Jan Van Imschoot - La présentation des absents

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JAN VAN IMSCHOOT La présentation des absents


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PARIS | RU E DU GRE NIE R SAINT-L A ZA R E

6 novembre – 24 décembre 2021

JAN VAN IMSCHOOT La présentation des absents


Manuel à une incapacité contemplative Manual for the inability to contemplate Jan Van Imschoot

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u début des années 1980, lorsque j’étudiais à l’Académie n the early ‘80s when I was studying at the Royal Academy royale des Beaux-Arts de Gand, la représentation of Fine Arts in Ghent, both the narrative representation and narrative, tout comme la lecture littéraire d’une toile the literary reading of a canvas were absolutely taboo. What étaient absolument proscrites. L’écriture de la peinture primait mattered more than anything was the grammar of the painting. sur tout. La figuration se devait d’être abstraite ; sinon, il fallait Figuration had to be abstract, or otherwise appear in new qu’elle se tourne vers de nouveaux médias. La dimension mediums. Visual storytelling was regarded as anecdotal. If that descriptive de la peinture ne relevait plus que de l’anecdotique. was indeed so, then my future as a painter would be severely Mon avenir de peintre risquait de se voir confisqué en tant que compromised and I could not accept that. So I was driven by a tel. Cette idée était inacceptable pour moi. determination to allow nothing in art to be Depuis lors, mon moteur serait qu’en art, rien ne banned. Certainly not language. Suis-je un littérateur peut être interdit. Certainement pas le langage. To gain a better understanding of how peintre ou un J’interrogeai mon professeur de philosophie different languages relate to each other, peintre littérateur ? des arts sur la compréhension d’un langage I asked the philosophy of art lecturer how à travers un autre, afin de mieux comprendre one language can understand another. leurs interactions. Le langage littéraire est Literary language is an instrument to Am I a painting un moyen de décrire, d’illustrer, de donner describe, illustrate and make sense of a writer or a literary sens à un langage visuel, et plus précisément visual language and more specifically to de décrire une œuvre. L’inverse était-il vrai describe a work of art. painter? également ? L’œuvre d’art pouvait-elle donner la réplique ? Le combat me paraissait I wondered if the reverse was also possible: à l’époque inégal, et la recherche sur l’interaction entre les can the work of art respond? I didn’t feel it was a level playing langages littéraire et visuel allait me fournir matière à penser field. I could pursue my investigation into the relationship pendant longtemps. between literary language and visual language. Les prémices de ces pensées me sont venues à l’âge de dix ans, alors que j’admirais pour la première fois L’Adoration de l’Agneau mystique des frères Van Eyck dans la cathédrale Saint-Bavon de Gand. Impressionné par l’incroyable finesse des traits et l’inégalable maîtrise du détail, mon jeune cerveau était également abasourdi par les innombrables significations

But first I should turn for a moment to what had triggered my thinking. I was ten when I first saw the Adoration of the Mystic Lamb by the Van Eyck brothers, then still in its original place in St Bavo’s Cathedral in Ghent. Not only was I impressed by the incredible finesse of the painting and the artists’ extraordinary eye for detail, but my small human brain was

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que contenait l’œuvre. Il allait me falloir plus d’une vie pour comprendre ne fût-ce que quelques bribes de ce chefd’œuvre. J’en étais convaincu alors et je le reste aujourd’hui.

stunned by the plethora of meanings it contained. It would take me more than my lifetime to fathom even a tiny fraction of this masterpiece. I was and still am convinced of that. Two years later, I discovered Van Deux ans plus tard, je découvrais les Gogh’s paintings. On the face of it, he toiles de Van Gogh, dont l’approche was the very antithesis of Van Eyck. ar tistique était à première vue I was confused to find that purple La recherche sur l’interaction diamétralement opposée à celle de trees, green suns, curved lines and entre les langages littéraire et visuel Van Eyck. Les arbres pourpres, soleils short stripes aroused in me the same allait me fournir matière à penser verts, lignes courbes et traits brefs enthusiasm and curiosity. Something pendant longtemps. m’émouvaient pourtant au même mysterious happened when I looked titre que les traits précis des maîtres at the two oeuvres and, in my childish flamands, et cela me perturbait. La head still free of impurities, that enigma I could pursue my investigation into vue de ces deux œuvres pourtant très became a question: what is the secret the relationship between literary différentes suscitait le même mystère. of painting? language and visual language. Une énigme que mon jeune cerveau Some three years later, I pored over Van transforma en question : quel est donc Gogh’s letters, which I found at least as le secret de la peinture ? Près de trois ans plus tard, je me interesting as his canvasses. His drawings served as a bridge plongeais dans la correspondance de Van Gogh. Elle me parut between his writing and his painting. au moins aussi intéressante que ses tableaux et je compris que ses dessins formaient le lien entre ses écrits et sa peinture. At the end of the seventies, publications provided me with an introduction to Dadaism: punk ‘avant la lettre’, as I saw À la fin des années 1970, je découvris le dadaïsme à travers it. That artistic approach provided me with the ammunition diverses publications. J’assimilai aussitôt ce mouvement à du I needed later on to question, rather provocatively, my punk avant la lettre. Cette démarche artistique me poussa plus aesthetics lecturers about what I regarded as the impossibility tard à interpeller mes professeurs d’esthétique, non sans une of interpreting one form of language through another. pointe de provocation, sur l’impossibilité, selon moi, de révéler une forme de langage au moyen d’une autre. Be that as it may, those discussions sparked my interest in conceptual art. The relationship between language and art, at De discussion en discussion, j’en vins à découvrir les artistes least as the conceptualists saw it, opened up new perspectives conceptuels. Le rapport entre l’art et le langage, tel qu’ils for me. So the ‘new painting’ of the eighties seemed to me l’envisageaient, m’ouvrait de nouvelles perspectives. Il more like an awkward reaction to conceptual art, which to m’apparut clairement que la « nouvelle peinture » des années all intents and purposes they saw as a threat. I was not really 1980 était une réponse crispée à cet art conceptuel, considéré into those new expressionists and their emotional diarrhoea. comme une menace. Je n’étais pas grand amateur ni des I saw concept art not as anti-painting, but as a broader view nouveaux expressionnistes, ni de leur attitude spasmodique of painting, with meaning restored to it. My discovery of René face aux conceptuels. Selon moi, il ne s’agissait pas, dans l’art Daniels’ work only confirmed this. conceptuel, de produire de l’anti-peinture, mais au contraire de créer une ouverture du champ de la peinture, qui lui redonnait My belief that art can and should be called into question led du sens. La découverte de l’œuvre de René Daniels ne fit que me to conclude that the same applied to the history of Western confirmer cette intuition. art as a whole.

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La feuille verte (détail), 2019 Huile sur toile, 170 × 190 cm Oil on canvas, 66 7/8 × 74 3/4 in. Collection privée


La crème de tartre hollywoodien (détail), 2020 Huile sur toile, 130 × 150 cm Oil on canvas, 51 1/8 × 59 in.

The exhibition of wor k by the J’étais convaincu, et le reste, que l’art sixteenth-century Antwerp painter peut et doit être remis en question, Joachim Beuckelaer mounted at the et de là, convaincu qu’il en allait de Museum of Fine Arts in Ghent at the même de l’histoire occidentale de l’art end of the eighties seemed to endorse dans son ensemble. Cette thèse me fut this proposition. Market and kitchen confirmée par une exposition consacrée scenes were awash with symbolism à Joachim Beuckelaer, peintre anversois which could be interpreted in du XVIe siècle, au musée des BeauxArts de Gand, à la fin des années 1980. different ways. From ostentation, Alors que je n’étais encore qu’un jeune Les scènes de marché et de cuisine through the religious to the erotic. artiste, je compris qu’il me faudrait regorgeaient de symboles pouvant être I recognised erotic references from réapprendre à peindre. interprétés de diverses manières, allant my dialect. But to interpret religious de l’ostentatoire au religieux, voire à symbols I pored over the Bible and l’érotique, que ma connaissance du amassed a library of books on the While I was no longer dialecte me permettait de déceler. Pour lives of saints, martyrs and their a young artist, I realised I had to learn l’interprétation de symboles religieux, je attributes, colour symbolism and to paint again. me plongeai dans la Bible et compilai une all the other signs to recognise the bibliothèque fouillée d’hagiographies et differences between sins and virtues. de biographies de martyrs, afin de pouvoir décoder tous leurs I set about reading every painting from Cimabue to Rubens as attributs, la symbolique des couleurs et autres signes distinguant if I had been sitting on the lap of Saint Augustus himself. la vertu du péché. Je voulais être capable de lire toutes les œuvres, de Cimabue à Rubens, comme si saint Augustin luiWhile I was no longer a young artist, I realised I had to learn to même me soufflait les réponses. paint again. Though I had a few years’ experience, I needed a better grounding. I knew I should not get ahead of myself, but Alors que je n’étais encore qu’un jeune artiste, je compris qu’il take my time and build an oeuvre by poking around in anything me faudrait réapprendre à peindre. J’avais un peu d’expérience, and everything that came my way. mais il me manquait la base. Il fallait que je ralentisse. Je décidai de bannir la vitesse de mon œuvre et me mis à muser, à m’arrêter I started work on a series of small canvasses relating to war à tout ce que je rencontrais en chemin. graves. The discrepancy between the well-ordered, white crosses in the war cemeteries and what the victims had Ma première réalisation dans cet esprit fut une série de petites experienced in the same place could not be greater. Image toiles consacrées aux cimetières militaires. Le décalage entre les and meaning can be opposites, but at the same time they croix blanches bien ordonnées des cimetières et l’horreur que les balance each other out. The aesthetics of war cemeteries morts ont vécue est abyssal. L’image et le signifiant s’opposent drives home the madness of waging war. At that point I began parfois, mais s’équilibrent aussi. L’esthétique des cimetières to concentrate on the ambiguity of the painted image and militaires incite à réfléchir à la folie de la guerre. C’est à partir to emphasise it by assigning an important role to the title, de là que je me mis à creuser l’ambiguïté de l’image peinte et whether it was to confirm, negate, mislead or simply tease. à l’accentuer, en attribuant une fonction importante aux titres, dont je me servais indifféremment pour confirmer, réfuter, duper Inspired by Francis Picabia’s example, I chose to travel not one ou tout simplement jouer les trublions. path but several, an abundance of titles churning around in my head. Now and then I would write a text over the image. The M’inspirant de la démarche de Francis Picabia, je n’empruntai text served as bars behind which the image was imprisoned pas une, mais plusieurs voies. Je coltinai un tas de titres dans ma and yet still accessible, albeit only with some difficulty. Would

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besace mentale. Parfois, je superposais un texte sur une toile, le texte prenant la forme de barreaux derrière lesquels la toile serait à la fois prisonnière, mais accessible malgré tout, quoique plus difficilement. Le langage s’avérerait-il suffisamment péremptoire pour tenir l’image à l’écart ?

language prove compelling enough to keep the image at a distance? Coming from a country that is all too familiar with language barriers, I was well aware that titles cannot be translated with complete accuracy. Apart from English, I usually choose French, the language of approximately half of my former compatriots and the language of the country where I now live and work. The musicality of sentences is important and often obscures the difficulty of translating them.

La musicalité des phrases est Je suis originaire d’un pays où l’on importante et elle masque souvent connaît bien les barrières linguistiques, l’impuissance à les traduire. je sais donc que la traduction d’un titre ne peut jamais être tout à fait exacte. Outre l’anglais, mes titres sont souvent en The musicality of sentences is important français, la langue de près de la moitié de and often obscures the difficulty of mes anciens compatriotes, et la langue To date, James Joyce’s Finnegans translating them. du pays où je vis et travaille maintenant. Wake had not played a significant role La musicalité des phrases est importante in my titles, but this evasive book, which et elle masque souvent l’impuissance à les traduire. rambles on for hundreds of pages, inspired me to paint feverish nonsense in the same work as my beloved history and my noneSi Finnegans Wake de James Joyce, est, à ce jour, un peu moins too-rosy view of mankind. Titles should behave like the gibberish important pour mes titres, l’insaisissable livre aux centaines de of an absinth addict, or conversely, a glass of spring water. pages de délire m’inspira pour peindre ma passion de l’histoire et ma vision pas très rose de l’humanité sous forme de fiévreuses In the meantime, the work of Magritte and Broodthaers – two inepties. Les titres agiraient comme le verbiage d’un dépendant enigmatic masters of image and language – continued to trouble à l’absinthe, ou à l’opposé, comme un verre d’eau de source me. It was years before I found anything accessible in their work. rafraîchissant. To an extent, films by Bunuel, on the other hand, did show me the way. The question of what is real, what is a thought and what is Entre-temps, l’œuvre de Magritte et celle de Broodthaers, deux dreamt confirmed my idea that reality and truth don’t know their maîtres énigmatiques de l’image et du langage, continuaient à place in art. If those two concepts do find their way into a work me tarauder. Il me faudrait des années pour percer un tant soit of art, they should certainly be allowed to do the washing-up. peu leur œuvre. Les films de Buñuel, en revanche, m’ouvrirent quelque peu la voie. À la question « qu’est-ce qui est vrai, qu’estThanks to Joachim Beuckelaer and via Magritte, I started to ce qu’une pensée, ou quelle est la part rêvée ? », ma pensée m’a find Marcel Broodthaers’ thinking slightly more accessible. confirmé que dans le domaine de l’art, la réalité et la vérité n’ont The fact that the Flemish dialect and French both use the pas lieu d’être. Si ces deux notions devaient malgré tout se glisser same, usually sexually-tinged, connotations was a great help dans une œuvre d’art, alors elles ne pourraient assurément que too. “Ceci n’est pas une pipe” has the same sexually-tinged faire la vaisselle. connotations, in both languages. ‘Even when she was giving head’ from Lou Reed’s Walk on the Wild Side belongs to that J’accédai à la pensée de Broodthaers à travers l’œuvre de same order of sexual slang. Joachim Beuckelaer et celle de Magritte. La coexistence en français et en dialecte flamand des mêmes connotations, à In 2019, all my divergent paths converged in the first part of my caractère généralement sexuel, me fut d’un grand secours. trilogy, Le bouillon de onze heures, which drew on the oeuvre

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L’Origine de l’humanité (détail) , 2020 Huile sur toile, 75 × 65 cm Oil on canvas, 29 1/2 × 25 5/8 in. Collection privée


Ainsi, dans les deux langues, « Ceci n’est pas une pipe » éveille les mêmes associations érotiques, tout comme « Even when she was giving head » dans Walk on the Wild Side de Lou Reed.

of the seventeenth-century Dutch painter Willem Claeszoon Heda, who added layers of meaning to his beautifully painted still lifes. Each one of us can interpret them in our own way depending on our knowledge or philosophical beliefs. As a result, the answer to my question about the power of one language over the other became more nuanced. The joyful oscillation between literary language and artificial image allowed me to give free rein to my imagination.

En 2019, tous ces cheminements convergèrent dans la première partie de la trilogie Le bouillon de onze heures. La série Le rapport entre langage s’inspire de l’œuvre de Willem Claeszoon et image reste Heda, peintre néerlandais du XVIIe siècle, un territoire ouvert. dont les magistrales natures mortes regorgent de significations à multiples strates. Chacun en fait une lecture perBe that as it may, the relationship sonnelle, nourrie par ses propres connaisIn the second part, La présentation des between language and image sances ou convictions philosophiques. absents, I compare the boundlessness is still an open field. La réponse à mon questionnement de of my imagination to Édouard Manet’s l’emprise d’un langage sur l’autre devint free and easy attitude to the history of ainsi plus nuancée. La danse de joie entre le langage littéraire et art. Through his marriage to the Dutch pianist Suzanne Leenhoff, l’image artificielle me permit de laisser mon imagination s’épanouir. that classical master and the first real modernist understood connotations in painting better than any of his contemporaries. Dans la seconde partie de la trilogie, La présentation des He is the nineteenth-century link between the Spanish baroque absents, je confronte mon imagination sans bornes aux masters and the art of the Low Countries. Between the black détournements ludiques de l’histoire de l’art par Édouard of the Inquisition and the elusive, subtle grey light of religious Manet. À la fois dernier maître classique et premier moderniste Holland. For me his playful response to the oeuvre of his authentique, Manet, marié à la pianiste néerlandaise Suzanne predecessors gently opened my eyes to the fact that he had Leenhoff, connaissait mieux que quiconque les connotations painted, for example, Luncheon on the Grass as a mirror image suggérées dans les tableaux. Il est le trait d’union du XIXe siècle of Tintoretto’s Susanna and the Elders, particularly pertinent entre les maîtres du baroque espagnol et la peinture des Payswhen one knows that his wife’s name was Suzanne. Bas, entre le noir de l’Inquisition et l’insaisissable gris hollandais religieux tout en nuances. Be that as it may, the relationship between language and Ses détournements ludiques de l’œuvre de ses prédécesseurs, image is still an open field; words come up against their own comme Le déjeuner sur l’herbe, par exemple, qu’il peint borders, while art flies as free as a bird over them. comme l’image miroir de Suzanne et les vieillards du Tintoret, se révélèrent une douce reconnaissance diabolique pour moi. Jan Van Imschoot Coïncidence ou pas, son épouse s’appelait Suzanne. April 23rd 2021, Noncourt-sur-le-Rongeant, France Quoi qu’il en soit, le rapport entre langage et image reste un territoire ouvert ; les mots se heurtent tôt ou tard à leurs propres limites, alors que l’art, tel un oiseau, les franchit en toute liberté.

Juanito’s Breakfast (Happy Haarlem), 2 019

Le malentendu ( détail) , 2020 Huile sur toile, 75 × 65 cm Oil on canvas, 29 1/2 × 25 5/8 in. Collection privée

Huile sur toile, 130 x 150 cm Oil on canvas, 51 1/8 × 59 in. Collection privée

Jan Van Imschoot 23 avril 2021 – Noncourt-sur-le-Rongeant

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Barbara De Coninck Auteure, curatrice indépendante et amie des artistes. Author, independent curator and friend of artists.

Jan Van Imschoot La présentation des absents Manet, Manet, Manet pardi ! Je vais faire une version du Déjeuner sur l’herbe. Son modèle face à la Suzanne du Tintoret. Suzanne et les vieillards face à Suzanne (Manet Leenhoff) et les jeunes. Tada, B., la folie est de retour. On va s’amuser comme des petits fous. Dannie Toy va perdre complètement la boule. Et dans la foulée, le reste de Paris. Gintoretto1

The presentation of the absent Oh, Manet, Manet, Manet! I’m going to make a version of Luncheon on the Grass. His model as opposed to Tintoretto’s Susanna. Susanna and the Elders as opposed to Suzanne (Manet Leenhoff) and the Youths. Ha, B., I have returned with a vengeance. And the pleasure is all the greater. Dannie Toy will go absolutely mad. And in his wake the rest of Paris. Gintoretto1

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JAN VAN IMSCHOOT

Un verre vert féérique

Un verre vert féérique

La nouvelle exposition de Jan Van Imschoot, La présentation des absents (2021), a des relents de bouillon. Si, dans son exposition de natures mortes Le bouillon de onze heures (2020), l’artiste ripostait au Hollandais Willem Claeszoon Heda (Haarlem, 1594-1680), dans La présentation des absents, il se mesure désormais à Édouard Manet (Paris, 1832-1883), celui qu’il qualifie à la fois de grand railleur de l’histoire de l’art, de dernier maître classique et de premier vrai moderniste2. Cette nouvelle série d’huiles sur toile constitue le deuxième volet d’une trilogie annoncée, à travers laquelle le Gantois émigré en France sonde son rapport aux maîtres anciens. Quant au troisième volet de cette trilogie, le mystère plane jusqu’à ce jour sur son contenu et son intitulé.

There is still a fond de bouillon, a base stock, in Jan Van Imschoot’s new exhibition La présentation des absents (The presentation of the absent, 2021). Whereas in his still-life exhibition Le bouillon de onze heures (The eleventh-hour bouillon, 2020) he gave the Dutchman Willem Claeszoon Heda (Haarlem, 15941680) tit for tat; in The presentation of the absent he confronts Édouard Manet (Paris, 1832-1883), in the painter’s words “a master of the light-hearted approach to the history of art and also the last classical master and the first real modernist”.2 The new series of oil paintings is the second part of a heralded trilogy, in which the man from Ghent who settled in France explores his relationship with the old masters. To date, no information about the title or content of the third part of the trilogy has been forthcoming.

Lors de l’exposition Le bouillon de onze heures, on voyait encore l’artiste, dans Le combat contre l’aube (2020), prendre le large dans sa barque. À ce momentlà, pourtant, rien n’indiquait que Jan Van Imschoot se dirigeait, tout en peignant, vers (l’œuvre d’) Édouard Manet, même si, avec le recul, l’embarcation était, bien sûr, le navire grâce auquel le marquis français Henri Rochefort, homme politique et, depuis 1868, éditeur du journal politique anti-Second Empire La Lanterne (qui paraissait à Bruxelles), était parvenu, en 1874, à s’évader d’une manière spectaculaire de sa prison en NouvelleCalédonie, où il avait été exilé un an auparavant en raison de son rôle dans la Commune de Paris. Édouard Manet avait déjà peint cette petite barque à deux reprises3. Et pourtant, ce n’est pas Henri Rochefort le protagoniste de La présentation des absents. Cet honneur revient à Suzanne, comme nous le verrons plus tard.

In the painting entitled Le combat contre l’aube (2020) in the exhibition Le bouillon de onze heures, we saw the artist sail away in his boat. At the time there was nothing to suggest that Jan Van Imschoot was on his way to (the oeuvre of) Édouard Manet, though in retrospect the sloop was of course the vessel with which the French marquis Henri Rochefort, politician and from 1868 the founder of the political, anti-Second Empire newspaper La Lanterne (which was published in Brussels), managed in spectacular fashion to escape the cells of New Caledonia in 1874, having been sent there the previous year for his role in the Paris Commune. Édouard Manet had already painted this sloop twice.3 However, Henri Rochefort is not the protagonist in The presentation of the absent. That honour falls to Suzanne, as we will see. Once again, in one way or another, the ‘chapters’ in The presentation of the absent exhibition are all table-pieces. Even the central work L’échange des bêtises (2021), which measures a whopping 190 x 340 cm, is, all things considered, an alternative breakfast4 or ostentatious still life5 but certainly a luncheon, a déjeuner. It is nothing less than Van Imschoot’s answer to Édouard Manet’s Luncheon on the Grass (1863). With a little imagination – and mindful of Jan Van Imschoot’s collection of miniatures of Napoleon, horses and

Une fois de plus, les « chapitres » de l’exposition La présentation des absents sont tous, en quelque sorte, des « tables servies ». Même l’œuvre centrale, L’échange des bêtises (2021), aux dimensions généreuses de 190 sur 340 cm, est, à la réflexion, un petit déjeuner alternatif4 ou une nature morte d’apparat5, mais en tout cas un déjeuner : cette œuvre n’est rien de moins que la réponse de Van Imschoot au Déjeuner sur l’herbe (1863) d’Édouard Manet.

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LE GANTOIS ÉMIGRÉ EN FRANCE SONDE SON RAPPORT AUX MAÎTRES ANCIENS. THE MAN FROM GHENT WHO SETTLED IN FRANCE EXPLORES HIS RELATIONSHIP WITH THE OLD MASTERS.


JAN VAN IMSCHOOT

Avec un peu d’imagination – et tout en ayant à l’esprit la collection privée de Jan Van Imschoot, comprenant des miniatures de Napoléon, des petits chevaux et des bateaux –, cette scène représentant « la rencontre de Jan et Édouard avec les valseuses » pourrait même figurer sur la cheminée dans le salon de l’artiste, installé en Haute-Marne.

L’APPARITION DE LA FIGURE HUMAINE EST UN ÉVÉNEMENT EN SOI. THE APPEARANCE OF THE HUMAN FIGURE IS AN EVENT IN ITSELF.

Dans son précédent pas de deux avec Willem Claeszoon Heda, Jan Van Imschoot nous avait servi un « bouillon de onze heures » empoisonné, en dose létale. Dans La présentation des absents, il nous propose, au contraire, un petit verre d’absinthe : « Un verre vert féérique. ». En tout cas, une chose est claire : le peintre a des envies de rhapsodie. Alors, attachez vos ceintures ! La présentation des absents est une « narration complète », avec de nombreuses ramifications, mais d’une cohérence implacable. Contrairement au Bouillon de onze heures, cette série n’est pas une succession de variations sur un thème : elle possède une distribution et une envergure dignes d’un puissant orchestre symphonique. Sous nos yeux défilent seize tableaux de genre, petits déjeuners et natures mortes d’apparat, marines, natures mortes aux fruits, natures mortes aux asperges et portraits (de groupe). L’apparition de la figure humaine est un événement en soi. En tant qu’ensemble, La présentation des absents est donc, en définitive, aussi un autoportrait. Si, dans l’exposition précédente, l’artiste apparaissait sous forme de cryptogramme – sous les traits d’un renard rusé/ libérateur (en espagnol zorro, Zorro) ou dans le reflet de la soupière en tant que Bacchus –, désormais il apparaît à l’image grandeur nature, non pas une, mais deux fois. Le Liber Pater6 est de retour… et comment !

Édouard Manet Le déjeuner sur l’herbe, 1863 Huile sur toile, 207 × 265 cm Paris, musée d’Orsay

boats in his living-room, this scene, which depicts ‘Jan and Édouard’s encounter with the waltzers’, could look well on the mantlepiece in the artist’s salon in the Haute-Marne. In his earlier pas de deux with Willem Claeszoon Heda, Jan Van Imschoot served up a poisonous, indeed lethal, ‘bouillon de onze heures’ – eleventh-hour bouillon. In The presentation of the absent, he places a glass of absinth in front of us: ‘un verre vert féérique’. One thing is now clear: the painter is in the mood for a rhapsody. So fasten your seatbelt! The presentation of the absent is a ‘complete narration’, fanning out in all directions, confoundingly consistent. Unlike Le bouillon de onze heures, the series is not a succession of variations on a single theme: it has the orchestration and scale of a mighty symphony orchestra. Sixteen genre pieces, breakfasts, ostentatious still lifes, fruit still lifes, asparagus still lifes, seascapes, and (group) portraits pass before our eyes. The appearance of the human figure is an event in itself. After all, taken as a whole, The presentation of the absent is also a self-portrait. Whereas in his previous exhibition, the painter appeared via the cryptogram as a sly fox/ liberator6 or as Bacchus in the sheen of the soup pot, he is now pictured man-size, not once but twice. The Liber Pater7 is back… and how!

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Le combat contre l’aube (détail), 2020 Huile sur toile, 150 × 130 cm Oil on canvas, 59 × 51 1/8 in. S.M.A.K., Gand, Belgique



JAN VAN IMSCHOOT

UNE MISE EN SCÈNE THÉÂTRALE MILLIMÉTRÉE DE LA NATURE MORTE. JAN VAN IMSCHOOT CAREFULLY STAGE MANAGES THE THEATRE OF THE STILL LIFE.

Un pet dans une bouteille

A damp squid

Il devait y avoir beaucoup de viande dans le bouillon (Le bouillon de onze heures), car le divin auteur lâche aussitôt un somptueux pet. Sinon, quelle autre lecture pourrait-on faire de cette toile, intitulée La captivité du vent (2021) ? Tout bien considéré, sa première aventure avec Willem Claeszoon Heda n’était, pour notre peintre, qu’une promenade de santé – un pet dans une bouteille, selon l’expression flamande (een scheet in een fles). D’ailleurs, en peignant un somptueux trois-mâts dans une bouteille, ce qui équivaut en gantois à un « schuit in een fles », Jan Van Imschoot ne joint-il pas littéralement l’acte à la parole ? Son bras de fer avec le peintre haarlemois de natures mortes, il le remporta haut la main. Une simple formalité ou, comme on dit en néerlandais, een fluitje van een cent, une flûte de pacotille. Regardez de vos propres yeux, je n’invente rien : dans la toile La captivité du vent, une flûte repose sur la boîte à tabac. Est-ce la flûte du Liber Pater, de Bacchus ou de Pan ? Est-ce la flûte enchantée ? Ou est-ce la flûte divine ou le chalumeau de la Genèse ? Sur la boîte à tabac figure le texte suivant : « la flûte fondue en trois parties par jeu des entrailles célestes. » Il arrive à tout un chacun de siffler un petit air. Et ce qui vient de la flûte s’en retourne au tambour !

There must have been a lot of meat in the bouillon (Le bouillon de onze heures), because the divine author lets a mighty fart. What else can we say about the La captivité du vent (2021) painting? All things considered, for the painter the adventure with Willem Claesz Heda was een scheet in een fles, literally ‘a shit in a bottle’; figuratively a damp squid. Has Jan Van Imschoot painted out loud in his earthy Ghent accent a ‘schuit in een fles’? The contest with the Haarlem still-life painter was anything but a struggle. It was a fluitje van een cent, a one-cent flute – a push-over, a piece of cake. Take a look for yourself: La captivité du vent shows a flute leaning against the tobacco box. Does the flute belong to the Liber Pater, or Bacchus, or Pan? Is it the magic flute? Is it the divine flute or the shawm of the Creation? On the tobacco box are the words “la flûte fondue en trois parties par jeu des entrailles célestes”. Everyone whistles a tune sometimes. Easy come, easy go!

Les motifs de la boîte et de la flûte sont quasiment les seuls motifs que Jan Van Imschoot emprunte à la nature morte d’apparat Sumptuous Still Life (ca. 1655) d’Abraham van Beyeren, la source d’inspiration directe de sa peinture – les autres éléments dans la toile ne l’intéressent pas pour un sou.

Jan Van Imschoot carefully stage manages the theatre of the still life around box and flute. The painter is packing up (Heda) and unpacking (Manet), both at once. Van Beyeren’s seventeenth-century white table linen has seen better days and is removed: bowls, goblets and dishes but also the compass go off duty; the horny half-peeled lemon, the fire-red crabs, the fruit and the pistolet go into the bin; stocks of Belgian Trappist beer and the homemade gay-gin-tonic are replenished. And, oh yes, why not add an asparagus too! Rising up straight as an arrow precisely in the vanishing-point of La captivité du vent, is a Flemish asparagus, fleshy, plump and as white as snow with a mauve tip. An albino version of a male member, particularly in the vicinity of the two painted chicken eggs.

Box and flute are pretty much the only motifs Jan Van Imschoot big-heartedly borrows from Abraham van Beyeren’s ostentatious Sumptuous Still Life (ca. 1655), the direct source of his painting – he doesn’t give a hoot about the other elements in it.

Autour de la boîte et de la flûte, Jan Van Imschoot exécute une mise en scène théâtrale millimétrée de la nature morte. Le peintre est en train, à la fois, d’emballer (Heda) et de déballer (Manet). Le linge de table blanc, datant du XVIIe siècle, de Van Beyeren a fait son temps ; les bols, calices et coupes, sans oublier la boussole, ont pris leur retraite ; le citron juteux à moitié épluché, les crabes écarlates, les fruits et le pistolet7 finissent au fond de la poubelle ; place aux bières trappistes belges et au gin tonic gay fait maison. Et tant qu’à faire, donnez-moi tout de suite une asperge ! Droite comme une flèche et pile

Did Van Imschoot still have a bone to pick – or as they say in Dutch, an egg to peel – with Heda or with Van Beyeren? (Incidentally: Van Beyeren rhymes with ‘eieren’ – eggs.)

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La captivité du vent , 2021

Huile sur toile, 150 x 170 cm Oil on canvas, 59 x 66 7/8 in.


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JAN VAN IMSCHOOT

dans la ligne de fuite de La captivité du vent, une asperge flamande, charnue et blanche comme neige, la pointe mauve, se dresse sur un fond noir. Un membre viril version albinos, à en juger par la présence proche de deux œufs de poule peints.

LA CAPTIVITÉ DU VENT EST UN JEU DE MOTS, UNE PIROUETTE DE L’ESPRIT. LA CAPTIVITÉ DU VENT IS A PUN, A JOKE.

Van Imschoot voulait-il qu’Heda ou Van Beyeren (le nom Van Beyeren rime avec le mot néerlandais eieren, œufs) aillent se faire cuire un œuf ? Ou est-ce que les œufs sont « les voisines du dessous » ? « Des roustons, des roupettes, des boules, des bougnes, des bourses, des burnes, des bonbons, des burettes, des ronfles, des rouleaux, des précieuses, des joyeuses, des baladeuses, des glorieuses, des paresseuses, des flambeuses, des olivettes, des montgolfières, des castagnettes, des délinquantes. Sans oublier les bijoux de famille, les voisines du dessous, les deux orphelines. Et surtout, et surtout les valseuses ! Qu’il ne faut pas confondre avec le valseur. Nuance !8 […] » La captivité du vent est un jeu de mots, une pirouette de l’esprit. En assimilant le visuel au textuel et/ou le textuel au visuel, cette œuvre donne le ton pour les quinze autres huiles sur toile de la nouvelle série La présentation des absents. L’univers (imaginaire) de Jan Van Imschoot est fortement érotisé ; et très vaste, puisqu’il s’étend des Pays-Bas à l’Italie, en passant par la Belgique et la France : Gintoretto est l’alter ego du peintre – Mesdames et Messieurs, voici Tintoretto !

Abraham van Beyeren, Sumptuous Still Life, ca. 1655 Huile sur toile, 98 x 76 cm Mauritshuis, La Haye

Or are the eggs les voisines du dessous? “Des roustons, des roupettes, des boules, des bougnes, des burnes, des bonbons, des burettes, des ronfles, des rouleaux, des précieuses, des joyeuses, des baladeuses, des glorieuses, des paresseuses, des flambeuses, des olivettes, des montgolfières, des castagnettes, des délinquantes” – “The balls, the bollocks, the cobblers, the goolies, the nuts, the rocks, etc. etc. Not forgetting the family jewels, the downstairs neighbours and the two orphans. And above all, les valseuses - the testicles! Not to be confused with le valseur, the waltzer. Nuance!8 […]” La captivité du vent is a pun, a joke. In his treatment of image as text and/or text as image, it sets the tone for the next fifteen oil paintings in the new series, The presentation of the absent. The world of Jan Van Imschoot(‘s imagination) is highly erotised; it stretches from the Netherlands, Belgium and France even to Italy: Gintoretto is the painter’s alter ego – ladies and gentlemen, I give you: Tintoretto!

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La captivité du vent (détail)



JAN VAN IMSCHOOT

Le temps est mon allié !

Time is on my side!

L’œuvre la plus ancienne de l’exposition, Abstraction d’un adieu, date de 2019. L’artiste abandonne provisoirement Heda, Haarlem et le Siècle d’or. La peinture de genre propre au XVIIe siècle se réduit à un roemer9, une coupe en étain et un citron. Manet et le Tintoret se disputent à présent l’attention du peintre : le premier pour son orgie de violacé en grosses touches – le coloris pour lequel il a tellement été décrié à l’époque ; le second pour les petits objets indéfinissables en verre de Murano (le Tintoret était vénitien), peut-être des fruits de mer. Le peintre se retrousse les manches ; il a les doigts qui le démangent. Le couteau (à peindre) et les cigarettes sont en place. Les figues sont mûres. L’éternel féminin lui trotte dans la tête. Le temps est mon allié !

The earliest painting in the exhibition, Abstraction d’un adieu, dates from 2019. It is the provisional farewell to Heda, to Haarlem, to the Golden Age. Seventeenth-century genre painting is abstracted to a rummer9, a pewter dish and an intact lemon. Manet and Tintoretto are now vying for the painter’s attention: the first through an orgy of thickly applied purplish – the colouring for which he was so spurned at the time; the second through the small indefinable, Murano-glass objects (Tintoretto was a Venetian) – possibly sea-fish. The painter rolls up his sleeves; his fingers are itching. The (painter’s) knife and the cigarettes are at the ready. The figs are ripe. The eternal feminine is playing in his head. Time is on my side!

Abstraction d’un adieu, 2019 Huile sur toile, 150 x 130 cm Oil on canvas, 59 x 51 1/8 in.

Abstraction d’un adieu (détail)

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JAN VAN IMSCHOOT

COMME DANS UN SOMPTUEUX SOLEIL COUCHANT, LES OBJETS S’EMBRASENT UN DERNIER INSTANT AVANT DE DISPARAÎTRE. AS IN A SUMPTUOUS SUNSET, THE OBJECTS LIGHT UP FOR A MOMENT BEFORE DISAPPEARING.

La nuit de noces de Madame Piviblan

La nuit de noces de Madame Piviblan

L’ambiguïté de l’image peinte, le fondement même de la poétique de Van Imschoot, se prolonge systématiquement dans les titres de ses œuvres. Ceux-ci servent à confirmer, à infirmer, à tromper ou bien ils agissent simplement comme un esprit maléfique10. Dans La nuit de noces de Madame Piviblan (2020), Piviblan est le mot-valise créé à partir de la recette du Picon au vin blanc. On distingue en effet une bouteille de vin blanc sur la table servie, à côté d’une bouteille de Picon et, un peu plus loin, d’une autre bouteille, du Cointreau, sans doute. La composition de la nature morte avec, au premier plan, les fameux motifs (originaires du Bouillon de onze heures) comme le nautile couché, la tourte entamée, l’assiette en étain et le citron à moitié épluché, est redevable à Willem Claeszoon Heda11. Comme dans un somptueux soleil couchant, les objets s’embrasent un dernier instant avant de disparaître. À travers l’orange éclatant, les dorés chaleureux et les bruns ardents, ils nous parlent de richesse et d’abondance. Du vin du Rhin luit dans le roemer du XVIIe siècle. Les lèvres du nautile sont bordées de petits bijoux roses et blancs : c’est le diadème nuptial de la jeune vierge. La poire à cuire brille de volupté. Dans le verre qui jouxte la tourte, un satyre aux yeux en forme de « petits seins » ricane. Mais, détrompez-vous, le bouillon est (presque) terminé. La nappe blanche d’Heda est devenue grise ; la peau du citron est rêche, sèche, brunie et coriace ; les bouteilles de boissons alcoolisées sont encore coiffées de leur bouchon ; Madame Piviblan – le nautile avec godemichet – est archiseule. Le banquet est interrompu – le temps (du peintre) s’est arrêté. Dans un style rembrandtien, depuis le fond presque complètement plongé dans l’obscurité, le peintre nous fait signe avec sa palette. Il fait ses adieux. Il n’a plus rien à faire à Haarlem.

The ambiguity of the painted image, the foundation stone of Van Imschoot’s poetics, is systematically carried over into the titles of the works. The titles serve to confirm, negate, mislead or simply tease.10 In La nuit de noces de Madame Piviblan (2020), Piviblan is the abbreviation of Picon au vin blanc. And indeed, a bottle of white wine features in the table-piece, next to a bottle of Picon and a little further along Cointreau perhaps, who knows? Jan is indebted to Willem Claesz Heda for the composition of the still life, with familiar motifs (from the Bouillon de onze heures) in the foreground, such as the overturned Nautilus cup, the cut pie, the pewter plate and the halfpeeled lemon.11 As in a sumptuous sunset, the objects light up for a moment before being obscured. In splendid orange, in warm golden hues and in glowing browns they speak of richness and abundance. Rhine wine sparkles in the seventeenth-century rummer. The mouth of the Nautilus shell is set with little pink and white jewels: it is the bridal crown of the young maiden. The stewed pear glows with lust. Grinning in the glass next to the pie a satyr with eyes like ‘breasts’. But make no mistake, the bouillon has (almost) gone. Heda’s white tablecloth is now grey; the peel from the lemon is withered, dry, brown and hard; the stoppers are still in the bottles of alcohol; Madame Piviblan - as Nautilus with dildo, is all alone. The banquet has been interrupted – (the painter’s) time has come to a standstill. Rembrantian, almost completely in the dark, the painter at the back waves his artist’s palette. He is waving goodbye. His time in Haarlem is up.

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La nuit de noces de Madame Piviblan, 2020 Huile sur toile, 130 x 150 cm Oil on canvas, 51 1/8 x 59 in.


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JAN VAN IMSCHOOT

LE PEINTRE NOUS EMBROUILLE UNE FOIS ENCORE. THE PAINTER IS OFF AGAIN; HE CAN’T HELP HIMSELF.

La Vieille Prune aux cafés noirs

La Vieille Prune aux cafés noirs

Comme ça a l’air cosy chez La Vieille Prune aux cafés noirs (2021) : une petite clique de trois cafetières, en compagnie d’un flacon de Vieille Prune, distillat de prunes vieilli en fûts de chêne, une liqueur presque oubliée de nos jours. Trois cafetières coiffées d’un couvre-chef donnent le ton : l’appareil à espresso iconique en forme de dôme La Cupola d’Aldo Rossi pour Alessi , la charmantissime cafetière française en cuivre du XIXe siècle et la cafetière belge surmontée de son filtre en acier inoxydable, également appelée café filtre. Le produit belge contient l’illustration d’un chat noir. Chat Noir est la marque d’un torréfacteur belge. « Depuis 1804, Chat Noir reste fidèle à lui-même. Depuis deux siècles, il corse votre journée » (Delhaize). Le café filtre « est un cadeau de mon père à ma mère, alors que j’avais deux ans. Mais je me souviens de ce moment comme si c’était hier ».

La Vieille Prune aux cafés noirs (2021) looks most agreeable: a yackety-yak between three coffee pots in the company of a bottle of Vieille Prune, an almost forgotten plum brandy ripened in oak barrels. The three confounded coffee pots monopolise the conversation: Aldo Rossi’s iconic dome-shaped espresso machine La Cupola for Alessi, the most charming nineteenthcentury, French copper cafetière, and the stainless steel Belgian filter coffee-maker. The Belgian product features a picture of a black cat. Zwarte Kat is a Belgian coffee-roasting house. “Zwarte Kat has remained true to itself since 1804. For two centuries it has invigorated your day” (Delhaize supermarket). The filter coffee-maker “was a present from my pa to my ma when I was two years old. But I remember the moment as if it was yesterday”. The pots are three characters, neatly lined up. Cryptic nods to three countries, three histories, three art-historical and pictorial traditions. Aliases for Tintoretto, Manet and Van Imschoot himself – more modest in format than the other two gentlemen, but certainly catty. De kat komt op het koord – The cat that got the cream - een slapende kat vangt geen rat! – When the cat’s away the mice will play – Happy owner, happy cat – A cat is a cat and that’s that!

Les cafetières figurent trois personnages, en bon ordre. Allusions cachées à trois pays, à trois passés, à trois traditions artistiques et picturales. Alias le Tintoret, Manet et Van Imschoot en personne – de stature plus modeste que les deux autres messieurs, certes, mais avec le côté félin en plus. Justement, le chat sort ses griffes. Il va enfin s’y mettre… à bon chat, bon rat ! Les cafetières se marrent (le marc de café) de plaisir : la cafetière française pète les plombs. Elle-même et La Cupola ont la morve au nez (à force de rire ?), à moins qu’elles ne salivent (ou bavent carrément) face à la Vieille Prune. Ou est-ce la poire tout en émoi qui attire leur regard ? À chaque pot, son couvercle, et mieux vaut toujours garder une poire pour la soif ! La poire a déjà pris les devants, puisqu’elle n’hésite pas à montrer ses fesses ; elle est, d’ailleurs, tout feu tout flammes. Un mets idéal, cette juteuse grenade à main. On fouetterait ce deuxième chat pour moins que cela. À propos, je crois qu’il serait temps d’en griller une.

De koffiepotten hebben deksels veel plezier – The coffee pots have some serious fun. The French coffee pot goes off the rails. It and La Cupola have a snotty nose (from laughing?), unless they are drooling (or dripping?) in the presence of the Vieille Prune. Or has their eye fallen on the horny pear? Geen pot zo scheef of er past een deksel op! – Every Jack must find his Jill. Meanwhile, pear presents her backside; moreover she is all fired up. Ideal, such a fruity hand grenade. Je zou voor minder dit tweede katje geselen – You have other fish to fry. Anyway, isn’t it time for a cigarette? The title of the work relates to a Vieille Prune aux cafés noirs – a plum brandy paired with black coffee. The (dried) plum is not to be found in any field, however. Jan Van Imschoot paints a pear. The painter is off again; he can’t

Le titre de l’œuvre parle d’une Vieille Prune aux cafés noirs. Mais pas la moindre trace de prune ou de pruneau à l’horizon. Jan Van Imschoot peint une poire à la place.

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La Vieille Prune aux cafés noirs, 2021

Huile sur toile, 150 x 170 cm Oil on canvas, 59 x 66 7/8 in.


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JAN VAN IMSCHOOT

Le peintre nous embrouille une fois encore ; la poire compte pour des prunes. Il n’a pas pu s’en empêcher. La Vieille Prune nous secoue les prunes.

LE MODÈLE DE MANET EST BIENVENU CHEZ JAN VAN

help himself. The Vieille Prune heeft een pruimenmondje (has pursed lips)/is niet te pruimen (is disgusting/is een zuurpruim (is a bellyacher)/een pruimenkop (a sourpuss)/ weet van God noch zure pruimen (knows nothing of God). She goes plum crazy.

La prune (ca. 1877) est le titre d’une toile d’Édouard Manet. Il s’agit du portrait d’une jeune fille à la mise soignée dans un café parisien ; elle est assise sur une banquette, derrière une table en marbre, la main légèrement appuyée contre sa joue droite. Devant elle, un verre de liqueur de prunes. Elle regarde dans le vide d’un air rêveur et tient, dans l’autre main, une cigarette intacte entre les doigts. Elle est très distinguée et élégante dans sa tenue rose – sa tête est coiffée d’un adorable chapeau, orné de soie et de dentelle. Manet en fait une figure solitaire et anonyme, en guise d’expression antinomique de la vie citadine moderne. Jan Van Imschoot, pour sa part, la transforme (au choix) en vieille prune/poire juteuse/ cafetière littéralement rayonnante. Le modèle de Manet est bienvenu chez lui. Le cendrier attend déjà. La cigarette (la sienne ?) est déjà allumée.

Plum Brandy (ca. 1877) is the title of a painting by Édouard Manet. It is the portrait of a young girl in a Parisian café, neatly dressed, cheek resting on the back of her hand, a far-away look in her eyes. She is sitting on a bench at a marble table, a glass of plum liqueur in front of her, an unlit cigarette between her fingers. She looks very respectable and elegant in her pink outfit – an adorable little hat embellished with silk and lace on her head. Manet paints her alone and anonymous as an expression of the other side of modern city life. Jan Van Imschoot transforms her into (you choose) a vieille prune/a horny pear/a literally gleaming coffee pot. Manet’s model is welcome. The ashtray is ready. The cigarette (his cigarette?) is already lit.

IMSCHOOT. MANET’S MODEL IS WELCOME.

Édouard Manet, La prune,  ca. 1877 Huile sur toile, 73,6 × 50,2 cm Collection M. et Mme. Paul Mellon, National Gallery of Art, Washington, États-Unis

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La Vieille Prune aux cafés noirs (détail)



JAN VAN IMSCHOOT

UNE MARINE JOUXTANT UNE NATURE MORTE CONTEMPORAINE. A SEASCAPE CUM CONTEM­ PORARY STILL LIFE.

« La cimétaire des bons vivants »12

“La cimétaire des bons vivants”12

Avec une once d’imagination et un brin de bonne volonté – même si la bonne volonté n’a pas droit de cité au pays de Van Imschoot –, on peut définir La brume brune (2021) comme une marine jouxtant une nature morte contemporaine. Une œuvre issue tout droit du circuit court. Van Imschoot nous confie avoir ici peint le balcon de sa chambre d’hôtel sur l’avenue Louise, à Bruxelles, en souvenir des heures passées après le « vernissage sur rendez-vous » de sa précédente exposition Le bouillon de onze heures à la Galerie Templon. Un vendredi soir inhabituellement solitaire par ces temps de pandémie, à un jet de pierre de la rue Veydt.

With just an ounce of imagination and a smidgen of good will – even if good will is not an option in Van Imschoot land -, up to a certain point, La brume brune (2021) can be described as a seascape cum contemporary still life. One out of the department of the short supply chain. Van Imschoot explained to me that here he painted the balcony of his hotel room on Avenue Louise in Brussels as a souvenir of the hours after the ‘vernissage by appointment’ of his previous exhibition Le bouillon de onze heures at Galerie Templon. An unusually solitary Friday evening in corona times, walking distance from Rue Veydt. Either the artist was very thirsty, or he wasn’t alone in the room: on the window ledge is an impressive array of alcoholic drinks: beers – the Westmalle (Flemish) and Rochefort (Walloon) beers, martini rosato and homebrewed gin.13 In the words of the artist, the open bar is arranged like a graveyard: ‘la cimétaire des bons vivants’ – the graveyard of the bon viveurs. In other words: in de hemel is geen bier daarom drinken we het hier – in heaven there is no beer which is why we drink it here. But is the painter really alone? The painting shows only one beer glass.

Soit l’artiste avait grand-soif, soit il n’était pas seul dans sa chambre : sur le balcon trône un impressionnant arsenal de boissons alcoolisées : des bières (pils ou bières spéciales) – des trappistes de Westmalle (en Flandre) et de Rochefort (en Wallonie), du Martini Rosato et du gin artisanal13. Pour reprendre les termes de l’artiste, l’open bar est agencé comme s’il s’agissait d’un cimetière : « La cimétaire des bons vivants. » Autrement dit : « Là-haut, il n’y aura pas de bière, buvons-en donc sur Terre. » Le peintre était-il finalement quand même seul ? Un seul verre de bière figure sur la toile.

The title of the work, La brume brune, provides food for thought. The French word ‘brume’ translates as ‘haze’, ‘mist’ or ‘fog’, though officially a distinction is drawn between haze and fog. Haze is “when visibility is above 1 km. It is a suspension of extremely small, dry particles in the air such as dust, but not water droplets. We speak of ‘dry haze’ (brume sèche) when there is condensation of water vapour, but in association with dust and other pollutants.14” And indeed, the painting is covered with a brown glaze. Was it brought in by the wind from the Sahara? Pollution? Is it an alcohol-induced haze? Are the name of the boat, La Guillotine, and the possible parallel between Rochefort (beer) and Henri Rochefort implying a political reading (with the brown beer and the brown haze as indicators of the Flemish nationalism that Jan Van Imschoot so wholeheartedly detests)? Does the boat trip represent a headlong flight from brown Flanders, along the lines of Rochefort’s? The ship’s ominous name holds little promise of freedom.

Le titre de l’œuvre, La brume brune, invite, lui, à la réflexion. Qui dit brume, dit voile, nébulosité, nuage. La brume est synonyme de brouillard, même si on parle de brume « lorsque la visibilité est supérieure à 1 km. Le phénomène de brume peut également se produire en été, en pleine journée mais il s’agit souvent plutôt d’une condensation de poussières ou de particules de pollution. On parlera alors de brume sèche14 ». La toile est effectivement recouverte d’un glacis brun. Est-ce du sable du Sahara charrié par le vent ? De la pollution ? Ou s’agit-il plutôt de vapeurs d’alcool ? Le nom du bateau, La Guillotine, et le parallèle éventuel entre la Rochefortoise (la bière) et Henri Rochefort induisent-ils, au contraire, une lecture politique (avec la bière brune et le voile brun comme indices du nationalisme flamand que Jan Van Imschoot exècre) ? La navigation en bateau représente-t-elle une fuite hors de la Flandre brune, dans

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La brume brune, 2021 Huile sur toile, 150 x 170 cm Oil on canvas, 59 x 66 7/8 in.


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la précipitation, comme la fuite de Rochefort à l’époque ? Avec son nom sinistre, l’embarcation est loin d’être une promesse de liberté. Le mystère reste entier : « Trop boire noie la mémoire. »

VOICI MA SCÈNE DE LA VIE MODERNE À MOI […] MOI AUSSI, J’HABITE DANS MON ART. THIS IS MY SCÈNE DE LA VIE MODERNE NOW […] I, TOO, LIVE IN MY ART.

It is a mystery: als het bier is in de man dan is de wijsheid in de kan - When the wine is in, the wit is out. Who knows, perhaps art itself is the brume brune which winds itself like a veil round life and disrupts family proceedings. Or has the artist given the brume a more romantic twist, and his painting – with the ring round the mooring post – is a drink-drenched ode to his wife (he/ she – the ring; she/he – the mooring post), in whose ear he whispers a befuddled Ce soir à la brume, the oh-soFrench song signed by Maxime Le Forestier and Kernoa:

Peut-être bien que la brume brune figure l’art même, qui enveloppe la vie dans un voile et qui embrouille les liens familiaux. Ou faut-il ajouter une touche de romantisme à la brume de l’artiste ? Doit-on interpréter sa toile – avec l’anneau et la bitte d’amarrage – comme une ode bien arrosée à sa femme (lui/elle – l’anneau ; elle/lui – la bitte d’amarrage), à qui il susurre, au creux de l’oreille, la chanson française par excellence, signée Maxime Le Forestier et Kernoa :

Ce soir à la brume Nous irons, ma brune Cueillir des serments Cette fleur sauvage Qui fait des ravages Dans les cœurs d’enfants Pour toi, ma princesse J’en ferai des tresses Et dans tes cheveux Ces serments, ma belle Te rendront cruelle Pour tes amoureux.15

Ce soir à la brume Nous irons, ma brune Cueillir des serments Cette fleur sauvage Qui fait des ravages Dans les cœurs d’enfants Pour toi, ma princesse J’en ferai des tresses Et dans tes cheveux Ces serments, ma belle Te rendront cruelle Pour tes amoureux15.

Lyrical in its colouring and its architecture of elegantly laid out diagonals, La brume brune is nevertheless – no offence to Madame –, first and foremost a gift for Édouard Manet. The gangplank is the catwalk of Van Imschoot’s chéri. The key here is the green mooring post, which optically links the balcony to the landing wharf. The motif of the mooring post very obviously calls to mind the contours of Manet’s The Grand Canal of Venice (1874).16 The extraordinary green colour of the mooring post recalls the then much discussed colouring of Manet’s masterpiece The Balcony (1868-1869)17, which the Parisian set on the balcony of his studio at No. 81 rue Guyot. Manet considered it to be one of his most important works and kept it close to him throughout his life.

Quoique lyrique par son coloris et par son jeu de diagonales disposées avec élégance, La brume brune demeure néanmoins avant tout – n’en déplaise à Madame – un cadeau à Édouard Manet. Le ponton n’est autre que le podium du chouchou de Van Imschoot. La clé de lecture réside, en l’occurrence, dans la bitte d’amarrage verte, qui relie optiquement le balcon à l’embarcadère. Le motif de la bitte d’amarrage rappelle d’ailleurs indubitablement les contours du Grand canal à Venise (1874)16 de Manet. Par sa couleur verte singulière, elle rappelle le coloris à l’époque âprement discuté du chef-d’œuvre de Manet Le balcon (1868-1869)17, le tableau pour lequel le Parisien avait choisi le balcon de son atelier au n° 81 de la rue Guyot. Il le conservera près de lui tout au long de sa vie, le comptant parmi ses œuvres les plus précieuses.

It seems to me that with La brume brune ‘from his Brussels balcony’ Jan Van Imschoot painted an alternative balcony for Édouard Manet. Look, Oh Manet, Manet, Manet! This is my scène de la vie moderne now.

Il me semble qu’en peignant La brume brune « depuis son balcon bruxellois », Jan Van Imschoot a voulu peindre

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JAN VAN IMSCHOOT

un balcon alternatif à celui d’Édouard Manet. Regarde, Manet ! Manet, Manet, Manet, pardi ! Voici ma scène de la vie moderne à moi. Voici mon Paris, ma Bellevue, mon Boulogne, mon Arcachon… Voici mon pays, mon univers, mon territoire artistique, mon espace-temps. Moi aussi, j’habite dans mon art. Tu es aujourd’hui mon poteau d’amarrage. Cette œuvre est pour toi, Manet. Nous voilà réunis pour toujours.

This is my Paris now, my Bellevue, my Boulogne, my Arcachon,… This is my country now, my region, my world, my artistic stamping ground, my spacetime. I, too, live in my art. Today you are my mooring post. This work is for you, Manet. Now we are together forever.

Édouard Manet L’évasion de Rochefort, 1880-1881 Huile sur toile, 143 × 114 cm Rouart/Wildenstein 1975 I.274.369 Kunsthaus Zürich, Association des amis des arts de Zürich, œuvre acquise en 1955, legs du Dr. Adolf Jöhr.

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LA PRÉSENCE SIMULTANÉE DE LA CENTRALE NUCLÉAIRE ET DE L’ÉOLIENNE DANS UNE SEULE ET MÊME IMAGE EST TOUT SAUF INNOCENTE. THE CONCURRENCE OF NUCLEAR POWER PLANT AND WINDMILL IN ONE IMAGE IS ANYTHING BUT INNOCENT.

Le cercueil me contrarie

Flummoxed by the coffin

Au cours de sa carrière de peintre, Édouard Manet peindra une quarantaine de marines18. Ces marines seront, jusqu’aux dernières années de sa vie, les seuls paysages que compte son œuvre. Le peintre Jacques-Émile Blanche les qualifie de « paysages les plus splendides, les plus authentiques et les plus vivants qui aient été peints au XIXe siècle ». Les marines couvrent pour ainsi dire toute la carrière de Manet, du Combat du Kearsarge et de l’Alabama (1864) jusqu’à L’évasion de Rochefort (ca. 1880-1881), à la fin de sa vie. En tant qu’ensemble, elles se caractérisent par leur diversité et leur caractère expérimental. Véritables prouesses en termes de perspective (l’aplat), de palette chromatique (claire, vivante) et de composition (comprenant des points de vue insolites), elles varient entre de grandes toiles enchevêtrées peignant des événements historiques et de rapides études à petite échelle19.

In the course of his life as a painter, Édouard Manet produced some forty seascapes.18 Until a few years before his death, they were his only scapes. The painter Jacques-Émile Blanche describes them as “the finest, most life-like and liveliest painted in the nineteenth century”. The seascapes span pretty much the whole of Manet’s career, from his The Battle of the USS ‘Kearsarge’ and the CSS ‘Alabama’ (1864) to Rochefort’s Escape (ca. 1880-1881) at the end of his life. As a group they are characterised by diversity and experiment. They are challenging in terms of perspective (flat), use of colour (bright, vivid) and composition (with unexpected perspectives) and vary from large and well-thought-out canvasses of historical events to quick, small-scale studies.19 Only once did Manet paint a seascape with a Dutch windmill in the background, following his third and last visit to the Netherlands.20 That work, View of Holland (1872)21 in the Philadelphia Museum of Art collection, could in part have inspired the concept of Van Imschoot’s L’empire se trompe (2021).

Il n’y a qu’une marine où Manet peint à l’arrière-plan un moulin hollandais, dans la foulée de sa troisième et dernière visite des Pays-Bas20. Cette œuvre, Marine en Hollande (1872)21, figurant dans la collection du Philadelphia Museum of Art, pourrait être (dans une certaine mesure) à l’origine de L’empire se trompe (2021), plus précisément d’un point de vue conceptuel.

If with La brume brune we put one leg over the border, with L’empire se trompe (2021) we are most definitely in France, home to the artist since 2013. It is here that Jan Van Imschoot sets his contemporary seascape, with a single-masted vessel as the anchor point, sailing under the French flag and under the name of Das Reich. It has numerous sails, grey (Heda? Velazquez?), orange (Netherlands/Suzanne Leenhoff?), pink (Manet?) and blue (Vermeer? Manet?). The vessel’s mast has become a windmill. Hanging underneath the boat where the keel would be, is a half-sunken box. With the exception of the colourful sails, the sail arms of the windmill and the flag, L’empire se trompe is mostly blue – ink blue: it is night. The landscape and waterscape luxuriating in a multiplicity of grey hues, blacky-brown and blue are a feast for the eye. On the landward side we recognise the two pressurised water reactors of the Saint-Alban nuclear power plant. Evidently, the river on which the sailing boat glides silently along is the Rhône.

Si nous avions déjà un pied du côté français avec La brume brune, avec L’empire se trompe (2021), nous avons carrément les deux pieds en France, la patrie d’adoption de l’artiste depuis 2013. C’est ici que Jan Van Imschoot situe sa marine contemporaine avec, comme point d’ancrage, un bateau à mât unique battant pavillon français. Le voilier, qui vogue sous le nom de Das Reich, possède beaucoup de voiles : des grises (Heda ? Velazquez ?), une orange (Pays-Bas/Suzanne Leenhoff ?), des roses (Manet ?) et une bleue (Vermeer ? Manet ?). Le mât de l’embarcation a été transformé en éolienne. Sous le bateau, à l’endroit de la quille, une caisse en bois, à moitié immergée, pend. Hormis les voiles colorées, les ailes de l’éolienne et le drapeau, L’empire se trompe est foncièrement bleu, bleu marine : il fait nuit. Les zones de terre et d’eau qui représentent le paysage sont un régal

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L’empire se trompe, 2021 Huile sur toile, 150 x 170 cm Oil on canvas, 59 x 66 7/8 in.


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pour les yeux : elles se déclinent en une multitude de gris, de brun noir et de bleus. Côté terre, on reconnaît les deux réacteurs à eau pressurisée de la centrale nucléaire de Saint-Alban. Apparemment, la rivière sur laquelle le voilier glisse en silence est le Rhône.

CE CERCUEIL EST POUR MOI LE MOTIF LE PLUS SURRÉALISTE DE L’EXPOSITION. IN MY OPINION, THE COFFIN IS THE MOST SURREALIST MOTIF IN THE EXHIBITION.

La présence simultanée de la centrale nucléaire et de l’éolienne dans une seule et même image est tout sauf innocente. Il faut dire que le peintre n’est pas un ardent défenseur des éoliennes. Il regrette de voir ces mastodontes s’implanter un peu partout et de manière totalement aléatoire sur le territoire – y compris dans son village, où le propriétaire du camping est déjà parti s’installer dans les Pyrénées. Les éoliennes, fulmine-t-il, fonctionnent à peine la moitié du temps. Après vingt ans, il faut les recycler : cela engendre une montagne de déchets en plus. Et pour couronner le tout, « L’électricité verte met à mal l’équilibre biologique22 ». Or, la barque navigue à contre-courant (sic !), comme l’indiquent les vaguelettes près de la proue. Vu l’esprit déluré de Van Imschoot, l’expression « à contre-courant » s’entend certainement au propre comme au figuré. Le bateau ne repose peut-être pas sur un cercueil, mais plutôt sur une décoration d’intérieur ancienne, posée sur un petit socle en bois et « modernisée » à l’aide d’une éolienne. D’où peut-être le nom du bateau, Das Reich, qui est d’une autre époque. Selon cette lecture, le « fond » devient clair et net : recourir au vent pour générer de l’énergie n’est pas de notre temps.

Édouard Manet, Marine en Hollande, 1 872 Huile sur toile, 50 × 60 cm Philadelphia Museum of Art, USA: œuvre acquise en 1921, fonds W. P. Wilstach, W1921-1-4.

The concurrence of nuclear power plant and windmill in one image is anything but innocent. The painter doesn’t think much of the windmill in the wind turbine sense. He complains that people plop the things down anywhere and everywhere – including in his village, where the owner of the campsite has already fled to the Pyrenees. Windmills, he fulminates, only function half the time. After twenty years they have to be recycled, resulting in a gigantic pile of junk. To make matters worse, “Green energy destroys the biological equilibrium”.22

Mais quid si la boîte était quand même un cercueil ? Est-ce alors l’Empire (le Second Empire) que l’on porte en terre sous nos yeux – l’académisme, le cycle immuable, contrôlé par l’État, école – prix – salon – commande publique23? Se trouve-t-on face à la réponse de Van Imschoot à L’évasion de Rochefort (1880-1881) d’Édouard Manet ? Le « Das Reich » est-il synonyme d’« Empire » – et le « Rhein » (dans le style baroque anarchisant propre au peintre) se jette-t-il dans le « Rhône » ?

It has been pointed out that the boat is sailing upstream, ‘à contre-courant’ – against the current - as we can see from the little waves near the bow. In Van Imschoot’s riotous brain, ‘à contre-courant’ can be interpreted literally and figuratively: ‘current’ as in a body of water and ‘current’ as in electricity. The boat may not be standing on a coffin, but on an oldfashioned piece of ornate furniture with a wooden base, ‘modernised’ with a windmill. Hence perhaps the name of the boat, Das Reich, which is from a different era. Read in

Ce cercueil n’en finit pas de me contrarier. Il me donne du fil à retordre. Hormis les petits orteils ensanglantés des « valseuses » dans L’échange des bêtises (2021), il s’agit pour moi du motif le plus surréaliste de l’exposition.

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Jusqu’à ce que je me rende compte qu’en réalité, Jan Van Imschoot revisite avec raillerie Perspective II. Le balcon de Manet (1950) de René Magritte. Pour cette œuvre de la série Perspective, Magritte s’est inspiré de l’œuvre Le balcon (1868-1869) d’Édouard Manet. Il remplaça les personnages de Manet qui se dressaient debout par des cercueils également dressés debout. Est-ce un Henri Rochefort fugitif (et invisible) qui dans L’empire se trompe pend sous le bateau ; et est-ce que Jan Van Imschoot redouble son déguisement et sa cachette en le peignant comme un cercueil/dans un cercueil ? Est-ce qu’il renvoie ainsi la balle à Manet, en passant par Magritte : son balcon (Magritte)/ton balcon (Manet)/ mon balcon (Jan Van Imschoot). Regarde, Manet ! Manet, Manet, Manet, pardi ! Ceci est mon balcon, mon balcon français. Enfin, mon balcon franco-belge (on se comprend, n’est-ce pas). Voici ma France, aujourd’hui, maintenant.

this way, the ‘content’ is loud and clear: relying on the wind for energy is behind the times. But what if the box is a coffin? Is l’Empire (the Second Empire) being carried to its grave before our very eyes – Academisme, academic art, the state-controlled closed circuit of école – prix – salon – commande publique (state commission)?23 Has Van Imschoot brought us face to face with his answer to Édouard Manet’s Rochefort’s Escape (1880-1881)? Is ‘Das Reich’ synonymous with ‘Empire’ – and does the ‘Rhein’ flow into the ‘Rhône’? I am completely flummoxed by the coffin. I can’t make head nor tail of it. In my opinion, with the exception of the bloody toes of the ‘valseuses’ in L’échange des bêtises (2021), it is the most surrealist motif in the exhibition. Until it dawns on me that actually Jan Van Imschoot is very probably grinning as he holds René Magritte’s Perspective II. The Balcony (1950) between his teeth. Magritte based that work in the Perspective series on Édouard Manet’s The Balcony (1868-1869), replacing the latter’s upright figures with upright coffins. Could it be that in L’empire se trompe a fleeing and invisible Henri Rochefort is hanging under the boat and that Jan Van Imschoot has doubled his disguise and shelter by painting him as a coffin/in a coffin? Does he fling the ball back to Manet via Magritte: he balcony (Magritte)/you balcony (Manet)/me balcony (Jan Van Imschoot). Oh, Manet! Manet, Manet, Manet! This is my balcony now, my French balcony. Well, French-Belgian balcony (you know what I mean). This is my France, today, now.

René Magritte Perspective II. Le balcon de Manet,  1950 Huile sur toile, 84 x 65 cm Museum voor Schone Kunsten, Gand, Belgique

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LE TABLEAU DÉGAGE POURTANT UNE INQUIÉTUDE SOURNOISE. THERE IS NEVERTHELESS A HINT OF DISQUIET IN THE CANVAS.

Le pari pour Paris

Le pari pour Paris

Et voici Paris ! En plein travail, Jan Van Imschoot déclare à propos du Pari pour Paris (2021) :

And this is Paris! While in the process of working on Le pari pour Paris (2021), Jan Van Imschoot offers an explanation:

« Je travaille pour le moment sur Le pari pour Paris. L’œuvre est presque terminée, peut-être même déjà achevée. Je l’ai accrochée, le temps de la laisser sécher et mûrir. Un travail de dingue et tellement amusant. La nature morte comme paysage et l’effervescence parisienne comme sujet de raillerie ; la toile se charge, tout à fait par hasard, d’une connotation involontaire. Dans ma composition, j’avais besoin de quelque chose de rouge. J’avais emprunté le porte-monnaie Yves Saint Laurent d’Ine, et en guise de contraste, un flacon d’aftershave vert, Eau sauvage de Dior. Le parfait pendant en termes de couleur et de forme – et “l’eau sauvage” me paraissait une belle allusion à la Seine où les bateaux-mouches sont pilotés par de vrais cow-boys. C’est alors qu’Ine m’a fait remarquer que la marque Dior appartient à Arnault et YSL, à Pinault. Qu’est-ce que j’en savais, moi, mais voilà donc que le titre se charge d’une connotation ironique. »

“I am now working on ‘Le pari pour Paris’. It is almost finished, perhaps already finished. It is hanging up to dry and to ‘mature’. A crazy, droll work. The still life as a landscape and a gibe at the hustle and bustle of Paris; quite by chance it acquired an unexpected connotation. My composition needed something red. I took Ine’s Yves Saint Laurent purse, and to counterbalance that a little green bottle of aftershave, Eau sauvage by Dior. In terms of colour and form the perfect counterpart – and the ‘wild water’ seemed to me a nice allusion to the Seine on which the bateauxmouches sail round like cowboys. Ine pointed out that Dior is in the hands of Arnault and YSL in the hands of Pinault. How was I to know? But now the title does have an ironic connotation.” What Jan Van Imschoot doesn’t say – or: what he only added to the canvas later, is that he also painted a bottle of Pinot (Pinault?!) with a listing cork, and also a half-full (or half-empty) glass. Also a bunch of Dutch tulips, smoker’s requisites, a bright-orange corkscrew and on the horizon, as a sort of logo, the Sacré-Cœur church in Montmartre and the Eiffel Tower. The Eiffel Tower spreads its blue light in the night-time scene: the title Le pari pour Paris reminds me of the blue bottle of Soir de Paris scent – Evening in Paris – by Bourjois (!). There is nevertheless a hint of disquiet in the canvas – une légère inquiétude –, for written in clearly legible neon yellow letters are the words: ‘zone jaune’. There’s something burning in the ashtray. “Ça brûle quand passent les gilets jaunes”. “Things get heated and burn when the yellow vests pass”.

Ce que Jan Van Imschoot oublie de mentionner ou, pour mieux dire, ce qu’il a peint après coup, c’est cette bouteille de Pinot (Pinault ?!) avec un bouchon qui donne de la bande, flanquée d’un verre à moitié rempli (ou à moitié vide). Plus loin, un bouquet de tulipes hollandaises, un nécessaire à fumer, un tire-bouchon orange vif et, au bord, comme s’il s’agissait de deux logos, l’église du Sacré-Cœur à Montmartre et la tour Eiffel. Dans cette scène nocturne, la tour Eiffel diffuse une lumière bleu pâle. Ce faisant, le titre Le pari pour Paris me rappelle le flacon bleu du parfum Soir de Paris de la marque Bourjois (!). Le tableau dégage pourtant une inquiétude sournoise. Ne lit-on pas clairement en lettres jaune néon : « zone jaune » ? Ça brûle dans le cendrier. « Ça brûle quand passent les gilets jaunes. »

“Ça brûle” - Paris is burning in 2021, just as Notre-Dame de Paris burned in the painting Le déménagement des temps (2019) in the exhibition Le bouillon de onze heures. “Ca brûle” in the city of light as it did during the Paris Commune in 1870. At the time Montmartre was a hotbed and a hecatomb in which Édouard Manet also found a role as a member of a committee of artists in the Commune, chaired by Courbet.

« Ça brûle » à Paris en l’an 2021, comme il brûlait déjà dans la cathédrale Notre-Dame de Paris de la toile Le déménagement des temps (2019) présentée lors de l’exposition Le bouillon de onze heures. « Ça brûle » dans la Ville lumière, comme en 1870, durant la Commune de

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Le pari pour Paris, 2021 Huile sur toile, 130 x 150 cm Oil on canvas, 51 1/8 x 59 in.


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Paris. Montmartre fut alors le théâtre d’un effroyable foyer d’incendie, qui provoqua une hécatombe. À l’époque, Édouard Manet participa également aux événements en tant que membre d’une commission d’artistes, ellemême présidée par Courbet. Le pari pour Paris est une « nature morte en guise de paysage » et en ce sens, l’œuvre s’apparente à La brume brune. Sauf qu’ici, la situation est l’exact opposé de l’autre. Dans La brume brune, la nature morte sur table se trouve au premier plan de l’image et fait office de balcon ; dans Le pari pour Paris, l’attirail est relégué au second plan. Quoique, le porte-monnaie d’Ine se trouve sur la glace – un terrain glissant ? À travers leur incarnation respective en Eau Sauvage et en portemonnaie, Le pari pour Paris est également un portrait double de l’artiste et de sa compagne.

Le pari pour Paris (détail)

Le pari pour Paris is a ‘still life as a landscape’ and in that sense related to La brume brune. Only here the situation is the other way round. In La brume brune the table still life was in the foreground (as a balcony); in Le pari pour Paris the paraphernalia are much more in the background. Though Ine’s purse is on the ice – thin ice? With their respective incarnations as Eau Sauvage and purse, Le pari pour Paris is also a double portrait of the artist couple.

Le pari pour Paris forme aussi, par ailleurs, une scène de genre et une vanité (fumée/argent/fleur/parfum/ mouche). C’est tout cela en même temps. À travers ses mouches qui glissent sur la glace (Brueghel, Chasseurs dans la neige24) et ses tulipes hollandaises, c’est l’œuvre de la Flandre et des Pays-Bas qui s’exprime. Et à travers les articles de luxe des empires de Pinault et d’Arnault et à travers l’allusion au Grand Palais des Glaces, cette patinoire géante, la toile nous parle de la France. Accrochez-la sans tarder au mur ; elle offre tant à voir ; elle vaut à elle seule une bibliothèque entière.

Le pari pour Paris is also a scène de genre and a vanitas painting (smoke/money/flower/scent/fly). It is all that at once. In his skating flies on the ice (Brueghel, Hunters in the Snow24) and in his Dutch tulips, the work references Flanders and the Netherlands. In the luxury articles of the Pinault and Arnault empires and in the allusion to Le Grand Palais des Glaces, the largest ice-rink in the world, the canvas speaks of France. Quick, hang it on the wall, there is so much to see, it replaces a whole library.

Le déménagement des temps (détail), 2019 Huile sur toile, 130 x 150 cm Oil on canvas, 51 1/8 x 59 in. Collection privée

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ÉROS PLANE SUR LA TOILE. LA POMME EST LE FRUIT DU PARADIS… EROS RACES THROUGH THE PAINTING. THE APPLE IS THE FRUIT OF THE GARDEN OF EDEN…

« Maître d’hôtel, avez-vous de la Doyenné des Comices ? Charlie, vous devriez lire la page ravissante qu’a écrite sur cette poire la duchesse Émilie de Clermont-Tonnerre. – Non, Monsieur, je n’en ai pas. »

“Waiter, have you any Doyenné des Comices? Charlie, you must read the exquisite passage about that pear by the duchesse Émilie de Clermont-Tonnerre. – No, Monsieur, there aren’t any.”

Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe

Marcel Proust, Sodom and Gomorrah

En matière de représentation de fruits (adultères), Jan Van Imschoot n’en est décidément pas à son coup d’essai. L’attrait du fruit adultère (2021) présente une collection de petites pommes rougissantes et de poires juteuses aux tiges en tire-bouchon, réunies dans une corbeille. Les tiges ressemblent à des queues de cochon ; les poires les plus effrontées ont les fesses tournées vers nous. Les fruits proviennent du jardin de l’artiste. Et la corbeille à fruits aussi pourrait bien sortir tout droit de la cuisine de Noncourt-sur-le-Rongeant.

This is not Jan Van Imschoot’s first painting of (adulterous) fruit. L’attrait du fruit adultère (2021) is a collection of rosy apples and juicy pears with aroused stalks in a bowl. The stalks look like pigtails; the most brazen pears turn their backsides towards us. The fruits come from the artist’s garden, and, who knows, perhaps the fruit dish is from the Noncourt-sur-le-Rongeant kitchen. Eros races through the painting. The apple is the fruit of the Garden of Eden, the fruit with which Eve seduced Adam and proved to be the source of all our woes. Sweet and sinful, the pear symbolises the desire for sexual contact and adultery. Virtue is not a pear to be eaten in one bite. Als de peer rijp is, valt zij ook/When the pear is ripe, it falls, i.e. girls marry when the time is right. De geelste peren worden het eerst geplukt/the craziest girls land themselves in trouble first. But een rijpe peer valt dikwijls in drek/marry in haste and repent at leisure and de rijpe peren eten de slekken/i.e. a woman who is too keen to find a husband is often deceived.

Éros plane sur la toile. La pomme est le fruit du paradis avec lequel Ève séduit Adam – et par lequel tous les ennuis commencent. Sucrée et sensuelle, la poire symbolise le désir sexuel et l’adultère. Quand la poire est mûre, il faut qu’elle tombe. Et voilà qu’elle tombe littéralement dans les pommes ! À propos d’animaux baveux, à côté de la corbeille de fruits se trouve, dans une représentation à la fois énergique et réaliste, une anguille toute visqueuse, vigoureuse et crue. Un sujet, par ailleurs, qu’Édouard Manet a traité à plusieurs reprises, notamment dans Anguille et rouget (1864) et dans Poissons (1864)25. L’anguille est un symbole sexuel suggestif, qui représente la masculinité. Dans L’attrait du fruit adultère, elle se tortille dans tous les sens. Mais sera-t-elle une « bonne poire » pour les fruits de la corbeille ? Car poire bouillie sauve la vie. Pour l’heure, l’anguille est au sec. Parviendra-t-elle à monter dans la corbeille ? Ou fera-t-elle faux bond ?

Talking of Mycetozoa, next to the fruit dish is a convincingly painted, slippery eel, sturdy, raw and life-like. It is also a subject that Édouard Manet treated several times, e.g. in Eel and Red Mullet (1864) and Fish (1864).25 The eel is a suggestive sexual symbol and stands for manliness. In L’attrait du fruit adultère he writhes and wriggles. But is the eel a good pairing for the fruit in the dish? He’s an eel out of water. Will he manage to climb over the edge of the dish? Of blijft hij met de gebakken peren zitten? Or will he stay with the baked pears, i.e. Will he be left to face the music? Je vindt geen appel onder een perenboom/You won’t find an apple under a pear tree, i.e. looking for the impossible is pointless.

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L’attrait du fruit adultère, 2021

Huile sur toile, 130 x 160 cm Oil on canvas, 51 1/8 x 63 in.


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Dikke paling26 J’ai une grosse anguille au bout de ma ligne Elle nageait aux alentours sans se douter de rien Quelle chance de l’avoir trouvée Je tire un bon coup sur la ligne Pas trop fort, car ça fait mal bientôt, j’aurai une grosse anguille dans mon assiette (refrain)

LA VANITÉ L’ATTRAIT DU FRUIT ADULTÈRE EST UNE ALLÉGORIE D’ÉROS ET DE THANATOS. THE VANITAS PAINTING L’ATTRAIT DU FRUIT ADULTÈRE IS AN ALLEGORY OF EROS AND THANATOS.

Comment vais-je la tuer Je la voudrais ce soir sur ma tartine La voulez-vous bien cuite Ou la préférez-vous fumée au charbon ? L’envie me reprend […] Viens ici, ça ne fait pas mal Mords allègrement dans ma ligne Elle me regarde d’un air dépité Je sens ma fin proche Je nageais bien à l’aise aux alentours Ici, le cul tout nu Viens vite, vite, vite Remets-moi à l’eau Tu me reprendras à coup sûr Viens, remettons le couvert

Jan Van Imschoot La complaisance d’une poire, 2020 Huile sur toile, 75 × 65 cm Oil on canvas, 29 1/2 × 25 5/8 in. Collection privée

Catch the Eels26 Yelling to all my friends gather around the field Inside the muddy field hiding many eels Wait for you everyday just to catch the eels Since the rain has stopped now let’s go to catch the eels.

Il y a toujours anguille sous roche. L’anguille étant un saprophage, elle se faufile dans les cadavres. « Quand on se noie, on se fait dévorer par une anguille », assure Jan Van Imschoot. La vanité L’attrait du fruit adultère est une allégorie d’Éros et de Thanatos.

Oh, boy please stand still don’t fall into muddy field Since the rain has stopped now let’s go to catch the eels.

Dans L’attrait du fruit adultère, l’anguille exécute-t-elle une danse d’accouplement au rythme d’une nature morte hollandaise ?

Je kunt nooit weten waar een aal kruipt/You never know where an eel might crawl, i.e. Life is unpredictable. Eels are scavengers – they enter corpses. According to Jan Van Imschoot, “If you drown, you are eaten by an eel.” The vanitas painting L’attrait du fruit adultère is an allegory of Eros and Thanatos. Is the eel in L’attrait du fruit adultère dancing a partner dance to the beats of the Dutch still life?

« Un peintre peut tout dire avec des fruits ou des fleurs, ou des nuages seulement. » (E. Manet)

“A painter can say all he wants to with fruits or flowers, or even clouds.” (E. Manet)

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L’attrait du fruit adultère (détail)



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La luxure vers la peau des poires voluptueuses

La luxure vers la peau des poires voluptueuses

Une image vaut parfois mille mots. À la galerie des Offices de Florence, je tombe sur la peinture Allegoria di Ercole (ca. 1536-1540)27 du peintre maniériste issu de l’école de Ferrare, Giovanni Luteri, mieux connu sous le nom de Dosso Dossi. Le tableau allégorique est une parodie du mythe d’Hercule (qui faisait partie intégrante de la symbolique du pouvoir au sein des cours de la Renaissance) ; il illustre à merveille les dangers des plaisirs érotiques et des tentations d’ici-bas. Une dama nobile au buste dénudé tient une corbeille remplie de fruits attrayants contre son sein. Certes, il ne s’agit pas de poires, mais il n’est pas d’image plus éloquente que celle-ci. Car « les plus belles poitrines sont formées de seins en poire ».

A picture is worth a thousand words. In the Uffizi in Florence, I stumble upon the painting Allegoria di Ercole (ca. 1536-1540)27 by the mannerist from the Ferrarese school Giovanni Luteri, better known as Dosso Dossi. The allegorical scene is a parody of the myth of the hero Hercules (who was an integral part of the symbolism of the power at renaissance courts), and it depicts beautifully the dangers of erotic pleasures and earthly temptations. A dama nobile holds a dish filled with alluring fruit against her bare breasts. They may not be pears, but an image can hardly be more expressive. “Les plus belles poitrines sont les seins en poire.” The most beautiful breasts are pear-shaped.

La luxure vers la peau des poires voluptueuses, 2020 Huile sur toile, 130 x 150 cm Oil on canvas, 51 1/8 x 59 in.

Giovanni di Niccolò Luteri dit Dosso Dossi Battista di Niccolò Luteri dit Battista Dossi Allegoria di Ercole, c a. 1536-1540 Huile sur toile, 143 x 144 cm Galerie des Offices, Florence, Inv. Palatina (1912) no 48

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JAN VAN IMSCHOOT

UN AUTOPORTRAIT INTRIGANT, D’UNE SPIRITUALITÉ INSENSÉE. AN INTRIGUING SELF-PORTRAIT, EXCEEDINGLY WITTY.

« Là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté. »

“There, all is order and loveliness, luxury, calm and voluptuousness.”

Charles Baudelaire, L’invitation au Voyage

Charles Baudelaire, The Invitation to the Voyage

Avec sa toile Les fameux paresseux heureux (2021), Jan Van Imschoot nous propose un autoportrait intrigant, d’une spiritualité insensée et d’une justesse extraordinaire, aux dimensions, de surcroît, impressionnantes (170 x 190 cm). Chaque pore de l’œuvre respire une imagination enflammée et une subjectivité inégalable. La toile a l’air tellement contemporaine qu’un spectateur insouciant (ou inattentif, ou casanier) risque fort probablement de passer complètement à côté de la source de celle-ci, à savoir le dernier portrait de Manet Eugène Pertuiset, chasseur de lions (1881), qui figure dans la collection du Museu de Arte de São Paulo Assis Chateaubriand.

With his painting Les fameux paresseux heureux (2021) Jan Van Imschoot produces an intriguing self-portrait, exceedingly witty, executed with exceptional accuracy and formidable in format (170 x 190 cm). Every pore of the work is suffused with a fiery imagination and unparalleled subjectivity. The painting looks so contemporary that an unsuspecting (or inattentive, or untravelled) viewer could easily miss the source: Manet’s late portrait Eugène Pertuiset, chasseur de lions (1881), preserved in the Museo de São Paulo Assis Chateaubriand collection. It was in the autumn of 1880, and in the autumn of his life that Manet began work on this portrait of Pertuiset, an old friend, a celebrated lion hunter and explorer, author of a book of memoires, Les aventures d’un chasseur de lions (1878), but also an amateur painter and avid collector of Manet’s work, especially his still lifes.28

À l’automne 1880, au crépuscule de sa vie, Manet entame ce portrait de Pertuiset, un ami de longue date, célèbre chasseur de lions et explorateur, auteur d’un livre de souvenirs Les aventures d’un chasseur de lions (1878), mais également peintre amateur et grand collectionneur de Manet, en particulier de ses natures mortes28.

Manet based the execution of his model on photographic material29 and painted the Parisian celebrity in an unusually large format (150,5 x 171,5 cm)30, dressed up to the nines, carbine at the ready, kneeling next to the lion he had shot moments before. We guess from his posture that he has spotted a new prey, at which he is pointing his weapon, thirsty for action. When it was unveiled, Pertuiset’s portrait served as a portrait de prestige.31 Manet’s contemporaries were nevertheless nonplussed by the work. Numerous elements seem to violate and pervert the tradition of the official portrait. And, isn’t Pertuiset pointing the barrel of his gun at them?

Pour réaliser son modèle, Manet se base sur du matériel photographique29 et peint la célébrité parisienne sur un format hors norme (150,5 x 171,5 cm)30, en grande pompe, agenouillé et le fusil chargé, aux côtés du lion qu’il vient d’abattre. Sa posture indique qu’il a une nouvelle proie en ligne de mire, sur laquelle il dirige son arme avec une grande détermination. À son inauguration, le portrait de Pertuiset fait office de portrait de prestige31. L’œuvre déstabilise néanmoins les contemporains de Manet. De nombreux éléments semblent perturber et pervertir la tradition du portrait officiel. N’est-ce pas, en définitive, vers eux que Pertuiset dirige le canon de son arme ?

And even if Pertuiset is dressed to kill, his Bavarian jacket and Tyrolian hat are a suspiciously improbable costume for an Algerian lion hunt. The lion trophy is very clearly a stuffed specimen and has, nota bene, a hole in its head. The hunting landscape doesn’t call to mind the Savannah, but is a cross between Pertuiset’s garden in Montmartre and the painted backdrops used for portraits by photographers at that time.32

Et même si Pertuiset a toute la panoplie du tueur, sa veste bavaroise et son chapeau tyrolien forment un costume tout sauf vraisemblable pour une chasse au lion algérienne. Le trophée est manifestement un lion empaillé et il a, tenezvous bien, un trou dans la tête. Le paysage de chasse ne rappelle en rien la savane, mais se situe à mi-chemin entre

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Les fameux paresseux heureux, 2021 Huile sur toile, 170 x 190 cm Oil on canvas, 66 7/8 x 74 3/4 in.


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UNE FOIS DE PLUS, RIEN N’EST EN RÉALITÉ CE QUI PARAÎT ÊTRE. AGAIN, AS ALWAYS, NOTHING IS WHAT IT SEEMS.

Because of the sensed ambiguity, Eugène Pertuiset, The Lion Hunter immediately resulted in mud-slinging at the Salon in 1881. In Parisian art circles, the work was considered illegible, inferior, grotesque. In L’Art moderne, J.-K. Huysmans wrote that he really didn’t know what to do with it: “As for his kneeling Pertuiset, no doubt pointing his gun in the gallery where he has spotted some big game (‘fauves’), while the sallow mannequin of a lion is stretched out behind him under the trees, I really don’t know what to say about it. The pose of this hunter with sideburns who looks as if he is killing rabbits in Cucufa wood, is childish and, in terms of execution, the painting is no better than those of the sad daubers surrounding it”.33 This work nevertheless eventually won Manet the highlyprized medal at the 1881 Salon.34

André-Adolphe-Eugène Disdéri Portrait de M. Pertuiset, 1856-1865 Tirage sur papier albuminé

In his painting Les fameux paresseux heureux Jan Van Imschoot takes the place of Eugène Pertuiset, portraying himself as a lion hunter – and what a lion hunter! Spiffingly dressed for his portrait de prestige (opportunity makes the thief), he retains only the dark-green jacket with buttons from Pertuiset’s outfit, now trimmed with bright-pink fake fur. His trousers are orange, his shoes blue, the shirt collar white with a red tie. The painter wears the famous fedora hat from the Godfather, with a little feather in the colours of the French and Belgian flags. Still lying outstretched behind him is the lion – or to be more precise: the historical lion pelt which already had a fifteen-year public career behind it when painted by Édouard Manet, with its presentation at the 1878 Exposition Universelle35 as its crowning glory.

le jardin de Pertuiset à Montmartre et les toiles de fond peintes utilisées par les photographes contemporains pour leurs portraits32. En raison de cette ambiguïté ressentie, Eugène Pertuiset, chasseur de lions sera l’objet, dès sa présentation au Salon de 1881, d’une campagne de dénigrement. Dans les milieux artistiques parisiens, on trouve l’œuvre indéchiffrable, médiocre, voire grotesque. J.-K. Huysmans écrit dans L’art moderne qu’il ne sait vraiment pas quoi en penser : « Quant à son Pertuiset à genou, braquant son fusil dans la salle où il aperçoit sans doute des fauves, tandis que le jaunâtre mannequin d’un lion est étendu derrière lui, sous les arbres, je ne sais vraiment pas quoi en dire. La pose de ce chasseur à favoris qui semble tuer du lapin, dans les bois de Cucufa, est enfantine et, comme exécution, cette toile n’est pas supérieure à celles des tristes rapins qui l’environnent33. » Pourtant, c’est avec cette œuvre que Manet décrochera enfin la médaille tant convoitée au Salon de 188134.

Jan Van Imschoot didn’t alter the structure of Manet’s painting, though he did add a horizontal trunk with a cat lying on it to the vertical trunk which cuts straight through Manet’s painting and constitutes the gateway to the work. Anyway, with Van Imschoot both elements have become asparagus, as have all the nineteenthcentury bushes. He painted out Manet’s impressionistic landscape – his backgrounds are a uniform black. Where Manet created spots of light, Jan Van Imschoot paints floating balls – who knows, perhaps a salutation to the electric light fittings in Paris’ nineteenth-century music halls and cafés chantants. The painter is holding an obscure weapon, a pink baton, which he is

Dans sa toile Les fameux paresseux heureux, Jan Van Imschoot prend lui-même la place d’Eugène Pertuiset et se représente en chasseur de lions – et pas des moindres ! Tiré à quatre épingles pour son portrait de prestige – l’occasion fait le larron –, il ne conserve de la tenue du premier que la veste à boutons vert foncé, qu’il rehausse d’une fausse fourrure rose bonbon. Son pantalon est orange, sa chaussure, bleue et le col de sa chemise, blanc,

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est ceint d’une cravate rouge. Le peintre porte le fameux chapeau Godfather, décoré d’une plume aux couleurs des drapeaux français et belge. Derrière lui se trouve toujours le lion, ou plus exactement, la peau de lion historique qui, à l’époque où Édouard Manet peignit son portrait, comptait déjà une carrière publique de quinze ans, dont l’apothéose fut une présentation à l’Exposition universelle de 187835. Jan Van Imschoot ne modifie pas la structure de la toile de Manet, même s’il ajoute au tronc d’arbre vertical, qui traverse librement la toile chez Manet et qui en constitue le point d’entrée, un deuxième tronc d’arbre horizontal sur lequel repose un chat. Ces deux éléments sont d’ailleurs devenus des asperges chez Jan Van Imschoot. Tout comme tous les arbrisseaux style XIXe siècle, disposés à d’autres endroits. Sous son coup de pinceau, il fait disparaître le paysage impressionniste peint par Manet – ses arrière-plans sont devenus uniformément noirs. Là où Manet créait encore des taches de lumière, Jan Van Imschoot peint des globes flottants – serait-ce en hommage aux lustres électriques des music-halls et des cafés chantants parisiens du XIXe siècle ? Dans sa main, le peintre tient une arme indéfinissable, un bâton rose, qu’il pointe vers le chat. Sur la toile, on peut lire Quoi, un syndrome des asperges/Was Ein Spargel Syndroom ?

Édouard Manet Eugène Pertuiset, chasseur de lions, 1881 Huile sur toile, 150,5 x 171,5 cm Musée d’art de São Paulo. Inv. : MASP.00079

Une fois de plus, rien n’est en réalité ce qui paraît être. Soyons honnêtes et servons-nous de notre intelligence grammaticale, ou bien oublions-la carrément, nous faisons face à un mec qui pointe une asperge (un godemichet/une carotte ?) dans la direction d’une chatte. La fauvette babillarde36 de Noncourt-sur-leRongeant est manifestement en quête de plaisirs sexuels. Son arme n’est pas en reste, comparée à la carabine double à balles explosibles et chargement par la culasse, conçue spécialement par le célèbre armurier Louis-François Devisme à l’intention de Pertuiset37. Son tableau de chasse n’est-il pas plus impressionnant que celui du célèbre explorateur ? N’a-t-il pas buté, non pas un, mais deux « fauves » ?

pointing at a Molly. On the canvas are the words: Quoi, un syndrome des asperges/Was Ein Spargel Syndroom? Again, as always, nothing is what it seems. If we are honest and use – or lose – our understanding of grammar, we are looking at a guy who is aiming an asparagus (a dildo/a carrot/une carotte?) at a Molly, a female cat. Noncourt-sur-le-Rongeant’s lesser whitethroat36 is quite blatantly a sexual predator. His weapon must be a match for the breech-loading double-barrelled shotgun firing exploding bullets designed specially for Pertuiset by the famous gunmaker LouisFrançois Devisme.37 Hasn’t Jan Van Imschoot scored even better than the famous explorer? Hasn’t he killed not just one but two big game/fauves?

Et comment interpréter ce lion ? Jan Van Imschoot est gantois, tant flamand que belge. Les deux entités politiques possèdent des drapeaux à lion. Van Imschoot raille-t-il ainsi le nationalisme flamand ; la Belgique fédérale

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est-elle, dans son imaginaire, une île à la dérive ; vise-t-il la (dé)colonisation ? En tout cas, son lion à lui fait la carpette.

What about that lion? Jan Van Imschoot is from Ghent, both a Fleming and a Belgian. Both political entities have lion flags. Is Van Imschoot poking fun at Flemish nationalism? Is federal Belgium a floating island in his imagination? Is he having a go at (de)colonization? His lion is of course a carpet.

Et que penser du « syndrome des asperges » ? Notre peintre souffre-t-il d’un syndrome et d’un ensemble de symptômes cliniques qui se manifestent toujours simultanément ? A-t-il le mal du pays flamand, das Land wo die Spärgel blühen38 ? Veut-il pousser à son paroxysme sa passion (et celle de Manet) pour les natures mortes de la façon la plus grotesque qui soit ? Dans le mot-clé « syndrome des asperges » transparaît aussi le syndrome d’Asperger, un trouble du spectre de l’autisme. (Vers 1880, Eugène Pertuiset a souffert de goutte, ce pour quoi il ne pouvait poser que très brièvement dans l’atelier.) Mais est-ce que quelque chose ou quelqu’un souffre d’autisme ici ? Une entité politique, peut-être ? Pourquoi, sinon, avoir écrit le texte sur la toile en français et en allemand ? La Belgique, avec sa structure complexe, composée des communautés flamande, française et germanophone, présente-t-elle des signes d’autisme ? L’axe Paris-Berlin est-il menacé (qui, où, quand, pourquoi, comment), tout comme Manet, à l’époque, en a été témoin à travers le conflit franco-prussien ?

What about the ‘asperge-syndroom’? Is our painter suffering from a set of symptoms that consistently occur together? Is he homesick for Flanders, das Land wo die Spärgel blühen? – the land where asparagus flourish. Does he want to drive home his (and Manet’s) passion for the still life in the most grotesque way possible? The ‘asperge-syndroom’ entry also refers to Asperger Syndrome, part of an umbrella diagnosis of autism spectrum disorder. (Around 1889 Eugène Pertuiset suffered from gout and so could only pose in the studio for short periods of time.) Is something or someone here suffering from autism? A political entity perhaps? Why otherwise the text in French and German on the canvas? Does Belgium, with its complex structure of Flemish, French and German-language communities display autism? Is the Paris-Berlin axis threatened (who, where, when, how), as Manet experienced for himself during the Franco-Prussian conflict?

La solution la plus réjouissante à toutes ces énigmes réside sans doute dans le titre de l’œuvre : Les fameux paresseux heureux. Conjugué au pluriel, l’autoportrait devient portrait de groupe : Van Imschoot peint aussi sa « ménagerie » privée ou son ménage (car Ine prépare des asperges et Ine est le chat), sa vie heureuse à la campagne (avec sa femme et une bande de chats bien en chair, mais qui s’en prennent aux oiseaux sauvages) et tout son attirail d’artiste (avec l’alter ego du peintre : dompteur – chasseur – roi des lions en même temps). Dans son Siècle d’or parallèle, l’asperge est le symbole de la prospérité et de l’abondance ; c’est un fruit du paradis au même titre que la fraise ou l’artichaut.

The most heartening upshot of these mysteries is probably the title of the painting, Les fameux paresseux heureux – The famous happy idlers. In plural form the self-portrait becomes a group portrait, for Van Imschoot is also painting his household activities (because Ine prepares asparagus and Ine is the cat), his happy country life (with wife and an assortment of well-fed cats but sadly cats which massacre wild birds) and his artist’s paraphernalia (with the lion as the painter’s alter ego: lions-tamer-hunter-king all at once). In his parallel Golden Age the asparagus stands for prosperity and excess; it is a fruit of paradise like the strawberry and the artichoke.

Avec Les fameux paresseux heureux, c’est comme si les Folies Bergère débarquaient en Haute-Marne : d’une absurdité festive, l’œuvre est libertine, musicale, transgressive, surréelle… bref, une scène digne d’un peintre belge. D’ailleurs, il y a quelques années de cela (en 2014), le Moniteur belge ne publiait-il pas par erreur une recette d’asperges39 dans la version en ligne ?

With Les fameux paresseux heureux, a Folies Bergère is born in the Haute-Marne: convivially absurd, dissipated, musical, transgressive, surreal… in short, a scene worthy of a Belgian painter. Didn’t the Belgian Official Gazette mistakenly publish a recipe for asparagus in 2014?38 Les fameux paresseux heureux (détail)

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FIGURATIF ET ABSTRAIT, SILENCIEUX ET CRIARD, NOIR ET BLANC… FIGURATIVE AND ABSTRACT, SILENT AND LOUD, BLACK AND WHITE…

« Plus que deux asperges et Daniel pourra ouvrir un bistrot »40

“Just two more asparagus and Daniel can open a bistro”39

Dans son exposition La présentation des absents, Jan Van Imschoot récolte plusieurs fois des asperges. Avec la précision d’un fermier de Latem, il remue son couteau dans la butte d’asperges de l’histoire de l’art. De ce monticule sableux, il extrait – à l’insu du spectateur pressé – un peu de tout, mais en particulier la Nature morte aux asperges de 1697, du Zélandais Adriaen Coorte et les scènes Une botte d’asperges et L’asperge, toutes deux de 1880, d’Édouard Manet. Comme nul autre, l’artiste rusé sait qu’une butte d’asperges trouée n’aime pas l’exposition à la lumière : dans ce cas, elle refroidit et se dessèche – et la récolte est beaucoup moins abondante. De plus, les plants d’asperges virent rapidement au bleu, et quand les asperges sont bleues, personne n’en veut. Jan Van Imschoot prend une bâche et protège avec précaution sa butte d’asperges.

In his exhibition The presentation of the absent, Jan Van Imschoot harvests asparagus several times. With the accuracy of a Latem peasant, he pokes his stabbing knife around in the asparagus dam of the history of art. Out of the sandy dam, he brings up all sorts of gems, barely perceptible to the hurried viewer, not least the Still Life with Asparagus painted in 1697 by the Zeeland artist Adriaen Coorte and Édouard Manet’s A Bundle of Asparagus and Asparagus, both from 1880. The shrewd painter knows better than anyone that there is nothing to be gained from an open asparagus dam that is exposed to light for too long, for the plants cool off and dry out and the harvest is depleted. Moreover, asparagus plants quickly turn blue, and we don’t want blue asparagus. Jan Van Imschoot takes a plastic sheet and carefully covers over his asparagus. Jan Van Imschoot confronts us with a contemporary asparagus still life in Les Flamandes crues (2021). What he gives us is a dish containing a large quantity of raw asparagus stalks accompanied by sprigs of parsley and a raw egg. Lying in an art-deco hors d’oeuvres dish, a ravier, and bathed in an eroticising pink light, the stalks patiently await preparation. Next to the vegetables and against a monochrome black background is a table knife, untouched, the handle facing inwards. The painting reads like a recipe for asparagus prepared ‘Flemish-style’ – with curly leaf parsley, melted butter and œufs mimosa – devilled eggs.40 Perhaps the blue object in the distance is the lid of the butter dish. At any rate, the painter is as pleased as Punch with his new paint: “Flemish blue, quite exceptional, superb”. Les Flamandes crues is a wonderfully successful and perfectly executed tableau; figurative and abstract, silent and loud, black and white and pink and blue and green and gold and silver, all at the same time.

Avec Les Flamandes crues (2021), nous sommes en présence d’une nature morte aux asperges contemporaine. Nous observons un plat rempli d’une grande quantité de tiges d’asperge crues qui, entourées de petits bouquets de persil et d’un œuf cru, semblent attendre patiemment leur préparation. Les tiges reposent dans un ravier style art déco et baignent dans une lumière rose qui érotise la scène. À côté des légumes et à l’avant d’un arrière-plan noir monochrome se trouve un couteau de table, intact, le manche tourné vers l’intérieur. La toile se lit comme une recette d’asperges « à la flamande » – avec du persil frisé, du beurre fondu et des œufs mimosas41. L’objet bleu au loin pourrait être un couvercle de beurrier. Le peintre est, en tout cas, ravi de sa nouvelle couleur : « Bleu flamand, vraiment excellent, remarquable. » Les Flamandes crues est un tableau exécuté à la perfection et maîtrisé à la perfection ; figuratif et abstrait, silencieux et criard, noir et blanc, rose et bleu, et vert et doré et argenté à la fois.

“Asparagus has everything”41 according to the Michelinstar chef Geert Van Hecke and Jan Van Imschoot endorses that. He paints a second asparagus still life, L’échappée d’une Flamande (2021), remarkably enough in an identical

« Les asperges ont tout pour plaire »42, selon le chef étoilé Geert Van Hecke, ce que confirme Jan Van

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Les Flamandes crues , 2021

Huile sur toile, 150 x 170 cm Oil on canvas, 59 x 66 7/8 in.


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VAN IMSCHOOT A CHOISI DE S’INSCRIRE DANS LA LIGNÉE DES NATURES MORTES AUX ASPERGES, EN PRENANT DES GANTS. VAN IMSCHOOT WRITES HIS NAME ON HIS STOCKINGED FEET IN THE TRADITION OF THE ASPARAGUS STILL LIFE.

Imschoot. Il peint une deuxième nature morte aux asperges, L’échappée d’une Flamande (2021), au format étonnamment identique (150 x 170 cm). La toile forme incontestablement le pendant des Flamandes crues. Les tiges flamandes sont à présent cuites (à la vapeur) et nagent, avec dans leur sillage trois œufs durs pelés, dans une sauce au beurre abondante. Il n’y a pas plus de contexte ; les arrière-plans sont à nouveau uniformément noirs. S’agit-il d’une classique nature morte contemporaine ? N’y aurait-il pas, devant les images figées, un écran de fumée, une brume brune ? Et qui, alors, jette de la poudre aux yeux de qui, en l’occurrence ?

format (150 x 170 cm). The canvas is indisputably the pendant of Les Flamandes crues. The Flemish stalks have now been steamed and, with three hard-boiled and peeled eggs in their wake, swim in a copious butter sauce. There is no additional context; again the backgrounds are uniform black. Are we standing in front of a classic contemporary still life? Is there a smokescreen in front of the stilled images, a brume brune? Who is throwing sand in whose eyes here? Well, take a good look: though faint, the asparagus in both Les Flamandes crues and in L’échappée d’une Flamande have laughing faces. Amor is roaming around the asparagus field. Aphrodisiac qualities have been attributed to the “white gold” for hundreds of years. The asparagus is a phallus symbol. The skin-coloured asparagus dish is actually a bain d’amour. A big party is under way: in L’échappée, (parsley) confetti rains down like bath foam. In the two scenic canvasses, the sexual act is depicted, the petite mort – the post-orgasm sensation - of the Flemish local product. In Les Flamandes crues the male asparagus member rises up. It reappears in resting mode in L’échappée d’une Flamande, surrounded by a whole host of drowsy, liberated and satisfied love partners.

Car regardez de plus près : tant dans Les Flamandes crues que dans L’échappée d’une Flamande, les asperges présentent des petits visages souriants, aux traits certes très légers. Amor erre sur le champ d’asperges. Depuis des siècles, on attribue à l’or blanc des vertus aphrodisiaques. L’asperge est un symbole phallique. Le plat d’asperges couleur chair est, en réalité, un bain d’amour. La fête bat son plein : dans L’échappée, il pleut même des confettis (de persil) tels des flocons de bain moussant. Dans les deux toiles théâtrales, c’est l’acte sexuel qui est mis en scène, la petite mort du produit du terroir flamand. Dans Les Flamandes crues, l’asperge-membre viril se dresse telle une anguille. Elle réapparaît, au repos, dans L’échappée d’une Flamande, entourée d’une multitude de partenaires satisfaits, assouvis et assoupis.

But there is more. For the motif of the rising asparagus in Les Flamandes crues, Jan Van Imschoot turned to Édouard Manet’s Asparagus (1880)42, the tiny painting of a solitary stalk which Manet capriciously, spontaneously and with an innate elegance sent to Charles Ephrussi43 in 1880 after the latter had paid him 200 francs too much for the still life with asparagus, A Bundle of Asparagus.44 He put with it a now famous note: “Il en manquait une à votre botte” There was one missing from your bundle. Van Imschoot takes the solitary asparagus of Manet’s second dispatch and sets it down on top of the existing pile of asparagus in his Les Flamandes crues. Moreover, his composition reflects both the subject matter and the black backgrounds of Ephrussi’s earlier purchase A Bundle of Asparagus and of Still Life with Asparagus45 painted by Adriaen Coorte in 1697, the direct source of Manet’s painting. But that is not the end of the matter. For the phallus-atrest from his not-so-still life L’échappée d’une Flamande, a grinning Jan Van Imschoot steals the dangling asparagus from Coorte’s above-mentioned work, albeit in mirror image.

Et ce n’est pas tout. Pour peindre le motif de l’asperge qui se dresse dans Les Flamandes crues, Jan Van Imschoot s’inspire de L’asperge (1880)43 d’Édouard Manet, la minuscule toile à la tige solitaire qu’un Manet, lunatique et spontané et fort de son élégance innée, envoya après coup à Charles Ephrussi44 qui, en 1880, lui avait payé 200 francs de trop pour la nature morte aux asperges intitulée Une botte d’asperges45. Il y joignit une notice devenue entretemps célèbre : « Il en manquait une à votre botte. » Van Imschoot reprend littéralement l’asperge que Manet fait suivre et la couche dans sa toile Les Flamandes crues sur les asperges rassemblées. De plus, sa composition reflète aussi bien les contenus thématiques que les arrièreplans noirs de l’acquisition antérieure d’Ephrussi, intitulée Une botte d’asperges, ainsi que de la Nature morte aux asperges46 de 1697, d’Adriaen Coorte, la source directe de la toile de Manet.

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Adriaen Coorte, Nature morte aux asperges, 1 697 Huile sur papier, 25 x 20,5 cm Rijksmuseum Amsterdam

Mais l’affaire n’est pas close pour autant. Pour figurer le phallus au repos dans L’échappée d’une Flamande, sa nature – pas vraiment – morte, Jan Van Imschoot calque, non sans une pointe d’ironie, l’asperge pendouillante de l’œuvre précitée de Coorte, mais en miroir.

Is that it then? Are you kidding! The madness is back with a vengeance. Truly, for Jan Van Imschoot is intent on playing Manet’s joke with Ephrussi a second time, in style, on this occasion not with an image but via the language, à la vingt-et-une-ième ganto-marnoise. Once again he takes Manet’s solitary ‘escaped’ asparagus stalk, which he had already referenced in Les Flamandes crues, across the nineteenth and twentieth centuries and presents it in the title of L’échappée d’une Flamande, A Fleming’s Escape. It is a wicked linguistic game which underlines the polyglottal visual grammar of our man from Ghent. So at last Van Imschoot writes his name on his stockinged feet – but then in large flourishes – in the tradition of the asparagus still life.

On y est maintenant ? Dans mes rêves ! Car chassez la folie, elle revient au galop. À la vérité, Jan Van Imschoot ne vise qu’à réitérer la plaisanterie de Manet envers Ephrussi, avec classe, et cette fois-ci non pas à travers une image, mais à travers le langage, à la façon vingt et unième siècle ganto-marnoise. Le turion d’asperge « échappé » en solitaire de Manet, qu’il citait déjà dans Les Flamandes crues, traverse les XIXe et XXe siècles pour faire une nouvelle apparition dans le titre L’échappée d’une Flamande. Un jeu de mots diabolique qui met en lumière la grammaire visuelle aux nombreuses ramifications du Gantois. C’est ainsi, finalement, que Van Imschoot a choisi de s’inscrire dans la lignée des natures mortes aux asperges, en prenant des gants, mais surtout en dessinant de grandes courbes.

And there is even more. In 1974 Hans Haacke (°Cologne, 1936) participated in the Kunst bleibt Kunst exhibition in the Kölnischer Kunstverein marking the 150th birthday of the Wallraf-Richartz Museum. His contribution, ManetPROJEKT 74, consists of a series of ten panels which explains the collection history of Manet’s painting A Bundle of Asparagus (1880). In 1968 the Friends of the institution

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Et ce n’est pas tout. En 1974, Hans Haacke (° Cologne, 1936) participe, à l’occasion du cent cinquantième anniversaire du Wallraf-Richartz Museum, à l’exposition Kunst bleibt Kunst au Kunstverein Köln. Sa contribution, Manet-PROJEKT 74, se compose d’une série de dix panneaux qui retracent le parcours de la toile de Manet intitulée Une botte d’asperges (1880). En 1968, les Amis de l’institution offrent cette œuvre au Wallraf-Richartz Museum, sous la présidence de Hermann Josef Abs, en souvenir de Konrad Adenauer, le premier chancelier de la République fédérale d’Allemagne. Dans le dixième et dernier panneau de Manet-PROJEKT 74, Hans Haacke dévoile le passé d’Abs. Durant la Seconde Guerre mondiale, l’homme s’est avéré être un important banquier et conseiller financier sous le Reich d’Hitler. Après la guerre, il a su rétablir son influence. Or, le panneau de Haacke démasque Abs en tant qu’ancien nazi et montre comment le mécénat artistique permet à un individu de blanchir son passé criminel douteux. La proposition de Haacke pour Kunst bleibt Kunst – un exemple caractéristique de sa critique des institutions – suscite, du coup, un énorme scandale et les organisateurs finissent par rejeter le Manet-PROJEKT 7447. En signe de soutien, Daniel Buren collera des photocopies de l’œuvre de Haacke sur sa propre contribution à l’exposition. Pour les mêmes motifs, André Cadere enveloppera sa barre de bois dans du papier blanc48.

gave this work to the Wallraf-Richartz Museum, under the chairmanship of Hermann Josef Abs, in memory of Konrad Adenauer, the First Chancellor of the Federal Republic of Germany. In the tenth and last panel of Manet-PROJEKT 74, Hans Haacke revealed Abs’ background. It appears that during the Second World War he had been an important banker and financial advisor to Hitler’s Reich. After the war he was able to regain his influence. Haacke’s panel deliberately exposes Abs as a former Nazi and shows how art patronage enables an individual to whitewash his ambiguous criminal past. Haacke’s proposal for Kunst bleibt Kunst – a characteristic example of his institutional criticism -, became a huge scandal and the Manet-PROJEKT 74 was rejected by the organisers.46 In a gesture of support, Daniel Buren stuck photocopies of Haacke’s work over his own contribution. For the same reason, André Cadere wrapped his barre de bois in white paper.47 Biographical elements suggest that Jan Van Imschoot, who knows the history of art like the back of his hand, could hardly have missed this historical fact. Could it be that in Les Flamandes crues he is sticking the knife that lies untouched next to the asparagus into the innocence48 of Manet’s painting and on the trail of the politically engaged Haacke, and exposing the devaluation of art as private banking and the hypocrisy and wrangling of the commercial auction market. Anyway, asparagus pictures abound in untold stories. Who knows, perhaps Haacke, Buren and Cadere are also under the carpet.

Des indices biographiques suggèrent que Jan Van Imschoot, qui connaît l’histoire de l’art comme sa poche, n’a pas pu ignorer ce fait historique. Peut-être que le couteau, intact, à côté des asperges dans Les Flamandes crues, est le couteau de l’innocence qu’il entend planter dans la toile de Manet49 ; et peut-être démasque-t-il, à l’instar d’un Haacke politiquement très engagé, la dévalorisation de l’art en tant qu’investissement privé, ainsi que l’hypocrisie et les pratiques mercantiles des ventes publiques. Quoi qu’il en soit, ses peintures d’asperges regorgent de récits inédits. Qui sait si Haacke, Buren et Cadere ne s’y tiennent pas en embuscade.

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L’échappée d’une Flamande, 2021

Huile sur toile, 150 x 170 cm Oil on canvas, 59 x 66 7/8 in.


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ÉDOUARD MANET A AGENCÉ SA PEINTURE COMME UNE NATURE MORTE. ÉDOUARD MANET HAS STAGED HIS PAINTING AS A NATURE MORTE, A STILL LIFE.

Oiseau de nuit précoce finit bientôt dans la gueule du chat50

Sing before breakfast and you’ll cry before supper

À l’été 1868, Édouard Manet s’attelle à l’irrésistible toile, prisée de tous (de nos jours), Le déjeuner dans l’atelier : une scène domestique de grand format (118 x 154 cm) qui représente trois figures. Léon Koëlla Leenhoff, âgé de seize ans à l’époque, Joseph-Auguste Rousselin, disciple de Charles Gleyre et de Thomas Couture, et une jeune femme non identifiée, « une servante boulonnaise51 » qui tient entre ses mains une cafetière en argent. Rompant avec les codes en vigueur du portrait, Manet peint ses personnages sans expression, indifférents, comme une « photographie ». Tous trois paraissent absents, inanimés, sans vie. La scène semble figée ; il n’y a pas le moindre élément narratif. Mais, d’une manière ou d’une autre, tous les éléments du Déjeuner dans l’atelier se contredisent. Édouard Manet a agencé sa peinture comme une nature morte.

In the summer of 1868, Édouard Manet was working on the enigmatic and (now) widely loved painting Luncheon in the Studio, a large format (118 x 154 cm) domestic scene featuring three figures. They are Léon Koëlla Leenhoff, sixteen years old at the time, Joseph-Auguste Rousselin, pupil of Charles Gleyre and Thomas Couture, and an unidentified young woman, ‘une servante boulonnaise’49, who is holding a silver coffee pot. Breaking with the usual codes of the portrait, Manet’s figures are expressionless, indifferent, ‘photographic’. All three appear uninterested, inanimate, in a frozen scene. There is no narrative; in one way or another all the elements in Luncheon in the Studio contradict one another. Édouard Manet has staged his painting as a nature morte, a still life. Luncheon in the Studio is a fin de repas – an ‘end of the meal’ -, set around a long, decked table in a salon painted in muted colours, where neither the window nor the mirror gives off much light. The domestic scene is teeming with still-life elements: displayed on the white, block-patterned damask tablecloth are an oyster dish, a Delft blue salt pot, a half-filled wine glass next to a bottle, a white porcelain coffee cup and a half-peeled lemon. There is also a knife. Weapons are strewn over the floor, including a Turkish sword, a helmet and a pistol. Next to them a cat is licking itself. Manet painted a magnificent cache-pot and a prominent houseplant as well. Through the window we glimpse a hazy sea view.

Le déjeuner dans l’atelier est une fin de repas qui se déroule autour d’une longue table dressée, dans un salon peint dans des tons pastel, où ni le miroir, ni la fenêtre n’émettent beaucoup de lumière. La scène domestique abonde en éléments issus de la nature morte – sur la nappe en damas blanc à damiers sont exposés un plateau d’huîtres, un pot à sel en bleu de Delft, un verre de vin à moitié rempli à côté d’une bouteille, une tasse de café en porcelaine blanche et un citron à moitié épluché. Il y a également un couteau. Des armes sont étalées par terre, notamment une épée turque, un casque et un pistolet. Non loin de ces objets, un chat se lèche. Du reste, Manet peint un magnifique cache-pot oriental et une imposante plante d’intérieur. La fenêtre laisse entrevoir une vue marine trouble.

It is said of Luncheon in the Studio that it “retains specific references to the art of old masters. For this composition, Manet’s eyes are turned to the Dutch prototypes of the seventeenth century, in particular Vermeer, even if the informal placement of the characters could also suggest an eighteenth-century conversation piece or group portraits on a more modest scale realised by French artists like Jean-Baptiste Charpentier and Charles Lepeintre, and in England by William Hogarth and Johan Joseph Zoffany. The model for the still life turns out to be Chardin. Technically and tonally, with rich blacks and the subtle

À propos de l’œuvre Le déjeuner dans l’atelier, il est dit qu’elle « conserve des références spécifiques à l’art des maîtres anciens. Pour cette composition, le regard de Manet s’est tourné vers les prototypes hollandais du XVIIe siècle, en particulier Vermeer, même si la disposition informelle des personnages peut aussi suggérer un tableau de conversation du XVIIIe siècle ou les portraits

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La réflexion sur le présent et les présents, 2021 Huile sur toile, 170 x 190 cm Oil on canvas, 66 7/8 x 74 3/4 in.


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de groupe à une échelle plus modeste réalisés par des artistes français tels que Jean-Baptiste Charpentier et Charles Lepeintre et, en Angleterre, par William Hogarth et Johan Joseph Zoffany. Pour la nature morte, le modèle s’avère être Chardin. Sur le plan technique et tonal, avec les noirs riches et la gamme subtile de blancs et de gris disposés de manière rythmique à travers la composition, Manet se rattache une fois encore à l’art de Velázquez52 ».

L’AUTEUR DÉCLARE LUI-MÊME AVOIR PEINT UNE « ENTRÉE DANS LA VIE SEXUELLE ». THE MAKER HIMSELF CLAIMS TO HAVE PAINTED A “SEXUAL INITIATION”.

range of whites and greys arranged in rhythmic fashion through the composition, Manet is once again harking back to the art of Velázquez”.50 Luncheon in the Studio may be “a testimony to Manet’s dual interpretation of realism. The studio requisites, which would be more at home among the romantic painters of a previous generation but which are still found in the studios of Manet’s fellow realist painters, are perhaps an ironic allusion to the realists’ confused adherence to the new doctrine. Moreover, here Manet revisits the subject of the end of a meal which Courbet had tackled in his large manifesto piece After-Dinner in Ornans (1849)” 51. By reducing the scale of this work and placing it in a seemingly urban setting, Manet gives us his interpretation of the realist programme and underlines the central place it occupies there: in his eyes, the representation of contemporary, urban, bourgeois France”.52

Le déjeuner dans l’atelier est peut-être « un témoignage de la double interprétation que Manet donnait du réalisme. Les accessoires d’atelier, qui ont davantage leur place chez les peintres romantiques d’une génération antérieure, mais qu’on trouve encore dans les ateliers des collègues réalistes de Manet, sont peut-être une allusion ironique à l’adhésion confuse des réalistes à la nouvelle doctrine. De plus, Manet revisite ici le sujet de la fin d’un repas que Courbet avait abordé dans son grand tableau-manifeste L’après-dînée à Ornans (1849)53. En réduisant l’échelle de cette œuvre et en la replaçant dans un cadre apparemment urbain, Manet nous donne sa lecture du programme réaliste et souligne la place centrale qu’y occupe, à ses yeux, la représentation de la France contemporaine, urbaine et bourgeoise54 ».

Luncheon in the Studio is the direct source of Jan Van Imschoot’s La réflexion sur le présent et les présents (2021). But that tells us everything and nothing. Manet’s original landscape is a mosaic of pools, meandering brooks and streams, which Van Imschoot absorbs, as we will see, along with the sexual energy of Manet’s Olympia (1863).53 Vermeer puts in an appearance in characteristic yellow and blue chromatures and in the pearl motif. Further on a domestic source – bottle conditioned: the Ladyboy-Curleyman series of oil paintings (2007) by Van Imschoot himself.

Le déjeuner dans l’atelier est la source directe de La réflexion sur le présent et les présents (2021) de Jan Van Imschoot. Ce qui, en soi, ne dit rien et tout à la fois. Si le paysage de départ de Manet est déjà une mosaïque d’étangs, de ruisseaux sinueux et de petits cours d’eau, celui de Van Imschoot absorbe en plus, comme nous le verrons plus loin, toute l’énergie sexuelle de l’Olympia (1863)55 de Manet. Vermeer affleure à travers ses tonalités jaunes et bleues caractéristiques, ainsi qu’à travers le motif de la perle. Plus loin, une source domestique – avec fermentation en bouteille : la série d’huiles sur toile Ladyboy-Curleyman (2007) de Van Imschoot même.

The format chosen by the artist for his fin de repas is considerably bigger (170 x 190 cm) than Édouard Manet’s. Our man from Ghent does retain the composition of Manet’s Luncheon in the Studio but zooms in explicitly and exclusively on the servant from Boulogne: only she is still there, standing (bolt) upright. In so doing, he leaves out a large number of figures and motifs. Léon Koëlla Leenhoff and Auguste Rousselin have disappeared entirely from the scene; there is no trace of the collection of weapons that was lying around; the tablecloth has shed its delicate blocked pattern; all the leftovers and drink have been cleared away… apart from one opened oyster shell.

Le format sur lequel l’artiste réalise sa fin de repas est considérablement plus grand (170 x 190 cm) que celui d’Édouard Manet. Le Gantois conserve certes la composition du Déjeuner dans l’atelier de Manet, mais il réalise un gros plan explicite et exclusif de la « servante boulonnaise » : elle est là, seule, en position debout, droite comme une flèche. L’artiste élimine, ce faisant, un grand

Van Imschoot’s girl shares both the posture and facial expression of Manet’s anonymous model – but not the

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nombre de figures et de motifs. Exit Léon Koëlla Leenhoff et Joseph-Auguste Rousselin ; plus aucune trace non plus des armes dispersées ; la nappe a perdu son motif à damiers ; toutes les reliques et les boissons ont été débarrassées… à une coquille d’huître ouverte près. Le modèle anonyme de Manet et la jeune fille de Van Imschoot partagent la même posture et la même expression de visage – mais pas la même poitrine –, à cette différence près que cette dernière regarde dans le vide avec plus d’insistance que « l’original » du XIXe siècle. Son apparence reste à tout le moins étrange. Sa coiffure – des cheveux rouge brun/roux coupés en brosse et coiffés en grosses mèches – dégage exagérément les tempes (est-ce une allusion aux fines coiffes en dentelle et aux cheveux relevés au sommet du crâne durant le Siècle d’or hollandais, une coiffure à laquelle, avant lui, Manet avait déjà fait référence dans Le déjeuner dans l’atelier ?). À l’oreille gauche, elle porte une perle blanche (copyright Vermeer56), à l’oreille droite (vous lisez bien) un masque buccal. Avec sa robe gris bleu ample à col blanc, elle pourrait très bien être une petite sœur contemporaine de la servante de Boulogne.

Édouard Manet, Le déjeuner dans l’atelier, 1 868 Huile sur toile, 118 x 154 cm Neue Pinakothek, Munich Œuvre acquise en 1911, donation Tschudi. Inv. no 8638.

L’auteur de la toile La réflexion sur le présent et les présents déclare lui-même avoir peint une « entrée dans la vie sexuelle ». On le voit, en effet, clairement dans l’œuvre. Un œil averti remarquera d’entrée de jeu l’huître charnue, placée pile au centre de la toile. Van Imschoot y a sacrifié Léon Koëlla Leenhoff, qui a carrément disparu de la toile. Ce n’est plus lui, mais bien l’huître de Manet, qu’il a déplacée vers le milieu, qui est devenue l’aiguille de sa boussole. Visqueuse, solitaire et malhabile, la chair d’huître s’offre à notre regard ; exposée sur une table ou un lit, elle nous semble minuscule, fragile et à la fois si touchante… Dieu du ciel ! Van Imschoot fait-il allusion au lit d’Olympia avec sa table débarrassée, blanche comme neige ? Est-ce pour cette raison qu’il a effacé le motif des damiers de la nappe ? À l’endroit précis où la silhouette nue de Victorine Meurent (figée dans une pose bien précise) tenait sa main devant son sexe dans Olympia57 de 1863, se trouve à présent, au cœur de La réflexion sur le présent et les présents, le coquillage ouvert.

bosom, albeit that she is even more emphatically rarefied than the nineteenth-century ‘original’. Her appearance is nevertheless odd, to say the least. Her coiffure – short reddish-brown spikes – emphasises more than normal her temple area. (Is this a nod to the coiffure with the fine lace caps and high-fronted hairstyles of the Dutch Golden Age, to which Manet also referred in Luncheon in the Studio?). Dangling from her left ear is a white pearl (copyright Vermeer54) and from her right ear (yes, indeed) a face mask. In her full, greyish-blue dress with a white collar she could well be a modern-day sister of the servant girl from Boulogne. The maker of La réflexion sur le présent et les présents himself claims to have painted a “sexual initiation”. And this is apparent in the work. A practised eye immediately falls on the fleshy oyster, bang smack in the middle of the canvas. Van Imschoot had to paint out Léon Koëlla Leenhoff to make way for it. Not he, but Manet’s oyster, which he

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En effet, il n’y a rien de neuf sous le soleil. Édouard Manet aussi était au courant des bienfaits érotiques de l’huître. Un an avant son mariage, il offrit à Suzanne Leenhoff (à l’époque sa maîtresse clandestine), la magnifique nature morte Huîtres (1862)58.

shifted to the middle, is the needle of his compass. Sleek, solitary and uninitiated, the oyster meat offers itself up, endearingly displayed on the table… or bed… God almighty! Is Van Imschoot’s cleared, snow-white table alluding to the bed in Olympia? Is that why he painted out the block pattern on the tablecloth? Lying there in that very spot where the naked (composite) Victorine Meurent held her hand in front of her genitals in Olympia55 in 1863, there in the heart (the womb) of La réflexion sur le présent et les présents is the open shell.

Dans La réflexion sur le présent et les présents, deux chats (des chattes, en l’occurrence) se battent pour un os (une fleur, en l’occurrence). Le deuxième chat noir sort-il tout droit d’Olympia ? Est-ce le chat noir de compagnie de Van Imschoot, prénommé Hazy ?

ET EST-CE QUE NOTRE JEUNE FILLE EN EST BIEN UNE ? IS OUR GIRL REALLY A GIRL?

There is indeed nothing new under the sun. Édouard Manet was sufficiently familiar with the oyster’s erotic associations. A year before his marriage he gave his still clandestine mistress Suzanne Leenhoff the glorious still life Oysters (1862).56

Oiseau de nuit précoce finit bientôt dans la gueule du chat. Et il reste encore les oiseaux à observer, n’estce pas ? Un des petits oiseaux de Manet présente des rougeurs et a la gorge rouge chez Van Imschoot. Le petit oiseau est devenu un rouge-gorge rougissant. Il y a du sang dans les parages.

In La réflexion sur le présent et les présents two female cats (Mollys) fight over a bone (flower). Did the second black cat stray in from Olympia? Is it Van Imschoot’s pet cat Hazy?

Il se pourrait aussi que la volière de Van Imschoot renferme La Vierge au chardonneret de Raphaël (15051506), la Madonna Litta (ca. 1490)59 de Léonard de Vinci ou encore le petit trompe-l’œil (!) Le chardonneret (1654)60 du peintre baroque delftois Carel Fabritius. En effet, le chardonneret aussi est historiquement associé au sang : l’oiseau chanteur à la face rouge vif, qui a un goût prononcé pour les graines du chardon, fut éclaboussé par une goutte de sang (d’où sa face rouge) après avoir retiré une épine du front de Jésus pour soulager sa douleur durant le portement de croix (la couronne d’épines serait composée de chardons).

Een vogel die te vroeg zingt, wordt ‘s avonds van de kat gegeten – A bird that sings too early, is eaten by the cat in the evening – Sing before breakfast and you’ll cry before supper. And there are still the birds for birding and making whoopee, aren’t there? In Van Imschoot’s hands, one of Manet’s birds suddenly has a blush and a red breast. The bird is now a blushing robin redbreast, a rouge-gorge. Il y a du sang dans les parages. Van Imschoot has smelt blood. Perhaps Van Imschoot’s aviary also conceals Raphael’s Madonna of the Goldfinch (1505-1506), Leonardo’s Madonna Litta (ca. 1490)57 or the little trompe l’œil (!) The Goldfinch (1654)58 by the Delft baroque painter Carel Fabritius. The fact of the matter is that the goldfinch is historically associated with blood: when Jesus was carrying the cross to Calvary, the songbird with the fire-red face and a distinct preference for the seeds of the thistle plant plucked a thorn from the Nazarene’s crown (said to have been made of thistles) to ease his pain. A drop of his blood splashed onto the bird and over its face.

Prenez garde ! Il semblerait que Léon Koëlla Leenhoff ait fait sa réapparition : voyez son image réfléchie dans la cafetière. On reconnaît l’oiseau à ses plumes : Koëlla porte toujours son élégante veste d’été à la dernière mode parisienne ; il porte encore son chapeau de paille. On a l’impression qu’il fonce tout droit sur notre jeune fille. S’est-il rendu à Venise ? Son chapeau est orné de rubans. Et est-ce que notre jeune fille en est bien une ? L’ondulation de sa poitrine est plutôt légère, le rendu de son avant-bras est pataud en comparaison avec sa taille fine et sa silhouette mince. Elle a des caractéristiques tant masculines que féminines. Notre jeune fille seraitelle une ladyboy ?

Have you spotted the mirror image in the coffee pot? It looks as if Léon Koëlla Leenhoff has returned! Aan de veren kent men de vogel - The bird is recognisable by its feathers – Like breeds like: Koëlla is still wearing his chic summer jacket as dictated by the latest Paris fashion; his straw hat

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Dans sa contribution « On Édouard Manet » pour The Artist Project (2015-2016, MET/NYC), l’artiste américain Kalup Linzy remarque à un moment donné : « Quand je regarde ces peintures de Manet, je crois vraiment qu’à un certain point, ce sont des travestis61. »

is still on his head. It looks as if he is heading straight for our girl. Has he been in Venice? There are ribbons on his hat. Is our girl really a girl? The curve of her bosom is quite weak, her forearm sturdy compared to her slim figure and body. She has male and female features. Could our girl be a ladyboy? At a certain point in his contribution ‘On Édouard Manet’ to The Artist Project (2015-2016, MET/NYC), the American artist Kalup Linzy remarks: “When looking at these Manet paintings, on a certain level I do think they are drag”.59

Ladyboy serait-elle un hommage à l’anarchiste et femme politique Louise Michel, qui a survécu à la Commune de Paris uniquement parce qu’elle était une femme et qui, durant son exil de France, se trouvait sur le même bateau qu’Henri Rochefort ? Pour le peintre, elle incarne une héroïne personnelle : « Elle a essayé de concilier les antagonismes entre anarchistes et socialistes ; durant la révolte de Paris, elle se déplaçait dans un uniforme de l’armée américaine ; elle a entretenu une correspondance révolutionnaire, notamment avec Victor Hugo (la majeure partie de ses écrits a été brûlée par les catholiques et les socialistes). Durant son exil, elle a fondé des écoles ; elle a défendu les droits des femmes et des enfants. L’esclavagisme existait hélas encore à l’époque ! Plusieurs écoles portent encore son nom. Elle était d’ailleurs originaire de Vroncourt, à une cinquantaine de kilomètres de Noncourt. La commune compte aujourd’hui dix-sept habitants. » La réflexion sur le présent et les présents salue-t-elle la mémoire de cette féministe, qui s’exclama un jour : « Un féministe est un homme qui accepte de couper la poire en deux tout en s’assurant que la poire est encore la femme. »

Could ladyboy be a homage to the anarchist and femme politique Louise Michel, a leading light in the Paris Commune who survived only because she was a woman? When expelled from France, she found herself on the same boat as Henri Rochefort. For the painter of ladyboy she is a personal heroine: “She tried to reconcile the differences between the anarchists and the socialists; during the uprising in Paris she went around in an American army uniform; she conducted a subversive correspondence with, among others, Victor Hugo (most of what she wrote was burned by Catholics and socialists). While in exile, she set up schools and championed women’s and children’s rights. At that point slavery hadn’t even been abolished! A couple of schools are named after her. She came from Vroncourt, barely fifty kilometres from Noncourt. Seventeen people live there now.” Is La réflexion sur le présent et les présents a homage to this feminist, who once made the following statement: “A feminist is a man who is prepared to cut the pear in two (i.e. accept compromise) while assuring himself that the pear is still the woman.”

La réflexion sur le présent et les présents (détail)

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JAN VAN IMSCHOOT PEINT L’ÉMANCIPATION DE LA NATURE MORTE. JAN VAN IMSCHOOT PAINTS THE EMANCIPATION OF THE STILL LIFE.

La laitière a une brioche dans le four

The kitchen-maid has a bun in the oven

Ce qui frappe d’emblée dans La vision féérique (2021), c’est, de toute évidence, le gros plan opéré à partir de La laitière (ca. 1660) de Johannes Vermeer, une des trente-cinq toiles authentifiées du peintre de la lumière ; après avoir été ignoré pendant des siècles, il a connu une ascension telle qu’il est devenu un des peintres les plus admirés du Siècle d’or des Pays-Bas du Nord. Le modèle peint est vraisemblablement Tanneke Everpoel, une femme de ménage du peintre de Delft.

The first thing that strikes you on seeing La vision féérique (2021) is of course the cut-out of Johannes Vermeer’s The Milkmaid (ca. 1660), one of the thirty-five authenticated canvasses by the master of light who, after centuries of neglect, rose to become one of the most admired painters of the northern-Dutch Golden Age. His probable model was Tanneke Everpoel, who was a housemaid to the Delft painter. The representation immediately calls to mind the situation in Van Imschoot’s La réflexion sur le présent et les présents: the very similar body of his ladyboy, the identical blue dress, the motifs on the jug and the bare forearm. Ladyboy was about to serve coffee; the milkmaid pours milk into a pot: what can the intention be?

La représentation rappelle instantanément la situation dans La réflexion sur le présent et les présents de Van Imschoot : le tronc très similaire de sa ladyboy, la robe bleue correspondante, les motifs du broc et de l’avantbras dénudé. Ladyboy était sur le point de servir du café ; la laitière, elle, verse du lait dans une marmite : mais dans quelle intention ?

With La vision féérique Jan Van Imschoot paints the emancipation of the still life, a genre which in the course of the seventeenth century broke away from the more hybrid representations in which it had been embedded – usually religious scenes. In the sixteenth-century market or kitchen pieces it was, for example, traditional to depict the scene with Christ in the house of Martha and Mary behind the comestibles on display.

Avec La vision féérique, Jan Van Imschoot peint l’émancipation de la nature morte, un genre qui s’éloigna, au cours du XVIIe siècle, des représentations plus hybrides dans lesquelles le genre s’inscrivait auparavant – des scènes religieuses pour la plupart. Dans les représentations de marchés ou de cuisines du XVIe siècle, il était de coutume, notamment, de représenter, derrière les denrées alimentaires exposées, la scène du Christ dans la maison de Marthe et de Marie.

With his women at the table – the alternative servant from Boulogne in La réflexion sur le présent et les présents and the servant girl in La vision féérique respectively, Jan Van Imschoot may have painted none other than Mary and Martha. Or perhaps he painted Les deux Maries, Mary and Mary Magdalene, who once came ashore together at Saintes-Maries-de-la-Mer, the Provençal fishing town and place of pilgrimage for gypsies in the Camargue. It depends on how you look at it, and it is advisable to listen carefully to the artist when, in morse code, he casually tosses you a rare clue.

À travers ses deux femmes disposées près de la table – respectivement la serveuse boulonnaise alternative dans La réflexion sur le présent et les présents et la jeune servante dans La vision féérique –, il se pourrait que Jan Van Imschoot peigne justement Marie et Marthe. Ou bien il peint Les deux Marie, Marie et Marie-Madeleine, qui débarquèrent, un jour, ensemble près de Saintes-Mariesde-la-Mer, le village de pêcheurs provençal et lieu de pèlerinage des Gitans en Camargue. Tout dépend de la façon dont vous regardez les choses et il est recommandé d’écouter attentivement l’artiste lorsqu’il distille, en passant, quelques rares indices en morse.

“In La vision féérique the milk flows into a red jug. A woman gives milk. She has just had a baby. It is the Virgin Mary, hence the Marian colours yellow and blue. The bread on the table is the body of Christ”.60

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La vision féérique , 2021 Huile sur toile, 190 × 160 cm Oil on canvas, 74 3/4 x 63 in.


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« Dans La vision féérique, le lait coule dans un broc rouge. Or, une femme donne son lait. Et elle vient de donner naissance à un enfant. C’est la Vierge Marie, d’où les couleurs mariales jaune et bleu. Le pain sur la table est le corps du Christ62. » Van Imschoot est convaincu que Johannes Vermeer était catholique ou bien un opportuniste qui peignait pour faire plaisir à ses clients, des chrétiens, certes, mais très divisés entre eux et classés en deux camps : les protestants contre les catholiques. Les protestants ne reconnaîtraient pas les allusions catholiques dans des toiles comme La laitière. Le fait que Vermeer ait également peint un Christ dans la maison de Marthe et Marie constitue, pour Jan Van Imschoot, un argument de plus en faveur de sa thèse63. L’artiste affirme avoir voulu rendre Marie plus humaine et sert à la jeune accouchée une goutte (dreupel en dialecte gantois), ainsi qu’un verre d’absinthe – la fée verte –, avec une cuillère à remuer et un morceau de sucre. « C’est ainsi qu’elle aime déguster sa petite goutte (neutje en dialecte gantois) », ajoute le peintre originaire de la ville au bar de genièvre Het Dreupelkot. « Elle donne le sein, mais elle voit tout en double, car elle est complètement bourrée (schijtezat en gantois). »

Johannes Vermeer Le Christ dans la maison de Marthe et Marie, c a. 1654-1656 Huile sur toile, 158,5 x 141,5 cm National Gallery of Scotland, Édimbourg

L’absinthe est, en effet, une boisson traîtresse. En 1859, Manet, alors encore clairement influencé par Velázquez, Goya et Hals, peint, dans sa toile Le buveur d’absinthe64, les marginaux de la société. Le poison vert est à l’époque si populaire que l’on qualifie d’« heure verte » le début de soirée où les gens se réunissent au café pour boire de l’absinthe. Outre les 75 % d’alcool qu’elle contient, la boisson est aromatisée à l’armoise, une plante aromatique dont les propriétés toxiques provoquent des hallucinations et qui est responsable de folie, de malformations congénitales et, selon les autorités, d’une criminalité effrénée65. Pas sûr, dès lors, que le nouveauné qui fait implicitement partie de la scène dans La vision féérique soit venu au monde en bonne santé.

Van Imschoot is convinced that Johannes Vermeer was a Catholic, or otherwise an opportunist who painted according to his client’s affiliation – Christian people but intensely divided and split into two camps: Protestants versus Catholics. The Protestants would not recognise the Catholic allusions in paintings like The Milkmaid. The fact that Vermeer also painted a Christ in the House of Martha and Mary61 is an additional argument for Jan Van Imschoot’s thesis.62 The artist says he wanted to make Mary more human and places a tipple in front of the woman who has just given birth, and also a glass of absinth – la fée verte, with a stirring spoon and a sugar lump. “That way she’ll enjoy it”, says the painter from the city of Het Dreupelkot jenever bar. “She breast-feeds but she sees everything double because she is pissed out of her mind.”

Nous sommes à mille lieues de l’exégèse autour de Vermeer66… mais quelle grandiloquence et quelle imagination dans cette toile d’un genre inhabituel, celui d’une nature morte imbibée de lait et d’alcool (tendez l’oreille et vous entendrez le lait clapoter). Avec quel jet

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voluptueux, dru, mais aussi généreux, on voit le lait sortir du broc en terre cuite. Jean de Flandre voit, dans les bords rose saumon très écartés de ce pichet, des lèvres gonflées. Chez Vermeer, c’était un simple broc en terre cuite qui se trouvait derrière la corbeille à pain ; à présent, il a été remplacé par une carafe du XXIe siècle (tout aussi banale) en verre, remplie de glaçons. Ou s’agit-il d’œufs/de perles/de larmes/d’une radiographie de testicules/de la Sainte-Trinité ? Une croix se reflète dans le verre. Et pour le tablier de la fille du peuple, Van Imschoot n’a pas recours au bleu de Delft, mais au bleu flamand.

UNE NATURE MORTE IMBIBÉE DE LAIT ET D’ALCOOL. THIS STILL LIFE DRENCHED IN MILK AND ALCOHOL.

Absinth is indeed treacherous stuff. In 1859 Manet, still clearly influenced by Velázquez, Goya and Hals, depicted the margins of society in his canvas The Absinth Drinker.63 In Paris the green poison was so popular that early evening at Parisian cafés became known as l’heure verte, the green hour. As it was seventy-five percent alcohol, the drink was then flavoured with wormwood or Artemisia absinthium, a herb whose poisonous properties cause hallucinations which can lead to madness, birth defects and, according to the authorities, criminality of a disorderly nature.64 The question is whether the baby, which is implicitly part of the situation in La vision féérique, was hale and hearty when it came into the world.

À propos des gestes culinaires de la laitière et de leur interprétation exacte, il existe des bibliothèques entières consacrées à cette énigme. Nous ne résistons d’ailleurs pas à l’envie d’évoquer l’hypothèse d’Harry Rand67, pour qui « la clé de l’énigme des contenus réside dans les morceaux de pain qui se trouvent devant elle dans la nature morte et qui présupposent qu’elle a déjà préparé la crème anglaise dans laquelle trempe le pain, mélangé à des œufs. Elle verse, à présent, le lait sur la mixture pour la recouvrir entièrement, car si le pain ne trempe pas dans le liquide pendant la cuisson, les croûtes supérieures se dessècheront et couperont l’appétit au lieu de former une délicieuse couche supérieure de pudding. La servante verse le pichet de lait précautionneusement, car il est difficile de sauver un pudding au pain si les ingrédients ne sont pas correctement mesurés et combinés. […] Vermeer rend donc visuellement compte non seulement d’une scène courante, mais aussi d’une valeur éthique et sociale. Il représente le moment précis où la servante s’applique à transformer des ingrédients courants et du pain rassis autrefois irrécupérable en un produit nouveau, sain et agréable à manger. Ses gestes mesurés, sa robe modeste et le discernement avec lequel elle prépare sa recette traduisent avec éloquence mais discrétion une des valeurs domestiques les plus fortes des Pays-Bas du XVIIe siècle. »

We have strayed miles from the exegesis surrounding Vermeer65… but what a hoo-ha and what an imagination in this unusual genre piece, this still life drenched in milk and alcohol (listen carefully and you can hear the splash of the milk). How convincingly the velvetysmooth, cream-coloured milk flows in a thick jet out of the earthenware jug. Jean de Flandres makes the wide protruding salmon-pink rim of the pitcher into swollen labia. With Vermeer there was also a simple stone jug behind the bread basket, now replaced by an equally banal twenty-first century glass filled with ice cubes. Or are they eggs/pearls/tears/an X-ray of testicles/ the Holy Trinity? A cross is reflected in the glass. For the servant girl’s apron Van Imschoot uses Flemish rather than Delft blue. While whole libraries have been written about the precise meaning of the milkmaid’s culinary activity, Harry Rand’s hypothesis66 is particularly pertinent here: “the key to the contents are the broken pieces of bread which she lays before her in the still life and assumes that she has already made custard in which the bread mixed with egg is now soaking. She now pours milk over the mixture to cover it because if the bread is not simmering in liquid while it is baking, the upper crusts of the bread will turn unappetisingly dry instead of forming the delicious upper surface of the pudding. The maid takes such care in pouring the trickle of milk because it is difficult to rescue bread pudding if the ingredients are not correctly measured and combined. […] Thus, Vermeer describes not just a visual account of a common scene, but an ethical and social value.

La brioche de Van Imschoot, cette pâtisserie en pâte levée, faite de farine détrempée à l’œuf et au lait, cuite au four, est d’un tout autre genre. Cette délicatesse diffuse ici des parfums très différents. C’est un produit composé. Son « pain rassis autrefois irrécupérable »

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de l’époque de Vermeer contient des ingrédients issus des boulangeries de Manet et de Jean-Baptiste Siméon Chardin ; la peinture de ce dernier, intitulée La brioche, dite aussi Un dessert (1763)68, ayant inspiré directement La brioche (1870)69 d’Édouard Manet. Manet connaissait, bien entendu, La laitière de Vermeer. Il suffit de lancer une recherche dans Google sur une de ses premières œuvres, Femme à la cruche (entre 1858 et 1860)70, pour en avoir le cœur net.

He represents the precise moment in which the household maid is attentively working with common cooking ingredients and formerly unusable stale bread transforming them into a new, wholesome and enjoyable product. Her measured demeanour, modest dress and judiciousness in preparing her food conveys eloquently yet unobtrusively one of the strongest values of 17th-Century Netherlands, domestic virtue.” Van Imschoot’s brioche in La vision féérique, - this patisserie made of yeast leavened dough enriched with egg and milk and baked in the oven - is of a very different sort. Its aroma is very different too. It is a concocted product. Vermeer’s “formerly unusable stale bread” contains ingredients from the bakeries of Manet and Jean-Baptiste Siméon Chardin, whose painting The Brioche or the Dessert (1763)67, directly inspired Édouard Manet’s The Brioche (1870).68 Of course Manet knew Vermeer’s The Milkmaid. Try Googling Manet’s early work Woman with a Jug (1858-1860).69

Et comme la brioche de Van Imschoot fleure bon les expressions langagières éloquentes : Avoir une brioche au four/être enceinte Prendre de la brioche/prendre du ventre Qu’ils mangent de la brioche !/Marie-Antoinette

And Van Imschoot’s brioche belches linguistic gratification: Avoir une brioche au four = have a bun in the oven Prendre de la brioche = develop a paunch Qu’ils mangent de la brioche ! = Let them eat cake! – Marie-Antoinette

La vision féérique (détail)

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L’ÉCHANGE DES BÊTISES EST UNE ŒUVRE DE PROGRAMMATION. L’ÉCHANGE DES BÊTISES IS A PROGRAMMED WORK.

Manet en tant qu’image réfléchie du Tintoret

Manet as Tintoretto’s mirror image

Au dos d’une enveloppe de la galerie Simon, Picasso écrit, probablement dès 1932 : « Quand je vois Le déjeuner sur l’herbe de Manet, je me dis des douleurs pour plus tard71 ». Picasso attendra finalement jusqu’à l’âge de 73 ans avant de se pencher sur ce « coup double72 »du modernisme (dans les termes de Pierre Bourdieu) ; Jan Van Imschoot, pour sa part, n’a pas encore 60 ans.

It was probably in 1932 when Picasso wrote on the back of a Galerie Simon envelope: “When I see Manet’s Luncheon on the Grass, I tell myself, tribulations for later”.70 Picasso was seventy-three years old by the time he tackled this ‘coup double’71 of modernism (in the words of Pierre Bourdieu); Jan Van Imschoot is not yet sixty. L’échange des bêtises (2021) is the central and largest72 painting (190 x 340 cm) in The presentation of the absent exhibition. Despite the improbably depicted medley – the painter himself, slightly further back Manet, in the bath Tintoretto and at the front two ‘valseuses’ –, the work is much more than a contemporary pastoral or a lighthearted improvisation on Édouard Manet’s Luncheon on the Grass (1863). There is nothing unequivocal about the scene. L’échange des bêtises is a programmed work. For the painter it is the coda of his exhibition.73 The stakes are high: Manet as a mirror image of Tintoretto.

L’échange des bêtises (2021) est la toile centrale et la plus grande73 (190 x 340 cm) de l’exposition La présentation des absents. Malgré l’invraisemblable ensemble disparate représenté – tout d’abord, le peintre en personne, puis, un peu plus en retrait, Manet, ensuite, dans le bain, le Tintoret, et enfin, à l’avant, deux « valseuses » –, l’œuvre est beaucoup plus qu’une pastorale contemporaine ou une douce improvisation à partir du Déjeuner sur l’herbe (1863) d’Édouard Manet. Au contraire, rien n’est gratuit dans ce tableau. L’échange des bêtises est une œuvre de programmation. Pour le peintre, il s’agit de la pièce maîtresse de son exposition74. L’enjeu est de taille : Manet en tant qu’image réfléchie du Tintoret.

“For me Manet’s playful response to the work of his predecessors gently opened my eyes to the fact that he had painted, for example, Luncheon on the Grass as a mirror image of Tintoretto’s Susanna and the Elders, particularly pertinent when one knows that his wife’s name was Suzanne”.74 Jan Van Imschoot

« Le dialogue ludique de Manet avec l’œuvre de ses prédécesseurs s’est avéré une douce reconnaissance diabolique pour moi, comme Le déjeuner sur l’herbe qu’il a peint comme une image réfléchie de Suzanne et les vieillards du Tintoret. Détail amusant à savoir : la femme de Manet se prénommait Suzanne75 ». Jan Van Imschoot

Both old masters are present in L’échange des bêtises. Tintoretto’s face, derived from his Self-portrait (ca. 1588)75 or from Manet, Copy after Tintoretto’s Self-Portrait (1854)76, adorns the Champagne bucket like a surging Neptune. Much larger, at first glance high and dry, Édouard Manet appears, flâneur, man-about-town, dandy-esque, Parisian, in tailcoat, with trimmed beard, tall hat – precisely as prescribed by the tradition of the nineteenth-century portrait, kid gloves, gold watch chain and walking stick. His appearance derives from the Édouard Manet portrait77,which the young painter Henri Fantin-Latour submitted to the Salon in 1867. The third male figure sporting a suit and a hat is the painter

Dans L’échange des bêtises, les deux maîtres anciens sont également présents. Le visage du Tintoret, emprunté à son Autoportrait (ca. 1588)76 ou à la Copie de l’Autoportrait du Tintoret par Manet (1854)77, orne, tel un Neptune évanescent, le seau à champagne flottant. De taille beaucoup plus grande, à première vue en hauteur et au sec, voici Édouard Manet qui entre en scène, flâneur, citadin, dandy, Parisien, en queue de pie, la barbe toilettée, portant un haut-de-forme – exactement comme le prescrit la tradition du portrait du XIXe siècle –, gants en

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Le Tintoret, Suzanne et les vieillards, 1 555 Huile sur toile, 146 × 194 cm Kunsthistorisches Museum, Vienne

cuir lisse, montre à gousset en or et canne. Son look est dérivé du portrait du peintre Édouard Manet78 que le jeune Henri Fantin-Latour présente, en 1867, au Salon. La troisième figure masculine qui porte un chapeau est le peintre lui-même, en costume. Sur son revers est fixé un pin’s de la célèbre maison de pianos belge Maene. Serait-il l’accordeur ?

himself. On his lapel is a pin from the celebrated Belgian piano company Maene. Is he the piano tuner? Irrespective of the male artists, the protagonists in L’échange des bêtises are unmistakably the young women in the foreground, both naked.78 In the blond next to Jan Van Imschoot we recognise the Dutch-born Suzanne Leenhoff (°Delft, 1829 – Paris, 1906), an outstanding pianist with a preference for contemporary German music – in particular Robert Schumann and Richard Wagner –, the mother of Léon Koëlla Leenhoff and the later Madame Manet. Her facial features are derived from Madame Manet at the Piano (1868), a painting that is a cross between a portrait and a genre piece and one of Manet’s many representations of Suzanne Leenhoff early on in his career. Suzanne’s pose is a direct reference to the sitting position of Victorine Meurent, Manet’s nude model in Luncheon on the Grass. In reality the ample body is probably hers: in Luncheon on the Grass, for reasons of social decorum, only the head (!) was that of Victorine

En dépit des artistes masculins présents, les protagonistes de L’échange des bêtises sont indéniablement les jeunes femmes au premier plan, toutes deux nues79. Dans la blonde à côté de Jan Van Imschoot, nous reconnaissons Suzanne Leenhoff (Delft, 1829 – Paris, 1906), la brillante pianiste d’origine néerlandaise qui a une prédilection pour la musique allemande contemporaine – et en particulier pour Robert Schumann et Richard Wagner –, la mère de Léon Koëlla Leenhoff et la future madame Manet. Ses traits de visage sont empruntés à Madame Manet au piano (1868), une toile à mi-chemin entre un portrait, une scène de genre, ainsi qu’une des

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JAN VAN IMSCHOOT

nombreuses représentations de Suzanne Leenhoff par Manet, au début de sa carrière. La pose de Suzanne fait directement référence à la posture assise de Victorine Meurent, le modèle nu de Manet dans Le déjeuner sur l’herbe. Dans la réalité, ce corps potelé est vraisemblablement le sien, alors que dans Le déjeuner sur l’herbe, seule la tête (!) était celle de Victorine Meurent pour des raisons de bienséance. Tel un chirurgien plastique, Jan Van Imschoot rétablit l’intégralité physique et l’intégrité de madame Manet.

LES JEUNES FEMMES À LA CHAIR ROSE NE S’AMUSENT PAS POUR UN SOU. THE FLESHY YOUNG WOMEN DO NOT DERIVE ANY PLEASURE FROM THE SCENE.

Meurent. With the dexterity of a plastic surgeon, here Jan Van Imschoot restores Madame Manet’s physical completeness and integrity. The nude at Manet’s side is another Suzanne: it is the chaste, Old Testament Susanna from the Book of Daniel 13:1-65 and the devout heroine from the painting Susanna and the Elders (1555) by Tintoretto. (The Venetian painted the subject ‘Susanna and the Elders’ no fewer than five times.79) This honourable Susanna is spied on by two lecherous elders, and afterwards wrongly accused by them of adultery. Thanks to her prayers to God, the innocent woman is exonerated. The pose of the second Suzanne in L’échange des bêtises is a watermark of Tintoretto’s model in Susanna and the Elders (1555) from the collection held by the Kunsthistorisches Museum in Vienna, albeit with less voluptuous forms. As in the painting by the great Venetian, this Suzanne’s left calf is also in the water and she is reaching down to her right ankle with her hands. She, too, is deep in thought as she looks at herself in a mirror; she, too, wears chic bracelets; she, too, has a ring with a white pearl in her left ear. Under her is an identical snow-white, fringed shawl.

Le nu aux côtés de Manet est une autre Suzanne : c’est la Suzanne chaste de l’Ancien Testament dans le Livre de Daniel 13 : 1-65 et la pieuse héroïne du tableau Suzanne et les vieillards (1555) du Tintoret (le Vénitien peindra le sujet « Suzanne et les vieillards » pas moins de cinq fois80). Cette honorable Suzanne, alors qu’elle se baigne, se fait espionner par deux vieillards lubriques, qui l’accuseront ensuite injustement d’adultère. La femme sera innocentée grâce à ses prières adressées à Dieu. La pose de cette deuxième Suzanne dans L’échange des bêtises reprend en filigrane celle du modèle du Tintoret dans la toile Suzanne et les vieillards (1555) de la collection du Kunsthistorisches Museum de Vienne, quoique les formes soient moins voluptueuses. Tout comme dans le tableau du grand Vénitien, cette Suzanneci aussi plonge la jambe gauche dans l’eau et tend les mains vers sa cheville droite. Elle aussi se regarde dans un miroir, plongée dans ses pensées ; elle aussi porte des bracelets élégants ; elle aussi porte un anneau avec une perle blanche à l’oreille gauche. Un foulard blanc neige identique avec des franges est étendu sous ses fesses.

But this is where the fumbling around for pictorial sources and comparisons with them ends.80 Jan Van Imschoot paints his Suzannes as contemporary companions, fiddling with ankle or chin. His models have highly polished nails and reddish-blond, loose hair. Sadly, however, the fleshy young women do not derive any pleasure from the scene, either from their male company or from the glasses of Champagne placed next to them. Furthermore, both Suzannes have conspicuously bloody toes.81 They also have a secret weapon in reserve: a hammer and a pistol. In-between them is a mirror. They have discarded their Delft blue or Venetian white drapery. All things considered, this genre scene is certainly not a cordial outdoor picnic. Are these women goddesses of revenge? Are they about to lynch each other? Are they involved in a silent bitch fight? Are they shooting themselves in the foot? Has someone stepped on their toes? Have they mutilated themselves? Do they want to die? Will they commit suicide or deliver a fatal blow? Is L’échange des bêtises a seated duel? Or would they prefer to see the Elders’ heels rather than their toes? Could they have it in for the artists?

Toute comparaison ultérieure – et toute autre quête de sources picturales – s’arrêtera là81. Jan Van Imschoot peint ses Suzanne comme des compagnes contemporaines, qui se frottent la cheville ou le menton. Ses modèles ont les ongles vernis et les cheveux, blond vénitien, détachés. Pourtant, les jeunes femmes à la chair rose ne s’amusent pas pour un sou : elles n’apprécient ni la compagnie masculine, ni les verres de champagne qu’on leur a offerts. Les deux Suzanne ont, par ailleurs, les orteils bizarrement ensanglantés82. Les femmes cachent une arme derrière elles : un marteau et un pistolet. Entre elles se dresse un miroir. Elles ont ôté leur tunique couleur bleu de Delft ou blanc vénitien.

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L’échange des bêtises , 2021

Huile sur toile, 190 x 340 cm Oil on canvas, 74 3/4 x 133 7/8 in.


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nombreuses représentations de Suzanne Leenhoff par Manet, au début de sa carrière. La pose de Suzanne fait directement référence à la posture assise de Victorine Meurent, le modèle nu de Manet dans Le déjeuner sur l’herbe. Dans la réalité, ce corps potelé est vraisemblablement le sien, alors que dans Le déjeuner sur l’herbe, seule la tête (!) était celle de Victorine Meurent pour des raisons de bienséance. Tel un chirurgien plastique, Jan Van Imschoot rétablit l’intégralité physique et l’intégrité de madame Manet.

LES JEUNES FEMMES À LA CHAIR ROSE NE S’AMUSENT PAS POUR UN SOU. THE FLESHY YOUNG WOMEN DO NOT DERIVE ANY PLEASURE FROM THE SCENE.

Meurent. With the dexterity of a plastic surgeon, here Jan Van Imschoot restores Madame Manet’s physical completeness and integrity. The nude at Manet’s side is another Suzanne: it is the chaste, Old Testament Susanna from the Book of Daniel 13:1-65 and the devout heroine from the painting Susanna and the Elders (1555) by Tintoretto. (The Venetian painted the subject ‘Susanna and the Elders’ no fewer than five times.79) This honourable Susanna is spied on by two lecherous elders, and afterwards wrongly accused by them of adultery. Thanks to her prayers to God, the innocent woman is exonerated. The pose of the second Suzanne in L’échange des bêtises is a watermark of Tintoretto’s model in Susanna and the Elders (1555) from the collection held by the Kunsthistorisches Museum in Vienna, albeit with less voluptuous forms. As in the painting by the great Venetian, this Suzanne’s left calf is also in the water and she is reaching down to her right ankle with her hands. She, too, is deep in thought as she looks at herself in a mirror; she, too, wears chic bracelets; she, too, has a ring with a white pearl in her left ear. Under her is an identical snow-white, fringed shawl.

Le nu aux côtés de Manet est une autre Suzanne : c’est la Suzanne chaste de l’Ancien Testament dans le Livre de Daniel 13 : 1-65 et la pieuse héroïne du tableau Suzanne et les vieillards (1555) du Tintoret (le Vénitien peindra le sujet « Suzanne et les vieillards » pas moins de cinq fois80). Cette honorable Suzanne, alors qu’elle se baigne, se fait espionner par deux vieillards lubriques, qui l’accuseront ensuite injustement d’adultère. La femme sera innocentée grâce à ses prières adressées à Dieu. La pose de cette deuxième Suzanne dans L’échange des bêtises reprend en filigrane celle du modèle du Tintoret dans la toile Suzanne et les vieillards (1555) de la collection du Kunsthistorisches Museum de Vienne, quoique les formes soient moins voluptueuses. Tout comme dans le tableau du grand Vénitien, cette Suzanneci aussi plonge la jambe gauche dans l’eau et tend les mains vers sa cheville droite. Elle aussi se regarde dans un miroir, plongée dans ses pensées ; elle aussi porte des bracelets élégants ; elle aussi porte un anneau avec une perle blanche à l’oreille gauche. Un foulard blanc neige identique avec des franges est étendu sous ses fesses.

But this is where the fumbling around for pictorial sources and comparisons with them ends.80 Jan Van Imschoot paints his Suzannes as contemporary companions, fiddling with ankle or chin. His models have highly polished nails and reddish-blond, loose hair. Sadly, however, the fleshy young women do not derive any pleasure from the scene, either from their male company or from the glasses of Champagne placed next to them. Furthermore, both Suzannes have conspicuously bloody toes.81 They also have a secret weapon in reserve: a hammer and a pistol. In-between them is a mirror. They have discarded their Delft blue or Venetian white drapery. All things considered, this genre scene is certainly not a cordial outdoor picnic. Are these women goddesses of revenge? Are they about to lynch each other? Are they involved in a silent bitch fight? Are they shooting themselves in the foot? Has someone stepped on their toes? Have they mutilated themselves? Do they want to die? Will they commit suicide or deliver a fatal blow? Is L’échange des bêtises a seated duel? Or would they prefer to see the Elders’ heels rather than their toes? Could they have it in for the artists?

Toute comparaison ultérieure – et toute autre quête de sources picturales – s’arrêtera là81. Jan Van Imschoot peint ses Suzanne comme des compagnes contemporaines, qui se frottent la cheville ou le menton. Ses modèles ont les ongles vernis et les cheveux, blond vénitien, détachés. Pourtant, les jeunes femmes à la chair rose ne s’amusent pas pour un sou : elles n’apprécient ni la compagnie masculine, ni les verres de champagne qu’on leur a offerts. Les deux Suzanne ont, par ailleurs, les orteils bizarrement ensanglantés82. Les femmes cachent une arme derrière elles : un marteau et un pistolet. Entre elles se dresse un miroir. Elles ont ôté leur tunique couleur bleu de Delft ou blanc vénitien.

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L’échange des bêtises , 2021

Huile sur toile, 190 x 340 cm Oil on canvas, 74 3/4 x 133 7/8 in.



JAN VAN IMSCHOOT

I ate all the chocolate I smoked all the Craven A And as you were still not there I emptied all the Rum and Coke I dismantled all your pictures I cut up your curtains Tore the nice photos You kept hidden in your desk You shouldn’t have left me That’s what happens, you see I can’t behave myself Can’t behave when you’re away82 Our Suzannes are sitting on a marble slab. Who knows if it is the marble top of the café table that Manet had installed in his studio later in life, when poor health prevented him going out and conversing and sketching elsewhere. In Van Imschoot’s genial picture, one Suzanne dangles her left leg in a square water basin – in which Tintoretto’s head floats in a wine-cooler. This basin is more like a sink, in which case the marble slab is a bar counter. It looks very much as if Jan Van Imschoot is evoking the counter in A bar at the Folies-Bergère (1882), after an earlier evocation in The presentation of the absent (2021).

L’échange des bêtises (détail)

À y regarder de plus près, cette scène de genre ne ressemble en rien à un pique-nique convivial en plein air. Est-ce un combat silencieux entre garces ? Un duel assis ? Qui sont ces femmes ? Des déesses de la vengeance ? Sont-elles sur le point de se liquider l’une l’autre ? Se sont-elles tiré dans les pieds ? Ou quelqu’un leur a-t-il marché sur les orteils ? Se sont-elles mutilées elles-mêmes ? Veulent-elles mourir ? Vont-elles se suicider ou commettre un meurtre ? Ou préfèrent-elles voir les talons que les orteils des vieillards ? Se pourrait-il qu’elles en veuillent aux artistes ?

How Jan Van Imschoot loves that last masterpiece by Manet, now held at The Courtauld Institute of Art in London! How he loves to imagine this Parisian cathedral of nightlife – as it was for J.-K. Huysmans: “It is ugly and it is superb, it is of an outrageous yet exquisite taste; it is incomplete like something that would be really beautiful… At the same time, it resembles the hurly-burly of the rue Montesquieu and an Algerian or Turkish bazaar”.83 For their part, the male figures in L’échange des bêtises who prowl like wolves around a sheep pen, experience a sort of decline. Tintoretto is already semi-submerged in water; the other two bewildered, apathetic artists stand as stiff as boards knee-deep in the mire. They make no eye contact, either with us or with the young women or with each other. In the black space – the “partie carrée” (as Manet nicknamed his painting)84– they are fossilised planets. In L’échange des bêtises Jan Van Imschoot waltzes round with us with supreme nonchalance and artfulness.

J’ai tout mangé le chocolat J’ai tout fumé les Craven A Et comme t’étais toujours pas là J’ai tout vidé le rhum-Coca J’ai tout démonté tes tableaux J’ai tout découpé tes rideaux Tout déchiré tes belles photos Que tu cachais dans ton bureau

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JAN VAN IMSCHOOT

Fallait pas m’quitter tu vois Il est beau le résultat Je fais rien que des bêtises Des bêtises quand t’es pas là83’

JAN VAN IMSCHOOT NOUS MÈNE EN BATEAU AVEC UNE SUPRÊME NONCHALANCE ET MALICE. JAN VAN IMSCHOOT WALTZES ROUND WITH US WITH SUPREME NONCHALANCE AND ARTFULNESS.

However, L’échange des bêtises is of course illegible without a knowledge of Bertrand Blier’s film Les Valseuses (1974). It is its cinematic source and in terms of theme, iconography and motifs as crucial as Édouard Manet’s Luncheon on the Grass. In the painter’s fluid brain this pinnacle in French cinema merges with Luncheon on the Grass. Is it an alternative luncheon on the grass, French through and through, modern, non-conformist, subversive and controversial? Les Valseuses proved a hugely successful film even though neither critics nor public embraced it when it was released. In short, the film is quite simply a worthy partner for Luncheon on the Grass and ideal fodder for the ‘salon des refusés’!

Nos Suzanne sont assises sur un support en marbre. Il pourrait s’agir du plateau en marbre de la table de café qu’un Manet plus âgé fit installer dans l’atelier, à l’époque où ses problèmes de santé l’empêchaient de sortir et d’aller rencontrer des gens ou dessiner des croquis à l’extérieur. Dans la toile carrément géniale de Van Imschoot, la jambe gauche d’une des Suzanne pend dans un bassin d’eau carré – dans lequel la tête du Tintoret flotte sur un seau à champagne. En combinaison avec le plateau en marbre, ce bassin fait penser à un évier. Le plateau en marbre sert de comptoir. Tout semble indiquer que Jan Van Imschoot évoque le zinc du Bar aux Folies-Bergère (1882), tout comme il l’avait déjà fait précédemment dans La présentation des absents (2021).

And above all, above all Les valseuses Not to be confused with le valseur Nuance! Les valseuses is the title of a film In colour Les valseuses Coming soon!

Jan Van Imschoot voue, en effet, une grande admiration à ce dernier chef-d’œuvre de Manet, actuellement conservé au Courtauld Institute of Art de Londres. Et comme il aime s’imaginer ce temple parisien de la vie nocturne ! À l’instar de J.-K. Huysmans avant lui : « C’est laid et c’est superbe, c’est d’un goût outrageant et exquis ; c’est incomplet comme une chose qui serait vraiment belle. […] Cela ressemble tout à la fois au bouillon de la rue Montesquieu et à un bazar algérien ou turc84. »

Les Valseuses (1974) – a film by Bertrand Blier – Trailer The protagonists in Les Valseuses – which, incidentally, besides ‘waltzers’ also means ‘testicles’ -, are two

Quant aux figures masculines présentes dans L’échange des bêtises, tels des loups enfermés dans une bergerie, ils vivent une sorte de déchéance. Le Tintoret a déjà à moitié disparu sous la surface de l’eau ; les deux autres artistes, à l’air confus et apathique, sont aussi raides que deux butors ayant les pattes immergées dans l’eau jusqu’à mi-hauteur. Ils ne se fixent pas du regard, et ne fixent ni les spectateurs que nous sommes, ni les jeunes femmes. Dans l’espace noir – la partie carrée85 –, on distingue des planètes pétrifiées. Dans L’échange des bêtises, Jan Van Imschoot nous mène en bateau avec une suprême nonchalance et malice. L’échange des bêtises demeurera, pourtant, incompréhensible pour qui ne connaît pas le film français

L’échange des bêtises (détail)

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L’ÉCHANGE DES BÊTISES FOISONNE DE DOUBLONS AVEC LES VALSEUSES. L’ÉCHANGE DES BÊTISES IS AWASH WITH OVERLAPS WITH LES VALSEUSES.

Les valseuses (1974) de Bertrand Blier. Telle est la source cinématographique de L’échange des bêtises ; et d’un point de vue thématique, iconographique, ainsi que par ses motifs, cette source est aussi cruciale que Le déjeuner sur l’herbe d’Édouard Manet. Dans le cerveau fluide du peintre, ce chef-d’œuvre du cinéma français se confond avec Le déjeuner sur l’herbe – il est un déjeuner sur l’herbe revisité, foncièrement français, moderne, non conformiste, subversif, controversé. Les valseuses est devenu un film au succès phénoménal mais, à sa sortie, il a d’abord été boudé par bon nombre de critiques et par une grande partie du public – pour faire court, le film constitue véritablement un partenaire digne du Déjeuner sur l’herbe et une œuvre idéale pour le « salon des refusés » !

hooligans, petty criminals who have done time: JeanClaude played by Gérard Depardieu and Pierrot played by the late Patrick Dewaere. They are constantly running off with cars, limousines, motorbikes and bicycles in a sort of alternative road movie. Out of boredom they break into buildings with the intention of squatting and bully and rob their fellow human beings. Above all, they are constantly on the lookout for ‘gonzesses’ - chicks, who they instantly outwit, rob, threaten and seduce – preferably all at once. “What I need is a chick. One who’ll love me!” (Pierrot). “Let’s go and get some sex, I’m going to get me some sex. Let’s go and get some lolly, I’m going to get me some lolly” (Jean-Claude). But in the end they have little success with Jeanne Pirolle (Jeanne Moreau). Their ‘fille à deux’, the girl they share, is the kidnapped Marie-Ange, shampoo girl at La Boite à Tifs Salon (!). In the film this role is played by the French actress Miou-Miou, who deploys her marzipan body in brilliant fashion (in Les Valseuses she is naked or at most scantily dressed). ‘Tintoretto’s’ Susanna in L’échange des bêtises looks a bit like her.

« Et surtout et surtout Les valseuses Qu’il ne faut pas confondre avec le valseur Nuance ! Les valseuses, c’est le titre d’un film de cinéma En couleurs Les valseuses ! Prochainement ! »

The film has a happy ending with a deliriously liberated gang of four when the sixteen-year-old Jacqueline (Isabelle Huppert) joins the trio. Her joyous deflowerment creates a superbly erotic quartet. The final retort – the answer to Pierrot’s question “we’re good like this, aren’t we?” is for Jean-Claude: “paisible/à la fraîche/décontracté du gland/ et on bandera quand on aura envie de bander.”85

Les valseuses (1974) – un film de Bertrand Blier – bande-annonce Dans Les valseuses, on assiste à la cavale de deux marginaux et anciens détenus – les petits loubards et criminels Jean-Claude (Gérard Depardieu) et Pierrot (le regretté Patrick Dewaere) –, à travers une sorte de roadmovie alternatif en voiture, limousine, moto et vélo. Par ennui, ils se mettent à cambrioler des maisons, à harceler et à dépouiller leur prochain. Avant toute chose, ils sont en quête constante de femmes, qu’ils baisent, détroussent, menacent et séduisent – de préférence tout cela à la fois. « Ce qu’il me faut, c’est une gonzesse. Et qu’elle m’aime ! » (Pierrot). « On cherche un cul, je vais trouver un cul. On cherche du blé, je vais trouver du blé » (Jean-Claude). Mais la conquête de Jeanne Pirolle (Jeanne Moreau) ne leur rapporte finalement pas grand-chose. Leur « fille à deux » est la shampouineuse, Marie-Ange, du Salon (!) de coiffure La Boîte à Tifs qu’ils kidnappent. Ce rôle est interprété dans le film par l’actrice française Miou-Miou, qui se sert avec brio de son corps en massepain pour ce faire (dans Les valseuses, elle est, au mieux, à

Les Valseuses is shameless, libertine, hedonistic, anarchistic, anti-conformist, bohemian and anti-bourgeois. An uppercut ‘of the worst sort’ with harsh and raunchy scenes of a sexist or violent nature. At the same time, it is a comedy in which tenderness also plays a part, a fable about the relativity of vice and virtue and a parody of France’s later years under Pompidou. L’échange des bêtises is awash with overlaps with Les Valseuses. The two youths are of course the counterparts of Tintoretto’s Elders. And just like Édouard Manet and Jan Van Imschoot, Jean-Claude and Pierrot both wear a hat throughout the film. “They’re not going to bleed your feet”, - Jean-Claude swears to his friend Pierrot as he washes his feet (in a Bain86 situation, ‘Le Bain’ -The Bath - being the work’s original title!). Pierrot got a bullet through his left testicle,

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peine vêtue ou bien carrément toute nue). La Suzanne « du Tintoret » dans L’échange des bêtises lui ressemble un peu. Le film connaît un dénouement heureux avec une « bande à quatre » jouissant frénétiquement après que Jacqueline, la jeune fille de 16 ans interprétée par Isabelle Huppert, s’est jointe au trio. Son joyeux dépucelage donne naissance à un superbe quatuor érotique. La réplique finale – la réponse à la question « on n’est pas bien, là ? » de Pierrot –, sort de la bouche de Jean-Claude : « Paisible/à la fraîche/décontracté du gland/et on bandera quand on aura envie de bander. » Les valseuses est une œuvre éhontée, libertine, hédoniste, anarchique, anticonformiste, bohème et antibourgeoise. Un uppercut « de la pire sorte » avec des scènes dures et dégoûtantes, proches du sexisme et de la violence gratuite. En même temps, il s’agit d’une comédie où la tendresse compte aussi, d’une fable sur la relativité de la vertu et du vice, et d’une parodie des dernières années de la France sous Pompidou, la France compassée de Pompidou. L’échange des bêtises foisonne de doublons avec Les valseuses. Les deux jeunes hommes sont, évidemment, les pendants des Vieillards du Tintoret. Et tout comme Édouard Manet et Jan Van Imschoot, Jean-Claude et Pierrot portent chacun un chapeau dans le film.

L’échange des bêtises (détail)

which makes him bleed profusely, restricts his freedom of movement and destroys his love life. Jeanne Pirolle, alias ‘la vieille’, complains after a déjeuner with the boys that she is no longer bleeding…

« Ils ne vont pas saigner, tes pieds », promet Jean-Claude à son ami Pierrot alors qu’il lui lave les pieds (dans une situation analogue au Bain86 !). Car, au cours d’un holdup, Pierrot avait pris une balle dans ses bijoux de famille, « une petite déchirure superficielle du testicule gauche », qui saigne néanmoins beaucoup et qui contrarie sa liberté de mouvement et sa vie amoureuse. Jeanne Pirolle, alias « la vieille », se plaint, elle, à la fin d’un déjeuner avec les loubards, de ne plus saigner…

At a certain point Jeanne Pirolle uses Jean-Claude’s pistol to shoot herself between the legs with fatal consequences. The hammer comes straight out of the boot of a stolen car and is used to scare off a picnicking family (luncheon on the grass!). The store inspector (Marco Perrin) wears a Mammouth hypermarket badge on his lapel. When asked her name, the woman who has just been to the baker’s and is still holding cake, has to contend with being groped… “Suzanne”! The distinctly bourgeois father of Jacqueline (Christian Alers) is not keen on the riffraff, particularly when his daughter sets off with them. “Les enfants, vous n’allez pas faire des bêtises ?” – Now you won’t get into mischief, children, will you?

Avec le pistolet de Jean-Claude, Jeanne Pirolle se tire, à un moment donné, entre les jambes, un geste à l’issue fatale. Quant au marteau, il sort tout droit du coffre d’une voiture volée et il sert à chasser de la berge une famille en train de pique-niquer (déjeuner en plein air !). Le vigile du supermarché (Marco Perrin) porte un badge de la grande surface Mammouth sur le revers de sa veste. Interrogée sur son nom, une femme, tout juste sortie de chez le pâtissier avec un gâteau dans les bras, subit des attouchements… « Suzanne » ! Le père de Jacqueline

L’échange des bêtises is a gigantic merry-go-round. Passing us by with each turn is a different time, a different painting, a different tradition.

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Bertrand Blier, Les valseuses , 1974 Patrick Dewaere, Miou-Miou et Gérard Depardieu

(Christian Alers), un bourgeois jusqu’au bout des ongles, ne voit pas ces marginaux d’un bon œil, encore moins quand il voit sa fille se casser avec eux. « Les enfants, vous n’allez pas faire de bêtises ? »

The work is an exhibition in itself. Innumerable scenes unfold as in a kaleidoscope and in an intensely personal and transgressive way, fluttering down over our perplexed heads with some parsley confetti for dessert.

L’échange des bêtises est un gigantesque carrousel. À chaque tour, on voit passer une autre époque, une autre peinture, une autre tradition. L’œuvre est une exposition en soi, où se jouent, comme dans un kaléidoscope et d’une manière intensément personnelle et transgressive, plusieurs scènes, qui tourbillonnent au-dessus de nos têtes perplexes avec, pour couronner le tout, quelques confettis de persil.

“Als twee teven vechten om een teen… loopt Marietje met het neutje heen”. – Van Imschoot’s variation on a proverb along the lines of ‘Opportunity makes the thief’. L’échange des bêtises organises an encounter between Manet & Tintoretto – and by extension Jan Van Imschoot – with ‘les valseuses’. Day-time or night-time. Inside or out: you say! Whether the men count as Elders or Youths is a mystery. Everything points to Jan Van Imschoot wanting to be Madame Manet’s piano tuner. In his imagination, his fairytale, his café-theatre, his bêtise, the artist makes her his, he drinks with her, he possesses her. She is now his Suzanne, his horn of plenty. She plays the piano on his chest. She plaits his hair into pigtails. She is his vision

« Als twee teven vechten om een teen… loopt Marietje met het neutje heen. » Ce qui signifie littéralement : « Quand deux garces se disputent un orteil, Marietje se casse avec le petit verre. » Expression détournée par Van Imschoot qui équivaut, en français, à « C’est le troisième larron ».

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JAN VAN IMSCHOOT

IL S’AGIT À LA FOIS D’UNE CONVERSATION PIECE, D’UNE SCÈNE DE GENRE ET D’UN NU CONTEMPORAIN. A CONTEMPORARY CONVERSATION PIECE, SCÈNE DE GENRE AND NUDE PAINTING.

L’échange des bêtises organise la rencontre de Manet et du Tintoret – et par extension de Jan Van Imschoot – avec « les valseuses ». Dans une ambiance nocturne. À l’intérieur ou à l’extérieur : à vous de décider. À savoir si les hommes se rangent du côté des Vieillards ou des Jeunes Hommes, cela reste un mystère. Tout indique cependant que Jan Van Imschoot aurait bien aimé être l’accordeur de piano de madame Manet. Dans son imagination, son conte de fées, son café-théâtre, sa bêtise, l’artiste la fait sienne, boit avec elle, la possède. Elle est désormais sa Suzanne, sa corne d’abondance. Elle joue du piano sur sa poitrine. Elle lui noue de petites tresses dans les cheveux. Elle est sa vision féérique, sa Marie (le bleu de son foulard est une couleur mariale). Sur le revers de son veston, on perçoit distinctement un pin’s : pianos Maene – M a e n e/M a n e t. Manet, justement, incorrigible coureur de jupons, regarde de l’autre côté – ou non, tout compte fait ? Quant à savoir si les jeunes filles veulent se faire baiser, aimer, observer ou peindre – et par qui – , c’est un autre mystère. La condition féminine est un abîme.

féérique, his Mary (the blue of her shawl is a Marian colour). There is no mistaking the pin on his lapel: Maene pianos – M a e n e / M a n e t. For his part, the incorrigible womaniser Manet looks the other way, or does he? Whether the young girls want to be screwed, courted, looked at or painted – and by whom – is yet another mystery. The condition féminine is an abyss. The same applies to painting. L’échange des bêtises is deep space. The mirror on the counter, the underlying metaphor for the whole painting, brings into play the subtle dialectic between image and viewer. The distorted mirror image is a warning: cave canem, no image is to be trusted. L’échange des bêtises holds the same fascination as the Medusa shield. It is a brilliant coda for “The presentation of the absent” exhibition and a truly sensational contemporary conversation piece, scène de genre and nude painting. “Dearest B., It nearly finished me off. Gut and stomach problems, but once it was finished, all the afflictions vanished. A weight off my mind and belly.”

Tout comme la peinture. L’échange des bêtises est un espace lointain. Le miroir sur le comptoir, une mise en abyme de la toile entière, met en scène la dialectique subtile entre image et spectateur. L’image déformée du miroir est un avertissement : cave canem, il ne faut pas se fier aux apparences. L’échange des bêtises exerce la même fascination que le bouclier de la Méduse. Clé de voûte géniale de l’exposition « La présentation des absents », il s’agit à la fois d’une conversation piece87, d’une scène de genre et d’un nu contemporain vraiment sensationnels. « Très chère B., j’ai bien cru y passer, à cause de mes problèmes d’intestins et d’estomac, mais une fois la toile achevée, tous les symptômes ont disparu. Quel soulagement pour mon cœur, mes tripes et mes viscères. »

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LA FÊTE EST TERMINÉE, LE BEAU MONDE FESTOYANT A DISPARU. THE PARTY IS OVER, THE REVELLING BEAU MONDE HAS GONE.

La présentation des absents

La présentation des absents

« Il existe à Paris un endroit bizarre, exquis, fort peu orthodoxe, moitié café, moitié théâtre, parisien au possible, fort recherché par les provinciaux et les étrangers. Cet endroit s’appelle les Folies Bergère. Là, une foule se réunit chaque soir ; quand je dis une foule, c’est une cohue que je devrais dire. Elle se compose du public qui s’amuse, ou mieux encore du public qui a la prétention de s’amuser, c’est-à-dire de ce groupe énorme, blasé, pincé, noceur, rarement jovial, que l’on rencontre depuis une dizaine d’années partout où il est de bon goût de se trouver88. »

“There is a strange, exquisite, unorthodox place in Paris, half café, half theatre, Parisian to the core, much sought out by provincials and foreigners. This place is called the Folies Bergère. A crowd gathers there every evening; I said a crowd, but it’s more like a mob. It is made up of members of the public enjoying themselves, or rather pretending to enjoy themselves, that is to say, of that enormous, affected, stiff and starchy, revelling, rarely jovial group of people, who for the last ten years are to be found wherever it is in good taste to be”.87 The description is Emile Zola’s and the subject is of course the cabaret music hall Les Folies Bergère, immortalised by Édouard Manet in one of the greatest modern paintings of the nineteenth century, A Bar at the Folies-Bergère (1881-1882). Like many of his fellow painters, Manet was extremely interested in city and night-life. Brasserie and café scenes would be captured in numerous paintings during his lifetime by (among others) Renoir and Degas, and Zola and Huysmans would also immortalise Parisian nightlife in literature. But a rendezvous as painted by Manet, no, that had never been done. And there would never be another. A Bar at the Folies-Bergère signified the height of Manet’s abilities, intelligence, elegance and wit. At the same time, it is a truly modern history painting. The bustling, densely packed interior of this world saturated in hedonism gleams and sparkles; the painting speaks, sings, smells – Paris! Suzon was the model for the unforgettable barmaid with the mysterious pout – Édouard Manet’s Mona Lisa.

La description est d’Émile Zola et le sujet est, bien sûr, la salle de café-concert Les Folies Bergère, immortalisée à jamais par Édouard Manet dans un des plus grands tableaux modernes du XIXe siècle, Un bar aux FoliesBergère (1881-1882). Manet s’intéresse outre mesure à la vie citadine et nocturne, certes. Mais beaucoup de ses contemporains aussi. De son vivant, des scènes de brasserie et de café figureront dans de nombreuses toiles, notamment de Renoir et Degas. Zola et Huysmans aussi immortaliseront la vie nocturne parisienne dans leurs œuvres littéraires. Mais un rendez-vous comme celui peint par Manet, c’était du jamais-vu. Il n’y aura pas d’autre momentum, d’ailleurs. Un bar aux Folies-Bergère incarne le summum du savoir-faire, de l’intelligence, de l’élégance et de l’esprit de Manet. Il s’agit, en même temps, d’une peinture d’histoire vraiment moderne. Dans la foule de clients serrés les uns contre les autres, brille et scintille un monde saturé d’hédonisme ; la toile parle, chante, respire – Paris ! Le modèle qui a donné naissance à l’inoubliable serveuse à la mystérieuse bouche en cœur – la Joconde d’Édouard Manet – s’appelle Suzon.

In The presentation of the absent (2021), his interpretation of A Bar at the Folies-Bergère, Jan Van Imschoot has sent everyone packing. All the hubbub, flirtation and dalliance have ceased. The curtain has come down, the party is over, the revelling beau monde has gone. Gone, too, are Suzon and her clients, along with the iconic mirror with which Manet reflected his painting towards us. What remain are the bar counter, the marble tabletop, the bottles of alcohol, the absinth, the peonies Manet was so extremely fond of – and the bowl of oranges. On the horizon everything is black, apart from three round balls evoking the electric lights of the bar, and two pears.

Dans La présentation des absents (2021), qui n’est autre que son interprétation d’Un bar aux Folies-Bergère, Jan Van Imschoot a viré tout le monde. Fini le brouhaha, finie la drague. Le rideau est tombé, la fête est terminée, le beau monde festoyant a disparu. Suzon et ses clients s’en sont allés, le miroir iconique avec lequel Manet nous renvoie sa peinture, aussi. Restent sur le comptoir le plateau en marbre, les bouteilles

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La présentation des absents, 2021

Huile sur toile, 170 x 190 cm Oil on canvas, 66 7/8 x 74 3/4 in.


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The presentation of the absent is the sediment in the bottle in the exhibition of the same name. It is the backdrop and the mirror for all the other paintings that have passed under review. In that sense it is as much a tableau-miroir as A Bar at the Folies-Bergère is.

de boisson, le flacon d’absinthe, les pivoines que Manet aimait tant – et la coupe remplie d’oranges. À l’horizon, tout est noir, hormis trois globes qui évoquent les lampes électriques du bar et deux petites poires. La présentation des absents est la substantifique moelle de l’exposition éponyme. C’est le décor de fond et le miroir tendu devant toutes les autres toiles que nous avons passées en revue. En ce sens, l’œuvre est, au même titre qu’Un bar aux Folies-Bergère, un tableau-miroir.

The ‘still life’ is merely sham. The presentation of the absent is not unremittingly elegiac and does not speak of death. The feast (of paintings) can begin again at any moment. Look! Just take a look! The party is in full swing. Just as the kingfisher flies over Edouard Manet’s Luncheon on the Grass, in the delightful painting Le jeu des jumeaux d’antan. A shepherdess’ madness in a flying oyster bar (2020) a naughty winged oyster glides through the air, evoking the madness of that shepherdess. Désir encore, désir toujours et partout.

La « vie immobile » n’est qu’apparence. La présentation des absents n’est pas foncièrement élégiaque et ne parle pas de mort. Le festin des peintures peut reprendre à tout moment. Tenez ! Regardez ! Déjà, la fête bat son plein. Tel le martinpêcheur survolant Le déjeuner sur l’herbe d’Édouard Manet, dans le splendide tableau Le jeu des jumeaux d’antan. A shepherdess’ madness in a flying oyster bar (2020), une coquine huître ailée s’élance dans les airs, déclenchant « la folie d’une bergère dans un flying oyster bar ». Désir encore, désir toujours et partout.

In La présentation des absents, the oranges, Jan Van Imschoot swears, are prostitutes. In Japan they call these women ‘Dutch women’. The two pears top left are the legs of the trapeze artist from A Bar at the Folies-Bergère. They really do seem to move. Blue pears: does that colour mean anything to you? Amour toujours et partout.

Dans La présentation des absents les oranges, Jan Van Imschoot le jure, ce sont des prostituées. Au Japon, on appelle ces femmes des femmes hollandaises. Les deux petites poires en haut à gauche sont les jambes de la trapéziste dans Un bar aux Folies-Bergère. On dirait qu’elles bougent pour de vrai. Des poires bleues : cette couleur ne vous dit rien ? Amour toujours et partout.

Édouard Manet Un bar aux Folies-Bergère, 1 882 Huile sur toile, 93 x 130 cm Courtauld Institute, Londres

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UN HALLUCINOGÈNE QUI CHARGE LA SENSORIALITÉ DES IMAGES D’INNOMBRABLES POSSIBILITÉS. A HALLUCINOGEN WHICH CHARGES THE PERCEPTION OF THE IMAGES WITH COUNTLESS POSSIBILITIES.

La part des anges

The angels’ share

L’exposition La présentation des absents est comme une fleur qui prend d’abord la forme d’un bouton, puis éclot et s’épanouit de manière resplendissante avant de se faner. Nous prenons congé de la flûte, de la boîte à tabac, des œufs, des verres roemers et des bières, mais aussi du citron, de la figue, de la poire (charnue), du plateau en étain, du service à café. Nous disons au revoir aux tulipes hollandaises, à Christian Dior, à YSL, aux bateauxmouches, à l’anguille, à l’asperge, à l’huître, à la brioche, au lait, au gin tonic, au genièvre, à l’absinthe, au champagne, sans oublier la Vieille Prune. Bye bye petits et gros félins, rouge-gorge, pivoine et orange.

The exhibition The presentation of the absent is like a flower which first comes into bud, then blooms and eventually wilts. We say goodbye to the flute, the tobacco box, the eggs, the rummers and the beers, the lemon, the fig, the succulent pear, the pewter plate, the coffee service. We say hello to the Dutch tulips, to Christian Dior, to YSL, to the bateaux-mouches, the eel, the asparagus, the oyster, the brioche, the milk, the gin and tonic, the jenever, the absinth, the Champagne, the vieille prune. To cats large and small, to robin redbreast, peonies and oranges. We say hello to Madame Piviblan, to the artist’s wife, to Henri Rochefort, to Eugène Pertuiset, to all the artists and men and women of letters, to the unforgettable ladyboy, to Léon Koëlla Leenhoff, to the milkmaid Tanneke Everpoel and to the Two Marys, to Suzanne Leenhoff, to Miou-Miou, to all the waltzers in the world, to the shadows of Victorine Meurent and Suzon. The curtain falls over Haarlem, over Heda, over Van Beyeren and the genre painting of the Golden Age. Over Brussels, over the Lyonnais and the Haute-Marne, over Paris, over Venice, over the orchard, the kitchen and the artist’s studio.

Nous saluons Madame Piviblan, la femme de l’artiste, Henri Rochefort, Eugène Pertuiset, ainsi que tous les artistes et écrivains, salut à l’inoubliable ladyboy, à Léon Koëlla Leenhoff, à la laitière Tanneke Everpoel et aux deux Marie, à Suzanne Leenhoff, à Miou-Miou, à toutes les valseuses du monde, aux ombres de Victorine Meurent et de Suzon. Le rideau tombe sur Haarlem, Heda, Van Beyeren et la peinture de genre du Siècle d’or. Clap de fin sur Bruxelles, le Lyonnais et la Haute-Marne, sur Paris, Venise, sur le verger, la cuisine et l’atelier de l’artiste.

The presentation of the absent is a hallucinogen which charges the perception of the images with countless possibilities – dreams, ideas, events major and minor, colours, sounds. The eel (in L’attrait du fruit adultère) merges with the straightening asparagus (in Les Flamandes crues). The ice cubes in the milkmaid’s jug have deserted to Tintoretto’s wine-cooler. Vermeer, begetter of fifteen children, is on his way to Madame Piviblan. The Suzannes are women with a jug. Ladyboy is Suzon. Édouard Manet’s plum liqueur-loving Parisian in doolally pink outfit (in La Prune) dances the can-can with Miou-Miou in pink, fake fur jacket (in Les Valseuses). But she also dances with Jan Van Imschoot in pink boa and pink baton! (in Les fameux paresseux heureux). The dangling asparagus (in Les fameux paresseux heureux) are the legs of the trapeze artist (in A Bar at the FoliesBergère). The bloody toes (in L’échange des bêtises) are red tears for the terminally ill Manet who lost his leg in a truly horrendous amputation…

La présentation des absents est un hallucinogène qui charge la sensorialité des images d’innombrables possibilités – rêves, volutes de pensées, petites et grandes histoires, couleurs et sons. L’anguille (dans L’attrait du fruit adultère) fusionne avec l’asperge qui se dresse (dans Les Flamandes crues). Les glaçons de la carafe de la laitière ont migré vers le seau à glace du Tintoret. Vermeer, géniteur de quinze enfants, se rend chez Madame Piviblan. Les Suzanne sont des femmes-pichets !! Ladyboy est Suzon. La Parisienne en train de déguster sa liqueur de prunes d’Édouard Manet en tenue rose bonbon (dans La prune) danse le cancan avec Miou-Miou dans son manteau rose en fausse fourrure (dans Les Valseuses). Mais elle danse aussi avec Jan Van Imschoot en boa rose – et bâton rose ! (dans Les fameux paresseux heureux). Les asperges qui pendent (dans Les fameux paresseux heureux) sont les jambes de la trapéziste (dans Un bar aux Folies-Bergère). Les orteils en sang (dans L’échange des

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Incidentally, less than seven kilometres from Noncourt-surle-Rongeant there is a village called… Suzannecourt. Qui m’aime me suive ! Those who love me will follow me!

bêtises) sont les larmes rouges d’un Manet gravement malade qui, comble de malheur, perdit une jambe après une amputation vraiment atroce… Entre parenthèses : à moins de sept kilomètres de Noncourt-sur-le-Rongeant se trouve un village appelé… Suzannecourt. Qui m’aime me suive !

Figuring out Jan Van Imschoot is like catching an eel by its tail. His grammar is his own secret language; his imagination a labyrinth. Time is material with him. Much is enacted hors champ – ‘off camera’. Moreover, the work contains its share of the subconscious (the angels’ share).

Pour saisir Jan Van Imschoot, il faut le saisir comme une anguille, par la queue. Sa grammaire est un langage codé, son imagination, un labyrinthe. Le temps pour lui est matière. Une part substantielle se passe hors champ. Sans compter la part d’inconscient dans l’œuvre, la part des anges.

“The question of what is real, what is a thought and what is dreamt confirmed my idea that reality and truth don’t know their place in art. If those two concepts do find their way into a work of art, they should certainly be allowed to do the washing-up”.88

« À la question « qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qu’une pensée, ou quelle est la part rêvée ? », ma pensée m’a confirmé que dans le domaine de l’art, la réalité et la vérité n’ont pas lieu d’être. Si ces deux notions devaient malgré tout se glisser dans une œuvre d’art, alors elles ne pourraient assurément que faire la vaisselle.89. »

The presentation of the absent is a gigantic mortar and pestle. Jan Van Imschoot brews genres as others brew beer. He mixes up traditions, themes and epochs and pulls an anything-but-white rabbit out of his hat. His painting is scholarly, comparable with that of his great heroes of the Italian Renaissance and the Flemish baroque. It bows down to the sensuality of the world, which serves the history of the still life so well. It is the libertarian and jubilant chanson of the quavering warbler of Noncourt. It flies higher than the others, and solo, above the ‘graveyard of the bon viveurs’.

La présentation des absents est un gigantesque broyeur et un mortier. Jan Van Imschoot brasse les genres comme un autre brasse sa bière. Il confond les traditions, les thèmes et les époques et sort de son chapeau un lapin tout sauf blanc. Sa peinture est une peinture savante, analogue à celle de ses grands héros de l’ère de la Renaissance italienne et du baroque flamand. C’est un agenouillement devant la sensualité du monde que sert si bien l’histoire de la nature morte. C’est la chanson libertaire et jubilatoire de la fauvette babillarde de Noncourt. C’est un envol plus haut que les autres, en grand solitaire, sur « la cimétaire des bons vivants ».

“Me, I worry very little about what might have been said about art. But if I had to give an opinion, I would phrase it as follows : Everything that has the spirit of humanity, the spirit of contemporaneousness is interesting. All that is devoid of it is nothing”.89 Édouard Manet

« Moi, je m’inquiète fort peu de ce qui a pu être dit sur l’art. Mais si j’avais à donner une opinion, je la formulerais ainsi : tout ce qui a l’esprit d’humanité, l’esprit de contemporanéité est intéressant. Tout ce qui en est dépourvu est nul. »90 Édouard Manet

VAN IMSCHOOT CONFOND LES TRADITIONS, LES THÈMES ET LES ÉPOQUES ET SORT DE SON CHAPEAU UN LAPIN TOUT SAUF BLANC. VAN IMSCHOOT MIXES UP TRADITIONS, THEMES AND EPOCHS AND PULLS AN ANYTHING-BUTWHITE RABBIT OUT OF HIS HAT.

Barbara De Coninck July 14th, 2021 – Antwerpen/Antwerp

Barbara De Coninck 14 juillet 2021 – Antwerpen/Anvers

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« Tenez ! Regardez ! Déjà, la fête bat son plein. Tel le martin-pêcheur survolant Le déjeuner sur l’herbe d’Édouard Manet, dans le splendide tableau Le jeu des jumeaux d’antan. A shepherdess’ madness in a flying oyster bar (2020), une coquine huître ailée s’élance dans les airs, déclenchant “ la folie d’une bergère dans un flying oyster bar ”. Désir encore, désir toujours et partout. » Le jeu des jumeaux d’antan. A shepherdess’ madness in a flying oyster bar, 2020

“Look! Just take a look! The party is in full swing. Just as the kingfisher flies over Edouard Manet’s

Huile sur toile, 190 x 170 cm Oil on canvas, 74 3/4 x 66 7/8 in.

Luncheon on the Grass, in the delightful painting Le jeu des jumeaux d’antan. A shepherdess’ madness in a flying oyster bar (2020), a naughty winged oyster glides through the air, evoking the madness of that shepherdess. Désir encore, désir toujours et partout.”

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NOTES 1. Jan Van Imschoot, dd. 1er février 2021 (e-mail). 2. Lire p. 2. 3. Édouard Manet, L’évasion de Rochefort (1880-1881), huile sur toile, 143 x 114 cm, Kunsthaus, Zurich ; L’évasion de Rochefort (1881), huile sur toile, 79 x 72 cm, musée d’Orsay, Paris. 4. Ontbijtje en néerlandais. Également appelé Petit déjeuner monochrome. La nature morte de table est dite « de petit déjeuner » ou « de petit banquet ». 5. Pronkstilleven en néerlandais. Également appelée Nature morte ostentatoire. 6. Dieu latin de la croissance et de la fécondité. 7. Un pistolet désigne également un petit pain rond en Belgique. 8. Les valseuses (1974), film de Bertrand Blier, extrait de la bande-annonce. 9. Le célèbre « verre à pastilles » : les pastilles et pointes sur le verre étaient censées empêcher le verre de glisser des mains grasses durant le repas. 10. Lire p. 2. 11. Willem Claeszoon Heda, Nature morte à la coupe Nautilus et aux huîtres (s.d.), huile sur toile, 52,7 x 75,5 cm ; Nature morte avec coupe Nautilus, Roemer, Tazza, tourte à la viande et citron épluché sur une table (s.d.), huile sur toile, 36 x 51 cm. Les deux tableaux ont été vendus aux enchères publiques, respectivement le 9 mai 2015 et le 18 mai 2016. 12. Jan Van Imschoot, 24 février 2021 (e-mail) : « Je peindrai peut-être encore une toile avec des asperges, ou une nature morte aux bouteilles de gin et de Martini Rosato disposées à la façon d’un cimetière. “La cimétaire des bons vivants” ». 13. « Gaygin » : un tiers de glaçons, un tiers de gin, un tiers de Martini Rosato (recette de Jan Van Imschoot). 14. RTBF Météo, 29 août 2018 (rtbf.be). 15. Éducation sentimentale, interprétée par Maxime et Catherine Le Forestier (1972), extrait. 16. Édouard Manet, Le Grand canal à Venise (1874), huile sur toile, 54 x 65 cm, Shelburne Museum, Vermont. 17. Mary Anne Stevens, dans Manet : le portrait de la vie, Royal Academy of Arts, Londres/Fonds Mercator, Bruxelles, 2013 (édition française), p. 190 : « Le jeu de lumière sur la robe de Fanny Claus, le choix d’un vert subtil pour le balcon et le volet à gauche, et d’une gamme de couleurs réduite, soigneusement appliquée à l’ensemble de la composition, attestent que Manet explore un nouveau langage visuel privilégiant la forme par rapport à la

représentation, un langage qui va se préciser au début des années 1870. » 18. John Leighton, dans Édouard Manet : Impressions de la mer, Van Gogh Museum Amsterdam & Mercatorfonds Antwerpen, 2004, p. 5 : « Manet était en mesure d’insuffler une nouvelle vie à un sujet éculé : sa représentation de la mer était plus originale et surprenante que celle de n’importe quel autre artiste de son temps. De l’ensemble des marines peintes par Manet, il ressort qu’il était conscient des traditions de marines qui remontent au XVIIe siècle, et qu’il connaissait l’œuvre de ses prédécesseurs directs, comme Courbet, Jongkind et Boudin. » 19. John Leighton, Manet : le portrait de la vie, Royal Academy of Arts, Londres/ Fonds Mercator, Bruxelles, 2013 (Édition française), p. 73. 20. On ne sait pas si ce voyage était à visée artistique ou s’il s’agissait d’une visite de proches, et la seule œuvre qui en a découlé est Vue des Pays-Bas (1872). Manet avait voyagé auparavant aux Pays-Bas, notamment en 1852, alors qu’il était étudiant (sa signature figure dans le livre d’or du Rijksmuseum), et en 1863 (pour épouser Suzanne Leenhoff à Zaltbommel, le 28 octobre 1863). Au cours de son troisième et dernier voyage, Édouard Manet visita en compagnie de son beau-frère, Ferdinand Leenhoff, le musée communal à Haarlem (où il a certainement vu des œuvres de Frans Hals, le 26 juin 1872), ainsi que le Rijksmuseum au Trippenhuis (le 27 juin 1872). 21. John Leighton, op. cit., p. 61 : « C’est une peinture vivante, et il est tentant de mettre sa vitalité en rapport avec la visite de Manet au musée Frans Hals, fraîchement ouvert, à Haarlem. Mais la composition est plutôt schématique et la scène tient plus d’un souvenir vague que d’une étude réalisée sur place. Peut-être l’a-t-il peinte une fois de retour à Paris, la destinant au marché commercial. » 22. Jan Van Imschoot, 24 février 2021 (e-mail) : « Les grues pâtissent beaucoup de leur présence. Les agriculteurs en ont plus que marre des dégâts causés à leurs cultures. Le département de la HauteMarne refuse de les dédommager. Ces milliers d’éoliennes chassent les oiseaux ; on recense d’ores et déjà beaucoup moins de rapaces. Le champ magnétique autour d’une telle saloperie fait fuir les insectes, donc le reste suit. Bientôt, il ne restera plus que des corneilles et des pies. L’électricité verte met à mal l’équilibre biologique. » 23. Pierre Bourdieu dans Manet : une révolution symbolique, éditions du SeuilRaison d’agir, 2013, p. 22 : « Sous le Second Empire (1852-1870), lorsque Manet surgit, la France est dotée d’un art d’État. » 24. Pieter Brueghel l’Ancien, Chasseurs dans la neige (1565), huile sur panneau de bois, 117 x 162 cm, Kunsthistorisches Museum, Vienne.

25. Édouard Manet, Anguille et rouget (1864), huile sur toile, 38 x 46 cm, musée d’Orsay, Paris ; Poissons (1864), huile sur toile, 73,5 x 92,4 cm, Art Institute of Chicago. 26. Gre Parelmoer, Dikke Paling, youtube.com : les Pays-Bas vouent un véritable culte à l’anguille. La fumaison artisanale de l’anguille dans des fours ouverts et sur bois de chêne est une tradition chérie et une fierté nationale. En Zélande, l’anguille figure parmi les « délices zélandais ». 27. La peinture est également connue sous le titre de Stregoneria ou encore Bambocciata. 28. Éric Darragon dans Manet, Fayard, 1989, p. 342 : « Il aime particulièrement chez Manet ses natures mortes, dont il devient un collectionneur tout à fait remarquable, puisqu’à sa vente, le 6 juin 1888, figuraient Le jambon, Le melon, Une poire, Des pêches, Des prunes, Lilas dans un verre, Vase de fleurs, Roses et lilas, mais aussi Le combat de taureaux, sujet moins paisible qui pouvait évoquer pour lui certaines émotions. » 29. Carol M. Armstrong, Manet : le portrait de la vie, Royal Academy of Arts, Londres/Fonds Mercator, Bruxelles, 2013 (édition française), p. 44 : « Un certain nombre d’études ont montré l’impact de la photographie dans la peinture de Manet, en particulier, celles d’Anne McCauley et d’Alexi Worth. Il existe aussi des preuves ponctuelles d’une rencontre directe entre la photographie et la peinture de Manet, telles les cartes de visite en costumes réalisées vers 1860 par le premier portraitiste de photographies cartes de visite, André-Adolphe-Eugène (ou A.A.E.) Disdéri : des actrices et danseuses comme Henriette Schlosser et Eugénie Fiocre y apparaissent travesties en matadors. Manet a dû les voir avant de peindre, en 1862, Mademoiselle V. en costume d’espada. Remarquons aussi l’apparition simultanée des photographies de pivoines de Charles Aubry et la peinture d’un bouquet semblable des mêmes fleurs par Manet en 1864, sans compter les exemples de sources photographiques pour l’exécution de Maximilien et Eugène Pertuiset, chasseur de lions. » 30. Éric Darragon, op. cit., p. 343 : « Qui évoque ceux des années 1860, comme si le caractère du portrait imposait une dimension un peu exceptionnelle. » 31. Mary Anne Stevens, op. cit., p. 124 : « Les portraits de prestige cherchent à rendre le statut social et économique du modèle – pouvoir, fortune, position et éducation – de manière immédiatement identifiable par le spectateur. Tous les portraits de cette section (dont Eugène Pertuiset, chasseur de lions), achevés ou non, semblent réalisés dans cet unique but. » 32. Maryanne Stevens, op. cit., p. 195 : « Le décor broussailleux s’inspire soit du

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jardin de Pertuiset, 14 passage de l’Élysée, à Montmartre, soit d’études faites par Manet à Bellevue en 1880. Cependant, le manque de profondeur et le désintérêt pour les ombres confèrent à la scène un caractère artificiel proche des toiles de fond peintes utilisées pour leurs portraits par les photographes contemporains, caractère que vient renforcer le lion, manifestement empaillé. » 33. L’Art moderne de J.-K. Huysmans (Paris, 1883), p. 182, cité par Éric Darragon, Manet (Fayard, 1989), p. 345. 34. Éric Darragon, op. cit., pp. 359-360 : « Vingt ans après la mention honorable du Salon de 1861, la médaille de seconde classe venait sanctionner la carrière officielle de Manet : il partageait cet honneur avec les peintres Bertrand, Comerre, Sargent, Dupré, Mazure, Verhas, Beauverie, Pointelin, Chartran. Baudry obtenait la médaille d’honneur. Le jury n’accordait pas de première médaille. Manet avait quarante-neuf ans, il était désormais “hors concours”. À la fin de l’année, Manet fut nommé chevalier de la Légion d’honneur. » 35. Mary Anne Stevens, op. cit., p. 195. 36. La fauvette babillarde ou braamsluiper en néerlandais, ce qui signifie littéralement rôdeur des buissons. 37. Éric Darragon, op. cit., p. 347. 38. Ce qui signifie : le pays où poussent les asperges. 39. Arrêté royal (A.R.), 2014, via Morgan G. Moller, 28 mai 2021. « § 9. Lorsque le nombre de demandes est exceptionnellement élevé, le délai visé au § 8, dans lequel le prix maximum autorisé est signifié au demandeur, peut être prolongé de 30 jours. Le Service des prix informe le demandeur (ÉTAPE 1 Préchauffer le four à 250 °C, thermostat 8-9. ÉTAPE 2 Dans un grand volume d’eau additionnée de 3 cuillerées à café de sel, faire cuire les asperges que vous aurez rincées, épluchées (le bas uniquement) pendant 30 min environ. ÉTAPE 3 Dans une casserole, porter à ébullition la crème avec le concentré de tomates. Ajouter un peu de paprika, saler et poivrer. ÉTAPE 4 Beurrer un plat à gratin, y déposer les asperges, recouvrir de crème ci-dessus et parsemer de Cantal. ÉTAPE 5 Abaisser votre four à 230 °C, thermostat 7-8, et enfourner 15-20 min. ÉTAPE 6 Bon appétit !) de cette prolongation du délai avant l’expiration du délai initial. » 40. Jan Van Imschoot, 28 mars 2021 (WhatsApp) : « J’ai fait le compte à ce jour. Plus que deux asperges et Daniel pourra ouvrir un bistrot. » 41. Œufs durs écrasés à la fourchette. 42. Geert Van Hecke, chef étoilé, sur VRT, Deredactie/Binnenland, 16 avril 2019 : « Elles n’ont que des avantages : elles sont abordables, elles ont leur place dans un régime végétarien et c’est un légume saisonnier ; bref, elles ont tout pour plaire. »

43. Édouard Manet, L’asperge (1880), huile sur toile, 16,9 x 21,9 cm, musée d’Orsay, Paris, France. Jusqu’en 18801900 dans la collection de Charles Ephrussi, don de l’artiste. 44. Charles Ephrussi (1849-1905), un des Parisiens pris comme modèle par Marcel Proust pour créer le personnage de Charles Swann. 45. Édouard Manet, Une botte d’asperges (1880), huile sur toile, 46 x 55 cm, WallrafRichartz Museum, Cologne. 46. L’œuvre d’Adriaen Coorte (Middelbourg, ca. 1665 – après 1707) compte environ 80 pièces signées, toutes, sans exception, des natures mortes. Sept natures mortes aux asperges ont été attribuées à Coorte, dont Asperges, fraises et groseilles (1698), figurant dans la collection du Dordrechts Museum, et Nature morte aux asperges et groseilles rouges (1696), figurant dans la collection du National Gallery of Art, Washington. 47. ewaneumann.com ; voir également dans : A Dictionary of Modern and Contemporary Art, Oxford Reference. 48. Paul Luckraft, Phillip Van den Bossche, Massimo Minini, sous la direction de Lynda Morris, Documenting Cadere 19721978, Verlag Der Buchhandlung König, 2013, p. 50. 49. Dès son apparition, Une botte d’asperges de Manet a ému beaucoup de monde. www.wga.hu : « Vers la fin de sa carrière, Manet, qui était déjà à moitié paralysé, a peint une série de petites natures mortes, dont Une botte d’asperges, qui est devenue célèbre grâce à Liebermann, grand admirateur de Manet, qui en a été propriétaire. […] Quelle émotion de contempler ces ravissantes impressions de la beauté du monde naturel, compte tenu de l’état avancé de la maladie de Manet lorsqu’il les peignit. » 50. D’après le proverbe flamand : « Een vogel die te vroeg zingt, wordt ‘s avonds van de kat gegeten » (en français : un oiseau qui chante trop tôt sera mangé par le chat le soir). 51. Éric Darragon, op. cit., p. 163. La description est d’Adolphe Tabarant, dans Manet et ses œuvres (Gallimard, 1947), p. 152. 52. Mary Anne Stevens, op. cit., p. 179. 53. L’après-dînée à Ornans (1849), coll. Palais des Beaux-Arts (Lille), signe la percée de Gustave Courbet (1819-1877). L’œuvre décroche la médaille d’or au Salon de 1849 et sera acquise par l’État français. À son propos, Delacroix aura cette réplique célèbre : « Avez-vous vu rien de pareil, ni d’aussi fort ? C’est un novateur, un révolutionnaire ! » L’après-dînée à Ornans est considéré comme le manifeste du mouvement réaliste en France. 54. Mary Anne Stevens, op. cit., p. 179. 55. Édouard Manet, Olympia (1863), huile sur toile, 130,5 x 191 cm, musée d’Orsay, Paris. musee-orsay.fr : « Avec Olympia,


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Manet revisite le thème traditionnel du nu féminin en recourant à une technique radicale, sans compromis. Tant le thème que sa représentation expliquent le scandale suscité par cette œuvre au Salon de 1865. Même si Manet avait cité de nombreuses références formelles et iconographiques, dont la Vénus d’Urbino du Titien, La Maja desnuda de Goya et le thème de l’odalisque avec son esclave noire, déjà représentée notamment par Ingres, l’œuvre montre la réalité froide et prosaïque d’un sujet vraiment contemporain. Vénus est devenue une prostituée, narguant le spectateur de son regard calculateur. Cette profanation du nu idéalisé, le fondement même de la tradition académique, suscita de virulentes réactions. Les critiques attaquèrent l’“odalisque au ventre jaune” dont la modernité fut néanmoins défendue par un petit groupe de contemporains de Manet avec, à leur tête, Zola. » 56. Johannes Vermeer, La jeune fille à la perle (ca. 1665-1667), Mauritshuis, La Haye. L’œuvre de Johannes Vermeer est indissociablement liée au motif de la perle. On attribue à Vermeer onze figures féminines qui portent des perles. 57. Le déjeuner sur l’herbe (1863) et Olympia (1863) marquent la genèse de l’art moderne. 58. Édouard Manet, Huîtres (1862), huile sur toile, 39,2 x 46,8 cm, National Gallery of Art, Washington. 59. Léonard de Vinci (attr.), Madonna Litta (ca. 1490), détrempe sur bois transposée sur toile, 42 x 33 cm, musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg. 60. Carel Fabritius, Le chardonneret (1654), huile sur panneau, 33,5 x 22,8 cm, Mauritshuis, La Haye. Johannes Vermeer (1632-1675) fut peut-être un disciple de son concitoyen Carel Fabritius. Voir www.rijksmuseum.nl. 61. Kalup Linzy, « On Édouard Manet », in The Artist Project, The Metropolitan Museum of Art, New York, 2015-2016 : « L’homme et la femme portent le même costume de matador. Je ne sais pas s’il y avait des femmes toréras à l’époque, mais selon moi, il y a tout un jeu sur le genre. Ce que j’aime justement, c’est l’idée qu’il avait ces vêtements dans son studio et que les modèles venaient tout simplement, les enfilaient et adoptaient la même pose que les personnages en question. Une démarche qui me paraît tellement contemporaine. Rupaul a dit un jour : “Nous sommes nés nus et tout le reste n’est que travestissement” », observations liées aux œuvres Jeune homme en costume de majo (1863) et Mlle V. en costume d’espada (1862) faisant partie de la collection du MET/NYC. 62. Jan Van Imschoot, 28 mars 2021. Il affirme par ailleurs : « Vermeer peignait deux types de femmes : la femme qui lit ou écrit (le type intellectuel) et la servante (caritas catholica). »

63. Daniel Arasse, Histoires de peintures, éditions Denoël, 2004, et Gallimard Folio Essais, 2006, pp. 206-207 : « Enfin, troisième donnée, intéressante mais complexe : Vermeer, dans le milieu hollandais protestant, était un catholique. Un catholique converti depuis l’âge de vingt ans, et convaincu, comme le montrent incontestablement les documents rassemblés par Montias. Il a vécu toute sa vie dans ce qu’on appelait “le coin des papistes”, où étaient rassemblés les catholiques de Delft. Il ne s’agit pas de dire que la singularité ou la spécificité de Vermeer serait liée à son catholicisme, mais il y avait quand même là quelque chose d’un peu troublant, bien qu’il ne soit pas le seul peintre hollandais catholique. » 64. Édouard Manet, Le buveur d’absinthe (1859), huile sur toile, 180,5 x 105,6 cm, Ny Carlsberg Glyptotek, Copenhague. Cette œuvre est la première peinture originale de Manet et son premier envoi au Salon, où elle sera refusée, malgré le soutien de Delacroix. 65. Ross King, De omwenteling van Parijs : Over de geboorte van het impressionisme, De Bezige Bij, Amsterdam, 2006, p. 30. 66. Herman Weyers, directeur Stichting Vermeer Centrum Delft, 5 juillet 2021 (e-mail) : « La laitière est un bel ensemble figé d’une jeune fille qui verse du lait. Que va-t-elle en faire ? Et pour qui ? Jamais nous ne le saurons. » 67. www.essentialvermeer.com : « Le bord très rentrant prouve que le pot était censé recevoir un couvercle pour sceller les contenus afin d’obtenir une cuisson étanche à l’air. Les fours hollandais étaient utilisés pour une cuisson prolongée et lente. Ils étaient fabriqués en fer ou, en l’occurrence, en céramique. » 68. Jean-Baptiste Siméon Chardin, La brioche, dite aussi Un dessert (1763), huile sur toile, 47 x 56 cm, musée du Louvre, Paris. 69. Édouard Manet, La brioche (1870), huile sur toile, 65,1 x 81 cm, The Metropolitan Museum of Art, New York. Durant sa vie, Manet a peint pas moins de cinq œuvres comprenant des brioches, dont Brioche avec poires (Dallas Museum of Art and The Arts, Ltd.), Nature morte à la brioche (Carnegie Museum of Art, Pittsburgh) et Nature morte, huîtres, citron, brioche (1876, Dickinson Gallery, London and New York, RW 252). 70. Édouard Manet, Femme à la cruche (entre 1858 et 1860), huile sur toile, 56 x 47,2 cm, Ordrupgaard Museum, Copenhague. 71. www.musee-orsay.fr : « Annoncée en 1932, il faudra attendre vingt-quatre ans avant que la confrontation ne débute. En 1954, Picasso ouvre un carnet sur la couverture duquel il écrit : « PREMIERS dessins/du déjeuner sur l’herbe/1954. » 72. Pierre Bourdieu, op. cit., pp. 548-549 : « Évidemment, il s’oppose à la peinture

académique par le sujet, par le langage simple libéré des clichés, par l’usage des aplats, par l’absence de narration : ça ne raconte rien, ou si ça raconte des choses, ce sont des choses qu’on ne veut pas savoir, qui ne sont pas correctes du tout. Bref, il y a, en même temps, tout ce qui fait horreur à la peinture académique. C’est une confrontation avec Courbet, et ceux qui mettraient le tableau de Manet, comme ça a été fait spontanément, du côté des Demoiselles des bords de la Seine de Courbet (qui est un tableau où l’on voit des femmes endormies), se trompent complètement ; c’est même contre cette sorte de réalisme semi-érotique, et surtout très académique dans la facture, dans la composition, etc., que Manet construit cette œuvre quasi parodique, avec une femme nue, qui est probablement un modèle, assise entre deux rapins. Ils ne conversent pas, ne parlent pas entre eux – ce qui a beaucoup choqué. À quoi s’ajoutent des erreurs de perspective que j’ai évoquées, avec le personnage au second plan. » 73. Le choix de ce format immense pourrait bien être la réponse de Jan Van Imschoot au format tout aussi anormal et extravagant pour l’époque du Déjeuner sur l’herbe. Voir Pierre Bourdieu, op. cit., pp. 36-37 : « Ce tableau est plein d’incongruités –, il faudrait dire des “incongruences” – c’est-à-dire qu’il est plein de contradictions du point de vue des catégories, des schèmes de perception tacitement inscrits dans les cerveaux des gens de cette époque, de ce qui est admis par la plupart des spectateurs et des artistes. Par exemple, on remarque que ce tableau qui mesure 2,08 mètres par 2,64 mètres est trop grand pour son sujet. Nous n’avons plus dans l’œil les mesures, et en particulier la relation entre la hiérarchie des catégories artistiques, donc des œuvres, et la hiérarchie des tailles des tableaux. Un certain nombre de gens estiment que c’est trop grand pour une scène de genre, et notamment pour une scène de bain qui est une catégorie très particulière. » 74. Jan Van Imschoot, 24 février 2021 (e-mail) : « Hier, mes nouvelles toiles sont arrivées, lundi, j’entame ma Suzanne. Manet en tant qu’image réfléchie du Tintoret. Ce sera la pièce maîtresse. » 75. Jan Van Imschoot, Noncourt-sur-leRongeant, 23 avril 2021. 76. Le Tintoret (Robusti, Jacopo, dit Tintoretto), Autoportrait (vers 1588), huile sur toile, 63 x 52 cm, musée du Louvre, Paris. 77. Édouard Manet, Copie de l’autoportrait du Tintoret (1854), huile sur toile, 64 x 50 cm, musée des Beaux-Arts de Dijon. « Que Manet interroge le grand Vénitien est significatif. Il évoque l’intensité et la puissance dramatique du modèle grâce à des moyens propres au jeune artiste, une construction énergique et précise du relief dans la lumière, et une

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touche audacieuse que ne retient pas le souci d’imiter » (Notice de Marguerite Guillaume extraite du Catalogue raisonné du musée des Beaux-Arts : peintures italiennes, ville de Dijon, 1980). 78. Henri Fantin-Latour, Édouard Manet (1867), huile sur toile, 117,5 x 90 cm, The Art Institute of Chicago. Fantin-Latour peindra à nouveau Édouard Manet trois ans plus tard dans Un atelier aux Batignolles (1870), où il « montre Manet devant son chevalet en train de peindre Zacharie Astruc. […] L’œuvre de Manet, dont on reconnaît la tendance réaliste très prononcée, confirme ainsi l’importance de l’artiste en tant que portraitiste de renom. Dans le tableau de Fantin-Latour, il est entouré par une petite coterie d’amis, d’admirateurs et de sympathisants. Tous sont identifiables », Mary Anne Stevens, op. cit., p. 14. 79. Contrairement à la situation dans Le déjeuner sur l’herbe, où ne figure qu’un seul nu. 80. Le Tintoret (Robusti, Jacopo, dit Tintoretto), Suzanne et les vieillards (environ 1552-1555) musée du Prado, Madrid ; Suzanne et les vieillards (1555), Kunsthistorisches Museum, Wien ; Suzanne au bain (environ 1550-1575), musée du Louvre, Paris. Emplacement actuel Louvre-Lens, galerie du Temps ; Suzanne (années 1580/Tintoret/atelier de Tintoret), National Gallery Washington et une collection privée non identifiée. 81. En ce qui concerne la composition, Manet s’est largement inspiré pour son Déjeuner sur l’herbe de l’œuvre de la Haute Renaissance (mondialement) célèbre, Le concert champêtre du Titien, puisqu’il reprend la scène des deux hommes assis en compagnie d’un nu féminin. Le déjeuner sur l’herbe était en outre redevable à une fresque disparue de Raphaël via la gravure Jugement de Pâris de Marcantonio Raimondi. La partie droite de cet original perdu inspira à Manet la disposition du groupe central dans Le déjeuner sur l’herbe. Ces sources-là aussi se trouvent donc sous le niveau d’eau dans L’échange des bêtises. 82. À travers le thème des orteils ensanglantés, Jan Van Imschoot s’amuse avec l’œuvre, empreinte d’humour, de Jacopo Tintoretto. Il opère un détournement téméraire du thème de la « coupe des ongles » dans le tableau de ce dernier intitulé Suzanne au bain (environ 1550-1575), qui figure dans la collection du Louvre. Le spécialiste de la Renaissance Tom Nichols explique clairement que « l’humour du Tintoret ne se limitait pas à sa peinture mythologique de la période des Polygraphes. Dans deux tableaux présentant Suzanne et les vieillards, le thème apocryphe est traité comme une mythologie érotique. Dans une version légèrement postérieure de 1560, le Tintoret raille le thème en

incluant des détails du quotidien, comme l’héroïne qui se fait couper les ongles. ». 83. Les bêtises, chanson de Sabine Paturel, clip officiel. 84. J.-K. Huysmans, « Les Folies Bergère en 1879 », Croquis parisiens, Paris, 1976, p. 347, cité dans Éric Darragon, op. cit., p. 382. 85. www.musee-orsay.fr : « Dans Le déjeuner sur l’herbe, la présence d’une femme nue au milieu d’hommes habillés n’est justifiée par aucun prétexte mythologique ou allégorique. La modernité des personnages rend obscène, aux yeux de ses contemporains, cette scène presque irréelle. Manet s’en amusait d’ailleurs, surnommant son tableau La partie carrée. » 86. Rejeté par le jury du Salon de 1863, Le déjeuner sur l’herbe est exposé par Manet sous le titre Le bain au Salon des refusés accordé cette année-là par Napoléon III. 87. Parfois traduit par « tableau de conversation » en français. 88. Émile Zola, Cronaca Bizantina, 1er avril 1882, (Œuvres complètes, t. XIV, p. 408), cité dans Éric Darragon, op. cit., pp. 381-382. 89. Lire p. 2. 90. Éric Darragon, op. cit., p. XIII.


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FOOTNOTES 1. Jan Van Imschoot, dd. February 1st 2021, (email). 2. See p. 2. 3. Édouard Manet, Rochefort’s Escape (1880-1881), oil on canvas, 143 x 114 cm, Kunsthaus Zürich; Rochefort’s Escape (ca. 1881), oil on canvas, 80 x 73 cm, Musée d’Orsay, Paris 4. Dutch: ontbijtje or banketje, usually an illustration of a light meal or the remains of one. 5. Dutch: pronkstilleven: a still life consisting of costly objects and materials from home and abroad, such as glass, silver, porcelain and exotica, especially in 17th-century Holland. 6. Spanish: zorro, fox/Zorro. 7. A Roman god of fertility. 8. Les Valseuses (1974) – a film by Bertrand Blier. English version: ‘Going Places’ - Trailer. 9. The famous rummer: a large drinking glass studded with prunts to provide a safe grip in greasy hands. 10. See p. 2. 11. Willem Claeszoon Heda, Still Life with Nautilus Cup and Oysters (s.d.), oil on canvas, 52.7 x 75.5 cm; Still Life with Nautilus Cup, Roemer, Tazza, Meat Pie and Peeled Lemon on a Table (s.d.), oil on canvas, 36 x 51 cm. Both items were auctioned, dd. May 9th 2015 and May 18th 2016 respectively. 12. Jan Van Imschoot, February 24th 2021 (email): “I may paint another picture with asparagus, or a still life with gin bottles and martini rosato bottles arranged like a graveyard. ‘La cimétaire des bons vivants’.” 13. ‘Gaygin’ = 1/3 ice cubes, 1/3 gin, 1/3 martini rosato (a Jan Van Imschoot recipe). 14. Translator’s definition. 15. Sung by Maxime and Catherine Le Forestier, Éducation Sentimentale (Sentimental Education, 1972) – extract. 16. Édouard Manet, The Grand Canal of Venice (1874), oil on canvas, 54 x 65 cm, Shelburne Museum (Vermont). 17. Mary Anne Stevens, in: Manet. Le portrait de la vie. Royal Academy of Arts, London/Fonds Mercator, Brussels, 2013 (French edition), p 190: “the play of light on Fanny Claus’ dress, the choice of a subtle green for the balcony and the shutter on the left, and of a limited range of colours carefully applied to the composition as a whole, show that Manet was exploring a new visual language that favoured form over representation, a language he went on to clarify in the early 1870s.”

18. John Leighton, Édouard Manet. Impressies van de zee, Van Gogh Museum Amsterdam & Mercatorfonds Antwerp, 2004, p. 5: “Manet managed to inject new life into hackneyed subjects: his depictions of the sea were more original and more surprising than those of any other artist of his time. We see from all Manet’s marine paintings that he was aware of marine painting traditions all the way back to the 17th century, and that he was familiar with the work of immediate predecessors like Courbet, Jongkind and Boudin.” 19. John Leighton, Manet : le portrait de la vie, Royal Academy of Arts, Londres/ Fonds Mercator, Bruxelles, 2013 (French edition), p. 73. 20. It is not known if this was an art visit or a family visit, and the only work to come out of it was View of Holland (1872). Previous trips to the Netherlands took place in 1852 when Manet was a student (his signature is preserved in the Rijksmuseum guestbook) and in 1863 (to marry Suzanne Leenhoff in Zaltbommel on October 28th 1863). On his third and last trip (on June 26th 1872), Édouard Manet paid a visit to the Gemeentemuseum in Haarlem in the company of the sculptor Ferdinand Leenhoff, his brother-in-law (where he undoubtedly saw work by Frans Hals), and to the Trippenhuis / Rijksmuseum (on June 27th 1872). 21. John Leighton, op. cit., p. 61: “It is a lively painting and it is tempting to link its vitality to Manet’s visit to the newlyopened Frans Hals Museum in Haarlem. But the composition is rather schematic and the scene is more of a sketchy souvenir than an on-the-spot study. He may have painted it when he was back in Paris, with an eye on the commercial market.” 22. Jan Van Imschoot, February 24th 2021 (email): “The common cranes are having a hard time of it. The farmers are fed-up with the damage to their crops. The département of the Haute Marne refuses to compensate the damage. The thousands of wind turbines keep the birds away; there are already several thousand fewer birds of prey. The magnetic field round the damn thing drives away the insects, so the rest follow. Soon only crows and magpies will soar overhead. Green energy destroys the biological equilibrium.” 23. Pierre Bourdieu, Manet. Une révolution symbolique, Éditions Raison d’agir/ Éditions du Seuil, Paris, 2013, p. 22: “Under the Second Empire (1852-1870), when Manet was around, France was endowed with State art.” 24. Pieter Brueghel the Elder, The Hunters in the Snow (1565), oil on wood panel, 117 x 162 cm, Kunsthistorisches Museum, Vienna. 25. Édouard Manet, Eel and Red Mullet (1864), oil on canvas, 38 x 46 cm, Musée d’Orsay Paris; Fish (1864), oil on canvas,

73.5 x 92.4 cm, Art Institute of Chicago. 26. From the Chinese song Catch the Eels (originally a nursery rhyme).The Netherlands adores eel. The smoking of eel in open ovens and on oak is a cherished tradition and a national pride. In Zeeland the eel enjoys beatific status! 27. The painting is also known as Stregoneria or Bambocciata. 28. Eric Darragon, Manet, Fayard, Paris, 1989, p. 342: “He was particularly fond of Manet’s still lifes and became a notable collector of them. His sale on June 6th 1888 featured The Ham, The Melon, Pear, Peaches, Plums, Lilacs in a Glass Vase, Flowers in a Crystal Vase, Lilac and Roses, but also The Bullfight, a less peaceful subject, which could evoke certain emotions for him.” 29. Carol M. Armstrong, Manet : le portrait de la vie, Royal Academy of Arts, Londres/Fonds Mercator, Bruxelles, 2013 (French edition), p. 44: “A number of studies have shown the impact of photography on Manet’s paintings, in particular those of Anne McCauley and Alexi Worth. There is also isolated evidence of a direct encounter between photography and Manet’s work, like the visiting cards in costume produced around 1860 by the first portrait photographer André-Adolphe-Eugène (or A.A.E.) Disdéri: actresses and dancers like Henriette Schlosser and Eugénie Fiocre disguised as matadors. Manet must have seen them in 1862 before painting, Mademoiselle V. in the Costume of an Espada. Note, too, the simultaneous appearance of photographs of Charles Aubry’s peonies and the painting of a similar bouquet of the same flowers by Manet in 1864, not to mention the examples of photographic sources for the Execution of Maximilian and Eugène Pertuiset, Lion Hunter.” 30. Eric Darragon, op. cit., p. 343: “Which recalls those of the 1860s, as if the character in the portrait necessitated a portrait of exceptional dimensions.” 31. Mary Anne Stevens, op. cit., p. 124: “Prestige portraits seek to render the model’s social and economic status – power, fortune, position and education – in a way that is immediately identifiable by the viewer. All the portraits in this section (including Eugène Pertuiset, Lion Hunter), finished or unfinished, seem to have been produced for this sole purpose.” 32. Mary Anne Stevens, op. cit., p. 195: “The bushy setting was inspired both by Pertuiset’s garden, 14 passage de l’Elysée in Montmartre, and by studies made by Manet at Bellevue in 1880. However, the lack of depth and interest in the shadows makes the scene look artificial and not dissimilar to the painted backdrops used at the time by photographers for their portraits, which has the effect of reinforcing the very obviously stuffed lion.” 33. J.-K. Huysmans, L’Art moderne, Paris,

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1883, p. 182, quoted in: Eric Darragon, Manet, Fayard, Paris, 1989, p. 345. 34. Eric Darragon, op. cit., pp. 359-360: “Twenty years after the honourable mention awarded to Manet by the Salon in 1861, a second-class medal officially sanctioned his career: he shared this honour with the painters Bertrand, Comerre, Sargent, Dupré, Mazure, Verhas, Beauverie, Pointelin, and Chartran. The medal of honour went to Baudry. The jury did not award the first medal. At the end of the year, Manet was made a Chevalier of the Legion of Honour.” 35. Mary Anne Stevens, op. cit. p.196. 36. Dutch: braamsluiper, lit. ‘blackberry stealer’. 37. Eric Darragon, op. cit., p. 347. 38. Royal Decree ‘online version only’, 2014, via: Morgan G. Moller, May 28th 2021: “§ 9. Where the number of applications is exceptionally high, the deadline referred to in § 8, in which the maximum authorized price is notified to the applicant, may be extended by 30 days. The Pricing Department informs the applicant (STEP 1: Preheat the oven to 250°, gas mark 8-9. STEP 2: In a large volume of water with 3 teaspoons of salt, cook the rinsed and peeled asparagus (bottom only) for about 30 minutes. STEP 3: In a saucepan, bring the cream and tomato paste to the boil. Add a little paprika, salt and pepper. STEP 4: Butter a gratin dish, place the asparagus in it, cover with the above cream and sprinkle with Cantal cheese. STEP 5: Lower the oven temperature to 230°, thermostat 7-8, and bake for 15-20 min. STEP 6: Bon appétit!). 39. Jan Van Imschoot, March 28th 2021 (WhatsApp): “That’s it so far. Just two more asparagus and Daniel can open a bistro.” 40. With a hard-boiled egg mashed with a fork. 41. Michelin star chef Geert Van Hecke, VRT, deredactie/binnenland, 16.04.2019: “They have everything: they are affordable, they fit well with the trend of vegetarianism and they are seasonal. So asparagus has it all.” 42. Édouard Manet, The Asparagus (1880), oil on canvas, 16.9 x 21.9 cm, Musée d’Orsay, Paris, France. Until 1880/1900 in the Charles Ephrussi collection, gift from the artist. 43. Charles Ephrussi (1849-1905), one of the Parisians on whom Marcel Proust based the character Charles Swann. 44. Édouard Manet, Bundle of Asparagus (1880), oil on canvas, 46 x 55 cm, WallrafRichartz-Museum, Cologne. 45. The oeuvre of Adriaen Coorte (Middelburg?, ca. 1665 – after 1707) comprises ca. 80 signed works, all without exception still lifes. We know of seven still lifes with asparagus by Van Coorte,

including Asparagus, Gooseberries and Strawberries on a Stone Ledge (1698) in the Dordrechts Museum collection and Still Life with Asparagus and Red Currants(1696) in the National Gallery of Art collection, Washington. 46. www ewaneumann.com and also A Dictionary of Modern and Contemporary Art (Oxford Reference) 47. Lynda Morris (ed.), Paul Luckraft, Phillip Van den Bossche, Massimo Minini (authors), Documenting Cadere 19721978, Verlag Der Buchhandlung König, 2013, p. 50. 48. www.wga.hu : Manet’s Bundle of Asparagus has moved many since its creation: “In the final phase of his career, already half paralysed, Manet painted a number of small still lifes, such as the Bundle of Asparagus, which became well known because Liebermann, a great admirer of Manet, once owned it. (…) It is moving to look at these enchanting impressions of the loveliness of the natural world, given what we know of the advanced state of Manet’s illness when he painted them.” 49. Eric Darragon, op. cit., p. 163. The description is from Tabarant’s Manet et ses œuvres, Paris, 1947, p. 152. 50. Mary Anne Stevens, op. cit., p. 179. 51. After-Dinner in Ornans (1849), Palais des Beaux-Arts collection (Lille), was the breakthrough picture for Gustave Courbet (1819-1877). The work was awarded the golden medal at the 1849 Salon and purchased by the French State. Van Delacroix’s statement is well known: “Have you ever seen anything like it, anything as good? He is an innovator, a revolutionary!” After-Dinner in Ornans is regarded as the manifesto of the realist movement in France. 52. Mary Anne Stevens, op.cit., p. 179. 53. Édouard Manet, Olympia (1863), oil on canvas, 130.5 x 191 cm, Musée d’Orsay, Paris. www. musee-orsay. fr: “With Olympia, Manet reworked the traditional theme of the female nude, using a strong, uncompromising technique. Both the subject matter and its depiction explain the scandal caused by this painting at the 1865 Salon. Even though Manet quoted numerous formal and iconographic references, such as Titian’s Venus of Urbino, Goya’s Maja desnuda, and the theme of the odalisque with her black slave, already handled by Ingres among others, the picture portrays the cold and prosaic reality of a truly contemporary subject. Venus has become a prostitute, challenging the viewer with her calculating look. This profanation of the idealised nude, the very foundation of academic tradition, provoked a violent reaction. Critics attacked the ‘yellowbellied odalisque’ whose modernity was nevertheless defended by a small group of Manet’s contemporaries with Zola at their head.”


JAN VAN IMSCHOOT

54. Johannes Vermeer, Girl with a Pearl Earring (ca. 1665-1667), Mauritshuis, The Hague. Johannes Vermeer’s œuvre is now synonymous with the pearl. We know of eleven works by Vermeer of female figures wearing pearls. 55. Luncheon on the Grass (1863) and Olympia (1863) are considered the genesis of modern art. 56. Édouard Manet, Oysters (1862), oil on canvas, 39.2 x 46.8 cm, National Gallery of Art, Washington. 57. Leonardo da Vinci (attr.), Madonna Litta (ca. 1490), tempera on canvas (transferred from panel), 42 x 33cm, Hermitage, St Petersburg. 58. Carel Fabritius, The Goldfinch (1654), oil on panel, 33.5 x 22.8 cm, Mauritshuis, The Hague. Johannes Vermeer (1632-1675) may have been a pupil of fellow townsman Carel Fabritius. See www.rijksmuseum.nl 59. Kalup Linzy, ‘On Édouard Manet’, The Artist Project, The Metropolitan Museum of Art, NYC, 2015-2016: “The woman and the man wear the same matador outfit. I’m not sure there are female bullfighters of that time but to me, there is a play on gender. I just love the idea of him having these clothes in the studio and the models who just come in and put them on and pose as the characters or the personae. That sounds so contemporary. (…) Rupaul once said ‘we are born naked and everything else is drag.’ When looking at these Manet paintings, on a certain level I do think they are drag.” Observations linked to the works Young Man in the Costume of a Majo (1863) and Mademoiselle V… in the Costume of an Espada (1862) in the MET/NYC collection. 60. Jan Van Imschoot, March 28th 2021. He also says: “Vermeer painted two types of women: the woman who reads or writes (the intellectual type) and the servant (caritas catholica)”. 61. Johannes Vermeer, Christ in the House of Martha and Mary (ca. 1654-1656), oil on canvas, 158.5 x 141.5 cm, National Gallery of Scotland, Edinburgh 62. Daniel Arasse, Histoires de peintures, Editions Denoël, 2004/Gallimard Folio Essais, 2006/2019, pp. 206-207: “Third fact, interesting but complex: Vermeer was a Catholic in the Dutch Protestant milieu. A Catholic since the age of twenty, and committed to his faith, as the documents assembled by Montias unquestionably show. He lived all his life in what was called ‘Papists’ Corner’, because of the concentration of Catholics living in that part of Delft. This is not to imply that the singularity or the specificity of Vermeer is linked to his Catholicism, but there was nevertheless something slightly disturbing there, although he was not the only Dutch Catholic painter.” 63. Édouard Manet, Absinth Drinker (1859), oil on canvas, 180.5 x 105.6 cm, Ny Carlsberg Glyptotek, Copenhagen.

This is Manet’s first original painting and the first work he submitted to the Salon where, despite Delacroix’s support, it was rejected. 64. Ross King, The Judgement of Paris: The Revolutionary Decade That Gave the World Impressionism, Penguin Random House Canada, 2006. 65. Herman Weyers, director Stichting Vermeer Centrum Delft, July 5th 2021 (email): “The Milkmaid is a beautiful stilled entity depicting a young woman pouring milk. What is she going to make with it? And for whom? We will never know.” 66. www.essentialvermeer.com: “The deep recessed rim shows the vessel was meant to hold a lid to seal the contents for airtight baking. Dutch ovens characteristically were used for prolonged, slow cooking and were made of iron or in the case of the present painting, of ceramic.” 67. Jean Baptiste Siméon Chardin, The Brioche, or The Dessert (1763), oil on canvas, 47 x 56 cm, Musée du Louvre, Paris. 68. Édouard Manet, The Brioche (1870), oil on canvas, 65.1 x 81 cm, The Metropolitan Museum of Art, New York. Manet painted at least five works featuring brioches during his lifetime, including Brioche with Pears (Dallas Museum of Art and The Arts, Ltd), Still Life with Brioche (Carnegie Museum of Art, Pittsburgh) and Still Life, Oysters, Lemon, Brioche (1876, Dickinson Gallery, London and New York, RW 252). 69. Édouard Manet, Woman with a Jug (1858-1860), oil on canvas, 56 x 47.2 cm, Ordrupgaard Museum, Copenhagen. 70. www.musee-orsay.fr: “First announced in 1932, twenty-four years passed before he began. In 1954, Picasso opened a sketchbook and wrote on the cover: ‘FIRST drawings/of Luncheon on the Grass/1954’”. 71. Pierre Bourdieu, op. cit., pp. 548- 549: “Obviously, he was opposed to academic painting owing to the subject, the simple language freed of clichés, the use of flat colours, the absence of narrative: it says nothing, or if it does say something, it is something we don’t want to know, something that is completely wrong. In short, at the same time there is everything that academic painting detests. It’s a confrontation with Courbet, and those who would place Manet’s painting, as has been spontaneously done, side by side with Courbet’s Young Ladies beside the Seine (which is a painting featuring sleeping women), are completely mistaken; it’s even against this sort of semi-erotic realism, and above all very academic in the facture, in the composition, etc., that Manet constructs this almost parodic work, with a naked woman, who is probably a model, sitting between two painters. They do not converse, do not talk to each other - a fact that shocked many. Added to this are the

errors of perspective that I mentioned, with the figure in the background.» 72. The choice of this enormous format could be Jan Van Imschoot’s answer to what was at the time the equally divergent and quirky format of Luncheon on the Grass. See Pierre Bourdieu, op. cit., pp. 36-37: “This painting is full of incongruities - that is to say, it is full of contradictions from the point of view of the categories, the perception patterns tacitly inscribed in the brains of the people of that time, of what is accepted by most spectators and artists. For example, we notice that this painting, which measures 2.08 metres by 2.64 metres, is too large for its subject. We no longer have an eye for measurements and in particular for the relationship between the hierarchy of artistic categories, and therefore of works, and the hierarchy of the sizes of paintings. A number of people feel that it is too big for a genre scene, and particularly for a bath scene, which is a very specific category.» 73. Jan Van Imschoot, February 24th 2021 (email): “My new canvasses arrived yesterday, on Monday I’ll start on my Suzannes. Manet as a mirror image of Tintoretto. That will be the concluding piece.” 74. Jan Van Imschoot, Noncourt sur le Rongeant, April 23rd 2021. 75. Tintoret (Robusti, Jacopo, known as Tintoretto), Self-portrait (ca. 1588), oil on canvas, 63 x 52 cm, Musée du Louvre, Paris. 76. Édouard Manet, Copy after Tintoretto’s, Self-portrait (1854), oil on canvas, 64 x 50 cm, Musée des Beaux-Arts de Dijon. “That Manet should question the great Venetian is significant. He evokes the intensity and dramatic power of the model thanks to the young artist’s own means, an energetic and precise construction of the relief in the light, and a daring touch that does not rein in the concern to imitate.” Note by Marguerite Guillaume taken from the ‘Catalogue raisonné du Musée des Beaux-Arts: peintures italiennes’, City of Dijon, 1980. 77. Henri Fantin-Latour, Édouard Manet (1867), oil on canvas, 117.5 x 90 cm, The Art Institute of Chicago. Fantin-Latour went on to paint Édouard Manet again three years later in A Studio at Les Batignolles (1870), in which he “shows Manet at his easel painting Zacharie Astruc. (…) Manet’s work, with its pronounced realist tendency, thus confirms the artist’s importance as a renowned portraitist. In Fantin-Latour’s painting, he is surrounded by a small coterie of friends, admirers and supporters. All are identifiable.” Mary Anne Stevens, op. cit., p. 14. 78. In contrast to the situation in Luncheon on the Grass with just one nude. 79. Tintoret (Robusti, Jacopo, known as Tintoretto), Susanna and the Elders (around 1552-1555), Musée du Prado, Madrid; Susanna and the Elders (1555),

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Kunsthistorisches Museum, Vienna; Susanna at her Bath (around 1550-1575), Musée du Louvre, Paris. Current location Louvre-Lens, Galerie du Temps; Susanna (1580s / Tintoretto / Tintoretto’s studio), National Gallery Washington and an unidentified private collection 80. As regards the composition, Manet had drawn inspiration for his Luncheon on the Grass from Titian’s (world-famous) highrenaissance Pastoral Concert, adopting the situation of two seated men in the company of a female nude. Moreover, Luncheon on the Grass was indebted to a lost fresco by Raphaël via Marcantonio Raimondi’s engraving The Judgement of Paris. The right part of this missing original influenced the disposition of the central group in Manet’s Luncheon on the Grass. So these sources are also below the waterline in L’échange des bêtises. 81. With the theme of the bloody toes, Jan Van Imschoot plays with the œuvre of Jacopo Tintoretto which is imbued with humour. The motif is a reckless twist on the ‘nail clipping’ in his painting Susanna at her Bath (ca. 1550-1575) in the Louvre collection. Renaissance specialist Tom Nichols makes it clear that “Tintoretto’s humour was not confined to his mythological painting in the poligrafi period. In two paintings showing Susanna and the Elders the apocryphal theme is treated as if it were an erotic mythology. In a slightly later version of ca. 1560, Tintoretto mocks the theme by including quotidian details such as the heroine having her nails clipped.” 82. Sabine Paturel, Les Bêtises, official clip. 83. J.-K. Huysmans, ‘Les Folies-Bergère en 1879’, Croquis Parisiens, Paris, 1976, p. 347, quoted in: Eric Darragon, Op. cit., p. 382. 84. www.musee-orsay.fr: “In Luncheon on the Grass, the presence of a woman in the midst of clothed men is not justified by any mythological or allegorical pretext. The modernity of the characters made this almost unreal scene obscene in the eyes of his contemporaries. Moreover, Manet had fun nicknaming his painting ‘la partie carrée’- swinging!” 85. Peaceful/out on the open road/free love/getting a hard-on when we feel like getting a hard-on. 86. Rejected by the jury of the 1863 Salon, Luncheon on the Grass was exhibited by Manet under the title Le Bain (The Bath) at the Salon des Refusés initiated that year by Napoleon III. 87. Emile Zola, Cronaca Bizantina, April 1st 1882 (Œuvres Complètes, t. XIV, p. 408), quoted in: Eric Darragon, op. cit., pp. 381-382. 88. See p. 2. 89. Eric Darragon, op. cit., p. XIII.




BIOGRAPHIE | BIOGRAPHY

Expositions personnelles (sélection) / Solo exhibitions (Selection)

Wall paintings, WiHCC, Ghent,

2005 Belgium

Habemus Corpus, Be-Part, Waregem, Belgium La présentation des absents, Galerie 2021 Templon, Paris, France Le bouillon de onze heures, Galerie

2020 Templon, Brussels, Belgium

Amore Dormiente, Galerie Templon,

2019 Brussels, Belgium

Blumen für Angela, Galerie Karl

2017 Pfefferle, München, Deutschland Le jugement de Paris à Bruxelles,

2016 Galerie Daniel Templon, Paris, France Les phantômes de l’eau, Galerie Karl

2015 Pfefferle, München, Deutschland

You can use my Skin, Cinquantenaire,

2013 Ruiselede, Belgium

Jan Van Imschoot

The Seduction of Light, Karl Pfefferle 2012 Galerie, München, Deutschlandy The First Worldwide Presentation of AnarchoBaroque, ltd Los Angeles, Los Angeles, USA The Interference of Perception, 2010 ATOZ, Villa Goethe, Luxembourg, Luxembourg A Painter’s Lullaby, CIAP, Hasselt,

2009 Belgium

The Reversal of the 4th Wall, Galerie Charlotte Moser, Geneva, Switzerland

Né en 1963, à Gand, Belgique Vit et travaille à Noncourt-sur-le-Rongeant, Haute-Marne, France

Repercussions, Galerie Baronian 2008 Francey, Brussels, Belgium Kidnapping Stars, Muka Gallery, Auckland, New Zealand

Born in Ghent, 1963. Lives and works in Noncourt-sur-le-Rongeant, Haute-Marne, France

Oh Tremendous Moi (la vie, le corps,

2003 le roi), Galerie Baronian Francey,

Brussels, Belgium Contemporary Colours and Mystical Sins, Museum of Fine Arts, Tallinn, Estonia Transfiction, W139, Amsterdam, Nederland Zellen, Icob, Eupen, Belgium The power of a painted prison (a seat of revaluation), Museum of Fine Arts, Tallinn, Estonia Not Enough Brains to Survive, S.M.A.K.,

2002 Ghent, Belgium

The Misantropical Chachacha,

2001 Galerie Gebauer, Berlin, Deutschland Het stelen van het licht, In Den Bouw,

2000 Kalken, Belgium

How to Sell Your Wife (confession of a painter), Bonakdar Jancou Gallery, New York, USA The Color of a Common Dream,

1999 Galerie Gebauer, Berlin, Deutschland Vereniging van het Museum Hedendaagse Kunst, Ghent, Belgium Paintings, Provinciaal Museum voor

1997 Beeldende Kunst, Hasselt, Belgium

Drawings, ArtBook, Amsterdam, Nederland Huize Sint Jacobus, Vereniging voor het

1995 M HKA, Ghent, Belgium

Wall paintings Marcel Marchand, Beervelde, Belgium In den Bouw, Kalken, Belgium Joost bij Jan, Jan bij Joost, Ghent,

1994 Belgium

Monument for 1302, City Hall, Kortrijk,

2006 Belgium

The Recrystallization of a Mental Maidenhood, Galerie Baronian Francey, Brussels, Belgium Forgotten Abstraction, Galerie Bernier-Eliades, Athens, Greece

Gallery S65,

1993 Alost, Belgium

La sensation de plaisir glacé , 2020 Huile sur toile, 130 x 150 cm Oil on canvas, 51 1/8 × 59 in. Collection privée

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BIOGRAPHIE | BIOGRAPHY

Expositions collectives (sélection) / Group exhibitions (Selection) 7de Biënnale van de Schilderkunst2020 Binnenskamers, Roger Raveel Museum, Mechelen, Belgium De Nacht, Group show, De Warande, Turnhout, Belgium Feast of Fools, Bruegel Rediscovered,

2019 Château de Gaasbeek, Lennik, Belgium Biennale d’Art Contemporain Autun

2018 2018, Autun, France

Sanguine/Bloedrood. Luc Tuymans on Baroque, M HKA, Antwerp, Belgium Sanguine. Luc Tuymans on Baroque, Fondazione Prada, Milano, Italia Het Gouden Paviljoen – The Golden Pavilion, De Warande, Turnhout, Belgium Uit de Collectie, S.M.A.K.,

2016 Ghent, Belgium

Belgique, Galerie Daniel Templon, 2015 Paris, France A line is a line is a line, Cultuurcentrum Strombeek, Grimbergen, Belgium De verloofden. De collectie van

2014 Belfius en S.M.A.K. in dialoog,

Belfius collection, Brussels, Belgium Private Shelter, Vrijstaat, Raversijde, Belgium States of Mind, Maison Particulière, Brussels, Belgium

Le bouillon de onze heures , 2020 Huile sur toile, 190 × 170 cm Oil on canvas, 74 3/4 × 66 7/8 in.

Museum to scale, Kunsthal Rotterdam,

2013 Rotterdam, Nederland

Middlegate Geel, 13, Geel, Belgium Western China International Biennale,

2012 Tianye Art Museum, Beijing, China

Senza Titolo, Fondazione Volume, Roma, Italia Pop Up (liens artistiques), Museum of Elsene/ Ixelles, Brussels, Belgium Sint Jan, Sint-Baafskathedraal, Ghent, Belgium Struggles, Maison Particulière, Brussels, Belgium

94

New Art from Belgium 2011,

2011 Galerie Christian Nagel, Berlin and Köln, Deutschland Sehe raue, Galerie Karl Pfefferle, München, Deutschland Trix, Galleri Brandstrup, Oslo, Norway The State of Things, The National Art

2010 Museum of China, Beijing, China

BOZAR, Brussels, Belgium Tuesday Afternoon in a Cage, ltd los angeles, Los Angeles, USA Feel home, Cultural Centrum Strombeek, Biévène, Belgium That’s All Folks, Belfort Halls,

2009 Bruges, Belgium

Strike a Pose, Stephen Friedman Gallery, London, United Kingdom Something Else!, MAN, Nuoro, Italia Power to the People, Aeroplastics,

2008 Brussels, Belgium

Over the Hedge, Verbeke Foundation, Stekene, Belgium TAFA Gallery, Tianjin, China Wall paintings 9+1, De Garage, Mechelen, Belgium Die Wasserrube und die Kohl, De Witte Zaal, Ghent, Belgium Over Tekenen, De Witte Zaal, Ghent, Belgium Biennale van de Schilderkunst, Museum Dhondt Dhaenens, Deurle, Belgium Ad Absurdum, MARta Museum, Herford, Deutschland Fantasy, M HKA, Antwerp, Belgium Rots.Wol, SSKI, Ghent, Belgium Ziekte, Museum Dr. Guislain, Ghent, Belgium IKOB collection, Eupen, Belgium


JAN VAN IMSCHOOT

Stranger than Paradise, Galerie

Kinderspel, Waarschoot, Belgium

2007 Charlotte Moser, Geneva, Switzerland

2000 Epifani, Heverlee, Belgium

Von Francis Picabia bis Jason Rhoades, Friedrich Christian Flick collection, Berlin, Deutschland Hamburger Bahnhof, Museum für Gegenwart, Berlin, Deutschland Nighthawks, ACEC, Ghent, Belgium Underground – Sound&Vision, WARP, Sint-Niklaas, Belgium Open Air, Antwerp, Belgium Integratie kunst in Troubleyn/Laboratorium, Troubleyn, Antwerp, Belgium

The Oldest Possible Memory, Sammlung Hauser and Wirtz, St Gallen, Switzerland Hommages - Outrages (Picasso), musée des Beaux-Arts, Liège, Belgium 11th Vilnius Painting Triennial, Contemporary Art Center, Vilnius, Lithuania

Helter Helter, Galerie Anne

2006 de Villepoix, Paris, France

Beaufort 2006, North Sea, Belgium

Zich ophouden bi j, Belfort, Bruges,

1999 Belgium

Trouble Spot, M HKA, Antwerp, Belgium Melbourne International Biennal, Ian Potter Museum of Art, Melbourne, Australia Het Kind, Woerden, Nederland De collectie, S.M.A.K., Ghent, Belgium Trattendosi, Zitelle, Venezia, Italia Bonakdar Jancou Gallery, New York, USA

Vrouwbeelden in mannenhanden,

2005 Galerie Transit, Mechelen, Belgium SlowArt, Kunst Palast, Düsseldorf, Deutschland Looking at Painting 2, Galerie Tanit, 2004 München, Deutschland Alors, c’est bien pour toi, Galerie Commune Tourcoing, France Vanitas, Eitelkeit Van De Ijdelheden, Ikob, Eupen, Belgium Klik, Lichtervelde, Belgium 2003 Kindertekeningen van mensen met naam, Sint-Niklaas, Belgium Five, Galerie Kusseneers, Antwerp, Belgium FeelEstate, Ghent, Belgium Wabi-sabi project, Zingem, Belgium Gelijk het leven is, S.M.A.K., Ghent, Belgium Fonkeling, Cultural Centrum Strombeek, Biévène, Belgium Squatters, Porto, Portugal

Aspects de l’art belge, FRAC

1998 Nord-Pas-de-Calais, Dunkerque, France Ev+a, Limerick, Ireland

Trapped reality, Barcelone, Spain

1997 P.O.Box, Ghent, Belgium, Bonn,

Deutschland ; Bern, Switzerland ; Nederland ; Denmark Collections publiques (sélection) / Public collections (Selection)

Twee meisjes op het strand, Galerie 1996 Joost De Clerq, Knokke, Belgium

Friedrich Christian Flick Collection, Berlin, Deutschland Collection Hauser & Wirth, St-Gallen, Switzerland Rubell Family Collection, Miami, FL, USA Belfius Art Collection, Belgium S.M.A.K, Ghent, Belgium Musée de Strasbourg, Strasbourg, France Seattle Art Museum, Seattle, WA, USA Groeninghemuseum, Bruges, Belgium M HKA, Antwerp, Belgium ING Collection, Brussels, Belgium Musée d’Ixelles, Brussels, Belgium Mu.Zee, Ostend, Belgium IKOB, Eupen, Belgium National Bank collection, Brussels, Belgium Collection of the Majesties The Royal King and Queen of the Belgians, Brussels, Belgium

Muhka Youth Prints, New Zealand,

1995 Belgium, Nederland, Denmark, Switzerland

Bal Masqué Karaoke, MP Center,

1994 Ghent, Belgium

Frontiera I Forum,

2001 Yel-low, Geel, Belgium

1992 Bolzano, Italia

Wir sind die Ander(en), Herford, Deutschland Milano Europa 2000, Milano, Italia EU, Stephen Friedman Gallery, London, United Kingdom

1990 Belgium

Zonder Grenzen, Oud Hospitaal, Alost,

10xjonger kunstenaars, Museum

1986 L. De Smet, Deurle, Belgium

Akademie bezet Vooruit, Ghent, Belgium Nieuw uit België en Nederland, C.C. Ter Delft, Bornem, Belgium Ph. Guimiot Art Gallery, Brussels, Belgium

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Le repas d’un solitaire nostalgique , 2020 Huile sur toile, 130 × 150 cm Oil on canvas, 51 1/8 × 59 in. Collection privée


Catalogue édité à l’occasion de l’exposition Catalogue published in conjuction with the exhibition

JAN VAN IMSCHOOT La présentation des absents Du 6 novembre au 24 décembre 2021 November 6th to December 24th Jan Van Imschoot tient à remercier chaleureusement Daniel Templon, Raphaël Sachsenberg, Anne-Claudie Coric, Barbara De Coninck, Philippe Van Cauteren, Théa Chevalin, Ine van der Poel, Raphaël Prevost et tout particulièrement Bart Cassiman, mentor et soutien depuis vingt-cinq ans. Jan Van Imschoot wishes to express his sincere thanks to Daniel Templon, Raphaël Sachsenberg, Anne-Claudie Coric, Barbara De Coninck, Philippe Van Cauteren, Théa Chevalin, Ine van der Poel, Raphaël Prevost and especially Bart Cassiman, his mentor and support for 25 years.

28 RUE DU GRENIER SAINT-LAZARE 75003 PARIS | +33 (0)1 85 76 55 55

info@templon.com | www.templon.com Coordination éditoriale/Editorial coordination: Théa Chevalin Iconographie/Iconography: Jade Leproust Photos : Bertrand Huet-Tutti sauf/except: pp. 3-7, p. 13, p. 37, p. 40, p. 85, pp. 93-95 : Isabelle Arthuis ; p. 12 : © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay)/Benoît Touchard/Mathieu Rabeau ; p. 16 : © Mauritshuis, The Hague ; p. 24 : Courtesy National Gallery of Art, Washington ; p. 29 : Courtesy Kunsthaus Zürich ; p. 32 : Courtesy Philadelphia Museum of Art, USA ; p. 33 : © Photothèque R. Magritte / Adagp Images, Paris, 2021 ; p. 42 : Galerie des Offices, Florence ; p. 46 : © DR ; p. 47 : Photo © João Musa ; p. 53 : © Rijksmuseum Amsterdam, photo : Carola van Wijk ; p. 59 : © BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais/ image BStGS ; p. 64 : Courtesy National Gallery of Modern Art, Edinburgh, Scotland ; p. 69 : KHMMuseumsverband ; p. 76 : Collection Christophel © SN Prodis/C.A.P.A.C./universal ; p. 81 : © The Courtauld Trust, The Courtauld Gallery, London. Traduction/Translation : Néerlandais/français : Michèle Deghilage, Diane Van Hauwaert Néerlandais/anglais : Alison Mouthaan-Gwillim

Création, édition : Agence Communic’Art 23 rue du Renard – 75004 Paris Tél. : +33 1 43 20 10 49 www.communicart.fr Directeur de la création/Creative director: François Blanc Design : Georges Baur Coordination : Pascale Guerre Imprimé en Belgique/Printed in Belgium © Galerie Templon ISBN : 978-2-917515-42-6

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ISBN 978-2-917515-42-6 25€

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