Gérard Garouste - Zeugma

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Gérard Garouste Diane et Actéon

Gérard Garouste Zeugma


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Zeugma. Diane et Actéon, musée de la Chasse et de la Nature, 13 mars – 1 er juillet 2018 Zeugma, galerie Templon Paris, 15 mars – 12 mai 2018

Gérard Garouste Zeugma


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Zeugma

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Zeugma Hortense Lyon

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l y a beaucoup de rivières et de cours d’eau dans la peinture de Garouste, et souvent des ponts pour les enjamber. Parfois c’est un passeur qui transporte les âmes des morts d’une rive à l’autre du fleuve. Le pont crée à la fois un lien et une distance, un nouveau point de vue quand on le franchit, ne serait-ce que pour voir la rive d’où l’on vient, ne serait-ce que pour ne pas rester immobile et se laisser surprendre par des horizons nouveaux.

Texte de Hortense Lyon, auteur et historienne d’art, basé sur un entretien avec Gérard Garouste. Text by Hortense Lyon, author and art historian, based on a interview with Gérard Garouste.

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here are many rivers and waterways in the paintings of Gérard Garouste, and often bridges for crossing them too. Sometimes someone may be carrying the souls of the dead from one bank of the river to another. The bridge creates both a connection and a distance, a new point of view when you cross it, if only because you are seeing the bank you came from, because you are not staying stuck and get to see the surprise of new horizons.

Un jour qu’il se trouvait à Dreux, chez Marc-Alain Ouaknin, Garouste évoque son intérêt, né de ses lectures bibliques, pour les ponts et la notion de transmission. Marc-Alain, qui a joyeusement réponse à tout, lui tend alors Zeugma1 et Garouste reprend le train pour Paris le livre de son ami sous le bras. Arrivé à la gare il se trompe de sens et ne tarde pas à s’apercevoir qu’il file vers Granville. À michemin de cette gare, il descend, change de quai et attend. Sur le réseau secondaire, les trains sont rares. Garouste a tout le temps de lire Zeugma qui le confortera dans sa complicité avec Marc-Alain Ouaknin et dans son goût pour les alliages composites et les rapprochements baroques. La dialectique zeugmatique de l’un, fondée sur l’interprétation du Talmud, rejoint et enrichit la démarche créatrice de l’autre qui, depuis des années, travaille sur des thèmes bibliques. Avant de le connaître, en effet, Garouste a assisté à la fin des années 1990 aux conférences de Marc-Alain Ouaknin qui ont attiré sa curiosité sur une tradition de pensée qu’il ignorait. Cette rencontre lui avait alors apporté la conviction qu’il devait apprendre l’hébreu pour entrer en contact direct avec les textes de la Bible. Depuis plus de vingt ans, il étudie cette langue chaque semaine et se passionne pour son univers, sa philosophie et sa logique.

One day when he was in Dreux at the home of Marc-Alain Ouaknin, Garouste mentioned his interest, arising from his biblical readings, in bridges and the notion of transmission. Marc-Alain, who is never at a loss for an answer presented him with Zeugma1 and Garouste took his friend’s book with him when he went for the train to Paris. At the station, he took the wrong turn and it wasn’t long before he realised he was heading for Granville. Halfway from that station, he got off, changed platform, and waited. Trains on secondary lines are rare, and Garouste had plenty of time to read Zeugma. It confirmed his feeling of kinship with Marc-Alain Ouaknin as well as his taste for composite unions and baroque juxtapositions. Ouaknin’s zeugmatic dialectics, founded on the interpretation of the Talmud, joined and enriched the creative approach of Gérard Garouste, who for years has been working on biblical themes. Before they became personally acquainted, Garouste had actually attended Ouaknin’s lectures in the late 1990s and these had aroused his curiosity towards an intellectual tradition he knew nothing about. This encounter convinced him that he must learn Hebrew in order to be in direct contact with the texts of the Bible. For over twenty years now, he has been studying the language every week, fascinated by its world, its philosophy, and its logic. Zeugma brings together three spaces, three worlds informed by legends and mythological tales. The distance between them places value on that in-between zone of stories and cultures which so attracts Garouste, that emptiness which drives the meaning of the images from painting to painting. Links crisscross between

Zeugma réunit ici trois espaces, trois univers nourris de légendes et de récits mythologiques. La distance qui les sépare met en valeur cet entre-deux, cher à Garouste, des récits et des cultures, ce vide qui fait avancer le sens des images de tableau en tableau. Des liens s’entrecroisent entre les mythes chrétiens de la Divine Comédie, le Talmud et la Grèce antique qui dessinent en creux un réseau

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the Christian myths of the Divine Comedy, the Talmud and Ancient Greece, tracing an implicit network of references and correspondences from one exhibition to another. Whatever direction the visitor takes, whether they choose to start at Galerie Daniel Templon then go on to the Musée de la Chasse et de la Nature and end at the Beaux-Arts de Paris, or vice versa, the zeugmatic spirit will blow and carry them on.

de renvois et de correspondances d’une exposition à une autre. Quelle que soit la direction prise par le visiteur, qu’il choisisse pour point de départ la galerie Templon pour se rendre au musée de la Chasse et de la Nature puis aux Beaux-Arts de Paris2, ou inversement, l’esprit zeugmatique soufflera et l’emportera.

1. Marc-Alain Ouaknin, Zeugma, mémoire biblique et déluges contemporains, éditions du Seuil (2008), Points Seuil (2013). En grec, zeugma signifie « pont » et « lien ». 2. Zeugma. Le grand œuvre drolatique, 15 mars 15 avril 2018.

Le soir du 31 décembre 2016, Elisabeth et Gérard Garouste reçoivent leurs amis Françoise-Anne Ménager et Marc-Alain Ouaknin. Le diner est fesOn the evening of 31 December 2016, Elisabeth Le pont crée à la fois un lien tif comme il se doit pour un repas du nouvel an, et and Gérard Garouste had their friends Françoiseet une distance, un nouveau la conversation s’engage sur les mets préférés de Anne Ménager and Marc-Alain Ouaknin round for point de vue quand chacun dans ce genre d’occasion : caviar, chapon, dinner. A festive dinner, as befits New Year’sbridge on le franchit. saumon, foie gras... Gérard Garouste demande Eve, and the conversation turned to each guest’s alors à son ami si cette spécialité culinaire, le foie favourite dish on this kind of occasion – caviar, gras, peut être casher et si la question a été posée capon, salmon, foie gras, etc. Gérard Garouste The bridge creates both dans le Talmud. S’ensuit une discussion zigza- a connection and a distance, a asked his friend if that culinary speciality, foie gras, gante et un brin surréaliste entre les quatre amis could be kosher, and if the question came up in the new point of view when puisque, le livre du Talmud ayant été sorti de la Talmud. There followed a slightly surreal, zigzagyou cross it. bibliothèque, il a d’abord été question de la vente ging conversation between the four friends as the d’un bateau au chapitre 5 du traité Baba Batra, traiTalmud was picked out of the bookcase and the té au cours duquel le maître Rabba Bar Bar Hanna consacre égafirst matter that came up concerned the sale of a boat in chapter 5 lement quelques lignes non pas au foie gras, objet du questionneof the Baba Batra tractate, in which the master Rabbah Bar Bar ment initial, mais à des oies grasses, si grasses qu’elles en perdent Hana also devotes a few lines to foie gras, the subject of the origleurs plumes en plein désert et s’en plaignent à trois maîtres du inal question, but also to fatted geese, geese so fat that they lose Talmud qui passaient par là. L’affaire est grave puisque du sort de their feathers in the middle of the desert and complain to three ces oies dépendra celui d’Israël dans le monde futur. Cette légende Talmud masters who happen to be passing through. This is a very occupe les discussions de la soirée et, deux ans plus tard, quelques serious matter because on the fate of these geese depends that of tableaux de Garouste. Dans l’intervalle, Gérard Garouste et Marcthe future Israel. This legend occupied the discussion all evening Alain Ouaknin se sont vus chaque semaine pour étudier ensemble and a few paintings by Garouste two years later. In the meantime, ces oies au milieu du désert et d’autres situations comiques et proGarouste and Ouaknin met every week to study geese in the desfondes rencontrées dans les Aggadot de Rabba Bar Bar Hanna, en ert and other comic and profound situations encountered in the s’appuyant notamment sur l’éclairage qu’en donne Rabbi Nahman Aggadot of Rabbah Bar Bar Hana, referring notably to their elude Bratslav, l’un des plus éminents commentateurs du Talmud. cidation by Rabbi Nahman of Bratslav, one of the most eminent

1. Marc-Alain Ouaknin, Zeugma, mémoire biblique et déluges contemporains, éditions du Seuil (2008), Points Seuil (2013). In Greek, zeugma means “bridge” and “link”. 2. Zeugma. Le grand œuvre drolatique, March 15 -April 15, 2018.

Trois oies déplumées autour d’une table font face à trois hommes en noir. Deux portent les traits de Borges et de Kafka, le troisième, assis au centre, ceux du philosophe et talmudiste Chouchani. Ce personnage vagabond à l’identité mystérieuse, doué d’une mémoire prodigieuse, fut une figure majeure de la vie intellectuelle juive du XXe siècle. Il éveilla notamment en Emmanuel Levinas un profond

Talmud commentators. Three plucked geese around a table face three men in black. Two have the features of Borges and Kafka, the third, sitting in the centre, those of the philosopher and Talmudist Chouchani. This vagabond figure with his mysterious identity, gifted with a prodigious memory, was a major figure in 20th-century Jewish intellectual

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intérêt pour le Talmud et participa au renouveau d’une pensée philosophique ignorée de la culture ambiante. Revenons aux oies. Autour de ces volatiles, Garouste a construit plusieurs tableaux qui sont le lieu de collusions étranges et intrigantes. Dans chacun convergent des bouts d’histoires issues de textes et de traditions différentes : des contes talmudiques, des mythes plus classiques comme l’histoire de Jonas, celle de Pinochio ou du sacrifice d’Isaac. Leur aspect parfois délirant naît de la « délecture » dit Garouste, de la délectation qu’il y a à lire et à mettre en lien pour faire naître un sens. La construction de ces images ne relève pas de la fantaisie de l’artiste ni d’un assemblage surréaliste mais de la rigueur du jeu sémantique. Sous un apparent désordre, l’esprit zeugmatique relève de la haute précision et de la plus grande maîtrise.

life. He inspired profound interest in the Talmud, notably in Emmanuel Levinas, and contributed to the revival of a school of philosophy ignored by the culture at large. But let us get back to the geese. Garouste constructed several paintings around these birds that are the scene of strange and intriguing collusions. In each converge bits of stories deriving from different texts and traditions: Talmudic tales, more mainstream myths La construction de ces images like the story of Jonah, the story of Pinocchio, and the sacrifice of Isaac. Their sometimes wild ne relève pas de la fantaisie de l’artiste ni d’un assemblage appearance is the result of what Garouste calls his “delecture”, the delectation that comes from surréaliste mais de la rigueur reading (lecture) and making connections that du jeu sémantique. give rise to meaning. The construction of these images arises not from the artist’s imagination, The construction of these nor from surreal assemblage, but from the rigour images arises not from of semantic games. Behind the seeming disorder, the artist’s imagination, nor Des maîtres, on en rencontre pourtant moins que the zeugmatic spirit is informed by the greatest from surreal assemblage, d’animaux dans les tableaux de Garouste. Depuis precision and extreme mastery. but from the rigour of des années ils peuplent l’imaginaire du peintre semantic games. et traversent sa peinture. D’Orion, au début des And yet we find fewer masters than we do animals années 1980, jusqu’à Actéon, le chien l’accomin Garouste’s pictures. For years these creatures pagne et l’âne est omniprésent (ou l’ânesse, selon les circonshave inhabited the painter’s imaginary and passed through his tances). Dans Zeugma, son bestiaire s’agrandit d’un lion, d’un paintings. From Orion in the early 1980s to Actaeon, dogs are his coq, d’un grand duc, d’un escargot, d’une girafe, d’une pie, d’une companion and donkeys are everywhere (sometimes she-asses). cigogne, d’un corbeau, d’oies bien sûr, de serpents et de greIn Zeugma his bestiary is swelled by a lion, a cock, an eagle-owl, a nouilles, créant des connivences entre l’univers d’Ésope et La snail, a giraffe, a magpie, a stork, a crow, geese of course, snakes Fontaine et celui du Talmud. Un jour une grenouille plus grosse and frogs, creating passageways between the worlds of Aesop and qu’un village se fait manger par un serpent qui, lui-même, se fait La Fontaine and that of the Talmud. One day a frog bigger than a manger par un corbeau. Un maître témoin de la scène dit : « Si village is eaten by a snake that is itself eaten by a crow. A master je ne l’avais vu de mes propres yeux, je ne l’aurais jamais cru. » sees the scene, “if I hadn’t seen it with my own eyes, I wouldn’t have L’histoire en elle-même n’a pas grand intérêt, convient Garouste, believed it.” The history itself is of little interest, Garouste admits, mais chaque lettre compte et chaque mot est important. Est-ce but each letter counts and each word is important. Is it his way of sa manière de dire la complexité implicite de ces histoire à dormir saying the complexity implicit in these shaggy dog stories? Most debout ? La plupart du temps le peintre se représente en proie à of the time, the painter represents himself subject to helpless condes torsions inextricables. Quand il étudie, les chaises sont bantortions. When he studies, the chairs are wobbly and the stools are cales et les tabourets des chapeaux. Seuls les ponts sont solides hats. Only the bridges are solid and below them the water flows, et en-dessous d’eux l’eau coule, indifférente à la folie ambiante. indifferent to the general madness.

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Gae Zum ! Marc-Alain Ouaknin Philosophe, professeur des universités, il est l’auteur de nombreux ouvrages traduits en plus de vingt langues, notamment Le Livre brûlé (1993), Lire aux éclats (1994), Bibliothérapie (1994), Bar-Mitsva, un livre pour grandir ( 2005), Zeugma, mémoire biblique et déluges contemporains (2008 et 2013), Le Cantique des Cantiques (2016), « ? », Dieu et l’art de la pêche à la ligne (2002 et 2017). Dans le cadre du Projet Targoum (IRETS), il poursuit une nouvelle traduction de la Bible hébraïque. Depuis 2013, il produit (avec Françoise-Anne Ménager) l’émission " Talmudiques " sur France Culture. Philosopher and university professor Marc-Alain Ouaknine is the author of numerous books covering a range of theological and Talmudic subjects and translated into more than 20 languages. He is currently working on a new translation of the Hebrew Bible as part of Projet Targoum (IRETS). Since 2013 he has been coproducer along with Françoise-Anne Ménager of the ‘Talmudiques’ programme on the French radio station France Culture.

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Gérard Garouste

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l y a quelques années, alors que j’habitais Jérusalem, je fis la connaissance d’une vieille dame qui tenait un coq au bout d’un très long fil de laine bleu. C’est le coq qui décidait du parcours de ses promenades. Un jour, elle me demanda de l’accompagner.

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few years back, when I was living in Jerusalem, I met an old lady with a cock held at the end of a long string of blue wool. It was this bird that decided on each day’s promenade. One day, she asked me to go with her.

Au numéro 100 de la rue Méa Chéarim, le coq s’arrêta devant un grand portique, celui de la Yéchiva1 des hassi-

At number 100 in Mea She’arim street, the cock stopped in front of a big portico, that of the Yeshiva1 of the Hasidim of Bratslav. It ascended the big staircase leading to the study room and came to a halt in the doorway. We followed it and sat on a wooden bench that was just at the entrance to the study room.

dim de Bratslav. Il monta le grand escalier qui conduisait à la salle d’étude et, sans bouger, il resta planté devant l’entrée. Nous le suivîmes et nous nous assîmes sur un banc en bois qui se trouvait là, juste à l’entrée de la salle d’étude. C’était l’heure de la leçon. L’histoire d’un voyage. Celui qu’entreprit Rabbi Nahman de Bratslav2, un grand rabbin hassidique du XVIIIe siècle, pour rejoindre le pays d’Israël en 1798. Un voyage plein de péripéties qui dura deux ans. Un voyage terrestre et maritime. Entre tempêtes et rencontres avec les armées napoléoniennes et les armées turques, Odessa-Saint-Jean-d’Acre n’était pas à l’époque une traversée de tout repos ! Le Maître qui donnait la leçon s’exprimait en français. Il exposa tous les détails de ce voyage, le sens philosophique et mystique de chaque geste de Rabbi Nahman, l’importance du voyage en général et du voyage en bateau en particulier. Et il souligna que toute l’œuvre de Rabbi Nahman pouvait se lire comme un long commentaire de deux pages et demi du traité talmudique Baba Batra3 où il est question des lois qui concernent la vente d’un bateau. Il commença alors à chanter la Michna4 avec cette mélopée si caractéristique de l’étude talmudique. « Hamokhèr èt hasefina… makhar… » Celui qui vend un bateau que vend-il ? Si c’est un contrat simple, c’est-à-dire sans aucune précision : Il vend le mât (torèn)

It was lesson time. The story of a journey. The journey made by Rabbi Nahman of Bratslav,2 a great Hasidic rabbi of the 18th century, to the land of Israel, in 1798. A most eventful journey that lasted two years. A journey over land and sea. Between storms and brushes with Napoleonic armies and Turkish armies. In those days the Odessa-Saint-Jean-d’Acre crossing was no pleasure cruise. The Master who gave the lesson spoke in French. He described all the details of this journey, the philosophical and mystical significance of each of Rabbi Nahman’s actions, and the importance of travel in general and of boat travel in particular. And he emphasised the fact that the whole of Rabbi Nahman’s œuvre could be read as one long commentary on two and a half pages of the Talmudic treatise Baba Batra,3 which is about the laws pertaining to the sale of a boat. He then began to sing the Mishna4 with that unmistakable chanting rhythm of Talmudic study. “Hamokhèr èt hasefina… makhar…” He who sells a boat, what is he selling? If it is a simple contract, that is, with no details: He is selling the mast (torèn) And the sails (nès) And the anchor (oguin)

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Hormin, les deux mules et les deux ponts , 2017 Huile sur toile, 260 x 200 cm Oil on canvas, 102 3/8 x 78 3/4 in.

1. Maison d’étude. 2. Rabbi Nahman naquit en 1772 à Medjiboj, là où s’était installé son arrière-grand-père le Ba’al Shem Tov, le fondateur du Hassidisme. Il séjourna quelques temps à Bratslav, petite bourgade d’Ukraine. 3. Il s’agit ici des pages 73a, 73b et 74a de ce traité. 4. Code juridique dans lequel sont énoncées toutes les lois du judaïsme. Sa version écrite et canonique date de la fin du IIe siècle de notre ère. 1. House of study. 2. Rabbi Nahman was born in 1772 in Medjiboj, where his grandfather, Ba’al Shem Tov, the founder of Hasidism, had settled. He spent several years in Bratslav, a small town in Ukraine. 3. The pages in question are 73a, 73b and 74a. 4. Legal code containing all the laws of Judaism. Its canonical, written version dates from the late 2nd century CE.


Gérard Garouste

Et les voiles (nès) Et l’ancre (oguin) Et tout ce qui permet de le gouverner (manhiguin) Mais il n’a vendu ni l’équipage (avadim) Ni les caisses et les sacs (martsoufin) Ni la marchandise (antiqui). Et si le vendeur dit précisément : « Elle5, et tout ce qui s’y trouve. » Tout est inclus dans la vente (haré koulan mekhourin) !

Rabba Bar Bar Hanna , 2016 Huile sur toile, 260 x 210 cm Oil on canvas, 102 3/8 x 82 5/8 in.

J’écoutais, et en même temps je visualisais le texte de cette Michna. Je me sentais entrer dans le texte. Je sentais la verticale qui unit le haut du mât aux profondeurs des eaux où repose l’ancre du bateau. Mes yeux percevaient la promesse d’une terre lointaine qu’offre de manière exceptionnelle la position de la vigie en haut du mât. Je sentais le vent dans les voiles, l’effervescence de l’équipage chargeant et déchargeant les sacs de marchandises, et le regard d’un capitaine qui me souriait avec bienveillance. —

5. Le bateau, comme en anglais, est féminin en hébreu. 6. Il s’agit des noms de Dieu « je serai oui je serai » ! « Yah, Dieu des constellations », « amen, amen, Pause » ! Il s’agit de formules cabalistiques qui reposent sur des jeux de chiffres et de lettres. Trois triades dont le calcul des valeurs numériques est donné dans la suite du texte :543, 540 et 277. 5. In Hebrew the word for boat is feminine like in English. 6. These are the names of God: “I shall be, yes, I shall be” ! “Yah, God of the constellations”, “amen, amen, Pause”! The words are cabbalistic formula based on a combination of numbers and letters: three triads whose numerical value is given in the continuation of the text: 543, 540 and 277.

- Vous vous demandez certainement, poursuivit-il, en quoi un texte sur le droit commercial concernant un bateau est si important ? Il l’est, en effet, poursuivit le Maître, par le commentaire que propose la Guemara. Non pas de longs développements juridiques, mais un ensemble de quinze histoires, des Aggadot – des récits – dans lesquelles le protagoniste principal, Rabba Bar Bar Hanna, nous conduit au cœur d’aventures extraordinaires, dont Rabbi Nahman de Bratslav a cherché à percer le mystère, en quelque sorte à trouver les clés qui mènent dans la cale ! Rabba Bar Bar Hanna raconte : « Des navigateurs m’ont raconté que l’on reconnaît la vague qui cherche à faire sombrer un bateau, en un mot, à lui faire faire naufrage, à la frange de lumière blanche de sa crête. Si l’on frappe la vague avec une rame où l’on a gravé « éhyé achèr éhyé, yah yhvh tsevaot, amen amen séla6 », la vague retombe (et le bateau est sauf). »

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And all that can be used to steer it (manhiguin) But he has sold neither the crew (avadim) Nor the chests and the sacks (martsoufin) Nor the goods (antiqui). And if the seller precisely states: ‘She,5 and all that is within her,’ then all is included in this sale (haré koulan mekhourin)!” I listened, and at the same time I was picturing the text of this Mishna. I could feel myself enter into the text. I could feel the vertical running from the top of the mast to the depths of the water where the boat’s anchor lay. My eyes perceived the promise of a distant land that is the exceptional gift of the lookout’s position at the top of the mast. I could feel the wind in the sails, the excitement of the crew loading and unloading sacks of merchandise, and the gaze of a captain giving me a kindly smile. — “You must be wondering,” he continued, “how a text about commercial law applied to a boat can be so important. And indeed it is, continued the Master, by virtue of the commentary given in the Guemara. Not a series of long legal disquisitions, but a set of fifteen stories, of Aggadot, or narratives, in which the main protagonist, Rabbah Bar Bar Hana, leads us to the heart of extraordinary adventures and Rabbi Nahman of Bratslav tries to shed light on their mystery – to find, in a sense, the keys that lead to the hold.” Said Rabbah Bar Bar Hana: “Sailors told me that you can recognise the wave that means to sink the boat, in a word to bring about shipwreck, by the fringe of white light on its crest. If you hit the wave with an oar on which you have engraved ‘éhyé achèr éhyé, yah yhvh tsevaot, amen amen séla’6 then the wave will subside (and the boat will be safe).” … Rabbah Bar Bar Hana also relates: “Once, when we were sailing on the sea, we came upon a fish with a back covered in sand out of which


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Rabba Bar Bar Hanna raconte encore : « Une fois, comme nous voyagions en bateau, nous rencontrâmes un poisson dont le dos était couvert de sable ; des roseaux y poussaient. Pensant que c’était une île, nous y débarquâmes ; nous nous fîmes cuire de quoi manger ; lorsque le poisson sentit la chaleur sur son dos, il se retourna ; si le bateau n’avait pas été proche nous nous serions noyés.  » Les étudiants écoutaient avec une attention quasi religieuse. Je pense qu’aucun d’eux n’identifia le fait que cette histoire apparaît de façon quasi identique dans Les Milles et Une Nuits en un récit qui ouvre le cycle des péripéties maritimes de Sindbad le marin lors des LXXe et LXXIe nuits : « Dans le cours de notre navigation, dit Sindbad, nous abordâmes à plusieurs îles, et nous y vendîmes ou échangeâmes nos marchandises. Un jour que nous étions à la voile, le calme nous prit vis-à-vis une petite île presque à fleur d’eau, qui ressemblait à une prairie par sa verdure. Le capitaine fit plier les voiles, et permit de prendre terre aux personnes de l’équipage qui voulurent y descendre. Je fus du nombre de ceux qui y débarquèrent. Mais dans le temps que nous nous divertissions à boire et à manger, et à nous délasser de la fatigue de la mer, l’île trembla tout à coup, et nous donna une rude secousse... » À ces mots, Schéhérazade s’arrêta, parce que le jour commençait à paraître. Elle reprit ainsi son discours sur la fin de la nuit suivante : Sire, Sindbad poursuivant son histoire : « On s’aperçut, dit-il, du tremblement de l’île dans le vaisseau, d’où l’on nous cria de nous rembarquer promptement ; que nous allions tous périr ; que ce que nous prenions pour une île était le dos d’une baleine. Les plus diligents se sauvèrent dans la chaloupe, d’autres se jetèrent à la nage. Pour moi, j’étais encore sur l’île, ou plutôt sur la baleine, lorsqu’elle se plongea dans la mer, et je n’eus que le temps de me prendre à une pièce de bois qu’on avait apportée du vaisseau pour faire du

reeds were growing. We thought it was an island so we went there and cooked our food; when the fish felt the heat on its back, it rolled over, and if the ship had not been nearby, we would have drowned.” The students listened with an almost religious attention. Not one of them, I believe, realised that this story appears in almost identical fashion in the Thousand and One Nights in a tale that opens the cycle of maritime adventures of Sinbad the Sailor during the 70th and 71st nights: “In our voyage we touched at several islands, where we sold or exchanged our goods. One day, whilst under sail, we were becalmed near a little island, even almost with the surface of the water, which resembled a green meadow. The captain ordered his sails to be furled, and permitted such persons as had a mind to land upon the island, amongst whom I was one. But while we were diverting ourselves with eating and drinking, and recovering ourselves from the fatigue of the sea, the island on a sudden trembled, and shook us terribly.” Here Scheherazade stopped, because day appeared, but resumed her discourse next morning as follows: Sir, Sinbad pursued his story thus: “They perceived the trembling of the island on board the ship, and called us to re-embark speedily, or we should all be lost; for what we took for an island was only the back of a whale. The nimblest got into the sloop, others betook themselves to swimming; but for my part, I was still upon the back of the whale when he dived into the sea, and had time only to catch hold of a piece of wood that we had brought out of the ship to make a fire. Meanwhile, the captain, having received those on board who were in the sloop, and taken up some of those that swam, resolved to improve the favourable gale that was just risen, and hoisting his sails, pursued his voyage, so that it was impossible to recover the ship. Thus I was exposed to the mercy of the waves, and struggled for my life all the rest of the day and the following night. Next morning I found my strength gone,

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Le sage et la tempête , 2016 Huile sur toile, 81 x 65 cm Oil on canvas, 317/8 x 255/8 in.


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feu. Cependant le capitaine, après avoir reçu sur son bord les gens qui étaient dans la chaloupe, et recueilli quelques-uns de ceux qui nageaient, voulut profiter d’un vent frais et favorable qui s’était élevé, il fit hisser les voiles, et m’ôta par-là l’espérance de gagner le vaisseau. Je demeurai donc à la merci des flots, poussé tantôt d’un côté, et tantôt d’un autre ; je disputai contre eux ma vie tout le reste du jour et de la nuit suivante. Je n’avais plus de force le lendemain, et je désespérais d’éviter la mort, lorsqu’une vague me jeta heureusement contre une île…7 » …

Pinocchio et la hache, 2017 Huile sur toile, 100 x 70,5 cm Oil on canvas, 39 3/8 x 27 3/4 in.

Je crois qu’il est important de souligner ici, dit le Maître, que Les Mille et Une Nuits datent du IIIe siècle et fut écrit dans l’empire perse sassanide du IIIe siècle après notre ère, qui est aussi l’époque dans laquelle vécut Rabba Bar Bar Hanna, le maître du Talmud, qui les rapporte. Cela dit beaucoup des porosités culturelles, des influences croisées et de cette volonté du Talmud et par la suite de la pensée juive, de construire une identité que l’on dira « dialogique », c’est-à-dire se construisant au cœur d’une forte dynamique de coalitions de cultures. Le rapport entre le Talmud et la littérature, la Bible et la littérature est absolument essentiel et passionnant, poursuivit-il. J’ai découvert récemment, dit le Maître qui s’enthousiasmait du plaisir de transmettre ses nouvelles découvertes, que Collodi, au début de ses célèbres Aventures de Pinocchio, fait une allusion au « non-sacrifice d’Isaac » du chapitre 22 de la Genèse. En effet, Maître Cerise, tentant de fendre une bûche de bois qu’il vient de découvrir à sa porte, lève la main avec sa hache, mais celle-ci reste bloquée en l’air, tout comme l’avait été la main d’Abraham levée avec son couteau au-dessus de son fils Isaac qu’il pensait devoir sacrifier. Et la bûche se met à rire, à rire et à rire encore, clin d’œil à cet enfant, Isaac, dont le nom hébraïque signifie « il rira » ! —

7. Traduction Antoine Galland (1646- 1715). 7. Translation by Edward Forster from the French version by Antoine Galland (1646- 1715), The Arabian Nights Entertainment in Three Volumes, London: Rivington, 1820.

Mais revenons à notre vendeur de bateau dit-il. J’insiste, reprit le Maître, sur cette articulation de la loi et

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and despaired of saving my life, when happily a wave threw me against an island.”7 … “I think it is important to emphasise,” said the Master, “that the Thousand and One Nights date from the third century and were written under the Sassanid Persian empire in the third century AD, which is also the age when Rabbah Bar Bar Hana, the Talmud master who relates them, also lived. This tells us a great deal about the permeability of cultures and reciprocal influences, and about the effort embodied by the Talmud and later Jewish thought to construct an identity that we may describe as dialogic, that is to say, constructed within a powerful dynamic of the coalition of cultures. The relation between the Talmud and literature, and the Bible and literature, is both essential and fascinating,” he continued. “I have recently discovered,” said the Master, who delighted in sharing his new discoveries, “that Collodi at the start of his famous Adventures of Pinocchio makes an allusion to the ‘non-sacrifice of Isaac’ in chapter 22 of Genesis. Indeed, Maestro Cherry, who was about to hew the piece of wood that he had found in his shop, raised his hatchet but found that it remained stuck in the air, just as the hand of Abraham was stayed, holding his knife over his son Isaac whom he thought he must sacrifice. And the wood began to giggle, uncontrollably, in a nod to that child, Isaac, whose Hebrew name means ‘he shall laugh’! — But let us come back to our boat seller,” he said. “I wish,” continued the Master, “to emphasise this articulation of law and narrative. I encourage those who would like to look further into this question to reread the text by Hayyim-Nahman Bialik whose title, precisely, is Halakaha veaggada, 8 ‘Law and Narrative,’ which is one of the key texts regarding the method of study I am presenting to you here: The Halakha (the Law) is nourished by the world of action, and is concerned with reality. When you enter the Mishna, do not wrinkle your brow, but pass peacefully between the chapters, as if you were walking among the ruins of ancient cities. Stroll


Gérard Garouste

du récit et, pour ceux qui voudront approfondir cette question, je les invite à relire le texte de Hayyim-Nahman Bialik8 intitulé précisément Halakaha veaggada , « Loi et récit », qui est l’un des textes de référence concernant la méthode d’étude que je vous propose ici : « La Halakha (la Loi) se nourrit du monde de l’action et s’occupe de la réalité. […] Lorsque vous pénétrez dans la Michna, ne ridez pas le front, mais passez entre les chapitres tranquillement, comme si vous passiez entre les ruines de cités anciennes. Flânez parmi les décisions légales rangées comme les briques d’un mur dont la densité donne l’apparence du silex taillé. Contemplez avec discernement toutes les représentations, les petites et les plus petites, dispersées en désordre par milliers, puis dites : “Ne voyons-nous pas ici la vie active d’un peuple entier qui a été pétrifiée soudainement dans ses multiples détails ?” […] Lorsque, par exemple, un Juif lit dans l’ordre qui a trait aux lois de l’agriculture, l’atmosphère de la vie, l’odorat de la terre et des herbes, ne lui parviennent-ils pas soudainement ? N’oublie-t-il pas qu’il est assis à l’école en train d’étudier ? Il voit le peuple, le peuple de la terre au labeur dans les champs, le potager, la vigne et l’aire de battage. Il le voit avec le prêtre qui inspecte les aires de battage ; il voit les pauvres et les indigents se précipitant sur les restes de la moisson, ou les recouvrant de leur vêtement en signe d’appropriation… Il voit le champ bigarré de blé, d’ivraie, d’amarantes et de pourpiers ; la vigne grimpant sur le figuier ; les fourmiliers dans la moisson sur pied ; le vent soufflant sur les vignes. Il voit un glaneur ramassant l’herbe fraîche et un autre, les brindilles sèches. Il voit le vigneron coupant la grappe qui s’emmêle dans les feuilles et qui tombe en s’éparpillant ; le tas de blé autorisé à la consommation par le prélèvement d’un grain ; le cerf acheté avec l’argent de la dîme ; l’arbre qui pousse à l’intérieur mais penche à l’extérieur ; la pâtée des chiens mangée par les bergers ; le premier fruit de la

among the legal decisions lined up like the bricks of a wall whose density has the appearance of hewn flint. Contemplate with discernment all the representations, both small and even smaller, scattered in their thousands, and then say, “Can we not see here the active life of a whole people that has suddenly been petrified, in all its many details?” […] When, for example, a Jew reads the order concerning the laws of agriculture, does not the atmosphere of life, the smell of the earth and the grasses, suddenly come to him? Does he not forget that he is sitting in school, studying? He sees the people, the people of the earth at their labours in the fields, the vegetable garden, the vine and the threshing area. He sees it with the eyes of the priest inspecting the threshing area; he sees the poor and the indigent throwing themselves on what is left of the harvest, or covering it with their clothes as a sign of appropriation. He sees the field multicoloured with wheat, chaff, amaranth and purslane; the vine climbing over the fig tree; the woodpeckers amidst the crop in the fields; the wind blowing on the vines. He sees a gleaner gathering freshly cut grass and another, the dry twigs. He sees the winegrower cutting the bunches of grapes that are tangled with the leaves and fall and roll across the ground; the piles of wheat allowed for consumption by removal of a grain; the deer bought with the tithe money; the tree growing inside but leaning on the outside; the dog food eaten by the shepherds; the first pomegranate tied with the leaf of a reed; the young pigeons perching on baskets, and many other scenes.” 9 I was surprised that a Hasidic teacher10 should quote Bialik, for although he was extremely knowledgeable about the Talmud and its commentaries, Bialik was nevertheless seen as a maskil, that is to say, a member of the Jewish enlightenment movement, of the Haskalah, which combated Hasidism in the eighteenth and nineteenth centuries, and continued to do so through the twentieth and twenty-first. Perhaps times were changing.

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Le non-sacrifice de Pinocchio, 2017 Huile sur toile, 46 x 33 cm Oil on canvas, 18 1/8 x 13 in.

8. Véritable monument de la langue hébraïque, qui réécrit les aggadot (les récits) le Talmud en hébreu moderne, Bialik est considéré comme le « Victor Hugo hébraïque ». Bien que complètement laïque, ce grand poète fût formé au Talmud et contribua à transmettre cette méthode d’étude qu’il apprit dans les grandes académies talmudiques lituaniennes, qui consiste à développer l’articulation entre loi et philosophie, entre prescriptif et narratif, le rythme fondamental de la pensée biblique et talmudique. Méthode que Lévinas poursuivit à son tour dans ses Lectures talmudiques et qu’à sa suite j’ai développée dans mes propres travaux. C’est cette méthode que j’ai désirée, par nos longues années d’étude commune, transmettre à Gérard Garouste, dont sa peinture en est aussi une forme de transmission majeure ! 8. A monument of the Hebrew language, who rewrote the aggadot (narratives), the Talmud, in modern Hebrew, Bialik is seen as the “Victor Hugo of Hebrew.” Although secular in outlook, this great poet was trained in the Talmud and helped to pass on the method of study which he learned in the great Talmudic academies of Lithuania. This consists of developing the articulation of law and philosophy, the prescriptive and the narrative, the fundamental rhythm of biblical and Talmudic thought. Levinas took up this method in his Lectures talmudiques and I myself have used it in my own works. This was the method that I wanted to shared with Gérard Garouste in our long years of study together. His painting, too, is a major form of transmission. 9. Hayyim-Nahman Bialik, Halakha et Aggada, Éditions de l’Éclat, 2017, p. 43 and 44. 10. The scene is set in the Yeshiva of the Braslav Hasidim.


Gérard Garouste

grenade noué avec une feuille de roseau ; les jeunes pigeons perchés sur des paniers et bien d’autres scènes9. » J’étais surpris qu’un enseignant hassidique10 cite Bialik, car ce dernier, bien que possédant une immense maîtrise du Talmud et de ses commentaires, était considéré comme un maskil, c’est à dire un tenant des lumières juives de la Haskala, un mouvement qu’avait combattu le hassidisme aux XVIIIe et au XIXe siècles, et qu’il avait

L’étudiant et l’oie grasse , 2017 Huile sur toile, 195 x 160 cm Oil on canvas, 76 3/4 x 63 in.

continué de combattre tout au long du XXe et du XXIe siècle. Peut-être les temps étaient-ils en train de changer. En tout cas je retrouvais la méthode que je suivais moimême dans mes recherches et mes enseignements. Pas de rite qui ne soit illustré, commenté, par une histoire, une fable, une parabole, un développement narratif, en un mot un mythe. Et inversement, pas un mythe qui ne soit en lien d’une façon ou d’une autre avec une loi, un rite liturgique, religieux ou social. Rite et mythe : le « rythme » de la pensée talmudique ! —

9. Hayyim-Nahman Bialik, Halakha et Aggada, éditions de l’éclat, 2017, p. 43-44. 10. La scène se passe dans la Yéchiva des hassidim de Bratslav.

La leçon dura trois bonnes heures pendant lesquelles le coq et la vieille femme ne bougèrent pas et ne montrèrent aucun signe de fatigue ni d’impatience. Le Maître expliqua ce qu’il appelait la dialectique de la vague et du bateau. Il expliqua pourquoi les bateaux de cette époque portaient tous une tête d’oie sculptée à la poupe. Comment les marins étaient sujets à des insolations suivies de délires, de rêves et de rêveries dans lesquels ils avaient des hallucinations où, souvent, les oies, les tempêtes, les vagues et les démons en étaient les principaux invités. Il expliqua que les bateaux de commerce phéniciens et, par la suite, d’autres pays, avaient une oie sculptée dans le bois de la poupe. Les bateaux de guerre préféraient avoir l’oie à la proue, sans doute pour faciliter l’abordage. Certains bateaux avaient une tête de cheval, de cygne, parfois même de lion. J’ai entendu que certains chercheurs et artistes libanais avaient créé un projet de reconstitution de bateaux phéniciens. Le texte biblique fait allusion à ces bateaux et il est vraisemblable que c’est dans un de ces bateaux que le prophète Jonas a embarqué pour fuir sa mission à Ninive.

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In any case, I was going back to the method that I myself followed, even in my research and teaching. Every rite had to be illustrated, commented upon by a story, a fable, a parable, a narrative development: in a word, a myth. And conversely, every myth was in some way or another linked to a law, to a liturgical, religious or social rite. Rite and myth: the ‘rhythm’ of Talmudic thought!” — The lesson lasted three good hours, during which the cock and the old woman did not move or show any sign of tiredness or impatience. The Master explained what he called the dialectic of the wave and the boat. He explained why boats in those days always had a sculpted goose’s head attached to their stern. How sailors were subject to sunstroke followed by raving, dreams and reveries in which they had hallucinations in which, often, geese, storms, waves and demons were the main guests. He explained that Phoenician trading vessels and those, later, of other countries, had a goose carved from the wood of the stern. Warships preferred to have the goose on the prow, no doubt to facilitate boarding. Some boats had the head of a horse, a swan, and sometimes even a lion. I have heard that Lebanese researchers and artists had a project to recreate Phoenician boats. The biblical text alludes to them and it was very probably on one of these boats that the prophet Jonah went to sea in order to avoid his mission in Nineveh. A student who was in the first row, next to the young woman with blue eyes, raised his hand to ask why this was. “I was coming to that,” said the Master. “It is a personal interpretation, for I have not seen any commentaries on this question. It is the position of the goose on the stern, rather than on the prow, that attracted my attention. When the ship is leaving, the stern is the last part seen by the people staying behind on the shore. The goose being a migratory bird, the fact of having it face towards the bank or the shore was a way of saying to those left behind: ‘Do not worry, we shall soon return!’” Having always had a soft spot for migratory birds, and in particular for storks, I found the interpretation appealing.


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Un étudiant qui était au premier rang, à côté de la jeune femme aux yeux bleus, leva la main pour en demander la raison. – J’allais justement y venir, dit le Maître. C’est une interprétation personnelle car je n’ai pas vu de commentaires sur cette question. C’est la situation de l’oie à la poupe, plutôt qu’à la proue, qui a attiré mon attention. La poupe, quand le bateau s’éloigne, c’est pour les personnes qui restent à quai ou sur le rivage, ce que l’on voit en dernier. L’oie étant un oiseau migrateur, l’apercevoir le visage tourné vers le quai ou le rivage, c’est dire à ceux qui restent : « Ne vous inquiétez pas nous reviendrons bien vite ! » Ayant toujours été sensible aux oiseaux migrateurs et en particulier aux cigognes, je trouvai l’interprétation séduisante. — Rabba Bar Bar Hanna raconte encore : « Un jour, j’ai vu Hormin, le fils de Lilith, qui courait sur les murailles de Mehouza. Un cavalier qui galopait en bas ne put le rattraper. Un jour on lui a sellé deux mules qu’on a placées sur deux ponts de la rivière Ravnag. Hormin sautait de l’une a l’autre, tenant à la main deux verres, dont il ne cessait de transvaser le vin de l’un à l’autre sans en renverser une goutte ; ce jour-là pourtant, “on montait vers les cieux, on descendait dans l’abîme”, selon l’expression du psaume 107:26. Le gouvernement finit par être informé [de la présence de ce démon] et le supprima. » … Rabba Bar Bar Hanna raconte : « J’ai vu le faon d’une gazelle né de la veille ; il était aussi grand que le mont Tabor. Quelle est la hauteur du mont Tabor ? Quatre parsis. La longueur de son cou était de trois parsis et sa tête avait un parsa et demi de largeur. Un de ses étrons arrêta le cours du Jourdain. » … Rabah Bar Bar Hanna raconte : « J’ai vu une grenouille aussi grande que Fort Hagro-

Said Rabbah Bar Bar Hana: “One day I saw Ahriman, the son of Lilith, as he ran over the arches of the fortifications of Mehuza; and a man on horseback on the ground ran in the same direction and could not keep up with him. It happened once that they saddled two mules for him; placing each mule on one of the two bridges over the river Ravnag. Ahriman jumped from one to the other, hold two glasses in his hands, constantly pouring the wine from one to the other without losing a drop; that day, however, ‘They mount up to the heaven, they go down again to the depths,’ as it says in Psalm 107, verse 26. In the end, the government found out [about the presence of this demon] and did away with it.” … Said Rabbah Bar Bar Hana: “My attention was called to a gazelle a day old, which was as big as Mount Tabor. How high is Mount Tabor? Four parsa-’ot. The length of its neck was three parsa’ot and its head was a parasa and a half wide. One of its turds blocked the River Jordan.” … Said Rabbah Bar Bar Hana: “I saw a frog as big as Fort Hagronia. How big is that village? It contains sixty houses? Then came a snake that swallowed the frog, then a crow that swallowed the snake and flew away. It alighted on a tree. Imagine the vigour of the tree! If I had not been there, says Rav Pappa Bar Shmouel, I would not have believed it.” … Said Rabbah Bar Bar Hana: “When travelling in the desert, we saw geese so swollen with fat that their feathers were falling out: waves of oil were spreading out beneath them. I asked them if I would have a piece of their flesh in the world to come. One raised a leg, another raised a wing. When I told these things to Rabbi Eleazar, he said to me, ‘One day Israel will have to answer for the [treatment inflicted on] these geese.’11”

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Horminette, 2017 Huile sur toile, 92 x 60 cm Oil on canvas, 36 1/4 x 23 5/8 in.

11. Traduction de ces textes du Talmud par Arlette ElkaïmSartre, in Aggadoth du Talmud de Babylone, Verdier, 1983, p. 956 et sq.


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nia. Quelle est l’importance de ce bourg ? II contient soixante maisons. Vint un serpent, qui avala la grenouille, puis un corbeau qui avala le serpent et s’envola. Il se posa sur un arbre. Jugez de la vigueur de cet arbre ! Si je n’avais pas été là, dit Rav Pappa Bar Shmouel, je ne l’aurais pas cru.» … Rabba Bar Bar Hanna raconte : « Au cours d’un voyage dans le désert, nous avons vu des oies si boursouflées de graisse que leurs plumes tombaient ; des flots d’huile se répandaient sous elles. Je leur demandai si j’aurais une part de leur chair au monde à venir. L’une leva une patte, une autre leva une aile. Lorsque je vins raconter ces faits à Rabbi Éléazar, il me dit : “Un jour Israël devra rendre des comptes pour [le traitement infligé à] ces oies.”11 » — La Grenouillerie , 2016 Huile sur toile, 260 x 210 cm Oil on canvas, 102 3/8 x 82 5/8 in.

11. Translations from Arlette Elkaïm-Sartre’s French version in Aggadoth du Talmud de Babylone, Verdier, 1983, p. 956 and sq.

Il y avait plusieurs rangées d’étudiants, dont des auditeurs libres, touristes de passage ou curieux de cette pensée si jubilatoire et innovatrice de Rabbi Nahman de Bratslav dont ils avaient entendu parler à l’autre bout du monde par la rumeur des anges. Il y avait cet homme avec un chapeau de feutre marron qui prenait des notes et faisait de nombreux petits dessins sur un carnet d’esquisses. De là où j’étais assis je les voyais relativement bien : un bateau, une île, le dos d’une baleine, une tempête avec d’immenses vagues, des oies grasses dans le désert, une grenouille grosse comme plusieurs habitations, un corbeau à la cime d’un arbre, un pont sur lequel dansait un démon qui jonglait avec des verres sans en renverser le contenu, une caravane qui traversait le désert, un plongeur en eau profonde à la recherche d’un trésor… Et Pinocchio ! Je regardais plus précisément l’assemblée des auditeurs et quelle ne fut pas ma surprise d’en reconnaître quelquesuns. Il y avait Kafka, Steiner, Barthes, Blanchot, Lévinas, Agnon, Borges, Chouchani, Benveniste, Derrida, Jabès, Ricœur, Chouraqui, Manitou, Freud, Atlan, Moses, Benjamin, Buber, Scholem, Lévi-Strauss, et étonnamment quelques femmes perdues dans cette assemblée parti-

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There were several rows of students, some of them unregistered, or tourists or visitors curious about the very joyous and innovative thought of Rabbi Nahman of Bratslav which they had heard about at the other end of the world from the murmuring of angels. There was a man with a brown homburg who was taking notes and making lots of little drawings in a sketchbook. From where I was sitting, I could see them fairly well: a boat, an island, the back of a whale, a storm with huge waves, fatted geese in the desert, a frog as big as several houses, a crow on the top of a tree, a bridge on which a demon was dancing and juggling glasses without spilling the contents, a caravan crossing the desert, a diver in deep water looking for treasure… And Pinocchio! I looked more closely at the attendees and you can imagine my surprise when I recognised some of them. There was Kafka, Steiner, Barthes, Blanchot, Levinas, Agnon, Borges, Chouchani, Benveniste, Derrida, Jabès, Ricœur, Chouraqui, Manitou, Freud, Atlan, Moses, Benjamin, Buber, Scholem, Lévi-Strauss, and, very surprisingly, a few women lost in this rather masculine assembly: Éliane Amado Valensi, Nehama Leibowitz, Felicie Bauer, Marthe Robert, Misia Natanson, Catherine Chalier, Milena Jesenská, Hélène Cixous, Puah Ben-Tovim, Élisabeth de Fontenay, Ruth Reichelberg, Marie-José Mondzain, Frieda Brandenfeld, Irma Joseph, Jeanne Delhomme, Julie Wohryzek and Julia Kristeva… Kafka said, “It sounds like a bibliography in a book by Ouaknin!” Catherine Chalier smiled and Buber said to Nehama Leibowitz, pointing to the man in the brown hat: – “Did you see, it’s Garouste!”. – “Elisabeth?” asked Nehama, who had not really seen who Buber was pointing at. –“No, Gérard!” said Buber. Nehama gave a friendly little wave to the man in the brown hat who waved back. The Master had more surprises in store. Like a magician pulling a rabbit or a white pigeon out of a hat, he started explaining that Rabbi Nahman’s commentary on the stories of Rabbah Bar Bar Hana could be related to the


Les trois maĂŽtres et les oies grasses, 2017 Huile sur toile, 160 x 200 cm Oil on canvas, 63 x 78 3/4 in.

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culièrement masculine : éliane Amado Valensi, Nehama Leibowitz, Felicie Bauer, Marthe Robert, Misia Natanson, Catherine Chalier, Milena Jesenská, Hélène Cixous, Puah Ben-Tovim, Élisabeth de Fontenay, Ruth Reichelberg, Marie-José Mondzain, Frieda Brandenfeld, Irma Joseph, Jeanne Delhomme, Julie Wohryzek et Julia Kristeva… Kafka dit : « On dirait une bibliographie d’un livre de Ouaknin ! » Catherine Chalier sourit et Buber dit à Nehama Leibowitz, en montrant l’homme au chapeau marron : – T’as vu, c’est Garouste ! – Elisabeth ? demanda Nehama qui n’avait pas très bien vu qui indiquait la main de Buber. – Non, Gérard dit Buber ! Nehama fit un petit signe d’amitié en direction de l’homme au chapeau marron qui le lui rendit. — Le Maître nous réservait encore des surprises. Comme un magicien sortant de son chapeau un lapin ou un pigeon blanc, il commença à expliquer que le commentaire de Rabbi Nahman sur les histoires de Rabba Bar Bar Hanna pouvait être mis en relation avec le célébrissime poème de Mallarmé Un coup de dés jamais n’abolira le hasard. « Tout le lexique de la page du Talmud s’y trouve ! », dit-il. Ce poème, ajouta-t-il, est la matrice de multiples autres poèmes possibles, qui peuvent jaillirent d’une combinatoire infinie de mots, organisés selon un ordre aléatoire que jamais un coup de dés n’abolirait, quand bien même lancé dans des circonstances éternelles du fond d’un naufrage. L’aile simple Enroulée avec ironie Scintille par d’impatientes squames ultimes Couvrant les jaillissements L’évidence de la somme, Le Nombre

Ceci n’est pas un chapeau, 2017 Huile sur toile, 130 x 89 cm Tabouret Stool 60 (Alvar Aalto) Oil on canvas, 51 x 35 in. Stool 60 (Alvar Aalto)

Jamais La coque du bâtiment N’abolira La mer au nom des flots

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ultra-famous poem by Mallarmé, Un coup de dés jamais n’abolira le hasard (A Throw of the Dice will Never Abolish Chance). “It contains the whole lexicon from that page of the Talmud!” he said. This poem, he added, was the matrix of many other possible poems that can emerge from an infinite combination of words, organised in random fashion that a dice throw would never abolish, even when thrown in eternal circumstances from the depths of a shipwreck.

The simple wing Ironically folded Glitters with impatient ultimate scales Covering the outpourings The obviousness of the sum, The Number Never Will the ship’s Hull abolish The sea in the name of the waves The mystery precipitated Yelled Whirlpool of hilarity and horror Encounter with a midnight hat Crumpled in a dark guffaw In some close leap It was, it would be The storm, the shipwreck — The abyss whitened The sail, folly, destiny and the winds The shadow buried in the depths by that alternative veil The inferior nondescript lapping to scatter the empty act The ulterior immemorial demon….


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Le mystère précipité Hurlé Tourbillon d’hilarité et d’horreur Rencontre une toque de minuit Chiffonné en un esclaffement sombre Dans quelque proche voltige C’était, ce serait La tempête, le naufrage — L’abîme blanchi Le voile, la folie, un destin et les vents L’ombre enfouie dans la profondeur par cette voile alternative L’inférieur clapotis quelconque pour disperser l’acte vide L’ultérieur démon immémorial…

— Born of a tumble The old man Kept from the secret he holds Rather than playing Once he grabbed the helm, And the elder The frantic solitary quill In these climes Rhythmic quill of the wave Softened by the wave Time Evaporated in a mist In a mermaid’s twist Upright Imposed an endless boundary —

— Né d’un ébat Le vieillard Écarté du secret qu’il détient Plutôt que de jouer Jadis il empoignait la barre, Et l’aïeul La plume solitaire éperdue Dans ces parages Plume rythmique du vague Assouplie par la vague

The ghost of an expiatory and pubescent gesture Whence leapt his mania Watching Doubting Rolling over some vacant and superior surface According to one obliquity By such and such a declivity Shining and meditating Before stopping at some final point that consecrates it. All Thought rolls a Dice Throw

Le temps Évaporé en brume En torsion de sirène Debout Imposa une borne à l’infini —

— There was a long silence, resonant with the listeners’ emotion. The eyes of the man in the brown hat were twinkling. I don’t know what he was seeing but he was making signs that

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Pinocchio et la partie de dés, (détail), 2017 Huile sur toile, 160 x 220 cm Oil on canvas, 63 x 86 5/8 in.


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Le fantôme d’un geste expiatoire et pubère D’où sursauta son délire Veillant Doutant Roulant sur quelque surface vacante et supérieure Selon telle obliquité Par telle déclivité Brillant et méditant Avant de s’arrêter à quelque point dernier qui le sacre. Toute Pensée émet un Coup de Dés — L’Artichaut et le Compas, (détail), 2016 Huile sur toile, 60,5 x 92 cm Oil on canvas, 23 7/8 x 36 1/4 in.

Il y eut un grand silence qui traduisait l’émotion palpable de l’auditoire. L’homme au chapeau marron avait le regard plein d’étincelles. Je ne sais pas ce qu’il voyait mais il faisait des signes qui semblaient dire : « C’est extraordinaire, enfin je comprends ! » Son crayon allait d’un dessin à l’autre, rajoutait un personnage, une forme, un mouvement de la main qui semblait lancer des dés, une table avec un tribunal de trois juges devant lesquels venaient se présenter des oies pour faire le procès du foie gras. Il dessinait des ponts et encore des ponts avec des acrobates qui y dansaient, un verre à la main ! Non, avec deux verres à la main ! Acrobate et jongleur à la fois, dansant sur l’abîme. Chaque mot que le Maître avait prononcé lui avait inspiré des formes qui se faisaient et se défaisaient au rythme des récits de Rabba Bar Bar Hanna. Il traçait et effaçait, enlevait et ajoutait, la grenouille devenait corbeau, le corbeau arbre puis serpent, les oies se dandinaient avec un sourire complice, la vague se confondait avec le bateau, comme dans Dans le creux d’une vague au large de Kanawaga de Hokusai, l’une des estampes des « Trente-six vues du mont Fuji », réalisées entre 1830-1834. La main de l’homme au chapeau marron dansait. Une forme de pensée du geste que j’appellerais « dansité », répondant à la « densité » de la forme, ouverte à des milliers de développements possibles. Danse poétique de ses doigts qui

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seemed to say: this is extraordinary, at last I understand! His pen went from one drawing to another, added a figure, a form, a movement of the hand that seemed to be throwing dice, a table with a tribunal of three judges before whom came geese to put foie gras on trial. He drew bridges and more bridges with acrobats dancing, glass in hand! No, with two glasses in their hands! Both acrobat and juggler, dancing over the abyss. Each word spoken by the Master had inspired forms that shaped and were shed to the rhythm of Rabbah Bar Bar Hana’s stories. He was tracing and erasing, removing and adding. The frog became a crow, the crow a tree then a snake, the geese waddled with a sly smile, the wave merged with the boat, as in Under the Wave off Kanagawa, one of the “Thirty Six Views of Mount Fuji” prints he made between 1830 and 1834. The hand of the man in the brown hat was dancing. A kind of idea of gesture that I would call “dansity,” corresponding to the density of the form, open to thousands of possible developments. This poetic dance of his fingers unwittingly echoed the words of Claudel’s commentary on Hokusai’s wave: “I compare French poetry to Hokusai’s famous wave which, after immense and powerful undulations, finally crashes against the shore in a plume of foam and little birds.” The quotation ought to be continued in order to discover new possibilities. The wreck is not merely maritime. — “Before all things,” said the Master, “knowing how to study a text always begins with understanding the words that comprise it. And more particularly so for ancient texts, which are written in several languages, which is the case with the Talmud. Indeed, the Mishna, the first level which states the law, is written in Hebrew, and its commentary, the Guemara, is written in Aramaic. And often the commentaries then translate into other languages, like old French in the case of Rachi, for example. To study, therefore,” continued the Master, who seemed truly happy to share the information, “is first of all to travel from one language to another, and since in Hebrew ‘language,’ safa, also means the ‘bank’ of a river, to study is to go from one bank to another. To study is therefore to cross a bridge!


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retrouvaient sans le savoir la parole de Claudel commentant la vague de Hokusai : « Je compare la poésie française à la fameuse vague de Hokusai qui, après d’immenses et puissantes ondulations, vient enfin déferler contre la rive en un panache d’écume et de petits oiseaux. » Citation qu’il faut continuer pour justement découvrir de nouveaux possibles. Le naufrage n’est pas que maritime ! — – Avant toute chose, dit le Maître, sachez qu’étudier un texte commence toujours par comprendre les mots qui le composent. Et plus particulièrement encore pour les textes anciens, écrits en plusieurs langues, comme c’est le cas du Talmud. En effet la Michna, première strate qui énonce la loi, est écrite en hébreu, et son commentaire, la Guemara, est écrit en araméen. Et souvent les commentaires traduisent à leur tour en d’autres langues, en vieux français pour Rachi, par exemple. Et donc, étudier, poursuivit le Maître qui semblait vraiment heureux de transmettre, c’est ainsi d’abord voyager d’une langue à l’autre, et comme en hébreu la « langue », safa , signifie aussi la « rive » d’un fleuve, étudier c’est passer d’une rive à l’autre. Etudier, c’est donc traverser un pont ! Le mot « pont » ajouta-t-il, guéchèr en hébreu, guichra en araméen, est un mot rare dans les textes de la tradition. L’homme au chapeau marron leva dans son enthousiasme la main pour poser une question : - N’est-il pas important de savoir comment les Grecs et les Romains disaient le « pont ». N’est-ce pas les Romains qui en sont les inventeurs ? - Merci pour cette question très importante qui va ouvrir des développements très intéressants. Le « pont » se dit pons en latin et guéfura en grec (on trouve aussi difura et même béfura). Je ne peux m’empêcher de penser que le guéchèr hébreu et le guichra araméen en est une forme dérivée. Et il est important de préciser que guéfuran zeugnunaï signifie en grec « relier les deux rives d’un fleuve ». Ce verbe zeugnunai, « unir, joindre », a donné un mot très important pour désigner tout ce qui permet de « joindre », d’« unir », de « relier ». Il s’agit du mot zeugma qui a fini par

The word “bridge,” he added, “or gesher in Hebrew, guishra in Aramaic, is a rare word in the texts of the tradition.” The man in the brown hat enthusiastically raised his hand to ask a question: “Isn’t it important to know how the Greeks and the Romans said ‘bridge’? Wasn’t it the Romans who were the inventors of bridges?” “Thank you for that very important question which will lead to some very interesting developments. ‘Bridge’ is pons in Latin and guefura in Greek (you may also find difura and even béfura.) I cannot keep from thinking that the Hebrew gesher and Aramaic guishra are derivatives of this. And it is important to point out that guéfuran zeugnunaï is Greek for ‘joining the two banks of a river.’ This verb, zeugnunai, ‘unite, join,’ gave us a word that is very important for designating everything that enables us to ‘join,’ ‘unite,’ or ‘link.’ This is the word zeugma, which came to mean also ‘bridge,’ the deck of a ship, which connects its two sides, and the ‘bridge made of boats’ that can be used to cross a river. Indeed, there is even a town on the Euphrates called Zeugma, which marks the place where a famous bridge of boats served as the crossing for the Silk Road. Zeugma is also the name for a figure of speech in which the two subjects of a given verb belong in different registers. Let me give you an example…” The Master stopped to think and his gaze fell on the man in the brown hat. He said: “Sir, you have raised a question and you are wearing a brown hat. If you raise the hat, I could then say, ‘The gentleman has raised his hat and a question’! A very fine zeugma indeed. So, thank you again, Sir, for the hat and the question!” — The man in the brown hat smiled and blushed, at once embarrassed and proud to be taking part so playfully in the construction of the study. — The Master continued with his lesson.

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Le pêcheur et le pont , 2017 Huile sur toile, 100 x 70 cm Oil on canvas, 39 3/8 x 27 1/2 in.


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signifier aussi le « pont », le « pont du bateau » qui relie ses deux bords et le « pont fait de bateaux » qui permet de franchir un fleuve. Et ,de fait, il existe même une ville sur l’Euphrate qui se nomme Zeugma, car à cet endroit se trouvait un célèbre pont de bateaux qui permettait le passage de la route de la soie. Zeugma c’est aussi le nom d’une figure de style où un même verbe est utilisé pour deux compléments qui n’appartiennent pas au même registre. Je vous donne un exemple… Le Maître s’arrêta pour réfléchir et son regard tomba sur l’homme au chapeau marron. Il dit alors : – Monsieur, vous venez de poser une question et vous portez un beau chapeau marron. Si vous l’enlevez et le posez à côté de vous je pourrais dire :  Monsieur a posé son chapeau et une question !  Voilà un beau zeugma ! Donc merci encore une fois, monsieur, pour le chapeau et la question ! — L’homme au chapeau marron sourit et rougit, à la fois gêné et en même temps fier de participer de manière si ludique à la construction de l’étude. — Le Maître continua sa leçon. Il parla de la notion d’invisible si chère à Rabbi Nahman. Il développa en de nombreuses intertextualités une réflexion sur l’éthique de la parole tenue, il parla de Tiqoun, il approfondit les lois ayant trais au respect de la vie privée et, au grand plaisir de son auditoire, convoqua l’art de la permutation des lettres ou art de l’anagramme que l’on nomme zeruf (prononcez tsérouf), convoqua de nombreuses valeurs numériques pour étayer sa démonstration. Je ne retins que trois nombres sur lesquels il revint souvent : 543, 540 et 277. « Voilà ce qui constitue le hotam betokh hotam, le secret dans le secret, conclut-il, à vous de le découvrir ! » — Pêche nocturne, 2017 Huile sur toile, 200 x 160 cm Oil on canvas, 78 3/4 x 63 in.

Je remarquai qu’à chaque fois qu’il jouait avec les anagrammes, le Maître regardait Kafka assis à la droite de

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He spoke of the notion of the invisible, so dear to Rabbi Nahman. In multiple intertextual references he articulated ideas on the ethics of keeping one’s word, he spoke of Tiqoun, he went into the laws concerning respect for private life, and, to the great pleasure of his listeners, conjured up the art of permuting letters or anagrams, which is known as zeruf, evoking numerous numerical values to back up his demonstration. I remembered only three numbers, which he referred to often: 543, 540 and 277. “This is what constitutes the hotam betokh hotam, the secret within the secret”, he concluded. “I leave you to find what it is!” — I observed that whenever he played with anagrams, the Master looked at Kafka, who was sitting to the right of Chouchani and Borges. And I even believe that at a certain moment, and in a completely incongruous way, he pronounced the word “Ungeziefer”, a famous term which, at the beginning of Metamorphosis, refers to the big insect into which Gregor Samsa has been transformed. Why did he speak particularly to Kafka? Was it an allusion to his text The Bridge, which he connected with the question of the bridge that he mentioned at the start of the lesson? Or was it a nod to the famous sentence by Rabbi Nahman: Kol ha’olam koulo guéchèr tsar méod, veha’iqar lo lefahèd klall: “the whole world is a narrow bridge, and the essential thing is not to be afraid!”? Did Kafka have Rabbi Nahman’s words in mind when he wrote: “I was stiff and cold, I was a bridge, I lay over a ravine. My toes on one side, my fingers clutching the other, I had clamped myself fast into the crumbling clay. The tails of my coat fluttered at my sides. Far below brawled the icy trout stream. No tourist strayed to this impassable height, the bridge was not yet traced on any map […].” ?12 And if that was the case, why did the Master interleave in his discourse, almost incongruously and almost inaudibly, the word Ungeziefer?


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Chouchani et de Borges. Et je crois même qu’à un certain moment, et de manière complétement incongrue, il prononça le mot Ungeziefer, célèbre vocable qui au début de La Métamorphose, désigne le gros insecte en lequel se transforme Gregor Samsa. Pourquoi s’adressait-il particulièrement à Kafka ? était-ce une allusion à son texte intitulé Le pont, qu’il mettait en lien avec la question du pont qu’il avait évoquée au début de la leçon ? Ou était-ce un clin d’œil à la célèbre phrase de Rabbi Nahman : Kol ha’olam koulo guéchèr tsar méod, veha’iqar lo lefahèd klall, « le monde entier est pont étroit, et l’essentiel est de ne pas avoir peur  ! » ? Kafka connaissait-il cette phrase de Rabbi Nahman quand il avait écrit : « J’étais raide et froid, j’étais un pont, je passais au-dessus d’un abîme. La pointe de mes pieds s’enfonçait d’un côté, de l’autre, mes mains s’engageaient dans la terre, je me suis accroché de toutes mes dents à l’argile qui s’effritait. Les pans de mon veston battaient à mes côtés. Au fond du gouffre on entendait mugir l’eau glacée du torrent qui chérissaient les truites. Nul touriste ne s’égarait à ces hauteurs impraticables, nulle carte encore ne mentionnait le pont […] »12 ? Et si c’était le cas, pourquoi le Maître avait-il intercalé dans son propos, presque de façon incongrue et presque inaudible, ce mot Ungeziefer ? Quel rapport entre ce mot et le pont ? À moins que le Maître par-là désirât transmettre à quelques oreilles averties un des secrets les plus profonds de la littérature, caché dans l’œuvre de Kafka comme l’étaient les marchandises dans la cale du bateau ? Peut-être voulait-il rappeler que si le pont se disait zeugma comme il l’avait fortement souligné, La Métamorphose était le fruit d’un jeu, une lecture aux éclats, coupures des mots et leur réorganisation en d’autres vocables inattendus. Ne pouvait-on pas en effet lire zeug dans Ungeziefer et ma dans Samsa. Dans l’ordre de l’apparition de ces lettres n’assistions-nous pas à la naissance des vocables Ugez am ou Ugezam dont l’un des anagrammes possibles n’était autre que notre fameux Zeugma ?

What is the relation between this word and the bridge? Unless this was the Master’s way of conveying to a few attuned ears one of the deepest secrets of literature, hidden in Kafka’s work like merchandise in the hold of a boat. Perhaps he meant to recall that if the word for bridge was zeugma as he emphatically said, then Metamorphosis was the fruit of a game, a fragmented reading, shards of words and their reorganisation in other, unexpected terms. Could one not, indeed, read zeug in Ungeziefer and ma in Samsa. In the order of appearance of these letters, do we not witness the birth of the words Ugez am or Ugezam, one possible anagram of which is our famous Zeugma? But was Kafka “mad” enough to read in this admittedly very surprising way? You betcha! Did he not write to Félicie Bauer in his letter dated 11 February 1913, regarding the Judgement written in the fever of a single night, about his very playful relation to language, to its names and anagrams?

Le pont de Kafka, (détail), 2017 Huile sur toile, 81 x 100 cm Oil on canvas, 317/8 x 393/8 in.

Did he not secretly inscribe this passion for anagrams in the word Ungeziefer, one of the possible permutations of which, if you cut it in two, was the German Zeruf Genie, or “genius of Zeruf”? And was that not the meaning of this note in his diary dated 16 January 1922: “All such writing is an assault on the frontiers […] it might easily have developed into a new secrete doctrine, a Kabbalah. There are intimations of this”?13 — The man in the brown hat closed his drawing book, and it was at this very moment that the cock – I hope you haven’t forgotten it – emerged from its torpor and slowly entered the study room. It had raised its head and was moving with the nobility of a prince. The first students who saw it started and made shooing gestures with their hands to motion it back to the door. An almighty hubbub, a mixture of cries and laughter, was followed by a surprising silence. The students, both the oldest and the youngest, froze. The cock moved imperturbably forward, insensitive to the

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12. Franz Kafka, Œuvres complètes, La Pléiade, Tome II, p. 451. 12. Franz Kafka, Collected Stories, Knopf, 1993, p.372. 13. The Hebrew word transcribed as zeruf means permutation.


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Mais Kafka était-il assez « fou » pour lire de cette façon somme toute très étonnante ? Sans aucun doute ! N’avait-il pas écrit à Félicie Bauer, dans sa lettre du 11 février 1913, à propos du Verdict, écrit dans le fièvre d’une seule nuit, son rapport si ludique au langage, à ses noms et aux anagrammes ? Cette passion de l’anagramme ne l’avait-il pas lui-même inscrit de manière secrète dans le mot Ungeziefer, dont l’une des permutations possibles après avoir coupé le mot en deux était en allemand Zeruf Genie, littéralement le « génie du Zeruf »13 ? Et n’était-ce pas le sens de cette note dans son journal du 16 janvier 1922 :

Le grand duc et la femme à l’oreille , 2016 Huile sur toile, 195 x 160 cm Oil on canvas, 76 3/4 x 63 in.

13. C’est ainsi que se transcrit le mot hébraïque zeruf, qui signifie permutation.

« Toute cette littérature est assaut contre les frontières, et […] aurait pu constituer une nouvelle doctrine secrète, une nouvelle Kabbale. Il y en a des indices… » ? — L’homme au chapeau marron referma son cahier à dessin, et c’est à ce moment précis que le coq, j’espère que vous ne l’avez pas oublié, sortit de sa torpeur et entra lentement dans la salle d’étude. Il avait redressé la tête et avançait avec la noblesse d’un prince. Les premiers étudiants qui l’aperçurent eurent un mouvement de surprise et firent des gestes de la main pour le chasser vers la porte. Un immense brouhaha, mélange de cris et de rires, fut suivi d’un étonnant silence. Les étudiants, les plus âgés comme les plus jeunes, s’étaient figés. Le coq avançait, imperturbable, insensible aux marques hostiles qu’on lui prodiguait. Il était arrivé au milieu de la grande salle d’étude et se dirigeait en traçant une diagonale à l’opposé gauche de l’entrée. Là où se trouvait une chaise étrange en bois sculpté, avec un grand dossier et un coussin de velours rouge. Différentes figures d’animaux étaient sculptées dans le bois. Un lion, un cerf, des oiseaux... Le coq s’arrêta au pied de la chaise. Toute la maison d’étude devint un grand souffle retenu. Une seule question traversait tous les esprits. Allait-il oser ?

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many signs of hostility. It had reached the middle of the big study room and was moving in a diagonal towards the left corner, facing the entrance. There stood a strange chair in sculpted wood, with a big back and red velvet cushion. Different animal figures were sculpted in the wood. A lion, a deer, birds. The cock stopped at the foot of the chair. It was as if the whole study house was holding its breath. A single question was on every mind. Would it dare? Would it profane that almost sacred object? The chair of Rabbi Nahman! That chair which had been offered by one of its cabinetmaker disciples. The chair bearing witness to the presence of the rabbi beyond his death and beyond his non-death. — Without a moment’s hesitation, the cock jumped up on the chair. The withheld breath became a great collective “Oh!” It had dared! Poor cock. It would no doubt have to face the consequences of its sacrilegious act and become a broth for the rabbi and his disciples on the following Sabbath. But no one had moved. It was as if they were all hypnotised. The cock raised its head and its crest. It looked at each person with an expression that could have been taken as a smile, then raised itself up just a little more, beat its wings, and then, then, there was this cry! The cry of the cock came from the depths, heartrending and sublime, a cry that spoke of all the suffering of the world and, at the same time, was resonant with the hope of deliverance. A cry in the colours of Redemption... Four very clear notes! A cock-a-doodle do from beyond the heavens, which continued with a silence even more intense than the one that went before. The cock did not budge. It raised a leg and closed its eyelids. The Master who had given the lesson was the first to collect his wits. “It is the sign!” he said. The Master’s words spread around the assembly like a gathering wave. “It is the sign,” “It is the sign.” Each per-


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Allait-il profaner cet objet quasi sacré ? La chaise de Rabbi Nahman ! Cette chaise que lui avait offerte un ébéniste de ses disciples. Chaise du témoignage de la présence du Rabbi par-delà sa mort et par-delà sa non-mort ! — Le coq sauta sur la chaise sans aucune hésitation. Le souffle retenu se transforma en un grand « Oh ! » collectif. Il avait osé ! Pauvre coq. Il allait sans doute subir les conséquences de son geste sacrilège et devenir bouillon du rabbin et de ses disciples pour le Shabbat suivant. Mais personne n’avait bougé. Ils étaient tous comme hypnotisés... Le coq redressa la tête et sa crête. Il regarda chacun avec une expression qu’on aurait pu prendre pour un sourire, il se redressa encore un peu plus, battit des ailes et alors il y eut le cri ! Un cri de coq qui venait des profondeurs, déchirant et sublime, un cri qui disait toute la souffrance du monde et qui en même temps faisait résonner l’espoir de la délivrance. Un cri aux couleurs de la Rédemption... Quatre notes bien claires ! Un co-co-ri-co d’outre-ciel, qui se poursuivit par un silence plus intense que celui qui avait précédé le cri. Le coq ne bougea plus de sa place, leva une patte et ferma les paupières. Le Maître, qui avait donné la leçon, fut le premier à reprendre ses esprits. – C’est le signe ! dit-il. Comme une vague déferlante, la parole du Maître se propagea dans l’assemblée. « C’est le signe », « c’est le signe », chacun répétant l’expression dans un cri sourd, chuchoté comme une formule magique. Je me tournai alors vers la vieille femme pour lui demander de quel signe il s’agissait, mais devant l’expression d’extase et de félicité que je lus sur son visage, ma question se figea sur mes lèvres. Le coq commença à danser d’une patte sur l’autre, mettant en évidence le fil de couleur bleu azur accroché à sa patte. Tous les yeux fixèrent d’abord la patte de l’animal et toutes les têtes, dans un mouvement commun, se tournèrent pour voir où conduisait le fil.

son repeated the expression in a muted cry, whispered like a magic spell. I now turned towards the old woman to ask her what sign this was, but when I saw the ecstasy and bliss on her face, my question froze on my lips. The cock started hopping from one foot to another, so that you could see the dark blue thread tied to its foot. Everyone stared at the animal’s foot, and then all the heads, in a single movement, turned to see where the thread was leading. Several hundred eyes settled on an elderly woman, small and dressed like a tramp, and at her side a young man in shorts and sandals who quite clearly was not one of the Hasidim attending the house of study. I too followed the movement and looked at the woman. Neither small nor old nor a tramp, she was ennobled by an astonishing majesty. The cock was still dancing. The students of the house of study formed a guard of honour. It was as if the miracle of the crossing of the Red Sea was happening all over again, with “the waters of the right” and “the waters of the left.” The woman moved slowly between the Hasidim, gathering the thread around her wrinkled hand, until she reached the chair. The cock jumped up on her head, and the crowned queen turned around and made for the door. She walked down the stairs, and suddenly, from deep in my dream, I heard a stammering word: Gae Zum !

Rabi Akiba, l’auberge et le pont , 2016 Huile sur toile, 99,5 x 81 cm Oil on canvas, 39 1/8 x 31 7/8 in.

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Plusieurs centaines d’yeux découvrirent une femme âgée, petite et vêtue comme une clocharde, flanquée d’un jeune homme en short et sandales qui, de toute évidence ne faisait pas partie des hassidim fréquentant la maison d’étude. Emporté par le mouvement, je regardai aussi la femme. Ni petite, ni vieille, ni clocharde, elle était auréolée d’une majesté étonnante. Le coq dansait toujours... Les étudiants de la maison d’étude formèrent une haie d’honneur. C’était comme si le miracle de la traversée de la mer Rouge se reproduisait, avec « les eaux à la droite » et « les eaux à la gauche ». La femme avança alors lentement entre les hassidim, et en rembobinant le fil autour de sa main ridée, arriva jusqu’à la chaise. Le coq sauta sur sa tête, et la reine couronnée fit demi-tour pour rejoindre la porte. Elle descendit les escaliers, et j’entendis tout à coup du fond de mon rêve un mot qui balbutiait : Gae Zum !

Midrash , 2016 Huile sur toile, 160,5 x 195 cm Oil on canvas, 63 1/4 x 76 3/4 in.

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Pinocchio et la partie de dĂŠs , 2017 Huile sur toile, 160 x 220 cm Oil on canvas, 63 x 86 5/8 in.

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Rabba Bar Bar Hanna , 2016 Huile sur toile, 260 x 210 cm Oil on canvas, 102 3/8 x 82 5/8 in.

La Grenouillerie , 2016 Huile sur toile, 260 x 210 cm Oil on canvas, 102 3/8 x 82 5/8 in.

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Le pêcheur et le pont , 2017 Huile sur toile, 100 x 70 cm Oil on canvas, 39 3/8 x 27 1/2 in.

Pêche nocturne, 2017 Huile sur toile, 200 x 160 cm Oil on canvas, 78 3/4 x 63 in.

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Le Maître Panetier, Le Maître Échanson , 2016 Huile sur toile, 195 x 130 cm (chaque) Oil on canvas, 76 3/4 x 51 1/8 in. (each)

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Pêcheur à la lune vague , 2017 Huile sur toile, 200 x 160 cm Oil on canvas, 78 3/4 x 63 in.

Le Lion et la cigogne, 2017 Huile sur toile, 89 x 116 cm Oil on canvas, 35 x 45 5/8 in.

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Le sage et la tempête , 2016 Huile sur toile, 81 x 65 cm Oil on canvas, 31 7/8 x 25 5/8 in.

La vague jusqu’au ciel , 2016 Huile sur toile, 81 x 65 cm Oil on canvas, 31 7/8 x 25 5/8 in.

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Naaman , 2017 Huile sur toile, 160 x 195 cm Oil on canvas, 63 x 76 3/4 in.

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Le grand duc et la femme à l’oreille , 2016 Huile sur toile, 195 x 160 cm Oil on canvas, 76 3/4 x 63 in.

Balaam et le sous-main, 2017 Huile sur toile, 160 x 220 cm Oil on canvas, 63 x 86 5/8 in.

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Le pont de Varsovie et les ânesses , 2017 Huile sur toile, 220 x 160 cm Oil on canvas, 86 205/8 x 63 in.

Le sous-main et l’âne , 2017 Huile sur toile, 160 x 195 cm Oil on canvas, 63 x 76 3/4 in.

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Midrash , 2016 Huile sur toile, 160,5 x 195 cm Oil on canvas, 63 1/4 x 76 3/4 in.

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Le non-sacrifice de Pinocchio, 2017

Pinocchio et la hache, 2017

Huile sur toile, 46 x 33 cm Oil on canvas, 18 1/8 x 13 in.

Huile sur toile, 100 x 70,5 cm Oil on canvas, 39 3/8 x 27 3/4 in.

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Ceci n’est pas un chapeau, 2017 Huile sur toile, 130 x 89 cm Tabouret Stool 60 (Alvar Aalto) Oil on canvas, 51 x 35 in. Stool 60 (Alvar Aalto)

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Horminette, 2017 Huile sur toile, 92 x 60 cm Oil on canvas, 36 1/4 x 23 5/8 in.

Hormin, les deux mules et les deux ponts , 2017 Huile sur toile, 260 x 200 cm Oil on canvas, 102 3/8 x 78 3/4 in.

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Honi le Caroubier , 2017 Huile sur toile, 195 x 160 cm Oil on canvas, 76 3/4 x 63 in.

Le pont de Kafka , 2017 Huile sur toile, 81 x 100 cm Oil on canvas, 31 7/8 x 39 3/8 in.

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L’étudiant et l’oie grasse , 2017 Huile sur toile, 195 x 160 cm Oil on canvas, 76 3/4 x 63 in.

Les étudiants et les oies grasses , 2017 Huile sur toile, 270 x 320 cm Oil on canvas, 106 1/4 x 126 in.

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Diane et Actéon

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Diane et Actéon Claude d’Anthenaise Directeur du musée de la Chasse et de la Nature, conservateur général du patrimoine et commissaire de l’exposition. Director of the musée de la Chasse et de la Nature, general heritage curator and curator of the exhibition.

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Gérard Garouste

Claude d’Anthenaise — Vous avez souhaité inscrire votre

Claude d’Anthenaise — You decided to incorporate your

exposition consacrée au mythe de Diane et Actéon dans un ensemble plus vaste, incluant trois expositions en trois lieux différents : au musée de la Chasse et de la Nature, mais également aux Beaux-Arts de Paris et enfin à la galerie Templon.

exhibition on the myth of Diana and Actaeon into a far larger ensemble comprising three exhibitions in three different places: at the Musée de la Chasse et de la Nature, the Beaux-Arts de Paris and Galerie Templon.

Gérard Garouste —Le point commun à ces trois exposi-

tions, c’est leur rapport au mythe. J’entends « mythe » au sens large qui touche aussi bien des mythes personnels. À la limite, je pourrais dire que, pour moi, le fait de peindre un tableau à l’huile, c’est déjà de l’ordre de la mythologie. En effet la peinture existe depuis toujours, elle est intemporelle, indémodable. Ou définitivement démodée ! Mais plus profondément, mes œuvres tournent souvent autour de mythes, c’est-à-dire d’histoires si anciennes qu’on ne peut pas en fixer l’origine. Dans mon atelier personnel, j’utilise ces mythes, notamment ceux issus de la littérature talmudique. Une partie du Talmud consiste en contes et légendes dont l’objet initial est de permettre l’interprétation de la Loi. Mais ils peuvent être lus pour eux-mêmes. Ils ont une valeur universelle. C’est pourquoi on peut les retrouver aussi bien chez Ésope que chez La Fontaine, comme la fable du Lion et la Cigogne commune au Talmud, à Ésope et à La Fontaine. Ces mythes, je ne les utilise pas de manière littérale. Ils sont souvent très enfouis. On est là dans le registre de la peinture, pas dans la littérature. Et la question de l’interprétation y est plus centrale. Concernant mes peintures, il faudrait plutôt parler d’ambiance talmudique. Pour moi, ce qui compte, c’est ce qu’on fait de ces mythes et la manière dont on peut enrichir le socle des interprétations déjà existantes. Quel est le rôle du sujet dans votre processus créatif ? Ma peinture est d’abord au service du sujet. Je m’explique : on peut dire que, depuis l’invention de l’art, dans le domaine strictement plastique, la boucle est bouclée. Des premières empreintes de mains sur les parois des grottes de la préhistoire jusqu’à Marcel Duchamp, tout a déjà été fait.

Gérard Garouste —The common thread running through the three exhibitions is their relationship to myth. I mean “myth” in the broad sense, which also covers personal myths. I could even say that, in my view, the act of creating an oil painting already enters into the realm of mythology. Because painting has always existed, it is timeless, ageless. Yes, definitely ageless! But on a deeper level, my works often centre on myths, that is to say, stories so old that their origins have been lost. I use myths in my personal studio, especially those rooted in Talmudic literature. Part of the Talmud is made up of stories and legends whose main purpose is to help interpret Talmudic Law. But they can be read as stories in themselves. They have a universal value. Which is why we come across them in Aesop’s and La Fontaine’s tales, like the fable of the lion and the stork that is common to the Talmud, Aesop and La Fontaine. I don’t use these myths literally. They are often buried very deep. We’re in the world of painting, not literature. And the question of interpretation is more central in painting. When it comes to my paintings, it would be more accurate to talk about a Talmudic atmosphere. What counts in my opinion is what we do with these myths, and the way we can build on the underpinning of existing interpretations.

What role does the subject play in your creative process? What my painting does first and foremost is serve the subject. Let me explain: we could say that, since art was first invented – in the visual arts domain only – we have come full circle. From the first handprints on cave walls to Marcel Duchamp, everything has been done. When I was studying at the Beaux-Arts (from 1965 to 1972), the School of Paris still dominated teaching, with Gustave Singier, Alfred Manessier and artists from that generation, all devotees of “modern” painting tending to the abstract. However, I discovered Marcel Duchamp, the polar oppo-

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à la limite, je pourrais dire que, pour moi, le fait de peindre un tableau à l’huile, c’est déjà de l’ordre de la mythologie. I could even say that, in my view, the act of creating an oil painting already enters into the realm of mythology.

Diane , 2017 Huile sur toile, 195 x 114 cm Oil on canvas, 76 3/4 x 44 7/8 in.


Gérard Garouste

… c’est maintenant que la peinture peut commencer car on va pouvoir s’intéresser à autre chose qu’à des questions formelles. … now is the time that painting can begin, because we will be able to take an interest in something other than formal questions.

Quand j’étais aux Beaux-Arts (de 1965 à 1972), c’était encore l’École de Paris qui dominait l’enseignement avec Gustave Singier, Alfred Manessier et les artistes de cette génération, tous tenants d’une peinture « moderne » à tendance abstraite. Pourtant, à l’opposé de ce contexte académique, j’ai découvert Marcel Duchamp. J’ai également pris conscience que mes aînés (la génération de Daniel Buren), rejetant l’enseignement des Beaux-Arts, avaient envoyé balader la peinture. Dès lors, quel était l’avenir pour un peintre comme moi ? J’étais perdu. Et puis je suis tombé sur Mythologies de Roland Barthes. En lisant le livre, j’ai été ébloui par la définition qu’il donne de la mythologie en général en l’ouvrant à tout ce qui est signe, y compris dans le monde contemporain. Ailleurs dans l’Empire des signes, Barthes écrit que le mot ne peut se définir que par d’autres mots : ainsi un dictionnaire donnera toujours la signification d’un mot par d’autres mots. Pour comprendre cette définition il faut donc connaître cet ensemble de mots. Sinon, il faut chercher la définition de chacun des mots de cet ensemble. Or, eux-mêmes sont définis par des mots ! Ainsi, de mot en mot, on en vient à faire le tour du dictionnaire sans jamais trouver la définition d’un mot « étalon ». Roland Barthes a cette intuition géniale selon laquelle c’est justement parce que le langage est tourné sur lui-même que le romancier peut créer.

Actéon contre-nature, 2018 Pastel et mine de plomb sur papier, 91 x 63 cm Pastel and graphite on paper, 35 7/8 x 24 3/4 in.

Cela vaut pour la peinture qui est fermée sur elle-même dans sa forme. Tout a été fait : on a peint de manière classique, on a brûlé des toiles, fait des monochromes et toutes sortes d’expériences plastiques. La boucle est bouclée. Et c’est maintenant que la peinture peut commencer car on va pouvoir s’intéresser à autre chose qu’à des questions formelles. Ma peinture est de métier classique. Elle respecte toutes les conventions de la peinture à l’huile et joue avec le vocabulaire et les ficelles qu’empruntaient les artistes du XVIIIe siècle: les empâtements, les profondeurs, les passages, les embus. Au passage, je précise que cet aspect technique, j’ai dû l’apprendre par moi-même. À mon grand regret, je n’ai pas trouvé à l’École des BeauxArts un maître qui m’apprenne à peindre.

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site of this academic context. I also became aware that my elders (Daniel Buren’s generation), by rejecting Beaux-Arts teaching, had dealt painting a body blow. After that, what sort of future was there for a painter like myself? I was lost. Then I came across Roland Barthes’ Mythologies. As I read the book, I was dazzled by the definition he gave to mythology in general, by opening it up to everything that is a sign, including in the contemporary world. Elsewhere, in the Empire of Signs, Barthes wrote that a word can only be defined by other words: so a dictionary will always provide the meaning of a word with other words. This means that to understand the definition, you have to know the whole set of words. Otherwise, you have to look for the definition of each of the words in the set of words. But those words are themselves defined by words! So from one word to the next, we end up going right through the dictionary without ever finding a “yardstick” word. Roland Barthes had the wonderful insight whereby it is precisely because language turns in on itself that the novelist can create. This also applies to painting, which closes in on itself in terms of form. Everything has been done: we have painted in the classical style, burned canvases, produced monochrome works and undertaken all sorts of artistic experiments. We have come full circle. And now is the time that painting can begin, because we will be able to take an interest in something other than formal questions. My painting draws on traditional techniques. It respects all the conventions of oil painting and plays with the vocabulary and techniques used by 18th century artists: impastos, depths, passages, sinkage. I should also mention that I had to learn this technical aspect by myself. To my great regret, I couldn’t find a teacher at the Beaux-Arts school to teach me to paint. I studied under Singier, who was concocting a sort of abstract style. But you can’t transmit that, there’s no educational value in it. What I would really have enjoyed was to be like a student at a conservatory learning his scales. My time at the BeauxArts, around 1968, corresponded to an era when the done thing was to see teachers as mentally retarded while their students were bound to be brilliant. In this context, which


Gérard Garouste

J’étais chez Singier qui faisait une sorte de cuisine abstraite. Mais ça ne se transmet pas, ça n’a pas de valeur pédagogique. Au fond, j’aurais voulu être comme un élève dans un conservatoire, à qui on aurait appris à faire ses gammes. Mon passage aux Beaux-Arts, autour de 1968, correspondait à une époque où il était de bon ton de considérer les profs comme des arriérés mentaux alors que leurs étudiants devaient être nécessairement géniaux. Dans ce contexte peu favorable à la transmission du savoir, j’ai dû me débarrasser de la peinture pour m’intéresser principalement au sujet. La peinture est un outil. Mais le plus important consiste à mettre en valeur le sujet.

did little to foster the transmission of knowledge, I had to liberate myself of painting so I could focus mainly on the subject. Painting is a tool. But what is most important is displaying the subject.

La peinture est un outil. Mais le plus important consiste à mettre en valeur le sujet.

Would you say that your painting is philosophical? You know, those are words, it’s up to the critics to answer that, not me. I’d be delighted if you found a philosophical dimension in my work. In some sense, I liberated myself of painting. It’s only to be expected that it is well executed. But if my painting is appealing, then we enter into the domain of the subject, and that’s where everything begins. No one is going to ask me, “Why did you put blue in your painting?” It’s the subject that interests people.

Painting is a tool. But what is most important is displaying the subject.

Est-ce que vous diriez que vous faites de la peinture philosophique ? Vous savez, ce sont des mots, c’est aux critiques de le dire, pas à moi. Si vous y trouvez une dimension philosophique, j’en serais ravi. La peinture, je m’en suis débarrassé d’une certaine manière. Qu’elle soit bien faite, c’est la moindre des choses. Mais si ma peinture est appréciable, alors on va rentrer dans le sujet et c’est là que tout commence. On ne va pas me demander : « Pourquoi vous avez mis du bleu dans votre tableau ? » C’est le sujet qui intéresse.

But is it not true to say that the subject is there to trigger an artistic exercise? The one is an alibi for the other. I’m a painter, not a philosopher. I get the feeling that I paint because I don’t know how to write. When I was little I did very badly at school, and the only way I could make my presence felt in class and impress my teacher was by drawing. On Mother’s Day, I was the one who drew pictures for my friends, it was the only time when I could feel proud, because I was hopeless in everything else. The importance of hands for an artist! Lots of my paintings feature hands. As I see it, an artist represents a perfect balance between head and hands. I’ve got emotions and feelings like everyone else, but I express them with pictures rather than words.

Mais est-ce que le sujet n’est pas là pour déclencher un jeu plastique ? L’un est l’alibi de l’autre. Je suis peintre, pas philosophe. J’ai l’impression que je peins parce que je ne sais pas écrire. Quand j’étais petit, j’étais très mauvais élève et la seule manière pour moi d’exister dans la classe et d’épater ma maîtresse, c’était de dessiner. Au moment de la fête des mères, c’était moi qui faisais les dessins de mes copains, C’était mon seul moment de fierté, sinon j’étais nul en tout. L’importance des mains pour un artiste ! Beaucoup de mes tableaux mettent en valeur les mains. Pour moi un artiste c’est un juste équilibre entre la tête et les mains. Comme tout le monde j’ai des émotions, des sentiments, mais chez moi ça ne passe pas par les mots mais par une expression picturale.

Were you inspired by Ovid’s magnificent text for the series of paintings and drawings focusing on Diana and Actaeon? I’ve already drawn on Greco-Roman mythology. I was convinced that after Duchamp there was a need to get back to archetypal painting, and so I took an interest in traditional subjects: the nude, the landscape and, of course, mythology. That’s how I came to represent the hunter Orion (Orion le Classique, Orion l’Indien, 1981, Centre Pompidou-MNAM). It’s true that since then I have rather neglected classical mythology in favour of biblical mythology. And then the commission from the Musée

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Actéon en sous-bois, 2018 Mine de plomb sur papier, 91 x 63 cm Graphite on paper, 35 7/8 x 24 3/4 in.


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Convaincu qu’après Duchamp il fallait retrouver l’archétype de la peinture, je me suis intéressé aux sujets traditionnels que sont le nu, le paysage et, bien sûr, la mythologie. I was convinced that after Duchamp there was a need to get back to archetypal painting, and so I took an interest in traditional subjects: the nude, the landscape and, of course, mythology.

Le fourré, 2018 Sanguine et mine de plomb sur papier, 91 x 63 cm Red chalk and graphite on paper, 35 7/8 x 24 3/4 in.

Pour l’ensemble de peintures et de dessins consacrés à Diane et Actéon vous vous êtes inspiré du magnifique texte d’Ovide ? La mythologie gréco-romaine je m’en suis déjà servi. Convaincu qu’après Duchamp il fallait retrouver l’archétype de la peinture, je me suis intéressé aux sujets traditionnels que sont le nu, le paysage et, bien sûr, la mythologie. C’est ainsi que j’ai représenté le chasseur Orion (Orion le Classique, Orion l’Indien, 1981, Centre Pompidou-MNAM). C’est vrai que cette mythologie classique, je l’avais un peu délaissée depuis, au profit de la mythologie biblique. Et puis est venue la commande du musée de la Chasse et de la Nature. J’aime la commande. Je trouve cela très stimulant. Dans un premier temps, je regarde le sujet tel qu’il est : l’histoire de cette déesse qui ne doit pas être vue nue par un mortel. Bien sûr, je commence par regarder tous les tableaux classiques qui ont été faits sur ce thème dans l’idée de traiter le sujet tel qu’il est donné dans la tradition picturale. Puis vous m’avez proposé de faire une exposition sur ce thème. C’est une situation que j’aime beaucoup : vous répondez à une question et on vous dit : « Mais encore ? » On vous pousse dans vos retranchements, vous forçant à aller au plus profond de vous-même. Cette deuxième proposition a déclenché une série de créations dans lesquelles je donne ma propre interprétation du mythe. Dans l’histoire de Diane et Actéon, comme dans toute mythologie, il y a la rencontre d’Éros et Thanatos : l’amour et la sensualité mais également la violence et la guerre. J’ai réfléchi aux personnages en présence. Actéon, bien sûr. Je n’aime pas trop le chasseur que j’imagine un peu sûr de lui, paradant avec son arme et ses chiens. Quant à Diane, c’est une déesse, donc une créature sublime. Elle se baigne nue, matée par les yeux d’un mortel. Selon moi, elle s’en fout ! à la limite, ça lui fait plutôt plaisir. En tout cas, ça ne doit pas la déranger du tout. Alors je me pose la question de savoir pourquoi les chiens se mettent à dévorer Actéon ? C’est qu’il a dû faire quelque chose d’atroce. Je laisse libre cours à mon imagination. Puisque je ne crois pas à la version de la vengeance de Diane, je suggère qu’il s’est passé quelque chose de monstrueux entre

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de la Chasse et de la Nature arrived. I like commission. I find it very stimulating. Initially, I studied the subject as it is: the story of this goddess who must not be seen naked by a mortal. Naturally I began by studying all the classical paintings that have been produced on this theme, with a view to tackling the subject as it is represented in the artistic tradition. Then you asked me to base an exhibition on the theme. It’s a situation I really enjoy: you answer a question and someone says, “But is there more?” You’re pushed out of your comfort zone, you’re forced to dig deep inside yourself. This second proposal triggered a series of creations in which I provide my own interpretation of the myth. In the story of Diana and Actaeon, like in all mythology, there’s an encounter between Eros and Thanatos: love and sensuality as well as violence and war. I thought about the characters who people the story. Actaeon, of course. I’m not very fond of the hunter, I imagine him as a bit arrogant, strutting around with his gun and his dogs. As for Diana, she’s a goddess and therefore a sublime creature. She bathes naked, spied on by the eyes of a mortal. As I see it, she doesn’t give a damn! It’s even possible that she enjoys it. In any event, she can’t be at all worried about it. So I wondered why the dogs start devouring Actaeon. He must have done something dreadful. I let my imagination go wild. Since I don’t believe in the version based on Diana’s revenge, I suggest that something atrocious happened between Actaeon and his dogs. Something sexual. In the exhibition, certain paintings will illustrate my interpretation of Actaeon’s crime, and others the dogs’ revenge. You transpose the character of the offence. It’s no longer a sacrilege linked to the mortal man’s desire to possess divinity. It’s the equally sacrilegious sexual desire of man for animal. Has Actaeon committed the crime of bestiality? Whether he wants to possess the goddess or his dogs, a transgression is involved, resulting in a deadly punishment. Among the possible interpretations of the myth, you rejected the one that sees it as a sort of metaphor for the


Gérard Garouste

Actéon et ses chiens. Quelque chose de sexuel. Dans l’exposition certains tableaux montreront mon interprétation du crime d’Actéon, et d’autres la vengeance des chiens. Vous transposez la nature de l’offense. Ce n’est plus un sacrilège lié au désir de possession de l’homme mortel vis-à-vis de la divinité. C’est le désir sexuel, également sacrilège, de l’homme pour l’animal. Actéon commettrait un crime de bestialité ? Qu’il veuille posséder la déesse ou posséder ses chiens, il y a transgression, ce qui lui vaut ce châtiment mortel. Parmi les interprétations possibles du mythe, vous n’avez pas voulu retenir celle qui y verrait une sorte de métaphore du métier de peintre, avec le pouvoir de capture qu’exerce le regard… C’est une bonne remarque. Il y longtemps que je ne fais plus d’analyse, mais si j’en avais parlé à mon analyste, on aurait pu aborder le sujet comme ça. Dans la Bible, le viol a un statut curieux. C’est moins l’aspect moral qui pose problème que ce qui a trait à l’idolâtrie. Toucher une idole est un interdit. Elle doit rester hors de portée. Or le peintre est idolâtre. Il vénère la beauté, qu’elle émane d’un corps ou d’un paysage. Mais il veut la posséder, en faire une œuvre. On peut donc ramener le mythe à la contradiction du peintre avec lui-même. Diriez-vous qu’il y a un côté autobiographique dans vos œuvres consacrées à ce thème de Diane et Actéon ? Toute œuvre est autobiographique ! L’archétype du tableau, c’est l’autoportrait. Mais dans un paysage il y a aussi un côté autobiographique. Vous savez, par définition, l’artiste se raconte. Il s’adresse à un public. C’est la différence entre un artiste et un fou. Quoi qu’il fasse, l’artiste veut être en lien avec la société. Il peut s’habiller en clochard, mais il n’est jamais indifférent au regard porté sur lui. Alors que le fou s’en fiche complètement : il est avec Dieu ou avec les Martiens. Pour en revenir à mes peintures, j’ai donné les traits de ma femme, Élisabeth, à Diane et les miens à la figure d’Actéon. Ce personnage déformé par la violence et l’anamorphose d’Élisabeth en Diane, on le retrouve dans

painter’s profession, with the power to capture wielded by perception… That’s a good comment. I stopped therapy a long time ago, but if I had talked about it with my therapist, we could well have tackled the subject in that way. In the Bible, rape has a curious status. The moral aspect is less problematic than the issue of idolatry. Touching an idol is forbidden. It has to remain out of reach. However, the painter is an idolater. He venerates beauty, whether it emanates from a body or a landscape. But he wants to possess it, to turn it into a work of art. We can therefore see the myth as reflecting the painter’s contradiction with himself.

Il [le peintre] vénère la beauté, qu’elle émane d’un corps ou d’un paysage. Mais il veut la posséder, en faire une œuvre. He [the painter ] venerates beauty, whether it emanates from a body or a landscape. But he wants to possess it, to turn it into a work of art.

Would you say that there is an autobiographical aspect to the works exploring the theme of Diana and Actaeon? All art is autobiographical! The archetypal painting is the self-portrait. But a landscape also has an autobiographical dimension. You know, by definition, an artist tells the story of himself. He addresses an audience. It’s the difference between an artist and a madman. Whatever he does, the artist wants to be connected to society. He may dress like a tramp, but he’s never indifferent to the way people see him. While the madman really doesn’t care at all: he’s off with God or the Martians. To return to the subject of my paintings, I gave Diana my wife’s (Élisabeth) features and mine to the figure of Actaeon. We can see this character, distorted by violence and the anamorphosis of Élisabeth as Diana, on other canvases and in different compositions. In a painting I called Repentir, the anamorphosis of Diana represents repentance in the sense it is given in painting, and which I associate here with censorship or morals. As if by accident, Diana’s head hides an erection. On the symbolic level, the anamorphosis sort of is the erection. This repentance is zeugmatic in nature: the relationship between fantasy, desire, erection, and all of that hidden by the painting. Should the exhibition be prohibited for minors under 16s? There are only a handful of paintings that are a little explicit from that point of view. They simply need to be hung above the children’s eyeline.

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Diane en tenue de bain, 2018 Mine de plomb sur papier, 106 x 75,5 cm Graphite on paper, 41 3/4 x 29 3/4 in.


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Il y a un caractère zeugmatique à ce repentir : le rapport entre fantasme, désir, érection, et tout cela caché par la peinture. This repentance is zeugmatic in nature: the relationship between fantasy, desire, erection, and all of that hidden by the painting.

d’autres toiles, dans des compositions différentes. Dans un tableau que j’ai appelé Repentir, l’anamorphose de Diane représente le repentir au sens qu’on lui donne en peinture et que j’associe ici à la censure ou à la morale. Comme par hasard, la tête de Diane cache une érection. Sur le plan symbolique, l’anamorphose c’est un peu l’érection. Il y a un caractère zeugmatique à ce repentir : le rapport entre fantasme, désir, érection, et tout cela caché par la peinture. Est-ce qu’il faudra interdire l’exposition au moins de 16 ans? Il n’y a que certains tableaux qui sont un peu explicites de ce point de vue. Il suffira de les accrocher au-dessus du regard des enfants.

Actéon et les molosses, 2013-2018 Mine de plomb sur papier, 56 x 80 cm Graphite on paper, 22 x 31 1/2 in.

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GĂŠrard Garouste

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Diane , 2017 Huile sur toile, 195 x 114 cm Oil on canvas, 76 3/4 x 44 7/8 in.

Actéon et le repentir , 2017 Huile sur toile, 146 x 114 cm Oil on canvas, 57 1/2 x 44 7/8 in.

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Actéon et ses chiens, 2 014 Huile sur toile, 146 x 114 cm Oil on canvas, 57 1/2 x 44 7/8 in.

Actéon et les deux ponts , 2017 Huile sur toile, 146 x 114 cm Oil on canvas, 57 1/2 x 44 7/8 in.

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Les deux mules et le pont , 2017 Huile sur toile, 195 x 114 cm Oil on canvas, 76 3/4 x 44 7/8 in.

Actéon émasculé , 2017 Huile sur toile, 195 x 114 cm Oil on canvas, 57 1/2 x 44 7/8 in.

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Opportunité, 2017 Huile sur toile, 200 x 260 cm Oil on canvas, 78 3/4 x 102 3/8 in.

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Le cerf compagnon , 2015 Huile sur toile, 41 x 33 cm Oil on canvas, 16 1/8 x 13 in.

Actéon et le cône , 2015 Huile sur toile, 100 x 81 cm Oil on canvas, 39 3/8 x 31 7/8 in.

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Diane et Actéon (version 1), 2015 Huile sur toile, 200 x 260 cm Oil on canvas, 78 3/4 x 102 3/8 in.

Diane et Actéon (version 2), 2015 Huile sur toile, 160 x 200 cm Oil on canvas, 63 x 78 3/4 in.

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Le cerf et le chien , 2018

Le cerf rouge et le chien, 2018

Gouache sur papier, 38 x 28,5 cm Gouache on paper, 15 x 11 1/4 in.

Gouache sur papier, 38 x 28,5 cm Gouache on paper, 15 x 11 1/4 in.

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Actéon rouge, 2015 Gouache sur papier, 73 x 52 cm Gouache on paper, 28 3/4 x 20 1/2 in.

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Sortie de bain, 2014-2018

Le cerf et les deux chiens , 2014-2018

Mine de plomb sur papier, 76 x 57 cm Graphite on paper, 29 7/8 x 22 1/2 in.

Gouache sur papier, 62 x 76 cm Gouache on paper, 24 3/8 x 29 7/8 in.

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Diane au bain, 2014-2018 Pastel, sanguine et mine de plomb sur papier, 121 x 81 cm Pastel, red chalk and graphite on paper, 47 5/8 x 31 7/8 in.

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Sortie de bain (portrait), 2014-2018 Pastel, sanguine et mine de plomb sur papier, 57 x 76 cm Pastel, red chalk and graphite on paper, 22 1/2 x 29 7/8 in.

ActĂŠon et la meute , 2014-2018 Mine de plomb sur papier, 76 x 57 cm Graphite on paper, 29 7/8 x 22 1/2 in.

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Cerf-Chien, 2018 Sanguine, mine de plomb et pastel sur papier, 56 x 76 cm Red chalk, graphite and pastel on paper, 22 x 29 7/8 in.

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L’Artichaut et le Compas, 2016 Huile sur toile, 60,5 x 92 cm Oil on canvas, 23 7/8 x 36 1/4 in.

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Gérard Garouste

Expositions personnelles / Solo Exhibitions (Selection) Zeugma, Galerie Templon, Paris 2018 Zeugma. Diane et Actéon, musée de la Chasse et de la Nature, Paris Zeugma. Le grand œuvre drolatique, Beaux-Arts de Paris Les Garouste, complot de famille,

2017 (avec Élisabeth Garouste, David

Gérard Garouste

Rochline et les enfants de la Source) Palais idéal du Facteur Cheval, Château de Hauterives Gérard Garouste - À la croisée des

2016 sources, BAM, Mons

Gérard Garouste - En chemin, 2015 Fondation Maeght, Saint-Paulde-Vence Obsession (artiste invité/invited artist), Maison Particulière, Bruxelles

Né à Paris en 1946. Vit et travaille en Normandie et à Paris.

Contes ineffables, galerie Templon, 2014 Paris Walpurgisnachtstraum

Born in Paris, 1946. Lives and works in Normandy and Paris.

2011 (Songe d’une nuit de Walpurgis), Galerie Templon, Paris Gérard Garouste + La Source, Carré SainteAnne et Galerie Saint-Ravy, Montpellier Gérard Garouste et les enfants de La

2010 Source, musée de Louviers, Louviers Rétrospective Gérard Garouste,

2009 Villa Médicis, Rome

La Dive Bacbuc et Don Quichotte, médiathèque, Argentan Le murex et l’araignée, hôtel de ville, Aubusson Microspective Gérard Garouste,

2008 mairie de Lille, Lille

La Bourgogne, la famille et l’eau tiède, Galerie Templon, Paris

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L’ânesse et la figue,

2006 Galerie Templon, Paris Les libraires aveugles, Fondation Mudima, Milan Saintes Ellipses,

2005 Panthéon, Paris

Portraits, Galerie Templon,

2004 Paris

Saintes Ellipses, Festival d’automne,

2003 chapelle Saint-Louis de la Salpêtrière, Paris

Kezive la ville mensonge,

2002 Galerie Templon, Paris

Gérard Garouste, La Dive Bacbuc, Festival de Saint-Denis, chapelle des Carmélites, musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis Gérard Garouste, château de Sédières, Clergoux Gérard Garouste, La Haggada

2001 et œuvres gravées, musée d’Art et d’Histoire du judaïsme, Paris Gérard Garouste, musée des Beaux-Arts, Pau Gérard Garouste, musée d’Évreux, Ancien Évêché, Évreux Gérard Garouste, musée des Beaux-Arts, Tourcoing Gérard Garouste, musée de l’Hospice Saint-Roch, Issoudun Ellipse, Fondation Cartier pour l’art contemporain, Paris Gérard Garouste, Rétrospective 1979-1991, Galerie Liliane & Michel Durand-Dessert, Paris Cervantès, Don Quichotte,

2000 Garouste chez La Fontaine, musée Jean de La Fontaine, Château-Thierry Don Quichotte, correspondances : Coypel, Natoire, Garouste, Musée national du Château de Compiègne Quixote apocrifo, Galerie Liliane &

1999 Michel Durand-Dessert, Paris


Gérard Garouste

Le Qohelet (gravures), Art, Culture et

Lo Clásico y las Indianas, musée national des Beaux-Arts, Santiago du Chili Lo Clásico y las Indianas, centre culturel Recoleta, Buenos Aires Quixote apocrifo, Le Rectangle, Lyon

1993 Foi, Saint-Séverin/Saint-Nicolas, Paris Galerie Zacheta, Varsovie 1992 Neue Arbeiten 1987-1991, Kunstverein Hannover, Hanovre Œuvres récentes, Ernst Museum, Budapest Mumok, Vienne

L’œuvre gravée de Gérard Garouste, 1998 Artothèque de Vitré, centre culturel Jacques Duhamel La Dive Bacbuc, Fondation d’entreprise Coprim, Paris Gérard Garouste, peintures et gravures, Galerie de l’Ancien Collège, Châtellerault Don Quichotte, gouaches, musée d’Ixelles, Bruxelles Gravures 1989-1996, Passages,

Gouache sur papier, 102,5 x 73 cm Gouache on paper, 40 3/8 x 28 3/4 in.

Durand-Dessert, Paris Musée d’art contemporain, Montréal Leo Castelli Gallery,

1985 New York

Galerie Hans Strelow, Düsseldorf

L’Ecclésiaste et Isaïe, série sur 1991 l’Ancien Testament (gouaches), espace des Arts, Chalon-sur-Saône Galerie Liliane & Michel Durand-Dessert, Paris Œuvres récentes, Belvédère, Château de Prague

1984 Galerie Cleto Polcina (en collaboration avec Gian Enzo Sperone), Rome La cinquième saison, musée municipal de Bourbon-Lancy Nature contre-nature, Galerie Liliane & Michel Durand-Dessert, Paris Paintings and drawings,

1997 centre d’Art contemporain, Troyes

Rabbi Eliezer, son four et le caroubier , 2015

Le débat du cœur et du corps,

1986 Galerie Liliane & Michel

Gérard Garouste, Les Indiennes, Touko 1990 Museum of Contemporary Art, Tokyo Gérard Garouste, Les Indiennes, Santa Monica Museum of Art, Los Angeles

Espace Rachi, Paris ; salle de la Dragonne, Saint-Juire-Champgillon Indiennes & œuvres récentes, salle Saint-Pierre & salle de la Fabrique, Avallon L’œuvre gravée de Gérard Garouste, château prieural de Monsempron-Libos Tal la Rosée, musée des Beaux-Arts, Valence Gérard Garouste, schilderijen, werken op papier, Museum Commanderie van Sint Jan, Nijmegen

1983 Leo Castelli Gallery, New York Paintings and drawings, Sperone Westwater Gallery, New York Dall’Enigma del Canis Major, Museo

Malerei-Zeichnung, Städtische 1989 Kunsthalle, Düsseldorf Neue Bilder, Galerie Rudolf Zwirner, Cologne Les Indiennes 1987-1989, Galerie Rudolf Zwirner, Cologne Stedelijk Museum, Amsterdam Les Indiennes, Fondation Cartier,

Abbaye Saint-André (avec Élisabeth

1982 civico d’arte contemporanea, Gibellina L’Indien “héroïque ou idiot”, Galerie Liliane & Michel Durand-Dessert, Paris Gérard Garouste, études 1974-1981,

1981 Palazzo Ducezio, Noto

Cerbère et le masque ou la neuvième

1996 Garouste et Mattia Bonetti), Meymac

1988 Jouy-en-Josas

1980 combinaison, Galerie Liliane

Couvent des Cordeliers, La Cassine Tal la Rosée, Galerie Liliane & Michel Durand-Dessert, Paris Nouvelles lithographies et gravures originales, Galerie Fall, Paris

Gérard Garouste, musée national d’Art moderne Centre Georges-Pompidou, Paris Musée Goya, Castres Obalne Galerije, Piran Leo Castelli Gallery, New York Tableaux, encres, gouaches, indiennes, palais des Beaux-Arts, Charleroi

& Michel Durand-Dessert, Paris La Règle du "Je", Vereniging voor het Museum van Hedendaagse Kunst, Gand

Raab Galerie, Berlin

1995 Raab Galerie, Londres

Comédie policière,

1979 Galerie Travers, Paris La règle du "Je", Studio d’arte Cannaviello, Milan

Hors du calme, Galerie Liliane

Galerie Patrick Martin, Lyon

1987 & Michel Durand-Dessert, Paris

Centre d’Art moderne, 1994 espace Mira Phalaina, Montreuil Maison des Arts, Laon Œuvres récentes, Musée Mandet, Riom Galerie Liliane & Michel Durand-Dessert, Paris

Peintures de 1985 à 1987, CAPC - Musée d’art contemporain, Bordeaux

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Dessins monumentaux,

1969 Galerie Zunini, Paris


Gérard Garouste

Théâtre /theater Le Classique et l’Indien,

2008 spectacle de Gérard Garouste et Joël Calmettes ; avec Gérard Garouste et Denis Lavant, Théâtre du Rond-Point, Paris Le Classique et l’Indien,

1978 spectacle de Gérard Garouste, Festival Transthéâtre Libération, Paris

Commandes publiques et privées/ Public and private commissions 2013 - Sculpture Le Défi du Soleil, domaine national de Saint-Cloud, 1984-2013 2010 - Ensemble de sculptures monumentales en bronze et de fresques en céramique, 23, rue de l’Université, Paris VIIe (Groupe Carlyle) 2006 - Tapisserie Le murex et l’araignée, Aubusson 2006 - Sculptures à l’hôtel de ville de Mons, Belgique 2000 - Frise dans la salle des mariages de l’hôtel de ville de Mons, Belgique 1999 - Plafond du foyer du Théâtre royal de Namur, Belgique 1996 - Installation de peinture et fer forgé pour la Bibliothèque nationale de France, Paris 1995 - Vitraux de l’église Notre-Dame de Talant, en Bourgogne 1995 - Sculpture Vierge à l’Enfant pour la cathédrale d’Évry 1994 - Céramiques et sculptures monumentales au palais de justice de Lyon 1989 - Rideau de scène du Théâtre du Châtelet, Paris 1984 - Sculptures Le Défi du Soleil pour les jardins du Palais-Royal, Paris 1983 - Plafond d’une chambre de l’appartement présidentiel au Palais de l’Élysée, Paris

Le caroubier et le four, 2015 Huile sur toile, 92 x 60 cm Oil on canvas, 36 1/4 x 23 5/8 in.

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Catalogue édité à l’occasion des expositions Catalogue published for the exhibitions

Gérard Garouste Zeugma. Diane et Actéon, musée de la Chasse et de la Nature 13 mars – 1er juillet 2018 / March 13 – July 1st, 2018

Zeugma, galerie Templon Paris 15 mars – 12 mai 2018 /March 15 – May 12, 2018

Zeugma. Le grand œuvre drolatique, Beaux-Arts de Paris 15 mars – 15 avril 2018 / March 15 – April 15, 2018

30 rue Beaubourg 75003 Paris | +33 (0)1 42 72 14 10

info@templon.com | www.templon.com Édition/Editor : Victoire Disderot, assistée de/assisted by Théa Chevalin Photos des œuvres/Artworks: Bertrand Huet/Tutti sauf/except p.18 et 43 : Hugo Miserey Extraits de l’entretien avec Claude d’Anthenaise édités par Hortense Lyon Excerpts from the interview with Claude d’Anthenaise reviewed by Hortense Lyon. Traduction/Translation : Textes Hortense Lyon et Marc-Alain Ouaknin : Charles Penwarden Entretien avec Claude d’Anthenaise : Philippa Bowe-Smith

Création, édition : Agence Communic’Art 23 rue du Renard – 75004 Paris Tél. : +33 1 43 20 10 49 www.communicart.fr Directeur de la création/Creative director: François Blanc Design : Georges Baur Coordination : Pascale Guerre Imprimé en Belgique/Printed in Belgium © Galerie Templon ISBN : 978-2-917515-31-0





info@templon.com | www.templon.com

ISBN 978-2-917515-31-0 25€

30 rue Beaubourg 75003 Paris | +33 (0)1 42 72 14 10


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