#9 anthropologismes

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AFRO DESIGN & CONTEMPORARY ARTS

ANTHROPO_LOGISMES

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MAY-JUNE-JULY 2015

#9


Couverture : Front : Salon colonial, Le petit colon, Verdun, Yo-Yo Gonthier, 2007 Back : Salon colonial, Les masques, Yo-Yo Gonthier, 2007 Ils ont contribué à ce numero : Jay One Ramier, Yo-Yo Gonthier, Martine Barrat, Mukwae Wabei Siyolwe, Alicia Knock, Pascal Kenfack, Myriam-Odile Blin, Rémi Astruc, Emmanuel Rivière, Roger Sansi, Stéphane Malysse, Bruno Pédurand, Cynthia Phibel, Olivier Timma, Antje Van Wichelen, Jean-Claude Moineau, Sally Price, Martin Aguissa, Martine Bouchier, Julien Creuzet, Eva Barois De Caevel, Oussama Tabti, Thierry Oussou, Mustapha Sedjal, Dagara Dakin, Yang Seung Woo, Joana Choumali, Omar Victor Diop, Fréderic Nauczyciel, Francine Mabondo, Marc-Antoine Durand, Romaric Tissserand, Julia Morandeira Arrizabalaga, Daniel Bernard Roumain, Galerie Cécile Fakhoury, Anna Mazzei, Edouard Duval-Carrié, Pearl, Brent Hayes Edwards, Sylvie Kandé, Jean-Marc Bullet, Alisa Clements, Kouka Ntadi, Barthélémy Toguo, Marcel Pinas Direction de publication Carole Diop Pascale Obolo Rédactrice en Chef Pascale Obolo Rédactrice en Chef Invitée Seloua Luste Boulbina Direction de projet Louisa Babari Direction Artistique antistatiq™ Graphisme antistatiq™ Comité de rédaction Frieda Ekotto Olivia Anani Seloua Luste Boulbina Camille Moulonguet Patrick de Lassagne Djenaba Kane Anne Gregory Myriam Dao Sean Hart Fabiana Bruna Souza Hafida Jemni Tous droits de reproduction réservés. Contact: info@afrikadaa.com www.afrikadaa.com www.facebook.com/Afrikadaapage www.twitter.com/afrikadaa

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EDITO Aujourd’hui, de nombreux artistes contemporains des suds (re)prennent des motifs anthropologiques. Soit qu’ils détournent les clichés de leur destination primitive, soit qu’ils calquent ironiquement leur démarche sur celles de ces savants d’un autre temps, soit qu’ils recourent, dans leur travail, à des procédés de type anthropologique. De multiples façons, la référence à l’anthropologie est aujourd’hui récurrente. Cet « anthropologisme » et ses nouveaux enjeux signent-ils la mort de l’anthropologie ? Un renouveau ? Quel(s) usage(s) faire des archives photographiques? L’anthropologisme est-il la marque d’une décolonisation ? Comment artistes et chercheurs se démarquent-ils des connaissances profondément marquées par une idéologie coloniale et raciale ? Qu’en font-ils ? Comment, dans le recyclage des images anciennes, l’art assume-t-il une fonction sociale critique ? Ces quelques questions soulignent que le rapport art/anthropologie est un foyer d’interrogations critiques. Dans le même temps, et parallèlement, des anthropologues – et, en particulier, ceux que l’on appelait les « africanistes » - se sont saisis de l’art contemporain africain. Celui-ci est-il une suite logique des arts premiers auxquels l’anthropologie du XXe siècle a porté attention ? Ce phénomène est-il uniquement français ? Que signifie-t-il ? Plus largement, quel est le sens, également des expositions comme « L’invention du sauvage » ou « Exhibit B ». Peut-on les dissocier de la résurgence, très différenciée, des clichés du passé ? Les « anthropologismes » paraissent caractéristiques du début du XXIe siècle que l’on se tourne du côté de la rencontre de l’art avec l’anthropologie (surtout lorsque les démarches artistiques se veulent aussi recherches théoriques), ou de celle de l’anthropologie avec l’art. A quelles hybridations donnent-elles lieu ? SELOUA LUSTE BOULBINA

Today, many contemporary artists from the Southern worlds work with the (re) appropriation of anthropological patterns. They do so by subverting the clichés to divert them from their “primitive” destinations, using mimicry as a critique of the approach devised by those scientists from another time, or by using anthropological processes as material in their work. In many ways, the reference to anthropology is today, a recurring practice. Are this “anthropologism” and the stakes at play here, signing the death of anthropology ? A revival ? What use can be made of photographic archives ? Is anthropologism the mark of decolonization ? How do artists and scientists distinguish themselves from a system of knowledge deeply inscribed with a colonial and racial ideology ? What do they make of this heritage? How in the recycling of images from the past, does art assumes a role in social commentary ? These questions highlight that the art / anthropology connection is a source of critical interrogations Simultaneously to these developments, anthropologists in general – and the so-called “Africanists” in particular - have taken hold of contemporary African art. Is this a logical continuation, from the primitive arts on which anthropology focused its attention on during the twentieth century ? Is this phenomenon limited to France ? What are its implications ? More broadly, what is the meaning of shows like “The invention of the Savage” or “Exhibit B” ? Can we separate these actions from the revival of old clichés ? The “anthropologisms” seem characteristic of the early twenty-first century, and this is true whether we look at the encounters generated from art to anthropology (most notably, with artistic approaches also making claims to be theoretical research), or from anthropology to art. Which hybridizations do these encounters give place to ? SELOUA LUSTE BOULBINA

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AFRIKADAA ANTHROPOLOGISMES ART TALK ANTHROPOLOGISMES/UPSIDE DOWN - PAR SELOUA LUSTE BOULBINA

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BAROTSELAND AND THE PERFORMED ARCHIVE : THE AUTO-ETHNOGRAPHIC EYE AND I - BY MUKWAE WABEI SIYOLWE

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LES ANTHROPOPHAGISMES D’ANA MAZZEI - PAR ALICIA KNOCK

16

YOU DO THE CRIME, YOU DO THE TIME : UNE SÉRIE DE VIDÉOS DE MARTINE BARRAT - PAR CAMILLE MOULONGUET

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ÊTRE PÉRIPHÉRIQUE/BE PERIPHERAL - PAR FABIANA BRUNA SOUZA

48

YET ANOTHER DANCE ON RACE : THE TUNE OF BALDWIN AND MEAD IN A RAP ON RACE - BY FRIEDA EKOTTO

52

POSSÉDER LE « JE » : DIFFÉRENTS USAGES DE L’ANTHROPOLOGIE - PAR MYRIAM DAO

54

LA MONTÉE AU TRÔNE DU PRINCE HÉRITIER - PAR PASCAL KENFACK

58

SPHYNGE EN SUCRE ET PENSÉE DE L’HYBRIDITÉ CHEZ KARA WALKER - PAR RÉMI ASTRUC

61

ARTS, ANTHROPOLOGIE ET LE DON : DIALOGUE ENTRE ROGER SANSI ET STÉPHANE MALYSSE

66

LES DÉPLACEMENTS DU SENS : ENTRETIEN AVEC BRUNO PÉDURAND PLASTICIEN - PAR CYNTHIA PHIBEL

70

IDENTITÉ CULTURELLE, CRÉATIVITÉ ET NOUVEAUX HORIZONS - PAR OLIVIER TIMMA

76

A COMPATIBILITY BETWEEN VALUE SYSTEMS : READING THE ARTS ACROSS AFRICA AND ASIA - BY OLIVIA ANANI

80

ESTHÉTIQUE DU DIVERS : ENTRETIEN ENTRE EMMANUEL RIVIÈRE ET MYRIAM-ODILE BLIN

84

UNSETTLING PHOTOCOLLECTIONS - BY ANTJE VAN WICHELEN

88

SUPPLÉMENT AUX ZOO HUMAINS - PAR JEAN-CLAUDE MOINEAU

92

SUPPLÉMENT AUX ZOO HUMAINS/ACTE 2 - PAR JEAN-CLAUDE MOINEAU

97

ART, ANTHROPOLOGY AND MUSEUMS : POST-COLONIAL DIRECTIONS IN THE UNITED STATES - BY SALLY PRICE

102

PLACES RÉOUVERTURE DU MUSÉE NATIONAL À YAOUNDÉ : UN BOEING DE 5000 MÈTRES CARRÉS - PAR MARTIN AGUISSA

116

CONCEPT ETHNO-GRAPHIES : DIALOGUE ENTRE MARTINE BOUCHIER ET MYRIAM DAO

120

SURVOLÉ, LES PAGES DE TOUTES NOS COLONIES (...) - EVA BAROIS DE CAEVEL ET JULIEN CREUZET

127

TRACE - PAR THIERRY OUSSOU

132

TÊTE D’ARABE : L’ESTHÉTIQUE ORIENTALISTE EN QUESTION - OUSSAMA TABTI

134

LA MAISON DU PEUPLE - MUSTAPHA SEDJAL

FOCUS YO-YO GONTHIER : PETITE ZONE PEU SÛRE - PAR DAGARA DAKIN

138

PORTFOLIO LOST CHILD (2007) - YANG SEUNG WOO

142

FIREFLIES, BALTIMORE (2011-2014) - FRÉDÉRIC NAUCZYCIEL

146

RÉSILIENTES (2014) - JOANA CHOUMALI

154

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PROJECT DIASPORA (2014) - OMAR VICTOR DIOP

160

ARCHITECTURE LE MUSÉE DU QUAI BRANLY : UNE ARCHITECTURE QUI RÉACTUALISE LES CLICHÉS - PAR CAROLE DIOP

168

MICRO-RÉCITS ET URBANISME : UN ARCHITECTE ET UN ANTHROPOLOGUE À NOUACKCHOTT - PAR MAR-ANTOINE DURAND

172

DESIGN COMMENT UNE CERTAINE PRATIQUE DU DESIGN PEUT ÊTRE ASSIMILÉE À L’ANTHROPOLOGISME - PAR JEAN-MARC BULLET

180

EXHIBITION REVIEW 1:54, DEBRIEF - PAR FRANCINE MABONDO

184

CANIBALIA - PAR JULIA MORANDEIRA ARRIZABALAGA

188

MUSÉE L’ONT L’EUX : UNE PERFORMANCE D’AFRIKADAA AUX LABORATOIRES D’AUBERVILLIERS

192

CARNET DE BORD ULTRAMAR (EMPIRE TRAVEL CLUB) : OÙ L’AGENCE DE VOYAGE PAR LES IMAGES - PAR PASCALE OBOLO

194

AFRIKADAA’S LIBRARY 200

AGENDA 202

AFRIKADAA PLAYLIST WADE IN THE WATER - BY MUKWAE WABEI SIYOLWE AND DANIEL BERNARD ROUMAIN

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ART TALK

Anthropologismes Upside down Par Seloua Luste Boulbina directrice du programme « La décolonisation des savoirs » au Collège International de Philosophie, chercheuse associée à l'Université de Paris VII (France)

Edouard Duval-Carrié, "After Church–Mystic Lagoon," 2013. Mixed media on aluminum, 96 x 144 inches. Courtesy of the artist.

L’enquête a été le complément indis-

exemple, le développement de la pho-

photographie à leurs propres fins.

pensable des conquêtes européennes :

tographie s’est effectué – aussi – en terre

Les studios arméniens seront dans la

les hommes de science et les artistes

étrangère.

région, les plus réputés. Puis les frères

ont été systématiquement mis à contri-

Abdallah, d’abord assistants d’un

bution. Les images ont donc toujours,

Le premier daguerréotype de l’histoire

photographe allemand, deviendront

par voie de conséquence, par héritage,

réalisé par Joly de Lobnière, en 1839

les photographes officiels du sultan

accompagné l’anthropologie. Elles sont

montrait les ruines romaines de Baalbek.

Abdel Aziz, consacrant le nouvel art de

aussi, nécessairement, des représenta-

En 1840, Horace Vernet et Goupil-

portrait. Ils deviennent ainsi les maîtres

tions des concepts qui ont présidé à

Fesquet photographient Beyrouth.

des images.

l’exploration. En ce sens, elles sont la

C’est aussi la première fois. Le geste

concrétisation d’un regard. Mais aussi

destitue le dessin et son hégémonie

Les photographes constituent, sou-

des craintes et des angoisses, de la fasci-

impériale. Peintres, lithographes,

vent consciemment et délibérément,

nation et de la répulsion. L’inventaire de

graveurs perdent leur monopole. Mais

des archives de ce qui va, sous l’effet

ces images relève de l’encyclopédisme.

la captation est immédiatement happée

d’une présence étrangère, disparaître :

Il suffit ici de signaler combien, par

par les Ottomans qui se servent de la

vêtements, manières d’être et de faire.

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Les « scènes », selon le vocabulaire

dans le Mali du XXe siècle (Seydou Keita,

objets d’antan en sujets présents. Elles

français – théâtral - en vigueur, seront

Malick Sidibé) passe d’abord par le por-

cherchent, au fond, à remettre le passé

fixées par l’objectif. L’enjeu colonial de

trait. Le paysage est relégué au second

en place et, donc, le présent au milieu de

la photographie est tel que, plus tard,

plan car pour ses habitants, un pays

toutes les hétérochronies.

certains, dans leurs découvertes anthro-

ne se réduit pas à un paysage. Le sens

pologiques, en dissimuleront l’usage.

de l’image est inversé, en dépit de la

Edouard Duval-Carrié réinvestit ainsi le

Point de photographies dans les livres

ressemblance que les nouvelles images

paysage pictural (avec ses moustiques,

de Claude Lévi-Strauss sur le Brésil ou

entretiennent avec les anciennes. «Les

sa malaria…) à la façon scintillante

d’un de ses plus célèbres lecteurs, Pierre

peuls de ma région de Sissako» de Mory

et pailletée du réalisme merveilleux.

Bourdieu, en Algérie. La photographie

Bamba ou « Les Chinois en Afrique » de

Revisitant les peintures du passé,

est un non-dit, une ellipse, un secret.

Bintou Camara « documentent » de nou-

il montre, face à une végétation

On dispose, depuis, de leurs albums

velles réalités. Ces photographies sont

dense, sous un ciel chargé de terreurs

respectifs qui montrent combien l’acte

des envers de la photographie coloniale.

nocturnes, une barque colombienne

photographique a participé à leur travail,

Que se passe-t-il, toutefois, quand on

(celle de Christophe Colomb) contenant

qu’ils le reconnaissent comme Bourdieu,

emprunte aux vieilles catégories pour

des personnages de Walt Disney prêts

ou le dénient, comme Lévi-Strauss.

produire de nouvelles images ?

à accoster. Ils sont les symboles des

La question est sans doute plus politique

paradis tropicaux que représentent

Bien sûr, familiers des « scènes et types » collectés au gré de l’emprise progressive du continent africain – et du reste du monde – par les Européens, ils entendent rompre avec une tradition funeste. Largement diffusées comme cartes postales, les « scènes et types » sont les images d’Epinal de la colonie. Elles immortalisent sur le papier des scènes « traditionnelles » ; « la grande prière » ; « dans le sud, le transport des dattes au Sahara » ; « marchand de ka-ka-ouet ». Ou des « types » ; « femmes kabyle » ; « noble targui et enfant hartani ». Un inventaire complet des

aujourd’hui, avec leurs formules « all

“Dans cet étrange laboratoire, des visages anciens réapparaissent ; ils nous renvoient à une ancestralité complexe dans laquelle on trouve de la parenté et du patrimoine, d’anciennes et de nouvelles alliances”

populations préside à la constitution de

inclusive », les Caraïbes et la Floride. Ce n’est plus- seulement - l’espace de la plantation et de l’esclavage - mais celui des resorts qui est évoqué. Des personnages mouchetés, noirs et blancs, hantent la toile. Ces paysages, en effet, sont peuplés de fantômes. Erzulie Freda en partance pour Paris remplace, avantageusement, l’ancienne « mulâtresse » portraiturée par l’amateur d’histoire naturelle. C’est un nouvel embarquement pour Cythère. Dans un geste comparable quoique évidemment différent, Lennon

portraits d’anonymes réduits à n’être

qu’artistique.

Jno Baptiste explore l’exploration

que l’illustration d’un « type » particulier.

Comment hériter des images du passé ?

pour en mettre au jour les figures :

Les anciennes colonies d’Amérique ont

Vénus Hottentote transformée en

L’ambivalence s’affiche sur ces images

légué des peintures. Les nouvelles colo-

déesse charnue de la pornographie,

car elles montrent et l’intérêt réel pour

nies d’Afrique et d’Asie on été marquées

Chickenman emprunté au vocabulaire

les mondes nouveaux et la destitution

– et remarquées - par le photographie.

du spectacle et clown blanc du

des sujets que la colonisation entraîne.

Les stratégies artistiques sont plurielles

répertoire passé, coqs dont les combats

C’est pourquoi la reprise, comme dans

qui signent la provincialisation d’un

apprivoisent le sens agonistique des

l’empire ottoman du XIXe siècle, ou

regard autant que la transformations des

hommes du pays, boxers qui prennent

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leur revanche sur la vie. Les vignettes

fétiches. Quel usage contemporain faire

son propre goût pour la collection et

coloniales et postcoloniales peuplent

de ces anciens « invariants » ? Faut-il lais-

les divers anthropologismes constitutifs

les dessins et les peintures, quelquefois

ser ces archives de côté ou les réinscrire

de la modernité occidentale. Il peut

tracées noir sur noir, plongeant les

dans le présent ? Et comment ? À partir

s’agir des innombrables dessins mon-

figures et le spectateur dans l’obscurité.

des images de l’expédition du belge

trant comment atteindre – en incisant

Les doubles portraits montrent un

Charles Lemaire au Congo, Sammy Baloji

les chairs – une lésion organique, des

chevalier masqué et démasqué. D’un

incruste, dans la série « Congo Far West »,

innombrables photographies « avant-

côté un homme au visage blanc,

les « types » d’antan – « femme urua »,

après » de la chirurgie reconstructrice

de l’autre avec un masque noir. La

« grand chef urua » - sur des aquarelles

indispensable pour réparer les visages

fantasmagorie inonde la toile ou le

de Dardenne. Il juxtapose la photogra-

des « gueules cassées » de la « grande

papier et juxtapose les clichés : jeune

phie d’un homme aux mains mutilées à

guerre », des sculptures « nègres » pro-

fille au teint de porcelaine, grosse

Pweto, prise en 1899 et celle d’un fusil

duites à partir de ces blessés de 14, de

femme noir aguicheuse, sculpture

abandonné dans les chutes de Kyoba,

la confrontation faciale de la statuaire

« africaine ». Les noms, néanmoins,

en 2010. Trace du conflit entre forces

moderne avec ces visages abîmés. La

réapparaissent : Toussaint Louverture,

congolaises et Mai-Mai dans le « trian-

pratique du collage prédomine. Du

Marcus Garvey, Sartjee Bartmann… Ici

gle de la mort ». Les anciens albums de

reste, outre que celui-ci est caractéris-

aussi errent des êtres à la peau bicolores.

photographie sont revisités – album de

tique du début du XXe siècle, les gueules

Pauwels - : au milieu de clichés montrant

cassées ont suscité le recours au collage,

Les anthropologismes n’existent pas

l’explorateur et sa chasse aux fauves, des

comme dans le travail artistique d’un

sans les collections. Les êtres figés sur

instantanés d’aujourd’hui font voir des

chirurgien ou infirmier de l’époque,

le papier, les objets achetés ou rap-

militaires arpentant le terrain.

René Apallec. La disparité des pièces

tés s’alignent comme une armée de

Repairs analysis, de Kader Attia, exhibe

contribue à flouter les anciennes associations pour en créer de nouvelles. Les miroirs, présents depuis longtemps dans le travail de Kader Attia, sont recousus après s’être brisés en deux. Toutes ces pièces, quoique de façon différente, demeurent ambivalentes car elles recourent à des codes ou des normes antithétiques : variété et invariant, ancien et nouveau, refus et acceptation, affirmation et négation. Les archives, en effet, et surtout les archives coloniales, nous lèguent d’abord des problèmes. Elles représentent un regard à la fois éloigné, étranger et sûr de lui sur le monde et sur les « autres ». Elles constituent ce qu’on peut appeler des anthropologismes qui débordent l’anthropologie. Mais la vérité

Edouard Duval-Carrié, "After Church–Moonlight in the Tropics," 2013. Mixed media on aluminum, 96 x 144 inches. Courtesy of the artist.

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qui leur était attribuée s’est effacée


Edouard Duval-Carrié, "After Church–Mystic Lagoon," 2013. Mixed media on aluminum, 96 x 144 inches. Courtesy of the artist.

avec la fin des colonies. C’est une autre

l’ancien et le nouveau est inévitable.

Les représentations des gueules cassées

vérité qui cherche à s’exprimer, et qui

Mais en remplaçant une mulâtresse

ou des vénus hottentotes ressemblent à

passe par des canaux aussi divers que

par Erzulie Freda ou en appariant

ces images énigmatiques de rêves dont

singuliers. Les artistes interrogent-ils

soldats d’aujourd’hui et explorateurs

on sait qu’ils n’existent, au fond,

ces archives ? S’interrogent-ils sur ces

d’hier, les artistes baignés dans les

que dans le récit que l’on en fait.

archives ? En tout cas, ils les exposent,

anthropologismes dont leurs ancêtres

Dans cet étrange laboratoire, des visages

tels des trophées pris sur les stéréotypes

ont fait l’objet, recomposent des

anciens réapparaissent ; ils nous ren-

du passé. Ils les dédient à un assemblage

puzzles toujours nécessairement

voient à une ancestralité complexe dans

d’images hétéroclites et mélangées,

incomplets en miroir des images du

laquelle on trouve de la parenté et du

mixées au prisme du présent. Ce faisant,

passé. Les anthropologismes, quand

patrimoine, d’anciennes et de nouvelles

ils transforment, paradoxalement,

ils traversent explicitement le champ

alliances.

le connu en inconnu.

de l’art contemporain, produisent un « effet miroir » qui restaure le sujet

Ce n’est pas la cohérence qui est

et la subjectivité dans leur puissance

recherchée car le conflit entre

créatrice.

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ART TALK

Barotseland and the performed archive

the auto-ethnographic eye and I By Mukwae Wabei Siyolwe

Photos : Courtesy of Mukwae Wabei Siyolwe Private Collection and DĂŠfap-Service protestant de mission, Paris

King Lewanika, Kwa Ndu, Lialui, Barotseland, 1900. Photo by Francois Coillard. Private Collection of Mukwae Wabei Siyolwe

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Royal Barge (date ad author unknown). Courtesy of Défap-Service protestant de mission, Paris

Still from "wade in the water", Scene from Kuomboka, 2009. Courtesy of Mukwae Wabei Siyolwe

Auto-ethnography, the fusion between

adequate repository for their archive.

are interwoven and Ba-ntu, translated as

biography and ethnography, first came

Meaning must be created with these

people of Spirit, are connected, through

to my attention as a method to articulate

images, as they go beyond a rudimen-

movement and vibration into their

and archive the pre-colonial encounters

tary knowledge of the languages or

true nature, Spirit, Ba, “undifferentiated

documented in the photographs of my

culture of the Barotse, and enter into the

energy and matter” expanding on Ra Un

great-great Grandfather, King Lubosi

world of the subjects who used them to

Nefer Amen.

Lewanika (1842 – 1916), taken by French

interpret their ideas of power and form

In my auto-ethnographic journey to

missionary François Coillard of the Paris

of governance. These images, like the

make sense of these images and cultural

Mission Society between 1884–1903

bones found in Ethiopia and the Arabic

memories, I notice several leitmotifs,

from his diary, On the threshold of central

manuscripts “discovered” in Timbuktu

recurring themes and traces of Ku-

Africa: A record of twenty years pioneering

are all keys to historicizing Africa.

omboka, one of the annual new moon

among the Barotse of the Upper Zambezi.

There is metaphysical symbolic system

flood ceremonies of the Barotse, which

The photographs taken by Coillard

within the frame where the mis-en-

Coillard witnessed and documented but

reveal powerful African historical

scene, characters and setting give

could not interpret. Literally translated

documents and push to the fore issues

evidence of the noumenal realm where

as: “to wade in and out of the water,

of agency, representation, and the

the material world and spiritual world

Kuomboka is a mass exodus to move the

Still from "wade in the water", 2009. Courtesy of Mukwae Wabei Siyolwe

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Lewanika, Lialui, Barotseland, 1903. Photo by Francois Coillard Private Collection of Mukwae Wabei Siyolwe


nation to the safety of higher ground

knew the power of the image and that

We cannot understand the images if we

when the flood comes and the ritual to

it would “stand in” and translate their

do not accept the terms of the narra-

return called Kufuluhela when the water

metaphysical power. To be the ideal

tive of the Barotse. To do this we must

recedes.

reader, I use Umberto Eco’s theory of

re-map Africa to get a multi-millennial

The King of the North, the Litunga, trans-

textual cooperation, which gives the

perspective on the migrations and their

lated as Earth in the ancient royal court

reader an essential role in the process of

Nilotic origins to understand the func-

language, Siuyana, and the Queen, Earth

making meaning.

tion of this central myth and cultural

of the South, the Litunga La Mboela,

What metaphors have been passed

practice.

both have their own Ku-omboka. They

down to me so that I can interpret and

Ku-omboka is a lived experience and

are “stand-ins” for the Higher Ba and

be the ideal reader of these photo-

Barotse practice Kuomboka, therefore

signifiers, custodians of the earth with

graphs? What lullabies from my mother’s

their knowledge base comes from

reference to the work of Likando Kala-

breast, unique food customs from our

a place deeper and more complex

luka.

table, songs in childish play and rites of

than field research for a book chapter.

These spectacles of religiosity are

passage help me translate and transfer

Barotse willingly or unwittingly must

based on ecological necessity and

these photographs ? How can I “cut” my

pass through the metaphysical realm in

are a symbolic narrative system that

own history -- citing Foucault, who used

order to experience and transmit oral

includes vibration of the royal drums,

this cinematic metaphor to express the

and symbolic knowledge. Ku-omboka

masquerades, and journey of the royal

often-violent cognitive process, which

has through the centuries gone through

barqes with a cast of a million. This

must take place within the body and

many changes and the photographic

photographic archive illustrates how

soul to “de-colonize the mind” (to bor-

archive shows us every legitimization

the African monarchs of the late 1880’s

row from Ngugi wa Thiongo) ?

crisis, including the one today.

Funeral Procession of King Lewanika, Barotseland, 1916 . Photo by Théophile Burnier . Courtesy of Défap-Service protestant de mission, Paris

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The country known as Zambia today

Lewanika, into a Christian. When Coillard

graphs. Its occupation has been one of

came about as a result of a merger

came to Barotseland asking to show the

misrule, neglect, and acts of aggression,

of two autonomous nations, namely

Barotse the Son of God, Lewanika told

repression, suppression, intimidation,

Barotseland, a constitutional African

him he had come to the right place as

harassment torture and arbitrary arrests.

monarchy, and Northern Rhodesia, a ter-

the literal translation for Muan’ a Mulena

Zambia abrogated the treaty and Barot-

ritory occupied and constructed by the

is “Son of God” in Siluyana, the name

seland declared independence on March

colonial project and so-named after its

given to any prince of Barotseland.

27th, 2012, at the behest of the Barotse

own architect, Cecil Rhodes, the direc-

Over a century, every successive Barotse

National Council, the indigenous govern-

tor of the British South Africa Company.

monarch used the image as a tool for

ance system and representatives of the

Due to the Kalahari sands and endless

legitimization. The Barotseland Agree-

people.

rivers, gorges and great Mosi-Ou-Tunya

ment of 1964 is an international treaty

This is where the archive has purpose.

falls, “the smoke that thunders”, this

and ensures self-determination for its

For Africa, obscure lands have resurfaced

African empire once spanned part of

people from the ravages of the post-

right out of the travels of Herodotus

modern day Angola, Namibia, Zimba-

colonial nightmare of dislocation and

or the visions of Volney. Ethiopia, as

bwe and Zambia, and was impenetrable

cultural genocide. Now, after fifty years,

a name, referred to the whole of the

until the twilight years of colonialism in

like a child rejecting its mother, Zambia

continent of Africa. When Africa was

the 1890’s.

is denying its own African past prior to

first mapped , it stretched into the Indus

In the missionary diary of Francois

1964 by ignoring the ancient state of

Kush valley. South Sudan, Somaliland,

Coillard, he gives vivid descriptions

Barotseland and its right to self-deter-

Zanzibar, and old kingdoms like Bar-

and images of his ten-year trek to

mination, even with the plethora of

otseland are re-mapping Africa and

Barotseland to convert the King, Lubosi

forensic documents, maps and photo-

re-remerging from obscurity to take

Still from "wade in the water", Scene from Kuomboka, 2009. Courtesy of Mukwae Wabei Siyolwe

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their historical place on the proverbial

process of being at peace with ourselves

tell us much through omission. Even the

global table. Reawakened African phi-

and the world.

little old French missionary who appre-

losophies left to the human family, like

In watching this Barotseland story

ciated but did not really understand

Ubuntu and Likute, are a moral compass

unfold I ask you to be an ideal reader

Kuomboka in his observations of the

to help us negotiate change from this

and apply a wider lens to view the

“heathen races” has left us much.

constructed chaos.

events on the Internet. Identify the plot,

I, for one, would be bereft without these

A “virtual” wave of independence and

a few of the scenes, one of its epic hero/

very intimate images of the comings and

revolution from neo-colonialism is hap-

ines and the role you could play as a

goings of my great-great Grandfather

pening on the African continent. Worlds

spectactor to borrow from Boal. Before

King Lubosi Lewanika (1842 – 1916).

destroyed are being reconstructed and

the Internet, access to this information

restored through the Internet, after

was left only to social scientists, who, like

Mukweae Wabei Siyolwe is currently

centuries of obscurity. Why? Because

medieval priests, limited access to this

writing a hybrid oratorio with Haitian

people now have access to the archive

information, in order perhaps to build

American composer Daniel Bernard

and are seeking maximum fiscal and

the idea of an Africa without her own

Roumain called Wade in the Water,

policy autonomy by reasserting their tra-

systems of governance. Africanists with-

Kuomboka to celebrate the centen-

ditional systems of governance, because

out cultural memory, and thus with very

nial of King Lewanika of Barotseland

the colonial nation state construct is

limited cognitive tools, can no longer be

in February 2016, in association with

bankrupt.

considered authorities by “mis-reading”,

The Kelly Strayhorn Theatre. Pittsburgh

The Barotse are one such group who are

the needs of millions of people. Some

USA. This production is made possible

using the Internet as an advocacy tool to

of us are too stubborn and decided

by grants from Advancing Black Arts, of

revise their stolen history, revitalize and

long ago to dedicate our lives to creat-

the Heinz Endowment, The A.W. Mellon

exercise their right to self determination,

ing epistemological frameworks to put

Educational and Charitable Trust Fund

by making the Internet a repository, a

the pieces back together, not only for

of The Pittsburgh Foundation, and The

growing database of archival images

Barotseland but also the whole of the

Greater Pittsburgh Arts Council (GPAC).

and texts, laying bare forensic evidence

global south.

to their legal claim for sovereignty and

Either way, the western missionary,

a restoration of the Barotseland Agree-

anthropologist and social scientist still

ment of 1964. This archive of the Barotseland narrative is helping us to unravel the arbitrary borders imposed by imperialism and the colonial project on the African body, and these distinct dramatic events are also putting into question Africa coming to terms with its own colonial history with the resurgence of a Jim Crow system, Apartheid for Africans globally. Beginning the process of Ubuntu starts with respect for a commitment to share more information and open the archives of Africa, the mother ship, to retell the story of origins and migrations and begin the

14

Still from "wade in the water", 2009. Courtesy of Mukwae Wabei Siyolwe


King Lewanika of Barotsleand , Coronation Tour of Edward VII , 1902, Edinburgh. Photo by G. H. Tod Courtesy of DĂŠfap-Service protestant de mission, Paris

15


ART TALK

Les anthropophagismes d’Ana Mazzei Par Alicia Knock

16

Planta, gouache sur bois, 2013, © Anna Mazzei.

Images : Courtesy of Anna Mazzei


Dans deux installations prĂŠsentĂŠes

mÊtamorphose. Le rituel pour moi, c’est la

l’installation tel un objet de la pensÊe qui

rĂŠcemment Ă Paris1, Ana Mazzei, jeune

façon contemporaine de regarder les ritu-

n’aurait pas encore conquis ni l’espace ni

artiste pauliste, dĂŠploie son univers

els. Ce sont bien sur les rituels des Indiens,

la masse d’un objet rÊel. Ici, chaque objet

poĂŠtique et sensible, aux rĂŠfĂŠrences

mais la construction d’une œuvre est aussi

se conquiert, comme au terme d’une

ĂŠrudites et quotidiennes, Ă la croisĂŠe du

quelque chose de rituel, le rituel est surtout

patiente enquête du regard : un dossier

thÊâtre et de l’architecture. VĂŠritables

très important dans mon quotidien. 

de chaise devient un Teatro, surplom-

 anthropophagismes  du prÊsent,

bant des couches de feutre blanchies,

ses installations interrogent le rap-

PrĂŠsentĂŠe Ă la galerie Emmanuel HervĂŠ,

rÊduction sÊmantique des  barres 

port de l’artiste avec cette tradition

l’installation  Et nous nous marchons

modernistes. Des objets cachĂŠs atten-

anthropologique si prĂŠgnante dans

inconnus2  (2014) est une citation d’un

dent aussi d’être devinÊs, comme ce petit

l’histoire culturelle du BrÊsil depuis la

ouvrage d’AndrÊ ThÊvet, auteur de rÊcits

thÊâtre dissimulĂŠ Ă l’intĂŠrieur du socle

fin des annĂŠes 1920Â : ÂŤÂ historiquement

fondateurs de la thĂŠorie anthropophage

d’exposition. Ce qui se dĂŠploie Ă l’infini,

l’anthropophagie n’est  pas un mouve-

avec les Essais de Montaigne. Comme

c’est la polysÊmie des objets, la multi-

ment, c’est un groupe de personnes qui

les morceaux de phrases que l’artiste

plicitÊ des points de vue et l’intensitÊ du

cherchent à s’Êloigner du centre europÊen

lance pour convoquer le spectateur

regard qu’ils convoquent. Une installa-

et Ă crĂŠer quelque chose de nouveau,

dans une nouvelle rÊalitÊ, celle d’un

tion d’Ana Mazzei ne se donne pas au

dans une logique expÊrimentale , prÊ-

thÊâtre du quotidien, les objets qu’elle

premier regard, mais plutôt au dixième

cise l’artiste. IdÊologie avant d’être une

conçoit dÊbordent toujours leur espace

regard. Elle veut ÂŤÂ nous mettre des yeux

pratique, l’anthropophagie connaÎt au

propre. L’entreprise d’Ana Mazzei est

partout : dans l’oreille, dans le ventre,

cours du siècle de nombreuses trans-

bien, avec Bruno Latour et Viveiros de

dans les poumons Âť.

formations, au fil de ses dĂŠtours par

Castro, d’  indĂŠfinir , de multiplier les

d’autres disciplines, comme le thÊâtre,

points de vue, en une sorte d’ anamo-

la performance ou l’ethnologie. Ce

rphose discursive3. Dans la galerie, une

sont ces dĂŠplacements/dĂŠviations que

ville imaginaire, alphabet de  signes  en

l’artiste questionne, dans un rapport

bĂŠton, est disposĂŠe au sol mais semble

prĂŠcisĂŠment cannibale Ă la pensĂŠe

repousser ses propres frontières, à la

Dans son travail, tout est affaire de

anthropophage.

manière d’une plante grimpante. Influ-

perspectives : crÊer des paysages, qui

encĂŠe par le modernisme modulaire de

exigent des  yeux derrière la tête , qui

Pour baptiser ses expositions, Ana

Oscar Niemeyer ou Lina Bo Bardi, elle

feraient loupe et verre rĂŠtrĂŠcissant en

Mazzei choisit toujours un morceau

fonctionne comme un assemblage arbi-

mĂŞme temps. On voit ici se dessiner

d’une narration tronquÊe, que le regar-

traire de formes gĂŠomĂŠtriques ouvertes

le rapport très personnel de l’artiste Ă

deur doit complĂŠter. Accroche littĂŠraire

à d’innombrables dÊveloppements

l’anthropophagie, nourri de nombreuses

et point de dÊpart d’un rÊcit, mais aussi

sÊmantiques : ville trouvÊe, ville con-

influences : la multiplication des points

formule magique ou rituelle, elle amorce

ceptuelle, ville-mur, ville-ciel... On peut

de vue qui ĂŠvoque le perspectivisme et

le rĂŠgime des mĂŠtamorphoses. Le rituel,

l’apprÊhender au sol, assis, debout, per-

l’anthropologie mÊtaphysique de Vivei-

qu’elle dÊfinit comme une coupure, un

pendiculairement ou vue d’en haut. Sur

ros de Castro, Â le goĂťt pour la collecte

arrĂŞt-sur-rĂŠel, est au cĹ“ur de sa pratique :

une minuscule Êtagère au mur, repose

d’objets petits voire miniatures, traces

 comme le thÊâtre, le rituel est pour moi

un quartier miniature baptisĂŠ ÂŤÂ Petit

d’histoires perdues qui permettent de

une rupture, une autre façon de voir le

passage  : mini-maquette, il effleure

reconfigurer l’Histoire au prÊsent. L’artiste

monde. Une transformation, pas loin de la 1! "!#$%&'!('!)*+!,-+%'-&!.*&/'&0!)-10-+!23!4!!5-!6-&(7%'3! ¿Q HW Š (W QRXV QRXV PDUFKRQV LQFRQQXV ª j OD JDOHULH (PPDQXHO +HUYp SULQWHPSV

17

2 Š &HV EDUEDUHV PDUFKHQW WRXV QXV (W QRXV QRXV PDUFKRQV LQFRQQXV )DUGpV PDVTXpV ª $QGUp 7KpYHW !"#$ #%&'()*+%,-#$."$)*$/+*&0"$*&,*+,%1(" 3! #78'70*)!('!9-)%0*3$2-,*345#%1("#$0*&&%6*)"#7$:&13!

Perspectivisme Anthropophage

met prĂŠcisĂŠment en perspective les tensions structurelles de l’anthropologie : ĂŠgale importance des mythes et des


ART TALK rebuts de l’histoire, déplacements

ille comptines et musiques populaires.

lié à l’anthropophagie; changer les objets

métaphoriques toujours ancrés dans

En 1928, il publie Macounaima, odyssée

de place, les déplacer, les décentrer, comme

un espace donné, mélange des échelles

tupi et anthropophage, à dimension

aller voir les égyptiens au Louvre, c’est très

universelles et biographiques. C’est donc

musicale. A la fin des années 1920, en

anthropophage! »

toute une tradition de l’anthropophagie

Amazonie et au Pérou, il s’embarque

Le théâtre des opprimés d’Augusto

qu’elle s’approprie et se propose de réno-

pour une expédition ethnographique

Boal, mettant en exergue la place du

ver, en formulant un univers commun et

dans le Nordeste, avant de fonder la

jeu, trouve ensuite des échos dans les

intime, passé et actif, dans une sorte de

société d’ethnographie et de folklore

objets ludiques d’Ana Mazzei, proches

« physique » cannibale.

avec Dina et Claude Lévi-Strauss. Tous

du puzzle et des jeux de construction.

ses objets sont aujourd’hui rassemblés

Son travail peut être regardé comme

L’artiste s’approprie ouvertement toute

dans une bibliothèque, que l’artiste a

une forme de « théâtre-journal » tel

une tradition anthropophage de figures

longuement fréquentée : « j’ai fait un

que théorisé par ce dernier : un théâtre

pluridisciplinaires, oscillant entre art,

stage dans une bibliothèque qui gardait

du quotidien qui prendrait la forme du

théâtre, performance et ethnologie. Son

tous ses objets, toute sa recherche. C’était

journal intime. Dans la pédagogie des

goût pour la collecte d’objets trouvés

très important pour moi d’être en relation

opprimés, il faut précisément inventer

renvoie aux objets-échantillons de Mario

avec ces objets, de faire des taches quotidi-

son propre rôle à partir de l’occupation

de Andrade, qui a effectué plusieurs voy-

ennes comme de les dépoussiérer. J’aimais

d’un espace donné : créer une pièce avec

ages ethnologiques pionniers. Dès 1919,

le fait de pouvoir regarder ces objets en

les objets qui sont là, autour de soi, de

il voyage dans le Minas Gerais où il recue-

dehors de leur contexte d’origine, c’est très

manière immédiate. Cet attachement au lieu renvoie à la méthodologie que l’artiste pratique dans ses installations, toujours « site-specific » : « Augusto Boal est très important, il s’intéresse aux lieux de production, aux choses mises en scène. L’idée est de mettre en jeu le corps, être là, avec tes propres objets ; tu dois créer une pièce avec les choses que tu as sous la main. Chez Paolo Freire, l’idée c’est de créer ton propre personnage, d’agir sur ta réalité, de la recréer, même trente minutes. Mais pas au sens futuriste. » Comme Augusto Boal ou Paulo Freire, Ana aime partir de sa propre réalité, de sa situation dans le monde, du périmètre de son présent : « je pars des choses que je trouve, des choses qui sont personnelles et qui deviennent moi-même. Je tombe sur quelque chose, et je vois en quoi il est lié à mon présent, comment je peux le rattacher

Antes, gouache sur bois, 2013, © Anna Mazzei.

18

à ma propre histoire. C’est une sorte


d’opération de rénovation. »

Métamorphoses les œuvres d’Ana Mazzei explorent par ailleurs toute une iconographie des métamorphoses : l’anthropophagie est dans son travail à la fois forme et contenu, image et méthode. Son travail traverse en effet les récits mythiques gréco-romains ainsi que toute une iconographie anthropophage. Dans son autre installation parisienne à La Maudite fin 2013, « Couvert de son manteau couleur safran », elle s’appuie sur les métamorphoses d’Ovide. Le fameux manteau accompagne Orphée et Eurydice quit-

les personnages anthropophages

elle se promène le regard aux aguets,

représentés ici ne sont pas seulement

chasseuse-cueilleuse d’objets trouvés,

des « sauvages » -amérindiens,

usés, métabolisés, qu’elle s’efforce

nubiens ou guinéens- mais constitués

de réinjecter dans le présent. Elle

ici d’un indien et d’un blanc. Il s’agit

pratique l’art imperceptible des

d’une image non pas cannibale

déplacements, des promenades, des

mais précisément anthropophage.

dérives : ainsi, dans « Couvert de son

Cette représentation inattendue

manteau couleur safran », l’espace

est complétée par un des modules

de La Maudite est peuplé d’objets

géométriques que l’artiste affectionne

souvent indiscernables. Les traditionnels

et qu’on devine être ici précisément

monuments -villes, théâtres- sont réduits

le manteau couleur safran, en forme

à l’état d’abstraction : les architectures

de théâtre : le manteau y apparaît

deviennent des Plans, les théâtres des

comme l’attribut de la métamorphose.

formes ramollies dans les angles de la

La perméabilité iconographique

pièce, le continent debout, America,

entre théâtre et manteau inaugure ici

s’allonge en briques d’or... A l’inverse,

une monumentalité organique : une

les traces normalement invisibles -dent ou arc, baptisés Talismans- sont

tant les enfers, tandis qu’une

démesurément agrandis.

petite sculpture en bronze, Cavalo de Campo, représente une

Anthropoétique

cheval à deux croupes, hybridation personnelle d’un monstre deux fois sans tête. Dans le des-

Si le vocabulaire visuel

sin, Antes, (2013), l’artiste reprend

élémentaire de ces installations

par ailleurs avec précision les

-géométrie primaire, couleurs

premières représentations

simples- semble tendre vers

anthropophages. L’œuvre y

l’universel, cette dimension

emprunte en effet l’iconographie

Manteau, feutre, 2013, © Anna Mazzei.

des Blemmyes utilisée dans les

est contredite par le lien très personnel, voire organique, qui

récits de Pline l’ancien en référence à

architecture qui serait aussi souple

lie l'artiste comme regardeur aux objets.

des tribus nubiennes assimilées depuis

qu’un vêtement. Il s’agit sans doute

Les matériaux et les représentations

Othello aux mœurs anthropophages :

du manteau que l’artiste revêtait pour

y sont comme en état de perpétuelle

se promener dans les rues de Paris,

métamorphose. Ainsi, cette Capsule

« And of the Cannibals that each other eat,

portant ainsi les couleurs du théâtre des

-module d’un quartier- apparemment

The Anthropophagi, and men whose heads

opprimés, pour qui « tout être humain

impersonnelle, est en bois et papier

Do grow beneath their shoulders »

est un théâtre ».

chinois peint en or, soulignant le lien de l’artiste au phénomène anthropophage

La licorne également présente dans le

Le goût d’Ana Mazzei pour les

des chinois de Belleville : « je m’intéresse

dessin pourrait se référer à la « sorte

matériaux instables et transformatifs

aux choses populaires, plus réelles, aux

de licorne à deux cornes, appelée

(feutre Beuysien, papier, or) et pour

choses anthropophagiques qui se passent

Pirassouppi » décrite par André Thévet

les cannibalisations du présent sont

tous les jours à São Paulo : l’immigration

dans sa Cosmographie universelle. Mais

symptomatiques de sa démarche :

africaine ou haïtienne ; ou à Paris, les

19


chinois de Belleville ; et j’essaye de voir

-minuscule, majuscule- pour exciter

de Lygia Clark.

comment je peux être en relation avec eux,

l’activité sensible de l’œil. Les struc-

Un rapport singulier à l’anthropologie

comment les gens peuvent vivre ensemble.

tures, modules, choses, qu’elle conçoit

anthropophage structure son travail, non

L’anthropophagie c’est d’abord une façon

structurent un théâtre d’objets qu’on

à la manière d’une science mais plutôt

de penser : ce qui compte pour moi c’est

ne parvient pas à nommer, organiser,

dans le sens de la poésie, du « dire » ;

comment être reliée à la vie quotidienne,

mais qu’on peut seulement animer par

comme la dernière phrase du manifeste

aux choses qui se passent autour »

le regard : « pour moi ce qui compte c’est

anthropophage, elle donne envie de

de penser en histoires, narrations, fic-

« croire aux signaux, aux instruments et

Dans la lignée des Métaphysiques

tions, de comprendre comment l’histoire

aux étoiles ». Sa prochaine installation à

cannibales de Viveiros de Castro, il s’agit

a changé avec le temps, on ne sait pas

Sao Paulo, sera poétiquement, l’insertion

donc bien d’expérimenter dans ces

exactement comment, on cherche des clés

d’une colonne amovible, « une pierre

installations une « mise en variation

des indices minuscules dans la rue. C’est en

qui bouge », objet-trompe-l’œil, objet

de notre imagination ». Le travail de

cela que les objets trouvés sont tellement

migrateur, qui viendra perturber la foret

l’artiste s’inscrit dans la lignée d’une

importants pour moi. C’est pour cela que

massive des pilotis modernistes du bâti-

nouvelle anthropologie préférant

les objets anthropologiques m’intéressent,

ment « Pivo » d’Oscar Niemeyer, pour

« la description d’autodétermination

ainsi que les objets archéologiques : j’ai

donner à percevoir, encore, de nouveaux

ontologique des collectifs étudié à la

toujours l’impression qu’une pièce manque

angles et points de vue sur les êtres et les

réduction de la pensée humaine à un

au puzzle de l’histoire. Mes œuvres sont

choses.

dispositif de recognition : classification,

toujours fictionnelles. À mes yeux, il n’y a

prédication, jugement, représentation. »

pas qu’une histoire, l’histoire change. J’ai

Cet article a été écrit suite à un entretien avec

Elle envisage l’anthropologie comme

toujours la sensation que chaque objet

l’artiste, citée tout au long du texte, que je

ontologie et non comme science : « La

peut changer ma propre histoire, j’aime

remercie vivement.

classification ne m’intéresse pas, j’ai un

produire des petits objets qui n’ont pas de

rapport intuitif, incapacité à classer. Pour

place spécifique dans le monde. C’est notre

moi ce qui compte c’est l’espace dans

être-au-monde dans le monde contempo-

lequel je suis, j’ai besoin d’être dans cet

rain : nous n’avons pas de place. »

4

espace. J’aime les déplacements pas la classification les discontinuités physiques

Si nous n’avons plus de place spécifique

des objets dans l’espace, j’aime les

dans le monde, dans telle géographie ou

discontinuités métaphoriques. »

telle histoire, seul le corps peut con-

Si les objets géométriques d’Ana Mazzei

stituer un repère fort : notre place c’est

organisent soigneusement l’espace, ils

donc là où nous sommes. La dimension

excèdent toujours la tentation anthro-

conceptuelle des œuvres d’Ana Mazzei

pologique par les sensations irrégulières

« se refuse à concevoir l’esprit sans le

qu’ils suscitent : ils semblent comme

corps. » Conformément au manifeste

égarés, clés manquantes d’un groupe

anthropophage, tout est « dans la com-

Alicia Knock est conservatrice-

disparu, rendant toute classification

munication avec le sol. » Ses installations

stagiaire à l’Institut national

impossible. Elle propose des plans ou

complexes, minimes, réactivent, par des

du patrimoine. Spécialiste d’art

des maquettes, mais toujours désta-

déplacements infimes, les systèmes de

contemporain, elle est passée

bilisés par le matériau comme par les

pensée du passé dans un présent actu-

par des institutions muséales à

formes ; elle multiplie les jeux de regards

alisé par les sens. Dans cette perspective,

New York, Moscou et Paris.

4!

elle n’est pas loin des objets-organismes

20

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“LES ŒUVRES D’ANA MAZZEI EXPLORENT PAR AILLEURS TOUTE UNE ICONOGRAPHIE DES MÉTAMORPHOSES : L’ANTHROPOPHAGIE EST DANS SON TRAVAIL À LA FOIS FORME ET CONTENU, IMAGE ET MÉTHODE”

Et nous nous marchons inconnus, galerie Emmanuel Hervé, 2014, © Anna Mazzei.

21


ART TALK

You do the crime You do the time Une série de vidéos de Martine Barrat

Par Camille Moulonguet

Dans ce numéro, on convoque la rencontre, sous toutes ses formes. Des rencontres entre des mondes étrangers les uns aux autres, qui rentrent en collision avec les préjudices qu’elles impliquent. Mais ce n’est pas parce qu’il y a toutes ces rencontres ratées (passées et à venir), qu’il faut arrêter de se rencontrer, entre gens différents, entre factions. Les liens rompus, jamais établis ou mal établis sont toujours à réinventer. You Do the Crime, You Do the Time* est le fruit d’une rencontre réussie entre deux mondes. Dans les années soixante dix, l’artiste Martine Barrat, qui réside à New-York depuis la fin des années soixante, brise les carcans anthropologiques dans une série de vidéos dont vous pouvez consulter deux extraits sur notre site, durant ce numéro. Martine Barrat raconte. Interview réalisée le lendemain du jour où le policier de Ferguson a été relaxé : « la peur est partout ! » s’exclame-t-elle avant l’entretien.

South Bronx - 1973

22


Afrikadaa : Comment t’es venue l’idée de faire de la vidéo ? Au départ j’étais danseuse, c’est Ellen Stewart (la Mama) qui m’avait fait venir à New-York. Elle m’avait vue danser à un festival de danse international à Édimbourg, et elle m’avait dit : One day girl, I will send you a ticket to do a show in my theater !. Et deux ans plus tard je recevais mon billet pour le 10 juin 1968. Quelque temps après être arrivée à New-York, je me suis cassée la cheville sur scène suite à une grave erreur technique et je me suis retrouvée avec des béquilles pendant des mois et des mois... J’ai décidé de faire autre chose, je voulais faire de la vidéo. Je n’avais pas de caméra alors Félix Guattari qui était un grand ami et qui croyait beaucoup en mon travail m’en a offert une qu’il fallait aller chercher au Canada. Avec deux musiciens Charles Bobo Show et Joe Bowie, ainsi que cinq enfants de Harlem. Nous voilà partis dans un grand van au Canada pour aller chercher la vidéo. Après un voyage épique, nous sommes finalement revenus avec la caméra. Charles Bobo Shaw avait fondé Human Art Ensemble et la Mama nous avait confié un théâtre pour le workshop de musique et de vidéo que nous avions créés pour les enfants du quartier et de Harlem. A l’époque East Village était un quartier noir et portoricain, avec quelques ukrainiens perdus dans les parcs où ils jouaient aux cartes. De nombreux artistes, poètes et musiciens y habitaient aussi. J’allais aussi trois fois par semaine à Harlem, chercher les enfants et les ramener. Ils étaient mes professeurs d’anglais et de danse. Après les ateliers, on faisait des spectacles dans la rue et d’autres amis musiciens venaient et participaient au workshop. Je vois encore les enfants de cette époque qui sont devenus

23

des grands-parents maintenant et qui sont

travail. Il est le seul avec Hélio Oiticica que

toujours mes amis ! On se connait depuis

j’ai emmené dans le South Bronx. Gilles

1968, nous sommes une grande tribu.

Deleuze, qui ne venait jamais à New-York, aimait aussi beaucoup mes photos et mes

Afrikadaa : Comment es-tu arrivée dans la South Bronx ?

vidéos, la veille de la fin de sa vie, il m’a écrit une lettre, qui m’a touchée au cœur, dans laquelle il me disait « J’aimerais avoir une

J’ai eu envie d’aller voir le South Bronx et

autre vie pour avoir assez de temps pour

j’avais envie de travailler avec les gangs. Les

écrire sur ton travail ». Je continue à penser

membres du gang m’ont donné rendez-

à mon Felix et à Gilles, qui me manquent

vous un soir, je les ai retrouvés au métro

si souvent ! Notre amitié était faite de tel-

Freeman (cf. la photo publiée). Quand

lement de rires et leur enthousiasme me

je suis sortie du métro, tout était détruit

donnait tant de force et d’amour. Quand

autour de moi, d’immenses flaques d’eau

j’habitais chez Félix, le soir il me disait : « ma

servaient de miroir. Je leur ai montré com-

grande, quelle démarche today ! As-tu fais

ment on se servait de la caméra et on s’en

des démarches? ». Il pensait à l’argent dont

est tous servis, un peu comme un crayon

j’avais besoin pour travailler. À l’époque

qu’on partageait. J’ai travaillé pendant 6

j’étais barmaid jusqu’à 3 heures du matin,

ans avec eux. Le titre de la série de vidéo,

dans un bar où tous les grands musiciens

c’est un des membres du gang qui l’a

de jazz venaient jouer. Tandis que l’après-

donné You Do the Crime, You Do the Time

midi et jusqu’à 21h, j’étais dans le South Bronx avec les amis au travail.

Afrikadaa : Comment travailliez-vous ensemble ? Le matériel était très lourd, c’était la

Afrikadaa : Et Vickie, la jeune fille à qui est consacré le deuxième volet de ce diptyque ?

première vidéo sur le marché. Quand tu filmais, tu ne savais pas si tu avais enregistré

Vickie est morte du Sida très peu de temps

ou pas. Quelques membres du gang rent-

après les vidéos. Je suis toujours en contact

raient avec moi le soir dans la vieille voiture

avec la maman de Vickie, elle me manque

décapotable qu’un musicien m’avait donné

beaucoup. Avec Vickie, on était très proche

pour aller voir si ça avait bien enregistré.

l’une de l’autre. Elle dormait souvent à

La plupart du temps Pearl était le chauf-

la maison avec ses deux enfants quand

feur, il m’a dit la semaine dernière que

la police recherchait un des membres

c’est comme ça qu’il a appris à conduire.

du gang ou son mari. C’était une femme

Pearl était le président des Roman Kings. Il

extraordinaire, elle savait parler d’elle

donnait ses ordres souvent dans le silence,

même comme personne. C’était la respon-

il portait toujours son grand chapeau noir

sable des Roman Queens, elle me fascinait.

et il était très respecté. Il y avait le ministre

C’est elle qui m’a achetée mes premières

de la guerre et le vice-président Bernard

« Combat Boots » car il y avait beaucoup

et c’était très bien organisé. C’est pour ça

de rats dans le South Bronx et les rats

que Felix Guattari était passionné par ce

mordaient les chevilles. Il y avait une grand-


ART TALK

Working on Video with the gang and Charles Bobo Shaw creator of the HUMAN ART ENSEMBLE photo by Clement Cann

Spring time in The Bronx Vicky's daughter Jennifer and her Cousine

24


mère qui mettait, autour de son visage la

somme, je suis devenue photographe par

nuit, des boules de papiers dans du plas-

accident !!

tique pour ne pas que les rats la mordent au visage et cela se passait, à l’époque à 25 minutes de Time Square ! Vickie je l’ai ren-

Afrikadaa : Comment ces vidéos ontelles été montrées ?

contrée avec les gangs, il y avait du respect entre eux mais leur organisation était très

Il y a eu l’énorme succès au Whitney

séparée entre garçons et filles. Le mari de

Museum en 1978. Les membres du gang se

Vickie était Roman Kings.

relayaient pour venir tous les jours et parler

" In my opinion, Mme Barrat's insight and intellligence in this and other areas can make an important cultural contribution to our society, helping us to understand some of the most perplexing social phenomena of American city "

aux gens, répondre aux questions des

Afrikadaa : Quel est ton rôle dans ces vidéos ?

visiteurs. Ils disaient We Fly Colours, c’està-dire qu’ils mettaient leurs blousons avec l’insigne du gang. Ils retournaient le

J’ai toujours été contre les questions.

blouson quand la police les recherchait.

À Paris, je dansais et pour gagner ma vie, je

Je mettais les photos les unes à côté des

faisais des interviews non directives sur les

autres, je les plastifiais et ça faisait un

caleçons d’homme. On m’envoyait sur l’île

rouleau car je ne réfléchissais qu’en termes

de Groix enquêter auprès des femmes des

d’images en mouvement. Je déroulais

pêcheurs sur les slips des hommes et celui

donc mes photos comme des séquences

qui avait le plus de succès, c’était le slip

de film à l’aide de ces rouleaux. La veille de

kangourou. C’est comme ça que j’ai appris

l’exposition, on avait fini de mettre les pho-

que plus tu poses des questions moins les

tos noir et blanc sur les murs et il n’y avait

gens se dévoilent. On faisait quelque chose

plus de place pour les rouleaux. Un des

ensemble, ce n’est pas moi qui faisais un

membres du gang a eu l’idée de les mettre

truc sur eux. Il y avait avant tout, le plaisir

à même le sol, le long du mur pour qu’on

de faire de la vidéo. Dans le film de Vickie

regarde les photos d’en haut. Le commis-

je n’ai rien coupé et à la fin j’ai montré le

saire de l’exposition, Mark Segal était très

paysage où on était. L’anthropologie, je n’ai

content, il a dit « j’ai appris quelque chose

rien à voir avec tout ça. Nous avions tra-

avec toi, merci ! ». Mes vidéos ont aussi été

vaillé tous ensemble pendant 6 ans, je ne

montrées en Italie sur la chaine TG2 plus-

pouvais jamais prévoir ce que nous allions

ieurs fois le dimanche soir avec un grand

faire, car il y avait toujours quelqu’un qui

succès. C’était Bernardo Bertolucci qui leur

disparaissait en prison. Et puis ma caméra

avait parlé de moi. J’ai passé un temps mer-

m’a été volée par mes voisins au Chelsea

veilleux à Rome et j’en informais mes amis

Hotel alors que tous les habitants du

dans le South Bronx.

Chelsea disaient que c’était les membres

Mais pour moi c’est très difficile de parler

des gangs. Quand ma caméra a disparu,

de mon travail passé car je ne pense qu’à

je me suis mise à la photo. Le président

ce que je suis en train de faire au présent

du gang, Pearl, m’a offert mon premier

et à ce qui se passera dans le moment

appareil photo. Je faisais de la photo mais

d’après, c’est-à-dire le futur !

Stuart Schulberg former Executive Producer - NBC News during the show at the Witney Museum of New-York 1978

* Les vidéos de Martine Barrat sont disponibles à la Vidéothèque de la Maison Européenne de la Photographie (MEP). Vous pouvez également visionner deux extraits de "You Do the Crime, You Do the Time " sur www.afrikadaa.com

dans l’espoir de faire plus tard de la vidéo ! Moi c’était la vidéo qui m’intéressait. En

25

Photo by Alain Fidanza


ART TALK

Pearl, ancien président de Roman Kings, et actuellement ouvrier dans le bâtiment, raconte à son tour…

transformé et nous sommes devenus de

ment étranger, différent.

libérateurs radicaux. En effet, Martine avait

Et c’est ce que la caméra a réussi à faire,

le cœur de voir autre chose en nous. Elle

réduire les distances. Les gens qui étaient

nous a appris à utiliser la caméra, elle nous

curieux de nous, mais en avaient peur,

a montré des films. Et à travers la vidéo,

pouvaient nous voir grâce à la caméra. Et

tu regardes la vie différemment. Martine

c’est encore ce que la caméra fait jusqu’à

m’a emmené dans d’autres quartiers que

aujourd’hui. Les flics tuent les noirs et

le mien, j’ai réalisé qu’il y avait autre chose

la vidéo expose ça au monde entier.

que ce que nous faisions nous dans le

La vidéo est comme un message(r). De

South Bronx. J’ai commencé à me rendre

même, quand la caméra dévoile que

à Manhattan, cela m’a donné une autre

dans les manifestations suite à ces assas-

perspective de la vie. J’ai grandi dans la rue,

sinats, beaucoup de personnes étaient blanches, elle envoie aussi le message que les blancs, se sentent concernés et se

En fait c’était vraiment sur ce que nous

soucient de nous. En fait, ce que Martine a

étions. Nous appelions Martine : la crazy

fait, c’est m’ouvrir les yeux, me montrer que

white woman. Quand nous avons rencon-

le monde n’était pas exactement comme

tré Martine pour la première fois, aucun

nous le percevions, et que tout le monde

d’entre nous n’avait de blancs dans son

n’était pas raciste. Elle a changé ma per-

entourage.

ception des choses. Nous nous amusions

On avait entre 13 et 14 ans, elle est arrivée

bien avec la caméra, c’était une manière de

vers nous avec sa caméra, nous n’en avions

parler haut et fort. C’était une fenêtre sur

jamais vu avant ! Faire ce travail, ici dans

un autre monde, jusqu’alors inconnu ! À

le South Bronx, avec la tension raciale qui

l’époque ce que j’essayais de dire c’est que

était très haute à l’époque, c’était coura-

« nous sommes ici et là et nous comp-

geux de sa part. Nous la respections, pour

tons également ». Ce que nous faisions à

son intrépidité, cela prouvait qu’elle avait

l’époque avec cette caméra c’était d’un

beaucoup de cœur et qu’elle se souciait de

intérêt manifeste.

nous. À l’époque nous ne voyions jamais les blancs, et nous les considérions, de fait, comme des ennemis. Normalement nous

sans père, ni mère et tout ce que j’ai appris,

aurions dû lui arracher la caméra, mais je ne

je l’ai appris par ma propre expérience, et

sais pas pourquoi nous ne l’avions pas fait.

la caméra m’a également ouvert les yeux.

Nous lui avions donné l’amour qu’elle méri-

Et elle a aussi ouvert les yeux des gens

tait, nous l’avions acceptée. Nous étions un

qui sont venus nous voir au musée. Elle a

groupe de noirs et portoricains pauvres et

transposé notre vie dans un autre monde,

elle nous a montré une autre vision de la

un monde dans lequel nous n’avons

vie que celle que nous avions.

jamais été impliqué. Il n’y a que Martine

Pour marcher dans ce quartier à cette

qui s’intéressait à nous. Au Musée, on s’est

époque, il fallait être complètement fous,

rendu compte que d’autres personnes vou-

nous étions d’abord criminels puis la

laient savoir comment on menait notre vie.

rencontre avec Martine et avec la caméra

Elle a convoqué notre vie dans un monde

a révélé autre chose en nous, cela nous a

que nous considérions comme complète-

26

Pearl in 2015 photo by his daughter Felicia Cohn


Pearl the day he came out of jail with Bernard vice-president of the Roman Kings

Pearl

27


ART TALK

gang's member around the vice-president Bernard

28


Pearl sitting next to TV tube trial"You do the Crime You dothe time 72 " -1995 at Martine's place

29


ART TALK Brent Hayes Edwards, actuellement en train de préparer un livre avec Martine Barrat dont le titre provisoire est Another Country: The Lost History of the South Bronx (Un Autre pays: l'histoire perdue du South Bronx), tente d’analyser son travail.

importance à un public extérieur, ou en les esthétisant (faisant de leur mode de vie une forme esthétique acceptable -- et alors vendable -- c'est-à-dire des belles images, idéalisées), elle veut, plus que tout autre chose, simplement leur

Barrat, explique-t-il, « a fait bien plus

« D'autre part, elle rejette le fait que

donner la parole, ce qui évidemment

de vidéos que le diptyque You Do the

l'anthropologie soit dévouée à l'étude

n'est pas si simple. Elle les laisse raconter

Crime, You Do the Time. J'en ai fait un

d'une « culture étrangère » dans le sens

leurs propres histoires, exprimer leurs

inventaire il y a quelques années, et

où il s'agit de discerner ou de résumer

propres préoccupations, sans tenter

ses archives contiennent plus que 180

des normes ou des habitudes qui

pour autant de remodeler leurs dis-

vidéos de la même époque. La grande

relèveraient de cette culture, même

cours pour le caler sur un autre ordre du

majorité des vidéos ne sont pas éditées,

quand elles sont implicites ou tacites.

jour.

ce sont des rushes qui offrent une vision

Martine n'essaie pas de fournir ce qui

merveilleuse de la vie à New-York dans

pourrait ressembler à un portrait d'un «

« Je ne suis pas vraiment sûr qu'elle ait

les années soixante dix.

mode de vie » qui supposerait qu'une

une notion précise du public de ses

culture ait une cohérence intrinsèque

oeuvres, mais je dirai qu’avant toute

« Martine rejette l'appellation

ou qu'elle forme un ensemble. De

chose, ses films et ses photos sont faits

d'anthropologie pour ses vidéos et ses

manière générale, elle n'aime pas les

pour les sujets eux-mêmes, c'est-à-dire

photographies. Elle ne considère pas

étiquettes. En effet son travail se car-

pour les enfants de Harlem ou du South

non plus son travail comme une forme

actérise par une démarche singulière

Bronx eux-mêmes, et leurs commu-

de « recherche ethnographique ». Selon

et personnelle, qui sert à contrecarrer

nautés. Encore aujourd'hui, elle prend

moi, ce qu'elle rejette c'est d'abord

toutes les velleités de le raccourcir avec

souvent des photos à Harlem et elle

l'idée que l'anthropologie en tant que

un label quelconque.

en donne une épreuve à la personne

discipline est consacrée à l'étude de

« Si je devais lui donner un titre, je crois

photographiée. »

l'Autre en tant qu'être culturel, représen-

que je serais tenté de la décrire comme

tatif d'une civilisation étrangère, qui

une « documentariste radicale ». Depuis

serait l'objet de recherche tachée de

plus de quarante ans elle s'investit dans

l'exotisme ou du préjudice. Pour Mar-

le champs documentaire, dont le sujet

tine, les gens avec lesquels elle travaille

principal gravite autour des modes de

à Harlem ou dans le South Bronx ne

vie éphémères et précaires des commu-

sont pas « autres » ou « ailleurs », sa

nautés de couleur en marge des villes.

relation avec eux est d'une intimité

Ce qui est radical dans sa démarche,

profonde, qui est particulièrement pal-

c'est sa méthode. Plutôt que d'étudier

pable dans le travail lui-même. C'est ce

ces communautés, en expliquant

qui fait de Vickie un film si puissant !

leur mode de vie, en démontrant leur

30

Brent Hayes Edwards est professeur de littérature comparée et d'histoire du jazz à Columbia University (New York). Il est l’auteur de The Practice of Diaspora (Harvard University Press), entre autres livres. Sa traduction de l'Afrique fantôme de Michel Leiris sera publiée en 2016.


Martine Barrat and gang members photo by Helio Oiticica

31


ART TALK

Helio Oiticica (19371980), artiste brésilien du mouvement néoconcret, a vécu cette période avec Martine, il donne son éclairage. Helio Oiticica et Martine Barrat photo by Chantal Regnault

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Next to Freeman Subway Station

Vicky martine and the gang members working around the video Photo by Clement Cann

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ART TALK

Winter Time

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A dear Friend

37


ART TALK

Les mains de Martine par Sylvie Kandé

Si on me demandait à brûle-pourpoint quelle différence il convient de faire entre l’anthropologie et l’amour, je dirais que la première épingle, expose, explique ; car l’amour, lui, se satisfait d’effleurer -- émerveillé, toujours, de la liberté et du mystère essentiels d’autrui. Martine Barrat y Harlem, tout au moins ce Harlem qui, pouce après pouce, perd le terrain gagné par la gentrification. Se défiant par principe des vainqueurs, elle n’a d’yeux que pour les gens qui ont vécu dans ce Harlem-là, et d’abord pour leurs mains. Nuançons : positionnée en marge de l’anthropologie et de la sociologie, elle vise, non pas à étudier la petite ethnie ou le grand courant social que ces Harlemites pourraient sembler représenter, mais bien plutôt à raconter l’histoire qu’elle a avec certaines personnes du quartier – une histoire forte et vrillée qui court parfois sur plusieurs décennies. Est-ce donc un hasard que sa meilleure amie, celle avec qui elle partage tous ses Noëls, celle qui fut à l’affiche de son Harlem in my Heart, une rétrospective organisée en 2007 à la Maison européenne de la photographie à Paris, se prénomme Love ? Chacune de ses photographies est le distillat d’une histoire d’amour qui lie Martine au vieux Harlem ou au South Bronx : quelques-uns de ses amis, y compris des enfants, ont posé pour elle (et non sans clin d’oeil au glamour hollywoodien), quoique la plupart aient préféré travailler à faire une pause dans leur

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quotidien et l’y inviter. Elle, en manière

Chaplin suffisent à dire la confiance

de contre-don, a su préserver sans les

qu’elle porte à la photographe à qui

figer ces instants infimes et splendides,

elle a “donné ses mains”, sans crainte

en faire des images larger than life et

d’exposer sa vulnérabilité : son geste

plus fortes que la mort.

d’abandon révèle une fascinante simi-

Ce sont souvent les mains qui constitu-

larité entre la texture et les motifs de

ent le punctum des instantanés savants

sa robe et les lignes qui s’enchevêtrent

de Martine Barrat, ce détail poignant qui

dans ses paumes : les mains de Clara

met en échec tout penchant au studium

sont un quilt de toute beauté.

ou désir nonchalant, pour reprendre

Parfois ces mains jouent -- du saxophone

deux fameux concepts barthésiens. Car

souvent, au billard, aux dominos ou

des photos qui ne dérangent pas, Bar-

aux cartes, à comparer les volumes ou

thes écrivit : “On peut les aimer au sens

les attributs : elles appuient, guident,

de to like (s’y intéresser), pas de to love.

dissimulent, se moquent gentiment de

Pour cela, il faut un détail supplémen-

la rondeur d’un ventre, ou le vénère.

taire, un don, une grâce que je reçois

Ailleurs, les doigts s’entremêlent, se

en plein visage”, précisant encore que

retiennent (ceux de Florence Smith à sa

“c’est une fulguration qui fait tilt, qui fait

première danse depuis son veuvage),

que la photo n’est plus quelconque. Elle

font des signes codés (ceux de Benny,

produit un ébranlement, une explosion

habitué du Rhythm Club). Ici, les mains

qui congédie tout savoir, toute culture,

(celles de la série intitulée “Fin de Rama-

tout code”. À elles seules, les mains de

dan” par exemple) sont des présentoirs

Martine congédient toute tentation

qui exhibent bijoux et tatouages avec

de lire sa photographie au travers d’un

des gestes à vous couper le souffle.

prisme anthropologique. On aime ses

D’autres, là, juvéniles, presque grac-

mains pour la grâce qu’elles nous font de

iles, qui s’apprivoisent à la souffrance,

nous jeter au visage l’ “autre Amérique”.

s’enveloppent de bandelettes, ce sont

Oui, ces mains parlent si clairement

celles des boxeurs de Do or Die.

que montrer la face de l’individu aux-

Les mains de Martine pensent, rient et

quelles elles appartiennent serait parfois

pleurent. Ornées, actives, elles sont en

redondant ou distrairait de l’émotion

charge de la gestion du quotidien dans

principale qu’elles signalent. Ainsi dans

sa puissante sensualité ; et lorsqu’elles

la collection intitulée Harlem, do you see

pendent, s’enfoncent dans les poches,

your face?, la main de cet homme dont

ou reposent à demi-fermées sur le

on ne voit que la forte carrure évoque

formica d’un comptoir, c’est toute la

sans ambiguité le poids des ans, le pas

détresse d’une inexorable mise au rebut

mal assuré en dépit d’une bonne canne,

de la personne et de ses lieux qu’elles

l’attention diligente portée au petit-

dépeignent. Inoubliables aussi dans Har-

fils dont on pressent, à le voir (de dos

lem in my Heart, le regard et la main d’une

également) traverser la rue, la droiture

enfant, derniers remparts contre la mort

et le regard fixé sur l’avenir. Sur le même

déjà au travail sur ce vieil homme alité.

principe, les paumes ouvertes de Clara

Creusets à caresses, vasques de violence


Vicky One of Ornette Colman's Favorite pictures shown in an exhibition he curated

A very cold night subies ou bien à imposer quand on ne peut vivre que de ses poings, les mains de Martine réinvitent le corps dans notre entendement de l’humain. Touché, Martine ! Sylvie Kandé est auteure de « Lagon, lagunes. Tableau de mémoire. » Gallimard, 2000 et de « La quête infinie de l'autre rive. Épopée en trois chants. » Gallimard, 2011. Elle est actuellement Associate-Professor à la SUNY Old Westbury, NY.

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ART TALK

Vicky and her daughter Jennifer

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Baba and Vicky at home

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ART TALK

Next to Freeman Subway Station

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Mrs White - She was so scared to get bitten by the rats on her face during her sleep

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ART TALK

Having a good in the water

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First comunion day

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ART TALK

Vicky's Child Enjoing time

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Save our School

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ART TALK

Être périphérique Be peripheral Par Fabiana Bruna Souza , Artiste-chercheuse, Doctorante en Histoire et Esthétique de l'art à l'Université Paris VIII - Boursière CAPES/Brésil (2014).

Ayrson Heráclito – Segredos Internos / Inner Secrets (edition, 2010) Installation Wood, glass, sugar, brown sugar 10.00 x 2.00 x 2.00 m. Woodwork by: Gei Correia, Photo courtesy: Márcio Lima

D’où l’on parle ?

est toujours périphérie si le lieu d’où

deviennent possibles, reconfigurant de

l’on parle est le centre d’un pouvoir.

nouvelles épistémologies du savoir.

La périphérie du système solaire est la

Loin des concepts tiers-mondistes, la

Se revendiquer comme étant périphé-

zone où l’attraction du soleil est la plus

périphérie, celle que nous revendiquons

rique demande à agir politiquement

faible. Les corps appartenant à cette

dans ce texte, devient le lieu d’où l’on

à partir de cette condition. Cela est en

zone seraient donc plus libres, en termes

parle, dans une logique d’interaction

soit problématique et libérateur. Problé-

d’attraction vis-à-vis d’un centre. Mais

du système-monde. Cela veut dire que

matique, car faisant appel aux théories

seraient-ils attirés dans une autre direc-

malgré les échanges inégaux entre le

décoloniales, « loin d’être centrée sur

tion, ou chercheraient-ils de nouvelles

centre et la périphérie, dans lesquels le

une distinction dialectique entre dis-

spatialisations, d’autres configurations

centre impose un régime de pouvoir

cours, imaginaire et représentation,

géographiques, d’autres façons d’exister

hiérarchique, les périphéries sont dans

d’une part, et pratique, forme institution-

dans lesquelles ces forces d’attractions

un constant mouvement de renouvel-

nelle et transformation sociale, d’autre

imminentes puissent s’agencer différem-

lement, capables non seulement de

part »2 - pour reprendre la formule de

ment ?

subvertir, mais aussi de rompre certains ordres préétablis. C’est à travers ce

Approfondir les liens actuels entre art et anthropologie soulève, de façon récurrente à nos yeux, la problématique du contexte du lieu d’énonciation d’où se produisent les discours. La périphérie

48

renouveau que les échanges Sud-Sud1 1 Durant ces trente dernières années, les luttes les plus avancées ont été le fait de groupes sociaux dont la théorie critique eurocentrique n'avait pas prévu l'existence : femmes, peuples indigènes, paysans, afro-descendant, chômeurs, sans papiers, homosexuels et lesbiennes. Ces groupes, selon Boaventura de Souza Santos, s'organisent sous des formes totalement différentes (mouvements sociaux, communautés locales, rassemblements, autogestion,

occupation de terres et de bâtiments, organisations populaires économiques, pétitions, referendum, etc.) de celles que privilégie la théorie critique eurocentrique des rapports Nord-Sud (le parti des travailleurs et le syndicat, l'action institutionnelle, la lutte armée, la grève). Cf. Boaventura de Sousa SANTOS, Épistémologies du Sud, traduit de l'anglais par Magali Watteaux,dans Etudes rurales n° 187, janvier juin 2011, p.21-50. 2 Interview with Joaquin Barriendos by Aliocha Imhoff & Kantuta Quiros, in (ed) Jean-Pierre Criqui,Les Cahiers du Musée National d’Art Moderne #122 (Winter 2012 /2013), special issue “Art and Globalization ” : Mondialisées, globalisées, contemporaines : pratiques, productions, écritures dans l’art aujourd’hui.


Joaquin Barriendos- s’assumer comme

colonisation qu’elle a engagé l’Autre en

dialogique de nouveaux « sujets », le

un «être périphérique » permet de

tant qu’objet. Cette idée s’est répandue

« contexte » – ces lieux d’existence

réfléchir à la logique de la colonialité du

au XIXe siècle et l’altérité qui s’installe

de l’Autre - est toujours le même. « Le

pouvoir, du savoir et de l’être. Libérateur

perçoit l’Autre comme celui qui appar-

caractère impérialiste de l’interprétation

car dans le contexte latino-américain,

tient à une autre époque : un être en

anthropologique est d’autant plus

s’auto proclamer périphérique permet

retard dans le temps, primitif, qui vient

affirmé lorsque l’anthropologue

de mettre en évidence les défis de

d’un autre lieu, d’un autre contexte.

s’attache à l’étude d’un espace ou d’une

l’approche « intersectionnelle » des

D’après Hal Foster, le paradigme

question qui a déjà fait l’objet d’enquête

relations, où le regard paternaliste d’un

de « l’artiste en ethnographe », se

avant la sienne » souligne Marie Gaille-

centre légitimateur d’un pouvoir occu-

développe vers un Autre, culturel ou

Nikodimov.

perait une place moins prépondérante.

ethnique vers lequel l’artiste oriente

Cela dit, quelles sont les possibilités

« L’histoire de l’art est constitutive du

sont travail. Le regard de l’artiste se

de réflexions pour l’art contemporain

problème de la colonialité » , souligne

tourne alors vers ces lieux de l’existence

brésilien aujourd’hui, après le « tour-

le critique d’art Joaquín Barriendos. Les

de l’Autre : la périphérie, les sous-

nant ethnographique »6 de Hal Foster,

enjeux épistémologiques de « l’être péri-

cultures, les exploités, les exclus (les

prenant en compte ce changement du

phérique » amènent ainsi à réfléchir aux

migrants, les requérants d’asile, les

contexte d’énonciation, où les Autres,

interactions qui ont lieu au sein de l’art,

SDF, les handicapés, etc.), projetant

les périphériques, les « subalternes»7 ne

moins dans un rapport analytique centré

ainsi l’altérité, en l’idéalisant avant de

soient pas seulement « sujet-objet » mais

sur l’histoire de l’art en tant que telle,

se l’approprier. Roy Dilley, dans son

aussi auteurs?

que sur la décolonisation de la pensée

ouvrage The problem of Context, nous

esthétique et les rapports entre racialité,

met en garde quant aux enjeux de

visualité et esthétique.

pouvoir mis en œuvre dans une situation

3

4

d’enquête ethnographique. Il explique

"La périphérie est toujours périphérie si le lieu d’où l’on parle est le centre d’un pouvoir"

qu’en anthropologie, essayer d’occuper

Le problème du contexte dans l’art ethnographique.

Quelques considérations pour problématiser l’art ethnographique au Brésil.

la place d’un « interprète des cultures »

Boaventura de Souza Santos, dans

perpétue une situation d’inégalité, car

son article Epistémologies du Sud8,

la participation de l’interlocuteur en

souligne avec justesse, suivant la pen-

tant qu’auteur dans la construction

sée d’Edward Said et Vicent Tucker,

de cette textualisation de la réalité

que l’épistémologie impérialiste a

n’est pas prise en compte. On constate

représenté « l’Autre » comme incapable

ainsi que l’effacement de la voix de

de se représenter lui-même. « L’Autre est

l’interlocuteur tout comme l’approche

réduit à un objet sans voix. »9

« dialogique » pratiquée par certains Si pour Marc Augé, la question de

artistes en ethnographe - dénoncée par

6 Hal Foster, « L’artiste comme ethnographe… », art. cit., p. 503.

l’Autre est l’unique objet intellectuel de

Foster - cherchent à instaurer tous deux

l’anthropologie5, c’est par le biais de la

« l’autorité ethnographique » faisant en

7 Sur les conditions de circulation des savoirs entre les « subalternes » et les intellectuels, voir Can the Subaltern Speak? publié pour la première fois en 1988 dans un collectif rassemblant les contributions d'un séminaire organisé par l'université de l'Illinois en 1983 - et auquel contribua, notamment, Christine Delphy. Il existe plusieurs versions de ce texte régulièrement repris par son auteure, la dernière datant de 1999. Il est traduit en français pour la première fois en 1999 (in Mamadou Diouf,L'Historiographie indienne en débat. Colonialisme, nationalisme et sociétés postcoloniales, Paris, Kartala/Sephis), avant d'être repris par Jérôme Vidal et publié aux Editions Amsterdam en 2009.

sorte que l’Autre continue toujours à 3 Kimberlé Crenshaw, Cartographie des marges : Intersectionnalité, politiques de l’identité et violences contre les femmes de couleur, Les Cahiers du genre, 39. 4 Joaquin Barriendos by Aliocha Imhoff & Kantuta Quiros, art. cit., p. 17. 5 Marc Augé, Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Seuil, 1992, p. 28.

49

occuper la place qui lui a été destinée. Entre l’ethnographe, qui cherche à faire son travail d’enquête de terrain, et l’artiste qui cherche dans une approche

8 Boaventura de Sousa SANTOS, art. cit., p. 36. 9 Tucker, Vincent, The Myth of Developement. Occasional Paper Series 6, Department of Sociology, University College, Cork, 1992, p.20.


Dans la société brésilienne, la con-

culture noire et indigène.

struction d’un idéal d’identité

du Manifeste anthropophagique15, qui se revendiquait à l’époque « contre

nationale orienté par la fausse notion

Cette courte approche historique nous

la réalité sociale bien habillée et

de démocratie raciale ne soulève pas

apprend beaucoup sur la façon dont

oppressive, validée par Freud » et

pour autant, de façon systématique,

altérité et culture s’articulent au Brésil.

« contre tous les importateurs de la

des questionnements sur « l’autorité

Si nous prenons comme exemple

conscience formatée »16, qui était lui-

ethnographique » dans les débats de

le mouvement anthropophage14,

même un « bourgeois cultivé »17 est

l’art actuels. En effet, il faut mettre en

nous allons constater que les êtres

donc paradoxale.

avant que l’évolutionnisme dominait

périphériques ou « subalternes »

la pensée sociale brésilienne à la fin du

demeurent « les objets d’étude » de la

D’après Schwarz, depuis le XIXe siècle,

XIXe et au début du XXe siècle, consi-

démarche artistique proposée !

un malaise s’est instauré au sein de l’élite

10

dérant la présence d’une importante

brésilienne : le sentiment de mimétisme

population noire - et dans une moindre

Le « modernisme » des années 1920,

des idées venus de l’occident et qui ne

mesure indigène - comme un frein à

prétendait marquer au Brésil, la rupture

reflétaient plus la réalité locale. Évidem-

la constitution d’une nation civilisée.

à l’égard de l’académisme européen. La

ment, le mouvement anthropophagique

Nous pouvons donc affirmer que si,

célèbre semaine d’art de 1922 - avec la

d’Oswald de Andrade proposait une

dans le credo positiviste de l’époque

participation d’artistes tels que Mário

nouvelle posture culturelle irrévéren-

« la fusion des trois races reste la base

de Andrade, Oswald de Andrade, Anita

cieuse pour l’époque, métaphorisant

de l’identité nationale brésilienne, ce

Malfatti, Di Cavalcanti entre autres -

l’Autre à travers la déglutition, mais cela

n’est pas par la valorisation du mélange

était une manifestation d’artistes issues

non sans restrictions : « il faut copier

obtenu mais plutôt en vertu du proces-

des élites brésiliennes, des artistes qui

certes, mais de façon régénératrice »18.

sus de régénération qu’il doit susciter. »12

ont observé l’altérité avec distance, en

Les modernistes ont cherché ainsi la

Concrètement, cela veut dire que ces

l’idéalisant dans ses formes cubistes.

rapports culturels s’opèrent à travers des

La posture d’Oswald de Andrade, père

11

relations sociales qui font intervenir des relations de pouvoir, ce qui se traduit par le fait que le métissage valorisé au Brésil est avant tout un « blanchiment »13 de la 10 L’idée de démocratie raciale est née au Brésil en 1930. Selon ce modèle démocratique le racisme et la discrimination étaient minimes ou non existants dans la société brésilienne contrairement aux autres sociétés multiraciales dans le monde. Selon une définition relativement étroite, seules les manifestations racistes explicites ou les lois fondées sur la race étaient alors reconnues comme discriminatoires et seuls les pays comme l’Afrique du Sud et les États-Unis étaient perçus comme véritablement racistes. De plus, le débat sur la race était peu fréquent dans la société brésilienne, contrairement à d’autres sociétés qui semblaient plus obsédées par les questions de race et de différence raciales.

14 «Seul m’intéresse ce qui n’est pas mien. Loi de l’homme. Loi de l’anthropophage. » Cet extrait fondamental du Manifeste anthropophage, écrit par Oswald de Andrade en 1928, révèle l’un des sens les plus importants de l’anthropophagie. C’est-à-dire, l’expérience qui se définit par la sortie de soi-même, par l’ouverture à tout ce que je ne suis pas, par l’expérience de l’altérité et de la rencontre avec l’autre. Cf. Oswald de Andrade, Manifeste anthropophage, traduction et notes de Lorena Janeiro, Paris/Bruxelles, Blackjack éditions, 2011, p. 8.

15 Manifeste anthropophagique (Manifesto antropofágico), Andrade, Oswald de, Piratininga, l'année 374 de la Dévoration de l'évêque Sardinha. 16 Traduit par l’auteure. In: Giberto Mendonça Teles. Vanguarda europeia e modernismo brasileiro, 1997, p353. 17 Bosi, Alfredo. Historia concisa da literatura brasileira. 46 ed. São Paulo, Cultrix, 2002 18 Perrone-Moises, Leyla. Vira e mexe nacionalismos. São Paulo: Companhia das Letras, 2007.

11 «Ordre et Progrès », directement inspiré de la philosophie positiviste d’Auguste Comte est la devise du drapeau brésilien. 12 Lusotropicalisme. Idéologies coloniales et identités nationales dans les mondes lusophones. LUSOTOPIE, Paris, Éditions Karthala, 1997, p.119. 13 Le comte de Gobineau, qui a exercé les fonctions de Ministre de France à Rio de Janeiro entre 1869 et 1870, nourrit dans un article intitulé « L’émigration au Brésil » (1874) l’espoir de voir se régénérer la société brésilienne grâce aux apports bénéfiques d’une prompte immigration en provenance d’Europe. Cf (Sébastien Rozeaux, Les horizons troubles de la politique de « colonisation » au Brésil : réflexions sur l’identité de la nation brésilienne à travers le prisme de la question migratoire (1850-1889), Espace populations sociétés [En ligne], 2014/2-3.)

50

Paulo Nazareth – Bosta de jovem artista emergente / Merde de jeune artiste émergente « conseillé aux collectionneurs de merde et aux spéculateurs du marché de l’art (fabriqué au Brésil) » 2006 - boîte, excréments, rapeh, étiquette lithograph. Photo courtesy of the artist.


« capacité d’assimiler l’Autre,

pour Gayatri Chakravorty

phie, Marges [En ligne], 06 | 2007, mis en

à une anthropologie de la surmodernité,

mais sans se perdre »19. En

Spivak, une manière de

ligne le 09 juillet 2014, consulté le 05 février

Paris, Seuil, 1992.

étant un patrimoine paternal-

fétichiser le concret en

2015. URL : http://marges.revues.org/829

t

iste, l’art de manger n’a jamais

oubliant l’idéologie et les

t

métro, Paris, Hachette Littératures, 1986.

été partagé par tous. Dévore

représentations.

indienne en débat. Colonialisme, nation-

t

alisme et sociétés postcoloniales, Paris,

réduire l’altérité ? L’anthropologie et la

qui le peut. On constate, par

Diouf Mamadou, L’Historiographie

Marc Augé, Un Ethnologue dans le

Marie Gaille-Nikodimov, Comment

conséquent que les relations

À partir de la périphérie,

Kartala/Sephis, 1999.

philosophie face à l’idée de contexte cul-

de pouvoir sont à nouveau

réinventer dans l’art une

t

turel, dans Critique n° 680-681, « Frontières

maintenues par une classe et

tradition pré-impérialiste de

siques cannibales, traduit du portugais

de l’anthropologie », janvier-février, 2004.

une race économiquement et

résistance à la domination

(Brésil) par Oiara Bonilla, Paris, PUF,

t

politiquement dominante.

impérialiste, sur laquelle

2009.

anthropophage, traduction et notes de

un Sud non impérialiste ou

t

Lorena Janeiro, Paris/Bruxelles, Blackjack

Aujourd’hui, plus de 80

anti impérialiste pourrait se

europeia e modernismo brasileiro,

éditions, 2011.

ans après l’avènement du

reconstruire. Autrement dit,

Petrópolis, Vozes, 1997.

t

mouvement anthropophage

une pensée qui participe

t

feste anthropophagique (Manifesto

au Brésil, l’art contemporain

à la pratique artistique

ethnographe in Le Retour du réel. Situa-

antropofágico de, Piratininga, l’année 374

aurait-il réussi à vaincre le

d’invention de modes de vie,

tion actuelle de l’avant-garde, Bruxelles,

de la Dévoration de l’évêque Sardinha.

phénomène de l’altérité qui

pour laquelle l’Autre est un

La Lettre volée, 2005.

t

a influencé le modernisme

destin, comme dit Viveiros ,

t

approche de la question brésilienne. In :

brésilien ? Ou resterons-

différent des modes de

Aliocha Imhoff & Kantuta Quiros, in (ed)

Lusotropicalisme. Idéologies coloniales

nous ancrés sur une fausse

pensées colonialistes qui

Jean-Pierre Criqui,Les Cahiers du Musée

et identités nationales dans les mondes

vision libératrice de l’artiste

confinent la vie dans le cercle

National d’Art Moderne #122 (Winter 2012

lusophones. LUSOTOPIE, Paris, Éditions

en ethnographe ? Quelle

du Même en faisant de l’Autre

/2013), special issue “Art and Globalization

Karthala, 1997.

place pour les artistes

un miroir.

” : Mondialisées, globalisées, contempo-

t

« subalternes », pour les

raines : pratiques, productions, écritures

Oxford/New York, Berghahn Books, 1999.

artistes périphériques, pour

dans l’art aujourd’hui.

t

les artistes émergents ?

t

troubles de la politique de « colonisa-

21

Eduardo Viveiros de Castro, Métaphy-

Giberto Mendonça Teles. Vanguarda

Hal Forster, Portrait de l’artiste en

Interview with Joaquin Barriendos by

Jonathan Chauveau, On n’est

Oswald de Andrade, Manifeste

Oswald de Andrade, Mani-

Patricio Nolasco, L’état-nation: une

Roy Dilley, The Problem of Context,

Sébastien Rozeaux, Les horizons

pas subalterne parce qu’on le ressent!,

tion » au Brésil : réflexions sur l’identité de

Donner la parole ne suffit

Bibliographie :

Entretien avec Gayatri C. Spivak dans Phi-

la nation brésilienne à travers le prisme

pas. Encore faut-il créer les

t

losophie Magazine, 30 mars 2011.

de la question migratoire (1850-1889),

conditions matérielles et

literatura brasileira. 46 ed. São Paulo,

t

Espace populations sociétés [En ligne],

intellectuelles pour que

Cultrix, 2002.

des marges : Intersectionnalité, politiques

2014/2-3 | 2015, mis en ligne le 01 décem-

les « êtres périphériques »

t

de l’identité et violences contre les femmes

bre 2014, consulté le 06 février 2015. URL :

s’expriment d’une part, et

Paris, Complexe, 1997.

de couleur, Les Cahiers du genre, 39, 2005.

http://eps.revues.org/5743

soient entendus d’autre

t

t

t

part : Ne pas capter

mologies du Sud, traduit de l’anglais par

nacionalismos. São Paulo, Companhia

opement. Occasional Paper Series 6,

leur parole au nom de

Magali

das Letras, 2007.

Department of Sociology, University Col-

« l’indignité à parler pour

t

t

lege, Cork, 1992.

les autres » . C’est là,

janvier juin 2011.

raças. Cientistas, instituições e questão

19 Ibid, p.29

t

racial no Brasil, 1870-1930, São Paulo, Cia

20

Alfredo Bosi, Historia concisa da

Armelle Enders, Histoire du Brésil,

Boaventura de Sousa Santos, Épisté-

Watteaux,dans Etudes rurales n° 187,

Claire Fagnart, Art et ethnogra-

Kimberlé Crenshaw , Cartographie

Leyla Perrone-Moises, Vira e mexe

Lilian Schwarcz, O espetáculo das

das Letras, 1993. 20 Jonathan Chauveau, On n'est pas subalterne parce qu'on le ressent!, Entretien avec Gayatri C. Spivak dans Philosophie Magazine, 30 mars 2011.

51

21 Viveiros de Castro, Métaphysiques Cannibales, p .135

t

Marc Augé, Non-lieux. Introduction

Vincent Tucker, The Myth of Devel-


ART TALK

Yet another dance on race

The tune of Baldwin and Mead in a Rap on Race

By Frieda Ekotto The University of Michigan

A Rap on Race (1971) is a 7½-hour con-

ity”. Race and color have, since the

tal example about “living in the dark,

versation between the famous American

foundation of American society, acted as

and being afraid of the dark” I want

anthropologist Margaret Mead and

a more or less porous barrier to homo-

to develop a better understanding of

James Baldwin, a well-know American

geneity (Brathwaite 131).

how the white community is described

writer and civil right activist. The lengthy

as approaching the Black community

yet poignant exchange between Mead,

The Black civil rights movement, of

through this particular logic.

“a persona of the white liberal (but dom-

which Baldwin was a core constituent,

Margaret Mead highlights “growing

inant) sector” and Baldwin, “a persona

for the first time in American history,

up afraid of the dark”. The anthropolo-

of the black liberal (but sub-dominant)

passed the initiative to its black subordi-

gist focuses on what the intricacies of

sector,” is an attempt to understand

nate sectors. As a result, it became also

living in fear of the dark as a people are.

how the tangled forces of whiteness and

a prerogative of the blacks and other

“Bad things happen in the dark, you can

blackness have shaped American society

“minorities” to ask themselves and their

get hurt in the dark...” considering the

(Brathwaite 132). These both well-known

white counterparts what their place

comparison of racial disproportion to a

figures are concerned with America as a

within this plural society would be, if

reactionary fear, Margaret Mead micro-

plural social text. As Brathwaite argued,

they were to decide to willfully sign its

scopically focuses white fear instead of

a plural society is

contract. For Brathwaite, this was the

the problem of racism. The anecdotal

first time non-white nation-builders

piece about growing up in the dark is

by definition an entity consisting of

could accept their position as it was,

an interesting one because it implies

disparate elements, having its origin

could fight for its reformation, or could

that the dark is something to be feared

in the collision or contact of two or

reject it altogether (131). It is at the cross-

without light (whiteness) and therefore

more cultures through war, settlement,

roads of these three options that A Rap

is something to be vehemently fought

expansion, emigration. The constituent

on Race emerged.

against. Margaret Mead shapes the fear

elements may be simplified into dominant and sub-dominant, using or sharing certain ideas, institutions, a lingua franca< but retaining certain distinctive and essential cultural cores of their own. The impersonal drive within the polarity would appear to be towards homogene-

of darkness as a rationale. Structuring

"RACE AND COLOR HAVE, SINCE THE FOUNDATION OF AMERICAN SOCIETY, ACTED AS A MORE OR LESS POROUS BARRIER TO HOMOGENEITY"

ity […] This may be achieved through

it as if the problem of discrimination and hierarchical treatment is a result of excessive fear that warranted excessive protection. The problem of whiteness and discrimination as an upwardly mobile aspect of white life in this country is to be under-

force, persuasion, or a combination or

Baldwin places extreme importance

stood through this particular anecdote.

alternation of these (130-1).

on the Black community as a living and

Baldwin notes that fear of the dark and

breathing entity. His conversations with

rationale upon escaping the fear are two

American society can be seen as a plural

Margaret Mead in A Rap On Race, sug-

spheres of thought that function at the

society made up of a dominant white

gest that Baldwin understood the lack

same level of rotation. Margaret Mead’s

majority and a sub-dominant non-white

of knowledge most of those outside of

example of “sleeping in the dark is a

(whatever that might have meant at any

the Black community possessed. While

fearful experience, and being in the dark

given point in American history) “minor-

analyzing Margaret Mead’s anecdo-

for so long it is untrustworthy” implies

52


that the fear of darkness was a carried

responsible for providing healing and

Ousmane Zongo, Kimani Gray, Kendrec

burden that began to reflect the miser-

mending for this fear is irrational as they

McDade, Timothy Russell, Malissa Wil-

ies and fears of the white world onto

have been and still remain the targets

liams, Ervin Jefferson, Patrick Dorismond,

the Black population, and rationalizing

of this irrational fear. Baldwin stresses

Timothy Stansbury Jr., Sean Bell, Orlando

it as a necessary aspect of a developing

the importance of high levels of cau-

Barlow, Aaron Campbell, Victor Steen,

society, when in actuality the very act of

tion in the Black communities in that

Steven Eugene Washington, Alonzo

discrimination due to fear is one of back

historical evidence and representation

Ashley, Wendell Allen, Ronald Madi-

pedaling.

makes it clear that white fear of Black

son, James Brissette, Travares McGill,

Baldwin argues that the importance of

people is a foundational aspect of the

Ramarley Graham, Dante Parker, Oscar

rationale when considering fear is crucial

distrustful reaction of Black communi-

Grant, Trayvon Martin, John Crawford

for the true development of a society.

ties, as whites are historically known for

III, Michael Brown, Ezell Ford, and Eric

As Baldwin notes the fundamental

abusing their brother in common and

Garner, among many others. In closing,

nature of accepting your “ancestors”

using him for personal gain. White fear

I would urge us to re-read No Name in

and having a “brother in common”, he

graduated into exploitation and abuse,

the Street by James Baldwin1 in Baldwin

focuses on the fact that “the tragedy

where the population to maintain the

articulates these matters accurately.

is that most white people deny their

abuse, discrimination, and mistreatment

brother”. This denial is a direct con-

unequivocally rationalized it. Baldwin

Works cited:

nection to the element of fear, the

notes that Black people attempting to

Baldwin, James and Margaret Mead. A

understanding that an entire people

integrate such as the Black Arrow collar

Rap on Race. London: Lippicott, 1971.

can actively and consciously abandon

men found themselves in “in serious

Brathwaite, Edward. “Race and the

their “brother in common” with severe

psychological trouble, because they

Divided Self.” Caribbean Studies 14.3

mistreatment and general discrimina-

weren’t, no matter how well the uniform

(1974): 127-139.

tion. Mead approaches this information

fitted, really what they were taken to

with a counterargument, particularly

be or were hoping or pretending to be.

the acceptance of white ancestors by

They were not.” This example makes it

Black individuals as a result of their

clear Baldwin’s stance, the integration

“progression”. Baldwin explains why this

of white people with Black people given

is problematic, by simply saying Black

the current climate, is an untrue one in

people have historically had issues of

that it involves conformity in the name

trust and loyalty with their “brother in

of acceptance, and that as the distrust

common” and that the acceptance of

of whites remains an issue, the psycho-

their ‘white ancestors’ would be physical

logical damaging and discrimination of

inviting of tragedy into their spaces.

Black people, continues.

Baldwin develops the understanding

These questions that Baldwin and Mead

of fear in one group as a result of fear

rose some 44 years ago are still pressing

within another. He explains that the

us to attend to them today. Given the

fear amongst the Black community that

social climate in which racial tensions are

yields the disownment of white ances-

more than ever shaping the everyday of

tors is a direct result of discrimination.

American society, the temporary coali-

The lack of trust within the two com-

tion that Mead and Baldwin formed still

munities is a direct result of white fear,

provide us with concrete examples to

and the notion that Black individuals are

juxtapose to cases like Amadou Diallo,

53

1 For French readers: 1R 1DPH LQ WKH 6WUHHW !"# $%&'(#)%*+,-Q #.-'/0#+1203'#3'03%+4-0#5%3#6%7%*-#)'37'3#%48# 9+-0-:/(#;5(-*:/#(:4(#*'#0-03'#&KDVVpV GH OD OXPLqUH#%.'<#+'48# -&5:30%/0'(#5:(0=%<'(>


ART TALK

Posséder le « Je » Différents usages de l’anthropologie Par Myriam Dao

"Jeux de ficelle caduvéo" Claude Lévi-Strauss photographie d’après un original des collections de la BNF

« Posséder le Je dans sa représentation :

largement sur des sciences - philosophie,

l’anthropologie s’appuiera sur l’étude de

ce pouvoir élève l’homme infiniment

esthétique, etc. - développées en Europe

la langue pour comprendre l’homme.

au-dessus de tous les autres êtres vivants

à la même époque. Ainsi, il n’est pas ano-

2. Branche de l’ethnologie qui

sur la Terre.

din que le philosphe Kant se trouve être

étudie les caractères anatomiques et

Par là, il est une personne. »

l’auteur d’une “ Anthropologie pragma-

biologiques de l’homme (Anthropologie

tique “, et de la “ Critique de la faculté de

physique - dont fait partie la paléoanthro-

juger”, à la base de l’esthétique moderne.

pologie qui étudie l’évolution humaine)

Emmanuel Kant

L’anthropométrie est une déviance En avant-propos, il me paraît utile

ANTHROPOLOGIE

de cette seconde branche de

d’énoncer quelques définitions afin

homme + discours

l’anthropologie, l’anthropologie physique

d’éviter les raccourcis entre anthropolo-

(anthropo, du grec anthrôpos “homme”,

et morphologique.

gie et anthropométrie. Il m’apparaît

et logie, du grec logia “théorie”, de logos

que si l’on devait faire un procès à

“discours”)

l’anthropologie, en tant que science

ETHNOGRAPHIE ethno - du grec ethnikos, “peuple”, et gra-

apparue parallèlement au fait colonial,

1. Ensemble des sciences qui étu-

il nous faudrait en faire un aux sciences

dient l’homme. (Anthropologie culturelle,

dessiner”

politiques – l’Institut de Sciences Poli-

sociale, visuelle, structurale,etc.). L’étude

étude descriptive des divers groupes

tiques “Science-Po” ne fut-elle pas à

des langues y est essentielle, il est à noter

humains (ethnies) à partir d’analyses réali-

l’origine une école chargée de former

que les travaux de Ferdinand de Saussure

sées sur le terrain

l’élite de l’administration coloniale ? -,

en linguistique visent à relier structure de

et questionner également l’histoire de

la langue et système de pensée. A partir

ETHNOLOGIE

l’art, en tant que discipline s’appuyant

de ses recherches, tout un courant de

Etude des faits et documents recueillis

54

phie - du grec graphein, “graver, écrire,


par l’ethnographie couvrant le domaine

ayant, presque toujours, appris leur métier

création et d’éducation. Mais l’innovation

de l’anthropologie culturelle et sociale.

en Occident ? »

la plus manifeste est certainement celle

Pour les Anglo-Saxons l’équivalent est

A ce titre, l’expérience Bandjoun Station

qui, en lien avec la communauté locale,

Anthropology.

de Barthélémy Toguo répond-elle à cette

vise l’autosuffisance alimentaire dans une

La représentation du « Je », ainsi définie

question ? Ce lieu d’art que l’artiste a créé

action à la fois agricole, artistique, et poli-

par Kant, dans son Anthropologie prag-

en 2008, est implanté en pays Bamiléké,

tique.

matique , c’est précisément ce qui est en

au C am eroun . O utre des esp aces

Barthélémy Toguo cite Léopold Sédar

jeu lorsqu’artistes et curateurs s’inspirent

d’expositions, il propose des lieux de

Senghor, dans l’optique de mettre fin

de l’anthropologie culturelle.

à ce qu’il appelait “la détérioration des

On a vu récemment à Paris dans certains projets curatoriaux l’anthropologie clairement invitée à se confronter à l’art contemporain. En 2012 au Palais de Tokyo, à Paris, le curateur Okwui Enwazor n’a pas hésité à exposer des croquis de Claude Lévi-Strauss, qui définit, lui, l’anthropologie comme un

"QUEL EST LE RÔLE DE L’ARTISTE SINON DE RACONTER SA PROPRE HISTOIRE ET DONC CELLE DE SON ÉPOQUE ?"

termes de l’échange”. Bandjoun Station a initié des projets de développement durable avec plantations de café, maïs, manioc, etc., manière de rappeler que l’éducation artistique ne vaut rien sans une volonté d’accompagnement social. Mais au sujet du public qui fréquente les lieux d’exposition, il dit dans Le Monde

« art de l’éloignement », tout en

Afrique : « Aujourd’hui, 80% des

défendant le concept « d’Intense

visiteurs sont des occidentaux ».

Proximité » comme principe

Il est intéressant de noter le cas

d’organisation de l’exposition . Il

du projet curatorial du Louvre

n’y a pas de meilleure invitation

à Abu Dhabi. Exposé au Lou-

à désapprendre, à se défaire des

vre Paris en 2014, sous le titre «

savoirs et des connaissances de

Naissance d’un musée », le com-

l’anthropologie culturelle.

missariat d’exposition y fait le

Déconstruire, c’est aussi cela

choix du décentrement 3. On a

qu’Eva Barois De Caevel, com-

pu y voir, alignées sur le même

missaire d’exposition, recherche

plan, la statuaire des panthéons

quand elle dit vouloir inventer une

égyptien, soninké, chrétien,

nouvelle scénographie affranchie

bouddhiste et indien. Il me sem-

des « normes d’une épistémolo-

ble que cette décision était une

gie occidentale ». Cette fois-ci,

première dans une institution

il ne s’agit pas de normes héri-

française, et le fait vaut d’être

tées de l’anthropologie, mais

remarqué comme une tentative

des méthodologies même du

de scénographie non ethnocen-

2

projet curatorial . Elle pose aussi

triste. Etait-ce là l’occasion de

la question des relations entre

donner à voir la vocation « uni-

scène internationale et contexte

verselle » affirmée par le Louvre

local dans ces termes « Comment

Abu Dhabi ?

1

les gestionnaires de ces lieux peuvent-ils prendre en compte un contexte spécifique tout en

55

John Mawurndjul peignant pour la librairie du Musée © Musée du Quai Branly - photo Franck Béloncle

Vous avez dit ethnocentrisme ?


Le Musée du Quai Branly, qui a passé com-

nouvelle posture de « l’artiste en »

anthropologues au Burundi, où elle vit et

mande en 2006 à huit artistes aborigènes

ethnographe, philosophe, sociologue,

travaille. Quand le langage de l’art rend

contemporains pour placer directement

etc., mais bien d’une prise de con-

compte d’un fait qui aurait pu relever de

leurs œuvres picturales sur le bâtiment,

science. En se référant clairement à

l’anthropologie - ici un rituel local de la

témoigne bien de l’ambiguïté qui per-

l’anthropologie, parfois en la revisitant,

circoncision - en lui conférant une autre

dure, entre représentation néocoloniale

parfois de façon critique, ils alimentent

dimension, alors la rencontre a bien eu

et tentative de patrimonialisation.

leur quête de sens. Nous avions recueilli

lieu, et le langage scientifique s’efface

Richard Bell résume ainsi la question dans

à ce sujet les propos de Camille Henrot,

pour laisser transparaître celui de l’art.

son « Bell’s Theorem » :

C’est précisément ce que Bar-

« Aboriginal Art. It’s A White Thing

thélémy Toguo a réussi lorsque,

», (l’art aborigène. C’est un produit

de retour dans son pays natal, le

de Blancs). Le collectif Boomalli

temps d’observer ce rituel, il lui

s’est fait l’écho de cette affirma-

confère un souffle qui transcende

tion car les artistes aborigènes

l’aspect local à travers la perfor-

urbains, forcément hybrides, sont

mance Circumcision 1, création de

perçus comme « inauthentiques »

1999-2007.

4

par rapport aux artistes du désert australien vivant dans des sociétés

Kouka Ntadi, comme d’autres

intouchées, primitives. Le mythe

artistes, convoque l’histoire avant

subsiste, partagé tant par les

de peindre de grandes figures de

anthropologues que par les ama-

Guerrier bantous à une échelle

teurs d’art. Ainsi, en réaction au

urbaine. En documentant son

monde de l’anthropologie comme

histoire personnelle, il invente

à celui de l’art, des « stratégies »

un signal urbain, signe de

sont mises en place par les artistes

reconnaissance et de ralliement,

pour tenter de se soustraire à une

preuve s’il en est de la résonance

certaine assignation identitaire.

du local dans le monde global.

Dans le film Ré-assemblage, pro-

Il nous explique : « Le Guerrier

jeté pendant « Intense Proximité » à Paris, Trinh T. Minh-ha invente un mode opératoire, tournant autour de son sujet

bantou - bantou signifie humain Bandjoun Station Récolte de mais jaune, Plantation des Cinq doigts Tesse © photo Barthelemy Toguo

- représente pour moi l’homme originel, en communion avec la nature, il est le

pour éviter de le percevoir comme un

artiste française, dans Afrikadaa #8, qui

gardien de la mémoire et de la culture.

objet anthropologique, ses images, libres

nous confiait s’inspirer davantage de

Les bantous ont été colonisés, puis

d’interprétation, sont non pas « sur » le

l’anthropologie que de la philosophie,

déportés. La raison pour laquelle je les

Sénégal mais « nearby ».

notamment par sa relecture du « Renard

appelle « guerriers » indique justement le

Pâle » de Marcel Griaule et Germaine

fait qu’ils se battent, non pas contre leurs

Dieterlen. Auparavant, c’est Martina

semblables, mais contre l’oubli, la perte

Bacigalupo dans Afrikadaa #7, qui mène

d’identité et de leur culture. » Kouka Ntadi

Le tournant anthropologique qui mar-

un projet artistique auprès des guéris-

souligne, dans son travail, le caractère

quait le champ de l’art contemporain de

seurs de la communauté Ju/ hoansi,

universel de cette figure « En continuant

Hal Foster est derrière eux. Pour certains

et nous disait son désir d’approfondir

à voyager, je me suis aperçu que la figure

artistes et curateurs, il ne s’agit pas d’une

sa « connaissance de l’Autre » avec des

du guerrier bantou, résonnait beaucoup

Universaux / vers soi

56


Notes

Authority).

ancêtres, comme un symbole fort de

1. Il faut rappeler le contexte de l’exposition,

4. Bell’s Theorem, 2002. Richard Bell y affirme

culture et de tradition, je décidais alors

en plein débat français sur « l ‘identité

encore« Il n’y a pas d’industrie artistique

d’en peindre partout ou j’allais ! »

nationale », comme le fait

aborigène. Il y a cependant une industrie qui

Okwui Enwazor, dans « Intense Proximité, l’art

gère l’art aborigène. Les principaux acteurs

comme réseau », Communiqué de presse de

de cette industrie ne sont pas aborigènes.

la Triennale, 2012

Ce sont principalement des Blancs dont les

en Amérique latine et aux Etats-Unis, où les gens y voyaient également leurs

L’artiste, anthropologue de sa propre histoire ?

domaines d’expertise relèvent des champs Kouka Ntadi, artiste né d’une mère fran-

2. Entretien Frieda Ekotto et Eva Barois De

de l’anthropologie et de l’art occidental. »

çaise et d’un père congolais , qui a grandi

Caevel, ‘ Voir au delà des mots », Africultures,

Géraldine LE ROUX, « Regards d’artistes sur

en France, témoigne de cette quête

http://www.africultures.com/php/index.

les processus de patrimonialisation et de

d’identité « fer de lance de ma démarche

php?nav=article&no=12707

commercialisation de la culture aborigène », Le Journal de la Société des Océanistes 2012

artistique, je pense que l’artiste qui n’entreprend pas cette recherche per-

3. Vincent Pomarède, musée du Louvre,

sonnelle ne sera toujours qu’un artisan

commissaire général, associé à Laurence

de la pensée. Quel est le rôle de l’artiste

des Cars, musée de l’Orangerie, et à Khalid

sinon de raconter sa propre histoire et

Abdulkhaliq Abdulla, commissaire associé,

donc celle de son époque ? »

TCA Abu Dhabi (Abu Dhabi Tourism & Culture

"Guerriers bantous - Tribute to Mandela" 2013 – Vitry sur Seine © Kouka Ntadi

57


ART TALK

La montée au trône du prince héritier Par Pascal Kenfack

"L’OBJET D’ART NE « S’AUTOPROCLAME » ATTRACTIF QU’À TRAVERS LE REGARD EXTÉRIEUR CONQUIT PAR FORMES, SIGNES ET TONS." Comment un concept peut-il devenir un

sasser d’autres séquences à la lumière sur la

un réconfort psychique et ainsi qu’une

objet d’art ?

base de ses souvenirs les plus marquants,

réponse à la conquête du bien- être.

Capter le regard d’un observateur et le faire

mouvementés ou non qui ne tiennent que

plonger dans les méandres de l’initiation

parce que s’y enrobent des interprétations

Comment définir l’âme d’une communauté

à la tradition. Sans pour autant que

singulières en en résonnance avec son état

tant recherchée à travers la fabrication d’un

l’observateur devienne acteur ?

d’âme.

objet d’art ?

- L’espace du champ visuel à la clarté

L’objet d’art ne « s’autoproclame »

L’approche anthropologique basée sur

lumineuse.

attractif qu’à travers le regard extérieur

la démarche individuelle puis collective

- Le sous-terrain mystérieux dans la

conquit par formes, signes et tons. Par

s’ouvre au dialogue avec l’invisible. Tout

pénombre d’où s’extirpent force et énergie.

ailleurs, le décryptage et l’adhésion des

commence par un signalement interpré-

réminiscences intérieures se font grâce

tatif ; des signes incongrus tracés par le

Ces zones s’alternent et se complètent

à la constante force du champ visuel. La

passage de certains oiseaux, comme le

comme le jour et la nuit. Ainsi elles sym-

grande partie des objets d’art s’inscrit dans

gloussement d’une perdrix ou un aboie-

bolisent un état d’outre-tombe opposé et

l’expression intrinsèque d’une commu-

ment. L’art de « chez nous » enregistre

complémentaire de l’éveil.

nauté dont la racine prend dans un village,

des formes hétéroclites voire étranges

une famille, un groupement ethnique

et relève ici et là l’invention de nouvelles

La toile bidimensionnelle se prête

ou culturel. Au sein des formes se décli-

valeurs, celles à reconnaître sous le label

à l’ambivalence technique faute de

nent des significations d’une religiosité

des ancêtres et de leur culte ; des sociétés

troisième dimension. Elle trompe l’œil

atténuée et entrent dans les sanctuaires où

initiatiques et de leur code ; « des tradi-

et titille l’hypersensibilité de celui qui la

s’entretient un dialogue permanent avec

praticiens » noyautés dans la double

regarde. Les yeux grandement ouverts,

les ancêtres intermédiaires. Puis avec les

prévalence du divinatoire et de soins

l’observateur est invité à développer et res-

praticiens et tous ceux qui y rencontrent

alternatifs, « d’une alliance totémique ».

Deux zones distinctes composent la toile :

58


Cette dernière qui d’après Joseph Kouda,1

ateliers l’objet d’art, qui doit nourrir son

yeux en forme de jetons de cauris que

« Toujours étrange relève de l’humain

homme et accompagne son détenteur

prolonge un impressionnant dos dont

s’associant à l’animal pour une pénétration

dans ses activités spirituelles.

la courbe auréole la tête du prince et se

impitoyable » l’alliance sans équivoque

termine par une queue. Au centre, le prince

dont l’unique image évocatrice trouble et

Le tableau « La montée au trône du

n’est plus qu’une ombre des félidés aux

assiège l’esprit comme l’image d’un cen-

prince héritier », objet de notre approche,

museaux identiques. N’est-il pas entouré

taure. Les ingrédients toujours d’actualité

développe une composition dense autour

de la cohorte de jeunes filles aux cheveux

permettant de réussir cette alliance se fix-

des cases au toit conique alignées en

soigneusement tressés, ses accompagnatri-

ent à l’intérieur de ceux pour qui le chemin

perspective. Les lignes fuient vers l’arrière

ces ? Leurs courbes corporelles émancipent

du salut s’éclaircie au fur et à mesure qu’ils

fond. Le milieu ambiant influence le géant

tout en convergeant en descendance vers

posent des actes.

baobab à gauche, qui est frappé de neuf

le majestueux crâne du défunt premier

points ronds symbolisant les neuf nota-

chef fondateur de leur dynastie qui portent

L’école permet de transcender intellectuel-

bles fondateurs. Le feuillage est détourné

les deux énormes pieds aux ongles appar-

lement l’objet traditionnel remplacé par

en une tête de panthère au museau et

ents. Cette zone est frappée de plusieurs

le savoir universel. Dans ce cas, la tradition

points rougeâtres

se relèguerait dans l’archaïsme si nous

marquant la présence

ne prônions avec force et abnégation la

effective des féconda-

double culture à partir de « notre terroir

tions attendues. Le

d’origine ». Ne pas se nier, mais faire des

vecteur central sensibilisé

propositions qui relèvent de notre moi

se privilégie porteur de

intérieur, avec la capacité d’émerger et de

la crème fécondante

s’ériger en un concept universellement

lumineuse blanc-

acceptable.

bleuâtre entouré de fins morceaux de baguettes

L’autre nouvelle valeur repose sur la

en bois acajou brut au

proposition des formes qui ne le sont que

bout lumineux comme

parce qu’elles s’offrent au regard tout en

des bougies ou encore

creusant des nouveaux horizons par rap-

d’intermittentes lucioles.

port aux masques qui ont fait leur temps.

Tous les éléments con-

Ici, le prince monté au trône de son père

stitutifs clament le non

défunt reste d’actualité. Depuis le La’Akam2,

dit des scènes de copula-

il accomplit son devoir de futur monarque

tion, unique occupation

avec les jeunes filles qui l’accompagnent

des locataires des lieux.

qu’il doit féconder. Féminité et masculinité

L’issue attendue est la

(seins et phallus) se projettent sur la toile,

capture de l’esprit du

annonciateur d’un abdomen proéminent,

défunt s’incarnant afin

le regard parcourt la scène et s’active.

d’assurer l’ininterrompue chaîne royale.

Comme le relève Mabika3 « Les foyers de culture africaine ne sont pas éteints » La connaissance de l’homme et de son environnement conditionne à la sortie des

59

Inspiré du La’Akam, Pascal Kenfack, La montée au trône du prince héritier Peinture : 375X250 cm. Tech mixte. Toile de jute.

l’oeuvre se transforme, rencontre et se revêtit de


mystère, mythe et autres interdits. Le tout

La métempsycose n’est-elle pas une

Quand à lui, le dispositif totémique, vieux

le hisse en étendard identitaire de notre

activation de l’une des composantes du

comme le temps, développe l’ambivalence

société.

pouvoir incontournable tant il est relevé

des contractants. Ces derniers vivent et meurent en même temps, vont et vien-

Sa transformation se base sur le rôle du prince qui le long de son enfance sous la tutelle de son père est soumis aux étapes de développement physique et formation intellectuelle jusqu’à l’âge adulte. Il peut recevoir une aide éducative d’un père adoptif. Parfois il est envoyé très tôt dans une chefferie amie où il grandi parmi les autres jusqu’à la mort de

"L’APPROCHE ANTHROPOLOGIQUE BASÉE SUR LA DÉMARCHE INDIVIDUELLE

nent à volonté dans un laps de temps déterminé, posent des actes insolites dans le secteur qui leur est propre souligne Mofosso.

PUIS COLLECTIVE S’OUVRE AU DIALOGUE AVEC L’INVISIBLE."

Pascal KENFACK Peintre sculpteur, enseignant, Maître de recherche

son père. Mystique quand à partir de sa naissance et de par les signes qu’il porte,

ici et là ? La complexité de l’exercice du

il est reconnu futur roi suivant des signes

pouvoir à travers une sage distribution

Bibliographie :

palpables : marque de bracelet au poignet,

des rôles ? Pendant que les faits réels

Pie-Aubin MABIKA : Regards sur l’art et la

touffe de cheveux sur le front, naissance les

s’organisent sur le terrain anthropologique

culture en Afrique noire, Harmattan, 2OO6

pieds joints, eau jaillissant spontanément

dans les villages, les formes des objets

du sol de la chambre dans laquelle a lieu

d’art se sclérosent sur les supports

Notes:

l’accouchement. Son annonce aux notables

devenus l’hôte accueillant des regards

1. Joseph KOUDA , patriarche de la famille

précède une cérémonie insolite autour

tout en accompagnant l’observateur à la

TADONDJIOLEMO

de laquelle tous jurent en versant l’eau ou

découverte des séquences caractérisées. 2. Le La’Akam signifie le « village des nota-

le vin de raphia sur le crâne des ancêtres pour que la mort frappe immédiatement

Le principe du culte des ancêtres se noue

bles ». Tout futur chef doit y séjourner avant

celui qui romprait le secret. Un éclair

autour des agrégats sélectifs d’une trans-

son intronisation. Cette légitimité lui confère

instantané peut ouvrir l’espace avec ou

mission réelle à travers des mécanismes

l’autorité de chef. Il devient le garant de la

sans une fine pluie. Dans ce cas, l’attention

incontestables et un psychisme profond

prospérité et de la suivie de sa Chefferie.

des villageois est attirée sur l’évènement en

qui mettent en exergue l’esprit des morts

Source : http://www.guide.mboa.info/peuple/

cours sans toutefois les rapprocher faute

otages des survivants afin de défier la mort

fr/connaitre/actualite/2527,cest-quoi-le-

des moyens de communication. Certains

destructrice de la chair. La danse accompa-

laakam-.html

membres des sociétés secrètes s’ouvrent

gnatrice des évènements développe des

aux signes codés au travers de leur

séquences où se rythment les appréhen-

3. P.A.Mabika “regards sur l’art et la culture en

dispositif totémique relayant les messages

sions, des défis et autres aspects vivifiants.

Afrique” ed. Harmattan 2OO6

en nocturne à travers un canal sensible

Le martèlement de la croûte du sol (repos

dont ils détiennent la clé. En journée, ils

des corps), les envolées de chants et gestes

4. D’apres un temoignage de Mossa Foréké à

suivent le chant persistant de l’oiseau au

guerriers qu’accompagnent les torsions

Ndzong (Dschang, Cameroun)

plumage bicolore noir et blanc. Le passage

et contorsions des corps impulsent et

du sentier d’un bord à l’autre par un

expulsent l’air (domaine de l’esprit) afin

5. MOFOSSO Kametchou, membre influent de

écureuil moucheté à la scintillante et large

que s’accomplissent les divers messages et

la société fossi à Ndzong

queue et aux poils étincelant constitue une

doléances pour le bien-être, vie et lon-

part du message insolite interprétable.4

gévité convoitées.

60


ART TALK

Sphynge en sucre et pensée de l’hybridité chez Kara Walker Par Rémi Astruc Crédit images : Kara Walker, A Subtlety, 2014. Photography by Jason Wyche, Courtesy Creative Time>#

61


"AVEC KARA WALKER, L’ÉNIGME PORTE DONC MOINS SUR L’ÊTRE HYBRIDE DE LA SPHYNGE EN SUCRE QU’ELLE NE SE CONFOND AVEC L’ÉNIGME DE L’HOMME BLANC ET DE SA PROPRE ANIMALITÉ (CACHÉE/RÉVÉLÉE)."

On peut comprendre l’effet de saisisse-

–immaculée- rappelle en effet deux «

Candide ou l’optimisme », le conte

ment ressenti par les visiteurs, face

blancs » de l’Histoire, soit deux dispari-

philosophique de Voltaire2 . D’une cer-

à la gigantesque Sphynge en sucre à

tions lourdement chargées de sens,

taine manière, (assez directe cependant),

tête d’esclave noire , exposée cet été

obligeant à penser en profondeur les

en sucrant délicatement leur thé de cinq

dans la raffinerie Domino à Brooklyn.

effets de ces disparitions.

heures, les Blancs « consommaient », en

1

Cette sculpture intitulée « Subtilité » est

quelque sorte de l’Africain.

nommée ainsi par antiphrase, forme de

La première réalité oubliée ou

contraste ironique que Kara Walker a

aujourd’hui passée sous silence «

La seconde réalité oubliée tient au pro-

voulu par ce titre associer à son œuvre.

blanchie » en quelque sorte, touche

cessus de blanchiment, cette fois au sens

Car loin de la subtilité annoncée, il

à l’histoire du sucre et de son indus-

littéral, de l’histoire du sucre, et à ses

s’agit bien au contraire d’une allégo-

trie, à savoir l’histoire de ce plaisir des

prolongements inconscients au niveau

rie pour le moins massive, (de l’ordre

Blancs qui fut inextricablement mêlé

de l’Histoire tout court : raffiner le sucre,

du symptôme), destinée à donner du

à l’esclavage et au commerce triangu-

c’est faire fondre la mélasse noire pour la

sens et de la forme, à une disparition,

laire, et donc à la souffrance des Noirs.

transformer en sucre blanc, soit séparer

aussi massive soit – elle ! C’est du moins

Le développement et le « raffinement

et évacuer les pigments noirs naturel-

l’hypothèse que je voudrais proposer

» —terme pour le moins problématique

lement sécrétés par la canne (donc le «

ici. La Sphynge en sucre serait un

dans ses implications concrètes— de la

sang mélangé ») pour en « purifier » le

monument - de proportions proprement

civilisation occidentale n’a en effet été

sucre. Déjà propre à être consommé, ce

mythologiques- culminant à l’invisibilité

rendu possible qu’à l’occasion du travail

blanchiment n’est destiné qu’à aug-

des Noirs, c’est-à-dire à l’oubli des

forcé des esclaves africains dans les

menter la valeur de ce dernier pour le

réalités aussi bien historiques que

plantations de canne à sucre du Nou-

marché occidental —mais selon quels

contemporaines du rapport Noir/Blanc

veau Monde. Ce qui est donc révélé est

critères ? Certainement pas économ-

dans la société américaine. L’hybridité

d’abord une histoire d’hybridité cachée,

iques, puisque cette opération est

serait alors un outil intellectuel qui ser-

celle qui tend à dissoudre aujourd’hui

nécessairement coûteuse—, soit le ren-

virait à révéler au moins, deux silences

ou à faire disparaître cette histoire. La

dre désirable pour le goût des Blancs. En

assourdissants. Opportunément, l’œuvre

souffrance des corps noirs (déportation

accord avec celui-ci, transformer le corps

et esclavage) sous le plaisir du corps

noir en substance blanche, c’est donc le

blanc. « C’est à ce prix que vous mangez

rendre présentable en lui donnant une

du sucre » rappelait pourtant à Candide,

apparence acceptable. Par son hybridité

1 — Exposition temporaire intitulée « A ‘Subtlelty’, or the Marvelous Sugar Baby, an Homage to the unpaid and overworked Artisans who have refines our Sweet tastes from the cane fields to the Kitchens of the New World on the Occasion of the demolition of the Domino Sugar Refining Plant », détruite en même temps que la raffinerie à la fin de l’été 2014. On peut en trouver trace sur le site du commanditaire du projet : http://creativetime.org/ projects/karawalker/

62

le pauvre « nègre du Surinam », amputé d’une jambe et d’une main, dans «

2 — Rémi Astruc, Le Renouveau du grotesque dans le roman du XXe siècle, essai d’anthropologie littéraire, Paris, Classiques-Garnier, 2010.


63


qui accole au contraire le corps noir au

La sculpture de Kara Walker, très mod-

de ces précieux cristaux blancs, est indis-

sucre blanc, la « Sphynge » révèle donc

erne de ce point de vue, renverse donc

sociable de l’exploitation inhumaine des

ce fantasme de « trans substantiation »

la perspective : derrière l’homme, il faut

populations noires importées d’Afrique

du noir en blanc tout en le mettant en

désormais voir (au sens propre : visual-

pour cela. Que le plaisir des uns a eu

échec. C’est précisément, ce blanchi-

iser) l’animal ; sous le raffiné, le barbare.

pour corollaire infâme la soumission des

ment souterrain que l’œuvre de Walker

Soit retrouver une animalité synonyme

autres ; que quand les Blancs consom-

rappelle et souligne..

ici de bestialité, d’absence de morale,

maient la Subtelty, les Noirs se faisaient

autrement dit la tendance même,

« dévorer » par elle.

Un processus semblable a été à

comme nous l’a appris Lévi-Strauss, à

l’œuvre au niveau des représenta-

animaliser l’autre.

La Sphynge de Kara Walker, conformé-

tions psycho-sociales, qu’il s’agit par la

Au-delà de son intérêt purement visuel

ment à son illustre aïeule de l’Antiquité,

même occasion de révéler et dénoncer.

et esthétique, l’hybridité est pour Kara

est bien elle aussi une figure suprême,

L’homme noir a en effet été vu par la sci-

Walker un formidable outil intellec-

mythologique, de l’intelligence, de la

ence évolutionniste occidentale du XIXe

tuel permettant de dévoiler ce qui est

pensée et de la ruse. Tout comme elle,

siècle comme un être encore proche du

profondément caché, de publier ce qui

elle adresse une question extrêmement

singe, le chaînon manquant qui sépare-

est difficile d’approche, en particulier les

difficile aux visiteurs de la raffinerie,

rait l’homme de ce dernier, un véritable

représentations inconscientes (soit mon-

question relative à la nature humaine

hybride entre l’homme et l’animal.

trer le « monstre » —étymologiquement

et à son hérédité animale. Comme elle

Une telle conception a ensuite envahi

: ce qui mérite d’être montré— tapi

encore, impérieusement elle exige une

l’imagerie populaire et la pensée raciste

au fond des esprits). Comme j’ai tenté

réponse de notre époque contempo-

commune. D’où les fantasmes tenaces

de le théoriser dans Le Renouveau du

raine, peut-être sous peine de mort

pour « élever » l’homme noir à la civilisa-

grotesque3 en déconstruisant les mécan-

: « Answer me !4 » ou je te dévore…

tion et, par la culture, le conduire à une

ismes anthropologiques de ce dernier,

Dans cet impressionnant processus

humanité « supérieure » que symbolisait

l’hybridité permet en particulier de don-

d’anamnèse collective suscité par

précisément le blanc et donc le sucre,

ner à voir les « impossibilités réalisées »

l’oeuvre, l’hybridité homme-animal est

une fois raffiné, rendu « pur ».

qui correspondent à certains de nos par-

bien en effet la façon de poser certains

adoxes cognitifs : en l’occurrence ici, de

des problèmes parmi les plus anciens et

Avec Kara Walker, l’énigme porte donc

restituer le composite, de reconstituer

les plus cruciaux de l’humanité (au sujet

moins sur l’être hybride de la Sphynge

des histoires (du sucre, de l’Amérique)

des couleurs de peau, des « ra-

en sucre qu’elle ne se confond avec

qui ne sauraient être ramenées à la

ces », du rapport animalité/humanité)

l’énigme de l’homme blanc et de sa pro-

simplicité ou à l’unité, ou encore à une

en les incarnant et en les donnant ainsi à

pre animalité (cachée/révélée). D’ailleurs,

problématique et infiniment suspecte

voir par le corps même de cette esclave

dans l’antique devinette posée par le

« pureté ». Pour l’histoire de la raffinerie

à l’allure d’un Sphynx. Ce faisant, Kara

Sphynx à ceux qui avaient le malheur

Domino, l’hybridité révèle ainsi tout ce

Walker souligne en particulier les con-

de croiser son chemin, derrière la bête

qui ne saurait être si facilement purifié,

tradictions, rappelle les ambiguïtés, et

étrange (« quel animal a quatre pattes

fondu, et donc assimilé, oublié avec la

en fin de compte l’irrésolution morale

le matin, deux à midi et trois le soir ? »),

destruction du bâtiment lui-même. En

qui entoure toujours, d’un point de vue

il fallait, comme Œdipe, être capable de

particulier le fait que le « raffine-

historique, ces problèmes. Par la figura-

« voir » l’homme : la créature présentée

ment » du goût des Blancs en Europe et

tion de « l’impossibilité réalisée » qu’est

sous des apparences monstrueuses dis-

aux Amériques, permis par le commerce

le corps de la chimère, la gigantesque

3 — Rémi Astruc, Le Renouveau du grotesque dans le roman du XXe siècle, essai d’anthropologie littéraire, Paris, Classiques-Garnier, 2010.

4 — Inscription que Kara Walker a porté sur un croquis de travail représentant la sphynge.

simulait en réalité ce qu’on allait appeler plus tard la « perfection » de la Création.

64


Mammy5 - Sphynge en sucre pose la question de ce qu’a pu signifier —et signifie peut-être encore—, dans les mentalités américaines contemporaines, le fantasme de transsubstantiation du Noir en Blanc. La Subtelty est bien alors la figuration, au niveau de la psyché de la société américaine, de l’énigme même de l’impossible métissage : l’énigme d’une société incapable de concevoir l’hybridité biologique (soit le mélange et la fusion des « races ») qui la caractérise et fantasme encore une hybridité merveilleuse qui séparerait en son sein les Noirs des Blancs, voire ferait disparaître les premiers, entièrement absorbés ou « digérés » par les seconds. Rémi Astruc est professeur de littérature francophone et comparée à l'université de Cergy-Pontoise. Spécialiste des écritures comiques, il a récemment dirigé le recueil Rires africains et afropéens, n° 38 de la revue Humoresques (2014) et Le grotesque dans les littératures du sud (avec Pierre Halen), Presses de l'Université Paul-Verlaine, 2012. Il a par ailleurs écrit plusieurs ouvrages généralistes sur le grotesque dont une ambitieuse réévaluation théorique: Le Renouveau du grotesque dans le roman du XXe siècle, essai d'anthropologie littéraire, Classiques Garnier, 2010. Sur Kara Walker, on pourra lire dans la revue Raison publique (en ligne) son article intitulé "Kara Walker: mémoires de l'esclavage en noir et blanc". 5 — Du nom, devenu proverbial, du personnage incarné à l’écran par Hattie Mac Daniel dans Autant en emporte le vent, soit la nounou noire, servile jusqu’à l’aveuglément, des riches planteurs blancs que sont la famille de Scarlett O’Hara.

65


ART TALK

Arts, anthropologie et le don Dialogue entre Roger Sansi et Stéphane Malysse "DONNE AUTANT QUE TU PRENDS ET TOUT SERA TRÈS BIEN…" Proverbe Maori cité par Mauss dans son Essai sur le Don, 1923.

MALYSSE as a jazz singer, 2014. Courtesy Maelle Galerie.

66


MALYSSE : Nous nous sommes rencon-

En suivant la méthode de Mauss qui

en accord avec l’Esthétique relationnelle

trés à l’époque ou nous étions au Brésil

invite à passer du concret à l’abstrait,

présentée par Nicolas Bourriaud2 ?

sur nos terrains respectifs à Salvador de

pourrais-tu m’expliquer comment tu

Bahia, j’étudiais l’anthropologie du corps

envisages ces collaborations ?

et toi celle de l’art contemporain, dans la

SANSI: I star ted working on these questions more than ten years ago, at the

perspective de notre dialogue autour de

SANSI: My book starts from my frus-

time Bourriaud´s work had been recently

ton nouveau livre1 et de l’Essai sur le Don

tration with current debates on the

published, and I have to say that I liked

de Marcel Mauss, j’aimerai savoir ce que

relation of art and anthropology. Most

it and I still do. However, Bourriaud never

cette expérience brésilienne t’a apporté ?

of the literature on the subject focuses

makes explicit reference to Mauss nor to

on methodology : how can artists use

the concept of the gift. And I don´t think

SANSI: At that time I was working on

ethnographic methods and viceversa. It

he was hiding it, his work was not directly

the relation between modern art and

had always seemed to me that this was

inspired by Mauss or Anthropology in

Afro-Brazilian culture and art. In particu-

a rather narrow approach. Art practi-

general, perhaps only indirectly, through

lar, in relation to religion, to Candomble.

tioners and anthropologists share much

situationism. In the last decade there

I have to say that in the end I got more

more than methods as techniques, they

have been many, many criticisms of

interested in Candomble as a form of art

also have common conceptual concerns.

Bourriaud, many of which are probably

than in modern art, properly speaking.

And further thant that, they also share a

correct, but I still find his work inspiring, I

In Candomble I found a questioning of

very particular understanding of what a «

guess I like his way of formulating ideas,

the limits between people and things-

method » is, which may not be simply a

as possibilities, more than questioning if

and between people themselves that

scientific technique to reach a particular

they really work in the « Art World » or not.

inspired me to re-read the classics of

conclusion, but the method itself may be

Still, for me what is clear is that the kind

Anthropology- essentially Mauss, but also

the matter of concern. For example « the

of art that Bourriaud championed in that

to engage with contemporary authors,

gift ». The gift has always been a central

book was clearly based on the gift. But

like Strathern, Alfred Gell, or Bruno

concern in Anthropology and in Art. At

this did not mean that these works were

Latour, who at that time were starting

the same time, it has also been central to

anti-capitalist revolutionary in any sense-

to question « Western Ontology » and

its « methods » or « processes » - its forms

on the opposite, they could end up being

the division between nature and culture,

of work in both cases. Art practice can

very conventional, mainstream works of

subjects and objects. At a personal level,

be formulated explicitly as an exercise of

contemporary art. But they are still based

on the other hand, my « brazilian » expe-

gift-giving ; gift in terms of inspiration,

on the gift- with all its contradictions.

rience was very fruitful. Meeting you and

but also of the esthetic experience, that

What I discuss in the book is that a good

other anthropologists in Bahia was like a

is by definition, free and given. And so

way of addressing « relational » art work

second PhD for me. But in a much more

can ethnographic field work: a big part of

is by understanding it precisely in the

fun way ! But I also think that some of

ethnographic fieldwork consists in social

terms of a « relational » Anthropology, for

the things I learnt at that period, actually,

relations that are, in most cases, based

example, following the work of Marilyn

only became clear to me much later.

upon gift exchange. So I thought this

Strathern and Alfred Gell, and their

would be a good starting point to rethink

notions of the « distributed person ».

MALYSSE : Ton livre est, comme l’a

the relation between Art and Anthropol-

The works of relational artists are literally

si justement écrit Georges Marcus

ogy, by introducing a third concept: the

extensions of their personhood.

(University of California, USA), une

gift. MALYSSE : En paraphrasant Mauss,

invitation à de nouvelles relations entre la pratique artistique et l’Anthropologie… 1 Roger Sansi, Art, Anthropology and the Gift, Bloomsbury Academic, London, 2014.

67

MALYSSE : L’idée de l’Art comme Don, qui est le centre de ton nouvel essai, est elle

2 Bourriaud Nicolas, Esthétique relationnelle, Presses du réel, pp. 7 à 10


l’idée qu’un don implique toujours un

is much more pertinent than for example

most vividly from your early work on

contre-don a elle du sens dans l’Art Con-

Bourdieu´s « symbolic capital »3.

gyms in Rio de Janeiro was your explicit

temporain ?

use of the techniques of the body and MALYSSE : Dans ton essai, tu montres que

« breaching », ethnomethodological

SANSI: What I explain in the book is

l’Art et l’Anthropologie partagent deux

practices, to produce situations where «

that the ideology of the gift in modern

grands centres d’intérêts : l’engagement

the field » would be revealed. In fact these

art, and in Western society in general, is

politique dans l’univers social et la

ethnomethodlogical practices were not

based on the notion that gifts are free,

volonté de révéler de nouveaux mondes.

that far from situationism. Could you say

personal, and spontaneous. This is the

Je m’y suis identifié… J’aimerai savoir

something more about that point ?

principle that makes the esthetic expe-

ce que tu penses de ma façon artistique

rience in its classical kantian definition,

d’aborder ces thèmes anthropologiques.

also, a gift. The « gift » of Mauss, the gift

MALYSSE : Oui, je pense que cette définition du terrain comme un ensemble

of what he calls archaic societies, is quite

SANSI : The political engagement of Art

hybride de pratiques performatives est

the opposite: obligatory, hierarchical, rit-

is a very contentious issue, but my take in

très juste… Dans mon terrain sur les pra-

ualised. What some authors after Mauss

this book departs from the critique of the

tiques de musculation à Rio de Janeiro,

have said is that in fact the modern gift is

notion of « work » in modern art. Modern

j’ai utilisé le breaching (Garfinkel) dès le

also hierarchical, but this is hidden under

artistic practise would resist skilled

début, sans même le préméditer, car la

the falso ideology of egalitarianism. One

labour, specialisation and allienation,

différence de mon apparence et l’absence

example of this would be the work of

and affirms itself as a form of practise that

de muscles aussi, s’apparentaient à un

Bourdieu, who explicitly described ¨the

doesn´t disentangle work from life, praxis

jeu de miroirs. Je me souviens très bien

rules of art¨as if they were the rules of an

from poiesis. This line of critique goes

des premiers jours dans les salles de

« archaic » religion. But this is a reduc-

back to dadaism, through situationism,

musculation, de mes stratégies pour à

tionist, reading of the gift. To answer

till the more recent formulations of

la fois « ne rien faire » - par exemple en

your question, does the gift imply a

Bourriaud and Ranciere. My contention

« oubliant » de mettre les poids sur les

counter-gift in contemporary art ? Well,

is that anthropological fieldwork has

machines que j’utilisais - et « tout voir »

in many cases no. Because the notion of

many things in common with this

en utilisant ma paresse comme une stra-

the counter-gift implies a conmensurabil-

utopian project of collapsing praxis

tégie d’observation. Mais moi aussi, j’ai

ity- the counter-gift, in a way, elliminates

and poiesis in modern art. Fieldwork, as

trouvé les réponses que bien plus tard,

the « debt ». And at least in the case of

we understanding, is a hybrid form of

et c’est dix ans après la thèse que j’ai

art, the gift cannot easily be reduced to

practice, which consists of a rehersal of

finalement compris que la musculation

debt. Because the value of artworks is

everyday life: fieldwork is « doing nothing

était avant tout une « érection », dans son

incomensurable- it has no equivalent

» and doing everything at the same time,

sens le plus Freudien et donc, le plus sex-

return. Of course artworks are commodi-

it has no particular technique or method

uel. Dans Le journal d’un (H)altère-Ego,

ties- very expensive ones, but the reason

but it implies all the possible techniques

que j’ai publié en 2008, j’ai finalement

why they are very expensive is because

of the body and faces of the person, it is

ressenti à quel point l’expérience anthro-

they are always unique – and in this

always playful and performative, but in

pologique était en soi une situation de

sense, incommensurable . That makes

a very serious way- it´s the game of life.

déstabilisation de soi, un jeu dans lequel

artworks much more difficult to reduce

And your work is a good example of it.

l’identité de l’anthropologue est à la fois

to objects or accountable « capital ». Art

Your way of understanding fieldwork has

déguisée et révélée.

always appears personalised, irreducible

always been very explicitly performative

to accountancy. In this sense, I think that

and playful. One of the things i remeber

a theory of art as « distributed person »

68

3 Bourdieu Pierre, Capital symbolique, Choses dites, minuit 1987, p. 160 et Raisons pratiques, seuil 1994, p.161

SANSI : To move on to some of your more recent work, would you describe your


more recent project , Bioperversity, as a

pologist as Transvestite » can be seen as

form of « multispecies ethnography ? »4

offensive because of your appropriation of stéréotypes (for example the black

MALYSSE : Je pense que c’est exactement

face Jazz singer) What would you answer

ça… Une anthropologie qui ne se limite

to those who feel offended ?

pas à l’Humain mais qui chercher à mettre en évidence les effets de nos comporte-

M A LY S S E : E n m o n t r a n t q u ’ u n

ments sur les espèces vivantes qui nous

anthropologue français peut devenir

entourent. Une pratique artistique qui

un autre; un japonais, un juif orthodoxe,

questionne les relations entre Culture et

une travesti brésilienne ou un indien

Nature et qui construit à cet effet, comme

Nord-Américain, mon intention est de

une version artistique du breaching, une

travailler le thème du post-colonialisme

humanisation des plantes comme agent

de façon autobiographique et de mettre

provocateur. L’idée centrale de mon tra-

en évidence tout le relativisme lié (in)

vail sur les plantes est d’humaniser leur

justement aux apparences humaines.

souffrance en les intégrant à des contex-

Dans ces métamorphoses je joue, au

tes culturels locaux (le salon de coiffure,

jeu de l’apparence pour déconstruire les

la chirurgie esthétique, la pollution, la

stéréotypes tout en les incorporant…

religion, etc.) afin de mettre en place une

Encore une fois, c’est une pratique

stratégie d’esthétique relationnelle qui

typique d’anthropologue, car dans

provoque chez le spectateur une souf-

ces travestissements bi-culturels, je

france écologique par identification.

cherche à incorporer l’Autre à la figure

En voyant des plantes maltraitées par

« séparée » de l’anthropologue, « non

l’artiste, le public est poussé à sentir une

que l’anthropologue soit, en toutes

Stéphane Malysse est artiste et anthro-

forte réaction écologique, une révolte

circonstances, cet homme-caméléon tel

pologue, docteur en Anthropologie

qui se retourne d’abord contre l’artiste

que Zelig incarne, mais, dans le répertoire

(EHESS), il enseigne à l’Université de Sao

et qui ensuite, dans un deuxième niveau

des postures de recherche qu’il déploie

Paulo et il est représenté par la Maelle

de réception, comme dans une inversion

régulièrement, comme une figure, une

Galerie d’Art Contemporain (Paris).

rhétorique, lui montre ce que l’humain

quête expérientielle, emblématique de

Auteur du website d’anthropologie des

fait subir aux plantes, à la nature. Dans

notre discipline : tenter de se mettre

apparences corporelles Opus Corpus,

ce sens, mon projet est complètement

te mp o r aire m e nt dans la p eau d e

http://www.each.usp.br/opuscorpus/,

écologique, je torture des plantes parce

quelqu’un d’autre » (Berliner, 2013).

il a publié toutes ces recherches sur

que je les aime et que je veux montrer que les plantes souffrent elles aussi, et que leur souffrance est relationnelle et peut produire chez le public un sursaut de sentiment écologique. SANSI : Your recent work on « The Anthro4 http://www.culanth.org/fieldsights/277-the-emergence-of-multispecies-ethnography 5 Berliner David, Le désir de participation ou comment jouer à être un autre, Revue L’Homme, Paris, p. 206, 2013.

69

5

The BIOPERVERSITY Project : http://www.youtube.com/watch?v=J6UDe84O9dI http://www.youtube.com/watch?v=NpPrMcDBK_Y http://www.youtube.com/watch?v=PevRXRm33WQ

Roger Sansi est anthropologue, il enseigne à Goldsmiths, University of London. Auteur du livre Art, Anthropology and the Gift (2014)

https://usp-br.academia.edu/ OPUS CORPUS : Anthropologie des Apparences Corporelles http://www.each.usp.br/ opuscorpus/


ART TALK

Les déplacements du sens entretien avec Bruno Pédurand plasticien (né en guadeloupe, vit et travaille en martinique).

Propos recueillis par Cynthia Phibel images : Courtesy of Bruno Pédurand

Histoire de l’art et anthropologie au fil des siècles ont emprunté des chemins croisés. De quoi naissent les pratiques de création des images et qu’en est-il de leur transmission ? La question de l’œuvre d’art est centrale ici : œuvre d’art ou objet cultuel/culturel ? Quel lien, quel écart : questionnons, avec Bruno Pédurand, les déplacements de sens qu’induisent dans la définition de l’œuvre, le passage pour l’objet du « terrain » ou « contexte d’origine » à la galerie, au musée ou à sa perception plus globalement.

« Installation Hétérotopie N°1, détail », 2013, dimensions variables

70


Cynthia Phibel : Vos œuvres, pour part, ont interrogé l’idéologie coloniale et raciale. Sans être le drapeau d’une cause, votre travail se charge de cette problématique sans compromis pour sa force esthétique. Dans la collecte/réinvention d’imageries anciennes ou contemporaines, vous ancrez des réalités, renouvelez des imaginaires … Vous avez travaillez une série nommée « Craniologie », elle est de près voisine d’un « cabinet de curiosités », d’une étude scientifique. Alors quel écart, quel emprunt avec l’anthropologie dans votre travail ? Bruno Pédurand : La série craniologie

complexes car les intentions sont mul-

sait à quel point la France a du mal à

tiples. Il s’agit d’appréhender l’oeuvre à

assumer son histoire coloniale, le défi me

travers un faisceau d’intentions, celles de

semblait de taille. Il y avait là pourtant

l’artiste mais aussi du spectateur et de

matière à élever le débat au dessus des

ceux qui en font un objet de discours. Je

seules questions de réparation et de

parle d’intentions mais je devrais aussi

repentir. Malheureusement pour des

parler des subjectivités qui sont diffé-

raisons qui m ’échappent ce projet n’a

rentes selon les cultures et les visions du

pas eu la résonance nécessaire pour

monde. Envisager la création artistique

qu’il soit partagé par le plus grand

en aval des constructions mentales

nombre. Le Musée de l’Homme qui

et intellectuelles qui permettent de

est présenté comme héritier du musée

l’appréhender. L’oeuvre devient alors

ethnographique du Trocadéro est un

une instance d’interrogation et de pro-

outil très important dans la construction

jection, un dispositif actif et ouvert.

d’un discours anthropologique concernant la définition de l’Homme.

C. P : « L’Homme exposé » au Musée de l’Homme… Quel est le propos, les enjeux d’une telle exposition ?

Il n’est peut être plus nécessaire de rappeler le rôle qu’a joué le musée du Trocadéro dans l’histoire de l’art particulièrement pour les artistes de

participe d’une réflexion sur la relation Art et Histoire, tous les deux envisagés

B. P : Je travaillais sur la série des

la modernité. La relation aux objets

comme des dispositifs discursifs. Les

craniologies quand par un heureux

exotiques des sociétés africaines et

esclaves, pendant toute l’histoire de la

hasard je tombe sur un

traite, ont été mis au banc de la race

article qui parlait de ce

des humains. Dans cette série, je ques-

projet. A mon sens, il s’agit

tionne directement le rapport de notre

d’un projet très important,

inscription dans l’histoire de l’humanité.

qui a été présenté par les

Alors que l’ensemble du discours anthro-

responsables du musée

pologique de l’époque n’avait qu’un

comme : « une mise en

objectif : prouver que le nègre n’était

perspective de l’histoire

pas digne de la « race » des humains. Un

naturelle de l’espèce

sous humain proche du singe, de fait,

humaine avec les grandes

refoulé au rendez-vous du monde…

questions du monde

Une œuvre, à mon sens, est traversée

contemporain ». À l’heure

par des préoccupations esthétiques, se

du grand débat sur l’Identité

déploie dans un espace ou des espaces

nationale en France, il me

et convoque un certain nombre de facul-

semblait particulièrement

tés humaines comme toute œuvre d’art,

intéressant de voir que

à savoir susciter une émotion, provo-

le modèle choisit pour

quer des chocs. Mais loin de moi l’idée

représenter l’Homme du

de réduire la relation à l’oeuvre au seul

futur n’est autre que le

registre sensoriel, les choses sont plus

footballeur guadeloupéen Lilian Thuram. Quand on

71


océaniennes au delà du réservoir de

l’espèce dans le temps et l’espace… ».

formes de couleurs et de matières qu’ils

Alors quel après, peut-on se demander ?

proposaient, a autorisé l’accès à de nouvelles représentations du monde et à des subjectivités différentes. On peut légitimement se demander si le changement de dénomination des arts primitifs en arts premiers est l’expression d’un réel changement de paradigme. Force est de reconnaître que les discours ont évolué, nous sommes

C. P : Quel sens prennent des expositions comme « L’invention du sauvage » ou « Exhibit B ». Peut-on les dissocier ? Résurgence, « Re-présentation », clichés du passé ? Où se place l’artiste à distance critique pour faire trace entre identité et mémoire ?

passés de l’eurocentrisme affiché au multiculturalisme. En tant que guadeloupéen, la question de l’Identité nationale telle qu’elle se pose en France me préoccupe particulièrement car elle semble se poser dans le déni de l’histoire coloniale et dans une logique intégrationniste absolue. Le choix de Thuram pour symboliser cet Homme nouveau m’interpelle particulièrement parce que cet afro descendant héritier d’une histoire qui pendant longtemps lui a dénié le droit à l’humanité devient par la magie d’un projet à visée anthropologique un symbole universel de l’Homme du futur. Ce projet se veut être une remise en question des discours racialistes dont nous faisions écho et une

« In vitro crâne triomphant », 2009, décalcomanie, huile et paraffine sur carton, 140 x 100 cm

mise à mal de tout l’appareillage pseudo scientifique du début 18e, fin 19e siècle. Et met en avant un « nouvel Homme ». (Libération) Par le truchement radical et pertinent d’un raccourci idéologique et hautement symbolique : exposer le crâne de Lilian Thuram aux côtés de celui de CroMagnon et de René Descartes. Comme un « Symbole pour aborder l’unité de

72

B. P : Malgré des discours scientifiques

concernant l’unique race humaine, les idéologies du passé perdurent et pour les invalider, il est peut-être avant tout indispensable de les déconstruire. L’exposition : Zoos humains, l’invention du sauvage, organisée par le musée du quai Branly et mise en ligne sur internet dès janvier 2013, participe à mon avis de cette entre-

prise de déconstruction. Un mythe inventé pour le besoin d’une certaine histoire et au service d’un projet de civilisation. Ce débat prend un relief particulier à l’aune des récents événements qui ont secoué la France. Pour illustrer la nécessité qu’il y a prendre en compte la pluralité des points de vue et des représentations du monde, j’aime citer le proverbe africain qui nous dit : «Quand les histoires de chasses seront racontées par les lions, le regard porté sur les chasseurs sera différent ». Pour « Exhibit B », il semblerait que l’artiste veuille « présenter à nouveau » l’Histoire et amorcer une réconciliation qui passe par la phase d’acceptation et de reconnaissance du traumatisme. Il dit afficher cette possible quête. Par ailleurs, on peut admettre la violence de la mise en scène et son rapprochement de l’esthétique des cabinets de curiosités. On ne peut nier une gêne notable au vu du déchaînement de la critique, des parties prenantes, des pétitions… La mise en scène de l’ignoble ne peut que soulever le cœur et pose nécessairement question. En même temps caresser ou cacher les vérités sont le propre des consensuels. N’ayant pas vu cette exposition, je maintiens quelque réserve. Force est de constater dans l’histoire de l’esclavage que certains pans ne sont pas assumés d’un côté comme de l’autre. Aucun angle ne semble le bon pour les plus frileux… Tout revient à la figure de l’artiste, c’est la question même du statut de l’auteur, du créateur qui est fondamental. Au-delà de la description formelle et plastique ce qui est en cause c’est réellement le statut que confère l’auteur à son œuvre : son inscription dans une fonction artistique ou pas.


C. P : La création, la production, “l’exhibition”, la consommation et la circulation d’artefacts, d’images, d’histoires ou de pratiques esthétiques autour de la notion de mémoire, semblent jouer un rôle plus central dans la formation et l’affirmation d’identités collectives, dans des contextes où les rapports sociaux furent soumis à l’oppression. Qu’en est-il du regard de l’Autre dans la lecture de l’œuvre et comment s’inverse les rapports aujourd’hui ?

dans un contexte idéologique, qui fait

serait plus primitif que l’art occidental

que cet angle-là ne prend à mon avis,

dans ses premières années. Cela note

que la dimension qualitative, plastique

déjà un premier paradigme où l’on est

et esthétique. Les problèmes de sens

dans un rapport de Métropole à colonies

et de description socioculturelle des

et que l’on découvre l’extraordinaire

productions n’étaient pas la question

potentiel plastique des créations de ces

déterminante aux yeux des artistes

populations, de ces cultures.

de l’époque. Dans l’Art moderne, un

Des œuvres anonymes mais pas par des

artiste « monstrueusement prolifique »

anonymes, des personnes qui avaient

comme Picasso, trouve dans l’art nègre

une place singulière au sein de leur

le lieu pour renouveler des formes,

société… Ensuite ce paradigme évolue

exploser des formes anciennes. Les

avec l’histoire des décolonisations et

appellations elles-mêmes restent

des nouveaux échanges secrets entre

profondément chargées, lourdes de

Métropole et ex colonies. Et dans ces

B. P : Quand la question de l’art primitif

sens sur un positionnement éthique face

nouveaux rapports qui se créent, des ex

se pose en Occident s’ouvre un premier

à l’histoire de la colonisation. En revient

colonisés deviennent ou du moins sont

chapitre dans la relation entre art et

à la lecture de l’Histoire… Je ne vois

acceptés comme potentiellement des

anthropologie. Mais nous sommes là,

pas pourquoi l’art africain ou océanien

créateurs et des artistes à part entière.

« Installation Hétérotopie N°1, détail », 2013, acrylique et huile sur plexi, 110 x 160 cm chaque tableau

73


Donc l’angle anthropologique est à

B. P : Le changement de paradigme

dimension fonctionnelle propre aux

prendre en compte dans une autre

dont je parlais oblige à revoir aussi

sociétés dites primitives.

perspective. C’est-à-dire dans ce que

des positionnements idéologiques

L’art n’est pas ex nihilo sans substrat

l’on appelle : une mise en crise des

sur la création artistique en général.

humain. Car l’art est avant tout une

discours dominants des centres par les

Comment une œuvre vaudou peut-elle

chose humaine, faite pour les humains

périphéries.

être envisagée comme une œuvre pic-

par les humains. Par contre, il est vrai

De fait pour la question du regard

turale par exemple. Toute production

que l’angle anthropologique n’est pas

de l’Autre, il y a eu aller et il y a eu

humaine reste redevable d’une néces-

forcément le meilleur pour aborder la

retour. A ce titre on peut revenir sur

sité humaine. Ce qui est fondamental,

chose artistique. Car la chose artistique

une exposition manifeste qui remet-

c’est la question du vivant. Et seul

reste quand même avant tout dans

tait en question la logique centre/

l’Homme vivant peut entrevoir des

un champ qui a sa propre autonomie.

périphérie : Les magiciens de la terre

perspectives. D’une certaine manière

Pour l’art, je revendique un champ

en 1989. Cette exposition a la préten-

les seules personnes qui ont vu la fin

autonome mais connecté. Il y a des

tion d’envisager les productions

de l’esclavage, ce sont les morts et

process d’analyse différents entre art

des cultures dites « périphériques »,

pareil pour les guerres…

et anthropologie et ce qui donne à la

lointaines des centres d’arts occiden-

On se retrouve très souvent prisonnier

chose artistique un statut particulier

taux comme des œuvres d’art à part

d’un prisme. Des yeux qui mettent

c’est l’autorité intellectuelle de son

entière et de prendre en compte la

les choses en boite, assignent des

auteur.

subjectivité des auteurs dans une

fonctions, déterminent des champs,

perspective essentiellement artistique.

opèrent des divisions et autant que

Cette nouvelle approche constitue le

possible il faut regarder les choses avec

Cynthia Phibel :

nouveau paradigme que j’évoquais en

le regard de l’autre, je parle ici non pas

Née en en Guadeloupe.

amont. Il doit s’opérer à ce moment-là

de l’Occidental, mas de celui qui se

Doctorante en Histoire de l’art et

une véritable révolution du regard. Ce

tient fasse à nous en tant qu’Homme.

plasticienne, elle pilote également de

changement suppose une mutation

Regarder les choses avec le regard de

nombreux projets culturels favorisant

dans les échanges inter culturels et

celui qui est regardé.

la transdisciplinarité des arts (MBA Management culturel). Elle

une mise à jour des outils d’analyse qui servent à interroger l’acte créateur à la fois de ces artistes non occidentaux mais aussi des artistes occidentaux. L’un des enjeux principaux étant de faire émerger un monde nouveau pour un Homme nouveau.

C. P : L’art emprunte largement à l’Histoire, à la science, à l’anthropologie, au vivant dans l’absolu… Quel risque dans ce voisinage, d’ « anthropologisme » dans l’œuvre ?

a reçu le prix de la galerie La Filature en 2003 à Mulhouse et exposé aux Antilles, en France, à Genève, à NewYork, au Bénin, au Cameroun ; à la galerie Béatrice Binoche à la Réunion et notamment à l'Orangerie

C. P : Objet d’art ou construction idéologique : Certaines productions matérielles ou immatérielles fonctionnent souvent comme de véritables “clichés mémoriels”. A qui appartient une culture, une image, une histoire, une œuvre ?

B. P : Là où la route commune peut

du Senat dans le cadre de

s’arrêter entre une œuvre dans sa

l'expositioncollective OMA.

conception occidentale et une œuvre ethnologique ou anthropologique, c’est dans l’usage sociétal qui lui est réservé. Un propos à nuancer, quand on regarde un artiste comme Joseph Beuys qui ramène dans l’œuvre une

74


"L’ANGLE ANTHROPOLOGIQUE N’EST PAS FORCÉMENT LE MEILLEUR POUR ABORDER LA CHOSE ARTISTIQUE. CAR LA CHOSE ARTISTIQUE RESTE QUAND MÊME AVANT TOUT DANS UN CHAMP QUI A SA PROPRE AUTONOMIE."

« Installation L’héritage de Cham », 2009, techniques mixtes, dimensions variables

75


ART TALK

Identité culturelle, créativité et nouveaux horizons

Olivier Timma Artiste plasticien/ Doctorant en arts plastiques à l’université de Yaoundé I/ Enseignant Assistant à l’Institut des Beaux-Arts de l’Université de Dschang à Foumban

1 : Interprétation picturale de l’armorie Bamoun par l’artiste peintre DaÏrou de Foumban. Photo Olivier Timma 2015.

76


2 : Interprétation picturale de l’armorie Bamoun par l’artiste peintre DaÏrou de Foumban. Photo Olivier Timma 2015.

3 : Armoirie Bamoun décorant les balustres bois sur le balcon latérale gauche du palais des rois Bamoun. Photo Olivier Timma 2015.

L’acte qui entérine le pouvoir de la

fort peu du contexte. Les ethnologues

séculaires, certains prônent leur con-

création est précédé par l’imagination ;

extrémistes ne voyaient alors dans les

servation, à ne point confondre avec un

sorte d’objectivation artistique que

productions plastiques que des objets

enfermement sur soi car, la rencontre

possède celui qui crée par la matérialisa-

rituels. Mais, avec les études de Jean

des cultures doit favoriser un enrichisse-

tion d’objets textuels, musicaux, vidéo,

Laude, Jacques Maquet et autres, on

ment mutuel. D’autres les envisagent

décoratifs, numériques, plastiques, etc.

arrive à une position médiane en 1966,

comme un syncrétisme des valeurs sym-

Ce processus logique ou fortuit, naît de

et ces productions sont considérées

boliques des formes vues, appropriées

la perception individuelle d’un concept

à la fois comme objets de rituel et en

et restituées comme une vision parta-

qui peut devenir une représentation

même temps comme objets d’art. Cela

gée d’une mémoire collective porteuse

collective spécifique à une commu-

dit, l’anthropologie dans sa dimension

d’une forte intention narrative de ce que

nauté. Il est à ce propos important de

culturelle, en étudiant les modes de

les gens savent, imaginent ou affirment.

faire la clarté sur le décalage qui per-

productions, les systèmes de parentés,

Sous leurs aspects symboliques, c’est le

dure entre l’identité culturelle d’origine

s’intéresse au langage des signes dans la

lieu de rencontres et de significations

et le concept emprunté. Bien que la

création artistique.

multiples au travers notamment des

vie et la place des faits, des gestes ou

Ceux-ci sont des entités culturelles,

croyances, des mythologies et des per-

des structures sociales en dépendent,

émanant de l’homme et spécifiques à

ceptions imaginées du cosmos par un

Giovanni Polizzi (2003 : 9) pense que « le

une communauté donnée. Ils se veu-

groupe auquel on appartient. On peut

dépassement du concept a permis de

lent être des structures globales, des

ainsi dire ou relever des systèmes de

définir de nouvelles spatialités de plus

systèmes cohérents formés de com-

correspondances entre l’ici-bas et l’au-

en plus marquées, ou l’unicité des pièces

posantes, des éléments ou des lieux

delà, entre les vivants et les morts, entre

représente un symbole d’émancipation

chargés de sens, et à partir desquels

l’homme et l’animal, entre la culture et la

et d’adhésion au concept de la moder-

on peut définir une identité sociale. En

nature, et finalement entre l’homme et

nité. »

réalité quand ils sont engagés dans une

les œuvres d’art. Toutefois, une préoc-

En effet, au XX siècle, l’étude des arts

conception, les possibilités de création

cupation persiste : comment parler à

africains avait un caractère essentielle-

sont illimitées. Mais pour la préserva-

quelqu’un à partir d’une œuvre sans

ment esthétique et, on se préoccupait

tion de l’authenticité de leurs valeurs

maîtriser son degré d’intégration des

e

77


codes culturels endogènes et exogènes

monstration d’œuvres de plus en plus

sauvegarder cela en les transmettant de

à sa culture globale, qui est un enjeu

hétéroclites, complexes ou mixtes. Selon

génération en génération. Du fait des

important pour essayer de saisir un

Henri Focillon (1981 : 8)

mutations urbaines, il arrive aussi que

signifiant et un signifié et exprimer les

leur dimension cultuelle soit décontex-

contours insaisissables de l’existence

On peut concevoir l’iconographie de plus-

tualisée et prise en charge uniquement

humaine?

ieurs manières, soit comme la variation des

sous l’angle symbolique de leur mise

Par exemple chez les Bamiléké de

formes sur le même sens, soit comme la

en scène. Cela occasionne à n’en point

l’Ouest-Cameroun, le triangle renvoie

variation des sens sur la même forme. L’une

douter une sorte d’altérité des formes

au sexe de la femme ou à son univers

et l’autre méthode mettent également

originales authentiques, devenues

culinaire symbolisé par les trois pierres

en lumière l’indépendance respective des

syncrétisme des valeurs empruntées çà

du foyer (cf. Photo 5). Dans sa double

deux termes. Tantôt la forme exerce une

et là.

dimension en forme de losange, on y

sorte d’aimantation sur des sens divers, ou

À cette situation s’ajoute un nouveau

voit la stylisation du crocodile, symbole

plutôt elle se présente comme un moule

contexte : une vie de plus en plus inter-

de la fécondité. Au même titre que la

creux, où l’homme verse tour à tour des

active, basée sur la notion d’échanges,

stylisation du serpent bicéphale (signe

matières très différentes qui se soumettent

de connexions et de transferts. Il faut

d’appartenance et de puissance), de

à la courbe qui les presse, et qui acquièrent

aussi prendre en compte cette culture

l’araignée mygale (symbole du travail)

ainsi une signification inattendue. Tantôt

du remix et de la technologie numé-

ou de la cloche à double gong (valeur de

la fixité obsédante du même sens s’empare

rique, qui contribuent depuis les années

majesté et de fidélité) chez les Bamoun

d’expériences formelles qu’elle n’a pas

1980 à l’émergence d’une culture

de l’Ouest-Cameroun (cf. Photo 1, 2, 3

forcément provoquées.

métissée, intégrant l’art contemporain

et 4), le sens du signe est exploité dans l’organisation de l’espace de l’image destinée à porter un message par sa présence. On ne dira jamais assez, les civilisations

que nous voyons comme une dualité

"LA TÂCHE DE L’ANTHROPOLOGIE DE L’ART EST D’ÉTABLIR LES SPÉCIFICITÉS DE L’ESTHÉTIQUE PROPRE À CHAQUE CULTURE."

restées rattachées aux traditions sécu-

prise à la fois comme époque et courant artistique. L’artiste de nos jours, effectue au quotidien des tâches extrêmement variées. À la suite de ses voyages, des échanges avec des collectionneurs, il

laires possèdent un vaste répertoire de

En effet, nombre de pratiques artistiques

invente des nouvelles techniques pour

symboles qui puisent leurs sources dans

sont influencées par l’ethnographie

renouveler des thèmes récurrents de

les astres, les couleurs, les animaux, les

qui connaît ces dernières années un

travail. Ainsi ses réactions esthétiques

mentalités, la flore, les nombres, l’eau,

certain prestige et centre d’intérêt qui

sont influencées par les changements

le feu, … incarnant tous les valeurs

ont retenues de nouveau l’attention

observés autour de lui.

de ce que ces gens recherchent pour

des chercheurs sur son impact dans

Cela dit, pour comprendre ce

leur bonheur. Parfois il est difficile de

la création actuelle. Celle-ci demeure

phénomène social total, il faut

décloisonner les signes hybrides des

une tribune où baignent des prises

l’appréhender totalement, c’est-à-dire

authentiques symboles ayant déjà fait

de positions capables d’un discours

du dehors comme une chose mais aussi

leur preuve. D’ailleurs, la démocratisa-

critique ou anticonformiste, intégrant

du dedans comme une réalité vécue.

tion des supports a fait de l’espace

parfois des dimensions contextuelles de

Isabelle de MAISON ROUGE (1997 : 4)

d’expression plastique un lieu hybride

l’espace de création. Certaines produc-

souligne :

comme la culture actuelle. Du coup,

tions plastiques rendent alors visibles

l’accroissement des dispositifs et installa-

des symboles ou des images qui rela-

Quelles qu’en soient les différentes

tions, omniprésents dans les expositions,

tent des fragments de vie quotidienne

orientations prises par les artistes, elles

a pour conséquence de générer la

des peuples qui ont su développer et

obéissent toutes à la même constance :

78


4 : Maquette du design bâtiment du futur Musée des rois Bamoun inspirée de son armoirie, réalisée par Mbouombouo Issoufou, Architecte/designer. Photo Olivier Timma 2015.

5: Trois pierres constituant le d’un feu à bois pour les cuissons. Photo Olivier Timma 2015.

(mais) l’art ne répond plus aux critères

images amène parfois à s’investir dans

que l’on a toujours attendus de lui.

la compréhension des technologies

Bibliographie

Le plaisir que trouvait le public dans

manuelles permettant de laisser libre

t Alain Bourdie, Dominique Bernard,

l’esthétique, l’harmonie visuelle ou

cours à l’expression créative.

Anne-Marie Houdeville, 2010, Décou-

l’érudition n’existe plus. Dorénavant, l’art

Les artistes non occidentaux ont de

vrir & comprendre l’art contemporain,

soulève des questions, dérange et met à

l’imagination et un certain talent qui

Paris, Éd. Eyrolles.

l’épreuve celui qui regarde l’œuvre, dans

mérite la même attention que celle

t Bourdie Alain, Bernard Dominique,

sa compréhension du monde et dans sa

accordée aux autres. En réalité, ils ne

Houdeville Anne-Marie, Découvrir &

propre relation aux autres.

devraient pas être perçus ou considérés

comprendre l’art contemporain, 2010,

comme des sauvages qui exprimeraient

Éd. Eyrolles, Paris.

En clair, toute société qu’elle ait ou

des besoins instinctifs résumés en des

t De Maison Rouge Isabelle, Prévost

non atteint la phase scientifique, s’est

figures d’une esthétique tribale vide de

Jean-Marc, Salem Lionel, 1997, L’art

construit sa propre anthropologie. Il faut

sens et encore considérée par certains

Contemporain, Toulouse, Éd. Milan.

donc envisager l’anthropologie de l’art

auteur(e)s comme n’étant pas de l’art. Or,

t FAGG William, 1965, sculptures

comme l’anthropologie des arts.

chaque culture a une esthétique par-

africaines, Les univers artistiques des

C’est un art spécifique, un art vécu, un

ticulière, et la tâche de l’anthropologie

tribus d’Afrique noire, Paris, Éd. Fer-

art conceptuel qui cherche à immor-

de l’art est d’établir les spécificités de

nand Hazan.

taliser ou fixer des choses dignes de

l’esthétique propre à chaque culture.

t Focillon Henri, 1981, Vie des formes,

mémoire. D’ailleurs le secteur des arts

Alors, il ne saurait y avoir un concept de

Paris, Éd. Presses Universitaires de

visuels contemporains, quel qu’en soit

beauté universelle si l’on veut découvrir

France.

son lieu d’expérimentation, est très

l’authenticité du sens des signes et leurs

t Giovanni Polizzi, 2003, Lofts, Milan,

diversifié et englobe de nombreux types

fonctions rituelles ou utilitaires quand

Éd. Actes du /motta.

de pratiques artistiques.

ils sont transmis ou affichés. Les auteurs

t Klotchkooff Jean-Claude, 1992,

Entreprendre collectivement et dans la

qui défendent les idées péjoratives "d’art

Les arts africains, Paris, Éd. Agence de

durée un travail interrogeant le rapport

premier", perçoivent en réalité cet art à

Coopération Culturelle et Technique

entre l’art et l’anthropologie tient du

travers le prisme de la culture occiden-

(ACCT).

fait que l’universalité de certains codes

tale, qui s'est affirmée en considérant les

t Richard Lionel, 2002, L’aventure de

ou images n’implique pas toujours la

faits et gestes, les signes, symboles et

l’art contemporain de 1945 à nos jours,

compréhension de la pluralité des desti-

la réalité cosmogonique propres à ces

Paris, Éd. Chêne.

nataires, provenant de plusieurs couches

cultures selon une vision déformée.

t Sally Price, 1989, arts primitifs :

socioculturelles, auxquels ils s’adressent.

regards civilisés, Paris, Éd. Écoles

Évaluer visuellement le contenu des

nationales supérieur des Beaux-Arts.

79


ART TALK

A compatibility between value systems

Reading the arts across Africa and Asia By Olivia Anani

Trade, if not migration, between Africa and Asia, predated the arrival of Portuguese ships in the Indian Ocean by at least a thousand years. African ambergris, tortoiseshell, rhinoceros horns and especially ivory left African ports for Arabia, India, Indonesia and China. The “Peryplus of the Erythrean Sea”, a handbook compiled by a Greek-Egyptian sailor sometime during the first three centuries C.E., describes Indonesian food crops, such as coconuts, and cultural items, such as sewn boats, along the East-African coast perhaps as far south as Mozambique, and historians believe that Indonesians may have settled on Madagascar in the early centuries C.E., but after the time of the “Periplus”. The Chinese Ch’eng–shih Tuan, in his “Yuyang-tsa-tsu”1 written in the ninth century C.E., described East Africa, or the land of “Po-pa-li,” where the women were “clean and well behaved”, and where the trade products were ivory and ambergris.” 2

80

Africa/Asia relations have been ongo-

Africa are brothers and sisters in strug-

ing for a significant amount of time,

gle, a struggle that would extend to the

with records of commercial interactions

fields of art and culture long after the

and intercontinental travels dating as

birth of the People’s Republic of China

early as the eighth century". And yet,

and the spring of African independ-

the dialogue between the two areas is

ences. Countless times, in exhibitions

today, almost exclusively known through

such as the ever-present Magiciens de

the frame of “We vs Them”: the history of

la Terre, Asian and African artists have

different but common struggles against

found themselves showcased together

the forces of imperialism, colonialism,

as examples of the freshly celebrated

exploitation. In his essay, Is Yellow Black

utopia of a “global contemporaneity”.

or White? Japanese-American scholar

Together, artists have protested against

Gary Okihiro quotes historian Franklin W.

categorization, while scholars from

Knight on the common fate of the Black

the many “Souths” published canonic

and Asian subject, under the systems of

texts in post-colonial theory, lavishly

oppression brought by slavery and a sec-

referencing each other. While it seems

ond-class citizen status in America at the

nearly impossible a challenge (or not?)

beginning of the 20 century: “The Chi-

to dwell into our individual art histories

nese became coinheritors with the Negroes

without ever referencing the works of

of the lowliness of caste, the abuse, the

anthropologists, writers and objects in

ruthless exploitation…” It is a commonly

European and American museum col-

admitted belief (albeit an increasingly

lections, we are drawn to ask ourselves

fissured one) that people from Asia and

whether there is a possibility of dialogue

3

th

4


KADER ATTIA - 'chaos+repair=universe' 2014, mirrors, metal wires Courtesy: the artist and Galleria Continua, Beijing Photo by: Oak Taylor-Smith

between the two continents that would

of Talas (which opposed the Abbasid

which we wish to evocate here in rela-

extend beyond the common experience

Caliphate to Tang Dynasty emperor

tion to the work of Franco-Algerian

of colonial rule, to something pre-colo-

Xuanzong), was already writing about

artist Kader Attia. In his recent series

nial. Is there a “compatibility between

his travels to Mauritania, Lybia, Morocco

of works, Attia has been exploring the

value systems”5 between specific

and the « Kindgom of Molin » ;摩邻国<,

question of repair, which he opposes to

aspects of Asian and African cultures

which some believe to be an alterna-

a reputed western concept of perfection

and sub-cultures, or at least enlighten-

tive name for Aksum (modern Ethiopia).

in beauty. By executing research in the

ing differences, which could help us

Other such accounts would later be

collections of ethnographic museums

understand the mechanisms behind the

written during the Song, Zhao, Yuan,

such as the Quai Branly in Paris, he raises

mutual exhibition, reception and appre-

Ming and Qing dynasties, the latter

the question of the status attributed to

ciation of works of art?

marking the beginning of a large scale

the repaired work of art within museum

emigration of Chinese nationals towards

collections, and beyond this, the aes-

Let us come back to our introductory

countries such as the United States and

thetic, ethic and symbolic significance of

text, as quoted by Gary Okihiro. Youyang

South Africa.

the act of repair as act of creation. Out

6

Zazu ;酉阳杂俎<!in modern Chinese, is a

of the method consisting of, for exam-

853 C.E. compilation of short stories by

These texts give us an accessible starting

ple, mending a lost glass eye from an

Tang Dynasty official Duan Chengshi!;段

point when speaking of the apprecia-

18th century Pende mask with a button

成式<3!who covers, besides said chapter

tion of art across the two continents,

manufactured in Europe and probably

on “People from the five continents” ;五

that of raw materials, including ivory,

brought to Congo by Belgian traders,

方人民<3!where we find the description

gold and stones, and their various

Attia goes on to expand the dictionary

of the land of Po-pa-li ;拨拔力国<3 a wide

uses within the field of decorative arts

definition of the word: “To bring some-

variety of topics such as pharmacopeia

and jewelry. Beyond the references to

thing that no longer functions, has gone

and fairy tales. Before Duan Chengshi’s

objects destined to royalty for example,

to pieces, has become defective or dam-

text, Du Huan ;杜环<3 a Chinese writer

the use made of these materials in latter

aged, back to its previously intact, usable

captured in 751 C.E. during the Battle

periods include the notion of “repair”,

condition again, (…) to restore, remedy,

81


renew, compensate for” to a more com-

page a dreadful punishment, and even-

d’Ivoire and at Galleria Continua in Les

plex one, that of symbolic cannibalism

tually served as the backstory for the

Moulins, France. Wabi sabi is a Japanese

and “reconstruction in an extended

bowl’s repair.8

term depicting a “crude or often faded beauty that correlates with a dark, deso-

sense”. Where European restaurateurs 7

of works of art receive lengthy training

“Mended ceramics convey simultane-

late sublimity” (…) A dilapidated wooden

in illusionary techniques and submit

ously a sense of rupture and of continuity.

house, for example, with the sun shining

themselves to an ethic of making the

That one moment in which the incident

softly through reeds of bamboo that create

repair as undecipherable as possible, in

occurred is forever captured in the lines

shadows on the wall would demonstrate

the case of these repaired masks, the

and fields of lacquer mending. It becomes

wabi sabi.” 9The term, made popular

repair is highlighted as a symbolic act.

an eternally present moment yet a

thanks to the writings of Tokyo Univer-

Through formal intervention, the mask

moment that oddly enough segues into

sity scholar Ònishi Yoshinori (1888–1959)

gains an additional spiritual charge

another where perishability is circum-

finds a great application in the photo-

inseparable from the alien nature of the

vented by repair. Simultaneously we have

graphic works of French-Ivorian Gbré,

newly integrated object. There is a Japa-

the expression of frailty and of resilience,

which depict details of decrepit architec-

nese technique that interestingly alludes

tural buildings and

to a similar approach to repair: Kintsugi.

rusted machinery,

Also called kintsukuroi, this technique of

magnified in a

repairing porcelain with lacquer has the

contemplative dec-

unique trait of involving gold powder

lination of delicate

as a means to celebrate the symbolic

patterns and nostal-

significance of rupture and continuity,

gic recordings of the

the visible mending serving as a record

glory of days past.

of the both the moment of breaking (death), and that of mending (rebirth).

This idea of

One of the tales surrounding the crea-

sublimating an

tion of the kintsugi technique involves a Korean Ido tea bowl, which once belonged to Japanese ruler Toyotomi

experience of loss,

KADER ATTIA- 'Artifical nature' 2014, trees, variable dimensions Courtesy: the artist and Galleria Continua, Beijing Photo by: Oak Taylor-Smith

lack or decrepitude as part of the for-

Hideyoshi (1537-1598). The tsutsui-zutsu,

life before the incident and life after.” The

mal, desired qualities of an object is one

as it was called, was reportedly broken

impact of kintsugi was so important that

of such points of meeting, which allow

by a page during a reception held by

collectors have been suspected of inten-

us to further investigate how ancient

Hideyoshi. To avert the shogun’s rage,

tionally breaking prized ceramics just so

texts and recent research in the fields of

one of his guests, Hosokawa Yusai, made

they could be mended.

anthropology as well as aesthetics, art

the following improvisation: “Tsutsui

history, religion, philosophy and more,

zutsu / itsutsu ni wareshi / idojawan / to

Still in Japan, another of these points of

can be repurposed to serve as tools to

ka oba ware ni / ohi ni kerashina” (Tsut-

encounters can be found in the aesthetic

dismantle the very hegemonies they

sui’s well curb / Became split into five /

of wabi sabi, as expressed in the work

served to construct.

Alas for that well-deep bowl / All of the

of François-Xavier Gbré, exhibited this

blame / It seems to have been mine).

year in Flow, What is it linked with, Where

Kader Attia, Beginning of the World

The poem’s playful style and mimicking

is it going? At the Kyoto City University

François-Xavier Gbré, Sphères 7

of a verse from the Tales of Ise restored

of Arts Gallery, in Fragments at the Gal-

On view at Galleria Continua les Moulins,

the shogun’s good spirits, avoided the

lery Cecile Fakhoury in Abidjan, Côte

France, until 06/06/2015.

82


François-Favier Gbré 'Extrait de la série Tracks - Unilever, Haubourdin, France - Poyaud, Surgères, France', 2010-2014 Tirages pigmentaires sur papier fine art Courtesy Galerie Cécile Fakhoury Abidjan Exhibition view Sphères 7, Galleria Continua / Les Moulins, France, 2014 Photos, Oak Taylor-Smith.

Notes

5. “A History of Overseas Chinese in Africa to 1911”. New York: Diasporic Africa Press,

1. « 酉阳杂俎 »

2012.

2. Okihiko, Gary. Margins and Main-

6. Reinhardt, Thomas. “The Canni-

streams: Asians in American History and

balization of the Other. Mirror, Art, and

Culture. Seattle: University of Washington

Post-colonialism in Kader Attia’s Repair. 5

Press, 1994.

Acts”, Exhibition Catalogue: Repair. 5 Acts. Berlin: Kunst-Werke, 2013.

3. Caudill, William and De Vos, Georges. “Achivement, Culture and Personality:

7. Bartlett, Christy. “A Tearoom View of

The Case of the Japanese Americans”,

Mended Ceramics”, Exhibition Catalogue:

American Anthropologist 58, Arlington:

Flickwerk – The Aesthetics of Mended

American Anthropological Association,

Japanese Ceramics. Münich: Museum für

1956. In their text, Caudill and Devos

Lackkunst, 2008.

specifically referred to Japanese and American middle-class culture, inter-

8. Prusinsky, Lauren. “Wabi-Sabi, Mono

estingly, as opposed to Chinese and

no Aware, and Ma: Tracing Traditional

African-American values.

Japanese Aesthetics Through Japanese History”. Studies on Asia Series IV, Vol.

4. 李安山 。 “中非研究三十年概 论”。北京大学国

2, No. 1. Normal: Illinois State University,

际关系学院。2013。(Li Anshan, “Thirty years

2012.

of Research in Sino-African Relations”,

83

Department of International Rela-

9. Marra, Michele. A History of Modern

tions, Peking University, 2013). (Chinese)

Japanese Aesthetics. Honolulu: University

Retrieved 2014-12-14. See also Li Anshan.

of Hawai’i Press, 2001.


ART TALK

"Collection blanche", 2000-2015. 20 à 30 éléments, disposition variable. silicone, fragments de sculptures en bois.

Esthétique du divers Entretien entre l’artiste Emmanuel Rivière et MyriamOdile Blin, maître de conférences à l’université de Rouen, et sociologue de l’art. Son terrain actuel est l’art contemporain en Afrique. Elle est membre du groupe de recherche international OPUS 2, et d’Africartec, Paris.

84

M-O. Blin : « À votre retour d’Afrique – vous avez séjourné 2 ans au Burkina-Faso après vos études d’art – vous initiez un processus de fabrication d’objets singulier qui utilise des masques ou des objets ethnographiques, prêtés ou achetés aux puces. Expliquez-nous en quoi consiste ce processus, et comment vous est venue l’idée d’une telle démarche ? »

contexte. Quand je suis arrivé au Burkina Faso en 1994, ma connaissance de l’art africain était extrêmement maigre. Il faut dire que l’enseignement de l’histoire de l’art dans les écoles d’art à Paris était extrêmement ethnocentré. L’enseignement de l’histoire de l’art était une sorte de darwinisme des formes qui menait de manière inéluctable jusqu’au développement de certaines œuvres occidentales contemporaines. Sur l’art Africain, Amérindien, Asiatique, Islam-

E. Rivière : « Oui, je peux essayer de

ique, etc., presque rien.

vous expliquer quelques gestes fonda-

Je suis allé par moi-même au Musée

teurs de mon travail, mais je voudrais

national des Arts d'Afrique et d'Océanie

d’abord remettre les choses dans leur

de la Porte Dorée, et je connaissais aussi


"Collection blanche", 2000-2015. Au premier plan : fragment de sculpture Bamoun du Cameroun et silicone.

"Figure sans nom (Intérieur Dan 2), 2005. silicone noir recouvert de mine de plomb. Moulage de l'intérieur d'un masque dan de Côté d'Ivoire. 26 x 15,5 x 6,5 cm

"QUAND JE SUIS ARRIVÉ AU BURKINA FASO ... MA CONNAISSANCE DE L’ART AFRICAIN ÉTAIT EXTRÊMEMENT MAIGRE. IL FAUT DIRE QUE L’ENSEIGNEMENT DE L’HISTOIRE DE L’ART DANS LES ÉCOLES D’ART À PARIS ÉTAIT EXTRÊMEMENT ETHNOCENTRÉ."

depuis longtemps le Musée de l’Homme,

de l’initiation, de la nature secrète

de la peinture que je pratiquais avant

mais les objets y étaient montrés

des masques, des rituels, j’avais été

de partir. Je regardais ces masques,

plutôt sous l’angle ethnographique. La

familiarisé à ces notions par mon père

ramenés dans mes bagages, et ce qui

première rencontre un peu intime avec

qui était féru d’ésotérisme.

me fascinait, ce n’était pas la partie

l’art Africain s’est faite par l’entremise

Quant aux masques dont vous par-

visible du masque – trop lisible – mais

d’un livre que j’ai acheté chez un

lez, et dont je me suis servi pour mon

l’envers de la forme, le vide au cœur

soldeur, en bas de chez moi. Il s’agissait

propre compte, ils ne viennent pas du

de la sculpture, que je pouvais investir

d’un livre préfacé par Senghor, qui

marché aux puces. Je les ai achetés à

d’un fort pouvoir cathartique. J’ai alors

montrait à travers des photographies les

Bobo-Dioulasso à un colporteur qui

commencé à mouler avec du silicone

« chefs-d’œuvre du Musée de Dakar ».

passait chez moi avec un sac rempli

ce vide caché à l’intérieur des masques.

J’ai eu envie de dessiner des sculptures

de sculptures. Ce marchand itinérant

Plusieurs heures après avoir déversé la

reproduites dans ce livre.

m’affirmait toujours le caractère absolu-

matière plastique, le silicone cristallisait,

Et puis plus tard, en 1994-95, je suis parti

ment authentique des pièces, mais j’ai

et je démoulais la forme sans abîmer

en Afrique de l’Ouest, plus particulière-

plutôt pensé avoir affaire à de bonnes

l’original. Ce qui m’a plu, c’est que cet

ment au Burkina-Faso. Avec le recul, je

copies d’anciens masques.

intérieur « révélé » était assez loin de

peux dire que ce séjour africain aura été

Ce n’est pas en Afrique, mais après

l’original. Certaines formes étaient

un long moment de latence, d’écoute,

mon retour à Paris, que j’ai commencé

réduites à une structure essentielle,

de lecture. Quelque chose entre

à travailler avec ces masques que j’ai

ou encore à quelque chose de mon-

« L’invitation au voyage » baudelairienne,

ramenés dans mes malles. Plus tard, j’ai

strueux et de méconnaissable. Certaines

et « Je hais les voyages et les explora-

aussi emprunté ou acheté des masques

marques spécifiques du visage, comme

teurs » de Lévi-Strauss.

à des marchands africains aux puces de

la bouche ou les yeux, n’étaient plus

J’ai été aussi confronté à Bobo-Dioulasso

Saint-Ouen. Ce retour à Paris était un

matérialisées par des trous, mais elles

au culte des masques animistes, dont

peu une période de désenchantement

devenaient des excroissances absurdes.

les sorties en ville ou en brousse étaient

et de désœuvrement. J’avais envie de

Ce jeu de moulage-démoulage était

attendues et craintes. Sur la nature

faire quelque chose de nouveau, envie

en fait l’occasion de toute une série

mythique des masques, sur les questions

de rompre avec la pratique du dessin et

d’inversions qui m’intéressait beaucoup :

85


le vide devenait un plein, le dos devenait

de la forme, qui vont le galvaniser, le

masques authentiquement africains.

la face, le dedans le dehors, l’invisible le

mettre en mouvement, le faire sortir

En fait, j’aime exposer de manière

visible.

de ses limites. De toute façon, tous les

indistincte ce qui provient de mon

sculpteurs que je regarde – celui qui

imagination, et les pièces moulées à

a fait ce cavalier Dogon - mais aussi

l’intérieur de pièces exotiques. Au final,

Constantin Brancusi, Joseph Beuys ou

personne ne peut vraiment dire quelle

Guiseppe Penone, ont été sans cesse

est la provenance de tel ou tel moulage,

travaillés par les limitations matérielles

et qui serait l’auteur de telle ou telle

de la sculpture, et par une volonté de

forme. Des collectionneurs ont par-

dépassement de ces conditions. Je crois

fois vu dans des formes réalisées dans

qu’il y a toujours cette tension – que

mes propres matrices, des moulages

vous appellerez peut-être métaphysique

de l’intérieur de pièces africaines rares,

– à l’origine du projet sculptural. »

certifiées-authentifiées par le regard

M-O. Blin : « Intérieur/extérieur, négatif/positif, envers/endroit, visible/ invisible, physique/métaphysique ; n’êtes-vous pas dans votre démarche d’artiste sculpteur autant ou plus dans une métaphysique de la sculpture, que dans une recherche de la matérialité de l’objet ? » E. Rivière : « Métaphysique ? D’emblée, le mot m’apparaît un peu fort. Je vois bien où vous voulez m’emmener. Mais je voudrais récuser l’idée que mon

de l’expert. Ce qui m’a fait rire. Cette

M-O. Blin : « En quoi consistait votre dernière exposition à la Maelle Galerie ? »

travail sculptural serait l’incarnation

indistinction et ce trouble provoqué par le mélange des origines me plaisent beaucoup. J’aime le syncrétisme, l’art du mélange, l’incertitude, l’hybridation, et,

d’idées flottantes et abstraites, qui

E. Rivière : « Pour La Maelle Galerie, qui

dans mon travail, les notions d’auteur,

condescendraient à descendre dans

défend mon travail depuis 2014 - Olivia

d’authenticité, d’original, d’originel,

des formes. Je ne suis pas un artiste

Breleur m’a fait l’honneur d’inaugurer

paraissent vraiment mises à mal.

conceptuel. Je voudrais dire toute

son nouvel espace avec mon travail - j’ai

Pour finir, je dirais que mon travail initial

l’importance que la manipulation

proposé un principe formel simple : j’ai

n’est pas vraiment de l’exotisme, ou

matérielle a pour moi, la nécessité

souhaité montrer un ensemble de pièces

une fuite dans l’Autre, ou encore une

d’éprouver telle ou telle substance,

blanches sur un mur gris, et j’ai exposé

manière d’adopter parodiquement ou

telle ou telle couleur, et celle de

les autres pièces noires anthracites sur

mimétiquement les formes artistiques

regarder et de toucher les formes

un mur parfaitement blanc. Les deux

de l’Autre. Je préfèrerais utiliser le mot

sensibles du monde, fussent-elles

murs se répondaient, occasionnant une

« exote »1, forgé par la philosophe

des formes proches – je travaille en

sorte d’aller-retour du regard entre les

Christine Buci-Glucksmann. Elle écrit

ce moment sur des formes trouvées

deux murs. Les pièces que j’ai mon-

que l’exote, c’est « un double regard »,

dans l’atelier de mon père défunt – ou

trées n’étaient pas que des moulages

c’est « moi dans l’Autre et l’Autre en

des formes lointaines, ce qu’auront

de l’intérieur de masques africains. Je

moi, selon les procédures d’inversions-

été ces masques, dont la plastique

m’explique : je réalise depuis une dizaine

retournements stylistiques ». Elle

si « étrangère » m’aura forcé à me

d’années des moules en bois, dont je

dit encore, de manière salvatrice

dépayser. Néanmoins, la dimension

sculpte patiemment l’intérieur. Comme

: « Cette double posture permet

matérielle de la sculpture n’est pas une

avec les masques, je moule ensuite

d’élaborer une esthétique du divers,

fin en soi pour moi. Et si je n’ouvre pas

l’intérieur des matrices que je crée, par-

voire une ontologie, où l’universel

un horizon immatériel, alors il devient

fois à plusieurs moments du processus

surgit à travers les singularités et les

presque impossible de continuer. Il

de travail.

multiplicités ».

m’apparaît nécessaire de motiver le

Dans la Maelle Galerie, j’ai exposé les

sculpteur en lui faisant entrevoir des

moulages de mes propres matrices,

idées très excitantes. Des idées au-delà

avec des moulages réalisés dans des

86

1 ndlr : Dans son "Essai sur l’exotisme", Victor Segalen définit l‘esthétique du divers et imagine le personnage de « l’Exote » comme celui qui, fort de sa culture, arrive à s’en déposséder pour découvrir la culture de l’autre.


"Tête (Intérieur Bamoun 4), 2005. silicone noir recouvert de mine de plomb. Moulage de l'intérieur d'un masque-cimier Bamoun du Cameroun. 40 x 31 x 33,5 cm.

87


ART TALK

Unsettling Photocollections By Antje Van Wichelen

Still quite hidden in the archives, away from the public’s eyes, are thousands of photographs from the 19th century documenting the Western view on, or creation of, the colonial Other. These images have thoroughly influenced white European ideas about the Other that live on up to this date. Why are they still hidden away? Western societies don’t seem ready to deal with their colonial past. Today, it is high time to discuss these images, with their context and all they signify. I am working on a still-evolving project about these images, and want to share some of my research and questioning with you.

Genious brain. Antje Van Wichelen 2015. Eggshell buccinum undatum and polyester.12x8x4

88


My research into the theme started

was to discover what enormous quanti-

about and force the 'lower' members of

from my interest in clichés and how

ties of the same kind of pictures had

the family into free labor, athome as well

they are constructed. A cliché, in short,

been produced. Picture after picture,

as in the world at large. In the meantime,

is an image of a group of people that

somebody had been put in a frontal and

Western powers were using excessive

is constructed by a dominant group,

a profile position, naked, often in front of

violence in the colonies. Industrial and

in the formation of which the people

a white screen.

political leaders, scientists and colonial

portrayed have had no influence, no

personnel joined forces to convince

A brief history

decisive power. My first steps into this topic were about the portraying of men-

public opinion of the desirability of this huge economic undertaking.

tal illness in feature films, for my master's

This same kind of image was portraying

Anthropology, still a young science, and

dissertation in communication sciences.

Africans, Aboriginals, North and South

its anthropometric branch, were called

Ever since, I have been sensitive to the

American Indians, Inuit, Ainu... Many

in to help establish this 'family' order;

recognition and scrutinizing of clichés,

photographs were taken in Europe dur-

measurements of skulls had to provide

be it about women, or artists, or poor

ing world exhibitions and human zoos:

proof that the white male was the smart-

or queer people, or the inhabitants

the people portrayed were brought out

est – from the rather naive reasoning

of Brussels and their 'dirty, dangerous

of their cages into the photographic stu-

that a larger brain size indicated more

and poor' city, as seen by more

intelligence. The method was

powerful groups in other regions

discredited when scientists found

of Belgium. On this last item, I

Aboriginals and Africans with larger

spent ten years leading an artis-

brains. The premise itself – that

tic organization countering the

white man was the most intel-

clichés about the Bruxellois with

ligent – was not discredited. The

their actual stories . The unjust

rise of photography was welcomed.

depiction of my city brought forth

Being more precise than drawings,

my first stop-motion movie, Lost

it would help study and define

1

and Found (2013) .2

Self portrait. Antje Van Wichelen. 2011

'types' of colonial Others. The influential leader of the Société

From 2010 onwards, I started look-

dio. Other people were photographed in

Anthropologique de Paris, Paul Broca

ing into the most powerful clichés

their colonized countries.

(1824-1880) wrote in his Instructions

ever created: those about the colonial

The photographs have been produced

générales pour les recherches anthro-

'Other'. Researching at quai Branly on

in Victorian times, mostly between 1860

pologiques (1865) :

the exhibitions of humans in Europe, I

and1880, a time during which Western

stumbled upon the photographic series

science was obsessed with classification

that went with it, specifically the col-

(of nature, plants, organisms). The same

lections of Le Prince Roland Bonaparte

époque gave birth to the dominant

that are discussed elsewhere in this

imperialistic ideology; the human being

issue. The images struck me as shameful,

was to be seen in the 'family of man' – a

embarrassing, and shocking from a con-

scale of values (from which women were

temporary point of view, but even worse

absent) that put the white heterosexual

1 Bruxelles nous appartient – Brussels belongs to us: www.bnabbot.be 2 Trailer on www.vimeo.com/antjevanwichelen/lostandfoundtrailer

89

male at the top of the family. He thus received power over the rest of the family and could freely steal from, decide

On reproduira par la photographie: 1) des têtes nues qui devront toujours, sans exception, être prises exactement de face, ou exactement de profil, les autres points de vue ne pouvant être d’aucune utilité ; 2) des portraits en pied, pris exactement de face, le sujetdebout, nu autant que possible, et les bras pendants de chaque côté du corps. Toutefois, les portraits en pied avec


l’accoutrement caractÊristique de la tribu ont aussi leur importance. Many photographers followed these instructions. Thousands of photographs were produced. Although the aim was to show 'typologies' of people, this photography had the opposite result. Instead of reducing the multitude of people to a few 'types', it emphasized the individuality of each person. It was impossible to draw general conclusions. By 1880, anthropometric photography was no longer seen as a valid scientific method. Often, Broca's 'instructions' were rather loosely applied; young girls were put into positions that had a sexual connotation in the western mind. Think about the contrast between their naked breasts and the strict Victorian dress codes and morale. To the large public, these photos were spread on millions of postcards, together with other 'exotic' photos that emphasized the Otherness of the depicted. Men were pictured as almost female, a hand on a hip or in profile with a big 'pregnant' belly. Much emphasis was laid on their hair, dress, jewelry, lip-discs, penis gourds and scarification. Other clichÊs made them be seen as wild, dangerous, sexually unrestrained and strong beasts of burden, or, on the contrary, as weak, diseased, powerless, lacking culture, and primitive people waiting to be 'civilized'.

A stop-motion movie My first idea was that the images spoke so strongly for themselves that all I had to do would be to give them a mean-

90

ingful order and a good rhythm for

So the first artist obtaining the images

following one after the other, at a very

will pay for all those that follow. Or, turn-

quick pace, and there would be a movie

ing the thought around, this might open

that would speak for itself. The horror of

perspectives to imagine a collective

it would, along with the fascination with

fund, a shared artists' database.

such an undertaking from a distant and no longer valid past, pour into our eyes

Images too painful to show

and make itself unambiguously clear. A second reason to question my first

An artist's database?

idea lies within the images themselves. The photos are extremely unsettling.

Not so, I was soon to discover. First of

As they have hardly been shown and

all, the images were not public property

discussed, it was not easy for me to esti-

as I thought they would (or should) be:

mate how people from countries whose

the archives possessing them are not

people had been depicted in the images

ready to let artists use them, at least not

would react to them. So I showed a

for free. The images are in the public

series of images I found to a few friends

domain, as the photographers have

of African descent. Their reactions were

died more than 70 years ago. But the

as if I had physically hurt them. Our

archives ask fees between 100 and 30

discussions reinforced my idea that an

euros an image, or, in an exceptionally

image can be very strong, and however

benevolent case, 55 euros an hour, for

well it is contextualized when shown,

handling them: the work of carefully

it has an ability to move us and to burn

re-photographing the images for digitiz-

itself into our memories as no words can.

ing is a costly affair. Even if the cost has

Apart from the fact that the images are

been covered with public money, the

hidden in archives behind financial barri-

institutions see the fees as a chance to

ers, might it be possible that they do not

generate an income. These fees form a

circulate for the reason that they are so

strong barrier for an independent artist

sensitive? That there is, rightly or not, a

like me, who needs to look for money

collective reluctancy to show them?

before being able to work (I did ask for money and am waiting for an answer

These questionings make me want to

from a public film fund). The financial

speak, experiment and share about the

barrier completely rules out artists who

anthropological photo collections and

have no access to financing structures;

what to do with them. What about you?

think of artists in non-European coun-

Would you show them or destroy them?

tries where often financial support for

Who can show them? Any artist and

art is absent. One museum head of

institution that feels concerned? Only

collections expressed to me his fear

those who have a history of involvement

that, once he gave me the images, they

with (anti) racist topics? Or only artists

would be out there and his institution

emerging from Southern countries and

would never see a euro for them again.

immigrant descent?


Glove Collection. Antje Van Wichelen 2011. Found gloves, tags, ruler

I have written from my perspective,

Example of the images discussed are

photographique, Journal des anthro-

which is white European, and female. It

to be found at e.g. la médiathèque du

pologues [En ligne], 80-81 | 2000,

is certainly not the only possible view-

quai Branly:

mis en ligne le 28 octobre 2010. URL :

point. I am eager to read reactions from

http://collections.quaibranly.fr/

http://jda.revues.org/3139.

different, confronting perspectives.

pod16/#cde636b9-765d-422f-9ebe-

GRAHAM-BROWN Sarah, Images of

Please post your thoughts to: antje-

15b145ebeb9a

Women: The Portrayal of Women

primitives@constantvzw.org

in Photography of the Middle East,

I will comment on them in my blog (see

1860-1950. Quartet, 1988, 288 p. Some interesting readings:

BANCEL Nicolas ea, Zoos humains.

COUTTENIER Maarten, Congo ten-

De la vénus hottentote aux reality

Biography:

toongesteld. Een geschiedenis van

shows. Eds de la découverte, Paris,

Antje Van Wichelen is based in Brus-

de Belgische antropologie en het

2002, 480 p.

sels, Belgium. Her artistic media are

Museum van Tervuren (1882-1925).

stop-motion film and installations.

Acco, Leuven, 2005, 445 p.

She posts her findings about the cli-

McCLINTOCK Anne, Imperial Leather,

chés on the 'Other' on her blog: www.

Routledge Inc, 1995, 450 p.

primitives.constantvzw.org

JEHEL Pierre-Jérôme, Une illusion

bio).

91


ART TALK

Supplément aux zoos humains

Par Jean-Claude Moineau

Non tant les individus que les corps

sens élargi puisque Sehgal n’est habitu-

quotidienne même, comme le donne à

exposés au sein même de l’espace

ellement pas son propre performer mais

penser le sociologue Erving Goffman1),

muséal dans quantité de manifestations

expose les corps d’autrui (si tant est, bien

les individus ramenés— à l’encontre tant

de l’art récent dont le paradigme pour-

entendu, que les corps ne soient pas

rait être fourni par les « performances »

toujours exposés, voire ne s’exposent

de Tino Sehgal, « performances » en un

pas toujours eux-mêmes, dans la vie

The Year of the White Bear and Two Undiscovered Amerindians visit the West. Performance, 1992-1994. Courtesy of the Artist and Alexander Gray Associates LLC.

92

1 Erving GOFFMAN, La Mise en scène de la vie quotidienne, 1. La Présentation de soi, 1956, tr. fr. Paris, Minuit, 1973, & 2. Les Relations en public, 1971, tr. fr. Paris, Minuit, 1973.


de tout dualisme que de la conception

représentations d’opéra où l’on ne faisait

corps souffrants (des performers eux-

de la personne développée à l’époque

pas encore le noir dans la salle, les mem-

mêmes) endurant une souffrance tout

contemporaine par Peter Strawson — à

bres du public se prêtaient davantage

ce qu’il y a de plus réelle au sein même

leurs seuls corps physiques… Il y a là, de

attention les uns aux autres qu’à ce qui

de l’espace traditionnellement dévolu

prime abord, comme un relent nauséa-

pouvait se passer sur la scène, quelle que

à l’illusion qu’est l’espace muséal, cher-

bond de zoo humain, les frontières entre

fût la séparation entre salle et scène).

chant à surmonter leurs propres limites

2

« exhibitions » et « spectacles » d’artistes

(et celles de la souffrance)… que, ainsi

n’ayant de toute façon, comme l’a

Serait-ce à dire que, à l’époque sup-

que l’a suggéré Boris Groys10 à propos

observé Lotte Arndt3, jamais été hermé-

posée de la mort de l’homme et de

des photos d’Abou Ghraib qu’il a, à juste

tiques, à ceci près que la « volonté d’art »

l’avènement du post humain sinon du

titre, mises en rapport avec les pratiques

s’est dorénavant substituée aux velléités

surhumain, l’humain en serait réduit

tant mass-médiatiques qu’artistiques

scientistes du dix-neuvième siècle

à se trouver muséifié, exposé comme

occidentales contemporaines, corps

et que les corps exposés ne sont plus

bête de foire? Les individus, quoi qu’il en

privés, non tant de tout attrait, que,

nécessairement physiquement séparés

soit de la présumée montée actuelle de

comme dans les exhibitions mises en

de ceux des membres du public, là où,

l’individualisme, à se trouver à la fois réi-

scène par un Santiago Sierra, de toute

comme l’ont écrit Nicolas Bancel, Pas-

fiés, choséifiés, et bestialisés, animalisés?

dignité humaine, voire de toute human-

cal Blanchard, Gilles Bœtsch, Éric Deroo

ité, bestialisés.

et Sandrine Lemaire4, le zoo humain

Après le camp de concentration comme,

entendait ériger « une barrière irré-

dixit Giorgio Agamben7, « paradigme

Là où les « sculptures vivantes » de Piero

ductible entre celui qui voit et celui qui

biopolitique du moderne », le « zoo

Manzoni et de Gilbert et George, repre-

est vu » de façon à « pouvoir y lire la

humain » (ou, selon Peter Sloterdijk ,

nant à leur compte l’ancien mythe de

place de chacun, celle de l’Autre et la

le « parc humain ») comme paradigme

Pygmalion et Galatée tout en continuant

sienne » (là où pourtant, traditionnel-

biopolitique ou « nomos », davantage

à faire leurs les aspirations avant-gar-

lement, que ce soit dans les musées ou

encore que de l’ère coloniale (colonialité

distes (les « mythes avant-gardistes »),

les théâtres, ainsi que le relevait Paul

elle-même historiquement liée à notre

cherchaient à donner vie, en dehors

Valéry5 comme le révèlent à leur façon

modernité sans se trouver désormais

même des musées, à la sculpture (même

les Museum Photographs de Thomas

définitivement congédiée pour autant),

si, sans doute, elles n’échappaient

Struth — tout particulièrement la série

de notre « contemporanéité », quand

pas elles-mêmes, loin de là, à toute

Audience prise à l’Academia de Florence à

bien même ce serait avec l’élément de

réification), les corps qui s’exposent

partir de l’emplacement même du David

non-contemporanéité que, selon Ernst

aujourd’hui (ou qui sont exposés) dans

de Michel-Ange, le plus intéressant à

Bloch , n’en comporte pas moins toujo-

les musées sembleraient plutôt pour le

observer pouvait bien être l’assistance

urs la contemporanéité.

principal, tels les animaux naturalisés

8

9

elle-même, tout comme, selon James H. Johnson6, au dix-huitième siècle, lors des 2 Peter Frederick STRAWSON, Les Individus, Essai de métaphysique descriptive, 1959, tr. fr. Paris, Seuil, 1973. 3 Lotte ARNDT, « Une mission de sauvetage : Exhibitions. L’Invention du sauvage au musée du quai Branly », Mouvements n°72, hiver 2012. 4 Nicolas BANCEL, Pascal BLANCHARD, Gilles BŒTSCH, Éric DEROO & Sandrine LEMAIRE, « Zoos humains : entre mythe et réalité », Zoos humains, De la Vénus hottentote aux reality shows, Paris, La Découverte, 2002. 5 Paul VALÉRY, La Soirée avec monsieur Teste, 1896. 6 James James H. H. JOHNSON, Listening in Paris, A Cultural History, Berkeley - Los Angeles, University of California, 1995.

93

de Karen Knorr eux-mêmes disposés Non pas tant, comme dans l’art-perfor-

non sans incongruité dans des salles de

mance des années 70 (Chris Burden, Gina

musée, procéder en sens inverse, par

Pane, Marina Abramović, quelles que

momification ou pétrification de la vie.

soient les tentatives de reenactment de

Du musée, une fois encore, comme

ses propres performances par celle-ci…),

mausolée (le musée ayant pu être accusé

7 Giorgio AGAMBEN, Homo sacer I, Le Pouvoir souverain et la vie nue, 1995, tr. fr. Paris, Seuil,1997. 8 Peter SLOTERDIJK, « Règles pour le parc humain, Réponse à la lettre sur l'humanisme », 1999, tr.fr. Monde des débats n°7, 1999. 9 Ernst BLOCH, Héritage de ce temps, 1935, tr. fr. Paris, Payot, 1978.

de mettre à mort ce qu’il est censé conserver) ? 10 Boris GROYS, « Les Corps d'Abou Ghraib », L'Herne n°84, Baudrillard, Paris, 2004.


Encore que, si des individus humains

les zoos humains, auxquels on demand-

tendu à se substituer au spectacle, la

se trouvent dorénavant exposés (sans

ait de jouer les sauvages, tout comme

société de surveillance à la société du

barrière de séparation aucune) dans

les Indiens photographiés par Edward

spectacle. Surveillance qui a elle-même

les parcs d’attraction que sont dev-

S. Curtis), de par leur exhibition non

constitué un paradigme important

enus, entertainment oblige, les musées

plus seulement passive mais active bien

tant de l’art contemporain (au point

(comme, dans la descendance des « vil-

qu’il se soit agi d’activités jugées elles-

que la vidéosurveillance a pu un temps

lages nègres » qui, dans le dernier quart

mêmes« primitives » : danse, musique,

être tenue, sur un modèle demeurant

du dix-neuvième siècle, avaient déjà, à

sport…(avant que débute une nouvelle

d’inspiration moderniste, non plus tant

l’occasion des expositions coloniales,

mise en spectacle avec l’apparition du

pour un paradigme que pour l’essence

prolongé la pratique des zoos humains

cinématographe et le passage du specta-

même de la vidéo) que des divertisse-

et autres ethnic shows, peuvent l’être

cle vivant à l’image vivante) aurait tendu,

ments de masse du type reality shows,

également des territoires entiers avec

selon Bancel, Blanchard, Bœtsch, Deroo

quand bien même ce serait désormais

leurs habitants), ce soit, loin de tout culte

et Lemaire , à transformer les présumés

suppute Peter Weibel14, pour la satisfac-

des morts, pour la satisfaction d’autres

« sauvages » en « indigènes ».

tion des sujets exhibés eux-mêmes, pour

êtres humains auxquels ils sont donnés

« Indigènes » qui, sortis de leur contexte,

la satisfaction de pulsions exhibition-

en pâture.

n’en auraient pas moins trouvé là, et là

nistes davantage que voyeuristes, si tant

seulement, une certaine place recon-

est que l’on puisse distinguer les deux au

Ce qui avait déjà été le cas par le passé

nue par la société colonisatrice, tandis

sein de ce que Jacques Lacan15 désig-

(au temps de la société du spectacle au

que la question serait désormais celle de

nait comme « la » pulsion scopique16,

sens non tant de Guy Debord que de

leur place, si place il y a, dans la citoyen-

le problème, selon l’économie dite

Michel Foucault , encore qu’il se soit

neté : « les indigènes d’hier [les sauvages

de l’attention17, étant même devenu,

alors agi du spectacle non seulement

d’antan] peuvent-ils être des citoyens

à l’ère de la surproduction d’images

de l’humiliation mais de la souffrance

aujourd’hui ? ».

due au numérique, celui de réussir à

11

12

13

d’autrui), lors des triomphes et des exécutions en place publique selon leurs scénographies propres, de l’exhibition des vaincus et condamnés en même temps que ceux-ci participaient, au titre de victimes propitiatoires, au culte du prince. Telle, dans les zoos humains de l’ère coloniale, l’exhibition des présumés « Autres », des présumés « sauvages », telle celle des autres « déviants » « assimilés » à des « monstres » de foire dans les freak shows de l’époque.

capter l’attention, encore qu’Yves Cit-

SERAIT-CE À DIRE QUE, À L'ÉPOQUE SUPPOSÉE DE LA MORT DE L'HOMME ET DE L'AVÈNEMENT DU POST HUMAIN SINON DU SURHUMAIN, L'HUMAIN EN SERAIT RÉDUIT À SE TROUVER MUSÉIFIÉ, EXPOSÉ COMME BÊTE DE FOIRE ? LES INDIVIDUS, QUOI QU'IL EN SOIT DE LA PRÉSUMÉE MONTÉE ACTUELLE DE L'INDIVIDUALISME, À SE TROUVER À LA FOIS RÉIFIÉS, CHOSÉIFIÉS, ET BESTIALISÉS, ANIMALISÉS ?

Quand bien même, à la fin du dixneuvième siècle, l’intégration dans

… Encore que, observait Foucault, à

l’industrie du spectacle proprement dit

l’époque moderne la surveillance ait

desdits « sauvages » (déjà transformés en sauvages par leur exhibition même dans 11 Michel FOUCAULT, La Société punitive, Cours au Collège de France, 1972-1973, Paris, EHESS, Gallimard & Seuil, 2013.

94

12 Nicolas BANCEL, Pascal BLANCHARD, Gilles BŒTSCH, Éric DEROO & Sandrine LEMAIRE, op. cit. 13 Pascal BLANCHARD, « L'Identité, l'historien et le passé colonial : le trio impossible ? », Michel LE BRIS & Jean ROUAUD, ed. Je est un autre, Pour une identité-monde, Paris, Gallimard, 2010.

ton, qui préfère pour sa part parler, en termes guattariens, d’ « écosophie de l’attention », fasse état de l’existence simultanée de différents régimes attentionnels situés entre la perception distraite benjaminienne et la contemplation. Cependant que la vidéosurveillance a elle-même cédé désormais pour 14 Peter. WEIBEL, « Pleasure and the Panopltic Principle» » tr. a. Thomas Y. LEVIN, Ursula FROHNE & Peter WEIBEL, ed. CTRL [SPACE], Rhetorics of Surveillance from Bentham to Big Brother, Cambridge, Mass., MIT/ Karlsruhe, Center for Art and Media, 2002. 15 Jacques LACAN, Séminaire, Livre XI, Les Quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973. 16 Comme le constate Slavoj Zizek lui-même (« Big Brother, or, the Triumph of the Gaze over the Eye », Thomas Y. LEVIN, Ursula FROHNE & Peter WEIBEL, ed. CTRL [SPACE], op. cit.): « Today, anxiety seems to arise from the prospect of NOT being exposed to the Other's gaze all the time, so that the subject needs the camera's gaze as a kind of ontological guarantee of his/her being ». 17 Cf. Yves CITTON, ed. L'Écpnomie de l'attention, Nouvel horizon du capitalisme ?, Paris, La Découverte, 2014.


une grande part la place à la cyber-

de ses possibilités et de ses limites, dans

sion de tableaux vivants à caractère

surveillance, à la datasurveillance, à

leur dimension la plus matérielle, la plus

historique devant lesquels défilent les

la surveillance généralisée… à ce que

objectale.

spectateurs

Dominique Quessada a appelé la

Alors que l’on est passé à des exposi-

« sousveillance », reposant, au détriment

tions dans lesquelles un artiste (renouant

de la catégorie de visibilité sur laquelle,

avec sa posture traditionnelle ?) expose

selon Foucault, se fondait la surveillance,

désormais non son propre corps mais,

non plus sur le regard et l’observation

comme dans les zoos humains d’hier, les

(surveillé et surveillant, sousveillé et

corps d’autres, des corps autres.

sousveillant se faisant dorénavant invisi-

Lesquels peuvent, comme dans le cas

bles) mais sur le calcul et la pré-vision.

de Sierra, s’avérer totalement étrangers

… Mais encore, dans les performances

tant au monde de l’art qu’à la société

d’un passé relativement récent, le

en place —des « sans place » dans la

performer était-il bien l’artiste (et

terminologie de Jacques Rancière, ce qui

c’est même là la définition habituelle-

accroît leur altérité— tout en se trouvant

ment retenue de la performance : la

eux-mêmes pour le principal réduits à

coprésence, ici et maintenant, non plus

leur dimension physique. Tout à l’opposé

avec des acteurs à peau noire, tant pro-

seulement entre œuvre et public mais

de ce que souhaitait Foucault : non tant

fessionnels qu’amateurs pour la plupart

entre artiste et public, comme, dans

qu’on « donne » —avec plus ou moins

recrutés sur place (à la différence, sur ce

les expositions, c’était l’artiste —de

de condescendance— aux sans-place et

point, des zoos humains historiques),

Joseph Beuys à Tracey Emin et à Oleg

sans-voix la parole mais qu’ils se trou-

en quête d’emplois, et dûment rénumé-

Kulik— qui s’exposait des jours durant

vent « placés » en situation de prendre la

rés, comme le furent en fait, « après

dans une galerie ou un musée (non

parole en leur nom propre, si tant est, a

les premières exhibitions de spécimens

sans, cependant, une certaine évolu-

observé Gayatri Spivak , qu’ils ou elles le

contraints20 » les individus exposés dans

tion ou, si l’on préfère, une évolution à

puissent effectivement.

les zoos humains, dans les « expositions

18

19

rebours : alors que, dans I Like America

… MAIS ENCORE, DANS LES PERFORMANCES D'UN PASSÉ RELATIVEMENT RÉCENT, LE PERFORMER ÉTAIT-IL BIEN L'ARTISTE (ET C'EST MÊME LÀ LA DÉFINITION HABITUELLEMENT RETENUE DE LA PERFORMANCE : LA COPRÉSENCE, ICI ET MAINTENANT, NON PLUS SEULEMENT ENTRE ŒUVRE ET PUBLIC MAIS ENTRE ARTISTE ET PUBLIC.

anthropozoologiques » (où Blanchard,

and America Likes Me, Beuys, tout en

Récemment, l’artiste sud-africain

Boëtsch & Snoep21 parlent de profession-

étant effectivement enfermé avec le coy-

« blanc » Brett Bailey, dans Exhibit B, titre

nalisation progressive des exhibitions

ote, cherchait à apprivoiser, à dompter

jouant sur le double sens, en anglais,

et des sujets exposés eux-mêmes qui

celui-ci, dans I Bite America and America

d’exhibit : à la fois objet exposé et pièce

purent même, en certaines occasions,

Bites Me, quel que fût l’hommage rendu

à conviction (dans ce qui se veut un

se mettre en grève), (sans, malheureuse-

à Beuys, c’était, sans ambiguïté possible,

procès du racisme bien que l’œuvre

ment, que Bailey cherche à tirer parti de

Kulik l’animal, que certains spectateurs

n’entende pas ici recourir, comme

leurs histoires et expériences propres),

particulièrement hardis, pénétrant dans

d’autres, à la forme du procès), a même

acteurs demeurant, eux, pour le princi-

la cage, entreprenaient de dresser).

été jusqu’à prétendre « re-enacter »

pal immobiles, passifs, parfois dénudés,

Tout comme les travaux anciens de Vito

littéralement un zoo humain (l’art

dans l’état d’infériorité relative qui est

Acconci et de Bruce Nauman étaient

contemporain s’étant réapproprié la

celui d’une personne dévêtue devant

consacrés à une exploration par l’artiste

pratique amateure du re-enactment, tant

une personne habillée.

—dans le cadre même de son atelier

re-enactment d’événements historiques

Déclenchant, quelque dénonciatrice que

pour Nauman— de son propre corps,

que de performances)

18 Dominique QUESSADA, « “De la sousveillance“, La Surveillance globale, un nouveau mode de gouvernementalité », Multitudes n° 40, 2010/1.

95

tout en mettant en scène une succes19 Gayatri SPIVAK, Les Subalternes peuvent-elles parler ?, 1988, tr. fr. Paris, Amsterdam, 2009 ;

20 Pascal BLANCHARD, Gilles BOËTSCH & Jacomijin SNOEP, « Introduction », Exhibitions, L'Invention du sauvage, Paris, Musée du quai Branly, 2011 » 21 Ibid.


s’en voulût l’intention, ici l’enthousiasme

par un artiste “blanc“ ». Ce qu’il qualifie

en général, par les non-juifs comme par

(notamment de la part de Peter Brook),

d’ « interdit racial de la représentation ».

les juifs, comme dans le (trop?) fameux

là l’indignation, voire l’interdiction. Toute

Interdiction de la représentation et

anathème prononcé par Theodor

une polémique, quand bien même ce ne

même du regard des « Noirs » par

Adorno contre l’art après Auschwitz :

serait pas la nouvelle querelle du Cid.

d’autres que des « Noirs ».

« écrire un poème après Auschwitz est

Comme toujours, il ne suffit pas

Interdiction, dit Blanchard, à l’unisson

barbare, [ce] qui explique pourquoi il est

d’afficher une intention antiraciste pour

sur ce point avec Amselle, de montrer…

devenu impossible d’écrire aujourd’hui

être véritablement antiraciste.

qui serait « la même chose que ceux qui,

des poèmes26 » ou de se livrer à une

dans les années 60, 70, refusaient qu’on

quelconque activité artistique, tandis

En France Exhibit B a reçu l’aval de

parle de la Shoah. Il y avait une volonté

qu’ici l’interdiction se révélerait de type

l’ethnologue africaniste, adversaire

de cacher, y compris de la part de ceux

« communautariste », interdiction qui,

déclaré du multiculturalisme et des post-

qui l’avaient vécue. Ils ne voulaient ni

selon Amselle, constituerait l’un des

colonial studies, Jean-Loup Amselle

revoir, ni voir » (ce qu’a fort judicieuse-

aspects de la pensée post coloniale qui

qui parle à son propos de « musée

ment analysé, à l’encontre de tout

était déjà le fait de l’éminent représent-

vivant » —encore que musée d’histoire

prétendu devoir de mémoire, Walter

ant des cultural studies qu’était Stuart

davantage que d’art— en même temps

Benjamin —pour qui, au demeurant,

Hall27 (encore qu’ici ce soient bien

que —en termes très religieux et même

la mémoire véritable était la mémoire

des acteurs « noirs » qui représentent

christocentristes— de « parcours de

involontaire— à propos des poilus

d’autres « Noirs », mais acteurs noirs

pénitent individualisé, de chemin

rescapés de la boucherie qu’avait déjà

dont l’expérience propre n’est pas prise

de croix ». D’expression de repent-

été la guerre de 14, et qui, contraire-

en considération) tout comme Marie-

ance, de « cérémonie d’expiation »,

ment aux voyageurs revenus de contrées

Hélène Bourcier28 a pu, en se réclamant

« expressions » que lui a très vivement

lointaines du Conteur25 n’avaient trouvé

de Foucault, sans proférer pour autant

reprochées Blanchard , pourtant lui-

là aucune expérience à transmettre),

d’interdit, faire état de la revendication

même ardent défenseur de l’œuvre.

encore que l’interdit ait pu alors être

des homosexuels que non seulement

celui non seulement de la représentation

les homosexuels soient représentés,

de la Shoah mais de la représentation

mais qu’ils le soient par les homosexuels

22

23

Tandis que, présume Amselle, les con-

24

testataires de l’exposition la contestent au nom de « la revendication du monopole de la représentation des “Noirs“ par un Noir“, et donc de son illégitimité 22 Jean-Loup AMSELLE, « Exhibit B : l'interdit racial de la représentation », Libération, 24 novembre 2014. 23 Pascal BLANCHARD, « Exhibit B force à voir le racisme les yeux dans les yeux », Regards, décembre 2014. 24 Walter BENJAMIN, « Expérience et pauvreté », 1933, tr. fr. Œuvres II, Paris, Gallimard, 2000. 25 Walter BENJAMIN, « Le Conteur, Réflexions sur l'œuvre de Nicolas Leskov », 1936, tr. fr. Œuvres III, Paris, Gallimard, 2000. 26 Theodor W. ADORNO, « Critique de la culture et société », 1951, Prismes, Critique de la culture et société, 1955, tr. fr. Paris, Payot, 1986. 27 Stuart HALL & Mark SEALY, ed. Different : A Historical Context, Contemporary Photographers and Black Identity, Londres, Phaidon, 2001. 28 Marie-Hélène BOURCIER, « Le Ciné Q de l'invisibilité à l'autoreprésentation », Q comme Queer, Lille, Cahiers Gai Kitsch Camp, 1998.

96

Oleg Kulik, The Mad Dog Performance, 1994, black and white photopraph, 30,5 x 40 cm, (c) Galerie Krinzinger


eux-mêmes, « que les parlés parlent »

Amselle, procéderait déjà elle-même

ne se contentent pas pour autant de

encore qu’il convienne de prendre en

d’une forme de racisme,

s’exposer mais fixent du regard les

compte l’avertissement, pour ce qui

(comme quoi, là encore, il ne suffirait

spectateurs, les mettant pour le moins

est de la parole des « subalternes »

pas, pour ce qui est des adversaires

mal à l’aise. Ainsi que le formule Sandra

telle qu’elle a pu être revendiquée par

d’Exhibit B eux-mêmes, d’afficher une

Vanbremeersch32 comme en réponse à

les subaltern studies, de Gayatri Spiv-

intention antiraciste pour être véritable-

la question posée, à propos des photog-

ak pour qui, à l’encontre de Foucault

ment antiracistes).

raphies de Cindy Sherman, par Amelia

29

lui-même, les subalternes —ils et, à plus

Jones33 : comment les femmes peuvent-

forte raison, elles— ne seraient pas en

elles chercher à résister à leur façon à ce

mesure de pouvoir effectivement parler en leur nom propre dans la condition de subalternes qui est la leur, la présumée conscience subalterne ne se donnant jamais qu’à travers la pensée élitaire,

SUPPLÉMENT AUX ZOOS HUMAINS/ACTE2 PERSISTANCE DU REGARD COLONIAL

n’ayant aucune existence possible en dehors de celle-ci.

que Laura Mulvey34 a désigné comme le regard projectif (projetant ses fantasmes), phallique, des spectateurs ? (du moins des spectateurs masculins, ce qui pose le problème des spectateurs féminins qu’a cherché à le soulever Mary

… En tout état de cause l’aspect à

Ann Doane35)

mettre au crédit d’Exbibit B serait, Tout au plus, s’élève pour sa part

selon Blanchard, que les acteurs, tout

… Dans les travaux de Beecroft, quelle

Blanchard, « bonne conscience com-

en demeurant pour le principal immo-

que soit la domination que continue à

munautaire […] qui fait dire “aux gays

biles et passifs, n’en fixent pas moins

exercer Beecroft sur ses « performeuses »

le combat des gays, aux musulmans

du regard les spectateurs qui défilent

(comme Bailey sur ses propres « per-

le combat des musulmans, aux Juifs le

devant eux, portant un « regard noir »

formeurs ») « le corps apparaît donc

combat des Juifs et aux Noirs le com-

sur les spectateurs.

comme lieu de résistance ».

Spectateurs qui, selon Bailey31, « sont

À la façon, déjà, font remarquer Claudia

littéralement contraints, eux, de choi-

Moatti et Michèle Riot-Sarcey36,

Ce qui, critique de son côté Amselle,

sir : regarder ou ne pas regarder »,

du regard « du modèle de Manet dans le

aurait pour effet de bloquer… « toute

certains étant « parfois trop intimidés

Déjeuner sur l’herbe car ce qui fit scan-

possibilité de réconciliation entre les dif-

pour regarder les personnes dans les

dale à l’époque, ce ne fut pas la nudité

férentes composantes des sociétés post

tableaux » ; ce sont les comédiens les

de la femme assise aux côtés de deux

coloniales », si tant est, bien entendu,

véritables spectateurs.

hommes en habits , mais l’intelligence

bat du racisme anti-Noirs“ » ou « aux femmes le combat des femmes »…

qu’une telle réconciliation doive être

de son regard, franc, lucide, voir pro-

recherchée, encore que le mérite

Tout comme, dans les « performances »

d’Exhibit B —en fait, surtout celui des

(en un sens là encore élargi) de Vanessa

manifestants— serait plutôt, en toute

Beecroft, les femmes exposées (là égale-

hypothèse, d’avoir, fût-ce involontaire-

ment tant des modèles professionnelles

ment, ré-ouvert à sa façon le débat

que de simples amatrices recrutées sur

public, d’avoir ré-ouvert l’espace public

place), le plus souvent dénudées, fragili-

au sens de Jürgen Habermas .

sées par leur nudité, (comme peuvent

… Mais racialisation qui, présume

l’être certains des acteurs d’Exbibit B),

30

29 Gayatri SPIVAK, Les Subalternes peuvent-elles parler ?, op. cit. 30 Jürgen HABERMAS, L'Espace public, Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, 1961, tr. fr. Paris, Payot, 1978.

97

vocateur », qui fit juger à l’époque le 32 Sandra VANBREMEERSCH, « Au pays des filles de Vanessa Beecroft », Claude FINTZ, ed. Les Imaginaires du corps, Arts, sociologie, anthropologie, Pour une approche interdisciplinaire du corps, Paris, L'Harmattan, 2000. 33 Amelia JONES, « Sur les traces du sujet avec Cindy Sherman », Cindy SHERMAN, Rétrospective, Museum of Conyemporary Art, Chicago, & Museum of Contemporary Art, Los Angeles, 1998, tr. fr. Paris, Thames & Hudson, 1998. 34 Laura MULVEY, «Visual Pleasure and Narrative Cinema», Screen, Vol.16 n°3, automne 1975.

elles-mêmes relativement immobiles,

35 Mary Ann DOANE, « Film and the Masquerade, Theorising the Female Spectator », Screen, Vol. 23 n°3, automne 1982.

31 Brett BAILEY, « La Conscience porte les graines du changement », Altermondes, 18-09-14.

36 Claudia MOATTI & Michèle RIOT-SARCEY, « “Exhibit B“, de l'esclave au migrant », Libération, 11 décembre 2014.


tableau imprésentable au public du

le « regard oppositionnel » : « The “gaze“

… De même Éric Fassin, dans un article

Salon, rompant comme il le faisait avec

has been and is a site of résistance for colo-

publié par Libération 43faisant écho au

la conception, rapportée par Michael

nized black people globally. Subordinates

succès sans réserves rencontré, en un

Fried , qui prévalait depuis Diderot,

in relations of power learn experientially

premier temps, par Exhibit B en Avignon :

selon laquelle les personnages représen-

that there is a critical gaze ».

« la différence entre les exhibitions

37

tés tant dans les tableaux que sur

d’antan et cet “exhibit“, c’est [en termes

scène devaient ignorer —ou feindre

Mais encore la curatrice Christine Eyene

d’ignorer— la présence des specta-

pose-t-elle « la question de savoir à

[…] le regard se renverse : le spectateur

teurs, assurant ainsi leur séparation avec

qui cette exposition s’adresse-t-elle.

n’est pas voyeur, car il est [non seule-

les spectateurs, telle la coupure entre

La réponse serait, apparemment, à un

ment tenu à distance comme le voulait

« exhibés » et visiteurs dans les zoos

public principalement blanc. […] Au

Fried dans La Place du spectateur mais]

humains, à quoi s’opposait davantage

mieux Exhibit B satisfait la visualisation,

vu. Immobiles, ces hommes et ces

encore, ainsi que l’a mis en évidence

j’irais jusqu’à dire le voyeurisme, de

femmes nous regardent — même le

Thierry de Duve38, la barmaid d’Un bar

spectateurs [blancs] en quête de sensa-

gisant. Leurs yeux nous suivent, et c’est

aux Folies Bergère qui ni n’ignorait le

tions, à l’ère d’une désensibilisation de

nous qui finissons par les baisser. Avec

spectateur du tableau ni ne s’y sou-

l’œil par la télévision, le flot d’images

ce dispositif, on n’est pas au zoo ; on est

mettait (comme le propre reflet de la

dont nous inondent les médias » (et, plus

dans le “zoo humain“».

barmaid dans le miroir situé derrière elle,

encore, le Net), à l’ère de ce que Susan

répondant aux avances du spectateur

Buck-Morss41 a appelé l’anesthétisation

40

très friediens44] la place du spectateur

du temps de l’esclavage, les esclaves des

"MAIS ENCORE LA CURATRICE du regard, l’« esthétique anesthésique », CHRISTINE EYENE POSE-T-ELLE « LA alors que « qui veut véritablement comQUESTION DE SAVOIR À QUI CETTE prendre le racisme d’aujourd’hui […] n’a EXPOSITION S'ADRESSE-T-ELLE. LA qu’à se tourner vers le Noir ou l’Arabe RÉPONSE SERAIT, APPAREMMENT, le plus proche de lui, afin de s’enquérir À UN PUBLIC PRINCIPALEMENT de son vécu » et de l’écouter. « L’écoute BLANC. […] AU MIEUX EXHIBIT est ici primordiale », quelque synonyme B SATISFAIT LA VISUALISATION, de surveillance que puisse être l’écoute J’IRAIS JUSQU’À DIRE LE VOYEURelle-même, quelle que soit la surenchère ISME, DE SPECTATEURS [BLANCS] à laquelle puisse être soumise l’écoute EN QUÊTE DE SENSATIONS, À L’ÈRE elle-même (où Peter Szendy42 a pu parler D’UNE DÉSENSIBILISATION DE de « surécoute »). L’ŒIL PAR LA TÉLÉVISION, LE FLOT D’IMAGES DONT NOUS INONDENT … Ce pourquoi il aurait fallu que Bailey LES MÉDIAS » (ET, PLUS ENCORE, LE consulte la population noire, enquête NET)."

deux sexes pouvaient être punis pour

auprès de la population noire.

figuré sur la droite du tableau) mais lui retournait crûment son regard. Où l’éminente représentante du black féminisme Bell Looks39, tout en soutenant pour sa part, à l’encontre de Mulvey, que, en Occident, les femmes noires ne sont pas soumises au regard des hommes de la même façon que les femmes blanches mais se révèlent des êtres sans genre qui ne sont pas tant objets de désir que, tout au plus, des objets de curiosité comme ceux qui figuraient dans les cabinets de curiosité occidentaux d’autrefois, observant que,

le seul motif d’avoir regardé leur maître,

Mais, a reconnu par la suite Fassin45

fait elle-même état de ce qu’elle appelle 37 Michael FRIED, Esthétique et origines de la peinture moderne, tome III, Le Modernisme de Manet, 1996, tr. fr. Paris, Gallimard, 2000. 38 Thierry de DUVE, Voici, 100 ans d'art contemporain, Gand, Ludion & Paris, Flammarion, 2000. 39 Bell HOOKS, « The Oppositional Gaze, Black Female Spectators », Black Looks. Race and Representation, Boston, South End Press, 1992.

98

revenant sur ce qu’il avait écrit anté40 Christine EYENE, « Exhibit B : de quel racisme parle-t-on ? », eye. on.art, 2 décembre 2014. 41 Susan BUCK-MORSS, « Esthétique anesthésique, L'essai sur la reproductibilité de Walter Benjamin, revisité », 1992, Voir le capital, Théorie critique et culture visuelle, tr. fr. Paris, Prairies ordinaires, 2010. 42 Peter SZENDY, Sur écoute, Esthétique de l'espionnage, Paris, Minuit, 2007.

43 Eric FASSIN, « La Race, ça nous regarde », Libération, 25 juillet 2013. 44 Cf. Michael FRIED, Esthétique et origines de la peinture moderne, tome I, La Place du spectateur, 1980, tr. fr. Paris, Gallimard, 1990. 45 Éric FASSIN, « Exhibit B, Représentation du racisme et sousreprésentation des minorités raciales », Mediapart, 29 novembre 2014..


rieurement, il n’en demeure pas moins

spectacle pose problème : selon notre

l’écart se creusant toujours entre histoire

qu’« acteurs et personnages sont réduits

expérience, et donc notre apparence,

et mémoire collective) engager un travail

au silence. Les Noirs apparaissent ainsi

nous n’y voyons pas forcément la même

de mémoire sinon, là déjà, de repent-

privés de toute capacité d’agir, victimes

chose – sans que cette réception diffé-

ance. Mais, critique Lotte Arndt51, le tort

éternellement passives de la domination

renciée soit prise en compte dans la mise

de l’exposition avait été de rechercher

raciale : des “Nègres marrons“, dont la

en scène. « On aurait tort de réduire ces

« davantage les continuités que les

révolte a arraché leurs communautés à

critiques au communautarisme :

ruptures et les changements de para-

l’esclavage, il n’est pas question ici »,

il ne s’agit pas de prétendre que les Noirs

digme dans la production de “l’altérité“ ».

privant ainsi l’œuvre elle-même de toute

seuls pourraient parler des Noirs, mais au

On passait sans discontinuité des cabi-

possibilité d’agir performativement.

contraire de revendiquer que l’art doit

nets de curiosité aux zoos humains et

Cependant que, déclare Fassin, il serait

pouvoir s’adresser à toutes et tous à la

aux laboratoires scientifiques du XIXe

absurde de réserver une œuvre antira-

fois », tout en prenant en compte les

siècle alors qu’ils ne répondaient pas du

ciste aux seuls Blancs ou de faire comme

différences, les différences socialement

tout aux mêmes enjeux. Le cabinet de

si les différences raciales n’existaient

construites.

curiosité, qui a paradoxalement connu

48

pas. Sans doute, sur le plan biologique,

un regain d’actualité (ou de curiosité)

les races n’existent-elles pas. Elles sont

Mais, antérieurement à Exhibit B, c’était

à l’époque contemporaine pour tenter

engendrées par des politiques racial-

déjà l’exposition, dont Blanchard avait

de trouver une alternative à la crise du

isantes « qui tracent des frontières dans

été l’un des commissaires, Exhibitions,

musée et de l’exposition) était conçu,

les corps » et qui ne les en font pas

L’Invention du sauvage, au Musée du quai

comme ce nom l’indique, sur la base

moins exister comme ont contribué à

Branly, en 2011, qui avait fait problème.

de la curiosité, le curieux étant, comme

les faire exister les zoos humains eux-

Exposition visant à montrer comment

l’a formulé Krzystof Pomian52, celui qui,

mêmes. La « blanchité », comme disent

le spectacle des exhibitions a contribué

mû par un appétit de totalité, voulait

les whitness studies, n’est, pas plus que la

à former le regard porté par l’Occident

tout savoir et, non content de ce fait

« négritude », pas plus que la masculinité

sur l’ « Autre », présumée ce faisant selon

d’un savoir se limitant au commun, au

ou la féminité, une propriété substan-

Blanchard servir à décoloniser le regard

régulier, entendait acquérir une sci-

tielle mais le produit d’une construction

(« On a décolonisé les pays, on a à peine

ence des singularités elles-mêmes et

sociale (une construction opérée pos-

commencé à décoloniser les économies,

recherchait en conséquence, « parmi les

térieurement à celle de négritude —et

mais le regard c’est quelque chose dont

productions de la nature et de l’art, les

dans un tout autre contexte—, tout

on pense qu’on l’a acquis à tout jamais »),

objets rares, exceptionnels, extraordi-

comme celle de masculinité s’est trou-

à « décoloniser ce qu’ont produit cinq

naires », échappant à toute classification,

vée opérée après celle de féminité,

siècles d’histoire et cinq siècles de

là où, au contraire, le « racisme scien-

ou celle d’hétérosexualité après celle

regard ». « À déconstruire l’idée même

tifique du XIXe siècle » bannissait le

d’homosexualité…). Où Maxime Cer-

du sauvage » (« Nous croyons encore que

merveilleux et reposait sur la systéma-

vulle47 parle de rapports sociaux de race.

“le sauvage“ existe […] L’idée du sauvage

tisation et la classification, rejetant la

est encore une idée qui domine et qui

curiosité au profit de la raison.

Et Fassin d’observer que « le public

perdure dans notre regard sur le monde.

Or Patricia Falguières53, note Arndt, a

culturel est défini en termes non seule-

Cette idée est encore à déconstruire50 »).

souligné le changement fondamental

ment de classe, mais aussi de couleur

En même temps que se voulant (par delà

46

ou d’origine […] La polémique m’a donc amené à le comprendre, l’esthétique du 46 Éric FASSIN, « La Race, ça nous regarde », op. cit. 47 Maxime CERVULLE, Dans le blanc des yeux, Diversité, racisme et médias, Paris, Amsterdam, 2013.

99

49

48 Éric FASSIN, « Exhibit B, Représentation du racisme et sousreprésentation des minorités raciales », op. cit. 49 Pascal BLANCHARD, « Exhibitions, une exposition qui décolonise le regard », RFI, 05-12-2011. 50 Ibid.

51 Lotte ARNDT, « Une mission de sauvetage », op. cit. 52 Krzystof Pomian, « La Culture de la curiosité », 1982, Collectionneurs, amateurs et curieux, Paris, Venise : XVIe - XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, 1987. 53 Patricia FALGUIÈRES, « Du cabinet de curiosité à l’invention du sauvage », conférence au musée du quai Branly, 14 janvier 2012.


intervenu dans le régime de visibilité au

théoricienne cubo-américaine Coco

l’île Guatinau ayant pour habitants

sens de Foucault : alors que, aux XVIe

Fusco et de l’artiste chicano Guillermo

les Guatinauis, laquelle venait seule-

et XVIIe siècles, la visibilité émanait du

Gómez-Peña, Couple in the Cage, Two

ment d’être découverte et était restée

pouvoir royal, exposant dans ses actes

Undiscovered Amerindians Visit the West,

jusqu’alors à l’abri de la civilisation

les plus intimes le corps du roi, les zoos

dont la première eut lieu à Madrid sur

occidentale, eux-mêmes ne parlant ni ne

humains, eux, participaient d’un régime

la Columbus Plaza en 1992 à l’occasion

comprenant ni l’anglais ni l’espagnol…

visuel invitant à regarder sans gêne le

des controverses engendrées par la

où, lors de chaque présentation, ils se

spectacle d’êtres humains dans les situ-

commémoration par l’Unesco de la

faisaient eux-mêmes enfermer pendant

ations les plus dégradantes (en même

prétendue découverte de l’Amérique par

trois jours consécutifs à raison de huit

temps que les zoos humains poursuiv-

Christophe Colomb en 1492. Comme le

heures par jour dans une cage dûment

aient un but idéologique, populariser le

relate Gómez-Peña , "In 1992, during the

cadenassée par des acteurs déguisés

projet impérial en métropole, différent

heated Columbus debates, Coco Fusco and

en gardiens qui les y emmenaient (ainsi

également de celui, à la même époque,

I decided to remind the United States and

qu’aux toilettes) tenus en laisse et les

des freak-shows dont la visée était princi-

Europe of “the other history of intercul-

nourrissaient de bananes tout en établis-

palement commerciale).

tural performance” : the human exhibits,

sant le contact avec le public, l’intérieur

pseudo-ethnographic tableaux vivants ».

de la cage étant meublé de façon

55

Régime reproduit, soutient Arndt,

outrancièrement kitsch, mélangeant

par l’exposition elle-même, quelle

Performance présentée par la suite

en tout anachronisme (tout comme les

que fût son intention de décoloniser

non tant dans des musées d’art (mis à

déguisements des deux performers)

le regard, replaçant le public exacte-

part le Whitney Museum à New York à

les appartenances culturelles les plus

ment dans la position dans laquelle

l’occasion de la fameuse biennale de

hétéroclites, des Aztèques à Walt Disney,

était celui des zoos humains, sans que

1993) que dans des musées d’histoire

cependant que l’extérieur affichait un

jamais l’exposition ait donné à voir les

naturelle et, surtout, comme c’était déjà

faux article de l’Encyclopaedia Britan-

sujets « exhibés » autrement qu’en tant

le cas à Madrid, sur les places publiques,

nica sur l’île Guatinau illustré d’une carte

qu’objets passifs, et sans qu’elle se soit

en dehors, à la différence d’Exhibit B,

non moins fictive, ainsi que toute une

interrogée comme elle aurait dû sur

de toute référence explicite à l’art, en

documentation sur les zoos humains du

l’enchevêtrement entre la production

dehors de toute identité artistique

siècle passé, eux-mêmes étant occupés

de l’altérité raciale et les régimes genrés,

proclamée : ce que j’ai appelé de l’art

à des tâches allant de la confection de

pas davantage que sur son lieu, le musée

sans identité d’art , comme pouvaient

poupées vaudou à l’utilisation d’un

dit du quai Branly, voué pourtant qu’est

l’être déjà à leur façon les présumés

ordinateur portable … et où le public

celui-ci à la séparation entre « Nous » et

« arts primitifs » eux-mêmes, tout en

avait la possibilité de payer une somme

les « Autres ».

s’inscrivant elle-même explicitement

modique pour les faire danser sur de

dans la tradition coloniale des zoos

la musique rap ou leur faire raconter

Mais encore voudrais-je ajouter, à

humains. Performance n’en affichant

des légendes de leur île en une langue

titre de comparaison, une pièce sup-

pas moins, pour sa part, un mode car-

inventée de fond en comble, ou encore

plémentaire au dossier, au demeurant

navalesque, où Fusco et Gómez-Peña

pour se faire photographier en leur

citée par Blanchard lui-même … La

se donnaient pour deux autochtones

compagnie,

performance rejouée à maintes reprises

d’une île fictive du golfe du Mexique,

Fusco entendant, comme elle le précise

54

un peu partout dans le monde (ou, si l’on préfère, le cycle de performances), collaboration de l’artiste, curator et 54 Pascal BLANCHARD, « Exhibit B force à voir le racisme les yeux dans les yeux », op. cit.

100

56

55 Guillermo GÓMEZ-PEÑA, The New World Border, Prophecies, Poems & Loqueras for the End of the Century, San Francisco, City Lights, 1996. 56 Jean-Claude MOINEAU, « Pour un catalogue critique des arts réputés illégitimes », Contre l'art global, Pour un art sans identité, Paris, è®e, 2007.

dans l’article qu’elle a elle-même consacré à cette performance57, prendre 57 Coco FUSCO, « The Other History of Intercultural Performance », Drama Review, Vol. 38 n° 1, printemps 1994, tr. fr. partielle « L'Autre histoire de la performance interculturelle », 1994, Sophie ORLANDO, ed. Décentrements, Art et mondialisation, Anthologie de textes de


ses distances par rapport à « la pratique

davantage, s’insurgeant devant le fait

écrit : “Ce qu’il m’est arrivé d’appeler eth-

consistant à s’approprier et à fétichiser

que deux êtres humains puissent être

nologie ‘inversée’ s’apparente beaucoup

le primitif » et aux présumés prolonge-

mis en cage et ainsi exhibés, le public,

moins à une espèce de retour sur soi qui

ments contemporains du primitivisme

relève Fusco , rejetait « la possibilité que

s’enrichirait de l’expérience d’autrui qu’à

dans la « performance d’“avant-garde“ »

l’Autre puisse donner de lui-même une

un retour sur les questions que nous

dont a pu se réclamer quelqu’un comme

image volontairement ironique [quelle

avons adressées aux autres et dont nous

le poète essayiste états-uniens Jerome

qu’ait pu être pourtant la tradition de

mesurons peut-être mieux le sens et la

Rothenberg selon lequel, désormais,

l’ironie pratiquée sur soi] ; même ceux

portée lorsque nous nous les adressons

après l’épisode impérialiste reposant

qui avaient compris qu’il s’agissait d’une

à nous-mêmes“ ».

sur l’opposition dominants/dominés, le

performance semblaient prendre plaisir

mythe du progrès et le paradigme de

à cette fiction, et payaient pour nous

Ce qui impliquerait une nouvelle mou-

la culture occidentale, émergerait un

voir exécuter des tâches parfaitement

ture, en osmose avec l’ « actualité de

nouveau paradigme —paradigme ou

stupides et humiliantes »,

l’anthropologie », de l’artiste comme

stéréotype?— basé sur la convergence

des tâches, là encore, faisant perdre

ethnographe au sens d’Hal Foster64,

supposée entre rituel primitif, transe,

toute dignité à ceux qui les exécutaient,

Lamy Beaupré parlant lui-même

chamanisme… et performance, event et

comme, lors de Rhythm 0 d’Abramović,

d’ « anthropologie performative » là

happening inclus.

les spectateurs en rajoutaient volontaire-

où, pour éviter l’habituelle confusion

ment encore aux souffrances endurées

avec la perfomativité au sens d’Austin,

« Notre performance, déclare Fusco,

par la performeuse au moyen des divers

il serait cependant préférable de parler

était interactive, l’accent portant moins

accessoires, allant de la fourchette à la

d’ « anthropologie performancielle ».

sur ce que nous faisions nous-mêmes

lame de rasoir et au pistolet, mis à leur

Anthropologie donc du public lui-

que sur les réactions des spectateurs

disposition.

même, à défaut, quoi qu’il en soit, du

58

59

et la manière dont ils interprétaient

public comme ethnographe ?

nos actions », encore que, reconnaît-

« Tout en interprétant un couple de faux

Du public comme son propre

elle, « nous n’avions pas prévu que ce

Amérindiens, les deux artistes, observe

ethnographe ?

qui constituait pour nous une parodie

Jonathan Lamy Beaupré60, jouent à être

critique du zoo humain serait perçu

des performeurs-anthropologues du

comme crédible. […] Nous ne pensions

monde colonial contemporain. Fusco61

pas que notre travail serait interprété

utilise l’expression “reverse ethnology“

de façon aussi littérale. Dans toutes les

et Gómez-Peña62 celle de “performance

villes, plus de la moitié des visiteurs ont

as reversed anthropology“ pour qualifier

cru à notre fiction et nous ont pris pour

leur démarche conjointe, qui s’inspire de

d’“authentiques“ indigènes »

la réflexion menée par certains anthro-

alors pourtant que l’on aurait pu penser

pologues à la même époque. Dans son

que cet art se voulant sans identité d’art

ouvrage Le Sens des autres, Marc Augé63

était trop manifestement artistique

59 Coco FUSCO, op. cit.

… Et, alors que les deux performers

60 Jonathan LAMY BEAUPRÉ, Du stéréotype à la performance : les détournements des représentations conventionnelles des premières nations dans les pratiques performatives, Montréal, Université du Québec, 2012.

auraient souhaité que le public réagisse 1950 à nos jours, Paris, Centre Pompidou, 2013. 58 Jerome ROTHENBERG, « New Models, New Visions, Some Notes Toward a Poetics of Performance », Michael BENAMOU & Charles CARAMELLO, ed. Performance in Postmodern Culture, Coda Press, Colchester, 1977.

101

61 Coco FUSCO, op. cit., partie non traduite. 62 Guillermo GÓMEZ-PEÑA, op. cit. 63 Marc AUGÉ, « Les Autres et leurs sens », 1989, Le Sens des autres, Actualité de l'anthropologie, Paris, Fayard, 1994.

64 Hal FOSTER, « What’s New about the Neo-Avant-garde ? » , October n°70, The Duchamp Effect, Cambridge, Mass., Fall 1994. Une nouvelle version de ce texte est parue sous le titre « Qui a peur de la néo-avant-garde ? », Le Retour du réel, Situation actuelle de l’avantgarde, 1996, tr. fr. Bruxelles, La Lettre volée, 2005.


ART TALK

Art, anthropology, and museums: Post-colonial directions in the United States

By Sally Price Images: works by Marcel Pinas. Courtesy of the artist

“BEFORE 1980 MOST MUSEUMS WERE RATHER STODGY PLACES WHERE LITTLE HAPPENED BUT SINCE THEN THEY HAVE BECOME HOTBEDS OF CONTROVERSY AND LIGHTNING RODS FOR CULTURAL CRITIQUE.”

end of anthropology’s “classical period”

Against the background of these

(1992:342-72).

developments, anthropologists were experiencing a growing sense of

In terms of the larger picture, the United

malaise over traditional practices in

States was bristling with embryonic indi-

their discipline. Fieldwork, once “the

cations of what were to become modest

study of dark-skinned 'others' by light-

shifts away from the country’s long-

skinned Euro-Americans [aimed at]

standing practice of publicly privileging

the recovery of pure, uncontaminated

Euro-Americans, men, heterosexuals,

'otherness'” (Stocking 1992:358), was

(Shepard Krech III, “Museums, Voices,

the physically able, and the economi-

gradually being seen as no longer viable

Representations”)

cally privileged. The demands of the

in that form, as its principal subjects

Civil Rights movement were inching for-

assumed new post-colonial identities.

Over the past half-century, changes

ward, most notably by the 1963 March

Anthropologists (at least many of them)

in political, cultural, demographic,

on Washington and the Civil Rights Act

were beginning to realize that the image

and academic realities in the United

of 1965; the Black Power movement was

of their research as “objective science”

States have contributed to a significant

making headlines on a daily basis; the

needed to be seriously re-thought in

reorientation in the museological

feminist movement was passing beyond

order to take the new perspectives

representation of difference. This essay

its earlier focus on voting rights to a

into account. One of a multitude of

weaves in and out of these different

broader demand for the reassessment

contributing factors was the Central

contexts in order to explore some of

of women’s roles in society; protests

Intelligence Agency’s recruitment

the ways in which anthropology and

against the Vietnam War, and the impe-

of anthropologists (sometimes real,

art history have been nudged in new

rialist agenda that was seen as driving

sometimes imagined), which came to

directions, with important consequences

it, were getting off the ground; and the

a head in 1964-65 with the exposure

for museums and their publics.11 I begin

struggle for gay rights and the rights

of “Project Camelot” (putting a new

in the 1960s, a pivotal moment that, as

of the handicapped was beginning to

face on the old discomfort about ties

George Stocking has argued, marked the

heat up. The increasing visibility and

between anthropology and colonialism)

activism of “counter-cultures” of various

and furthered a strengthening sense of

stripes could not help but have impor-

obligation toward the peoples whose

tant implications both for the practice of

lives were being studied.2

1 Much of relevance is inevitably left out of this reflection on fifty years of political, cultural, and academic developments. Jim Clifford describes his essay on the past 25 years since Writing Culture as “painting with a broom” (2012:423); my wrap-up here might better be likened to tracing a few selected pieces of the painting with a toothpick. Parts of this paper were originally presented at an international conference, “Beyond Modernity: Do Ethnography Museums Need Ethnography?” (Rome, Museo Nazionale Preistorico Etnografico L. Pigorini. 18-20 April 2012).

102

anthropology and for the depiction of the mainstream’s “Others” in museums.

2 A half-century later, debates about the military’s use of “Human Terrain Teams” in Iraq and Afghanistan brought these same issues back into discussion. See Gonzalez 2008 and D. Price 2011.


Marcel Pinas, Afaka. Courtesy of the artist

103


ART TALK At the same time, some of the

about to undertake field work through-

One consequence of this general

intellectual energy that had been

out the 1960s (Sturtevant 1959). But as

reorientation was a vigorous rejection

directed to anthropological field studies

sensitivities to the people who were

of the long-standard form and sub-

and their findings was being siphoned

being studied moved center-stage, such

stance of ethnographic monographs,

off by the emergent field of “cultural

clandestine documentation was cast

which began to give way to a variety of

studies.” Originating in Britain, this

in a newly negative light, as the folks

experimental texts. For example, Paul

new, highly interdisciplinary amalgam

once routinely depicted as “informants”

Rabinow’s writing on Morocco (1977)

shared anthropology’s interest in social

became recognized as individuals with

humanized the fieldwork experience

and cultural issues, but set them in a

rights to transparency by the people

through reflections on the relation-

new environment, far from the study of

investigating their lives.

ships between the anthropologist and

“dark-skinned 'others' by light-skinned

those whose culture was being studied;

Euro-Americans,” by attracting scholars

Key to all this was a diminished focus

Renato Rosaldo’s on the Ilongot (1980)

from a wide variety of ethnic and

on cultural isolates, as anthropologists

showed the relevance of history to the

national origins and bringing in global

began to set the societies and cultures

kinds of people once imagined to be

power relations, literary theory, film

they studied into broader settings than

“timeless primitives”; Richard Price’s on

studies, ethnic studies, popular culture,

did their predecessors of the mid-twen-

the Saamaka (1983) used page design

political economy, and much more.

tieth century. Eric Wolf’s 1982 critique of

and distinctive typefaces to emphasize

a vision in which nations, societies,

perspectivality in oral history, colonial

By the early 1970s, proposals for the

or cultures were depicted as homoge-

archives, and ethnography; and Michael

“reinvention” of anthropology (Hymes

neous and externally distinctive and

Taussig’s on Colombia (1987) mixed

1969) were inspiring visions of the

bounded objects, spinning off each

genres to underscore an awareness

discipline that gave increased agency

other like so many hard and round

that facts cannot exist outside of their

to the people whose lives were being

billiard balls (1982:6-7) set the scene.

interpretation or truth outside of its

explored, and some of the formerly

Unlike earlier attempts to discern the

representation. Books like these were

unquestioned approaches to anthropo-

cultural traits that would distinguish one

actively dismantling and complicating

logical research were being scrutinized

people’s lifeways from those of another,

ethnographic authority, and they were

for their compatibility with the newly

anthropologists began directing their

rejecting the timeless anthropological

configured field. Take, for example, the

gaze more frequently toward the door-

concept known as the “ethnographic

longstanding practice of making secret

ways where social and cultural ideas

present” in favor of careful attention

field notes, recordings, and photographs

jostled each other in their passage from

to change over time. These shifts fore-

– a standard part of the ethnographer’s

one social or cultural setting to the next.

shadowed the demise of the traditional

tool kit well into the 1960s. One rather

And while the emphasis in ethnographic

ethnographic monograph and its claims

complexly worked out technique for

research had once been on abstracting

to uncontestable truth. Support for the

documenting a long ceremony with-

back from an overlay of modernity to

out revealing to the natives that their

discover uncorrupted cultural traditions ,

Clifford and George Marcus’s Writing

activities were being recorded, for

modernization came to be seen as lying

Culture in 1986 and James Clifford’s The

example, was published by the disci-

at the heart of the enterprise, providing

Predicament of Culture in 1988 – assured

pline’s flagship journal, the American

a springboard for explorations of cul-

that there was no turning back. As one

Anthropologist, and constituted recom-

tural creativity and selfaffirmation.

commentator put it, Writing Culture

3

mended reading for graduate students 3 Cultural studies originated as a named field in 1964 in Britain. In the United States the first doctoral program in Cultural Studies was inaugurated in 1994 (at George Mason University).

104

new turn – most importantly James 4

4 Think of Franz Boas holding up a blanket to block out the modern two-story houses behind the Kwakiutl natives he was filming for the anthropological record, as captured in the Odyssey series video devoted to this father of American anthropology.

introduced a new “skepticism about neat explanation and model-building in favor of a more mobile, open-ended


view of culture and society as a ter-

relationship between Western and non-

Just as anthropologists were moving

rain of hybridization, disjuncture, and

Western art.5 The “Te Maori” exhibition

beyond their traditional stomping

heteroglossia” (Starn 2012: 412). Talk of

at the Metropolitan Museum of Art was

ground of small-scale, “tribal,”

objective science was losing ground,

inaugurated by rituals in which sixty

or otherwise “primitive” societies, art

and in its place was talk of poetics and

Maori dignitaries in full regalia engaged

historians were showing less reluctance

politics, talk of fragments and partial

in chants, songs, dances, and war cries,

to take on materials outside of the usual

truths, talk of subalterns, reflexivity,

and greeted the mayor of New York

areas of their discipline, and doing

and subject positions.

City by rubbing noses. For the “Asante:

it with an increasingly sophisticated

Kingdom of Gold” exhibition at the

mastery of anthropological concepts,

Museums were not (yet) particularly

American Museum of Natural History,

as publications of the UCLA Museum

active participants in the newly

the Asantahene (King Otumfuo Opoku

of Cultural History (later the Fowler

configured vision of anthropology,

Ware II) made the trip from Ghana to

Museum) or important studies of African

but rumblings of change in the art

participate in opening ceremonies,

art by such scholars as Henry and

world were laying the groundwork

marching through Central Park with the

Margaret Drewal, can attest. Writings by

for a more collaborative (if sometimes

city’s mayor under a large silk umbrella,

art critic Lucy Lippard were particularly

confrontational) relationship between

accompanied by a procession of several

important in opening up the field of

anthropological and art critical

thousand participants. The IBM Gallery

art criticism by calling attention to

approaches to the exhibition of objects

of Science and Art exhibited the largest

the scope and vitality of the country’s

from beyond the Euro-American

assemblage of Northwest Coast Indian

multicultural art scene; for example,

orbit. The early to mid-1980s were a

artworks ever put on view. The African

her 1990 book, Mixed Blessings: New Art

moment of explosive interest in public

American Institute offered an exhibition

in a Multicultural America, provided a

presentations of what we might call

called “Beauty by Design: the Aesthetics

veritable “Who’s Who” of artists from

“ethnographic art.” A few signposts

of African Adornment.” The list could go

the entire spectrum. As a result of the

from the city of New York can serve to

on and on.

expanded field, the complex workings –

illustrate the trend. The Metropolitan

SETTING ART OBJECTS, ARTISTS’

social, cultural, economic, political – that

Wing, devoted to the arts of Africa,

BIOGRAPHIES, AND THE EVOLU-

or uncontested) meaning to the more

Oceania, and the Americas, in 1982;

TION OF STYLISTIC SEQUENCES

traditional matter of art objects and their

in 1984; and during 1984-85 New

MORE FORCEFULLY IN THE

greater prominence. At the same time,

York hosted a staggering series of

CONTEXT OF PERCEPTIONS

increased attention began to be given

non-Western art. “Primitivism in 20th-

CONDITIONED BY SOCIAL AND

strategies, auction politics, market

century art. Affinities of the Tribal and

CULTURAL FACTORS BROUGHT

dynamics, and collecting agendas.

Art was launched with six thousand

THEM CLOSER TO LONG-

ethnocentrism lurked in the foundations

people in attendance; in connection

STANDING ANTHROPOLOGICAL

of the edifice of connoisseurship

CONCERNS AND INTERESTS

Setting art objects, artists’ biographies,

Museum of Art opened its Rockefeller

the Museum for African Art opened

blockbuster exhibitions focused on

the Modern” at the Museum of Modern

with that exhibition, an impressive roster of anthropologists and art historians participated in a lively two-day seminar at the museum intended to open a new interdisciplinary dialogue on the

105

5 The exhibit, curated by historians of Western art with little in the way of ethnographic knowledge or anthropological sensitivities, inspired a barrage of critical reactions that helped shape approaches to ethnographic art for the ensuing decades. See, for example, Clifford 1985 and Foster 1985.

give structure, texture, and (contested

collective history began moving into

to scrutiny of museum ethics, curatorial

Even the very sensitive possibility that

became more widely recognized. and the evolution of stylistic sequences more forcefully in the context of perceptions conditioned by social and


ART TALK " WHILE MAINSTREAM MUSEUMS OF THE 1980S HAD BEGUN OPENING THEIR DOORS MORE READILY TO THE ART OBJECTS OF OTHER CULTURES, THEY WERE STILL SHOWING RELUCTANCE TOWARD THE IDEA OF WELCOMING THE DISCOURSES AND AESTHETIC SENSIBILITIES OF THE PEOPLE WHO HAD CREATED THEM " cultural factors brought them closer to

anthropologists and art historians

(1999: 3)

long-standing anthropological concerns

increased, and studies of tourist art,

In the museum world, the growing

and interests, and began eroding the

copies, fakes, appropriations, and deriva-

interest of art historians in non-Western

lingering temptation (stronger in some

tive forms began to attract increased

art inevitably brought with it hints

commentators than others) to view art

attention. Unpacking Culture, the fruit

of a (tentative, partial, ambivalent)

history as the pristine, apolitical study of

of collaboration between art historian

openness to the idea of including

aesthetic forms.

Ruth Phillips and anthropologist Christo-

direct participation by members of the

pher Steiner, elaborated on a point that

cultures represented in exhibitions of

In 1985, in recognition of this trend, the

I believe should have particularly impor-

ethnographic art. While mainstream

Johns Hopkins University established an

tant implications for museums, in that

museums of the 1980s had begun

innovative Ph.D. program, generously

it forces recognition of the influential

opening their doors more readily to the

funded by the National Endowment

role of collectors and art dealers in the

art objects of other cultures, they were

for the Humanities, that was designed

choices made by museums that pre-

still showing reluctance toward the

to train students in the intersection of

sent ethnographic art. Arguing that the

idea of welcoming the discourses and

anthropology and art history.6 And that

classic vision in which objects could be

aesthetic sensibilities of the people who

same year the gathering of art historians

categorized as either “art” or as “ethnog-

had created them. That is, regardless of

at the annual meeting of the College

raphy” was long overdue for revision,

whose art objects were being shown

Art Association hosted, for the very

they wrote:

in museum cases or illustrated in

first time in its history, panels on what

catalogues, the decisions about how

it was calling “ethnographic art” – a

For the past century or so, the objects of

to display them and the texts that

move considered so revolutionary that

cultural Others have been appropriated

authenticated and interpreted them

the participants in these panels, myself

primarily into two ... categories: the artifact

were still being kept in the hands of

included, were all flown out to the Getty

or ethnographic specimen and the work of

Euro-American curators – a practice that,

Foundation in California for several days

art, [fitting them into] scholarly domains

as Cuban critic Gerardo Mosquera has

of discussion about how best to make

defined in the late nineteenth century

pointed out, strongly favored “universal

our momentous entry.

when anthropology and art history

values” based on “Eurocentric and even

were formally established as academic

Manhattan-centric criteria” (1994:134).

7

As ethnographic arts began to be

disciplines. As a construction, however,

accepted as a legitimate field of art

this binary pair has almost always been

But by the 1990s cracks began to appear

historical interest, dialogue between

unstable, for both classifications masked

in the wall separating the representers

what had, by the late eighteenth cen-

and the represented. The change was

tury, become one of the most important

first evident in temporary exhibitions: as

features of objects: their operation as

early as 1991, for example, the American

commodities circulating in the discursive

Museum of Natural History took pains

space of an emergent capitalist economy.

to make its exhibit of Northwest Coast

6 I was named director of the program, but for reasons too complex and too personal to go into here I resigned from the university after the first year. The program, with insufficient support from the two departments, was dismantled a few years later. 7 My presentation at this meeting of the CAA, entitled “Primitive Art in Civilized Places,” was expanded into a book of the same name in 1989 and published in seven languages (see S. Price 2012).

106


Indian art (“Chiefly Feasts: The Endur-

hierarchies was not without virulent

cally Euro-American canon.8 Within the

ing Kwakiutl Potlatch”) a collaborative

opposition, and the heated battles over

larger battle, variant sexualities became

affair between New York curators and

attempts to promote multicultural or

the most mediatized target, with racial,

members of Northwest Coast societies

canon-challenging efforts in the United

ethnic, and religious differences follow-

(Jonaitis 1991). But it has been moving

States became a prominent part of what

ing close behind.9

into more general areas, as museums of

became known as the Culture Wars. On

various stripes (the Smithsonian in Wash-

the academic front, Harold Bloom, a

Government funding was at the heart

ington, the American Museum of Natural

distinguished professor of Humanities

of the matter “as both preachers and

History in New York, Brown University’s

at Yale, lashed out at the new embrace

politicians decried some art as sin-

Haffenreffer Museum, and others) have

of literature that reflected feminist,

ful, blasphemous, or unpatriotic [and]

convened advisory committees in order

Marxist, or multicultural agendas, mak-

sought to reduce or eliminate public

to integrate participation by native rep-

ing a plea (1994) for a return to the

funding for art in general (Yenawine

resentatives in decision-making about

traditional western canon centering on

1999:9). Left-leaning activists, working

their exhibition galleries and issues that

such authors as Chaucer, Shakespeare,

with little more than the strength of

have impact on their overall function-

Freud, and Beckett. On the political

their convictions, fought back, putting

ing (see, for example, Arnoldi 2005,

front, conservative groups such as the

together non-profit groups that pro-

Krech 1994). The most striking evidence

Christian Coalition fought against the

moted socially conscious art; the “Art

of this move toward native voices, of

use of tax dollars to support the arts

Matters” collective, for example, offered

course, was the establishment in 2004

and advocated the elimination of both

fellowships to artists whose work was

of the National Museum of the Ameri-

the National Endowment for the Arts

endangered by the chilling effects of the

can Indian, which is run by members of

and the National Endowment for the

culture wars and gave seed money to a

American Indian cultures. Indeed, the

Humanities. And they were empowered

number of organized efforts that directly

growing trend toward “collaborative

by the fact that Lynn Cheney (wife of

challenged the government’s position

anthropology” has had an important

Dick Cheney, later the country’s vice

on cultural funding and AIDS.10

influence on the way museums are

president under the second George

handling their collections; for just one

Bush) was directing the National Endow-

example, see the “10,000 Kwentos” pro-

ment for the Humanities (1986–1993),

ject, in which the Filipino community is

with strong support first from President

collaborating with the Field Museum in

Ronald Reagan and then from President

Chicago to document objects in storage

George Bush-senior. Under their watch,

(http://10000kwentos.org/ –accessed 20

government support for museum exhi-

February 2015).

bitions suffered a severe setback, with

8 For a detailed rundown on the political firestorm over government support for the arts and humanities, see Koch 1998. For a relatively exhaustive collection of statements by politicians, journalists, artists, and others, see Bolton 1992.

The museum world’s embrace of

for anything that failed to toe the line

9 One particularly prominent lightning rod was an exhibition of photographs by Robert Mapplethorpe, including depictions of black men in homoerotic poses. Accusations of pornography and attempts at censorship fought against the defenders of artistic freedom, and the battle was front-page news, as the Corcoran Gallery in Washington cancelled the show and the Cincinnati Art Museum’s right to exhibit Mapplethorpe’s photographs was debated in a highly mediatized obscenity trial. The outcry over Andres Serrano’s “Piss Christ” ignited another heated confrontation between conservative and liberal views, one that turned on religion rather than sexuality; one of my students in the United States, a devout Christian, refused to read an article on censorship in the arts that I had assigned because it mentioned this artwork – indication of how deep feelings run on these sorts of issues.

materials that questioned traditional

set by a Christian, heterosexual, ethni-

10 In spite of well organized collectives of art activists who pushed

particularly draconian consequences

107


ART TALK But in spite of their power, politicians like

seen as “constitutive of cultural mean-

1992:9-10).

Lynn Cheney were unable to squash the

ings” (Clifford 1991, 1997:3). Picking up

Concern about respecting the rights of

increasing eagerness of many academ-

on writing by Amitav Ghosh he evoked

sovereign nations concerning cultural

ics, critics, museum workers, and others

the airport transit lounge (or other

property had been animating lively

of a non-conservative bent to ques-

spaces of transient cultural crossings

debates about the very delicate issue

tion, and then reject, elitist hierarchies,

such as hotel lobbies, train stations,

of repatriation for decades, resulting

to reject the view of societies as static

or hospitals) as a replacement for the

in several international agreements.

cultural isolates, to reject the idea that

villages that had provided the conven-

The 1970 UNESCO Convention on the

external contacts compromised cul-

tional field site for an earlier era. One

Means of Prohibiting and Preventing

tural “authenticity” and to direct their

consequence of this new vision was for

the Illicit Import, Export and Transfer of

attention instead toward a fluid global

both tourism and airport art to shed

Ownership of Cultural Property was the

context in which ideas and practices

their former reputations as trivial or

first worldwide treaty on illicit traffic in

passed from one cultural setting to the

inauthentic subject matter for research-

cultural property. A Code of Ethics for

next. Even standard vocabulary reflected

ers and be upgraded to respectable

Museums was adopted by the Interna-

these trends, and the metaphor of travel,

fields of study in both anthropology and

tional Council of Museums (ICOM) in

borderlands, and contact zones was

art history.

1986 (and revised in 2004). And in 1995

11

everywhere. Chicano performance artist

the International Institute for the Unifica-

Guillermo Gómez-Peña captured the

Two monumental seminars at the

tion of Private Law (UNIDROIT) met in

flavor of this intently itinerating artworld

Smithsonian Institution, masterminded

Rome to draw up its convention on sto-

when he wrote: “I write in airplanes,

by Ivan Karp and his colleagues in 1988

len or illegally exported cultural objects.

trains, and cafés. I travel from city to city,

and 1990, explored every nook and

In the United States, passage of the

coast to coast, country to country, smug-

cranny of the newly conceptualized field

Native American Graves Protection and

gling my work and the work and ideas

as it concerned the museum world. At

Repatriation Act (NAGPRA) of 1990 was

of my colleagues. . . . Home is both ‘here’

the same time, a pair of wide-ranging

a key endorsement of native agency,

and ‘there’ or somewhere in between.

seminars organized by the Associa-

but there were also countless smaller

Sometimes it’s nowhere. . . . Here/

tion of Art Museum Directors in 1990

moves in the same direction. Respect

there, homelessness, border culture,

and 1991 convened an impressive slate

for native objections to the display of a

and deterritorialization are the domi-

of commentators to hash out ways of

Zuni kachina in the MoMA’s 1984 “Primi-

nant experience” (2001:5-6). Book titles

dealing with a situation in which, as the

tivism” exhibition was just one of many

also tell the story: The Traffic in Culture

organizers put it, the most visible people

early indications of the trend.13

(Marcus & Myers 1995), Routes (Clifford

of color in a majority of art museums are

1997), Destination Culture (Kirshenblatt-

either the guards or Education Depart-

Although the move toward a new vision

Gimblett 1998), and Unpacking Culture

ment staff working in the basement

of the relationship between Western

(Phillips & Steiner 1999), to name just a

with inner-city school children (Tucker

observers and the people whose lives

few. In the same spirit, James Clifford soundly rejected the idea that culture was centered in circumscribed places, arguing that “displacement” should be their agenda with passion and determination, the obstacles were daunting and feelings of deep frustration, even among the most dedicated warriors, were unavoidable (see Lippard 1999). “Art Matters” (formed in the early 1980s) ran out of funds in 1996, but was reignited in 2007, and has again been supporting a broad range of artists who are pushing aesthetic and social boundaries, this time with a specific focus on communication and collaboration across national borders (Yenawine 1999).

108

12

11 While Stocking is generally considered anthropology’s foremost historian, Clifford is its equally preeminent critic. Part of his persuasiveness in arguing for a fragmentary, de-centered vision of the field is carried by a writing style he has characterized as “snapshots.” He “tips the balance” of dialectics, “struggles, never quite successfully” to free terms from past connotations, peppers his prose with “hesitations,” and offers “questions, not conclusions” – “approaching warily,” “wandering around,” “wondering if,” “peering into,” and “worrying about” ideas, and in the end “troubling” or “complicating” interpretations, carefully avoiding any claim to have arrived at final truths. 12 These seminars were published as Exhibiting Cultures in 1991 and Museums and Communities in 1992, with a third carrying on the momentum under the title Museum Frictions in 2006 (see Karp et al. 1991, 1992, 2006).

they were studying was taking on steam in the anthropological community, it should be noted that members of the discipline were far from unanimous. Recognizing the ostensibly inevitable 13 For a thoughtful piece about the complexities (and ironies) of attempts to return museum objects to their original owners, see Appiah 2006. The essays in Brown 2003 explore cases of material and immaterial property rights from the United States and other parts of the world, making clear the thorny trade-offs involved in cultural property legislation.


"Recognizing the ostensibly inevitable demise of anthropology-as-usual in a “decentered, fragmented, compressed, flexible, refractive, post-modern world,” some anthropologists reacted by launching vehemently anti-postmodern attempts to “recapture anthropology’s authority,” thus saving it from what they saw as the “fuzzy populism and reverse snobbery” of the postmodernists." demise of anthropology-as-usual in a

to get on with their business, or whether

palpable in the larger society, and the

“decentered, fragmented, compressed,

they will continue their destructive social

media were quick to respond. Between

flexible, refractive, post-modern world,”

practices until the discipline collapses into

1990 and 1993 National Public Radio,

some anthropologists reacted by

the tiny warring camps of its subfields.

in cooperation with the Mexican

launching vehemently anti-postmodern

Others may envision an entirely new direc-

Museum of San Francisco, sponsored a

attempts to “recapture anthropology’s

tion for our unique discipline amid the

series of lavishly-supported meetings of

authority,” thus saving it from what

worldwide demographic shifts that we and

what it was calling the “Working Group

they saw as the “fuzzy populism and

our students will be facing in our research,

on a New American Sensibility,” aimed

reverse snobbery” of the postmodern-

our writing, and our very lives. What are

at broadening radio programming to

ists (see Fox 1991:1-16). A tipping point

our human and anthropological futures?

include voices from every segment of

came when anthropologists Barbara

(1995)

the country’s increasingly multicultural

and Dennis Tedlock, researchers in the

population. Prominent members of the

verbal and visual arts, became editors

The journal’s format was enlarged to

whole range of African American, Native

of the discipline’s flagship journal, the

allow for the inclusion of visual materi-

American, Asian American, Caribbean

American Anthropologist. Their opening

als, and the content shifted perceptibly

American, and Chicano communi-

editorial called for “new forms of field

toward essays that included more on

ties, joined by a token White minority,

research and new forms of representa-

the arts and literature, with a concomi-

met to hash out ideas about ways to

tion,” and addressed the debate within

tant decrease in “hard science.” All this

integrate their fellows more fully in

anthropology head-on.

caused outrage among anthropologists

American media – radio and beyond.14

working in more traditional “scientific”

At the same time, the format of televi-

In the work of our younger colleagues,

modes, from componential analysis to

sion news coverage sheered away from

especially, we see more and more signs

ethnoscience, who nearly came to blows

centralized one-man authorities – best

that the traditional architecture of the

with the “postmodernists” during a fiery

epitomized (until 1980) by Walter

discipline is obsolete. We hope they will

confrontation in the plenary meeting of

Cronkite – and began recounting events

have the courage to ignore the cries of

the American Anthropological Associa-

more frequently through a patchwork

those who say they are not doing “real”

tion of 1995. At the same time,

of ethnically, culturally, and regionally

this or “real” that, and carry on with the

the Tedlocks received anonymous death

diverse voices.

work of remodeling our discipline. ... Some

threats.

may even try to predict whether anthropologists will stop their gatekeeping, name

Meanwhile, empathetic attention to the

calling, and rumor mongering in time

country’s rising multiculturalism was

109

14 This initiative was organized by Peter Pennekamp (Vice President for Cultural Programming, NPR) and Virginia Fields (Los Angeles County Museum of Art). Participants included: Marie Acosta-Colon, Henry Louis Gates Jr., Suzan Harjo, Steven Lavine, Lawrence Levine, Mari Matsuda, Raymund Paredes, Richard Price, Sally Price, Bernice Johnson Reagon, Jack (John Kuo Wei) Tchen, Trinh Minh-ha, Marta Vega, Jim West, and Tomás Ybarra-Frausto.


ART TALK These interlocking developments in

definers and the defined” (1987:190).

and the environment are up against

national, cultural, and academic poli-

The embrace of new voices has been

formidable and intransigent opponents.

tics (whether seen as “postcolonial,”

particularly game-changing for public

(We don’t need to go as far as the Arab

“postmodern,” “counter-hegemonic,”

culture, for art history, for anthropology,

world to understand the potentially

“reflexive,” or some other characteriza-

and for museums, as the people whose

destructive consequences for culture

tion) have fueled dialogues on every

lives they represent, whether in books

of a coalescence of religious fervor

aspect of life in the United States, from

or buildings, have begun to speak more

and political power.) Inevitably, and at

(for example) university admissions,

frequently for themselves. Individuals

unforeseeable moments, these kinds of

welfare programs, immigration laws,

once anonymized into generic repre-

leanings in national politics cast their

and gay rights legislation to the three

sentatives of their respective cultures

shadow on the art world and museums,

domains (art, anthropology, museums)

are now being named. Global travel,

thrusting a bundle of religious, legal,

that have formed the focus of this essay.

educational opportunities, identitarian

and art critical arguments into public

In an academic context, this has meant

politics, immigration patterns, and new

debate.17

the demise (or at least partial abandon-

technologies for communication have

ment) of an earlier tendency to view art

created a world in which the people

Although this essay has focused exclu-

history (and art criticism) as the pristine,

whose lives are featured in ethnographic

sively on the United States, it’s worth

apolitical study of aesthetic forms, and

museum exhibits are increasingly well

noting that other parts of the world have

anthropology as the equally pristine,

positioned to explain their history, their

been experiencing many of the same

apolitical study of cultural isolates. But

cultural practices, their artistic traditions,

debates concerning museum handling

the developments in question have

and more in their own way, without

of cultural difference. I conclude this

roots quite separate from the halls of

always passing through the intervention

essay with very brief remarks on a few of

academia in which these disciplines

of Western interlocutors. In much of the

the museums environments with which

are molded and passed on to new

U.S. museum world, they now partici-

I’ve had at least passing contact to give

generations. It’s safe to generalize that

pate in decision making of all kinds,

some sense of the variety of forms this

developments in both the United States

from modes of exhibition and the sub-

can take.18

and the global arena mean that the priv-

stance of interpretation to acquisition

ilege once enjoyed by Euro-Americans

policies and debates about repatriation.

Canada has been even more pro-active

as spokespeople for distant cultures has

None of which is to say that the glass

than the United States in terms of

been diluted. As a result, the museum

is more than half full in terms of the

giving voice to its native populations.19

world has experienced a (partial)

relationship of art, anthropology, and

breakdown in the divide that Gerardo

cultural difference in the United States.

report, “Turning the page – forcing new

Mosquera pointed to between “curated

Since 2009, “Tea Party” politics have

partnerships between museums and

cultures” and “curating cultures”

emboldened and empowered grow-

First Peoples,” collaborative research

(1994:135). In anthropology, the once-

ing numbers of fundamentalist (often

and indigenous curatorship (some

clear separation between the home

evangelical) conservatives, with the

populations of “the ethnographers and

result that people who do not share

the ethnographized” (Marcel Maget,

their views of everything from education

cited in Sherman 2011:24) no longer

and sexuality to health care, gun control,

holds as clearly as it once did. And more generally we can talk of an incipient blurring of the distinction between what novelist Toni Morrison ironized as “the

110

15

Prompted partly by a 1992 task force 16

15 As one commentator put it in 1994, “Anonymous has a Name” (Walker 1994). 16 As Ruth Phillips notes: “To identify oneself as an art historian of ‘tribal’ art is even now considered an oxymoron by many ‘mainstream’ art historians” (2011:107).

17 In 1999, the mayor of New York tried to close the Brooklyn Museum of Art because he took one of the artworks on exhibit as blasphemous to his Catholic faith. See Rothfield 2001 for an excellent collection of reflections on this highly mediatized case. 18 My thanks to colleagues who provided help with the final paragraphs of this paper: Ivan Bargna, Olivia Gomes da Cunha, Marc-Olivier Gonseth, Guido Gryseels, Lotten Gustafsson Reinius, Clare Harris, Paola Ivanov, Maria Camilla De Palma, Giovanna da Passano, and Solen Roth. See also the recent overview of European ethnographic museums by Clare Harris and Michael O’Hanlon (2013). 19 For discussion of the situation in Canada by two key participants, see Ames 1992 and Phillips 2011.


of it concentrated in an “Aboriginal

addressed homelessness,

essay, opening up and fueling crucial

Curatorial Collective”) have been on the

the distribution of water supplies,

debates on every aspect of visions of

rise. Increasing numbers of exhibits are

the position of women, health,

cultural difference.20

addressing contemporary (including

rural development, the rise of new urban

urban) Aboriginal life. In addition,

cultures, and various dimensions of

In England, the venerable Pitt Rivers

the Native American Art Association

popular culture, all of which has moved

Museum has mounted an active “artist-

(founded in 1981) reflects growing

the institution’s identity very far away

in-residence” program and is making a

emphasis on interdisciplinary dialogue

from its origins as a late nineteenth-

special effort to include contemporary

between art history, museum studies,

century colonial museum.

materials that contest the authenticity/

indigenous studies, and anthropology.

traditionalism modes of past exhibits. It

In Brazil, the Instituto Brasileiro de

In Sweden, Stockholm’s Museum of

has also inaugurated a research

Museus (IBRAM), created under Gilberto

Ethnography has been mounting

project that will return digital copies

Gil’s tenure as minister of culture (2003-

exhibitions focused on such issues as

of photographs currently housed in

2008), has worked to revitalize popular

Scandinavian participation in the Congo

Europe to their Australian Aboriginal

social groups interested in preserving

Free State, the presence of human

subjects’ descendants, providing a major

their own culture by offering govern-

remains in Swedish collections, and cur-

Indigenous heritage resource. And it has

ment support to a network of Pontos de

rent repatriation debates.

collaborated with the British Museum

Cultura – grass roots organizations from

on a project to put online over 6000

carnival groups and museums located in

In Belgium, the once-stodgy Royal

photographs taken in Tibet over a thirty-

favelas to a range of other local collec-

Museum of Central Africa in Tervuren is

year period, with user-friendly functions

tives. And mainstream museums have

actively redefining itself from a classical

that invite participation of various kinds

been experimenting with intercultural

colonial museum to a model of post-

from Tibetans (comments on the photos,

curating; São Paulo’s Museu de Arqueo-

colonial sensitivities, including critical

identification of individuals, etc.).

logia e Etnologia, for example, brought

attention to colonialism, the recruit-

Kayapo Indians (chosen by their com-

ment of African input, partnerships with

In Germany, collections of Berlin’s

munity) to the museum to collaborate

more than twenty countries in Africa,

Ethnological Museum are being readied

on the documentation of its collection,

and close collaboration with the African

for their new home in the Humboldt

which led to interesting insights about

diaspora in Belgium.

Forum which will in a few years be

the openness of cultural context to

housed in the re-erected Prussian palace

changes over time (Gordon & Silva 2005).

In Switzerland, the Ethnographic

in the city’s center. There, curators have

In the Netherlands, Amsterdam’s

Museum of Neuchâtel has for decades

expressed their goal as a focus on the

Tropenmuseum has undergone a

been mounting innovative exhibitions

colonial past (including violence) and

fundamental reorientation, begun in the

that decenter anthropological authority

the history of the collections, as well

1960s, partly in response to an initiative

and interrogate the ethical, philosophi-

as a deconstruction of the concept of

by the Dutch Ministry of the Exterior

cal, and political foundations of field

“authenticity” and a rejection of the idea

to encourage social consciousness

collecting, art collecting, museum

of non-historical “traditional” cultures.

of problems such as poverty and

strategies, and more. The catalogues for

They also point to ongoing exchanges

discrimination. A major vehicle for its

a staggering parade of exhibitions, from

concerning human remains and

activist turn was the creation of “living

“Collections Passion” (1982) to “Le Musée

collaborative exhibition projects with

environments” for what it was calling

Cannibale (2003) and beyond, constitute

source communities.

“the South” (Africa, South America,

a veritable library of insightful reflections

Southeast Asia, etc.). Exhibitions have

on the issues addressed in the present

111

20 An introduction to the MEN’s publications, each of which includes essays from a large number of contributors, can be found at http://www.men.ch/expositions (accessed 20 February 2015).


ART TALK In Italy, the Luigi Pigorini museum

Sally Price has taught anthro-

Clifford, James. 1985. “Histories of the Tribal

in Rome has been encouraging various

pology and art history in the

and the Modern.” Art in America 73(4):164-177.

stakeholder communities to participate

United States, Brazil, and France.

actively in the conceptualization and

Her areas of specialization are

Clifford, James. 1988. The Predicament of

realization of exhibitions and organ-

African American art (in North

Culture: Twentieth-Century Ethnography,

izing international colloquia designed

America, South America, and the

Literature, and Art. Cambridge MA, Harvard

to explore cutting-edge thinking about

Caribbean), primitivism, muse-

University Press.

ethnographic museums. And the

ums, gender, and Maroons of

Castello d’Albertis Museum in Genoa

the Guianas. She is the author

Clifford, James. 1991. “The transit lounge of

has been inviting the participation of

or co-author of sixteen books,

culture” (review of The Imam and the Indian

American Indians (Hopi, Cree, Bororo) in

including a novel, Enigma Varia-

by Amitav Ghosh). Times Literary Supplement,

its permanent exhibitions, incorporating

tions, about a French art forger

Friday, May 03, pp. 7-8.

contemporary materials that challenge

in Guyane. For details, see her

traditional notions of authenticity,

site: www.richandsally.net.

mounting exhibitions focused on critical approaches to the colonial past, and encouraging collaboration between anthropologists and art historians. At the same time, efforts by museums like these to move beyond traditional “primitivizing” tendencies in their country’s museum world are facing a daunting uphill battle; as Giovanna da Passano makes clear in her evaluation of the state of Italian approaches to African art and culture (2010), many Italian museums are (like many of those in France ) still largely out of synch with 21

the kinds of developments in other parts of the world that have been the subject of this essay.

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This essay was originally published in Spanish as “Arte, Antropología y Museos: Orientaciones Post-Coloniales en los Estados Unidos” (Éndoxa: Series Filosóficas 33, 2014, pp. 143-164

21 See de l’Estoile 2007, Murphy 2009:14-15, and S. Price 2011. As recently as 2011, a catalogue published by the Quai Branly Museum depicted French colonialism as a largely generous effort to lift Africans out of a state of chaos and brutality (Leloup 2011:65). James Clifford holds out a tentative sliver of hope that “perhaps” France will eventually come around (2012:418-419).

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Starn, Orin. 2012. “Writing Culture at 25.” Cultural Anthropology 27(3):411-416. Stocking, George W. Jr. 1992. The Ethnographer’s Magic and Other Essays in the History of Anthropology. Madison, University of Wisconsin Press. Sturtevant, William C. 1959. “A Technique for Ethnographic Note-Taking.” American Anthropologist 61:677-678. Taussig, Michael T. 1987. Shamanism, Colonialism, and the Wild Man. Chicago, University of Chicago Press. Tedlock, Barbara & Dennis Tedlock. 1995. “From the Editors”, American Anthropologist 97: 8-9. Tucker, Marcia (ed.). 1992. Different Voices: A Social, Cultural, and Historical Framework for Change in the American Art Museum. New York, Association of Art Museum Directors. Walker, Roslyn Adele. 1994. “Anonymous has a Name”, in The Yoruba Artist: New Theoretical Perspectives on African Arts, Rowland Abiodun, Henry J. Drewal, & John Pemberton III (eds.). Washington DC, Smithsonian Institution Press, pp. 90-106.

114


Marcel Pinas, Libi_II. Courtesy of the artist

Marcel Pinas, A Ja Ude. Courtesy of the artist

115


PLACES

Réouverture du Musée National à Yaoundé Un boeing de 5000 mètres carrés

Propos recueillis par Martin Aguissa Photos: Scott Herbert Studio 360 Imaging

Début 2015, Le Musée National du Cameroun a réouvert ses portes en grande pompe à Yaoundé sous l’initiative de Ama Tutu Muna, la Ministre des Arts et de la Culture. C’est en 1988 que cette institution a vu le jour, quand le chef de l’Etat, Paul Biya décida de transformer l’ancien palais présidentiel en Musée National. Après un fonctionnement timide, le Musée ferma en 2008. Aujourd’hui, le Musée revit, transformé par cinq années de rénovation. Sa mission : « raconter notre histoire au monde » explique la Ministre Ama Tutu Muna, qui pense qu’il est essentiel de « savoir d’où nous venons pour savoir où nous allons ». Afrikadaa a visité le Musée et rencontré la directrice du patrimoine au Ministère des Arts et de la Culture, Marthe Medou.

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collections du Musée National du Cameroun

Pouvez-vous nous présenter l’architecture du Musée ?

Quelle est la fonction du Musée National du Cameroun ?

Le Musée National est un édifice de type

Le Musée est un espace dédié à

colonial construit dans les années 30.

l’acquisition, conservation, préserva-

Ce bâtiment a été la résidence des gou-

tion et présentation des collections

verneurs français dont le commissaire

muséographiques. C’est un lieu de

Marchand, avant de devenir en 1960,

mémoire et le symbole de l’histoire et

lors de l’Indépendance du Cameroun,

de la culture du Cameroun, patrimoine

la résidence officielle du premier prési-

dont chaque camerounais doit être fier.

dent de la République du Cameroun,

Le Musée National véhicule l’amour de

Amadou Ahidjo. C’est à ce moment que

la patrie. Un décret du Premier Ministre

le bâtiment principal a été agrandi et

datant du 30 avril 2014 précise que le

deux ailes latérales ont été construites.

Musée National doit concilier éduca-

Aujourd’hui, le Musée National s’étend

tion, recherche et formation et favoriser

sur plus de 5000 m2 et comprend

la connaissance des cultures camer-

également des jardins et une esplanade

ounaises. C’est un véritable écrin de

de près de 1500 m2. C’est un édifice

l’histoire.

unique et majestueux, lieu idéal pour représenter la diversité et la richesse de

Quelles sont les collections du Musée ?

la culture camerounaise. Les collections sont présentées à la fois

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dans les salles d’expositions et dans le jardin du Musée et abordent plus d’une vingtaine de thématiques. Le visiteur découvre des objets d’art et des pièces d’artisanat traditionnels tels que les instruments de musique anciens, les vêtements et costumes traditionnels, ainsi que des œuvres artistiques plus contemporaines. Une aile du musée est consacrée à des archives photographiques qui retracent l’histoire du Cameroun, Une exposition y présente les symboles de l’Etat, une autre intitulée « Pouvoirs et Sociétés » témoigne de la cohabitation pacifique entre les pouvoirs moderne et traditionnel. Le Musée offre également a voir des vestiges archéologiques, dont certains remontent plus de 50 000 ans avant JésusChrist et qui retracent l’histoire du pays. Nous mettons en valeur les différentes fouilles archéologiques telle que celle


conduite le long du pipeline Tchad – Cameroun entre 2000 et 2004. Nous tenons à valoriser l’archéologie, domaine méconnu mais porteur de croissance.

Comment favorisez-vous l’accès du grand public au Musée ? La Ministre des Arts et de la Culture a organisé des journées portes ouvertes en novembre dernier, lors de la commémoration de l’accession à la présidence de Paul Biya. Pendant un mois entier, les Camerounais sont venus nombreux visiter le Musée. Depuis l’ouverture officielle en janvier dernier, des tarifs d’entrée adaptés ont été mis en vigueur afin que tout le monde ait accès au Musée. Les jeunes, étudiants et groupes scolaires bénéficient notamment de tarifs avantageux. Ils sont venus en nombre lors de la Fête de la Jeunesse.

Qu’est ce qui est envisagé pour susciter l’intérêt chez les enfants ? Le Musée National est destiné à tous les Camerounais sans exception. On dit que le Cameroun, c’est l’Afrique en miniature, et c’est ce que le Musée veut transmettre. Il est important que les enfants acquièrent la culture d’aller au Musée et prennent conscience de leur culture. C’est la raison pour laquelle Ama Tutu Muna tient à souligner la richesse immatérielle des collections et des objets d’art. C’est dans cet esprit que nous avons comme projet la mise en place d’un « village patrimonial » qui ferait vivre le savoir-faire traditionnel à travers des contes, des proverbes.

Rencontre avec Lydienne Billong, Guide au Musée National : Vous travaillez au Musée National du Cameroun en tant que guide. Peut avoir une idée sur la formation reçue ? Nous sommes tous des passionnés d’art et d’histoire et nous avons un parcours personnel solide dans ces domaines. J’ai étudié les civilisations africaines. Certains de mes collègues ont des diplômes en histoire ou archéologie par exemple. Par la suite, afin de devenir guide du Musée National, nous avons suivi une formation spécifique et rig-

Oui, mais ce n’est qu’un début. Nous souhaitons accueillir encore plus de monde, des Camerounais comme des étrangers. C’est un plaisir de pouvoir échanger avec ses frères, comme avec ceux venus de plus loin, et d’expliquer qui nous sommes et de montrer les quatre aires géoculturelles du Cameroun. J’aime comparer le Musée National à un aéroport. Et dans cet aéroport il y a un Boeing qui mesure 5000 m2, je vous invite tous à venir savourer ce voyage en passant de la savane, la forêt équatoriale à la plaine côtière et montagnes des grassfields.

oureuse de deux ans. Nous avons eu la chance d’avoir comme enseignants les professeurs Pondi, Mboua et Joseph Adandé. C’est une chance parce que nous avons touché du doigt ce qu’est l’histoire, la géographie, la civilisation et la culture de notre pays.

Que représente pour vous le Musée National ? Le Musée National est un symbole fort qui m’évoque un grenier. Chez moi, au village, le grenier est cet endroit riche qui abrite toujours quelque chose quand le reste de la maison est vide. C’est cet esprit qui préserve notre culture. Un endroit qui promeut, qui préserve, qui éduque, qui unit, qui enseigne l’amour de la patrie. C’est Paul Biya qui avait dit que la culture c’est le ciment de l’unité. L’importance du Musée National est d’autant plus symbolique.

Etes-vous satisfaite de la fréquentation du musée par le grand public ?

Collections du Musée National du Cameroun Page de droite de haut en bas : - Collections du Musée National du Cameroun - Façade principale du musée

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CONCEPT

Ethno-graphies

Dialogue entre Martine Bouchier et Myriam Dao Martine Bouchier et Myriam Dao participent toutes deux au séminaire de l’EHESS Mésologiques (science des milieux humains), d’Augustin Berque, géographe et philosophe concepteur de la notion de « trajection » - un trajet entre objet et sujet visant le dépassement du dualisme. Myriam Dao y a présenté ses travaux réalisés pendant et après sa résidence Villa Medicis hors les murs dans le Yunnan, chez les Hani, tandis que Martine Bouchier y proposait « Le milieu comme ressource pour l’art, ou l’art comme expérience du milieu ». Ce dialogue met en évidence les points de convergence de leurs deux axes de recherche. Martine : Quand tu es allée en Chine,

Myriam : Le dessin permet aussi

évacuation et la remet en place ensuite

chez les riziculteurs hani, qu’as-tu fait à

l’échange. Le carnet de croquis est un

comme un bouchon. J’ai dessiné aussi

ton arrivée dans le village ?

outil de dialogue, là où l’appareil photo

les rizières avec la terre ocre, sanguine,

met de la distance. Regarder un dessin

qui les constituait.

Myriam : Je suis allée voir les rizières en

ensemble permet une communication,

terrasses. Au départ, j’étais comme un

en l’absence de langue commune, les

Martine : Le dessin est un outil

cheval fou, sans la pesante surveillance

gens du village mettaient des mots sur

pour l’architecte. C’est une façon de

de l’Institut d’Architecture que j’ai eue

chacun de mes dessins.

s’approprier le réel, de le transcrire, de

au début du séjour. J’avais besoin de

l’abstraire. Contrairement à la photogra-

parcourir le territoire, d’en prendre la

Martine : Tu as commencé par dessiner

phie, le dessin ne livre pas tout : il y a une

mesure, d’arpenter les rizières au sens

les rizières ?

sélection dans l’image dessinée, on ne

littéral, juste heureuse d’être là. Le des-

dessine que certains aspects : on peut se

sin est venu après, il correspondait à un

Myriam : Les croquis d’architecture

focaliser véritablement sur les formes ou

changement de temporalité.

sont venus de façon un peu automa-

uniquement sur la lumière et les ombres,

tique, puis je suis rentrée dans le vif du

on peut choisir d’isoler un élément

Martine : Le dessin demande au dessi-

sujet, les rizières. Au lieu de dessiner

parmi la multitude de possibilité qui

nateur d’être apaisé et de pratiquer la

le paysage, je me suis focalisée sur des

s’offre au regard. Mais comment passe-

lenteur, de flâner aussi... c’est la condi-

détails, à l’échelle humaine, toutes ces

t-on de l’architecture à l’ethnographie ?

tion préalable à l’expérience esthétique.

petites pierres qui contrôlent les flux, les

Qu’est-ce que l’artiste en ethnographe

Tu as donc pris le temps d’une pose, de

écluses. L’homme prend la pierre et la

pour reprendre cette idée à Hal Foster ?

t’approprier le lieu par la longue obser-

pose devant le canal d’irrigation, comme

vation.

un écran, ou bien il coupe une motte

Myriam : Il s’agit plus de l’ethnographe

de terre à la machette pour créer une

en artiste. J’étais architecte, j’ai emprunté

120


les outils de l’ethnographe, puis ceux

Ce bijou n’est mentionné dans aucune

Rencontres d’Arles en 2002, un réemploi

de l’ethnologue. Là, j’ai senti une limite,

étude, aucun livre ne le présente. J’ai eu

du vernaculaire dans la photographie

que seul l’art me permettait de franchir,

une grande chance de le voir.

contemporaine – la photographie dite

et je suis devenue artiste. Dessiner c’est

« de famille », et l’archive qu’elle con-

cadrer, avoir un point de vue ; dès lors

Martine : Comment rendre la méthode

stitue - le phénomène est le même avec

que tu dessines dans un carnet, tu choi-

poreuse à des « affects », comment

l’architecture vernaculaire qui inspire à

sis nécessairement un angle de vue. Il

inclure l’expérience vécue, par quels

nouveau les architectes.

m’a fallu d’abord prendre mes distances

moyens restituer cette expérience ?

avec l’architecture, parce que l’architecte a, comme l’ethnologue, un regard qui

Martine : Tu as été happée littéralement

“LE GESTE DE TRACER DES

par le « milieu », tu l’as expérimenté,

ment. Or, chez les Hani, les lieux sont

TRAITS, COMME DES LIENS,

les contrôler. La posture du dessina-

investis par les esprits.

C’EST DÉJÀ ALLER VERS

teur favorise cet état d’ouverture. Pour

L’AUTRE“

abolis la distance, tu oublies pendant un

objective les choses, les lieux notam-

Martine : D’une part, l’architecte concrétise en effet le réel par un système

tu as laissé les choses venir à toi, sans

dessiner tu te rends poreux et fluide, tu moment ton système de protection qui

graphique extrêmement convention-

Myriam : En séjournant chez les Hani

est automatique lorsque l’on est dans un

nel, il laisse peu de marge de création

pendant six mois, en « immersion »,

milieu étranger…

d’un langage graphique original ; les

je ne pouvais pas garder une position

études d’architecture sont un système

« extérieure ». Georges Condominas, lui,

Myriam : Le geste de tracer des traits,

qui emmène vers une forme de pensée

parle d’empathie. Il questionne son désir

comme des liens, c’est déjà aller vers

projective, la pensée par le projet, avec

de s’intégrer à la culture des montag-

l’autre. Les femmes m’ont vu dessiner,

l’enchaînement de phases particulières ;

nards du Centre-Vietnam à la lumière

puis m’ont ouvert leurs portes et je les

cette structure est contraignante, elle est

de ses propres origines (française et

ai vues tisser, broder. En un sens, nous

anti artistique car les règles sont don-

portugo-sinovietnamienne). « Comment

avons échangé des gestes, une expéri-

nées au départ. Comment intégrer l’art

peut-on être métis ? » écrit-il1. Il avait

ence. Les regarder fabriquer a orienté

dans la pratique architecturale qui va du

même projeté de consacrer une étude

mes pistes, je me suis un peu écartée

terrain ou du concept au dessin ? Quels

ethnologique aux métis, dont chacun

de mon sujet sur les rizières. Elles ont

sont les moments dans le processus

est en quelque sorte une petite minorité

guidé ma main vers d’autres dessins, des

de projet qui laisseraient à la pratique

ethnique. Comme il l’avait fait à Sar

portraits d’elles, les vêtements, le tissu,

du dessin une possibilité d’infléchir la

Luk, j’ai tissé des liens avec la famille

la broderie. Petit à petit, ils ont révélé

trajectoire du projet ?

d’accueil, les Lu, et au moment de partir,

une symbolique et une cosmogonie, la

ils ont souhaité que je les photographie.

« cosmophanie » dont parle Augustin

Myriam : On retrouve d’ailleurs cette

Ce fut un grand moment de rassemble-

Berque.2

« grille » chez les ethnologues, la même

ment pour laisser une trace aux enfants

similitude dans le vocabulaire, on parle

et petits-enfants. Lorsque à leur tour ils

Martine : Le dessin est un vecteur qui

de « terrain ». Une méthodologie qui

m’ont photographiée, il n’y avait plus de

ne permet pas seulement la représen-

peut freiner l’intuition. On ne part pas

distance, il y avait même un renverse-

tation, il met le dessinateur dans une

vierge de méthodes, il faut lâcher prise

ment. Auteur, artiste, sujet, objet, tous

position de proximité, d’ouverture,

pour faire advenir des rencontres, des

ces statuts ont alors explosé. Le statut de

d’imprégnation du milieu. Le dessina-

découvertes. Comme celle du bijou cos-

l’auteur, et celui des images, a changé.

teur attise la curiosité, il attire autour de

mogonique que j’ai faite, le « bararama ».

Aujourd’hui on constate depuis les

lui les gens qui se trouvent là, le dessina-

121


CONCEPT teur est captivé et captif, cette fonction

En tous les cas, c’est une position

- ici, dans ce montage où j’ai remplacé

du dessin est donc très sociale car elle

d’équilibre.

ma tête par celle de Claude Lévi-Strauss.

ouvre à la communication.

Les images de la guerre du Vietnam ont Martine : Ces chemins, ces portes - tes

marqué mon travail, des images con-

“LE PASSAGE DE L’AUTRE CÔTÉ,

études d’architecture – t’ont permis de

struites, manichéennes, comme celle de

rencontrer Georges Condominas et de

« l’Amérique bombardant une fillette, ou

LE « TRANS », LA LIMITE. IL

travailler par la suite avec des ethno-

encore, des sud-viêtnamiens tuent des

S’AGIT EN FAIT DE TA PROPRE

logues en Chine. On arrive à un point où

Viêt-cong »…

GLOBALISATION“

en même temps on voit très bien dans

Martine : En somme, ces photos mon-

ton travail une limite que tu cherches

trent un monde binaire. Est-ce l’objet de

Myriam : C’est un langage qui m’est

à dépasser. Tu te places toi-même

ton travail, le binaire ?

nécessaire pour ne plus être étrangère.

dans des situations particulières, à des

Les diptyques, les analogies...Est-ce que

Car dans ce village hani, l’autre, c’est

époques différentes, dans des contex-

tu penses que c’est typiquement le fait

moi au départ. Georges Condominas,

tes différents. C’est comme s’il y avait

des artistes qui interrogent les situations

dont l’exposition « Nous avons mangé

la recherche d’un endroit. La recherche

post coloniales ? Est-ce que cette inter-

la forêt » a fait l’ouverture du Musée du

de cet endroit semble se faire lorsque

rogation est fondamentalement une

quai Branly, avait une conception de

tu es dans un village ancestral avec une

recherche de tes origines, de ta situation

l’ethnologie tout à fait nouvelle, il met-

famille hani, dont tu serais une descend-

de métisse, de ta position entre deux

tait l’accent sur la nécessité de parler la

ante, ici, dans cette photo, à côté d’une

cultures, ton être même, ontologique ?

même langue, sur l’expérience vécue du

personne qui pourrait très bien être

terrain, à une époque où la plupart des

ta cousine ou ta sœur. Tu fais aussi des

Myriam : Oui tout à fait, quand je lis

chercheurs se contentaient d’envoyer

montages, où tu passes à l’intérieur de

Fanon, « Peau noire, masques blancs »,

des informateurs et étaient plus occu-

l’image, tu effectues un passage dans

j’ai l’impression de me retrouver.

pés à théoriser. Comme beaucoup

l’histoire. La photographie et le montage

Lorsqu’il écrit « mon apparaître », c’est

d’ethnologues il dessinait, et a été le

font-ils partie de cette ethnographie, ou

plus que l’apparence, c’est l’apparence,

premier à inscrire le nom des personnes

plutôt de ton « processus de vietnamisa-

l’être, dans le sens « être-pour-autrui ».

qu’il photographiait, là où les clichés

tion », de redécouverte d’une identité ?

La façon dont les gens me perçoivent

on voit une limite entre l’art et la science,

entre dans la composition de ma pro-

anthropologiques ne les nommaient pas, mais mentionnaient seulement leur

Myriam : Tu as prononcé ce mot qui

pre personnalité. J’ai cru que c’était une

appartenance à un groupe. Pendant

résume tout : le passage, le TRANS :

quête d’identité, mais aujourd’hui je vois

mes études d’architecture j’ai rencontré

je cherche cet endroit « entre ». J’ai

que c’est de l’ordre du politique, je dois

Pierre Clément, architecte-ethnologue,

tenté de faire mes propres construc-

me définir avant d’être déterminée par la

lui-même élève de Georges Condominas

tions. I look like/I feel like , ce montage

société. Pour moi qui avais une mère du

que je suis allée voir en 1988. Il a regardé

photographique marque mon premier

côté du colonisateur et un père du côté

mes croquis sur l’architecture vernacu-

périple en Asie, comme architecte-

du colonisé, c’est complexe.

laire de bambou du Yunnan. Notre

ethnographe, où je faisais des relevés

métissage nous a d’emblée rapprochés.

d’architecture. « I look like » : mes traits

Martine : Se positionner. Le passage de

ressemblent à ceux de ma voisine thaï.

l’autre côté, le « trans », la limite.

Pour moi, être métis nous exclut à jamais

« I feel like » : je voulais donner à voir le

Il s’agit en fait de ta propre globalisa-

des sociétés traditionnelles, ou bien

décalage entre l’image que les autres

tion, de l’ouverture de ton territoire, de

nous les rend plus proches, c’est selon.

ont de moi et celle que j’ai de moi-même

l’élargissement de ton monde.

3

122


Notes 1 L’exotique est quotidien, commence par une longue réflexion autobiographique sur cette origine métissée. Georges Condominas, L’Exotique est quotidien. Sar Luk, Vietnam central, Paris, Plon, « Terre humaine », 1965 (rééd. 2006) 2 « L’apparaître-monde d’un certain environnement ». Augustin Berque « Cosmophanie ou paysage », dans Dominique GUILLAUD, Maorie SEYSSET, Annie WALTER (dir.) Le Voyage inachevé… À Joël BONNEMAISON, Paris, 1998, p. 741-744. 3. Dao, Myriam, ‘Bamboo’ and ‘Hani’, in Encyclopedia of Vernacular Architecture of the World: Volumn 1 Theories and Principles, ed. by Paul Oliver (Cambridge: Cambridge University press, 1997), pp. 222-3 ; 2nd ed. (Bloomsbury: 2018)

Martine Bouchier est professeure d’esthétique et d’architecture à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Paris - Val de Seine, architecte, docteure

Sans titre, Myriam Dao – 1995. © Courtesy de l’artiste.

en art et sciences de l’art (Sorbonne 2001), HDR d’esthétique (EHESS 2011) - Chercheur au CRH/LAVUE (UMR CNRS 7218) où elle dirige le domaine de recherche « Territoires esthétiques » - Elle a publié “L’art n’est pas l’architecture, hiérarchie, fusion, destruction”, Paris, Archibooks (2006) et « 10 clés pour s’ouvrir à l’architecture », Archibooks, 2010. www.territoiresthetiques.com

Sans titre, Myriam Dao - 1987. © Courtesy de l’artiste.

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CONCEPT

Ali, Myriam Dao – 1995. © Courtesy de l’artiste.

124

I look like/I feel like, Myriam Dao – 2011. © Courtesy de l’artiste.


Riken no ken, Myriam Dao – 2011. © Courtesy de l’artiste.

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126


Survolé, les pages de toutes nos colonies (...) Bonjour Julien,

processus. Et certainement un proces-

observé, depuis les années 1990, deux

sus fortement remis en questions par

phénomènes. Ces deux phénomènes,

J’ai pensé à toi pour une contribution

la fin des ères coloniales, mais aussi

la critique anglo-saxonne les a nommé

au prochain numéro de la revue Afri-

par la mondialisation et les nouvelles

“documentary turn” et “archival turn” : la

kadaa. La revue est publiée en ligne et

modalités d’approche de l’autre, de

rupture traditionnelle entre documen-

chaque numéro possède une théma-

la différence : il n’y a plus réellement,

taire et “art” a cessé d’être et les archives

tique — vaste — qui agit comme un fil

par exemple, d’expéditions, enfin, il y

sont devenues un matériau artistique

conducteur entre les différents articles.

a des documentaires à la télévision…

à part entière. Cela a pris forme dans

Pour le prochain numéro, c’est “Anthro-

Mais tout de même. Cela ne fait pas si

le film d’artiste et l’art vidéo, dans

pologismes”. J’imagine que l’équipe a

longtemps que l’anthropologie a ajouté

l’installation aussi. C’est certainement

choisi ce néologisme pour évoquer le

à ses objets d’études les sociétés dites

un acquis, mais tout de même, il faut

tournant anthropologique que connaît

modernes et non plus uniquement les

encore y réfléchir. Ces deux tournants,

actuellement et depuis quelques années

sociétés dites traditionnelles. Le champ

bien sûr, ont entraîné dans leurs sillages

l’art contemporain, pour y réfléchir :

de l’anthropologie paraît certainement

des modifications de la définition de la

s’agit-il d’une critique, d’une évolution,

plus libre, plus ouvert, plus fragile aussi ;

position de l’artiste, ce qui s’est traduit

d’une remise en question ou d’une

qui l’investit alors ? Et puis il y a toutes

généralement par l’expression “the artist

appropriation de l’anthropologie tradi-

ces formes : réécritures, reenactment,

as...” (par exemple “the artist as ethnog-

tionnelle (ou des images et imaginaires

(ré)appropriation. Avec l’anthropologie,

rapher”), parce que, même si cela est

de cette anthropologie) ? Pourquoi et

on ne doit pas oublier l’ethnologie, peut-

« autorisé », il faut encore que la langue

comment retrouve t-on cette esthétique

être la science qui consiste à comparer

l’admette.

anthropologique chez les artistes con-

ces aspects et faits spécifiquement

Lorsque je suis venue à l’atelier, j’ai eu

temporains ?

humains entre des hommes de zones

le sentiment que ton travail empruntait

J’ai réfléchi à ce que le terme « anthro-

géographiques différentes et à analyser

aux méthodologies, mais aussi surtout

pologie » évoquait pour moi : l’étude

ainsi les différences entre ces aspects et

à l’esthétique qu’on retrouve dans les

de tous les aspects et faits spécifique-

faits, et l’ethnographie, qui recueille des

pratiques liées à ces deux tournants

ment humains rendue possible par

éléments sur le terrain pour participer au

et qui y font suite : la juxtaposition

l’acte — mental — de les séparer, de

processus.

d’objets, l’agencement d’artefacts qui

commencer par les isoler les uns des

Mais alors que serait le tour-

pourraient avoir un statut d’archives,

autres avant de distinguer des relations,

nant anthropologique dans l’art

l’intermédialité comme moyen de (re)

des fonctionnements. Ce qui est déjà,

contemporain ? Quelque chose d’à peu

construire des continuités narratives. Je

quand on y réfléchit bien, un drôle de

près acquis par l’histoire de l’art qui a

me trompe peut-être et il faudrait qu’on

127


CONCEPT

en discute, j’imagine que ce sera une

travail. J’aime bien que tu appliques

court de présentation, on trouverait

chose à laquelle tu vas réagir. Évidem-

ces méthodologies, avec sérieux, pour

sur les pages de quoi rendre compte

ment, et c’est toujours l’aspect bizarre

recréer un monde qui existe et trouve

de la narration que tu recrées à partir

de mon travail, il est certain que tu ne

sa continuité narrative et émotionnelle

d’éléments distincts : sculpture, film,

vis pas ta production comme étant un

au-delà de plein de choses que l’on a

artefact, poème, chant. J’aimerais qu’on

point par rapport à la grande ligne que

déjà expliqué autrement. Sans un hérit-

pense à leur disposition sur la page,

dessine un « turn ». Enfin, peu importe.

age un peu moche de taxinomie, sans

à leur sens de lecture dans l’espace,

Ce que j’imagine pour la revue, c’est

comparaisons pleines d’implicite raciste,

surtout celui d’une revue en ligne : pour

une petite introduction que j’écrirais et

en étant triste mais pas trop, en rendant

que le lecteur expérimente directement

qui donnerait ces quelques éléments

visibles des mimétismes qui vont dans

ce que j’aurai tenté de raconter de mon

au lecteur puis évoquerait ton travail,

tous les sens, alors la lecture gagne en

expérience de ton travail. Il faudrait

et ce que j’aimerais en dire en rapport

plein de choses, mais surtout en humour

qu’on choisisse ensemble ces éléments ;

à cette question de l’anthropologie, de

(et ça c’est bien parce que c’est rare).

les rassembler, et puis songer aux indica-

l’appropriation de l’anthropologie par les

Aussi, j’aime beaucoup Glissant, et j’ai

tions à donner au graphiste pour leur

artistes.

toujours envie de dire que, contre tout

agencement.

J’ai pensé à la vidéo que tu nous a

ce qui sépare (Histoire, science, politique

montrée, celle qui juxtapose un clip de

et mots) en réalité il y a de la créolisa-

Madonna et tes mains avec les motifs

tion, qui va contre, contre la possibilité

au henné. Elle m’a laissé une sensa-

de séparer et que les bons artistes sont

tion durable : j’ai trouvé la forme très

toujours les meilleurs à créoliser. Je crois

astucieuse et le résultat vraiment effi-

que c’est pour cela que j’aime beaucoup

cace, et beau. Ce genre de juxtaposition

tous ces effets avec les écrans, les images

— ce n’est pas la seule dans ton travail

sur les écrans, les vitres et les reflets,

— j’aime bien y voir une méthodologie :

que je n’ai pas toujours réussi à décor-

la comparaison, amusée mais un peu

tiquer (et c’est bien), comme le navire

grave aussi, de deux faits humains. Ici

— l’image du navire sur le rhodoïd —

danser avec certains avatars physiques

qui tangue sur la vitre et que tu filmes

spécifiques : être une princesse berbère.

(et après j’ai lu que c’était le hublot d’un

À Fez, dans le clip et à Paris. Ici, là-bas

avion), et qui donne une très belle forme

et ici. Sans trop de distinctions tempo-

à cette idée.

relles. Voilà ce que j’aimerais dire de ton

Donc, si tu es d’accord, après mon texte

128

À bientôt. Eva Barois De Caevel


129


CONCEPT

J’avais feuilleté ces vieux papiers, survolé, d’un œil rapace, les pages de toutes nos colonies, l’Empire de Fez, le Maroc du Nord, le paradis des Antilles françaises... Bagne à âme. Sur les lignes de la main en mouvement, se lit une carte, le relief de toutes les montagnes de l’Anti-Atlas. Elle et lui dansent, foulent la piste, froissent la mappemonde, pour en faire une sphère, une ronde ondulante. L’Alfa au milieu du désert. Je voulais faire comme eux, les hommes et les femmes des pays chleuhs, mettre des coups de pieds dans la poussière, la faire voler en l’air, je voulais bouger des épaules, pour vivre cette danse guerrière. Je suis probablement le seul, dans la rame silencieuse, du RER, la femme au voile, s’accroche à la barre, belle, berbère, tu te souviens de l’invasion des vandales, avant les Romains avant l’islam. Dans la magie de la banlieue, les yeux fermés, elle chante ces louanges, près de son cabas fardeau. J’ai peur qu’elle me voit dans les reflets de la vitre, par procuration, il y a longtemps que je la fixe, que je suis ces tatouages le long de son nez cassé. J’aurais aimé lui faire face, être un brin de pigment, le piment au bout de l’aiguille, l’encre, sur son visage. J’aurais voulu connaître l’histoire millénaire qu’elle porte. Comment les minerais sont devenus une monnaie, comment Mahomet est arrivé à Paris, près de la Vierge à l’Enfant. Il y a trop de peinture pour savoir qui dit vrai. J’étais un des témoins, j’ai vu ce nouveauné qui se faisait corriger. Une décence surréaliste. Elle est descendue fatiguée à la gare de Noisy-le-Sec, dans les escaliers je lui ai porté ses courses. Secousses soukous secousses sociales, grésille mes écouteurs, je me suis coupé du monde, j’ai eu peur des tremblements de terre, des coupes budgétaires. Au marché. Les yeux serpent me vendent du couscous. Son téléphone reste accroché à son voile, ces mains sont luisantes contrastent avec son tablier en plastique huile. Dans ces mains, fleurs de henné, je lui pose mes piécettes cuivre et argent, mes malheureux euros. Vendredi, elle était près de la mairie, toute sa famille, sa communauté en joie, elle poussait son identité dans son cri de l’Oueb, balançait du riz, sur sa nièce. Joliment orné. La caravane de Ford Mustangs, a remplacé les dromadaires, hier soir, on les a entendu dans toute la cité. J’ai revu Kenza, avec sa petite dernière, Madonna était en boule, blottie contre son ventre pris dans les plis du tissu wax attaché à son dos. Ma mère est venue de Martinique, je lui avais demandé de me faire un trempage de morue pour mon anniversaire, je voulais manger avec les mains, à la télé, on parlait tout le temps de l’épidémie d’Ebola. Je voulais que l’on se rapproche, que l’on touche d’une main le même plat. Ne sachant pas faire ce met, ma mère nous préparé un macadam, que l’on a mangé comme le mafé. Je voulais que l’on partage une même histoire, la même que l’image, coupée en trois morceaux. Un détail, une main prête à toucher un régime de banane, une main portant un tubercule plein de terre, des pieds nus près des pattes d’un âne. Rituel. Je voulais danser comme elle, faire des tours avec mon bassin, je voulais agiter mes mains, pour jouer avec les ombres, l’opacité de ce monde. Je voulais faire des gestes de grâce, des vagues de break. Ma bad painting (...) Julien Creuzet

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CONCEPT

Trace

par Thierry Oussou «Trace» est une série d’œuvres grand format que j’ai commencée en 2014. Je l’ai nommée «Trace» au sens de «l’empreinte». Dans mes dessins, j’utilise beaucoup de formes qui viennent des arts rupestres et des écritures babylonienne, égyptienne, et bamoune du Cameroun. Les symboles que j’utilise proviennent principalement de mes recherches sur Internet et aussi de livres, notamment celui de JeanLoïc Le Quellec «Arts rupestres et mythologies en Afrique». Comme beaucoup de grands artistes du passé, mais aussi de l’art contemporain, je suis attiré par la dimension universelle de ces signes et motifs. Pour moi, ces éléments disposent d’une simplicité de forme, mais détiennent un fort langage poétique et émotionnel. Dans la série «Trace», en particulier Trace V et Trace VI, je développe un discours politique et social, tout en parlant des relations humaines en me basant sur les empreintes du passé.

Œuvre N° 1 Auteur : Thierry OUSSOU Titre : Trace V Dimension : 1.52 m X 1.20 m Année : 2015 Technique : Collage masques et peinture à l’huile, acrylique sur papier. Photo : Roy Taylor Œuvre N° 2 Auteur : Thierry OUSSOU Titre : Trace VI Dimension : 1.52 m X 1.20 m Année : 2015 Technique : Collage masques et peinture à l’huile, acrylique sur papier. Photo : Roy Taylor

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CONCEPT

Tête d’arabe

L’esthétique orientaliste en question Par Carole Diop

Oussama Tabti appartient à cette génération d’artistes algériens ayant grandi durant la “décennie noire” (1991-2002) et qui à travers leurs oeuvres posent un regard critique sur l’esthétique orientaliste commune et le traitement médiatique de l’actualité de leur région. Avec son installation Tête d’Arabe, Tabti souhaite déconstruire les stéréotypes hérités de la période coloniale en détournant l’oeuvre originale du peintre orientaliste Etienne Dinet. En confrontant cette image aux images véhiculées par les médias modernes, l’artiste est frappé par le parallèle historique qui s’en dégage : “l’autre” est toujours exhibé comme une curiosité!

“Tête d’arabe”, huile sur toile, Etienne Dinet, 1901.

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Oussama tabti est un artiste visuel diplômé de l’Ecole Supérieure des Beaux-arts d’Alger en 2012 en design graphique. Oussama Tabti est né en 1988 à Alger où il vit et travaille. Son intérêt porte sur l’image et ses différents aspects dans l’art en général. En puisant dans ce qu’elle offre aujourd’hui comme alternatives pour l’expression plastique, il essaye dans son travail, de prendre position par rapport aux différents bouleversements et phénomènes qui marquent sa société et le monde dans lequel il vit. Cette attention portée à l’actualité et au réel en général est visible dans la plupart des œuvres proposées dans les différentes expositions internationales auxquelles il a participé notamment à la BJCEM, Biennale des Jeunes Créateurs de l’Europe et de la Méditerranée Skopje 2009 au FIAC, Festival International d’Art Contemporain, Alger 2011, à DAK’ART, Biennale l’art africain contemporain, Dakar 2012, au Instants vidéo, Marseille, 2012 à Traverse vidéo, Toulouse, 2013 à La biennale des jeunes artistes MEDITERRANEA 16, Ancone, 2013.


Vue de l’installation

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CONCEPT

La maison du peuple La femme - rempart contre les tentatives de« dévoilement » par le système colonial, qui n’étaient en réalité motivées que par « la destruction de l’originalité d’un peuple ». Elle était exposée aux « viols » de toutes sortes, sous des prétextes « humanitaires et civilisateurs ».

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La mécanique du trou, la mécanique du seuil « De fil en aiguille », Mustapha Sedjal parcourt l’histoire. « A dessein » toujours, pour la Grande histoire et l’histoire intime, il cale son courroux et débusque sa désapprobation intellectuelle et citoyenne. Peu lui importe les topographies et les plages d’histoire, la chronologie des faits et la turpitude des préjugés, il a une conviction : il appartient à l’aiguille de faire respirer la mémoire. C’est un artiste ostéopathe des raideurs de la compréhension, des rigidités du récit fondateur. Il plie l’histoire, une envie irrépressible d’essorer son contenu, destin de papier. « C’est plié », dans le jargon jeune, fait référence à l’inéluctable, au sans appel, à rester sans voix, être sans recours. Mustapha Sedjal, lui, butine sans relâche dans les images, les récits, les slogans, les essais, dans l’histoire, pour polliniser la mémoire. Un artiste butineur qui contribue à la myéliniser. Il dépose des sucs revigorants dans des alvéoles de papier. Un baume cicatrisant les douleurs, une crème régénératrice de la peau, de « la seconde peau », non pas un lifting de l’histoire, une aiguille de botox qui momifie davantage la pensée, non, une liposuccion de ses avanies, de ses mensonges et de ses errements. Dans l’histoire officielle, il y a une permanence de la fausse route alimentaire. Elle nourrit l’histoire collective. Elle tétanise les esprits et fait tressaillir notre for intérieur. L’artiste crée le réflexe nauséeux, le haut le cœur, salutaire, où le destin reprend sa route. De ce « chaos bordélique » naît la maison close du souvenir qui suinte et tamise par ces pores le passé pour « l’ivraie », l’avenir. Il n’est pas tourmenté par l’histoire, il lui fait cracher ses tourments. Il ne fausse pas compagnie à son devoir de mémoire. Mansour Abrous

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FOCUS

Yo-Yo Gonthier, Vue de l'exposition Tropicomania, Bétonsalon, 2012

Yo-Yo Gonthier Petite zone peu sûre

Propos recueillis par Dagara Dakin Images : © Yoyo Gonthier

« Petite zone peu sûre », une

production de denrées qui

Triennale de Paris en avril 2012

relecture graphique d’un

figurent sur les cartes illustrées

dans le cadre de l’exposition

document datant de l’époque

de l’Afrique coloniale »1. La mise

Tropicomania au Centre d’art et

coloniale par le photographe et

en regard de ses dessins avec

de recherche Bétonsalon.

plasticien Yo-Yo Gonthier.

« une carte de l’empire colonial

Nous avons voulu revenir sur

Avec le projet « Petite zone

dans le continent africain créée

sa proposition, pour répondre

peu sûre » _ quatrième volet

pour les écoles françaises et où

aux questions : « Comment

de la série « Outre-Mer »_ Le

se résume toute la dynamique

les artistes et les chercheurs se

photographe plasticien Yo-Yo

économique des années

démarquent-ils des connais-

Gonthier délaisse un temps la

trente » , lui permet de mettre

sances profondément marquées

photographie pour le dessin

en évidence certains aspects

par une idéologie coloniale et

et l’aquarelle et réinterprète

de la mécanique coloniale. Le

raciale ? Qu’en font-ils ? Com-

sur un carnet Leporello, « les

projet fut présenté lors de la

ment, dans le recyclage des

représentations ludiques et éducatives imaginées pour les enfants […] relatives à la

138

2

Extrait de la présentation du projet par Flora Katz pour l’exposition à Bétonsalon, avril 2012, cf. le site www.yoyogonthier.com 2 Idem. 1

images anciennes, l’art assume-til une fonction sociale critique ? »


Dagara Dakin “Petite zone peu sûre” s’inscrit dans une série dont il constitue le quatrième volet et qui a pour titre “Outre-Mer”, pouvez vous nous éclairer sur le principe de cette série ?

et iconographiques depuis le début de la

histoires, entre réalités et interprétations.

colonisation jusqu’à aujourd’hui.

Ce sont pour la plupart des inscriptions

Le deuxième aspect concerne la

visibles sur les monuments. Elles nous

mémoire collective. La série pho-

racontent les mémoires partielles et

tographique Monuments nous révèle

partiales de la colonisation française :

à la fois la présence et l’invisibilité

les conquêtes, les soldats coloniaux et

Yo-Yo Gonthier : Ce projet ques-

dans l’espace public de ces objets de

les luttes pour les indépendances. Ces

tionne les réminiscences d’une culture

mémoire liés à la colonisation française.

plaques commémoratives nous révèlent

coloniale_ toujours présente dans la

La photographie comme le monument

qu’il y a eu, à un moment précis, à la

société française. Je me suis concentré

commémoratif nous montre quelque

suite d’événements historiques, la néces-

sur quatre aspects qui ont donné lieu

chose mais ne nous dit rien. La taille

sité d’inscrire dans la pierre le devoir

aujourd’hui à quatre séries, il pourrait y

imposante des ouvrages nous tient

de mémoire. Dans un même mouve-

en avoir d’autres à venir. Le premier con-

à distance et rend nécessaires le rap-

ment d’apparition et de disparition, il

cerne les stéréotypes, telle la figure du

prochement et l’analyse des détails. Le

est question d’une confrontation des

colon qui hante toujours l’espace public

monument n’est qu’un pansement sur

mémoires dans une société qui peine

et aussi celle du tirailleur sénégalais,

une plaie mal cicatrisée et la célébra-

à se projeter dans un passé et un ave-

soldat colonial libérateur de la France

tion de la mémoire n’apporte rien si les

nir commun. Un glissement intervient,

durant les deux guerres mondiales. Cette

traumatismes ne sont pas expliqués

entre mémoire intime et collective, entre

série s’appelle Oui mon commandant, en

et mis à distance, d’où la question

mémoire et histoire, entre interprétation

référence au volume deux des mémoires

de l’interprétation. C’est l’objet de la

et réappropriation de la réalité. C’est une

d’Amadou Hampaté Ba. Elle est con-

troisième série intitulée Plaques

installation mêlant trois vidéos projections sur des plaques en acier à l’échelle

stituée de documents iconographiques propagandistes datant de l’ère coloniale,

Dans l’installation des Plaques, des écri-

de celles observées dans l’espace public.

de publicités de différentes époques et

tures apparaissent, entre mémoires et

Ces trois séries ont été montrées à plu-

de photographies contemporaines, d’objets symboliques mis en vitrines dans des magasins où dans des musées. J’ai mis en scène cette série dans une installation reprenant la forme accumulative des salons de curiosités, le Salon colonial présente la matière rassemblée autour du projet et proposait des repères historiques Yo-Yo Gonthier, Maintenant les cultures sont plus riches, Petite zone peu sûre, Afrique, 2012, encre de chine, tampon, aquarelle

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sieurs reprises avant que n’apparaisse

une échelle planétaire. Ces quatre séries

trouvé ce titre pertinent et troublant

la dernière partie lors d’une résidence

questionnent le regard de la France sur

si l’on observe la situation saharienne

à Bétonsalon en 2012. Il est intéressant

ses (anciennes) colonies. Il symbolise

actuelle. J’ai redessiné cette scène dans

de noter ici que ces investigations ont

cette vision stéréotypée inscrite depuis

la fresque.

commencé en 2003 lorsque j’ai décou-

ce temps colonial et qui existe encore.

vert les vestiges presque enfouis sous

Nous employons toujours ce mot ainsi

la végétation de l’exposition coloniale

que celui qui lui est associé : Métro-

de 1907 au Jardin d’agronomie tropi-

pole, qui est tout aussi violent dans ses

cale à Nogent-sur-Marne. Il y avait aussi

connotations impérialiste, capitaliste et

dans ce jardin, des monuments dédiés

colonialiste.

aux troupes coloniales. Ce fut un choc et le point de départ de la série Monuments. Onze ans après, je devais revenir sur ces traces pour travailler sur les archives coloniales du CIRAD (Centre d’Agronomie Tropicale) dans le cadre de la Triennale (Intense Proximité) et de l’exposition Tropicomania à Bétonsalon. Cette fois-ci ce fut la propagande qui m’a intéressée notamment en découvrant l’ouvrage La France d’Outre-mer illustrée, par A. Fauchère et A. Galland, imprimé en 1931 alors que l’exposition coloniale de Vincennes réunissait des millions de visiteurs. Ce livre, qui figure les bienfaits de la colonisation à travers des cartes illustrées eut un réel impact sur la

D.D : Sur un plan plus technique, comment avez-vous démarché pour élaborer “Petite zone peu sûre” ? Y.G : Dans ces travaux, je pars toujours d’une recherche documentaire très précise, à la fois historique, scientifique et artistique, avant d’élaborer des scénarios plastiques. J’essaie d’articuler et d’équilibrer sur le même niveau mes sentiments et mes pensées. Il y a un respect particulier lorsqu’il s’agit de la mémoire de millions de personnes. Le titre vient d’un panneau planté au milieu du Sahara algérien dans une des cartes illustrée du livre de Fauchère et Galland. J’ai

D.D : Les trois précédents volets de la série “Outre-Mer” étaient des travaux photographiques, pourquoi introduire dans cet ensemble un travail graphique ? Y.G : Ce qui est essentiel n’est pas l’outil mais la cohérence formelle et conceptuelle. Chaque projet nécessite une grammaire et un vocabulaire spécifique. Le choix de la photographie pour un travail de mémoire et d’empreinte gravée dans la pierre d’histoires vécues me semblait cohérent. Ces images ont été réalisées pour des dispositifs scéniques. Ici nous sommes toujours dans une installation, mais sans photographie cette fois-ci. Les propagandistes colonialistes utilisaient tous les médias et tous les moyens possibles, mais ils savaient que l’efficacité du dessin sur les esprits serait redoutable. Elle l’est toujours

société française à l’époque. Je décidais alors de m’en inspirer pour réaliser une fresque très douce dans son traitement, afin d’aborder la violence extrême de cette entreprise de propagande.

D.D : Comment interrogez vous la notion d’Outre-Mer qui place clairement l’empire comme centre à partir duquel ses zones sont appréhendées, comment cela s’exprime-t-il dans votre travail ? Y.G : Le terme Outre-Mer symbolise ici la vision de la France vers ses territoires “au delà des mer”, il donne à l’empire

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Yo-Yo Gonthier, La vague, Petite zone peu sûre, Afrique, 2012, graphite, encre de chine, aquarelle


d’ailleurs.

unique, petit, presque invisible dont le

l’autre personnage, blafard, qui semble

dessin laisse apparaître des aquarelles

ébahi, sidéré, peut être conscient, lucide.

peu contrastées qui nécessitent une

L’homme est visiblement un colon et

attention particulière si l’on veut en

son image fantomatique s’efface pro-

saisir les signes. Une liste de denrées

gressivement mais son ombre elle, est

précède la fresque, elle est selon moi

encore visible, dans d’autres scènes,

éloquente pour comprendre toutes

cette ombre est blanche, mais bien là.

Y.G : Il s’agit d’une relecture. La violence

les scènes qui suivront. Chaque image,

Elle est toujours présente aujourd’hui.

des idées propagées dans cet ouvrage

chaque signe fait ici symbole et résume

mérite que l’on s’y attarde. Je n’ai pas

toute l’entreprise coloniale. Cependant

voulu utiliser les mêmes moyens que

il y a aussi quelque chose d’intime qui se

la propagande à cette époque, à savoir

joue ici. Une scène qui est la clé de tout

une diffusion massive et des moyens de

ce travail, il s’agit d’un couple. La femme

communication coordonnés et effi-

au teint sombre semble être sujette

caces. Ici nous avons un ouvrage fragile,

à l’Empire, unie de gré ou de force à

D.D : En quoi votre approche qui consiste en une relecture de La France d’Outre-Mer illustrée, par A Fauchère et A. Galland, Ed. Blondel La Rougerie, imprimé en 1931, est-elle critique?

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Basé à Paris, Dagara Dakin est diplômé en histoire de l’art, auteur, critique et commissaire d’exposition indépendant.

Yo-Yo Gonthier, Petite zone peu sûre, Afrique, 2012, carte, carnet leporello graphite, encre de chine, tampon, aquarelle, Tropicomania, Bétonsalon, 2012


PORTFOLIO

Lost child (2007) Yang Seung Woo Yang Seung Woo (photographe coréen, vit et travaille au Japon) documente un espace communautaire et urbain marginal. Gangs, yakusa, créatures de la nuit, sans domiciles fixes et poètes de rue hantent sa pratique et le confondent. Ce travail qui associe l'argentique au numérique, la couleur au noir et blanc, côtoie également une oeuvre plus intimiste, qui investit le portrait, celui du couple qu'il forme avec sa femme japonaise, photographe elle aussi, dans une scénographie du quotidien. Sa photographie échappe à la programmation du geste, à celui de l'essai et de la mise en scène pour atteindre une signature libre et à l'écart d'une fabrication. Son travail recourt-il à à un procédé de type anthropologique ? Ses photographies assument une fonction sociale et critique évidente, imaginent et inventent une archive. Série Lost Child, courtesy In)(between gallery

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Fireflies, Baltimore (2011-2014)

Frédéric Nauczyciel All photographs © Frédéric Nauczyciel

Je ne voudrais pas parler de ceux qui

né à Harlem dans les années soixante,

documentaire et émerveillant. J’ai donc

se cachent à eux-mêmes, mais plutôt,

est toujours vivant, contemporain. Il se

exploré le champs de la performance

de ceux qui se tiennent en retrait de la

nourrit d’influences, s’hybride et apporte

pendant un an et demi (convier la

lumière de la certitude, de la clarté et

de nouvelles manières d’être à la cul-

présence et l’expérience) pour revenir au

des apparences, ceux qui choisissent les

ture urbaine ou populaire. Flamboyant,

film et à l’image fixe, en mettant encore

replis sombres du silence et de la tran-

sophistiqué et baroque, soit-il. Je les ai

plus à contribution mes protagonistes,

quillité, et enfin de ceux qui brillent de

convaincu de montrer quelque chose

que je n’ai plus de scrupules à nommer

leur désir et non sur commande.

de leur flamboyance et de leur bravoure

« sujets ». Il s’agit pour moi de créer des

au milieu de la ville qui a fait d’eux ce

images performatives. Je creuse ainsi

Les lucioles sont les vogueurs de

qu’ils sont. Je voulais imbriquer tous ces

cette phrase de Georges Didi Huberman

Baltimore. Elles rappellent les lueurs

niveaux de lecture dans des photogra-

depuis 3 ans : « le cours de l’expérience

fragiles et secrètes, cachées, que l’on

phies qui auraient l’allure de portraits

à chuté, et il ne tient qu’à nous, dans

doit dévoiler : une métaphore poétique

académiques.

chaque situation particulière, d’élever

de leurs performances flamboyantes

La série fait partir d’une production plus

cette chute à la dignité, à la beauté

lorsqu’ils battlent la nuit dans des balls.

large intitulée The Fire Flies [Le feu vole]

nouvelle d’une chorégraphie, d’une

Ils brûlent vite y compris leur jeunesse.

construite comme une série télévisée,

invention de formes ».

Ils transforment la ville qu’ils habitent de

en deux saisons : Baltimore et Paris.

leur secrète existence. C’est très para-

Épisode après épisode, chaque image –

doxal ! Un espace de compréhension

photographies, films ou performances

Frédéric Nauczyciel est un artiste visuel,

à peine perceptible qui renvoie à un

– apporte de nouveaux éclairages sur

né en 1968 à Paris; et travaille entre la

monde préhensible, concret.

une manière post-genre et post-raciale

France et les Etats-Unis. Sa pratique, au

Les premières prises de vue que nous

d’habiter la ville.

croisement de la photographie, de la vidéo et de la performance, est nourrie

avons réalisées visaient à déconstruire les poses du voguing, pour revenir aux

Pour ce qui est de ma philoso-

par la photographie américaine, la danse

origines des couvertures du magazine

phie, concernant la photographie et

contemporaine (héritées de sa collabora-

Vogue. Ces premières photographies

l’anthropologie, il est intéressant de

tion avec le chorégraphe américain Andy

étaient des études en studio avant

constater que, depuis cette série j’ai

DeGroat), ainsi que le cinéma (qui a nourri

que je ne dirige leur portrait dans leur

justement arrêté temporairement la

son adolescence en lointaine banlieue).

arrière-cour ou leur quartier. Les maisons

photographie pour m’interroger sur

Il construit avec ses protagonistes des

basses de Baltimore sont une particu-

une anthropologie contemporaine. Les

images qui, dépassent la seule identité,

larité de la ville. Je voulais montrer leur

subcultures documentent dorénavant

dans le contexte de leur environnement

réalité dans la ville où ils ont vu le jour. Je

elles-mêmes leurs existences ne serait-ce

social, qu’il soit urbain ou rural. Ses expo-

voulais mettre à jour une réalité géné-

que par l’entremise des réseaux sociaux.

sitions, faites d’images fixes, mouvantes

ralement underground. Le voguing,

J’avais besoin d’évacuer le paradigme

ou vivantes, puisent dans une forme

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performative cherchant à impliquer le regardeur. Les productions de Frédéric Nauczyciel révèlent des points de tension et de pouvoir, et tendent de plus en plus vers une hybridation des formes. Ses productions sont soutenues par le Centre Pompidou à Paris, le Festival d’Avignon, la Ville de Pantin, le Centre Dramatique National d’Orléans, le Centre de Photographie de Lectoure, l’Ecole Régionale d’Art de Besançon. Il expose en France (Musée de la Chasse, Mac/ Val, Eté Photographique de Lectoure, Rencontres Internationales de Photographie d’Arles, Centre Pompidou Paris), à Barcelone (Palau de la Virreina), ou aux Etats-Unis (Washington, Baltimore et New York). Il est lauréat en 2011 de la Villa Médicis Programme Hors les Murs pour les Etats-Unis (Institut Français), reçoit en 2013 l’allocation de recherche du Centre National des Arts Plastiques et figure dans la collection du Fonds national d’Art Contemporain.(Public # Ceux qui nous regardent, Le temps devant et The Fire Flies, Baltimore). Il est en résidence en Seine-Saint-Denis pour deux ans, de 2014 à 2016. www.fredericnauczyciel.fr

Kory Goose Revlon (After Degas' Dancer) [D'après la Danseuse de Degas]

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PORTFOLIO

Lo Bell / Gabrielle (Female Figure)

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Legendary Trebra Taylor (Master of Ceremony)

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Dale Blackheart (After Nijinski) [D’après Nijinski]

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Daryll Illuminati (All Americans)

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Ezra Swan (Hands, A Tribute To Andy Wahrol) [Hommage Ă Andy Wahrol]

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Justin Winston (With Father) [Avec père]

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PORTFOLIO

Résilientes (2014) Joana Choumali Texte Carole Diop

All photographs © Joana Choumali

Pour Joana Choumali la photographie

de ces « résilientes » qui, comme elle,

D’étoffes chamarrées de ses

est une véritable vocation. Sensible aux

sont à cheval entre deux mondes, deux

mémoires oubliées

belles images, c'est à 13 ans que la jeune

cultures, deux époques, c’est sa propre

De ses mémoires oubliées qu’il lui

femme se place pour la première fois

histoire que l’artiste explore.

faut re-tisser Ô Flamboyante Fleur Piment

derrière l'objectif.

Ô Éthiopique Femme Curcuma Après une licence en Anglais et un BTS

Résilientes

Ô Résiliente Ô Femme Africaine, Ô Femme

en communication et action publicitaire, Joana étudie les arts graphiques et la

Poème de Stéphanie « Nèfta Poetry»

Noire

photographie au Maroc (Casablanca).

Melyon-Reinette

Revêtant les parures de l’aïeule, de

Elle débute sa carrière professionnelle

la mère

à Abidjan, en tant que Directrice

Ô Résiliente

Est habitée d’esprits plusieurs fois

Artistique pour une prestigieuse agence

Ô Femme Abyssine, Ô Femme

centenaires

de publicité, avant de se consacrer

Noire

Son visage-halo, alors, d’aphrodite

exclusivement à la photographie.

Sa peau ombrée qu’un soleil zénith

Ivoirienne

moire

Lui donne des allures d’estase

Son dernier projet, « Résilientes » ques-

De baisers incandescents est la

ouranienne

tionne l'identité féminine dans les

flamme

Un ange-sphinx, une vénus-piété

sociétés africaines. La série est compo-

De sa négritude révélée de

Qui, son regard d’Oracle, plonge

sée d'une trentaine de portraits dont six

lumières...

dans l’éternité

sont actuellement exposées à Onomo

Sa peau crépuscule luit

Le défi. En pythie nubienne, elle est

Hotel Dakar Airport, dans le cadre d'une

Sa peau, de miellées nuits,

transfigurée

exposition collective réunissant cinq

Constellées de nuances éloquentes

Du génie de la cité exorcisée, enfin

femmes photographes.

Ô Cinabre Amarante

enracinée…

Ô Abyssine Hélianthe

Ô Mambo, Ô Prophétesse

Les traditions sont elles vouées à dis-

Ô Résiliente

Ô Résiliente

paraître? C'est la question que pose

Ô Femme Éthiopique, Ô Femme

Ô Déliée Massaï, Ô Callipyge

la photographe à travers les portraits

Noire

Hottentote

de jeunes femmes actives revêtues

Ses lèvres mangoustan, fruits

Ô Korê ébène dans ses mises

des ornements de leurs ainées (mères,

miraculeux,

matrilinéraires

grands-mères, tantes,aïeules)

Disent l’ardent incarnat de son

Une sculptural bronze, un bijou

Cette série fut pour Joana l’occasion de

mystère

ciselé

renouer avec ses origines, de répondre

Et le feu des âmes incarnées dans

Ô Reine d’humilité

à des questionnements personnels,

sa chair

Ô Impératrice de la postérité

mais surtout de rendre hommage aux

Dans sa chair drapée d’étoffes

Ô Résilientes…

femmes africaines. A travers les portraits

chamarrées

Ô Idiosyncrasies…

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PORTFOLIO

Project diaspora (2014)

Omar Victor Diop Texte par Carole Diop

All photographs © Omar Victor Diop Courtesy of Magnin-A (Paris)

Lors des 9e Rencontres

Harvard university Press). Inspiré par les

naissance passée à faire face aux défis

photographiques de Bamako, en

œuvres d’art produites entre le XVe et le

posés par leur condition d’étranger.

2011, Omar Victor Diop fait une entrée

XIXe siècle, Omar Victor va parvenir à se

remarquée dans le monde de la

défaire de ses doutes et appréhensions

On ne peut s ‘empêcher de voir dans

photographie contemporaine avec

pour incarner douze notables africains

Diaspora, un clin d’oeil à la série African

sa série Le futur du beau. S’en suivront

qu’ils soient émissaires de royaumes

Spirits de Samuel Fosso. Omar Victor se

plusieurs projets tout aussi remarqués

africains comme Don Miguel de Castro,

dit flatté de la comparaison mais nous

tels que [re-]Mixing Hollywood

ou esclaves affranchis comme Angelo

exhorte à aller au delà.

(Onomollywood) et Le Studio des Vanités.

Soliman ayant marqué l’histoire européenne.

Ce trentenaire destiné à une brillante

Après l’Europe, le photographe Omar Victor Diop souhaite étendre son propos

carrière dans la finance se consacre

L’autoportrait est une technique qui

à l’Amérique latine et à l’Ocean indien,

aujourd’hui exclusivement à la

a toujours attiré le photographe. La

le prochain chapitre de « Diaspora » est

photographie. Ce médium a changé son

difficulté de trouver des modèles et la

déjà en cours de production.

rapport à sa ville (Dakar) et à l’Afrique en

perte de repères ressentie au cours de sa

général.

résidence ont été l’élément déclencheur qui l’a poussé à s’essayer à cette

En octobre 2014, Diaspora, Le dernier

technique. Biographie :

projet de Omar Victor Diop était exposé à Londres à l’occasion de la deuxième

La composition du projet « Diaspora »,

édition de la foire d’art contemporain

se décline en volets ou chapitres. Le

Omar Victor Diop vit et travaille à Dakar,

1:54. Une nouvelle série où l’artiste

premier chapitre , est constitué de douze

son œuvre combine les arts plastiques, la

choisit de se mettre en scène à travers

autoportraits. Omar Victor Diop pose

mode et le portrait photographique.

des autoportraits, marquant ainsi un

en imitant l’oeuvre originale (peinture,

tournant dans sa pratique artistique.

sculpture ou gravure) en ajoutant des

Omar Victor affectionne particulière-

Diaspora a également été présenté par la

équipements de football (gants, bal-

ment le mélange de la photographie avec

galerie Magnin-A, dans le cadre de Paris

lons, crampons, etc) comme accessoires.

d’autres formes artistiques. Il utilise entre

Photo 2014.

L’artiste explique « cet anachronisme

autres la création textile, le stylisme et

voulu » par le lien fort qu’il souhaite

l’écriture créa- tive pour donner vie à son

Le projet est né l’année dernière à

établir entre les sportifs profession-

inspiration.

Malaga (Espagne), où l’artiste effectuait

nels afro-descendants et les hommes

une résidence de quatre mois. Il y

qu’il a choisi d’incarner. Ces person-

Son travail questionne et intrigue, il

découvre l’art baroque et L’image du

nalités emblématiques « passées » et

est avant-gardiste tout en étant un peu

Noir dans l’Art Occidental (une série de

« contemporaines » partagent selon le

vintage et puise son inspiration dans

livres phares, en cinq volumes, produits

photographe un même paradoxe : la

l'héritage visuel africain de Omar Victor,

par Dominique de Menil et réédités par

dualité d’une vie de gloire et de recon-

ainsi que dans sa culture internationale.

160


Olaudah Equiano (1745 - 1797) Olaudah Equiano, connu de son vivant sous le nom de Gustavus Vas- sa, était un notable Africain de Londres, un esclave affranchi qui a supporté le mouvement abolitioniste britannique. Son autobiogra- phie, publiée en 1789 attira suscita beaucoup d’intérêt et fut considérée comme un élément décisif qui permit le passage du Slave Trade Act de 1807, qui mit fin à l’esclavage dans le Royaume et ses colonies. Gravure originale: Artiste Inconnu

161


Albert Badin (1747 ou 1750 - 1822) Adolf Ludvig Gustav Fredrik Albert Badin, né Couchi, connu sous le nom de Badin, était un serviteur à la cour suédoise et un chroniqueur particulier. Il était esclave à l’origine puis il devint majordome de la reine Louisa Ulrika de Prusse puis de la princesse Sophia Albertine de Suède. Son nom de naissance était Couchi, mais il était communément appelé Badin, qui veut dire «le joueur de tours». Peinture originale de Gustaf Lundberg.

162


Angelo Soliman (C. 1721 - 1796) Né dans la province de Sokoto qui correspond à l’actuel Nigéria, il fut pris comme captif étant enfant et arriva à Marseille. Il fut offert en 1734 au Gouverneur Impérial de Sicile. À la mort de ce dernier, Soliman rejoignit la cour du Prince du Liechenstein et en devint le serviteur en chef, puis le précepteur du Prince Aloys I. Homme culti vé, Soliman était très respecté et était compté parmi les amis les plus chers de l’Empereur Autrichier Joseph II. Portrait Original: Gottfried Haid, d’après une oeuvre de Johann Ne- pomuk Steiner

163


Prince Dom Nicolau (Circa. 1830-1860) Dom Nicolau, Prince du Kongo, fut peut-être le premier leader africain à protester publiquement par écrit contre les influences coloniales. Nicolau protesta contre les activités commerciales et politiques des portuguais ainsi que leur expansion militaire en publiant une lettre dans un journal portuguais à Lisbonne. Sa date exacte de naissance reste incertaine. Les gravures le représentant lors de sa visite à Lisbonne en 1845 suggèrent qu’il était agé de quinze à vingt ans. Gravure originale: Artiste Inconnu

164


Jean-Baptiste Belley (1746 - 1805) Jean-Baptiste Belley était un natif de l’Ile de Gorée au Sénégal et un an- cien esclave de Saint-Domingue, dans les Antilles Française. Il acheta sa liberté avec ses économies. Durant la révolution française, il devint un membre de la Convention Nationale et du Conseil des Cinq-Cents de France. Il était également connu sous le nom de Mars. Peinture originale de Girodet.

165


Don Miguel de Castro Émissaire du Congo, c. 1643-50 En 1643 ou 1644 Don Miguel de Castro et deux serviteurs arrivèrent aux Pays-Bas, via le Brésil en tant que membres d’une délégation en- voyée par le seigneur du Sonho, une province du Congo. Un des ob- jectifs de leur périple était de trouver une solution à un conflit interne au Congo. Peinture originale attribuée à Jaspar Beckx ou Albert Eckout

166


A Moroccan man (1913) José Tapiró y Baró était un peintre Catalan. L’un de ses plus proches amis fut le peintre Marià Fortuny avec qui il partagea un intérêt pour l’Orientalisme. Il était un maître de l’aquarelle. Peinture originale de José Tapiró y Baró.

167


ARCHITECTURE

Le musée du quai Branly Une architecture qui réactualise les clichés Par Carole Diop

168

vue sur la façade nord du musée, Musée du quai Branly, photo © Jacques Rostand


Inauguré en grande pompe en juin

Situé sur le front de Seine, l’ouvrage

marque de fabrique de ce bâtiment tout

2006, le musée du quai Branly a fait

conçu par l’architecte Jean Nouvel

en courbe, c’est sa façade nord (côté

l’objet de vives controverses. Les diffi-

possède des qualités architecturales

seine), composée d’une paroi de verre

cultés rencontrées pour réaliser cet ovni

indéniables, il allie modernité et

imprimée de motifs végétaux et les

muséal furent multiples : le choix du site,

techniques innovantes et s’intègre

« boites » métalliques multicolores qui

le nom donné à l’institution, l’exécution

parfaitement à son environnement.

s’en détachent.

des travaux, les collections, la polémique

Cependant, malgré une architecture

- Le bâtiment Branly, situé au nord-

n’épargne aucun aspect du projet.

qui séduit, l’imaginaire est toujours le

ouest le long du quai Branly est dédié à

même. Le concept développé par Nou-

l’administration. Il se singularise par son

Ce musée dédié aux « cultures

vel traduit une vision européano-centrée

mur végétal conçu par le botaniste

autres » 1n’aurait pas vu le jour sans

et ne fait que réactualiser les clichés

Patrick Blanc (800 m2 de façade recou-

l’engagement personnel du président

primitivistes. L’architecte décrit lui même

verts par plus de 15 000 plantes).

Jacques Chirac. Refuser « cette pré-

le musée comme « un endroit chargé,

- Le bâtiment Auvent, situé entre le bâti-

tention déraisonnable de l’occident

habité, […]où dialoguent les esprits

ment musée et le bâtiment Branly, abrite

à porter, en lui seul, le destin de

ancestraux des hommes qui, découvrant

les magasins de la médiathèque, le

l’humanité. », mais aussi « promouvoir

la condition humaine, inventaient dieux

salon de lecture, la salle de consultation

auprès du public le plus large, un autre

et croyances. » , un endroit « unique et

des fonds spéciaux, ainsi qu’un atelier

regard, plus ouvert et plus respectueux

étrange. Poétique et dérangeant. »

de découverte pour les enfants. Il se

3

4

[…] Loin des stéréotypes du sauvage

présente comme un volume de verre et

ou du primitif. » , telle était l’ambition

Le musée se compose de quatre

de métal relié aux deux autres bâtiments

affichée par le président. Mais ce beau

bâtiments reliés par des chemins et

par des passerelles.

discours est très loin de la réalité.

passerelles, qui possèdent chacun une

- Le bâtiment Université, quant à lui,

architecture propre :

accueille une librairie boutique au rez-

En effet, l’esthétique architecturale et

- Le bâtiment musée abrite le pla-

de-chaussée. Les étages sont réservés

muséographique du musée du quai

teau des collections permanentes, des

aux ateliers de restauration et à la ges-

Branly renvoie à une vision fantasmée

espaces d’exposition temporaires, des

tion des collections. Il est situé côté sud

de l’altérité, à un imaginaire issu des

réserves, mais aussi un auditorium, un

et propose une architecture de pierre

cabinets de curiosité et des musées eth-

théâtre, une salle de cinéma et des salles

et de verre. Des oeuvres contempo-

nographiques d’un autre temps.

de cours et en restaurant en terrasse. La

raines d’art aborigènes, réalisées par 8

1 Allocution de M. Jacques Chirac, Président de la République, à l’occasion de l’inauguration du Musée du Quai Branly. 2 Idem.

3 Jean Nouvel dans sa lettre d’intention pour le concours international d’architecture en 1999. 4 idem.

2

169

artistes aborigènes australiens, habillent la façade et les plafonds du bâtiment.


Le plafond de la librairie-boutique peint par John Mawurndjul - MQB Mardayin design-ADAGP © Photo Nicolas Borel

Avant même, qu’il ne pénètre dans

rangée de cabanes »7, terme qui ren-

l’enceinte du musée, tout est fait pour

voie symboliquement à l’habitation

Le plateau des collections est une

mettre le visiteur dans la peau d’un

« indigène ». Le vocabulaire utilisé

grande galerie décloisonnée, où sont

explorateur. Pour découvrir le bâtiment

pour décrire le musée fait référence

présentées 3500 œuvres réparties sur

musée (une structure de 220 mètre

à l’imaginaire du « sauvage ». Cette

quatre zones géographiques : Afrique,

de long semblable à une passerelle,

approche qui se veut dépaysante

Asie, Océanie et Amériques. Cette

perchée sur une canopée de verdure),

indique au visiteur qu’il s’apprête à

absence de séparation physique est

le visiteur doit d’abord franchir la palis-

entrer dans le monde de « l’Autre ».

déterminante dans la présentation des

sade de verre qui fait office de rempart

œuvres. Elle traduit la volonté d’effacer

contre les tumultes de la ville. Il doit

Pour accéder aux collections, le visiteur

toutes références occidentales pour

ensuite se frayer un chemin à travers la

emprunte une rampe, appelée « The

laisser la place aux œuvres. L’ambiance

végétation dense qui dissimule le bâti-

River », œuvre contemporaine de l’artiste

est lourde, l’atmosphère pesante. Les

ment, un jardin « vallonné » de 18 000

Charles Sandison. les visiteurs la gravis-

quatre plateaux s’articulent autour de

m2, « conçu à l’image des végétations

sent “comme on remonte un cours

l’espace central appelé la « rivière ». Plus

indisciplinées et lointaines. »6

d’eau”.8 “Immergés dans une rivière de

qu’une simple circulation c’est un espace

mots en mouvement” projetés au sol et

muséographique à part entière, délimité

Ce cadre qui donne une place impor-

sur les parois de la rampe,”ils découvrent

par un long meuble en cuir appelé le

tante à la végétation est censé

les noms de tous les peuples et lieux

« serpent » (support de plusieurs instal-

représenter le cadre de vie de « l’Autre-

géographiques représentés dans les col-

lations multimédia interactives). La

colonisé ». Les boîtes de la façade du

lections du musée.”

« rivière » créé, dans la galerie, un lieu

5

9

musée sont décrites comme « une 5 Extrait du dossier de presse du musée du quai Branly. 6 Idem

170

10

7 Idem 8 Communiqué de presse du MQB du 09/03/10 9 Idem 10 Idem

physique qui relie les aires entre elles et symbolise leur unité notamment par


rapport à la thématique de l’organisation des populations. Elle permet également d’accéder aux deux galeries suspendues et à la mezzanine qui accueillent les expositions temporaires. Cette volonté de montrer ce qui lie les peuples de toute l’humanité, les croisements, les problématiques communes est prolongée par la mise en évidence d’espaces thématiques transversaux au travers de la musique et du textile : - la Tour des instruments de musique, Celle-ci se présente comme une colonne de verre qui laisse apparaître au visiteur la réserve des instruments de musique (tous conservés à la même température, ce qui les amène à se dégrader bien plus vite).

La rampe, The River par Charles Sandison 2010, Musée du quai Branly, photo © Cyril Zannettacci

- La transversale des textiles présente des pièces provenant de toutes les parties du monde. Les espaces transversaux tentent d’opérer un rapprochement culturel. Toutefois ces espaces restent limités par leur nombre et dans leur portée. Le bâtiment imaginé par Jean Nouvel en dit long sur l’identité de la France et sa conception de l’altérité. Le mythe primitiviste est ici réinterprété au moyen d’une architecture moderne. Le musée du quai Branly n’est ni plus ni moins qu’un musée ethnographique 2.0.

Zone Oceanie, Musée du quai Branly, photo © Nicolas Borel

171


ARCHITECTURE

Micro-récits et urbanisme : Un architecte et un anthropologue à Nouackchott Par Marc-Antoine Durand

À l’heure où le continent africain connait une croissance démographique et urbaine inédite, les enjeux d’un développement soutenable des villes se font chaque jour plus pressants. Réchauffement climatique, insalubrité, creusement des inégalités sociales, etc. Pour répondre à ces défis, il nous est fondamental d’adapter nos méthodes aux milieux dans lesquels nous intervenons, et les solutions sont à trouver sur place, toujours.

172


La dune

En mai 2014, j’ai participé à un workshop

Nouakchott. Chaque récit nous a invité

il faut faire avec et accepter les inon-

international concernant le devenir de la

à imaginer une ville en accord avec les

dations. À terme, il va falloir déplacer

capitale mauritanienne, Nouakchott.

pratiques de ses habitants, plus prati-

les populations, et pour ce faire c’est

Très vite, nous avons basé notre

cable pour ces nouveaux amis dans un

tout un imaginaire lagunaire qu’il s’agit

atelier sur un travail de fictions

avenir immédiat (2016) et pour un hori-

d’activer.

anthropologiques. Avec l’aide de

zon plus éloigné (2030).

l’anthropologue espagnole Marta

Cet horizon 2030 n’est pas pensé comme

Un autre facteur souvent perçu comme

Alonso, nous avons écrit quatre histoires

un modèle de ville fini. Nous estimons

problématique est celui des dunes : leur

qui racontent et inventent des possibles

cependant de bon sens d’ébaucher des

mobilité conduit à l’ensablement. Nous

pour Nouakchott, quatre récits qui

pistes d’actions et de projets prioritaires

pouvons faire avec cette énergie aussi,

replacent le destinataire au centre du

à même de rendre la ville de Nouakchott

si nous regardons les dunes comme des

processus de l’aménagement urbain.

plus habitable. Ces situations d’actions

éléments géographiques participant de

et scénarios d’horizons sont des con-

la morphologie de la ville et de son iden-

Depuis son édification, la ville de

cepts utiles à l’administration, et sont

tité singulière : la dune comme élément

Nouakchott a fait l’objet de plusieurs

fondés sur la participation de la société

de composition du paysage nouakchot-

réflexions autour de son urbanisme.

civile, indispensable.

tois, point d’ancrage d’une nouvelle

Les usages et pratiques des habitants

trame de végétation urbaine.

au quotidien ont souvent échappé aux

La Sebkha désigne à Nouakchott

planificateurs. Aussi, nous avons choisi

une dépression salée de très grande

Des plantations dans le désert ? Tel est le

de partir de la pratique urbaine de ceux

étendue. Située sous le niveau de la mer,

défi que nous proposons à

qui vivent la ville pour concevoir nos

cette zone déclarée non constructible

Nouakchott ! En utilisant les défaillances

propositions. Nous avons donc imaginé

est pourtant habitée par des milliers de

du réseau d’adduction en eau de la

quatre personnages qui évoquent des

Nouakchottois. S’il est impossible de lut-

ville, nous développons une stratégie

situations réelles de vies quotidiennes à

ter contre cette énergie naturelle, alors

naturalisante et opportuniste.

173


AMADOU, 7 ans, écolier à Kouva.

Une quatrième énergie de Nouakchott,

ou récits, les énergies humaines et

communément perçue comme négative,

naturelles comme ressources, les actions

est la croissance de l’habitat spontané,

et les horizons. Cette méthodologie

issue de la pratique de la gazra. Si nous

croise quatre thèmes identitaires de la

2014

changeons notre point de vue il est pos-

ville : la lagune, la dune, les mobilités et

Je m’appelle Amadou. J’habite au

sible d’apprécier cette pratique comme

la fertilité des sols. Tous interagissent et

quartier de Kouva avec mon oncle, ma

une dynamique précieuse : la capacité

s’équilibrent les uns les autres. Nos qua-

tante et mes cousins. J’ai sept ans et je

de la population de mener à bien des

tre éléments sont comme les pièces d’un

vais à l’école de mon quartier. Parfois le

initiatives individuelles, constructives.

mobile : tous participent du dynamisme

week-end je vais à la plage des pêcheurs

de la ville et fondent son identité.

pour acheter du poisson.

Pourquoi ne pas faire avec ces énergies

Et puis j’attends avec impatience le soir

et les faire participer au développement

Quatre micro-récit pour raconter la ville

pour aller jouer au foot avec mes amis

équilibré de la ville ?

et ses transformations :

du quartier. Depuis peu, je suis préoccupé. Le temps

Quatre éléments définissent le travail de notre équipe : les micro-histoires

174

avance et bientôt ce sera l’hivernage.


Ma famille et moi avons beaucoup

récurrents à chaque hivernage, les élus

changé et les après-midi je joue encore

souffert l’année passée pendant la

ont pris une décision radicale : ils ont

avec mes amis Cheikh Tijani et Ahmed.

saison de pluies. Notre maison a

démoli les maisons de Kouva les plus

Les gravats de nos anciennes maisons

été inondée et nous avions dû nous

vulnérables. Au début nous étions con-

ont servis à construire des digues. Mon

déplacer à Toujounine chez des parents.

tre, mais rapidement des réunions et des

oncle m’a expliqué que ces digues

Vers le mois de décembre nous sommes

discussions ont été organisées et nous

servent à accompagner l’eau tombée

revenus à Kouva, mais nous avons perdu

avons accordé la démolition à condition

du ciel vers de zones de Sebkha non

nos affaires… Soit elles se sont abîmées,

de reloger ceux qui le souhaitent au plus

habitées. Ce qui limite les dégâts et puis

soit elles ont été volées pendant notre

près du quartier. Pour ma part, ce que

comme il dit, notre maison fait partie de

absence. Que va-t-il se passer cette

je craignais le plus c’était de changer

la mémoire de Kouva.

année ? Va-t-il pleuvoir autant que

d’école… J’aime bien la mienne, j’y suis

Lors du dernier hivernage nous avons

l’année passée ? Devrons-nous partir

attaché.

encore subi les inondations mais nous

encore ?

Notre maison a été démolie. On nous a

n’avons pas été obligé de quitter la

relogé sur un terrain entre la route de

maison, sauf une semaine de fortes

2016

Nouadhibou et Nasser, assez près de

pluies où l’on a été relogés avec d’autres

J’ai déjà 9 ans. Suite aux problèmes

notre ancien quartier. Ma vie n’a pas trop

familles, sur une plateforme bâtie sur pilotis. Là on était plusieurs familles et on dormait sur des matelas rehaussés sur des palettes. Alors on a fait pareil à la maison, il paraît que c’est une bonne idée pour se protéger du sel qui remonte dans le sol et qui peut rendre très malade. 2030 Il y a 15 ans on a été relogés. Depuis, la démolition des maisons s’est poursuivie et par conséquent les digues se sont multipliées. Il n’y a plus de maisons dans l’ancien quartier de Kouva ni dans presque toute la Sebkha. Maintenant ça s’appelle le Bassin de Kouva. C’est un espace très agréable, il y a des plantes et des oiseaux. Les plateformes qui autrefois avaient servi pour accueillir des familles en cas d’urgence sont devenus des observatoires pour admirer la lagune, les oiseaux migrateurs et la flore. Des écoliers et des familles, profitent de cet espace, ainsi que des

La lagune

touristes. D’autres plateformes ont été aménagées pour le sport. J’aime bien

175


Les mobilités

Les zones de fertilité

ce qui a été fait ! Nous avons beaucoup

inondations et aux remontées de sel.

j’ai proposé à ma famille de déménager

moins de problème de pluies ces cinq

Ma maison est presque imperméable

à l’Est de Dar Naim, un quartier qui, à

dernières années. Aujourd’hui la Sebkha

aux pluies et à l’eau de la nappe. Néan-

mon avis, prendra de l’importance dans

est une zone naturelle protégée et on

moins, pendant l’hivernage notre villa

quelques années puisqu’on est tout

n’y construit plus de maison.

devient comme une île, entourée d’eau.

près du nouveau centre de la ville. On a

Les moustiques sont nombreux à cette

acheté un terrain et on y a fait une belle

période et il est difficile de se déplacer.

maison. Ici on n’a pas des

Même les taxis refusent de circuler dans

problèmes pendant l’hivernage… notre

notre quartier. Du coup, mes affaires

vie a beaucoup changé. Maintenant les

ralentissent, les importations d’habits

services peuvent accéder au quartier

provenant de Dubai et de Chine, ils faut

toute l’année, on est mieux desservis.

2014

les réceptionner et les stocker. C’est un

Une idée germe dans ma tête depuis

Je suis originaire de Néma, j’habite avec

problème. Devrait-on penser à démé-

quelques mois… En tant que femme

mon troisième époux à Centre Émetteur.

nager ? Mais, pour aller où ?

d’affaires, je vois la possibilité d’investir à

ZEINABOU, femme d’affaires, au Centre Émetteur, elle habite avec son troisième époux et ses enfants

J’ai une fille qui suit des études universi-

la zone nommée Parc Touristique Désert

taires à l’étranger et un fils qui n’étudie

2016

pas et qui ne travaille pas non plus. Mes

Nouakchott est en train de changer. Il y a

deux petits enfants vont au collège à

eu beaucoup de projets de stabilisation

2030

Nouakchott. Jusqu’en 2004 j’habitais à

de dunes. On n’a plus l’impression d’être

Aujourd’hui je suis copropriétaire d’une

Socogim Tevragh Zeina, mais à présent

perpétuellement en danger soit à cause

Société Civile Immobilière (SCI) aux pieds

j’ai loué cette maison ici, à Centre Emet-

de l’eau soit à cause du sable. Et toute

des dunes. C’est une résidence hôtelière

teur. J’ai demandé à rehausser la maison

cette verdure autour… Je commence

avec d’un côté, la végétation qui avait

et de mettre une fondation avec du

à voir le désert autrement. On devrait

été plantée pour stabiliser les dunes et

ciment anti-sel pour la protéger face aux

être fiers de vivre ici. C’est pour cela que

de l’autre, une grande dune vierge. C’est

176

en Ville. Je dois bien y réfléchir…


magnifique, on valorise notre paysage.

de circulation. C’est ainsi que Dieu l’a

J’ai l’impression que je passe mes

Notre hôtel s’appelle « Aux pieds de la

voulu. C’est elle qui m’a proposé en 2008

journées dans des taxis… Je vis entre

dune », il attire les touristes et les gens

de faire une gazra à M’geity, une zone

le travail, la gazra et chez ma femme,

venus pour affaires. Dans notre rési-

lotie attribuée à Dar Naim. Avant on

trois points éloignés et mal reliés. Est-ce

dence ils sont en ville et en même temps

habitait à Dar El Beida (El Mina), car l’État

qu’on ne va jamais trouver une solution

au contact du désert.

nous y avait donné un terrain suite au

à ce problème ? Dar Naim est une vérita-

Les dunes, ce sont nos espaces publics

recasement de Kebbe el Mina.

ble enclave au sud-est de l’aéroport.

à nous. Le soir venu, on y fait un peu de

Je travaille et je peux nourrir mes

marche pour se maintenir en forme, les

enfants, al-hamdoulillah. Je suis docker

2016

enfants s’y amusent et mon mari, de son

au Port de l’Amitié.

Depuis deux ans la situation du trans-

côté, part souvent s’asseoir aux Khaimas,

Je me suis remarié et mon épouse refuse

port urbain s’est franchement améliorée,

boire du lait de chamelle et faire du thé.

de vivre à M’geity, pour être proche de

en grande partie parce qu’on a un

ses parents âgés, don’t elle s’occupe et

système qui s’appuie sur les voiries sec-

ne peut confier à personne d’autre.

ondaires, ce qui nous permet d’aller d’un

Pour cette raison, elle se voit obligée

point à l’autre de la ville sans être obli-

de rester dans la maison familiale à

gés de passer par Capitale. Il y a à peu

Ryadh. J’ai peur de perdre la gazra et

près un mois le père de ma femme a eu

c’est pour cela que tandis que je passe

une insuffisance pulmonaire. Cette fois-

les nuits à Ryadh avec ma femme, mes

ci, al-hamdoulillah, il est arrivé à temps à

2014

enfants habitent à M’geity. Je crains que

l’hôpital, car la circulation au centre-ville

Je m’appelle Mohamed. Je suis père de

quelque chose leur arrive, et c’est pour

est beaucoup plus fluide qu’auparavant.

trois enfants scolarisés. Ma première

cela qu’ils passent la nuit chez ma sœur,

Par conséquent, je ne passe plus autant

femme est décédée suite à un accident

qui a fait la gazra tout près de nous.

de temps dans les taxis. Là où pour cer-

RÉCIT DE MOHAMED, docker au Port de l’Amitié, vit à M’geity (Dar Naïm), père de trois enfants. Marié (second mariage)

177


tains parcours j’étais obligé de prendre

en propriété suite au recasement de

délimités par des poteaux bleus. C’est

trois taxis, à présent je n’en prends que

l’ancien quartier de Mellah.

nouveau. Là-bas ils se sentent bien

deux, mes frais ont diminué.

Vers 16h je rentre à la maison. Je reste un

protégés, les voitures ne peuvent pas les

peu avec mes enfants et puis je pré-

renverser et, grâce à l’ombre des arbres,

2030

pare du couscous, que je vends assise à

c’est un espace frais.

Je ne travaille plus au Port de l’Amitié.

l’ombre d’un arbre qui a poussé entre le

Non, non, je ne suis pas encore à la

goudron et une boutique.

2030

retraite, mais maintenant je travaille

Le soir quand je rentre à la maison.

Mes enfants ont grandi. Les deux aînés

beaucoup plus près de la maison.

Les enfants dorment déjà. Déjà au lit,

travaillent, tandis que les deux petits

Les parents de ma femme sont mal-

je réfléchis ... Chaque jour je dépense

sont au lycée. J’habite toujours à Mellah

heureusement décédés et maintenant

minimum 600 UM en transport. Et le

4, d’où je n’ai pas déménagé car je m’y

nous habitons avec les enfants à M’geity.

pire c’est ce temps que je perds pour me

sens à l’aise et que je pense que c’est un

On a créé dans la ville de grands mar-

déplacer d›un point à l’autre de la ville.

bon quartier.

chés transfrontaliers tels que celui de

En fermant les yeux, l’image de mon

De temps en temps je reçois mes amis.

Bamako, où je travaille, sur la route

arbre me vient en tête… Il est apparu

« Venez à la maison, juste derrière

de l’Espoir, pas loin de Dar Naim. Les

quelques mois après avoir entendu au

de la zone des eucalyptus ». Ah oui,

camions provenant du Port de l’Amitié y

marché que le projet Aftout Sahelie

maintenant il y a des arbres à côté du

arrivent directement sans passer par le

(canalisations d’eau) avait été mis en

goudron, de sorte que les habitants

centre-ville, en contournant la partie sud

place à Nouakchott. A-t-il quelque chose

peuvent profiter de l’ombre. Vous

de Nouakchott.

à voir ?

vous demandez peut-être d’où sont

Depuis déjà deux ans je suis grand-

sortis ces arbres… C’est le produit des

père. Ma fille m’a donné un petit-fils

2016

carrés protégés par la Commune ! C’est

qui est né sain et beau, mashallah. Il est

Ma vie s’est améliorée. Maintenant à

devenue une pépinière qui permet de

né à l’Hôpital de Dar Naim, un nouvel

Mellah 4 il y a un potager de quartier. On

planter des arbres ailleurs dans la ville.

équipement du quartier.

a décidé de son emplacement avec les

Maintenant, entre les poteaux bleus, en

voisins, ceux qui l’estiment convenable

plus d’un espace de détente, il y a un

peuvent s’inscrire à la liste d’usagers.

jardin d’enfants et une petite mosquée.

RÉCIT DE MARIÈM, vendeuse de légumes et de couscous, vit à Toujounine, divorcée, 4 enfants.

J’ai eu de la chance et j’ai été choisie parmi tous ceux qui ont postulé. Je

Présentation de l’équipe :

peux cultiver mes légumes et les ven-

Mouctar MAMOUDOU, Urbaniste - Génie

dre sur le marché du quartier. Je ne suis

urbain (Niger)

plus obligée de faire de longs déplace-

Marina THON HON, Paysagiste (France)

2014

ments. Je dispose de plus de temps pour

Marta ALONSO, Socio-anthropologue

Aujourd’hui, comme chaque matin, je

m’occuper des enfants et de la maison.

(Espagne)

me suis rendue au Marché Marocain

Cela a permis à ma fille de reprendre

Cheikh Tijani O / CHEIKH MOHAMEDOU,

pour acheter des légumes qu’après

l’école. De plus, bien que je doive payer

Ingénieur hydraulique (Mauritanie)

je revends à ma boutique du Marché

une location modique à la Commune

Nelly BRETON, Architecte- urbaniste

Lehmoum. Je m’appelle Marièm et je

afin de pouvoir travailler ma parcelle,

(France)

suis originaire de Kankousa (Asaba).

j’ai une marge de bénéfice puisque je

Bertrand REYMONDON, Urbaniste –

J’habite avec mes quatre enfants à

n›ai plus d’intermédiaires et, de plus, j’ai

Architecte (France)

Mellah secteur 4 (Toujounine) depuis

réduit beaucoup de frais de transport.

Marc Antoine DURAND, Architecte

2003, quand l’État m’a donné un terrain

Mes deux fils jouent dans des espaces

(France)

178


MARC-ANTOINE DURAND est archi-

GERPHAU – UMR 7218 MCC/CNRS

tecte DPLG, diplômé de l’Ecole

LAVUE (Laboratoire Architecture Ville

Nationale Supérieure d’Architecture

Urbanisme Environnement).

de Paris la Villette, et titulaire d’un

Il est fondateur et gérant de la

DEA en philosophie. Il est Maître-

société MAD architecture http://

Assistant Associé à École Nationale

www.mad-architecture.com/

Supérieure d’Architecture de Cler-

et co-fondateur de la plateforme

mont-Ferrand (Master Entre Ville

de recherche en stratégies urbaines

Architecture et Nature) et enseignant

durables appliquées aux villes

à l’École Spéciale d’Architecture à

africaines - ÉWÉ : https://eweworks.

Paris (DES Architecture des Milieux).

wordpress.com/

Depuis 2004, il participe aux travaux de recherche du laboratoire

179


DESIGN

Comment une certaine pratique du design peut être assimilée à

l’anthropologisme Texte est photos par Jean-Marc Bullet

180


A Trénelle, un quartier périphérique de

m’amène à m’interroger sur la nature des

utilisent aujourd’hui. Elles renvoient

Fort-de-France,le maire de la Ville de

questions posées et des réponses de leur

à des valeurs culturelles et sociales

l’époque a décidé en 2006 de mener une

destinataire. Les questions n’entrainent

de l’époque coloniale. L’usage de ces

résorption d’habitat insalubre ou RHI

elles pas un certain point de vue sur le

matériaux n’a pas pour objectif de faire

Cette RHI a plusieurs objectifs : L’amé-

quartier?

revivre des valeurs d’antan, perdues avec

nagement et le désenclavement, le

Le projet de « design en territoire rhi-

la modernité, mais plutôt de projeter les

maintien sur place de la population, la

zomique », regroupe des objets conçus

habitants au sein de leur société propre.

préservation de la cohésion sociale, l’ac-

comme des catalyseurs sociaux dans

Le designer oppose les matériaux qu’il

compagnement social, etcPour se faire,

le quartier Trenelle. Ces objets inter-

a choisi à d’autres matériaux, comme

l’équipe municipal décide de faire appel

rogent la relation que les usagers ont

la matièr plastique par exemple, qui

à un anthropologue qui a pour mission

avec leur environnement et les autres

représente la société de consommation,

de collecter et de mettre en valeur des

habitants du quartier. Le designer mène

plutôt aliénante.

témoignages oraux d’habitants ou d’ac-

une forme de recherche par l’action. Il

Chacun de ces objets questionne le lien

teurs de la vie du quartier (enseignant,

fabrique des objets, les testent auprès

social de manière singulière.

animateur social ... ). À chaque habitant

des usagers, sur leur lieu de vie. L’objectif

interrogé l’anthropologue demande

étant à travers des dispositifs d’objets,

- L’échelle de culture est une structure

de se présenter brièvement puis par-

d’amener les habitants du quartier à se

en bois dont le concept repose sur

ler de son arrivée dans le quartier et

questionner sur leurs relations sociales,

l’échelle nécessitant un mur pour se

de la construction de celui-ci. Ànoter

leur mode d’habitat. Ces objets, une

définir comme tel. Le designer à partir

que, seuls les premiers arrivants sur le

échelle de culture en bois, un cueille-

de l’observation de la densité des habi-

territoire sont interviewés. De ces enre-

fruit en bambou , un contenant en fibre

tations, choisit cette typologie d’objet

gistrements sonores effectués par les

de coco, sont fait de matériaux que l’on

afin que le propriétaire de l’échelle soit

anthropologues, on retient une certaine

peut trouver en grande quantité au sein

amené à poser l’objet sur le mur de son

fierté, une nostalgie d’une solidarité

du quartier. Bien que familières, ce ne

voisin. N’étant pas propriétaire du mur,

perdue des habitants du quartier. Ce qui

sont pas des matières que les habitants

un dialogue entre les deux personnes

181


DESIGN

doit s’engager afin de faire exister le

redéfinit pour mettre en évidence les

largement nos modes de vie. Afin de

dispositif .

enjeux. Ainsi, l’antropologue conçoit

compléter cette définition j’emprun-

« l’autre », comme objet d›étude, tandis

terai les mots du designer Stéphane

que le designer l’intègre dans le proces-

Villard1: « Le design est un propos, une

sus de conception de l’objet.

posture sur l’organisation matérielle et

- Le cueille-fruit est placé sous chaque arbre fruitier de l’espace commun du quartier. Ces espaces communs

symbolique de notre imaginaire dont

ne sont ni privés, ni publics. Ils sont sous

Pourtant tout comme l’anthropo-

les formes éprouvent concrètement les

le regard du voisinage. Là encore le

logue, ces dispositifs mis en place par

possibilités et potentiels de leur réalité

designer ne sait pas ce qui va se pas-

le designer n’envisagent-ils pas un

dans nos sociétés».

ser. Va-t-on utiliser le cueille-fruit et le

type de réponses et de réactions ? Ne

remettre à sa place, ou le garder pour un

s’adressent-ils pas qu’à une population

arbre de sa propriété?

donnée ?

Mot clés: Anthropologie : collecter, enquêter,

- Le contenant fibre de coco

Définition du design :

observer, peuple, culture, interactions,

rempli de terre, mesure au minimum

Le design est une activité de création

social, habiter, symboles, codes, inter-

250 cm de long et de 40 cm de large. Il

souvent à vocation industrielle ou

viewer, empathie,

est destiné à plusieurs habitants voisins

commerciale, pouvant s’orienter vers

qui partagent l’espace cultivable pour

les milieux sociaux, politiques, scienti-

Design : Inventer, réanimer, recombiner,

y introduire leurs plantes potagères ou

fiques et environnementaux. Apparue

configurer, proposer, matériau, disposi-

décoratives. Les habitants vont-ils diviser

en Europe à la fin du 19eme siècle, son

tifs, matière,

cette portion de terre ? vont ils mettre

objectif consiste à allier l’esthétique des

en commun leur récolte, ou adopter les

objets industriels et leur fonction. A

deux choix potentiels?

l’origine au service de l’industrie, il est

1

Si l’anthropologue observe et décrypte

un outil conceptuel pour repenser les

Mercredi 05 février 2014.

les usages, le designer, en revancheles

objets domestiques, l’habitat et plus

http://vimeo.com/86981331.

182

Stéphane Villard, Design au banc n°21,


« SI L’ANTHROPOLOGUE OBSERVE ET DÉCRYPTE LES USAGES, LE DESIGNER, EN REVANCHELES REDÉFINIT POUR METTRE EN ÉVIDENCE LES ENJEUX. AINSI, L’ANTROPOLOGUE CONÇOIT « L’AUTRE », COMME OBJET D’ÉTUDE, TANDIS QUE LE DESIGNER L’INTÈGRE DANS LE PROCESSUS DE CONCEPTION DE L’OBJET. »

Biographie : Après des études à l’Institut Régional d’Art Visuel de la Martinique (où il enseigne aujourd’hui), JeanMarc Bullet est diplômé de l’École des Arts Décoratifs de Strasbourg où il y découvre le paysage. C’est à la suite de cette formation qu’il réalise ses premiers jardins. Designer (Bullet &associés) et chercheur (Laboratoire international sur l’habitat populaire), il s’intéresse aux besoins de populations vivant dans les milieux populaires à travers le monde (Madagascar, Bénin, Martinique).

183


EXHIBITION REVIEW

1:54 debrief

‘’Battlegrounds’’, 2012 Courtesy of the artist

by Francine Mabondo

The second edition of 1:54, Europe’s

Material Company in Dakar) during her

leading Contemporary African Art Fair,

opening speech of the Forum Educa-

taking place at the Somerset House

tion Programme at 1:54. She stressed

Bruce Clarke is an interesting character.

in London from October 16 to 19 ,

the importance of exposing the multiple

He was born in England of South African

2014, was yet again a vibrant place to

specificities of African contemporary

parents, and after studying fine art at

discover works of arts by more than

art, especially in the context of today’s

Leeds University, moved to Paris twenty

100 international artists showcased by

globalised means of cultural production.

years ago. His parents were activists

27 galleries from Kenya, South Africa,

In other words, there is no one African

during and after the Apartheid period in

France, Germany, UK and USA. Taking

specificity, there are many. And this

South Africa, and as a result Clarke devel-

place during Frieze week, it was also a

is precisely what the Education pro-

oped from an early age a critical position

unique opportunity to explore the rap-

gramme has proposed to explore this

in regard to society. Later on, his practise

idly emerging African market with some

year by placing ‘the artist’ at the centre,

became a visual platform of research for

of the most influential people in the art

with conversations engaging on the very

his political commitment and reflection

world. Despite the collective effort to

idea of ‘practise’. Overall, it was a great

on writing and transmission of history.

remain cheerful, the tension was palpa-

relief to observe that we have passed

His late work engaged with ideas of rep-

ble around the booths of the Somerset

the stage of justifying the presence of

resentations of the body in the context

House. It was a big deal to be here, and

African artists and gone on to a much

of physical violence, collective death and

somehow one could not resist the evil

more intriguing perspective of actually

traumas. In a recent series of paintings,

question: are there specific qualities in

engaging with works of art.

‘Body Politics’, Clarke questions the vis-

th

th

African contemporary art that justify the

Courtesy of the artist

ibility of the dead body.

creation of an African Art Fair?

BRUCE CLARKE (London, b.1959)

’’ (...) before we could quantify the

‘Yes, yes, and yes’....was the answer given

‘’ I resist the modelling of human body’’

casualties and the volume of dead bod-

by curator Koyo Kuo (Director of Raw

‘’Battlegrounds’’, 2012

ies during a war...nowadays, it seems

184


that we completely deny the suffering

refining his language and making the

that is his contribution to an on-going

of the body ...we can’t see dead bodies

journey into his work more interesting.

project in relation to the genocide of

anymore and even the vocabulary has

He invites the viewer into his work by

the Tutsi in Rwanda. During an intense

changed...since 2003 in Iraq, there have

creating an aesthetic trap of choreo-

period of collaboration with local asso-

been 200 000 killed, have you seen any

graphic body movements. The addition

ciations in the country, Clarke explored

of these killed bodies? ‘’

of words and collages subsequently

the meaning of creating an art work in

Clarke started as a painter, but over

produce a conversation with the subject.

the context of extreme violence. How

the last decade found this medium

Each painting becomes the possibility of

can an artwork restore dignity and help

too passive to carry political questions.

another one, past or future, inducing an

grievance?

Progressively, Clarke uses words to

infinite movement in time.

‘’I am here to do a work with my head

interact more directly with the viewer,

But his paintings are just a trace of much

and not an emotional subjective work...I

thus creating obvious references on the

more sophisticated reflection. His work

saw artists representing very naively Afri-

canvas, but as his confidence grows, he

is conceptual and happens far before

cans killing Africans...this is not what we

takes some distance from his subject,

the realisation of an object. Evidence of

are talking about....we cannot create an art work at the expense of the victims.... there is no point staging up emotions... what really matters is understanding the need of victims...we cannot afford shortcuts and simplications...’’ On the occasion of the Rwandan genocide 20th anniversary in 2014, Bruce Clarke has realised a collective project of mural paintings, ‘Les hommes debout,’ on the memorial site for the victims of the genocide of Tutsi in Rwanda. Bruce Clarke is currently working on a series of painting on the suffering of the body at work. For more information, please visit www.bruce-clarke.com PEJU ALATISE (Nigeria, b. 1975) ‘My work is very critical of the Nigerian Government and the inequality of social standards but also, from time to time, it takes shelter with me in the world of Yoruba mythology and existential fantasies’. ‘It was refreshing to see the work of Nigerian artist Peju Alatise at 1:54, in particular the four-panel installation of ‘Girl interrupted,’1 and although (due to

’Girl Interrupted’’, I,ii,iii,iv (2014) detail - 85 cm x 270 cm per panel, 4 panels total, Textile, Resins, & Acrylics

185

a shortage of space) only three pan-


"

IT WAS A GREAT RELIEF TO OBSERVE THAT WE HAVE PASSED THE STAGE OF JUSTIFYING THE PRESENCE OF AFRICAN ARTISTS AND GONE ON TO A MUCH MORE INTRIGUING PERSPECTIVE OF ACTUALLY ENGAGING WITH WORKS OF ART.

"

els were there in the booth of the Art

comes to her artwork, and this some-

riage’ vague allows for all sorts of abuses

Twenty-one gallery, the presence of

times conflicts with the reality of the art

and rights violations. In ‘Girl interrupted’,

the artwork was strongly felt. At first,

market. Architecture comes in handy

Peju Alatise not only exposes the physi-

it looked like children being born from

when rethinking her work, as she uses

cal and moral violence committed by

a wall. They had the aura of a ghostly

the properties of materials, such as

this statement but also the loss and

apparition. The white strips evoked a

durability, texture, weight and colour, to

grieving of these young girls forced to

mummification process, but one that has

transform her work into more portable

sacrifice their childhood to marriage.

been corrupted or altered, and instead

units.

of containing the body, the white strips

But this sense of reality does not prevent

The next éditions of 1: 54 Contemporary

behaved like a carnivorous Virginia

her from producing critical work -- on

African Art Fair will take place:

creeper herb, spreading and holding the

the contrary. She explores issues of gen-

In New York, at Pioneer Works, from May

children back on the panel. Despite this

der, politics and race in Nigerian society,

15 to May 17, 2015.

strong inward force, something came

using a variety of mediums including

In London, at Somerset House from

out like a skin eruption: the birth of the

installation, painting, sculpture and

October 15 to October 18, 2015

amputated.

ceramics. She re-appropriates political

Peju Alatise was trained as an archi-

questions through the prism of Yoruba

tect in Nigeria but she claims that she

mythology, thus creating a resonating

has always been an artist. She painted

bridge within her perception, asking

before she could write and always knew

both narratives to question each other.

she was creative, just did not call herself

‘Girl interrupted’ is part of an ongoing

an artist until she sold her first piece

work, the ‘Child not bride’ campaign in

around the age of 23. Architecture has

response to the passing of a legal article

helped shaped her practise, in terms of

referring to Child marriage in the 2014

discipline but also in terms of materi-

Nigerian constitution. The law includes

als. Inspired by the work of Le Corbusier

a statement : ‘if she is married than she

and Alvar Aalto, she sees a building as

has become of age’. Peju Alatise wants

a beautiful man-made sculpture that

to draw attention to this statement and

is not in competition with nature. She

its outrageous implications. Indeed she

has a tendency to think big when it

believes that leaving ‘the age of mar-

186

Girl Interrupted, i,ii,iii,iv (2014), 85 cm X 270 cm per panel, textile, resins & acrylic Paints


187


EXHIBITION REVIEW

Canibalia

Par Julia Morandeira Arrizabalaga Crédit photo : Aurélien Mole

Née à Bilbao, Julia Morandeira Arrizabalaga est chercheuse et curatrice indépendante. Elle étudie les sciences humaines à Barcelone avant d’intégrer le Goldsmiths College où elle suit un MA en théorie des arts visuels. Elle a été enseignante à l’Université Pompeu Fabra à Barcelone, puis coordinatrice de différents événements culturels avant de réaliser le commissariat général du festival de vidéo barcelonais LOOP et le commissariat du pavillon barcelonais pendant la 9e Biennale de Shanghai. Elle est membre de différents groupes de recherche, «Decolonial Knowledge & Aesthetics», mené entre le centre d’art Matadero Madrid et Goldsmiths College et «Magnetic Declination», un groupe de recherche et de production constitué d’artistes, de commissaires et de théoriciens, s’intéressant aux questions post-coloniales. Pour finir, elle est membre de «Peninsula», un groupe de recherche du musée d’art moderne et contemporain Reina Sofia de Madrid, examinant les pratiques artistiques et curatoriales en relation au passé colonial de l’Espagne et du Portugal. Julia Morandeira Arrizabalaga s’intéresse aux problématiques post-coloniales, à la mondialisation et aux questions géographiques qui en découlent. Spécialisée dans l’art vidéo, elle questionne aujourd’hui le format de l’exposition. Sa dernière exposition, Canibalia, interroge et documente la représentation, la figure, l’allégorie, le portrait, le symbole et le signe du cannibale tant dans la fabrication d’une rhétorique coloniale que dans la production d’un espace de dissidence. Canibalia, une exposition de Julia Morandeira Arrizabalaga, Kadist Art Foundation, Paris | 6 février - 26 avril 2015. Avec les oeuvres de Théodore de Bry, Jeleton, Runo Lagomarsino, Candice Lin, Pablo Marte, Carlos Motta, Pedro Neves Marques, Manuel Segade, Daniel Steegmann Mangrané.

188


Vue de l'exposition. Photo by Aurelien Mole

Pablo Marte "Ojos Imperiales"; Jeleton "Murs Tattouées". Canibalia, vue de l'exposition. Photo by Aurelien Mole

Le cannibale est une invention

référence à d’autres manifestations

l’Indien cannibale devint un objet

récente. Sa première mention date

telles que la féminité vorace, la sorcière

d’étude ethnographique et d’exposition,

du voyage américain de Christophe

lascive ou encore la tension masculine

participant au développement du récit

Colomb en 1492, lorsqu’il entend parler

coloniale entre le désir de manger et la

muséal. En somme, il était l’expression

de mangeurs d’hommes dans des

peur d’être mangé. Il a ainsi contribué

d’une terreur culturelle, avant d’incarner

tribus belliqueuses des îles du sud de

à dépeindre une nouvelle géographie,

la force révolutionnaire anticoloniale,

l’archipel des Caraïbes, « qui avaient

l’Amérique comme un lieu d’abondance

prolétaire et anti-patriarcale, à travers

juste un œil, un visage de chien",

et d’exubérance, mais aussi comme

notamment le personnage de Caliban

appelés carib et caniba. La création de

un vide culturel à remplir. De plus, les

(une anagramme de cannibale, antihéros

ces deux termes — qui ont ensuite à la

pratiques sexuelles « innommables »

de Shakespeare) dans la littérature

fois désigné le monstre anthropophage

et les « mauvaises habitudes » décrites

latino-américaine.

et la zone géographique qu’il occupe

dans les récits de voyage ont participé

— résume bien le creuset colonial,

à sa perception comme un lieu

moderne et capitaliste dans lequel cette

d’abjection. Au-delà de la morale, le

figure s’est construite. Le cannibale

cannibale pouvait aussi faire référence

a ainsi défini un sujet, un territoire et

à l’Indien rebelle et à la main-d’œuvre

un imaginaire instable et spéculatif

d’un nouveau système d’exploitation

dans lesquels les spectres renouvelés

et d’expropriation. Toujours représenté

d’altérité, d’anxiétés culturelles et

avec des motifs végétaux, il était la

d’intérêts impériaux ont convergé. Être

marque du sauvage, du sans foi ni loi,

sacrifié, coupé en morceaux, dévoré

de tout ce que la modernité considérait

devient alors la crainte la plus récurrente

comme primitif. Le cannibalisme se

dans l’imaginaire des Européens envers

trouvait à cette époque au cœur des

l’Amérique, donnant naissance à une

débats juridiques, faisant du cannibale

multiplicité de significations et d’images

un objet de loi et de justification pour

du trope du cannibale.

la conquête, mais aussi à l’inverse, une

Le cannibalisme a toujours plus eu à voir

métaphore de la violence des colons.

avec les idées et l’imagination qu’avec

À l’âge des premières collections et

l’acte même de manger, faisant plutôt

classifications de la connaissance,

189

“LE CANNIBALISME A TOUJOURS PLUS EU À VOIR AVEC LES IDÉES ET L’IMAGINATION QU’AVEC L’ACTE MÊME DE MANGER, FAISANT PLUTÔT RÉFÉRENCE À D’AUTRES MANIFESTATIONS TELLES QUE LA FÉMINITÉ VORACE, LA SORCIÈRE LASCIVE OU ENCORE LA TENSION MASCULINE COLONIALE ENTRE LE DÉSIR DE MANGER ET LA PEUR D’ÊTRE MANGÉ.“ Depuis sa création, la figure du cannibale déborde le simple acte anthropophage, s’inscrivant davantage


“ON PEUT D’AILLEURS TIRER UN FIL VERT DU CANNIBALISME DEPUIS LES RÉCITS DES COLONS AU XVIE SIÈCLE JUSQU’À L’ANTHROPOLOGIE AUJOURD’HUI, EN PASSANT PAR LES ÉCRITS ET LES TRAVAUX DU MOUVEMENT ANTROPOFAGIA DANS LES ANNÉES 1920 AU BRÉSIL, LES COSMOGONIES AMÉRINDIENNES ET LA RECONNAISSANCE DES DROITS DE LA NATURE.“

De haut en bas : - Pedro Neves Marques "Where to sit at the dinner table?". Canibalia, exhibition view. Photo by Aurelien Mole - Runo Lagomarsino "If you don't know what the south is, it's because you are from the north". Canibalia, exhibition view. Photo by Aurelien Mole

190

De haut en bas : - Pedro Neves Marques "Where to sit at the dinner table?"; Daniel Steegmann Mangrané "Kiti Ka'aété (Reverse)"; Jeleton "Murs Tattouées". Canibalia, exhibition view. Photo by Aurelien Mole - Carlos Motta "La Visión de los Vencidos (The Defeated)". Canibalia, exhibition view. Photo by Aurelien Mole


dans l’idée de guerre et de vengeance.

ers, un tracé nocturne fait d’accidents

Manger l’autre signifiait manger sa

et de temporalités disparates. Bien

position et sa perspective sur le monde,

qu’incertaine par moments et néces-

ce qui impliquait la transformation de

sairement incomplète, Canibalia

soi à travers l’incorporation de l’autre

propose néanmoins un dispositif pour

ainsi qu’une compréhension de la

l’imagination politique. En ce sens là,

société comme une force centrifuge

elle est une invitation d’où (re)penser

d’échange. Ce schème fonctionne

le cannibalisme et le cannibale comme

dans un contexte où les partitions

espaces de dissidence, de désir, de com-

modernes entre la nature et la culture,

munauté, d’écologie et d’échange.

l’animé et l’inanimé, l’humain et le non humain, n’opèrent pas. Au lieu de cela, il propose une topologie de perspectives et de positions dans un écosystème interconnecté, dans lequel la distribution prend la place de la production et l’échange se substitue à l’accumulation. On peut d’ailleurs tirer un fil vert du cannibalisme depuis les récits des colons au XVIe siècle jusqu’à l’anthropologie aujourd’hui, en passant par les écrits et les travaux du mouvement Antropofagia dans les années 1920 au Brésil, les cosmogonies amérindiennes et la reconnaissance des droits de la nature. Canibalia explore la construction du cannibale comme image sismique : comment le cannibalisme – considéré comme un paysage métaphorique – défie et réarticule constamment la rhétorique de la colonialité, qu’elle soit impériale ou globale ; comment, il implique à la fois la peur de la dissolution de soi et l’appropriation d’une différence. L’exposition dessine ainsi une cartographie aux mouvements ambivalents et aux éclairages irréguli-

191

Daniel Steegmann Mangrané - Kiti Ka'aeté (reverse) 2011; collage and single slide retroprojected, hole in the wall Courtesy of the artist, Murias Centeno (Lisbon), Esther Schipper Gallery, (Berlin) and Mendes Wood DM (São Paulo)


EXHIBITION REVIEW

192


Dans le cadre du symposium-performance : «Au delà de l’Effet-Magiciens », organisé par le collectif le peuple qui manque, AFRIKADAA a effectué une performance le dimanche 8 février 2015 aux Laboratoires d’Aubervilliers. Crédits photos : Marie-Laure Lapeyrère et Fred Galard

193


CARNET DE BORD

Ultramar (Empire Travel Club) Où l’agence de voyage par les images

Par Pascale obolo Crédits photographiques : Romarick Tisserand et Myriam Dao

L’artiste Romaric Tisserand questionne et redéfinit l’archéologie de l’image. Son projet artistique Ultramar est une installation photographique, réalisée à partir d’archives photographiques, accompagnée d’une vidéo Naçao. Naçao retrace le récit de l’archive au format fictionnel, à travers un dialogue entre un jeune soldat portugais en Outre-Mer (Angola) et une jeune fille qui l’attend à Lisbonne.

194

Romaric Tisserand à la Librairie Yvon Lambert - Photo © Myriam Dao


La genèse du projet Ultramar

Ces archives n’ont pas l’air d’intéresser

caractérisés par l’absence d’images. Là,

En 2001 découverte de six rouleaux de

les institutions. J’en discute avec

je me retrouve avec des négatifs, qui

négatifs anonymes de 36 poses, enfouis

quelques amis qui me font comprendre

prouvent qu’un événement a eu lieu. Il

sous les pavés d’une rue de Lisbonne.

que l’histoire coloniale est taboue, péri-

fallait que je trouve un protocole.

Ces derniers composent l’installation

ode qui n’intéresse guère les portugais.

Le statut d’artiste nous libère de beau-

photographique de l’artiste Romaric

Pendant quelque temps je laisse de coté

coup de contrainte.

Tisserand. Ces six rouleaux racontent

ces négatifs, pensant ne pas avoir la

Il te libère d’abord de la contrainte pure-

la période coloniale portugaise, via le

légitimité de me les approprier. Je ne

ment académique qui serait celle du

quotidien d’un jeune soldat appelé en

comprenais pas le contexte. Et je ne

déclencheur de la vérité, de la prospec-

Angola, Ultramar (Outre-Mer évoquant

voyais pas l’usage que je pouvais faire

tion. Ma chance en tant qu’artiste c’est

ainsi la vision fraternelle d’une nation

avec ces négatifs. Mais je me sentais

de pouvoir jouer avec des signes, mettre

bientôt frappée par la guerre civile. Ces

redevable historiquement. Lors d’un

en adéquation ou en confrontation des

images rafraichissant l’imaginaire exo-

voyage à Cuba, je me retrouve avec

symboliques. Le travail que je fais sur ces

tique et colonial intriguent ! Pourquoi

des vétérans cubains de la guerre en

archives est de l’ordre du questionne-

avoir voulu les soustraire à la mémoire

Angola et je rencontre l’artiste cubain

ment. Je ne suis pas en train d’affirmer

collective ?

Adis Flores qui a fait la guerre là-bas.

une vision de cette Afrique lusophone

Au-delà de sa valeur « représenta-

Cette guerre l’a traumatisé. Il travaille sur

en plein débâcle pendant la période

tive », « descriptive », « documen-

l’uniforme de guerre. L’art est devenu

coloniale. Au cours de ces moments de

taire », à la lecture de ces images

une forme de thérapie pour lui.

guerre, les images étaient en grande

photographiques, le travail de l’artiste Romaric Tisserand interroge sur le rôle des archives dans notre perception du réel, ainsi que sur « l’appropriationisme » à savoir une pratique consistant à reproduire ou à retravailler sur des images existantes afin de produire une nouvelle œuvre accompagnée d’une relecture contemporaine.

Afrikadaa : Comment découvrez-vous ou héritez-vous de ces négatifs ?

partie fabriquées par les colons.

“ LE STATUT D’ARTISTE NOUS LIBÈRE DE BEAUCOUP DE CONTRAINTES “

L’histoire est écrite par les vainqueurs.

A : Pouvez-vous nous expliquer votre projet artistique. Comment est né ce projet ?

logique administrative pour constituer

R. T : Je rencontre la commissaire Valérie Fougeirol, avec qui j’avais déjà collaboré sur ma série « Les anonymes ». En lui montrant les négatifs, intéressée par le

Romaric Tisserand : Lors de mon séjour à

contenu elle m’encourage à travailler

Lisbonne pendant mon service national

sur ces archives. C’est à partir de cette

civil, en garant ma voiture, j’entends un

commande que je me décide à produire

bruit de celluloïd qui craque sous les

l’œuvre. J’ai commencé à développer

roues. Par curiosité je descends et là, je

mon propos, de plus ce qui était intéres-

trouve une pellicule photo ; en tirant ces

sant, c’était de travailler sur des archives

négatifs je vois un bout de film, noir et

de guerre où par chance l’on ne voit

blanc complet et là j’aperçois dessus des

pas la guerre. Elle est présente. On voit

africains, des colons avec des mitrail-

des militaires, des véhicules blindés, des

lettes.

armes. Tous ces grands événements sont

195

Je me retrouve avec 191 images, dont une quantité de portraits. J’imagine que ces photos ont été prises dans une des documents. C’était très gênant car il y a avait des photos où les gens baissaient les yeux. On comprenait qu’elles étaient faites sous la contrainte. J’ai essayé de trouver un sens qui puisse guider la lecture. Comment montrer ces photos sans tomber dans l’accusation ? Car ce sont des images d’un belligérant. Pourquoi l’ancien propriétaire a t-il cherché à cacher ces images ? Je ne sais pas si ces images viennent d Angola ou de la Guinée Bissao. Je n’ai pas réussi à déterminer la localisation géographique d’où les photos ont été prises.

A : Pouvez-vous nous parler du dispositif de l’exposition ?


R. T : A l’image d’archive,

jaune du drapeau portugais

je veux redonner un sens

et noir du futur angolais. Le

qu’on ne lui a pas encore

bleu évoquant l’océan atlan-

donné. Mettre toutes les

tique, et le blanc, la paix et

images au même niveau :

l’harmonie. Ce jeu combina-

les soldats portugais

toire établit une structure

comme les Africains. Le

narrative singulière. C’est

colonisateur comme le

encore un autre choix

colonisé. J’ai repris un

esthétique qui me permet

protocole très simple du

de créer une iconographie.

19 siècle, celui du cadre

Mon geste artistique se

ovale des vieux albums où

trouve dans le dispositif,

les photographies étaient

pour éviter de revendiquer

en médaillon. Cela rap-

un statut d’historien que

pelle la forme de certains

je n’ai pas. Je ne suis pas

cadres des peintures du

portugais. Mais être luso-

19e siècle. Les médaillons

phone m’a donné l’énergie

de couleurs encadrant les

de travailler dessus. De plus

photographies établis-

j’ai hérité de ces photos je

sent le protocole plastique

ne les ai pas choisies donc il

de lecture : reprenant les

fallait que j’en fasse quelque

couleurs verte, rouge et

chose.

e

Photos © Romaric Tisserand

196


Photos © Romaric Tisserand

Le dispositif de l’œuvre est de créer

que cela soit historiquement parfait ou

évoque à la fois toutes les guerres et la

une agence de voyage du passé. D’un

politiquement correct. En me libérant de

dérive émotionnelle de ces hommes,

pays qui n’existe plus et de reprendre le

cela j’ai voulu dépasser historiquement

partis enfants et revenus hommes. J’ai

protocole d’une agence de voyage d’une

ces archives photographiques, car je ne

choisi un dispositif simple : le cartou-

destination touristique. Ultramar veut

suis pas africain.

che, les cartes postales et la vidéo afin

dire outremer, nom donné aux provinces du pays en dehors de la métropole.

A : Parlons de la création vidéo

Empire Travel Club : reprend la logique

de poser des questions, et interroger sans forcement attendre de réponse. C’est plus intéressant de suggérer que

de l’empire colonial. J’ai repris les out-

R.T : En faisant des recherches j’ai com-

de dire. Dans mon travail, je préfère les

ils de communication des agences de

mencé à puiser dans les échanges des

œuvres qui laissent plus de place, elles

voyages ; d’où la fabrication des posters,

forums de vétérans portugais, angolais,

me parlent plus. Je n aime pas être dans

des cartes postales, et la vidéo qui, elle

mozambicains ; ressources de témoign-

l’explication. Ma déontologie était de

correspond à la bande annonce d’une

ages. L’Etat portugais n’a pas fait de

donner un cadre de lecture très clair

destination touristique. Je me retrouve à

travail de mémoire sur cette période.

à ces archives afin que le public s’en

organiser cette archive, à la transformer

Ces vétérans documentent leur propre

empare librement.

en dispositif-œuvre, comme dispositif-

mémoire. Ma narration s’inspire de ces

exposition. À partir de là, je contourne

témoignages. Je crée un personnage

la question de savoir d’où viennent ces

fictif, Sébastien - qui a vraiment existé,

images, et celle de la façon dont je dois

et j’imagine une correspondance où il

les traiter. Elles deviennent autonomes.

raconte de façon aérienne ce qu’il vit

Cette installation m’a permis de me

dans les colonies. J’ai mélangé des foot-

libérer artistiquement. Dans ce dispositif

ages du Portugal d’aujourd’hui avec les

je n’ai pas besoin de me justifier, ni

archives photographiques. La vidéo

197

A : Vous qui avez toujours travaillé sur des photos anonymes, qu’avez-vous appris en faisant ce projet ? R. T : J’avais un devoir de restitution pas du tout historique ni politique. Un devoir de leur donner une forme durable


qui puisse toucher tout le monde, sans

Biographie : Romaric Tisserand Lives

que cela soit élitiste. J’ai développé le

and works in Paris (born 1974).Visual and

dispositif à un niveau que je n’avais pas

performance artist and an independ-

encore artistiquement expérimenté.

ent photographic curator, his practice

Un dispositif comme œuvre, et comme

is focused on new perspectives on con-

exposition.

temporary archives, image’s status and

A : Quelles réactions avez-vous eu de la part du public ? R. T : Ce travail a été montré pendant « Le mois de la photo à Paris » et la vidéo a été projetée à la Maison Européenne de la Photographie en

artwork reproducibility. He has founded an hybrid gallery for performance and projects in a plumber shop in Paris, (www. momogalerie.com) and has created an online photographic funds “AAnonymes, the search of the deliberated accident” (www.AAnonymes.org) (2005-2010).

novembre 2014. On a imprimé cinq mille cartes postales dans le protocole d’exposition. En l’espace d’un mois et demi, quatre mille cartes postales sont parties. L’idée était vraiment que ces images circulent. Libérer la parole auprès du public. Que les gens se les envoient, se les partagent. Ces images d’archives ont changé de statut en les réimprimant sous forme de cartes postales. Elles ne représentent plus des archives. Elles ne racontent plus la même histoire. Les artistes qui travaillent avec des archives deviennent une sorte d’historiens. Pourquoi les avoir cachées si ce n’est pour les soustraire de la mémoire des hommes ? L’objet de la pièce n’est en aucun cas de parler de l’histoire coloniale. Voir une

Ultramar, photo de l'installation de Romaric Tisserand à la Librairie Yvon Lambert - Photo © Myriam Dao

image serait donc « Reconnaître », et tout autant « la Méconnaître » dans son histoire.

Photos © Romaric Tisserand

198


Photo Š Romaric Tisserand

199


ARIKADAA’S LIBRARY

SYLVIA WYNTER: ON BEING HUMAN AS PRAXIS - By Katherine McKittrick, 2015. The Jamaican writer and cultural theorist Sylvia Wynter is best known for her diverse writings that pull together insights from theories in history, literature, science, and black studies, to explore race, the legacy of colonialism, and representations of humanness. Sylvia Wynter: On Being Human as Praxis is a critical genealogy of Wynter’s work, highlighting her insights on how race, location, and time together inform what it means to be human. The collection includes an extensive conversation between Sylvia Wynter and Katherine McKittrick that delineates Wynter’s engagement with writers such as Frantz Fanon, W. E. B. DuBois, and Aimé Césaire, among others; the interview also reveals the ever-extending range and power of Wynter’s intellectual project, and elucidates her attempts to rehistoricize humanness as praxis.

MAXVÉNUS DE KHALAKANTI

LE RETOUR DU RÉEL, SITUATION

Angèle Kingué, Ana Editions, 2005.

Hal Foster, Collection Essais, la Lettre volée, 2005.

Angèle Kingué récidive avec son second roman, publié chez Ana Éditions ; jeune

L’auteur étudie de manière circonstanciée

maison d’édition ; qui travaille depuis deux

la mise en place d’un nouveau paradigme

ans sa collection “écritures africaines”.

centré sur le “retour du réel“ dans l’art de la

Le premier roman d’Angèle Kingué: “Pour

fin du XXe siècle comme contrepoint aussi

que ton ombre murmure encore“ paru

bien au minimalisme et au conceptualisme

en 1999 avait été un succès en France, au

dominants durant les années 1970 qu’au

Cameroun, son pays natal, mais aussi États-

simulationnisme postmoderne des

Unis le pays où elle enseigne actuellement.

années 1980. C’est également l’occasion

Angèle nous emmène aujourd’hui, au travers

pour l’auteur de réfléchir à la posture

de sa voix : Vénus ; dans les mystères de la

“ethnographique“ de l’artiste et faire le

forêt africaine, là où des femmes ont décidé

point sur les rapports entre les avant-gardes

de prendre leur destin en mains.

historiques et la néo-avant-garde. Cette lecture critique, qui confronte pratiques artistiques et théories de l’art, se veut aussi prise de position contre l’emprise croissante d’une critique d’art trop facilement encline à ne voir dans l’art contemporain que répétitions et pastiches. Hal Foster propose une ambitieuse fresque historique et politique de cet art engagé dans les enjeux de son temps.

200


Postface de Félix Boggio Éwanjé-Épée & Stella Magliani-Belkacem

THE PHANTOMS OF CONGO RIVER NÉGRITUDE ET PHILOSOPHIE

CHASSÉS DE LA LUMIÈRE

PHOTOGRAPHIES DE

N°83 de la revue Rue Descartes, 2014.

(NO NAME IN THE STREET)

NYABA L. OUEDRAOGO

James Baldwin, Ypsilon.éditeur, 2015.

John Fleetwood, Michket Krifa, Yves

“La Négritude, en ayant pris le risque de se

Chatap, Editions Vus d’Afrique, 2015.

constituer comme philosophie, notamment

Publié la même année, en 1972, à New

dans l’œuvre de Léopold Sédar Senghor cible

York, à Londres et à Paris, Chassés de la

The Phantoms of Congo river donne à voir

de critiques, de pamphlets, est devenue le signe

lumière a été par la suite oublié en France

une nouvelle dimension de l’approche

et le prétexte d’une dissimulation. L’affirmation

et pourfendu par la critique anglophone.

photographique de Nyaba L. Ouedraogo

de la primauté du culturel a été interprétée

Baldwin y achève sa radicalisation politique.

. Inspirée du récit littéraire Au cœur des

comme le masque d’un désengagement

Véritable récit de la crise de la suprématie

ténèbres de Joseph Conrad, cette série

du politique, et de la lutte - anticoloniale.

blanche, Chassés de la lumière est une

dévoile une nouvelle facette de la recherche

La reconnaissance de la contribution du «

traversée des années 1960, de leurs luttes,

esthétique entreprise par le photographe

nègre » à la « Civilisation de l’Universel » s’est

de leurs espoirs ; c’est aussi la fresque

depuis 2011. Il a choisi comme décors de

transformée en une triste répétition des clichés

amère d’une Amérique blanche agrippée

ces mises en scènes les rives de Brazzaville

coloniaux et de race. La puissance utopique du

à ses privilèges. Accusé d’être un ouvrage

en république du Congo. Autre versant du

« grand rendez-vous du donner et du recevoir

de propagande, cet essai n’a pu jouir de

fleuve.

» s’est muée en une prose solidaire de la

la reconnaissance qu’il méritait. Baldwin

captation de l’Afrique par la brutalité des forces

y renonce à la place que l’intelligentsia lui

A travers cette série, Nyaba L. Ouedraogo

néo-coloniales.

offrait — celle de l’artiste incompris par sa

entend rentrer en contact avec sa propre

La Négritude, quand elle se dit « philosophie

«communauté» — pour devenir le porte-

spiritualité. Ici, se pose le devenir de chaque

», ne semble retenir du geste philosophique

voix d’une nouvelle génération militante.

individu, de ses propres croyances ou

que sa dimension de sublimation - occultant,

Dans Chassés de la lumière, la «question

espoirs.

sous les concepts les plus travaillés, les logiques

noire» est inséparable de la révolution.

matérielles et économiques de prédation et les

Le texte est pour la première fois publié dans

Ce récit photographique exprime plutôt

formes de violence qui persistent à ordonner le

son intégralité.

qu’il ne décrit une réalité. Le photographe

monde après les Indépendances.” par Nadia Yala Kisukidi (UNIGE/CIPh)

201

développe un langage du rituel et du Traduction –revue, corrigée et enfin

mystique pour évoquer l’inconnu voire

complète– de Magali Berger

l’étrange.


AGENDA AFRIQUE « Persona »

s’active en chacun de nous, qui

« Man jëun laa - Je suis un

s’exprime dans le dialogue avec

poisson »

l’autre. Pour que l’individu tende vers son identité remarquable. Comme à la scène, une fictionréalité avec tous ces figurants. Yéanzi utilise leur témoignage, il consigne leur histoire sur une toile recouverte de

© Yéanzi, courtesy galerie Cécile Fakhoury

coupures de journaux, sur des bribes d’actualités qu’il

© Manel Ndoye, courtesy galerie Arte

La galerie Cécile Fakhoury

peint en couches successives,

présente la première exposition

passages, tumultes, estompes.

Manel Ndoye est artiste

personnelle de l’artiste

Une peinture sans pinceau. Par

sénégalais, sorti major de sa

ivoirien Yéanzi, intitulée

le feu, la matière plastique

promotion en 2010 de l’Ecole des

persona*.

se fait couleur, contrainte à

Beaux-Arts de Dakar.

se transformer, à endurer les * Persona: Masque, substitut

passages de la flamme et à

Le jeune peintre appartient à

de la réalité. Personnalité

déposer un peu de sa matière

l’ethnie Lébou dont le berceau

empruntée. Personnage

sur le support. Des contours

est la région de Dakar. Les

imaginaire

comme pour percer à jour le

Lébous sont essentiellement des

mystère de ce qui nous donne

pêcheurs et tout leur univers

Yéanzi vit et travaille à

la force de se redéfinir

culturel, social et imaginaire

Bingerville près d’Abidjan.

constamment. L’action de semi-

est fortement marqué par cette

Cet environnement rural est

combustion agit comme un

activité. Manel a grandi à

son atelier. Á l’extérieur,

balancement entre la pensée et

Djender, village lébou voisin de

au quartier, il cherche,

le corps. Ce qui se perd, ce

Cayar qui est le premier port

rencontre, écoute, il collecte

qui résiste, ce qui s’imprègne.

de pêche artisanal du Sénégal.

à travers ses œuvres. Il capte

« Persona », Yéanzi

Toute son oeuvre relate ses

des séquences, il cadre un

Jusqu’au 20/06/2015

souvenirs d’enfance, il peint

regard, une attitude, un corps

Galerie Cécile Fakhoury

les femmes de son village, sa

dans un mouvement. Il peint

06BP6499 ABIDJAN 06

mère, ses tantes, aux boubous

ces portraits, ces figures et

galerie@cecilefakhoury.com

majestueux et colorés. L’accent

silhouettes qui appartiennent à

http://cecilefakhoury.com/

pictural est souvent porté sur

les histoires qu’il réinterprète

son quotidien. Ce réseau social

des portraits de ces femmes,

proche et tangible est un point

dansantes et souriantes.

de départ. En premier lieu, il remarque la personne, puis il

Les couleurs sont vives car il

glisse vers sa personnalité.

ressent son univers au bord

Se focalisant sur l’image qui

de la mer avec des vibrations

202


positives où la joie et l’espoir

The themes that emerge suggests

présente à Jardin Rouge

rythment les danses, les

that they are engaged massively,

la puissance rassurante et

expressions des visages de ses

visibly, loudly, and dramatically

protectrice de ses « Guerriers

personnages. Il s’identifie

with the use of narration as an

Bantus », à partir du 4 Mai

ici à l’essence vibratoire du

empowering practice. Narrative

2015.

poisson d’où il tire le titre de

and the telling of stories in

son exposition.

a visual language creates in

Diplômé des Beaux Arts

us a space for imagination,

d’Avignon, Kouka fuit pourtant

« Man jëun laa - Je suis un

recognition, and empathy, and

tout académisme et se réclame

poisson », Manel Ndoye

this is an essential component

comme « Un pur produit du

Jusqu’au 30/05/2015

to understanding self and other

Goudron ». L’artiste veut

Galerie Arte

as currently experienced.

exprimer, et non représenter,

5 rue Victor Hugo x Ave Léopold

Artists include, among others:

une réalité essentielle,

Sédar Senghor

Candice Breitz, Virginia

débarrassée des écrans

Dakar - Plateau

Chihota, Ivy Chemutai Ng’ok,

trompeurs de l’apparence : la

http://joellelebussy.com/

Otobong Nkanga, Nkiru Oparah

réalité que nous ressentons,

and Tracey Rose.

qu’il ressent, en observant nos

« Speaking Back »

sociétés.

Dans sa peinture,

Opening at Goodman Gallery Cape

c’est vraiment le sentiment

Town on 21 May 2015 at 6pm

qui domine, il n’est pas question de spasmes, il y a

« Speaking Back »

bien une humanité ancrée, une

From 21/05/2015 to 04/07/2015

conscience.

Goodman Gallery Cape Town

Otobong Nkanga, Filtered Memories 1977 1981: Blackout, 1978, Yaba, Lagos - The Loss in Black Bubbles, 1979-81, Festac, LagosIkono, Akwa Ibom (detail), 6 parts each 29 x 42 cm, Drawing / Acrylic on paper. (2009). Credits: Courtesy of the Artist and Lumen Travo Gallery, Amsterdam. © Otobong Nkanga

3rd Floor, Fairweather House,176

Eternel voyageur, en 2008,

Sir Lowry Rd, Woodstock

c’est la terre Afrique

www.goodman-gallery.com

qui l’inspire et qui lui a permis la rencontre avec

« Bantus No(s) culture(s) »

la civilisation originelle africaine : Les Bantus. Depuis, Kouka veut honorer leur mémoire et a entamé un long travail sur la question de l’identité.

The group show Speaking Back

Incarnation de sa quête des

focuses on artists who have,

origines, ces Guerriers Debout

through their work, created

nous interrogent sur la vie

provocative and deliberative

et la mort, le passé et le

spaces from which women can speak back to perceptions, attitudes, and beliefs that impact on personal and political circumstances.

203

présent mais aussi sur les © Kouka

Figure libre de la scène artistique urbaine, Kouka

traditions et les cultures. Certaines traditions résistent à la modernité. L’artiste aime a rappeler que s’il


AGENDA est possible de s’accaparer

sur le continent Africain de

Cette installation constitue

un territoire, on ne peut

ces Guerriers pacifistes.

une archive de l’archive,

s’approprier une culture. Kouka

Jardin Rouge dévoile une

juxtaposées sous la forme d’une

nourrit dans son œuvre une

vingtaine de palissades que

grille organisée de catégories

relation triangulaire entre

l’artiste Kouka a réalisé

d’évènements. Elle met en avant

la nature, les hommes et le

pendant ses résidences

le caractère générique des

sacré. Les sentinelles bantus,

Marocaines.

rituels et des cérémonies à

gardiennes de l’humanité font

travers lesquels un pays passe

écho à certaines inquiétudes

“Bantus No(s) culture(s)”- Kouka

du statut de territoire colonisé

qui résonnent en nous :

04/05 – 07/06/2015

à celui d’État-nation.

conflits, censure, justice ou

Jardin Rouge

encore injustice. Immobiles,

Jnanna Ah’mar

Autour de cette exposition

torses nus, vêtus d’un simple

40 000 Marrakech

expérimentale au Bétonsalon a

pagne et munis d’une lance,

MAROC

lieu le séminaire « Archives

les « Bantus » nous protègent

en écho : Repenser les

et veillent à perpétuer

mémoires et les imaginaires

la mémoire. En résidences

FRANCE & EUROPE

successives à Jardin Rouge depuis deux ans, Kouka a

des indépendances coloniales ». Celui ci, dans une perspective

« Le jour d’après »

d’études postcoloniales,

prolongé sa réflexion sur

dialogue avec le dispositif

l’action de peindre comme

de Maryam Jafri. En effet,

puissance manuelle.

en dépaysant les archives de leurs territoires habituels, en

Au Maroc, au Brésil, au Congo, aux

les rejouant dans le champ de

Etats-Unis, en Belgique….

l’art, le dispositif de Maryam

Les œuvres de Kouka traversent

Jafri décentre la gestion des

les frontières. L’artiste

mémoires collectives et de

appose ses Bantus , libres et dignes, partout où il va. Les plus imposants : en 2011

leurs imaginaires et questionne Photo: © Maryam Jafri, detail from

Independence Day 1934-1975, courtesy of the artist.

leurs analyses en sciences humaines et sociales.

sur la façade d’un immeuble

Le centre d’art et de

à Paris où 77 « guerriers

recherche, Bétonsalon,

Que nous disent ces archives

Bantous de la République » sont

propose jusqu’au 11 juillet

et les rituels de ces jours

peints, et depuis quelques mois

2015 l’exposition ‘’Le jour

de transition qui mettent en

sur un mur de 50 mètres de

d’après’’ de l’artiste Maryam

scène le passage d’un pouvoir

long, à Wynwood, le quartier

Jafri. Le jour d’après est

à un autre, c’est-à-dire d’un

d’entrepôts de Miami devenu la

une installation composée

état de domination à celui

“Mecque” américaine du street-

de photographies du jour

dit d’indépendance ? Comment

art. Désormais, les bantus

de l’indépendance dans les

parlent-elles du colonial et du

veillent sur l’Amérique.

anciennes colonies européennes

post-colonial alors en devenir ?

L’événement

en Asie et en Afrique,

Quel dialogue produisent-elles

prises entre 1934 et 1975.

en relation avec les situations

« Bantus – No(s)

Culture(s) » marque le retour

204


post-coloniales contemporaines

et dans l’ombre de la scène

poteaux et poutres, un peu

et leurs récits actuels ?

internationale, ils partagent

comme le font les ficus sur les

Ce séminaire a lieu au

des pratiques qui construisent

ruines à Angkor. De ces racines

Bétonsalon en trois séances à

des passerelles entre des

vont émerger des femmes. La

partir de 17h

traditions millénaires et des

sculpture évoluera pendant

Jeudi 23 avril 2015

interrogations occidentales.

l’exposition, se craquelera,

Jeudi 21 mai 2015

Leurs œuvres nous invitent à

c’est une œuvre éphémère comme

jeudi 18 juin 2015

nous départir de notre lecture

beaucoup d’installations de

occidentale de lart pour nous

l’artiste. Que signifie être un

ouvrir à d’autres codes.

artiste du Sud-Est asiatique ?

“Le jour d’après” -Maryam Jafri Jusqu’au 11/07/2015

Richard Streitmmater-Tran, pour

Bétonsalon - Centre d’art et de

L’artiste Richard Streitmatter-

qui les notions de frontières

recherche

Tran vit et travaille au

sont floues, n’a pas de réponse

9 esplanade Pierre Vidal-Naquet

Vietnam. Après des études

à cette question et se dit

75013 Paris

d’art aux Etats-Unis, et une

avant tout artiste. La question

www.betonsalon.net

pratique plutôt tournée vers

du Global South ne se pose à

les nouvelles technologies et

lui que parce qu’il assiste

la vidéo, il vient de découvrir

au désastre de la perte des

le travail de matériaux

savoirs traditionnels.

nouveaux, traditionnels ou pas.

Au Palais de Tokyo, Richard

Avec ces matériaux il fait

Streitmatter-Tran, artiste

l’apprentissage de la lenteur,

inspiré, ne bâtit pas

une dimension absente de l’art

seulement un pont entre

contemporain. Pour répondre au

tradition millénaire et art

concept curatorial lancé par

contemporain, la fable qu’il

le commissaire de l’exposition

convoque, celle de l’arbre waq-

Khairuddin Hori, il fait appel

waq

à la mythologie et créé in situ

évoque également l’existence

une sculpture d’argile crue

d›une terre fabuleuse, le

« The Women and the Waq Waq ».

pays Waq-Waq que les textes

L’arbre waq-waq est un arbre

du XIe siècle situent parfois

mythique des contes véhiculés

sur la côte est de l’Afrique,

par les marins venus du golfe

parfois en Asie du Sud-Est. Une

persique, qui porte, en lieu

contrée « archipélique » et

et place des fruits, des êtres

transcontinentale. J’ai envie de

humains. Il évoque la vie,

dire, comme Edouard Glissant,

l’énergie vitale de l’arbre.

un « Tout-monde »...

« The Women and the Wap Waq »

© Richard Streitmatter-Tran 2015, The Women and the Waq Waq, work in progress, courtesy of the artist.

Archipel secret, présenté au Palais de Tokyo dans le cadre de Singapour en France – la saison culturelle mise en œuvre par l’Institut français, le National Heritage Board, et le National Arts Council, propose une sélection d’artistes contemporains travaillant en Asie du Sud-Est. Outre la particularité d’être des artistes relativement “secrets”,

205

aux fruits humanoïdes,

Pour Archipel secret, l’artiste travaille dans le sous-sol du

Myriam Dao

Palais de Tokyo, où il déploie des racines qui semblent faire

Richard Streitmatter-Tran

corps avec l’architecture, les

www.diacritic.org


AGENDA Richard Streitmatter-Tran- dans

recherche et de collecte

le cadre de l’exposition

de témoignages qui permet

« Archipel secret »

à l’artiste de proposer une

Jusqu’au 11/05/2015

méditation sur les modalités

Palais de Tokyo

de transmission de l’Histoire

13, avenue du Président Wilson,

et une lecture au présent

75 116 Paris

d’un héritage collectif, en

De midi à minuit tous les

questionnant la matière qui

jours, sauf le mardi

compose cette H(h)istoire, ses

http://www.palaisdetokyo.com/fr

potentialités narratives et ses résonances au présent et peut-

« Foreign Office »

être au futur. Bouchra Khalili, Lauréate du Prix SAM pour l’art contemporain 2013 (née en 1975 à Casablanca, vit et travaille à Berlin) articule subjectivité et histoire collective pour interroger les relations complexes entre l’Histoire coloniale et postcoloniale,

Vue de l’exposition « Foreign Office » de Bouchra Khalili, Palais de Tokyo 2015. Photo : Aurélien Mole. © ADAGP, Paris

les migrations contemporaines, leurs géographies et les récits et l’imaginaire qui en sont

Bouchra Khalili présente, à

issus.

l’occasion de son exposition au Palais de Tokyo, une

« Foreign Office » - Bouchra

nouvelle série d’œuvres, sous

Khalili

le titre générique Foreign

Jusqu’au 17/05/2015

Office, composée d’un film, de

Palais de Tokyo

photographies et de documents.

13, avenue du Président Wilson,

La série de photographies

75 116 Paris

élabore un inventaire des

http://www.palaisdetokyo.com/fr

différents lieux qui ont abrité ces mouvements de libération basés à Alger, tandis qu’une carte produite par l’artiste les resitue dans la topographie contemporaine de la ville. Comme pour chacun de ses projets précédents, ce corpus fait suite à un travail de

206

« LA S.A.P.E »

Yves Sambu, Vis à Vis, 2013, impression jet d’encre, Courtesy Yves Sambu.

« Ô Dieu de la S.A.P.E. […], Pardonne à tous ceux qui ne savent pas s’habiller […], tous ceux qui ne savent pas distinguer les couleurs […] » Extraites d’une prière de la Société des Ambianceurs et Personnes Élégantes (S.A.P.E), ces paroles sont celles d’un mouvement né dans les années 1960 à Brazzaville (République du Congo), qui s’est depuis répandu dans des foyers tels que Kinshasa (République démocratique du Congo) et Paris. Comment réinventer son identité, comment sublimer l’existence, et défier la norme ? Communauté protéiforme et complexe, la S.A.P.E. fait de ses adeptes des fidèles dévoués à l’art vestimentaire. La S.A.P.E. unit ses membres au travers de divinités, de rituels, de croyances et, d’une science, la « Sapologie », dont les finalités sont d’ériger le vêtement au rang de langage et d’œuvre à part entière. L’art de la S.A.P.E. est avant tout lié à l’éloquence et à la véhémence du sapeur, un fidèle au service des dieux, dont la mission est d’exceller dans une performance où chacun de ses vêtements « parle » et se fait le signe d’une identité magnifiée.


« La S.A.P.E » - dans le cadre

Congo, où il réside, tout en

Avec son exposition d’envergure

de l’exposition « Le Bord des

tentant de les résoudre.

« Making Africa – A Continent

Mondes »

La pratique de Jean Katambayi

of Contemporary Design », le

Jusqu’au 17/05/2015

trouve écho dans le hacking et

Vitra Design Museum jette un

Palais de Tokyo

ses fondements : le partage

regard nouveau sur le design

13, avenue du Président Wilson,

des connaissances, la volonté

contemporain en Afrique.

75 116 Paris

de l’éveil des consciences et

S’appuyant sur des œuvres

http://www.palaisdetokyo.com/fr

la mise en application d’une

de plus de 120 designers et

ingéniosité qui semble infinie.

artistes, l’exposition « Making

Ses créations, à la fois

Africa » souligne comment

subtiles et poétiques, sont

le design accompagne, voire

un hymne au dépassement des

favorise le tournant économique

limites, aussi bien sociales,

et politique du continent et

politiques que matérielles.

l’émergence d’un dialogue intime

« JEAN KATAMBAYI »

avec des disciplines voisines,

Jean Katambayi Mukendi, Simultium 2, 2009, Composants électroniques © Crédit photo : Georges Senga

Jean Katambayi (né en 1974,

Jean Katambayi - dans le cadre

telles que les beaux-arts,

de l’exposition « Le Bord des

le graphisme, l’illustration,

Mondes »

le film, la photographie,

Jusqu’au 17/05/2015

l’architecture et l’urbanisme.

Palais de Tokyo

À l’heure actuelle, l’Afrique se

13, avenue du Président Wilson,

fait terre d’expérimentation des

75 116 Paris

nouvelles approches et solutions

http://www.palaisdetokyo.com/fr

qui seront employées dans le

vit et travaille à Lubumbashi,

monde entier : le design du

République démocratique du

« Making Africa, A Continent Of

XXIème siècle et ses effets

Congo) mène une recherche

Contemporary Design »

futurs sont ici bien visibles.

obsédante sur les flux

Conçue telle un dialogue avec

d’énergie qui régissent notre

des experts internationaux,

monde, qu’ils soient physiques

notamment Okwui Enwezor,

ou spirituels.

célèbre conservateur,

Ses pièces et dessins sont

l’exposition présente des

autant d’études qui rendent

objets de Cheick Diallo, des

visibles les déséquilibres

lunettes sculpturales de Cyrus

du monde et des forces. À

Kabiru, des photographies de

l’aide de carton et d’éléments

Mário Macilau XXIème J.D. ’Okhai

électroniques récupérés et

Ojeikere, des bâtiments de

recyclés, il crée des systèmes

Francis Kéré, des animations

électriques de calculs, machines

numériques de Robin Rhode ainsi

théoriques et pratiques qui mettent en évidence la question du manque de ressources énergétique dont souffre le

207

Vigilism, « Idumota Market, Lagos 2081A.D. » from the « Our Africa 2081A.D. » series, illustration for the Ikiré Jones Heritage Menswear Collection, 2013, © Courtesy Olalekan and Walé Oyéjidé.

que des œuvres de représentants de bien d’autres disciplines. L’exposition « Making Africa » est un projet commun


avec le Musée Guggenheim Bilbao

architecte et auteur, et avec

The awards ceremony and the

et reçoit le soutien de la

une importante participation

inauguration will take place on

Fondation culturelle fédérale de

du photographe Iwan Baan.

Saturday May 9th, 2015.

l›Allemagne ainsi que de l’Art

L’exposition décrit plus d’une

The show consists of over

Mentor Foundation Lucerne.

cinquantaine de bâtiments au

136 artists from fifty-

Kenya, en Côte d’Ivoire, en

three countries, among them

« Making Africa, A Continent of

Zambie, au Ghana et au Sénégal,

many producers from African

Contemporary Design »

qui reflètent l’esprit orienté

perspectives such as Invisible

Jusqu’au 13/09/2015

vers l’avenir qui imprégnait ces

Borders, Samson Kambalu , Emeka

Vitra Design Museum

pays à cette époque.

Ogboh , Ibrahim Mahama , Sammy

Charles-Eames-Str. 2

Baloji and many others.

D-79576 Weil am Rhein

« Architecture of Independence »

89 National Participations will

www.design-museum.de

Jusqu’au 31/05/2015

be exhibiting in the historical

Vitra Design Museum

Pavilions at the Giardini, at

Charles-Eames-Str. 2

the Arsenale and in the city

D-79576 Weil am Rhein

of Venice. Five countries are

www.design-museum.de

participating this year for the

« Architecture of Independence »

first time, including Mauritius « 56Th Venice Biennale 2015,

and the Republic of Mozambique.

09/05/2015 To 22/11/2015 »

The 56th International Art Exhibition: All the World’s Futures, will also introduce the ARENA, an active space dedicated to continuous live

Independence Square, Ghana, Public Works Department, 1961

programming across disciplines and located within the Central

Lorsque de nombreux pays

Pavilion in the Giardini.

d’Afrique centrale et sub-

Designed by award-winning

saharienne ont acquis leur

Ghanaian/British architect David

indépendance dans les années

Adjaye, the ARENA will serve as

1960, les jeunes États ont souvent choisi d’exprimer leur

The 56th International Art

a gathering-place of the spoken

nouvelle identité nationale par

Exhibition titled All the

word, the art of the song,

le biais d’une architecture

World’s Futures , curated by

recitals, film projections, and

expérimentale, visuellement

Okwui Enwezor and organized by

a forum for public discussions.

futuriste. La Vitra Design

la Biennale di Venezia chaired

The Biennale has also

Museum Gallery accueille une

by Paolo Baratta , will be open

commissioned Kara Walker to

des premières expositions

to the public from Saturday,

direct a new production of

consacrées à cette période

May 9th to Sunday, November

Vincenzo Bellini’s Norma (1831),

remarquable de l’histoire

22nd, 2015 at the Giardini and

which will be staged at Teatro

récente de l’architecture,

the Arsenale venues.

La Fenice .

sur la base de recherches

The preview will be held on May

The 56th International Art

effectuées par Manuel Herz,

6th, 7th and 8th.

Exhibition of la Biennale di

208


Venezia will also present, as

« The Bridges of Graffiti »

POW! WOW! HAWAII 2015), Eron,

is traditional, the National

Futura, Mode 2, SKKI, Jayone,

Participations with their own

Todd James (soon to be on view

exhibitions in the Pavilions

at Lazarides’ very own London

at the Giardini and at the

space), Teach and Zero-T.

Arsenale, and in the historic city centre of Venice.

The Bridges of Graffiti

44 selected Collateral Events,

May 9 th-November 22nd 2015

presented by international

Open every day from 10.10am to

entities and institutions, which

8.20pm

will present their exhibitions

Artterminal c/o Terminal S.

and initiatives in various

Basilio

locations within the city of

Fondamenta Zattere ponte di

Venice concurrently with the

Legno, Venezia

56th Exhibition. The Biennale Sessions

The Bridges of Graffiti debuts project

Vaporetto stop:San Basilio

at the Venice Biennale 30

will be held for the sixth

years after Arte di Frontiera

« Tout doit disparaître !/Every-

consecutive year, following

New York Graffiti, curated by

thing must go »

the success of its previous

Francesca Allinovi in 1984. It

editions. This initiative is

was an exhibition which brought

dedicated by la Biennale di

the New York graffiti writers

Venezia to universities and

artistic scene to Italy. The

academies of fine arts, and

Bridges of Graffiti aims to

to institutions that develop

continue their work and to

research and training in the

promote and highlight major

arts and in related fields.

contributions to the graffiti culture by displaying the very

« 56Th Venice Biennale 2015 »

best of it at the moment.

From 09/05/2015 to 22/11/2015

The space will also display a

Exhibition venues

selection of books and fanzines

“Pangaea II: New Art From

Venice: Giardini and Arsenale

about the history of graffiti

Africa and Latin America”

Opening hours: 10 am - 6 pm

and a rich body of individual

features the work of 18

Opening hours: 10 am - 8 pm

pieces.

emerging artists. Witnesses to

Arsenale venue on Fridays and

© Jean-François Boclé

the transformation of their

Saturdays until 26 September

Presenting their talent and

societies, the artists working

Closed on Mondays (except May

participating in The Bridges

in these two distinctive

11th, June 1st, and November

of Graffiti projects are the

regions are increasingly based

16th, 2015)

world’s most prominent graffiti

within cities that are changing

www.labiennale.org

artists. The names are Boris

at an unprecedented rate.

Tellegen (recently part of

Their work employs a hybrid of

Graffuturism 5 Year Anniversary

traditional and contemporary

Show), Doze Green (seen at

techniques and materials,

209


reflecting on social and

Born in Fort-de-France, the

fixed to literary theorist

political issues faced during

administrative capital of

Edouard Glissant’s “idea of

this period of rapid urban and

Martinique, Boclé left the

an ongoing process capable of

economic expansion. Pangaea:

country in exile as a teenager.

producing the identical and the

New Art From Africa and Latin

The notion of creolisation

different”.

America features work by

that defines the geographic

© Osei Bonsu, 2014

Dawit Abebe, Aboudia, Eduardo

and intellectual character of

Berliner, Jean-François Boclé,

the Antilles is central to the

“Tout doit disparaître !/

Armand Boua, Pia Camil, Alida

artist’s exploration of history.

Everything Must Go” by

Cervantes, Virginia Chihota,

The transnational, interracial

Jean-François Boclé as part of

Alexandre da Cunha, Federico

and cross-cultural implications

the exhibition “Pangaea II:

Herrero, Diego Mendoza Imbachi,

of colonialism form the bases

New Art From Africa and Latin

Eddy Kamwanga, Hamid El

of Boclé’s multidisciplinary

America”

Kanbouhi, Jorge Mayet, Ibrahim

practice. Toxicity, as

Saatchi Gallery, London

Mahama, Boris Nzebo, Alejandro

it relates explicitly to

11 March - 6 September 2015

Ospina, Ephrem Solomon and

ecological perils, but also to

Duke of York’s HQ

Mikhael Subotzky.

the environmental racism of

King’s Road

colonial Europe set the stage

London - SW3 4RY

Jean-François Boclé’s

for the artist’s interrelated

metaphorical installations

references. Childhood memories

propose a wasteland in which

plagued by feelings of

the ruins of civilisation are

displacement become rooted

shored against its discontents.

into a grand narrative of

The artist’s alchemical process

hybridisation and postcolonial

involves bringing everyday

identity.

« Too little, too late »

objects into a network of relations, highlighting

In his largescale installations

dialectics such as capitalism

(Tout doit disparaître! /

and consumerism, privilege

Everything Must Go, 2001) a

and injustice, and so forth.

sea of blue plastic bags form

His playful appropriations

an abyss, a quasimemorial to

and gestures are rooted in

lives lost at sea during the

The work of Vasco Araújo (Lisbon,

the question of postcolonial

transatlantic slave trade. The

1975) has systematically focused

consciousness and collective

ubiquitous plastic bags of

o n th e hist ory of Eur o p ean

history. Bananas scarified

supermarket checkouts become

colonialism and its tragically

with political text, Banania

air inflated, supplied with

long-lasting effects, from the

chocolate drawings, blown up

air to symbolise the priceless

perspective of the relational

carrier bags, and flattened

commodity that is life itself.

dynamics of power and submission

cardboard boxes, become

The theory of creolisation, as

between peoples from different

devises for the communication

pertinent to the artist’s own

places and cultures.

of historical narratives.

personal biography as it is to

After decades of silence, the

today’s art production, remains

colonial period has recently

210


been subject to comprehensive and consistent critical scrutiny, that began in both academia and the arts or literature. However, in Portugal, the main aspect that has changed for the present generation, which emerged from the 1970s onwards, is an interest rooted in concerns which are also of a biographical nature, anchored in personal experiences and in reaction to a deafening silence and prolonged amnesia that has marked, and still marks, the memory of this period, that has left so many untreated traumas. ““Tout doit disparaître !/ Everything Must Go” Vasco Araújo Till Jully 15, 2015 José de Guimarães International Arts Centre (CIAJG) Platform of Arts and Creativity Av. Conde Margaride, 175 4810-525 Guimarães, Portugal Odyssées africaines propose un voyage au cœur de la création artistique contem poraine du sud-est du continent africain. L’exposition chemine dans 11 pays traversés 90 ans auparavant par la Croisière noire, une expédition française. En inscrivant ce fait colonial comme point de départ, Odyssées africaines convoque l’histoire et vise à explorer ses résonances dans les réalités contemporaines à travers les œuvres de 17 artistes, originaires du sud-est africain, peu ou jamais montrés en Europe. Une exposition sous le commissariat de Marie-Ann Yemsi. “Odyssées africaines”, jusqu’au 17 mai 2015 BRASS – Centre Culturel de Forest, 364 Avenue Van Volxem, 1190 Forest Informations : www.lebrass.be,

211


AFRIKADAA PLAYLIST

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212


Mukwae Wabei Siyolwe is a Princess from the Kingdom of Barotseland, an artist and a social scientist who likes to travel, compose music, meditate, write, create hybrid experiences, cook, dance and live in the moment. Mukweae Wabei Siyolwe is currently writing a hybrid oratorio with Haitian American composer Daniel Bernard Roumain called Wade in the Water, Kuomboka to celebrate the centennial of King Lewanika of Barotseland in February 2016, in association with The Kelly Strayhorn Theatre. Pittsburgh USA. This production is made possible by grants from Advancing Black Arts, of the Heinz Endowment, The A.W. Mellon Educational and Charitable Trust Fund of The Pittsburgh Foundation, and The Greater Pittsburgh Arts Council (GPAC).

© Mukwae Wabei Siyolwe

Piano-Vocal !" &* /%" /"-

We First Came To You In A Dream +,- *+

0.& 3 *&"( "-* -! +0) &*

+-!. 3 0'2 " "& &3+(2" (q = ca. 100)

4 &4

Soprano

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warm and with joy

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warm and with joy

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213

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215 215


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AFRO DESIGN & CONTEMPORARY ARTS

MAY-JUNE-JULY 2015

#9

ANTHROPO_LOGISMES


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