans l’absolu… Quel risque dans ce voisinage, d’ « anthropologisme » dans l’œuvre ?
a reçu le prix de la galerie La Filature en 2003 à Mulhouse et exposé aux Antilles, en France, à Genève, à NewYork, au Bénin, au Cameroun ; à la galerie Béatrice Binoche à la Réunion et notamment à l'Orangerie
C. P : Objet d’art ou construction idéologique : Certaines productions matérielles ou immatérielles fonctionnent souvent comme de véritables “clichés mémoriels”. A qui appartient une culture, une image, une histoire, une œuvre ?
B. P : Là où la route commune peut
du Senat dans le cadre de
s’arrêter entre une œuvre dans sa
l'expositioncollective OMA.
conception occidentale et une œuvre ethnologique ou anthropologique, c’est dans l’usage sociétal qui lui est réservé. Un propos à nuancer, quand on regarde un artiste comme Joseph Beuys qui ramène dans l’œuvre une
74
"L’ANGLE ANTHROPOLOGIQUE N’EST PAS FORCÉMENT LE MEILLEUR POUR ABORDER LA CHOSE ARTISTIQUE. CAR LA CHOSE ARTISTIQUE RESTE QUAND MÊME AVANT TOUT DANS UN CHAMP QUI A SA PROPRE AUTONOMIE."
« Installation L’héritage de Cham », 2009, techniques mixtes, dimensions variables
75
ART TALK
Identité culturelle, créativité et nouveaux horizons
Olivier Timma Artiste plasticien/ Doctorant en arts plastiques à l’université de Yaoundé I/ Enseignant Assistant à l’Institut des Beaux-Arts de l’Université de Dschang à Foumban
1 : Interprétation picturale de l’armorie Bamoun par l’artiste peintre DaÏrou de Foumban. Photo Olivier Timma 2015.
76
2 : Interprétation picturale de l’armorie Bamoun par l’artiste peintre DaÏrou de Foumban. Photo Olivier Timma 2015.
3 : Armoirie Bamoun décorant les balustres bois sur le balcon latérale gauche du palais des rois Bamoun. Photo Olivier Timma 2015.
L’acte qui entérine le pouvoir de la
fort peu du contexte. Les ethnologues
séculaires, certains prônent leur con-
création est précédé par l’imagination ;
extrémistes ne voyaient alors dans les
servation, à ne point confondre avec un
sorte d’objectivation artistique que
productions plastiques que des objets
enfermement sur soi car, la rencontre
possède celui qui crée par la matérialisa-
rituels. Mais, avec les études de Jean
des cultures doit favoriser un enrichisse-
tion d’objets textuels, musicaux, vidéo,
Laude, Jacques Maquet et autres, on
ment mutuel. D’autres les envisagent
décoratifs, numériques, plastiques, etc.
arrive à une position médiane en 1966,
comme un syncrétisme des valeurs sym-
Ce processus logique ou fortuit, naît de
et ces productions sont considérées
boliques des formes vues, appropriées
la perception individuelle d’un concept
à la fois comme objets de rituel et en
et restituées comme une vision parta-
qui peut devenir une représentation
même temps comme objets d’art. Cela
gée d’une mémoire collective porteuse
collective spécifique à une commu-
dit, l’anthropologie dans sa dimension
d’une forte intention narrative de ce que
nauté. Il est à ce propos important de
culturelle, en étudiant les modes de
les gens savent, imaginent ou affirment.
faire la clarté sur le décalage qui per-
productions, les systèmes de parentés,
Sous leurs aspects symboliques, c’est le
dure entre l’identité culturelle d’origine
s’intéresse au langage des signes dans la
lieu de rencontres et de significations
et le concept emprunté. Bien que la
création artistique.
multiples au travers notamment des
vie et la place des faits, des gestes ou
Ceux-ci sont des entités culturelles,
croyances, des mythologies et des per-
des structures sociales en dépendent,
émanant de l’homme et spécifiques à
ceptions imaginées du cosmos par un
Giovanni Polizzi (2003 : 9) pense que « le
une communauté donnée. Ils se veu-
groupe auquel on appartient. On peut
dépassement du concept a permis de
lent être des structures globales, des
ainsi dire ou relever des systèmes de
définir de nouvelles spatialités de plus
systèmes cohérents formés de com-
correspondances entre l’ici-bas et l’au-
en plus marquées, ou l’unicité des pièces
posantes, des éléments ou des lieux
delà, entre les vivants et les morts, entre
représente un symbole d’émancipation
chargés de sens, et à partir desquels
l’homme et l’animal, entre la culture et la
et d’adhésion au concept de la moder-
on peut définir une identité sociale. En
nature, et finalement entre l’homme et
nité. »
réalité quand ils sont engagés dans une
les œuvres d’art. Toutefois, une préoc-
En effet, au XX siècle, l’étude des arts
conception, les possibilités de création
cupation persiste : comment parler à
africains avait un caractère essentielle-
sont illimitées. Mais pour la préserva-
quelqu’un à partir d’une œuvre sans
ment esthétique et, on se préoccupait
tion de l’authenticité de leurs valeurs
maîtriser son degré d’intégration des
e
77
codes culturels endogènes et exogènes
monstration d’œuvres de plus en plus
sauvegarder cela en les transmettant de
à sa culture globale, qui est un enjeu
hétéroclites, complexes ou mixtes. Selon
génération en génération. Du fait des
important pour essayer de saisir un
Henri Focillon (1981 : 8)
mutations urbaines, il arrive aussi que
signifiant et un signifié et exprimer les
leur dimension cultuelle soit décontex-
contours insaisissables de l’existence
On peut concevoir l’iconographie de plus-
tualisée et prise en charge uniquement
humaine?
ieurs manières, soit comme la variation des
sous l’angle symbolique de leur mise
Par exemple chez les Bamiléké de
formes sur le même sens, soit comme la
en scène. Cela occasionne à n’en point
l’Ouest-Cameroun, le triangle renvoie
variation des sens sur la même forme. L’une
douter une sorte d’altérité des formes
au sexe de la femme ou à son univers
et l’autre méthode mettent également
originales authentiques, devenues
culinaire symbolisé par les trois pierres
en lumière l’indépendance respective des
syncrétisme des valeurs empruntées çà
du foyer (cf. Photo 5). Dans sa double
deux termes. Tantôt la forme exerce une
et là.
dimension en forme de losange, on y
sorte d’aimantation sur des sens divers, ou
À cette situation s’ajoute un nouveau
voit la stylisation du crocodile, symbole
plutôt elle se présente comme un moule
contexte : une vie de plus en plus inter-
de la fécondité. Au même titre que la
creux, où l’homme verse tour à tour des
active, basée sur la notion d’échanges,
stylisation du serpent bicéphale (signe
matières très différentes qui se soumettent
de connexions et de transferts. Il faut
d’appartenance et de puissance), de
à la courbe qui les presse, et qui acquièrent
aussi prendre en compte cette culture
l’araignée mygale (symbole du travail)
ainsi une signification inattendue. Tantôt
du remix et de la technologie numé-
ou de la cloche à double gong (valeur de
la fixité obsédante du même sens s’empare
rique, qui contribuent depuis les années
majesté et de fidélité) chez les Bamoun
d’expériences formelles qu’elle n’a pas
1980 à l’émergence d’une culture
de l’Ouest-Cameroun (cf. Photo 1, 2, 3
forcément provoquées.
métissée, intégrant l’art contemporain
et 4), le sens du signe est exploité dans l’organisation de l’espace de l’image destinée à porter un message par sa présence. On ne dira jamais assez, les civilisations
que nous voyons comme une dualité
"LA TÂCHE DE L’ANTHROPOLOGIE DE L’ART EST D’ÉTABLIR LES SPÉCIFICITÉS DE L’ESTHÉTIQUE PROPRE À CHAQUE CULTURE."
restées rattachées aux traditions sécu-
prise à la fois comme époque et courant artistique. L’artiste de nos jours, effectue au quotidien des tâches extrêmement variées. À la suite de ses voyages, des échanges avec des collectionneurs, il
laires possèdent un vaste répertoire de
En effet, nombre de pratiques artistiques
invente des nouvelles techniques pour
symboles qui puisent leurs sources dans
sont influencées par l’ethnographie
renouveler des thèmes récurrents de
les astres, les couleurs, les animaux, les
qui connaît ces dernières années un
travail. Ainsi ses réactions esthétiques
mentalités, la flore, les nombres, l’eau,
certain prestige et centre d’intérêt qui
sont influencées par les changements
le feu, … incarnant tous les valeurs
ont retenues de nouveau l’attention
observés autour de lui.
de ce que ces gens recherchent pour
des chercheurs sur son impact dans
Cela dit, pour comprendre ce
leur bonheur. Parfois il est difficile de
la création actuelle. Celle-ci demeure
phénomène social total, il faut
décloisonner les signes hybrides des
une tribune où baignent des prises
l’appréhender totalement, c’est-à-dire
authentiques symboles ayant déjà fait
de positions capables d’un discours
du dehors comme une chose mais aussi
leur preuve. D’ailleurs, la démocratisa-
critique ou anticonformiste, intégrant
du dedans comme une réalité vécue.
tion des supports a fait de l’espace
parfois des dimensions contextuelles de
Isabelle de MAISON ROUGE (1997 : 4)
d’expression plastique un lieu hybride
l’espace de création. Certaines produc-
souligne :
comme la culture actuelle. Du coup,
tions plastiques rendent alors visibles
l’accroissement des dispositifs et installa-
des symboles ou des images qui rela-
Quelles qu’en soient les différentes
tions, omniprésents dans les expositions,
tent des fragments de vie quotidienne
orientations prises par les artistes, elles
a pour conséquence de générer la
des peuples qui ont su développer et
obéissent toutes à la même constance :
78
4 : Maquette du design bâtiment du futur Musée des rois Bamoun inspirée de son armoirie, réalisée par Mbouombouo Issoufou, Architecte/designer. Photo Olivier Timma 2015.
5: Trois pierres constituant le d’un feu à bois pour les cuissons. Photo Olivier Timma 2015.
(mais) l’art ne répond plus aux critères
images amène parfois à s’investir dans
que l’on a toujours attendus de lui.
la compréhension des technologies
Bibliographie
Le plaisir que trouvait le public dans
manuelles permettant de laisser libre
t Alain Bourdie, Dominique Bernard,
l’esthétique, l’harmonie visuelle ou
cours à l’expression créative.
Anne-Marie Houdeville, 2010, Décou-
l’érudition n’existe plus. Dorénavant, l’art
Les artistes non occidentaux ont de
vrir & comprendre l’art contemporain,
soulève des questions, dérange et met à
l’imagination et un certain talent qui
Paris, Éd. Eyrolles.
l’épreuve celui qui regarde l’œuvre, dans
mérite la même attention que celle
t Bourdie Alain, Bernard Dominique,
sa compréhension du monde et dans sa
accordée aux autres. En réalité, ils ne
Houdeville Anne-Marie, Découvrir &
propre relation aux autres.
devraient pas être perçus ou considérés
comprendre l’art contemporain, 2010,
comme des sauvages qui exprimeraient
Éd. Eyrolles, Paris.
En clair, toute société qu’elle ait ou
des besoins instinctifs résumés en des
t De Maison Rouge Isabelle, Prévost
non atteint la phase scientifique, s’est
figures d’une esthétique tribale vide de
Jean-Marc, Salem Lionel, 1997, L’art
construit sa propre anthropologie. Il faut
sens et encore considérée par certains
Contemporain, Toulouse, Éd. Milan.
donc envisager l’anthropologie de l’art
auteur(e)s comme n’étant pas de l’art. Or,
t FAGG William, 1965, sculptures
comme l’anthropologie des arts.
chaque culture a une esthétique par-
africaines, Les univers artistiques des
C’est un art spécifique, un art vécu, un
ticulière, et la tâche de l’anthropologie
tribus d’Afrique noire, Paris, Éd. Fer-
art conceptuel qui cherche à immor-
de l’art est d’établir les spécificités de
nand Hazan.
taliser ou fixer des choses dignes de
l’esthétique propre à chaque culture.
t Focillon Henri, 1981, Vie des formes,
mémoire. D’ailleurs le secteur des arts
Alors, il ne saurait y avoir un concept de
Paris, Éd. Presses Universitaires de
visuels contemporains, quel qu’en soit
beauté universelle si l’on veut découvrir
France.
son lieu d’expérimentation, est très
l’authenticité du sens des signes et leurs
t Giovanni Polizzi, 2003, Lofts, Milan,
diversifié et englobe de nombreux types
fonctions rituelles ou utilitaires quand
Éd. Actes du /motta.
de pratiques artistiques.
ils sont transmis ou affichés. Les auteurs
t Klotchkooff Jean-Claude, 1992,
Entreprendre collectivement et dans la
qui défendent les idées péjoratives "d’art
Les arts africains, Paris, Éd. Agence de
durée un travail interrogeant le rapport
premier", perçoivent en réalité cet art à
Coopération Culturelle et Technique
entre l’art et l’anthropologie tient du
travers le prisme de la culture occiden-
(ACCT).
fait que l’universalité de certains codes
tale, qui s'est affirmée en considérant les
t Richard Lionel, 2002, L’aventure de
ou images n’implique pas toujours la
faits et gestes, les signes, symboles et
l’art contemporain de 1945 à nos jours,
compréhension de la pluralité des desti-
la réalité cosmogonique propres à ces
Paris, Éd. Chêne.
nataires, provenant de plusieurs couches
cultures selon une vision déformée.
t Sally Price, 1989, arts primitifs :
socioculturelles, auxquels ils s’adressent.
regards civilisés, Paris, Éd. Écoles
Évaluer visuellement le contenu des
nationales supérieur des Beaux-Arts.
79
ART TALK
A compatibility between value systems
Reading the arts across Africa and Asia By Olivia Anani
Trade, if not migration, between Africa and Asia, predated the arrival of Portuguese ships in the Indian Ocean by at least a thousand years. African ambergris, tortoiseshell, rhinoceros horns and especially ivory left African ports for Arabia, India, Indonesia and China. The “Peryplus of the Erythrean Sea”, a handbook compiled by a Greek-Egyptian sailor sometime during the first three centuries C.E., describes Indonesian food crops, such as coconuts, and cultural items, such as sewn boats, along the East-African coast perhaps as far south as Mozambique, and historians believe that Indonesians may have settled on Madagascar in the early centuries C.E., but after the time of the “Periplus”. The Chinese Ch’eng–shih Tuan, in his “Yuyang-tsa-tsu”1 written in the ninth century C.E., described East Africa, or the land of “Po-pa-li,” where the women were “clean and well behaved”, and where the trade products were ivory and ambergris.” 2
80
Africa/Asia relations have been ongo-
Africa are brothers and sisters in strug-
ing for a significant amount of time,
gle, a struggle that would extend to the
with records of commercial interactions
fields of art and culture long after the
and intercontinental travels dating as
birth of the People’s Republic of China
early as the eighth century". And yet,
and the spring of African independ-
the dialogue between the two areas is
ences. Countless times, in exhibitions
today, almost exclusively known through
such as the ever-present Magiciens de
the frame of “We vs Them”: the history of
la Terre, Asian and African artists have
different but common struggles against
found themselves showcased together
the forces of imperialism, colonialism,
as examples of the freshly celebrated
exploitation. In his essay, Is Yellow Black
utopia of a “global contemporaneity”.
or White? Japanese-American scholar
Together, artists have protested against
Gary Okihiro quotes historian Franklin W.
categorization, while scholars from
Knight on the common fate of the Black
the many “Souths” published canonic
and Asian subject, under the systems of
texts in post-colonial theory, lavishly
oppression brought by slavery and a sec-
referencing each other. While it seems
ond-class citizen status in America at the
nearly impossible a challenge (or not?)
beginning of the 20 century: “The Chi-
to dwell into our individual art histories
nese became coinheritors with the Negroes
without ever referencing the works of
of the lowliness of caste, the abuse, the
anthropologists, writers and objects in
ruthless exploitation…” It is a commonly
European and American museum col-
admitted belief (albeit an increasingly
lections, we are drawn to ask ourselves
fissured one) that people from Asia and
whether there is a possibility of dialogue
3
th
4
KADER ATTIA - 'chaos+repair=universe' 2014, mirrors, metal wires Courtesy: the artist and Galleria Continua, Beijing Photo by: Oak Taylor-Smith
between the two continents that would
of Talas (which opposed the Abbasid
which we wish to evocate here in rela-
extend beyond the common experience
Caliphate to Tang Dynasty emperor
tion to the work of Franco-Algerian
of colonial rule, to something pre-colo-
Xuanzong), was already writing about
artist Kader Attia. In his recent series
nial. Is there a “compatibility between
his travels to Mauritania, Lybia, Morocco
of works, Attia has been exploring the
value systems”5 between specific
and the « Kindgom of Molin » ;摩邻国<,
question of repair, which he opposes to
aspects of Asian and African cultures
which some believe to be an alterna-
a reputed western concept of perfection
and sub-cultures, or at least enlighten-
tive name for Aksum (modern Ethiopia).
in beauty. By executing research in the
ing differences, which could help us
Other such accounts would later be
collections of ethnographic museums
understand the mechanisms behind the
written during the Song, Zhao, Yuan,
such as the Quai Branly in Paris, he raises
mutual exhibition, reception and appre-
Ming and Qing dynasties, the latter
the question of the status attributed to
ciation of works of art?
marking the beginning of a large scale
the repaired work of art within museum
emigration of Chinese nationals towards
collections, and beyond this, the aes-
Let us come back to our introductory
countries such as the United States and
thetic, ethic and symbolic significance of
text, as quoted by Gary Okihiro. Youyang
South Africa.
the act of repair as act of creation. Out
6
Zazu ;酉阳杂俎<!in modern Chinese, is a
of the method consisting of, for exam-
853 C.E. compilation of short stories by
These texts give us an accessible starting
ple, mending a lost glass eye from an
Tang Dynasty official Duan Chengshi!;段
point when speaking of the apprecia-
18th century Pende mask with a button
成式<3!who covers, besides said chapter
tion of art across the two continents,
manufactured in Europe and probably
on “People from the five continents” ;五
that of raw materials, including ivory,
brought to Congo by Belgian traders,
方人民<3!where we find the description
gold and stones, and their various
Attia goes on to expand the dictionary
of the land of Po-pa-li ;拨拔力国<3 a wide
uses within the field of decorative arts
definition of the word: “To bring some-
variety of topics such as pharmacopeia
and jewelry. Beyond the references to
thing that no longer functions, has gone
and fairy tales. Before Duan Chengshi’s
objects destined to royalty for example,
to pieces, has become defective or dam-
text, Du Huan ;杜环<3 a Chinese writer
the use made of these materials in latter
aged, back to its previously intact, usable
captured in 751 C.E. during the Battle
periods include the notion of “repair”,
condition again, (…) to restore, remedy,
81
renew, compensate for” to a more com-
page a dreadful punishment, and even-
d’Ivoire and at Galleria Continua in Les
plex one, that of symbolic cannibalism
tually served as the backstory for the
Moulins, France. Wabi sabi is a Japanese
and “reconstruction in an extended
bowl’s repair.8
term depicting a “crude or often faded beauty that correlates with a dark, deso-
sense”. Where European restaurateurs 7
of works of art receive lengthy training
“Mended ceramics convey simultane-
late sublimity” (…) A dilapidated wooden
in illusionary techniques and submit
ously a sense of rupture and of continuity.
house, for example, with the sun shining
themselves to an ethic of making the
That one moment in which the incident
softly through reeds of bamboo that create
repair as undecipherable as possible, in
occurred is forever captured in the lines
shadows on the wall would demonstrate
the case of these repaired masks, the
and fields of lacquer mending. It becomes
wabi sabi.” 9The term, made popular
repair is highlighted as a symbolic act.
an eternally present moment yet a
thanks to the writings of Tokyo Univer-
Through formal intervention, the mask
moment that oddly enough segues into
sity scholar Ònishi Yoshinori (1888–1959)
gains an additional spiritual charge
another where perishability is circum-
finds a great application in the photo-
inseparable from the alien nature of the
vented by repair. Simultaneously we have
graphic works of French-Ivorian Gbré,
newly integrated object. There is a Japa-
the expression of frailty and of resilience,
which depict details of decrepit architec-
nese technique that interestingly alludes
tural buildings and
to a similar approach to repair: Kintsugi.
rusted machinery,
Also called kintsukuroi, this technique of
magnified in a
repairing porcelain with lacquer has the
contemplative dec-
unique trait of involving gold powder
lination of delicate
as a means to celebrate the symbolic
patterns and nostal-
significance of rupture and continuity,
gic recordings of the
the visible mending serving as a record
glory of days past.
of the both the moment of breaking (death), and that of mending (rebirth).
This idea of
One of the tales surrounding the crea-
sublimating an
tion of the kintsugi technique involves a Korean Ido tea bowl, which once belonged to Japanese ruler Toyotomi
experience of loss,
KADER ATTIA- 'Artifical nature' 2014, trees, variable dimensions Courtesy: the artist and Galleria Continua, Beijing Photo by: Oak Taylor-Smith
lack or decrepitude as part of the for-
Hideyoshi (1537-1598). The tsutsui-zutsu,
life before the incident and life after.” The
mal, desired qualities of an object is one
as it was called, was reportedly broken
impact of kintsugi was so important that
of such points of meeting, which allow
by a page during a reception held by
collectors have been suspected of inten-
us to further investigate how ancient
Hideyoshi. To avert the shogun’s rage,
tionally breaking prized ceramics just so
texts and recent research in the fields of
one of his guests, Hosokawa Yusai, made
they could be mended.
anthropology as well as aesthetics, art
the following improvisation: “Tsutsui
history, religion, philosophy and more,
zutsu / itsutsu ni wareshi / idojawan / to
Still in Japan, another of these points of
can be repurposed to serve as tools to
ka oba ware ni / ohi ni kerashina” (Tsut-
encounters can be found in the aesthetic
dismantle the very hegemonies they
sui’s well curb / Became split into five /
of wabi sabi, as expressed in the work
served to construct.
Alas for that well-deep bowl / All of the
of François-Xavier Gbré, exhibited this
blame / It seems to have been mine).
year in Flow, What is it linked with, Where
Kader Attia, Beginning of the World
The poem’s playful style and mimicking
is it going? At the Kyoto City University
François-Xavier Gbré, Sphères 7
of a verse from the Tales of Ise restored
of Arts Gallery, in Fragments at the Gal-
On view at Galleria Continua les Moulins,
the shogun’s good spirits, avoided the
lery Cecile Fakhoury in Abidjan, Côte
France, until 06/06/2015.
82
François-Favier Gbré 'Extrait de la série Tracks - Unilever, Haubourdin, France - Poyaud, Surgères, France', 2010-2014 Tirages pigmentaires sur papier fine art Courtesy Galerie Cécile Fakhoury Abidjan Exhibition view Sphères 7, Galleria Continua / Les Moulins, France, 2014 Photos, Oak Taylor-Smith.
Notes
5. “A History of Overseas Chinese in Africa to 1911”. New York: Diasporic Africa Press,
1. « 酉阳杂俎 »
2012.
2. Okihiko, Gary. Margins and Main-
6. Reinhardt, Thomas. “The Canni-
streams: Asians in American History and
balization of the Other. Mirror, Art, and
Culture. Seattle: University of Washington
Post-colonialism in Kader Attia’s Repair. 5
Press, 1994.
Acts”, Exhibition Catalogue: Repair. 5 Acts. Berlin: Kunst-Werke, 2013.
3. Caudill, William and De Vos, Georges. “Achivement, Culture and Personality:
7. Bartlett, Christy. “A Tearoom View of
The Case of the Japanese Americans”,
Mended Ceramics”, Exhibition Catalogue:
American Anthropologist 58, Arlington:
Flickwerk – The Aesthetics of Mended
American Anthropological Association,
Japanese Ceramics. Münich: Museum für
1956. In their text, Caudill and Devos
Lackkunst, 2008.
specifically referred to Japanese and American middle-class culture, inter-
8. Prusinsky, Lauren. “Wabi-Sabi, Mono
estingly, as opposed to Chinese and
no Aware, and Ma: Tracing Traditional
African-American values.
Japanese Aesthetics Through Japanese History”. Studies on Asia Series IV, Vol.
4. 李安山 。 “中非研究三十年概 论”。北京大学国
2, No. 1. Normal: Illinois State University,
际关系学院。2013。(Li Anshan, “Thirty years
2012.
of Research in Sino-African Relations”,
83
Department of International Rela-
9. Marra, Michele. A History of Modern
tions, Peking University, 2013). (Chinese)
Japanese Aesthetics. Honolulu: University
Retrieved 2014-12-14. See also Li Anshan.
of Hawai’i Press, 2001.
ART TALK
"Collection blanche", 2000-2015. 20 à 30 éléments, disposition variable. silicone, fragments de sculptures en bois.
Esthétique du divers Entretien entre l’artiste Emmanuel Rivière et MyriamOdile Blin, maître de conférences à l’université de Rouen, et sociologue de l’art. Son terrain actuel est l’art contemporain en Afrique. Elle est membre du groupe de recherche international OPUS 2, et d’Africartec, Paris.
84
M-O. Blin : « À votre retour d’Afrique – vous avez séjourné 2 ans au Burkina-Faso après vos études d’art – vous initiez un processus de fabrication d’objets singulier qui utilise des masques ou des objets ethnographiques, prêtés ou achetés aux puces. Expliquez-nous en quoi consiste ce processus, et comment vous est venue l’idée d’une telle démarche ? »
contexte. Quand je suis arrivé au Burkina Faso en 1994, ma connaissance de l’art africain était extrêmement maigre. Il faut dire que l’enseignement de l’histoire de l’art dans les écoles d’art à Paris était extrêmement ethnocentré. L’enseignement de l’histoire de l’art était une sorte de darwinisme des formes qui menait de manière inéluctable jusqu’au développement de certaines œuvres occidentales contemporaines. Sur l’art Africain, Amérindien, Asiatique, Islam-
E. Rivière : « Oui, je peux essayer de
ique, etc., presque rien.
vous expliquer quelques gestes fonda-
Je suis allé par moi-même au Musée
teurs de mon travail, mais je voudrais
national des Arts d'Afrique et d'Océanie
d’abord remettre les choses dans leur
de la Porte Dorée, et je connaissais aussi
"Collection blanche", 2000-2015. Au premier plan : fragment de sculpture Bamoun du Cameroun et silicone.
"Figure sans nom (Intérieur Dan 2), 2005. silicone noir recouvert de mine de plomb. Moulage de l'intérieur d'un masque dan de Côté d'Ivoire. 26 x 15,5 x 6,5 cm
"QUAND JE SUIS ARRIVÉ AU BURKINA FASO ... MA CONNAISSANCE DE L’ART AFRICAIN ÉTAIT EXTRÊMEMENT MAIGRE. IL FAUT DIRE QUE L’ENSEIGNEMENT DE L’HISTOIRE DE L’ART DANS LES ÉCOLES D’ART À PARIS ÉTAIT EXTRÊMEMENT ETHNOCENTRÉ."
depuis longtemps le Musée de l’Homme,
de l’initiation, de la nature secrète
de la peinture que je pratiquais avant
mais les objets y étaient montrés
des masques, des rituels, j’avais été
de partir. Je regardais ces masques,
plutôt sous l’angle ethnographique. La
familiarisé à ces notions par mon père
ramenés dans mes bagages, et ce qui
première rencontre un peu intime avec
qui était féru d’ésotérisme.
me fascinait, ce n’était pas la partie
l’art Africain s’est faite par l’entremise
Quant aux masques dont vous par-
visible du masque – trop lisible – mais
d’un livre que j’ai acheté chez un
lez, et dont je me suis servi pour mon
l’envers de la forme, le vide au cœur
soldeur, en bas de chez moi. Il s’agissait
propre compte, ils ne viennent pas du
de la sculpture, que je pouvais investir
d’un livre préfacé par Senghor, qui
marché aux puces. Je les ai achetés à
d’un fort pouvoir cathartique. J’ai alors
montrait à travers des photographies les
Bobo-Dioulasso à un colporteur qui
commencé à mouler avec du silicone
« chefs-d’œuvre du Musée de Dakar ».
passait chez moi avec un sac rempli
ce vide caché à l’intérieur des masques.
J’ai eu envie de dessiner des sculptures
de sculptures. Ce marchand itinérant
Plusieurs heures après avoir déversé la
reproduites dans ce livre.
m’affirmait toujours le caractère absolu-
matière plastique, le silicone cristallisait,
Et puis plus tard, en 1994-95, je suis parti
ment authentique des pièces, mais j’ai
et je démoulais la forme sans abîmer
en Afrique de l’Ouest, plus particulière-
plutôt pensé avoir affaire à de bonnes
l’original. Ce qui m’a plu, c’est que cet
ment au Burkina-Faso. Avec le recul, je
copies d’anciens masques.
intérieur « révélé » était assez loin de
peux dire que ce séjour africain aura été
Ce n’est pas en Afrique, mais après
l’original. Certaines formes étaient
un long moment de latence, d’écoute,
mon retour à Paris, que j’ai commencé
réduites à une structure essentielle,
de lecture. Quelque chose entre
à travailler avec ces masques que j’ai
ou encore à quelque chose de mon-
« L’invitation au voyage » baudelairienne,
ramenés dans mes malles. Plus tard, j’ai
strueux et de méconnaissable. Certaines
et « Je hais les voyages et les explora-
aussi emprunté ou acheté des masques
marques spécifiques du visage, comme
teurs » de Lévi-Strauss.
à des marchands africains aux puces de
la bouche ou les yeux, n’étaient plus
J’ai été aussi confronté à Bobo-Dioulasso
Saint-Ouen. Ce retour à Paris était un
matérialisées par des trous, mais elles
au culte des masques animistes, dont
peu une période de désenchantement
devenaient des excroissances absurdes.
les sorties en ville ou en brousse étaient
et de désœuvrement. J’avais envie de
Ce jeu de moulage-démoulage était
attendues et craintes. Sur la nature
faire quelque chose de nouveau, envie
en fait l’occasion de toute une série
mythique des masques, sur les questions
de rompre avec la pratique du dessin et
d’inversions qui m’intéressait beaucoup :
85
le vide devenait un plein, le dos devenait
de la forme, qui vont le galvaniser, le
masques authentiquement africains.
la face, le dedans le dehors, l’invisible le
mettre en mouvement, le faire sortir
En fait, j’aime exposer de manière
visible.
de ses limites. De toute façon, tous les
indistincte ce qui provient de mon
sculpteurs que je regarde – celui qui
imagination, et les pièces moulées à
a fait ce cavalier Dogon - mais aussi
l’intérieur de pièces exotiques. Au final,
Constantin Brancusi, Joseph Beuys ou
personne ne peut vraiment dire quelle
Guiseppe Penone, ont été sans cesse
est la provenance de tel ou tel moulage,
travaillés par les limitations matérielles
et qui serait l’auteur de telle ou telle
de la sculpture, et par une volonté de
forme. Des collectionneurs ont par-
dépassement de ces conditions. Je crois
fois vu dans des formes réalisées dans
qu’il y a toujours cette tension – que
mes propres matrices, des moulages
vous appellerez peut-être métaphysique
de l’intérieur de pièces africaines rares,
– à l’origine du projet sculptural. »
certifiées-authentifiées par le regard
M-O. Blin : « Intérieur/extérieur, négatif/positif, envers/endroit, visible/ invisible, physique/métaphysique ; n’êtes-vous pas dans votre démarche d’artiste sculpteur autant ou plus dans une métaphysique de la sculpture, que dans une recherche de la matérialité de l’objet ? » E. Rivière : « Métaphysique ? D’emblée, le mot m’apparaît un peu fort. Je vois bien où vous voulez m’emmener. Mais je voudrais récuser l’idée que mon
de l’expert. Ce qui m’a fait rire. Cette
M-O. Blin : « En quoi consistait votre dernière exposition à la Maelle Galerie ? »
travail sculptural serait l’incarnation
indistinction et ce trouble provoqué par le mélange des origines me plaisent beaucoup. J’aime le syncrétisme, l’art du mélange, l’incertitude, l’hybridation, et,
d’idées flottantes et abstraites, qui
E. Rivière : « Pour La Maelle Galerie, qui
dans mon travail, les notions d’auteur,
condescendraient à descendre dans
défend mon travail depuis 2014 - Olivia
d’authenticité, d’original, d’originel,
des formes. Je ne suis pas un artiste
Breleur m’a fait l’honneur d’inaugurer
paraissent vraiment mises à mal.
conceptuel. Je voudrais dire toute
son nouvel espace avec mon travail - j’ai
Pour finir, je dirais que mon travail initial
l’importance que la manipulation
proposé un principe formel simple : j’ai
n’est pas vraiment de l’exotisme, ou
matérielle a pour moi, la nécessité
souhaité montrer un ensemble de pièces
une fuite dans l’Autre, ou encore une
d’éprouver telle ou telle substance,
blanches sur un mur gris, et j’ai exposé
manière d’adopter parodiquement ou
telle ou telle couleur, et celle de
les autres pièces noires anthracites sur
mimétiquement les formes artistiques
regarder et de toucher les formes
un mur parfaitement blanc. Les deux
de l’Autre. Je préfèrerais utiliser le mot
sensibles du monde, fussent-elles
murs se répondaient, occasionnant une
« exote »1, forgé par la philosophe
des formes proches – je travaille en
sorte d’aller-retour du regard entre les
Christine Buci-Glucksmann. Elle écrit
ce moment sur des formes trouvées
deux murs. Les pièces que j’ai mon-
que l’exote, c’est « un double regard »,
dans l’atelier de mon père défunt – ou
trées n’étaient pas que des moulages
c’est « moi dans l’Autre et l’Autre en
des formes lointaines, ce qu’auront
de l’intérieur de masques africains. Je
moi, selon les procédures d’inversions-
été ces masques, dont la plastique
m’explique : je réalise depuis une dizaine
retournements stylistiques ». Elle
si « étrangère » m’aura forcé à me
d’années des moules en bois, dont je
dit encore, de manière salvatrice
dépayser. Néanmoins, la dimension
sculpte patiemment l’intérieur. Comme
: « Cette double posture permet
matérielle de la sculpture n’est pas une
avec les masques, je moule ensuite
d’élaborer une esthétique du divers,
fin en soi pour moi. Et si je n’ouvre pas
l’intérieur des matrices que je crée, par-
voire une ontologie, où l’universel
un horizon immatériel, alors il devient
fois à plusieurs moments du processus
surgit à travers les singularités et les
presque impossible de continuer. Il
de travail.
multiplicités ».
m’apparaît nécessaire de motiver le
Dans la Maelle Galerie, j’ai exposé les
sculpteur en lui faisant entrevoir des
moulages de mes propres matrices,
idées très excitantes. Des idées au-delà
avec des moulages réalisés dans des
86
1 ndlr : Dans son "Essai sur l’exotisme", Victor Segalen définit l‘esthétique du divers et imagine le personnage de « l’Exote » comme celui qui, fort de sa culture, arrive à s’en déposséder pour découvrir la culture de l’autre.
"Tête (Intérieur Bamoun 4), 2005. silicone noir recouvert de mine de plomb. Moulage de l'intérieur d'un masque-cimier Bamoun du Cameroun. 40 x 31 x 33,5 cm.
87
ART TALK
Unsettling Photocollections By Antje Van Wichelen
Still quite hidden in the archives, away from the publicâ&#x20AC;&#x2122;s eyes, are thousands of photographs from the 19th century documenting the Western view on, or creation of, the colonial Other. These images have thoroughly influenced white European ideas about the Other that live on up to this date. Why are they still hidden away? Western societies donâ&#x20AC;&#x2122;t seem ready to deal with their colonial past. Today, it is high time to discuss these images, with their context and all they signify. I am working on a still-evolving project about these images, and want to share some of my research and questioning with you.
Genious brain. Antje Van Wichelen 2015. Eggshell buccinum undatum and polyester.12x8x4
88
My research into the theme started
was to discover what enormous quanti-
about and force the 'lower' members of
from my interest in clichés and how
ties of the same kind of pictures had
the family into free labor, athome as well
they are constructed. A cliché, in short,
been produced. Picture after picture,
as in the world at large. In the meantime,
is an image of a group of people that
somebody had been put in a frontal and
Western powers were using excessive
is constructed by a dominant group,
a profile position, naked, often in front of
violence in the colonies. Industrial and
in the formation of which the people
a white screen.
political leaders, scientists and colonial
portrayed have had no influence, no
personnel joined forces to convince
A brief history
decisive power. My first steps into this topic were about the portraying of men-
public opinion of the desirability of this huge economic undertaking.
tal illness in feature films, for my master's
This same kind of image was portraying
Anthropology, still a young science, and
dissertation in communication sciences.
Africans, Aboriginals, North and South
its anthropometric branch, were called
Ever since, I have been sensitive to the
American Indians, Inuit, Ainu... Many
in to help establish this 'family' order;
recognition and scrutinizing of clichés,
photographs were taken in Europe dur-
measurements of skulls had to provide
be it about women, or artists, or poor
ing world exhibitions and human zoos:
proof that the white male was the smart-
or queer people, or the inhabitants
the people portrayed were brought out
est – from the rather naive reasoning
of Brussels and their 'dirty, dangerous
of their cages into the photographic stu-
that a larger brain size indicated more
and poor' city, as seen by more
intelligence. The method was
powerful groups in other regions
discredited when scientists found
of Belgium. On this last item, I
Aboriginals and Africans with larger
spent ten years leading an artis-
brains. The premise itself – that
tic organization countering the
white man was the most intel-
clichés about the Bruxellois with
ligent – was not discredited. The
their actual stories . The unjust
rise of photography was welcomed.
depiction of my city brought forth
Being more precise than drawings,
my first stop-motion movie, Lost
it would help study and define
1
and Found (2013) .2
Self portrait. Antje Van Wichelen. 2011
'types' of colonial Others. The influential leader of the Société
From 2010 onwards, I started look-
dio. Other people were photographed in
Anthropologique de Paris, Paul Broca
ing into the most powerful clichés
their colonized countries.
(1824-1880) wrote in his Instructions
ever created: those about the colonial
The photographs have been produced
générales pour les recherches anthro-
'Other'. Researching at quai Branly on
in Victorian times, mostly between 1860
pologiques (1865) :
the exhibitions of humans in Europe, I
and1880, a time during which Western
stumbled upon the photographic series
science was obsessed with classification
that went with it, specifically the col-
(of nature, plants, organisms). The same
lections of Le Prince Roland Bonaparte
époque gave birth to the dominant
that are discussed elsewhere in this
imperialistic ideology; the human being
issue. The images struck me as shameful,
was to be seen in the 'family of man' – a
embarrassing, and shocking from a con-
scale of values (from which women were
temporary point of view, but even worse
absent) that put the white heterosexual
1 Bruxelles nous appartient – Brussels belongs to us: www.bnabbot.be 2 Trailer on www.vimeo.com/antjevanwichelen/lostandfoundtrailer
89
male at the top of the family. He thus received power over the rest of the family and could freely steal from, decide
On reproduira par la photographie: 1) des têtes nues qui devront toujours, sans exception, être prises exactement de face, ou exactement de profil, les autres points de vue ne pouvant être d’aucune utilité ; 2) des portraits en pied, pris exactement de face, le sujetdebout, nu autant que possible, et les bras pendants de chaque côté du corps. Toutefois, les portraits en pied avec
lâ&#x20AC;&#x2122;accoutrement caractĂŠristique de la tribu ont aussi leur importance. Many photographers followed these instructions. Thousands of photographs were produced. Although the aim was to show 'typologies' of people, this photography had the opposite result. Instead of reducing the multitude of people to a few 'types', it emphasized the individuality of each person. It was impossible to draw general conclusions. By 1880, anthropometric photography was no longer seen as a valid scientific method. Often, Broca's 'instructions' were rather loosely applied; young girls were put into positions that had a sexual connotation in the western mind. Think about the contrast between their naked breasts and the strict Victorian dress codes and morale. To the large public, these photos were spread on millions of postcards, together with other 'exotic' photos that emphasized the Otherness of the depicted. Men were pictured as almost female, a hand on a hip or in profile with a big 'pregnant' belly. Much emphasis was laid on their hair, dress, jewelry, lip-discs, penis gourds and scarification. Other clichĂŠs made them be seen as wild, dangerous, sexually unrestrained and strong beasts of burden, or, on the contrary, as weak, diseased, powerless, lacking culture, and primitive people waiting to be 'civilized'.
A stop-motion movie My first idea was that the images spoke so strongly for themselves that all I had to do would be to give them a mean-
90
ingful order and a good rhythm for
So the first artist obtaining the images
following one after the other, at a very
will pay for all those that follow. Or, turn-
quick pace, and there would be a movie
ing the thought around, this might open
that would speak for itself. The horror of
perspectives to imagine a collective
it would, along with the fascination with
fund, a shared artists' database.
such an undertaking from a distant and no longer valid past, pour into our eyes
Images too painful to show
and make itself unambiguously clear. A second reason to question my first
An artist's database?
idea lies within the images themselves. The photos are extremely unsettling.
Not so, I was soon to discover. First of
As they have hardly been shown and
all, the images were not public property
discussed, it was not easy for me to esti-
as I thought they would (or should) be:
mate how people from countries whose
the archives possessing them are not
people had been depicted in the images
ready to let artists use them, at least not
would react to them. So I showed a
for free. The images are in the public
series of images I found to a few friends
domain, as the photographers have
of African descent. Their reactions were
died more than 70 years ago. But the
as if I had physically hurt them. Our
archives ask fees between 100 and 30
discussions reinforced my idea that an
euros an image, or, in an exceptionally
image can be very strong, and however
benevolent case, 55 euros an hour, for
well it is contextualized when shown,
handling them: the work of carefully
it has an ability to move us and to burn
re-photographing the images for digitiz-
itself into our memories as no words can.
ing is a costly affair. Even if the cost has
Apart from the fact that the images are
been covered with public money, the
hidden in archives behind financial barri-
institutions see the fees as a chance to
ers, might it be possible that they do not
generate an income. These fees form a
circulate for the reason that they are so
strong barrier for an independent artist
sensitive? That there is, rightly or not, a
like me, who needs to look for money
collective reluctancy to show them?
before being able to work (I did ask for money and am waiting for an answer
These questionings make me want to
from a public film fund). The financial
speak, experiment and share about the
barrier completely rules out artists who
anthropological photo collections and
have no access to financing structures;
what to do with them. What about you?
think of artists in non-European coun-
Would you show them or destroy them?
tries where often financial support for
Who can show them? Any artist and
art is absent. One museum head of
institution that feels concerned? Only
collections expressed to me his fear
those who have a history of involvement
that, once he gave me the images, they
with (anti) racist topics? Or only artists
would be out there and his institution
emerging from Southern countries and
would never see a euro for them again.
immigrant descent?
Glove Collection. Antje Van Wichelen 2011. Found gloves, tags, ruler
I have written from my perspective,
Example of the images discussed are
photographique, Journal des anthro-
which is white European, and female. It
to be found at e.g. la médiathèque du
pologues [En ligne], 80-81 | 2000,
is certainly not the only possible view-
quai Branly:
mis en ligne le 28 octobre 2010. URL :
point. I am eager to read reactions from
http://collections.quaibranly.fr/
http://jda.revues.org/3139.
different, confronting perspectives.
pod16/#cde636b9-765d-422f-9ebe-
GRAHAM-BROWN Sarah, Images of
Please post your thoughts to: antje-
15b145ebeb9a
Women: The Portrayal of Women
primitives@constantvzw.org
in Photography of the Middle East,
I will comment on them in my blog (see
1860-1950. Quartet, 1988, 288 p. Some interesting readings:
BANCEL Nicolas ea, Zoos humains.
COUTTENIER Maarten, Congo ten-
De la vénus hottentote aux reality
Biography:
toongesteld. Een geschiedenis van
shows. Eds de la découverte, Paris,
Antje Van Wichelen is based in Brus-
de Belgische antropologie en het
2002, 480 p.
sels, Belgium. Her artistic media are
Museum van Tervuren (1882-1925).
stop-motion film and installations.
Acco, Leuven, 2005, 445 p.
She posts her findings about the cli-
McCLINTOCK Anne, Imperial Leather,
chés on the 'Other' on her blog: www.
Routledge Inc, 1995, 450 p.
primitives.constantvzw.org
JEHEL Pierre-Jérôme, Une illusion
bio).
91
ART TALK
Supplément aux zoos humains
Par Jean-Claude Moineau
Non tant les individus que les corps
sens élargi puisque Sehgal n’est habitu-
quotidienne même, comme le donne à
exposés au sein même de l’espace
ellement pas son propre performer mais
penser le sociologue Erving Goffman1),
muséal dans quantité de manifestations
expose les corps d’autrui (si tant est, bien
les individus ramenés— à l’encontre tant
de l’art récent dont le paradigme pour-
entendu, que les corps ne soient pas
rait être fourni par les « performances »
toujours exposés, voire ne s’exposent
de Tino Sehgal, « performances » en un
pas toujours eux-mêmes, dans la vie
The Year of the White Bear and Two Undiscovered Amerindians visit the West. Performance, 1992-1994. Courtesy of the Artist and Alexander Gray Associates LLC.
92
1 Erving GOFFMAN, La Mise en scène de la vie quotidienne, 1. La Présentation de soi, 1956, tr. fr. Paris, Minuit, 1973, & 2. Les Relations en public, 1971, tr. fr. Paris, Minuit, 1973.
de tout dualisme que de la conception
représentations d’opéra où l’on ne faisait
corps souffrants (des performers eux-
de la personne développée à l’époque
pas encore le noir dans la salle, les mem-
mêmes) endurant une souffrance tout
contemporaine par Peter Strawson — à
bres du public se prêtaient davantage
ce qu’il y a de plus réelle au sein même
leurs seuls corps physiques… Il y a là, de
attention les uns aux autres qu’à ce qui
de l’espace traditionnellement dévolu
prime abord, comme un relent nauséa-
pouvait se passer sur la scène, quelle que
à l’illusion qu’est l’espace muséal, cher-
bond de zoo humain, les frontières entre
fût la séparation entre salle et scène).
chant à surmonter leurs propres limites
2
« exhibitions » et « spectacles » d’artistes
(et celles de la souffrance)… que, ainsi
n’ayant de toute façon, comme l’a
Serait-ce à dire que, à l’époque sup-
que l’a suggéré Boris Groys10 à propos
observé Lotte Arndt3, jamais été hermé-
posée de la mort de l’homme et de
des photos d’Abou Ghraib qu’il a, à juste
tiques, à ceci près que la « volonté d’art »
l’avènement du post humain sinon du
titre, mises en rapport avec les pratiques
s’est dorénavant substituée aux velléités
surhumain, l’humain en serait réduit
tant mass-médiatiques qu’artistiques
scientistes du dix-neuvième siècle
à se trouver muséifié, exposé comme
occidentales contemporaines, corps
et que les corps exposés ne sont plus
bête de foire? Les individus, quoi qu’il en
privés, non tant de tout attrait, que,
nécessairement physiquement séparés
soit de la présumée montée actuelle de
comme dans les exhibitions mises en
de ceux des membres du public, là où,
l’individualisme, à se trouver à la fois réi-
scène par un Santiago Sierra, de toute
comme l’ont écrit Nicolas Bancel, Pas-
fiés, choséifiés, et bestialisés, animalisés?
dignité humaine, voire de toute human-
cal Blanchard, Gilles Bœtsch, Éric Deroo
ité, bestialisés.
et Sandrine Lemaire4, le zoo humain
Après le camp de concentration comme,
entendait ériger « une barrière irré-
dixit Giorgio Agamben7, « paradigme
Là où les « sculptures vivantes » de Piero
ductible entre celui qui voit et celui qui
biopolitique du moderne », le « zoo
Manzoni et de Gilbert et George, repre-
est vu » de façon à « pouvoir y lire la
humain » (ou, selon Peter Sloterdijk ,
nant à leur compte l’ancien mythe de
place de chacun, celle de l’Autre et la
le « parc humain ») comme paradigme
Pygmalion et Galatée tout en continuant
sienne » (là où pourtant, traditionnel-
biopolitique ou « nomos », davantage
à faire leurs les aspirations avant-gar-
lement, que ce soit dans les musées ou
encore que de l’ère coloniale (colonialité
distes (les « mythes avant-gardistes »),
les théâtres, ainsi que le relevait Paul
elle-même historiquement liée à notre
cherchaient à donner vie, en dehors
Valéry5 comme le révèlent à leur façon
modernité sans se trouver désormais
même des musées, à la sculpture (même
les Museum Photographs de Thomas
définitivement congédiée pour autant),
si, sans doute, elles n’échappaient
Struth — tout particulièrement la série
de notre « contemporanéité », quand
pas elles-mêmes, loin de là, à toute
Audience prise à l’Academia de Florence à
bien même ce serait avec l’élément de
réification), les corps qui s’exposent
partir de l’emplacement même du David
non-contemporanéité que, selon Ernst
aujourd’hui (ou qui sont exposés) dans
de Michel-Ange, le plus intéressant à
Bloch , n’en comporte pas moins toujo-
les musées sembleraient plutôt pour le
observer pouvait bien être l’assistance
urs la contemporanéité.
principal, tels les animaux naturalisés
8
9
elle-même, tout comme, selon James H. Johnson6, au dix-huitième siècle, lors des 2 Peter Frederick STRAWSON, Les Individus, Essai de métaphysique descriptive, 1959, tr. fr. Paris, Seuil, 1973. 3 Lotte ARNDT, « Une mission de sauvetage : Exhibitions. L’Invention du sauvage au musée du quai Branly », Mouvements n°72, hiver 2012. 4 Nicolas BANCEL, Pascal BLANCHARD, Gilles BŒTSCH, Éric DEROO & Sandrine LEMAIRE, « Zoos humains : entre mythe et réalité », Zoos humains, De la Vénus hottentote aux reality shows, Paris, La Découverte, 2002. 5 Paul VALÉRY, La Soirée avec monsieur Teste, 1896. 6 James James H. H. JOHNSON, Listening in Paris, A Cultural History, Berkeley - Los Angeles, University of California, 1995.
93
de Karen Knorr eux-mêmes disposés Non pas tant, comme dans l’art-perfor-
non sans incongruité dans des salles de
mance des années 70 (Chris Burden, Gina
musée, procéder en sens inverse, par
Pane, Marina Abramović, quelles que
momification ou pétrification de la vie.
soient les tentatives de reenactment de
Du musée, une fois encore, comme
ses propres performances par celle-ci…),
mausolée (le musée ayant pu être accusé
7 Giorgio AGAMBEN, Homo sacer I, Le Pouvoir souverain et la vie nue, 1995, tr. fr. Paris, Seuil,1997. 8 Peter SLOTERDIJK, « Règles pour le parc humain, Réponse à la lettre sur l'humanisme », 1999, tr.fr. Monde des débats n°7, 1999. 9 Ernst BLOCH, Héritage de ce temps, 1935, tr. fr. Paris, Payot, 1978.
de mettre à mort ce qu’il est censé conserver) ? 10 Boris GROYS, « Les Corps d'Abou Ghraib », L'Herne n°84, Baudrillard, Paris, 2004.
Encore que, si des individus humains
les zoos humains, auxquels on demand-
tendu à se substituer au spectacle, la
se trouvent dorénavant exposés (sans
ait de jouer les sauvages, tout comme
société de surveillance à la société du
barrière de séparation aucune) dans
les Indiens photographiés par Edward
spectacle. Surveillance qui a elle-même
les parcs d’attraction que sont dev-
S. Curtis), de par leur exhibition non
constitué un paradigme important
enus, entertainment oblige, les musées
plus seulement passive mais active bien
tant de l’art contemporain (au point
(comme, dans la descendance des « vil-
qu’il se soit agi d’activités jugées elles-
que la vidéosurveillance a pu un temps
lages nègres » qui, dans le dernier quart
mêmes« primitives » : danse, musique,
être tenue, sur un modèle demeurant
du dix-neuvième siècle, avaient déjà, à
sport…(avant que débute une nouvelle
d’inspiration moderniste, non plus tant
l’occasion des expositions coloniales,
mise en spectacle avec l’apparition du
pour un paradigme que pour l’essence
prolongé la pratique des zoos humains
cinématographe et le passage du specta-
même de la vidéo) que des divertisse-
et autres ethnic shows, peuvent l’être
cle vivant à l’image vivante) aurait tendu,
ments de masse du type reality shows,
également des territoires entiers avec
selon Bancel, Blanchard, Bœtsch, Deroo
quand bien même ce serait désormais
leurs habitants), ce soit, loin de tout culte
et Lemaire , à transformer les présumés
suppute Peter Weibel14, pour la satisfac-
des morts, pour la satisfaction d’autres
« sauvages » en « indigènes ».
tion des sujets exhibés eux-mêmes, pour
êtres humains auxquels ils sont donnés
« Indigènes » qui, sortis de leur contexte,
la satisfaction de pulsions exhibition-
en pâture.
n’en auraient pas moins trouvé là, et là
nistes davantage que voyeuristes, si tant
seulement, une certaine place recon-
est que l’on puisse distinguer les deux au
Ce qui avait déjà été le cas par le passé
nue par la société colonisatrice, tandis
sein de ce que Jacques Lacan15 désig-
(au temps de la société du spectacle au
que la question serait désormais celle de
nait comme « la » pulsion scopique16,
sens non tant de Guy Debord que de
leur place, si place il y a, dans la citoyen-
le problème, selon l’économie dite
Michel Foucault , encore qu’il se soit
neté : « les indigènes d’hier [les sauvages
de l’attention17, étant même devenu,
alors agi du spectacle non seulement
d’antan] peuvent-ils être des citoyens
à l’ère de la surproduction d’images
de l’humiliation mais de la souffrance
aujourd’hui ? ».
due au numérique, celui de réussir à
11
12
13
d’autrui), lors des triomphes et des exécutions en place publique selon leurs scénographies propres, de l’exhibition des vaincus et condamnés en même temps que ceux-ci participaient, au titre de victimes propitiatoires, au culte du prince. Telle, dans les zoos humains de l’ère coloniale, l’exhibition des présumés « Autres », des présumés « sauvages », telle celle des autres « déviants » « assimilés » à des « monstres » de foire dans les freak shows de l’époque.
capter l’attention, encore qu’Yves Cit-
SERAIT-CE À DIRE QUE, À L'ÉPOQUE SUPPOSÉE DE LA MORT DE L'HOMME ET DE L'AVÈNEMENT DU POST HUMAIN SINON DU SURHUMAIN, L'HUMAIN EN SERAIT RÉDUIT À SE TROUVER MUSÉIFIÉ, EXPOSÉ COMME BÊTE DE FOIRE ? LES INDIVIDUS, QUOI QU'IL EN SOIT DE LA PRÉSUMÉE MONTÉE ACTUELLE DE L'INDIVIDUALISME, À SE TROUVER À LA FOIS RÉIFIÉS, CHOSÉIFIÉS, ET BESTIALISÉS, ANIMALISÉS ?
Quand bien même, à la fin du dixneuvième siècle, l’intégration dans
… Encore que, observait Foucault, à
l’industrie du spectacle proprement dit
l’époque moderne la surveillance ait
desdits « sauvages » (déjà transformés en sauvages par leur exhibition même dans 11 Michel FOUCAULT, La Société punitive, Cours au Collège de France, 1972-1973, Paris, EHESS, Gallimard & Seuil, 2013.
94
12 Nicolas BANCEL, Pascal BLANCHARD, Gilles BŒTSCH, Éric DEROO & Sandrine LEMAIRE, op. cit. 13 Pascal BLANCHARD, « L'Identité, l'historien et le passé colonial : le trio impossible ? », Michel LE BRIS & Jean ROUAUD, ed. Je est un autre, Pour une identité-monde, Paris, Gallimard, 2010.
ton, qui préfère pour sa part parler, en termes guattariens, d’ « écosophie de l’attention », fasse état de l’existence simultanée de différents régimes attentionnels situés entre la perception distraite benjaminienne et la contemplation. Cependant que la vidéosurveillance a elle-même cédé désormais pour 14 Peter. WEIBEL, « Pleasure and the Panopltic Principle» » tr. a. Thomas Y. LEVIN, Ursula FROHNE & Peter WEIBEL, ed. CTRL [SPACE], Rhetorics of Surveillance from Bentham to Big Brother, Cambridge, Mass., MIT/ Karlsruhe, Center for Art and Media, 2002. 15 Jacques LACAN, Séminaire, Livre XI, Les Quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973. 16 Comme le constate Slavoj Zizek lui-même (« Big Brother, or, the Triumph of the Gaze over the Eye », Thomas Y. LEVIN, Ursula FROHNE & Peter WEIBEL, ed. CTRL [SPACE], op. cit.): « Today, anxiety seems to arise from the prospect of NOT being exposed to the Other's gaze all the time, so that the subject needs the camera's gaze as a kind of ontological guarantee of his/her being ». 17 Cf. Yves CITTON, ed. L'Écpnomie de l'attention, Nouvel horizon du capitalisme ?, Paris, La Découverte, 2014.
une grande part la place à la cyber-
de ses possibilités et de ses limites, dans
sion de tableaux vivants à caractère
surveillance, à la datasurveillance, à
leur dimension la plus matérielle, la plus
historique devant lesquels défilent les
la surveillance généralisée… à ce que
objectale.
spectateurs
Dominique Quessada a appelé la
Alors que l’on est passé à des exposi-
« sousveillance », reposant, au détriment
tions dans lesquelles un artiste (renouant
de la catégorie de visibilité sur laquelle,
avec sa posture traditionnelle ?) expose
selon Foucault, se fondait la surveillance,
désormais non son propre corps mais,
non plus sur le regard et l’observation
comme dans les zoos humains d’hier, les
(surveillé et surveillant, sousveillé et
corps d’autres, des corps autres.
sousveillant se faisant dorénavant invisi-
Lesquels peuvent, comme dans le cas
bles) mais sur le calcul et la pré-vision.
de Sierra, s’avérer totalement étrangers
… Mais encore, dans les performances
tant au monde de l’art qu’à la société
d’un passé relativement récent, le
en place —des « sans place » dans la
performer était-il bien l’artiste (et
terminologie de Jacques Rancière, ce qui
c’est même là la définition habituelle-
accroît leur altérité— tout en se trouvant
ment retenue de la performance : la
eux-mêmes pour le principal réduits à
coprésence, ici et maintenant, non plus
leur dimension physique. Tout à l’opposé
avec des acteurs à peau noire, tant pro-
seulement entre œuvre et public mais
de ce que souhaitait Foucault : non tant
fessionnels qu’amateurs pour la plupart
entre artiste et public, comme, dans
qu’on « donne » —avec plus ou moins
recrutés sur place (à la différence, sur ce
les expositions, c’était l’artiste —de
de condescendance— aux sans-place et
point, des zoos humains historiques),
Joseph Beuys à Tracey Emin et à Oleg
sans-voix la parole mais qu’ils se trou-
en quête d’emplois, et dûment rénumé-
Kulik— qui s’exposait des jours durant
vent « placés » en situation de prendre la
rés, comme le furent en fait, « après
dans une galerie ou un musée (non
parole en leur nom propre, si tant est, a
les premières exhibitions de spécimens
sans, cependant, une certaine évolu-
observé Gayatri Spivak , qu’ils ou elles le
contraints20 » les individus exposés dans
tion ou, si l’on préfère, une évolution à
puissent effectivement.
les zoos humains, dans les « expositions
18
19
rebours : alors que, dans I Like America
… MAIS ENCORE, DANS LES PERFORMANCES D'UN PASSÉ RELATIVEMENT RÉCENT, LE PERFORMER ÉTAIT-IL BIEN L'ARTISTE (ET C'EST MÊME LÀ LA DÉFINITION HABITUELLEMENT RETENUE DE LA PERFORMANCE : LA COPRÉSENCE, ICI ET MAINTENANT, NON PLUS SEULEMENT ENTRE ŒUVRE ET PUBLIC MAIS ENTRE ARTISTE ET PUBLIC.
anthropozoologiques » (où Blanchard,
and America Likes Me, Beuys, tout en
Récemment, l’artiste sud-africain
Boëtsch & Snoep21 parlent de profession-
étant effectivement enfermé avec le coy-
« blanc » Brett Bailey, dans Exhibit B, titre
nalisation progressive des exhibitions
ote, cherchait à apprivoiser, à dompter
jouant sur le double sens, en anglais,
et des sujets exposés eux-mêmes qui
celui-ci, dans I Bite America and America
d’exhibit : à la fois objet exposé et pièce
purent même, en certaines occasions,
Bites Me, quel que fût l’hommage rendu
à conviction (dans ce qui se veut un
se mettre en grève), (sans, malheureuse-
à Beuys, c’était, sans ambiguïté possible,
procès du racisme bien que l’œuvre
ment, que Bailey cherche à tirer parti de
Kulik l’animal, que certains spectateurs
n’entende pas ici recourir, comme
leurs histoires et expériences propres),
particulièrement hardis, pénétrant dans
d’autres, à la forme du procès), a même
acteurs demeurant, eux, pour le princi-
la cage, entreprenaient de dresser).
été jusqu’à prétendre « re-enacter »
pal immobiles, passifs, parfois dénudés,
Tout comme les travaux anciens de Vito
littéralement un zoo humain (l’art
dans l’état d’infériorité relative qui est
Acconci et de Bruce Nauman étaient
contemporain s’étant réapproprié la
celui d’une personne dévêtue devant
consacrés à une exploration par l’artiste
pratique amateure du re-enactment, tant
une personne habillée.
—dans le cadre même de son atelier
re-enactment d’événements historiques
Déclenchant, quelque dénonciatrice que
pour Nauman— de son propre corps,
que de performances)
18 Dominique QUESSADA, « “De la sousveillance“, La Surveillance globale, un nouveau mode de gouvernementalité », Multitudes n° 40, 2010/1.
95
tout en mettant en scène une succes19 Gayatri SPIVAK, Les Subalternes peuvent-elles parler ?, 1988, tr. fr. Paris, Amsterdam, 2009 ;
20 Pascal BLANCHARD, Gilles BOËTSCH & Jacomijin SNOEP, « Introduction », Exhibitions, L'Invention du sauvage, Paris, Musée du quai Branly, 2011 » 21 Ibid.
s’en voulût l’intention, ici l’enthousiasme
par un artiste “blanc“ ». Ce qu’il qualifie
en général, par les non-juifs comme par
(notamment de la part de Peter Brook),
d’ « interdit racial de la représentation ».
les juifs, comme dans le (trop?) fameux
là l’indignation, voire l’interdiction. Toute
Interdiction de la représentation et
anathème prononcé par Theodor
une polémique, quand bien même ce ne
même du regard des « Noirs » par
Adorno contre l’art après Auschwitz :
serait pas la nouvelle querelle du Cid.
d’autres que des « Noirs ».
« écrire un poème après Auschwitz est
Comme toujours, il ne suffit pas
Interdiction, dit Blanchard, à l’unisson
barbare, [ce] qui explique pourquoi il est
d’afficher une intention antiraciste pour
sur ce point avec Amselle, de montrer…
devenu impossible d’écrire aujourd’hui
être véritablement antiraciste.
qui serait « la même chose que ceux qui,
des poèmes26 » ou de se livrer à une
dans les années 60, 70, refusaient qu’on
quelconque activité artistique, tandis
En France Exhibit B a reçu l’aval de
parle de la Shoah. Il y avait une volonté
qu’ici l’interdiction se révélerait de type
l’ethnologue africaniste, adversaire
de cacher, y compris de la part de ceux
« communautariste », interdiction qui,
déclaré du multiculturalisme et des post-
qui l’avaient vécue. Ils ne voulaient ni
selon Amselle, constituerait l’un des
colonial studies, Jean-Loup Amselle
revoir, ni voir » (ce qu’a fort judicieuse-
aspects de la pensée post coloniale qui
qui parle à son propos de « musée
ment analysé, à l’encontre de tout
était déjà le fait de l’éminent représent-
vivant » —encore que musée d’histoire
prétendu devoir de mémoire, Walter
ant des cultural studies qu’était Stuart
davantage que d’art— en même temps
Benjamin —pour qui, au demeurant,
Hall27 (encore qu’ici ce soient bien
que —en termes très religieux et même
la mémoire véritable était la mémoire
des acteurs « noirs » qui représentent
christocentristes— de « parcours de
involontaire— à propos des poilus
d’autres « Noirs », mais acteurs noirs
pénitent individualisé, de chemin
rescapés de la boucherie qu’avait déjà
dont l’expérience propre n’est pas prise
de croix ». D’expression de repent-
été la guerre de 14, et qui, contraire-
en considération) tout comme Marie-
ance, de « cérémonie d’expiation »,
ment aux voyageurs revenus de contrées
Hélène Bourcier28 a pu, en se réclamant
« expressions » que lui a très vivement
lointaines du Conteur25 n’avaient trouvé
de Foucault, sans proférer pour autant
reprochées Blanchard , pourtant lui-
là aucune expérience à transmettre),
d’interdit, faire état de la revendication
même ardent défenseur de l’œuvre.
encore que l’interdit ait pu alors être
des homosexuels que non seulement
celui non seulement de la représentation
les homosexuels soient représentés,
de la Shoah mais de la représentation
mais qu’ils le soient par les homosexuels
22
23
Tandis que, présume Amselle, les con-
24
testataires de l’exposition la contestent au nom de « la revendication du monopole de la représentation des “Noirs“ par un Noir“, et donc de son illégitimité 22 Jean-Loup AMSELLE, « Exhibit B : l'interdit racial de la représentation », Libération, 24 novembre 2014. 23 Pascal BLANCHARD, « Exhibit B force à voir le racisme les yeux dans les yeux », Regards, décembre 2014. 24 Walter BENJAMIN, « Expérience et pauvreté », 1933, tr. fr. Œuvres II, Paris, Gallimard, 2000. 25 Walter BENJAMIN, « Le Conteur, Réflexions sur l'œuvre de Nicolas Leskov », 1936, tr. fr. Œuvres III, Paris, Gallimard, 2000. 26 Theodor W. ADORNO, « Critique de la culture et société », 1951, Prismes, Critique de la culture et société, 1955, tr. fr. Paris, Payot, 1986. 27 Stuart HALL & Mark SEALY, ed. Different : A Historical Context, Contemporary Photographers and Black Identity, Londres, Phaidon, 2001. 28 Marie-Hélène BOURCIER, « Le Ciné Q de l'invisibilité à l'autoreprésentation », Q comme Queer, Lille, Cahiers Gai Kitsch Camp, 1998.
96
Oleg Kulik, The Mad Dog Performance, 1994, black and white photopraph, 30,5 x 40 cm, (c) Galerie Krinzinger
eux-mêmes, « que les parlés parlent »
Amselle, procéderait déjà elle-même
ne se contentent pas pour autant de
encore qu’il convienne de prendre en
d’une forme de racisme,
s’exposer mais fixent du regard les
compte l’avertissement, pour ce qui
(comme quoi, là encore, il ne suffirait
spectateurs, les mettant pour le moins
est de la parole des « subalternes »
pas, pour ce qui est des adversaires
mal à l’aise. Ainsi que le formule Sandra
telle qu’elle a pu être revendiquée par
d’Exhibit B eux-mêmes, d’afficher une
Vanbremeersch32 comme en réponse à
les subaltern studies, de Gayatri Spiv-
intention antiraciste pour être véritable-
la question posée, à propos des photog-
ak pour qui, à l’encontre de Foucault
ment antiracistes).
raphies de Cindy Sherman, par Amelia
29
lui-même, les subalternes —ils et, à plus
Jones33 : comment les femmes peuvent-
forte raison, elles— ne seraient pas en
elles chercher à résister à leur façon à ce
mesure de pouvoir effectivement parler en leur nom propre dans la condition de subalternes qui est la leur, la présumée conscience subalterne ne se donnant jamais qu’à travers la pensée élitaire,
SUPPLÉMENT AUX ZOOS HUMAINS/ACTE2 PERSISTANCE DU REGARD COLONIAL
n’ayant aucune existence possible en dehors de celle-ci.
que Laura Mulvey34 a désigné comme le regard projectif (projetant ses fantasmes), phallique, des spectateurs ? (du moins des spectateurs masculins, ce qui pose le problème des spectateurs féminins qu’a cherché à le soulever Mary
… En tout état de cause l’aspect à
Ann Doane35)
mettre au crédit d’Exbibit B serait, Tout au plus, s’élève pour sa part
selon Blanchard, que les acteurs, tout
… Dans les travaux de Beecroft, quelle
Blanchard, « bonne conscience com-
en demeurant pour le principal immo-
que soit la domination que continue à
munautaire […] qui fait dire “aux gays
biles et passifs, n’en fixent pas moins
exercer Beecroft sur ses « performeuses »
le combat des gays, aux musulmans
du regard les spectateurs qui défilent
(comme Bailey sur ses propres « per-
le combat des musulmans, aux Juifs le
devant eux, portant un « regard noir »
formeurs ») « le corps apparaît donc
combat des Juifs et aux Noirs le com-
sur les spectateurs.
comme lieu de résistance ».
Spectateurs qui, selon Bailey31, « sont
À la façon, déjà, font remarquer Claudia
littéralement contraints, eux, de choi-
Moatti et Michèle Riot-Sarcey36,
Ce qui, critique de son côté Amselle,
sir : regarder ou ne pas regarder »,
du regard « du modèle de Manet dans le
aurait pour effet de bloquer… « toute
certains étant « parfois trop intimidés
Déjeuner sur l’herbe car ce qui fit scan-
possibilité de réconciliation entre les dif-
pour regarder les personnes dans les
dale à l’époque, ce ne fut pas la nudité
férentes composantes des sociétés post
tableaux » ; ce sont les comédiens les
de la femme assise aux côtés de deux
coloniales », si tant est, bien entendu,
véritables spectateurs.
hommes en habits , mais l’intelligence
bat du racisme anti-Noirs“ » ou « aux femmes le combat des femmes »…
qu’une telle réconciliation doive être
de son regard, franc, lucide, voir pro-
recherchée, encore que le mérite
Tout comme, dans les « performances »
d’Exhibit B —en fait, surtout celui des
(en un sens là encore élargi) de Vanessa
manifestants— serait plutôt, en toute
Beecroft, les femmes exposées (là égale-
hypothèse, d’avoir, fût-ce involontaire-
ment tant des modèles professionnelles
ment, ré-ouvert à sa façon le débat
que de simples amatrices recrutées sur
public, d’avoir ré-ouvert l’espace public
place), le plus souvent dénudées, fragili-
au sens de Jürgen Habermas .
sées par leur nudité, (comme peuvent
… Mais racialisation qui, présume
l’être certains des acteurs d’Exbibit B),
30
29 Gayatri SPIVAK, Les Subalternes peuvent-elles parler ?, op. cit. 30 Jürgen HABERMAS, L'Espace public, Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, 1961, tr. fr. Paris, Payot, 1978.
97
vocateur », qui fit juger à l’époque le 32 Sandra VANBREMEERSCH, « Au pays des filles de Vanessa Beecroft », Claude FINTZ, ed. Les Imaginaires du corps, Arts, sociologie, anthropologie, Pour une approche interdisciplinaire du corps, Paris, L'Harmattan, 2000. 33 Amelia JONES, « Sur les traces du sujet avec Cindy Sherman », Cindy SHERMAN, Rétrospective, Museum of Conyemporary Art, Chicago, & Museum of Contemporary Art, Los Angeles, 1998, tr. fr. Paris, Thames & Hudson, 1998. 34 Laura MULVEY, «Visual Pleasure and Narrative Cinema», Screen, Vol.16 n°3, automne 1975.
elles-mêmes relativement immobiles,
35 Mary Ann DOANE, « Film and the Masquerade, Theorising the Female Spectator », Screen, Vol. 23 n°3, automne 1982.
31 Brett BAILEY, « La Conscience porte les graines du changement », Altermondes, 18-09-14.
36 Claudia MOATTI & Michèle RIOT-SARCEY, « “Exhibit B“, de l'esclave au migrant », Libération, 11 décembre 2014.
tableau imprésentable au public du
le « regard oppositionnel » : « The “gaze“
… De même Éric Fassin, dans un article
Salon, rompant comme il le faisait avec
has been and is a site of résistance for colo-
publié par Libération 43faisant écho au
la conception, rapportée par Michael
nized black people globally. Subordinates
succès sans réserves rencontré, en un
Fried , qui prévalait depuis Diderot,
in relations of power learn experientially
premier temps, par Exhibit B en Avignon :
selon laquelle les personnages représen-
that there is a critical gaze ».
« la différence entre les exhibitions
37
tés tant dans les tableaux que sur
d’antan et cet “exhibit“, c’est [en termes
scène devaient ignorer —ou feindre
Mais encore la curatrice Christine Eyene
d’ignorer— la présence des specta-
pose-t-elle « la question de savoir à
[…] le regard se renverse : le spectateur
teurs, assurant ainsi leur séparation avec
qui cette exposition s’adresse-t-elle.
n’est pas voyeur, car il est [non seule-
les spectateurs, telle la coupure entre
La réponse serait, apparemment, à un
ment tenu à distance comme le voulait
« exhibés » et visiteurs dans les zoos
public principalement blanc. […] Au
Fried dans La Place du spectateur mais]
humains, à quoi s’opposait davantage
mieux Exhibit B satisfait la visualisation,
vu. Immobiles, ces hommes et ces
encore, ainsi que l’a mis en évidence
j’irais jusqu’à dire le voyeurisme, de
femmes nous regardent — même le
Thierry de Duve38, la barmaid d’Un bar
spectateurs [blancs] en quête de sensa-
gisant. Leurs yeux nous suivent, et c’est
aux Folies Bergère qui ni n’ignorait le
tions, à l’ère d’une désensibilisation de
nous qui finissons par les baisser. Avec
spectateur du tableau ni ne s’y sou-
l’œil par la télévision, le flot d’images
ce dispositif, on n’est pas au zoo ; on est
mettait (comme le propre reflet de la
dont nous inondent les médias » (et, plus
dans le “zoo humain“».
barmaid dans le miroir situé derrière elle,
encore, le Net), à l’ère de ce que Susan
répondant aux avances du spectateur
Buck-Morss41 a appelé l’anesthétisation
40
très friediens44] la place du spectateur
du temps de l’esclavage, les esclaves des
"MAIS ENCORE LA CURATRICE du regard, l’« esthétique anesthésique », CHRISTINE EYENE POSE-T-ELLE « LA alors que « qui veut véritablement comQUESTION DE SAVOIR À QUI CETTE prendre le racisme d’aujourd’hui […] n’a EXPOSITION S'ADRESSE-T-ELLE. LA qu’à se tourner vers le Noir ou l’Arabe RÉPONSE SERAIT, APPAREMMENT, le plus proche de lui, afin de s’enquérir À UN PUBLIC PRINCIPALEMENT de son vécu » et de l’écouter. « L’écoute BLANC. […] AU MIEUX EXHIBIT est ici primordiale », quelque synonyme B SATISFAIT LA VISUALISATION, de surveillance que puisse être l’écoute J’IRAIS JUSQU’À DIRE LE VOYEURelle-même, quelle que soit la surenchère ISME, DE SPECTATEURS [BLANCS] à laquelle puisse être soumise l’écoute EN QUÊTE DE SENSATIONS, À L’ÈRE elle-même (où Peter Szendy42 a pu parler D’UNE DÉSENSIBILISATION DE de « surécoute »). L’ŒIL PAR LA TÉLÉVISION, LE FLOT D’IMAGES DONT NOUS INONDENT … Ce pourquoi il aurait fallu que Bailey LES MÉDIAS » (ET, PLUS ENCORE, LE consulte la population noire, enquête NET)."
deux sexes pouvaient être punis pour
auprès de la population noire.
figuré sur la droite du tableau) mais lui retournait crûment son regard. Où l’éminente représentante du black féminisme Bell Looks39, tout en soutenant pour sa part, à l’encontre de Mulvey, que, en Occident, les femmes noires ne sont pas soumises au regard des hommes de la même façon que les femmes blanches mais se révèlent des êtres sans genre qui ne sont pas tant objets de désir que, tout au plus, des objets de curiosité comme ceux qui figuraient dans les cabinets de curiosité occidentaux d’autrefois, observant que,
le seul motif d’avoir regardé leur maître,
Mais, a reconnu par la suite Fassin45
fait elle-même état de ce qu’elle appelle 37 Michael FRIED, Esthétique et origines de la peinture moderne, tome III, Le Modernisme de Manet, 1996, tr. fr. Paris, Gallimard, 2000. 38 Thierry de DUVE, Voici, 100 ans d'art contemporain, Gand, Ludion & Paris, Flammarion, 2000. 39 Bell HOOKS, « The Oppositional Gaze, Black Female Spectators », Black Looks. Race and Representation, Boston, South End Press, 1992.
98
revenant sur ce qu’il avait écrit anté40 Christine EYENE, « Exhibit B : de quel racisme parle-t-on ? », eye. on.art, 2 décembre 2014. 41 Susan BUCK-MORSS, « Esthétique anesthésique, L'essai sur la reproductibilité de Walter Benjamin, revisité », 1992, Voir le capital, Théorie critique et culture visuelle, tr. fr. Paris, Prairies ordinaires, 2010. 42 Peter SZENDY, Sur écoute, Esthétique de l'espionnage, Paris, Minuit, 2007.
43 Eric FASSIN, « La Race, ça nous regarde », Libération, 25 juillet 2013. 44 Cf. Michael FRIED, Esthétique et origines de la peinture moderne, tome I, La Place du spectateur, 1980, tr. fr. Paris, Gallimard, 1990. 45 Éric FASSIN, « Exhibit B, Représentation du racisme et sousreprésentation des minorités raciales », Mediapart, 29 novembre 2014..
rieurement, il n’en demeure pas moins
spectacle pose problème : selon notre
l’écart se creusant toujours entre histoire
qu’« acteurs et personnages sont réduits
expérience, et donc notre apparence,
et mémoire collective) engager un travail
au silence. Les Noirs apparaissent ainsi
nous n’y voyons pas forcément la même
de mémoire sinon, là déjà, de repent-
privés de toute capacité d’agir, victimes
chose – sans que cette réception diffé-
ance. Mais, critique Lotte Arndt51, le tort
éternellement passives de la domination
renciée soit prise en compte dans la mise
de l’exposition avait été de rechercher
raciale : des “Nègres marrons“, dont la
en scène. « On aurait tort de réduire ces
« davantage les continuités que les
révolte a arraché leurs communautés à
critiques au communautarisme :
ruptures et les changements de para-
l’esclavage, il n’est pas question ici »,
il ne s’agit pas de prétendre que les Noirs
digme dans la production de “l’altérité“ ».
privant ainsi l’œuvre elle-même de toute
seuls pourraient parler des Noirs, mais au
On passait sans discontinuité des cabi-
possibilité d’agir performativement.
contraire de revendiquer que l’art doit
nets de curiosité aux zoos humains et
Cependant que, déclare Fassin, il serait
pouvoir s’adresser à toutes et tous à la
aux laboratoires scientifiques du XIXe
absurde de réserver une œuvre antira-
fois », tout en prenant en compte les
siècle alors qu’ils ne répondaient pas du
ciste aux seuls Blancs ou de faire comme
différences, les différences socialement
tout aux mêmes enjeux. Le cabinet de
si les différences raciales n’existaient
construites.
curiosité, qui a paradoxalement connu
48
pas. Sans doute, sur le plan biologique,
un regain d’actualité (ou de curiosité)
les races n’existent-elles pas. Elles sont
Mais, antérieurement à Exhibit B, c’était
à l’époque contemporaine pour tenter
engendrées par des politiques racial-
déjà l’exposition, dont Blanchard avait
de trouver une alternative à la crise du
isantes « qui tracent des frontières dans
été l’un des commissaires, Exhibitions,
musée et de l’exposition) était conçu,
les corps » et qui ne les en font pas
L’Invention du sauvage, au Musée du quai
comme ce nom l’indique, sur la base
moins exister comme ont contribué à
Branly, en 2011, qui avait fait problème.
de la curiosité, le curieux étant, comme
les faire exister les zoos humains eux-
Exposition visant à montrer comment
l’a formulé Krzystof Pomian52, celui qui,
mêmes. La « blanchité », comme disent
le spectacle des exhibitions a contribué
mû par un appétit de totalité, voulait
les whitness studies, n’est, pas plus que la
à former le regard porté par l’Occident
tout savoir et, non content de ce fait
« négritude », pas plus que la masculinité
sur l’ « Autre », présumée ce faisant selon
d’un savoir se limitant au commun, au
ou la féminité, une propriété substan-
Blanchard servir à décoloniser le regard
régulier, entendait acquérir une sci-
tielle mais le produit d’une construction
(« On a décolonisé les pays, on a à peine
ence des singularités elles-mêmes et
sociale (une construction opérée pos-
commencé à décoloniser les économies,
recherchait en conséquence, « parmi les
térieurement à celle de négritude —et
mais le regard c’est quelque chose dont
productions de la nature et de l’art, les
dans un tout autre contexte—, tout
on pense qu’on l’a acquis à tout jamais »),
objets rares, exceptionnels, extraordi-
comme celle de masculinité s’est trou-
à « décoloniser ce qu’ont produit cinq
naires », échappant à toute classification,
vée opérée après celle de féminité,
siècles d’histoire et cinq siècles de
là où, au contraire, le « racisme scien-
ou celle d’hétérosexualité après celle
regard ». « À déconstruire l’idée même
tifique du XIXe siècle » bannissait le
d’homosexualité…). Où Maxime Cer-
du sauvage » (« Nous croyons encore que
merveilleux et reposait sur la systéma-
vulle47 parle de rapports sociaux de race.
“le sauvage“ existe […] L’idée du sauvage
tisation et la classification, rejetant la
est encore une idée qui domine et qui
curiosité au profit de la raison.
Et Fassin d’observer que « le public
perdure dans notre regard sur le monde.
Or Patricia Falguières53, note Arndt, a
culturel est défini en termes non seule-
Cette idée est encore à déconstruire50 »).
souligné le changement fondamental
ment de classe, mais aussi de couleur
En même temps que se voulant (par delà
46
ou d’origine […] La polémique m’a donc amené à le comprendre, l’esthétique du 46 Éric FASSIN, « La Race, ça nous regarde », op. cit. 47 Maxime CERVULLE, Dans le blanc des yeux, Diversité, racisme et médias, Paris, Amsterdam, 2013.
99
49
48 Éric FASSIN, « Exhibit B, Représentation du racisme et sousreprésentation des minorités raciales », op. cit. 49 Pascal BLANCHARD, « Exhibitions, une exposition qui décolonise le regard », RFI, 05-12-2011. 50 Ibid.
51 Lotte ARNDT, « Une mission de sauvetage », op. cit. 52 Krzystof Pomian, « La Culture de la curiosité », 1982, Collectionneurs, amateurs et curieux, Paris, Venise : XVIe - XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, 1987. 53 Patricia FALGUIÈRES, « Du cabinet de curiosité à l’invention du sauvage », conférence au musée du quai Branly, 14 janvier 2012.
intervenu dans le régime de visibilité au
théoricienne cubo-américaine Coco
l’île Guatinau ayant pour habitants
sens de Foucault : alors que, aux XVIe
Fusco et de l’artiste chicano Guillermo
les Guatinauis, laquelle venait seule-
et XVIIe siècles, la visibilité émanait du
Gómez-Peña, Couple in the Cage, Two
ment d’être découverte et était restée
pouvoir royal, exposant dans ses actes
Undiscovered Amerindians Visit the West,
jusqu’alors à l’abri de la civilisation
les plus intimes le corps du roi, les zoos
dont la première eut lieu à Madrid sur
occidentale, eux-mêmes ne parlant ni ne
humains, eux, participaient d’un régime
la Columbus Plaza en 1992 à l’occasion
comprenant ni l’anglais ni l’espagnol…
visuel invitant à regarder sans gêne le
des controverses engendrées par la
où, lors de chaque présentation, ils se
spectacle d’êtres humains dans les situ-
commémoration par l’Unesco de la
faisaient eux-mêmes enfermer pendant
ations les plus dégradantes (en même
prétendue découverte de l’Amérique par
trois jours consécutifs à raison de huit
temps que les zoos humains poursuiv-
Christophe Colomb en 1492. Comme le
heures par jour dans une cage dûment
aient un but idéologique, populariser le
relate Gómez-Peña , "In 1992, during the
cadenassée par des acteurs déguisés
projet impérial en métropole, différent
heated Columbus debates, Coco Fusco and
en gardiens qui les y emmenaient (ainsi
également de celui, à la même époque,
I decided to remind the United States and
qu’aux toilettes) tenus en laisse et les
des freak-shows dont la visée était princi-
Europe of “the other history of intercul-
nourrissaient de bananes tout en établis-
palement commerciale).
tural performance” : the human exhibits,
sant le contact avec le public, l’intérieur
pseudo-ethnographic tableaux vivants ».
de la cage étant meublé de façon
55
Régime reproduit, soutient Arndt,
outrancièrement kitsch, mélangeant
par l’exposition elle-même, quelle
Performance présentée par la suite
en tout anachronisme (tout comme les
que fût son intention de décoloniser
non tant dans des musées d’art (mis à
déguisements des deux performers)
le regard, replaçant le public exacte-
part le Whitney Museum à New York à
les appartenances culturelles les plus
ment dans la position dans laquelle
l’occasion de la fameuse biennale de
hétéroclites, des Aztèques à Walt Disney,
était celui des zoos humains, sans que
1993) que dans des musées d’histoire
cependant que l’extérieur affichait un
jamais l’exposition ait donné à voir les
naturelle et, surtout, comme c’était déjà
faux article de l’Encyclopaedia Britan-
sujets « exhibés » autrement qu’en tant
le cas à Madrid, sur les places publiques,
nica sur l’île Guatinau illustré d’une carte
qu’objets passifs, et sans qu’elle se soit
en dehors, à la différence d’Exhibit B,
non moins fictive, ainsi que toute une
interrogée comme elle aurait dû sur
de toute référence explicite à l’art, en
documentation sur les zoos humains du
l’enchevêtrement entre la production
dehors de toute identité artistique
siècle passé, eux-mêmes étant occupés
de l’altérité raciale et les régimes genrés,
proclamée : ce que j’ai appelé de l’art
à des tâches allant de la confection de
pas davantage que sur son lieu, le musée
sans identité d’art , comme pouvaient
poupées vaudou à l’utilisation d’un
dit du quai Branly, voué pourtant qu’est
l’être déjà à leur façon les présumés
ordinateur portable … et où le public
celui-ci à la séparation entre « Nous » et
« arts primitifs » eux-mêmes, tout en
avait la possibilité de payer une somme
les « Autres ».
s’inscrivant elle-même explicitement
modique pour les faire danser sur de
dans la tradition coloniale des zoos
la musique rap ou leur faire raconter
Mais encore voudrais-je ajouter, à
humains. Performance n’en affichant
des légendes de leur île en une langue
titre de comparaison, une pièce sup-
pas moins, pour sa part, un mode car-
inventée de fond en comble, ou encore
plémentaire au dossier, au demeurant
navalesque, où Fusco et Gómez-Peña
pour se faire photographier en leur
citée par Blanchard lui-même … La
se donnaient pour deux autochtones
compagnie,
performance rejouée à maintes reprises
d’une île fictive du golfe du Mexique,
Fusco entendant, comme elle le précise
54
un peu partout dans le monde (ou, si l’on préfère, le cycle de performances), collaboration de l’artiste, curator et 54 Pascal BLANCHARD, « Exhibit B force à voir le racisme les yeux dans les yeux », op. cit.
100
56
55 Guillermo GÓMEZ-PEÑA, The New World Border, Prophecies, Poems & Loqueras for the End of the Century, San Francisco, City Lights, 1996. 56 Jean-Claude MOINEAU, « Pour un catalogue critique des arts réputés illégitimes », Contre l'art global, Pour un art sans identité, Paris, è®e, 2007.
dans l’article qu’elle a elle-même consacré à cette performance57, prendre 57 Coco FUSCO, « The Other History of Intercultural Performance », Drama Review, Vol. 38 n° 1, printemps 1994, tr. fr. partielle « L'Autre histoire de la performance interculturelle », 1994, Sophie ORLANDO, ed. Décentrements, Art et mondialisation, Anthologie de textes de
ses distances par rapport à « la pratique
davantage, s’insurgeant devant le fait
écrit : “Ce qu’il m’est arrivé d’appeler eth-
consistant à s’approprier et à fétichiser
que deux êtres humains puissent être
nologie ‘inversée’ s’apparente beaucoup
le primitif » et aux présumés prolonge-
mis en cage et ainsi exhibés, le public,
moins à une espèce de retour sur soi qui
ments contemporains du primitivisme
relève Fusco , rejetait « la possibilité que
s’enrichirait de l’expérience d’autrui qu’à
dans la « performance d’“avant-garde“ »
l’Autre puisse donner de lui-même une
un retour sur les questions que nous
dont a pu se réclamer quelqu’un comme
image volontairement ironique [quelle
avons adressées aux autres et dont nous
le poète essayiste états-uniens Jerome
qu’ait pu être pourtant la tradition de
mesurons peut-être mieux le sens et la
Rothenberg selon lequel, désormais,
l’ironie pratiquée sur soi] ; même ceux
portée lorsque nous nous les adressons
après l’épisode impérialiste reposant
qui avaient compris qu’il s’agissait d’une
à nous-mêmes“ ».
sur l’opposition dominants/dominés, le
performance semblaient prendre plaisir
mythe du progrès et le paradigme de
à cette fiction, et payaient pour nous
Ce qui impliquerait une nouvelle mou-
la culture occidentale, émergerait un
voir exécuter des tâches parfaitement
ture, en osmose avec l’ « actualité de
nouveau paradigme —paradigme ou
stupides et humiliantes »,
l’anthropologie », de l’artiste comme
stéréotype?— basé sur la convergence
des tâches, là encore, faisant perdre
ethnographe au sens d’Hal Foster64,
supposée entre rituel primitif, transe,
toute dignité à ceux qui les exécutaient,
Lamy Beaupré parlant lui-même
chamanisme… et performance, event et
comme, lors de Rhythm 0 d’Abramović,
d’ « anthropologie performative » là
happening inclus.
les spectateurs en rajoutaient volontaire-
où, pour éviter l’habituelle confusion
ment encore aux souffrances endurées
avec la perfomativité au sens d’Austin,
« Notre performance, déclare Fusco,
par la performeuse au moyen des divers
il serait cependant préférable de parler
était interactive, l’accent portant moins
accessoires, allant de la fourchette à la
d’ « anthropologie performancielle ».
sur ce que nous faisions nous-mêmes
lame de rasoir et au pistolet, mis à leur
Anthropologie donc du public lui-
que sur les réactions des spectateurs
disposition.
même, à défaut, quoi qu’il en soit, du
58
59
et la manière dont ils interprétaient
public comme ethnographe ?
nos actions », encore que, reconnaît-
« Tout en interprétant un couple de faux
Du public comme son propre
elle, « nous n’avions pas prévu que ce
Amérindiens, les deux artistes, observe
ethnographe ?
qui constituait pour nous une parodie
Jonathan Lamy Beaupré60, jouent à être
critique du zoo humain serait perçu
des performeurs-anthropologues du
comme crédible. […] Nous ne pensions
monde colonial contemporain. Fusco61
pas que notre travail serait interprété
utilise l’expression “reverse ethnology“
de façon aussi littérale. Dans toutes les
et Gómez-Peña62 celle de “performance
villes, plus de la moitié des visiteurs ont
as reversed anthropology“ pour qualifier
cru à notre fiction et nous ont pris pour
leur démarche conjointe, qui s’inspire de
d’“authentiques“ indigènes »
la réflexion menée par certains anthro-
alors pourtant que l’on aurait pu penser
pologues à la même époque. Dans son
que cet art se voulant sans identité d’art
ouvrage Le Sens des autres, Marc Augé63
était trop manifestement artistique
59 Coco FUSCO, op. cit.
… Et, alors que les deux performers
60 Jonathan LAMY BEAUPRÉ, Du stéréotype à la performance : les détournements des représentations conventionnelles des premières nations dans les pratiques performatives, Montréal, Université du Québec, 2012.
auraient souhaité que le public réagisse 1950 à nos jours, Paris, Centre Pompidou, 2013. 58 Jerome ROTHENBERG, « New Models, New Visions, Some Notes Toward a Poetics of Performance », Michael BENAMOU & Charles CARAMELLO, ed. Performance in Postmodern Culture, Coda Press, Colchester, 1977.
101
61 Coco FUSCO, op. cit., partie non traduite. 62 Guillermo GÓMEZ-PEÑA, op. cit. 63 Marc AUGÉ, « Les Autres et leurs sens », 1989, Le Sens des autres, Actualité de l'anthropologie, Paris, Fayard, 1994.
64 Hal FOSTER, « What’s New about the Neo-Avant-garde ? » , October n°70, The Duchamp Effect, Cambridge, Mass., Fall 1994. Une nouvelle version de ce texte est parue sous le titre « Qui a peur de la néo-avant-garde ? », Le Retour du réel, Situation actuelle de l’avantgarde, 1996, tr. fr. Bruxelles, La Lettre volée, 2005.
ART TALK
Art, anthropology, and museums: Post-colonial directions in the United States
By Sally Price Images: works by Marcel Pinas. Courtesy of the artist
“BEFORE 1980 MOST MUSEUMS WERE RATHER STODGY PLACES WHERE LITTLE HAPPENED BUT SINCE THEN THEY HAVE BECOME HOTBEDS OF CONTROVERSY AND LIGHTNING RODS FOR CULTURAL CRITIQUE.”
end of anthropology’s “classical period”
Against the background of these
(1992:342-72).
developments, anthropologists were experiencing a growing sense of
In terms of the larger picture, the United
malaise over traditional practices in
States was bristling with embryonic indi-
their discipline. Fieldwork, once “the
cations of what were to become modest
study of dark-skinned 'others' by light-
shifts away from the country’s long-
skinned Euro-Americans [aimed at]
standing practice of publicly privileging
the recovery of pure, uncontaminated
Euro-Americans, men, heterosexuals,
'otherness'” (Stocking 1992:358), was
(Shepard Krech III, “Museums, Voices,
the physically able, and the economi-
gradually being seen as no longer viable
Representations”)
cally privileged. The demands of the
in that form, as its principal subjects
Civil Rights movement were inching for-
assumed new post-colonial identities.
Over the past half-century, changes
ward, most notably by the 1963 March
Anthropologists (at least many of them)
in political, cultural, demographic,
on Washington and the Civil Rights Act
were beginning to realize that the image
and academic realities in the United
of 1965; the Black Power movement was
of their research as “objective science”
States have contributed to a significant
making headlines on a daily basis; the
needed to be seriously re-thought in
reorientation in the museological
feminist movement was passing beyond
order to take the new perspectives
representation of difference. This essay
its earlier focus on voting rights to a
into account. One of a multitude of
weaves in and out of these different
broader demand for the reassessment
contributing factors was the Central
contexts in order to explore some of
of women’s roles in society; protests
Intelligence Agency’s recruitment
the ways in which anthropology and
against the Vietnam War, and the impe-
of anthropologists (sometimes real,
art history have been nudged in new
rialist agenda that was seen as driving
sometimes imagined), which came to
directions, with important consequences
it, were getting off the ground; and the
a head in 1964-65 with the exposure
for museums and their publics.11 I begin
struggle for gay rights and the rights
of “Project Camelot” (putting a new
in the 1960s, a pivotal moment that, as
of the handicapped was beginning to
face on the old discomfort about ties
George Stocking has argued, marked the
heat up. The increasing visibility and
between anthropology and colonialism)
activism of “counter-cultures” of various
and furthered a strengthening sense of
stripes could not help but have impor-
obligation toward the peoples whose
tant implications both for the practice of
lives were being studied.2
1 Much of relevance is inevitably left out of this reflection on fifty years of political, cultural, and academic developments. Jim Clifford describes his essay on the past 25 years since Writing Culture as “painting with a broom” (2012:423); my wrap-up here might better be likened to tracing a few selected pieces of the painting with a toothpick. Parts of this paper were originally presented at an international conference, “Beyond Modernity: Do Ethnography Museums Need Ethnography?” (Rome, Museo Nazionale Preistorico Etnografico L. Pigorini. 18-20 April 2012).
102
anthropology and for the depiction of the mainstream’s “Others” in museums.
2 A half-century later, debates about the military’s use of “Human Terrain Teams” in Iraq and Afghanistan brought these same issues back into discussion. See Gonzalez 2008 and D. Price 2011.
Marcel Pinas, Afaka. Courtesy of the artist
103
ART TALK At the same time, some of the
about to undertake field work through-
One consequence of this general
intellectual energy that had been
out the 1960s (Sturtevant 1959). But as
reorientation was a vigorous rejection
directed to anthropological field studies
sensitivities to the people who were
of the long-standard form and sub-
and their findings was being siphoned
being studied moved center-stage, such
stance of ethnographic monographs,
off by the emergent field of “cultural
clandestine documentation was cast
which began to give way to a variety of
studies.” Originating in Britain, this
in a newly negative light, as the folks
experimental texts. For example, Paul
new, highly interdisciplinary amalgam
once routinely depicted as “informants”
Rabinow’s writing on Morocco (1977)
shared anthropology’s interest in social
became recognized as individuals with
humanized the fieldwork experience
and cultural issues, but set them in a
rights to transparency by the people
through reflections on the relation-
new environment, far from the study of
investigating their lives.
ships between the anthropologist and
“dark-skinned 'others' by light-skinned
those whose culture was being studied;
Euro-Americans,” by attracting scholars
Key to all this was a diminished focus
Renato Rosaldo’s on the Ilongot (1980)
from a wide variety of ethnic and
on cultural isolates, as anthropologists
showed the relevance of history to the
national origins and bringing in global
began to set the societies and cultures
kinds of people once imagined to be
power relations, literary theory, film
they studied into broader settings than
“timeless primitives”; Richard Price’s on
studies, ethnic studies, popular culture,
did their predecessors of the mid-twen-
the Saamaka (1983) used page design
political economy, and much more.
tieth century. Eric Wolf’s 1982 critique of
and distinctive typefaces to emphasize
a vision in which nations, societies,
perspectivality in oral history, colonial
By the early 1970s, proposals for the
or cultures were depicted as homoge-
archives, and ethnography; and Michael
“reinvention” of anthropology (Hymes
neous and externally distinctive and
Taussig’s on Colombia (1987) mixed
1969) were inspiring visions of the
bounded objects, spinning off each
genres to underscore an awareness
discipline that gave increased agency
other like so many hard and round
that facts cannot exist outside of their
to the people whose lives were being
billiard balls (1982:6-7) set the scene.
interpretation or truth outside of its
explored, and some of the formerly
Unlike earlier attempts to discern the
representation. Books like these were
unquestioned approaches to anthropo-
cultural traits that would distinguish one
actively dismantling and complicating
logical research were being scrutinized
people’s lifeways from those of another,
ethnographic authority, and they were
for their compatibility with the newly
anthropologists began directing their
rejecting the timeless anthropological
configured field. Take, for example, the
gaze more frequently toward the door-
concept known as the “ethnographic
longstanding practice of making secret
ways where social and cultural ideas
present” in favor of careful attention
field notes, recordings, and photographs
jostled each other in their passage from
to change over time. These shifts fore-
– a standard part of the ethnographer’s
one social or cultural setting to the next.
shadowed the demise of the traditional
tool kit well into the 1960s. One rather
And while the emphasis in ethnographic
ethnographic monograph and its claims
complexly worked out technique for
research had once been on abstracting
to uncontestable truth. Support for the
documenting a long ceremony with-
back from an overlay of modernity to
out revealing to the natives that their
discover uncorrupted cultural traditions ,
Clifford and George Marcus’s Writing
activities were being recorded, for
modernization came to be seen as lying
Culture in 1986 and James Clifford’s The
example, was published by the disci-
at the heart of the enterprise, providing
Predicament of Culture in 1988 – assured
pline’s flagship journal, the American
a springboard for explorations of cul-
that there was no turning back. As one
Anthropologist, and constituted recom-
tural creativity and selfaffirmation.
commentator put it, Writing Culture
3
mended reading for graduate students 3 Cultural studies originated as a named field in 1964 in Britain. In the United States the first doctoral program in Cultural Studies was inaugurated in 1994 (at George Mason University).
104
new turn – most importantly James 4
4 Think of Franz Boas holding up a blanket to block out the modern two-story houses behind the Kwakiutl natives he was filming for the anthropological record, as captured in the Odyssey series video devoted to this father of American anthropology.
introduced a new “skepticism about neat explanation and model-building in favor of a more mobile, open-ended
view of culture and society as a ter-
relationship between Western and non-
Just as anthropologists were moving
rain of hybridization, disjuncture, and
Western art.5 The “Te Maori” exhibition
beyond their traditional stomping
heteroglossia” (Starn 2012: 412). Talk of
at the Metropolitan Museum of Art was
ground of small-scale, “tribal,”
objective science was losing ground,
inaugurated by rituals in which sixty
or otherwise “primitive” societies, art
and in its place was talk of poetics and
Maori dignitaries in full regalia engaged
historians were showing less reluctance
politics, talk of fragments and partial
in chants, songs, dances, and war cries,
to take on materials outside of the usual
truths, talk of subalterns, reflexivity,
and greeted the mayor of New York
areas of their discipline, and doing
and subject positions.
City by rubbing noses. For the “Asante:
it with an increasingly sophisticated
Kingdom of Gold” exhibition at the
mastery of anthropological concepts,
Museums were not (yet) particularly
American Museum of Natural History,
as publications of the UCLA Museum
active participants in the newly
the Asantahene (King Otumfuo Opoku
of Cultural History (later the Fowler
configured vision of anthropology,
Ware II) made the trip from Ghana to
Museum) or important studies of African
but rumblings of change in the art
participate in opening ceremonies,
art by such scholars as Henry and
world were laying the groundwork
marching through Central Park with the
Margaret Drewal, can attest. Writings by
for a more collaborative (if sometimes
city’s mayor under a large silk umbrella,
art critic Lucy Lippard were particularly
confrontational) relationship between
accompanied by a procession of several
important in opening up the field of
anthropological and art critical
thousand participants. The IBM Gallery
art criticism by calling attention to
approaches to the exhibition of objects
of Science and Art exhibited the largest
the scope and vitality of the country’s
from beyond the Euro-American
assemblage of Northwest Coast Indian
multicultural art scene; for example,
orbit. The early to mid-1980s were a
artworks ever put on view. The African
her 1990 book, Mixed Blessings: New Art
moment of explosive interest in public
American Institute offered an exhibition
in a Multicultural America, provided a
presentations of what we might call
called “Beauty by Design: the Aesthetics
veritable “Who’s Who” of artists from
“ethnographic art.” A few signposts
of African Adornment.” The list could go
the entire spectrum. As a result of the
from the city of New York can serve to
on and on.
expanded field, the complex workings –
illustrate the trend. The Metropolitan
SETTING ART OBJECTS, ARTISTS’
social, cultural, economic, political – that
Wing, devoted to the arts of Africa,
BIOGRAPHIES, AND THE EVOLU-
or uncontested) meaning to the more
Oceania, and the Americas, in 1982;
TION OF STYLISTIC SEQUENCES
traditional matter of art objects and their
in 1984; and during 1984-85 New
MORE FORCEFULLY IN THE
greater prominence. At the same time,
York hosted a staggering series of
CONTEXT OF PERCEPTIONS
increased attention began to be given
non-Western art. “Primitivism in 20th-
CONDITIONED BY SOCIAL AND
strategies, auction politics, market
century art. Affinities of the Tribal and
CULTURAL FACTORS BROUGHT
dynamics, and collecting agendas.
Art was launched with six thousand
THEM CLOSER TO LONG-
ethnocentrism lurked in the foundations
people in attendance; in connection
STANDING ANTHROPOLOGICAL
of the edifice of connoisseurship
CONCERNS AND INTERESTS
Setting art objects, artists’ biographies,
Museum of Art opened its Rockefeller
the Museum for African Art opened
blockbuster exhibitions focused on
the Modern” at the Museum of Modern
with that exhibition, an impressive roster of anthropologists and art historians participated in a lively two-day seminar at the museum intended to open a new interdisciplinary dialogue on the
105
5 The exhibit, curated by historians of Western art with little in the way of ethnographic knowledge or anthropological sensitivities, inspired a barrage of critical reactions that helped shape approaches to ethnographic art for the ensuing decades. See, for example, Clifford 1985 and Foster 1985.
give structure, texture, and (contested
collective history began moving into
to scrutiny of museum ethics, curatorial
Even the very sensitive possibility that
became more widely recognized. and the evolution of stylistic sequences more forcefully in the context of perceptions conditioned by social and
ART TALK " WHILE MAINSTREAM MUSEUMS OF THE 1980S HAD BEGUN OPENING THEIR DOORS MORE READILY TO THE ART OBJECTS OF OTHER CULTURES, THEY WERE STILL SHOWING RELUCTANCE TOWARD THE IDEA OF WELCOMING THE DISCOURSES AND AESTHETIC SENSIBILITIES OF THE PEOPLE WHO HAD CREATED THEM " cultural factors brought them closer to
anthropologists and art historians
(1999: 3)
long-standing anthropological concerns
increased, and studies of tourist art,
In the museum world, the growing
and interests, and began eroding the
copies, fakes, appropriations, and deriva-
interest of art historians in non-Western
lingering temptation (stronger in some
tive forms began to attract increased
art inevitably brought with it hints
commentators than others) to view art
attention. Unpacking Culture, the fruit
of a (tentative, partial, ambivalent)
history as the pristine, apolitical study of
of collaboration between art historian
openness to the idea of including
aesthetic forms.
Ruth Phillips and anthropologist Christo-
direct participation by members of the
pher Steiner, elaborated on a point that
cultures represented in exhibitions of
In 1985, in recognition of this trend, the
I believe should have particularly impor-
ethnographic art. While mainstream
Johns Hopkins University established an
tant implications for museums, in that
museums of the 1980s had begun
innovative Ph.D. program, generously
it forces recognition of the influential
opening their doors more readily to the
funded by the National Endowment
role of collectors and art dealers in the
art objects of other cultures, they were
for the Humanities, that was designed
choices made by museums that pre-
still showing reluctance toward the
to train students in the intersection of
sent ethnographic art. Arguing that the
idea of welcoming the discourses and
anthropology and art history.6 And that
classic vision in which objects could be
aesthetic sensibilities of the people who
same year the gathering of art historians
categorized as either “art” or as “ethnog-
had created them. That is, regardless of
at the annual meeting of the College
raphy” was long overdue for revision,
whose art objects were being shown
Art Association hosted, for the very
they wrote:
in museum cases or illustrated in
first time in its history, panels on what
catalogues, the decisions about how
it was calling “ethnographic art” – a
For the past century or so, the objects of
to display them and the texts that
move considered so revolutionary that
cultural Others have been appropriated
authenticated and interpreted them
the participants in these panels, myself
primarily into two ... categories: the artifact
were still being kept in the hands of
included, were all flown out to the Getty
or ethnographic specimen and the work of
Euro-American curators – a practice that,
Foundation in California for several days
art, [fitting them into] scholarly domains
as Cuban critic Gerardo Mosquera has
of discussion about how best to make
defined in the late nineteenth century
pointed out, strongly favored “universal
our momentous entry.
when anthropology and art history
values” based on “Eurocentric and even
were formally established as academic
Manhattan-centric criteria” (1994:134).
7
As ethnographic arts began to be
disciplines. As a construction, however,
accepted as a legitimate field of art
this binary pair has almost always been
But by the 1990s cracks began to appear
historical interest, dialogue between
unstable, for both classifications masked
in the wall separating the representers
what had, by the late eighteenth cen-
and the represented. The change was
tury, become one of the most important
first evident in temporary exhibitions: as
features of objects: their operation as
early as 1991, for example, the American
commodities circulating in the discursive
Museum of Natural History took pains
space of an emergent capitalist economy.
to make its exhibit of Northwest Coast
6 I was named director of the program, but for reasons too complex and too personal to go into here I resigned from the university after the first year. The program, with insufficient support from the two departments, was dismantled a few years later. 7 My presentation at this meeting of the CAA, entitled “Primitive Art in Civilized Places,” was expanded into a book of the same name in 1989 and published in seven languages (see S. Price 2012).
106
Indian art (“Chiefly Feasts: The Endur-
hierarchies was not without virulent
cally Euro-American canon.8 Within the
ing Kwakiutl Potlatch”) a collaborative
opposition, and the heated battles over
larger battle, variant sexualities became
affair between New York curators and
attempts to promote multicultural or
the most mediatized target, with racial,
members of Northwest Coast societies
canon-challenging efforts in the United
ethnic, and religious differences follow-
(Jonaitis 1991). But it has been moving
States became a prominent part of what
ing close behind.9
into more general areas, as museums of
became known as the Culture Wars. On
various stripes (the Smithsonian in Wash-
the academic front, Harold Bloom, a
Government funding was at the heart
ington, the American Museum of Natural
distinguished professor of Humanities
of the matter “as both preachers and
History in New York, Brown University’s
at Yale, lashed out at the new embrace
politicians decried some art as sin-
Haffenreffer Museum, and others) have
of literature that reflected feminist,
ful, blasphemous, or unpatriotic [and]
convened advisory committees in order
Marxist, or multicultural agendas, mak-
sought to reduce or eliminate public
to integrate participation by native rep-
ing a plea (1994) for a return to the
funding for art in general (Yenawine
resentatives in decision-making about
traditional western canon centering on
1999:9). Left-leaning activists, working
their exhibition galleries and issues that
such authors as Chaucer, Shakespeare,
with little more than the strength of
have impact on their overall function-
Freud, and Beckett. On the political
their convictions, fought back, putting
ing (see, for example, Arnoldi 2005,
front, conservative groups such as the
together non-profit groups that pro-
Krech 1994). The most striking evidence
Christian Coalition fought against the
moted socially conscious art; the “Art
of this move toward native voices, of
use of tax dollars to support the arts
Matters” collective, for example, offered
course, was the establishment in 2004
and advocated the elimination of both
fellowships to artists whose work was
of the National Museum of the Ameri-
the National Endowment for the Arts
endangered by the chilling effects of the
can Indian, which is run by members of
and the National Endowment for the
culture wars and gave seed money to a
American Indian cultures. Indeed, the
Humanities. And they were empowered
number of organized efforts that directly
growing trend toward “collaborative
by the fact that Lynn Cheney (wife of
challenged the government’s position
anthropology” has had an important
Dick Cheney, later the country’s vice
on cultural funding and AIDS.10
influence on the way museums are
president under the second George
handling their collections; for just one
Bush) was directing the National Endow-
example, see the “10,000 Kwentos” pro-
ment for the Humanities (1986–1993),
ject, in which the Filipino community is
with strong support first from President
collaborating with the Field Museum in
Ronald Reagan and then from President
Chicago to document objects in storage
George Bush-senior. Under their watch,
(http://10000kwentos.org/ –accessed 20
government support for museum exhi-
February 2015).
bitions suffered a severe setback, with
8 For a detailed rundown on the political firestorm over government support for the arts and humanities, see Koch 1998. For a relatively exhaustive collection of statements by politicians, journalists, artists, and others, see Bolton 1992.
The museum world’s embrace of
for anything that failed to toe the line
9 One particularly prominent lightning rod was an exhibition of photographs by Robert Mapplethorpe, including depictions of black men in homoerotic poses. Accusations of pornography and attempts at censorship fought against the defenders of artistic freedom, and the battle was front-page news, as the Corcoran Gallery in Washington cancelled the show and the Cincinnati Art Museum’s right to exhibit Mapplethorpe’s photographs was debated in a highly mediatized obscenity trial. The outcry over Andres Serrano’s “Piss Christ” ignited another heated confrontation between conservative and liberal views, one that turned on religion rather than sexuality; one of my students in the United States, a devout Christian, refused to read an article on censorship in the arts that I had assigned because it mentioned this artwork – indication of how deep feelings run on these sorts of issues.
materials that questioned traditional
set by a Christian, heterosexual, ethni-
10 In spite of well organized collectives of art activists who pushed
particularly draconian consequences
107
ART TALK But in spite of their power, politicians like
seen as “constitutive of cultural mean-
1992:9-10).
Lynn Cheney were unable to squash the
ings” (Clifford 1991, 1997:3). Picking up
Concern about respecting the rights of
increasing eagerness of many academ-
on writing by Amitav Ghosh he evoked
sovereign nations concerning cultural
ics, critics, museum workers, and others
the airport transit lounge (or other
property had been animating lively
of a non-conservative bent to ques-
spaces of transient cultural crossings
debates about the very delicate issue
tion, and then reject, elitist hierarchies,
such as hotel lobbies, train stations,
of repatriation for decades, resulting
to reject the view of societies as static
or hospitals) as a replacement for the
in several international agreements.
cultural isolates, to reject the idea that
villages that had provided the conven-
The 1970 UNESCO Convention on the
external contacts compromised cul-
tional field site for an earlier era. One
Means of Prohibiting and Preventing
tural “authenticity” and to direct their
consequence of this new vision was for
the Illicit Import, Export and Transfer of
attention instead toward a fluid global
both tourism and airport art to shed
Ownership of Cultural Property was the
context in which ideas and practices
their former reputations as trivial or
first worldwide treaty on illicit traffic in
passed from one cultural setting to the
inauthentic subject matter for research-
cultural property. A Code of Ethics for
next. Even standard vocabulary reflected
ers and be upgraded to respectable
Museums was adopted by the Interna-
these trends, and the metaphor of travel,
fields of study in both anthropology and
tional Council of Museums (ICOM) in
borderlands, and contact zones was
art history.
1986 (and revised in 2004). And in 1995
11
everywhere. Chicano performance artist
the International Institute for the Unifica-
Guillermo Gómez-Peña captured the
Two monumental seminars at the
tion of Private Law (UNIDROIT) met in
flavor of this intently itinerating artworld
Smithsonian Institution, masterminded
Rome to draw up its convention on sto-
when he wrote: “I write in airplanes,
by Ivan Karp and his colleagues in 1988
len or illegally exported cultural objects.
trains, and cafés. I travel from city to city,
and 1990, explored every nook and
In the United States, passage of the
coast to coast, country to country, smug-
cranny of the newly conceptualized field
Native American Graves Protection and
gling my work and the work and ideas
as it concerned the museum world. At
Repatriation Act (NAGPRA) of 1990 was
of my colleagues. . . . Home is both ‘here’
the same time, a pair of wide-ranging
a key endorsement of native agency,
and ‘there’ or somewhere in between.
seminars organized by the Associa-
but there were also countless smaller
Sometimes it’s nowhere. . . . Here/
tion of Art Museum Directors in 1990
moves in the same direction. Respect
there, homelessness, border culture,
and 1991 convened an impressive slate
for native objections to the display of a
and deterritorialization are the domi-
of commentators to hash out ways of
Zuni kachina in the MoMA’s 1984 “Primi-
nant experience” (2001:5-6). Book titles
dealing with a situation in which, as the
tivism” exhibition was just one of many
also tell the story: The Traffic in Culture
organizers put it, the most visible people
early indications of the trend.13
(Marcus & Myers 1995), Routes (Clifford
of color in a majority of art museums are
1997), Destination Culture (Kirshenblatt-
either the guards or Education Depart-
Although the move toward a new vision
Gimblett 1998), and Unpacking Culture
ment staff working in the basement
of the relationship between Western
(Phillips & Steiner 1999), to name just a
with inner-city school children (Tucker
observers and the people whose lives
few. In the same spirit, James Clifford soundly rejected the idea that culture was centered in circumscribed places, arguing that “displacement” should be their agenda with passion and determination, the obstacles were daunting and feelings of deep frustration, even among the most dedicated warriors, were unavoidable (see Lippard 1999). “Art Matters” (formed in the early 1980s) ran out of funds in 1996, but was reignited in 2007, and has again been supporting a broad range of artists who are pushing aesthetic and social boundaries, this time with a specific focus on communication and collaboration across national borders (Yenawine 1999).
108
12
11 While Stocking is generally considered anthropology’s foremost historian, Clifford is its equally preeminent critic. Part of his persuasiveness in arguing for a fragmentary, de-centered vision of the field is carried by a writing style he has characterized as “snapshots.” He “tips the balance” of dialectics, “struggles, never quite successfully” to free terms from past connotations, peppers his prose with “hesitations,” and offers “questions, not conclusions” – “approaching warily,” “wandering around,” “wondering if,” “peering into,” and “worrying about” ideas, and in the end “troubling” or “complicating” interpretations, carefully avoiding any claim to have arrived at final truths. 12 These seminars were published as Exhibiting Cultures in 1991 and Museums and Communities in 1992, with a third carrying on the momentum under the title Museum Frictions in 2006 (see Karp et al. 1991, 1992, 2006).
they were studying was taking on steam in the anthropological community, it should be noted that members of the discipline were far from unanimous. Recognizing the ostensibly inevitable 13 For a thoughtful piece about the complexities (and ironies) of attempts to return museum objects to their original owners, see Appiah 2006. The essays in Brown 2003 explore cases of material and immaterial property rights from the United States and other parts of the world, making clear the thorny trade-offs involved in cultural property legislation.
"Recognizing the ostensibly inevitable demise of anthropology-as-usual in a “decentered, fragmented, compressed, flexible, refractive, post-modern world,” some anthropologists reacted by launching vehemently anti-postmodern attempts to “recapture anthropology’s authority,” thus saving it from what they saw as the “fuzzy populism and reverse snobbery” of the postmodernists." demise of anthropology-as-usual in a
to get on with their business, or whether
palpable in the larger society, and the
“decentered, fragmented, compressed,
they will continue their destructive social
media were quick to respond. Between
flexible, refractive, post-modern world,”
practices until the discipline collapses into
1990 and 1993 National Public Radio,
some anthropologists reacted by
the tiny warring camps of its subfields.
in cooperation with the Mexican
launching vehemently anti-postmodern
Others may envision an entirely new direc-
Museum of San Francisco, sponsored a
attempts to “recapture anthropology’s
tion for our unique discipline amid the
series of lavishly-supported meetings of
authority,” thus saving it from what
worldwide demographic shifts that we and
what it was calling the “Working Group
they saw as the “fuzzy populism and
our students will be facing in our research,
on a New American Sensibility,” aimed
reverse snobbery” of the postmodern-
our writing, and our very lives. What are
at broadening radio programming to
ists (see Fox 1991:1-16). A tipping point
our human and anthropological futures?
include voices from every segment of
came when anthropologists Barbara
(1995)
the country’s increasingly multicultural
and Dennis Tedlock, researchers in the
population. Prominent members of the
verbal and visual arts, became editors
The journal’s format was enlarged to
whole range of African American, Native
of the discipline’s flagship journal, the
allow for the inclusion of visual materi-
American, Asian American, Caribbean
American Anthropologist. Their opening
als, and the content shifted perceptibly
American, and Chicano communi-
editorial called for “new forms of field
toward essays that included more on
ties, joined by a token White minority,
research and new forms of representa-
the arts and literature, with a concomi-
met to hash out ideas about ways to
tion,” and addressed the debate within
tant decrease in “hard science.” All this
integrate their fellows more fully in
anthropology head-on.
caused outrage among anthropologists
American media – radio and beyond.14
working in more traditional “scientific”
At the same time, the format of televi-
In the work of our younger colleagues,
modes, from componential analysis to
sion news coverage sheered away from
especially, we see more and more signs
ethnoscience, who nearly came to blows
centralized one-man authorities – best
that the traditional architecture of the
with the “postmodernists” during a fiery
epitomized (until 1980) by Walter
discipline is obsolete. We hope they will
confrontation in the plenary meeting of
Cronkite – and began recounting events
have the courage to ignore the cries of
the American Anthropological Associa-
more frequently through a patchwork
those who say they are not doing “real”
tion of 1995. At the same time,
of ethnically, culturally, and regionally
this or “real” that, and carry on with the
the Tedlocks received anonymous death
diverse voices.
work of remodeling our discipline. ... Some
threats.
may even try to predict whether anthropologists will stop their gatekeeping, name
Meanwhile, empathetic attention to the
calling, and rumor mongering in time
country’s rising multiculturalism was
109
14 This initiative was organized by Peter Pennekamp (Vice President for Cultural Programming, NPR) and Virginia Fields (Los Angeles County Museum of Art). Participants included: Marie Acosta-Colon, Henry Louis Gates Jr., Suzan Harjo, Steven Lavine, Lawrence Levine, Mari Matsuda, Raymund Paredes, Richard Price, Sally Price, Bernice Johnson Reagon, Jack (John Kuo Wei) Tchen, Trinh Minh-ha, Marta Vega, Jim West, and Tomás Ybarra-Frausto.
ART TALK These interlocking developments in
definers and the defined” (1987:190).
and the environment are up against
national, cultural, and academic poli-
The embrace of new voices has been
formidable and intransigent opponents.
tics (whether seen as “postcolonial,”
particularly game-changing for public
(We don’t need to go as far as the Arab
“postmodern,” “counter-hegemonic,”
culture, for art history, for anthropology,
world to understand the potentially
“reflexive,” or some other characteriza-
and for museums, as the people whose
destructive consequences for culture
tion) have fueled dialogues on every
lives they represent, whether in books
of a coalescence of religious fervor
aspect of life in the United States, from
or buildings, have begun to speak more
and political power.) Inevitably, and at
(for example) university admissions,
frequently for themselves. Individuals
unforeseeable moments, these kinds of
welfare programs, immigration laws,
once anonymized into generic repre-
leanings in national politics cast their
and gay rights legislation to the three
sentatives of their respective cultures
shadow on the art world and museums,
domains (art, anthropology, museums)
are now being named. Global travel,
thrusting a bundle of religious, legal,
that have formed the focus of this essay.
educational opportunities, identitarian
and art critical arguments into public
In an academic context, this has meant
politics, immigration patterns, and new
debate.17
the demise (or at least partial abandon-
technologies for communication have
ment) of an earlier tendency to view art
created a world in which the people
Although this essay has focused exclu-
history (and art criticism) as the pristine,
whose lives are featured in ethnographic
sively on the United States, it’s worth
apolitical study of aesthetic forms, and
museum exhibits are increasingly well
noting that other parts of the world have
anthropology as the equally pristine,
positioned to explain their history, their
been experiencing many of the same
apolitical study of cultural isolates. But
cultural practices, their artistic traditions,
debates concerning museum handling
the developments in question have
and more in their own way, without
of cultural difference. I conclude this
roots quite separate from the halls of
always passing through the intervention
essay with very brief remarks on a few of
academia in which these disciplines
of Western interlocutors. In much of the
the museums environments with which
are molded and passed on to new
U.S. museum world, they now partici-
I’ve had at least passing contact to give
generations. It’s safe to generalize that
pate in decision making of all kinds,
some sense of the variety of forms this
developments in both the United States
from modes of exhibition and the sub-
can take.18
and the global arena mean that the priv-
stance of interpretation to acquisition
ilege once enjoyed by Euro-Americans
policies and debates about repatriation.
Canada has been even more pro-active
as spokespeople for distant cultures has
None of which is to say that the glass
than the United States in terms of
been diluted. As a result, the museum
is more than half full in terms of the
giving voice to its native populations.19
world has experienced a (partial)
relationship of art, anthropology, and
breakdown in the divide that Gerardo
cultural difference in the United States.
report, “Turning the page – forcing new
Mosquera pointed to between “curated
Since 2009, “Tea Party” politics have
partnerships between museums and
cultures” and “curating cultures”
emboldened and empowered grow-
First Peoples,” collaborative research
(1994:135). In anthropology, the once-
ing numbers of fundamentalist (often
and indigenous curatorship (some
clear separation between the home
evangelical) conservatives, with the
populations of “the ethnographers and
result that people who do not share
the ethnographized” (Marcel Maget,
their views of everything from education
cited in Sherman 2011:24) no longer
and sexuality to health care, gun control,
holds as clearly as it once did. And more generally we can talk of an incipient blurring of the distinction between what novelist Toni Morrison ironized as “the
110
15
Prompted partly by a 1992 task force 16
15 As one commentator put it in 1994, “Anonymous has a Name” (Walker 1994). 16 As Ruth Phillips notes: “To identify oneself as an art historian of ‘tribal’ art is even now considered an oxymoron by many ‘mainstream’ art historians” (2011:107).
17 In 1999, the mayor of New York tried to close the Brooklyn Museum of Art because he took one of the artworks on exhibit as blasphemous to his Catholic faith. See Rothfield 2001 for an excellent collection of reflections on this highly mediatized case. 18 My thanks to colleagues who provided help with the final paragraphs of this paper: Ivan Bargna, Olivia Gomes da Cunha, Marc-Olivier Gonseth, Guido Gryseels, Lotten Gustafsson Reinius, Clare Harris, Paola Ivanov, Maria Camilla De Palma, Giovanna da Passano, and Solen Roth. See also the recent overview of European ethnographic museums by Clare Harris and Michael O’Hanlon (2013). 19 For discussion of the situation in Canada by two key participants, see Ames 1992 and Phillips 2011.
of it concentrated in an “Aboriginal
addressed homelessness,
essay, opening up and fueling crucial
Curatorial Collective”) have been on the
the distribution of water supplies,
debates on every aspect of visions of
rise. Increasing numbers of exhibits are
the position of women, health,
cultural difference.20
addressing contemporary (including
rural development, the rise of new urban
urban) Aboriginal life. In addition,
cultures, and various dimensions of
In England, the venerable Pitt Rivers
the Native American Art Association
popular culture, all of which has moved
Museum has mounted an active “artist-
(founded in 1981) reflects growing
the institution’s identity very far away
in-residence” program and is making a
emphasis on interdisciplinary dialogue
from its origins as a late nineteenth-
special effort to include contemporary
between art history, museum studies,
century colonial museum.
materials that contest the authenticity/
indigenous studies, and anthropology.
traditionalism modes of past exhibits. It
In Brazil, the Instituto Brasileiro de
In Sweden, Stockholm’s Museum of
has also inaugurated a research
Museus (IBRAM), created under Gilberto
Ethnography has been mounting
project that will return digital copies
Gil’s tenure as minister of culture (2003-
exhibitions focused on such issues as
of photographs currently housed in
2008), has worked to revitalize popular
Scandinavian participation in the Congo
Europe to their Australian Aboriginal
social groups interested in preserving
Free State, the presence of human
subjects’ descendants, providing a major
their own culture by offering govern-
remains in Swedish collections, and cur-
Indigenous heritage resource. And it has
ment support to a network of Pontos de
rent repatriation debates.
collaborated with the British Museum
Cultura – grass roots organizations from
on a project to put online over 6000
carnival groups and museums located in
In Belgium, the once-stodgy Royal
photographs taken in Tibet over a thirty-
favelas to a range of other local collec-
Museum of Central Africa in Tervuren is
year period, with user-friendly functions
tives. And mainstream museums have
actively redefining itself from a classical
that invite participation of various kinds
been experimenting with intercultural
colonial museum to a model of post-
from Tibetans (comments on the photos,
curating; São Paulo’s Museu de Arqueo-
colonial sensitivities, including critical
identification of individuals, etc.).
logia e Etnologia, for example, brought
attention to colonialism, the recruit-
Kayapo Indians (chosen by their com-
ment of African input, partnerships with
In Germany, collections of Berlin’s
munity) to the museum to collaborate
more than twenty countries in Africa,
Ethnological Museum are being readied
on the documentation of its collection,
and close collaboration with the African
for their new home in the Humboldt
which led to interesting insights about
diaspora in Belgium.
Forum which will in a few years be
the openness of cultural context to
housed in the re-erected Prussian palace
changes over time (Gordon & Silva 2005).
In Switzerland, the Ethnographic
in the city’s center. There, curators have
In the Netherlands, Amsterdam’s
Museum of Neuchâtel has for decades
expressed their goal as a focus on the
Tropenmuseum has undergone a
been mounting innovative exhibitions
colonial past (including violence) and
fundamental reorientation, begun in the
that decenter anthropological authority
the history of the collections, as well
1960s, partly in response to an initiative
and interrogate the ethical, philosophi-
as a deconstruction of the concept of
by the Dutch Ministry of the Exterior
cal, and political foundations of field
“authenticity” and a rejection of the idea
to encourage social consciousness
collecting, art collecting, museum
of non-historical “traditional” cultures.
of problems such as poverty and
strategies, and more. The catalogues for
They also point to ongoing exchanges
discrimination. A major vehicle for its
a staggering parade of exhibitions, from
concerning human remains and
activist turn was the creation of “living
“Collections Passion” (1982) to “Le Musée
collaborative exhibition projects with
environments” for what it was calling
Cannibale (2003) and beyond, constitute
source communities.
“the South” (Africa, South America,
a veritable library of insightful reflections
Southeast Asia, etc.). Exhibitions have
on the issues addressed in the present
111
20 An introduction to the MEN’s publications, each of which includes essays from a large number of contributors, can be found at http://www.men.ch/expositions (accessed 20 February 2015).
ART TALK In Italy, the Luigi Pigorini museum
Sally Price has taught anthro-
Clifford, James. 1985. “Histories of the Tribal
in Rome has been encouraging various
pology and art history in the
and the Modern.” Art in America 73(4):164-177.
stakeholder communities to participate
United States, Brazil, and France.
actively in the conceptualization and
Her areas of specialization are
Clifford, James. 1988. The Predicament of
realization of exhibitions and organ-
African American art (in North
Culture: Twentieth-Century Ethnography,
izing international colloquia designed
America, South America, and the
Literature, and Art. Cambridge MA, Harvard
to explore cutting-edge thinking about
Caribbean), primitivism, muse-
University Press.
ethnographic museums. And the
ums, gender, and Maroons of
Castello d’Albertis Museum in Genoa
the Guianas. She is the author
Clifford, James. 1991. “The transit lounge of
has been inviting the participation of
or co-author of sixteen books,
culture” (review of The Imam and the Indian
American Indians (Hopi, Cree, Bororo) in
including a novel, Enigma Varia-
by Amitav Ghosh). Times Literary Supplement,
its permanent exhibitions, incorporating
tions, about a French art forger
Friday, May 03, pp. 7-8.
contemporary materials that challenge
in Guyane. For details, see her
traditional notions of authenticity,
site: www.richandsally.net.
mounting exhibitions focused on critical approaches to the colonial past, and encouraging collaboration between anthropologists and art historians. At the same time, efforts by museums like these to move beyond traditional “primitivizing” tendencies in their country’s museum world are facing a daunting uphill battle; as Giovanna da Passano makes clear in her evaluation of the state of Italian approaches to African art and culture (2010), many Italian museums are (like many of those in France ) still largely out of synch with 21
the kinds of developments in other parts of the world that have been the subject of this essay.
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This essay was originally published in Spanish as “Arte, Antropología y Museos: Orientaciones Post-Coloniales en los Estados Unidos” (Éndoxa: Series Filosóficas 33, 2014, pp. 143-164
21 See de l’Estoile 2007, Murphy 2009:14-15, and S. Price 2011. As recently as 2011, a catalogue published by the Quai Branly Museum depicted French colonialism as a largely generous effort to lift Africans out of a state of chaos and brutality (Leloup 2011:65). James Clifford holds out a tentative sliver of hope that “perhaps” France will eventually come around (2012:418-419).
112
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Starn, Orin. 2012. “Writing Culture at 25.” Cultural Anthropology 27(3):411-416. Stocking, George W. Jr. 1992. The Ethnographer’s Magic and Other Essays in the History of Anthropology. Madison, University of Wisconsin Press. Sturtevant, William C. 1959. “A Technique for Ethnographic Note-Taking.” American Anthropologist 61:677-678. Taussig, Michael T. 1987. Shamanism, Colonialism, and the Wild Man. Chicago, University of Chicago Press. Tedlock, Barbara & Dennis Tedlock. 1995. “From the Editors”, American Anthropologist 97: 8-9. Tucker, Marcia (ed.). 1992. Different Voices: A Social, Cultural, and Historical Framework for Change in the American Art Museum. New York, Association of Art Museum Directors. Walker, Roslyn Adele. 1994. “Anonymous has a Name”, in The Yoruba Artist: New Theoretical Perspectives on African Arts, Rowland Abiodun, Henry J. Drewal, & John Pemberton III (eds.). Washington DC, Smithsonian Institution Press, pp. 90-106.
114
Marcel Pinas, Libi_II. Courtesy of the artist
Marcel Pinas, A Ja Ude. Courtesy of the artist
115
PLACES
Réouverture du Musée National à Yaoundé Un boeing de 5000 mètres carrés
Propos recueillis par Martin Aguissa Photos: Scott Herbert Studio 360 Imaging
Début 2015, Le Musée National du Cameroun a réouvert ses portes en grande pompe à Yaoundé sous l’initiative de Ama Tutu Muna, la Ministre des Arts et de la Culture. C’est en 1988 que cette institution a vu le jour, quand le chef de l’Etat, Paul Biya décida de transformer l’ancien palais présidentiel en Musée National. Après un fonctionnement timide, le Musée ferma en 2008. Aujourd’hui, le Musée revit, transformé par cinq années de rénovation. Sa mission : « raconter notre histoire au monde » explique la Ministre Ama Tutu Muna, qui pense qu’il est essentiel de « savoir d’où nous venons pour savoir où nous allons ». Afrikadaa a visité le Musée et rencontré la directrice du patrimoine au Ministère des Arts et de la Culture, Marthe Medou.
116
collections du Musée National du Cameroun
Pouvez-vous nous présenter l’architecture du Musée ?
Quelle est la fonction du Musée National du Cameroun ?
Le Musée National est un édifice de type
Le Musée est un espace dédié à
colonial construit dans les années 30.
l’acquisition, conservation, préserva-
Ce bâtiment a été la résidence des gou-
tion et présentation des collections
verneurs français dont le commissaire
muséographiques. C’est un lieu de
Marchand, avant de devenir en 1960,
mémoire et le symbole de l’histoire et
lors de l’Indépendance du Cameroun,
de la culture du Cameroun, patrimoine
la résidence officielle du premier prési-
dont chaque camerounais doit être fier.
dent de la République du Cameroun,
Le Musée National véhicule l’amour de
Amadou Ahidjo. C’est à ce moment que
la patrie. Un décret du Premier Ministre
le bâtiment principal a été agrandi et
datant du 30 avril 2014 précise que le
deux ailes latérales ont été construites.
Musée National doit concilier éduca-
Aujourd’hui, le Musée National s’étend
tion, recherche et formation et favoriser
sur plus de 5000 m2 et comprend
la connaissance des cultures camer-
également des jardins et une esplanade
ounaises. C’est un véritable écrin de
de près de 1500 m2. C’est un édifice
l’histoire.
unique et majestueux, lieu idéal pour représenter la diversité et la richesse de
Quelles sont les collections du Musée ?
la culture camerounaise. Les collections sont présentées à la fois
117
dans les salles d’expositions et dans le jardin du Musée et abordent plus d’une vingtaine de thématiques. Le visiteur découvre des objets d’art et des pièces d’artisanat traditionnels tels que les instruments de musique anciens, les vêtements et costumes traditionnels, ainsi que des œuvres artistiques plus contemporaines. Une aile du musée est consacrée à des archives photographiques qui retracent l’histoire du Cameroun, Une exposition y présente les symboles de l’Etat, une autre intitulée « Pouvoirs et Sociétés » témoigne de la cohabitation pacifique entre les pouvoirs moderne et traditionnel. Le Musée offre également a voir des vestiges archéologiques, dont certains remontent plus de 50 000 ans avant JésusChrist et qui retracent l’histoire du pays. Nous mettons en valeur les différentes fouilles archéologiques telle que celle
conduite le long du pipeline Tchad – Cameroun entre 2000 et 2004. Nous tenons à valoriser l’archéologie, domaine méconnu mais porteur de croissance.
Comment favorisez-vous l’accès du grand public au Musée ? La Ministre des Arts et de la Culture a organisé des journées portes ouvertes en novembre dernier, lors de la commémoration de l’accession à la présidence de Paul Biya. Pendant un mois entier, les Camerounais sont venus nombreux visiter le Musée. Depuis l’ouverture officielle en janvier dernier, des tarifs d’entrée adaptés ont été mis en vigueur afin que tout le monde ait accès au Musée. Les jeunes, étudiants et groupes scolaires bénéficient notamment de tarifs avantageux. Ils sont venus en nombre lors de la Fête de la Jeunesse.
Qu’est ce qui est envisagé pour susciter l’intérêt chez les enfants ? Le Musée National est destiné à tous les Camerounais sans exception. On dit que le Cameroun, c’est l’Afrique en miniature, et c’est ce que le Musée veut transmettre. Il est important que les enfants acquièrent la culture d’aller au Musée et prennent conscience de leur culture. C’est la raison pour laquelle Ama Tutu Muna tient à souligner la richesse immatérielle des collections et des objets d’art. C’est dans cet esprit que nous avons comme projet la mise en place d’un « village patrimonial » qui ferait vivre le savoir-faire traditionnel à travers des contes, des proverbes.
Rencontre avec Lydienne Billong, Guide au Musée National : Vous travaillez au Musée National du Cameroun en tant que guide. Peut avoir une idée sur la formation reçue ? Nous sommes tous des passionnés d’art et d’histoire et nous avons un parcours personnel solide dans ces domaines. J’ai étudié les civilisations africaines. Certains de mes collègues ont des diplômes en histoire ou archéologie par exemple. Par la suite, afin de devenir guide du Musée National, nous avons suivi une formation spécifique et rig-
Oui, mais ce n’est qu’un début. Nous souhaitons accueillir encore plus de monde, des Camerounais comme des étrangers. C’est un plaisir de pouvoir échanger avec ses frères, comme avec ceux venus de plus loin, et d’expliquer qui nous sommes et de montrer les quatre aires géoculturelles du Cameroun. J’aime comparer le Musée National à un aéroport. Et dans cet aéroport il y a un Boeing qui mesure 5000 m2, je vous invite tous à venir savourer ce voyage en passant de la savane, la forêt équatoriale à la plaine côtière et montagnes des grassfields.
oureuse de deux ans. Nous avons eu la chance d’avoir comme enseignants les professeurs Pondi, Mboua et Joseph Adandé. C’est une chance parce que nous avons touché du doigt ce qu’est l’histoire, la géographie, la civilisation et la culture de notre pays.
Que représente pour vous le Musée National ? Le Musée National est un symbole fort qui m’évoque un grenier. Chez moi, au village, le grenier est cet endroit riche qui abrite toujours quelque chose quand le reste de la maison est vide. C’est cet esprit qui préserve notre culture. Un endroit qui promeut, qui préserve, qui éduque, qui unit, qui enseigne l’amour de la patrie. C’est Paul Biya qui avait dit que la culture c’est le ciment de l’unité. L’importance du Musée National est d’autant plus symbolique.
Etes-vous satisfaite de la fréquentation du musée par le grand public ?
Collections du Musée National du Cameroun Page de droite de haut en bas : - Collections du Musée National du Cameroun - Façade principale du musée
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119
CONCEPT
Ethno-graphies
Dialogue entre Martine Bouchier et Myriam Dao Martine Bouchier et Myriam Dao participent toutes deux au séminaire de l’EHESS Mésologiques (science des milieux humains), d’Augustin Berque, géographe et philosophe concepteur de la notion de « trajection » - un trajet entre objet et sujet visant le dépassement du dualisme. Myriam Dao y a présenté ses travaux réalisés pendant et après sa résidence Villa Medicis hors les murs dans le Yunnan, chez les Hani, tandis que Martine Bouchier y proposait « Le milieu comme ressource pour l’art, ou l’art comme expérience du milieu ». Ce dialogue met en évidence les points de convergence de leurs deux axes de recherche. Martine : Quand tu es allée en Chine,
Myriam : Le dessin permet aussi
évacuation et la remet en place ensuite
chez les riziculteurs hani, qu’as-tu fait à
l’échange. Le carnet de croquis est un
comme un bouchon. J’ai dessiné aussi
ton arrivée dans le village ?
outil de dialogue, là où l’appareil photo
les rizières avec la terre ocre, sanguine,
met de la distance. Regarder un dessin
qui les constituait.
Myriam : Je suis allée voir les rizières en
ensemble permet une communication,
terrasses. Au départ, j’étais comme un
en l’absence de langue commune, les
Martine : Le dessin est un outil
cheval fou, sans la pesante surveillance
gens du village mettaient des mots sur
pour l’architecte. C’est une façon de
de l’Institut d’Architecture que j’ai eue
chacun de mes dessins.
s’approprier le réel, de le transcrire, de
au début du séjour. J’avais besoin de
l’abstraire. Contrairement à la photogra-
parcourir le territoire, d’en prendre la
Martine : Tu as commencé par dessiner
phie, le dessin ne livre pas tout : il y a une
mesure, d’arpenter les rizières au sens
les rizières ?
sélection dans l’image dessinée, on ne
littéral, juste heureuse d’être là. Le des-
dessine que certains aspects : on peut se
sin est venu après, il correspondait à un
Myriam : Les croquis d’architecture
focaliser véritablement sur les formes ou
changement de temporalité.
sont venus de façon un peu automa-
uniquement sur la lumière et les ombres,
tique, puis je suis rentrée dans le vif du
on peut choisir d’isoler un élément
Martine : Le dessin demande au dessi-
sujet, les rizières. Au lieu de dessiner
parmi la multitude de possibilité qui
nateur d’être apaisé et de pratiquer la
le paysage, je me suis focalisée sur des
s’offre au regard. Mais comment passe-
lenteur, de flâner aussi... c’est la condi-
détails, à l’échelle humaine, toutes ces
t-on de l’architecture à l’ethnographie ?
tion préalable à l’expérience esthétique.
petites pierres qui contrôlent les flux, les
Qu’est-ce que l’artiste en ethnographe
Tu as donc pris le temps d’une pose, de
écluses. L’homme prend la pierre et la
pour reprendre cette idée à Hal Foster ?
t’approprier le lieu par la longue obser-
pose devant le canal d’irrigation, comme
vation.
un écran, ou bien il coupe une motte
Myriam : Il s’agit plus de l’ethnographe
de terre à la machette pour créer une
en artiste. J’étais architecte, j’ai emprunté
120
les outils de l’ethnographe, puis ceux
Ce bijou n’est mentionné dans aucune
Rencontres d’Arles en 2002, un réemploi
de l’ethnologue. Là, j’ai senti une limite,
étude, aucun livre ne le présente. J’ai eu
du vernaculaire dans la photographie
que seul l’art me permettait de franchir,
une grande chance de le voir.
contemporaine – la photographie dite
et je suis devenue artiste. Dessiner c’est
« de famille », et l’archive qu’elle con-
cadrer, avoir un point de vue ; dès lors
Martine : Comment rendre la méthode
stitue - le phénomène est le même avec
que tu dessines dans un carnet, tu choi-
poreuse à des « affects », comment
l’architecture vernaculaire qui inspire à
sis nécessairement un angle de vue. Il
inclure l’expérience vécue, par quels
nouveau les architectes.
m’a fallu d’abord prendre mes distances
moyens restituer cette expérience ?
avec l’architecture, parce que l’architecte a, comme l’ethnologue, un regard qui
Martine : Tu as été happée littéralement
“LE GESTE DE TRACER DES
par le « milieu », tu l’as expérimenté,
ment. Or, chez les Hani, les lieux sont
TRAITS, COMME DES LIENS,
les contrôler. La posture du dessina-
investis par les esprits.
C’EST DÉJÀ ALLER VERS
teur favorise cet état d’ouverture. Pour
L’AUTRE“
abolis la distance, tu oublies pendant un
objective les choses, les lieux notam-
Martine : D’une part, l’architecte concrétise en effet le réel par un système
tu as laissé les choses venir à toi, sans
dessiner tu te rends poreux et fluide, tu moment ton système de protection qui
graphique extrêmement convention-
Myriam : En séjournant chez les Hani
est automatique lorsque l’on est dans un
nel, il laisse peu de marge de création
pendant six mois, en « immersion »,
milieu étranger…
d’un langage graphique original ; les
je ne pouvais pas garder une position
études d’architecture sont un système
« extérieure ». Georges Condominas, lui,
Myriam : Le geste de tracer des traits,
qui emmène vers une forme de pensée
parle d’empathie. Il questionne son désir
comme des liens, c’est déjà aller vers
projective, la pensée par le projet, avec
de s’intégrer à la culture des montag-
l’autre. Les femmes m’ont vu dessiner,
l’enchaînement de phases particulières ;
nards du Centre-Vietnam à la lumière
puis m’ont ouvert leurs portes et je les
cette structure est contraignante, elle est
de ses propres origines (française et
ai vues tisser, broder. En un sens, nous
anti artistique car les règles sont don-
portugo-sinovietnamienne). « Comment
avons échangé des gestes, une expéri-
nées au départ. Comment intégrer l’art
peut-on être métis ? » écrit-il1. Il avait
ence. Les regarder fabriquer a orienté
dans la pratique architecturale qui va du
même projeté de consacrer une étude
mes pistes, je me suis un peu écartée
terrain ou du concept au dessin ? Quels
ethnologique aux métis, dont chacun
de mon sujet sur les rizières. Elles ont
sont les moments dans le processus
est en quelque sorte une petite minorité
guidé ma main vers d’autres dessins, des
de projet qui laisseraient à la pratique
ethnique. Comme il l’avait fait à Sar
portraits d’elles, les vêtements, le tissu,
du dessin une possibilité d’infléchir la
Luk, j’ai tissé des liens avec la famille
la broderie. Petit à petit, ils ont révélé
trajectoire du projet ?
d’accueil, les Lu, et au moment de partir,
une symbolique et une cosmogonie, la
ils ont souhaité que je les photographie.
« cosmophanie » dont parle Augustin
Myriam : On retrouve d’ailleurs cette
Ce fut un grand moment de rassemble-
Berque.2
« grille » chez les ethnologues, la même
ment pour laisser une trace aux enfants
similitude dans le vocabulaire, on parle
et petits-enfants. Lorsque à leur tour ils
Martine : Le dessin est un vecteur qui
de « terrain ». Une méthodologie qui
m’ont photographiée, il n’y avait plus de
ne permet pas seulement la représen-
peut freiner l’intuition. On ne part pas
distance, il y avait même un renverse-
tation, il met le dessinateur dans une
vierge de méthodes, il faut lâcher prise
ment. Auteur, artiste, sujet, objet, tous
position de proximité, d’ouverture,
pour faire advenir des rencontres, des
ces statuts ont alors explosé. Le statut de
d’imprégnation du milieu. Le dessina-
découvertes. Comme celle du bijou cos-
l’auteur, et celui des images, a changé.
teur attise la curiosité, il attire autour de
mogonique que j’ai faite, le « bararama ».
Aujourd’hui on constate depuis les
lui les gens qui se trouvent là, le dessina-
121
CONCEPT teur est captivé et captif, cette fonction
En tous les cas, c’est une position
- ici, dans ce montage où j’ai remplacé
du dessin est donc très sociale car elle
d’équilibre.
ma tête par celle de Claude Lévi-Strauss.
ouvre à la communication.
Les images de la guerre du Vietnam ont Martine : Ces chemins, ces portes - tes
marqué mon travail, des images con-
“LE PASSAGE DE L’AUTRE CÔTÉ,
études d’architecture – t’ont permis de
struites, manichéennes, comme celle de
rencontrer Georges Condominas et de
« l’Amérique bombardant une fillette, ou
LE « TRANS », LA LIMITE. IL
travailler par la suite avec des ethno-
encore, des sud-viêtnamiens tuent des
S’AGIT EN FAIT DE TA PROPRE
logues en Chine. On arrive à un point où
Viêt-cong »…
GLOBALISATION“
en même temps on voit très bien dans
Martine : En somme, ces photos mon-
ton travail une limite que tu cherches
trent un monde binaire. Est-ce l’objet de
Myriam : C’est un langage qui m’est
à dépasser. Tu te places toi-même
ton travail, le binaire ?
nécessaire pour ne plus être étrangère.
dans des situations particulières, à des
Les diptyques, les analogies...Est-ce que
Car dans ce village hani, l’autre, c’est
époques différentes, dans des contex-
tu penses que c’est typiquement le fait
moi au départ. Georges Condominas,
tes différents. C’est comme s’il y avait
des artistes qui interrogent les situations
dont l’exposition « Nous avons mangé
la recherche d’un endroit. La recherche
post coloniales ? Est-ce que cette inter-
la forêt » a fait l’ouverture du Musée du
de cet endroit semble se faire lorsque
rogation est fondamentalement une
quai Branly, avait une conception de
tu es dans un village ancestral avec une
recherche de tes origines, de ta situation
l’ethnologie tout à fait nouvelle, il met-
famille hani, dont tu serais une descend-
de métisse, de ta position entre deux
tait l’accent sur la nécessité de parler la
ante, ici, dans cette photo, à côté d’une
cultures, ton être même, ontologique ?
même langue, sur l’expérience vécue du
personne qui pourrait très bien être
terrain, à une époque où la plupart des
ta cousine ou ta sœur. Tu fais aussi des
Myriam : Oui tout à fait, quand je lis
chercheurs se contentaient d’envoyer
montages, où tu passes à l’intérieur de
Fanon, « Peau noire, masques blancs »,
des informateurs et étaient plus occu-
l’image, tu effectues un passage dans
j’ai l’impression de me retrouver.
pés à théoriser. Comme beaucoup
l’histoire. La photographie et le montage
Lorsqu’il écrit « mon apparaître », c’est
d’ethnologues il dessinait, et a été le
font-ils partie de cette ethnographie, ou
plus que l’apparence, c’est l’apparence,
premier à inscrire le nom des personnes
plutôt de ton « processus de vietnamisa-
l’être, dans le sens « être-pour-autrui ».
qu’il photographiait, là où les clichés
tion », de redécouverte d’une identité ?
La façon dont les gens me perçoivent
on voit une limite entre l’art et la science,
entre dans la composition de ma pro-
anthropologiques ne les nommaient pas, mais mentionnaient seulement leur
Myriam : Tu as prononcé ce mot qui
pre personnalité. J’ai cru que c’était une
appartenance à un groupe. Pendant
résume tout : le passage, le TRANS :
quête d’identité, mais aujourd’hui je vois
mes études d’architecture j’ai rencontré
je cherche cet endroit « entre ». J’ai
que c’est de l’ordre du politique, je dois
Pierre Clément, architecte-ethnologue,
tenté de faire mes propres construc-
me définir avant d’être déterminée par la
lui-même élève de Georges Condominas
tions. I look like/I feel like , ce montage
société. Pour moi qui avais une mère du
que je suis allée voir en 1988. Il a regardé
photographique marque mon premier
côté du colonisateur et un père du côté
mes croquis sur l’architecture vernacu-
périple en Asie, comme architecte-
du colonisé, c’est complexe.
laire de bambou du Yunnan. Notre
ethnographe, où je faisais des relevés
métissage nous a d’emblée rapprochés.
d’architecture. « I look like » : mes traits
Martine : Se positionner. Le passage de
ressemblent à ceux de ma voisine thaï.
l’autre côté, le « trans », la limite.
Pour moi, être métis nous exclut à jamais
« I feel like » : je voulais donner à voir le
Il s’agit en fait de ta propre globalisa-
des sociétés traditionnelles, ou bien
décalage entre l’image que les autres
tion, de l’ouverture de ton territoire, de
nous les rend plus proches, c’est selon.
ont de moi et celle que j’ai de moi-même
l’élargissement de ton monde.
3
122
Notes 1 L’exotique est quotidien, commence par une longue réflexion autobiographique sur cette origine métissée. Georges Condominas, L’Exotique est quotidien. Sar Luk, Vietnam central, Paris, Plon, « Terre humaine », 1965 (rééd. 2006) 2 « L’apparaître-monde d’un certain environnement ». Augustin Berque « Cosmophanie ou paysage », dans Dominique GUILLAUD, Maorie SEYSSET, Annie WALTER (dir.) Le Voyage inachevé… À Joël BONNEMAISON, Paris, 1998, p. 741-744. 3. Dao, Myriam, ‘Bamboo’ and ‘Hani’, in Encyclopedia of Vernacular Architecture of the World: Volumn 1 Theories and Principles, ed. by Paul Oliver (Cambridge: Cambridge University press, 1997), pp. 222-3 ; 2nd ed. (Bloomsbury: 2018)
Martine Bouchier est professeure d’esthétique et d’architecture à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Paris - Val de Seine, architecte, docteure
Sans titre, Myriam Dao – 1995. © Courtesy de l’artiste.
en art et sciences de l’art (Sorbonne 2001), HDR d’esthétique (EHESS 2011) - Chercheur au CRH/LAVUE (UMR CNRS 7218) où elle dirige le domaine de recherche « Territoires esthétiques » - Elle a publié “L’art n’est pas l’architecture, hiérarchie, fusion, destruction”, Paris, Archibooks (2006) et « 10 clés pour s’ouvrir à l’architecture », Archibooks, 2010. www.territoiresthetiques.com
Sans titre, Myriam Dao - 1987. © Courtesy de l’artiste.
123
CONCEPT
Ali, Myriam Dao – 1995. © Courtesy de l’artiste.
124
I look like/I feel like, Myriam Dao – 2011. © Courtesy de l’artiste.
Riken no ken, Myriam Dao – 2011. © Courtesy de l’artiste.
125
126
Survolé, les pages de toutes nos colonies (...) Bonjour Julien,
processus. Et certainement un proces-
observé, depuis les années 1990, deux
sus fortement remis en questions par
phénomènes. Ces deux phénomènes,
J’ai pensé à toi pour une contribution
la fin des ères coloniales, mais aussi
la critique anglo-saxonne les a nommé
au prochain numéro de la revue Afri-
par la mondialisation et les nouvelles
“documentary turn” et “archival turn” : la
kadaa. La revue est publiée en ligne et
modalités d’approche de l’autre, de
rupture traditionnelle entre documen-
chaque numéro possède une théma-
la différence : il n’y a plus réellement,
taire et “art” a cessé d’être et les archives
tique — vaste — qui agit comme un fil
par exemple, d’expéditions, enfin, il y
sont devenues un matériau artistique
conducteur entre les différents articles.
a des documentaires à la télévision…
à part entière. Cela a pris forme dans
Pour le prochain numéro, c’est “Anthro-
Mais tout de même. Cela ne fait pas si
le film d’artiste et l’art vidéo, dans
pologismes”. J’imagine que l’équipe a
longtemps que l’anthropologie a ajouté
l’installation aussi. C’est certainement
choisi ce néologisme pour évoquer le
à ses objets d’études les sociétés dites
un acquis, mais tout de même, il faut
tournant anthropologique que connaît
modernes et non plus uniquement les
encore y réfléchir. Ces deux tournants,
actuellement et depuis quelques années
sociétés dites traditionnelles. Le champ
bien sûr, ont entraîné dans leurs sillages
l’art contemporain, pour y réfléchir :
de l’anthropologie paraît certainement
des modifications de la définition de la
s’agit-il d’une critique, d’une évolution,
plus libre, plus ouvert, plus fragile aussi ;
position de l’artiste, ce qui s’est traduit
d’une remise en question ou d’une
qui l’investit alors ? Et puis il y a toutes
généralement par l’expression “the artist
appropriation de l’anthropologie tradi-
ces formes : réécritures, reenactment,
as...” (par exemple “the artist as ethnog-
tionnelle (ou des images et imaginaires
(ré)appropriation. Avec l’anthropologie,
rapher”), parce que, même si cela est
de cette anthropologie) ? Pourquoi et
on ne doit pas oublier l’ethnologie, peut-
« autorisé », il faut encore que la langue
comment retrouve t-on cette esthétique
être la science qui consiste à comparer
l’admette.
anthropologique chez les artistes con-
ces aspects et faits spécifiquement
Lorsque je suis venue à l’atelier, j’ai eu
temporains ?
humains entre des hommes de zones
le sentiment que ton travail empruntait
J’ai réfléchi à ce que le terme « anthro-
géographiques différentes et à analyser
aux méthodologies, mais aussi surtout
pologie » évoquait pour moi : l’étude
ainsi les différences entre ces aspects et
à l’esthétique qu’on retrouve dans les
de tous les aspects et faits spécifique-
faits, et l’ethnographie, qui recueille des
pratiques liées à ces deux tournants
ment humains rendue possible par
éléments sur le terrain pour participer au
et qui y font suite : la juxtaposition
l’acte — mental — de les séparer, de
processus.
d’objets, l’agencement d’artefacts qui
commencer par les isoler les uns des
Mais alors que serait le tour-
pourraient avoir un statut d’archives,
autres avant de distinguer des relations,
nant anthropologique dans l’art
l’intermédialité comme moyen de (re)
des fonctionnements. Ce qui est déjà,
contemporain ? Quelque chose d’à peu
construire des continuités narratives. Je
quand on y réfléchit bien, un drôle de
près acquis par l’histoire de l’art qui a
me trompe peut-être et il faudrait qu’on
127
CONCEPT
en discute, j’imagine que ce sera une
travail. J’aime bien que tu appliques
court de présentation, on trouverait
chose à laquelle tu vas réagir. Évidem-
ces méthodologies, avec sérieux, pour
sur les pages de quoi rendre compte
ment, et c’est toujours l’aspect bizarre
recréer un monde qui existe et trouve
de la narration que tu recrées à partir
de mon travail, il est certain que tu ne
sa continuité narrative et émotionnelle
d’éléments distincts : sculpture, film,
vis pas ta production comme étant un
au-delà de plein de choses que l’on a
artefact, poème, chant. J’aimerais qu’on
point par rapport à la grande ligne que
déjà expliqué autrement. Sans un hérit-
pense à leur disposition sur la page,
dessine un « turn ». Enfin, peu importe.
age un peu moche de taxinomie, sans
à leur sens de lecture dans l’espace,
Ce que j’imagine pour la revue, c’est
comparaisons pleines d’implicite raciste,
surtout celui d’une revue en ligne : pour
une petite introduction que j’écrirais et
en étant triste mais pas trop, en rendant
que le lecteur expérimente directement
qui donnerait ces quelques éléments
visibles des mimétismes qui vont dans
ce que j’aurai tenté de raconter de mon
au lecteur puis évoquerait ton travail,
tous les sens, alors la lecture gagne en
expérience de ton travail. Il faudrait
et ce que j’aimerais en dire en rapport
plein de choses, mais surtout en humour
qu’on choisisse ensemble ces éléments ;
à cette question de l’anthropologie, de
(et ça c’est bien parce que c’est rare).
les rassembler, et puis songer aux indica-
l’appropriation de l’anthropologie par les
Aussi, j’aime beaucoup Glissant, et j’ai
tions à donner au graphiste pour leur
artistes.
toujours envie de dire que, contre tout
agencement.
J’ai pensé à la vidéo que tu nous a
ce qui sépare (Histoire, science, politique
montrée, celle qui juxtapose un clip de
et mots) en réalité il y a de la créolisa-
Madonna et tes mains avec les motifs
tion, qui va contre, contre la possibilité
au henné. Elle m’a laissé une sensa-
de séparer et que les bons artistes sont
tion durable : j’ai trouvé la forme très
toujours les meilleurs à créoliser. Je crois
astucieuse et le résultat vraiment effi-
que c’est pour cela que j’aime beaucoup
cace, et beau. Ce genre de juxtaposition
tous ces effets avec les écrans, les images
— ce n’est pas la seule dans ton travail
sur les écrans, les vitres et les reflets,
— j’aime bien y voir une méthodologie :
que je n’ai pas toujours réussi à décor-
la comparaison, amusée mais un peu
tiquer (et c’est bien), comme le navire
grave aussi, de deux faits humains. Ici
— l’image du navire sur le rhodoïd —
danser avec certains avatars physiques
qui tangue sur la vitre et que tu filmes
spécifiques : être une princesse berbère.
(et après j’ai lu que c’était le hublot d’un
À Fez, dans le clip et à Paris. Ici, là-bas
avion), et qui donne une très belle forme
et ici. Sans trop de distinctions tempo-
à cette idée.
relles. Voilà ce que j’aimerais dire de ton
Donc, si tu es d’accord, après mon texte
128
À bientôt. Eva Barois De Caevel
129
CONCEPT
J’avais feuilleté ces vieux papiers, survolé, d’un œil rapace, les pages de toutes nos colonies, l’Empire de Fez, le Maroc du Nord, le paradis des Antilles françaises... Bagne à âme. Sur les lignes de la main en mouvement, se lit une carte, le relief de toutes les montagnes de l’Anti-Atlas. Elle et lui dansent, foulent la piste, froissent la mappemonde, pour en faire une sphère, une ronde ondulante. L’Alfa au milieu du désert. Je voulais faire comme eux, les hommes et les femmes des pays chleuhs, mettre des coups de pieds dans la poussière, la faire voler en l’air, je voulais bouger des épaules, pour vivre cette danse guerrière. Je suis probablement le seul, dans la rame silencieuse, du RER, la femme au voile, s’accroche à la barre, belle, berbère, tu te souviens de l’invasion des vandales, avant les Romains avant l’islam. Dans la magie de la banlieue, les yeux fermés, elle chante ces louanges, près de son cabas fardeau. J’ai peur qu’elle me voit dans les reflets de la vitre, par procuration, il y a longtemps que je la fixe, que je suis ces tatouages le long de son nez cassé. J’aurais aimé lui faire face, être un brin de pigment, le piment au bout de l’aiguille, l’encre, sur son visage. J’aurais voulu connaître l’histoire millénaire qu’elle porte. Comment les minerais sont devenus une monnaie, comment Mahomet est arrivé à Paris, près de la Vierge à l’Enfant. Il y a trop de peinture pour savoir qui dit vrai. J’étais un des témoins, j’ai vu ce nouveauné qui se faisait corriger. Une décence surréaliste. Elle est descendue fatiguée à la gare de Noisy-le-Sec, dans les escaliers je lui ai porté ses courses. Secousses soukous secousses sociales, grésille mes écouteurs, je me suis coupé du monde, j’ai eu peur des tremblements de terre, des coupes budgétaires. Au marché. Les yeux serpent me vendent du couscous. Son téléphone reste accroché à son voile, ces mains sont luisantes contrastent avec son tablier en plastique huile. Dans ces mains, fleurs de henné, je lui pose mes piécettes cuivre et argent, mes malheureux euros. Vendredi, elle était près de la mairie, toute sa famille, sa communauté en joie, elle poussait son identité dans son cri de l’Oueb, balançait du riz, sur sa nièce. Joliment orné. La caravane de Ford Mustangs, a remplacé les dromadaires, hier soir, on les a entendu dans toute la cité. J’ai revu Kenza, avec sa petite dernière, Madonna était en boule, blottie contre son ventre pris dans les plis du tissu wax attaché à son dos. Ma mère est venue de Martinique, je lui avais demandé de me faire un trempage de morue pour mon anniversaire, je voulais manger avec les mains, à la télé, on parlait tout le temps de l’épidémie d’Ebola. Je voulais que l’on se rapproche, que l’on touche d’une main le même plat. Ne sachant pas faire ce met, ma mère nous préparé un macadam, que l’on a mangé comme le mafé. Je voulais que l’on partage une même histoire, la même que l’image, coupée en trois morceaux. Un détail, une main prête à toucher un régime de banane, une main portant un tubercule plein de terre, des pieds nus près des pattes d’un âne. Rituel. Je voulais danser comme elle, faire des tours avec mon bassin, je voulais agiter mes mains, pour jouer avec les ombres, l’opacité de ce monde. Je voulais faire des gestes de grâce, des vagues de break. Ma bad painting (...) Julien Creuzet
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131
CONCEPT
Trace
par Thierry Oussou «Trace» est une série d’œuvres grand format que j’ai commencée en 2014. Je l’ai nommée «Trace» au sens de «l’empreinte». Dans mes dessins, j’utilise beaucoup de formes qui viennent des arts rupestres et des écritures babylonienne, égyptienne, et bamoune du Cameroun. Les symboles que j’utilise proviennent principalement de mes recherches sur Internet et aussi de livres, notamment celui de JeanLoïc Le Quellec «Arts rupestres et mythologies en Afrique». Comme beaucoup de grands artistes du passé, mais aussi de l’art contemporain, je suis attiré par la dimension universelle de ces signes et motifs. Pour moi, ces éléments disposent d’une simplicité de forme, mais détiennent un fort langage poétique et émotionnel. Dans la série «Trace», en particulier Trace V et Trace VI, je développe un discours politique et social, tout en parlant des relations humaines en me basant sur les empreintes du passé.
Œuvre N° 1 Auteur : Thierry OUSSOU Titre : Trace V Dimension : 1.52 m X 1.20 m Année : 2015 Technique : Collage masques et peinture à l’huile, acrylique sur papier. Photo : Roy Taylor Œuvre N° 2 Auteur : Thierry OUSSOU Titre : Trace VI Dimension : 1.52 m X 1.20 m Année : 2015 Technique : Collage masques et peinture à l’huile, acrylique sur papier. Photo : Roy Taylor
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CONCEPT
Tête d’arabe
L’esthétique orientaliste en question Par Carole Diop
Oussama Tabti appartient à cette génération d’artistes algériens ayant grandi durant la “décennie noire” (1991-2002) et qui à travers leurs oeuvres posent un regard critique sur l’esthétique orientaliste commune et le traitement médiatique de l’actualité de leur région. Avec son installation Tête d’Arabe, Tabti souhaite déconstruire les stéréotypes hérités de la période coloniale en détournant l’oeuvre originale du peintre orientaliste Etienne Dinet. En confrontant cette image aux images véhiculées par les médias modernes, l’artiste est frappé par le parallèle historique qui s’en dégage : “l’autre” est toujours exhibé comme une curiosité!
“Tête d’arabe”, huile sur toile, Etienne Dinet, 1901.
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Oussama tabti est un artiste visuel diplômé de l’Ecole Supérieure des Beaux-arts d’Alger en 2012 en design graphique. Oussama Tabti est né en 1988 à Alger où il vit et travaille. Son intérêt porte sur l’image et ses différents aspects dans l’art en général. En puisant dans ce qu’elle offre aujourd’hui comme alternatives pour l’expression plastique, il essaye dans son travail, de prendre position par rapport aux différents bouleversements et phénomènes qui marquent sa société et le monde dans lequel il vit. Cette attention portée à l’actualité et au réel en général est visible dans la plupart des œuvres proposées dans les différentes expositions internationales auxquelles il a participé notamment à la BJCEM, Biennale des Jeunes Créateurs de l’Europe et de la Méditerranée Skopje 2009 au FIAC, Festival International d’Art Contemporain, Alger 2011, à DAK’ART, Biennale l’art africain contemporain, Dakar 2012, au Instants vidéo, Marseille, 2012 à Traverse vidéo, Toulouse, 2013 à La biennale des jeunes artistes MEDITERRANEA 16, Ancone, 2013.
Vue de lâ&#x20AC;&#x2122;installation
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CONCEPT
La maison du peuple La femme - rempart contre les tentatives de« dévoilement » par le système colonial, qui n’étaient en réalité motivées que par « la destruction de l’originalité d’un peuple ». Elle était exposée aux « viols » de toutes sortes, sous des prétextes « humanitaires et civilisateurs ».
!"#$%&'%#$(")*% !"#$%&'%()*+&,-&.&/0123 4"+(5&6&7*&)*"8%9&#:& ;5:;<5 -:($5&6&=&)9 >99$5&6&3?@A +*,'-.$-&,%/0-1 >(+"8+5&0<*8+"B"59&.& !"#$*8+5 C$&D&E(*9F&><G$("5H&!"+&5+& +(*I*"<<5&&D&0*("8
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La mécanique du trou, la mécanique du seuil « De fil en aiguille », Mustapha Sedjal parcourt l’histoire. « A dessein » toujours, pour la Grande histoire et l’histoire intime, il cale son courroux et débusque sa désapprobation intellectuelle et citoyenne. Peu lui importe les topographies et les plages d’histoire, la chronologie des faits et la turpitude des préjugés, il a une conviction : il appartient à l’aiguille de faire respirer la mémoire. C’est un artiste ostéopathe des raideurs de la compréhension, des rigidités du récit fondateur. Il plie l’histoire, une envie irrépressible d’essorer son contenu, destin de papier. « C’est plié », dans le jargon jeune, fait référence à l’inéluctable, au sans appel, à rester sans voix, être sans recours. Mustapha Sedjal, lui, butine sans relâche dans les images, les récits, les slogans, les essais, dans l’histoire, pour polliniser la mémoire. Un artiste butineur qui contribue à la myéliniser. Il dépose des sucs revigorants dans des alvéoles de papier. Un baume cicatrisant les douleurs, une crème régénératrice de la peau, de « la seconde peau », non pas un lifting de l’histoire, une aiguille de botox qui momifie davantage la pensée, non, une liposuccion de ses avanies, de ses mensonges et de ses errements. Dans l’histoire officielle, il y a une permanence de la fausse route alimentaire. Elle nourrit l’histoire collective. Elle tétanise les esprits et fait tressaillir notre for intérieur. L’artiste crée le réflexe nauséeux, le haut le cœur, salutaire, où le destin reprend sa route. De ce « chaos bordélique » naît la maison close du souvenir qui suinte et tamise par ces pores le passé pour « l’ivraie », l’avenir. Il n’est pas tourmenté par l’histoire, il lui fait cracher ses tourments. Il ne fausse pas compagnie à son devoir de mémoire. Mansour Abrous
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FOCUS
Yo-Yo Gonthier, Vue de l'exposition Tropicomania, Bétonsalon, 2012
Yo-Yo Gonthier Petite zone peu sûre
Propos recueillis par Dagara Dakin Images : © Yoyo Gonthier
« Petite zone peu sûre », une
production de denrées qui
Triennale de Paris en avril 2012
relecture graphique d’un
figurent sur les cartes illustrées
dans le cadre de l’exposition
document datant de l’époque
de l’Afrique coloniale »1. La mise
Tropicomania au Centre d’art et
coloniale par le photographe et
en regard de ses dessins avec
de recherche Bétonsalon.
plasticien Yo-Yo Gonthier.
« une carte de l’empire colonial
Nous avons voulu revenir sur
Avec le projet « Petite zone
dans le continent africain créée
sa proposition, pour répondre
peu sûre » _ quatrième volet
pour les écoles françaises et où
aux questions : « Comment
de la série « Outre-Mer »_ Le
se résume toute la dynamique
les artistes et les chercheurs se
photographe plasticien Yo-Yo
économique des années
démarquent-ils des connais-
Gonthier délaisse un temps la
trente » , lui permet de mettre
sances profondément marquées
photographie pour le dessin
en évidence certains aspects
par une idéologie coloniale et
et l’aquarelle et réinterprète
de la mécanique coloniale. Le
raciale ? Qu’en font-ils ? Com-
sur un carnet Leporello, « les
projet fut présenté lors de la
ment, dans le recyclage des
représentations ludiques et éducatives imaginées pour les enfants […] relatives à la
138
2
Extrait de la présentation du projet par Flora Katz pour l’exposition à Bétonsalon, avril 2012, cf. le site www.yoyogonthier.com 2 Idem. 1
images anciennes, l’art assume-til une fonction sociale critique ? »
Dagara Dakin “Petite zone peu sûre” s’inscrit dans une série dont il constitue le quatrième volet et qui a pour titre “Outre-Mer”, pouvez vous nous éclairer sur le principe de cette série ?
et iconographiques depuis le début de la
histoires, entre réalités et interprétations.
colonisation jusqu’à aujourd’hui.
Ce sont pour la plupart des inscriptions
Le deuxième aspect concerne la
visibles sur les monuments. Elles nous
mémoire collective. La série pho-
racontent les mémoires partielles et
tographique Monuments nous révèle
partiales de la colonisation française :
à la fois la présence et l’invisibilité
les conquêtes, les soldats coloniaux et
Yo-Yo Gonthier : Ce projet ques-
dans l’espace public de ces objets de
les luttes pour les indépendances. Ces
tionne les réminiscences d’une culture
mémoire liés à la colonisation française.
plaques commémoratives nous révèlent
coloniale_ toujours présente dans la
La photographie comme le monument
qu’il y a eu, à un moment précis, à la
société française. Je me suis concentré
commémoratif nous montre quelque
suite d’événements historiques, la néces-
sur quatre aspects qui ont donné lieu
chose mais ne nous dit rien. La taille
sité d’inscrire dans la pierre le devoir
aujourd’hui à quatre séries, il pourrait y
imposante des ouvrages nous tient
de mémoire. Dans un même mouve-
en avoir d’autres à venir. Le premier con-
à distance et rend nécessaires le rap-
ment d’apparition et de disparition, il
cerne les stéréotypes, telle la figure du
prochement et l’analyse des détails. Le
est question d’une confrontation des
colon qui hante toujours l’espace public
monument n’est qu’un pansement sur
mémoires dans une société qui peine
et aussi celle du tirailleur sénégalais,
une plaie mal cicatrisée et la célébra-
à se projeter dans un passé et un ave-
soldat colonial libérateur de la France
tion de la mémoire n’apporte rien si les
nir commun. Un glissement intervient,
durant les deux guerres mondiales. Cette
traumatismes ne sont pas expliqués
entre mémoire intime et collective, entre
série s’appelle Oui mon commandant, en
et mis à distance, d’où la question
mémoire et histoire, entre interprétation
référence au volume deux des mémoires
de l’interprétation. C’est l’objet de la
et réappropriation de la réalité. C’est une
d’Amadou Hampaté Ba. Elle est con-
troisième série intitulée Plaques
installation mêlant trois vidéos projections sur des plaques en acier à l’échelle
stituée de documents iconographiques propagandistes datant de l’ère coloniale,
Dans l’installation des Plaques, des écri-
de celles observées dans l’espace public.
de publicités de différentes époques et
tures apparaissent, entre mémoires et
Ces trois séries ont été montrées à plu-
de photographies contemporaines, d’objets symboliques mis en vitrines dans des magasins où dans des musées. J’ai mis en scène cette série dans une installation reprenant la forme accumulative des salons de curiosités, le Salon colonial présente la matière rassemblée autour du projet et proposait des repères historiques Yo-Yo Gonthier, Maintenant les cultures sont plus riches, Petite zone peu sûre, Afrique, 2012, encre de chine, tampon, aquarelle
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sieurs reprises avant que n’apparaisse
une échelle planétaire. Ces quatre séries
trouvé ce titre pertinent et troublant
la dernière partie lors d’une résidence
questionnent le regard de la France sur
si l’on observe la situation saharienne
à Bétonsalon en 2012. Il est intéressant
ses (anciennes) colonies. Il symbolise
actuelle. J’ai redessiné cette scène dans
de noter ici que ces investigations ont
cette vision stéréotypée inscrite depuis
la fresque.
commencé en 2003 lorsque j’ai décou-
ce temps colonial et qui existe encore.
vert les vestiges presque enfouis sous
Nous employons toujours ce mot ainsi
la végétation de l’exposition coloniale
que celui qui lui est associé : Métro-
de 1907 au Jardin d’agronomie tropi-
pole, qui est tout aussi violent dans ses
cale à Nogent-sur-Marne. Il y avait aussi
connotations impérialiste, capitaliste et
dans ce jardin, des monuments dédiés
colonialiste.
aux troupes coloniales. Ce fut un choc et le point de départ de la série Monuments. Onze ans après, je devais revenir sur ces traces pour travailler sur les archives coloniales du CIRAD (Centre d’Agronomie Tropicale) dans le cadre de la Triennale (Intense Proximité) et de l’exposition Tropicomania à Bétonsalon. Cette fois-ci ce fut la propagande qui m’a intéressée notamment en découvrant l’ouvrage La France d’Outre-mer illustrée, par A. Fauchère et A. Galland, imprimé en 1931 alors que l’exposition coloniale de Vincennes réunissait des millions de visiteurs. Ce livre, qui figure les bienfaits de la colonisation à travers des cartes illustrées eut un réel impact sur la
D.D : Sur un plan plus technique, comment avez-vous démarché pour élaborer “Petite zone peu sûre” ? Y.G : Dans ces travaux, je pars toujours d’une recherche documentaire très précise, à la fois historique, scientifique et artistique, avant d’élaborer des scénarios plastiques. J’essaie d’articuler et d’équilibrer sur le même niveau mes sentiments et mes pensées. Il y a un respect particulier lorsqu’il s’agit de la mémoire de millions de personnes. Le titre vient d’un panneau planté au milieu du Sahara algérien dans une des cartes illustrée du livre de Fauchère et Galland. J’ai
D.D : Les trois précédents volets de la série “Outre-Mer” étaient des travaux photographiques, pourquoi introduire dans cet ensemble un travail graphique ? Y.G : Ce qui est essentiel n’est pas l’outil mais la cohérence formelle et conceptuelle. Chaque projet nécessite une grammaire et un vocabulaire spécifique. Le choix de la photographie pour un travail de mémoire et d’empreinte gravée dans la pierre d’histoires vécues me semblait cohérent. Ces images ont été réalisées pour des dispositifs scéniques. Ici nous sommes toujours dans une installation, mais sans photographie cette fois-ci. Les propagandistes colonialistes utilisaient tous les médias et tous les moyens possibles, mais ils savaient que l’efficacité du dessin sur les esprits serait redoutable. Elle l’est toujours
société française à l’époque. Je décidais alors de m’en inspirer pour réaliser une fresque très douce dans son traitement, afin d’aborder la violence extrême de cette entreprise de propagande.
D.D : Comment interrogez vous la notion d’Outre-Mer qui place clairement l’empire comme centre à partir duquel ses zones sont appréhendées, comment cela s’exprime-t-il dans votre travail ? Y.G : Le terme Outre-Mer symbolise ici la vision de la France vers ses territoires “au delà des mer”, il donne à l’empire
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Yo-Yo Gonthier, La vague, Petite zone peu sûre, Afrique, 2012, graphite, encre de chine, aquarelle
d’ailleurs.
unique, petit, presque invisible dont le
l’autre personnage, blafard, qui semble
dessin laisse apparaître des aquarelles
ébahi, sidéré, peut être conscient, lucide.
peu contrastées qui nécessitent une
L’homme est visiblement un colon et
attention particulière si l’on veut en
son image fantomatique s’efface pro-
saisir les signes. Une liste de denrées
gressivement mais son ombre elle, est
précède la fresque, elle est selon moi
encore visible, dans d’autres scènes,
éloquente pour comprendre toutes
cette ombre est blanche, mais bien là.
Y.G : Il s’agit d’une relecture. La violence
les scènes qui suivront. Chaque image,
Elle est toujours présente aujourd’hui.
des idées propagées dans cet ouvrage
chaque signe fait ici symbole et résume
mérite que l’on s’y attarde. Je n’ai pas
toute l’entreprise coloniale. Cependant
voulu utiliser les mêmes moyens que
il y a aussi quelque chose d’intime qui se
la propagande à cette époque, à savoir
joue ici. Une scène qui est la clé de tout
une diffusion massive et des moyens de
ce travail, il s’agit d’un couple. La femme
communication coordonnés et effi-
au teint sombre semble être sujette
caces. Ici nous avons un ouvrage fragile,
à l’Empire, unie de gré ou de force à
D.D : En quoi votre approche qui consiste en une relecture de La France d’Outre-Mer illustrée, par A Fauchère et A. Galland, Ed. Blondel La Rougerie, imprimé en 1931, est-elle critique?
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Basé à Paris, Dagara Dakin est diplômé en histoire de l’art, auteur, critique et commissaire d’exposition indépendant.
Yo-Yo Gonthier, Petite zone peu sûre, Afrique, 2012, carte, carnet leporello graphite, encre de chine, tampon, aquarelle, Tropicomania, Bétonsalon, 2012
PORTFOLIO
Lost child (2007) Yang Seung Woo Yang Seung Woo (photographe coréen, vit et travaille au Japon) documente un espace communautaire et urbain marginal. Gangs, yakusa, créatures de la nuit, sans domiciles fixes et poètes de rue hantent sa pratique et le confondent. Ce travail qui associe l'argentique au numérique, la couleur au noir et blanc, côtoie également une oeuvre plus intimiste, qui investit le portrait, celui du couple qu'il forme avec sa femme japonaise, photographe elle aussi, dans une scénographie du quotidien. Sa photographie échappe à la programmation du geste, à celui de l'essai et de la mise en scène pour atteindre une signature libre et à l'écart d'une fabrication. Son travail recourt-il à à un procédé de type anthropologique ? Ses photographies assument une fonction sociale et critique évidente, imaginent et inventent une archive. Série Lost Child, courtesy In)(between gallery
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Fireflies, Baltimore (2011-2014)
Frédéric Nauczyciel All photographs © Frédéric Nauczyciel
Je ne voudrais pas parler de ceux qui
né à Harlem dans les années soixante,
documentaire et émerveillant. J’ai donc
se cachent à eux-mêmes, mais plutôt,
est toujours vivant, contemporain. Il se
exploré le champs de la performance
de ceux qui se tiennent en retrait de la
nourrit d’influences, s’hybride et apporte
pendant un an et demi (convier la
lumière de la certitude, de la clarté et
de nouvelles manières d’être à la cul-
présence et l’expérience) pour revenir au
des apparences, ceux qui choisissent les
ture urbaine ou populaire. Flamboyant,
film et à l’image fixe, en mettant encore
replis sombres du silence et de la tran-
sophistiqué et baroque, soit-il. Je les ai
plus à contribution mes protagonistes,
quillité, et enfin de ceux qui brillent de
convaincu de montrer quelque chose
que je n’ai plus de scrupules à nommer
leur désir et non sur commande.
de leur flamboyance et de leur bravoure
« sujets ». Il s’agit pour moi de créer des
au milieu de la ville qui a fait d’eux ce
images performatives. Je creuse ainsi
Les lucioles sont les vogueurs de
qu’ils sont. Je voulais imbriquer tous ces
cette phrase de Georges Didi Huberman
Baltimore. Elles rappellent les lueurs
niveaux de lecture dans des photogra-
depuis 3 ans : « le cours de l’expérience
fragiles et secrètes, cachées, que l’on
phies qui auraient l’allure de portraits
à chuté, et il ne tient qu’à nous, dans
doit dévoiler : une métaphore poétique
académiques.
chaque situation particulière, d’élever
de leurs performances flamboyantes
La série fait partir d’une production plus
cette chute à la dignité, à la beauté
lorsqu’ils battlent la nuit dans des balls.
large intitulée The Fire Flies [Le feu vole]
nouvelle d’une chorégraphie, d’une
Ils brûlent vite y compris leur jeunesse.
construite comme une série télévisée,
invention de formes ».
Ils transforment la ville qu’ils habitent de
en deux saisons : Baltimore et Paris.
leur secrète existence. C’est très para-
Épisode après épisode, chaque image –
doxal ! Un espace de compréhension
photographies, films ou performances
Frédéric Nauczyciel est un artiste visuel,
à peine perceptible qui renvoie à un
– apporte de nouveaux éclairages sur
né en 1968 à Paris; et travaille entre la
monde préhensible, concret.
une manière post-genre et post-raciale
France et les Etats-Unis. Sa pratique, au
Les premières prises de vue que nous
d’habiter la ville.
croisement de la photographie, de la vidéo et de la performance, est nourrie
avons réalisées visaient à déconstruire les poses du voguing, pour revenir aux
Pour ce qui est de ma philoso-
par la photographie américaine, la danse
origines des couvertures du magazine
phie, concernant la photographie et
contemporaine (héritées de sa collabora-
Vogue. Ces premières photographies
l’anthropologie, il est intéressant de
tion avec le chorégraphe américain Andy
étaient des études en studio avant
constater que, depuis cette série j’ai
DeGroat), ainsi que le cinéma (qui a nourri
que je ne dirige leur portrait dans leur
justement arrêté temporairement la
son adolescence en lointaine banlieue).
arrière-cour ou leur quartier. Les maisons
photographie pour m’interroger sur
Il construit avec ses protagonistes des
basses de Baltimore sont une particu-
une anthropologie contemporaine. Les
images qui, dépassent la seule identité,
larité de la ville. Je voulais montrer leur
subcultures documentent dorénavant
dans le contexte de leur environnement
réalité dans la ville où ils ont vu le jour. Je
elles-mêmes leurs existences ne serait-ce
social, qu’il soit urbain ou rural. Ses expo-
voulais mettre à jour une réalité géné-
que par l’entremise des réseaux sociaux.
sitions, faites d’images fixes, mouvantes
ralement underground. Le voguing,
J’avais besoin d’évacuer le paradigme
ou vivantes, puisent dans une forme
146
performative cherchant à impliquer le regardeur. Les productions de Frédéric Nauczyciel révèlent des points de tension et de pouvoir, et tendent de plus en plus vers une hybridation des formes. Ses productions sont soutenues par le Centre Pompidou à Paris, le Festival d’Avignon, la Ville de Pantin, le Centre Dramatique National d’Orléans, le Centre de Photographie de Lectoure, l’Ecole Régionale d’Art de Besançon. Il expose en France (Musée de la Chasse, Mac/ Val, Eté Photographique de Lectoure, Rencontres Internationales de Photographie d’Arles, Centre Pompidou Paris), à Barcelone (Palau de la Virreina), ou aux Etats-Unis (Washington, Baltimore et New York). Il est lauréat en 2011 de la Villa Médicis Programme Hors les Murs pour les Etats-Unis (Institut Français), reçoit en 2013 l’allocation de recherche du Centre National des Arts Plastiques et figure dans la collection du Fonds national d’Art Contemporain.(Public # Ceux qui nous regardent, Le temps devant et The Fire Flies, Baltimore). Il est en résidence en Seine-Saint-Denis pour deux ans, de 2014 à 2016. www.fredericnauczyciel.fr
Kory Goose Revlon (After Degas' Dancer) [D'après la Danseuse de Degas]
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PORTFOLIO
Lo Bell / Gabrielle (Female Figure)
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Legendary Trebra Taylor (Master of Ceremony)
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Dale Blackheart (After Nijinski) [D’après Nijinski]
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Daryll Illuminati (All Americans)
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Ezra Swan (Hands, A Tribute To Andy Wahrol) [Hommage Ă Andy Wahrol]
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Justin Winston (With Father) [Avec père]
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PORTFOLIO
Résilientes (2014) Joana Choumali Texte Carole Diop
All photographs © Joana Choumali
Pour Joana Choumali la photographie
de ces « résilientes » qui, comme elle,
D’étoffes chamarrées de ses
est une véritable vocation. Sensible aux
sont à cheval entre deux mondes, deux
mémoires oubliées
belles images, c'est à 13 ans que la jeune
cultures, deux époques, c’est sa propre
De ses mémoires oubliées qu’il lui
femme se place pour la première fois
histoire que l’artiste explore.
faut re-tisser Ô Flamboyante Fleur Piment
derrière l'objectif.
Ô Éthiopique Femme Curcuma Après une licence en Anglais et un BTS
Résilientes
Ô Résiliente Ô Femme Africaine, Ô Femme
en communication et action publicitaire, Joana étudie les arts graphiques et la
Poème de Stéphanie « Nèfta Poetry»
Noire
photographie au Maroc (Casablanca).
Melyon-Reinette
Revêtant les parures de l’aïeule, de
Elle débute sa carrière professionnelle
la mère
à Abidjan, en tant que Directrice
Ô Résiliente
Est habitée d’esprits plusieurs fois
Artistique pour une prestigieuse agence
Ô Femme Abyssine, Ô Femme
centenaires
de publicité, avant de se consacrer
Noire
Son visage-halo, alors, d’aphrodite
exclusivement à la photographie.
Sa peau ombrée qu’un soleil zénith
Ivoirienne
moire
Lui donne des allures d’estase
Son dernier projet, « Résilientes » ques-
De baisers incandescents est la
ouranienne
tionne l'identité féminine dans les
flamme
Un ange-sphinx, une vénus-piété
sociétés africaines. La série est compo-
De sa négritude révélée de
Qui, son regard d’Oracle, plonge
sée d'une trentaine de portraits dont six
lumières...
dans l’éternité
sont actuellement exposées à Onomo
Sa peau crépuscule luit
Le défi. En pythie nubienne, elle est
Hotel Dakar Airport, dans le cadre d'une
Sa peau, de miellées nuits,
transfigurée
exposition collective réunissant cinq
Constellées de nuances éloquentes
Du génie de la cité exorcisée, enfin
femmes photographes.
Ô Cinabre Amarante
enracinée…
Ô Abyssine Hélianthe
Ô Mambo, Ô Prophétesse
Les traditions sont elles vouées à dis-
Ô Résiliente
Ô Résiliente
paraître? C'est la question que pose
Ô Femme Éthiopique, Ô Femme
Ô Déliée Massaï, Ô Callipyge
la photographe à travers les portraits
Noire
Hottentote
de jeunes femmes actives revêtues
Ses lèvres mangoustan, fruits
Ô Korê ébène dans ses mises
des ornements de leurs ainées (mères,
miraculeux,
matrilinéraires
grands-mères, tantes,aïeules)
Disent l’ardent incarnat de son
Une sculptural bronze, un bijou
Cette série fut pour Joana l’occasion de
mystère
ciselé
renouer avec ses origines, de répondre
Et le feu des âmes incarnées dans
Ô Reine d’humilité
à des questionnements personnels,
sa chair
Ô Impératrice de la postérité
mais surtout de rendre hommage aux
Dans sa chair drapée d’étoffes
Ô Résilientes…
femmes africaines. A travers les portraits
chamarrées
Ô Idiosyncrasies…
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PORTFOLIO
Project diaspora (2014)
Omar Victor Diop Texte par Carole Diop
All photographs © Omar Victor Diop Courtesy of Magnin-A (Paris)
Lors des 9e Rencontres
Harvard university Press). Inspiré par les
naissance passée à faire face aux défis
photographiques de Bamako, en
œuvres d’art produites entre le XVe et le
posés par leur condition d’étranger.
2011, Omar Victor Diop fait une entrée
XIXe siècle, Omar Victor va parvenir à se
remarquée dans le monde de la
défaire de ses doutes et appréhensions
On ne peut s ‘empêcher de voir dans
photographie contemporaine avec
pour incarner douze notables africains
Diaspora, un clin d’oeil à la série African
sa série Le futur du beau. S’en suivront
qu’ils soient émissaires de royaumes
Spirits de Samuel Fosso. Omar Victor se
plusieurs projets tout aussi remarqués
africains comme Don Miguel de Castro,
dit flatté de la comparaison mais nous
tels que [re-]Mixing Hollywood
ou esclaves affranchis comme Angelo
exhorte à aller au delà.
(Onomollywood) et Le Studio des Vanités.
Soliman ayant marqué l’histoire européenne.
Ce trentenaire destiné à une brillante
Après l’Europe, le photographe Omar Victor Diop souhaite étendre son propos
carrière dans la finance se consacre
L’autoportrait est une technique qui
à l’Amérique latine et à l’Ocean indien,
aujourd’hui exclusivement à la
a toujours attiré le photographe. La
le prochain chapitre de « Diaspora » est
photographie. Ce médium a changé son
difficulté de trouver des modèles et la
déjà en cours de production.
rapport à sa ville (Dakar) et à l’Afrique en
perte de repères ressentie au cours de sa
général.
résidence ont été l’élément déclencheur qui l’a poussé à s’essayer à cette
En octobre 2014, Diaspora, Le dernier
technique. Biographie :
projet de Omar Victor Diop était exposé à Londres à l’occasion de la deuxième
La composition du projet « Diaspora »,
édition de la foire d’art contemporain
se décline en volets ou chapitres. Le
Omar Victor Diop vit et travaille à Dakar,
1:54. Une nouvelle série où l’artiste
premier chapitre , est constitué de douze
son œuvre combine les arts plastiques, la
choisit de se mettre en scène à travers
autoportraits. Omar Victor Diop pose
mode et le portrait photographique.
des autoportraits, marquant ainsi un
en imitant l’oeuvre originale (peinture,
tournant dans sa pratique artistique.
sculpture ou gravure) en ajoutant des
Omar Victor affectionne particulière-
Diaspora a également été présenté par la
équipements de football (gants, bal-
ment le mélange de la photographie avec
galerie Magnin-A, dans le cadre de Paris
lons, crampons, etc) comme accessoires.
d’autres formes artistiques. Il utilise entre
Photo 2014.
L’artiste explique « cet anachronisme
autres la création textile, le stylisme et
voulu » par le lien fort qu’il souhaite
l’écriture créa- tive pour donner vie à son
Le projet est né l’année dernière à
établir entre les sportifs profession-
inspiration.
Malaga (Espagne), où l’artiste effectuait
nels afro-descendants et les hommes
une résidence de quatre mois. Il y
qu’il a choisi d’incarner. Ces person-
Son travail questionne et intrigue, il
découvre l’art baroque et L’image du
nalités emblématiques « passées » et
est avant-gardiste tout en étant un peu
Noir dans l’Art Occidental (une série de
« contemporaines » partagent selon le
vintage et puise son inspiration dans
livres phares, en cinq volumes, produits
photographe un même paradoxe : la
l'héritage visuel africain de Omar Victor,
par Dominique de Menil et réédités par
dualité d’une vie de gloire et de recon-
ainsi que dans sa culture internationale.
160
Olaudah Equiano (1745 - 1797) Olaudah Equiano, connu de son vivant sous le nom de Gustavus Vas- sa, était un notable Africain de Londres, un esclave affranchi qui a supporté le mouvement abolitioniste britannique. Son autobiogra- phie, publiée en 1789 attira suscita beaucoup d’intérêt et fut considérée comme un élément décisif qui permit le passage du Slave Trade Act de 1807, qui mit fin à l’esclavage dans le Royaume et ses colonies. Gravure originale: Artiste Inconnu
161
Albert Badin (1747 ou 1750 - 1822) Adolf Ludvig Gustav Fredrik Albert Badin, né Couchi, connu sous le nom de Badin, était un serviteur à la cour suédoise et un chroniqueur particulier. Il était esclave à l’origine puis il devint majordome de la reine Louisa Ulrika de Prusse puis de la princesse Sophia Albertine de Suède. Son nom de naissance était Couchi, mais il était communément appelé Badin, qui veut dire «le joueur de tours». Peinture originale de Gustaf Lundberg.
162
Angelo Soliman (C. 1721 - 1796) Né dans la province de Sokoto qui correspond à l’actuel Nigéria, il fut pris comme captif étant enfant et arriva à Marseille. Il fut offert en 1734 au Gouverneur Impérial de Sicile. À la mort de ce dernier, Soliman rejoignit la cour du Prince du Liechenstein et en devint le serviteur en chef, puis le précepteur du Prince Aloys I. Homme culti vé, Soliman était très respecté et était compté parmi les amis les plus chers de l’Empereur Autrichier Joseph II. Portrait Original: Gottfried Haid, d’après une oeuvre de Johann Ne- pomuk Steiner
163
Prince Dom Nicolau (Circa. 1830-1860) Dom Nicolau, Prince du Kongo, fut peut-être le premier leader africain à protester publiquement par écrit contre les influences coloniales. Nicolau protesta contre les activités commerciales et politiques des portuguais ainsi que leur expansion militaire en publiant une lettre dans un journal portuguais à Lisbonne. Sa date exacte de naissance reste incertaine. Les gravures le représentant lors de sa visite à Lisbonne en 1845 suggèrent qu’il était agé de quinze à vingt ans. Gravure originale: Artiste Inconnu
164
Jean-Baptiste Belley (1746 - 1805) Jean-Baptiste Belley était un natif de l’Ile de Gorée au Sénégal et un an- cien esclave de Saint-Domingue, dans les Antilles Française. Il acheta sa liberté avec ses économies. Durant la révolution française, il devint un membre de la Convention Nationale et du Conseil des Cinq-Cents de France. Il était également connu sous le nom de Mars. Peinture originale de Girodet.
165
Don Miguel de Castro Émissaire du Congo, c. 1643-50 En 1643 ou 1644 Don Miguel de Castro et deux serviteurs arrivèrent aux Pays-Bas, via le Brésil en tant que membres d’une délégation en- voyée par le seigneur du Sonho, une province du Congo. Un des ob- jectifs de leur périple était de trouver une solution à un conflit interne au Congo. Peinture originale attribuée à Jaspar Beckx ou Albert Eckout
166
A Moroccan man (1913) José Tapiró y Baró était un peintre Catalan. L’un de ses plus proches amis fut le peintre Marià Fortuny avec qui il partagea un intérêt pour l’Orientalisme. Il était un maître de l’aquarelle. Peinture originale de José Tapiró y Baró.
167
ARCHITECTURE
Le musée du quai Branly Une architecture qui réactualise les clichés Par Carole Diop
168
vue sur la façade nord du musée, Musée du quai Branly, photo © Jacques Rostand
Inauguré en grande pompe en juin
Situé sur le front de Seine, l’ouvrage
marque de fabrique de ce bâtiment tout
2006, le musée du quai Branly a fait
conçu par l’architecte Jean Nouvel
en courbe, c’est sa façade nord (côté
l’objet de vives controverses. Les diffi-
possède des qualités architecturales
seine), composée d’une paroi de verre
cultés rencontrées pour réaliser cet ovni
indéniables, il allie modernité et
imprimée de motifs végétaux et les
muséal furent multiples : le choix du site,
techniques innovantes et s’intègre
« boites » métalliques multicolores qui
le nom donné à l’institution, l’exécution
parfaitement à son environnement.
s’en détachent.
des travaux, les collections, la polémique
Cependant, malgré une architecture
- Le bâtiment Branly, situé au nord-
n’épargne aucun aspect du projet.
qui séduit, l’imaginaire est toujours le
ouest le long du quai Branly est dédié à
même. Le concept développé par Nou-
l’administration. Il se singularise par son
Ce musée dédié aux « cultures
vel traduit une vision européano-centrée
mur végétal conçu par le botaniste
autres » 1n’aurait pas vu le jour sans
et ne fait que réactualiser les clichés
Patrick Blanc (800 m2 de façade recou-
l’engagement personnel du président
primitivistes. L’architecte décrit lui même
verts par plus de 15 000 plantes).
Jacques Chirac. Refuser « cette pré-
le musée comme « un endroit chargé,
- Le bâtiment Auvent, situé entre le bâti-
tention déraisonnable de l’occident
habité, […]où dialoguent les esprits
ment musée et le bâtiment Branly, abrite
à porter, en lui seul, le destin de
ancestraux des hommes qui, découvrant
les magasins de la médiathèque, le
l’humanité. », mais aussi « promouvoir
la condition humaine, inventaient dieux
salon de lecture, la salle de consultation
auprès du public le plus large, un autre
et croyances. » , un endroit « unique et
des fonds spéciaux, ainsi qu’un atelier
regard, plus ouvert et plus respectueux
étrange. Poétique et dérangeant. »
de découverte pour les enfants. Il se
3
4
[…] Loin des stéréotypes du sauvage
présente comme un volume de verre et
ou du primitif. » , telle était l’ambition
Le musée se compose de quatre
de métal relié aux deux autres bâtiments
affichée par le président. Mais ce beau
bâtiments reliés par des chemins et
par des passerelles.
discours est très loin de la réalité.
passerelles, qui possèdent chacun une
- Le bâtiment Université, quant à lui,
architecture propre :
accueille une librairie boutique au rez-
En effet, l’esthétique architecturale et
- Le bâtiment musée abrite le pla-
de-chaussée. Les étages sont réservés
muséographique du musée du quai
teau des collections permanentes, des
aux ateliers de restauration et à la ges-
Branly renvoie à une vision fantasmée
espaces d’exposition temporaires, des
tion des collections. Il est situé côté sud
de l’altérité, à un imaginaire issu des
réserves, mais aussi un auditorium, un
et propose une architecture de pierre
cabinets de curiosité et des musées eth-
théâtre, une salle de cinéma et des salles
et de verre. Des oeuvres contempo-
nographiques d’un autre temps.
de cours et en restaurant en terrasse. La
raines d’art aborigènes, réalisées par 8
1 Allocution de M. Jacques Chirac, Président de la République, à l’occasion de l’inauguration du Musée du Quai Branly. 2 Idem.
3 Jean Nouvel dans sa lettre d’intention pour le concours international d’architecture en 1999. 4 idem.
2
169
artistes aborigènes australiens, habillent la façade et les plafonds du bâtiment.
Le plafond de la librairie-boutique peint par John Mawurndjul - MQB Mardayin design-ADAGP © Photo Nicolas Borel
Avant même, qu’il ne pénètre dans
rangée de cabanes »7, terme qui ren-
l’enceinte du musée, tout est fait pour
voie symboliquement à l’habitation
Le plateau des collections est une
mettre le visiteur dans la peau d’un
« indigène ». Le vocabulaire utilisé
grande galerie décloisonnée, où sont
explorateur. Pour découvrir le bâtiment
pour décrire le musée fait référence
présentées 3500 œuvres réparties sur
musée (une structure de 220 mètre
à l’imaginaire du « sauvage ». Cette
quatre zones géographiques : Afrique,
de long semblable à une passerelle,
approche qui se veut dépaysante
Asie, Océanie et Amériques. Cette
perchée sur une canopée de verdure),
indique au visiteur qu’il s’apprête à
absence de séparation physique est
le visiteur doit d’abord franchir la palis-
entrer dans le monde de « l’Autre ».
déterminante dans la présentation des
sade de verre qui fait office de rempart
œuvres. Elle traduit la volonté d’effacer
contre les tumultes de la ville. Il doit
Pour accéder aux collections, le visiteur
toutes références occidentales pour
ensuite se frayer un chemin à travers la
emprunte une rampe, appelée « The
laisser la place aux œuvres. L’ambiance
végétation dense qui dissimule le bâti-
River », œuvre contemporaine de l’artiste
est lourde, l’atmosphère pesante. Les
ment, un jardin « vallonné » de 18 000
Charles Sandison. les visiteurs la gravis-
quatre plateaux s’articulent autour de
m2, « conçu à l’image des végétations
sent “comme on remonte un cours
l’espace central appelé la « rivière ». Plus
indisciplinées et lointaines. »6
d’eau”.8 “Immergés dans une rivière de
qu’une simple circulation c’est un espace
mots en mouvement” projetés au sol et
muséographique à part entière, délimité
Ce cadre qui donne une place impor-
sur les parois de la rampe,”ils découvrent
par un long meuble en cuir appelé le
tante à la végétation est censé
les noms de tous les peuples et lieux
« serpent » (support de plusieurs instal-
représenter le cadre de vie de « l’Autre-
géographiques représentés dans les col-
lations multimédia interactives). La
colonisé ». Les boîtes de la façade du
lections du musée.”
« rivière » créé, dans la galerie, un lieu
5
9
musée sont décrites comme « une 5 Extrait du dossier de presse du musée du quai Branly. 6 Idem
170
10
7 Idem 8 Communiqué de presse du MQB du 09/03/10 9 Idem 10 Idem
physique qui relie les aires entre elles et symbolise leur unité notamment par
rapport à la thématique de l’organisation des populations. Elle permet également d’accéder aux deux galeries suspendues et à la mezzanine qui accueillent les expositions temporaires. Cette volonté de montrer ce qui lie les peuples de toute l’humanité, les croisements, les problématiques communes est prolongée par la mise en évidence d’espaces thématiques transversaux au travers de la musique et du textile : - la Tour des instruments de musique, Celle-ci se présente comme une colonne de verre qui laisse apparaître au visiteur la réserve des instruments de musique (tous conservés à la même température, ce qui les amène à se dégrader bien plus vite).
La rampe, The River par Charles Sandison 2010, Musée du quai Branly, photo © Cyril Zannettacci
- La transversale des textiles présente des pièces provenant de toutes les parties du monde. Les espaces transversaux tentent d’opérer un rapprochement culturel. Toutefois ces espaces restent limités par leur nombre et dans leur portée. Le bâtiment imaginé par Jean Nouvel en dit long sur l’identité de la France et sa conception de l’altérité. Le mythe primitiviste est ici réinterprété au moyen d’une architecture moderne. Le musée du quai Branly n’est ni plus ni moins qu’un musée ethnographique 2.0.
Zone Oceanie, Musée du quai Branly, photo © Nicolas Borel
171
ARCHITECTURE
Micro-récits et urbanisme : Un architecte et un anthropologue à Nouackchott Par Marc-Antoine Durand
À l’heure où le continent africain connait une croissance démographique et urbaine inédite, les enjeux d’un développement soutenable des villes se font chaque jour plus pressants. Réchauffement climatique, insalubrité, creusement des inégalités sociales, etc. Pour répondre à ces défis, il nous est fondamental d’adapter nos méthodes aux milieux dans lesquels nous intervenons, et les solutions sont à trouver sur place, toujours.
172
La dune
En mai 2014, j’ai participé à un workshop
Nouakchott. Chaque récit nous a invité
il faut faire avec et accepter les inon-
international concernant le devenir de la
à imaginer une ville en accord avec les
dations. À terme, il va falloir déplacer
capitale mauritanienne, Nouakchott.
pratiques de ses habitants, plus prati-
les populations, et pour ce faire c’est
Très vite, nous avons basé notre
cable pour ces nouveaux amis dans un
tout un imaginaire lagunaire qu’il s’agit
atelier sur un travail de fictions
avenir immédiat (2016) et pour un hori-
d’activer.
anthropologiques. Avec l’aide de
zon plus éloigné (2030).
l’anthropologue espagnole Marta
Cet horizon 2030 n’est pas pensé comme
Un autre facteur souvent perçu comme
Alonso, nous avons écrit quatre histoires
un modèle de ville fini. Nous estimons
problématique est celui des dunes : leur
qui racontent et inventent des possibles
cependant de bon sens d’ébaucher des
mobilité conduit à l’ensablement. Nous
pour Nouakchott, quatre récits qui
pistes d’actions et de projets prioritaires
pouvons faire avec cette énergie aussi,
replacent le destinataire au centre du
à même de rendre la ville de Nouakchott
si nous regardons les dunes comme des
processus de l’aménagement urbain.
plus habitable. Ces situations d’actions
éléments géographiques participant de
et scénarios d’horizons sont des con-
la morphologie de la ville et de son iden-
Depuis son édification, la ville de
cepts utiles à l’administration, et sont
tité singulière : la dune comme élément
Nouakchott a fait l’objet de plusieurs
fondés sur la participation de la société
de composition du paysage nouakchot-
réflexions autour de son urbanisme.
civile, indispensable.
tois, point d’ancrage d’une nouvelle
Les usages et pratiques des habitants
trame de végétation urbaine.
au quotidien ont souvent échappé aux
La Sebkha désigne à Nouakchott
planificateurs. Aussi, nous avons choisi
une dépression salée de très grande
Des plantations dans le désert ? Tel est le
de partir de la pratique urbaine de ceux
étendue. Située sous le niveau de la mer,
défi que nous proposons à
qui vivent la ville pour concevoir nos
cette zone déclarée non constructible
Nouakchott ! En utilisant les défaillances
propositions. Nous avons donc imaginé
est pourtant habitée par des milliers de
du réseau d’adduction en eau de la
quatre personnages qui évoquent des
Nouakchottois. S’il est impossible de lut-
ville, nous développons une stratégie
situations réelles de vies quotidiennes à
ter contre cette énergie naturelle, alors
naturalisante et opportuniste.
173
AMADOU, 7 ans, écolier à Kouva.
Une quatrième énergie de Nouakchott,
ou récits, les énergies humaines et
communément perçue comme négative,
naturelles comme ressources, les actions
est la croissance de l’habitat spontané,
et les horizons. Cette méthodologie
issue de la pratique de la gazra. Si nous
croise quatre thèmes identitaires de la
2014
changeons notre point de vue il est pos-
ville : la lagune, la dune, les mobilités et
Je m’appelle Amadou. J’habite au
sible d’apprécier cette pratique comme
la fertilité des sols. Tous interagissent et
quartier de Kouva avec mon oncle, ma
une dynamique précieuse : la capacité
s’équilibrent les uns les autres. Nos qua-
tante et mes cousins. J’ai sept ans et je
de la population de mener à bien des
tre éléments sont comme les pièces d’un
vais à l’école de mon quartier. Parfois le
initiatives individuelles, constructives.
mobile : tous participent du dynamisme
week-end je vais à la plage des pêcheurs
de la ville et fondent son identité.
pour acheter du poisson.
Pourquoi ne pas faire avec ces énergies
Et puis j’attends avec impatience le soir
et les faire participer au développement
Quatre micro-récit pour raconter la ville
pour aller jouer au foot avec mes amis
équilibré de la ville ?
et ses transformations :
du quartier. Depuis peu, je suis préoccupé. Le temps
Quatre éléments définissent le travail de notre équipe : les micro-histoires
174
avance et bientôt ce sera l’hivernage.
Ma famille et moi avons beaucoup
récurrents à chaque hivernage, les élus
changé et les après-midi je joue encore
souffert l’année passée pendant la
ont pris une décision radicale : ils ont
avec mes amis Cheikh Tijani et Ahmed.
saison de pluies. Notre maison a
démoli les maisons de Kouva les plus
Les gravats de nos anciennes maisons
été inondée et nous avions dû nous
vulnérables. Au début nous étions con-
ont servis à construire des digues. Mon
déplacer à Toujounine chez des parents.
tre, mais rapidement des réunions et des
oncle m’a expliqué que ces digues
Vers le mois de décembre nous sommes
discussions ont été organisées et nous
servent à accompagner l’eau tombée
revenus à Kouva, mais nous avons perdu
avons accordé la démolition à condition
du ciel vers de zones de Sebkha non
nos affaires… Soit elles se sont abîmées,
de reloger ceux qui le souhaitent au plus
habitées. Ce qui limite les dégâts et puis
soit elles ont été volées pendant notre
près du quartier. Pour ma part, ce que
comme il dit, notre maison fait partie de
absence. Que va-t-il se passer cette
je craignais le plus c’était de changer
la mémoire de Kouva.
année ? Va-t-il pleuvoir autant que
d’école… J’aime bien la mienne, j’y suis
Lors du dernier hivernage nous avons
l’année passée ? Devrons-nous partir
attaché.
encore subi les inondations mais nous
encore ?
Notre maison a été démolie. On nous a
n’avons pas été obligé de quitter la
relogé sur un terrain entre la route de
maison, sauf une semaine de fortes
2016
Nouadhibou et Nasser, assez près de
pluies où l’on a été relogés avec d’autres
J’ai déjà 9 ans. Suite aux problèmes
notre ancien quartier. Ma vie n’a pas trop
familles, sur une plateforme bâtie sur pilotis. Là on était plusieurs familles et on dormait sur des matelas rehaussés sur des palettes. Alors on a fait pareil à la maison, il paraît que c’est une bonne idée pour se protéger du sel qui remonte dans le sol et qui peut rendre très malade. 2030 Il y a 15 ans on a été relogés. Depuis, la démolition des maisons s’est poursuivie et par conséquent les digues se sont multipliées. Il n’y a plus de maisons dans l’ancien quartier de Kouva ni dans presque toute la Sebkha. Maintenant ça s’appelle le Bassin de Kouva. C’est un espace très agréable, il y a des plantes et des oiseaux. Les plateformes qui autrefois avaient servi pour accueillir des familles en cas d’urgence sont devenus des observatoires pour admirer la lagune, les oiseaux migrateurs et la flore. Des écoliers et des familles, profitent de cet espace, ainsi que des
La lagune
touristes. D’autres plateformes ont été aménagées pour le sport. J’aime bien
175
Les mobilités
Les zones de fertilité
ce qui a été fait ! Nous avons beaucoup
inondations et aux remontées de sel.
j’ai proposé à ma famille de déménager
moins de problème de pluies ces cinq
Ma maison est presque imperméable
à l’Est de Dar Naim, un quartier qui, à
dernières années. Aujourd’hui la Sebkha
aux pluies et à l’eau de la nappe. Néan-
mon avis, prendra de l’importance dans
est une zone naturelle protégée et on
moins, pendant l’hivernage notre villa
quelques années puisqu’on est tout
n’y construit plus de maison.
devient comme une île, entourée d’eau.
près du nouveau centre de la ville. On a
Les moustiques sont nombreux à cette
acheté un terrain et on y a fait une belle
période et il est difficile de se déplacer.
maison. Ici on n’a pas des
Même les taxis refusent de circuler dans
problèmes pendant l’hivernage… notre
notre quartier. Du coup, mes affaires
vie a beaucoup changé. Maintenant les
ralentissent, les importations d’habits
services peuvent accéder au quartier
provenant de Dubai et de Chine, ils faut
toute l’année, on est mieux desservis.
2014
les réceptionner et les stocker. C’est un
Une idée germe dans ma tête depuis
Je suis originaire de Néma, j’habite avec
problème. Devrait-on penser à démé-
quelques mois… En tant que femme
mon troisième époux à Centre Émetteur.
nager ? Mais, pour aller où ?
d’affaires, je vois la possibilité d’investir à
ZEINABOU, femme d’affaires, au Centre Émetteur, elle habite avec son troisième époux et ses enfants
J’ai une fille qui suit des études universi-
la zone nommée Parc Touristique Désert
taires à l’étranger et un fils qui n’étudie
2016
pas et qui ne travaille pas non plus. Mes
Nouakchott est en train de changer. Il y a
deux petits enfants vont au collège à
eu beaucoup de projets de stabilisation
2030
Nouakchott. Jusqu’en 2004 j’habitais à
de dunes. On n’a plus l’impression d’être
Aujourd’hui je suis copropriétaire d’une
Socogim Tevragh Zeina, mais à présent
perpétuellement en danger soit à cause
Société Civile Immobilière (SCI) aux pieds
j’ai loué cette maison ici, à Centre Emet-
de l’eau soit à cause du sable. Et toute
des dunes. C’est une résidence hôtelière
teur. J’ai demandé à rehausser la maison
cette verdure autour… Je commence
avec d’un côté, la végétation qui avait
et de mettre une fondation avec du
à voir le désert autrement. On devrait
été plantée pour stabiliser les dunes et
ciment anti-sel pour la protéger face aux
être fiers de vivre ici. C’est pour cela que
de l’autre, une grande dune vierge. C’est
176
en Ville. Je dois bien y réfléchir…
magnifique, on valorise notre paysage.
de circulation. C’est ainsi que Dieu l’a
J’ai l’impression que je passe mes
Notre hôtel s’appelle « Aux pieds de la
voulu. C’est elle qui m’a proposé en 2008
journées dans des taxis… Je vis entre
dune », il attire les touristes et les gens
de faire une gazra à M’geity, une zone
le travail, la gazra et chez ma femme,
venus pour affaires. Dans notre rési-
lotie attribuée à Dar Naim. Avant on
trois points éloignés et mal reliés. Est-ce
dence ils sont en ville et en même temps
habitait à Dar El Beida (El Mina), car l’État
qu’on ne va jamais trouver une solution
au contact du désert.
nous y avait donné un terrain suite au
à ce problème ? Dar Naim est une vérita-
Les dunes, ce sont nos espaces publics
recasement de Kebbe el Mina.
ble enclave au sud-est de l’aéroport.
à nous. Le soir venu, on y fait un peu de
Je travaille et je peux nourrir mes
marche pour se maintenir en forme, les
enfants, al-hamdoulillah. Je suis docker
2016
enfants s’y amusent et mon mari, de son
au Port de l’Amitié.
Depuis deux ans la situation du trans-
côté, part souvent s’asseoir aux Khaimas,
Je me suis remarié et mon épouse refuse
port urbain s’est franchement améliorée,
boire du lait de chamelle et faire du thé.
de vivre à M’geity, pour être proche de
en grande partie parce qu’on a un
ses parents âgés, don’t elle s’occupe et
système qui s’appuie sur les voiries sec-
ne peut confier à personne d’autre.
ondaires, ce qui nous permet d’aller d’un
Pour cette raison, elle se voit obligée
point à l’autre de la ville sans être obli-
de rester dans la maison familiale à
gés de passer par Capitale. Il y a à peu
Ryadh. J’ai peur de perdre la gazra et
près un mois le père de ma femme a eu
c’est pour cela que tandis que je passe
une insuffisance pulmonaire. Cette fois-
les nuits à Ryadh avec ma femme, mes
ci, al-hamdoulillah, il est arrivé à temps à
2014
enfants habitent à M’geity. Je crains que
l’hôpital, car la circulation au centre-ville
Je m’appelle Mohamed. Je suis père de
quelque chose leur arrive, et c’est pour
est beaucoup plus fluide qu’auparavant.
trois enfants scolarisés. Ma première
cela qu’ils passent la nuit chez ma sœur,
Par conséquent, je ne passe plus autant
femme est décédée suite à un accident
qui a fait la gazra tout près de nous.
de temps dans les taxis. Là où pour cer-
RÉCIT DE MOHAMED, docker au Port de l’Amitié, vit à M’geity (Dar Naïm), père de trois enfants. Marié (second mariage)
177
tains parcours j’étais obligé de prendre
en propriété suite au recasement de
délimités par des poteaux bleus. C’est
trois taxis, à présent je n’en prends que
l’ancien quartier de Mellah.
nouveau. Là-bas ils se sentent bien
deux, mes frais ont diminué.
Vers 16h je rentre à la maison. Je reste un
protégés, les voitures ne peuvent pas les
peu avec mes enfants et puis je pré-
renverser et, grâce à l’ombre des arbres,
2030
pare du couscous, que je vends assise à
c’est un espace frais.
Je ne travaille plus au Port de l’Amitié.
l’ombre d’un arbre qui a poussé entre le
Non, non, je ne suis pas encore à la
goudron et une boutique.
2030
retraite, mais maintenant je travaille
Le soir quand je rentre à la maison.
Mes enfants ont grandi. Les deux aînés
beaucoup plus près de la maison.
Les enfants dorment déjà. Déjà au lit,
travaillent, tandis que les deux petits
Les parents de ma femme sont mal-
je réfléchis ... Chaque jour je dépense
sont au lycée. J’habite toujours à Mellah
heureusement décédés et maintenant
minimum 600 UM en transport. Et le
4, d’où je n’ai pas déménagé car je m’y
nous habitons avec les enfants à M’geity.
pire c’est ce temps que je perds pour me
sens à l’aise et que je pense que c’est un
On a créé dans la ville de grands mar-
déplacer d›un point à l’autre de la ville.
bon quartier.
chés transfrontaliers tels que celui de
En fermant les yeux, l’image de mon
De temps en temps je reçois mes amis.
Bamako, où je travaille, sur la route
arbre me vient en tête… Il est apparu
« Venez à la maison, juste derrière
de l’Espoir, pas loin de Dar Naim. Les
quelques mois après avoir entendu au
de la zone des eucalyptus ». Ah oui,
camions provenant du Port de l’Amitié y
marché que le projet Aftout Sahelie
maintenant il y a des arbres à côté du
arrivent directement sans passer par le
(canalisations d’eau) avait été mis en
goudron, de sorte que les habitants
centre-ville, en contournant la partie sud
place à Nouakchott. A-t-il quelque chose
peuvent profiter de l’ombre. Vous
de Nouakchott.
à voir ?
vous demandez peut-être d’où sont
Depuis déjà deux ans je suis grand-
sortis ces arbres… C’est le produit des
père. Ma fille m’a donné un petit-fils
2016
carrés protégés par la Commune ! C’est
qui est né sain et beau, mashallah. Il est
Ma vie s’est améliorée. Maintenant à
devenue une pépinière qui permet de
né à l’Hôpital de Dar Naim, un nouvel
Mellah 4 il y a un potager de quartier. On
planter des arbres ailleurs dans la ville.
équipement du quartier.
a décidé de son emplacement avec les
Maintenant, entre les poteaux bleus, en
voisins, ceux qui l’estiment convenable
plus d’un espace de détente, il y a un
peuvent s’inscrire à la liste d’usagers.
jardin d’enfants et une petite mosquée.
RÉCIT DE MARIÈM, vendeuse de légumes et de couscous, vit à Toujounine, divorcée, 4 enfants.
J’ai eu de la chance et j’ai été choisie parmi tous ceux qui ont postulé. Je
Présentation de l’équipe :
peux cultiver mes légumes et les ven-
Mouctar MAMOUDOU, Urbaniste - Génie
dre sur le marché du quartier. Je ne suis
urbain (Niger)
plus obligée de faire de longs déplace-
Marina THON HON, Paysagiste (France)
2014
ments. Je dispose de plus de temps pour
Marta ALONSO, Socio-anthropologue
Aujourd’hui, comme chaque matin, je
m’occuper des enfants et de la maison.
(Espagne)
me suis rendue au Marché Marocain
Cela a permis à ma fille de reprendre
Cheikh Tijani O / CHEIKH MOHAMEDOU,
pour acheter des légumes qu’après
l’école. De plus, bien que je doive payer
Ingénieur hydraulique (Mauritanie)
je revends à ma boutique du Marché
une location modique à la Commune
Nelly BRETON, Architecte- urbaniste
Lehmoum. Je m’appelle Marièm et je
afin de pouvoir travailler ma parcelle,
(France)
suis originaire de Kankousa (Asaba).
j’ai une marge de bénéfice puisque je
Bertrand REYMONDON, Urbaniste –
J’habite avec mes quatre enfants à
n›ai plus d’intermédiaires et, de plus, j’ai
Architecte (France)
Mellah secteur 4 (Toujounine) depuis
réduit beaucoup de frais de transport.
Marc Antoine DURAND, Architecte
2003, quand l’État m’a donné un terrain
Mes deux fils jouent dans des espaces
(France)
178
MARC-ANTOINE DURAND est archi-
GERPHAU – UMR 7218 MCC/CNRS
tecte DPLG, diplômé de l’Ecole
LAVUE (Laboratoire Architecture Ville
Nationale Supérieure d’Architecture
Urbanisme Environnement).
de Paris la Villette, et titulaire d’un
Il est fondateur et gérant de la
DEA en philosophie. Il est Maître-
société MAD architecture http://
Assistant Associé à École Nationale
www.mad-architecture.com/
Supérieure d’Architecture de Cler-
et co-fondateur de la plateforme
mont-Ferrand (Master Entre Ville
de recherche en stratégies urbaines
Architecture et Nature) et enseignant
durables appliquées aux villes
à l’École Spéciale d’Architecture à
africaines - ÉWÉ : https://eweworks.
Paris (DES Architecture des Milieux).
wordpress.com/
Depuis 2004, il participe aux travaux de recherche du laboratoire
179
DESIGN
Comment une certaine pratique du design peut être assimilée à
l’anthropologisme Texte est photos par Jean-Marc Bullet
180
A Trénelle, un quartier périphérique de
m’amène à m’interroger sur la nature des
utilisent aujourd’hui. Elles renvoient
Fort-de-France,le maire de la Ville de
questions posées et des réponses de leur
à des valeurs culturelles et sociales
l’époque a décidé en 2006 de mener une
destinataire. Les questions n’entrainent
de l’époque coloniale. L’usage de ces
résorption d’habitat insalubre ou RHI
elles pas un certain point de vue sur le
matériaux n’a pas pour objectif de faire
Cette RHI a plusieurs objectifs : L’amé-
quartier?
revivre des valeurs d’antan, perdues avec
nagement et le désenclavement, le
Le projet de « design en territoire rhi-
la modernité, mais plutôt de projeter les
maintien sur place de la population, la
zomique », regroupe des objets conçus
habitants au sein de leur société propre.
préservation de la cohésion sociale, l’ac-
comme des catalyseurs sociaux dans
Le designer oppose les matériaux qu’il
compagnement social, etcPour se faire,
le quartier Trenelle. Ces objets inter-
a choisi à d’autres matériaux, comme
l’équipe municipal décide de faire appel
rogent la relation que les usagers ont
la matièr plastique par exemple, qui
à un anthropologue qui a pour mission
avec leur environnement et les autres
représente la société de consommation,
de collecter et de mettre en valeur des
habitants du quartier. Le designer mène
plutôt aliénante.
témoignages oraux d’habitants ou d’ac-
une forme de recherche par l’action. Il
Chacun de ces objets questionne le lien
teurs de la vie du quartier (enseignant,
fabrique des objets, les testent auprès
social de manière singulière.
animateur social ... ). À chaque habitant
des usagers, sur leur lieu de vie. L’objectif
interrogé l’anthropologue demande
étant à travers des dispositifs d’objets,
- L’échelle de culture est une structure
de se présenter brièvement puis par-
d’amener les habitants du quartier à se
en bois dont le concept repose sur
ler de son arrivée dans le quartier et
questionner sur leurs relations sociales,
l’échelle nécessitant un mur pour se
de la construction de celui-ci. Ànoter
leur mode d’habitat. Ces objets, une
définir comme tel. Le designer à partir
que, seuls les premiers arrivants sur le
échelle de culture en bois, un cueille-
de l’observation de la densité des habi-
territoire sont interviewés. De ces enre-
fruit en bambou , un contenant en fibre
tations, choisit cette typologie d’objet
gistrements sonores effectués par les
de coco, sont fait de matériaux que l’on
afin que le propriétaire de l’échelle soit
anthropologues, on retient une certaine
peut trouver en grande quantité au sein
amené à poser l’objet sur le mur de son
fierté, une nostalgie d’une solidarité
du quartier. Bien que familières, ce ne
voisin. N’étant pas propriétaire du mur,
perdue des habitants du quartier. Ce qui
sont pas des matières que les habitants
un dialogue entre les deux personnes
181
DESIGN
doit s’engager afin de faire exister le
redéfinit pour mettre en évidence les
largement nos modes de vie. Afin de
dispositif .
enjeux. Ainsi, l’antropologue conçoit
compléter cette définition j’emprun-
« l’autre », comme objet d›étude, tandis
terai les mots du designer Stéphane
que le designer l’intègre dans le proces-
Villard1: « Le design est un propos, une
sus de conception de l’objet.
posture sur l’organisation matérielle et
- Le cueille-fruit est placé sous chaque arbre fruitier de l’espace commun du quartier. Ces espaces communs
symbolique de notre imaginaire dont
ne sont ni privés, ni publics. Ils sont sous
Pourtant tout comme l’anthropo-
les formes éprouvent concrètement les
le regard du voisinage. Là encore le
logue, ces dispositifs mis en place par
possibilités et potentiels de leur réalité
designer ne sait pas ce qui va se pas-
le designer n’envisagent-ils pas un
dans nos sociétés».
ser. Va-t-on utiliser le cueille-fruit et le
type de réponses et de réactions ? Ne
remettre à sa place, ou le garder pour un
s’adressent-ils pas qu’à une population
arbre de sa propriété?
donnée ?
Mot clés: Anthropologie : collecter, enquêter,
- Le contenant fibre de coco
Définition du design :
observer, peuple, culture, interactions,
rempli de terre, mesure au minimum
Le design est une activité de création
social, habiter, symboles, codes, inter-
250 cm de long et de 40 cm de large. Il
souvent à vocation industrielle ou
viewer, empathie,
est destiné à plusieurs habitants voisins
commerciale, pouvant s’orienter vers
qui partagent l’espace cultivable pour
les milieux sociaux, politiques, scienti-
Design : Inventer, réanimer, recombiner,
y introduire leurs plantes potagères ou
fiques et environnementaux. Apparue
configurer, proposer, matériau, disposi-
décoratives. Les habitants vont-ils diviser
en Europe à la fin du 19eme siècle, son
tifs, matière,
cette portion de terre ? vont ils mettre
objectif consiste à allier l’esthétique des
en commun leur récolte, ou adopter les
objets industriels et leur fonction. A
deux choix potentiels?
l’origine au service de l’industrie, il est
1
Si l’anthropologue observe et décrypte
un outil conceptuel pour repenser les
Mercredi 05 février 2014.
les usages, le designer, en revancheles
objets domestiques, l’habitat et plus
http://vimeo.com/86981331.
182
Stéphane Villard, Design au banc n°21,
« SI L’ANTHROPOLOGUE OBSERVE ET DÉCRYPTE LES USAGES, LE DESIGNER, EN REVANCHELES REDÉFINIT POUR METTRE EN ÉVIDENCE LES ENJEUX. AINSI, L’ANTROPOLOGUE CONÇOIT « L’AUTRE », COMME OBJET D’ÉTUDE, TANDIS QUE LE DESIGNER L’INTÈGRE DANS LE PROCESSUS DE CONCEPTION DE L’OBJET. »
Biographie : Après des études à l’Institut Régional d’Art Visuel de la Martinique (où il enseigne aujourd’hui), JeanMarc Bullet est diplômé de l’École des Arts Décoratifs de Strasbourg où il y découvre le paysage. C’est à la suite de cette formation qu’il réalise ses premiers jardins. Designer (Bullet &associés) et chercheur (Laboratoire international sur l’habitat populaire), il s’intéresse aux besoins de populations vivant dans les milieux populaires à travers le monde (Madagascar, Bénin, Martinique).
183
EXHIBITION REVIEW
1:54 debrief
‘’Battlegrounds’’, 2012 Courtesy of the artist
by Francine Mabondo
The second edition of 1:54, Europe’s
Material Company in Dakar) during her
leading Contemporary African Art Fair,
opening speech of the Forum Educa-
taking place at the Somerset House
tion Programme at 1:54. She stressed
Bruce Clarke is an interesting character.
in London from October 16 to 19 ,
the importance of exposing the multiple
He was born in England of South African
2014, was yet again a vibrant place to
specificities of African contemporary
parents, and after studying fine art at
discover works of arts by more than
art, especially in the context of today’s
Leeds University, moved to Paris twenty
100 international artists showcased by
globalised means of cultural production.
years ago. His parents were activists
27 galleries from Kenya, South Africa,
In other words, there is no one African
during and after the Apartheid period in
France, Germany, UK and USA. Taking
specificity, there are many. And this
South Africa, and as a result Clarke devel-
place during Frieze week, it was also a
is precisely what the Education pro-
oped from an early age a critical position
unique opportunity to explore the rap-
gramme has proposed to explore this
in regard to society. Later on, his practise
idly emerging African market with some
year by placing ‘the artist’ at the centre,
became a visual platform of research for
of the most influential people in the art
with conversations engaging on the very
his political commitment and reflection
world. Despite the collective effort to
idea of ‘practise’. Overall, it was a great
on writing and transmission of history.
remain cheerful, the tension was palpa-
relief to observe that we have passed
His late work engaged with ideas of rep-
ble around the booths of the Somerset
the stage of justifying the presence of
resentations of the body in the context
House. It was a big deal to be here, and
African artists and gone on to a much
of physical violence, collective death and
somehow one could not resist the evil
more intriguing perspective of actually
traumas. In a recent series of paintings,
question: are there specific qualities in
engaging with works of art.
‘Body Politics’, Clarke questions the vis-
th
th
African contemporary art that justify the
Courtesy of the artist
ibility of the dead body.
creation of an African Art Fair?
BRUCE CLARKE (London, b.1959)
’’ (...) before we could quantify the
‘Yes, yes, and yes’....was the answer given
‘’ I resist the modelling of human body’’
casualties and the volume of dead bod-
by curator Koyo Kuo (Director of Raw
‘’Battlegrounds’’, 2012
ies during a war...nowadays, it seems
184
that we completely deny the suffering
refining his language and making the
that is his contribution to an on-going
of the body ...we can’t see dead bodies
journey into his work more interesting.
project in relation to the genocide of
anymore and even the vocabulary has
He invites the viewer into his work by
the Tutsi in Rwanda. During an intense
changed...since 2003 in Iraq, there have
creating an aesthetic trap of choreo-
period of collaboration with local asso-
been 200 000 killed, have you seen any
graphic body movements. The addition
ciations in the country, Clarke explored
of these killed bodies? ‘’
of words and collages subsequently
the meaning of creating an art work in
Clarke started as a painter, but over
produce a conversation with the subject.
the context of extreme violence. How
the last decade found this medium
Each painting becomes the possibility of
can an artwork restore dignity and help
too passive to carry political questions.
another one, past or future, inducing an
grievance?
Progressively, Clarke uses words to
infinite movement in time.
‘’I am here to do a work with my head
interact more directly with the viewer,
But his paintings are just a trace of much
and not an emotional subjective work...I
thus creating obvious references on the
more sophisticated reflection. His work
saw artists representing very naively Afri-
canvas, but as his confidence grows, he
is conceptual and happens far before
cans killing Africans...this is not what we
takes some distance from his subject,
the realisation of an object. Evidence of
are talking about....we cannot create an art work at the expense of the victims.... there is no point staging up emotions... what really matters is understanding the need of victims...we cannot afford shortcuts and simplications...’’ On the occasion of the Rwandan genocide 20th anniversary in 2014, Bruce Clarke has realised a collective project of mural paintings, ‘Les hommes debout,’ on the memorial site for the victims of the genocide of Tutsi in Rwanda. Bruce Clarke is currently working on a series of painting on the suffering of the body at work. For more information, please visit www.bruce-clarke.com PEJU ALATISE (Nigeria, b. 1975) ‘My work is very critical of the Nigerian Government and the inequality of social standards but also, from time to time, it takes shelter with me in the world of Yoruba mythology and existential fantasies’. ‘It was refreshing to see the work of Nigerian artist Peju Alatise at 1:54, in particular the four-panel installation of ‘Girl interrupted,’1 and although (due to
’Girl Interrupted’’, I,ii,iii,iv (2014) detail - 85 cm x 270 cm per panel, 4 panels total, Textile, Resins, & Acrylics
185
a shortage of space) only three pan-
"
IT WAS A GREAT RELIEF TO OBSERVE THAT WE HAVE PASSED THE STAGE OF JUSTIFYING THE PRESENCE OF AFRICAN ARTISTS AND GONE ON TO A MUCH MORE INTRIGUING PERSPECTIVE OF ACTUALLY ENGAGING WITH WORKS OF ART.
"
els were there in the booth of the Art
comes to her artwork, and this some-
riage’ vague allows for all sorts of abuses
Twenty-one gallery, the presence of
times conflicts with the reality of the art
and rights violations. In ‘Girl interrupted’,
the artwork was strongly felt. At first,
market. Architecture comes in handy
Peju Alatise not only exposes the physi-
it looked like children being born from
when rethinking her work, as she uses
cal and moral violence committed by
a wall. They had the aura of a ghostly
the properties of materials, such as
this statement but also the loss and
apparition. The white strips evoked a
durability, texture, weight and colour, to
grieving of these young girls forced to
mummification process, but one that has
transform her work into more portable
sacrifice their childhood to marriage.
been corrupted or altered, and instead
units.
of containing the body, the white strips
But this sense of reality does not prevent
The next éditions of 1: 54 Contemporary
behaved like a carnivorous Virginia
her from producing critical work -- on
African Art Fair will take place:
creeper herb, spreading and holding the
the contrary. She explores issues of gen-
In New York, at Pioneer Works, from May
children back on the panel. Despite this
der, politics and race in Nigerian society,
15 to May 17, 2015.
strong inward force, something came
using a variety of mediums including
In London, at Somerset House from
out like a skin eruption: the birth of the
installation, painting, sculpture and
October 15 to October 18, 2015
amputated.
ceramics. She re-appropriates political
Peju Alatise was trained as an archi-
questions through the prism of Yoruba
tect in Nigeria but she claims that she
mythology, thus creating a resonating
has always been an artist. She painted
bridge within her perception, asking
before she could write and always knew
both narratives to question each other.
she was creative, just did not call herself
‘Girl interrupted’ is part of an ongoing
an artist until she sold her first piece
work, the ‘Child not bride’ campaign in
around the age of 23. Architecture has
response to the passing of a legal article
helped shaped her practise, in terms of
referring to Child marriage in the 2014
discipline but also in terms of materi-
Nigerian constitution. The law includes
als. Inspired by the work of Le Corbusier
a statement : ‘if she is married than she
and Alvar Aalto, she sees a building as
has become of age’. Peju Alatise wants
a beautiful man-made sculpture that
to draw attention to this statement and
is not in competition with nature. She
its outrageous implications. Indeed she
has a tendency to think big when it
believes that leaving ‘the age of mar-
186
Girl Interrupted, i,ii,iii,iv (2014), 85 cm X 270 cm per panel, textile, resins & acrylic Paints
187
EXHIBITION REVIEW
Canibalia
Par Julia Morandeira Arrizabalaga Crédit photo : Aurélien Mole
Née à Bilbao, Julia Morandeira Arrizabalaga est chercheuse et curatrice indépendante. Elle étudie les sciences humaines à Barcelone avant d’intégrer le Goldsmiths College où elle suit un MA en théorie des arts visuels. Elle a été enseignante à l’Université Pompeu Fabra à Barcelone, puis coordinatrice de différents événements culturels avant de réaliser le commissariat général du festival de vidéo barcelonais LOOP et le commissariat du pavillon barcelonais pendant la 9e Biennale de Shanghai. Elle est membre de différents groupes de recherche, «Decolonial Knowledge & Aesthetics», mené entre le centre d’art Matadero Madrid et Goldsmiths College et «Magnetic Declination», un groupe de recherche et de production constitué d’artistes, de commissaires et de théoriciens, s’intéressant aux questions post-coloniales. Pour finir, elle est membre de «Peninsula», un groupe de recherche du musée d’art moderne et contemporain Reina Sofia de Madrid, examinant les pratiques artistiques et curatoriales en relation au passé colonial de l’Espagne et du Portugal. Julia Morandeira Arrizabalaga s’intéresse aux problématiques post-coloniales, à la mondialisation et aux questions géographiques qui en découlent. Spécialisée dans l’art vidéo, elle questionne aujourd’hui le format de l’exposition. Sa dernière exposition, Canibalia, interroge et documente la représentation, la figure, l’allégorie, le portrait, le symbole et le signe du cannibale tant dans la fabrication d’une rhétorique coloniale que dans la production d’un espace de dissidence. Canibalia, une exposition de Julia Morandeira Arrizabalaga, Kadist Art Foundation, Paris | 6 février - 26 avril 2015. Avec les oeuvres de Théodore de Bry, Jeleton, Runo Lagomarsino, Candice Lin, Pablo Marte, Carlos Motta, Pedro Neves Marques, Manuel Segade, Daniel Steegmann Mangrané.
188
Vue de l'exposition. Photo by Aurelien Mole
Pablo Marte "Ojos Imperiales"; Jeleton "Murs Tattouées". Canibalia, vue de l'exposition. Photo by Aurelien Mole
Le cannibale est une invention
référence à d’autres manifestations
l’Indien cannibale devint un objet
récente. Sa première mention date
telles que la féminité vorace, la sorcière
d’étude ethnographique et d’exposition,
du voyage américain de Christophe
lascive ou encore la tension masculine
participant au développement du récit
Colomb en 1492, lorsqu’il entend parler
coloniale entre le désir de manger et la
muséal. En somme, il était l’expression
de mangeurs d’hommes dans des
peur d’être mangé. Il a ainsi contribué
d’une terreur culturelle, avant d’incarner
tribus belliqueuses des îles du sud de
à dépeindre une nouvelle géographie,
la force révolutionnaire anticoloniale,
l’archipel des Caraïbes, « qui avaient
l’Amérique comme un lieu d’abondance
prolétaire et anti-patriarcale, à travers
juste un œil, un visage de chien",
et d’exubérance, mais aussi comme
notamment le personnage de Caliban
appelés carib et caniba. La création de
un vide culturel à remplir. De plus, les
(une anagramme de cannibale, antihéros
ces deux termes — qui ont ensuite à la
pratiques sexuelles « innommables »
de Shakespeare) dans la littérature
fois désigné le monstre anthropophage
et les « mauvaises habitudes » décrites
latino-américaine.
et la zone géographique qu’il occupe
dans les récits de voyage ont participé
— résume bien le creuset colonial,
à sa perception comme un lieu
moderne et capitaliste dans lequel cette
d’abjection. Au-delà de la morale, le
figure s’est construite. Le cannibale
cannibale pouvait aussi faire référence
a ainsi défini un sujet, un territoire et
à l’Indien rebelle et à la main-d’œuvre
un imaginaire instable et spéculatif
d’un nouveau système d’exploitation
dans lesquels les spectres renouvelés
et d’expropriation. Toujours représenté
d’altérité, d’anxiétés culturelles et
avec des motifs végétaux, il était la
d’intérêts impériaux ont convergé. Être
marque du sauvage, du sans foi ni loi,
sacrifié, coupé en morceaux, dévoré
de tout ce que la modernité considérait
devient alors la crainte la plus récurrente
comme primitif. Le cannibalisme se
dans l’imaginaire des Européens envers
trouvait à cette époque au cœur des
l’Amérique, donnant naissance à une
débats juridiques, faisant du cannibale
multiplicité de significations et d’images
un objet de loi et de justification pour
du trope du cannibale.
la conquête, mais aussi à l’inverse, une
Le cannibalisme a toujours plus eu à voir
métaphore de la violence des colons.
avec les idées et l’imagination qu’avec
À l’âge des premières collections et
l’acte même de manger, faisant plutôt
classifications de la connaissance,
189
“LE CANNIBALISME A TOUJOURS PLUS EU À VOIR AVEC LES IDÉES ET L’IMAGINATION QU’AVEC L’ACTE MÊME DE MANGER, FAISANT PLUTÔT RÉFÉRENCE À D’AUTRES MANIFESTATIONS TELLES QUE LA FÉMINITÉ VORACE, LA SORCIÈRE LASCIVE OU ENCORE LA TENSION MASCULINE COLONIALE ENTRE LE DÉSIR DE MANGER ET LA PEUR D’ÊTRE MANGÉ.“ Depuis sa création, la figure du cannibale déborde le simple acte anthropophage, s’inscrivant davantage
“ON PEUT D’AILLEURS TIRER UN FIL VERT DU CANNIBALISME DEPUIS LES RÉCITS DES COLONS AU XVIE SIÈCLE JUSQU’À L’ANTHROPOLOGIE AUJOURD’HUI, EN PASSANT PAR LES ÉCRITS ET LES TRAVAUX DU MOUVEMENT ANTROPOFAGIA DANS LES ANNÉES 1920 AU BRÉSIL, LES COSMOGONIES AMÉRINDIENNES ET LA RECONNAISSANCE DES DROITS DE LA NATURE.“
De haut en bas : - Pedro Neves Marques "Where to sit at the dinner table?". Canibalia, exhibition view. Photo by Aurelien Mole - Runo Lagomarsino "If you don't know what the south is, it's because you are from the north". Canibalia, exhibition view. Photo by Aurelien Mole
190
De haut en bas : - Pedro Neves Marques "Where to sit at the dinner table?"; Daniel Steegmann Mangrané "Kiti Ka'aété (Reverse)"; Jeleton "Murs Tattouées". Canibalia, exhibition view. Photo by Aurelien Mole - Carlos Motta "La Visión de los Vencidos (The Defeated)". Canibalia, exhibition view. Photo by Aurelien Mole
dans l’idée de guerre et de vengeance.
ers, un tracé nocturne fait d’accidents
Manger l’autre signifiait manger sa
et de temporalités disparates. Bien
position et sa perspective sur le monde,
qu’incertaine par moments et néces-
ce qui impliquait la transformation de
sairement incomplète, Canibalia
soi à travers l’incorporation de l’autre
propose néanmoins un dispositif pour
ainsi qu’une compréhension de la
l’imagination politique. En ce sens là,
société comme une force centrifuge
elle est une invitation d’où (re)penser
d’échange. Ce schème fonctionne
le cannibalisme et le cannibale comme
dans un contexte où les partitions
espaces de dissidence, de désir, de com-
modernes entre la nature et la culture,
munauté, d’écologie et d’échange.
l’animé et l’inanimé, l’humain et le non humain, n’opèrent pas. Au lieu de cela, il propose une topologie de perspectives et de positions dans un écosystème interconnecté, dans lequel la distribution prend la place de la production et l’échange se substitue à l’accumulation. On peut d’ailleurs tirer un fil vert du cannibalisme depuis les récits des colons au XVIe siècle jusqu’à l’anthropologie aujourd’hui, en passant par les écrits et les travaux du mouvement Antropofagia dans les années 1920 au Brésil, les cosmogonies amérindiennes et la reconnaissance des droits de la nature. Canibalia explore la construction du cannibale comme image sismique : comment le cannibalisme – considéré comme un paysage métaphorique – défie et réarticule constamment la rhétorique de la colonialité, qu’elle soit impériale ou globale ; comment, il implique à la fois la peur de la dissolution de soi et l’appropriation d’une différence. L’exposition dessine ainsi une cartographie aux mouvements ambivalents et aux éclairages irréguli-
191
Daniel Steegmann Mangrané - Kiti Ka'aeté (reverse) 2011; collage and single slide retroprojected, hole in the wall Courtesy of the artist, Murias Centeno (Lisbon), Esther Schipper Gallery, (Berlin) and Mendes Wood DM (São Paulo)
EXHIBITION REVIEW
192
Dans le cadre du symposium-performance : «Au delà de l’Effet-Magiciens », organisé par le collectif le peuple qui manque, AFRIKADAA a effectué une performance le dimanche 8 février 2015 aux Laboratoires d’Aubervilliers. Crédits photos : Marie-Laure Lapeyrère et Fred Galard
193
CARNET DE BORD
Ultramar (Empire Travel Club) Où l’agence de voyage par les images
Par Pascale obolo Crédits photographiques : Romarick Tisserand et Myriam Dao
L’artiste Romaric Tisserand questionne et redéfinit l’archéologie de l’image. Son projet artistique Ultramar est une installation photographique, réalisée à partir d’archives photographiques, accompagnée d’une vidéo Naçao. Naçao retrace le récit de l’archive au format fictionnel, à travers un dialogue entre un jeune soldat portugais en Outre-Mer (Angola) et une jeune fille qui l’attend à Lisbonne.
194
Romaric Tisserand à la Librairie Yvon Lambert - Photo © Myriam Dao
La genèse du projet Ultramar
Ces archives n’ont pas l’air d’intéresser
caractérisés par l’absence d’images. Là,
En 2001 découverte de six rouleaux de
les institutions. J’en discute avec
je me retrouve avec des négatifs, qui
négatifs anonymes de 36 poses, enfouis
quelques amis qui me font comprendre
prouvent qu’un événement a eu lieu. Il
sous les pavés d’une rue de Lisbonne.
que l’histoire coloniale est taboue, péri-
fallait que je trouve un protocole.
Ces derniers composent l’installation
ode qui n’intéresse guère les portugais.
Le statut d’artiste nous libère de beau-
photographique de l’artiste Romaric
Pendant quelque temps je laisse de coté
coup de contrainte.
Tisserand. Ces six rouleaux racontent
ces négatifs, pensant ne pas avoir la
Il te libère d’abord de la contrainte pure-
la période coloniale portugaise, via le
légitimité de me les approprier. Je ne
ment académique qui serait celle du
quotidien d’un jeune soldat appelé en
comprenais pas le contexte. Et je ne
déclencheur de la vérité, de la prospec-
Angola, Ultramar (Outre-Mer évoquant
voyais pas l’usage que je pouvais faire
tion. Ma chance en tant qu’artiste c’est
ainsi la vision fraternelle d’une nation
avec ces négatifs. Mais je me sentais
de pouvoir jouer avec des signes, mettre
bientôt frappée par la guerre civile. Ces
redevable historiquement. Lors d’un
en adéquation ou en confrontation des
images rafraichissant l’imaginaire exo-
voyage à Cuba, je me retrouve avec
symboliques. Le travail que je fais sur ces
tique et colonial intriguent ! Pourquoi
des vétérans cubains de la guerre en
archives est de l’ordre du questionne-
avoir voulu les soustraire à la mémoire
Angola et je rencontre l’artiste cubain
ment. Je ne suis pas en train d’affirmer
collective ?
Adis Flores qui a fait la guerre là-bas.
une vision de cette Afrique lusophone
Au-delà de sa valeur « représenta-
Cette guerre l’a traumatisé. Il travaille sur
en plein débâcle pendant la période
tive », « descriptive », « documen-
l’uniforme de guerre. L’art est devenu
coloniale. Au cours de ces moments de
taire », à la lecture de ces images
une forme de thérapie pour lui.
guerre, les images étaient en grande
photographiques, le travail de l’artiste Romaric Tisserand interroge sur le rôle des archives dans notre perception du réel, ainsi que sur « l’appropriationisme » à savoir une pratique consistant à reproduire ou à retravailler sur des images existantes afin de produire une nouvelle œuvre accompagnée d’une relecture contemporaine.
Afrikadaa : Comment découvrez-vous ou héritez-vous de ces négatifs ?
partie fabriquées par les colons.
“ LE STATUT D’ARTISTE NOUS LIBÈRE DE BEAUCOUP DE CONTRAINTES “
L’histoire est écrite par les vainqueurs.
A : Pouvez-vous nous expliquer votre projet artistique. Comment est né ce projet ?
logique administrative pour constituer
R. T : Je rencontre la commissaire Valérie Fougeirol, avec qui j’avais déjà collaboré sur ma série « Les anonymes ». En lui montrant les négatifs, intéressée par le
Romaric Tisserand : Lors de mon séjour à
contenu elle m’encourage à travailler
Lisbonne pendant mon service national
sur ces archives. C’est à partir de cette
civil, en garant ma voiture, j’entends un
commande que je me décide à produire
bruit de celluloïd qui craque sous les
l’œuvre. J’ai commencé à développer
roues. Par curiosité je descends et là, je
mon propos, de plus ce qui était intéres-
trouve une pellicule photo ; en tirant ces
sant, c’était de travailler sur des archives
négatifs je vois un bout de film, noir et
de guerre où par chance l’on ne voit
blanc complet et là j’aperçois dessus des
pas la guerre. Elle est présente. On voit
africains, des colons avec des mitrail-
des militaires, des véhicules blindés, des
lettes.
armes. Tous ces grands événements sont
195
Je me retrouve avec 191 images, dont une quantité de portraits. J’imagine que ces photos ont été prises dans une des documents. C’était très gênant car il y a avait des photos où les gens baissaient les yeux. On comprenait qu’elles étaient faites sous la contrainte. J’ai essayé de trouver un sens qui puisse guider la lecture. Comment montrer ces photos sans tomber dans l’accusation ? Car ce sont des images d’un belligérant. Pourquoi l’ancien propriétaire a t-il cherché à cacher ces images ? Je ne sais pas si ces images viennent d Angola ou de la Guinée Bissao. Je n’ai pas réussi à déterminer la localisation géographique d’où les photos ont été prises.
A : Pouvez-vous nous parler du dispositif de l’exposition ?
R. T : A l’image d’archive,
jaune du drapeau portugais
je veux redonner un sens
et noir du futur angolais. Le
qu’on ne lui a pas encore
bleu évoquant l’océan atlan-
donné. Mettre toutes les
tique, et le blanc, la paix et
images au même niveau :
l’harmonie. Ce jeu combina-
les soldats portugais
toire établit une structure
comme les Africains. Le
narrative singulière. C’est
colonisateur comme le
encore un autre choix
colonisé. J’ai repris un
esthétique qui me permet
protocole très simple du
de créer une iconographie.
19 siècle, celui du cadre
Mon geste artistique se
ovale des vieux albums où
trouve dans le dispositif,
les photographies étaient
pour éviter de revendiquer
en médaillon. Cela rap-
un statut d’historien que
pelle la forme de certains
je n’ai pas. Je ne suis pas
cadres des peintures du
portugais. Mais être luso-
19e siècle. Les médaillons
phone m’a donné l’énergie
de couleurs encadrant les
de travailler dessus. De plus
photographies établis-
j’ai hérité de ces photos je
sent le protocole plastique
ne les ai pas choisies donc il
de lecture : reprenant les
fallait que j’en fasse quelque
couleurs verte, rouge et
chose.
e
Photos © Romaric Tisserand
196
Photos © Romaric Tisserand
Le dispositif de l’œuvre est de créer
que cela soit historiquement parfait ou
évoque à la fois toutes les guerres et la
une agence de voyage du passé. D’un
politiquement correct. En me libérant de
dérive émotionnelle de ces hommes,
pays qui n’existe plus et de reprendre le
cela j’ai voulu dépasser historiquement
partis enfants et revenus hommes. J’ai
protocole d’une agence de voyage d’une
ces archives photographiques, car je ne
choisi un dispositif simple : le cartou-
destination touristique. Ultramar veut
suis pas africain.
che, les cartes postales et la vidéo afin
dire outremer, nom donné aux provinces du pays en dehors de la métropole.
A : Parlons de la création vidéo
Empire Travel Club : reprend la logique
de poser des questions, et interroger sans forcement attendre de réponse. C’est plus intéressant de suggérer que
de l’empire colonial. J’ai repris les out-
R.T : En faisant des recherches j’ai com-
de dire. Dans mon travail, je préfère les
ils de communication des agences de
mencé à puiser dans les échanges des
œuvres qui laissent plus de place, elles
voyages ; d’où la fabrication des posters,
forums de vétérans portugais, angolais,
me parlent plus. Je n aime pas être dans
des cartes postales, et la vidéo qui, elle
mozambicains ; ressources de témoign-
l’explication. Ma déontologie était de
correspond à la bande annonce d’une
ages. L’Etat portugais n’a pas fait de
donner un cadre de lecture très clair
destination touristique. Je me retrouve à
travail de mémoire sur cette période.
à ces archives afin que le public s’en
organiser cette archive, à la transformer
Ces vétérans documentent leur propre
empare librement.
en dispositif-œuvre, comme dispositif-
mémoire. Ma narration s’inspire de ces
exposition. À partir de là, je contourne
témoignages. Je crée un personnage
la question de savoir d’où viennent ces
fictif, Sébastien - qui a vraiment existé,
images, et celle de la façon dont je dois
et j’imagine une correspondance où il
les traiter. Elles deviennent autonomes.
raconte de façon aérienne ce qu’il vit
Cette installation m’a permis de me
dans les colonies. J’ai mélangé des foot-
libérer artistiquement. Dans ce dispositif
ages du Portugal d’aujourd’hui avec les
je n’ai pas besoin de me justifier, ni
archives photographiques. La vidéo
197
A : Vous qui avez toujours travaillé sur des photos anonymes, qu’avez-vous appris en faisant ce projet ? R. T : J’avais un devoir de restitution pas du tout historique ni politique. Un devoir de leur donner une forme durable
qui puisse toucher tout le monde, sans
Biographie : Romaric Tisserand Lives
que cela soit élitiste. J’ai développé le
and works in Paris (born 1974).Visual and
dispositif à un niveau que je n’avais pas
performance artist and an independ-
encore artistiquement expérimenté.
ent photographic curator, his practice
Un dispositif comme œuvre, et comme
is focused on new perspectives on con-
exposition.
temporary archives, image’s status and
A : Quelles réactions avez-vous eu de la part du public ? R. T : Ce travail a été montré pendant « Le mois de la photo à Paris » et la vidéo a été projetée à la Maison Européenne de la Photographie en
artwork reproducibility. He has founded an hybrid gallery for performance and projects in a plumber shop in Paris, (www. momogalerie.com) and has created an online photographic funds “AAnonymes, the search of the deliberated accident” (www.AAnonymes.org) (2005-2010).
novembre 2014. On a imprimé cinq mille cartes postales dans le protocole d’exposition. En l’espace d’un mois et demi, quatre mille cartes postales sont parties. L’idée était vraiment que ces images circulent. Libérer la parole auprès du public. Que les gens se les envoient, se les partagent. Ces images d’archives ont changé de statut en les réimprimant sous forme de cartes postales. Elles ne représentent plus des archives. Elles ne racontent plus la même histoire. Les artistes qui travaillent avec des archives deviennent une sorte d’historiens. Pourquoi les avoir cachées si ce n’est pour les soustraire de la mémoire des hommes ? L’objet de la pièce n’est en aucun cas de parler de l’histoire coloniale. Voir une
Ultramar, photo de l'installation de Romaric Tisserand à la Librairie Yvon Lambert - Photo © Myriam Dao
image serait donc « Reconnaître », et tout autant « la Méconnaître » dans son histoire.
Photos © Romaric Tisserand
198
Photo Š Romaric Tisserand
199
ARIKADAA’S LIBRARY
SYLVIA WYNTER: ON BEING HUMAN AS PRAXIS - By Katherine McKittrick, 2015. The Jamaican writer and cultural theorist Sylvia Wynter is best known for her diverse writings that pull together insights from theories in history, literature, science, and black studies, to explore race, the legacy of colonialism, and representations of humanness. Sylvia Wynter: On Being Human as Praxis is a critical genealogy of Wynter’s work, highlighting her insights on how race, location, and time together inform what it means to be human. The collection includes an extensive conversation between Sylvia Wynter and Katherine McKittrick that delineates Wynter’s engagement with writers such as Frantz Fanon, W. E. B. DuBois, and Aimé Césaire, among others; the interview also reveals the ever-extending range and power of Wynter’s intellectual project, and elucidates her attempts to rehistoricize humanness as praxis.
MAXVÉNUS DE KHALAKANTI
LE RETOUR DU RÉEL, SITUATION
Angèle Kingué, Ana Editions, 2005.
Hal Foster, Collection Essais, la Lettre volée, 2005.
Angèle Kingué récidive avec son second roman, publié chez Ana Éditions ; jeune
L’auteur étudie de manière circonstanciée
maison d’édition ; qui travaille depuis deux
la mise en place d’un nouveau paradigme
ans sa collection “écritures africaines”.
centré sur le “retour du réel“ dans l’art de la
Le premier roman d’Angèle Kingué: “Pour
fin du XXe siècle comme contrepoint aussi
que ton ombre murmure encore“ paru
bien au minimalisme et au conceptualisme
en 1999 avait été un succès en France, au
dominants durant les années 1970 qu’au
Cameroun, son pays natal, mais aussi États-
simulationnisme postmoderne des
Unis le pays où elle enseigne actuellement.
années 1980. C’est également l’occasion
Angèle nous emmène aujourd’hui, au travers
pour l’auteur de réfléchir à la posture
de sa voix : Vénus ; dans les mystères de la
“ethnographique“ de l’artiste et faire le
forêt africaine, là où des femmes ont décidé
point sur les rapports entre les avant-gardes
de prendre leur destin en mains.
historiques et la néo-avant-garde. Cette lecture critique, qui confronte pratiques artistiques et théories de l’art, se veut aussi prise de position contre l’emprise croissante d’une critique d’art trop facilement encline à ne voir dans l’art contemporain que répétitions et pastiches. Hal Foster propose une ambitieuse fresque historique et politique de cet art engagé dans les enjeux de son temps.
200
Postface de Félix Boggio Éwanjé-Épée & Stella Magliani-Belkacem
THE PHANTOMS OF CONGO RIVER NÉGRITUDE ET PHILOSOPHIE
CHASSÉS DE LA LUMIÈRE
PHOTOGRAPHIES DE
N°83 de la revue Rue Descartes, 2014.
(NO NAME IN THE STREET)
NYABA L. OUEDRAOGO
James Baldwin, Ypsilon.éditeur, 2015.
John Fleetwood, Michket Krifa, Yves
“La Négritude, en ayant pris le risque de se
Chatap, Editions Vus d’Afrique, 2015.
constituer comme philosophie, notamment
Publié la même année, en 1972, à New
dans l’œuvre de Léopold Sédar Senghor cible
York, à Londres et à Paris, Chassés de la
The Phantoms of Congo river donne à voir
de critiques, de pamphlets, est devenue le signe
lumière a été par la suite oublié en France
une nouvelle dimension de l’approche
et le prétexte d’une dissimulation. L’affirmation
et pourfendu par la critique anglophone.
photographique de Nyaba L. Ouedraogo
de la primauté du culturel a été interprétée
Baldwin y achève sa radicalisation politique.
. Inspirée du récit littéraire Au cœur des
comme le masque d’un désengagement
Véritable récit de la crise de la suprématie
ténèbres de Joseph Conrad, cette série
du politique, et de la lutte - anticoloniale.
blanche, Chassés de la lumière est une
dévoile une nouvelle facette de la recherche
La reconnaissance de la contribution du «
traversée des années 1960, de leurs luttes,
esthétique entreprise par le photographe
nègre » à la « Civilisation de l’Universel » s’est
de leurs espoirs ; c’est aussi la fresque
depuis 2011. Il a choisi comme décors de
transformée en une triste répétition des clichés
amère d’une Amérique blanche agrippée
ces mises en scènes les rives de Brazzaville
coloniaux et de race. La puissance utopique du
à ses privilèges. Accusé d’être un ouvrage
en république du Congo. Autre versant du
« grand rendez-vous du donner et du recevoir
de propagande, cet essai n’a pu jouir de
fleuve.
» s’est muée en une prose solidaire de la
la reconnaissance qu’il méritait. Baldwin
captation de l’Afrique par la brutalité des forces
y renonce à la place que l’intelligentsia lui
A travers cette série, Nyaba L. Ouedraogo
néo-coloniales.
offrait — celle de l’artiste incompris par sa
entend rentrer en contact avec sa propre
La Négritude, quand elle se dit « philosophie
«communauté» — pour devenir le porte-
spiritualité. Ici, se pose le devenir de chaque
», ne semble retenir du geste philosophique
voix d’une nouvelle génération militante.
individu, de ses propres croyances ou
que sa dimension de sublimation - occultant,
Dans Chassés de la lumière, la «question
espoirs.
sous les concepts les plus travaillés, les logiques
noire» est inséparable de la révolution.
matérielles et économiques de prédation et les
Le texte est pour la première fois publié dans
Ce récit photographique exprime plutôt
formes de violence qui persistent à ordonner le
son intégralité.
qu’il ne décrit une réalité. Le photographe
monde après les Indépendances.” par Nadia Yala Kisukidi (UNIGE/CIPh)
201
développe un langage du rituel et du Traduction –revue, corrigée et enfin
mystique pour évoquer l’inconnu voire
complète– de Magali Berger
l’étrange.
AGENDA AFRIQUE « Persona »
s’active en chacun de nous, qui
« Man jëun laa - Je suis un
s’exprime dans le dialogue avec
poisson »
l’autre. Pour que l’individu tende vers son identité remarquable. Comme à la scène, une fictionréalité avec tous ces figurants. Yéanzi utilise leur témoignage, il consigne leur histoire sur une toile recouverte de
© Yéanzi, courtesy galerie Cécile Fakhoury
coupures de journaux, sur des bribes d’actualités qu’il
© Manel Ndoye, courtesy galerie Arte
La galerie Cécile Fakhoury
peint en couches successives,
présente la première exposition
passages, tumultes, estompes.
Manel Ndoye est artiste
personnelle de l’artiste
Une peinture sans pinceau. Par
sénégalais, sorti major de sa
ivoirien Yéanzi, intitulée
le feu, la matière plastique
promotion en 2010 de l’Ecole des
persona*.
se fait couleur, contrainte à
Beaux-Arts de Dakar.
se transformer, à endurer les * Persona: Masque, substitut
passages de la flamme et à
Le jeune peintre appartient à
de la réalité. Personnalité
déposer un peu de sa matière
l’ethnie Lébou dont le berceau
empruntée. Personnage
sur le support. Des contours
est la région de Dakar. Les
imaginaire
comme pour percer à jour le
Lébous sont essentiellement des
mystère de ce qui nous donne
pêcheurs et tout leur univers
Yéanzi vit et travaille à
la force de se redéfinir
culturel, social et imaginaire
Bingerville près d’Abidjan.
constamment. L’action de semi-
est fortement marqué par cette
Cet environnement rural est
combustion agit comme un
activité. Manel a grandi à
son atelier. Á l’extérieur,
balancement entre la pensée et
Djender, village lébou voisin de
au quartier, il cherche,
le corps. Ce qui se perd, ce
Cayar qui est le premier port
rencontre, écoute, il collecte
qui résiste, ce qui s’imprègne.
de pêche artisanal du Sénégal.
à travers ses œuvres. Il capte
« Persona », Yéanzi
Toute son oeuvre relate ses
des séquences, il cadre un
Jusqu’au 20/06/2015
souvenirs d’enfance, il peint
regard, une attitude, un corps
Galerie Cécile Fakhoury
les femmes de son village, sa
dans un mouvement. Il peint
06BP6499 ABIDJAN 06
mère, ses tantes, aux boubous
ces portraits, ces figures et
galerie@cecilefakhoury.com
majestueux et colorés. L’accent
silhouettes qui appartiennent à
http://cecilefakhoury.com/
pictural est souvent porté sur
les histoires qu’il réinterprète
son quotidien. Ce réseau social
des portraits de ces femmes,
proche et tangible est un point
dansantes et souriantes.
de départ. En premier lieu, il remarque la personne, puis il
Les couleurs sont vives car il
glisse vers sa personnalité.
ressent son univers au bord
Se focalisant sur l’image qui
de la mer avec des vibrations
202
positives où la joie et l’espoir
The themes that emerge suggests
présente à Jardin Rouge
rythment les danses, les
that they are engaged massively,
la puissance rassurante et
expressions des visages de ses
visibly, loudly, and dramatically
protectrice de ses « Guerriers
personnages. Il s’identifie
with the use of narration as an
Bantus », à partir du 4 Mai
ici à l’essence vibratoire du
empowering practice. Narrative
2015.
poisson d’où il tire le titre de
and the telling of stories in
son exposition.
a visual language creates in
Diplômé des Beaux Arts
us a space for imagination,
d’Avignon, Kouka fuit pourtant
« Man jëun laa - Je suis un
recognition, and empathy, and
tout académisme et se réclame
poisson », Manel Ndoye
this is an essential component
comme « Un pur produit du
Jusqu’au 30/05/2015
to understanding self and other
Goudron ». L’artiste veut
Galerie Arte
as currently experienced.
exprimer, et non représenter,
5 rue Victor Hugo x Ave Léopold
Artists include, among others:
une réalité essentielle,
Sédar Senghor
Candice Breitz, Virginia
débarrassée des écrans
Dakar - Plateau
Chihota, Ivy Chemutai Ng’ok,
trompeurs de l’apparence : la
http://joellelebussy.com/
Otobong Nkanga, Nkiru Oparah
réalité que nous ressentons,
and Tracey Rose.
qu’il ressent, en observant nos
« Speaking Back »
sociétés.
Dans sa peinture,
Opening at Goodman Gallery Cape
c’est vraiment le sentiment
Town on 21 May 2015 at 6pm
qui domine, il n’est pas question de spasmes, il y a
« Speaking Back »
bien une humanité ancrée, une
From 21/05/2015 to 04/07/2015
conscience.
Goodman Gallery Cape Town
Otobong Nkanga, Filtered Memories 1977 1981: Blackout, 1978, Yaba, Lagos - The Loss in Black Bubbles, 1979-81, Festac, LagosIkono, Akwa Ibom (detail), 6 parts each 29 x 42 cm, Drawing / Acrylic on paper. (2009). Credits: Courtesy of the Artist and Lumen Travo Gallery, Amsterdam. © Otobong Nkanga
3rd Floor, Fairweather House,176
Eternel voyageur, en 2008,
Sir Lowry Rd, Woodstock
c’est la terre Afrique
www.goodman-gallery.com
qui l’inspire et qui lui a permis la rencontre avec
« Bantus No(s) culture(s) »
la civilisation originelle africaine : Les Bantus. Depuis, Kouka veut honorer leur mémoire et a entamé un long travail sur la question de l’identité.
The group show Speaking Back
Incarnation de sa quête des
focuses on artists who have,
origines, ces Guerriers Debout
through their work, created
nous interrogent sur la vie
provocative and deliberative
et la mort, le passé et le
spaces from which women can speak back to perceptions, attitudes, and beliefs that impact on personal and political circumstances.
203
présent mais aussi sur les © Kouka
Figure libre de la scène artistique urbaine, Kouka
traditions et les cultures. Certaines traditions résistent à la modernité. L’artiste aime a rappeler que s’il
AGENDA est possible de s’accaparer
sur le continent Africain de
Cette installation constitue
un territoire, on ne peut
ces Guerriers pacifistes.
une archive de l’archive,
s’approprier une culture. Kouka
Jardin Rouge dévoile une
juxtaposées sous la forme d’une
nourrit dans son œuvre une
vingtaine de palissades que
grille organisée de catégories
relation triangulaire entre
l’artiste Kouka a réalisé
d’évènements. Elle met en avant
la nature, les hommes et le
pendant ses résidences
le caractère générique des
sacré. Les sentinelles bantus,
Marocaines.
rituels et des cérémonies à
gardiennes de l’humanité font
travers lesquels un pays passe
écho à certaines inquiétudes
“Bantus No(s) culture(s)”- Kouka
du statut de territoire colonisé
qui résonnent en nous :
04/05 – 07/06/2015
à celui d’État-nation.
conflits, censure, justice ou
Jardin Rouge
encore injustice. Immobiles,
Jnanna Ah’mar
Autour de cette exposition
torses nus, vêtus d’un simple
40 000 Marrakech
expérimentale au Bétonsalon a
pagne et munis d’une lance,
MAROC
lieu le séminaire « Archives
les « Bantus » nous protègent
en écho : Repenser les
et veillent à perpétuer
mémoires et les imaginaires
la mémoire. En résidences
FRANCE & EUROPE
successives à Jardin Rouge depuis deux ans, Kouka a
des indépendances coloniales ». Celui ci, dans une perspective
« Le jour d’après »
d’études postcoloniales,
prolongé sa réflexion sur
dialogue avec le dispositif
l’action de peindre comme
de Maryam Jafri. En effet,
puissance manuelle.
en dépaysant les archives de leurs territoires habituels, en
Au Maroc, au Brésil, au Congo, aux
les rejouant dans le champ de
Etats-Unis, en Belgique….
l’art, le dispositif de Maryam
Les œuvres de Kouka traversent
Jafri décentre la gestion des
les frontières. L’artiste
mémoires collectives et de
appose ses Bantus , libres et dignes, partout où il va. Les plus imposants : en 2011
leurs imaginaires et questionne Photo: © Maryam Jafri, detail from
Independence Day 1934-1975, courtesy of the artist.
leurs analyses en sciences humaines et sociales.
sur la façade d’un immeuble
Le centre d’art et de
à Paris où 77 « guerriers
recherche, Bétonsalon,
Que nous disent ces archives
Bantous de la République » sont
propose jusqu’au 11 juillet
et les rituels de ces jours
peints, et depuis quelques mois
2015 l’exposition ‘’Le jour
de transition qui mettent en
sur un mur de 50 mètres de
d’après’’ de l’artiste Maryam
scène le passage d’un pouvoir
long, à Wynwood, le quartier
Jafri. Le jour d’après est
à un autre, c’est-à-dire d’un
d’entrepôts de Miami devenu la
une installation composée
état de domination à celui
“Mecque” américaine du street-
de photographies du jour
dit d’indépendance ? Comment
art. Désormais, les bantus
de l’indépendance dans les
parlent-elles du colonial et du
veillent sur l’Amérique.
anciennes colonies européennes
post-colonial alors en devenir ?
L’événement
en Asie et en Afrique,
Quel dialogue produisent-elles
prises entre 1934 et 1975.
en relation avec les situations
« Bantus – No(s)
Culture(s) » marque le retour
204
post-coloniales contemporaines
et dans l’ombre de la scène
poteaux et poutres, un peu
et leurs récits actuels ?
internationale, ils partagent
comme le font les ficus sur les
Ce séminaire a lieu au
des pratiques qui construisent
ruines à Angkor. De ces racines
Bétonsalon en trois séances à
des passerelles entre des
vont émerger des femmes. La
partir de 17h
traditions millénaires et des
sculpture évoluera pendant
Jeudi 23 avril 2015
interrogations occidentales.
l’exposition, se craquelera,
Jeudi 21 mai 2015
Leurs œuvres nous invitent à
c’est une œuvre éphémère comme
jeudi 18 juin 2015
nous départir de notre lecture
beaucoup d’installations de
occidentale de lart pour nous
l’artiste. Que signifie être un
ouvrir à d’autres codes.
artiste du Sud-Est asiatique ?
“Le jour d’après” -Maryam Jafri Jusqu’au 11/07/2015
Richard Streitmmater-Tran, pour
Bétonsalon - Centre d’art et de
L’artiste Richard Streitmatter-
qui les notions de frontières
recherche
Tran vit et travaille au
sont floues, n’a pas de réponse
9 esplanade Pierre Vidal-Naquet
Vietnam. Après des études
à cette question et se dit
75013 Paris
d’art aux Etats-Unis, et une
avant tout artiste. La question
www.betonsalon.net
pratique plutôt tournée vers
du Global South ne se pose à
les nouvelles technologies et
lui que parce qu’il assiste
la vidéo, il vient de découvrir
au désastre de la perte des
le travail de matériaux
savoirs traditionnels.
nouveaux, traditionnels ou pas.
Au Palais de Tokyo, Richard
Avec ces matériaux il fait
Streitmatter-Tran, artiste
l’apprentissage de la lenteur,
inspiré, ne bâtit pas
une dimension absente de l’art
seulement un pont entre
contemporain. Pour répondre au
tradition millénaire et art
concept curatorial lancé par
contemporain, la fable qu’il
le commissaire de l’exposition
convoque, celle de l’arbre waq-
Khairuddin Hori, il fait appel
waq
à la mythologie et créé in situ
évoque également l’existence
une sculpture d’argile crue
d›une terre fabuleuse, le
« The Women and the Waq Waq ».
pays Waq-Waq que les textes
L’arbre waq-waq est un arbre
du XIe siècle situent parfois
mythique des contes véhiculés
sur la côte est de l’Afrique,
par les marins venus du golfe
parfois en Asie du Sud-Est. Une
persique, qui porte, en lieu
contrée « archipélique » et
et place des fruits, des êtres
transcontinentale. J’ai envie de
humains. Il évoque la vie,
dire, comme Edouard Glissant,
l’énergie vitale de l’arbre.
un « Tout-monde »...
« The Women and the Wap Waq »
© Richard Streitmatter-Tran 2015, The Women and the Waq Waq, work in progress, courtesy of the artist.
Archipel secret, présenté au Palais de Tokyo dans le cadre de Singapour en France – la saison culturelle mise en œuvre par l’Institut français, le National Heritage Board, et le National Arts Council, propose une sélection d’artistes contemporains travaillant en Asie du Sud-Est. Outre la particularité d’être des artistes relativement “secrets”,
205
aux fruits humanoïdes,
Pour Archipel secret, l’artiste travaille dans le sous-sol du
Myriam Dao
Palais de Tokyo, où il déploie des racines qui semblent faire
Richard Streitmatter-Tran
corps avec l’architecture, les
www.diacritic.org
AGENDA Richard Streitmatter-Tran- dans
recherche et de collecte
le cadre de l’exposition
de témoignages qui permet
« Archipel secret »
à l’artiste de proposer une
Jusqu’au 11/05/2015
méditation sur les modalités
Palais de Tokyo
de transmission de l’Histoire
13, avenue du Président Wilson,
et une lecture au présent
75 116 Paris
d’un héritage collectif, en
De midi à minuit tous les
questionnant la matière qui
jours, sauf le mardi
compose cette H(h)istoire, ses
http://www.palaisdetokyo.com/fr
potentialités narratives et ses résonances au présent et peut-
« Foreign Office »
être au futur. Bouchra Khalili, Lauréate du Prix SAM pour l’art contemporain 2013 (née en 1975 à Casablanca, vit et travaille à Berlin) articule subjectivité et histoire collective pour interroger les relations complexes entre l’Histoire coloniale et postcoloniale,
Vue de l’exposition « Foreign Office » de Bouchra Khalili, Palais de Tokyo 2015. Photo : Aurélien Mole. © ADAGP, Paris
les migrations contemporaines, leurs géographies et les récits et l’imaginaire qui en sont
Bouchra Khalili présente, à
issus.
l’occasion de son exposition au Palais de Tokyo, une
« Foreign Office » - Bouchra
nouvelle série d’œuvres, sous
Khalili
le titre générique Foreign
Jusqu’au 17/05/2015
Office, composée d’un film, de
Palais de Tokyo
photographies et de documents.
13, avenue du Président Wilson,
La série de photographies
75 116 Paris
élabore un inventaire des
http://www.palaisdetokyo.com/fr
différents lieux qui ont abrité ces mouvements de libération basés à Alger, tandis qu’une carte produite par l’artiste les resitue dans la topographie contemporaine de la ville. Comme pour chacun de ses projets précédents, ce corpus fait suite à un travail de
206
« LA S.A.P.E »
Yves Sambu, Vis à Vis, 2013, impression jet d’encre, Courtesy Yves Sambu.
« Ô Dieu de la S.A.P.E. […], Pardonne à tous ceux qui ne savent pas s’habiller […], tous ceux qui ne savent pas distinguer les couleurs […] » Extraites d’une prière de la Société des Ambianceurs et Personnes Élégantes (S.A.P.E), ces paroles sont celles d’un mouvement né dans les années 1960 à Brazzaville (République du Congo), qui s’est depuis répandu dans des foyers tels que Kinshasa (République démocratique du Congo) et Paris. Comment réinventer son identité, comment sublimer l’existence, et défier la norme ? Communauté protéiforme et complexe, la S.A.P.E. fait de ses adeptes des fidèles dévoués à l’art vestimentaire. La S.A.P.E. unit ses membres au travers de divinités, de rituels, de croyances et, d’une science, la « Sapologie », dont les finalités sont d’ériger le vêtement au rang de langage et d’œuvre à part entière. L’art de la S.A.P.E. est avant tout lié à l’éloquence et à la véhémence du sapeur, un fidèle au service des dieux, dont la mission est d’exceller dans une performance où chacun de ses vêtements « parle » et se fait le signe d’une identité magnifiée.
« La S.A.P.E » - dans le cadre
Congo, où il réside, tout en
Avec son exposition d’envergure
de l’exposition « Le Bord des
tentant de les résoudre.
« Making Africa – A Continent
Mondes »
La pratique de Jean Katambayi
of Contemporary Design », le
Jusqu’au 17/05/2015
trouve écho dans le hacking et
Vitra Design Museum jette un
Palais de Tokyo
ses fondements : le partage
regard nouveau sur le design
13, avenue du Président Wilson,
des connaissances, la volonté
contemporain en Afrique.
75 116 Paris
de l’éveil des consciences et
S’appuyant sur des œuvres
http://www.palaisdetokyo.com/fr
la mise en application d’une
de plus de 120 designers et
ingéniosité qui semble infinie.
artistes, l’exposition « Making
Ses créations, à la fois
Africa » souligne comment
subtiles et poétiques, sont
le design accompagne, voire
un hymne au dépassement des
favorise le tournant économique
limites, aussi bien sociales,
et politique du continent et
politiques que matérielles.
l’émergence d’un dialogue intime
« JEAN KATAMBAYI »
avec des disciplines voisines,
Jean Katambayi Mukendi, Simultium 2, 2009, Composants électroniques © Crédit photo : Georges Senga
Jean Katambayi (né en 1974,
Jean Katambayi - dans le cadre
telles que les beaux-arts,
de l’exposition « Le Bord des
le graphisme, l’illustration,
Mondes »
le film, la photographie,
Jusqu’au 17/05/2015
l’architecture et l’urbanisme.
Palais de Tokyo
À l’heure actuelle, l’Afrique se
13, avenue du Président Wilson,
fait terre d’expérimentation des
75 116 Paris
nouvelles approches et solutions
http://www.palaisdetokyo.com/fr
qui seront employées dans le
vit et travaille à Lubumbashi,
monde entier : le design du
République démocratique du
« Making Africa, A Continent Of
XXIème siècle et ses effets
Congo) mène une recherche
Contemporary Design »
futurs sont ici bien visibles.
obsédante sur les flux
Conçue telle un dialogue avec
d’énergie qui régissent notre
des experts internationaux,
monde, qu’ils soient physiques
notamment Okwui Enwezor,
ou spirituels.
célèbre conservateur,
Ses pièces et dessins sont
l’exposition présente des
autant d’études qui rendent
objets de Cheick Diallo, des
visibles les déséquilibres
lunettes sculpturales de Cyrus
du monde et des forces. À
Kabiru, des photographies de
l’aide de carton et d’éléments
Mário Macilau XXIème J.D. ’Okhai
électroniques récupérés et
Ojeikere, des bâtiments de
recyclés, il crée des systèmes
Francis Kéré, des animations
électriques de calculs, machines
numériques de Robin Rhode ainsi
théoriques et pratiques qui mettent en évidence la question du manque de ressources énergétique dont souffre le
207
Vigilism, « Idumota Market, Lagos 2081A.D. » from the « Our Africa 2081A.D. » series, illustration for the Ikiré Jones Heritage Menswear Collection, 2013, © Courtesy Olalekan and Walé Oyéjidé.
que des œuvres de représentants de bien d’autres disciplines. L’exposition « Making Africa » est un projet commun
avec le Musée Guggenheim Bilbao
architecte et auteur, et avec
The awards ceremony and the
et reçoit le soutien de la
une importante participation
inauguration will take place on
Fondation culturelle fédérale de
du photographe Iwan Baan.
Saturday May 9th, 2015.
l›Allemagne ainsi que de l’Art
L’exposition décrit plus d’une
The show consists of over
Mentor Foundation Lucerne.
cinquantaine de bâtiments au
136 artists from fifty-
Kenya, en Côte d’Ivoire, en
three countries, among them
« Making Africa, A Continent of
Zambie, au Ghana et au Sénégal,
many producers from African
Contemporary Design »
qui reflètent l’esprit orienté
perspectives such as Invisible
Jusqu’au 13/09/2015
vers l’avenir qui imprégnait ces
Borders, Samson Kambalu , Emeka
Vitra Design Museum
pays à cette époque.
Ogboh , Ibrahim Mahama , Sammy
Charles-Eames-Str. 2
Baloji and many others.
D-79576 Weil am Rhein
« Architecture of Independence »
89 National Participations will
www.design-museum.de
Jusqu’au 31/05/2015
be exhibiting in the historical
Vitra Design Museum
Pavilions at the Giardini, at
Charles-Eames-Str. 2
the Arsenale and in the city
D-79576 Weil am Rhein
of Venice. Five countries are
www.design-museum.de
participating this year for the
« Architecture of Independence »
first time, including Mauritius « 56Th Venice Biennale 2015,
and the Republic of Mozambique.
09/05/2015 To 22/11/2015 »
The 56th International Art Exhibition: All the World’s Futures, will also introduce the ARENA, an active space dedicated to continuous live
Independence Square, Ghana, Public Works Department, 1961
programming across disciplines and located within the Central
Lorsque de nombreux pays
Pavilion in the Giardini.
d’Afrique centrale et sub-
Designed by award-winning
saharienne ont acquis leur
Ghanaian/British architect David
indépendance dans les années
Adjaye, the ARENA will serve as
1960, les jeunes États ont souvent choisi d’exprimer leur
The 56th International Art
a gathering-place of the spoken
nouvelle identité nationale par
Exhibition titled All the
word, the art of the song,
le biais d’une architecture
World’s Futures , curated by
recitals, film projections, and
expérimentale, visuellement
Okwui Enwezor and organized by
a forum for public discussions.
futuriste. La Vitra Design
la Biennale di Venezia chaired
The Biennale has also
Museum Gallery accueille une
by Paolo Baratta , will be open
commissioned Kara Walker to
des premières expositions
to the public from Saturday,
direct a new production of
consacrées à cette période
May 9th to Sunday, November
Vincenzo Bellini’s Norma (1831),
remarquable de l’histoire
22nd, 2015 at the Giardini and
which will be staged at Teatro
récente de l’architecture,
the Arsenale venues.
La Fenice .
sur la base de recherches
The preview will be held on May
The 56th International Art
effectuées par Manuel Herz,
6th, 7th and 8th.
Exhibition of la Biennale di
208
Venezia will also present, as
« The Bridges of Graffiti »
POW! WOW! HAWAII 2015), Eron,
is traditional, the National
Futura, Mode 2, SKKI, Jayone,
Participations with their own
Todd James (soon to be on view
exhibitions in the Pavilions
at Lazarides’ very own London
at the Giardini and at the
space), Teach and Zero-T.
Arsenale, and in the historic city centre of Venice.
The Bridges of Graffiti
44 selected Collateral Events,
May 9 th-November 22nd 2015
presented by international
Open every day from 10.10am to
entities and institutions, which
8.20pm
will present their exhibitions
Artterminal c/o Terminal S.
and initiatives in various
Basilio
locations within the city of
Fondamenta Zattere ponte di
Venice concurrently with the
Legno, Venezia
56th Exhibition. The Biennale Sessions
The Bridges of Graffiti debuts project
Vaporetto stop:San Basilio
at the Venice Biennale 30
will be held for the sixth
years after Arte di Frontiera
« Tout doit disparaître !/Every-
consecutive year, following
New York Graffiti, curated by
thing must go »
the success of its previous
Francesca Allinovi in 1984. It
editions. This initiative is
was an exhibition which brought
dedicated by la Biennale di
the New York graffiti writers
Venezia to universities and
artistic scene to Italy. The
academies of fine arts, and
Bridges of Graffiti aims to
to institutions that develop
continue their work and to
research and training in the
promote and highlight major
arts and in related fields.
contributions to the graffiti culture by displaying the very
« 56Th Venice Biennale 2015 »
best of it at the moment.
From 09/05/2015 to 22/11/2015
The space will also display a
Exhibition venues
selection of books and fanzines
“Pangaea II: New Art From
Venice: Giardini and Arsenale
about the history of graffiti
Africa and Latin America”
Opening hours: 10 am - 6 pm
and a rich body of individual
features the work of 18
Opening hours: 10 am - 8 pm
pieces.
emerging artists. Witnesses to
Arsenale venue on Fridays and
© Jean-François Boclé
the transformation of their
Saturdays until 26 September
Presenting their talent and
societies, the artists working
Closed on Mondays (except May
participating in The Bridges
in these two distinctive
11th, June 1st, and November
of Graffiti projects are the
regions are increasingly based
16th, 2015)
world’s most prominent graffiti
within cities that are changing
www.labiennale.org
artists. The names are Boris
at an unprecedented rate.
Tellegen (recently part of
Their work employs a hybrid of
Graffuturism 5 Year Anniversary
traditional and contemporary
Show), Doze Green (seen at
techniques and materials,
209
reflecting on social and
Born in Fort-de-France, the
fixed to literary theorist
political issues faced during
administrative capital of
Edouard Glissant’s “idea of
this period of rapid urban and
Martinique, Boclé left the
an ongoing process capable of
economic expansion. Pangaea:
country in exile as a teenager.
producing the identical and the
New Art From Africa and Latin
The notion of creolisation
different”.
America features work by
that defines the geographic
© Osei Bonsu, 2014
Dawit Abebe, Aboudia, Eduardo
and intellectual character of
Berliner, Jean-François Boclé,
the Antilles is central to the
“Tout doit disparaître !/
Armand Boua, Pia Camil, Alida
artist’s exploration of history.
Everything Must Go” by
Cervantes, Virginia Chihota,
The transnational, interracial
Jean-François Boclé as part of
Alexandre da Cunha, Federico
and cross-cultural implications
the exhibition “Pangaea II:
Herrero, Diego Mendoza Imbachi,
of colonialism form the bases
New Art From Africa and Latin
Eddy Kamwanga, Hamid El
of Boclé’s multidisciplinary
America”
Kanbouhi, Jorge Mayet, Ibrahim
practice. Toxicity, as
Saatchi Gallery, London
Mahama, Boris Nzebo, Alejandro
it relates explicitly to
11 March - 6 September 2015
Ospina, Ephrem Solomon and
ecological perils, but also to
Duke of York’s HQ
Mikhael Subotzky.
the environmental racism of
King’s Road
colonial Europe set the stage
London - SW3 4RY
Jean-François Boclé’s
for the artist’s interrelated
metaphorical installations
references. Childhood memories
propose a wasteland in which
plagued by feelings of
the ruins of civilisation are
displacement become rooted
shored against its discontents.
into a grand narrative of
The artist’s alchemical process
hybridisation and postcolonial
involves bringing everyday
identity.
« Too little, too late »
objects into a network of relations, highlighting
In his largescale installations
dialectics such as capitalism
(Tout doit disparaître! /
and consumerism, privilege
Everything Must Go, 2001) a
and injustice, and so forth.
sea of blue plastic bags form
His playful appropriations
an abyss, a quasimemorial to
and gestures are rooted in
lives lost at sea during the
The work of Vasco Araújo (Lisbon,
the question of postcolonial
transatlantic slave trade. The
1975) has systematically focused
consciousness and collective
ubiquitous plastic bags of
o n th e hist ory of Eur o p ean
history. Bananas scarified
supermarket checkouts become
colonialism and its tragically
with political text, Banania
air inflated, supplied with
long-lasting effects, from the
chocolate drawings, blown up
air to symbolise the priceless
perspective of the relational
carrier bags, and flattened
commodity that is life itself.
dynamics of power and submission
cardboard boxes, become
The theory of creolisation, as
between peoples from different
devises for the communication
pertinent to the artist’s own
places and cultures.
of historical narratives.
personal biography as it is to
After decades of silence, the
today’s art production, remains
colonial period has recently
210
been subject to comprehensive and consistent critical scrutiny, that began in both academia and the arts or literature. However, in Portugal, the main aspect that has changed for the present generation, which emerged from the 1970s onwards, is an interest rooted in concerns which are also of a biographical nature, anchored in personal experiences and in reaction to a deafening silence and prolonged amnesia that has marked, and still marks, the memory of this period, that has left so many untreated traumas. ““Tout doit disparaître !/ Everything Must Go” Vasco Araújo Till Jully 15, 2015 José de Guimarães International Arts Centre (CIAJG) Platform of Arts and Creativity Av. Conde Margaride, 175 4810-525 Guimarães, Portugal Odyssées africaines propose un voyage au cœur de la création artistique contem poraine du sud-est du continent africain. L’exposition chemine dans 11 pays traversés 90 ans auparavant par la Croisière noire, une expédition française. En inscrivant ce fait colonial comme point de départ, Odyssées africaines convoque l’histoire et vise à explorer ses résonances dans les réalités contemporaines à travers les œuvres de 17 artistes, originaires du sud-est africain, peu ou jamais montrés en Europe. Une exposition sous le commissariat de Marie-Ann Yemsi. “Odyssées africaines”, jusqu’au 17 mai 2015 BRASS – Centre Culturel de Forest, 364 Avenue Van Volxem, 1190 Forest Informations : www.lebrass.be,
211
AFRIKADAA PLAYLIST
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212
Mukwae Wabei Siyolwe is a Princess from the Kingdom of Barotseland, an artist and a social scientist who likes to travel, compose music, meditate, write, create hybrid experiences, cook, dance and live in the moment. Mukweae Wabei Siyolwe is currently writing a hybrid oratorio with Haitian American composer Daniel Bernard Roumain called Wade in the Water, Kuomboka to celebrate the centennial of King Lewanika of Barotseland in February 2016, in association with The Kelly Strayhorn Theatre. Pittsburgh USA. This production is made possible by grants from Advancing Black Arts, of the Heinz Endowment, The A.W. Mellon Educational and Charitable Trust Fund of The Pittsburgh Foundation, and The Greater Pittsburgh Arts Council (GPAC).
© Mukwae Wabei Siyolwe
Piano-Vocal !" &* /%" /"-
We First Came To You In A Dream +,- *+
0.& 3 *&"( "-* -! +0) &*
+-!. 3 0'2 " "& &3+(2" (q = ca. 100)
4 &4
Soprano
4 &4 Piano
F
? 4 bœ œ œ œ 4 b œ œ œ œ
b b œœ œœ œœ œœ
warm and with joy
bœ . œ œ œ . œ œ
b b œœ
œœ œœ
œœ
bœ . bœ œ
b b œœ
Ó
œœ œœ œœ
F
warm and with joy
5 Sop.
213
Pno.
Ó
bœ . œ œ œ . œ œ
bœ . œ œ œ . bœ œ bœ œ œ œ
bœ . œ œ œ . œ œ bœ œ œ œ
w
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MAY-JUNE-JULY 2015
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