JIM DINE




7 novembre – 23 décembre 2020
7 novembre – 23 décembre 2020
Anne-Claudie Coric
Directrice générale, Galerie Templon
Espoir, supplique, injonction, A Day Longer, le titre de l’exposition voulu par Jim Dine, sonne comme le glas.
Aussi ambigu que son tracé manuscrit caractéristique, A Day Longer annonce ou regrette. Il ressemble à un graffiti enfantin mais aussi à l’avertissement, calligraphié avec soin, du condamné. En français, ce titre pourrait se traduire par « Encore un jour » ou « Un jour de plus ». Il devient aussi « Un jour plus long », une journée dont la durée serait distendue, peut-être, par la contemplation lumineuse d’œuvres créées dans la jubilation et l’urgence : une course contre le temps.
A
Car ce Day Longer anglais, en gestation pour les cimaises de la Galerie Templon depuis près de trois ans, est plus made in France que jamais. Les circonstances de ce printemps 2020 ayant imposé à Jim Dine le nomade de freiner brutalement, il a dû se poser, bien plus longtemps que d’ordinaire, entre les murs de son atelier parisien. La solitude prolongée et la confrontation perpétuelle avec un peuple de toiles, de peintures, de reliefs, de sculptures en préparation, ont sans doute intensifié une introspection déjà ardente. A Day Longer c’est le memento mori de Jim Dine. C’est sa réponse amusée à l’étonnement du visiteur qui s’émerveille de la profusion de ses créations et de son énergie hors du commun : « You know, it’s death breathing down my neck… »
Si Jim Dine revendique volontiers de ne pas maîtriser la langue française et d’apprécier le cocon que cette méconnaissance autorise, il est, de fait, parisien par intermittence depuis une quarantaine d’années. Il aime passionnément notre pays et saisit instinctivement cet « esprit français » : son culte de la beauté, son sens de l’universel si peu universel, ses rêves de grandeur, sa hantise de la décadence, son rapport intime à la littérature et aux arts comme ciment secret de la culture. Depuis longtemps, le pied-à-terre de la rue de Verneuil, qu’il réservait à la pratique du dessin et à la réalisation de petits formats, a été remplacé par l’appartement clair de la rue Madame. Il y a dessiné de larges fusains de Pinocchio, de chats humains, de plantes ou d’outils, ses motifs de prédilection. On a vu s’y épanouir ses cœurs célèbres, ronds et volants comme des emblèmes, enchantés de découvrir une gravité toute particulière sous le ciel de Paris.
Ces adresses germanopratines pour « Américain à Paris » ont été, depuis six ans, supplantées par le gigantesque atelier de Montrouge. De cet ancien
garage caverneux à la périphérie d’une « ville lumière » vacillante, Jim Dine a fait un terrain de jeu à sa mesure. On peut y découvrir la réplique grandeur nature d’une commande de plafond, une tête monumentale, tel un Sphinx, prête à être fondue, des prototypes en polystyrène, mais aussi des gravures abstraites, des sculptures en bois, en bronze, des autoportraits au fusain… Rares sont les toiles au sens classique du terme. Sa peinture, occupant souvent de larges panneaux de bois, est sculptée avec détermination, exhibant les cicatrices de tronçonneuse, les coups de burin et les explosions de fusain.
A Day Longer, c’est ainsi le chant de l’œuvre elle-même, à laquelle Jim Dine donne, comme Gepetto à la bûche magique de Collodi, une voix et un visage. Les peintures semblent implorer un jour de plus, un jour pour être faites, de nouveau, puis défaites. Se métamorphosant à la diable, blessées de repentirs soudain sublimes, les œuvres de Jim Dine semblent toujours sur le point de se fabriquer elles-mêmes. La toile est une palette, monstrueuse quand elle s’épaissit de couches feuilletées à l’excès. La fresque devient façade de quincailler fou quand elle se couvre d’outils explosés. Les toiles sont planchers quand elles s’ornent de taches grattées et de dégoulinures. Elles se dressent comme œuvres d’art certes, mais elles respirent comme des planches à graver, des établis, un mur, un sol ou un plafond, et pourquoi pas l’intérieur tout entier de l’atelier, compressé en surface picturale échevelée. Surtout, elles se muent, inexorablement, en figures voire en autoportraits. Comme des suaires, elles révèlent tour à tour le visage de l’artiste et des physionomies lointaines, rescapées de l’enfance ou réminiscences de l’histoire de l’art. De la même manière que certaines toiles de l’exposition ont fort littéralement connu des vies antérieures, toutes nous fixent avec les visages métamorphosés de vies passées ou futures.
Enfin, il n’est pas anodin que A Day Longer soit également le titre de l’ouvrage publié récemment par Jim Dine. Non pas un recueil de poèmes, mais bien un livre de poésie, une sorte d’objet-livre-voix, avec enregistrements, où la pratique poétique de Jim Dine se déploie en textes muraux dessinés à la main, effacés, raturés, repris de concert par ses assistants. Cette allégresse de mots, dont les lectures publiques, véritables performances, évoquent le slam, la Beat generation ou les nuits électriques de Greenwich Village, est la même que celle qui anime sa démarche plastique. Pour lui qui avoue s’être longtemps tenu à distance des livres pour cause de dyslexie capricieuse, la poésie, comme la peinture, est une pure énergie intérieure. C’est un viatique pour exorciser, pour exister. On cherche souvent à « historiciser » l’œuvre de Jim Dine, à faire de lui un pionnier (des happenings), un pape (du Pop Art), une légende (de la peinture américaine du xxe siècle). On veut lire dans ses recherches la fusion entre le travail de ses aînés, les immenses Abstract Expressionists new-yorkais et celui de ses pairs du Pop Art, de Rauschenberg à Oldenburg. Réduire Jim Dine à l’art américain triomphant du xxe siècle, c’est pourtant se tromper. Jim Dine est résolument un artiste de notre époque brûlante et apocalyptique. Farouchement indépendant, il ne cherche pas à déchiffrer le monde extérieur, à porter un regard critique sur le vrai ou le juste, à nous convaincre. Animé d’une perplexité existentielle, il ne témoigne que d’une seule volonté : faire advenir au monde sa singularité propre, d’homme, de poète et d’artiste. Il tente de faire naître ce qu’il porte en lui-même, ce qui l’obsède, le dévore, pour mieux le regarder en face, et ainsi se sauver. Il y a de la pythie chez Jim Dine. Il nous emporte dans le mystère et la folie de l’acte de création. Son œuvre est un phare qui propose à chacun de sonder les ressources de la beauté et ainsi l’infini de l’espoir.
Anne-Claudie Coric Executive Director, Galerie Templon
Be it a hope, a plea, or a demand, A Day Longer, Jim Dine’s chosen title for the exhibition, has the ring of a somber knell.
As ambiguous as the characteristic handwriting in which it is inscribed, A Day Longer both announces and regrets. It could be a childish graffiti, yet also the carefully penned warning of the doomed. It could mean “one more day”, but also suggests “a longer day”—a day the duration of which might be distended, perhaps, by the illuminating contemplation of artworks created with a sense of both jubilation and urgency: a race against time.
Formulated in English yet more “made in France” than ever, this Day Longer exhibition has been in preparation for Galerie Templon for well over three years. The circumstances of spring 2020 forced the nomadic Jim Dine to a halt and he spent a much longer period than expected within the walls of his Parisian studio. The prolonged solitude and perpetual confrontation with a people of unfinished canvases, paintings, reliefs, and sculptures no doubt heightened his ever-intense introspection. A Day Longer is Dine’s memento mori. It is his amused response to the visitor who marvels at his prolific creativity and uncommon stamina: “You know, it’s death breathing down my neck…”
While Dine makes no secret of his imperfect grasp of the French language and enjoys the cocoon that this lack of mastery allows, he has been an intermittent Parisian for some forty years. He has a passion for France and an instinctive understanding of the “French spirit”: its worship of beauty, its sense of the universal that is hardly universal, its dreams of grandeur and fear of decadence, its intimate relationship with literature and the arts, as the hidden cement of a culture.
Some time ago Dine left his pied-à-terre on Rue de Verneuil, where he would mainly draw and paint small canvases, to move to the light-filled apartment of Rue Madame. Here, this American-in-Paris created large charcoal drawings of Pinocchio, cat-headed humans, plants, and tools, some of his favoured motifs. Among them danced his famous hearts, full and flying like emblems, delighting in this new sense of Parisian gravity. In 2014, however, these Left Bank addresses were superseded by the gigantic studio of Montrouge. Dine turned this cavernous former garage, at the edge of our flickering city of lights, into his own personal playground. There
one can discover the full-size replica of a ceiling commission, a monumental Sphinx-like head awaiting casting, polystyrene prototypes, abstract prints, sculptures in wood or bronze, and self-portraits in charcoal. In the end, there are very few canvases in the classical sense of the term: often executed on broad wood panels, his paintings, created with bold purpose, display the scars left by chainsaw, chisel marks, and exploded charcoals.
A Day Longer is the work’s own self-expression: for Dine gives it a voice and a face, as Collodi’s Geppetto did his magical log. His paintings seem to beg for one day longer, one day more to be made, once again, unmade and then remade. Mercilessly transformed, wounded with pentimenti that suddenly enhance and elevate, Dine’s works always seem to be on the verge of bringing themselves to life. Thickened with layer upon layer, they resemble a monstrous palette. Scattered with exploded tools, they conjure up a mad hardware merchant’s window display. Splashed with scraped spots and drips, they become a workshop’s floor. His paintings rise in front of us as artworks but they breathe as a carving block, a workbench, a wall, a floor, a ceiling, and why not the whole interior of a studio, compressed into the dishevelled surface of a picture. Inexorably, they morph into figures, or unlikely self-portraits. Like a holy shroud, they reveal faces – the artist’s face, or those of distant characters escaped from childhood or art history. Just as some of the paintings in the exhibition have, quite literally, experienced former lives, all of them gaze at us with features transformed by past or future lives.
JIM DINE TAKES US INTO THE MYSTERY AND MADNESS OF THE CREATIVE ACT.
Significantly, A Day Longer is also the title of Jim Dine’s recently published book: not a collection of poems, but truly a book of poetry, a kind of voice-book-object containing recordings, in which Dine’s poetic compositions are presented in wall texts drawn by hand, erased, crossed out, and rewritten, often in collaboration with his assistants. This exultation of words, whose public readings, genuine performances, evoke slam, the Beats and electric nights of Greenwich Village, is the same that flows through his visual art. For Dine, who admits to having long kept his distance from books because of a capricious dyslexia, poetry and painting are both pure inner energy; a channel through which to exorcise, and to exist. People often seek to “historicise” Dine, to present him as a pioneer (of happenings), a pope (of Pop Art), a legend (of twentieth-century American painting). They interpret his practice as a combination of that of his elders, the great New York School abstract expressionists, and that of his Pop Art peers, from Rauschenberg to Oldenburg.
Yet it is a mistake to reduce Jim Dine to a glorious chapter of twentieth-century American art. Dine is very much an artist of our burning, apocalyptic times. Fiercely independent, he does not seek to decipher the outside world, nor to cast a critical eye on Truth or Justice. He does not try to convince us. Driven by an existential perplexity, he offers but one quest: to deliver into the world his own singularity, as a man, a poet, and an artist. He seeks to bring forth what he carries inside, what obsesses and devours him, the better to look it in the face, and thereby save himself. There is something of the Pythia about Jim Dine. He takes us into the mystery and madness of the creative act. His work is a beacon that urges us to explore the resources of beauty, and thus the infiniteness of hope.
Annalisa Rimmaudo
Attachée de conservation, collections contemporaines du Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris
uand, en 1974, en discutant avec son cousin, Jim Dine lui confesse ne pas se sentir prêt à satisfaire son désir de peindre une foule2, comme dans les œuvres modernes célèbres, il ne pouvait pas imaginer qu’il la peindrait à la veille de la crise sanitaire et d’un confinement où la peur de la contagion nous a conduits à voir tout rassemblement comme le symbole de l’échec de la modernité. La vie moderne connaît l’expérience de la foule, pour la première fois, au milieu du xixe siècle industriel ; des masses qui se déplacent, qui se croisent, se rassemblent, se mêlent sans se connaître3. Décrite par Friedrich Engels, Walter Benjamin ou Charles Baudelaire, qui exaltait la clameur de la rue, l’énergie de la multitude4, elle a été plus énigmatique pour Elias Canetti. Dans Masse et Puissance, il en soulignait les contradictions : d’une part l’illusion de la protection offerte à l’homme, qui dans la masse fusionne en un seul corps, et de l’autre l’émulation aveugle qui se cache derrière l’anonymat. L’homme dans la foule, comme dans un récit d’Edgar Allan Poe5, se perd, il est seul.
Peindre la foule, c’est une façon pour Jim Dine de repenser sa solitude, sa relation aux autres et au monde, du haut de son expérience et au milieu d’une situation cruciale. Les passants de At Night, I Ride sont des masques comme dans les carnavals grotesques d’Ensor. Ils émergent d’une obscurité dense non sans rappeler les œuvres de l’expressionnisme allemand, et spécialement celle de Kirchner, par le caractère effilé, pointu des personnages ainsi que par l’atmosphère dans laquelle ils baignent. Ces visages taillés
dans le bois, ces masques aux expressions mélancoliques et accablées flottent au milieu de débris, d’éclats picturaux, de résidus d’éléments qui composent le glossaire du langage de Jim Dine. L’autre, anonyme, surgit de l’inconscient non pas comme une entité, mais comme un simulacre à la physionomie d’un masque primitif. Comme il le dit, « à 85 ans, j’ai beaucoup de visages dans ma tête et beaucoup dans mes mains, dans la façon où mes mains bougent »6 En 1968, il avait réalisé à Londres une grande peinture, Name Painting (1935-1963) # 1 7, réunissant les noms de toutes les personnes qu’il avait connues jusqu’alors. Cette foule d’êtres chers se transformait en un paysage où l’identité de chacun se diluait dans une image. À l’inverse, cette nouvelle masse est peuplée d’inconnus, chacun isolé, se détachant du gouffre commun, ne manifestant aucune interaction. Avec leur apparence factice, ces ombres lugubres se superposent à la réalité, au monde concret. Elles ne soulignent pas seulement la tromperie de la modernité.
Il poursuit cette quête en donnant vie à un étrange personnage, une figure tirée des récits de sa jeunesse et de ses pires cauchemars. Composée de rebuts de bois, la mort, la faucheuse, comme l’identifie Jim Dine, est telle qu’elle apparaît dans ses mauvais rêves depuis l’enfance ; elle prend l’apparence d’un homme coiffé d’un grand chapeau cylindrique noir. D’aspect suranné, articulé à la façon d’une marionnette, il encombre l’espace de la toile avec sa fragile rigidité. Son long nez, comme celui des Pinocchios si chers à l’artiste, est le seul attribut qui en accentue la présence et le rend moins abstrait. Les autres bouts de bois qui le façonnent ressemblent à des os, ils trament un squelette qui structure, qui ordonne l’espace. Ces fines baguettes renvoient à la fois à l’inconsistance de ce spectre mais aussi à la précarité de la vie que
1. Jim Dine, poème « Fine Gold », 2020. 2. Il ne pouvait pas peindre une foule car « trapped with all what I am », « piégé dans tout ce que je suis », discussion avec Jim Dine, juin 2020, TDA.
3. Yves Bonnefoy en a fait le sujet d’une série de conférences magistrales tenues à la Bibliothèque nationale de France entre le 26 et le 29 novembre 2001 et retranscrites dans la publication Le poète et le « flot mouvant des multitudes », Paris, éd. BNF, 2001.
4. Charles Baudelaire, « Le Peintre de la vie moderne », écrit en 1859 et publié dans Le Figaro en 1863.
5. Edgar Allan Poe, « L’Homme des foules », titre original «The Man of the Crowd », publié pour la première fois dans Burton’s Gentleman’s Magazine en 1840.
6. « 85 years old I got a lot of heads in my mind and a lot in my hands in the way my hands move », discussion avec Jim Dine, Montrouge, juin 2020, TDA.
7. Fusain sur toile. 201,9 x 476,3 cm, 79 1/2 x 187 1/2 in. National Gallery of Art, Washington D.C., Don Patsy Orlofsky à la mémoire de Myron Orlofsky.
Winter Dream (for V), 1995
Gravure tirée d’un portfolio de 12 gravures sur bois sur papier buvard gris recyclé
One print from a portfolio of 12 woodcuts on recycled grey blotter paper 170 x 129,5 cm / 67 x 51 in.
propre représentation, à travers ses autoportraits et ses alter ego comme la robe de chambre, les outils, les Pinocchios, les Vénus, ce sujet se dégage des autres ; il ne s’agit d’ailleurs pas d’un personnage ou d’un objet précis, mais d’une vision fatidique. Cette « nature morte transformée en figure »11, comme Jim Dine la définit, est aussi particulière dans la disposition même de ses éléments, très hiérarchisés, agencés autour d’une forme en croix.
Pourtant si présents dans les œuvres de l’artiste, peu d’outils sont inclus dans la composition, seule une meuleuse demeure en guise de signature.
8. « That it’s a man that eventually knows how long is destiny, the guy who ultimately says when and how », discussion avec Jim Dine, Montrouge, juin 2020, TDA.
9. « A fragile spirit » in « Easter » ; « the missing Jew » in « Last Year’s Forgiving Heart »; « a transient spirit » in « Lorine Neidecker »; « the fireman shoveling » in « A Twentieth Century.»
10. « Remember the assayer… the bones the crust of Ego and Rust remover », Fine Gold, 2020
11. « a still life morphed in a figure », discussion avec Jim Dine, juin 2020, TDA.
cette image véhicule. Debout au milieu de la toile, surgi des profondeurs, voici l’homme qui connaît notre sort8, celui qui en décide. S’il n’apparaît que rarement dans l’œuvre plastique de l’artiste, il figure cependant, toujours coiffé d’un cylindre noir, parmi les estampes de la série des Winter Dreams (1995). Malgré cela, ce personnage, Prophet in the Storm, dont l’aspect est fortement inspiré par les bandes dessinées que Jim Dine lit depuis son enfance, lui est très familier. On le rencontre régulièrement dans ses poèmes et en particulier dans les derniers où il est mentionné de différentes façons. Tel « un esprit fragile », « un esprit transcendant », il est le chauffeur de locomotive dans le poème Twentieth Century qui, dans ces « jambes noires », la pelle à la main », alimentant son feu, contrôle le mouvement éternel. Il est le « damné clown » au pas désespéré qui détruit, divise en traînant derrière lui son rire maudit (Jim’s palette).9
Dine met en garde : « Souviens-toi de l’essayeur », le testeur d’or fin, celui qui fait disparaître « les os, qui efface la croute de l’ego et sa rouille… »10. Alors qu’il habitait le domaine de la figuration de sa
Sa structure insolite rend d’ailleurs cette œuvre encore plus singulière face à une autre pièce commencée il y a un an et terminée durant le confinement. Son titre, The Tongue, est dicté par la présence d’une langue de peinture rose située au cœur de l’œuvre. Cette peinture abstraite, aux couleurs vives, est parsemée de taches, d’objets en relief, de couches épaisses d’acrylique et de coulures. À la manière d’une déflagration joyeuse, elle entraîne les symboles les plus intimes de l’artiste : des ciseaux saillants au profil bien marqué, plusieurs pinceaux, des bouts de bois et de plastique. Une fertile sensualité envahit le tout, entretenue par l’énergie, l’intensité de la gestualité qui la gouverne au point qu’on s’interroge sur l’ambiguïté de la protubérance rose. Il s’autodécrit à travers cette explosion féconde qui caractérise son état d’âme et, pour ce faire, il fait appel non seulement à son vocabulaire, ses outils, mais il rend aussi hommage aux deux domaines à travers lesquels il s’exprime, la création plastique et celle verbale, symbolisée par la représentation de la langue qui désormais occupe une place centrale. Le vide autour de cette forme engendre le mouvement des autres formes qui semblent tourner autour d’elle dans un tourbillon véhément.
Il est indéniable que l’activité poétique de Jim Dine a pris une importance majeure ces dernières années en se développant en complicité avec la création plastique. Ce dialogue, désormais équilibré, constitue la source de tout son travail. La liberté que révèle son œuvre poétique émane de l’origine du poème, distillé de son expérience, de son vécu plus que sa peinture qui est le fruit d’une élaboration de la relation stratifiée à soi-même.
x 430 x 21 cm / 63 3/8 x 169 1/4 x 8 1/4 in.