Frédéric Bertocchini
L’A.C.A. – Un seculu in rossu è biancu 1910-2010 –
39 €
isbn : 978-2-84698-329-7
L’A.C.A.
Un seculu in rossu è biancu 1910-2010 Frédéric Bertocchini
Naissance d’un club légendaire
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1910 1930
Ajaccio découvre le football et assiste à la naissance de l’A.C.A.
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L’A.C.A., au début des années 20, écrase les premiers championnats de Corse.
Lorsque les Britanniques unifient les règles du football, le 26 octobre 1863, en instaurant les « 14 règles de Cambridge » à la Free Masons Tavern de Londres, personne n’imagine, à ce moment-là, que ce sport va devenir le plus populaire dans le monde. Dix ans plus tard, ce « rugby dérivé » débarque en France1. Il faut toutefois attendre le début du xxe siècle pour que les Corses découvrent le « foutbal », comme on l’appelait jadis, le « ballò » ou « pallò2 ». Si à
Bastia (1905), puis Corte (1908), le football se fait connaître peu à peu, à Ajaccio, des sports plus traditionnels comme le lawn-tennis, les sports nautiques, le rugby et l’équitation sont plus populaires. L’A.C. Ajaccio naît en 1910. Toutefois, cette date est contestée. D’autres diront 1909. Il est vrai qu’un certain Jacontin fonde, dans la cité impériale, un club du nom de « Stade Ajaccien » en
1. C’est dans un port français, au Havre, que le premier club naît en 1872. 2. Football, en langue corse.
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1910 – Premiers derbys A.C. Ajaccio – S.C. Bastia et A.C. Ajaccio – U.S. Corte C’est en avril 1910 que l’A.C.A. et le S.C.B. se rencontrent pour la première fois sur un terrain de football. Au début des années dix, les matchs de rugby ou de football se déroulent, soit sur la place du Diamant, soit sur un terrain qui se trouve aux Salines (I Salini), non loin du château Baciocchi. En général, les spectateurs assistent aux rencontres pour des sommes très raisonnables : l’entrée3 est fixée à 25 centimes environ, mais peut monter, occasionnellement, à un franc pour les grands matchs. Autour des rencontres existe déjà l’environnement qui fera la popularité du football au xx e siècle : fanfare, musique municipale ou apéritif. Le premier derby opposant l’A.C.A. au S.C.B. n’a aucune reconnaissance officielle puisque la F.F.F. n’existe pas encore. C’est le temps des challenges : challenge Cagninacci, challenge Piccioni4 ou challenge du Mine. Les rencontres se déroulent en général dans des ambiances bon enfant et sans agressivité. La rencontre A.C.A.-S.C.B. de 1910 a pour enjeu une somme de 100 F. À cette époque, les matchs de l’A.C.A. attirent jusqu’à 2 000 à 3 000 spectateurs. Par exemple, un match contre Corte est l’occasion d’organiser une grande fête. Les montagnards sont accueillis à la gare avec fleurs et bannières. Ces derniers défilent ensuite dans les rues de la ville tels des héros. François Ortoli témoigne des matchs de ce temps : « On jouait sur la place du Diamant, puis après au stade Jean-Lluis. Sur la place du Diamant c’était beau ! C’était la fête ! Le 14 juillet on jouait sur la place du Diamant, et dans le kiosque à musique il y avait la fanfare, elle jouait pendant le match, c’était beau ! Si vous aviez vu ça ! Tout le monde venait en costume, bien habillé pour nous voir jouer ! Certains venaient en cabriolet et ils regardaient le match assis comme ça. D’autres amenaient leurs chaises, iè purtanaiani i sò carreghi ! (oui ils portaient leurs chaises !) Il y avait du monde, les hommes, les femmes, les enfants, c’était beau…5 »
Années dix Matchs internationaux à Ajaccio De nombreux challenges et même une coupe6 sont organisés en Corse, mais les matchs sont assez rares au début des années dix. Il faut dire qu’il n’existe alors qu’un seul véritable club à Ajaccio, et que les voyages Ajaccio-Bastia, au début de ce siècle, sont encore organisés comme de grandes expéditions. Il est alors de coutume d’affronter les marins étrangers qui débarquent le temps d’une escale dans le golfe d’Ajaccio. L’occasion pour les équipes locales de se mesurer à des formations « étrangères », qui la plupart du temps sont composées de militaires entraînés et bien souvent motivés. Au cours de cette période, les jeunes pousses acéistes réalisent l’exploit de battre les marins du navire hollandais du Harlem (6-0), ainsi que ceux du Danton. Ce navire compte parmi son équipage de nombreux internationaux7. Plus tard, après la guerre, l’A.C.A. affronte les marins anglais du Carnavon, et s’incline 3 buts à 1. C’est à partir de ce match que débute la légende de l’Ours.
l’escrime, devient ensuite l’Athletic ! Quelques semaines plus tard, le député-maire d’Ajaccio parraine les débuts de l’A.C.A. Certes, l’A.C.A. est né, mais le club omnisports n’accorde, dans un premier temps, qu’une place mineure au football. Il faut dire que ce sport est encore mal connu. Les pionniers se nomment Beltrando, Benielli, Delanoy, Paolini, Colombani, Sauvan, Canet, Cervoni, Gozzi, Cosimi, Filippi, Costa, Siciliano, Marcaggi, Zevaco, Bastelica, Valentini et Lorenzi. Au fil des mois, l’A.C.A. se structure peu à peu. Le siège social du club est installé au café Zonza. Un président est alors désigné : Pierre Lamonica, un grand nom du sport insulaire. Pendant trois ans, jusqu’en 1913, l’A.C.A. remporte de nombreuses victoires lors de matchs amicaux et différents challenges.
1909. Il existe alors un autre club nommé Jeunesse Sportive Ajaccienne. Mais ces expériences sont éphémères. C’est pourquoi nous considérons que le premier véritable club est fondé en 1910 : l’A.C. Ajaccio. Au début de l’année 1910, sous la présidence de M. Muraccioli, une nouvelle société prend le nom de « Cercle Amical Club » (C.A.C.). Le Cercle est sans doute l’ancêtre de l’A.C.A. Ce club omnisports, qui développe aussi des sports de salle, comme la gymnastique ou
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3. Hé oui ! Il fallait payer une « entrée » pour aller sur la place du Diamant les jours de match, ce qui n’a pas manqué de susciter un certain mécontentement de la part de quelques passants. 4. Ce challenge est considéré comme l’ancêtre de la coupe de Corse de football. 5. François Ortoli, gardien de l’A.C.A. entre 1920 et 1923. Entretien avec Didier Rey, La Corse et son football, 2003, Albiana, p. 57. 6. Notamment la coupe Cyrnos. 7. Le Danton sera ensuite torpillé pendant la Grande Guerre, non loin de Bonifacio.
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À l’Ours ! L’A.C. Ajaccio trouve son emblème
François Ortoli témoigne de la naissance de l’Ours ! François Ortoli était gardien de l’A.C.A. lors de la rencontre face aux Anglais du Carnavon. Au cours d’un entretien avec Didier Rey, ce dernier a témoigné : « Il y avait trois bateaux de guerre en rade à Ajaccio. Il y en avait un qui s’appelait le Carnavon. Il y avait une équipe et on a joué contre eux. Si vous les aviez vus s’entraîner ! C’était sérieux ! Il y avait des professionnels parmi eux. Si vous aviez vu comme ils jouaient au ballon ! Ils avaient la technique ! Nous avons joué avec nos tripes, à fond, pour les couleurs. Eh bien, on a réussi à faire match nul ! Vous vous rendez compte ! C’était le plus beau match de ma vie8 ».
1919 (place du Diamant). Baretti P., Cardinalli, Ghiponi, Rossi, Santamaria, Leca, Plaisant, Versini, Venturini, Baretti M. et Martinetti.
La Première Guerre mondiale est une catastrophe pour l’Europe, mais aussi pour la Corse, et pour l’A.C.A. Comme partout, les jeunes joueurs de football quittent leur famille pour rejoindre l’enfer des tranchées. C’est une tragédie. Rares sont les Acéistes partis au front qui ont la joie de revoir la beauté du golfe d’Ajaccio. Parmi les survivants, un jeune homme du nom de Louis Paolini rentre au pays. Éborgné, mais avec courage et conviction, ce dernier reconstitue autour de son nom toute une nouvelle génération de jeunes joueurs. En mémoire de ses amis décédés au combat, mais sans doute aussi des pionniers du club, Louis Paolini recrute des éléments comme Felici, Sciarli, Tozzi, Santandrea, Baretti, Aymo et Milano. La plupart de ces jeunes Ajacciens découvrent la pratique du football. La seconde génération de l’A.C.A. vient de naître !
une foule nombreuse, les Acéistes font mieux que se défendre face à une formation anglaise bien rodée. Alors que les Ajacciens sont menés au score, Martin Baretti marque l’unique but pour son équipe. C’est une grande joie pour tous les spectateurs présents. Dès lors, le public scande : « Martin… Martin ». Puis : « À l’Ours… À l’Ours… » L’A.C.A. a trouvé son emblème. Grand, costaud, l’œil vif, Martin Baretti est un joueur d’une imposante stature. Une stature d’ours ! L’unique buteur contre les Anglais devient le symbole de toute une génération de joueurs, mais aussi du club. Dès lors, les Ajacciens deviennent les « Ours d’Ajaccio ». Quelques mois plus tard, l’ours apparaît sur le maillot de l’A.C.A. 1922 (premier match au stade Jean-Lluis). (Pietri), Milano, Aimo, Terramorsi, (Beretti), Canali, Papi, Bonardi, X, Baretti P., X, X.
Un court moment, l’A.C.A. change de nom, et devient le Racing. Mais Louis Paolini et la nouvelle équipe dirigeante optent pour un retour aux vraies valeurs du club. La guerre terminée, l’A.C.A. retrouve son nom d’origine. La Fédération Française de Football est créée en 1919. Dans la foulée, l’A.C.A. dépose ses statuts le 13 septembre de la même année sur le bureau des instances compétentes afin de pouvoir disputer des compétitions officielles. Cette même année, les Ajacciens affrontent sur la place du Diamant l’unité de la marine anglaise, le H.M.S. Carnavon. Devant
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8. François Ortoli, gardien de l’A.C.A. entre 1920 et 1923. Entretien avec Didier Rey, La Corse et son football, 2003, Albiana, p. 57.
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L’A.C.A. devient le premier champion de Corse de l’histoire Avec la F.F.F., les premières véritables compétitions officielles sont créées. L’histoire retiendra que les Ajacciens ont remporté tous les matchs du premier championnat de Corse, marquant 27 buts sans en encaisser aucun ! Les autres équipes, telles que la J.S.A., l’U.S.C. et le S.C.B. ne font alors que de la figuration.
1922 – Le stade Jean-Lluis, l’historique stade de l’A.C.A.
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En 1917, la mairie d’Ajaccio réglemente la place du Diamant. En effet, le voisinage dépose de nombreuses plaintes en raison du bruit et autres désagréments occasionnés par l’organisation des matchs de football. On considère par exemple que ces rencontres constituent un danger pour les passants. Pendant plusieurs années, le problème perdure. En 1921, les dirigeants ajacciens achètent un morceau de terrain près de la voie ferrée à la sortie sud d’Ajaccio. Jean Lluis, président de l’A.C.A. fraîchement élu, demande à la mairie de verser au club de subvention de 25 000 F pour construire un stade de football. Les dirigeants de l’A.C.A. s’engagent à rembourser la somme dans les 25 ans, et à laisser les installations disponibles aux autres équipes ajacciennes. Le 8 octobre 1922, le stade est inauguré. On décide de lui donner le nom du président du club : JeanLluis. Dès lors, l’A.C.A. peut organiser des matchs de prestige. L’Union Sportive Marseillaise est notamment battue par l’A.C.A. 1 à 0, le 1er avril 1923. Le 13 mai de la même année, l’Association Sportive des Corses de Paris est battue à son tour sur le même score. Après des milliers de matchs disputés dans ce stade, en 1968, alors en première division, l’A.C.A. joue sa dernière rencontre officielle au Jean-Lluis face à Lyon, et s’impose 4 à 1. La vieille enceinte ajaccienne est ensuite détruite en novembre 1971, laissant un grand vide dans le quartier des Salines. Dans un article, le journaliste José Maragna rend hommage à ce qui était « le monument du football ajaccien », et ce, malgré son aspect archaïque : « Jean-Lluis est mort ! Sa longue agonie a pris fin. Seuls les enfants du quartier pourront encore danser sur son cadavre. Jusqu’au jour où ils seront chassés à leur tour par les engins qui l’enterreront définitivement sous des masses de béton ». On se demande alors où vont pouvoir jouer les petits clubs de la ville, comme l’O.A. ou le Gallia Salines. Cette destruction provoque un véritable déchirement pour les Anciens qui ont vu leur club conquérir ses Lettres de noblesse sur ce terrain9 ». Aujourd’hui, le stade Jean-Lluis a laissé place à une grande surface.
1919 (place du Diamant). Baretti, Paolini, Bacchiolelli, Venturini, Camilli, Baretti M., Plaisant, Giacobini, Filippi, Ghiponi et Martinetti.
1920 (place Saint-Nicolas, Bastia). Paolini, Ghiponi, Camilli, Filippi, Versini, Baretti P., Plaisant, Giacobini, Venturini, Baretti M. et Martinetti.
9. Frédéric Bertocchini, À l’Ours, la grande histoire de l’A.C.A. 1910-2000, 2000, p. 143.
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Les premiers champions de Corse de l’histoire se nomment Filippi (goal), Ghiponi, Paolini, Colombani, les frères Baretti, Martinetti, Plaisant, Giacobini, Bacchiolelli, Marchi, Milano, Venturini, Camilli, Santamaria, Leca et Rossi. En 1922 naît la Ligue corse de football. Pour le football insulaire, il s’agit d’un événement très important. À partir de ce moment-là, les clubs vont se multiplier dans toute l’île : l’E.F. Bastia, la J.S. Bonifacio, le Gallia Club Ajaccien et l’Aiglon Sportif Ajaccien voient alors le jour. Joseph Cardinalli, qui est alors secrétaire général de l’A.C.A., devient également secrétaire général de la Ligue corse. Après deux titres de champion de Corse obtenus dans la plus déconcertante facilité, les Ajacciens perdent pied. Il faudra attendre plus de dix ans pour que les Ours renouent avec un sacre.
1921. Romanetti, Rossi, Schiaretti, Felicci, Paolini, Arrighi, Letia, Coltelloni, Baretti, Franceschini et Fancelli.
Jean Lluis, l’emblématique président de l’A.C.A. dans les années 20. 1922 (place du Diamant). X, (Cardinalli), Plaisant, Baretti P., Venturini, Baretti M., Martinetti, Paolini, Bacchiolelli, Camilli, Versini, Filippi et Ghiponi.
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1934 : nouveau titre de champion de Corse pour l’A.C.A.
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1934. Milano, Nicolaï, Pozzo di Borgo, Olivieri, Fayet, Cuttoli, Matraja, Bervily, Santucci, Spinosi et Pacini.
Le début des années trente marque un grand tournant dans l’histoire du football mondial, mais également ajaccien. La Coupe du Monde est créée. Le stade Jean-Lluis est amélioré grâce à une subvention de la 3 F-A1 et surtout, deux nouveaux clubs viennent de naître dans la cité impériale : l’O.A. et le F.C.A. Le paysage footballistique ajaccien moderne prend forme. Les matchs deviennent dès lors plus heurtés, plus engagés, mais aussi beaucoup plus violents. Le football n’est plus le sport de la convivialité, mais celui
de la rivalité. Tandis que le F.C.A. incarne des valeurs plus populaires, l’A.C.A. est davantage le club de la bourgeoisie ajaccienne, de la vieille ville, de la rue Fesch, du cours Napoléon et de la place Foch, avec des moyens plus importants. C’est à cette époque que la coupe Peyrouse est créée. Il s’agit, en quelque sorte, d’une grande coupe d’Ajaccio. Chaque année, toutes les formations ajacciennes s’affrontent afin d’établir une véritable
1. Ancienne appellation de la F.F.F., Fédération Française de Football Association.
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1932 – Ajaccio affronte l’équipe du Queen Elisabeth En avril 1932, les Ajacciens attendent avec impatience un grand match de football. En effet, le consul anglais de la ville, le Major Routley, annonce qu’une rencontre va opposer une formation ajaccienne, composée à majorité d’acéistes, aux marins du Queen Elisabeth. L’événement est important, au point qu’un concert est donné à bord du magnifique navire en présence des joueurs. Le coup d’envoi est donné par le Major lui-même dans un stade Jean-Lluis plein à craquer. Malgré une large supériorité physique des Anglais, la sélection ajaccienne parvient à accrocher un match nul 1 à 1. Des joueurs tels que Santucci et Spinosi réalisent notamment un match étonnant pour des amateurs.
hiérarchie. En 1932, l’A.C.A. remporte le trophée devant l’O.A. (5-3). C’est également à ce moment que la rivalité avec le F.C.A. devient particulièrement féroce. La plupart des oppositions entre Acéistes et joueurs du « Bistro » se terminent en bagarre générale au stade Jean-Lluis. Déchirés, les clubs ajacciens laissent alors la part belle aux clubs du nord, qui remportent à tour de rôle, et pendant de très nombreuses années, les titres de champion de Corse. Incontestablement, le football ajaccien est au creux de la vague. Toujours en 1932, l’A.C.A. répond à l’invitation du S.C. Bastia pour participer à une rencontre de football tout à fait particulière. Les Ajacciens sont en effet sollicités pour l’inauguration du stade de Furiani, fraîchement sorti de terre au sud de Bastia. Ce match amical, qui se déroule dans une ambiance festive, ne manque pas de susciter néanmoins de nombreuses polémiques : certains journalistes2 accusent la Ligue corse de football de dresser les clubs ajacciens les uns contre les autres. D’autres journalistes dénoncent une injuste répartition de l’argent public. Le Comité national de sport aurait en effet favorisé Bastia et Corte au détriment d’Ajaccio. Les crédits alloués aux stades de football en Corse font alors couler beaucoup d’encre. Force est de reconnaître que la situation n’a guère beaucoup changé depuis…
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Après deux ans de disette, au cours desquels l’A.C.A. ne remporte qu’une coupe Peyrouse en 1932, les dirigeants décident de constituer une formation capable de devenir une nouvelle fois championne de Corse, plus de dix ans après le dernier titre. La saison est âpre et la plupart des matchs sont entachés d’incidents plus ou moins graves. Finalement, les Acéistes remportent une troisième couronne, en coiffant sur le fil le S.C.B. Les héros se nomment alors Pizziconi, Cuttoli, Cioccha, Dellapiana, Pozzo di Borgo, Pervily, Santucci, Guerrini, Galesi, Spinosi, Berthi, Leonetti, Pardi, Lindman, Sammartini, Bervily, Giuntini, Paoli, Padovani, Geronimi, Alata, Fayet et Pacini.
Les années passent et le moins que l’on puisse dire est que l’ambiance au sein du football corse ne s’améliore pas. Bien au contraire, elle continue de se détériorer. Les membres de la Ligue corse de football se concertent pour tenter de ramener les gens au stade : on décide de baisser le prix des places, de faire de la publicité dans les journaux et, surtout, les instances veulent régler le problème de l’arbitrage. Plusieurs mesures sont mises en place. Mais ces dernières sont inutiles. Les rivalités entre les clubs atteignent des sommets. La pratique du football dans des conditions saines et sportives est devenue impossible.
1934 – « Ce n’est plus du football, c’est la guerre ! » En 1934, l’A.C.A. obtient un titre de champion de Corse dans des conditions très particulières. En effet, de graves incidents émaillent la plupart des rencontres au Jean-Lluis. Mais pas seulement. Il arrive même que les joueurs de l’A.C.A. en viennent aux mains entre eux. Lors d’un match contre le F.C.A., un joueur de l’A.C.A. va jusqu’à inscrire un but contre son camp, de rage, afin de pester contre la passivité de ses coéquipiers. Les arbitres désignés par la Ligue sont absents la plupart du temps, provoquant des situations quelquefois rocambolesques. Il arrive aussi que l’arbitre désigné pour un match quitte l’aire de jeu avant la fin de la rencontre, menacé par des joueurs ou des spectateurs. Ce fut le cas pour l’arbitre du match opposant l’A.C.A. à l’O.A. en début de saison 1933-1934. Ces incidents provoquent la colère des dirigeants acéistes. Ces derniers accusent tout d’abord les dirigeants du « Bistro » de vouloir débaucher leurs meilleurs joueurs. La tension monte entre les deux clubs phares de la ville d’Ajaccio. D’autre part, les dirigeants acéistes soupçonnent la Ligue de désigner des arbitres favorables au « Bistro » pour les derbys. Des réserves sont déposées. Cette tension palpable entre l’A.C.A. et le F.C.A. ne manque pas d’irriter les supporters des deux clubs, au point que les travées du stade Jean-Lluis se vident de manière assez importante. La saison se termine par de nouveaux incidents graves. Alors que les Acéistes jouent le titre à Furiani face au Sporting, dans une action de jeu et emporté par son élan, l’Ajaccien Jean-Jean Spinosi vient percuter le gardien de but bastiais, Infrandi, qui sera ensuite conduit vers le centre hospitalier de Bastia. S’ensuivent de graves incidents, avec une bagarre générale et une rencontre interrompue pendant de nombreuses minutes. En 1934, en seulement un mois, trois gardiens corses sont grièvement blessés sur des terrains de football. Un an plus tard, un derby A.C.A.-F.C.A. se termine à neuf contre neuf et le terrain du stade JeanLluis est envahi à de nombreuses reprises pendant la partie, nécessitant l’intervention des gendarmes. Ce n’est plus du foot, c’est la guerre !
2. Notamment du Journal de la Corse.
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1936 : l’A.C.A. décide de ne plus participer aux compétitions officielles
1939. Federicci, Spinosi, Bonelli, Fontana, Leonetti, Morelli, Marcaggi, Filippi, X, Lunelli, Adolfini, Thétard, Mickey et Martinetti.
Dix-huit mois après le dernier titre de champion, les dirigeants de l’A.C.A. prennent de graves décisions. Tout d’abord, le 24 novembre 1935, ces derniers font savoir que leur équipe ne rencontrera plus jamais, dans quelque compétition que ce soit, les voisins du F.C.A. Cette décision fait suite au dernier derby ayant opposé les deux équipes où, encore une fois, de graves incidents se sont déroulés. Une fois la tension retombée, les dirigeants reviendront sur cette décision. Mais cette année-là, les problèmes ne font que commencer. En finale du championnat de Corse, les Ours sont favoris face au Gallia Club de Bastia. Mais encore une fois la rencontre ne va pas à son terme : en effet, une bagarre générale éclate et le jeune Ajaccien Lucchini est blessé. Joueurs, supporters et même l’arbitre et ses amis en viennent aux mains, de sorte que la finale ne peut aller à son terme. Les joueurs de l’A.C.A. refusent de reprendre la partie et quittent l’enceinte du stade. Le titre n’est donc pas attribué en cette année 1936. Considérant avoir été lésés par l’arbitrage lors de la finale du championnat de Corse, les dirigeants acéistes décident dès
lors de ne plus participer au championnat3. Ces derniers optent ainsi pour l’abandon du football au profit du basket. Toutefois, grâce au travail d’une bande de passionnés (Federicci, Spinosi, Bonelli, Fontana, Thétard, etc.), l’équipe de football de l’A.C.A. continue d’exister au travers de l’organisation de matchs amicaux prestigieux. Un dernier titre avant la guerre Le retrait des compétitions officielles ne dure qu’un temps. En effet, après réflexion et surtout sous la pression populaire des nombreux supporters acéistes, les dirigeants se mettent d’accord et demandent une réintégration au championnat de Corse. La Ligue accepte, mais décide de reverser le club dans la poule « nord ». Autant dire que la saison 1937-1938 est très difficile pour les Ours, obligés de passer le col de Vizzavona plusieurs fois dans la saison4. Malgré ces difficultés, l’effectif a fière allure, avec des joueurs tels que Biaggini, Bervily-Morelli, Vellutini, Martinetti, Bonelli, Cavagnano, Boronad, Marcaggi ou encore Luccioni.
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3. Les dirigeants de l’A.C.A. considèrent alors que l’arbitre désigné pour diriger la finale à Bastia n’était pas un référé officiel et que, de plus, des joueurs ajacciens ont été frappés lors de cette rencontre. 4. À l’époque, jouer à Bastia était une vraie expédition.
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1936 – L’O.M. et l’O.G.C. Nice au stade Jean-Lluis Ayant décidé de retirer leur équipe des compétitions chapeautées par la Ligue corse de football, les dirigeants de l’A.C.A. œuvrent néanmoins pour que leur club continue de vivre. Pour ce faire, les Ours organisent des matchs amicaux prestigieux au stade Jean-Lluis. Le mythique stade ajaccien est plein comme un œuf lorsque, le 28 mars 1936, les professionnels de l’Olympique de Marseille, leader du Championnat de France, viennent se mesurer aux Rougeet-blanc. Miquel, Crut et la grande vedette hongroise Villy Kohut, considéré comme le meilleur ailier d’Europe, sont présents à Ajaccio. Pour renforcer leur équipe, les Acéistes font appel à quelques joueurs de l’O.A., tout heureux de pouvoir se mesurer aux meilleurs. L’O.M. s’impose facilement 5 à 1. Quelques semaines plus tard, le 6 mai, c’est au tour des vedettes de l’O.G.C. Nice de venir en découdre à Jean-Lluis. C’est un grand événement à Ajaccio, au point que le préfet de Corse, le maire d’Ajaccio et de nombreuses autres personnalités assistent à cette rencontre. Là encore, l’A.C.A. est renforcé par quelques joueurs de l’O.A. et même les jeunes Marsily (C.A.B.), et Baldacci (Corte). L’histoire retiendra sans doute la grande débauche d’énergie des Corses face à l’armada niçoise. L’O.G.C. Nice ne s’impose que par 1 but à 0. Autant dire que cette défaite est vécue comme une véritable victoire.
Il faut donc attendre une saison pleine avant que l’A.C.A. ne réintègre la poule « sud », rejoignant ainsi le F.C.A., l’O.A. et le C.S.A. Avant de reprendre la compétition, les dirigeants acéistes font publier dans la presse locale un communiqué indiquant que le « football est un jeu et non un combat ». On décide de repartir sur des bases un peu plus saines. Le petit monde du football insulaire relativise. En effet, la guerre menace, et l’Europe n’est pas loin de s’enflammer. Aussi, c’est dans une ambiance étrange qu’un nouveau championnat commence en Corse. Le nouveau siège de l’A.C.A. se situe désormais au 2, place des Palmiers, non loin de la Maison Carrée.
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Si les matchs sont plus corrects, les démons du passé ne sont pas oubliés pour autant. Quelques rencontres échappent encore à l’autorité de l’arbitre, comme par exemple le derby A.C.A.-O.A. arrêté suite à un envahissement de terrain par les supporters. Pour cette nouvelle saison, les dirigeants acéistes réunissent un effectif de qualité, pratiquement et entièrement recomposé, avec des joueurs tels que Federicci, Morelli, Pantano, Bonelli, Thétard, Marcaggi, Boronad, Spinosi, Cavagnano, Michez et Jean Pietri, l’enfant de Quenza.
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1939 – Les « glorieuses finales » contre l’U.S. Corte Désignée meilleure équipe du sud de l’île en 1939, l’A.C.A. se qualifie ainsi pour la finale du championnat de Corse à Corte, face à l’U.S.C. Cette finale est un grand événement dans la ville. Un train spécial est mis à la disposition des supporters en partance pour la cité paoline. Des points de vente sont ouverts dans tout Ajaccio. Malgré une belle débauche d’énergie, les Ajacciens s’inclinent 2 à 1 au stade Santos-Manfredi. Mais rien n’est perdu. Pour le match retour au stade Jean-Lluis, les Ours rétablissent l’équilibre en s’imposant sur le même score de 2 buts à 1. À égalité sur l’ensemble des deux rencontres, la Ligue corse décide alors d’organiser la « grande » finale, la « belle », au stade de Furiani à Bastia. Encore une fois, les dirigeants ajacciens mettent tout en œuvre pour permettre aux supporters d’assister à cette rencontre. Des autocars franchissent le col de Vizzavona. À Bastia, Ajacciens et Cortenais se séparent sur un score de parité (2-2). Le titre n’est donc toujours pas attribué. Une semaine plus tard, la Ligue décide d’organiser la « belle des belles » à Ajaccio. Mais ce match n’aura jamais lieu. Afin de contester la décision de la Ligue corse de jouer à Ajaccio, les montagnards de Corte refusent de se déplacer et déclarent forfait. Dans la ville impériale, ce titre est grandement fêté. Un banquet est organisé au restaurant des Calanques. Le président Morelli, Louis Baretti, Xavier Sabiani font de beaux discours devant une foule nombreuse. L’A.C.A. redevient le plus grand club de Corse…
Les premiers matchs sont de bonnes factures pour l’A.C.A. qui prend les devants au classement général. Le 26 février 1939, un match amical entre l’A.C.A. et le C.S.A. provoque une émeute au stade Miniconi. La Ligue fait alors savoir que lors des rencontres officielles, seuls les délégués, les soigneurs et les entraîneurs sont tolérés sur l’aire de jeu. Champions de la poule « sud », les Ajacciens défient ensuite les montagnards de Corte pour une grande finale qu’ils remportent non sans difficulté. L’A.C.A. retrouve son lustre d’antan et règne de nouveau sur la scène footballistique insulaire. De plus, le football s’apprête à entrer dans une nouvelle ère. Les instances nationales instaurent de nouvelles règles. Mais l’élan est coupé net par la folie des hommes. Nous sommes en 1939, et la guerre est déclarée.
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